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Histoire religieuse, politique et littéraire de la Compagnie de Jésus : composé sur les documents inédits et [...] Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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  • Histoire religieuse,politique et littraire dela Compagnie de Jsus

    : compos sur lesdocuments indits et [...]

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Crtineau-Joly, Jacques (1803-1875). Histoire religieuse, politique et littraire de la Compagnie de Jsus : compos sur les documents indits et authentiques (3e dition, revue,augmente et enrichie d'une table alphabtique des matires) par J. Crtineau-Joly. 1851.

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  • HISTOIRE

    RELIGIEUSE, POLITIQUE ET LITTRAIRE

    DE LA

    COMPAGNIE DE JSUS.

    VI.

  • IMtfBIMEBIE DE BEAU, A SAJNT-GEBMAIN-EN-LAYE.

  • CHARLES EMMANUEL IY ROI DE SARDAIGNEET DE PIEMONT,Membre de la Compame de Jsus.

  • RELIGIEUSE, POLITIQUE ET LITTRAIRE

    DE LA

    COMPAGNIE DE JSUSCOMPOSE

    SUR LES DOCUMENTS INDITS ET AUTHENTIQUESPAR J. CRTINEAU-JOLY.

    Ouvrage orne de portraits et de fac-simil.

    TROISIME DITION,REVUE, AUCHENTE ET ENRICHIE D'UNE TABLE ALPHABTIQUE DES MATIRES.

    PARIS,M V POUSSIELGUE-RUSAND, DITEUR,

    RUE DO PETIT-BOURBON SAINT-SULPICE, 3.LYON,

    J.-B. PLAGAUD, LIBRAIRE,GRANDE RU MERCIERE, 39.

    1851

  • HISTOIREDE LA

    COMPAGNIE DE JSUS.

    CHAPITRE PREMIER.

    Expulsion des Jsuites de Russie

    Leur situation dans l'Empire.

    Jalousie desPopes et des Universits

    Alexandre charge les Pres des Missions de Sibrieet d'Odessa.

    Le duc de Richelieu et l'abb Nicolie. Brzozowski, Gnraldes Jsuiles, et le comte Joseph de Maistre.

    Leur plan pour manciper l'du-cation.

    Exigences des Universits.

    Brzozowski s'adresse au comte Rasou-'moflski. ' Les trangers dans le corps enseignant.

    Les Jsuiles demandentque le Collge de Pololsk soit rig en Universit.

    Alexandre hsite.

    Lecomte de Maistre prend parti pour les Pres.

    Portrait de Joseph de Maistre.

    Ses lettres au ministre de l'instruction publique. Le (Czar ordonne que leCollge des Jsuites devienne Universit.

    Projet des Jsuites de passer enEspagne pour y rtablir l'Institut, en 1812.

    La Socit biblique et le princeGalilzin, ministre des cultes.

    Caractre d'Alexandre Ier.

    11 adopte l'ide desSocits bibliques.Les Evoques du rite romain encourags par le princeGalilzin entrent dans la Socit biblique. Les Jsuites refusentd'en faire partie.

    Ils la combattent.

    Accroissementdes Catholiques.

    Causes de cet accrois-sement.

    Alexandre Galilzin embrasse le Catholicisme.

    Colre de son oncle.

    Lctlre du Pre Billy.

    Les Socits bibliques prparent la chute de la Com-pagnie. Moyens employspour y parvenir. Les ides del Sainte-Allianceexploites contre les Jsuites par les Protestants et les schismatiques grecs.

    Ukase qui exile les Jsuites de Saint-Ptersbourg.

    Alexandre base sur des mo-tifs religieux son dcret de proscription-

    Vlnvalide russe et le Pre Rozaven.Causes secrtes des mnagements de l'Empereur l'gard des Jsuiles.

    Saisiede leurs papiers.

    Brzozowski crit a Alexandre.

    Il demande partir pourRome.

    L'empire de Russie devient simple Province de l'Ordre.

    Les Jsui-tes expulss de Russie.

    Rapport du prince Galilzin.

    Accusations qu'il con-tient.

    Les Jsuiles Missionnaires. Leurs travaux.

    Le Pre Grivel auVolga.

    Le Pre Coince & Riga.

    Ses oeuvres de charit et d'di.cition popu-laire.

    Ses institutions.

    Le marquis Pallucci. et le Jsuite.

    Le Pre GillesHenry au Caucase.

    Les colonies de Mozdok.

    La correspondance du Mission-naire.

    Le gouvernementrusse propose aux Jsuites de ne pas sortir de leursMissions.

    Les Jsuites refusent d'adhrer.

    Dispersion des Pres.

    LaCompagnie de Jsus Rome.

    Travail intrieur de ses membres.

    Situationde l'Inslitut.

    Ses premiers Collges.

    Le Noviciat de saintAndr.

    Charles-Emmanuel, roi de Sardaigue, se fait Jsuite.

    Il meurt au Noviciat.

    Mort deBrzozowski, Gnral de l'Ordre.

    Le Pre Ptrucci, dsign Vicaire, fixe laCongrgationGnrale.

    Le cardinal dlia Genga et son opposition.

    Ptrucciordonne aux Profs dputs de suspendre leur voyage.

    Le Pre Rozaven leurcrit de passer outre Nouvelles exigences1 du cardinal dlia Genga pour en-traver l'lection.

    Soupons des Jsuiles.

    Ils s'adressent au Pape.

    LeM. I

  • 2 CHAI'. I.

    HISTOIRE

    cardinal Consalvi les rassure.

    Plan de l'intrigue miplie pour modifier lesConstitutions.

    La Congrgation s'assemble Puurci cherche a se dbar-rasser des Pres qui se dfient de lui.

    La Congrgation frappe de dchancele Vicaire-Gnral.

    Louis Forlis est nomm chef de l'Ordre de Jsus.

    Con-damnation de ceux qui ont voulu porter la discorde dans l'Institut.

    Commis-saires nomms pour la rvision du Ratio studiorum.

    A peine la Socit de Jsus fut-elle reconstitue dans lemonde catholique, qu'elle se vit bannie de l'Empire devenu sonsecond berceau par les soins de l'impratrice Catherine et dePaul 1er. Le jour des restaurations tait arriv ; les rois de lamaison de Bourbon, l'exemple du Souverain-PontifePie Vil,essayaient de rparer la grande iniquit contre laquelle Cathe-rine de Russie et Frdric II de Prusse protslrent si nergi-quement. Les Jsuites taient rhabilits par le Sant-Sige etpar les rois qui avaient rejet l'Institut ; dans le, mme temps la

    .Russie, leur patrie d'adoption,

    les repoussait de son sein. Aprsles avoir reus proscrits, elle semblait regretter la bonne foi deson hospitalit et dnoncer l'Europe les Religieux prservs dela mort. Ce revirement d'ides pouvait tre fatal la Compagniede Jsus ; il l'exposait des soupons qui, invitablement, al-laient rveiller les vieilles haines ; il embarrassait ses premierspas sur un sol encore mal affermi. Le Czar

    ,au plus haut point

    de sa puissance militaire et morale, et t pour les disciples desaint Ignace, ses sujets ou ses htes, un ennemi dangereux;Alexandre trouva assez de justice dans son coeur pour ne paslaisser dnaturer les motifs de l'expulsion des Jsuites; il n'enfit. pas mystre

    ,

    il ne s'attacha point propager contre eux desmensonges que leurs ennemis de tous les temps auraient accueil-lis avec avidit. Cette expulsion n'eut rien de dshonorant nipour la conscience ni aux yeux des hommes, elle fut le produitd'une rivalit de religion. L'Empereur et le gouvernement russela prsentrent dans ces termes ; l'Europe l'accepta ainsi : pourla faire comprendre, il n'y^a donc qu' dvelopper les vne-ments et les caractres.

    Tant que les Jsuites, encore peu nombreux,

    s'taient occu-ps de reconstruire leur Socit avec les dbris du naufrage, leClerg russe et le corps enseignant n'avaient fait clater aucunedfiance' contre ces proscrits. Sans prendre ombrage de leur

  • !>E LA COMPAGNIE DE JSIS. ' 3aptitude pour lever la jeunesse', on les laisssait, au fond de laRussie-Rlancheou au milieu des colonies du Volga

    ,

    porter l'E-vangile et la civilisation. Mais

    ,

    lorsque l'amiti de Paul Ier pourle Pre Grubr, et les rapides succs d'une milice peine ror-ganise et toujours aussi modre que savante eurent plac lesJsuites sur un plus vaste thtre

    ,

    les Popes et les Universi-taires de Vilna sentirent qu'un coup funeste allait tre port leur omnipotence L comparaison que toutes les intelligencestablissaient tournait leur dtriment. Ils s'avouaient leur in-friorit dans les lettres humaines comme dans les sciences di-vines. Trop humilis, trop tenus en servitude pour se releverde cet abaissement normal, ils ne consentaient pas cependant perdre le dernier reflet de pouvoir qui assurait leur prcaireexistence. Le pope russe n'est pas dans les conditions du prtrecatholique; il n peut en avoir l'obissance raisonne, il n'en ajamais eu l'ducation, la charit et le zle. On ne le voit point,aumnier du riche et pre du pauvre, inspirer toutes lesclasses le respect et la confiance. Le spectacle des vertus que lesJsuites lui donnaient, la considration dont ils jouissaient, cetensemble de devoirs accomplis, tout cela fit une profonde im-pression sur le Clerg schismatique. L'admiration dgnrabientt en jalousie. Il n'tait pas possible d'imiter les disciplesde saint Ignace dans l'enseignement et dans l'apostolat : les pr-tres grecs, de concert avec les Universitaires, se mirent leurdclarer une guerre sourde. On pia leurs paroles, on dnaturaleurs penses, on essaya de rendre suspects leurs actes les plusindiffrents ; on mit en jeu l'orgueil national, on affecta descraintes chimriques sur la perptuit de la religion du pays quel'on prtendait menace par le proslytisme. Quand ces fermentsfurent sems dans les coeurs, on attendit l'heure favorable leur dveloppement; cette heure ne tarda pas sonner.

    Alexandre avait suivi, l'gard des Jsuites, la ligne de con-duite adopte par son aeule et par son pre. Il les protgeait, illes encourageait,et, en 1811, il leur avait ouvert la Sibrie. UneMission s'tait forme dans ces dserts inhospitaliers, car l'mechrtienne de l'Empereur n'osait pas abandonner sans secours re-ligieux les Catholiques exils ou ceux que l'appt du gain rete-

  • 4 CHAI'. I.

    HISTOIRE

    nait au milieu des glaces. Trois Pres de la. Compagnie,

    dsignspar le Monarque, se rendirent ses voeux; dans la mme anned'autres partaient pour Odessa. Cette naissante colonie devait deux Franais la part la plus merveilleuse de ses prosprits. Leduc de Richelieu et l'abb Nicolle voyaient, chacun dans sasphre

    ,

    triompher le plan de gouvernement et d'ducation qu'ilsavaient propos. Ils demandrent des Jsuites pour donner leuroeuvre l'extension dont elle tait susceptible'; il fallait agrandir lecercle des progrs socianx. Les Missionnaires de l'Institutavaientle don des langues. Par la persuasion ou par la charit ils pre-naient un ascendant irrsistible sur les barbares ; il les runis-saient en famille afin de leur apprendre peu peu bnir lejoug de la civilisation. L'Empereur voulut s'associer aux projetsde Richelieu et de Nicolle ; d'autres enfants de saint Ignace fu-rent envoys par lui Odessa. Cette ville devint le centre d'unenouvelle Mission qui rpandit en Crime le bienfait du Chris-tianisme.

