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THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX ÉCOLE DOCTORALE SPÉCIALITÉ : ENTREPRISE, ECONOMIE, SOCIETE Par Alain MEIAR Le Business Model de l’entreprise transmise : comparaison de la représentation du repreneur avec celle du cédant pour contribuer à réduire le risque de faux pas Sous la direction de : M. le Professeur Thierry VERSTRAETE Soutenue le 15 septembre 2015 Membres du jury : M. CHABAUD, Didier Professeur à l’Université d’Avignon, rapporteur Mme HLADY RISPAL, Martine Maître de Conférences HDR à l’Université de Bordeaux, présidente M. TORRES, Olivier Professeur à l’Université Montpellier 1, rapporteur M. VERSTRAETE, Thierry Professeur à l’Université de Bordeaux, directeur de thèse M. VOISIN, Fabrice Directeur -Petites entreprises/économie solidaire- Pôle développement économique/Région Aquitaine, invité

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  • THSE PRSENTE

    POUR OBTENIR LE GRADE DE

    DOCTEUR DE

    LUNIVERSIT DE BORDEAUX

    COLE DOCTORALE

    SPCIALIT : ENTREPRISE, ECONOMIE, SOCIETE

    Par Alain MEIAR

    Le Business Model de lentreprise transmise : comparaison de la reprsentation du repreneur avec celle du cdant

    pour contribuer rduire le risque de faux pas

    Sous la direction de : M. le Professeur Thierry VERSTRAETE

    Soutenue le 15 septembre 2015

    Membres du jury :

    M. CHABAUD, DidierProfesseur lUniversit dAvignon, rapporteur

    Mme HLADY RISPAL, Martine Matre de Confrences HDR lUniversit de Bordeaux, prsidente

    M. TORRES, OlivierProfesseur lUniversit Montpellier 1, rapporteur

    M. VERSTRAETE, ThierryProfesseur lUniversit de Bordeaux, directeur de thse

    M. VOISIN, FabriceDirecteur -Petites entreprises/conomie solidaire-Ple dveloppement conomique/Rgion Aquitaine, invit

  • Titre : Le Business Model de lentreprise transmise : comparaison de la reprsentation du repreneur avec celle du cdant pour contribuer rduire le risque de faux pas

    Rsum :

    Selon le rapport de la Commission Europenne (2011), le dpart du dirigeant dune entreprise se traduit trop souvent par la disparition de cette dernire. Face lampleur du phnomne de reprise par un tiers physique externe, force est de constater le manque de travaux consacrs cette modalit entrepreneuriale (Durst et Wilhelm, 2009 ; Parker et van Praag, 2012) alors que de moins en moins de descendants sont prts prendre la relve (TRANSREGIO, 2005). Lun des challenges auxquels fait face le repreneur (personne physique) est li la ncessit dapprendre et de comprendre rapidement un systme complexe dont il assumera sous peu la responsabilit. Ce travail doctoral relve le risque de faux pas du repreneur dfini comme une action allant, sans que ce dernier en ait conscience, lencontre de la marche normale de lentreprise. Le cadre opratoire dploy met au jour la reprsentation que possde le repreneur du Business Model de lentreprise transmise pour la comparer celle du cdant et ainsi rvler des types dcart susceptibles de conduire des faux pas.

    Aprs un cas exploratoire, quatre cas de transmission ont t tudis sur la base dentretiens semi-directifs ayant permis de produire une version narrative des Business Models. Pour chacun des cas, la comparaison systmatique de la reprsentation du repreneur celle du cdant a permis lobservation de cinq cas de figure : carence, dissonance, concordance, prcellence et modles diffrents.

    Mots cls : Reprise dentreprise, Business Model, Risque de faux pas, Thoriedes conventions

  • Title: The Business Model of the transferred firm: comparison of the buyers and sellers representations to contribute to reducing the faux pas risk

    Abstract :

    According to the report of the European Commission (2011), owner-manager departures lead too often to the demise of the firm. Faced with the worrying growth of this phenomenon, little research has been conducted on non-family business successions (Durst et Wilhelm, 2009 ; Parker et van Praag, 2012) while fewer and fewer descendants are willing to take on the succession (TRANSREGIO, 2005), little research has been conducted on non-family business succession (Durst & Wilhelm, 2009). One of the main challenges faced by the buyer (individual) is to rapidly learn and understand a complex system which is going to be under his or her guidance. Our research brings to light the risk of faux pas which we define as a decision of the buyer which goes against the ordinary working of the firm, without the buyer being aware of it. Our research protocol formalises the buyers representation regarding the Business Model of the firm he buys to compare it with the sellers one. This comparison reveals types of deviations likely to lead to faux pas.

    After an exploratory investigation, four cases of business transfer have been studied using a semi-structured checklist allowing us to produce a written version of the Business Models. For each case, a systematic comparison of the buyers and the sellers representations allowed us to draw some conclusions bringing to light five situations: shortcomings, discordance, concordance, superiority and different models.

    Keywords : Business Transfer, Business Model, Faux pas, Convention theory

    Unit de recherche Institut de Recherche en Gestion des Organisations (IRGO), EA 4190

    Universit de Bordeaux - Ple Universitaire de Sciences de Gestion, Bt. C403 35, avenue Abadie 33 072 BORDEAUX

  • 1

    LUniversit de Bordeaux nentend donner aucune

    approbation ni improbation aux opinions mises dans la thse ; ces

    opinions devront tre considres comme propres leur auteur.

  • 2

    REMERCIEMENTS

    Je tiens remercier, en premier lieu, mon Directeur de thse, Monsieur le Professeur

    Thierry Verstraete pour mavoir chaleureusement accueilli au sein de son quipe de recherche

    et pour mavoir accompagn tout au long de ce parcours doctoral.

    Mes remerciements vont ensuite aux membres du jury, Mme Martine Hlady-Rispal,

    Messieurs les Professeurs Didier Chabaud et Olivier Torrs ainsi que Monsieur Fabrice

    Voisin davoir bien voulu porter leur attention sur ce travail.

    Je remercie galement Monsieur le Professeur Grard Hirigoyen pour mavoir accept

    au sein du Master II RGO de lIAE de Bordeaux.

    Je remercie le Conseil Rgional dAquitaine ainsi que la Chambre de Commerce et

    dIndustrie de Bordeaux de mavoir apport leur appui dans la phase de recherche de cas.

    Ma gratitude sadresse aussi mes collgues de lquipe de recherche en

    Entrepreneuriat du laboratoire IRGO, pour leurs conseils aviss et leur gentillesse.

    Je tiens remercier ensuite lensemble de mes collgues du dpartement Techniques

    de Commercialisation de lIUT Bordeaux Montesquieu pour mavoir accueilli et pour mavoir

    fait confiance.

    Jai beaucoup appris et jai certainement grandi, je tiens remercier ceux, et ils se

    reconnatront, avec qui jai pu partager : mes craintes, mes doutes, mon bureau, mon temps,

    mon logement, mes voyages, mes escapades nophiles, mes matchs de volley, mes djeuners,

    mes traductions, mes instruments de musique, mes confrences, mes footings, mes rgimes,

    mes plaisanteries, mes questions concernant le test du khi-2, mes questions concernant le PPP,

    mes questions mthodologiques, mes questions concernant les traditions dans le Nord, le

    Barn, le Maroc, lItalie, la Belgique, les Carabes ou encore la Moldavie, mes aventures

    pdagogiques, mes premiers pas sur veloce21

    Je souhaite clturer ce propos en exprimant ma sincre gratitude mon entourage

    personnel qui a su accepter ma dmarche et me tmoigner son soutien inconditionnel ainsi

    qu ma fiance qui a su donner un sens ma vie.

    Ce travail leur est ddi.

  • 3

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION GENERALE ............................................................................................ 4

    Partie I : LA TRANSMISSION DENTREPRISE ET LA REPRESENTATION DU BUSINESS DU REPRENEUR PERSONNE PHYSIQUE ................................................. 15

    Chapitre 1. La reprise par un tiers externe .......................................................................... 18

    Chapitre 2. Une littrature fragmente et un probleme non etudi ..................................... 76

    Chapitre 3. Ltude de la representation du business du repreneur : mobilisation du

    concept de Business Model selon une perspective conventionnaliste .............. 106

    Partie II : UNE METHODE MOBILISANT LE BUSINESS MODEL POUR APPRECIER LES ECARTS REPRESENTATIONNELS DES PROTAGONISTES

    DUNE TRANSMISSION ................................................................................................... 136

    Chapitre 4. Quel outillage pour accder la reprsentation que possde lacteur de la convention : le choix du cadre opratoire ......................................................... 138

    Chapitre 5. Analyse intra-cas de quatre transmissions ..................................................... 160

    Chapitre 6. Discussion sur lutilit de la mobilisation du Business Model en contexte de

    transfert dentreprise ......................................................................................... 276

    CONCLUSION GENERALE ............................................................................................. 296

    BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 299

    TABLE DES MATIERES ................................................................................................... 318

    TABLE DES FIGURES ....................................................................................................... 320

    TABLE DES ENCADRES ................................................................................................... 322

    TABLE DES TABLEAUX .................................................................................................. 323

    ANNEXES ............................................................................................................................. 329

  • 4

    INTRODUCTION GENERALE

    Selon le rapport de la Commission Europenne (2011), le dpart du dirigeant dune

    entreprise se traduit encore trop souvent par la disparition de cette dernire. Des emplois sont

    alors dtruits, des savoir-faire se perdent et cest tout le rseau auquel lentit tait

    connecte qui peut en souffrir. A linverse, une transmission russie peut tre un moyen de

    redynamiser une organisation ventuellement vieillissante et dy impulser une nouvelle

    dynamique (KPMG, 2008). Avec prs dun dirigeant de PME sur trois remplacer en Europe

    sur la dcennie 2005-2015 (CE, 2006a)1, la transmission dentreprise sest invite au cur des

    proccupations des gouvernements et des institutions du dveloppement local.

    La transmission peut se dfinir comme une opration de transfert de proprit et de

    direction dont lobjectif est dassurer la prennit de lentreprise, donc son dveloppement

    (Barbot et Richomme-Huet, 2006). Elle affecte le cdant, le repreneur, la firme, leur

    lenvironnement proche et plus largement lconomie au moins lchelle rgionale

    (Deschamps, 2000 ; Bouchikhi, 2008 ; DeTienne, 2010). En ce dbut de 21me sicle, force

    est de constater que de moins en moins de descendants souhaitent prendre la relve de

    lentreprise familiale en Europe (TRANSREGIO, 2005). En France, pas plus de 10% des

    transmissions sont des successions familiales (BPCE, 2011), les dirigeants sont alors conduits

    se tourner vers des repreneurs externes.

