DéjàparuauxéditionsdeLaMartinière:

Cesijolitrouble2014

Photographiedecouverture:©SergZastavkin/ShutterstockÉditionoriginalepubliéeen2013sousletitreFakingIt

parHarperCollinsPublishers,NewYork.©2013,CoraCarmack,Tousdroitsréservés.

Pourlatraductionfrançaise:©2014,ÉditionsdeLaMartinière,

unemarquedeLaMartinièreGroupe,Paris.

ISBN:978-2-7324-6063-5

www.lamartinieregroupe.com

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

Sommaire

Couverture

DéjàparuauxéditionsdeLaMartinière:

Copyright

Tabledesmatières

1-Cade

2-Max

3-Cade

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ÉpilogueMax

1

Cade

Cellequej’aimaissortaitavecunautre.Onauraitpupenserqu’avecletempsjem’yseraishabitué.Quejen’auraisplusl’impressiondeme

sentirlaminéchaquefoisquejelesvoyais.Ouquej’auraiscessédem’infligercettetortureencoupantlesponts.Onauraiteutoutfaux.Parcequetoutça,c’estdelathéorie,etj’avais,unefoisdeplus,rendez-vousaveceux.Ensemble.UnventglacialsoufflaitdanslesruesdePhiladelphie,etlebruitdemespas,curieusementsonore

surlaneige,medonnaitl’impressiond’alleràl’échafaud.Pasaucaféoùdesamism’attendaient.Desamis!Unrireamerm’aéchappé,créantunnuagedebuéeblanchedansl’airpiquant.Ilsétaientaucoinde

larue.Ils,c’est-à-direBlissetceluiqu’ellem’avaitpréféré,Garrick.Serrés l’un contre l’autre, emmitouflés dans leurs manteaux et dans leurs écharpes, ils offraient

l’imageparfaiteducoupleidéal.Ilsenétaientmêmel’incarnationvivante,commes’ilssortaientd’unepuboud’unromanàl’eauderose.

Jedétestaiscegenredeclichés.Jen’étaispasjaloux.J’allaism’yfaire.Cen’étaitqu’unequestiondetemps,parcequetoutcequejevoulais,c’était le

bonheurdeBliss.Et,àlavoir,lesmainsglisséesdanslespochesdeGarrick,sonvisagerayonnantlevéverslesien,elleavaitl’airvraimentheureux.

C’était hélas ! une partie demonproblème.À force de volonté, je pourrais peut-être oublier lessentimentsqu’ellem’inspirait,maisleurbonheur…C’étaitluiquimerendaitjaloux.

J’étaismalheureux.J’avaisbeaum’être intégréàPhiladelphie,avoirquelquesamis,sortiretmechanger les idées, je

ramais.Nouveaudépart?Tuparles!Monappartement–deuxpiècessurlecampus–étaitminable,mesrelationsaveccellequiavaitété

–quiétaitencore–mameilleureamierestaientlaborieuses,etjecroulaissouslesdettes.J’avaiscru,enpoursuivantmesétudes,réussiraumoinssurunplan.

Erreur.J’étais le plus jeune étudiant de ma promo. Alors que tous les autres avaient des années

d’expérienceprofessionnelleàleuractifetuneviebienremplie,lamienneétaitaussipassionnantequecelled’unehuîtrevisséeàsonrocher.J’étaisàPhiladelphiedepuispresquetroismois,etleseulrôlequej’avaisdécrochéétaitceluid’unsans-abridansunepublicitépouruneassociationcaritative.Unrôledefigurant.

Tuparlesd’unsuccès.Àlasecondeoùellem’avu,BlissaretirélesmainsdespochesdeGarrickets’estécartéedelui.

—Cade!m’a-t-ellelancé.J’aisouri.Commesijen’avaispaseu,commechaquefoisquejelavoyais,lecœurenmorceaux.Jetenaispeut-êtreunrôle,aprèstout.Quandjelesairejoints,ellem’aserrédanssesbras,trèsvite,avecgêne,etGarrickm’atendula

main.Ilavaitbeaum’agacer,jen’arrivaispasàledétester.Iln’empêchaitjamaisBlissdemevoir,etilavaitapparemmentglisséunelettrederecommandationdithyrambiquedansmondossierdecandidatureàl’universitéTemple.Nousnoussommesserrélamain,etc’estd’untonsincèrequ’ilm’aditensouriant:

—Contentdetevoir,Cade.—Moiaussi,ai-jerépondu.LesilenceallaitdevenirgênantquandBliss,frissonnantdefaçonexagérée,adéclaré:—Jenesaispasvous,maismoi,jemegèle.Allonsàl’intérieur.LeMugshot était surtout connu pour ses cocktails, le soir, mais je n’y étais jamais venu. Il se

trouvaitloinducampusetjenebuvaisjamaisdecafé,contrairementàBliss.Pourtant,commej’aimaisluifaireplaisir,j’avaisacceptédelesretrouverici.

Renonçantauverredetequilaquim’auraitfaitleplusgrandbien–mêmeàneufheuresdumatin–,j’allaisopterpourunsmoothiequandj’airepéréunetablelibre.

LaissantGarrickpassercommandeaucomptoir,jesuisallém’installer.—Alors,m’ademandéBlissenmerejoignant,commentvas-tu?Jel’airegardéeôtersesgants,s’asseoiretseréchaufferlesmains.Sesjouesétaienttoutesrosesde

froid, mais l’hiver lui allait bien. Son foulard rehaussait le bleu de ses yeux, et les boucles de sescheveux,ébourifféesparlevent,flottaientsursesépaules.Elleétaitvraiment…

«Arrête»,mesuis-jeditenserrantlespoingssouslatable.—Trèsbien,ai-jerépondu.Lescourssontsuper.J’adorel’université,etlavilleestgéniale.Jevais

trèsbien.—Vraiment?Jemedoutaisqueluimentirétaitabsurde.Nousavionslongtempspartagétousnossecrets,etelle

avaittoujourssucequej’éprouvais.Sauf…messentimentspourelle.Detoutesmesfaiblesses,c’étaitlaseulequi luiavaitéchappé.Ilm’arrivaitdepenserqu’ellen’avaitriendevinéparcequ’ellenevoulaitpassavoir.

—Oui,vraiment,ai-jeaffirmé.Elle neme croyait pas davantage,mais elleme connaissait suffisamment pour savoir que j’avais

besoindem’accrocheràcemensonge.Jenepouvaispasluiracontermesdéboires,surtoutmaintenant.Detoutefaçon,nousn’étionsplusaussiprochesqu’avant.

Garrickestvenunousrejoindre.Étonnédedécouvrirlesmoothiequejen’avaispascommandé,jel’airemercié.

—Derien.Alors,a-t-ilreprisens’asseyantàcôtédeBliss,dequoiparliez-vous?J’aiplongélenezdansmonverre.—Cademeparlaitdesescours,arépliquéBlissàmaplace.Apparemment,ils’éclate!Certaineschoses,aumoins,n’avaientpaschangé.Ellesavaitencorequandj’avaisbesoind’êtretiré

d’affaire.Garrickluiatendusoncaféetl’aregardée,ensouriantbéatement,boireunelongueetbienfaisante

gorgée,avantdereveniràmoi.— Ça fait plaisir à entendre, Cade. Tu sais que j’ai toujours d’excellentes relations avec les

professeursdeTemple,alorssituasbesoindequoiquecesoit,n’hésitepas.

Pourquoi devait-il être aussi sympa ? J’aurais pu collermonpoingdans la figure d’un crétin, çam’auraitsoulagéetcertainementcoûtémoinscherquelereplâtragedesmursdemachambre.

—Merci,Garrick,j’ypenserai.Nousavonsdiscutédechosesetd’autresjusqu’aumomentoùBlissaparléd’OrgueiletPréjugés,

la pièce qu’ils étaient en train de jouer. Son enthousiasmem’a rappelé à quel point, sur ce plan, sarencontreavecGarrickl’avait transformée.Detoutelabandequenousétionsl’andernier,elleétait laseuleàêtremontéesurlesplanchesdirectementaprèslediplôme.Jenel’auraisjamaiscru.Cen’étaitpasunequestiondetalent–elleenavaitbeaucoup–,maisellen’avaitaucuneconfianceenelle.J’avaispensé qu’elle choisirait une voiemoins risquée, lamise en scène ou la régie, et j’aimais croire quej’auraispu,moiaussi,larévéleràelle-même.Maisjen’enétais,hélas!plussisûr.

ElleaparléensuitedeleurappartementdansGayborhood.J’avaisréussi,jusqu’ici,àdéclinersesinvitations,maisj’allaisfinirparêtreàcourtd’excusesetobligéd’accepter.

Ilshabitaientdansunquartierbranché,justeenfaced’unbartrèsfréquenté.—Blissalesommeilsiléger,m’aexpliquéGarrickenriant,qu’elleseréveillepresquetoujoursà

l’heurede la fermeture. Regarder le spectacle qui se déroule sous nos fenêtres estmême devenu unehabitude!

Elleavaitlesommeilléger?Etalors?Jenevoulaispaslesavoir!Jedétestaisqu’ilconnaissecegenrededétailsquej’ignorais–jen’enavaispasbesoinpourmerappeleravecquiellepassaitsesnuits.Etjedétestaismaréactionplusencore.

Ilssesontmisàévoquerunedecesnuitsmémorables.C’étaitàpeinesi,riantdeleurssouvenirs,ilsmeregardaient.J’étaislespectateurdeleuridylle.

Unrôledontjecommençaisàmelasser.Maisquej’étaisleseulàm’infliger.Jenepouvaispascontinuercommeça.Alors,j’aidécidédenepluslesvoir.Aumoinstantquemesproblèmesneseraientpasréglés.Satisfaitdemadécision,j’aiécoutélerestedel’histoireensouriantetaccueilliavecsoulagementla

sonneriedutéléphonedeBliss.Ellearegardél’écranetprisl’appeltoutdesuite.—Kelsey?s’est-elleexclamée.Çaalors!Celafaitdessemainesquej’attendsdetesnouvelles!Sondiplômeenpoche,Kelseyavaitfaitexactementcequ’elleavaitdit.Àlafindel’été,tandisque

lesautress’éparpillaientunpeupartoutpourchercherduboulotoucontinuerleursétudes,elleétaitpartiefaireletourdumonde.ChaquefoisquejemeconnectaissursapageFacebook,c’étaitpourdécouvrirlenouveaupaysqu’elletraversait.

—Jereviens,nousasouffléBliss,undoigtsurseslèvrestoutenselevant.Nequittepas,Kelsey,jet’entendsmal.Jesors.

Je l’ai regardéepartirenmerappelant toutes les foisoùellem’avaitoffertcevisageradieux.Lavie,etcetteimageavaitquelquechosededéprimant,mefaisaitpenseràunarbre.Lesbranchespoussentsystématiquementloindesracines,etonaurabeaufaire,pasmoyenderevenirenarrière.J’étaisundeces rameaux. J’avais passé quatre ans merveilleux avec une bande d’amis formidables. Soudés hiercommelescinqdoigtsdelamain,nousétionsmaintenantdispersésauxquatrecoinsdumonde.Etnousnenousreverrionsprobablementjamais.

J’enétaislàdemesréflexionsquandGarrickm’ainterrompu:—Cade,m’a-t-ildit–etj’aitoutdesuitecompris,ausondesavoix,queçaallaitcraindre–,je

voudraisprofiterdel’absencedeBlisspourteparlerdequelquechose…

Ladernièrefoisqu’ilm’avaitprisàpart,c’étaitpourmedired’oublierBliss,etquejenepouvaisconstruiremavieenfonctiond’elle.Iln’avaitpaseutort,etçarestaitmalheureusementvalable.

—Jet’écoute.—Jenesaispastropcommentteledire…C’étaitça lepire.Depuisquemameilleureamiem’avaitbrisé lecœur, tout lemondemeprenait

avec des pincettes. À croire que j’étais en permanence au bord du suicide. J’en avais marre de cesprécautions.

—Vas-y.Ilaprisunebonneinspiration,puissonhésitationafaitplaceàunsourirerayonnant.—JevaisdemanderàBlissdem’épouser.Touts’estfigé,commedansunfilmjusteavantl’explosion.J’entendaismêmeletic-tacdel’horloge

au-dessusdenous, aussi précis que leminuteur d’unebombe.Cequi nemanquait pas d’ironie, parcequ’elleavaitdéjàexplosé.Ilsallaientsemarier.

J’étaisfracassé.Alorsj’aifaitcommeauthéâtre:unepause.Suspendrel’actionn’estqu’untrucdemiseenscène,

unefaçond’accompagnerleglissementd’unescèneoulechangementd’unpersonnage,maisc’étaitplusfaciledemecroireaumilieud’unefictionquedanslavraievie.C’étaitquandmêmeunsacréglissement.

Etunesacréefichuepause.—Cade…Avantqu’ilpuissedirequoiquecesoit,oupire:qu’ilmeréconforte,j’aiendossémonpersonnage

etaffiché,avecungrandsourire,cequej’espéraisêtreunairravi.—Félicitations,monvieux!Je jouais lacomédie.Defaçonpitoyable.Commequand je récitaismon texteau lieude levivre,

parcequej’étaisobnubiléparlesréactionsdupublic.Garrick,enl’occurrence.—Alors,çanetegênepas?Enchaîner,jedevaisenchaîner.—Biensûrquenon!Blissestmameilleureamie,etjenel’aijamaisvueaussiheureuse,alorsje

suisravi.Lapageesttournée!Ils’estpenchépourmedonnerunetapesurl’épaule,commesij’étaissonfils,sonpetitfrèreouson

chien.—Tuesunchictype,Cade.C’estcequ’ondisait.Cade,l’éternelchictype.Autrementdit,l’éternelsecondrôle.Monsmoothie

avaitungoûtamer.—Alors,a-t-ilrepris,ilparaîtquetuaspassédesauditions,cettesemaine.Commentc’était?«Oh!non,mesuis-jedit,jenevaispas,aprèsavoirentendusesprojetsdemariage,enchaînersur

lerécitdemonlamentableéchec.»Autantmependresoussesyeux.Le retour deBlissm’a heureusement sauvé. Enfin, si on veut, parce que l’immense sourire avec

lequelelleaposélamainsurl’épauledeGarrickm’aaussitôtinspirélacertitude–tragique–qu’elleallaitdireoui.

Uneévidence.Quim’achevait.Pause.Re-pause.J’aurais dû dire quelque chose, seulement j’étais paralysé.On n’était pas dans une fiction.Nous

n’étionspasdespersonnages.C’étaitmavie,etlechangementvenaitdemepoignarderdansledos.

Ignoranttoutdemessouffrances,Blisss’estpenchéesurGarrick.—Ondoitpartir,chéri.Onnousattendàl’autreboutdelavilledansmoinsdetrenteminutes.Elles’esttournéeversmoi.— Je suis désolée, Cade, mais on joue pour des étudiants ce matin. Et depuis le temps que

j’attendaisdesnouvellesdeKelsey,jenepouvaispasluiraccrocheraunez.Jetejuredemerattraperlaprochainefois.Àcepropos,tuviensfêterThanksgivingàl’orphelinatavecnous,demain?

Je n’avais toujours pas donnéma réponse, j’étais d’ailleurs pratiquement sûr que c’était pour çaqu’elleavaitvoulumevoir.Jem’étaispréparéàaccepter.Cinqminutesplus tôt, je l’auraisfait,mais,maintenant,jem’ensentaisincapable.C’étaitmêmehorsdequestion.Garrickallaitluifairesademande,etjenevoulaispasmetrouverdanslecoinàcemoment-là–niaprès.J’avaisbesoind’air,besoindem’éloignerd’eux,deBliss,durôledefigurantquejejouaisdansleurhistoire.Alorsjeluiaimenti.

—Non,j’aioubliédeteprévenir,maisjerentrechezmoi.Magrand-mèrenevapastrèsbien,jedoisallerlavoir.

Sonvisages’estaussitôtrembruni,etelleatendulamainversmoi.Feignantdenepasremarquersongeste,jemesuislevépourjetermongobeletàlapoubelle.

—Qu’est-cequ’ellea?m’a-t-elledemandé.—Oh!sansdouterien,maisàsonâge,onnesaitjamais.Meservirdemagrand-mère,lafemmequim’avaitélevé,n’étaitdéjàpastrèsglorieux.Jepréférais

restervague.—Embrasse-lademapart,et…bonvoyage,alors.Cette fois, quand ellem’a embrassé, je lui ai rendu son étreinte. Je n’avais pas l’intention de la

revoirtoutdesuite–pastantquejeseraisincapabled’affirmersansmentirquejel’avaisoubliée.Etvulafaçondontjeréagissais,çarisquaitdeprendreuncertaintemps.

Pendantqu’ilsramassaientleursaffaires,j’aireprismaplaceenprétendantquej’allaistravailler.J’aimêmesortiletexted’unepiècequej’étaiscenséapprendre,mais,enréalité,jen’avaisaucuneenviederentrerchezmoi.Jen’enpouvaisplusdemeretrouverseuletderuminermesidéesnoires.Lecaféétaitheureusementassezpleinetassezanimépourmerappelerqu’ilexistaitunevieendehorsdeBliss.

De l’autre côté de la devanture, ellem’a fait un petit signe de lamain. Je lui ai répondu enmedemandantsielleavaitconscienceducôtédéfinitifdecetaurevoir.

2

Max

Mon téléphoneasonnéà l’instantoùMace,profitantdemadistraction,glissait la main dans la poche arrière de mon jean. Je lui ai laisséexactement lesdeuxsecondesqu’ilmefallaitpourattrapermonappareil,avantdel’écarterd’uncoupdecoude.

C’était la troisième fois qu’il m’obligeait à le repousser. À croire qu’il avait une mémoire depoissonrouge.

L’écrandemontéléphoneaffichaitlaphotodemamèrequej’avaisprisependantqu’elleépluchaitdeslégumes,avecsonairdeserialkiller.

JesuisentréeauMugshotavantdedécrocher.—Salut,maman.J’entendais, en fond sonore, des chants deNoël.On n’avaitmême pas fêté Thanksgiving qu’elle

écoutaitdéjàdeschantsdeNoël!Unevraiemaniaque.—Bonjour,chééééériiiiie!Elleétirait tellementlemot«chérie»,etd’unevoixsiaiguë,quej’aicruqu’elleallaitexploser.

