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Pratiques de classe Démarrer l’année par la lecture d’un roman Annie de Larochelambert

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Page 1: Démarrer l’année par la lecture d’un romanP r a t i q u e s d e c l a s s e Démarrer l’année par la lecture d’un roman Annie de Larochelambert &:H EG:B>:GH ?DJGH 9: 8A6HH:

CHANTIERS n°29 Novembre 2014

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Pratiqu

esde

classe Démarrer l’année par la lecture d’un roman

Annie de Larochelambert

Les premiers jours de classe, je demande sou-vent à mes nouveaux élèves de CM1 ou CM2quels romans ils ont lus pendant les vacances.Chaque année, presque invariablement, beau-coup d’entre eux n’en ont pas lu et recon-naissent « qu’i ls n’aiment pas l ire les romans ».I ls ont lu des albums, des revues, des il lustrés et,bien sûr des BD mais pas de romans. Chaqueannée je m’attache donc à faire rapidement émer-ger chez eux un goût réel pour la lecture de ro-mans. Voici comment je procède pour démarrer.

J ’ai, dans ma classe, une bibl iothèque assezriche, constituée au cours des années de romansque j’ai achetés, que mes propres enfants oud’anciens élèves m’ont laissés, auxquels je ra-joute des romans de la BCD de notre école quiont fait leurs preuves et que je connais. I l fautdire, que je m’attache -et trouve un grand plaisir-à l ire très fréquemment des l ivres pour la jeu-nesse, afin d’en connaître un grand nombre et depouvoir conseil ler mes élèves ou rapidement trou-ver le l ivre, l ’histoire, le passage qui i l lustre un su-jet ou un point que nous venons d’aborder et enproposer la lectureb

En début de journée ou d’après midi, j ’éparpil le1 20 à 1 50 romans sur les tables des élèves. Sic’est l ’après-midi, j ’ai demandé aux enfants dedébarrasser leur pupitre avant de les faire sortir à11 heures et demie. I l faut que les élèves aientvraiment le choix et puissent trouver un titre, unecouverture, un genre qui les attire. C’est ce quepermet cette disposition peu habituel le et un peudésordonnée des ouvrages. Cette surprise contri-bue également à la réussite de cette séquence.

Dans le couloir, je leur demande de se taire, enadoptant un ton un peu mystérieux qui les sur-prend ; nous savons tous qu’i l faut, dans notremétier, avoir des qualités de comédien ! Puis jeles fais rentrer dans la classe après avoir répétéma consigne de silence et les invite à circulertranquil lement entre les tables. Après leur pre-mière surprise, lorsqu’i ls découvrent tous ceslivres répandus sur les tables, les enfants seprêtent rapidement au jeu. Je m’empresse derappeler tout doucement la consigne aux raresélèves qui bavardent.

Si l ’un d’entre eux demande : « Maîtresse, qu’est-ce qu’on fait ? » ou « Est-ce qu’on peut l ire ? » jeleur réponds plutôt par une nouvelle question :« À votre avis ? » ou par une invitation « Oui,pourquoi pasbsi ça vous fait plaisir » mais nelaisse pas se poursuivre les échanges verbaux etleur fais signe de se taireb Peu à peu les enfantschoisissent un l ivre, s’asseyent et commencent àle l ire. Je m’instal le à mon tour et commence àlire, ne me relevant que si je vois un élève quis’agite ou ne parvient pas à trouver un titre qui luiconvienne. Je m’adresse alors à lui en chucho-tant afin de ne pas déranger ceux qui l isent déjàet pour ne pas rompre l’atmosphère.

Si un élève me demande s’i l a le droit, aprèsquelques pages de lecture de reposer son romanet d’en choisir un autre je l ’y autorise et je lui pro-pose mon aide. Au bout d’un quart d’heure envi-ron tous les enfants l isentbou font semblant del ire. Certains se sont assis à leur place, d’autresoccupent cel le d’un autre élève, d’autres encorese sont instal lés par terre ou sur un coussinb

Je reprends ma lecture en surveil lant mes élèvesd’un œil, prête à intervenir rapidement pour cou-per court à toute envie de chahuter. En général,les enfants « jouent le jeu » et même les plusréticents à la lecture se laissent entraîner.