    Ainsi, dans la majorit des cas de transmission, le repreneur est sans lien avec

    lentreprise quil reprend. Cette opration concerne essentiellement de petites et moyennes

    entits qui constituent un maillon central de nos tissus conomiques (prs de 99% des

    entreprises en Europe - CE, 2013). Leur transmission concerne plus dun million demplois

    moyen terme (KPMG, 2008). Pour accompagner le processus de transmission, des structures

    tant prives que publiques se mettent peu peu en place depuis une dizaine dannes.

    Nanmoins, les progrs sont jugs encore insuffisants (CE, 2006b) et la prise de conscience

    1 et sept sur dix au Canada (Bruce et Picard, 2006)

  • 5

    face lampleur du phnomne est faible (CE, 2011) ; beaucoup reste faire afin que le

    dpart du dirigeant ne se traduise pas par la disparition de lentreprise (KPMG, 2008). Les

    difficults trouver un repreneur, convenir dun prix o chacun y trouve son compte,

    intgrer le nouveau dirigeant et lui donner toutes les clefs pour russir sa reprise sont autant

    de facteurs susceptibles de provoquer la disparition court ou moyen terme de la PME.

    Sensible ces enjeux, notre recherche sintresse la transmission dentreprise. Notre

    appartenance lquipe de recherche en entrepreneuriat de lIRGO (Institut de Recherche en

    Gestion des Organisations de luniversit de Bordeaux), qui na pas t choisie fortuitement

    mais par intrt pour ce domaine de recherche, nous conduit adopter une perspective

    entrepreneuriale. La transmission sy prte et cette perspective fait dailleurs lobjet dappels

    (Ucbasaran et al., 2001 ; Parker et van Praag, 2012). Les chercheurs en entrepreneuriat se sont

    essentiellement proccups de la cration dentreprise (Delmar et Shane, 2004 ; Townsend et

    al., 2010 ; Pollack et al., 2012) et de la succession familiale (Yu et al., 2012).

    Comparativement, on peut remarquer un relatif manque de recherches acadmiques

    consacres la reprise par un tiers personne physique externe (Howorth et al., 2004 ; Durst et

    Wilhelm, 2009 ; Parker et van Praag, 2012) o la direction et la proprit sont transfres

    (Robbie et Wright, 1995).

    La littrature offre une diversit daperus sur le phnomne selon que lon prenne le

    point de vue du cdant (Pailot, 1999 ; Bah, 2009 ; Ip, 2009 ; DeTienne, 2010 ; Barbot-Grizzo,

    2012 ; Ryan et Power, 2012), du repreneur (Deschamps, 2003 ; Begin, 2007 ; Boussaguet,

    2008 ; Geraudel et al., 2009 ; Deschamps et Geindre, 2011 ; Parker et van Praag, 2012 ; Block

    et al., 2013 ; Grazzini et Boissin, 2013) ou de la relation entre les deux (Robbie et Wright,

    1995 ; Howorth, Westhead et Wright, 2004 ; Picard et Thevenard-Puthod, 2006 ; Bornard et

    Thevenard-Puthod, 2009 ; De Freyman, 2009 ; De Freyman et Richomme-Huet, 2009 ;

    Geindre, 2009). Malgr un rcent regain dintrt port ce phnomne, les auteurs

    saccordent souligner la ncessit de poursuivre ces efforts (Howorth, Westhead et Wright,

    2004 ; Durst, 2011 ; Parker et van Praag, 2012) afin de favoriser, terme, la rduction du

    risque successoral (Vateville, 1994). Notre travail sinscrit dans une rponse cet appel de la

    communaut scientifique produire de la connaissance sur la transmission dentreprise un

  • 6

    tiers externe. De ce fait, notre recherche se positionne la jonction du domaine de

    lentrepreneuriat et de celui de la PME2.

    Le choix du thme de la transmission un repreneur externe personne physique tant

    nouveau au sein de lquipe de recherche, un accs exploratoire a t ralis pour nous aider

    saisir le contexte de cette situation singulire et complexe. Cet accs tait aussi une faon de

    rpondre la position pistmologique de lquipe de recherche. Le pragmatisme de Dewey

    (voir rcemment Vo et al., 2012) peut lui correspondre3, mme sil est difficile de la cerner

    strictement ou de graver dans le marbre un regard sur le monde. Une conception

    praxologique de la recherche motive tous les membres de lquipe entrepreneuriat de lIRGO

    et le souhait de construire des thories utiles ncessite davoir un regard lucide sur les

    pratiques des acteurs vers lesquels sera transfre la connaissance produite. Partant dun

    problme repr sur le terrain et guid par la direction de thse, la problmatique se construit

    alors par une intellectualisation permettant denserrer progressivement un objet de recherche

    et de choisir une question, un cadre opratoire et une forme de restitution du travail rpondant

    aux conventions de rigueur scientifique attendues par la communaut.

    Au cours de notre exploration, il savre que nous avons relev un problme sur le

    terrain dune transmission. Ce cas sera prsent plus loin dans le texte mais dores et dj

    nous livrons la faon dont nous avons spontanment qualifi le problme observ : un faux

    pas. Nous le dfinissons comme une action du repreneur allant, sans que ce dernier en ait

    conscience, lencontre de la marche normale de lentreprise. Le faux pas observ tait

    lorigine dun conflit opposant le repreneur la salarie-cl de lentreprise (laquelle mesurait

    limportance stratgique de la dcision prise par le repreneur alors que pour celui-ci elle

    ntait quoprationnelle). Nous navons pas trouv, dans la littrature nous intressant pour

    cette thse, cette notion de faux pas. Afin dapprcier la pertinence du problme repr, nous

    avons interrog son sujet cinq experts slectionns pour leur exprience empirique de la

    transmission. A lunanimit, ils ont reconnu la pertinence de la notion de faux pas applique

    2 Avec Verstraete (2008), il faut remarquer que lentrepreneuriat nest pas une discipline scientifique

    reconnue par le Conseil National Universitaire, comme peuvent ltre lconomie, les Sciences de

    Gestion, etc. Lauteur le dfinit alors comme un domaine de recherche possdant sa communaut de

    chercheurs, ses congrs, ses revues, ses objets de recherches, etc. Il en est de mme avec la PME et les

    deux domaines se recouvrent aisment si, sans amalgame entre lentrepreneur et le dirigeant, on

    constate que de nombreux entrepreneurs pilotent les PME. Il nest gure plus difficile de considrer

    quun repreneur dentreprise entreprend en considrant toutefois, certes, que certains dentre eux ne

    feront que poursuivre luvre dun cdant peu (ou pas) entreprenant. 3 Rcemment, le travail doctoral de Lechat (2014) sy inscrit.

  • 7

    au contexte de la transmission. Dans le cas explor, le faux pas risquait dheurter des clients

    importants pour lentreprise mais aussi de conduire au dpart de la salarie-cl de la PME4.

    Si le faux pas est un problme, et dans la mesure o le repreneur nen a pas conscience

    au moment o il le commet, cest quil est la consquence dune lacune. Le faux pas nous

    semble dcouler dune connaissance imparfaite ou incomplte de laffaire reprise. Le faux pas

    est une action lie la reprsentation de celui qui la commet. Ici, il traduit lexistence dun

    dcalage entre la reprsentation que le repreneur a de laffaire et celle que le cdant en a lui-

    mme. Il est en effet possible de considrer que le cdant possde une reprsentation de ses

    affaires laquelle doit pouvoir accder le repreneur (quand bien mme en y ayant accs il

    dsire changer de stratgie, mais dans ce cas les dcisions prises le sont dessein). Un

    repreneur peut tout fait faire des erreurs (le cdant galement), mais lorsquelles sont

    commises en raison de la lacune voque, il sagit dun faux pas. Autant les viter, dautant

    plus que la reprise par un tiers externe est la modalit de transmission la plus risque.

    En effet, selon ltude OSEO-BDPME (2005), lexistence de liens pralables avec

    lentreprise (ex. membre de la famille ou ancien salari) permet de rduire significativement

    le risque dchec de lopration. Le repreneur doit prendre la place du cdant et diriger une

    entreprise dont il ne possde quune connaissance limite. La priode de transition, lors de

    laquelle le cdant et le repreneur cohabitent, a justement pour objectif dassurer le transfert

    effectif des savoirs et des comptences (Picard et Thevenard-Puthod, 2006) dont le nouveau

    dirigeant a besoin afin de scuriser son investissement (De Freyman et Richomme-Huet,

    2010). Handler (1990) montre que dans le cas dune transmission familiale, durant la phase de

    transition, le prdcesseur et le successeur endossent successivement une srie de rles

    diffrents permettant lun de se retirer progressivement et, lautre, de prendre peu peu les

    rnes de lentreprise. La dure de cette transition a un effet positif sur lissue de lopration

    (Goldberg, 1996 ; OSEO-BDPME, 2005 ; Colot, 2009). Or, ce passage de relais, qui peut

    durer plusieurs annes dans la succession familiale (Handler, 1990), nest que de quelques

    mois dans le cas dune reprise par un tiers externe et voit souvent sa dure courte

    prmaturment (OSEO-BDPME, 2005). Cette particularit sexplique notamment par les

    nombreuses tensions lies la passation du pouvoir au sein dun binme qui ne laisse que peu

    4 Le concept deffet de grossissement propos par Mah de Boislandelle (1996) permet dapprcier les

    consquences de ce dpart.

  • 8

    de place une mdiation (Ciampa et Watkins, 1999) et o chacun peut avoir une vision

    diffrente de ce quest lentreprise et de l o elle va (Reid et Karambayya, 2009).

    Ainsi, le repreneur doit intgrer une masse importante dinformations en peu de temps,

    au point de se retrouver en situation de surcharge cognitive. La thorie de la charge cognitive

    offre un cadre permettant dexpliquer la variabilit de leffort mental ncessaire pour la

    ralisation dune tche. Dans cette approche, partir dun certain niveau dinformation

    traiter, propre aux capacits cognitives de chacun, lindividu peut se trouver en situation de

    surcharge cognitive augmentant ainsi le risque derreur ou diminuant tout simplement la

    qualit du travail accompli (Chanquoy et al., 2007). Des travaux en finance comportementale

    ont soulign lexistence dun tel phnomne dans un contexte de prdiction financire

    (Rakoto, 2005). Hemp (2009) aborde ce problme dans un article de la Harvard Business

    Review intitul de manire volontairement provocante Death by information overload 5.