Maisnon,elleacontinué:—Qu’est-cequetufaisdebeau?— Rien de spécial, maman. Je viens d’entrer auMugshot. Tu sais, le café où je vous avais

emmenés,papaettoi,quandvousm’avezaidéeàemménager?—Oui,biensûr!Unendroitcharmant,dommagequ’ilsserventdel’alcool.Cetteréflexion,àelleseule,définissaitmamère.Maceachoisicemoment,malheureusementsilencieux,pourlaramener.—Qu’est-cequetuprends,Max?Commed’habitude?Jel’airepousséavantdem’éloigner.Mamèreavaitdûmettresontéléphonesurhaut-parleur,parcequej’aientendumonpèredemander:—Quiest-ce,Mackenzie?Mackenzie…Mesparentsrefusaientobstinémentdem’appelerparmondiminutif,cequim’agaçait

auplushautpoint.Ets’ilsdétestaient«Max»pourleurpetitechérie,ilsapprécieraientencoremoinsdesavoirquemonpetitcopains’appelaitMace.Ç’avaitbeauêtreleprénomdeMaceWindu,lemaîtreJedi,ilsretiendraientsurtoutlenomdelacélèbremarquedebombeslacrymogènes…

Etmonpèreenferaituneattaque.—Unami,ai-jerépondu.Macem’adonnéunpetitcoupdecoudeavantdefrottersonpouceetsonindexsousmonnez.«Ah!

oui,mesuis-jerappelé,ilvientdesefairevirerdesonjob.»Jeluiaitendumonsacpourqu’ilprennemonporte-monnaie.

—Unami?areprismamère,curieuse.Ouun…petitami?

J’aisoupiré,puisjemesuisditquejepouvaisluidirelavérité,tantquej’omettaisquelquesdétails.Touslesdétails,enfait.—Oui,maman,unpetitcopain.Onsortensembledepuistroissemaines.Troismois,pourêtreexacte.—Vraiment?s’estétonnémonpère.Commentsefait-ilquetunenousenaiespasparlé?—Parcequec’esttoutrécent,papa.Ilesttrèsbien.Jen’étaispascertainequ’ilaitpassélebac,maisilétaitsuper-beauetjouaitdelabatteriecomme

undieu.Rienàvoiraveclegenrechicetbienélevé–parfaitementdéprimant–quemamèreauraitvoulupourmoi.

—Oùvousêtes-vousrencontrés?m’a-t-elledemandé.Oh ! tu sais,dans la boîte de nuit où je danse en latex et talons aiguilles tous les soirs pour

arrondirmesfinsdemois.—Àlabibliothèque,ai-jerépondu.Maceàlabibliothèque,c’étaitrisible.Letatouagesursonépaule,sijen’avaispasétélà,seserait

écrit«rebèle».—Vraiment?areprismamère,sceptique.Jenepouvaispasluienvouloir.Rencontrerdesmecsbien,àlabibliothèqueouailleurs,n’étaitpas

vraiment mon style. Les rares fois que je m’étais hasardée à leur présenter mes conquêtes s’étaientterminéesendésastre.Mesparents,convaincusque leur filleétaitauxmainsd’ungang,menaçaientdeprévenirlapolice,etlepetitcopainconcernépréféraitprendrelatangenteplutôtquesortiravecunefilleflanquéedegéniteurspareils.

Lesmiens s’appelaient Betty etMick, portaient des chemisiers à pois et des vestes polaires, etjouaientaubridgechaquesemaine. J’avaisdumalàcroireque j’étais leur fille.Lapremière foisquej’avaisteintmescheveuxenrose,lejourdemesseizeans,mamèreavaitéclatéensanglots,commesijeluiavaisannoncéquej’étaisenceinte.Etcen’étaitqu’uneteintureéphémère.

Depuis,jepréféraislesménager,surtoutqu’ilscontinuaientdem’aiderfinancièrement,grâceàquoijepouvaismeconsacreràmapassion:lamusique.Attention!jelesaimais.Cequejen’aimaispas,enrevanche,etpasdutout,c’étaitlafillequ’ilsvoulaientquejesois.

Alors,pournepas lesblesser, jefaisaisdepetitssacrifices.Jene leurprésentaisplusmespetitscopains et chaque fois que j’allais les voir, j’appliquais une coloration relativement normale surmesteintures, j’ôtais tousmespiercingsvisibles et jeportaisdesmanches longuesetdescols rouléspourcachermestatouages.Ilscroyaientquej’étaishôtessed’accueilàmi-tempsdansunebanque,pasdansunsalonde tatouage,et jeneparlais jamaisdemondeuxième job : serveuse-danseusedansuneboîtedenuit.

Je jouaisun rôle, le tempsdemon séjour, et je lesquittais avantqu’ilsn’aient l’occasiondemeprésenterunbraveetsinistrecomptable.

—Oui,maman,àlabibliothèque.Quandj’irailesvoir,àNoël,jen’auraisqu’àleurdirequeçan’avaitpasduré,ouquel’étudiant-

très-bien-sous-tous-rapports s’était révélé être un vieux pervers accro aux sites pornos. Comme ça,j’auraisunebonneexcusepourneplusjamaissortiravecungarçonprésentable.

—Formidable!s’estexclaméemamère.Nousavonshâtedelerencontrer.Mace est revenu avecmon sac et nos cafés. «Curieux,me suis-je dit en le regardant sortir une

flasquedesapoche,commeila lesmoyensdes’offrirde l’alcool,maispasuncafé.» Ilaverséunerasadedanssongobelet,puism’enaproposé.J’airefusé.Lacaféinemesuffisait.

—Biensûr,maman.

Aprèsavoirrangésafiole,Maceaglissélamainsousmonmanteauetj’aifrissonnédeplaisir.—Jesuissûrequ’ilvousplaira,ai-jecontinué.Ilm’aembrasséedanslecouetçam’afaitchavirer.Aucuncomptablenemeferaitjamaisceteffet-

là.—Ilesttrèsdoué.—Nousn’allonspastarderàleconstater,arépliquémonpère.S’ilcroyaitquej’allaisleurprésenterMaceàNoël,ilsefaisaitdesillusions.—Biensûr,papa,ai-jerépondudistraitement.Les lèvres de Mace me donnaient envie d’annuler la répétition de ce matin, mais c’était notre

dernièreoccasiondejouerensembleavantleconcertdelasemaineprochaine.—Tantmieux,chérie,parcequenousarrivonsdanscinqminutes.—Hein?Vousn’êtespasàlamaison?J’enailâchémoncafé.—NomdeDieu,Max!agrognéMaceenreculant.Jemefichaisbiendel’éclabousser,j’avaisdesproblèmesbeaucoupplusgraves.—Netefâchepas,chérie,areprismamère.Nousétionstellementdéçusquandtunousasditquetu

nevenaispaspourThanksgiving.Alors,commeMichaeletBethanyontdécidéd’allerchezsesparentsàelle,nousnoussommesditquenouspouvionsvenirtevoir.J’aimêmecommandéunedinde!Oh,maistudoisinvitertonnouveaupetitami,celuidelabibliothèque.

Merde,merdeettriplemerde.—Désolée,maman,maisilestprispourThanksgiving.—Pasdutout,arépliquéMace,jesuislibre!Jenesavaispassic’étaitlamusiquequil’avaitrendusourd,ous’illuimanquaitdesneurones,mais

iln’avaitpaspus’empêcherdehurler!—Magnifique!s’estexclaméemamère.Onarrive,chérie.Jet’aime,monpetitsucreadoré.Siellem’appelaitcommeçadevantMace,j’allaismourirdehonte.—Maman,attends…Troptard,elleavaitraccroché.Ilsarrivaient.Etilmerestaitdeuxsecondesetdemiepourtrouveruneidée.Jedevaisréfléchir.Vite.Mace, qui nous avait éloignés du café renversé, a encore essayé de passer la main sous mon

manteau.Jel’airepoussé.Etjel’airegardé;lui,sescheveuxnoirsenbataille,sesmagnifiquesyeuxsombres,lesgrandstrous

cerclésdemétalquiétiraientlelobedesesoreilles,etsontatouage–unetêtedemort–dessinésurlecôtédesoncou.J’adoraissamanièred’affichercequ’ilétait.

Mesparents,enrevanche,allaientdétester.Ils détestaient tout ce qui sort de l’ordinaire. Ils n’avaient pas toujours été comme ça.Avant, ils

étaient ouverts, curieux, et ne jugeaient pas les gens sur leur allure.Mais cette époque était révoluedepuislongtemps,etilsseraientlàd’uninstantàl’autre.

—Ilfautquetupartes,luiai-jedit.—Pourquoi?Ilaglissélesdoigtsdansmaceintureetm’aattiréeverslui.—Onvientjusted’arriver…J’auraisvoulucroirequ’ilpuisseplaireàmesparents.Aprèstout,ilm’avaitbiencharmée,moi,ce

qui relevait en soi d’un exploit. Il n’était peut-être pasmalin, ni très cultivé,mais il était passionné.

Passionnépar lamusique,par lavie,etparmoi.C’étaitchaudbouillantentrenous. Jen’avaisaucuneenviederenonceràcebrasierparcequemesparents,incapablesdesurmontercequiétaitarrivéàAlex,vivaientdanslepassé.

Jedevaispourtantquandmêmelesménager.— Je suis désolée, ai-je répondu,maismes parents vont débarquer ici d’une seconde à l’autre.

Alorssoittupars,soittufaiscommesionneseconnaissaitpas.J’allaism’excuser,luidirequejen’avaispashontedelui,quejen’étaisseulementpasprêteàcette

rencontre,quandils’estécartéenlevantlesmains.—Ok,pasdeproblème,jemetire.Appelle-moiquandtulesaurasvirés.Puis ilafaitdemi-tour.Commeça.Sanssedéfendrenimeposerdequestions.Sansmeproposer

nonplusd’affrontervaillammentlarencontre.Laporte franchie, il s’est alluméune cigarette, puis il a disparu.Partagée entre l’envie departir

avecluietcelledelerattraperpourluidirecequejepensaisdesaconduite,j’aihésité.Maisjenepouvaispasfuir.Etmaintenant,jedevaistrouveruneexcusepourexpliqueràmesparentsl’absencedumerveilleux-

petit-copain-studieuxàmoncôté.Jen’auraisqu’àleurdirequ’ilavaitcours,qu’ildevaittravailler,ou…accomplirdesmiracles.J’ai

scruté la salle à la recherched’une table.Mesparentsne seraientpasdupes, ils allaient tout de suitecomprendrequ’iln’yavaitpasdeprinceCharmant.Maisjen’avaispaslechoix.

Lecaféétaitbondéetiln’yavait,évidemment,aucunetabledisponible.Saufune,assezgrandepourquatre,occupéeparunclientsolitaire.Ilavaitl’airsurlepointdepartir.D’àpeuprèsmonâge,châtain,lescheveuxcourtsetbouclés,il

étaitcanon.Ilavaitégalementtoutdel’étudiantmodèle.Unlivreétaitouvertdevantlui.Avecsesbellesmainsposéesdessus,sonairpensifetsonécharpenégligemmentnouéeautourducou,ilauraitconvaincuunanalphabètedes’inscrireàlabibliothèque.

Jen’aurais jamaisdûm’attarder sur lui,parceque les typescomme luinesontpas faitspour lesfillescommemoi,maisilavaitlevélesyeuxetmefixaitdumêmeregardqueMace,sombreetpénétrant,maisenplusdoux.

Ettoutàcoup,c’étaitcommesileciels’étaitouvertpourmevenirenaide.Ilnemanquaitquelepanneauau-dessusdesatête,proclamant,enlettresd’or:«Ici,lasolutiondetousvosproblèmes.»

3

Cade

J’observaislasalle–imaginerlaviedesautresm’aidaitàoublierlamisèredelamienne–quandelleacroisémonregard.

Jel’avaisvueentreravecsonpetitcopain.Ilsrespiraientl’assuranceet,malgréleurallureunpeutropouvertementprovocante,ladésinvolture.Luiétaittoutennoir,yeux,cheveux,vêtements,tatouages.Touslesmotifsquejepouvaisvoir–unecollectiondetêtesdemort,depistoletsetdecoups-de-poingaméricains – étaient morbides ou agressifs. Elle, en revanche, était lumineuse. Du rouge vif de sescheveuxà la teintedeson rougeà lèvres,enpassantpar lacouleurdesdessinssursapeau.Depetitsoiseauxvolaientlelongdesoncou,etcequiressemblaitàlacimed’unarbreémergeaitdudécolletéencœurdesarobeannées1950.

Il avait beau l’embrasser et la toucher, je ne sentais pas de réelle complicité entre eux. Elle nel’avaitpasregardéuneseulefoispendantqu’ellerépondaitautéléphone,etluil’avaitignorée.Ilsétaientcomme deux astres issus de deux galaxies différentes, dont les trajectoires se seraient croisées parhasard.Uncoupleéphémère.

Ilnes’étaitmêmepasbaissépourramasser legobeletdecaféqu’elleavait fait tomber. Il l’avaitentraînéeaveclui,etuneserveuseétaitvenuenettoyer.

Puisilétaitparti,etmaintenant,ellemeregardait,commesij’avaisuntrésoràluioffrir.Elle est venue versmoi, sa jupe ample flottant au rythme de ses pas. Elle était belle, avec une

bouchepulpeuse,destraitsréguliers,unjolinez.Lafleurblancheglisséedanssesbouclesrougevifluidonnait l’allure joyeuse d’une pin-up éclatante. Elle était aux antipodes de toutes les filles aveclesquellesj’étaissorti,ouaveclesquellesj’avaisenvisagédesortir.RienàvoiravecBliss,entoutcas.C’étaitpeut-êtrepourçaquejen’arrivaispasàlaquitterdesyeux.

Le tatouage qui dépassait de son décolleté représentait effectivement la cime d’un arbre. Lesdernièresbranchess’étiraientverssesclavicules,et,quandelles’estpenchéepourposerlesmainsbienàplatdevantmoi,j’aiclairementvu,entresesseins,letroncfinementdessiné.

Ilm’afalluuncertaintempspourremonterlesyeuxverssonvisage.—Jevaistedemanderquelquechose,m’a-t-elleannoncésanspréambule.Jetepréviens,çavate

paraîtrebizarre.Sansdoutepasplusquelesidéesfarfeluesquej’avaisentête.—J’écoute.Elle s’est assise en face demoi. Son parfum, léger, aérien,me rappelait l’arbre que j’étais très

curieuxdedécouvrir.Jepensaisàl’endroitoùildevaitprendreracinequandelleacontinué:—Mes parents vont débarquer d’une seconde à l’autre et ils s’attendent à rencontrer mon petit

copain.Elles’estpenchéeunpeuplusenfaisantpianotersesonglesvernissurlatable.—Etalors?—Alorsjesuiscenséeleurprésenteruncharmantgarçonquej’airencontréàlabibliothèque,mais

quin’estpasceluiaveclequeljesors.

—Ettumetrouvescharmant?Elleahésitéuninstant,puissaboucherougeceriseafaitunemouedélicieuse,etelleahausséles

épaules.—Oui.—Qu’est-cequejedoisfaire?— Je reconnais que c’est un peu tordu,mais si tu pouvais te faire passer pour lui, le temps que

j’arriveàmedébarrasserd’eux,j’apprécierais.C’était tordu, en effet.Mais elleme proposait aussi ce que je désespérais d’obtenir depuis des

semaines:unrôle.Quecesoitceluidel’ÉternelChicTypenemedérangeaitpas.Unepartiedemoi– celle qui trouvait que passer un peu de temps avec cette fille était une bonne idée – était plus quedisposéeàl’endosser.

—S’ilteplaît,a-t-ellerepris.Tun’aurasrienàfaire,jemechargedelaconversation,etceseravitefini.Jepeuxmêmetepayer,situveux.

Jel’airegardéed’unairdubitatif.—D’accord,s’est-elle ravisée, jen’aipas lesmoyens,mais je te revaudraiça.Demande-moice

quetuveuxenéchange.Elledevaitvraimentmetrouvercharmantpourmeproposercequejevoulais.Envérité,j’avaisune

assezbonneidéedecequejedésiraisenretour.Etlecharmen’avaitrienàyvoir.—D’accord,ai-jeaccepté.Elles’estbrusquementdétendue,etunsouriresublimes’estdessinésursonvisage.—Enéchanged’unrendez-vous,ai-jeajouté.Elleareculé,visiblementsurprise.—Tuveuxunrendez-vousavecmoi?—Oui.Elleavaitl’airvraimenttroublé.—Alors,l’ai-jerelancée,marchéconclu?Ellearegardél’horloge,étoufféunjuron,puissoupiré.—D’accord.Marchéconclu.Maintenant,donne-moitonécharpe.Ellemel’aprise–ouplusexactementarrachéeducou.—Tumedéshabillesdéjà?ai-jeplaisanté.Uneébauchedesourires’estdessinéesurseslèvres,puisellem’aregardé,denouveaudéconcertée,

avantdesecouerlatêteetd’enroulermonécharpeautourdesoncou.Unefoisdissimulés les finesbrancheset lesoiseauxdélicatsquisoulignaient laporcelainedesa

peau,elleaprisuneservietteenpapierets’estappliquéeàessuyerlerougedeseslèvres.—Mesparentssaventseulementqu’ons’estrencontrésàlabibliothèque,quetuesgentil,sérieuxet

doué.Commeilssontultra-vieux jeu,évite legenredeblagueque tuviensdefaire.Onsortensembledepuistroissemaines.Riendecompliqué.Çanedevraitpasêtredifficileàjouer.

Aprèsavoirhabilementsuppriméunpeudunoirquiourlaitsesyeux,ellearamenésescheveuxsursesoreillespourcachersespiercings.

—Ettoi?m’a-t-elledemandé.Qu’est-cequetufaisdanslavie?—Jesuiscomédien.Elleaécarquillélesyeux.—Ilsnesupportentdéjàpasquejefassedelamusique,alorsilsnevontpasapprécier…Tantpis.Elleacontinuéàarrangersescheveux,enregardantnerveusementautourd’elle.—Tuestrèsbelle,luiai-jeditenposantlamainsursonépaule,net’inquiètepas.

Elles’estfigéeenmeregardantcommesijem’étaismisàluiparlerchinois,puiselleapincéleslèvresdansuneespècedesourire.

J’avaistoujourslamainsursonépaulequandunefemmes’estexclaméedepuisl’entrée:—Oh!Mackenzie!Mackenziechérie!Mackenzie…Ellen’avaitriend’uneMackenzie.Elleasoupiréetjemesuislevéavecellepouraccueillir,sanslalâcher,cellequi,visiblement,était

sa mère. Son changement d’expression m’a surpris. Alors qu’elle m’avait paru si pleine de vie etd’assurance,ellesemblaittoutàcoupaccablée.

Ellevenaittoutdemêmed’aborderunparfaitinconnupourluidemander,debutenblanc,dejouerlerôledesonpetitcopain.Sonculotm’avaitimpressionné,maiselleavaitdetouteévidencesontalond’Achille:lecoupled’unecinquantained’annéesquiavançaitversnous.