    Le Pre Thadde Brzozowski tudiait le travail de l'Ordre dontil tait le chef ; il connaissait la pense dominante de l'Empe-reur, pense ne tendant rien moins qu' propager l'instruc-tion dans les terres les plus recules. Afin de seconder un aussilouable projet, Brzozowski ne craignait pas de s'engager dansun conflit avec les ambitions universitaires. Dou d'une rareintelligence, esprit tenace et patient, il se sentait appuy par unhomme qui jouissait la cour de Russie d'une autorit pluttdue son gnie qu' son titre diplomatique. Le comte Josephde Maistre, ambassadeur de Sardaigne auprs du Czar, s'tait,avec la franchise de ses convictions et la roideur un peu absoluede son caractre, prononc en faveur des Jsuites. 11 les soute-nait comme une des clefs de la vote sociale; et, dans ce labo-rieux enfantement d'un jplan d'ducation populaire, il excitaitBrzozowski crer son Institut une position indpendante.Les Maisons des Jsuites taient subordonnes aux Universitsde leur ressort. Il importait d'affranchir les collges de ces ti-raillements intrieurs que l'esprit de monopole ne cesse de sus-citer, et qui compromettent l'avenir. Des discussions s'taientplus d'une fois leves entre l'Acadmie de Vilna et les Pres de

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 5Pololsk. L'Universit dsirait, force de surveillance chica-nire et de prescriptions minutieuses, altrer dans son essencel'ducation donne par les Jsuites. Elle les entravait dans leurmarche et leurs progrs

    ,

    elle voulait que les jeunes gens sortisdu Collge de la Compagnie vinssent recevoir dans son sein lecomplment de l'instruction.

    L'Universit de Vilna, renforce d'un grand nombre de doc-teurs trangers et de rgents cosmopolites, affichait alors desprincipes anti-catholiques. Elle avait le droit incontest de pro*fesser la Religion de l'Etat, d'exiger mme que cette Religionft respecte dans toutes les chaires ; mais ce droit ne s'tendaitpas jusqu' discuter la foi des autres sujets russes et chercher la tuer sous l'arbitraire. Les Jsuites, l comme partout, in-voquaient la libert. Soumis l'inspection de Visiteurs univer-sitaires

    ,

    les Pres ne s'opposaient point aux rigoureux examensdont leurs lves taient l'objet. Cet tat d'infriorit lgale nenuisait en aucune faon la Socit de Jsus ; mais il entrete-nait dans les esprits une irritation qui, la longue, pouvait em-pcher les Novices de la Compagnie et les professeurs de Vilnade se livrer des tudes srieuses. Cette question de prmi-nence avait souvent t traite aux deux points de vue. Le dbatl'avait agrandie; peu peu elle tait devenue une questiond'Etat. Le Pre Brzozowski s'efforait de mettre un terme cette instabilit, et, le 24 aot 1810, il crivait au comte Ra-soumoffski, ministre de l'instruction publique : Deux corpsen rivalit s'empchent mutuellement de nuire. 11 est sans doutetrs-important que la jeunesse de l'Etat soit leve dans desprincipes de patriotisme, dans des sentiments de soumission

    ,

    derespect et de dvouement pour la personne du Souverain; maisquelle certitude a -t-on que ces sentimentssoient soigneusementinculqus dans les Universits, dont beaucoup de professeursne tiennent l'Empire que par les appointements qu'ils reoi-vent, qui ont des intrts diffrents et indpendants de ceux del'Etat, et qui, par l mme, paraissent plus propres teindrequ' enflammer le patriotisme dans le coeur de la jeunesse?

    Le mode d'enseignement des Jsuites et ses rsultats se trou-vaient attaqus par tous ces hommes appels de l'Orient et de

  • O CHAI'. I.

    HISTOIRE

    l'Occident pour fconder la Russie. Les enfants de Loyola d-fendaient leur Ratio studiorum. L'Universit, jalouse de sesprivilges et se confiant dans son monopole pour immobiliser leprogrs littraire ou scientifique, demandait assujettir les Pres ses lois et ses rglements. Les Jsuites, au contraire, pr-tendaient que du libre concours des diverses mthodes il devaitsurgir une gnration plus forte. Dans le but de stimuler l'mu-lation

    ,sans faire craser l'un par l'autre, ils proposaient l'Em-

    ' pereur d'riger leur Collge de Polotsk en Universit, sous lasurveillance immdiate et spciale du gouvernement. Le 11 sep-tembre 1811

    ,

    le Gnral de l'Ordre adressait au comte Rasou-moffski une note dans laquelle on lit : Nous ne demandonsabsolument rien que d'tre maintenus dans la possession desbiens dont nous jouissons actuellement. Ce qui rend les Uni-versits si coteuses l'Etat, ce sont les honoraires des profes-seurs que l'on est souvent oblig de faire venir grands fraisdes pays trangers. .Quant nous, notre Ordre fournit tous lesprofesseurs dont nous avons besoin, et chacun de ces profes-seurs donne tous ses soins et tout son travail sans aucun salaire,sans aucune vue de rcompense temporelle, et uniquement poursatisfaire au devoir de sa vocation.

    Cette correspondance du Pre Brzozowski avec le ministredu Czar, ces notes qu'Alexandreconsultait, et qui s'accordaientsi bien avec son esprit de justice et les prires de ses sujets ca-tholiques

    ,

    ont quelque chose de rellement habile ; elles formentune vritable thorie de l'ducation. Ce que les Jsuites et les ha-bitants de la Russie-Blanche sollicitaient tait de toute quit.Alexandre le comprenait ainsi ; mais, autour de lui et dans lesrgions infrieures du pouvoir, il existait des prjugs, des am-bitions

    ,

    des rivalits de secte ou de culte s'opposant cet acted'mancipation. Les uns montraient la Religion grecque en p-ril, les autres proclamaient que bientt les Jsuites auraient en-vahi les diverses branches de l'administrationpublique ; tous s'ac-cordaient dire que la Compagnie abuserait de la libert pourtouffer les autres corps enseignants. Il paraissait peu prs im-possible aux enfants de Loyola d'obtenir ce qu'ils demandaient,lorsque le comte Joseph de Maistre se jeta dans la mle avec

  • DE LA COMPAGNIE DE JESUS. 1

    son loquence incisive et sa raison allant-toujours au but, sansse proccuperdes obstacles.

    Le comte de Maistre tait plutt un grand crivain, un hardipenseur, qu'un diplomate. Il y avait dans son esprit et dans soncoeur une telle surabondance de vie,-un dvouement si complet l'ide qui lui paraissait tre la vrit rvle ou dmontre parle raisonnement, qu'il Ja portait-en triomphe aussi loin qu'il estpermis la faiblesse humaine. Les demi-mesures de l'esprit departi, les atermoiements de l'intelligence, les difficults de tempsou de lieu, rien ne faisait obstacle cette sve de gnie dbor-dant sur tous les sujets auxquels il touchait et laissant sur cha-cun d'eux sa vive empreinte. Possd de l'amour du vrai, du bonet du juste, mais ne se dfiant peut-tre pas assez de sa mor-dante ironie, de son originalit et de sa polmique passionne

    ,Joseph de Maistre avait conquis Saint-Ptersbourg une posi-tion aussi neuve que tranche. Catholique ardent, il avait su secrer chez les', schismatiques grecs des amis qui honoraient safoi, qui estimaient ses vertus prives et qui se montraient fiersde son gnie. La lutte entre les Universits russes et les Jsuitestait acharne, car pour les uns il s'agissait de se donner unrival, pour les autres, d'tre ou de n'tre pas. L'ambassadeurde Sardaigne la cour du Czar n'avait rien voir dans ces d-mls intrieurs ; le Catholique y dcouvrit une mission rem-plir, il s'en chargea.

    Brzozowski avait combattu les Universitaires de Vilna avec lesarmes del logique; de Maistre lve la question aussi haut quelui. Alexandre s'occupe de fonder l'ducation dans son empire.Par devoir, par conviction, par reconnaissance, le grand cri-vain pimontais, qui enrichit la langue franaise de tant d'ou-vrages clbres, vient offrir son tribut la cause de la libertreligieuse et paternelle. Le Gnral des Jsuites s'est adress auministre de l'instruction publique : c'est au mme personnageque s'adressera Joseph de Maistre. Dans ses cinq lettres il neplaide pas seulement pour la Compagnie de Jsus, il a largipresque involontairement la sphre des ides; il dveloppele systme qu'il regarde comme le plus propre aux moeurs,au caractre et aux lois de la Russie. Il fait ce travail avec

  • 8 CHAP. I.

    HISTOIRE

    cette prodigalit d'images et d'aperus nouveaux qui saisissent ;puis, lorsqu'il s'est empar de son sujet, il arrive, dans saquatrime lettre, son but principal. Les trois premires notesappartiennent la pense philosophique ; les deux dernires,dans leur ensemble et dans leurs dtails, sont consacres laSocit de Jsus. Joseph de Maistre l'tudi dans ses rapportsavec les peuples"ainsi qu'avec les rois. Plaant sous ses yeux letableau des folies et des crimes qu'a produits l'esprit rvolu-tionnaire, il.s'crie avec un accent prophtique que les v-nements de 1812 n'ont pas plus dmenti que ceux de 1845 :

    Cette secte, qui est la fois une et plusieurs, environne laRussie, ou, pour mieux dire, la pntre de toutes parts et l'at-taque jusque dans ses racines les plus profondes. Il ne lui fautpour le moment que l'oreille des enfants de tout ge et la pa-tience des souverains. Elle rserve le bruit pour la fin. Aprsavoir trac ces lignes, toujours plus vraies mesure que s'tendle cercle des rvolutions et que se propage d'une si nfaste ma-nire l'incurie des princes, Joseph de Maistre ajoute : Dansun danger aussi pressant, rien n'est plus utile aux intrts dorSa Majest Impriale qu'une Socit d'hommes essentiellementennemis de celle dont la Russie a tout craindre, surtout dansl'ducation de la jeunesse. Je ne crois pas mme qu'il ft pos-sible de lui substituer avec avantage aucun autre prservatif.Cette Socit est le chien de garde qu'il faut bien vous garder decongdier. Si vous ne voulez pas lui permettre de mordre lesvoleurs, c'est votre affaire ; mais laissez-le rder au moins autourde la maison et vous rveiller lorsqu'il sera ncessaire, avantque vos portes soient crochetes ou qu'on entre chez vous par lafentre.

    L'crivain diplomate a rponse chaque objection. Il tablis-sait tout--1'heure comment les Jsuites entendent la souverai-net; par des images empruntes aux moeurs militaires, il vadmontrer qu'ils n'ont jamais" cherch crer pour eux uneautorit en dehors de l'autorit. Les Jsuites, dit-on, veulentfaire un Etat dans l'Etat; quelle absurdit! autant vaudrait direqu'un rgiment veut faire un Etat dans l'Etat, parce qu'il ne veutdpendre que de son colonel, et qu'il se tiendrait pour.humili,

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 9

    par exemple, et mme insult, si on le soumettait l'examenet mme au contrle d'un colonel tranger. Il ne s'enfermepoint dans son quartier pour faire l'exercice ; il le fait sr la placepublique. S'il manoeuvre mal, les inspecteurs gnraux etl'Empereur mme le verront et y mettront ordre; mais que,sous" prtexte d'unit, on prive ce rgiment (que je supposefameux et irrprochable depuis trois sicles) de se rgler lui-mme ; et qu'on le soumette avec tous ses chefs un capitainede milice bourgeoise qui n'a jamais tir l'pe

    ,

    c'est une idequi serait excessivement risible si. les suites ne devaient pas entre extrmement funestes. Voil cependant, monsieur le comte, quoi se rduit ce burlesque pouvantait de l'Etat dans l'Etat.Un Etat dans l'Etat est un Etat cach dans l'Etat, ou indpendantde l'Etat. Les Jsuites comme toutes les autres socits lgitimes,et mme plus que les autres, sont sous la main du Souverain ; iln'a qu' la laisser tomber pour l'anantir.