    Lauteur souligne que la surcharge cognitive peut nuire non seulement la sant

    psychologique de lindividu qui la subit, mais aussi affecter ses dcisions.

    Ainsi, en situation de surcharge cognitive, lindividu se retrouvant noy sous des

    masses dinformations et de dcisions prendre aura tendance ne pas intgrer linformation

    dont il dispose et rester ancr sur danciens faits et croyances pour dcider. Applique la

    transmission, la thorie de la surcharge cognitive apporte galement la comprhension de la

    survenue de faux pas. Lorsquil se retrouve seul la tte de son entreprise rcemment acquise,

    ltat de surcharge cognitive du repreneur nuit sa capacit prendre en compte lensemble

    des informations disponibles pour dcider ; le risque de faux pas grandit. Ce problme est

    accru par lasymtrie informationnelle classique, lorsque le cdant ne livre pas toutes les

    informations dont aurait besoin le repreneur (Howorth et al. 2004 ; Bouchikhi, 2008).

    Dans le cadre dune opration complexe impliquant dimportantes ressources et o

    lacheteur cherche scuriser la transmission de lentit (De Freyman, 2009), les faux pas

    apparaissent comme des obstacles appelant des recherches qui permettraient terme den

    prvenir la survenue. Une premire solution ce problme est videmment de jouer sur la

    dure de la priode de transition, en lallongeant. En effet, bien que les capacits

    dapprentissage et dadaptation diffrent dun individu lautre, disposer de temps permet de

    5 Traduction libre de lauteur : Mort par surcharge dinformation

  • 9

    prvenir la surcharge cognitive du repreneur. Lincitation (financire) au recours la

    convention de tutorat6 mise en place par certaines collectivits en est un exemple. Cette

    dernire vise donner du temps au repreneur en allgeant la charge salariale rsultant du

    maintien du cdant retrait dans lentreprise. Il est ainsi moins lourd financirement que celui-

    ci reste plus longtemps.

    A dfaut de pouvoir jouer sur le temps, une autre solution consisterait rduire

    lasymtrie dinformation entre le cdant et le repreneur. Pour en limiter les risques, la

    mthode pourrait alors avoir comme objectif daider le repreneur se forger une

    reprsentation des affaires qui soit proche de celle du cdant. Plus concrtement, cette

    mthode pourrait par exemple mettre au jour la reprsentation que le cdant a de son business

    pour ensuite procder au mme travail avec le repreneur et, sur une base comparative, rvler

    les carts entre les deux reprsentations. Le repreneur peut videmment assumer ces carts

    mais lide est moins, conformment la phase de transition, de travailler sur la vision

    stratgique du repreneur que sur la reprsentation quil se fait des affaires quil reprend. La

    reprsentation guide les actions (Green, 1992 ; Gallen, 2005).

    Il savre que lquipe entrepreneuriat de lIRGO travaille sur un objet de recherche

    quelle dfinit comme une reprsentation partage lorsquelle transfre cet objet dans la

    pratique, telle quelle la fait avec le projet GRP Lab7. Il sagit du Business Model. Celui-ci a

    t thoris par deux membres de lquipe (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009) rejoints par les

    autres chercheurs travaillant avec eux sur des tudes de cas et des recherches-actions, ces

    deux protocoles tant cohrents avec le souhait de produire des thories utiles. Plus

    exactement, les auteurs dfinissent le Business Model comme une convention (thorie des

    conventions) relative la gnration de la valeur, la rmunration de la valeur et au partage

    de la valeur (ils parlent ainsi de modle GRP, G pour Gnration, R pour Rmunration et P

    pour Partage).

    Dans une approche cognitive de lentreprise, la thorie des conventions apparat

    comme un cadre original et nous semble pertinente pour clairer la transmission. Pour

    6 La convention de tutorat, instaure par la loi du 2 aot 2005, permet au cdant de conclure un contrat

    avec son repreneur au travers duquel il sengage transmettre ce dernier son exprience

    professionnelle dans le domaine de la gestion et du management. 7 GRP Lab est une plateforme numrique de comptences ddie la sensibilisation, la formation et

    laccompagnement lentrepreneuriat, accessible ladresse http://grp-lab.com/ .

    http://grp-lab.com/

  • 10

    Duprel (1925), la convention tablit entre ses auteurs de la correspondance, cre de

    laccord, fait en sorte que la runion de leurs conduites, au lieu dtre une somme dlments

    disparates, constitue un tout organis, en fait une activit unifie (p.285) 8. La convention

    rfre ainsi, pour un espace donn, une forme collective de construction dun ensemble de

    dispositifs cognitifs aidant lindividu avoir des repres (plus ou moins formels) et se

    comporter en fonction de ces derniers. La convention donne ce titre du sens la fois pour

    lindividu et le collectif concern. Dans le cadre des organisations chres au chercheur en

    sciences de gestion, il est ainsi possible de voir lapproche conventionnaliste comme un

    ensemble de rgles et de normes plus ou moins explicites rgissant le systme social constitu

    par les parties prenantes au projet dentreprendre. La convention deffort est prsente comme

    le rfrentiel commun, construit au fil du temps par le fonctionnement de lorganisation et qui

    dfinit lensemble des rgles du fonctionnement normal de lentreprise (Gomez, 1997 ;

    Gomez et Jones, 2000). Dans cette perspective, le repreneur externe est une nouvelle partie

    prenante relativement dmunie lors de son arrive car nayant pas ces repres, notamment

    parce quil ne dispose que dune reprsentation, au mieux appauvrie, au pire dforme, de ce

    systme conventionnel. Ce dernier peut se conceptualiser par le Business Model (Verstraete et

    Jouison-Laffitte, 2011), lequel ntait au dpart quune expression, mais qui sest fortement

    diffuse au point de la qualifier de Buzzword (Magretta, 2002). Cette dissmination justifia

    que des chercheurs sy intressent.

    Selon Verstraete et Jouison-Laffitte (2009), lexpression est ne de la ncessit

    dexpliquer des possesseurs de ressources, notamment des financeurs de projet de cration

    dentreprise, un business quils peinaient se reprsenter en raison de la nouveaut du mdia

    internet, du vocabulaire original employ, des acteurs y voluant drogeant parfois avec lide

    quon peut se faire du business man et des rmunrations pouvant tre tires de lentreprise

    alors que parfois lutilisateur dun service nen tait pas le payeur (Benavent et Verstraete,

    2000). Il fallait rendre intelligible les affaires auprs de partenaires exigeants (Verstraete et

    Saporta, 2006). La modlisation, exercice bien connue en systmique, permet justement de

    rendre intelligible ce qui est complexe, ici le business (modliser les affaires, do

    lexpression Business Model). Si les crits sur le Business Model sont aujourdhui nombreux

    et quil en existe presque autant de conceptions que de travaux le mobilisant, il semble que la

    communaut saccorde reconnatre que la notion de valeur est au cur des dfinitions

    8 cit dans Amblard (2006)

  • 11

    proposes par la littrature (Jouison, 2008 ; Eyquem-Renault, 2011). Ainsi, le Business Model

    propose une interprtation de la valeur cre et change dans un rseau de parties prenantes

    (Gordijn et al., 2000), une conception de la cration de valeur ensuite dlivre (Dubosson-

    Torbay et al., 2002) avec, videmment, lide de tirer un gain du business envisag (Magretta,

    2002).

    La conception conventionnaliste du Business Model adopte par lquipe bordelaise

    est cohrente avec les reprsentations auxquelles nous voulons accder, savoir celles des

    deux principaux protagonistes dune opration de reprise (le cdant et le repreneur). Lun et

    lautre possde une reprsentation de cette convention. Cette dernire sest construite dans

    linteraction avec les partenaires pour faire merger une reprsentation partage rduisant

    lincertitude inhrente lacte dentreprendre. La convention Business Model constitue le

    cur de laffaire et offre aux parties prenantes les repres relatifs au fonctionnement de

    lentreprise ( laquelle elles participent) et aux relations entretenir avec elle. Le repreneur

    tant une partie prenante capitale pour lentreprise, ce dernier gagne avoir une

    reprsentation congruente de cette convention, au moins dans un premier temps (car il

    pourrait envisager de la changer).

    Notre travail se focalise sur la question de la rduction du risque de faux pas du

    repreneur. A cet effet, nous nous intressons llaboration dune mthode qui viserait faire

    converger la reprsentation que se fait le repreneur vis--vis de laffaire quil reprend avec

    celle que possde le cdant. Cela ncessite a minima deux phases de travail. Il faudrait

    dabord mobiliser un protocole permettant de mettre au jour la nature et prcisment lobjet

    de ces ventuels carts de reprsentations. Ces rsultats pourraient ensuite tre prsents aux

    acteurs afin de dclencher a minima un dialogue portant sur ces carts, dans le but de les

    rduire. Notre travail doctoral a t consacr llaboration dun protocole permettant de

    mettre au jour ces carts.

    Confronter les reprsentations que se font le repreneur et le cdant vis--vis de ce qui

    fait le cur de laffaire permettrait, en rvlant les points de divergences, de participer

    rduire lasymtrie dinformation entre les protagonistes et, in fine, le risque de faux pas du

    repreneur. Nous rejoignons ainsi Bornard et Thevenard-Puthod (2009) lorsquelles soulignent

    limportance dune prise de conscience par les acteurs des carts de reprsentation (sur

    laffaire reprendre notamment) dans la russite dune reprise externe.

  • 12

    A ce titre, notre travail vise rpondre la question de recherche suivante :

    Le Business Model permet-il dapprcier les carts entre la reprsentation que le cdant

    possde de son affaire et celle que se construit le repreneur dans le cadre dune transmission

    dentreprise ?

