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THSE PRSENTE
POUR OBTENIR LE GRADE DE
DOCTEUR DE
LUNIVERSIT DE BORDEAUX
COLE DOCTORALE
SPCIALIT : ENTREPRISE, ECONOMIE, SOCIETE
Par Alain MEIAR
Le Business Model de lentreprise transmise : comparaison de la reprsentation du repreneur avec celle du cdant
pour contribuer rduire le risque de faux pas
Sous la direction de : M. le Professeur Thierry VERSTRAETE
Soutenue le 15 septembre 2015
Membres du jury :
M. CHABAUD, DidierProfesseur lUniversit dAvignon, rapporteur
Mme HLADY RISPAL, Martine Matre de Confrences HDR lUniversit de Bordeaux, prsidente
M. TORRES, OlivierProfesseur lUniversit Montpellier 1, rapporteur
M. VERSTRAETE, ThierryProfesseur lUniversit de Bordeaux, directeur de thse
M. VOISIN, FabriceDirecteur -Petites entreprises/conomie solidaire-Ple dveloppement conomique/Rgion Aquitaine, invit
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Titre : Le Business Model de lentreprise transmise : comparaison de la reprsentation du repreneur avec celle du cdant pour contribuer rduire le risque de faux pas
Rsum :
Selon le rapport de la Commission Europenne (2011), le dpart du dirigeant dune entreprise se traduit trop souvent par la disparition de cette dernire. Face lampleur du phnomne de reprise par un tiers physique externe, force est de constater le manque de travaux consacrs cette modalit entrepreneuriale (Durst et Wilhelm, 2009 ; Parker et van Praag, 2012) alors que de moins en moins de descendants sont prts prendre la relve (TRANSREGIO, 2005). Lun des challenges auxquels fait face le repreneur (personne physique) est li la ncessit dapprendre et de comprendre rapidement un systme complexe dont il assumera sous peu la responsabilit. Ce travail doctoral relve le risque de faux pas du repreneur dfini comme une action allant, sans que ce dernier en ait conscience, lencontre de la marche normale de lentreprise. Le cadre opratoire dploy met au jour la reprsentation que possde le repreneur du Business Model de lentreprise transmise pour la comparer celle du cdant et ainsi rvler des types dcart susceptibles de conduire des faux pas.
Aprs un cas exploratoire, quatre cas de transmission ont t tudis sur la base dentretiens semi-directifs ayant permis de produire une version narrative des Business Models. Pour chacun des cas, la comparaison systmatique de la reprsentation du repreneur celle du cdant a permis lobservation de cinq cas de figure : carence, dissonance, concordance, prcellence et modles diffrents.
Mots cls : Reprise dentreprise, Business Model, Risque de faux pas, Thoriedes conventions
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Title: The Business Model of the transferred firm: comparison of the buyers and sellers representations to contribute to reducing the faux pas risk
Abstract :
According to the report of the European Commission (2011), owner-manager departures lead too often to the demise of the firm. Faced with the worrying growth of this phenomenon, little research has been conducted on non-family business successions (Durst et Wilhelm, 2009 ; Parker et van Praag, 2012) while fewer and fewer descendants are willing to take on the succession (TRANSREGIO, 2005), little research has been conducted on non-family business succession (Durst & Wilhelm, 2009). One of the main challenges faced by the buyer (individual) is to rapidly learn and understand a complex system which is going to be under his or her guidance. Our research brings to light the risk of faux pas which we define as a decision of the buyer which goes against the ordinary working of the firm, without the buyer being aware of it. Our research protocol formalises the buyers representation regarding the Business Model of the firm he buys to compare it with the sellers one. This comparison reveals types of deviations likely to lead to faux pas.
After an exploratory investigation, four cases of business transfer have been studied using a semi-structured checklist allowing us to produce a written version of the Business Models. For each case, a systematic comparison of the buyers and the sellers representations allowed us to draw some conclusions bringing to light five situations: shortcomings, discordance, concordance, superiority and different models.
Keywords : Business Transfer, Business Model, Faux pas, Convention theory
Unit de recherche Institut de Recherche en Gestion des Organisations (IRGO), EA 4190
Universit de Bordeaux - Ple Universitaire de Sciences de Gestion, Bt. C403 35, avenue Abadie 33 072 BORDEAUX
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LUniversit de Bordeaux nentend donner aucune
approbation ni improbation aux opinions mises dans la thse ; ces
opinions devront tre considres comme propres leur auteur.
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REMERCIEMENTS
Je tiens remercier, en premier lieu, mon Directeur de thse, Monsieur le Professeur
Thierry Verstraete pour mavoir chaleureusement accueilli au sein de son quipe de recherche
et pour mavoir accompagn tout au long de ce parcours doctoral.
Mes remerciements vont ensuite aux membres du jury, Mme Martine Hlady-Rispal,
Messieurs les Professeurs Didier Chabaud et Olivier Torrs ainsi que Monsieur Fabrice
Voisin davoir bien voulu porter leur attention sur ce travail.
Je remercie galement Monsieur le Professeur Grard Hirigoyen pour mavoir accept
au sein du Master II RGO de lIAE de Bordeaux.
Je remercie le Conseil Rgional dAquitaine ainsi que la Chambre de Commerce et
dIndustrie de Bordeaux de mavoir apport leur appui dans la phase de recherche de cas.
Ma gratitude sadresse aussi mes collgues de lquipe de recherche en
Entrepreneuriat du laboratoire IRGO, pour leurs conseils aviss et leur gentillesse.
Je tiens remercier ensuite lensemble de mes collgues du dpartement Techniques
de Commercialisation de lIUT Bordeaux Montesquieu pour mavoir accueilli et pour mavoir
fait confiance.
Jai beaucoup appris et jai certainement grandi, je tiens remercier ceux, et ils se
reconnatront, avec qui jai pu partager : mes craintes, mes doutes, mon bureau, mon temps,
mon logement, mes voyages, mes escapades nophiles, mes matchs de volley, mes djeuners,
mes traductions, mes instruments de musique, mes confrences, mes footings, mes rgimes,
mes plaisanteries, mes questions concernant le test du khi-2, mes questions concernant le PPP,
mes questions mthodologiques, mes questions concernant les traditions dans le Nord, le
Barn, le Maroc, lItalie, la Belgique, les Carabes ou encore la Moldavie, mes aventures
pdagogiques, mes premiers pas sur veloce21
Je souhaite clturer ce propos en exprimant ma sincre gratitude mon entourage
personnel qui a su accepter ma dmarche et me tmoigner son soutien inconditionnel ainsi
qu ma fiance qui a su donner un sens ma vie.
Ce travail leur est ddi.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE ............................................................................................ 4
Partie I : LA TRANSMISSION DENTREPRISE ET LA REPRESENTATION DU BUSINESS DU REPRENEUR PERSONNE PHYSIQUE ................................................. 15
Chapitre 1. La reprise par un tiers externe .......................................................................... 18
Chapitre 2. Une littrature fragmente et un probleme non etudi ..................................... 76
Chapitre 3. Ltude de la representation du business du repreneur : mobilisation du
concept de Business Model selon une perspective conventionnaliste .............. 106
Partie II : UNE METHODE MOBILISANT LE BUSINESS MODEL POUR APPRECIER LES ECARTS REPRESENTATIONNELS DES PROTAGONISTES
DUNE TRANSMISSION ................................................................................................... 136
Chapitre 4. Quel outillage pour accder la reprsentation que possde lacteur de la convention : le choix du cadre opratoire ......................................................... 138
Chapitre 5. Analyse intra-cas de quatre transmissions ..................................................... 160
Chapitre 6. Discussion sur lutilit de la mobilisation du Business Model en contexte de
transfert dentreprise ......................................................................................... 276
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................. 296
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 299
TABLE DES MATIERES ................................................................................................... 318
TABLE DES FIGURES ....................................................................................................... 320
TABLE DES ENCADRES ................................................................................................... 322
TABLE DES TABLEAUX .................................................................................................. 323
ANNEXES ............................................................................................................................. 329
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INTRODUCTION GENERALE
Selon le rapport de la Commission Europenne (2011), le dpart du dirigeant dune
entreprise se traduit encore trop souvent par la disparition de cette dernire. Des emplois sont
alors dtruits, des savoir-faire se perdent et cest tout le rseau auquel lentit tait
connecte qui peut en souffrir. A linverse, une transmission russie peut tre un moyen de
redynamiser une organisation ventuellement vieillissante et dy impulser une nouvelle
dynamique (KPMG, 2008). Avec prs dun dirigeant de PME sur trois remplacer en Europe
sur la dcennie 2005-2015 (CE, 2006a)1, la transmission dentreprise sest invite au cur des
proccupations des gouvernements et des institutions du dveloppement local.
La transmission peut se dfinir comme une opration de transfert de proprit et de
direction dont lobjectif est dassurer la prennit de lentreprise, donc son dveloppement
(Barbot et Richomme-Huet, 2006). Elle affecte le cdant, le repreneur, la firme, leur
lenvironnement proche et plus largement lconomie au moins lchelle rgionale
(Deschamps, 2000 ; Bouchikhi, 2008 ; DeTienne, 2010). En ce dbut de 21me sicle, force
est de constater que de moins en moins de descendants souhaitent prendre la relve de
lentreprise familiale en Europe (TRANSREGIO, 2005). En France, pas plus de 10% des
transmissions sont des successions familiales (BPCE, 2011), les dirigeants sont alors conduits
se tourner vers des repreneurs externes.
Ainsi, dans la majorit des cas de transmission, le repreneur est sans lien avec
lentreprise quil reprend. Cette opration concerne essentiellement de petites et moyennes
entits qui constituent un maillon central de nos tissus conomiques (prs de 99% des
entreprises en Europe - CE, 2013). Leur transmission concerne plus dun million demplois
moyen terme (KPMG, 2008). Pour accompagner le processus de transmission, des structures
tant prives que publiques se mettent peu peu en place depuis une dizaine dannes.