Son père était chauve et portait de petites lunettes cerclées demétal ; samère avait les tempesgrisonnantes.Ilsmarchaientensetenantparlamain,leurbraslibretenduversleurfille,prêtsàselancerdansuneétreintecollective.

Mackenzie,desoncôté,semblaitaussipresséedelesembrasserquedesependre.J’aisouri.Cettescèneétaitàmaportée.—Toutvabiensepasser,luiai-jesouffléenluiserrantlamain.—Monpetitsucreadoré!s’estexclaméesamèreavantdeserenfrogner.Oh!chérie,quelsupplice

as-tuencoreinfligéàtescheveux?Jet’aidéjàditdeneplusacheterceshorriblesteintures.Mackenzieserraitsibienleslèvres,quandsamèrel’aattiréecontreelle,quej’aicruqu’elleallait

semordre.Sonpère,enl’étreignantàsontour,m’aobligéàlalâcher.Jemesuisécartépourtendrelamainàsamère.

—Enchantédevousrencontrer,madame…Jemesuis alors renducompteque jeneconnaissaispas sonnomde famille. Jevenais tout juste

d’apprendresonprénom.Samèrem’aserrélamainenmeregardant,curieused’entendrelasuite.—C’estbête,ai-jeenchaînéavecmonpluscharmantsourire,maisMackenziem’atellementparlé

devousquejen’arrivepasàvousappelerparvotrenomdefamille!Etjel’aiserréedansmesbras.

4

Max

Ilsejetaitdanslesbrasdemamère!Unparfaitinconnu.Alorsquejenesupportaisceseffusionsqu’enfrémissantetm’efforçaistoujoursdelesréduireau

minimum,luis’ylivraitsansseméfierdesanneauxdeboaconstrictorquiserefermaientsurlui!Etçadurait!Quatre,cinq,sixsecondes.Unebonne,francheetsolideétreinte;paslegenred’accoladequejevenaisdedonneràmonpère.Ellenichaitmêmelatêtesoussonmenton.Sonmenton!Vulafaçondontelleletenait,ellen’étaitpasprèsdelelâcher.Ildevaits’enrendrecompte.Son

regarddésemparém’ad’ailleursfaitpenseràceshistoiresmalheureusesdepauvrespetitschatonsmortsd’étouffementdanslesbrasd’enfantstropaimants.

Illuiatapotéledosenriant.Iln’avaitmêmepasl’airdeseforcer.Auboutd’uneéternité,elleafiniparlelibérer.Àsaplace, j’auraissuffoqué.Parcequemamèresemblaitconvaincuequ’ilsuffisaitdemeserrer

assezfortetassezlongtempscontreellepourchasserledémonquim’habitait.Sesembrassadesétaientcommeunexorcisme.

Ilestrestédevantelle,àsaportée,etluiadit:—Quellebonneidéedevenirà l’improviste.Mackenzienevousl’avouerajamais,maisvouslui

manquezterriblement.Tandisquemonprénomm’arrachaitunegrimace,mamère,elle,étaitauxanges.Jenesavaispassi

elledétestaitmondiminutifparcequec’étaitceluid’unprénommasculin,ousimplementparcequ’illuirappelaitceluid’Alexandria,autrementditAlex.

Elleatournéversmoiunregardlarmoyantdebonheur.Quinzemalheureusessecondesavaientsuffiàmonsoi-disantpetitcopainpourarracherdeslarmes

dejoieàmamère.Mesexétaient-ilsaussidésespérants?D’accord,j’avaiscommisl’erreurdeleurprésenterJake,quiavaittenuàcequ’ilsl’appellentpar

sonsurnom…Knife.Maisc’étaituneblague!Pourlesprovoquer.Tousn’avaientpasétéaussilourds.Monpetitcopaindujour,ouconsidérécommetel,s’esttournéversmonpère.—Bonjour,monsieur.Jem’appelleCadeWinston.Permettez-moidevousdirequevousavezune

filleexceptionnelle.—Vraiment?Il n’avait pas dit « Merci », modestement, ou « C’est bien vrai », avec fierté, seulement

«Vraiment?»,d’untondubitatif,avantdesedécideràsourire,commesic’étaitàluiques’adressaitlecompliment.

—Ravidefairetaconnaissance,fiston.«Fiston»!Ilsnevoulaientpaspublierlesbans,tantqu’ilsyétaient?J’avaistoutàcoupbesoindem’asseoir.

Monpetitcopaindeservice,Cade,donc,devaitavoirunsixièmesens,parcequ’àl’instantoùjemetournaispourprendremachaise,ilmel’aprésentée.Mesparentsnousregardaient,commes’ilsavaientvoulugraver l’imagedansleurmémoire.Etcommesicelanesuffisaitpas,Cadem’apris lamainetaenlacénosdoigts.

Ladéchargequej’airessentiealorsachassétoutel’exaspérationquecettesituationm’inspirait.Jemesuisassiseenleregardant,unpeudésorientée,tandisquemesparents,debout,continuaientdenouscontempler.Mamèreasortiunmouchoir.«Unjour,mesuis-jedit,unjour,jeseraiscapable–peut-être–d’éclaterderireausouvenirdecettescèneparfaitementridicule.Unjour,jefiniraispeut-êtreaussiparvivredemamusique…»Quipeutdirecequel’avenirnousréserve?

Monpèreafiniparsetournerversmamère.—Allonschercherdescafés,Betty.Cade,Mackenzie,nousrevenonstoutdesuite.J’aiattenduqu’ilssoientaubarpourmetournerversCade.J’avaisdesenviesdemeurtre.—C’estquoi,cettecomédie?Ilaplissélefront,etjemesuisrenducomptequ’ilmetenaittoujourslamain.—Ben…jerencontraistesparents.J’essayais de nourrir ma colère, mais il avait des yeux superbes et des cils d’une longueur

incroyable.Unevaguedechaleurm’aenvahie,etj’aicomprisquejerougissais.Pourlecoup,j’étaissidérée.Cen’étaitpasdutoutmongenre.J’aidétournélesyeuxetdégagémamain.—Turuinessurtouttoutesmeschancesdeleurfairejamaisappréciern’importelequeldemesvrais

petitscopains.J’avaisbeaumeforcer,mavoixmanquaitdetranchant.—Tun’étaispasobligédetejeterdanslesbrasdemamère,ai-jecontinué.Lesembrassades,c’est

commeunedrogue,pourelle.J’avaismoinsdemalàêtrecassantequandjeneleregardaispas.J’avaisaussilatêteplusfroide.—Excuse-moi,maiscommetunem’avaispasdittonnomdefamille,j’aidûimproviser.J’aicroisélesbras.Jedevaisreconnaîtrequ’ils’enétaittrèsbiensorti–mesparentsn’yavaientvu

quedufeu.Ilavait,clairement,beaucoupdetalent.Mais,curieusement,aulieudemedétendre,ceconstatm’agaçait.

—Ehbien…nerecommenceplus.Iln’auraitplusmanquéquemamèremedemandedeprendreexemplesurlui.—Contente-toidelesrassurer.Onn’estpasauxOscar.Etjem’appelleMiller.—Pasdeproblème,Mackenzie.J’aiencoregrimacé.Pluspersonnenem’appelaitcommeça,saufmafamille,cequimerendaitce

prénomencoreplusinsupportable.—Etnem’appellepasMackenzie,l’ai-jeprévenulesdentsserrées.C’estMax.Iln’apasbronché.Aucontraire.—Max,a-t-ilrépétéensouriant.Çatevabeaucoupmieux.Sa façondemedésarmeravaitquelquechosed’exaspérant.Pourtant,mêmemon irritation, tandis

qu’ilposaitunbrassur ledossierdemachaiseet l’autresur la table,n’arrivaitpasà luirésister.Sesyeuxnoisetteétaientposéssurmoi,etsonparfummechatouillaitlesnarines.J’auraisdûreculer,neplusregarderseslongscils.Surtoutquandils’estapproché,etquej’aisentisonmentonm’effleurer.

—Tamèrearrive,m’a-t-ilmurmuréàl’oreille.Excuse-moi.Jenelaprendraiplusdansmesbras,promis.

Jesentaisencoreseslèvressurmajouequandelleestrevenue.

«Ilnecherchepasàmedraguer,mesuis-jedit.Ilfaitseulementsemblant.»J’étaisquandmêmeunpeufébrile.

Profitantdufaitqu’ilselevaitpouraidermamèreàs’asseoir,pendantquemonpèreattendaitleurscafés,j’aifermélesyeuxenessayantdereprendremesesprits.

—Alors,Cade,acommencémamère,ilparaîtquevousvousêtesrencontrésàlabibliothèque?J’allaisrépondre,maisilm’adevancée.—Oui, c’est exact.Max – il m’a adressé un petit sourire –m’a aidé à trouver le livre que je

cherchais.Jen’étaispasdutoutdanslabonnesection.Mamèreadressélessourcils.—Vraiment?Jenesavaispasqu’elleconnaissaitlabibliothèqueaussibien.Quandelleétaitpetite,

elle ne lisait que les livrets des CD. Les enfants normaux font leurs devoirs si on leur promet desbonbons.PasnotreMackenzie.Unevraietêtedemule!

J’aiserrélesdentspouréviterdeluirappelerquiétaitl’enfantnormaldenotrefamille.—C’était un livre sur la musique, a enchaîné Cade le plus naturellement dumonde. J’en avais

besoinpourmesrecherches.J’aieu lachancede tombersuruneexperte.Elleestarrivéedansmaviecommeunmiracle.

Ilm’ajetéunregardetj’aisentisonbrasglissersurmesépaules.—J’ensuisencoreébloui.Cetypemefaisaitleplusétrangedeseffets.D’uncôté,cettedéclarationringardemedonnaitenvie

devomir,del’autre,ellemefaisaitcomplètementfondre.Cequiétaitd’autantplusridiculequ’elleétaitfactice.

Maistoutàfaitacceptablepourmamère,quiapousséunénormesoupiretoubliédumêmecoupdeseplaindredemapassionpourlamusique.

—Desrecherches?a-t-ellerepris.—Oui,madame.Jesuisenmasteràl’universitéTemple.Temple?Bentiens!EtpourquoipasHarvard,tantqu’onyétait?Jeluiavaispourtantdemandéde

nepasexagérer.—Enmaster?s’estexclaméemamère,radieuse,avantdeserembrunirunpeu.Enmusique?—Non,madame.Enartdramatique.Jedevaisrendreundevoirsurlerôledelamusiqueauthéâtre.—Duthéâtre?Commec’estintéressant.Sonsourire,àl’inversedumien,s’étaitcrispé.Enfinquelquechosedecontrariantàproposdece

garçon.— Oui, madame. Le théâtre est ma passion. Je suis comédien, mais également intéressé par

l’enseignementuniversitaire.—Professeur!C’estmagnifique!Cettefois,j’airenoncé.Danslaconquêtedel’approbationdemesparents,lepremierroundrevenait

àunparfaitinconnu.—Dequoiparlez-vous?ademandémonpèreenrevenantavecdeuxcafés.— Cade passe unmaster pour devenir professeur d’université, s’est empressée de répondre ma

mère.N’est-cepasmerveilleux?Elleétaitmédailled’orpourentendrecequ’ellevoulaitentendre.—Félicitations,fiston.—Merci,monsieurMiller.Monpèreaarrêtédesoufflersursoncafépourluidire:—Oh!s’ilteplaît,appelle-moiMick.

Mick?Jerêvais.Non,jefaisaisuncauchemar.Cade,desoncôté,souriaittranquillement.Ilavaitl’airsidétenduens’adossantàsachaisequ’ilme

donnaitl’impressiondes’amuser.—Avecplaisir,Mick.Merci.Alors,comments’estpassévotrevoyage?—Atroce,arépliquémonpère.Lesaéroportssontlespiresendroitsdumonde.Onnousafaitsubir

unefouilleen règleetpassésauxrayonsX,commesinousétionsdes terroristes !Dequoiattraper lecancer,oui.Jeleuraiditquec’étaitfini,qu’onneprendraitplusjamaisl’avion,maisletrain.C’estpluslong,maiscertainementplusagréable.

— Je n’ai pris le train qu’une fois, a enchaîné Cade, mais j’en garde un excellent souvenir. Jedevraisrecommencer.

Cetéchangeétaitd’unebanalitéaffligeante,maisaumoinsavait-illieu.C’étaittoujoursmieuxqueledésastrequiauraitpuseproduireavecMace.

—Assezparlédenous,acoupémamère.J’aimeraisensavoirplussurvousetsurtout,pourquoinotrepetitefillechérienousacachésilongtempslecharmantjeunehommequevousêtes.

Cadem’aregardée,etjesuisrestée…muette.Ilaéclatéderireenmeserrantcontrelui.—Jeneveuxpasparlerà laplacedeMax,a-t-il répondusansme lâcher,maisdisonsquenous

voulionsgarderlesecret,nepasbrûlerlesétapes.Il venait, sans le savoir, de prononcer les mots magiques. Je passais mon temps à « brûler les

étapes ». La vie est trop courte pour perdre son temps à réfléchir.Mes troismois avecMace étaientd’ailleursunrecord,etnousparlionsdéjàdenousinstallerensemble.Heureusementquecen’étaitpasencorefait.Jenesavaispascequej’auraisditàmesparents.

Eux,évidemment,détestaientcequ’ilsappelaientmon«manquederéflexion».EtlecommentairedeCade,évidemment,avaitdequoilesravir.J’étaissûrequ’avantlafindeleurcaféilsluiproposeraientdel’adopter.

—Etcôtépasse-temps?ademandémonpère,certainementdansl’espoirdetrouverunpartenairedegolfoudetennis.

—Jeconsacreleplusclairdemontempsàmesétudes,maisjesuisbénévoledansuneassociationd’aideauxjeunesendifficulté.

Alors là,c’était lepompon.TandisqueMacenecomprenaitmêmepaslesensd’unephraseaussisimpleque«Arrêtedenepenserqu’àtoietdemetripoterenpublic»,cetypenedisaitprobablementjamais«Dégage!».

J’ai voulu le pincer sous la table, mais la fermeté de sa cuisse m’en a empêchée. J’allaisrecommencer quand samain s’est aplatie sur lamienne,m’obligeant à écarter les doigts pour écrasercomplètement ma paume sur son jean. Je n’ai pas pu me dégager. C’était à moi, maintenant, d’avoirbesoind’êtrepincée.Parcequejenepensaisplusqu’àsajambe,musclée,sousmamain.J’avaismêmeoubliépourquoijem’étaisénervée.

Jemesuissecouéeetmesuistournée,toutsourire,versmesparents.—On doit y aller, ai-je prétendu les dents serrées. Si j’avais su que vous veniez, jeme serais

débrouilléeautrement,mais…Monpères’estlevéenrajustantsonpantalon,commes’ilétaitàlamaison.—Pasdeproblème,machérie.Noussommesdescendusdansunhôtelunpeuloindecheztoi,dans

leplusjoliquartierdelaville.

Autrementdit, j’habitaisuncoinpourri.Cequin’étaitpas lecas,mais laplupartdesenseignesyétaient écrites en chinois, et mon père ne se sentait pas à l’aise quand il ne maîtrisait pas sonenvironnement.

—Detoutefaçon,arenchérimamèreenselevantàsontour,onsevoitdemainpourThanksgiving!—Oh!maman,jenecroispasqueCade…—Tss-tss, chérie, je l’ai entendudire qu’il était librequand je t’ai parlé au téléphone.Un refus

seraitvexant.Etmaintenantquenousavonsfaitconnaissance, je t’interdisdenouscachercedélicieuxjeune homme. Il est clair que vous vous adorez, tous les deux, et tôt ou tard, il faudra bien franchirquelquesétapes.

«Onnes’adorepas,mesuis-jeditenm’obligeantàlequitterdesyeux.Pasdutout.»Ilavaitbeauêtrecanon,etsacuissesousmamainm’inspirertouteslessensationsdumonde,çane

changeaitrienàl’histoire.—Maman…—Çasuffit,Mackenzie,a-t-ellecoupéavantdesetournerversCade.Dites-moiquejevousverrai

demain,jeunehomme,etensuite,faitesentendreraisonàmafille.J’ai compris, au regard qu’il m’a lancé, ce qu’il allait dire. Et je n’avais aucunmoyen de l’en

empêcher,àmoinsdeleplaquerausol;cequiauraitété,auchoix,uneexcellenteouunetrèsmauvaiseidée.

—Biensûr,madameMiller.Jeserailà,vouspouvezcomptersurmoi.—Parfait.Elles’estpenchéepourl’embrassersurlajoue.—Etsivousm’appeliezBetty?

5

Cade

Le flottement qui a suivi le départ des parents deMax ressemblait auxquelquessecondesquiprécèdentunaccident:onsaitcequivasepasser,et on voudrait anticiper, mais on n’a pas le réflexe d’écraser le frein àtemps.

Unsourirepleindefourberies’étiraitsurleslèvresdeMax.Etlagifleestpartied’uncoup.Ellenem’apasfaitmal.Pasvraiment.Lasensationétaitd’ailleursétrangementsurréaliste.Commesij’avaisétéprojetéàtraversunpare-

brise.C’étaitlapremièrefoisqu’unefillemegiflait.Etj’étaiscertainementleseulprétendantaumonde,fictifoupas,àêtregifléparsapromisepouravoirpluàsesparents.

Jen’aipaspum’empêcherd’éclaterderire.Lerougeluiestmontéauxjoues,etellealevélamainpourrecommencer.—Ducalme,ai-jeditenl’interceptant.Unemainserréesursonpoignet,l’autrebloquantcellequ’elleavaitmisesurmacuisse,jelatenais

prisonnière.Elleadressélementon.Leregardflamboyantetlecorpstenducommeunarc,elleétaitsexyendiable.—Pourquoiveux-tumefairemal?—Parcequeçamefaitdubien!Samain surma cuisse nem’aidait pas à prendre sa colère au sérieux. Elle était toute rouge, et

j’avaistrèsenviedeluienlevermonécharpepourvoirsonpoulspalpiter.—Jenevoulaispasdireoui,mesuis-jedéfendu,maistamèrenem’apasvraimentlaissélechoix.Elles’estmiseàgigoter,etj’aidû,pourlaretenirautantquepourmeprotéger,latirerunpeuplus

versmoi.Sescheveux,aussirougesquesesjoues,sentaientdivinementbon.—Tuauraisquandmêmepum’épargnertapetitehistoireridicule,a-t-ellesifflé,lesdentsserrées.

Bénévole pour les jeunes défavorisés !Temple !Et puis quoi encore ? Je t’avais demandé de ne pasexagérer!