    Brzozowski avait prpar le triomphe de la Socit de Jsus,le comte de Maistre le dcida. En 1812

    ,

    le collge de Polotsk

    fut rig par le Czar en Universit, avec tons les privilges desautres Acadmies. Cette concession tait faite la veille des ca-lamits et des gloires dont la Russie va devenir le thtre. Napo-lon portait la guerre au sein mme de l'empire Moscovite, ilmenaait sa nationalit; et, proccup de soins encore plus gra-ves que ceux de l'instruction publique, Alexandre en appelait ses peuples d'une agression aussi injuste. Les Russes rpondi-rent leur souverain par un sublime dvouement. Brzozowskitait Russe

    : sans prendre part une lutte dont son caractresacerdotal le tenait forcment loign, il pensa que les circon-stances dans lesquelles se plaait l'Empiretaient pour son Ordreun avant-coureur de reconstitution.

    L'Espagne, livre un frre de Napolon par un de ces guet-apens dont la voix des batailles ne couvrira jamais l'iniquit,l'Espagne, affaiblie sous son dernier roi, avait retrouv dans lessouvenirs de Pelage un nouveau baptme de force. A la voix deses prtres et de ses guerrilleros, elle s'lanait pour maintenirson indpendance. Les Jsuites crurent que l'heure de rentrerdans la Pninsule avait sonn pour eux. Leur nom y tait popu-

  • 1 GHAP. I.

    HISTOIRE

    laire ; un long regret les avait suivis sur la terre d'exil. Ils pou-vaient rendre la famille des Bourbons bienfait pour outrage

    ,

    et, victimes d'une erreur de Charles III, travailler efficacement la restauration de sa postrit. Le 28 aot 1812, Brzozowskise dcide avec cinq Pres de l'Institut passer en Espagne, afind'y prparer le retour de sa Compagnie. L'Espagne tait le champ-clos ouvert tous les ennemis de l'ide rvolutionnaire. Les J-suites se proposaient d'aller y combattre avec les armes qui leursont propres. Dans le mme temps, Louis-Philippe, duc d'Or-lans

    ,

    faisait demander ce pays insurg contre la France l'hon-neur de continuer sous le drapeau espagnol son apprentissage dela guerre et le moyen de rhabiliter un nom si fatalement com-promis dans les excs de 1793. Au mois de novembre 1812, leministre des cultes, prince Alexandre Galitzin, rpond en cestermes au Gnral des Jsuites :

    Trs-rvrend Pre,

    J'ai mis sous les yeux de Sa Majest impriale la lettre du

    30 octobre que vous m'avez adresse, ainsi que la note que vousavez l'intention de prsenter la Junte suprme concernant lertablissement de votre Ordre en Espagne. Sa Majest m'a or-donn de vous faire connatre qu'elle ne mettait point obstacle l'excution de votre projet, sans vouloir autrement y prendre,part; cet objet, par sa nature

    ,ne pouvant que lui tre entire-

    ment tranger, attendu que l'tablissement en question ne doitavoir lieu que hors de son empire, a

    Tandis que les Jsuites cherchent regagner le terrain que laPhilosophie du dix-Jiuitime sicle leur fit perdre, il s'organisaitau sein de la Russie une agrgation d'intrts qui devait prparerleur chute. Cette agrgation tait la Socit Biblique. L'invasiondes armes franaises sur le territoire moscovite avait rapprochl'Angleterre du cabinet de Saint-Ptersbourg. L'Angleterre taitl'allie naturelle des Etats dont Napolon se dclarait l'ennemi.Elle offrit Alexandre de l'aider dans sa lutte contre l'hommequi rvait l'anantissement de la Grande-Bretagne. Pour, arrhesde ce trait, qui allait changer la face de l'Europe, elle obtint,ds 1811, que la Socit biblique de Londres, cet immense bazar

  • DE LA COMPAGNIE DE Jf.SUS. 1 I

    couvrant le monde de ses produits et transformant une oeuvre depit en spculation mercantile, pourrait tablir une succursale Saint-Ptersbourg. Quelques mois plus tard, les docteurs Pa-terson et Pinkerton mirent le pied sur le continent russe avec lamission d'y vulgariser la Bible protestante.

    L'incendie de Moscou, les dsastres calculs et les victoires deson arme

    ,

    victoires qui ne sont pas entirement dues l'habi-let de ses gnraux et au courage de ses soldats, les tristessesdu prsent, les esprances de l'avenir, tout avait contribu mo-difier le caractre si impressionnable d'Alexandre. Ame aimante,mais aspirant toujours se jeter dans le vague des ides pourchapper la ralit de ses troubles intimes et de ses souvenirs,le Czar tait effray de la responsabilit que les vnements amas-saient sur sa tte. Au milieu de ses villes dvastes, de sescampagnes sanglantes et de son arme se liguant avec le froidpour anantir les Franais, ce prince, encore jeune et toujoursbeau, levait son coeur vers le ciel ; il avait besoin de calmerles fugitives impressions qui l'agitaient sans cesse. Le plaisir lelaissait presque aussi indiffrent que la gloire. Il ambitionnait lapaix intrieure ; Galitzin lui indiqua les saintes Ecritures commela source de toute consolation. L'esprit recueilli, il couta dansle silence la voix de Dieu qui se faisait entendre. La Vulgate, tra-duite en franais, avait t pour lui un livre consolateur, Ce futdans ce moment qu'on lui proposa de mettre entre les mains desMoscovites l'oeuvre divine qui triomphait de ses langueurs ou deses remords innocents. On ne lui expliqua pas la diffrence entreles deux Bibles ; il s'imagina qu'une main d'homme n'aurait osaltrer le texte primitif de la parole de Dieu. Par gratitude dubien-tre que cette lecture avait produit sur son esprit, il autorisa,le 18 dcembre 1812, la Socit biblique.

    L'Empereur s'tait laiss tromper; le prince Galitzin, sonministre des cultes, les plus hauts fonctionnaires de l'Etat, laplupart des Evoques russes, Stanislas Siestrzencewicz, arche-vque catholique de Mohilow, lui-mme, se dclarrent les pa-trons de cette institution, qui devait la longue porter un coupmortel la Religion grecque et au Catholicisme. Il y eut alorsen Russie pour les Socits bibliques un de ces enthousiasms

  • 12 CHAP. I.

    HISTOIRE

    dont distance il devient impossible de se rendre compte. L'An-glicanisme prenait pied sur les rivages de la Mer Noire commesur les bords de l'Ocan Glacial; il s'tendait jusqu'aux fron-tires de la Chine. Servant d'aveugles instruments sa propa-gation, les prlats catholiques, excits par Galitzin, encoura-geaient leur troupeau favoriser cette oeuvre, dont ils ignoraientles tendances. Les Jsuites ne se prtrent pas ce mouvementvers l'hrsie. Plus exercs que les Evques russes aux luttesde la pense, plus porte de comprendre le mal rsultant decette innovation, ils la combattirent avec une fermet que lesprires, que les menaces de Galitzin, jusqu' ce jour leur pro-tecteur et leur ami, ne purent jamais vaincre. Le Pape Pie VUexprima par un bref l'archevque de Mohilow sa surprise etsa douleur; il le blma d'avoir coopr au triomphe de l'An-glicanisme. Ce blme, si justement dvers sur le prlat, taitun hommage indirect rendu aux disciples de saint Ignace, qui,mieux pntrs du vritable esprit de l'Eglise, avaient refus defaire eause commune avec l'erreur. Les partisans des associa-tions bibliques se trouvrent offenss; ils s'imaginrent qu'ilsauraient dans les Jsuites d'infatigables adversaires, que leursuccs serait entrav chaque instant, et, sous l'inspiration duministre des cultes, ils se ligurent contre la Compagnie. Ellevenait de rsister un dsir de Galitzin, Galilzin appelle les co-lres de l'Universit au secours de ses esprances. On attenditle moment propice pour faire clater la conjuration.

    La propagande anglicane s'organisait sous le couvert des mi-nistres russes comme sous celui des prlats du rite romain etdu rite grec. Les Jsuites songrent la contre-miner. Ils com-posrent un catchisme dans l'idiome du pays pour les enfantsns de parents catholiques ; mais Galitzin n'en autorisa pas l'im-pression. Les choses taient dans cet tat, lorsque de nouveauxvnements ravivrent des blessures encore saignantes au coeurdu ministre. La faveur dont jouissait le Collge des Jsuites deSaint-Ptersbourg allait toujours croissant; Polotsk, ils comp-taient sur leurs bancs un grand nombre de jeunes gens des pre-mires familles de l'Empire. Placs entre un dsir bien naturelle proslytisme et le devoir tacite de respecter la conscience de

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS 13leurs lves, devoir qu'ils s'taient impos eux-mmes, les J-suites n'avaient jamais donn le moindre sujet de plainte sur unpoint aussi scabreux. Catholiques jusqu'au fond des entrailles, ilsformaient l'honntet ainsi qu'aux belles-lettres des enfantsappartenant toute espce de culte, mme au rite grec; et, dansl'espace de plus de quarante annes, leur circonspection n'avaitjamais t mise en dfaut. Jamais on n'avait pu les accuser detrahir la confiance des parents au profit de la Foi romaine. Ce-pendant le nombre des Catholiques augmentait chaque anne.

    Ces retours vers l'Unit taient dus l'action des famillesfranaises migres, la lecture des ouvrages religieux, et sur-tout au zle plein de prudence des Jsuites. Le Czar avait fermles yeux sur un tat de choses n'ayant rien d'alarmant pour lascurit du pays. Les nouveaux Catholiques se distinguaient dansle monde et la cour par de nouvelles vertus. Alexandre ne vou-lut pas les faire repentir d'avoir cd au cri de leur conscience.Prince qui comprenait admirablement la libert de la pense, iln'osa pas la parquer dans les limites de l'arbitraire lgal. Il cher-chait la vrit, il ne trouva pas mauvais que les Russes suivis-sent son exemple. Les conversions taient assez rares nanmoins,parce que les Pres ne les accueillaient, ne les sanctionnaientqu'aprs de longues preuves. Ces conversions restaient inaper-ues, lorsque, vers le milieu du mois de dcembre 1814, lejeune prince Galitzin, neveu du ministre des cultes, embrassapubliquement le Catholicisme. Voici en quels termes le PreBilly, dans sa correspondance indite avec ses confrres deFrance, rend compte de cette conversion : Notre Pre de Clo-rivire, crit-il de Saint-Ptersbourg, le 1er mars 1815, est la tte d'un nombreux noviciat Paris, rue des Postes. Il y au-ra en France une Compagnie de Jsus de fait ayant qu'elle yexiste de droit. Quant notre existence ici, Ptersbourg, elleest trs-utile sans doute, mais trs-prcaire-et bien tracasse,surtout depuis l'absence de l'Empereur. La jalousie des Popeset des Evques russes en est la principale cause. Le ministre descultes, prince Alexandre Galitzin

    ,

    jeune homme encore, qui selaisse mener par ses Popes, ne nous laisse pas en repos danstoutes les occasions qu'il trouve ou qu'il imagine propres sa-

  • 14 CHAP. I.