    En cohrence avec la position pistmologique de lquipe de recherche en

    entrepreneuriat de lIRGO, cette question constitue lindispensable pralable la mise au

    point dune mthode visant rendre congruente la reprsentation que le repreneur se fait du

    Business Model celle du cdant pour rduire les risques de faux pas. Ainsi, derrire les

    tudes de cas conduites dans cette thse, il sera possible de raliser une recherche-action

    adaptant une partie du protocole ici dploy (en le compltant). Dans le cadre de notre travail

    doctoral, une recherche-action ntait pas envisageable pour au moins les raisons suivantes :

    - durant notre thse, nous avons appris le contexte de la transmission

    dentreprise alors quil nous sera ncessaire dapparatre comme ayant une

    bonne connaissance de cette situation de gestion pour tre peru comme

    crdible par les protagonistes (cdant, repreneur, conseiller ou institution

    facilitant laccs au terrain) et raliser la recherche-action ;

    - la thse de doctorat a ncessit plusieurs annes de travail avec une grande

    difficult trouver des terrains de recherche pertinents acceptant de recevoir

    un chercheur ;

    - les cas investis dans ce travail ne sont pas tous au mme stade davancement

    de la reprise alors que la mthode que la recherche-action prcisera

    sappuiera certainement sur lencadrement dune structure de conseil en

    transmission prenant la mission partir dun stade relativement identique

    dun cas lautre, sinon proche ;

    - sur un plan administratif avec lequel le doctorant doit composer, le temps de

    ralisation de la recherche-action sajoutant au temps de ralisation de nos

    tudes de cas aurait interdit une rinscription en thse selon les critres

    imposs par lcole doctorale ;

    - notre cadre opratoire rpond aux exigences de scientificit de la mthode

    des cas, laquelle est une stratgie de recherche rpondant aux exigences dun

    travail doctoral.

  • 13

    Pour rendre la reprsentation de lacheteur congruente celle qua le cdant de son

    affaire, encore faut-il tracer un primtre pertinent de ce quil est possible de qualifier

    daffaire . Le concept de Business Model sest avr tout fait adapt et le travail est

    original puisquil est nouveau de le mobiliser dans le contexte dune transmission

    dentreprise. Ainsi, pour nos tudes de cas, dans un premier temps, nous avons mis au jour les

    reprsentations des cdants et des repreneurs pour les affaires les concernant. Le Business

    Model a t utilis pour les mettre au jour. Nous mobilisons pour cela une grille dentretien

    base sur le Business Model GRP (Verstraete et Jouison, 2009)9. Cette premire phase permet

    de disposer dune modlisation narrative des reprsentations du Business Model que se font

    les protagonistes de lopration de transmission. Cette mise au jour des reprsentations rend

    possible leur confrontation. La seconde phase du protocole consiste justement comparer

    systmatiquement ces reprsentations.

    La ralisation de ce protocole de recherche auprs de quatre cas de transmission a

    permis de rpondre positivement la question de recherche (le chapitre 6 en discute) et

    dobserver cinq cas de figure. Le tableau ci-dessous (cf. Tableau 1) prsente les types dcart

    identifis.

    Terme Situation

    Carence Le repreneur ne possde quune reprsentation partielle de

    llment

    Dissonance Le repreneur ne partage pas la mme reprsentation que le

    cdant

    Concordance Le repreneur et le cdant partagent une reprsentation quasi

    identique

    Prcellence Le repreneur possde une reprsentation plus riche que le

    cdant

    Modles

    diffrents

    Le repreneur voque un lment appartenant au nouveau

    business model de lentreprise

    Tableau 1- Proposition dune typologie de la comparaison des reprsentations du BM des protagonistes dune transmission

    9 Verstraete et Jouison-Laffitte ont thoris le Business Model et produit le modle GRP. Il est de plus

    en plus souvent appel Business Model GRP , ou BM GRP. Nous utiliserons ces terminologies

    dans la thse.

  • 14

    Pour restituer ces rsultats et le travail ayant permis leur construction, notre thse se

    structure en six chapitres regroups en deux parties (cf. Figure 1). Dans une premire partie,

    nous prsentons le processus de transmission (Chapitre 1), puis analysons la littrature traitant

    de ce phnomne et mettons au jour un problme original non trait jusque-l (Chapitre 2).

    Nous proposons ensuite un cadre thorique dont nous justifions de la pertinence (Chapitre 3).

    Dans une seconde partie, nous dtaillons le protocole de recherche ayant permis laccs au

    terrain (Chapitre 4). Nous prsentons ensuite lanalyse de nos quatre cas de transmission

    (Chapitre 5), proposons une discussion des rsultats en soulignant les apports et les limites de

    cette recherche (Chapitre 6), pour enfin conclure.

    Figure 1 - Schma de la structuration de la thse

  • 15

    PARTIE I : LA TRANSMISSION DENTREPRISE

    ET LA REPRESENTATION DU

    BUSINESS DU REPRENEUR

    PERSONNE PHYSIQUE

    Chapitre 1.

    La reprise par un tiers externe

    Chapitre 2.

    Une littrature fragmente et un problme non tudi

    Chapitre 3.

    Ltude de la reprsentation du business du repreneur : mobilisation du concept

    de Business Model dans une approche conventionnaliste

  • 16

    INTRODUCTION PARTIE I

    Cette premire partie a pour objet de dtailler le cheminement qui nous mne de

    ltude de la transmission partir de la littrature acadmique, la formulation de la question

    de recherche traite par la thse en deuxime partie.

    Face un phnomne complexe et htrogne, le premier chapitre prcise les lments

    de cadrage de notre recherche et prsente le processus de reprise par un tiers externe. Pour ce

    faire, nous mobilisons les travaux acadmiques disponibles et proposons dapprhender

    lopration sous langle du repreneur ainsi que sous celui du cdant. Nous dtaillons enfin

    lincidence que peut avoir la taille de lentreprise sur son transfert. Cet effort de prsentation

    permet une familiarisation avec le phnomne, tape indispensable dans la poursuite de notre

    recherche.

    La ralisation de la revue de la littrature permet de rassembler des travaux

    scientifiques produits en majorit au cours des quinze dernires annes. Cet exercice permet

    de dresser un panorama de cette littrature afin de dlimiter les frontires actuelles de la

    connaissance portant sur ce processus. Adhrant une conception praxologique de la

    recherche, notre rflexion sest oriente la suite dun accs exploratoire un cas de reprise

    par un tiers externe. Lobservation sur le terrain, dun fait absent de la littrature, que nous

    proposons dappeler un faux pas du repreneur nous conduit adopter une approche

    cognitiviste du processus en nous intressant aux reprsentations mentales des acteurs. Le

    deuxime chapitre dtaille la revue de littrature portant sur la reprise par un tiers externe et

    prsente le problme du faux pas dont la pertinence est apprcie sur la base dentretiens

    dexperts.

    Le troisime chapitre part de ce fait observ sur le terrain et absent de la littrature afin

    dexplorer la question de la reprsentation que se fait le repreneur du business quil reprend.

    Nous proposons de mobiliser le concept de Business Model afin daccder cette

    reprsentation. La mobilisation des travaux de fondements conventionnalistes de lquipe

    bordelaise nous conduit enfin justifier de la pertinence de la thorie des conventions

    apprhender le phnomne de la transmission et plus particulirement celui de la reprise par

  • 17

    un repreneur externe. Ce troisime chapitre se conclut avec la formulation de la question de

    recherche laquelle la deuxime partie de cette thse apportera des lments de rponse.

  • 18

    CHAPITRE 1. LA REPRISE PAR UN TIERS EXTERNE

    Procdant au cadrage de notre recherche (1.1), nous proposons dapprocher la

    transmission par les angles successifs du repreneur (1.2.) puis du cdant (1.3.) afin de saisir au

    mieux les subtilits dun phnomne mobilisant, avant tout, des hommes et des femmes. Une

    dernire section (1.4.) souligne enfin lincidence de la taille de lentreprise sur cette opration

    de transfert.

    1.1. Dfinition et cadrage dun processus complexe

    Les auteurs saccordent reconnatre la complexit que revt la transmission

    dentreprise. Cette section a pour objet : de dfinir la transmission en veillant souligner les

    facteurs expliquant sa complexit (1.1.1.), de dlimiter le primtre de notre recherche (1.1.2.)

    et de prsenter le processus de reprise par une personne physique (1.1.3.).

    1.1.1. Apprhension de la complexit du phnomne de la transmission

    Barbot et Richomme-Huet (2006) dfinissent la transmission comme une opration

    de transfert de proprit et de direction de lentreprise avec pour objectif sa prennit

    travers son maintien ou le dveloppement de lactivit (p.4).

    Brouard et Cadieux (2007), sur la base dune revue de la littrature, dfinissent quant

    elles la transmission comme un processus pouvant s chelonner entre le moment o le

    prdcesseur/cdant commence rflchir son projet de transmission et le moment o la

    direction et la proprit de lentreprise sont officiellement entre les mains du

    successeur/repreneur et au cours duquel sont interpelles diverses catgories dacteurs

    provenant des environnements interne et externe de cette mme entreprise (p.4).

    Ltude de chacun de ces transferts fait appel diverses sciences (Donckels, 1995 ;

    Brouard et Cadieux, 2007), le transfert de proprit renvoyant aux approches comptable,

    financire et juridique et le transfert de direction une approche managriale.

  • 19

    Le transfert de la proprit est le volet du phnomne pour lequel il existe une grande

    offre daccompagnement (APCE, 2003, 2012). Les rflexions cette tape portent alors sur le

    contenant et le contenu de la transmission. Le contenant renvoi la structure juridique de

    lentit et le contenu aux lments qui seront transmis. Laspect fiscal est prdominant pour le

    cdant alors que cest laspect juridique qui intresse davantage le repreneur. Le challenge est

    alors de trouver le compromis entre les deux parties, rsultat dune ngociation qui peut

    prendre plus ou moins de temps selon les aptitudes des protagonistes faire des concessions.

    Le cdant cherche obtenir le maximum de valeur pour cette cession et opte pour la solution

    qui lui fera payer le moins dimpts alors que le repreneur cherche faire baisser au

    maximum le cot de cette transaction afin de commencer son activit avec plus de confort et

    opte pour la structure juridique en adquation avec son projet de reprise. Repreneur et cdant

    se font conseiller et accompagner par des avocats daffaires, des experts-comptables ou

    encore des cabinets de conseil spcialiss, autant de partenaires qui disposent de lingnierie

    ncessaire latteinte du compromis permettant la satisfaction des deux parties.