—Jen’airieninventé,Max.C’estlavérité,etarrêtedetedébattre.Onnousregarde.Elles’estaussitôtimmobiliséeavantderepousserd’unaircrânelamèchetombéedevantsesyeux.—Lavérité,hein?J’ai attendu quelques secondes, puis, quand j’ai été certain qu’elle n’allait pas relancer les

hostilités,jel’aiprudemmentrelâchéeavantdeluitendrelamain.— Jeme présente,CadeWinston, étudiant en art dramatique, animateur bénévole, grand ami des

mères poules et ton petit copain pour les prochaines vingt-quatre heures. Enchanté de faire taconnaissance,Max.

Elle a hésité, puis son front s’est plissé.Elle ne faisait que réfléchir,mais sa concentration étaitadorable.

—Tuaidesvraimentlesjeunes?Elleme regardaitcommesi j’étaisvolontairedans les favelasetdigneduprixNobelde lapaix,

alorsque jene faisaisquem’occuperdegaminsquin’avaientbesoinqued’unpeud’attentionetd’unendroitoùsouffler.

—Oui,vraiment.Ellem’adévisagé,puism’aserrélamain.—MaxMiller,m’a-t-elledit,sourcilsfroncés.Musicienneet…pit-bull.Jesuisdésoléedet’avoir

giflé.—Etpincé,ai-jeajoutéalorsquejen’enavaisaucunregret.Çam’avaitdonnéunebonneraisondecoincersamain.— Et pincé, a-t-elle admis. Bon, j’imagine que je dois te remercier pour aujourd’hui. Et pour

demain.Jesuisdésoléedet’obligeràfêterThanksgivingavecmesparents.J’aisouri.Jecomprenais,àsonairchiffonné,quecesexcusesluicoûtaient.Onnedevaitpasluien

arrachersouvent.J’aihaussélesépaules.—Pasdesouci,j’avaisl’intentiondepasserlajournéeseulchezmoi.Jesuissûrqueladindedeta

mèreserameilleurequ’unhotdog.Elleasouri:—C’estvrai.Ellecuisinesuperbien.C’estunedinguedesfourneaux.—Àproposdedingue,pourlagifle…Ellealevélesyeuxauciel.—Jet’aiditquej’étaisdésolée!—Quoi?Jen’aimêmepasdroitàunbisou?Elleareculé,et,envoyantsesyeuxpapillonnersurmeslèvres,j’aisongéàl’embrasser,commeça,

enoubliantqu’onneseconnaissaitpasetsansmesoucierdufaitqu’elleavaitdéjàunpetitcopain.Ellenem’enapaslaisséletemps.

—Jedoispartir,m’a-t-elleditenselevant.Jesuisdéjàenretardpourmarépétition.Tupeuxveniravantmesparents, demain ?Onpourrapeaufiner lesdétails et éviter les improvisations, dugenre lesembrassadesavecmamère.

Elleasortiunstyloetnotésonadresseetsonnumérodetéléphonesuruneservietteenpapier.J’ai glissé celle-ci dans ma poche et me suis levé pour l’accompagner. Je savais qu’elle était

pressée,maisjen’avaispasenviedelalaisserpartirtoutdesuite.—Aufait,tun’aspasbutoncafé,l’ai-jeretenueenmesouvenantdeceluiqu’elleavaitrenversé.

Attends,jevaist’enchercherun.—C’estmoiquidevraist’enoffrirun.—Laisse,tamatinéeaétérude.Tuméritesunpetitbreak.Ellem’a regardée comme si je venais de lui proposer un séjour auxBahamas. Son petit copain

devaitêtreunsacrétoquard,pourqu’uneattentionsiminimeluifasseautantd’effet.—Detoutefaçon,ai-jecontinué,jen’enboisjamais.Alors,c’estplié.Elleaéclatéderire.—Plié?Pluspersonneneparlecommeça!Maisdis-moi,a-t-ellereprisaveccuriosité,si tune

boispasdecafé,quefais-tulà?—J’étaisvenujouerlerôledufrèred’unefillequivoulaitsedébarrasserdesonjules,maisellea

annuléauderniermoment.Cen’estpasplusmal,jepréfèrelerôledupetitcopain,c’estnettementplusintéressant.

Arrivésàlacaisse,elleacommandéuncafé.Jelaregardaisajouterdelacrèmeetdeuxsachetsdesucrequandellealevélesyeuxpourm’examiner,intriguée.

—Tuesplutôtmarrant,Winston.Elleabuunegorgée,etcequirestaitdesonrougeàlèvresalaisséunetracesurleborddugobelet.

Çam’afaituneffetdingue.—Ettun’aspastoutvu,ai-jedit.—Frimeur,avecça?Ellem’asouri.—Tuesplutôtdifficileàcerner,tusais.—Hum,c’estcequ’onraconte,maisjesuisprêtàtelaissertoutletempsqu’iltefautpourtefaire

uneidée.Elleaéclatéderire.—Contentons-nousdedemain.Àplustard,boyfriend.—Àdemain,Mackenzie.Elleaémisundrôledepetitbruit,entrerireetagacement,ets’estéloignéeverslaporteensecouant

latête.—Àtaplace,m’a-t-ellelancéensortant,jenejoueraispasàcepetitjeu,trésor.Juste avant de traverser la rue, elle s’est encore retournée et nos regards se sont croisés. Un

frémissementm’aparcouru,commelorsd’uneauditionquandjesensquejeviensdedécrocherlerôle.Jesuisrestéplantélàcommeunidiot,jusqu’àcequeleserveurm’interpelle:—Hé!tuveuxautrechose?—Non,merci.Jem’envais.Jesuissorti,toutétonnédemesentiraussiléger.Ellenesavaitpasàquelpointelleavaitraison;c’était,effectivement,unjeu.Ellen’étaitpasma

petite amie,mêmesi sesparentsm’adoraient.Quoiqu’il en soit, jen’étais jamais sorti avecune fillecommeelle,etellen’étaitprobablementjamaissortieavecuntypecommemoi.Maislavieestparfoissurprenante,etquelintérêtya-t-ilàs’obstinerencoreettoujourssurlesmêmeschemins?Descheminsqui,enoutre,nemènentnullepart.

J’airepenséàl’apparitiondeMaxdevantmoi,àl’arrivéedesesparents,àmarencontreaveceux,àsacolèreetàsondernierregard.J’étaispeut-êtrecomplètementdétraqué,maismêmesagiflemelaissaitunbonsouvenir.

Mêmesicettehistoireétaitabsurde,jemesentaisplusnormalquejenel’avaisétédepuisdesmois.Commesilecielsedégageait.Commesi,fatiguéderuminerlepassé,jerenouaisenfinavecleprésent.

Jemesentaismieux.Nettementmieux.Etjevoulaisqueçacontinue.Ilétaittempsdetournerlapageetdeprofiterdelavie.Jevenaisjustementderencontrerquelqu’un

quisemblaittrèsdouépourça.

Rentréchezmoi,aprèsavoirdéposémonsacetmonmanteau,j’aitraversélecouloirpourfrapperchezmonvoisin.

—Milo!Tueslà?Delamusique latino-américainerésonnaitderrière laporte.Maquestionétaitdonc théorique– il

étaitbienchezlui–maispeuaudible.

—Milo!ai-jerépétéentapantplusfort.Laportes’estouverte,etMilo,enpleinenchaînementchorégraphique,arenversésapartenaire,une

petitebrune,têteenbasdansmadirection.J’aireculé.Milom’a souride toutes sesdents éclatantes sur sapeaumateet,d’ungestevif, il a redressé la

danseuse,dontlesbouclesontrebondiautourdesonvisage.J’aibaissélesyeuxsurmamontre.Iln’yavaitqueMilopourdanserlasalsaavecautantd’énergieà…dixheuresetdemiedumatin.—Salut,amigo!Lamusiqueesttropforte?—Non,çava,l’ai-jerassuré,jevoulaisseulementsavoirsituvoulaissortir,cesoir.Il a dressé un sourcil suspicieux. J’étais parti pourm’enfermer toute la semaine, à cause dema

phobiedesvacancesetdeladéprime,maisjevenaisdechangerd’avis.Ilétaittempsdemesecouer.—J’aiuntrucdeprévu,m’a-t-ildit,maistupeuxveniravecnous.Jeteprésentemonamie,Sasha.Lapetitebrune,sansquittersesbras,m’afaitunsignedelamain.Jenelaconnaissaispas,maisvu

queMilochangeaitdepartenairechaquesemaine,jen’étaispassurpris.—Elledanse,cesoir.Unnouveaujob.—Dansunspectacle?Ilsontéclatéderireenmêmetemps.—Unspectacle?Oui,sionveut,dansunbar.Elleétaitstrip-teaseuse?Milo,quimeconnaissaitassezpourinterprétermonairahuri,aprécisé:—Non,hermano,pascegenre-là!Quelgenre,alors?—Jepasseteprendreàneufheures.Tuverras,c’estcool.Puis il a fait pivoter Sasha dans ses bras, et ils sont repartis dans un rythme endiablé. Leurs

mouvements,toutenondulationsdeshancheseteffleurementssavammentdosés,étaientfascinants.Maisjenem’étaisquetropimmiscédanscetteséancedeséductionmatinale,alorsj’aifermédiscrètementlaporteetsuisretournéchezmoi.

Quelquechosemedisaitquecettesoiréeallaitêtreintéressante.

6

Max

QuandjesuisarrivéeauTrestle, lebaroùjetravaillaislesoiretrépétaisavecmongroupedans la journée, j’avaisvingtbonnesminutesde retard.Mace et Spencer m’ont pourtant à peine remarquée. Spencer, sa guitareabandonnéedansuncoin,examinaitavecintérêtlesalcoolsalignésderrièrelecomptoir.Mace,sesbaguettesdebatteriecoincéesdanslapochearrièredesonjean,jouaitsursontéléphoneportable.

—Hé!Jesuislà.—Salut,Max,aréponduSpencerenseversantduwhisky.Çaroule?—Çarouleraitmieuxsituévitaisdeteserviràl’œil.Jeterappellequ’onnouslaisserépétergratis.J’airebouchélabouteilleetl’airemisesurl’étagère.Ilahaussélesépaules,ajustélamonturenoire

deseslunettessursonnez,etvidésonverred’unetraite.Jel’aiattrapéparsonnœudpapillonimprimédetêtesdemortettiréverslascèneavantdelelâcherdevantsabasse.

PuisjesuisrevenueglisserunemainsouslementondeMacepourl’obligeràleverlatête.Ilm’alaisséfaireensoulevantsontéléphoneaveclui.

—Arrête,maintenant,Mace.Jesaisquejesuisenretard,maisonn’aquejusqu’àmidiavantqueSamnousfichedehors.

—Oui,oui,uneseconde.Jepeuxpasm’arrêtertoutdesuite,sinonjemeurs!Je lui ai arraché son téléphone desmains. Je lui en voulais peut-être encore de la façon dont il

m’avaitplantéetoutàl’heure,oualorsj’étaisseulementperverse,maisilm’énervaitsérieusement.—Max!s’est-ilexclaméententantdemelereprendre.—Gameover,alâchél’appareilau-dessusdematête.—Merde,Max,t’esvraimentchiante!LevisagedeCadeestbrusquementapparudevantmesyeux.—Ettoi,pénible,ai-jerétorquéenglissantsontéléphonedanslapochedesonjean.Commeça,on

estquittes.Jel’aiattrapéparlaceintureettiréunpeuversmoi.Sacolèrenel’apasempêchédemeprendre

parlataille,puisdeglisserlesmainssurmesfesses.Cettefois,aulieudelerepousser,jel’aiembrassélégèrement.Sestraitssesontdétendus,etilm’amordillélalèvre,unpeutropfortàmongoût.

—J’aimemieuxçaquevosprisesdebecperpétuelles,acommentéSpencer.JeconnaissaisSpencerdepuismonarrivéeàPhiladelphie,presquequatreansplustôt.C’estavec

luiquej’avaiscréélegroupe,UndertheBellJar,etilétaitleseul,àpartmoi,àenfairepartiedepuisledébut.Lesbatteurs,enrevanche,sesuccédaient.

J’avaisunfaiblepourlesbatteurs.—Onpeutjouer,maintenant?a-t-illancéàMaced’untonrogue.

Ilnel’appréciaitpas,maiss’enaccommodaitparcequ’ilpensaitqu’ilneresteraitpaslongtemps.Cequiseraitdommage,parcequeMaceétaitlemeilleurbatteurqu’onaitjamaiseu.

Jesuisalléecherchermaguitare.—Bon,ai-jecommencéenajustantmabandoulière,c’estnotredernièrerépèteavantleconcertde

lasemaineprochaine,alorsonseconcentre.Les premières notes passées, je me suis approchée du micro et, comme chaque fois que je

commençaisàchanter, tout lerestes’esteffacé.Lebarminabledanslequel jereviendrais travailler lesoirmême,monréveildifficiledu lendemainmatinpour recevoirmesparents, ladrôled’incursiondeCadedansmaviesentimentaledéjàcompliquée,ettoutesmesdifficultéspourmaintenircegroupeenvie,depuisdesmoisetsanslamoindrerétribution.

Quandjechantais,iln’yavaitqueçaquicomptait.Jen’étaispasquelqu’und’émotif.Jen’avaispaspleuré,parexemple,depuismestreizeans.Ceque

j’avaistraversém’avaitvaccinée,etjem’étaispromisdeneplusjamaisverserunelarme.Pleurnicher,c’estbonpourlesâmessensibles,ouquandonaunebonneraisondelefaire.Etmoi,j’étaisencoreenvie. Alors pas question dem’apitoyer sur des broutilles aussi stupides qu’une peine de cœur ou desparentsinsupportables.J’étaisdouéepourcontrôlermesémotions,surtoutlasouffrance.Leseulmomentoùjemelaissaisvraimentaller,c’estquandjechantais.

Lesdoigtssurmaguitare,enphaseaveclavibrationdescordes, jelaissaisalorslebonheuret lechagrin,l’espoiretladouleur,l’amouretlarévoltem’envahir.

Le texte que nous avions choisi parlait de la force de l’espérance, des amours néfastes et del’innocence perdue. Je chantais les élans de l’âme et du cœur, les spirales obsédantes, les courantsdescendantsdanslesquelslavie,parfois,nousentraîne.

Quelquechosesedénouaità l’intérieurdemoi,effaçantmessoucis,mesangoissesetmespeines.C’étaitçaquemesparentsnecomprenaientpas.Ilsvoulaientquej’abandonnelamusique,quejetrouveun«vraitravail»etdesrevenusconséquents.Mamèrerépétaitqu’elleneseraitrassuréequelejouroùsa petite fille chérie serait installée, autrement dit mariée, salariée et enceinte. J’en faisais descauchemars.

Ilsattendaientquejesoislafilleparfaitequ’Alexauraitdûêtre.Maisjen’étaispasAlex.J’avaisessayédel’être.Poureux,pourcomblerlevidequ’elleavaitlaisséderrièreelle,j’avaispassémestroisannéesdelycéeàjoueràlafilleidéale.Çan’avaitpasmarché.Jemeprenaistoujourslespiedsdansletapis et finissais systématiquement par gâcher quelque chose. Ils me regardaient alors comme si, enn’arrivantpasàêtreàlahauteurd’Alex,nonseulementjelesdécevais,maisaussijetrahissaismasœur.

Vivreaveceuxétaitdevenuinsupportable,lechagrinavaitpristoutelaplace.Laviem’avaitbrisée.J’étaisanéantie,j’étouffais.C’estlamusiquequim’avaitsauvée.Ellem’avaitsauvélavieetmemaintenaitenvie.AprèsplusieurstitresdansunrépertoireallantdeRadioHeadauxBeatles,nousavonspiochédans

lenôtre.Spenceravaitécritquelqueschansons,maislaplupartétaientdemaplume.Ellesétaienttoutesdifférentes,maistrèsintimes,etjenepouvaispasleschantersansm’investircomplètement.Auboutd’unmoment,j’aieubesoind’unepauseetmesuiséclipséeauxtoilettes.

Cerépit,engénéral,m’aidaità reconstruire lesmursquimeprotégeaient.Spencer lecomprenait.Nousnousconnaissionsdepuisassezlongtempspourqu’ilmelaissetranquille.Mace,enrevanche,étaitencoreenphased’apprentissage.Ilm’asuivieetplaquéesurlelavabo.

Leslèvrescolléesàmoncou,ils’estpressécontremoiengrognant.

—Ceque tupeuxêtre sexyquand tuchantes !Abrège la répèteet filonschez toique je te fassechantersurlelit,latable,contrelesmurs.

J’étaistropchambouléepourécoutersesfadaises.Lepoidsdesoncorpssurmondosm’écrasaitetsesmains surmespoignetsme faisaient l’effetd’uneentrave. J’ai levé la tête.Mon regard,écarquillédans lemiroir, reflétaitmapaniqueetmavulnérabilité.Toutceque jehaïssais.J’ai fermélesyeuxet,d’uncoupdecoude,j’airepousséMaceavantdemeretournerpourl’envoyerfranchementpromener.Ilnes’yattendaitpasetaatterribrutalementcontrelaporte.

—NomdeDieu,Max,qu’est-cequiteprend?Jel’aifixé.J’auraisdûm’excuser,maisjen’avaisaucunregret.J’avaisreprisledessus,etc’était

toutcequicomptait.Ils’estredresséenépoussetantsonjean.—Alors?a-t-ilhurlé.J’attends!J’airetenumontressaillement.Jenevoulaispasm’expliquer,jenepouvaispas.S’ilm’avaitconnueuntoutpetitpeu,neserait-ce

qu’àmoitiéaussibienqueSpencer,ilauraitsuquej’avaisbesoind’air.J’avaisencoredumalàrespirer.—Tunepeuxpasvenirchezmoi,ai-jerépliqué,mesparentssonttoujourslà.Inutiledeluipréciserqu’ilsétaientàl’hôtel,jevoulaisêtreseule,cettenuit.—Alors,c’estça,tumejettes?C’estquoitonproblème,aujourd’hui?Lemême que d’habitude. Chanter me fragilisait, et je n’avais aucune envie de lui dévoiler mes

faiblesses.—Jesuisdésolée,Mace.Désoléed’êtretroptaréepouravoirdesréactionsnormales.—J’aiseulementbesoind’unpeudetranquillité.Tupermets?Ilasecouélatêted’unairconsterné.—Oh,maisbiensûr!Prendstouttontemps,prendsmêmetoutelajournée.Jemetire!—Mace,je…Laportedestoilettesaclaqué.J’aifermélesyeux.J’auraisdûêtrecontrariée,maisj’étaissurtoutsoulagée.«Jel’appelleraiplus

tard»,mesuis-jeditensoupirant.Ils’enremettrait.Je lui donnerais aussi l’ordre des chansons du concert, parce que son départ, pour aujourd’hui,

semblaitdéfinitif.Jemesuisaspergélevisaged’eaufraîcheavantderetournerdanslasalle.SpenceravaitdéjàrangénosinstrumentsdanslesplacardsqueSamavaitmisànotredisposition.Je

n’avaispasbesoindem’expliquer,ilavaitprobablementtoutentendu.Lesonportaittrèsbienici.C’étaitpourçaquej’avaissuppliéSamdenouslaisserrépéterdanssonbaravantl’ouverture.L’acoustiqueétaitexcellente;idéalepourlamusique,nettementmoinspourlesengueulades.