Nanmoins, les progrs sont jugs encore insuffisants (CE, 2006b) et la prise de conscience
1 et sept sur dix au Canada (Bruce et Picard, 2006)
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face lampleur du phnomne est faible (CE, 2011) ; beaucoup reste faire afin que le
dpart du dirigeant ne se traduise pas par la disparition de lentreprise (KPMG, 2008). Les
difficults trouver un repreneur, convenir dun prix o chacun y trouve son compte,
intgrer le nouveau dirigeant et lui donner toutes les clefs pour russir sa reprise sont autant
de facteurs susceptibles de provoquer la disparition court ou moyen terme de la PME.
Sensible ces enjeux, notre recherche sintresse la transmission dentreprise. Notre
appartenance lquipe de recherche en entrepreneuriat de lIRGO (Institut de Recherche en
Gestion des Organisations de luniversit de Bordeaux), qui na pas t choisie fortuitement
mais par intrt pour ce domaine de recherche, nous conduit adopter une perspective
entrepreneuriale. La transmission sy prte et cette perspective fait dailleurs lobjet dappels
(Ucbasaran et al., 2001 ; Parker et van Praag, 2012). Les chercheurs en entrepreneuriat se sont
essentiellement proccups de la cration dentreprise (Delmar et Shane, 2004 ; Townsend et
al., 2010 ; Pollack et al., 2012) et de la succession familiale (Yu et al., 2012).
Comparativement, on peut remarquer un relatif manque de recherches acadmiques
consacres la reprise par un tiers personne physique externe (Howorth et al., 2004 ; Durst et
Wilhelm, 2009 ; Parker et van Praag, 2012) o la direction et la proprit sont transfres
(Robbie et Wright, 1995).
La littrature offre une diversit daperus sur le phnomne selon que lon prenne le
point de vue du cdant (Pailot, 1999 ; Bah, 2009 ; Ip, 2009 ; DeTienne, 2010 ; Barbot-Grizzo,
2012 ; Ryan et Power, 2012), du repreneur (Deschamps, 2003 ; Begin, 2007 ; Boussaguet,
2008 ; Geraudel et al., 2009 ; Deschamps et Geindre, 2011 ; Parker et van Praag, 2012 ; Block
et al., 2013 ; Grazzini et Boissin, 2013) ou de la relation entre les deux (Robbie et Wright,
1995 ; Howorth, Westhead et Wright, 2004 ; Picard et Thevenard-Puthod, 2006 ; Bornard et
Thevenard-Puthod, 2009 ; De Freyman, 2009 ; De Freyman et Richomme-Huet, 2009 ;
Geindre, 2009). Malgr un rcent regain dintrt port ce phnomne, les auteurs
saccordent souligner la ncessit de poursuivre ces efforts (Howorth, Westhead et Wright,
2004 ; Durst, 2011 ; Parker et van Praag, 2012) afin de favoriser, terme, la rduction du
risque successoral (Vateville, 1994). Notre travail sinscrit dans une rponse cet appel de la
communaut scientifique produire de la connaissance sur la transmission dentreprise un
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tiers externe. De ce fait, notre recherche se positionne la jonction du domaine de
lentrepreneuriat et de celui de la PME2.
Le choix du thme de la transmission un repreneur externe personne physique tant
nouveau au sein de lquipe de recherche, un accs exploratoire a t ralis pour nous aider
saisir le contexte de cette situation singulire et complexe. Cet accs tait aussi une faon de
rpondre la position pistmologique de lquipe de recherche. Le pragmatisme de Dewey
(voir rcemment Vo et al., 2012) peut lui correspondre3, mme sil est difficile de la cerner
strictement ou de graver dans le marbre un regard sur le monde. Une conception
praxologique de la recherche motive tous les membres de lquipe entrepreneuriat de lIRGO
et le souhait de construire des thories utiles ncessite davoir un regard lucide sur les
pratiques des acteurs vers lesquels sera transfre la connaissance produite. Partant dun
problme repr sur le terrain et guid par la direction de thse, la problmatique se construit
alors par une intellectualisation permettant denserrer progressivement un objet de recherche
et de choisir une question, un cadre opratoire et une forme de restitution du travail rpondant
aux conventions de rigueur scientifique attendues par la communaut.
Au cours de notre exploration, il savre que nous avons relev un problme sur le
terrain dune transmission. Ce cas sera prsent plus loin dans le texte mais dores et dj
nous livrons la faon dont nous avons spontanment qualifi le problme observ : un faux
pas. Nous le dfinissons comme une action du repreneur allant, sans que ce dernier en ait
conscience, lencontre de la marche normale de lentreprise. Le faux pas observ tait
lorigine dun conflit opposant le repreneur la salarie-cl de lentreprise (laquelle mesurait
limportance stratgique de la dcision prise par le repreneur alors que pour celui-ci elle
ntait quoprationnelle). Nous navons pas trouv, dans la littrature nous intressant pour
cette thse, cette notion de faux pas. Afin dapprcier la pertinence du problme repr, nous
avons interrog son sujet cinq experts slectionns pour leur exprience empirique de la
transmission. A lunanimit, ils ont reconnu la pertinence de la notion de faux pas applique
2 Avec Verstraete (2008), il faut remarquer que lentrepreneuriat nest pas une discipline scientifique
reconnue par le Conseil National Universitaire, comme peuvent ltre lconomie, les Sciences de
Gestion, etc. Lauteur le dfinit alors comme un domaine de recherche possdant sa communaut de
chercheurs, ses congrs, ses revues, ses objets de recherches, etc. Il en est de mme avec la PME et les
deux domaines se recouvrent aisment si, sans amalgame entre lentrepreneur et le dirigeant, on
constate que de nombreux entrepreneurs pilotent les PME. Il nest gure plus difficile de considrer
quun repreneur dentreprise entreprend en considrant toutefois, certes, que certains dentre eux ne
feront que poursuivre luvre dun cdant peu (ou pas) entreprenant. 3 Rcemment, le travail doctoral de Lechat (2014) sy inscrit.
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au contexte de la transmission. Dans le cas explor, le faux pas risquait dheurter des clients
importants pour lentreprise mais aussi de conduire au dpart de la salarie-cl de la PME4.
Si le faux pas est un problme, et dans la mesure o le repreneur nen a pas conscience
au moment o il le commet, cest quil est la consquence dune lacune. Le faux pas nous
semble dcouler dune connaissance imparfaite ou incomplte de laffaire reprise. Le faux pas
est une action lie la reprsentation de celui qui la commet. Ici, il traduit lexistence dun
dcalage entre la reprsentation que le repreneur a de laffaire et celle que le cdant en a lui-
mme. Il est en effet possible de considrer que le cdant possde une reprsentation de ses
affaires laquelle doit pouvoir accder le repreneur (quand bien mme en y ayant accs il
dsire changer de stratgie, mais dans ce cas les dcisions prises le sont dessein). Un
repreneur peut tout fait faire des erreurs (le cdant galement), mais lorsquelles sont
commises en raison de la lacune voque, il sagit dun faux pas. Autant les viter, dautant
plus que la reprise par un tiers externe est la modalit de transmission la plus risque.
En effet, selon ltude OSEO-BDPME (2005), lexistence de liens pralables avec
lentreprise (ex. membre de la famille ou ancien salari) permet de rduire significativement
le risque dchec de lopration. Le repreneur doit prendre la place du cdant et diriger une
entreprise dont il ne possde quune connaissance limite. La priode de transition, lors de
laquelle le cdant et le repreneur cohabitent, a justement pour objectif dassurer le transfert
effectif des savoirs et des comptences (Picard et Thevenard-Puthod, 2006) dont le nouveau
dirigeant a besoin afin de scuriser son investissement (De Freyman et Richomme-Huet,
2010). Handler (1990) montre que dans le cas dune transmission familiale, durant la phase de
transition, le prdcesseur et le successeur endossent successivement une srie de rles
diffrents permettant lun de se retirer progressivement et, lautre, de prendre peu peu les
rnes de lentreprise. La dure de cette transition a un effet positif sur lissue de lopration
(Goldberg, 1996 ; OSEO-BDPME, 2005 ; Colot, 2009). Or, ce passage de relais, qui peut
durer plusieurs annes dans la succession familiale (Handler, 1990), nest que de quelques
mois dans le cas dune reprise par un tiers externe et voit souvent sa dure courte
prmaturment (OSEO-BDPME, 2005). Cette particularit sexplique notamment par les
nombreuses tensions lies la passation du pouvoir au sein dun binme qui ne laisse que peu
4 Le concept deffet de grossissement propos par Mah de Boislandelle (1996) permet dapprcier les
consquences de ce dpart.
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de place une mdiation (Ciampa et Watkins, 1999) et o chacun peut avoir une vision
diffrente de ce quest lentreprise et de l o elle va (Reid et Karambayya, 2009).
Ainsi, le repreneur doit intgrer une masse importante dinformations en peu de temps,
au point de se retrouver en situation de surcharge cognitive. La thorie de la charge cognitive
offre un cadre permettant dexpliquer la variabilit de leffort mental ncessaire pour la
ralisation dune tche. Dans cette approche, partir dun certain niveau dinformation
traiter, propre aux capacits cognitives de chacun, lindividu peut se trouver en situation de
surcharge cognitive augmentant ainsi le risque derreur ou diminuant tout simplement la
qualit du travail accompli (Chanquoy et al., 2007). Des travaux en finance comportementale
ont soulign lexistence dun tel phnomne dans un contexte de prdiction financire
(Rakoto, 2005). Hemp (2009) aborde ce problme dans un article de la Harvard Business
Review intitul de manire volontairement provocante Death by information overload 5.
Lauteur souligne que la surcharge cognitive peut nuire non seulement la sant
psychologique de lindividu qui la subit, mais aussi affecter ses dcisions.