    Une fois la transmission rendue officielle dun point de vue juridique, il reste raliser

    effectivement cette opration avec une temporalit propre chaque cas de transfert. Le

    repreneur, maintenant propritaire, doit devenir dirigeant. Contrairement au transfert de

    proprit qui ncessite beaucoup de temps en amont mais prend immdiatement effet au

    moment de la signature de lacte de vente, le transfert de direction prsente un schma

    inverse. Il suffit de, relativement, peu de temps pour que le nom du dirigeant change, mais ce

    changement peut, dans les faits, tre effectif plus tard, et sans certitude quant lhorizon

    temporel prendre en compte. En effet, le changement effectif de dirigeant implique

    lacceptation du repreneur par lensemble des parties prenantes de lentreprise et constitue, en

    ce sens, une opration dlicate. Alors que le transfert de la proprit reste moins

    problmatique tant il existe des ingnieries dveloppes et disponibles, le transfert du pouvoir

    et de lautorit constitue un srieux problme. Figener et al. (1996) soulignent ce sujet: Il

    nexiste peut-tre aucun vnement se produisant dans la vie dune organisation qui serait

    plus crucial que la passation du pouvoir et de lautorit du PDG en exercice un

    successeur. 10

    (p.15). Le changement du dirigeant constitue ainsi un vnement non neutre

    dans la vie de lentreprise et dont ltude pour le cas de la PME en est encore au stade

    embryonnaire.

    10

    Traduction libre de lauteur de: Perhaps no recurring event in the life of an organization is more

    critical than the transfer of power and authority from the incumbent CEO to a successor.

  • 20

    De nombreux travaux, essentiellement publis outre-Atlantique, se sont intresss

    ltude du changement de dirigeant-salari dans la grande entreprise. Ces recherches en

    tudient soit les antcdents (performance de lentreprise, climat social, structure du conseil

    dadministration), soit les consquences (performance de lentreprise, orientation

    entrepreneuriale) ou soit les deux simultanment (Giambatista et al., 2005). Les travaux sur

    la transmission peuvent en partie tre vue comme lquivalent de ce courant de recherche

    mais tourn vers la PME o le dirigeant est souvent le propritaire, lopration tant qualifie

    de complexe et htrogne (Brouard et Cadieux, 2007, p.3).

    La complexit de la transmission relve dun certain nombre de facteurs, dont

    quelques-uns sont relevs dans les paragraphes suivants.

    Un premier facteur de la complexit de la transmission dentreprise tient dans la

    diversit des situations quelle recouvre. Ainsi, selon la nature du lien qui existe entre les

    deux protagonistes de lopration et lentreprise en jeu, une multitude de cas de figure existe

    (Brouard et Cadieux, 2007 ; De Freyman et Richomme-Huet, 2010). Le tableau suivant (cf.

    Tableau 2) illustre cette diversit avec quatre situations possibles, chacune dentre elles

    prsentant des particularits.

    Lien avec lentreprise

    Interne Externe

    Fam

    ille

    du

    dir

    igea

    nt

    Inte

    rne

    Succession Succession

    Exte

    rne Reprise dentreprise par

    ses salaris /

    Management Buy-Out

    Reprise dentreprise par une

    personne physique extrieure

    / Management Buy-in

    Tableau 2 - Oprations que recouvre la transmission

    Ainsi, selon que le repreneur soit interne ou externe lentreprise, membre ou non de

    la famille du dirigeant, la forme de lopration diffre et conduit des problmes en partie

    singuliers.

    Il est galement important de souligner la diversit des motivations qui peuvent

    amener un individu vouloir cder et un autre vouloir reprendre. Pour le cdant, la volont

    de transmettre son entreprise peut tre motive par un dpart la retraite, un souhait de

  • 21

    raliser une plus-value, une fatigue et une lassitude ou encore lincapacit rentabiliser

    lentreprise. Pour le repreneur, de lenvie de devenir son propre patron la volont de mettre

    fin une priode de chmage trop longue, nombreuses sont les motivations qui peuvent

    lamener franchir le pas. De ce fait, chaque cas de transmission peut tre vu comme unique,

    compliquant la tche du chercheur qui souhaite discerner des constantes.

    Il sagit ensuite dun processus non neutre pour les entits impliques. Bouchikhi

    (2008) propose de comparer la cession-reprise dune entreprise la transaction de trois autres

    biens, savoir : un stylo, un jet et un chteau prestigieux. Lauteur sintresse chaque fois

    aux consquences qua lchange sur ses protagonistes ainsi que sur le bien en jeu (cf.

    Tableau 3). Le niveau de complexit de la transmission dentreprise sexplique alors par le

    fait quau-del dune altration de lidentit du vendeur et de celle de lacheteur durant

    lopration, cest aussi la nature intrinsque du bien chang qui se voit modifie par

    lopration.

    Nature de limpact li sa transaction sur Niveau de

    complexit Lacheteur Le vendeur Le bien

    Bie

    n c

    on

    sid

    r

    Un stylo nul nul nul 0

    Un jet Entre dans le club

    des possesseurs de

    jet

    nul nul +

    Un chteau

    prestigieux Entre dans le club

    des chtelains

    Perte dun

    patrimoine, dune

    mmoire

    familiale.

    nul ++

    Une entreprise Devient dirigeant Perd son statut de

    dirigeant

    Subit les

    perturbations lies

    lopration

    (changement

    structurel, dpart de

    salaris-clefs)

    +++

    Tableau 3 - La complexit de la transmission (adapt de Bouchikhi, 2008)

    En effet, au terme de cette transaction singulire et souvent extraordinaire (cf. encadr

    ci-aprs), lacheteur devient dirigeant, le vendeur devient ancien-dirigeant et lentreprise subit

    cette greffe dlicate qui la modifie durablement.

    Un autre facteur expliquant la complexit est li au caractre confidentiel de

    lopration. Lincertitude que cre cet vnement rend sa gestion particulirement dlicate

    pour le cdant qui garde le secret souvent trop longtemps. Cela explique en partie lopacit

  • 22

    dont souffre le march de la transmission o vendeurs et acheteurs peinent encore se trouver

    (Deschamps, 2000; Bastie et Cieply, 2007 ; Bouchikhi, 2008 et 2009).

    Lopration de transmission est complexe notamment du fait que lon est souvent en

    prsence dun vendeur qui vend pour la premire fois un acheteur qui achte pour la

    premire fois.

    Propos recueillis le 19 juillet 2012 auprs dun Conseiller dEntreprises de la CCI de

    Bordeaux.

    Encadr 1 - Une opration extraordinaire

    Enfin, les caractristiques inhrentes lobjet de la transmission constituent une autre

    source de complexit. En effet, cette opration concerne essentiellement des PME et des TPE

    (KPMG, 2008), entreprises de tailles diffrentes et surtout prsentes sur des secteurs

    diffrents. Or, la taille de lentreprise impacte son mode de fonctionnement (Torrs, 2003),

    tout comme le secteur dactivit auquel elle appartient peut influencer sa transmission (cf.

    Picard et Thevenard-Puthod, 2006 et Picard, 2009, pour lentreprise artisanale et Audet et St-

    Jean, 2009 pour lexemple du secteur de la rcolte forestire). A cela sajoute ltat de sant

    de lentreprise au cur du processus, lment ayant des consquences sur le droulement de

    lopration (Barbot et Deschamps, 2005).

    La transmission est donc bien un phnomne complexe et htrogne (Brouard et

    Cadieux, 2007) prsentant une multitude dangles dapproche pour le chercheur en gestion,

    tant les problmes quelle recouvre sont riches et nombreux.

    1.1.2. Cadrage de la recherche

    La littrature traitant de la transmission souffre dune faiblesse lie au vocabulaire

    quelle mobilise. A titre dexemple, le terme de transmission peut dsigner tantt le

    phnomne dans son ensemble (celui du transfert de direction et de proprit entre deux

    individus) et tantt dsigner le phnomne du point de vue du cdant (cf. Editorial du numro

    spcial de la RIPME, Cadieux et Deschamps, 2009). De mme, on utilise le terme successeur

    pour dsigner le repreneur hritier et de repreneur pour dsigner le tiers personne physique

    mais qui peut aussi tre lhritier. On parle de succession pour voquer les cas de transmission

  • 23

    un hritier, mais aussi pour voquer le problme li au dpart de lancien propritaire-

    dirigeant dune entreprise familiale (Meier, 2002).

    En termes de vocabulaire, nous parlerons ici de :

    - Transmission ou transfert dentreprise pour dsigner le phnomne dans son

    ensemble, cest--dire en adoptant le point de vue dun observateur externe ;

    - cession pour voquer le phnomne du point de vue du cdant ;

    - reprise pour voquer le phnomne du point de vue du repreneur.

    En anglais, la confusion est dautant plus grande que le terme de succession renvoie

    tantt au changement de dirigeant et tantt la succession dans les entreprises familiales.

    Pour dsigner le repreneur, on observe lutilisation des termes buyer ou encore de successor

    lorsque ce dernier est issu de la famille ou de lentreprise. Il ne semble pas exister

    dquivalent au terme de repreneur autre que ce dernier. Or le terme de buyer (que lon

    traduirait par acheteur) prsente une part dimprcision dans la mesure o lacheteur nest pas

    forcment le nouveau dirigeant. Cela motive notre proposition quant lutilisation du terme

    de repreneur comme traduction en anglais de repreneur tiers externe. Enfin, le terme de

    management buy-in (MBI) fait rfrence au cas du rachat dentreprises dune certaine taille

    avec souvent, comme objectif, une rorganisation profonde dans le but de librer de la valeur.

    Dans ce cas lacheteur nest pas forcment le dirigeant.

    Nous ne nous intressons quau cas de la transmission une personne physique

    excluant de ce fait les rachats par une autre entreprise qui sapparentent des oprations de

    croissance externe. Laspect financier dune telle opration nous conduit centrer notre tude

    sur la petite et moyenne entit.