    HISTOIRE

    tisfaire leur aniinosit et la sienne. Depuis un ou deux mois, ils'en est prsent une qui a fait le plus grand clat et qui aurades suites. Un jeune prince, Alexandre Galitzin, neveu du mi-nistre des cultes lve depuis deux ans de notre Institut, gd'environ quinze annes, excellent sujet sous tous les rapports,pit, diligence, succs dans les tudes, politesse, docilit, atta-ch singulirementjusqu'alors la Religion grco-russe, voulanty attirer ceux de ses amis, mme les Jsuites, par zle pour leursalut, prenant pour cela, deux ou trois fois la semaine, des le-ons d'un docteur en thologie russe, s'est tout--coup trou-v chang au point de se dclarer catholique aux dernires f-tes de Nol. Quel tonnement pour tout le monde, et surtoutpour ceux qui l'avaient vu et entendu parler en faveur de la Re-ligion russe ! Appel par son oncle, le ministre des cultes, quilui reprsente les dangers qu'il court, vu la loi qui dfend enRussie d'attirer un Russe la Religion catholique, il rend comptede sa foi avec nettet et fermet, et dit qu'il est prt la signerde son sang.

    On le tire de notre Institut, et on le met au corps des pa-

    ges avec son petit frre. En mme temps, dfense lui et toutJsuite d'avoir ensemble aucune communication. Redoublementde surprise. On lui dcouvre une haire et une discipline. Qu'estceci, bon Dieu ? 11 avait attrap ces instruments de mortificationdans la chambre d'un Jsuite qui avait quitt Ptersbourg pouraller Polotsk. On le fait paratre devant des Evoques et des po-pes qui f interrogent et argumentent contre lui. Il rpond tout-de manire tonner tout le monde, et les met eux-mmes admetam non loqui. On attribue aux Jsuites sa facilit de con-troverse

    ,

    quoique les Jsuites n'y soient pour rien. On attendle retour de l'Empereur pour savoir la dcision de cette affaire.En attendant, les Jsuites ne reoiventplus de Russes leur In-stitut, mais seulement des Catholiques, afin de se soustraire auxtracasseries des popes. Mais il y a encore d'autres sujets de ran-cune. Plusieurs personnes marquantes sont souponnes d'treCatholiques

    :des espions sont chargs de les observer. C'est

    une vraie perscution. Les Missionnaires Jsuites de la Sibrie ontdfense de rendre catholiques les Tartares idoltres; ils doivent

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 15

    se contenter de donner leurs soins aux Catholiques. On leur d-fend mme de confesser et d'administrer les Grecs-Unis, quin'ont point de prtres de leur communion. Chose inoue! voilo en est la tolrance tant prne de ce pays sous le ministre descultes Galitzin. La ville de Ptersbourg offre en ce moment unspectacle curieux : deux princes, Alexandre Galitzin, l'un oncleet l'autre neveu, le premier, perscuteur outr de la Religioncatholique et des Jsuites; le second, Catholique zl et imper-turbable

    ,

    dfenseur de ses matres et ne demandant qu' mourirpour sa Religion, vivant de manire mriter cette grce, sicette grce de prdestin pouvait se mriter. Aprs avoir essayvainement l'argument de l'cole pour le ramener au schisme,on essaie l'argument des plaisirs : on le mne la comdie. Jus-qu'ici cet argumenta chou comme les autres.

    Dans l'intimit de leur correspondances, les Jsuites dclinenttoute participation la conversion du fervent Nophyte. Ils nes'en glorifient pas, ils ne s'en accusent point. Le jeune Galitzina pris de lui-mme ce parti. Le Pre Billy raconte avec navetles diverses phases de ce retour la Foi romaine, et il s'arrtel. Le prince Alexandre dclare qu'aucun disciple de l'Institutne l'a engag changer de culte, il soutient mme qu'il n'a paspu en trouver un pour recevoir son abjuration. La lettre du PreBilly corrobore pleinement ces faits. La vrit ne servait pas assezactivement l'amour-propre froiss du ministre et la colre despopes : ils organisent une conspiration dans laquelle ils font en-trer tous les intrts de secte, toutes les vanits universitaires,tous les prjugs de nation. Il importait de disposer les esprits une leve de boucliers contre les Jsuites : on s'applique dna-turer leurs actes les plus indiffrents ; on altre le sens de leursparoles, on les pie dans la chaire, on les suit jusqu'au pied desconfessionnaux et de l'autel. Le Pre Balandret jouit Saint-Ptersbourg d'une confiance mrite; il est Franais : ce fut surlui qu'on dirigea les plus minutieuses perquisitions. On interrogeles lves des Collges de l'Institut, on presse ceux qui en taientsortis depuis deux ou trois annes de rvler les obsessions aux-quelles ils ont d tre soumis pour embrasser le Catholicisme.Ces jeunes gens rpondent que les Jsuites ne les ent-etinrent

  • lb' CHAP. T.

    HISTOIRE

    jamais de la diffrence des religions, et qu'ils les laissrent pra-tiquer la leur en toute libert.

    Galitzin et la Socit biblique minaient le terrain sous lespieds des Pres, le mtropolite Ambroise et les Universits lessecondent avec une rare adresse. Il faut prvenir l'Empereur etl'Impratrice qui, leur retour aprs la campagne de 1815 et letrait de Paris, doivent porter le dernier coup la Compagnie.Tout est arrang dans ce sens. Les conversions ne se multi-pliaient pas plus que par le pass ; mais les autorits les environ-nent d'un clat inquitant. Jusqu'alors on a tenu secrets ces im-perceptibles retours l'Unit, on en fait tant de bruit que, danschaque famille, on put croire l'action dterminante d'un J-suite'. Les grands intrts qui se dbattaient dans le monde,Napolon vaincu, l'Europe triomphant Waterloo de la Francepuise, les Bourbons rtablis sur le trne, la Sainte-Alliancepromulgue, tous ces vnements disparaissaient Saint-P-tersbourg devant l'attitude silencieuse de quelques Pres de l'Or-dre de Jsus. Le Czar jetait son glaive dans la balance des affaireseuropennes, et ce glaive la faisait pencher au gr des diploma-tes moscovites. Alexandre avait impos la loi au Congrs deVienne; il avait inspir Louis XVIII une Charte constitution-nelle; les rois lgitimes le saluaient comme le librateur desmonarchies. Toutes ces gloires venues la fois, et qui devaientenivrer a"orgueil ses sujets, s'effaaient au contact de quelquesobscures prdications dans.une glise catholique. La Russie seplaait la tte des nations, et ses ministres ainsi que ses vo-ques affectaient de plir d'effroi parce qu'un petit nombre dedames de la cour renonaient aux plaisirs trop bruyants pourcouter dans la solitude la voix de Dieu parlant leurs mes.

    Cette situation, que les Jsuites n'avaient point provoque, lesexposait un double pril. On les accusait de faire des proslytesqu'ils n'avaient jamais connus ; il s'en prsenta leur tribunalquelques-uns dont il devenait impossible un prtre de repous-ser le voeu. La perscution appelait la Foi, elle engendrait desNophytes. Sur ces entrefaites, l'empereur Alexandre arrive danssa capitale. Les grandes crises auxquelles il prsida, l'abaisse-ment des uns, l'lvation des autres, les inconcevables change-

  • DE "LA COMPAGNIE DE j'iiSUS. 17

    "ments dont l'Europe retentit encore, ont donn ses penses uncours plus mlancolique, il a vu de si prs les hommes et leschoses, qu'un immense dgot s'est empar de son me mala-divement impressionnable. Pour en remplir le vide, il se jette coeur perdu dans le nouveau monde d'ides mystiques que la ba-ronne de Krdener ouvre son intelligence rassasie des vo-lupts, de l'ambition et de la gloire. Alexandre s'tait donn descroyances individuelles ne reposant sur aucun principe certain :il aspirait les imposer comme des convictions ; mais il n'avaitpas assez de vigueur dans l'esprit et de persvrance dans la ttepour atteindre ce but. On le berait de la pense, qu'il pouvaitapparatre chef visible de l'ancienne Chrtient rgnre par lui;ce fut cette pense que l'on dveloppa, afin de l'amener svircontre les Jsuites de son empire. Il se flattait d'avoir runi dansun mme voeu de fraternit les cultes dissidents introduits parlui dans les Socits bibliques ; elles taient l'instrument privil-gi de la fusion pitiste qu'il rvait l'abri de son sceptre. LePape ne formait plus le lien de l'Unit : le rgne du Catholicismefaisait place une union de tous les peuples chrtiens. Alexandresavait que les Jsuites ne se prteraient point une pareille uto-pie ; jaloux d'en acclrer les progrs, il laissa aux haines qu'iltrouvait si ardentes autour de son trne le soin d'endormir sesjustices. On lui parlait de frapper la Compagnie de Jsus, decommencer l'oeuvre de proscription par un exil loin de Pters-bourg. L'empereur, qui n'aurait pas consenti tout d'un coup cette iniquit, se prta aux exigences de son ministre et de sespopes. Le 20 dcembre 1815 il rendit l'ukase suivant :

    Revenu; aprs une heureuse conclusion des affaires ext-

    rieures, dans l'empire que Dieu nous a confi, nous avons tinform par beaucoup de notions, de plaintes et de rapports,des circonstances suivantes

    :

    L'Ordre religieux des Jsuites, de l'Eglise catholique ro-

    maine, avait t aboli par une bulle de Pape. En consquencede cette mesure, les Jsuites furent expulss non-seulement desEtats de l'Eglise, mais aussi de tous les autres pays ; ils ne pu-rent demeurer "nulle part. La Russie seule, constamment guidepar des sentiments d'humanit et de tolrance, les conserva

    vi, 2

  • 18 CHAP. I.

    HISTOIRE

    chez elle, leur accorda un asile, et assura leur tranquillit soussa puissante protection. Elle ne mit aucun obstacle au libreexercice de leur culte ; elle ne les en dtourna ni par la force,ni par des perscutions, ni par des sductions ; mais en retourelle crut pouvoir attendre de leur part de la fidlit, du dvoue-ment et de l'utilit. Dans cet espoir, on leur permit de se vouer l'ducation et l'instruction de la jeunesse. Les pres et lesmres leur confirent sans crainte leurs enfants pour leur ensei-gner les sciences et former leurs moeurs.

    Maintenant il vient d'tre constat qu'ils n'ont point rempli

    les devoirs que leur imposait la reconnaissance et cette humilitque commande la Religion chrtienne; et qu'au lieu de de-meurer habitants paisibles dans un pays tranger, ils ont en-trepris de troubler la Religion grecque, qui depuis les tempsles plus reculs est la Religion dominante dans notre empire,et sur laquelle, comme sur un roc inbranlable, reposent latranquillit et le bonheur des peuples soumis a notre sceptre.Us ont eommenc d'abord par abuser de la confiance qu'ilsavaient obtenue. Ils ont dtourn de notre culte des jeunesgens qui leur avaient t confis et quelques femmes d'un.espritfaible et inconsquent, et les ont attirs leur Eglise.

    Porter un homme abjurer sa Foi, la Foi de ses aeux ;

    teindre en lui l'amour pour ceux .qui professent le mmeculte ; le rendre tranger sa patrie, semer la zizanie et l'ani-mosit dans les familles; dtacher le fils du pre et la fille de lamre ; faire natre les divisions parmi les enfants de la mmeEglise, est-ce l la voix et la volont de Dieu et de son fils di-vin Jsus-Christ notre Sauveur, qui a vers pour nous son sangle plus pur, afin que nous menions une vie paisible et tranquilledans toute sorte de pit et d'honntet. Aprs de pareillesactions, nous ne sommes plus surpris que l'Ordre de ces Reli-gieux ait t loign de tous les ^pays et tolr nulle part. Quelest en effet l'Etat qui pourra souffrir dans son sein ceux qui yrpandent la haine et le trouble ?