Ainsi, en situation de surcharge cognitive, lindividu se retrouvant noy sous des
masses dinformations et de dcisions prendre aura tendance ne pas intgrer linformation
dont il dispose et rester ancr sur danciens faits et croyances pour dcider. Applique la
transmission, la thorie de la surcharge cognitive apporte galement la comprhension de la
survenue de faux pas. Lorsquil se retrouve seul la tte de son entreprise rcemment acquise,
ltat de surcharge cognitive du repreneur nuit sa capacit prendre en compte lensemble
des informations disponibles pour dcider ; le risque de faux pas grandit. Ce problme est
accru par lasymtrie informationnelle classique, lorsque le cdant ne livre pas toutes les
informations dont aurait besoin le repreneur (Howorth et al. 2004 ; Bouchikhi, 2008).
Dans le cadre dune opration complexe impliquant dimportantes ressources et o
lacheteur cherche scuriser la transmission de lentit (De Freyman, 2009), les faux pas
apparaissent comme des obstacles appelant des recherches qui permettraient terme den
prvenir la survenue. Une premire solution ce problme est videmment de jouer sur la
dure de la priode de transition, en lallongeant. En effet, bien que les capacits
dapprentissage et dadaptation diffrent dun individu lautre, disposer de temps permet de
5 Traduction libre de lauteur : Mort par surcharge dinformation
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prvenir la surcharge cognitive du repreneur. Lincitation (financire) au recours la
convention de tutorat6 mise en place par certaines collectivits en est un exemple. Cette
dernire vise donner du temps au repreneur en allgeant la charge salariale rsultant du
maintien du cdant retrait dans lentreprise. Il est ainsi moins lourd financirement que celui-
ci reste plus longtemps.
A dfaut de pouvoir jouer sur le temps, une autre solution consisterait rduire
lasymtrie dinformation entre le cdant et le repreneur. Pour en limiter les risques, la
mthode pourrait alors avoir comme objectif daider le repreneur se forger une
reprsentation des affaires qui soit proche de celle du cdant. Plus concrtement, cette
mthode pourrait par exemple mettre au jour la reprsentation que le cdant a de son business
pour ensuite procder au mme travail avec le repreneur et, sur une base comparative, rvler
les carts entre les deux reprsentations. Le repreneur peut videmment assumer ces carts
mais lide est moins, conformment la phase de transition, de travailler sur la vision
stratgique du repreneur que sur la reprsentation quil se fait des affaires quil reprend. La
reprsentation guide les actions (Green, 1992 ; Gallen, 2005).
Il savre que lquipe entrepreneuriat de lIRGO travaille sur un objet de recherche
quelle dfinit comme une reprsentation partage lorsquelle transfre cet objet dans la
pratique, telle quelle la fait avec le projet GRP Lab7. Il sagit du Business Model. Celui-ci a
t thoris par deux membres de lquipe (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009) rejoints par les
autres chercheurs travaillant avec eux sur des tudes de cas et des recherches-actions, ces
deux protocoles tant cohrents avec le souhait de produire des thories utiles. Plus
exactement, les auteurs dfinissent le Business Model comme une convention (thorie des
conventions) relative la gnration de la valeur, la rmunration de la valeur et au partage
de la valeur (ils parlent ainsi de modle GRP, G pour Gnration, R pour Rmunration et P
pour Partage).
Dans une approche cognitive de lentreprise, la thorie des conventions apparat
comme un cadre original et nous semble pertinente pour clairer la transmission. Pour
6 La convention de tutorat, instaure par la loi du 2 aot 2005, permet au cdant de conclure un contrat
avec son repreneur au travers duquel il sengage transmettre ce dernier son exprience
professionnelle dans le domaine de la gestion et du management. 7 GRP Lab est une plateforme numrique de comptences ddie la sensibilisation, la formation et
laccompagnement lentrepreneuriat, accessible ladresse http://grp-lab.com/ .
http://grp-lab.com/
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Duprel (1925), la convention tablit entre ses auteurs de la correspondance, cre de
laccord, fait en sorte que la runion de leurs conduites, au lieu dtre une somme dlments
disparates, constitue un tout organis, en fait une activit unifie (p.285) 8. La convention
rfre ainsi, pour un espace donn, une forme collective de construction dun ensemble de
dispositifs cognitifs aidant lindividu avoir des repres (plus ou moins formels) et se
comporter en fonction de ces derniers. La convention donne ce titre du sens la fois pour
lindividu et le collectif concern. Dans le cadre des organisations chres au chercheur en
sciences de gestion, il est ainsi possible de voir lapproche conventionnaliste comme un
ensemble de rgles et de normes plus ou moins explicites rgissant le systme social constitu
par les parties prenantes au projet dentreprendre. La convention deffort est prsente comme
le rfrentiel commun, construit au fil du temps par le fonctionnement de lorganisation et qui
dfinit lensemble des rgles du fonctionnement normal de lentreprise (Gomez, 1997 ;
Gomez et Jones, 2000). Dans cette perspective, le repreneur externe est une nouvelle partie
prenante relativement dmunie lors de son arrive car nayant pas ces repres, notamment
parce quil ne dispose que dune reprsentation, au mieux appauvrie, au pire dforme, de ce
systme conventionnel. Ce dernier peut se conceptualiser par le Business Model (Verstraete et
Jouison-Laffitte, 2011), lequel ntait au dpart quune expression, mais qui sest fortement
diffuse au point de la qualifier de Buzzword (Magretta, 2002). Cette dissmination justifia
que des chercheurs sy intressent.
Selon Verstraete et Jouison-Laffitte (2009), lexpression est ne de la ncessit
dexpliquer des possesseurs de ressources, notamment des financeurs de projet de cration
dentreprise, un business quils peinaient se reprsenter en raison de la nouveaut du mdia
internet, du vocabulaire original employ, des acteurs y voluant drogeant parfois avec lide
quon peut se faire du business man et des rmunrations pouvant tre tires de lentreprise
alors que parfois lutilisateur dun service nen tait pas le payeur (Benavent et Verstraete,
2000). Il fallait rendre intelligible les affaires auprs de partenaires exigeants (Verstraete et
Saporta, 2006). La modlisation, exercice bien connue en systmique, permet justement de
rendre intelligible ce qui est complexe, ici le business (modliser les affaires, do
lexpression Business Model). Si les crits sur le Business Model sont aujourdhui nombreux
et quil en existe presque autant de conceptions que de travaux le mobilisant, il semble que la
communaut saccorde reconnatre que la notion de valeur est au cur des dfinitions
8 cit dans Amblard (2006)
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proposes par la littrature (Jouison, 2008 ; Eyquem-Renault, 2011). Ainsi, le Business Model
propose une interprtation de la valeur cre et change dans un rseau de parties prenantes
(Gordijn et al., 2000), une conception de la cration de valeur ensuite dlivre (Dubosson-
Torbay et al., 2002) avec, videmment, lide de tirer un gain du business envisag (Magretta,
2002).
La conception conventionnaliste du Business Model adopte par lquipe bordelaise
est cohrente avec les reprsentations auxquelles nous voulons accder, savoir celles des
deux principaux protagonistes dune opration de reprise (le cdant et le repreneur). Lun et
lautre possde une reprsentation de cette convention. Cette dernire sest construite dans
linteraction avec les partenaires pour faire merger une reprsentation partage rduisant
lincertitude inhrente lacte dentreprendre. La convention Business Model constitue le
cur de laffaire et offre aux parties prenantes les repres relatifs au fonctionnement de
lentreprise ( laquelle elles participent) et aux relations entretenir avec elle. Le repreneur
tant une partie prenante capitale pour lentreprise, ce dernier gagne avoir une
reprsentation congruente de cette convention, au moins dans un premier temps (car il
pourrait envisager de la changer).
Notre travail se focalise sur la question de la rduction du risque de faux pas du
repreneur. A cet effet, nous nous intressons llaboration dune mthode qui viserait faire
converger la reprsentation que se fait le repreneur vis--vis de laffaire quil reprend avec
celle que possde le cdant. Cela ncessite a minima deux phases de travail. Il faudrait
dabord mobiliser un protocole permettant de mettre au jour la nature et prcisment lobjet
de ces ventuels carts de reprsentations. Ces rsultats pourraient ensuite tre prsents aux
acteurs afin de dclencher a minima un dialogue portant sur ces carts, dans le but de les
rduire. Notre travail doctoral a t consacr llaboration dun protocole permettant de
mettre au jour ces carts.
Confronter les reprsentations que se font le repreneur et le cdant vis--vis de ce qui
fait le cur de laffaire permettrait, en rvlant les points de divergences, de participer
rduire lasymtrie dinformation entre les protagonistes et, in fine, le risque de faux pas du
repreneur. Nous rejoignons ainsi Bornard et Thevenard-Puthod (2009) lorsquelles soulignent
limportance dune prise de conscience par les acteurs des carts de reprsentation (sur
laffaire reprendre notamment) dans la russite dune reprise externe.
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A ce titre, notre travail vise rpondre la question de recherche suivante :
Le Business Model permet-il dapprcier les carts entre la reprsentation que le cdant
possde de son affaire et celle que se construit le repreneur dans le cadre dune transmission
dentreprise ?