Lorsqu’au bout d’environ vingt minutes de lectureje propose d’arrêter, nombreux sont ceux qui pro-testent et disent qu’i ls souhaiteraient continuer. Jeleur propose donc de garder le roman s’i l veulenten poursuivre la lectureb ultérieurement ou chezeux et leur fais remplir les cartes d’emprunt desl ivres de la bibl iothèque de la classe. Ceux qui ontchoisi un roman de la BCD enregistreront par lasuite leur emprunt.

Je demande à quelques élèves d’empiler lesl ivres de la bibl iothèque de la classe sur unpupitre près de l’étagère et de placer ceux de laBCD dans une caisse. Le rangement des uns etdes autres fera l ’objet d’une prochaine séance detravail : classement par maison d’édition et col lec-tion pour les romans de ma bibl iothèque declasse, classement par ordre alphabétique d’au-teur pour ceux de la BCD .

Puis j ’ invite les enfants à s’exprimer sur ce qu’i lsviennent de vivre.

La plupart souhaitent emprunter le roman qu’i lsont commencé à lire. I ls découvrent que ce quileur pose problème c’est souvent de commencerla lecture d’un roman, c’est-à-dire d’entrer dansson histoire, de se donner le temps de faireconnaissance avec les personnages, de se lesreprésenter, de comprendre son sujet. I ls s’aper-çoivent aussi que chez eux, i ls ne se donnent pasle temps nécessaire pour que l’envie de lirepuisse émerger et que ceux qui ont lu pendantquinze à vingt minutes le même roman ont réel le-ment envie de connaître la suite. Pour cela i l fautqu’i ls n’aient rien d’autre à faire -ce qui était lecas lors de cette séance- mais aussi que lacontrainte soit suffisamment légère pour qu’i ls sesentent l ibres : l ibres de choisir quel le histoire i lsveulent l ire, l ibres de reposer le l ivre si au bout dequelques pages elle ne leur convient pas ­on tra­vaillera par la suite à persévérer un peu dans lalecture du début …­ l ibres de s’instal ler comme ilsle souhaitentb Ce qui est impératif est que le si-lence règne, que tous l isent et qu’i ls ne puissentrien faire d’autre- si ce n’est rêver- s’ i ls ne l isentpas.

Mais le plaisir et l ’envie sont contagieuxb et à lafin de la séance, immanquablement, l ’un d’entreeux demande : « Maîtresse, quand c’est qu’onrecommence ? » A quoi je réponds avec humour:« Oh, je ne sais pas, je ne voudrais pas vous en-nuyerb puisque vous n’aimez pas lireb ».

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PratiquesdeclasseDémarrer l’année par la lecture d’un roman

Annie de Larochelambert

Les premiers jours de classe, je demande sou-vent à mes nouveaux élèves de CM1 ou CM2quels romans ils ont lus pendant les vacances.Chaque année, presque invariablement, beau-coup d’entre eux n’en ont pas lu et recon-naissent « qu’i ls n’aiment pas l ire les romans ».I ls ont lu des albums, des revues, des il lustrés et,bien sûr des BD mais pas de romans. Chaqueannée je m’attache donc à faire rapidement émer-ger chez eux un goût réel pour la lecture de ro-mans. Voici comment je procède pour démarrer.

J ’ai, dans ma classe, une bibl iothèque assezriche, constituée au cours des années de romansque j’ai achetés, que mes propres enfants oud’anciens élèves m’ont laissés, auxquels je ra-joute des romans de la BCD de notre école quiont fait leurs preuves et que je connais. I l fautdire, que je m’attache -et trouve un grand plaisir-à l ire très fréquemment des l ivres pour la jeu-nesse, afin d’en connaître un grand nombre et depouvoir conseil ler mes élèves ou rapidement trou-ver le l ivre, l ’histoire, le passage qui i l lustre un su-jet ou un point que nous venons d’aborder et enproposer la lectureb

En début de journée ou d’après midi, j ’éparpil le1 20 à 1 50 romans sur les tables des élèves. Sic’est l ’après-midi, j ’ai demandé aux enfants dedébarrasser leur pupitre avant de les faire sortir à11 heures et demie. I l faut que les élèves aientvraiment le choix et puissent trouver un titre, unecouverture, un genre qui les attire. C’est ce quepermet cette disposition peu habituel le et un peudésordonnée des ouvrages. Cette surprise contri-bue également à la réussite de cette séquence.