    Nous choisissons dapprocher le phnomne dans une perspective entrepreneuriale en

    adoptant langle du repreneur. Il est vident que toute reprise ou succession ne sapparente

    pas un acte entrepreneurial et il est peut tre parfois exagr de parler dentrepreneur pour

    dsigner tout repreneur dentreprise ou tout successeur (cf. Carland et al.; 1984, pour le dbat,

    dj ancien sur le statut dentrepreneur). La reprise dentreprise reprsente plutt un contexte

    propice lmergence du phnomne entrepreneurial, aux cts de la cration ex-nihilo

  • 24

    (Donckels, 1995)11

    , o une impulsion (Verstraete, 2003) peut tre observe. Cest bien dans

    cette logique que Ucbasaran, Westhead et Wright (2001) placent les cas de management buy-

    out (rachat de lentreprise par danciens salaris), de management buy-in (rachat de

    lentreprise par un ou plusieurs individus externes lentit) ainsi que la succession dans leur

    panorama des axes de recherche en entrepreneuriat. Que le repreneur soit le descendant, le

    salari, un partenaire ou un tiers externe inconnu de la firme, sa dmarche peut donc tre

    entrepreneuriale.

    Deschamps (2003) mobilise deux modles afin de placer la reprise par une personne

    physique (RPP) dans ce domaine de recherche. La grille de lecture dialogique de Bruyat

    (1993) permet ainsi de positionner diffrentes histoires de reprises en apprciant le degr

    dentrepreneuriat pour chacune dentre elles mais les limites quelle pose amnent lauteur

    adopter une perspective diffrente o lentrepreneuriat est vu comme un phnomne : la

    vision conceptuelle de Verstraete (1999). De ces travaux ressort la dfinition suivante : la

    RPP de nature entrepreneuriale est incarne par un ou plusieurs individus sassociant en

    impulsant une nouvelle organisation sur la base dune entit rachete afin dapporter une

    valeur accrue, voire nouvelle, aux parties prenantes leur projet (p.69). Lauteur entend

    par repreneur un nouveau propritaire-dirigeant, seul ou abrit derrire une structure

    limitant ses risques personnels, qui achte, de manire onreuse, une cible en

    fonctionnement (p.61).

    Hunt (2011) propose une dfinition incorporant lintention entrepreneuriale. Il parle de

    reprise entrepreneuriale (Entrepreneurship Through Acquisition - ETA dans la suite du texte)

    comme lacquisition dune PME existante par un entrepreneur dans le but de lamliorer et

    de la dvelopper au travers de stratgies de transformation qui vont remodeler

    fondamentalement son rapport au march. 12

    (p.2). Lauteur souligne le manque critique de

    recherches consacres lETA alors mme que ce dernier constitue une forme

    dentrepreneuriat prsentant moins de risques que la cration pure. Lauteur explique le

    manque de recherches portant sur cette modalit entrepreneuriale par labsence de bases de

    donns la disposition des chercheurs.

    11

    Donckels (1995) commence son article en indiquant que : Two paths lead to entrepreneurship :

    either start up ones own enterprise or take over an existing enterprise p.143 12

    Traduction libre de lauteur de : the acquisition of an existing small or medium-sized business by

    an entrepreneur of the purpose of expanding and enhancing the business through transformational

    strategies that fundamentally reshape market processes

  • 25

    Notre tude est centre sur la modalit de reprise par une personne physique externe

    lentreprise et la famille du cdant. Cette modalit est la plus risque et pourtant la plus

    rpandue. En effet, ltude OSEO-BDPME (2005) indique que le risque dchec de

    lopration est diminu dun tiers lorsque le repreneur connat lentreprise (avec un effet

    maximal dans le cas dune succession) et que dans la majorit des cas (entre 60% et 89%

    selon le secteur dactivit considr) le repreneur est sans lien avec lentreprise quil reprend.

    Cette modalit implique une forte asymtrie dinformation, un faible niveau de confiance

    ainsi que des relations plus distantes entre des protagonistes qui ne gardent que trs peu

    contact une fois lopration ralise (Howorth et al.,2004). Ces aspects justifient lintrt que

    lon doit porter cette modalit. Dautre part, bien que lon observe une prolifration de

    travaux consacrs ce cas de reprise depuis une dizaine dannes, on ne peut que constater la

    faiblesse des connaissances acquises face celles dont nous disposons notamment sur la

    succession (Le Breton-Miller et al., 2004).

    Devant le manque de travaux acadmiques traitant de ce cas de figure, nous

    mobiliserons, quand il sera jug ncessaire, des travaux traitant de problmes annexes tels que

    le changement de dirigeant dans la firme actionnariale, ou encore la transmission familiale.

    Nous abordons ici le phnomne de la transmission sur la base des travaux

    scientifiques disponibles lheure actuelle et accessibles (littrature anglophone et

    francophone). Nous sommes toutefois conscients que dautres travaux existent certainement,

    notamment au sein des pays europens mais qui, faute de valorisation linternational nous

    restent mconnus.

    1.1.3. Le processus de transfert une personne physique

    La transmission dune entreprise un tiers externe est un phnomne comportant deux

    dimensions : la reprise et la cession.

    La reprise est le processus par lequel le repreneur devient le propritaire dirigeant de

    lentreprise et la cession est le processus par lequel le cdant transmet la proprit et la

    direction de son entreprise un tiers. Ces deux processus sont intimement lis car, dune part,

    ils impliquent la mme entreprise et, dautre part, ils se confondent durant certaines phases

  • 26

    (ex : priode de transition). Les travaux se sont essentiellement intresss au processus de

    reprise dentreprise.

    a. La modlisation du processus de reprise dentreprise

    Les travaux de Deschamps (2000) permettent dclairer le phnomne de la

    transmission par une approche centre sur le repreneur. Ces derniers apprhendent de manire

    globale la reprise dentreprise et mettent au jour son processus (cf. Figure 2). Ces travaux

    parlent de processus repreneurial. Il sagit dun processus que lauteur dcoupe en trois

    phases dont la dernire correspond la reprise proprement parler.

    On distingue ainsi les 3 temps suivants :

    1 - Le processus qui conduit lindividu vers la prise de dcision de reprendre.

    Plusieurs facteurs interviennent cette tape et cest la conjonction de ces derniers qui

    conduit lindividu prendre la dcision ou non de reprendre. On distingue alors les

    composantes propres lindividu de celles lies lenvironnement dans lequel il volue. En

    bref, il existe un ensemble dlments qui vont amener le sujet entreprendre et choisir

    entre reprendre ou crer. Il manque encore des travaux permettant de comprendre les rouages

    de ce choix13

    .

    2 - Le processus de reprise que caractrise lengagement du repreneur potentiel dans

    une dmarche active concrtise par la signature de lacte de vente.

    Lindividu va alors procder une rflexion sur ladquation du projet avec ses

    aspirations et comptences. Cela va lui permettre de se constituer un cadre permettant la

    dtection des cibles. Une ngociation dbute ensuite avec les vendeurs avec lappui ventuel

    de conseillers. Ces ngociations conduiront ensuite la signature de lacte de vente de

    lentreprise qui officialisera le transfert de proprit.

    3 - Le processus dentre dans lentreprise qui concrtise le statut de dirigeant

    repreneur.

    13

    Cf. Parker et al. (2012) pour une recherche empirique rcente visant expliquer ce choix.

  • 27

    Ce processus diffre selon la nature du lien quentretient le repreneur avec la cible

    (salari, partenaire, externe). Comme tout processus, il est itratif et la dure de chacune des

    phases est variable en fonction des cas tudis.

    Audet et St-Jean (2009) critiquent la prsence de la premire tape (celle de la

    dcision de reprendre) quils considrent comme tant antrieure au processus de reprise, le

    choix entre cration et reprise ntant pas encore pos. Nous nous accordons toutefois avec le

    propos de Deschamps (2000) qui dcrit un processus de reprise dont lamorce intervient une

    fois la dcision de racheter prise. Une autre solution serait, notre avis, didentifier une

    impulsion, un acte ou tout lment observable (ex. rapprochement avec une partie prenante)

    comme tant le point de dpart du processus. Cette manifestation tangible faciliterait le

    reprage du dbut du processus pour lobservateur externe et permettrait aussi didentifier les

    processus qui avortent.

  • 28

    Figure 2 - Le processus repreneurial (Deschamps, 2000, p393)

  • Picard et Thevenart-Puthod (2006) considrent un processus comportant les quatre

    phases suivantes :

    - La prparation : le repreneur se prpare lopration (psychologiquement et

    matriellement) ;

    - Laccord : phase technique pour laquelle il existe la plus grande offre

    daccompagnement ;

    - La transition : permet un transfert du capital social par la prsence au sein de

    lorganisation en fonctionnement du cdant et du repreneur. Ce transfert implique une

    bonne entente entre les deux acteurs. Lambigit de la double direction rend cette

    priode propice de nombreux conflits ;

    - Le management de la reprise : Le repreneur se retrouve seul diriger la structure

    quil a achet. Il doit alors sadapter cet environnement quil ne connat que depuis

    peu. Il lui faut surmonter de nombreuses difficults pour mener bien son projet. le

    repreneur dirige seul une structure quil ne connat que partiellement, travaille avec

    des salaris quil na pas recrut, pour le compte de clients quil na pas dmarch

    (p.101).

    Bien que le dcoupage du processus diffre dun auteur lautre, on retrouve

    globalement les mmes lments dans ces derniers.

    b. La prise en compte de la dimension cession pour la modlisation du processus de transfert dentreprise

    Le cdant napparat que de manire implicite dans les modlisations du processus de

    reprise (Deschamps, 2000 ; Picard et Thvenard-Puthod, 2006). Une plus grande attention lui

    a t porte dans les modlisations du processus de succession familiale (Cadieux et al.,

    2002). Le processus de cession dentreprise commence avec la prise de dcision par le cdant

    de cder sa socit (Brouard et Cadieux, 2007) et se termine avec le dpart de ce dernier de

    lentreprise. La question de la pertinence dune approche globale du phnomne (intgrant

    cession et reprise) est encore problmatique alors que de plus en plus de travaux plaident pour

    cette dernire (De Freyman et Richomme-Huet, 2010).

    Nous pouvons ainsi considrer la transmission-reprise ou le transfert dentreprise

    comme un processus comportant deux dimensions (la reprise et la cession) chacune pilote

    par un acteur central (le repreneur et le cdant) impliquant une entreprise (dans son ensemble)

  • 30

    et aboutissant au transfert effectif de la proprit et de la direction. Le schma ci-dessous (cf.

    Figure 3) ne vise qu illustrer cette approche du phnomne.

    Figure 3 - Proposition de schmatisation dune approche globale du processus de transfert

    dentreprise

    Afin de pouvoir reprer le dbut de chacun des processus, lun relatif au cdant et

    lautre, au repreneur, nous retenons limportance de lidentification dune impulsion se

    traduisant par un acte observable (ex. prise de contact avec un conseiller, annonce de la

    dcision aux salaris). Cet lment permet de borner le dbut du processus et den faciliter

    lobservation.