En cohrence avec la position pistmologique de lquipe de recherche en
entrepreneuriat de lIRGO, cette question constitue lindispensable pralable la mise au
point dune mthode visant rendre congruente la reprsentation que le repreneur se fait du
Business Model celle du cdant pour rduire les risques de faux pas. Ainsi, derrire les
tudes de cas conduites dans cette thse, il sera possible de raliser une recherche-action
adaptant une partie du protocole ici dploy (en le compltant). Dans le cadre de notre travail
doctoral, une recherche-action ntait pas envisageable pour au moins les raisons suivantes :
- durant notre thse, nous avons appris le contexte de la transmission
dentreprise alors quil nous sera ncessaire dapparatre comme ayant une
bonne connaissance de cette situation de gestion pour tre peru comme
crdible par les protagonistes (cdant, repreneur, conseiller ou institution
facilitant laccs au terrain) et raliser la recherche-action ;
- la thse de doctorat a ncessit plusieurs annes de travail avec une grande
difficult trouver des terrains de recherche pertinents acceptant de recevoir
un chercheur ;
- les cas investis dans ce travail ne sont pas tous au mme stade davancement
de la reprise alors que la mthode que la recherche-action prcisera
sappuiera certainement sur lencadrement dune structure de conseil en
transmission prenant la mission partir dun stade relativement identique
dun cas lautre, sinon proche ;
- sur un plan administratif avec lequel le doctorant doit composer, le temps de
ralisation de la recherche-action sajoutant au temps de ralisation de nos
tudes de cas aurait interdit une rinscription en thse selon les critres
imposs par lcole doctorale ;
- notre cadre opratoire rpond aux exigences de scientificit de la mthode
des cas, laquelle est une stratgie de recherche rpondant aux exigences dun
travail doctoral.
-
13
Pour rendre la reprsentation de lacheteur congruente celle qua le cdant de son
affaire, encore faut-il tracer un primtre pertinent de ce quil est possible de qualifier
daffaire . Le concept de Business Model sest avr tout fait adapt et le travail est
original puisquil est nouveau de le mobiliser dans le contexte dune transmission
dentreprise. Ainsi, pour nos tudes de cas, dans un premier temps, nous avons mis au jour les
reprsentations des cdants et des repreneurs pour les affaires les concernant. Le Business
Model a t utilis pour les mettre au jour. Nous mobilisons pour cela une grille dentretien
base sur le Business Model GRP (Verstraete et Jouison, 2009)9. Cette premire phase permet
de disposer dune modlisation narrative des reprsentations du Business Model que se font
les protagonistes de lopration de transmission. Cette mise au jour des reprsentations rend
possible leur confrontation. La seconde phase du protocole consiste justement comparer
systmatiquement ces reprsentations.
La ralisation de ce protocole de recherche auprs de quatre cas de transmission a
permis de rpondre positivement la question de recherche (le chapitre 6 en discute) et
dobserver cinq cas de figure. Le tableau ci-dessous (cf. Tableau 1) prsente les types dcart
identifis.
Terme Situation
Carence Le repreneur ne possde quune reprsentation partielle de
llment
Dissonance Le repreneur ne partage pas la mme reprsentation que le
cdant
Concordance Le repreneur et le cdant partagent une reprsentation quasi
identique
Prcellence Le repreneur possde une reprsentation plus riche que le
cdant
Modles
diffrents
Le repreneur voque un lment appartenant au nouveau
business model de lentreprise
Tableau 1- Proposition dune typologie de la comparaison des reprsentations du BM des protagonistes dune transmission
9 Verstraete et Jouison-Laffitte ont thoris le Business Model et produit le modle GRP. Il est de plus
en plus souvent appel Business Model GRP , ou BM GRP. Nous utiliserons ces terminologies
dans la thse.
-
14
Pour restituer ces rsultats et le travail ayant permis leur construction, notre thse se
structure en six chapitres regroups en deux parties (cf. Figure 1). Dans une premire partie,
nous prsentons le processus de transmission (Chapitre 1), puis analysons la littrature traitant
de ce phnomne et mettons au jour un problme original non trait jusque-l (Chapitre 2).
Nous proposons ensuite un cadre thorique dont nous justifions de la pertinence (Chapitre 3).
Dans une seconde partie, nous dtaillons le protocole de recherche ayant permis laccs au
terrain (Chapitre 4). Nous prsentons ensuite lanalyse de nos quatre cas de transmission
(Chapitre 5), proposons une discussion des rsultats en soulignant les apports et les limites de
cette recherche (Chapitre 6), pour enfin conclure.
Figure 1 - Schma de la structuration de la thse
-
15
PARTIE I : LA TRANSMISSION DENTREPRISE
ET LA REPRESENTATION DU
BUSINESS DU REPRENEUR
PERSONNE PHYSIQUE
Chapitre 1.
La reprise par un tiers externe
Chapitre 2.
Une littrature fragmente et un problme non tudi
Chapitre 3.
Ltude de la reprsentation du business du repreneur : mobilisation du concept
de Business Model dans une approche conventionnaliste
-
16
INTRODUCTION PARTIE I
Cette premire partie a pour objet de dtailler le cheminement qui nous mne de
ltude de la transmission partir de la littrature acadmique, la formulation de la question
de recherche traite par la thse en deuxime partie.
Face un phnomne complexe et htrogne, le premier chapitre prcise les lments
de cadrage de notre recherche et prsente le processus de reprise par un tiers externe. Pour ce
faire, nous mobilisons les travaux acadmiques disponibles et proposons dapprhender
lopration sous langle du repreneur ainsi que sous celui du cdant. Nous dtaillons enfin
lincidence que peut avoir la taille de lentreprise sur son transfert. Cet effort de prsentation
permet une familiarisation avec le phnomne, tape indispensable dans la poursuite de notre
recherche.
La ralisation de la revue de la littrature permet de rassembler des travaux
scientifiques produits en majorit au cours des quinze dernires annes. Cet exercice permet
de dresser un panorama de cette littrature afin de dlimiter les frontires actuelles de la
connaissance portant sur ce processus. Adhrant une conception praxologique de la
recherche, notre rflexion sest oriente la suite dun accs exploratoire un cas de reprise
par un tiers externe. Lobservation sur le terrain, dun fait absent de la littrature, que nous
proposons dappeler un faux pas du repreneur nous conduit adopter une approche
cognitiviste du processus en nous intressant aux reprsentations mentales des acteurs. Le
deuxime chapitre dtaille la revue de littrature portant sur la reprise par un tiers externe et
prsente le problme du faux pas dont la pertinence est apprcie sur la base dentretiens
dexperts.
Le troisime chapitre part de ce fait observ sur le terrain et absent de la littrature afin
dexplorer la question de la reprsentation que se fait le repreneur du business quil reprend.
Nous proposons de mobiliser le concept de Business Model afin daccder cette
reprsentation. La mobilisation des travaux de fondements conventionnalistes de lquipe
bordelaise nous conduit enfin justifier de la pertinence de la thorie des conventions
apprhender le phnomne de la transmission et plus particulirement celui de la reprise par
-
17
un repreneur externe. Ce troisime chapitre se conclut avec la formulation de la question de
recherche laquelle la deuxime partie de cette thse apportera des lments de rponse.
-
18
CHAPITRE 1. LA REPRISE PAR UN TIERS EXTERNE
Procdant au cadrage de notre recherche (1.1), nous proposons dapprocher la
transmission par les angles successifs du repreneur (1.2.) puis du cdant (1.3.) afin de saisir au
mieux les subtilits dun phnomne mobilisant, avant tout, des hommes et des femmes. Une
dernire section (1.4.) souligne enfin lincidence de la taille de lentreprise sur cette opration
de transfert.
1.1. Dfinition et cadrage dun processus complexe
Les auteurs saccordent reconnatre la complexit que revt la transmission
dentreprise. Cette section a pour objet : de dfinir la transmission en veillant souligner les
facteurs expliquant sa complexit (1.1.1.), de dlimiter le primtre de notre recherche (1.1.2.)
et de prsenter le processus de reprise par une personne physique (1.1.3.).
1.1.1. Apprhension de la complexit du phnomne de la transmission
Barbot et Richomme-Huet (2006) dfinissent la transmission comme une opration
de transfert de proprit et de direction de lentreprise avec pour objectif sa prennit
travers son maintien ou le dveloppement de lactivit (p.4).
Brouard et Cadieux (2007), sur la base dune revue de la littrature, dfinissent quant
elles la transmission comme un processus pouvant s chelonner entre le moment o le
prdcesseur/cdant commence rflchir son projet de transmission et le moment o la
direction et la proprit de lentreprise sont officiellement entre les mains du
successeur/repreneur et au cours duquel sont interpelles diverses catgories dacteurs
provenant des environnements interne et externe de cette mme entreprise (p.4).
Ltude de chacun de ces transferts fait appel diverses sciences (Donckels, 1995 ;
Brouard et Cadieux, 2007), le transfert de proprit renvoyant aux approches comptable,
financire et juridique et le transfert de direction une approche managriale.
-
19
Le transfert de la proprit est le volet du phnomne pour lequel il existe une grande
offre daccompagnement (APCE, 2003, 2012). Les rflexions cette tape portent alors sur le
contenant et le contenu de la transmission. Le contenant renvoi la structure juridique de
lentit et le contenu aux lments qui seront transmis. Laspect fiscal est prdominant pour le
cdant alors que cest laspect juridique qui intresse davantage le repreneur. Le challenge est
alors de trouver le compromis entre les deux parties, rsultat dune ngociation qui peut
prendre plus ou moins de temps selon les aptitudes des protagonistes faire des concessions.
Le cdant cherche obtenir le maximum de valeur pour cette cession et opte pour la solution
qui lui fera payer le moins dimpts alors que le repreneur cherche faire baisser au
maximum le cot de cette transaction afin de commencer son activit avec plus de confort et
opte pour la structure juridique en adquation avec son projet de reprise. Repreneur et cdant
se font conseiller et accompagner par des avocats daffaires, des experts-comptables ou
encore des cabinets de conseil spcialiss, autant de partenaires qui disposent de lingnierie
ncessaire latteinte du compromis permettant la satisfaction des deux parties.