—Çava?m’a-t-ildemandé.—Àtonavis?—Jecroisqueoui.—Bienvu.C’étaitvrai.J’avaisassezdesoucisentêtepourm’inquiéterchaquefoisqueMacepétaituncâble.—Parcequetuasdescouillesenbéton,a-t-ilajouté.Jedétestaiscegenred’expression–commesi la forceallaitdepairavec lavirilité.Les femmes

aussiontdelaressource;ellesnesontpasdesmauviettes.

— Je n’ai pas de couilles, Spencer, et heureusement, parce que ça n’irait pas du tout avec malingerie.

Ilasouri.—Talingerie,hein?Macevaregretterd’êtreparti.Il s’est approché et m’a prise par la taille. Il ne cherchait pas à me draguer. C’était fini, cette

époque.Ilétaitd’ailleursleseuldemesexaveclequelj’avaiscontinuéd’êtreamie.Cequiexpliquaitsafamiliarité.

—De toute façon, il n’en aurait pas profité, aujourd’hui, ai-je répliqué enm’écartant.Et toi nonplus.

Ilaposélamainsursoncœuretfaitsemblantdesouffrir.—Ah!tum’assassines…Vagind’acier.J’aiéclatéderire.—Oh!jet’enprie,c’estencorepire!Jesuiscommetoutlemonde,Spence.Etsitupouvaiséviter

dedélirersurmesorganesgénitaux,j’aimeraismieux.D’accord?—D’accord,Max,maisjeneteprometsriensousl’emprisedel’alcool.J’ailevélesyeuxaucieletenfilémonmanteau.—Tuviens,cesoir?—Sansdoute.Jetravaillesurunenouvellechanson.Jeviendraimangerunmorceauetpeut-êtrete

lachanterpendanttapause.—Super.—Jepeuxdéjàtedirelepremiercouplet.Çacommencecommeça:Eh,M’mzelle,tonpetitcopain

selapète,arrêtedeteprendrelatête.Pique-luidoncsesbaguettes,etenvoie-le…—C’estbon,Spence,j’aicompris.Ilavissésonchapeausursatête.—Jetecroiraiquandtul’aurasprouvé.Àcesoir!—Jetegardetatable!ai-jelancédanssondos.Après son départ, j’ai vérifié que tout était en ordre et fermé le bar en chassant Mace de mes

pensées.J’avaisjusteletempsdemangeretdedormirunpeuavantderevenirtravailler.Soulevantlacapuchedemonmanteaupourmeprotégerdesrafalesdevent,jemesuismiseenroute

versmonappartementenfredonnant.

7

Cade

L’appartement de Milo, un capharnaüm parsemé de restes de pizza, delinge sale et de vaisselle dépareillée, était la quintessence de l’antre ducélibataire.Iladébarrassélesvestigesd’unrepaschinoisquitraînaientsurlatablebassepuisestrevenuausalon.

—Turéfléchistrop,hermano,a-t-ildéclaré.Jevaist’aideràdébrancher.Joignantlegesteàlaparole,ilaposédevantmoilabouteilledetequilaqu’ilvenaitdesortirdeson

congélateur.Jecommençaisàcomprendreàquoiallaitressemblerlasoirée.—Tuveuxm’aideràcessercomplètementderéfléchir?—Exactement,a-t-ilaffirméenouvrantlabouteille.Jelaluiaiprisedesmains.—Danscecas,tupourraistrouverunetequiladécente.C’estquoi,cettemarque?—J’enachèteraide labonne, a-t-il rétorquéenme la reprenant, le jouroù tuaurasdécrochéde

cetteBliss.Jen’auraisjamaisdûluidiresonprénom.Ilavaittendanceàleprononcerparsurprise,commes’il

voulaitm’immuniser.Jecommençaisàm’habituer,maisjepréféraiséviter.Ilestalléchercherdespetitsverres.—C’estlaMilo-thérapie?—Oui.Tudoisêtrecomplètementsaoulpourqueçamarche.Ilaremplilesverresetenaglisséunversmoi.—Et,toi,luiai-jedemandé,tuboispouroublierquoi?—Tun’aspascomprisleprincipe,hermano,onboitpournepasavoiràparler.Jelevaismonverrequandilm’aarrêté.—Eh,passivite!Ilyaunrituel.—Unrituel,c’estdelamagie,alors?Sij’enverseunpeuparterre,unetigedeharicotvapousser?—Ilvasurtoutt’enpousserdeux,monvieux.Deuxbellesgousses!Fidèleàlui-même,ilaéclatéderireàsapropreblagueetj’aisecouélatête.—Tuestordant,Milo.—Jesais,jesais.Bon,s’est-ilrepris,lerituel.Jetepréviens,c’estdusérieux.J’aiconsidéréd’unœilsuspicieuxlatequilaquej’étaissûrderegretterlelendemain.—Écoute-moibien,a-t-ilcontinuéenattrapantsonverre.Àchaqueshotcorrespondunengagement.

Situnetienspascetengagement,outrelamalédictionassociée,tusubiraslapirevengeancedesdieuxdel’ivresse,unegueuledebois simonstrueuseque tesdescendants, si jamais tuenas, s’ensouviendrontencoreàlatroisièmegénération.

—Etsijerefusedeboire?

—Tupeux rester ici, croupir dans tamisère, pendant que jem’envais trouver deuxbelles aveclesquellesgrimperauseptièmeciel.C’estcommetuveux.

Évidemment,ditencestermes…J’aisoupiréenluifaisantsignedecontinuer.—CadeWinston, enbuvantceverre, tu t’engages solennellementàdégoterce soir lenumérode

téléphone d’une fille. Si tu échoues, que les dieux de l’ivresse t’infligent la plus faible tolérance àl’alcool qu’aucun hommen’aura jamais connue, une tolérance si faible quemêmeun bébé anorexiquepourraittefaireroulersouslatable.

J’aiéclatéderireetprismonverre.—Çan’existepas,lesbébésanorexiques.—Qu’est-cequetuensais?Jesuissûrqu’ilsdétestentqu’onleurpincelegrasdesfessesense

félicitantdeleurminerebondie.Dequoidévelopperdesérieuxtroublesalimentaires,tupeuxmecroire.J’aividématequila,justepourluiclouerlebec,puisj’aiadmis:—Unnumérodetéléphone,c’estdansmescordes.Ilasourietremplimonverre.—Situm’annoncesquelamalédictionsuivanteestl’herpès,jetepréviens,j’arrêtetoutdesuite.Ilm’atendumonverreenriant.—Détends-toi,Winston,cegenred’ennuinedépendquedetoietdetonharicotgéant!C’étaitmalin.Maintenant,jenepourraisplusjamaisraconterl’histoiredeJackauxgossesdontje

m’occupaissanschoperunfourire.—J’espèrequetun’auraspasd’enfantsavantlongtemps,Milo.—Quiteditquejen’enaipasdéjàseméquelques-uns?—L’Apocalypsen’apasencoresonné,quejesache.Ilm’a donné une bonne tape sur l’épaule, ce qui a renversé lamoitié demon verre, qu’il s’est

empresséderempliravantdecontinuer:—CadeWinston,enbuvantcebreuvage,tut’engagessolennellementàfaire,cesoir,quelquechose

d’inhabituel.Situéchoues,tuserasaffligéjusqu’àlamortd’éjaculationprécoce.—Tuplaisantes?Ilahaussélesépaules.—Qu’est-cequetuveux,lesdieuxdel’ivressesontexigeants.J’aibusansfairedecommentaires.Jepensaisquecetteseconderasadepasseraitplusfacilement,

maisleliquideétaitpluscorrosifqueleplusvirulentdesacides,etj’enavaisleslarmesauxyeux.Miloaterminésonverresansciller.—Tuboissouventdecetruc?—Assezsouvent.Ilvientdeladistilleriedanslaquelletravaillemononcle,àMexico.Ilm’envoie

desbonsderéduction.Cen’estpassimauvais,unefoisqu’onal’habitude.—Sijamaisjem’yhabitue,promets-moi,s’ilteplaît,dem’achever.—Numerotres!a-t-ilclaméd’unevoixtonitruante.Pourcelui-là,amigo, jeveuxque,cesoir, tu

t’énerves. Tu t’es montré beaucoup trop charitable, jusqu’ici. Alors je me fiche du prétexte, unebousculade,unverrerenversé,unetronchequineterevientpas,peuimporte;cequicompte,c’estqu’enbuvantceverre,tut’engagessolennellementàpiquerunesaintecolère.

—Etsijem’énervecontretoi?—Çavaprobablement sepasser, a-t-il répondu,philosophe,mais cene serapas à causedema

tronche.—Non,seulementàcausedetonhideusechemise.—Excuse-moideteledire,maiselleestsuper-chic,ettun’yconnaisrien.

J’airi.—Vapourlacolère.Çanedevraitpasêtredifficile.Cetroisièmeverreestdescendutoutseul,cequiétaitplutôtinquiétantvul’étatdemonœsophage.—C’estledernier,ai-jeprévenuMiloenlevoyantmeservirpourlaquatrièmefois.—Voyonsvoir…Ilaprisletempsderéfléchir.—Tun’essortiavecpersonnedepuisBliss,c’estça?J’aiopiné,sanspréciserquejen’étaisjamaisvraimentsortiavecelle.—CadeWinston,a-t-ildéclaré,tut’engages,enbuvantceverre,àbrancherunefille.—Brancher?Jesuisdéjàcensérécupérerunnumérodetéléphone!— Je te laisse juge du sens à donner à ce terme.À partir dumoment où un passage à l’acte est

engagé,jesuissûrquelesdieuxserontsatisfaits.Situréussis,tuserasrécompenséparlemeilleurplanculdetoutetavie.

Unerécompense?C’étaitnouveau.—Etsij’échoue?Ilahaussélesépaulesetlâchéd’untondésinvolte:—Attends-toiàsouffrird’érectionsspontanéesetirrépressiblesauxmomentslesmoinsappropriés.Çaluiressemblaitdavantage,etj’aisourienmedemandants’ilavaitlonguementmûricettemiseen

scène,ousiellen’étaitqu’unepreuvedeplusdesadépravationnaturelle. Jedevais reconnaîtrequ’ilétaitbonpourmechangerlesidées.Ilavaitpeut-êtreraison,aprèstout.J’avaispassédesmoisàcouriraprès celle que je croyais être la femmedema vie, et encore plus de temps à ruminermon deuil. Jen’étaispasobligédemecaser.J’étaissortiavecpasmaldefillespendantmestroispremièresannéesdefac,mais au coursde ladernière, le diplômeapprochant, jem’étais senti obligédeprendre lavie ausérieuxetdecommenceràconstruiremonavenir.Pourlebienqueçam’avaitfait…

J’avaisvingt-deuxans.Pourquoiétais-jesipressé?J’ailevémonverre.—Brancherunefille,çamarche.Etj’aiengloutimarasade.Nomd’unchien,cetrucétait…vraimentraide.—Parfait!s’estexclaméMiloenmegratifiantd’unebourradedansledos.Maintenant,placeàla

fiesta!Bliss m’effleurait à peine l’esprit quand nous nous sommes mis en route. Le temps, finalement,

faisait peut-être son œuvre. À moins que ce ne soit la tequila, parce que Milo, au cas où je medégonflerais,avaitemporté labouteille.Le tempsd’arriverauTrestle,mon foieétaitprobablementenétatdemortclinique,maisj’avaisencorelesidéesclaires.

Lebar,àl’anglededeuxminusculesruesetquasidissimuléparunpontcouvertdegraffitis,avaitdesalluresdecoupe-gorge.L’immeubledebriquesemblaitabandonnéetle«r»del’enseignemanquaitàl’appel.

L’intérieurétaitaussidéconcertant.Devieuxfilmsennoiretblancétaientprojetéssurlesmursetdes spotsmulticolores ajoutaient à l’ambiance rétro. Il y avait aussi des danseuses.D’un côté dubar,Sasha, l’amie de Milo, se déhanchait sur une plate-forme au-dessus de la foule. Entre l’extérieurcomplètementdélabré,lesfilmsennoiretblancetlesondulationshypnotiquesdeSasha,l’endroitavaittoutd’unrepaireunderground.

S’ilexistaitdeslieuxpareilsauTexas,jen’yavaisjamaismislespieds.—Quandjeparlaisdebrancherunefille,m’aditMiloenmesecouant,jeneparlaispasdeSasha,

hermano.Oublie.

J’aiéclatéderire.—Chassegardée?Ill’aregardée.—Non,monvieux, cette fille est trop indépendante, etpasdugenreà fairepasser lespeinesde

cœur.J’ai compris qu’ilme cachait quelque chose,mais je n’ai pas insisté. J’avais aussimes secrets,

aprèstout.—Arrêtedemeregardercommeça,Winston.Cen’estpasmoiquivaisteconsoler,nonplus.—Jenesuispasassezsaoulpourcegenredeblague.—Alorsonvayremédier!Ilm’a entraîné vers le bar,mais une blondem’a bloqué le passage. Elle était jolie, les cheveux

bouclés,leteintclairetundécolletéplongeant.Ellenetenaitplustrèsbiensursesjambesetavacilléensepenchantpourmedemanderquelquechose.Jel’airetenueparlataille,etelles’estaccrochéeàmonbrasengloussant.

—Oh,pardon!m’a-t-elleditsansmelâcher.Elle était séduisante, c’est sûr,mais son regard sous ses longs cilsneme faisait pas franchement

d’effet.J’aiattendulapetitedéchargeélectrique,l’emballementdemonrythmecardiaque.Rien.Nada.Ellem’aposélesquestionshabituelles,etjeluiairépondusansdavantagem’émouvoir.C’étaitle

genredefillequej’auraispubrancher.J’auraismêmepupasserlanuitavecelle,maisjesentaisbienqueçan’auraitrienchangé.Enplus,j’avaisl’impressiondemeforcer.

Jejetaisunregardverslebarenmedisantqu’unverreoudeuxm’aideraientàmedétendre,quandlafille,Cammie, a faituncommentaire surmon sensde l’humour.Visiblement, elle appréciait. Jenemesouvenaismêmepasdecequejevenaisdeluidire.

Unpetitcoupdecoudem’adétournéversMilo.— Si tu veux t’épargner l’éjaculation précoce à vie, m’a-t-il glissé d’un air entendu, c’est le

moment,monvieux.Jel’aifusilléduregard.—Eh!Tevexepas,a-t-ilenchaîné.Çaarrive,hermano.Mêmeauxmeilleursd’entrenous.Samine,entrefatalismecontritetfrancherigolade,m’afaitéclaterderire.Je l’aienvoyébouler,

maisjeriaisencorequandjemesuisretournéversCammie.Elleavaitl’airdecomprendrequ’ellenetombaitpasaubonmoment.Pourtant,aulieudepartir,elle

s’estapprochéedemoiet,surunpetithochementdetête,aplongélamaindanslapochedemonjean.Jel’airegardée,unpeusidéré,sortirmontéléphoneportable,releveruninstantlesyeuxsurmoi,puistapercequinepouvait êtrequesonnumérodansmescontacts, avantdeme rendremonappareil etde s’enaller.Jevenais,sansmêmeleverlepetitdoigt,deremplirlepremierdemesengagementsdelasoirée.

J’allaismevanterauprèsdeMiloquandmonregardesttombésurlaplate-formeau-dessusdubar.Sasha avait laissé la place à une nouvelle danseuse. Celle-ci portait une minijupe encore plus

courte,descollantsnoirsetunhautdedentelleassezminimalistepourrévélercomplètementsatailleetlecurieuxtatouagequiremontaitsursonventre.Ilm’afalluquelquessecondespouridentifierlemotif.Ladéchargequines’étaitpasproduiteavecCammiem’aalorsfoudroyé.

C’étaitunarbre.Etjeconnaissaisladanseuse.

8

Max

Ilétaitinterditdefumeràl’intérieurduTrestle,maislasallebaignaitdansunbrouillardopaque.L’effetdiffusdeslumières,combinéauxriresetauxvapeursd’alcoolquiremontaientjusqu’àmoi,créaituneambianceirréelle.Lamusiquebattaitàpleinvolume,faisantvibrerl’airetlaplate-formesousmespieds.

Jedansaissansregarderlesclients.Jen’avaispashontedecequejefaisais,lesdanseusesn’étaientpaslàpoursedéshabiller,seulementpourl’ambiance,etsij’avaisunejupepluscourtequecellesdesautres,c’estparcequejepartageaismontempsentreladanseetlebar.Lespourboires,enminijupe,sontplusgénéreux.Quoiqu’ilensoit,jenecroisaispaslesregards.Samveillaitàvirerlestordus,maisnosprestationsenhauteur,danslalumière,avaientdequoitournerlatêteden’importequi.

D’habitude,jemelaissaisporterparlamusiqueetjedansaispourmoi,letempspassaitplusvite.Maisla journéeavaitétésistressantequej’avaisdumalà lâcherprise.Lesdeuxshotsdetequilaquej’avaisbusavantdemontersurscènen’ychangeaientrien.Alors,jeregardaisleplafond,lesmurs,etdetempsentempsSpencer,assisàsatableducoin.

J’avais de nouveau les yeux sur lui quand il a levé la tête. Ilm’a souri avant de retourner à lachansonqu’ilgriffonnaitsursoncalepin.

Mon regard s’est ensuite arrêté sur la porte, et j’ai vu apparaître, émergeant du nuage de fuméeblanchequiondulaitdevantluisousl’effetducourantd’air,l’étudiantmodèle,spécialistedesétreintesmaternellesetgrandamateurdebibliothèques,qui,pourlesprochainesvingt-quatreheures,metenaitlieudepetitcopain.