    Nous parlerons de cdant et de repreneur partir du moment o les deux

    protagonistes se rencontrent. Comme schmatis ci-aprs (cf. Figure 4), lindividu A

    devient A- en prenant la dcision de cder son entreprise au terme dune longue rflexion.

    Il engage ensuite des dmarches afin de prparer lentreprise cette opration. De son ct,

    lindividu B devient B+ au terme du processus de prise de dcision de reprendre. Il se

    prpare alors tant psychologiquement que matriellement reprendre une entreprise. La

    rencontre des deux individus les place en positions de cdant et de repreneur.

    Figure 4 - Zoom sur les protagonistes de l'opration de transfert d'entreprise

  • 31

    c. La phase de transition : tape charnire de la transmission

    [] Voici deux transmissions dentreprises russies en ce sens que

    cdants et repreneurs entretiennent dexcellents rapports (ce qui nest

    pas frquent voire exceptionnel sur la dure).

    Extrait dun change par e-mail avec un conseiller dentreprises du Conseil Rgional

    dAquitaine.

    Encadr 2 - La phase de transition : une cohabitation dlicate

    La phase de transition apparat comme la phase la plus dlicate et dont le poids dans la

    russite du projet est trs important (Fiegener et al., 1996). Elle dbute avec lentre du

    repreneur dans la firme quil vient dacqurir et sachve avec le dpart du cdant (a minima

    de ses fonctions de dirigeant). Sa dure est variable et va de quelques semaines plusieurs

    mois (Oso, 2005). La prennit de la firme y est en jeu (Colot, 2009) et dpend en partie de

    la capacit du repreneur scuriser son investissement (De Freyman, 2010). Lenjeu de cette

    tape est entre autres de prserver lentreprise au cur de la transaction. Le maintien des

    ressources humaines, qui sont une source davantage comptitif cruciale lentreprise

    (Barney, 1991), doit tre au cur des attentions. Les auteurs saccordent dire que cette tape

    ncessite attention et prparation afin de dfinir en amont des conditions optimales son bon

    droulement (notamment au regard de sa dure). Une transition trop brutale risquerait

    daltrer les relations avec les parties prenantes de lentreprise et entraner ainsi le dpart

    demploys cls ou encore la perte de clients importants (Bah, 2009). Plusieurs travaux

    tendent montrer lexistence dune influence positive de la dure de cette transition sur

    lissue de lopration (Barach et Ganitsky, 1995 ; Morris et al., 1997 ; Colot, 2009). Goldberg

    (1996) montre dans son tude que les successeurs possdant une plus grande exprience en

    termes dannes passes au sein de lentreprise familiale russissent mieux que les autres.

  • 32

    Ce nest pas parce que cest sign que le relais est pass. Il faut que chacun sache

    seffacer. Au dbut pour le repreneur et la fin pour le cdant [de la priode de

    transition].

    Propos recueillis le 20 juin 2012 auprs dun dlgu rgional dune association nationale

    daccompagnement la transmission.

    Encadr 3 - La phase de transition : une opration deux

    Cest aussi durant cette phase que les conflits sont les plus frquents. Une difficult

    tient au fait que peu de personnes dans lentreprise sont en position dintervenir entre le

    cdant et le repreneur et ainsi les aider surmonter les crises ou conflits naissants (Ciampa et

    Watkins, 1999). Wang et al. (2004) soulignent que plus lentreprise est de petite taille et plus

    les relations entre les protagonistes doivent tre bonnes compte tenu de la proximit des

    interactions quils seront amens entretenir durant le processus de transmission.

    Les travaux de De Freyman (2009) dcomposent la priode de transition en 3 temps :

    - la phase dobservation o le repreneur apprend et scurise son investissement ;

    - la phase de bascule durant laquelle le repreneur va gagner en autonomie dans un

    systme o il dispose maintenant de repres, il va merger en tant que dirigeant ;

    - la phase dmancipation, le repreneur est maintenant le dirigeant oprationnel de

    lentit reprise.

    Lauteur propose, dans une dmarche plutt normative fonde sur une investigation

    qualitative (13 cas, 28 entretiens, 5 observations passives), ltude dtaille de cette tape clef

    dans la reprise. Aprs avoir justifi thoriquement lexistence de cette dernire par une lecture

    mobilisant les thories contractuelles de la firme, lauteur fait appel la thorie du contrat

    psychologique afin denrichir la comprhension de cette phase de cohabitation entre les deux

    protagonistes de lopration. Ainsi, lexistence implicite dattentes et dobligations morales

    entre ces deux acteurs constitue le fondement de cette relation singulire. Cette lecture du

    phnomne permet une comprhension enrichie des dynamiques observes (notamment des

    cas dchecs de la priode de transition).

    Fattoum et Fayolle (2008) expliquent, en tudiant des cas de successions familiales

    que Tout au long du processus de succession, il y a un transfert de responsabilits, de

    savoir-faire et de leadership mais pas de pouvoir, ce dernier ne pouvant tre partag

  • 33

    (p.112). Le processus de transmission influencerait ainsi ltat des relations entre le

    prdcesseur et le successeur. Ces dernires seraient tendues durant les phases dentre du

    successeur et de dpart du dirigeant laissant entre les deux une priode de complicit entre les

    deux protagonistes. La relation entre le prdcesseur/cdant et le successeur/repreneur

    apparat comme un dterminant clef de lissue de lopration.

    Reid et Karambayya (2009) soulignent les difficults lies une coordination exerce

    par deux acteurs. Sur la base de 8 tudes de cas dorganisations codiriges par deux individus,

    les auteurs montrent que cette situation gnre de nombreux conflits et ne permet pas une

    gouvernance optimale. En effet, les codirigeants peuvent possder des visions diffrentes

    voire contradictoires rendant la codirection conflictuelle voire nfaste pour lentreprise.

    Dautres travaux sintressent limportance du moment o intervient ce changement

    de dirigeant. Rowe et al. (2005)14

    , en faisant le rapprochement avec les transitions de leaders

    dans les clubs sportifs, montrent que l'effet sur la performance de l'entreprise du changement

    de dirigeant dpend du moment o intervient ce dernier. En tudiant le cas du hockey, il est

    dmontr quun changement de leader intervenant durant la saison tend avoir une influence

    ngative sur la performance de lquipe.

    De Freyman (2009), en se basant sur les travaux de Handler (1990), prsente les

    volutions successives des rles respectifs occups par le prdcesseur et le successeur

    permettant le bon droulement de la transition (cf. Figure 5). Ainsi, le successeur dbute le

    processus en adossant un rle dassistant auprs dun monarque qui sera ensuite son

    superviseur lui laissant les fonctions de gestionnaire. Son mancipation lui permet de devenir

    le leader, son prdcesseur occupant ainsi durant un certain temps le rle de consultant. Il

    sagit ici dun droulement idal favorisant la russite de lopration. Dans les cas de reprise

    par un tiers externe, on observe souvent une rupture trs prcoce de la relation liant les deux

    protagonistes (OSEO-BDPME, 2005) empchant le bon transfert des ressources clefs.

    14

    Travaux issus de la littrature sur le changement de dirigeant

  • 34

    Figure 5 - La succession comme processus d'adaptation des rles (adapte de Handler, 1990) - De Freyman (2009)

    Afin de cerner lensemble des spcificits que comporte la transaction dune

    entreprise, nous proposons daborder le phnomne sous les angles successifs du repreneur

    (1.2.) et du cdant (1.3.).

    1.2. Approche par le repreneur

    Un individu devient repreneur au terme dun long processus non linaire parsem de

    priodes de doutes et de difficults surmonter diffrentes selon le profil de ce dernier

    (1.2.1.). Nous proposons de retenir le processus de reprise comme fil conducteur de notre

    expos en abordant successivement la dcision de reprendre (1.2.2.), la recherche dune cible

    (1.2.3.) et son valuation (1.2.4.). Nous nous intressons ensuite au problme de lasymtrie

    dinformation (1.2.5.) avant dexposer la question du financement de lopration (1.2.6.) pour

    enfin aborder lpreuve de lentre dans lorganisation et limpulsion du changement (1.2.7.).

    1.2.1. Profils et niveaux de difficults

    Deschamps (2000) dfinit le repreneur personne physique comme un individu (ou

    plusieurs individus), seul ou abrit derrire une structure limitant ses risques personnels, qui

    achte, de manire onreuse, une firme, en devient le propritaire et le dirigeant. Il constitue

    un nouveau dirigeant la fois en termes de proprit et de gestion (p.120).

    La littrature distingue plusieurs profils de repreneurs selon la nature du lien existant

    entre ces derniers et la cible. On peut ainsi observer trois profils de repreneurs (De Freyman et

  • 35

    Richomme-Huet, 2010). Le repreneur peut tre un hritier interne ou externe lentreprise,

    lopration tant alors une succession. Le repreneur peut tre salari de lentreprise,

    lopration tant alors une reprise par les salaris (RES)15

    , ou enfin un tiers, personne

    physique externe lentreprise menant alors une opration de Management Buy-in (MBI).

    Ltude OSEO-BDPME (2005) mene auprs de PME de trois secteurs dactivits

    (ICTCS16

    , commerce de dtail et services la personne, tourisme) permet de mieux connatre

    le repreneur type. Il sagit dun homme dune quarantaine dannes, dun niveau de formation

    lev et qui dispose dune exprience du domaine dactivit concern par la reprise. Cette

    tude montre que pour prs de 80% des reprises par personne physique, le repreneur est

    externe lentreprise. Ltude Transregio (2005) vient confirmer cette tendance qui veut que

    de moins en moins de descendants reprennent lentreprise de leurs parents. Cette situation est

    par ailleurs la plus risque compare des cas de reprise par des salaris ou par un hritier.