Une fois la transmission rendue officielle dun point de vue juridique, il reste raliser
effectivement cette opration avec une temporalit propre chaque cas de transfert. Le
repreneur, maintenant propritaire, doit devenir dirigeant. Contrairement au transfert de
proprit qui ncessite beaucoup de temps en amont mais prend immdiatement effet au
moment de la signature de lacte de vente, le transfert de direction prsente un schma
inverse. Il suffit de, relativement, peu de temps pour que le nom du dirigeant change, mais ce
changement peut, dans les faits, tre effectif plus tard, et sans certitude quant lhorizon
temporel prendre en compte. En effet, le changement effectif de dirigeant implique
lacceptation du repreneur par lensemble des parties prenantes de lentreprise et constitue, en
ce sens, une opration dlicate. Alors que le transfert de la proprit reste moins
problmatique tant il existe des ingnieries dveloppes et disponibles, le transfert du pouvoir
et de lautorit constitue un srieux problme. Figener et al. (1996) soulignent ce sujet: Il
nexiste peut-tre aucun vnement se produisant dans la vie dune organisation qui serait
plus crucial que la passation du pouvoir et de lautorit du PDG en exercice un
successeur. 10
(p.15). Le changement du dirigeant constitue ainsi un vnement non neutre
dans la vie de lentreprise et dont ltude pour le cas de la PME en est encore au stade
embryonnaire.
10
Traduction libre de lauteur de: Perhaps no recurring event in the life of an organization is more
critical than the transfer of power and authority from the incumbent CEO to a successor.
-
20
De nombreux travaux, essentiellement publis outre-Atlantique, se sont intresss
ltude du changement de dirigeant-salari dans la grande entreprise. Ces recherches en
tudient soit les antcdents (performance de lentreprise, climat social, structure du conseil
dadministration), soit les consquences (performance de lentreprise, orientation
entrepreneuriale) ou soit les deux simultanment (Giambatista et al., 2005). Les travaux sur
la transmission peuvent en partie tre vue comme lquivalent de ce courant de recherche
mais tourn vers la PME o le dirigeant est souvent le propritaire, lopration tant qualifie
de complexe et htrogne (Brouard et Cadieux, 2007, p.3).
La complexit de la transmission relve dun certain nombre de facteurs, dont
quelques-uns sont relevs dans les paragraphes suivants.
Un premier facteur de la complexit de la transmission dentreprise tient dans la
diversit des situations quelle recouvre. Ainsi, selon la nature du lien qui existe entre les
deux protagonistes de lopration et lentreprise en jeu, une multitude de cas de figure existe
(Brouard et Cadieux, 2007 ; De Freyman et Richomme-Huet, 2010). Le tableau suivant (cf.
Tableau 2) illustre cette diversit avec quatre situations possibles, chacune dentre elles
prsentant des particularits.
Lien avec lentreprise
Interne Externe
Fam
ille
du
dir
igea
nt
Inte
rne
Succession Succession
Exte
rne Reprise dentreprise par
ses salaris /
Management Buy-Out
Reprise dentreprise par une
personne physique extrieure
/ Management Buy-in
Tableau 2 - Oprations que recouvre la transmission
Ainsi, selon que le repreneur soit interne ou externe lentreprise, membre ou non de
la famille du dirigeant, la forme de lopration diffre et conduit des problmes en partie
singuliers.
Il est galement important de souligner la diversit des motivations qui peuvent
amener un individu vouloir cder et un autre vouloir reprendre. Pour le cdant, la volont
de transmettre son entreprise peut tre motive par un dpart la retraite, un souhait de
-
21
raliser une plus-value, une fatigue et une lassitude ou encore lincapacit rentabiliser
lentreprise. Pour le repreneur, de lenvie de devenir son propre patron la volont de mettre
fin une priode de chmage trop longue, nombreuses sont les motivations qui peuvent
lamener franchir le pas. De ce fait, chaque cas de transmission peut tre vu comme unique,
compliquant la tche du chercheur qui souhaite discerner des constantes.
Il sagit ensuite dun processus non neutre pour les entits impliques. Bouchikhi
(2008) propose de comparer la cession-reprise dune entreprise la transaction de trois autres
biens, savoir : un stylo, un jet et un chteau prestigieux. Lauteur sintresse chaque fois
aux consquences qua lchange sur ses protagonistes ainsi que sur le bien en jeu (cf.
Tableau 3). Le niveau de complexit de la transmission dentreprise sexplique alors par le
fait quau-del dune altration de lidentit du vendeur et de celle de lacheteur durant
lopration, cest aussi la nature intrinsque du bien chang qui se voit modifie par
lopration.
Nature de limpact li sa transaction sur Niveau de
complexit Lacheteur Le vendeur Le bien
Bie
n c
on
sid
r
Un stylo nul nul nul 0
Un jet Entre dans le club
des possesseurs de
jet
nul nul +
Un chteau
prestigieux Entre dans le club
des chtelains
Perte dun
patrimoine, dune
mmoire
familiale.
nul ++
Une entreprise Devient dirigeant Perd son statut de
dirigeant
Subit les
perturbations lies
lopration
(changement
structurel, dpart de
salaris-clefs)
+++
Tableau 3 - La complexit de la transmission (adapt de Bouchikhi, 2008)
En effet, au terme de cette transaction singulire et souvent extraordinaire (cf. encadr
ci-aprs), lacheteur devient dirigeant, le vendeur devient ancien-dirigeant et lentreprise subit
cette greffe dlicate qui la modifie durablement.
Un autre facteur expliquant la complexit est li au caractre confidentiel de
lopration. Lincertitude que cre cet vnement rend sa gestion particulirement dlicate
pour le cdant qui garde le secret souvent trop longtemps. Cela explique en partie lopacit
-
22
dont souffre le march de la transmission o vendeurs et acheteurs peinent encore se trouver
(Deschamps, 2000; Bastie et Cieply, 2007 ; Bouchikhi, 2008 et 2009).
Lopration de transmission est complexe notamment du fait que lon est souvent en
prsence dun vendeur qui vend pour la premire fois un acheteur qui achte pour la
premire fois.
Propos recueillis le 19 juillet 2012 auprs dun Conseiller dEntreprises de la CCI de
Bordeaux.
Encadr 1 - Une opration extraordinaire
Enfin, les caractristiques inhrentes lobjet de la transmission constituent une autre
source de complexit. En effet, cette opration concerne essentiellement des PME et des TPE
(KPMG, 2008), entreprises de tailles diffrentes et surtout prsentes sur des secteurs
diffrents. Or, la taille de lentreprise impacte son mode de fonctionnement (Torrs, 2003),
tout comme le secteur dactivit auquel elle appartient peut influencer sa transmission (cf.
Picard et Thevenard-Puthod, 2006 et Picard, 2009, pour lentreprise artisanale et Audet et St-
Jean, 2009 pour lexemple du secteur de la rcolte forestire). A cela sajoute ltat de sant
de lentreprise au cur du processus, lment ayant des consquences sur le droulement de
lopration (Barbot et Deschamps, 2005).
La transmission est donc bien un phnomne complexe et htrogne (Brouard et
Cadieux, 2007) prsentant une multitude dangles dapproche pour le chercheur en gestion,
tant les problmes quelle recouvre sont riches et nombreux.
1.1.2. Cadrage de la recherche
La littrature traitant de la transmission souffre dune faiblesse lie au vocabulaire
quelle mobilise. A titre dexemple, le terme de transmission peut dsigner tantt le
phnomne dans son ensemble (celui du transfert de direction et de proprit entre deux
individus) et tantt dsigner le phnomne du point de vue du cdant (cf. Editorial du numro
spcial de la RIPME, Cadieux et Deschamps, 2009). De mme, on utilise le terme successeur
pour dsigner le repreneur hritier et de repreneur pour dsigner le tiers personne physique
mais qui peut aussi tre lhritier. On parle de succession pour voquer les cas de transmission
-
23
un hritier, mais aussi pour voquer le problme li au dpart de lancien propritaire-
dirigeant dune entreprise familiale (Meier, 2002).
En termes de vocabulaire, nous parlerons ici de :
- Transmission ou transfert dentreprise pour dsigner le phnomne dans son
ensemble, cest--dire en adoptant le point de vue dun observateur externe ;
- cession pour voquer le phnomne du point de vue du cdant ;
- reprise pour voquer le phnomne du point de vue du repreneur.
En anglais, la confusion est dautant plus grande que le terme de succession renvoie
tantt au changement de dirigeant et tantt la succession dans les entreprises familiales.
Pour dsigner le repreneur, on observe lutilisation des termes buyer ou encore de successor
lorsque ce dernier est issu de la famille ou de lentreprise. Il ne semble pas exister
dquivalent au terme de repreneur autre que ce dernier. Or le terme de buyer (que lon
traduirait par acheteur) prsente une part dimprcision dans la mesure o lacheteur nest pas
forcment le nouveau dirigeant. Cela motive notre proposition quant lutilisation du terme
de repreneur comme traduction en anglais de repreneur tiers externe. Enfin, le terme de
management buy-in (MBI) fait rfrence au cas du rachat dentreprises dune certaine taille
avec souvent, comme objectif, une rorganisation profonde dans le but de librer de la valeur.
Dans ce cas lacheteur nest pas forcment le dirigeant.
Nous ne nous intressons quau cas de la transmission une personne physique
excluant de ce fait les rachats par une autre entreprise qui sapparentent des oprations de
croissance externe. Laspect financier dune telle opration nous conduit centrer notre tude
sur la petite et moyenne entit.
Nous choisissons dapprocher le phnomne dans une perspective entrepreneuriale en
adoptant langle du repreneur. Il est vident que toute reprise ou succession ne sapparente
pas un acte entrepreneurial et il est peut tre parfois exagr de parler dentrepreneur pour
dsigner tout repreneur dentreprise ou tout successeur (cf. Carland et al.; 1984, pour le dbat,
dj ancien sur le statut dentrepreneur). La reprise dentreprise reprsente plutt un contexte
propice lmergence du phnomne entrepreneurial, aux cts de la cration ex-nihilo
-
24
(Donckels, 1995)11
, o une impulsion (Verstraete, 2003) peut tre observe. Cest bien dans
cette logique que Ucbasaran, Westhead et Wright (2001) placent les cas de management buy-
out (rachat de lentreprise par danciens salaris), de management buy-in (rachat de
lentreprise par un ou plusieurs individus externes lentit) ainsi que la succession dans leur
panorama des axes de recherche en entrepreneuriat. Que le repreneur soit le descendant, le
salari, un partenaire ou un tiers externe inconnu de la firme, sa dmarche peut donc tre
entrepreneuriale.