    Constamment occup veiller au bien-tre de nos fidles

    sujets, et considrant comme un devoir sage et sacr d'arrterle mal dans son origine, afin qu'il ne) puisse mrir et produire

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS, 49des fruits amers, nous ayons, en consquence, rsolu d'or-donner : '

    I. Que l'Eglise catholique qui se trouve ici soit rtablie de

    nouveau sur le pied o elle tait durant le rgne de notre aeule.de glorieuse mmoire l'impratrice Catherine II, et jusqu'

    :l'ann,1800; -'-'

    II, De faire sortir immdiatement de Saint-Ptersbpurgtous les religieux de l'Ordre des Jsuites ;

    III. De leur dfendre l'entre dans nos deux capitales.

    Nous avons donn des ordres particuliers nos piinistres de

    la police et de l'instruction publique pour la prompte excutionde cette dtermination et pour tout ce qui concerne la maisonde l'Institut occupe jusqu'ici par les Jsuites'. En mme temps,et afin qu'il n'y ait point d'interruption dans le service divin,nous avons prescrit au Mtropolitain de l'Eglise catholique ro-maine de faire remplacer les Jsuites par des prtres du mmerite qui se trouvent ici, jusqu' l'arrive des Religieux d'un autreOrdre catholique, que nous ayons fait venir cet effet.

    Sign : ALEXANDRE. On et dit que la mission de conserver les Jsuites en Russie

    tait accomplie. Le Czar ne jugeait plus ncessaire d'abriter desproscrits qui avaientjoui d'une si gnreuse hospitalit sous lesceptre de Catherine II et de Paul Ier. Il les repoussait sontour ; mais, par un sentiment de convenance et de justice dontun prince schismatique donna l'exemple plus d'un souveraincatholique, Alexandre ne voulut tayer son dcret de bannisse-ment que sur des motifs religieux, Il rpugnait sa. conscience defaire appel aux passions ou la calomnie; il ne chercha point fltrir par de mensongres accusations les prtres que nagureencore il honorait de sa.bienv'giHjance' Il resta quitable dans lessvrits mme de son ukase. L'archevque d Mohilow, quiavait tant contribu maintenir la Socit de Jsus au momentde sa suppression, sous Clment XIV, excuta la lettre lesordres que Galitzin lui intima. Il prit des mesures pour que leculte public n'et point souffrir de l'enlvement des, Jsuites,et, dans la nuit du 10 au 21 dcembre, le gnral de la police fit

  • 20 CIIAP. i.

    HISTJOIRE

    irruption dans leur Collge la tte de la force arme. Il s'emparade toutes les issues ; puis, sans avoir interrog un seul Pre,sans mmeleur dire les causes de cette invasion, on les garda vue, tandis que le ministre lisait Brzozowski le dcret d'exil. Lechef des Jsuites tait vieux, mais il savait le prix des igno-minies. En les acceptant avec joie, il se contenta de rpondre :

    Sa Majest sera obie. La nuit suivante on dirigea tousles Pres vers Polotsk. On avait mis les scells sur leurs corres-pondances ainsi que sur leurs manuscrits; on confisqua leursmeubles

    ,

    leur bibliothque, leur muse et leur cabinet de phy-sique.

    Le 20 fvrier 1816, le Pre Thadde Brzozowski crivait auPre de Clorivire, Paris : Votre lettre du 8 janvier m'estparvenue Polotsk, o je suis depuis six semaines. Notre situa-tion dans ce pays est bien change depuis la dernire lettre queje vous ai crite. Les feuilles publiques ne vous auront sans doutepas laiss ignorer notre expulsion de Saint-Ptersbourg. Elle aeu lieu le 3 janvier en vingt-quatre heures de temps. Cela sup-pose que nous avons t jugs bien coupables aux yeux du gou-vernement. Voici les deux griefs qui sont exprims dans le dcretde notre expulsion : 1 d'avoir attir la Religion catholique leslves confis nos soins ; 2 d'avoir galement attir la Re-ligion catholique quelques femmes d'un esprit faible et incon-squent. A l'gard du second point, il peut y avoir eu quelquesimprudences de faites mon insu et contre ma volont, qui,selon les rgles ordinaires, n'auraient d compromettre quecelui qui en tait l'auteur. Pour ce qui est du premier grief, il estentirement suppos, et on a reprsent les choses S. M. I. au-trement qu'elles ne sont. Non-seulement nos Pres n'ont pointcherch attirer nos lves la Religion catholique, mais mme,lorsque quelques lves ont manifest le dsir de se faire Catho-liques

    ,ce qui a d arriver quelquefois, dans un espace de treize

    ans, dans un pensionnat mlang et o tous les matres taientCatholiques j nos Pres se sont constamment refuss les ad-mettre la participation des Sacrements. Voil la vrit ; mais ilest bien rare que la vrit soit connue ; et telle est la conditiondes meilleurs princes, que le plus souvent ils la connaissent en-

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 21

    co'replus difficilement que les autres hommes. Cet vnement estbien triste et fcheux pour la Compagnie, niais il nous a mdio-crement tonns. Depuis longtemps nous avons vu l'orage seformer, et nous savions bien qu'il ne tarderait pas d'clater unpeu plus tt ou un peu plus tard.

    En Russie on ne blme jamais le pouvoir, il esta peine permisd'approuver par crit les actes de l'autorit; elle ne laisse jamaisdiscuter les mesures qu'elle a prises. C'est le gouvernement del'arbitraire, le rgne du silence, et, en fin de compte, il n'a peuttre pas plus de victimes enregistrer que les royaumes o lalibert de parler repose sur une Constitution dont les plus forts oules plus astucieux interprtent leur gr chaque article. Cepen-dant les numros des 3 et 15 mars 1816 de l'Invalide russecontinrent, par une exception inoue, des attaques contre les J-suites. Le Gnral de l'Institut charge le Pre Rozaven de vengerses confrres des outrages dont cette feuille ne craint pas d'acca-bler les bannis. Le Pre Rozaven dfendit son Ordre avec unelogique de faits plus loquente que tous les discours : il fut clair etsens, habile et profond. Sa rponse avait t envoye au mi-nistre des Cultes, pour qu'il en obtnt l'insertion dans YInvalide-Elle tait trop premptoire, Galitzin la condamne au silence. Laquerelle s'engageait entre le pouvoir et la Compagnie. La Com-pagnie n'ignore pas que l'ukase du 20 dcembre 1815 n'est quele prlude d'une proscription plus dcisive ; mais, forte de soninnocence, elle ne veut pas laisser l'imposture ministrielle ledroit de calomnier.

    Dans ce conflit lev entre l'autorit civile et la Socit deJsus il rsrne, en dehors des usages de chancellerie, une cer-taine galit qui ne se rencontre pas ordinairementdans les rap-ports de perscut perscuteur. On sent que les Jsuites ne ds-esprent jamais de la justice d'Alexandre, et dans tout ce qu'ilscrivent ils paraissent plutt dicter la loi que la subir. 11 y aentre le Czar et les enfants de saint Ignace quelque chose demystrieux qui ne se rvle mme pas au ministre favori. Lesdeux partis le laissent pousser sa vengeance jusqu' une cer-taine limite ; mais on dirait qu'il ne lui est pas permis de la fran-chir, et qu'il la respecte rar intuition. Un si trange_ concours

  • 2 GHAP. .

    HISTOIRE

    de circonstances se trahit a chaque phase de ce bannissement*Les ides novatrices d'Alexandre sont dvoiles; il sait que lesJsuites seront pour elles un obstacle ternel; cependant il neprend pas de prime abord la rsolution de les chasser de sonempire. 11 traite ses exils avec bienveillance ; l'hiver est rigou-reux

    ,

    la route longue et pnible : l'autocrate ordonne de couvrirls Jsuites de pelisses et de fourrures, Pour rchauffer leursmembres que le froid engourdira, il fait distribuer de l'arack chacun d'eux. Il mnage ses coups lorsque chacun l'excite tre-sans piti; il commande d'apposer les scells sur leurs archives,et on n'y dcouvre aucune trace de complot, aucun,vestige deconversion, aucun papier ayant trait, de prs ou do loin, la'politique.

    .

    Ce mystre a besoin d'claircissements : nous les donneronsaussi clairs que l'exigera l'intrt de l'histoire. La famille des-Romanoff devait beaucoup la Compagnie de Jsus. CuelquesPres avaient t, malgr eux, honors des confidences de Ca-therine H

    :ils connaissaient sur le rgne de Paul Ier des dtails

    de famille qu'il tait bon d'ensevelir dans les tnbres. Le PreGruber et les autres chefs de l'Ordre avaient su par ce< souve-rain le dernier mot de beaucoup de transactions diplomatiques.Il les avait initis de vive voix ou par correspondanceaux dou-leurs de sa vie de grand-duc hrditaire, aux souffrances de savie d'Empereur. Les Jsuites avaient t les dpositaires de sessecrets de famille; ils lui avaient rendu de ces services que lesrois eux-mmes ne se sentent pas assez ingrats pour oublier.Cette rciprocit de bons offices avait tabli une espce de soli-darit dont aucun des intresss n'osait briser le prestige. Il yavait, pour ainsi dire, assurance mutuelle des deux cts. Laconfiance avait engendr la discrtion, et ce singulier contratn'a pas mme t annul par l'intolrance. Les Jsuites se sontlaiss proscrire par le fils de Paul 1er,- et ils ont pris la route del'exil sans invoquer une vengeance qu'il leur et t si faciled'obtenir. Ils se sont montrs dignes. de l'estime du Czar, l'heure mme o ses ministres cherchaient les rendre odieuxau pays.

    Le prince Galilzin et la police russe taient matres de tous

  • DE LA COMPAGNIE DE JESUS. 23les papiers de l'Ordre ; ils pouvaient ainsi se mettre la pistedes complots dont oh croyait utile de laisser souponner les J-suites. Les plus minutieuses investigations ne firent rien dcou-vrir. Alexandre savait d'avance l'issue qu'elles auraient, il nedaigna mme point s'en tonner en public. Aussi, lorsque lePre Brzozowski demanda que le comte de Litta ou Un seigneurrusse, dsign par lui, assistt l'examen des archives de laCompagnie, cette proposition, n'ayant rien que de trs-naturel,fut-elle rejete sans examen. Par tradition de famille, l'Empe-reur connaissait la sagacit des Jsuites : il ne voulait ni leurprparer un triomphe ni se donner un dessous trop clatant. Desintrts matriels taient engags, pour l'glise catholique deSaint-Ptersbourg. Les Pres se sont ports garants envers lesbailleurs de fonds. Cette dette est depuis l'origine, en 1806,reconnue comme dette de l'glise ; par un ukase en date du25 mai 1816, Alexandre dclare cependant : Que toutes lesprtentions pcuniaires qui pourraient avoir lieu contre les'Presde l'Institut retomberont sur leurs biens-fpnds, sans pouvoirtre charge au btiment nouvellement construit auprs del'glise catholique.

    Les Jsuilesne s'effrayaient pas de ces vexations locales qu'unmot aurait d arrter. Ce mot cotait trop leur discrtionha-bituelle

    :ils aimrent mieux souffrir que de le prononcer. Le 31

    aot 1816, le Pre Brzozowski crivit l'Empereur : Dans letemps que l'affaire du neveu du ministre des cultes clata, jevoulus envoyer une supplique Votre Majest pour lui exposerles faits, mais les ministres la rejetrent, et en mme tempsqu'on envoyait Votre Majest des accusations contre monOrdre, on m'tait tout moyen de lui faire parvenir ma dfense.Ne pouvant faire agrer ma justification pour le pass, je prisdes mesures pour l'avenir, et dclarai que, afin d'carter tousles soupons, je n'admettrais dsormais dans nos Collges quedes lves professant la Religion catholique. Je remis ma dcla-ration entre les mains du ministre de l'instruction publique etdii ministre des cultes; et, depuis le mois de janvier 1815,aucun lve de Religion' grecque n'a t reu dans l'Institut,malgr les vives instances d'un grand nombre de parents...