Cade.Ilétaitfranchementcanon.Trop.La preuve, quand il a éclaté de rire, les regards se sont tournés vers lui et, comme si c’était

quelqu’undecélèbre,touteslesconversationssesonttues.Sanss’arrêteràl’effetqu’ilproduisait,ilarepoussélamèchedecheveuxnoirstombéedevantses

yeux pour offrir son grand sourire au garçon qui l’accompagnait. Cematin, au café, jem’étais renducompte qu’il était du genre souriant.Mais je n’avais pas remarqué les fossettes qui adoucissaient lacarruredesamâchoire,ni le légerplissementdesesyeux.Ilarecommencéàrire,et j’aivuaumoinstroisfillesmanœuvrerverslui.

Laplusrapides’estplantéesoussonnez.Jen’entendaispascequ’elleluidisait,etilfaisaittropsombrepourquejepuissetenterdeliresurseslèvres…

Commesijesavaislefaire!Elle était le portrait craché de ce que j’imaginais son genre de fille. Blonde, évaporée,

insupportable.

Toutlecontrairedemoi.Comme avec mes parents, moins d’une seconde lui a suffi pour la séduire. Elle gloussait, en

tortillant bêtement une mèche de ses longs cheveux bouclés entre ses doigts. J’étais sûre qu’il allaitl’emballer–elleluidonnaitclairementlefeuvert–,maislui,aulieud’enprofiter,ilbavardaitcommeune pie ! Il l’amême complètement ignorée pour se tourner vers son copain. Lamoue dépitée de lablondem’aarrachéunsourire.

Jeme suisdit, en sentantma tension s’alléger, quemes shotsde tequila faisaient enfin leur effet.Mon soulagement n’avait aucun rapport avec la fille qu’il venait de laisser en plan et qui plongeaitmaintenantlamain…danslapochedesonjean,pourenextrairesontéléphoneportableettaper,d’unairostensible,cequinepouvaitêtrequesonnuméroperso.

Ellenemanquaitpasdeculot!Cadel’aregardée,puisilareprisletéléphonequ’elleluirendaitets’esttournéverssoncopain.La

filleaattendudeuxsecondes,puiselleestpartie,visiblementdéçue.Caden’amêmepasfaitminedelaretenir.

Ilallaitparleràsoncopain,quandilalevélesyeux.Je les ai quasiment sentis remonter sur moi, et quand ils ont croisé mon regard, j’ai trébuché.

J’aurais dû me détourner, mais un éclat, qui n’était pas de la convoitise, m’a retenue. C’était… del’admiration.

Ilafaitunpas,etmoncœurafaitunbond.J’étaisséduite,c’estclair,etparun typequin’étaitpasdu toutmongenre.Ducoup,cen’estpas

seulementledésirquim’afaitfrissonner.Maislapeur.Cettefois,jemesuisdétournée.Sijel’ignorais,ilnechercheraitpasàmeparler.Alorsj’aifermélesyeuxet,légèrementétourdie,jemesuislaisséeporterparlamusique.J’avais

des picotements partout, parce que j’étais pratiquement sûre qu’il continuait de me regarder, mais jepréférais imaginer l’éclat de son regard plutôt que de le voir et sentirmon pouls s’emballer. Et puisdansermedétendait.

Le Trestle avait une programmation rétro, je n’étais donc pas forcée de me déhancher sur desrythmesendiablés.Lesyeuxclos,dansleseffluvesdetabacvenusdel’extérieur,jepouvaisfacilementmecroireaudébutdesannées1960,àl’époquedespremiersnight-clubs.

Au bout d’unmoment, j’ai soulevé les paupières et, comme par hasard, j’ai tout de suite trouvéCade.

D’habitude, jen’aimaispasqu’onme regardedanser– j’avais trop l’impressiondem’exhiber–,maiscettefois,çamesemblaitaussinaturelquelacaressedupremierrayondesoleilaprèsl’hiver.

C’étaitintime,maispasdésagréable.C’étaitmêmeplutôt…euphorisant.Jemesentaisbienaveclui,malgrémapeur.C’étaitd’ailleursunsentimentcomplexe,paslegenre

depeuràmefairefuir,terrorisée,del’autrecôtédelaplanète.Non,plutôtcelle,exaltante,quim’auraitpousséeàgravirdesmontagnes,commesionm’avaitditqu’unmiraclem’attendaitausommet.

Saufque jen’étaispasdecellesquigravissentdesmontagnes.Sisexyquesoit lesommet, jemeconnaissaisassezpoursavoircequim’attendait :craqueraumilieuduparcoursetmeretrouverseule,aveclasouffranced’êtremontéejusque-làsanslamoindrerétribution.

Jepréféraisquemaviesoitleplussimplepossible.Iln’yavaitpasd’enjeuavecdestypescommeMace,aucuneffortàfournir,pasdesurprise.Jelecomprenaisetsurtout,ilnerisquaitpasdemebriserlecœur,parcequejenerisquaispasdeleluidonneretqu’ilnesesouciaitpas,detoutefaçon,demeleprendre.

MaisCade…Jen’arrivaispasàcomprendrecequ’ilmetrouvait.Pourquoimedévorait-ildesyeuxalorsqu’une

jolieblonde,àdeuxmètres,n’attendaitquelui?Jeluiaitournéledospourmeconcentrersurlamusique.Elle,aumoins,n’étaitpascompliquée.Desnotes,unegamme,c’estmathématique.Elledonnaitun

sensàmavie,elleétaitprévisible.Moncorpsluirépondait,mespenséesdérivaient,letempsn’existaitplus.

J’aiimaginéquej’étaisentraindechanter.Matensions’esteffacéeet,portéeparlamélodie,j’aitoutàfaitcessédepenser.

Auboutd’uncertaintemps,j’aifiniparsentirlafatiguedansmesjambesetlasueurdansmoncou.J’aiouvertlesyeux.

Jenechantaispasetjen’étaispasseule.Cadeétaitencorelà,attabléavecsoncopain.J’avaisvraimentperdulanotiondutemps,parceque

desassiettesvidesétaientposéesdevanteux.Jemesuisretournéeenroulantleshanchessoussesyeux.Cegestem’aprocuréunfrisson–undecesfrissonsdélicieuxquej’aivitechassépourattirerl’attentiondeShelly,l’unedesserveuses,etluidemanderl’heure.

—Onze!m’a-t-ellecrié.Mince. Je n’avais plus le temps de prendre ma pause. C’était déjà l’heure d’enchaîner au bar.

Laissantmaplaceàladanseusesuivante,jesuisdescenduedelaplate-forme.—Net’inquiètepas,m’aditKatie,quejedevaisremplacer,jepeuxresterunquartd’heuredeplus.

Vatereposer.Jeluiaisourietmesuiséclipséedehors.L’airvifm’aarrachéunsoupirdebonheur.Benny,levideur,m’aproposéunecigarette.Jenefumaisplus,maiscesoir,jeméritaisbienunpetit

écart.Bennymedonnaitdufeulorsquelaportes’estouverte.SurCade.Moncœur,çadevenaitunehabitude,afaitunbond.J’ai tiré une grande bouffée et, mine de rien, j’ai lentement lâché la fumée. Je ne savais pas

pourquoi,maisCaden’avaitplusriendutypecharmantet toutàfait inoffensifquej’avaisrencontrélematinmême.

Et ce constat, peut-être à cause de ce que j’avais ressenti pendant que je dansais, n’était pasrassurantdutout.

9

Cade

Plus que stupéfait de la découvrir ici, j’étais… subjugué. Max étaitirréelle.Magnifique.Mystérieuse.Horsd’atteinte.

Je ne savais pas où regarder pendant qu’elle dansait. Je voulais toutmémoriser : la lumière quiauréolait la pâleur de sa peau, le khôl qui soulignait le bleu perçant de ses yeux, les lignes de sontatouage.Elleenavaitd’autres,troppetitspourquejepuisselesdistinguer.Ilsressemblaientàdesrunesouàdeshiéroglyphes,commesielleétaitunedéesse.Sacréeetinterdite.

C’étaitàçaqu’elleressemblait,uneimagequej’étaissûrdenejamaisoublier.Chaque fois que son regard croisait lemien,mon sang semettait à battre furieusement dansmes

veines,etjedevaismeretenirpournepassautersurlaplate-formeetdanseravecelle,oulajetersurmonépauleetlasoustraireauxregards.

D’habitude,jemeconsidéraiscommequelqu’underaisonnable,paslegenreàselaissergouvernerpar sespulsions,mais riendecequecette fillem’inspiraitn’était rationnel. J’étaisdevenu fou.Bliss,Philadelphie,lescours,mesgalères,toutavaitdisparu.

C’estleseulmoyend’expliquerpourquoijel’aisuiviequandelleestsortie.Jenesavaispasdutoutcequej’allaisluiraconter,maisjerefusaisdeneplusl’avoirsouslesyeux.

—Salut,GoldenBoy,m’a-t-ellelancéenexhalantunnuagedefuméeentreseslèvresvermeilles.—Salut,Max.Elles’estéloignéeduvideurpours’adosseraumurdebrique,unpeuplusloin.Jemesuisforcéàne

pas regarder ses jambes,ni sa taille.Elle était ultra-sexy,mais j’étais sûrqu’elle avait eu sadosederegardslubriquespourcesoir.

—Tumecoursaprès,GoldenBoy?Aveccequej’avaisbu,j’aipréférégardermesdistancespourévitertoutgesteimprudent.—Unpeu.Ellearietjemesuisdétendu.—Sérieusement,a-t-ellerepris,qu’est-cequetufaisici?Jenet’aijamaisvuauTrestle.J’ypasse

pourtantleplusclairdemontemps.—C’estlapremièrefoisquejeviens.Jesuisavecunami.—Lebrun?J’aiopiné—Ils’appelleMilo.J’aicherchéquelquechosed’intelligentàdire,maismoncerveau tournaitauralenti.Pasétonnant

qu’ellem’appelleGoldenBoy.J’avaiseutortdelasuivre.J’avaistropbupourfairelaconversationetlesilencedevenaitgênant.

Etplusjerestais,plusj’avaisdemalàm’empêcherdelatoucher.Ilétaittempsdesongeràuneretraitetactique.—Jeferaismieuxd’allerrejoindremoncopain.Ellem’aregardéreculer,unpeusurprise.

—J’étaisjustevenutedirebonsoir.Elleafroncélessourcils,puissesyeuxsesontsubitementécarquillés.J’airegardéderrièremoi,maisàl’exceptionduvideur,nousétionsseulsdanslaruelle.—Qu’est-cequit’arrive?Elleasecouélatête.—Rien,laissetomber.—Non,jeveuxsavoir.Pourquoitumeregardescommeça?Elleatiréunetaffe.—Pourrien.Jeviensseulementdecomprendreuntruc.—Queltruc?Elleatiréuneautrebouffée,soufflélafumée,puisrépondu:—Quetujoueslacomédie.J’avaispeut-êtrebu,maisj’étaissûrqu’ellevoulaitdireautrechose.—Oui,jesuiscomédien.Jetel’aiditcematin.Elles’estécartéedumuretsestalonsontclaquésurlemacadam.—Tuauraispumedirelereste.J’avaisvraimenttropbu,parceque,cettefois,jenevoyaispasdutoutdequoielleparlait.—Lereste?—Benoui,quoi.Tonami.Milo.Tuauraispumeledire.Çanemegênepas,tusais.Jen’arrivaistoujourspasàsaisir,ouplutôt…jen’étaispassûrdevouloirsaisir.—Jereconnaisquej’aibu,ai-jecommencéprudemment,maissitucrois…cequejepensequetu

crois…tutetrompes!Elles’estapprochée.—C’estbon,GoldenBoy,cen’estpasuncrime.Interrompantlamainqu’elles’apprêtaitàposergentimentsurmonépaule,j’airépliqué:—Jenesuispasgay,Max.—Oh !mais bien sûr, s’est-elle exclamée, tu adores les filles ! Arrête, a-t-elle ajouté dans un

murmureàmonoreille.OnestauXXIesiècle,Cade,lemondenevapass’écroulerpouruncoming-out!Deuxréactionspossiblesmesontpasséespar la tête.Aulieudechoisir lapremière,raisonnable,

quiimpliquaitdesprotestationsvéhémentes,j’aichoisilasecondeet,d’uncoupsec,jel’aiattiréecontremoi.

Elle a poussé un petit cri et j’ai vu, à quelquesmillimètres de ses lèvres, la compréhension sedessinerdanssonregard.Maisilétaittroptard.

Déterminéàbalayerlemoindredoute,j’aiécrasémabouchesurlasienne.Elleaeuunhoquet,puisj’aisentisamainm’effleurerledos.Jugeantquec’étaitunepermission,je

l’aiplaquéecontrelemurqu’ellevenaitdequitter.Ses lèvres, pulpeuses et douces, avaient de quoime déchaîner. Jeme suis pourtant retenu. Je ne

voulaispasmejetersurellecommeunsauvage.Maissesmainsontglissésurmesreins,etj’ai…perdulatête.

Surtoutqu’aprèsm’avoir,jusque-là,laisséfaire,elleestvenuevraimentàmarencontre.Mon cœur cognait comme un sourd, et j’étais tellement sonné que, sans le mur contre lequel je

l’écrasais, jeme serais certainement écroulé. Je voulais la déshabiller, prendre possession de chaquecentimètre carré du corps qu’elle pressait contre le mien. C’était complètement dingue, d’autant plusdinguequ’elleéprouvait,visiblement,lesmêmessensations.

Quandnousnoussommesécartés,essoufflésetstupéfaits–entoutcasmoi–,aulieudelalâcher,j’aiglisséleslèvressursoncou.Ilétaitencoreplusdouxquejenel’avaisimaginé.

Jepouvaismeperdreenelle.Etsijamaisjelefaisais,jevoudraistoujoursrecommencer.Elleétait…unedrogue.—D’accord,a-t-ellelâchéd’unevoixrauque,j’aicompris.J’ai éclaté de rire. Chatouillée par mes lèvres, elle s’est cambrée, et ses seins se sont

délicieusement pressés contre mon torse. Elle était si réactive ! Chaque fois que je faisais un gestequ’elleaimait,luimordillerleboutdel’oreille,parexemple,sesongless’enfonçaientdansmescôtes,etelleretenaitsonsouffle.Jevoulaisrecommencer,encoreetencore.

—Arrête,a-t-elleinsisté.Jen’enavaispasdutoutenvie,maisj’aiobtempérépourladévisager.Sespupillesétaientdilatées.Quecesoitdestupeuroud’autrechose,cen’étaitentoutcaspasla

réactionquej’avaisimaginée.Jel’ailâchée.Etlagifle,retentissante,estpartie.J’ensuisrestéstupide.Jen’avaisreçuquedeuxgiflesdansmavie,etjelesdevaistouteslesdeuxà

cettefillesublimeetflamboyante.Pourtant,contrairementàlapremière,celle-ci,jelaméritais.Elleavaitunpetitcopain.Jem’ensouvenaismieuxquandj’évitaisdelaregarder.J’aireculé.—Oh!jesuisvraimentdésolée,m’a-t-elleditenécartantlesmainsdesabouche.Je…n’auraispas

dû.—Net’excusepas,c’étaitmérité.Jelesavais,maisj’avaistellementenviederecommencerquej’avaisdumalàm’enconvaincre.Je

nesongeaisqu’àlareprendredansmesbras.—Jeferaismieuxdepartir.J’aifaitdemi-tour.Majournée,ettoutcequej’avaiséprouvédebiendepuiscematin,étaitgâchéeparcettegifle.Ce

n’étaitpasmongenredemecomportercommeça.Jel’avaisquasiembrasséedeforce.Enpoussantlaporte,jel’aientenduedemanderunecigaretteauvideuretmesuisobligéànepasme

retourner.Enmatière de filles et d’alcool,mes antécédents étaient désastreux. Sa gifle était là pourme le

rappeler.Maisuneréflexionmehantait.Ellem’avaitrendumonbaiser.

10

Max

J’ai alluméma cigarette, les joues rouges à cause du froid et les lèvresbrûlantesàcause…deCade.

Jen’avaisjamaiseul’intentiondeluirendresonbaiser.Envérité,jesavaisqu’iln’étaitpasgay.J’espéraispeut-êtrequ’illesoit–çam’auraitsimplifiéla

vie–,maisjen’avaispasfranchementdedoutes.Quandils’était jetésurmoi, jem’étaisditquecen’étaitpasbiengrave…d’essayer.Jepourrais

toujoursmettrecetécartsurlecomptedel’alcool,et,macuriositésatisfaite,arrêterdefantasmersurlui.C’étaitl’idée.Jusqu’aumomentoùilavaitglissélamaindansmescheveux.Mafaiblessepourlesbaisersparfaits

avaitfaitlereste.C’étaitpourçaquejenesortaispasaveclesgarçonsbien:ilssonttropgentils.Cebaiserétaitpourtantunparadoxe.D’uncôté,ilétaitaussiagréableetrespectueuxquejepouvais

m’yattendre,etdel’autre ils’étaitrévélécomplètement…despotique.C’estbiensimple:chaquefoisquej’avaisvouluymettreunterme,quelquechose–samaindansmescheveux,lapressiondeseslèvres,unmordillement–m’avait retenueetpousséeencoreplusdans sesbras. Jene saispascomment il sedébrouillait pour être aussi tendre et aussi brutal à la fois, mais je dois reconnaître que l’effet étaithallucinant.

Etmaréactionaffligeante.J’étaiscenséesortiravecMace.J’étaisvraimentminable.Caden’étaitpasmongenre,etjen’étaispaslesien.Ilsuffisaitquejem’ensouvienne.La gifle était excessive. Mais, poussée par la culpabilité, et peut-être pour me venger de ma

faiblesse,jen’avaispaspularetenir.Ma cigarette vacillait entre mes doigts. Si je ne faisais pas attention, elle allait finir comme la

première,àpeinefuméesurletrottoir.—Tuveuxquejem’occupedelui?m’ademandéBenny,perplexe.—Non,merci,Benny.C’estunami.Onaunpeutropbu,c’esttout.Saufquejen’étaispassaoule.Jenepouvaism’enprendrequ’àmastupidité.Etàl’ardeurdeCade.

C’étaitaussisafaute,aprèstout.J’ai regardé ma montre et pesté. Il ne me restait qu’une minute avant la fin de ma pause.

Apparemment,lesbaisersdeCaderejoignaientlalistetrèssélectivedeschosesquimefaisaientoublierletemps.Ouplutôt,l’embrasserrejoignaitcetteliste.

—Jevaisfaireuntouràl’intérieur,areprisBenny.Tuviens?—Non,merci.Jeterminemacigarette.J’enaipouruneminute.Mais fumer n’avait aucun effet. J’avais beau m’appliquer à inhaler et à exhaler lentement, je

n’arrivaispasàmecalmer.Duboutdupied,jejouaisaveclesbrinsd’herbequipoussaiententredeuxpavés,méditant sur la capacitéde lavieà sedévelopperdans les endroits lesplushostiles,quand la

lourdeportemétalliques’estouverte.Ellem’aheurté l’épaule,et j’ai lâchémacigaretteen trébuchantversl’avant.