Deschamps (2003) mobilise deux modles afin de placer la reprise par une personne
physique (RPP) dans ce domaine de recherche. La grille de lecture dialogique de Bruyat
(1993) permet ainsi de positionner diffrentes histoires de reprises en apprciant le degr
dentrepreneuriat pour chacune dentre elles mais les limites quelle pose amnent lauteur
adopter une perspective diffrente o lentrepreneuriat est vu comme un phnomne : la
vision conceptuelle de Verstraete (1999). De ces travaux ressort la dfinition suivante : la
RPP de nature entrepreneuriale est incarne par un ou plusieurs individus sassociant en
impulsant une nouvelle organisation sur la base dune entit rachete afin dapporter une
valeur accrue, voire nouvelle, aux parties prenantes leur projet (p.69). Lauteur entend
par repreneur un nouveau propritaire-dirigeant, seul ou abrit derrire une structure
limitant ses risques personnels, qui achte, de manire onreuse, une cible en
fonctionnement (p.61).
Hunt (2011) propose une dfinition incorporant lintention entrepreneuriale. Il parle de
reprise entrepreneuriale (Entrepreneurship Through Acquisition - ETA dans la suite du texte)
comme lacquisition dune PME existante par un entrepreneur dans le but de lamliorer et
de la dvelopper au travers de stratgies de transformation qui vont remodeler
fondamentalement son rapport au march. 12
(p.2). Lauteur souligne le manque critique de
recherches consacres lETA alors mme que ce dernier constitue une forme
dentrepreneuriat prsentant moins de risques que la cration pure. Lauteur explique le
manque de recherches portant sur cette modalit entrepreneuriale par labsence de bases de
donns la disposition des chercheurs.
11
Donckels (1995) commence son article en indiquant que : Two paths lead to entrepreneurship :
either start up ones own enterprise or take over an existing enterprise p.143 12
Traduction libre de lauteur de : the acquisition of an existing small or medium-sized business by
an entrepreneur of the purpose of expanding and enhancing the business through transformational
strategies that fundamentally reshape market processes
-
25
Notre tude est centre sur la modalit de reprise par une personne physique externe
lentreprise et la famille du cdant. Cette modalit est la plus risque et pourtant la plus
rpandue. En effet, ltude OSEO-BDPME (2005) indique que le risque dchec de
lopration est diminu dun tiers lorsque le repreneur connat lentreprise (avec un effet
maximal dans le cas dune succession) et que dans la majorit des cas (entre 60% et 89%
selon le secteur dactivit considr) le repreneur est sans lien avec lentreprise quil reprend.
Cette modalit implique une forte asymtrie dinformation, un faible niveau de confiance
ainsi que des relations plus distantes entre des protagonistes qui ne gardent que trs peu
contact une fois lopration ralise (Howorth et al.,2004). Ces aspects justifient lintrt que
lon doit porter cette modalit. Dautre part, bien que lon observe une prolifration de
travaux consacrs ce cas de reprise depuis une dizaine dannes, on ne peut que constater la
faiblesse des connaissances acquises face celles dont nous disposons notamment sur la
succession (Le Breton-Miller et al., 2004).
Devant le manque de travaux acadmiques traitant de ce cas de figure, nous
mobiliserons, quand il sera jug ncessaire, des travaux traitant de problmes annexes tels que
le changement de dirigeant dans la firme actionnariale, ou encore la transmission familiale.
Nous abordons ici le phnomne de la transmission sur la base des travaux
scientifiques disponibles lheure actuelle et accessibles (littrature anglophone et
francophone). Nous sommes toutefois conscients que dautres travaux existent certainement,
notamment au sein des pays europens mais qui, faute de valorisation linternational nous
restent mconnus.
1.1.3. Le processus de transfert une personne physique
La transmission dune entreprise un tiers externe est un phnomne comportant deux
dimensions : la reprise et la cession.
La reprise est le processus par lequel le repreneur devient le propritaire dirigeant de
lentreprise et la cession est le processus par lequel le cdant transmet la proprit et la
direction de son entreprise un tiers. Ces deux processus sont intimement lis car, dune part,
ils impliquent la mme entreprise et, dautre part, ils se confondent durant certaines phases
-
26
(ex : priode de transition). Les travaux se sont essentiellement intresss au processus de
reprise dentreprise.
a. La modlisation du processus de reprise dentreprise
Les travaux de Deschamps (2000) permettent dclairer le phnomne de la
transmission par une approche centre sur le repreneur. Ces derniers apprhendent de manire
globale la reprise dentreprise et mettent au jour son processus (cf. Figure 2). Ces travaux
parlent de processus repreneurial. Il sagit dun processus que lauteur dcoupe en trois
phases dont la dernire correspond la reprise proprement parler.
On distingue ainsi les 3 temps suivants :
1 - Le processus qui conduit lindividu vers la prise de dcision de reprendre.
Plusieurs facteurs interviennent cette tape et cest la conjonction de ces derniers qui
conduit lindividu prendre la dcision ou non de reprendre. On distingue alors les
composantes propres lindividu de celles lies lenvironnement dans lequel il volue. En
bref, il existe un ensemble dlments qui vont amener le sujet entreprendre et choisir
entre reprendre ou crer. Il manque encore des travaux permettant de comprendre les rouages
de ce choix13
.
2 - Le processus de reprise que caractrise lengagement du repreneur potentiel dans
une dmarche active concrtise par la signature de lacte de vente.
Lindividu va alors procder une rflexion sur ladquation du projet avec ses
aspirations et comptences. Cela va lui permettre de se constituer un cadre permettant la
dtection des cibles. Une ngociation dbute ensuite avec les vendeurs avec lappui ventuel
de conseillers. Ces ngociations conduiront ensuite la signature de lacte de vente de
lentreprise qui officialisera le transfert de proprit.
3 - Le processus dentre dans lentreprise qui concrtise le statut de dirigeant
repreneur.
13
Cf. Parker et al. (2012) pour une recherche empirique rcente visant expliquer ce choix.
-
27
Ce processus diffre selon la nature du lien quentretient le repreneur avec la cible
(salari, partenaire, externe). Comme tout processus, il est itratif et la dure de chacune des
phases est variable en fonction des cas tudis.
Audet et St-Jean (2009) critiquent la prsence de la premire tape (celle de la
dcision de reprendre) quils considrent comme tant antrieure au processus de reprise, le
choix entre cration et reprise ntant pas encore pos. Nous nous accordons toutefois avec le
propos de Deschamps (2000) qui dcrit un processus de reprise dont lamorce intervient une
fois la dcision de racheter prise. Une autre solution serait, notre avis, didentifier une
impulsion, un acte ou tout lment observable (ex. rapprochement avec une partie prenante)
comme tant le point de dpart du processus. Cette manifestation tangible faciliterait le
reprage du dbut du processus pour lobservateur externe et permettrait aussi didentifier les
processus qui avortent.
-
28
Figure 2 - Le processus repreneurial (Deschamps, 2000, p393)
-
Picard et Thevenart-Puthod (2006) considrent un processus comportant les quatre
phases suivantes :
- La prparation : le repreneur se prpare lopration (psychologiquement et
matriellement) ;
- Laccord : phase technique pour laquelle il existe la plus grande offre
daccompagnement ;
- La transition : permet un transfert du capital social par la prsence au sein de
lorganisation en fonctionnement du cdant et du repreneur. Ce transfert implique une
bonne entente entre les deux acteurs. Lambigit de la double direction rend cette
priode propice de nombreux conflits ;
- Le management de la reprise : Le repreneur se retrouve seul diriger la structure
quil a achet. Il doit alors sadapter cet environnement quil ne connat que depuis
peu. Il lui faut surmonter de nombreuses difficults pour mener bien son projet. le
repreneur dirige seul une structure quil ne connat que partiellement, travaille avec
des salaris quil na pas recrut, pour le compte de clients quil na pas dmarch
(p.101).
Bien que le dcoupage du processus diffre dun auteur lautre, on retrouve
globalement les mmes lments dans ces derniers.
b. La prise en compte de la dimension cession pour la modlisation du processus de transfert dentreprise
Le cdant napparat que de manire implicite dans les modlisations du processus de
reprise (Deschamps, 2000 ; Picard et Thvenard-Puthod, 2006). Une plus grande attention lui
a t porte dans les modlisations du processus de succession familiale (Cadieux et al.,
2002). Le processus de cession dentreprise commence avec la prise de dcision par le cdant
de cder sa socit (Brouard et Cadieux, 2007) et se termine avec le dpart de ce dernier de
lentreprise. La question de la pertinence dune approche globale du phnomne (intgrant
cession et reprise) est encore problmatique alors que de plus en plus de travaux plaident pour
cette dernire (De Freyman et Richomme-Huet, 2010).
Nous pouvons ainsi considrer la transmission-reprise ou le transfert dentreprise
comme un processus comportant deux dimensions (la reprise et la cession) chacune pilote
par un acteur central (le repreneur et le cdant) impliquant une entreprise (dans son ensemble)
-
30
et aboutissant au transfert effectif de la proprit et de la direction. Le schma ci-dessous (cf.
Figure 3) ne vise qu illustrer cette approche du phnomne.
Figure 3 - Proposition de schmatisation dune approche globale du processus de transfert
dentreprise
Afin de pouvoir reprer le dbut de chacun des processus, lun relatif au cdant et
lautre, au repreneur, nous retenons limportance de lidentification dune impulsion se
traduisant par un acte observable (ex. prise de contact avec un conseiller, annonce de la
dcision aux salaris). Cet lment permet de borner le dbut du processus et den faciliter
lobservation.