  • 24 CHAI'. I.

    HISTOIRE

    Voil, Sire, des faits qui prouvent combien je dsirais d'loignertout ce qui pouvait tre suspect au gouvernement. Je supplieVotre Majest Impriale de m'couter encore un instant. Simon Ordre tait tel qu'on l'a dpeint Votre Majest, on enaurait trouv quelque preuve dans mes papiers. Voil huit moisqu'on les examine, et, loin d'y rien trouver qui puisse offenserle gouvernement, on a d dire Votre Majest que,-dans macorrespondancela plus secrte, lorsque l'occasion s'est prsentede parler de votre personne sacre ou de son gouvernement,je l'ai toujours fait avec les sentiments de respect et de vnra-tion qui sont dans mon coeur. Je ne demande pas, Sire, queVotre Majest revienne sur ce qu'elle a fait; nous nous sou-mettons avec une entire rsignation et sans le moindre mur-mure ce qu'elle a prononc. Que l'Ordre demeure jamaisexclu des capitales de l'Empire, le sjour nous en a t tropfuneste. Notre ambition se borne nous rendre utiles dans leslieux o Votre Majest daignera nous employer. Votre Majestsait que nous n'avons pas mis moins d'empressement nousdvouer au servicepnible des Gathqliques de la Sibrie qu'accepter des emplois moins obscurs et plus agrables. Notredvouement sera toujours le mme, et le plus ardent de nosvoeux est de prouver l'univers que le souvenir des bienfaitsde Votre Majest est grav dans nos coeurs en caractres inef-faables. Mais nous avons besoin aussi d'avoir quelque assuranceque nos efforts sont agrables Votre Majest Impriale, etqu'elle ne nous regarde pas comme des coeurs ingrats, indignesde ses bonts. J'ose lui en demander un gage, en la suppliantde m'accorder une grce que je sollicite inutilement de sesministres depuis plus de dix-huit mois, c'est de pouvoir faire,avec deux Pres de mon Ordre, le voyage de Rome. Ma recon-naissance envers le Souverain-Pontife et les affaires essentiellesde mon Ordre m'y appellent depuis longtemps. Je me croiraiheureux de manifester dans les pays trangers ce que mon Ordredoit Votre Majest et les sentiments dont je suis pntr.

    Ce voyage Rome, la dernire pense, le rve suprme duvieux Brzozowski, drangeait les esprances pitistes de l'Em-pereur. Ce prince est dans la premire ferveur de la Sainte-

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 25Alliance, c'est--dire il cherche par cet acte de fdration, runir tous les cultes dans un seul qu'il entrevoit en songe etqui. ralisera la tolrance universelle. Brzozowski, proscrit dePtersbourg et de Moscou, tait prisonnier dans l'empire russe.Alexandre s'occupe, avec une fbrile activit, de l'mancipationreligieuse et constitutionnelle du monde entier, et il contraint unGnral des Jsuites mourir dans ses Etats, lorsque les affairesde la Catholicit et celles de son Institut l'appellent Rome,''

    Du fond de la Russie-Blanche, Brzozowski continua de gou-verner les enfants de saint Ignace : il dirigea leurs efforts, ilassista leurs premiers combats-; il ouvrit leurs Missions trans-atlantiques ; puis, le 5 fvrier 1820, il expira, en dsignantpour Vicaire le Pre Mariano Ptrucci, recteur du Noviciat deGnes. Cette mort, depuis longtemps prvue, faisait cesserune anomalie que, par dfrence pour le pouvoir, les Jsuitesavaient toujours respecte.

    Il n'tait pas possible que le Gnral d'une Socit rpanduesur tous les points du globe et partant du principe catholiquecomme de sa, source, pt rsider ailleurs qu'au centre mme dela Catholicit. Les Profs s'avouaient bien que le sjour du G-nral Polotsk ou Vitepsk tait un obstacle aux labeurs de leurOrdre et la diffusion de l'Evangile. Ils se soumirent cependantsans murmure. Dans la personne de Brzozowski, ils honoraienttous ces Pres, qui n'avaient jamais dout du rtablissement dela Compagnie et qui s'taient efforcs de la maintenir dans, sonintgrit..

    La mort dplaait le pouvoir : les Jsuites pensrent que lesuccesseur de Loyola, de Layns et d'Aquaviva, serait plus l'aise prs de la Chaire pontificale que sous le sceptre des Ro-manoff. Le lendemain du trpas de Brzozowski, le chef-lieu del'Institut se transforma en simple Province, dont le Pre Sta-nislas Szvietokowski eut la direction. Le nouveau Provincialprsenta une supplique au Czar. Cette supplique tendait obte-nir la permission d'envoyer des dputs la Congrgation quiallait se runir Rome Toutes les Provinces avaient droit d'yvoter par leurs mandataires ; mais cette lection viciait les con-ditions d'existence de la Socit de Jsus en Russie, telle que.

  • 26 GHAP. I.

    HISTOIRE

    Catherine II avait song l'tablir. Elle privait le gouvernementimprial de cette autorit morale qu'il pouvait exercer sur unInstitut qui, de 1786 1816, partant du chiffre de centsoixante-dix-huit membres, s'tait rapidement lev celui-desix cent soixante-quatorze '. Les Jsuites s'chelonnaient dePolotsk Odessa; on les rencontrait Vitepsk et Aslracan, Ormsk ainsi qu' Irkoutsk; ils possdaient des Collges flo-rissants, et des Missions o ils avaient eu l'art de se rendre in-dispensables ; plusieurs grandes familles les invoquaient commeprcepteurs. Il fallait ou leur fermer la Russie ou circonscrireleur zle dans l'enceinte de ses frontires. Par l'organe du PreSzvietokowski, ils demandent changer la nature du contratqui les lie l'Empire. Galilzin, toujours hostile aux enfants desaint Ignace, conseille au Czar de saisir l'occasion qui lui estofferte; et, le 13 mars 1820, c'est un dcret d'expulsion quirpond leur supplique. Ce dcret tait prcd d'un rapport duministre des cultes. Le prince Galilzin s'y pose en adversairetrop intress de la Compagnie de Jsus pour que ses assertionspuissent faire foi au tribunal de l'histoire; nous les admettons'cependant comme un de ces documents officiels qui ne prouventjamais ce qu'ils prtendent dmontrer. Oh lit dans cette pice :

    Le renvoi des Jsuiles de Saint-Ptersbourgne leur a pas

    fait changer de conduite. Les rapports des autorits civiles etmilitaires s'accordaient prouver qu'ils continuaient agir dansun sens contraire aux lois. Ils travaillaient attirer dans leurcroyance les lves du rite grec qui se trouvaient au Collge deMohilow; et lorsque, pour leur en ter les moyens, il fut pres-crit que des Catholiques romains seuls pourraient dornavant yfaire leurs tudes, ils commencrent sduire les militaires durite grec cantonns Vitepsk pour les rendre infidles la Foide leurs pres.

    De mme en Sibrie leur conduite ne rpond point au but

    dans lequel ils ont t institus. Sous prtexte de vaquer auxfonctions de leur sacerdoce, ils frquentent des endroits o au-cun Catholique romain n'habite; ils aveuglent les gens du peu-

    1 CalaltHjns sooiorum cl offleiorura Sociulatis Josu m mperio Rossiaco inannum 1816,

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 27pie et leur font changer de croyance. Les mmes principes diri-gent leur conduite dans le gouvernement de Saratof.

    Lesbulles des Papes et les lois de l'Empire dfendent d'engager lesGrecs-Unis de passer au culte catholique romain; cependant lePre Gnral des Jsuites opposait leurs rglements une autrebulle qui permet aux Grecs-Unis, dfaut de prtres de leur rite,de se prsenter la communion par-devant les prtres catholi-ques romains. Mais les Jsuites dpassent mme les dispositionsde cette bulle. Ils rpandent leur sduction dans les endroits quine manquent pas de prtres du rite grec-uni. En 1815, j'ai rap-pel au Pre Gnral des Jsuites le contenu suivant du dcretimprial du 4 juillet 1803

    : Cette tolrance, qui porte le gou-

    vernement s'abstenir de toute influence sur la eonscience

    des hommes dans les affaires de Religion, devrait servir de

    rgle aux autorits catholiques dans leurs relations avec les

    Grecs-Unis, et leur interdire toute espce de tentatives pour

    dtourner ces sectaires de leur culte, Si la Religion dominante ne se permet cet gard aucun moyen coercitil', combien plus une Religion tolre doit s'en abstenir !

    Dans les colonies aussi, les Jsuites, en sduisant les indi-

    vidus de la profession vanglique, rpandent dans les famillesles germes de trouble et de division. En 1801, les Jsuites em-ployaient jusqu' la violence pour convertir des Juifs : conduiteincompatible, selon les termes du dcret imprial du 12 aot1801,. tant avec les principes gnraux de la religion chrtienne,qui ne souffre aucune coaction, qu'avec les lois positives de l'Em-pire, qui punissent svrement toute espce de sduction. On at oblig de rclamer l'assistance, des autorits locales pour ar-racher les enfants juifs de la maison des Jsuites.

    Mais,- si quelques faits ont t rprims alors, les principes

    existent toujours, et ls Jsuites continuent s'y conformer dansleur conduite, malgr tous les ordres contraires du gouvernement.L'usage mme qu'ils font de leurs biens ne se trouve pas en har-monie avec les prceptes de la charit chrtienne. L'tat despaysans qui habitent les terres possdes par les Jsuites dans laRussie-Blanche prouve combien peu cette Socit s'occupe deleur bien-tre.

  • 28 CHAP. I.

    HISTOIRE

    Votre Majest Impriale a rencontr elle-mme quelques-uns

    de ces malheureux que les maux physiques ont privs de toutmoyen d'existence, munis de passe-ports 1 pour mendier leurpain. Touch de leur extrme misre, vous m'avez ordonn,Sire, d'crire au Pre Gnral des Jsuites combien il tait con-traire aux principes chrtiens d'abandonner la piti publiquedes tres pauvres et faibles, surtout lorsque les Jsuites ont tousles moyens pour venir leur secours.

    Tels sont les faits vritables relatifs aux Jsuites en Russie.

    Un Etat puissant leur accorde un refuge honorable l'poquemme o ils sont poursuivis et disperss partout ailleurs ; jouis-sant du bienfait, mais repoussant la reconnaissance, ils outragentces mmes lois qui l'es reoivent sous leur gide, opposent leurinfluence salutaire une dsobissance obstine, et, usurpant letitre de missionnaires refus par le rglement de 1769 au clergcatholique romain en Russie, agissent au milieu d'un peupleminemment chrtien comme parmi ces hordes sauvages quiignorent jusqu' l'existence de Dieu.