Unbrasm’aretenueparlataillejusteavantquejem’écroulecomplètement.—Jetetiens,bébé.Le type,qui sentait l’alcool,m’acolléecontre lui. Il avait le crâne raséetquelques tatouages. Il

auraitpuêtremongenre,maissonbrasmeserraitdefaçondésagréable.Jemesuisforcéeàsourire.—C’estbon.Jetiensdebout,merci.Sesyeuxontquittémonvisagepourdescendreversmondécolleté, tandisquesamain libres’est

miseàsuivreletracédemontatouage.—Joli,a-t-illâchéd’unevoixépaisse.Le tempss’est figé,glacial,enmême tempsqu’ildéfilaità touteallure.Etmoi,coincéeentre les

deux,j’étaispétrifiée.J’avaisbeauconnaîtrecesentimentdepanique,ilmeprenaittoujoursaudépourvuet,chaquefois,

meramenaitàlanuitdel’accidentd’Alex.Lagorgenouéedeterreur,j’airéussiàglisserunbrasentrecetabrutietmoipourlerepousser.

—Lâche-moi.Aulieudemelaisser,ilm’aplaquéecontreluienmebloquantlepoignetdansledos.Sonsouffle

écœurantmebalayaitlevisage.J’aitordulecoupourappelerausecours,maislaruelleétaitdéserte,etjen’avaisaucuneidéedutempsquemettraitBennyavantderevenir.

—Ducalme,poupée.Ons’amuse.—T’escomplètementbourré,etjen’aipasenviedem’amuser!Jemesuisdébattue.Ilétaitsansdouteplusfortquemoi,maisjen’allaispasmelaisserfaire.—Lâche-moi,connard!J’ai tenté de lui écraser le pied,mais je n’avais pas assez d’élan pour lui faire vraimentmal, et

quandj’aivoulucrier,ilm’asaisilagorge.—Tuvastetaire,oui?Samainm’enserraitlecouetsonpoucem’écrasaitlatrachée,jen’arrivaismêmeplusàdéglutir.Je

mesuisdébattueenessayantdelegrifferauvisage,maisilétaitplusgrandquemoiethorsd’atteinte.Mestentativesdecrisn’étaientqu’unborborygme.Jecommençaisàétouffer,etmesgestesétaientdeplusenplusfaibles.

Puis,toutàcoup,samainm’alâchée.L’airs’estaussitôtengouffrédansmespoumons,maisj’avaisl’impressionbizarredemenoyer.Jemesuisretenueaumuret,dansunesortedebrouillard,j’aivuCadesejetersurmonagresseur.

Soncoupdepoing l’acueillienpleinefigure.Traverséeparun immensesoulagement, jemesuisredresséeentoussant.J’avaislesjambesencotonetjerespiraismal.Laruevacillait,et,malgrétousmesefforts,lesols’estdérobésousmespieds.

—Max!Lorsquej’airouvertlesyeux,j’étaisparterre,etCade,l’airinquiet,étaitagenouilléàcôtédemoi.

Jemesuisdétendue.S’ilétaitlà,toutallaitbien.—Max,çava?J’allais lui répondre,maisquelquechoses’estabattusur sa tempe. J’aipousséuncriétrangléen

voyantlabrutechauveseprécipitersurlui.Lebruitde leur luttem’adonné la forcedem’asseoir,puisdeme leverprudemment.Levertige,

cettefois,s’estestompé.

Cadeétaitgrand,maisCrâneRaséledépassaitd’unebonnetête.C’estlesangsursamâchoirequim’aprécipitéedanslamêlée.

Lacigarettequej’avaislâchéeseconsumaitsurletrottoir.Jel’airamasséeetmesuisretournée.Cadevenaitdereprendreuncoup.Iltenaitencoresursesjambes,maispluspourlongtemps.J’aifoncé.—Hé!connard!TêtedeNœudm’a regardée sansvoir leboutdemacigarette,que j’ai écrasédans soncou. J’ai

entendulegrésillementjusteavantqu’ilserecroquevilleetmerepousseenhurlant.Jemesuissentievoler.Heureusement,j’aieuleréflexedemeprotégerlatête,maisjen’aipaspu

amortirmachuteetempêcherlebétondemelacérerledos.—Salope!Oubliantmadouleur, j’ai crapahuté en arrière. J’étais coincée contre lemurquandCade a surgi.

L’autreavoulul’agripper,maisCade,anticipantsongeste,s’estécarté.Malheureusementpasassezvite.Le coup de poing l’a cueilli sur la joue, envoyant sa tête valser comme celle d’une poupée articulée.Crâned’Œufdevaitêtrebienimbibé,parcequ’ils’estmisàvaciller,luiaussi.Cadeenaprofitépourluifoncerdessus,têtebaissée.

L’autreatrébuché,etCadeluiadécochéunuppercut.J’aientendulesdentsclaquer,maislabruten’apascillé.

—Vatemettreàl’abri,Max!Ensanglantécommeill’était,jenevoulaispaslelaisser.—Tire-toi,Max!Iln’apasvuletyperevenirsurlui.—Cade!Ils’estretournéjusteàtempspouréviterdesefairedémonterlatête.J’aibondietcouruverslaporte.Mesmainstremblaienttellementetlaporteétaitsilourdequej’ai

dûpoussercommeunemaladepourréussiràl’entrebâiller.—Benny!Benny!Magorgemefaisaitmal,maisj’aicontinuéàhurler.Àl’intérieur,lesgensmeregardaientcommesi

j’étaiscomplètementfolle,mais,heureusement,Bennys’estfrayéunchemindanslafoule.—Dépêche-toi!—Qu’est-cequisepasse,Max?—Dugrabuge.Quandjemesuisretournée,letypeétaitsurledosetCadeperchésurlui.Ilsétaientpleinsdesang,

mais Cade tenait bon. Il tenait même sacrément bon, si j’en jugeais par les coups de poing qu’il luibalançait.

Bennyl’asaisiparlecolpourlereleverbrutalement.—Paslui,Benny,ai-jecrié.L’autre!IladévisagéCadeunesecondeetafiniparlelâcherpours’occuperdel’autre,toujoursàterre.JemesuisprécipitéeversCadequi,toutchancelant,allaits’effondrer.Ilm’asouri,labouchepleine

desang,etquandilaétésûrquejen’étaispasblessée,ilaposélamainsurmajoue.C’étaitpeut-êtrelecontrecoup,maissoudain,j’avaisdenouveaudumalàrespirer.

—Impressionnant,GoldenBoy.Ila toussé,puisgrogné.Jemesuisapprochéepourpassersonbrassurmonépauleet lesoutenir.

Quandilalevélesyeux,sonregardpleindegratitude–etd’autreschosesencorepluseffrayantes–m’afaitfrémir,maisjenemeseraisécartéepourrienaumonde.

—Jesuisdésolé.Ilafermélesyeuxetposélefrontsurmatempe.Jel’aiunpeuredresséparcequ’iltanguaitdangereusement.—Désolé?Maispourquoi?—Jetesaignedessus.J’aiéclatéderire.—Iln’yaquetoipourt’excuserd’unechosepareille,GoldenBoy.Ilasoulevélespaupièresetplantésonregarddanslemien.Ilneriaitpas.—Non,jevoulaisdirequejesuisdésolédet’avoirembrassée.—Pasmoi.Sonvisageétaitsiprochedumienquejenevoyaisplusquelui.Etiln’yavait,pourl’instant,que

lui qui comptait. J’aurais peut-être dû penser à ce que nous venions de vivre, au soulagement d’avoiréchappé au pire,mais ilme rappelait seulement… lamusique. Lemélange euphorique de peur et delibertéquej’éprouvaisquandjechantais.

11

Cade

Maxm’aentraînéàl’intérieur,etiln’afalluqu’unesecondeàMilopournousrepéreretsurgirsousmonnez.

—NomdeDieu,hermano!Jenepensaispasàçaentedemandantdet’énerver.J’ailevélesyeuxauciel.—Max,jeteprésentemonami,Milo.Milo,jeteprésente…Mackenzie.Ça,c’étaitpourluiapprendreàm’appelerGoldenBoy.Sonregardflamboyantm’atranspercé.—Tucherchesencorelabagarre?—Non,j’aimebientevoirencolère.Elleavaitbeau serrer les lèvres,un souriredansaitdans sesyeux.Etquandelleme regardaitde

cettefaçon,j’oubliaiscomplètementladouleurquimevrillaitlecrâne.—Ehben,asiffléMilo,sionm’avaitditquetuferaisd’unepierrequatrecoups!Jem’appuyaistoujourssurMax,unpeuparnécessité,beaucoupparplaisir.—Dequoiparle-t-il?m’a-t-elledemandé.—Laissetomber,ilestbourré.Demoncôté,j’avaiscomplètementdessaoulé,etc’estavecregretquejemesuisécartéd’elle.—Merci,Max.Çava,maintenant.Jenepensaisqu’àrentrerpourprendreunebonnedoucheglacée,puisuneseconde,brûlante,pour

détendremoncorpsendolori.—Qu’est-cequeçaveutdire?a-t-ellerépliquéenposantlesmainssurseshanches.—Quejevaisrentrerchezmoimesoigner.—Heu,excuse-moi,Cade,estintervenuMilo,maistun’habitespaslaporteàcôtéettupissesle

sang.Tuferaismieuxdetenettoyerunpeuavantdepartir.Maxm’aprislementonpourm’obligeràlaregarder.—Jevaischercherlatroussedesecours.Net’avisepasdedisparaître.Trop fatigué pour protester, j’ai laissé Milo m’entraîner vers les toilettes, tandis que Max

s’éloignait.—Tunem’avaispasditquetuavaisunfaiblepourlestempéramentsvolcaniques.Jen’étaispassûrd’avoirunfaiblepourlestempéramentsvolcaniques,maisMaxmeplaisait.Elle

meplaisaitmêmebeaucoup.Ilyavaitunequeueimmensedevantlestoilettes,et lesgensétaienttropivresoutropindifférents

pours’apercevoirdemonétat.Jemesuisadosséaumuretj’aifermélesyeux.Étonnamment,Miloestrestémuetjusqu’auretourdeMax.

—Pasdechance,a-t-elleannoncé,laboîteàpharmacieestquasivide.J’aisoulevélespaupièresetmesuisredresséenvacillant.Ilssesontprécipitéspourmesoutenir.—Jevaisprendreuntaxi,ai-jedéclaré.C’étaitunmensonge,jen’avaispasdequoilepayer,maisçalesrassurerait.

—Untaxidanscecoin?apoufféMax.Oublie!Miloaproposédetrouverundrugstoreetdemeramenerdeuxoutroisbricoles.J’airefusé.—C’estbon,leurai-jedit.Jevaisbien.Jevaism’aspergerlevisageetrentrertranquillement.Pas

lapeined’enfaireunplat.J’ai avancé vers les toilettes,maisMax s’est plantée devantmoi et, lamain surmon torse,m’a

empêchédecontinuermonchemin.Elle semordillait la lèvre, visiblement en proie à un dilemme, puis elle a hoché la tête et m’a

regardédanslesyeux.—Onvaallerchezmoi,j’habiteàcôté.—Excellenteidée!s’estexclaméMilo.Jen’avaispasbesoindelevoirpourdevinerqu’ilsouriaitjusqu’auxoreilles.J’aiposélamainsurcelledeMax.—Jevaisbien,ai-jerépété,jet’assure.Si j’en jugeaisparsonair furibard,onnedevaitpas luidirenontrèssouvent.Etsamainsous la

miennemedonnaitunefurieuseenvied’accepter.Maisjedevaismesouvenirdel’autre,celuidontj’étais,pourvingt-quatreheures,ladoublure.Elles’estapprochéeetm’aglisséd’unevoixbasse:— Écoute, Golden Boy, j’essaie ce truc nouveau qui consiste à me comporter correctement.

Autrement dit, quandun type se fait démolir pourmoi, de faire preuved’unminimumde compassion.Commejen’aipasl’habitude,etquecen’estpastrèsfacile,j’apprécieraisquetumedonnesuncoupdemain.

Ah!Onseconnaissaitàpeine,maiselleavaitdéjàrepérémonpointfaible:direnon,enparticulierquandonsollicitemonaide.

J’étais censé fairequelque chosed’inhabituel, ce soir,mais tout cequim’était arrivédepuisquej’avaismislespiedsdanscebarsortaitdel’ordinaire.

—D’accord,ai-jelâché.Àunecondition:queturetirescequetuviensdediresurlefaitdemefairedémolir.

Elleaéclatéderire.—D’accord.Tul’asdémoli,mais…jet’aiaidé.—C’estvrai,etj’éviteraidetechercherquandtufumes.Ons’estregardé,unpeuembarrassés,puiselles’estéclaircilagorgeetalaissétombersamain.J’ai dit au revoir à Milo en ignorant les pouces qu’il levait sans discrétion, pendant que Max

expliquaitlasituationauxautresserveurs.Aprèsunecourteconversation,elleestrevenueversmoi,prêteàpartir.

Sonsourire,malgrémafatigueetladouleur,memettaitdansundrôled’état.—Viens,m’a-t-elledit,tuespleindesang.—Jedoisêtrerepoussant.—Repoussantousexy?J’hésite…Sur ce, elle s’est retournée pour se frayer un chemin vers la sortie. Je l’ai suivie, de nouveau

convaincuqu’allerchezelleétaitunetrèsmauvaiseidée.Dehors,sonagresseuretBennyavaientdisparu.Heureusement,parcequejen’auraispasrépondude

mesactes.JevoyaisencorelevisagedeMax,livideetcontracté,tandisquel’autrel’étranglait.Rienquecetteimagemedonnaitdesenviesdemeurtre.

Ellem’aprisparlebrasets’esttournéeversmoi.—Çava?

J’aiopiné.Jen’avaispasbesoinqu’ellemesoutienne,maisj’aimaisbienlasentircontremoi.Çamedonnaitl’impressiond’êtreuntypecommeunautrequi,lasoiréeterminée,rentretranquillementchezluiavecsacompagne.

Nous avonsmarché en silence, puis, d’un coup d’œil, jeme suis aperçu de son air absent. Elledevaitpenseràcequ’ellevenaitdesubir.

—Alorscommeça,tufaisdelamusique?luiai-jedemandépourluichangerlesidées.Elles’estcontentéed’opineravantdebaisserlatête.—J’aiécritquelqueschansons,moiaussi,tusais.Nousavonsbifurquéaucoind’unerue.Elleavaittoujourslatêtebaissée,maisjevoyaisunsourire

flottersurseslèvres.—Tum’enchantesune?—Certainementpas!—Oh,allez!Ellem’a pris le bras à deuxmains etm’a regardé avec unemoue si convaincante que j’ai failli

céder.Maislaseulechansonquejeconnaissaisparcœurétaitbeaucouptropintime.JenevoulaispaspenseràBliss,cesoir,etjusque-là,j’yétaisparvenu.Jen’avaisaucuneenviede

chanteruntextequej’avaisécritpourelle.—Uneautrefois,ai-jerépondu.—Comptesurmoipourtelerappeler!Nousavonscontinuétranquillement.Maxs’étaitdétendueetj’étaisheureuxdemarchersimplement

danslanuitavecelle.Elles’estarrêtéejusteaprèsunelaverieautomatique.—Cen’estpasferméàclé?luiai-jedemandéenlavoyantpousserlaported’entrée.Elleahaussélesépaules.—Laserrureestcassée.Çafaitdesmoisquejedemandeaupropriétairedelaréparer.J’aijetéuncoupd’œilsurlaporte.—Jepeuxpeut-êtrem’encharger.Mongrand-pèreétaitserrurier.Elles’estretournée.—Ilyaquelquechosequetunesaispasfaire,GoldenBoy?J’envoyaisaumoinsune:trouverunefillequin’étaitpasdéjàencoupleouamoureused’unautre.Jel’airejointe,etnousavonsgrimpédeuxétagesavantdenousarrêteràladernièreporteàgauche

aufondducouloir.Elleasortisaclefpuis,aprèsunebrèvehésitation,l’aglisséedanslaserrure.Elleestentrée,letempsdeposersontrousseausurunepetitetablejusteàcôtédelaporte,ets’est

tournéeversmoi.—Attends,m’a-t-elledit.Elleestalléeallumer,puism’afaitsigned’entrer.J’ai découvert unminuscule salon, presque entièrement occupé par un canapé et un gros fauteuil

carré. Il n’y avait aucune photo, aucun bibelot, rien qui puisse livrer le moindre indice sur la fillemystérieuse qui avait déboulé dans ma vie comme une météorite le matin même pour la chamboulercomplètement.

—Tuhabitesicidepuislongtemps?—Presquedeuxansdanscetappartement,maisdepuisquatreansàPhiladelphie.J’avaispourtantl’impressionqu’ellevenaitjustedes’installerouqu’elleétaitsurlepointdepartir.

Iln’yavaitquedesmeubles.Leseulobjetunpeupersonnelétaitunétuiàguitare,posédansuncoin.—Assieds-toi,jevaischercherdudésinfectantetdespansements.

Elle a voulu enlever sonmanteau,mais s’est interrompue, une grimace sur le visage. Jeme suisprécipitéverselle.Elleavaitfermélesyeuxetsemordaitleslèvres.

—Quesepasse-t-il,Max?Tuasmalquelquepart?Ellem’atournéledosetatendulesbrasversl’arrièreengémissant.J’aiattrapésonmanteaupar

lesmanchesetcommencéàtirertoutdoucement.Soncrim’astoppénet.Jemesuisapprochépourécarterd’abordlecol.