Dans le couloir, je leur demande de se taire, enadoptant un ton un peu mystérieux qui les sur-prend ; nous savons tous qu’i l faut, dans notremétier, avoir des qualités de comédien ! Puis jeles fais rentrer dans la classe après avoir répétéma consigne de silence et les invite à circulertranquil lement entre les tables. Après leur pre-mière surprise, lorsqu’i ls découvrent tous ceslivres répandus sur les tables, les enfants seprêtent rapidement au jeu. Je m’empresse derappeler tout doucement la consigne aux raresélèves qui bavardent.

Si l ’un d’entre eux demande : « Maîtresse, qu’est-ce qu’on fait ? » ou « Est-ce qu’on peut l ire ? » jeleur réponds plutôt par une nouvelle question :« À votre avis ? » ou par une invitation « Oui,pourquoi pasbsi ça vous fait plaisir » mais nelaisse pas se poursuivre les échanges verbaux etleur fais signe de se taireb Peu à peu les enfantschoisissent un l ivre, s’asseyent et commencent àle l ire. Je m’instal le à mon tour et commence àlire, ne me relevant que si je vois un élève quis’agite ou ne parvient pas à trouver un titre qui luiconvienne. Je m’adresse alors à lui en chucho-tant afin de ne pas déranger ceux qui l isent déjàet pour ne pas rompre l’atmosphère.

Si un élève me demande s’i l a le droit, aprèsquelques pages de lecture de reposer son romanet d’en choisir un autre je l ’y autorise et je lui pro-pose mon aide. Au bout d’un quart d’heure envi-ron tous les enfants l isentbou font semblant del ire. Certains se sont assis à leur place, d’autresoccupent cel le d’un autre élève, d’autres encorese sont instal lés par terre ou sur un coussinb

Je reprends ma lecture en surveil lant mes élèvesd’un œil, prête à intervenir rapidement pour cou-per court à toute envie de chahuter. En général,les enfants « jouent le jeu » et même les plusréticents à la lecture se laissent entraîner.

Lorsqu’au bout d’environ vingt minutes de lectureje propose d’arrêter, nombreux sont ceux qui pro-testent et disent qu’i ls souhaiteraient continuer. Jeleur propose donc de garder le roman s’i l veulenten poursuivre la lectureb ultérieurement ou chezeux et leur fais remplir les cartes d’emprunt desl ivres de la bibl iothèque de la classe. Ceux qui ontchoisi un roman de la BCD enregistreront par lasuite leur emprunt.

Je demande à quelques élèves d’empiler lesl ivres de la bibl iothèque de la classe sur unpupitre près de l’étagère et de placer ceux de laBCD dans une caisse. Le rangement des uns etdes autres fera l ’objet d’une prochaine séance detravail : classement par maison d’édition et col lec-tion pour les romans de ma bibl iothèque declasse, classement par ordre alphabétique d’au-teur pour ceux de la BCD .

Puis j ’ invite les enfants à s’exprimer sur ce qu’i lsviennent de vivre.

La plupart souhaitent emprunter le roman qu’i lsont commencé à lire. I ls découvrent que ce quileur pose problème c’est souvent de commencerla lecture d’un roman, c’est-à-dire d’entrer dansson histoire, de se donner le temps de faireconnaissance avec les personnages, de se lesreprésenter, de comprendre son sujet. I ls s’aper-çoivent aussi que chez eux, i ls ne se donnent pasle temps nécessaire pour que l’envie de lirepuisse émerger et que ceux qui ont lu pendantquinze à vingt minutes le même roman ont réel le-ment envie de connaître la suite. Pour cela i l fautqu’i ls n’aient rien d’autre à faire -ce qui était lecas lors de cette séance- mais aussi que lacontrainte soit suffisamment légère pour qu’i ls sesentent l ibres : l ibres de choisir quel le histoire i lsveulent l ire, l ibres de reposer le l ivre si au bout dequelques pages elle ne leur convient pas ­on tra­vaillera par la suite à persévérer un peu dans lalecture du début …­ l ibres de s’instal ler comme ilsle souhaitentb Ce qui est impératif est que le si-lence règne, que tous l isent et qu’i ls ne puissentrien faire d’autre- si ce n’est rêver- s’ i ls ne l isentpas.

Mais le plaisir et l ’envie sont contagieuxb et à lafin de la séance, immanquablement, l ’un d’entreeux demande : « Maîtresse, quand c’est qu’onrecommence ? » A quoi je réponds avec humour:« Oh, je ne sais pas, je ne voudrais pas vous en-nuyerb puisque vous n’aimez pas lireb ».