    En effet, il est ais de comprendre que les difficults auxquelles le repreneur va faire

    face sont lies sa proximit (presque gographique) avec la position quil envisage

    doccuper : la direction de lentit reprise. Le niveau de difficult est li tant des barrires

    sociales (Boussaguet, 2008, Bornard et Thevenard-Puthod, 2009) qu des barrires renvoyant

    aux savoirs et aux comptences attendus (Cadieux, 2007). Van Maanen et Schein (1979)

    parlent de frontires (boundaries) pour dcrire ces barrires. La figure ci-dessous (cf. Figure

    6) permet dillustrer le niveau de difficult auquel devra faire face le repreneur selon son

    profil en dbut du processus. En effet, afin datteindre la position souhaite (symbolise par le

    D de direction), lindividu devra franchir plus ou moins de barrires (le secteur dactivit,

    lentreprise, les niveaux hirarchiques, la famille). De Freyman (2010) souligne limportance

    de ces difficults lies au profil du repreneur dans son tude des cas de repreneurs hors-

    metier . Ltude OSEO-BDPME (2005), mene auprs dun chantillon de 3000 oprations

    de transmission illustre ce phnomne en valuant les facteurs de risque et de russite de la

    transmission. Les rsultats confirment que plus le repreneur se situe loin du point D , plus

    lopration comporte un risque dchec important. A titre dexemple, le niveau hirarchique

    des fonctions prcdemment occupes par le repreneur influence ses chances de russite de

    manire significative.

    15

    Dsigne aussi par Management-Buy Out (MBO) 16

    Industrie, construction, transports, commerce de gros, services aux entreprises

  • 36

    Figure 6 - Proposition dun schma croisant le profil du repreneur avec les barrires franchir

    Le schma souligne les obstacles franchir selon les caractristiques du profil de

    lentrepreneur. Ainsi :

    - P1 correspond au profil repreneur externe nayant aucune exprience du secteur et

    de management

    - P2 correspond au profil repreneur ancien-salari

    - P3 correspond au profil successeur interne lentreprise

    - P4 correspond au profil successeur externe lentreprise mais issu du mme secteur

    dactivit

    - P5 correspondant au profil successeur externe lentreprise ainsi qu son secteur

    dactivit

    Chacun de ces profils prsente des particularits qui faonnent lopration. On

    retrouve l lune des explications lhtrognit du phnomne (Brouard et Cadieux,

    2007).

    En rsum, selon quil sagisse dune reprise par une personne externe, situation qui

    cumule le plus dobstacles (Paturel, 2000), ou dune succession par un membre de la famille,

    les problmatiques seront diffrentes. Crenn (2008) rsume, sur la base dune revue de la

    littrature les diffrences entre ces deux modes de transmission (cf. Tableau 4). Lauteur

    entend par tiers personne physique un tiers externe lentreprise. La succession familiale

    semble prsenter ainsi des lments facilitateurs tels que la dure de lopration relativement

    longue permettant une transition en douceur, mais la dimension familiale apporte une certaine

    complexit faonnant ainsi tout le processus.

  • 37

    Tableau 4 - Principales diffrences entre la reprise par un tiers personne physique et celle effectue par un membre de la famille , Crenn (2008)

    Bien que lexistence dun lien de parent puisse tre perue comme un lment

    facilitateur, les deux protagonistes ayant des intrts convergents (Fattoum et Fayolle, 2008),

    la succession familiale semble cependant moins performante que la reprise par un tiers

    externe. Les travaux de Colot (2009) mettent ainsi en vidence, sur la base dune tude

    quantitative mene auprs de 83 cas de transmission, leffet ngatif qua le repreneur interne

    ( la famille) sur la performance de lentreprise. Lauteur souligne que dans cette situation, le

    repreneur peut tre externe lentreprise (explication par les comptences) ou bien prendre la

    relve contrecur (explication par les motivations). Le repreneur externe a tendance avoir

    une influence positive sur la performance de lentreprise. Lauteur explique cela du fait que ce

    dernier apporte une connaissance et un savoir-faire nouveaux et quil a tendance mettre en

    place une nouvelle stratgie.

    Dautres typologies du repreneur ont t labores sur la base dautres critres plus ou

    moins discriminants que celui du lien pralable avec la cible. Deschamps (2000) distingue

    ainsi, sur la base dune tude statistique de donnes issues de questionnaires (analyse

    factorielle, analyse typologique, analyse discriminante), 5 groupes de repreneurs en fonction

    de leurs motivations pour la reprise. Ses travaux distinguent ainsi :

  • 38

    - les non-motivs ou indcis, qui sont des individus pour lesquels la reprise ne

    constitue quun palier et non une finalit ;

    - les dtermins pour lesquels la reprise est laboutissement dun projet de carrire

    - les contraints reprendre, qui nont pas recherch la reprise mais ont saisi une

    opportunit leur permettant de se crer leur propre emploi et atteindre un certain

    niveau de vie ;

    - les sociaux qui reprennent plutt pour prenniser une firme et sauvegarder des

    emplois ;

    - les investisseurs qui abordent la reprise comme tant un placement comme un autre,

    lopration reprsentant un dfi leur permettant de remettre en cause leurs

    comptences.

    Geraudel et al. (2009) proposent quant eux une typologie du repreneur en fonction

    de la sant de lentreprise cible. Cette prise en compte du risque leurs permet de distinguer

    trois catgories de repreneurs : les prudents, les aventuriers et les indiffrents.

    Ces typologies, bases surtout sur des tudes quantitatives, permettent de multiplier les

    approches dun mme acteur largissant ainsi le spectre des rflexions futures.

    1.2.2. La dcision de reprendre

    Lindividu prend la dcision de reprendre au terme dun processus qui reste encore

    peu tudi (en comparaison du processus de la prise de dcision de crer). Dans le cadre de la

    reprise par une personne physique, Deschamps (2000) propose une modlisation de ce

    processus (cf. Figure 7) faisant intervenir des lments propres lindividu (antcdents et

    motivations) et des lments lis lenvironnement externe (origine de lide et lment

    dclencheur). Ce processus peut servir de grille danalyse des dterminants de la dcision de

    reprendre.

  • 39

    Figure 7 - Le processus relatif la dcision dentreprendre du repreneur , (Deschamps,

    2000)

    Plus rcemment, Parker et Van Praag (2012) se sont intresss, sur la base dune tude

    quantitative mene auprs dun chantillon de prs de 600 entrepreneurs (crateurs et/ou

    repreneurs) hollandais, aux dterminants de ce quils appellent the entrepreneurs mode of

    entry , ou le choix entre crer et reprendre. Leur tude montre que la cration ex nihilo

    sassocie un niveau dtude plus important alors quune grande exprience de gestion, un

    volume important de capitaux requis pour la cration ainsi quun risque industriel fort

    favorisent la reprise dentreprise. Cieply et al. (2013) compltent ce constat en dmontrant,

    sur la base de ltude dun chantillon de plus de 20 000 jeunes entreprises franaises, que le

    capital social et les moyens financiers de lentrepreneur jouent aussi un rle dans cette

    dcision. En effet, selon cette tude, un capital social important et de faibles moyens

    financiers conduiraient crer ex nihilo alors quun faible capital social et dimportants

    moyens financiers favoriseraient la reprise.

    Block et al. (2013) enrichissent enfin la comprhension des dterminants de ce choix en

    apportant des lments lis au pays dans lequel la dcision est prise. A partir de ltude dun

    chantillon de 4 210 entrepreneurs de 33 nationalits diffrentes, leur recherche montre que

    des facteurs pays tels que linnovation17

    ou la charge administrative lie une cration

    dentreprise influencent ce choix.

    17

    Apprcie par le nombre de brevets dposs

  • 40

    Par ailleurs, Callot (2007), par une tude qualitative de nature exploratoire, indique

    quil ne semble pas exister de fortes divergences dans les motivations du repreneur et du

    crateur. Ainsi, les caractristiques du projet joueraient un rle prpondrant dans

    lorientation de la modalit entrepreneuriale.

    Grazzini et Boissin (2013) vont plus loin en proposant un clairage des processus

    cognitifs guidant les dirigeants en matire de reprise d'entreprise. Dans la ligne des

    recherches sur l'intention entrepreneuriale, les auteurs montrent l'importance des croyances et

    du vcue des individus dans la formation d'une intention de reprendre. Une enqute ralise

    auprs d'un chantillon de 245 dirigeants d'entreprise permet de distinguer quatre modles

    mentaux, ou reprsentations de la reprise dentreprise, expliquant la volont de reprise des

    dirigeants (cf. figure ci-dessous).

    Reprsentations de la reprise dentreprise

    Classe 1 une pratique peu valorise et difficile

    Classe 2 une voie pour continuer entreprendre dans un esprit socital

    Classe 3 une pratique entrepreneuriale constituant une voie

    indpendante d'accomplissement professionnel

    Classe 4 une pratique entrepreneuriale source de russite

    professionnelle et personnelle

    Tableau 5 - Typologie des modles mentaux relatifs la reprise d'entreprise (Grazzini et Boissin, 2013)

    Dans le cadre de la succession, les motivations reprendre sont dun autre ordre. La

    littrature voque les motivations que lon peut intuitivement attribuer ce genre doprations

    telles que le dsir de perptuer la tradition ou encore celui dassurer la prennit de

    lentreprise familiale. Bgin (2007) montre cependant que les successeurs sont davantage

    motivs par le dsir de se faire plaisir et de spanouir (hdonisme individualiste) que par

    des proccupations collectivistes ou par le sens de la communaut (remplir un devoir envers

    la famille, poursuivre la tradition, faire plaisir aux parent) (p.30). Lauteur souligne que ce

    comportement semble sinscrire dans les grandes tendances comportementales mises au jour

    par les sociologues. Ainsi, cet hdonisme individualiste est le rsultat de la monte des valeurs

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    individualistes et de lapparition du phnomne de lenfant-roi. Cette tude souligne lintrt

    de considrer, lorsque lon sintresse au comportement des individus, lenvironnement dans

    lequel ils voluent. La reprise apparat ici davantage comme le rsultat de lapparition dune

    opportunit. Les travaux de Birley (1986) montrent par ailleurs que la pression que supportent

    les successeurs des entreprises familiales durant la reprise nest en dfinitive pas impose par

    les parents mais provient des repreneurs eux-mmes. Cette volution dans les motivations

    reprendre pourrait annoncer des dmarches de plus en plus entrepreneuriales, lobjectif pour

    les repreneurs tant de saffirmer (Deschamps, 2000) et pas de perptuer la tradition.

    1.2.3. Trouver une entreprise reprendre

    Afin dacheter une socit, le repreneur a besoin en amont de dfinir son projet pour

    tre capable de reprer des cibles dont lvaluation engagera des ngociations en vue de

    lacquisition de lune dentre elles.

    Une fois la dcision de reprendre prise, le repreneu