    Et lorsque, en butte la mfiance gnrale et au juste m-

    contentement de l'Europe, les Jsuites sont accueillis en Russieavec gnrosit ; lorsqu'elle leur prodigue les marques les plussensibles de confiance- et d'estime, en leur imposant le devoirsacr d'lever une partie de ses enfants, leurs coreligionnaires,de rpandre dans leur esprit les lumires des sciences et dansleur coeur celles d la Religion; c'est alors mme que s'armantdu bienfait contre le bienfaiteur, ils abusent de l'inexpriencedela jeunesse pour la sduire, profitent de la tolrance exerce en-vers eux pour semer dans les victimes de leur trahison une

    1 Dans ce passage du rapport officiel, le Ministre, on le voit, cherche a intres-ser la sensibilit de l'Empereur et lui prsenter les Pres de la Compagnie deJsus comme des matres durs et cruels qui ne prennent aucun soin de leurspaysans. Les terres appartenant aux Jsuiles avaient t le thtre des guerres de1812. Elles s'taient vues dvastes -aussi bien par les armes ennemies que parles Iroupcs amies. 11 devait donc ncessairement s'y rencontrer plus de misrequ'ailleurs. On laissait les plus indigents ou les plus vagabonds errer jusqu'auxportes de Plrsbourg; mais ce n'tait pas les Jsuites qui leur dlivraient despasse-ports et qui les autorisaient a mendier. Les Jsuiles ne pouvaient pas sesubstituer au gouvernement'cl si colle pnurie a t conslale par l'Empereur lui-mme, c'est bien plutt aux officiers de police de la province qu'il faut s'en prendrequ' la Compagnie, dont le seul devoir tait de secourir les paysans vivant dans sesdou'aiues.

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 29.intolrance cruelle, minent les fondements des Etats, l'attache-ment la Rel:gion de la patrie, et dtruisent le bonheur desfamilles en y portant l'esprit de discorde. Toutes les actions desJsuites ont pour mobile l'intrt seul, comme toutes elles ne sesont diriges que vers l'accroissement illimit de leur pouvoir.Habiles excuser chacun de leurs procds illgaux par quelquerglement de leur Compagnie, ils se sont fait une conscienceaussi vaste que docile.

    D'aprs le tmoignage du Pape Clment XIV,

    les Jsuites,

    ds leur tablissement, s'taient livrs de basses intrigues,avaient des disputes continuelles en Europe, en Asie, en Amri-que, non-seulement entre eux, mais encore avec les autres Or-dres monastiques, comme avec le Clerg sculier et les tablisse-ments de l'instruction publique ; ils agissaient mme contre lesgouvernements. On se plaignait de leur doctrine, contraire auxbonnes moeurs et au vritable esprit du Christianisme ; on lesaccusait surtout d'tre trop avides des biens de ce monde. Toutesles mesures prises par les Papes pour mettre fin ce scandaleont t inefficaces. Le mcontentement croissait, les plaintes sesuccdaient, les esprits se rvoltaient, et les liens mmes duChristianisme se relchaient. Quelques-uns des monarques catho-liques, ne voyant point d'autres moyens de dtourner l'orage quimenaait de destruction leur Eglise, se virent obligs d'expulserles Jsuites de leurs Etats.

    C'est dans ce sens que s'exprimait

    alors le Pape, dont la pntration dcouvrit la cause de tant demaux dans les principes fondamentaux de,la Compagnie des J-suiles, et qui s'est dcid, en consquence, dissoudre cetteCompagnie pour rendre l'ordre et la paix l'Eglise.

    Lors de l'loignement des Jsuites de Saint-Ptersbourg-, il

    fut dj question de les renvoyer tous hors de la Russie ; maisVotre Majest Impriale a dclin cette mesure, par la raisonqu'avant de l'effectuer il fallait trouver des Ecclsiastiques con-naissant les langues trangres, afin de pouvoir remplacer les J-suites dans les colonies ainsi que dans d'autres endroits.

    Maintenant qu'il appert des renseignements pris par moi que

    les autres Ordres monastiques du culte catholique romain peu-vent fournir le nombre suffisant de Prtres capables de remplir

  • 30 CtAP. .

    HISTOIRE

    les fonctions de leur sacerdoce dans les colonies, et que, do l'au-tre ct, les Jsuites se montrent plus coupables que jamais, j'oseproposer Votre Majest Impriale d'ordonner ce qui suit :

    Les Jsuites, s'tant mis par leur conduite hors de la protec-

    tion des lois de l'Empire, comme ayant oubli non-seulement lesdevoirs sacrs d la reconnaissance, mais encore ceux que le ser-ment de sujet leur imposait, seront renvoys hors des frontiresde l'Empire, sous la surveillance de la police, et ne pourront ja-mais y rentrer sous quelque forme et dnomination que ce soit.

    Dix autres articles, rglant,, expliquant ou corroborant le d-cret d'expulsion, s'attachent clans leurs dtails rendre plus durcet exil, qui ne se base sur aucun fait certain. Puis le ministredes cultes conclut ainsi :

    En cas que Votre Majest Impriale daigne agrer ces pro-

    positions, j'oserais la supplier de charger les ministres de l'int-rieur, des finances et moi, chacun pour ce qui"le regarde, del'excution immdiate des articles ci-dessus.

    C'est ainsi qu'un terme sera mis en Russie l'existence des

    Jsuites indociles aux lois et aux autorits de l'Etat, auxquellesils doivent, d'aprs la parole de saint Paul, tre soumis, non-seu-lement par la crainte du chtiment, mais aussi par le devoir dola conscience. Ainsi seront loigns des hommes privs de cesvritables lumires qui viennent d'en haut, sourds la voix desaint Jacques, dont les saintes paroles terminent la bulle par la-quelle le Pape Clment XIV a supprim la Compagnie de Jsus : Y a-t-il quelqu'un qui passe pour sage et pour savant entre

    vous? qu'il fasse paratre ses oeuvres dans la suite d'une bonne

    vie avec une sagesse pleine de douceur. Mais, si vous avez

    dans le coeur une jalousie pleine d'amertumeet un esprit de con-

    tenlion, ne vous glorifiez point faussement d'tre sages, et ne mentez pas contre la vrit. Ce n'est pas l la sagesse qui vient

    d'en haut; mais c'est une sagesse terrestre, animale, diabo-

    lique. Car o il y a jalousie et un esprit de contention," il y a

    aussi du trouble et toute sorte de dsordres. Mais la sagesse

    qui vient d'en haut est premirement chaste, puis amie de la paix, modre et quitable, docile, pleine de misricorde et

    des fruits des bonnes; oeuvres-, elle ne juge pas, elle n'est pas

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 31

    double et dissimule. Or, les fruits de la justice se sment

    dans la paix par ceux qui font des. oeuvres de paix, nVoil encore un dit de bannissement contre les disciples de

    l'Institut ; la Russie les chasse de son sein, comme Ja France,l'Espagne, le Portugal, Naples et le duch de Parme le firent audix-huitime sicle. Un petit-fils de la grande Catherine appliqueaux Jsuites, prservs de la mort par son aeule, les paroles queClment XIV leur jetait en licenciant le corps d'lite de l'arme"chrtienne. Par une de ces anomalies auxquelles l'histoire de laCompagnie nous a forcment habitu, tous les Monarques quise laissent entraner dans les voies de l'arbitraire, tous les mi-nistres qui signent des dcrets de proscription, tous les peuplesqui regardent passer ces exils ne songent pas se demanderde quels crimes on les accuse. Il existe une loi qui sert de base chaque Code criminel et qui est le fondement de toute justice.Cette loi, aussi vieille que le monde, dfend de punir qui quece soit avant de l'avoir fait juger et d'avoir prcis les imputa-tions portes contre lui. Les Jsuites n'ont jamais pu jouir dubnfice de cette loi. A Lisbonne, le marquis de Pombal lescondamne de son chef; en Espagne, Charles III et d'Aranda, sonministre, les suppriment; les Parlements de France, aux ordresde Choiseul et de madame de Pompadour, fabriquent des arrtso l'iniquit le dispute l'ignorance. A Rome mme, dans uneheure de ccit pontificale, Clment XIV brise la Socit dontles plus saints, dont les plus grands de ses prdcesseurs sur laChaire-de Pierre ont glorifi les services et honor les vertus.Chez ces peuples de moeurs si diverses, mais qui tous tiennent

    .

    la lgislation naturelle comme la garantie de leurs droits, laCompagnie de Jsus a souvent trouv des accusateurs, des pre-scripteurs et des bourreaux, elle rclame encore des magistratsintgres. Elle a t condamne, fltrie, exile, dcime; elle n'ajamais t juge.

    Le rapport du prince Galitzin, oeuvre du conseiller Tourgue-neif et du comte Capo d'Istria, rie porte pas l'empreinte de cettehaine vivace qui se rencontre seulement dans des hommes ap-partenant au mme culte. On ne charge pas les Jsuites de cri-mes imaginaires, on ne dnature point leurs correspondances ;

  • '32 CHAP. I. HISTOIREon semble invoquer le prtexte le plus plausible pour les sacrifierau triomphe des Socits bibliques et des rves de fdrationd'Alexandre ; mais le document officiel reste dans les bornes d'une

    .

    modration calcule. Le gouvernement possde les papiers de laCompagnie, ses correspondances avec Rome et avec les Jsuitesde, tous les pays. On a dit et accrdit Ptersbourg que lesRusses embrassant le Catholicisme recevaient par l'entremise desJsuites un bref du Saint-Sige qui leur accordait la facult deparatre schismatiques lorsque, dans le for intrieur, ils taientunis l'Eglise romaine. On a mme prtendu que le gouverne-ment moscovite avait entre les mains des preuves de cette hypo-crisie. Le rapport n'en fait aucune mention ; on n'en dcouvrenulle trace dans les archives impriales ; tout tend mme ta-blir qu' cette poque, si les Socits bibliques et le no-chris-tianisme d'Alexandre eussent pu tourner une pareille arme con-tre Rome, ils n'auraient, pas manqu de s'en servir.

    .

    Nous avons sous les yeux des copies de ces brefs, copis qu'onaffirme authentiques et leves sur l'original. Mais, comme l'his-torien doit se tenir en garde et se dfier ds falsifications ainsique des documents apocryphes suggrs par l'esprit de- parti ;comme, d'un autre ct, le Saint-Sige et les Jsuites se sonttoujours inscrits en faux contre de semblables documents, nousne pouvons y ajouter foi jusqu' preuve plus dcisive.

    De ce rapport, accept par l'Empereur, il surgit bien quelquesexcs de zle catholique, mais ces faits individuels, en suppo-sant leur vracit dmontre, mritaient-ils la peine svre ap-plique tout un Ordre ? L'autorit ne les signalait que depuistrs-peu d'annes ; est-il prsumableque les Jsuites-aient cher-ch se compromettre, prcisment lorsqu'ils se savaient enbutte aux mfiances de Galitzin, aux intrigues des Socits bibli-ques et des Universits, sur lesquelles l'Empereur venait de sanc-tionner leur triomphe ?

    A la -nouvelle de l'ukase qui brise les liens existants depuisplus de deux sicles entre les Catholiques de la Russie-Blancheetla Compagniede Jsus, la consternation fut gnrale. Des larmescoulent dans les glises ; chacun accourt du fond des steppespour voir une dernire fois ceux, qui ont si souvent consol les

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 33Catholiques. Dans toutes les villes o s'lve une maison de l'Or-dre, des commissions furent nommes par le gouvernement;elles se composrent d'un Magistrat, d'un Ecclsiastique sculieret d'un Religieux. Ces commissions avaient ordre d'interrogerinviduellement chaque Jsuite, de lui promettre des avantagessans bornes et la faveur du pouvoir, s'il voulait renoncer l'In-stitut. Trois ou quatre vieux- Pres, sur prs de sept cents, selaissrent sduire.