Nous parlerons de cdant et de repreneur partir du moment o les deux
protagonistes se rencontrent. Comme schmatis ci-aprs (cf. Figure 4), lindividu A
devient A- en prenant la dcision de cder son entreprise au terme dune longue rflexion.
Il engage ensuite des dmarches afin de prparer lentreprise cette opration. De son ct,
lindividu B devient B+ au terme du processus de prise de dcision de reprendre. Il se
prpare alors tant psychologiquement que matriellement reprendre une entreprise. La
rencontre des deux individus les place en positions de cdant et de repreneur.
Figure 4 - Zoom sur les protagonistes de l'opration de transfert d'entreprise
-
31
c. La phase de transition : tape charnire de la transmission
[] Voici deux transmissions dentreprises russies en ce sens que
cdants et repreneurs entretiennent dexcellents rapports (ce qui nest
pas frquent voire exceptionnel sur la dure).
Extrait dun change par e-mail avec un conseiller dentreprises du Conseil Rgional
dAquitaine.
Encadr 2 - La phase de transition : une cohabitation dlicate
La phase de transition apparat comme la phase la plus dlicate et dont le poids dans la
russite du projet est trs important (Fiegener et al., 1996). Elle dbute avec lentre du
repreneur dans la firme quil vient dacqurir et sachve avec le dpart du cdant (a minima
de ses fonctions de dirigeant). Sa dure est variable et va de quelques semaines plusieurs
mois (Oso, 2005). La prennit de la firme y est en jeu (Colot, 2009) et dpend en partie de
la capacit du repreneur scuriser son investissement (De Freyman, 2010). Lenjeu de cette
tape est entre autres de prserver lentreprise au cur de la transaction. Le maintien des
ressources humaines, qui sont une source davantage comptitif cruciale lentreprise
(Barney, 1991), doit tre au cur des attentions. Les auteurs saccordent dire que cette tape
ncessite attention et prparation afin de dfinir en amont des conditions optimales son bon
droulement (notamment au regard de sa dure). Une transition trop brutale risquerait
daltrer les relations avec les parties prenantes de lentreprise et entraner ainsi le dpart
demploys cls ou encore la perte de clients importants (Bah, 2009). Plusieurs travaux
tendent montrer lexistence dune influence positive de la dure de cette transition sur
lissue de lopration (Barach et Ganitsky, 1995 ; Morris et al., 1997 ; Colot, 2009). Goldberg
(1996) montre dans son tude que les successeurs possdant une plus grande exprience en
termes dannes passes au sein de lentreprise familiale russissent mieux que les autres.
-
32
Ce nest pas parce que cest sign que le relais est pass. Il faut que chacun sache
seffacer. Au dbut pour le repreneur et la fin pour le cdant [de la priode de
transition].
Propos recueillis le 20 juin 2012 auprs dun dlgu rgional dune association nationale
daccompagnement la transmission.
Encadr 3 - La phase de transition : une opration deux
Cest aussi durant cette phase que les conflits sont les plus frquents. Une difficult
tient au fait que peu de personnes dans lentreprise sont en position dintervenir entre le
cdant et le repreneur et ainsi les aider surmonter les crises ou conflits naissants (Ciampa et
Watkins, 1999). Wang et al. (2004) soulignent que plus lentreprise est de petite taille et plus
les relations entre les protagonistes doivent tre bonnes compte tenu de la proximit des
interactions quils seront amens entretenir durant le processus de transmission.
Les travaux de De Freyman (2009) dcomposent la priode de transition en 3 temps :
- la phase dobservation o le repreneur apprend et scurise son investissement ;
- la phase de bascule durant laquelle le repreneur va gagner en autonomie dans un
systme o il dispose maintenant de repres, il va merger en tant que dirigeant ;
- la phase dmancipation, le repreneur est maintenant le dirigeant oprationnel de
lentit reprise.
Lauteur propose, dans une dmarche plutt normative fonde sur une investigation
qualitative (13 cas, 28 entretiens, 5 observations passives), ltude dtaille de cette tape clef
dans la reprise. Aprs avoir justifi thoriquement lexistence de cette dernire par une lecture
mobilisant les thories contractuelles de la firme, lauteur fait appel la thorie du contrat
psychologique afin denrichir la comprhension de cette phase de cohabitation entre les deux
protagonistes de lopration. Ainsi, lexistence implicite dattentes et dobligations morales
entre ces deux acteurs constitue le fondement de cette relation singulire. Cette lecture du
phnomne permet une comprhension enrichie des dynamiques observes (notamment des
cas dchecs de la priode de transition).
Fattoum et Fayolle (2008) expliquent, en tudiant des cas de successions familiales
que Tout au long du processus de succession, il y a un transfert de responsabilits, de
savoir-faire et de leadership mais pas de pouvoir, ce dernier ne pouvant tre partag
-
33
(p.112). Le processus de transmission influencerait ainsi ltat des relations entre le
prdcesseur et le successeur. Ces dernires seraient tendues durant les phases dentre du
successeur et de dpart du dirigeant laissant entre les deux une priode de complicit entre les
deux protagonistes. La relation entre le prdcesseur/cdant et le successeur/repreneur
apparat comme un dterminant clef de lissue de lopration.
Reid et Karambayya (2009) soulignent les difficults lies une coordination exerce
par deux acteurs. Sur la base de 8 tudes de cas dorganisations codiriges par deux individus,
les auteurs montrent que cette situation gnre de nombreux conflits et ne permet pas une
gouvernance optimale. En effet, les codirigeants peuvent possder des visions diffrentes
voire contradictoires rendant la codirection conflictuelle voire nfaste pour lentreprise.
Dautres travaux sintressent limportance du moment o intervient ce changement
de dirigeant. Rowe et al. (2005)14
, en faisant le rapprochement avec les transitions de leaders
dans les clubs sportifs, montrent que l'effet sur la performance de l'entreprise du changement
de dirigeant dpend du moment o intervient ce dernier. En tudiant le cas du hockey, il est
dmontr quun changement de leader intervenant durant la saison tend avoir une influence
ngative sur la performance de lquipe.
De Freyman (2009), en se basant sur les travaux de Handler (1990), prsente les
volutions successives des rles respectifs occups par le prdcesseur et le successeur
permettant le bon droulement de la transition (cf. Figure 5). Ainsi, le successeur dbute le
processus en adossant un rle dassistant auprs dun monarque qui sera ensuite son
superviseur lui laissant les fonctions de gestionnaire. Son mancipation lui permet de devenir
le leader, son prdcesseur occupant ainsi durant un certain temps le rle de consultant. Il
sagit ici dun droulement idal favorisant la russite de lopration. Dans les cas de reprise
par un tiers externe, on observe souvent une rupture trs prcoce de la relation liant les deux
protagonistes (OSEO-BDPME, 2005) empchant le bon transfert des ressources clefs.
14
Travaux issus de la littrature sur le changement de dirigeant
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34
Figure 5 - La succession comme processus d'adaptation des rles (adapte de Handler, 1990) - De Freyman (2009)
Afin de cerner lensemble des spcificits que comporte la transaction dune
entreprise, nous proposons daborder le phnomne sous les angles successifs du repreneur
(1.2.) et du cdant (1.3.).
1.2. Approche par le repreneur
Un individu devient repreneur au terme dun long processus non linaire parsem de
priodes de doutes et de difficults surmonter diffrentes selon le profil de ce dernier
(1.2.1.). Nous proposons de retenir le processus de reprise comme fil conducteur de notre
expos en abordant successivement la dcision de reprendre (1.2.2.), la recherche dune cible
(1.2.3.) et son valuation (1.2.4.). Nous nous intressons ensuite au problme de lasymtrie
dinformation (1.2.5.) avant dexposer la question du financement de lopration (1.2.6.) pour
enfin aborder lpreuve de lentre dans lorganisation et limpulsion du changement (1.2.7.).
1.2.1. Profils et niveaux de difficults
Deschamps (2000) dfinit le repreneur personne physique comme un individu (ou
plusieurs individus), seul ou abrit derrire une structure limitant ses risques personnels, qui
achte, de manire onreuse, une firme, en devient le propritaire et le dirigeant. Il constitue
un nouveau dirigeant la fois en termes de proprit et de gestion (p.120).
La littrature distingue plusieurs profils de repreneurs selon la nature du lien existant
entre ces derniers et la cible. On peut ainsi observer trois profils de repreneurs (De Freyman et
-
35
Richomme-Huet, 2010). Le repreneur peut tre un hritier interne ou externe lentreprise,
lopration tant alors une succession. Le repreneur peut tre salari de lentreprise,
lopration tant alors une reprise par les salaris (RES)15
, ou enfin un tiers, personne
physique externe lentreprise menant alors une opration de Management Buy-in (MBI).
Ltude OSEO-BDPME (2005) mene auprs de PME de trois secteurs dactivits
(ICTCS16
, commerce de dtail et services la personne, tourisme) permet de mieux connatre
le repreneur type. Il sagit dun homme dune quarantaine dannes, dun niveau de formation
lev et qui dispose dune exprience du domaine dactivit concern par la reprise. Cette
tude montre que pour prs de 80% des reprises par personne physique, le repreneur est
externe lentreprise. Ltude Transregio (2005) vient confirmer cette tendance qui veut que
de moins en moins de descendants reprennent lentreprise de leurs parents. Cette situation est
par ailleurs la plus risque compare des cas de reprise par des salaris ou par un hritier.
En effet, il est ais de comprendre que les difficults auxquelles le repreneur va faire
face sont lies sa proximit (presque gographique) avec la position quil envisage
doccuper : la direction de lentit reprise. Le niveau de difficult est li tant des barrires
sociales (Boussaguet, 2008, Bornard et Thevenard-Puthod, 2009) qu des barrires renvoyant
aux savoirs et aux comptences attendus (Cadieux, 2007). Van Maanen et Schein (1979)
parlent de frontires (boundaries) pour dcrire ces barrires. La figure ci-dessous (cf. Figure
6) permet dillustrer le niveau de difficult auquel devra faire face le repreneur selon son
profil en dbut du processus. En effet, afin datteindre la position souhaite (symbolise par le
D de direction), lindividu devra franchir plus ou moins de barrires (le secteur dactivit,
lentreprise, les niveaux hirarchiques, la famille). De Freyman (2010) souligne limportance
de ces difficults lies au profil du repreneur dans son tude des cas de repreneurs hors-
metier . Ltude OSEO-BDPME (2005), mene auprs dun chantillon de 3000 oprations
de transmission illustre ce phnomne en valuant les facteurs de risque et de russite de la
transmission. Les rsultats confirment que plus le repreneur se situe loin du point D , plus
lopration comporte un risque dchec important. A titre dexemple, le niveau hirarchique
des fonctions prcdemment occupes par le repreneur influence ses chances de russite de
manire significative.
15
Dsigne aussi par Management-Buy Out (MBO) 16
Industrie, construction, transports, commerce de gros, services aux entreprises
-
36
Figure 6 - Proposition dun schma croisant le profil du repreneur avec les barrires franchir
Le schma souligne les obstacles franchir selon les caractristiques du profil de
lentrepreneur. Ainsi :
- P1 correspond au profil repreneur externe nayant aucune exprience du secteur et
de management
- P2 correspond au profil repreneur ancien-salari
- P3 correspond au profil successeur interne lentreprise
- P4 correspond au profil successeur externe lentreprise mais issu du mme secteur
dactivit
- P5 correspondant au profil successeur externe lentreprise ainsi qu son secteur
dactivit
Chacun de ces profils prsente des particularits qui faonnent lopration. On
retrouve l lune des explications lhtrognit du phnomne (Brouard et Cadieux,
2007).
En rsum, selon quil sagisse dune reprise par une personne externe, situation qui
cumule le plus dobstacles (Paturel, 2000), ou dune succession par un membre de la famille,
les problmatiques seront diffrentes. Crenn (2008) rsume, sur la base dune revue de la
littrature les diffrences entre ces deux modes de transmission (cf. Tableau 4). Lauteur
entend par tiers personne physique un tiers externe lentreprise. La succession familiale
semble prsenter ainsi des lments facilitateurs tels que la dure de lopration relativement
longue permettant une transition en douceur, mais la dimension familiale apporte une certaine
complexit faonnant ainsi tout le processus.
-
37
Tableau 4 - Principales diffrences entre la reprise par un tiers personne physique et celle effectue par un membre de la famille , Crenn (2008)
Bien que lexistence dun lien de parent puisse tre perue comme un lment
facilitateur, les deux protagonistes ayant des intrts convergents (Fattoum et Fayolle, 2008),
la succession familiale semble cependant moins performante que la reprise par un tiers
externe. Les travaux de Colot (2009) mettent ainsi en vidence, sur la base dune tude
quantitative mene auprs de 83 cas de transmission, leffet ngatif qua le repreneur interne
( la famille) sur la performance de lentreprise. Lauteur souligne que dans cette situation, le
repreneur peut tre externe lentreprise (explication par les comptences) ou bien prendre la
relve contrecur (explication par les motivations). Le repreneur externe a tendance avoir
une influence positive sur la performance de lentreprise. Lauteur explique cela du fait que ce
dernier apporte une connaissance et un savoir-faire nouveaux et quil a tendance mettre en
place une nouvelle stratgie.
Dautres typologies du repreneur ont t labores sur la base dautres critres plus ou
moins discriminants que celui du lien pralable avec la cible. Deschamps (2000) distingue
ainsi, sur la base dune tude statistique de donnes issues de questionnaires (analyse
factorielle, analyse typologique, analyse discriminante), 5 groupes de repreneurs en fonction
de leurs motivations pour la reprise. Ses travaux distinguent ainsi :
-
38
- les non-motivs ou indcis, qui sont des individus pour lesquels la reprise ne
constitue quun palier et non une finalit ;
- les dtermins pour lesquels la reprise est laboutissement dun projet de carrire
- les contraints reprendre, qui nont pas recherch la reprise mais ont saisi une
opportunit leur permettant de se crer leur propre emploi et atteindre un certain
niveau de vie ;
- les sociaux qui reprennent plutt pour prenniser une firme et sauvegarder des
emplois ;
- les investisseurs qui abordent la reprise comme tant un placement comme un autre,
lopration reprsentant un dfi leur permettant de remettre en cause leurs
comptences.
Geraudel et al. (2009) proposent quant eux une typologie du repreneur en fonction
de la sant de lentreprise cible. Cette prise en compte du risque leurs permet de distinguer
trois catgories de repreneurs : les prudents, les aventuriers et les indiffrents.
Ces typologies, bases surtout sur des tudes quantitatives, permettent de multiplier les
approches dun mme acteur largissant ainsi le spectre des rflexions futures.
1.2.2. La dcision de reprendre
Lindividu prend la dcision de reprendre au terme dun processus qui reste encore
peu tudi (en comparaison du processus de la prise de dcision de crer). Dans le cadre de la
reprise par une personne physique, Deschamps (2000) propose une modlisation de ce
processus (cf. Figure 7) faisant intervenir des lments propres lindividu (antcdents et
motivations) et des lments lis lenvironnement externe (origine de lide et lment
dclencheur). Ce processus peut servir de grille danalyse des dterminants de la dcision de
reprendre.
-
39
Figure 7 - Le processus relatif la dcision dentreprendre du repreneur , (Deschamps,
2000)
Plus rcemment, Parker et Van Praag (2012) se sont intresss, sur la base dune tude
quantitative mene auprs dun chantillon de prs de 600 entrepreneurs (crateurs et/ou
repreneurs) hollandais, aux dterminants de ce quils appellent the entrepreneurs mode of
entry , ou le choix entre crer et reprendre. Leur tude montre que la cration ex nihilo
sassocie un niveau dtude plus important alors quune grande exprience de gestion, un
volume important de capitaux requis pour la cration ainsi quun risque industriel fort
favorisent la reprise dentreprise. Cieply et al. (2013) compltent ce constat en dmontrant,
sur la base de ltude dun chantillon de plus de 20 000 jeunes entreprises franaises, que le
capital social et les moyens financiers de lentrepreneur jouent aussi un rle dans cette
dcision. En effet, selon cette tude, un capital social important et de faibles moyens
financiers conduiraient crer ex nihilo alors quun faible capital social et dimportants
moyens financiers favoriseraient la reprise.
Block et al. (2013) enrichissent enfin la comprhension des dterminants de ce choix en
apportant des lments lis au pays dans lequel la dcision est prise. A partir de ltude dun
chantillon de 4 210 entrepreneurs de 33 nationalits diffrentes, leur recherche montre que
des facteurs pays tels que linnovation17
ou la charge administrative lie une cration
dentreprise influencent ce choix.
17
Apprcie par le nombre de brevets dposs
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40
Par ailleurs, Callot (2007), par une tude qualitative de nature exploratoire, indique
quil ne semble pas exister de fortes divergences dans les motivations du repreneur et du
crateur. Ainsi, les caractristiques du projet joueraient un rle prpondrant dans
lorientation de la modalit entrepreneuriale.
Grazzini et Boissin (2013) vont plus loin en proposant un clairage des processus
cognitifs guidant les dirigeants en matire de reprise d'entreprise. Dans la ligne des
recherches sur l'intention entrepreneuriale, les auteurs montrent l'importance des croyances et
du vcue des individus dans la formation d'une intention de reprendre. Une enqute ralise
auprs d'un chantillon de 245 dirigeants d'entreprise permet de distinguer quatre modles
mentaux, ou reprsentations de la reprise dentreprise, expliquant la volont de reprise des
dirigeants (cf. figure ci-dessous).
Reprsentations de la reprise dentreprise
Classe 1 une pratique peu valorise et difficile
Classe 2 une voie pour continuer entreprendre dans un esprit socital
Classe 3 une pratique entrepreneuriale constituant une voie
indpendante d'accomplissement professionnel
Classe 4 une pratique entrepreneuriale source de russite
professionnelle et personnelle
Tableau 5 - Typologie des modles mentaux relatifs la reprise d'entreprise (Grazzini et Boissin, 2013)
Dans le cadre de la succession, les motivations reprendre sont dun autre ordre. La
littrature voque les motivations que lon peut intuitivement attribuer ce genre doprations
telles que le dsir de perptuer la tradition ou encore celui dassurer la prennit de
lentreprise familiale. Bgin (2007) montre cependant que les successeurs sont davantage
motivs par le dsir de se faire plaisir et de spanouir (hdonisme individualiste) que par
des proccupations collectivistes ou par le sens de la communaut (remplir un devoir envers
la famille, poursuivre la tradition, faire plaisir aux parent) (p.30). Lauteur souligne que ce
comportement semble sinscrire dans les grandes tendances comportementales mises au jour
par les sociologues. Ainsi, cet hdonisme individualiste est le rsultat de la monte des valeurs
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individualistes et de lapparition du phnomne de lenfant-roi. Cette tude souligne lintrt
de considrer, lorsque lon sintresse au comportement des individus, lenvironnement dans
lequel ils voluent. La reprise apparat ici davantage comme le rsultat de lapparition dune
opportunit. Les travaux de Birley (1986) montrent par ailleurs que la pression que supportent
les successeurs des entreprises familiales durant la reprise nest en dfinitive pas impose par
les parents mais provient des repreneurs eux-mmes. Cette volution dans les motivations
reprendre pourrait annoncer des dmarches de plus en plus entrepreneuriales, lobjectif pour
les repreneurs tant de saffirmer (Deschamps, 2000) et pas de perptuer la tradition.
1.2.3. Trouver une entreprise reprendre
Afin dacheter une socit, le repreneur a besoin en amont de dfinir son projet pour
tre capable de reprer des cibles dont lvaluation engagera des ngociations en vue de
lacquisition de lune dentre elles.
Une fois la dcision de reprendre prise, le repreneu