    Pour se former une ide, mme imparfaite, de l'existence la-quelle les Jsuites s'taient vous, il ne faut pas seulement lestudier au milieu des cits ou parmi les enfants qui bnissaientleur nom et acquittaient,par une reconnaissance dont les preuvessubsistent encore, les bienfaits de l'instruction chrtienne ou deTducation premire. Ce ne fut point l qu'ils apparurent plusgrands par le sacrifice de toutes les joies humaines que parle tra-vail ; mais il importe de jeter un regard sur les Missions que legouvernement leurdonna dfricher. Ds le 5 avril 1805, le PreFidle Grivel crivait des bords du Volga un de ses amis deFrance

    : Il n'y a que vingt mois que la Compagnie est charge

    de ces Missions, et dj il y a un changement notable. Il y a centmille Catholiques rpandus dans le gouvernement de Saratof ; ilssont diviss en dix Missions, dont six sur la rive gauche et quatresur la rive droite du Volga. Chaque Mission est compose dedeux, trois, quatre ou cinq colonies ou villages. Ma Mission est Krasnopolis, sur la rive gauche. J'ai neuf cent soixante-deuxcommuniants en quatre colonies ; chacune a une assez jolie glisede bois.

    Ce n'est pas ici un Japon, ni un pays de Hurons, ce n'est

    pas non plus un Paraguay; c'est un diminutif de l'Allemagnequant au moral, et jusqu'ici il n'y a pas d'apparence que nousmourrions martyrs. Je suis satisfait et dispos rester ici volon-tiers le reste de ma vie.

    Les Jsuites n'avaient pas en Russie l'attrait du pril pour lesexciter, l'enthousiasme ou la rsistance des peuplades sauvagespour les animer. Leur zle ne devait clater qu'aux yeux des au-torits militaires. 11 tait circonscrit dans d'troites limites; lesfranchir et t un crime irrmissible. II fallait tre modr dans

    vi.-

    3

  • 84 CHAP. I;

    HISTOIRE

    son ambition de civiliser par la Foi. Ils avaient vaincre ls vicesinvtrs de ces populations sans patrie, les dfiances des Grecs ;souvent, comme Riga, les susceptibilits protestantes refusantaux Catholiques un peu de cet espace et de cet air libre qu'ellessavent si bien conqurir pour elles. La capitale de la Livonie taittoujours la cit intolrante par principe : au nom de Luther, elletendait opprimer la Religion romaine. Chaque culte pouvaitlever son temple dans les murs de cette ville; il tait interditaux seuls Catholiques de jouir d'une prrogative qu'ils sollicitaientdepuis trois sicles. Vers-1802, ils osrent s'adresser l'empe-reur Alexandre et lui demander des Jsuites. Le Pre Graberreut ordre d'en faire passer trois en Livonie : il dsigna JosephKamienski, Marcinkiewicz et Puell, qui arrivrent le 10 f-vrier 1804. Le prince de Wurtemberg et les magistrats mosco-vites accueillirent avec empressement ces Religieux; mais bienttils n'eurent pas de peine s'apercevoir des inimitis secrtes oupatentes auxquelles leur ministre allait tre en butte. La plupartdes Catholiques de Riga s'taient laiss gagner par cette fivre dedbauche qui puise les grands centres commerciaux. Les traisMissionnaires succombaient la peine sans esprance de succs,lorsque, en 1806, le Pre Joseph Coince se fit leur auxiliaire.

    A peine a-t-il pris connaissance de la position morale dans la-quelle languissent les habitants de Riga

    ^

    qu'il s'ingnie pour yremdier. Par une de ces inexplicables corruptions dont il ne fautaccuser aucun culte, car aucun n'est responsable de pareillesmonstruosits, le catchisme luthrien que les pres de famille sevoyaient forcs de mettre entre les mains de leurs enfants n'taitqu'un code d'athisme et de lubricit. Coince en oppose un quireutla sanction del'autorit ; mais il devenait urgent de le faireaccepter aux familles, plus urgent encore d'arracher la jeunessedes deux sexes tous les vices prcoces dont elle portait le germeen elle. Coince avait mesur l'tendue du mal : il le conjure ehpubliant des livres de morale adapts l'intelligence abtardie deces peuples ; il cre des coles. Afin d'attirer la confiance desparents, il charge des fonctions d'institutrices de nobles damesfranaises et allemandes. Sous la direction de la comtesse deCoss-Brissac et del baronne de Holk, elles donnent ces es-

  • DE LA COMPAGNIE DE JSUS. 35

    pcces de salles d'asile de l'enfance un dveloppement extraordi-naire. L bienfaisance des femmes aidait la charit du Jsuite :il triomphe eh peu de temps des prventions et ds instinctsmauvais.

    Coince avait rendu chaste et pieuse la gnration naissante-, ilvdilldt la faire libre. Des lois iniques pesaient depuis trois siclessur ls"Catholiques ; ddht les Protestants de Sude taient par-venus nier les droits de citoyens. Polir ces mancipaters de lapense humaine, les Catholiques ne sont plus que des Juifs duquatorzime sicle, auxquels on refuse les privilges de la patrie etmme l'honneur de mourir sous le drapeau national. Le Jsuiteentreprend de dtruire cet abus de la force; Le marquis de Pal-lucci se trouvait gouverneur de Riga au nom du Czar. Le PreCoirtbe lui communique ses plans de rhabilitation; Pallucci lesadopt, il s'engage les favoriser. Il assemble les notables deLivOhi, il leur soumet les propositions que ie Jsuite a in->spires ; un cri de rpulsion s'chappe de toutes les bouches. LeJsuite est accus de semer la perturbation dans ce pays et detendre au renversement des lois ecclsiastiques et civiles. La me-nace ne l'effrayait pas plus queles insultes : on songe lui sus-citer d'autres obstacles. Un procs lui est intent; mais, aprs sixmois d dbats judiciaires, l'Empereur publie un dcret qui ga-rantit aux Catholiques la libert de croire et de prier en com-mun;

    Jusqu'alors ils n'avaient pas mme eu l triste privilge defaire ouvrir leurs pauvres ou leurs malades les portes deshospices publics. Coince avait triomph du Protestantisme, ilconoit l'ide d'offrir un asile aux souffrances dont il est le seulconsolateur. Tous les moyens lui manquent; nanmoins cethomhie sait esprer contre toute esprance, et ; sans autre le-vier que son zle

    ,

    mener bonne fin les entreprises les plus ar-dues. Un hpital tait par lui jug indispensable : il intresse lemarquis de Pallucci ses projets. Le Jsuite parle ^ il fait par-ler; il meut les cceurs* il rveille'dans les mes le sentimentde l piti, et le 16 juillet 184 la premire pierre de l'dificetait pose. Le 15 aot 1815 ; cette demeure, de l'indigence re-*cueillait toutes ls misres.

    -

  • 36 CIIAP. I.

    HISTOIRE

    Mais l'orage dirig par les Socits bibliques commenait gronder sur la Compagnie de Jsus. Le Pre Coince tait l'undes adversaires de leur systme : le premier il reoit ordre d'a-bandonner cette nouvelle patrie que ses sueurs ont arrose et o,par la puissance de sa volont, il a fcond tant de miracles decivilisation. Il faut renoncer ces oeuvres si laborieusement en-fantes ou abjurer l'Institut de saint Ignace. Les Jsuites com-pagnons du Pre Coince et Coince lui-mme n'hsitent pas unseul instant. Ils taient entrs proscrits dans l'empire de Russie,ils en sortirent proscrits. Les Catholiques se pressaient autourd'eux avec des prires et des larmes. Coince et Krukowski pleu-rent avec leurs fidles, mais le sacrifice tait consomm ; lesJsuites-partirent.Le peuple leur tmoignait^sa tristesse par detouchantes effusions. Le gouverneur de Riga ne craint point des'associer ees regrets; le 13 juillet 1820 il adresse au disciplede l'Institut la lettre suivante, touchant rsum des bonnesoeuvres accomplies.

    Mon trs-rvre'nd Pre,

    Si je n'ai pas rpondu jusqu' ce moment la lettre dont

    vous m'avez honor le 1er avril dernier, c'est que j'ai toujoursespr voir retarder l'poque de votre dpart; mais, puisqu'ilvient d'tre fix

    -,

    je m'empresse, mon trs-rvrend Pre, devous prvenir que j'ai donn tous les ordres ncessaires pourqu'il vous soit fourni, ainsi qu'aux autres Pres qui partent avecvous, tout ce qui est ncessaire pour votre voyage. Les senti-mentsque vous me tmoignez, mon trs-rvrend Pre, dansvotre lettre, m'ont rappel le vifchagrin que j'ai souvent prouvde n'avoir pas t mme de contribuer comme je l'aurais vouluatout le bien que vous avez fait et que vous avez voulu faireici, et m'ont sensiblementpntr de douleur pour la perte quenon-seulement la communaut catholique va prouver par votredpart, mais tous les habitants de Riga en gnral, les colesque vous avez tablies ici pour les deux sexes, l'hpital et laSocit des dames sculires de la Misricorde, tous monumentsqui par eux seuls suffiraient pour attester de votre zle et de vossoins infatigables pour la ville de Riga, si d'ailleurs toute votre

  • DE LA COMPAGNIE DE JESUS. 37conduite et celle de vos Pres ne vous eussent donn les plusgrands droits aux regrets bien sincres que cause votre loigne-ment. Persuad que, sensible l'attachement que l'on vous a t-moign ici, vous prouverez, mon trs-rvrend Pre, quelquesregrets de quitter le bien que vous avez fait, je crois les adoucirpar l'asssurance que je vous donne de faire tous mes efforts pourmaintenir dans, leur tat actuel tous les tablissements dont cetteville vous est redevable. Les voeux bien sincres que je formepour votre bonheur vous suivront partout, et si jamais vous pou-vez me croire propre vous tre utile, disposez de moi commed'un ami qui vous est sincrement attach.

    P., marquis DE PALLUCCI.

    Le mme dvouement l'humanit clate sur les points lesplus reculs de la Russie. C'est l que de prfrence les Jsuitesfixent leur sjour, c'est de l aussi qu'ils veillent comme desmres attentives sur ces douleurs de l'me et du corps dontpersonne, en dehors d'eux, ne semble se proccuper. Il existe Mozdok, sur le Caucase, une colonie forme de prisonnierset du rebut de diffrents peuples. Cette colonie croupit dansl'ignorance, ne songeant qu' satisfaire ses vices et ses haines.La force elle-mme n'a pu assouplir ces natures rebelles. L'em-pereur. Alexandre veut que les Jsuites tentent un dernier essai.Ils ont subir des vicissitudes de toute sorte, des outrages detoute nature; mais enfin, vers l'anne 1810, ils arrivent lasolution du problme. Les colons de Mozdok, vaincus par, lapersvrance des Missionnaires, leur rendent les armes, et djle Pre Woyzevillo se jette dans le Caucase pour annonceraux indignes le Dieu mort sur la croix. Des obstacles insur-montables semblent conspirer pour frapper leurs travaux destrilit. Les Pres Suryn et Gilles Henry en triomphent pardes merveilles de patience et de courage. Ils sont les Aptresde ces hommes demi barbares; ils deviennent les Anges pro-tecteurs des troupes russes cantonnes au milieu de ces rgions,chaque jour exposes au double flau de la peste et de la guerre.

    D'innarrables privations, d'affreuses souffrances taient r-serves aux Jsuites dressant leur tente dans ces montagnes, A

  • 88 GHAP. I.-

    HISTOIRE.

    la voix de leur chef, aucune"ne recule, et, dans l'abandon deleur correspondance intime, voici de quelle manire ils accep-tent cette vie de tribulations. Le Pre Gilles Henry, Jsuitebelge, crit de Mozdok, le 29 juin 1814 : On vient de publierici l'ordre de renvoyer tous les Polonais. Tout en entrant dansleur joie, je me sens-le coeur singulirementafflig de vpir par-tir ces pauvres malheureux, que nous ayons comme rgnrsen les transformant en agneaux, d'ours qu'ils taient. Mainte-nant mes dpenses me paraissent agrables, et je ne prvoisqu'avec peine le moment o je ne devrai plus me priver de monpain, de mon dner pour en nourrir l'affam