Ladoublureétaittachéedesangetcolléeàsondos.—Merde,Max!Pourquoinem’as-tupasditquetuétaisblessée?—Jenepensaispasquec’étaitsigrave,a-t-ellerépondud’unevoixtremblante.Cen’étaitpassigrave,maislesangavaitséché,et,endécollantladoublure,j’allaisluifairemalet

çaallaitseremettreàsaigner.—Tupeuxglisserlesbrashorsdesmanches?Elles’estcontorsionnéeenserrantlesdentspendantquejemaintenaislemanteausursondos.Ses

braslibérés,jel’aiguidéepourl’allongersurlecanapé.—Vas-y,m’a-t-elleditensemordantlamain,tire!Jemesuisagenouilléprèsd’elleetj’airepoussésescheveux.Ellen’étaitpasaussicrânequ’elle

voulaitlefairecroire.—L’idéedet’arrachertesfringuesesttentante,Max,maisjevaisdevoirrefuser.—Tuloupestachance.J’enétaissûr.—Attends.Lacuisineétaitaussiminusculequelesalon.J’aifouillélesplacardsàlarecherched’unrécipient.—Situmedisaiscequetucherches,m’aditMax,jetediraisoùletrouver.—Ceseraitmoinsdrôle.Quisaitcequejepourraisdécouvrir?Sonrires’estarrêtésurungémissement.—Désoléedetedécevoir,a-t-ellerepris,maiscôtésecretsinavouables,tunevastrouverquedu

laitpérimé.Etencore.J’airempliunbold’eautiède,attrapéuntorchonetsuisrevenuverselle.—Alorsoùlescaches-tu,s’ilsnesontpasdanslacuisine?—Tunelesaurasjamais,GoldenBoy.Ilsfinirontdanslatombeavecmoi.J’aidégagélehautdesondos,luiarrachantunegrimace.—Jesuisdésolé.—Pasgrave,a-t-ellesoufflé.Saufque l’opération s’annonçait délicate.Alors, en trempantun coindu torchondans lebol, j’ai

cherchédequellefaçonladistraire.—Tusaisquoi?J’échangeuncoupletdemachansoncontreundetessecrets.J’aifaitcoulerunpeud’eauentrelapeauetletissuettirédélicatement.—D’accord.Enajoutantchaquefoisunpeuplusd’eau,j’aicommencéàdégagerlaplaie.Jefaisaistrèsattention

ànepaslafairesouffrir,maisplusjedécouvraisl’étenduedesablessure,sapeauàvifetsanguinolente,plusj’avaisdemalàcontrôlermesfrémissementsderage.Lespoingsmedémangeaientderetrouverletypequiluiavaitfaitçaetdeluiréglervraimentsoncompte.

Jemesuisinterrompuetluiaidemandé:—Alors,tonpetitsecret?Ellen’étaitpluslaseuleàavoirbesoindediversion.

—Tuessûr?—Etcomment!Ellealâchéunsoupirets’estlancéed’unevoixrésignée:—J’étaispom-pomgirl,aulycée.

12

Max

—Tuétaisquoi?J’adoraisl’effetdesurprisequecetterévélationnemanquaitjamaisdeprovoquer.Cadeétaitsidéré

et,enl’occurrence,çam’aidaitàoublierlatorturequ’ilm’infligeait.—Tum’astrèsbienentendue,ai-jerépliqué,j’étaispom-pomgirl.Sesmainss’étaientimmobilisées,etj’aiprofitédurépit.—J’essaiedet’imaginer,maisfranchement…Ils’estinterrompu.—Quoi?Tunem’imaginespasenminijupe?—Si,j’yarrivemêmetrèsbien.—Lecontrairem’auraitétonnée!Vousêtesbientouslesmêmes.Jepouvaisfairesemblantetleverlesyeuxauciel,j’aimaisbienl’idéedeluiplaire,mêmes’ilne

soupçonnaitpasàquoiils’exposait.—Quandmême…,a-t-ilrepris,toujoursincrédule.Pom-pomgirl?C’était si vieux, et si loin demoi, que j’avais souvent l’impression qu’il s’agissait de quelqu’un

d’autre.Quelqu’undontjen’aimaispasmesouvenir.Jedétestaistoutcequimeramenaitenarrière.Évoquerlepassémerendaitmutique.Maisaveclui,

bizarrement,lesmotsvenaienttoutseuls.—J’aipassédesannéesàfairesemblantd’êtrequelqu’und’autre.Ilarecommencéàtirersurletissuetj’aiserrélesdents.J’avaisl’impressionqu’ilm’arrachaitla

peau.Ce n’était pourtant pas sa faute – ses gestes étaient d’une douceur surprenante –,mais la plaie,commemesnerfs,étaitàvif.Et,malgrémesefforts,jen’arrivaispasàretenirmesgémissements.

—Aumoinstunefaisplussemblant,a-t-ilconstaté.Cequin’estpaslecasdetoutlemonde.Jen’étaispassûrequecesoitvrai.J’avaisl’impressiond’avoirseulementchangéderôle.Maisjenevoulaispasypenser.—Àtoi,GoldenBoy.Jet’écoute.Ila trempé le torchondans lebolet l’a légèrementessoré.L’eau tièdem’a faitdubien, jusqu’au

momentoùilarecommencéàtirer.Jeretenaismonsouffle,quandils’estmisàchanter.Savoix,belleetgrave,s’estélevéedanslapièce,aussidouceetprofondequelamélodie.

Nomatterhowclose,youarealwaystoofarMyeyesaredrawneverywhereyouare.

Sesdoigtsm’effleuraient ledos.Plus tenduequ’unecordedeguitare, je l’aiàpeinesenti tirer lerestedumanteau.

Iladenouveautrempéletorchon.Jem’attendais à ce qu’il continue de chanter,mais il s’est contenté de nettoyer délicatement une

écorchure,puisuneautre,ensilence.

—C’esttout?ai-jedemandé.Deuxvers?—Sifascinantequesoittaconfession,ilm’enfautpluspourdévoilermonâme.Ilsemoquaitdemoi,lesalaud!—Jenevoispascequejepourraisdiredeplus.—Ilmesemblequelemot«inavouable»aétéprononcé,toutàl’heure.Sa curiosité, pleine de sous-entendus, me faisait l’effet d’une démangeaison. D’un côté, j’avais

envied’yrépondre.Del’autre,cetteidéemeterrorisait.D’habitude,jemefichaisbiendecequelesgenspensentdemoi.Aveclui,c’était…différent.

—J’avaiscinqanslapremièrefoisquej’aiembrasséungarçon.Ilavaitdeuxansdeplus,etc’étaitlefilsdemanounou.Ilm’aembrasséeetensuiteilm’atirélescheveux.

Ilagloussé.—Onn’apaslamêmeconceptiondel’inavouable,a-t-ilconstatéennettoyantunegriffurejusteau-

dessusdelatailledemajupe.—Depuiscejour,ai-jecontinué,conscientedemoneffet,ilsuffitqu’onmetirelescheveuxquand

onm’embrassepourquejedémarreauquartdetour.Ilestrestésilencieux.J’auraispayéunefortunepourvoirsatête.Maisavantquejepuissefaireun

geste,ils’estéclaircilagorgeets’estlevé.—Pansements?Ilnefaisaitpluslemalin,maintenant.—Dansleplacarddelasalledebains.Dansl’entrée.Jemesuismorduleslèvrespouréviterd’éclaterderire.Jesavaisbienquej’étaisentraindeflirter,

maiscen’étaitpassigrave.Tantquenousenrestionslà,çaneprêtaitpasàconséquence.Macepassaitbiensontempsàdraguer,lui.Jen’yvoyaispasd’inconvénient,parcequeniluinimoin’étionsjaloux.Detoutefaçon,dansvingt-quatreheures,Cadeneferaitpluspartiedemavie.

Lorsqu’ilestrevenu,quelquesminutesplustard,j’étaisconvaincuequejenerisquaisrienàresterseuleaveclui.Notrebaisernecomptaitpas.Pasplusquelesourirequiflottaitsurmeslèvres.Aprèscequim’étaitarrivé,j’avaisbienledroitdemedétendreunpeu.

—Tuesdrôlementbienéquipée,m’a-t-ilditenmemontrantunecrèmedésinfectante,delagaze,dusparadrapetdesciseaux.

—J’aiaussidespansements.—Oui,maisvu l’étenduedesdégâts, jeme suis dit que ce seraitmieuxquedespansements.La

bonnenouvelle,c’estquetesblessures,siellessontnombreuses,nesontpasprofondes.—Tantmieux.Ilestrevenus’agenouilleràcôtédemoi.Je regardais ses cheveux noirs sur son front quand il a commencé àmemettre de la crème. J’ai

fermélesyeux.—Etmachanson,alors?—Jenecroispasque…—Ah!non,Cade!Onafaitunmarché.Etpuis…j’aimal.Jem’étaisredresséepourluimontreràquelpointjesouffrais.Ilalevélesyeuxaucieletsecouélatête.—Tuprendsdesrisques,Max.J’aimaisprendredes risques, jen’avaispaspeurdudanger.Et cepetit jeu était… très agréable.

Parcequ’ilétaitlimite,justement.Etparcequenousétionscomplètementdifférents.C’étaitçaquilerendaitsiexcitant.

J’aireposélatêtesurlecoussinet,pourmieuxprofiterdelasensationdesesdoigtssurmondos,j’aifermélesyeux.

—Recommencedepuisledébut,luiai-jedit,quejemerendecompte.Ilaprissontemps,maisquandsavoixs’estélevée,chaudeetvibrante,elleétaitaussienvoûtante

quelapremièrefois.

Nomatterhowclose,youarealwaystoofarMyeyesaredrawneverywhereyouare.

Ils’estinterrompu.Jepensaisqu’iln’allaitpascontinuerquandilarepris,untonplushaut.Jemesuissentiecomplètementfondre.

I’mtiredofthewaywebothpretendTiredofalwayswantingandnevergivinginIcanfeelitinmyskin,seeitinyourgrinWe’remore.Wealwayshavebeen.

Thinkofeverythingwe’vemissedEverytouchandeverykissBecausewebothinsistResist.

Cen’étaientquedesmots,maisilsmefaisaientautantd’effetquelebaiserquenousavionséchangé.Savoir qu’il allait venir, l’attendre, était presque aussi exquis que sentir sa bouche sur lamienne. Jedevaismeretenirpournepasmecambrersoussesmains.Ilavaitcommencéàposerdesmorceauxdegaze, et j’attendais en frémissant l’instant où ses doigts allaient me toucher pour lisser doucement lesparadrap.

HoldyourbreathandcloseyoureyesDistractyourselfwithotherguysIt’snosurprise,yourdefeatedsighsAren’tyoutiredofthelies?

Savoixs’étaitaffermieet,prisonnièredesesmains,j’étaislittéralementclouéesurplace.Jesavaisquecettechansonn’avaitpasétéécritepourmoi,maiscelanesignifiaitpasqu’ellenemecorrespondaitpas.

Thinkofeverythingwe’vemissedEverytouchandeverykissBecausewebothinsistResist.

Sonsoufflecaressaitmondos.Jenepouvaismêmeplusprétendreêtreinsensible.J’étaisaffectée:jedevaisfairedeseffortspourcontinuerderespirer.

Nomatterhowclose,youarealwaystoofarMyeyesaredrawneverywhereyouare.

Lederniersparadrapposé, sesdoigtssontdescendus le longdemacolonnevertébrale. J’ai tentéd’étouffermongémissementdanslecoussin,maisj’étaissûrequ’ill’avaitentendu.

I’mdone.Iwon’tignoreIwon’tpretendorresist.

Samains’estarrêtéesurmesreins.Etquandsondernierverss’estélevé,mi-chanté,mi-déclamé,j’aifailliluidirelamêmechose.

Iwantmore.

13

Cade

Jejouaisaveclefeu.J’avaislamainaucreuxdesesreinsetj’auraisjuréqu’elles’étaitcambréecontremapaume.

—C’estfini,ai-jedit.J’avaislavoixrauqueetlagorgenouée.Si j’avais été superstitieux, jeme serais dit que j’avais irrité les dieux de l’alcool invoqués par

Milo,parcequelaproximitédeMaxmemettaitdansunétatdesplusembarrassants.J’airetirélamain,décidéàpartirsanstarder,maisMaxs’estassiseetm’aretenu.—Attends,jevaism’occuperdetoi.J’aitentédefairebonnefigure,maisaucunhommedansmonétat,qu’ilaitquinzeoucinquanteans,

nepeutentendrecegenredephrasesansréagir.Ellealevélesyeuxauciel.—Jeparledetatête,GoldenBoy.Cellequiestcenséeréfléchir.Elle était si différente deBliss ! Je n’avais aucunmal à imaginer lamême scène avec elle.Elle

auraitcommencéàrougir,àbafouiller,avantdecasseruntrucoudemettrelefeuàsonsalon.Maxétaitdirecte.Naturelle.Biendanssapeau.Etjetrouvaisçadrôlementsexy.—Jevaischercheruntorchonpropre.Elles’est levéepouremporterdans lacuisine lebolet le torchonquej’avaisutilisés.Jemesuis

assissurlecanapéenfaisantdemonmieuxpourdissimulerlamalédictiondontj’étaisvictime.J’avaistentédemesoustraireànotremarché,parcequechantercetextem’avaitparurisqué.Jene

voulaispasvoirressurgirtousmessouvenirs.J’avaiseutortdem’inquiéter.Enfait,jen’avaispasuneseulefoispenséàBliss.MaisàMax.Toutletemps.Etjemeretrouvaisdansunesituationquejen’avaispasprévue.

Quandelleestrevenue,j’airegardédroitdevantmoipouréviterdelatoucher.Elleaposéungenousurlecanapéets’estapprochée.Jenepensaisqu’àlaprendredansmesbras.

J’ai cherché quelque chose, n’importe quoi, pour me distraire, mais il n’y avait rien dans sonappartementauqueljepuissemeraccrocher.Lecrépitemententrenousn’enétaitquepluspalpable.

Ellem’a soulevé lementonpourmieuxexaminermon front.Ses jouesétaient roses, sansdouteàcausede la douleur de ses écorchures, et ses lèvres, tandis qu’elle étudiaitmablessure, faisaient unepetitemoue.Sesyeux,d’unbleusplendide,mefaisaientpenseràl’eaudesplusbellesplagesdumonde.

—J’auraisdûm’occuperdetoid’abord.Tusaignesencore.Ahbon?Jenesentaisrien.J’avaistropdechosesentêtepoursongeràmesplaies.Ses doigts serraient mon menton mal rasé. Elle a croisé mon regard une seconde avant de se

détournerpourplongerletorchondansl’eau.Puiselleacommencéàtamponnerlecontourdemablessure.Elleaposélamainsurmamâchoireet,d’unepression,l’atiréeunpeuplusbaspournettoyerune

coupureàlaracinedemescheveux.L’architecturedélicatedesaclavicule,dernierendroitquej’avais

embrassé,étaitjustesousmesyeux.J’avaisuneenviefollederecommencer.J’ysongeaissérieusementquandelles’estmisesurlesgenoux.Penchéecommeellel’était,c’était

maintenantsesseinsquej’avaissouslesyeux.J’ai fermé lespaupièresen récitantdes tablesdemultiplication,puisdespassagesdepiècesque

j’avaisjouées.Jesentaissonsoufflesurmonfrontetlatiédeurdesoncorpstoutprèsdumien.Elles’estimmobiliséeenpressantletorchon,sansdoutepourépongerlesangquipeut-êtrecontinuaitdecouler.

—Tuasécritcettechansonpourunefille?m’a-t-elledemandéd’unevoixétouffée.—Tutedemandestoujourssijesuisgay?Son éclat de rirem’a donné envie de l’allonger sur le canapé et d’embrasser chaque centimètre

carrédesapeau. Jevoulaisdécouvrir ses tatouages, savoircequ’ils signifiaientpourelle. Jevoulaisconnaîtrelessecretsqu’ellecachaitderrièresonairbravacheetsesprovocations.

—Non!Jeveuxjustesavoir.C’était…tapetitecopine?—Non,jenesuispassortiavecelle.Letempsquejemedécideàluiparler,elleétaitdéjàavecun

autre.—Tun’aspascherchéàlaretenir?JenevoulaispasparlerdeBliss,maissacuriositéétaitunebonnediversion,alorsj’airépondu:—Inutile,jenefaisaispaslepoids.—N’importequoi!s’est-elleexclaméeenappuyantplusfortsurmablessure.Tusaistoutfaire,tu

esprévenant,canon,etcertainementdugenreàaiderlespetitesvieillesàtraverserlarue.Alorssitoi,tunefaispaslepoids,franchement,c’estàdésespérerdugenrehumain.

J’aisouri.Savoirqu’ellemetrouvaitcanonétaitunesacréebonneconsolation.—C’étaitunAnglais.Elleareculépourrireàgorgedéployée.—UnAnglais?Jecomprendsmieux.Pasdebolpourtoi,GoldenBoy!C’étaitagréable,finalement,deriredemadéconfitureavecquelqu’un.Jenel’avaisjamaisfait,ni

avecMiloniavecaucundemesamisd’alors.Cematin,j’avaiseul’impressiond’êtrelibéréd’unpoidsénorme,et,maintenant,Blissm’apparaissaitcommecequ’elleétait:unsouvenir.

Maxsouriaitencorequandelleaécartéletorchondemonfront.—Çam’al’aird’aller,a-t-elleconstaté.Elles’estassisesurlestalonset,pourattraperunmorceaudegaze,s’estappuyéesurmacuisse.J’aicherchéuntrucàdire.—C’étaitunejournée…intéressante.Toutbienconsidéré,c’étaitmêmeunejournéesacrémentpassionnante.—Attendsdemain,m’a-t-elledit.Onverracequetuenpenses.JehaisThanksgiving,ettoutesles

fêtesengénéral.Elles’estredresséepourposerlacompressesurmonfront.—Pourquoi?Àcausedetesparents?Elleafixélesparadrapenseretenantàmonépaule.—C’estdifficileàexpliquer.—Essaietoujours.Elleareprisletorchonets’estmiseànettoyerlerestedusangsurmonvisage.—Lesfêtesnousrappellentdemauvaissouvenirs,a-t-ellecommencé,concentréesursatâche.Mes

parentscroientqu’endonnant lechange,endécorant lamaisonetenpréparantdequoimangerpourunrégiment,ilspenserontmoinsàcequ’ilsn’ontpas.

—Etçanemarchepaspourtoi?Elleacroisémonregarduninstant.—Riennemarche,sauflamusique.J’aiposélamainsurlasienne.—Jesuisdésolé.Cettefois,elleacherchémonregard.—D’habitude,jedétestecegenredecommentaires,maislà…Letorchonhumideglissaitdemajoueaucoindemeslèvres.Elles’estmiseàtamponnerlacoupure,

leregardvoiléetlaboucheentrouverte.Jel’airegardéereprendresonsouffle,et,lentement,silentementquej’avaisl’impressionderêver,samains’esttournéepourm’effleurerleslèvres.

Elleavaitlesyeuxgrandsouverts.Nousétionssobres.Etellesepenchaitversmoi.Jel’aipriseparlatailleet,accompagnantsongeste,jel’aiattiréelégèrement.

Sonsoufflemecaressaitlabouche;elles’estmordulalèvre,lespupillesdilatées.J’ai étoufféungrognement.Son regardestdescendusurmes lèvres, et le torchon lui aglissédes

mains.Aumêmeinstant,sontéléphones’estmisàsonner.Elleabondisivitequ’elleétaitdel’autrecôtédelapièce,sonportableàlamain,avantquej’aie

euletempsderespirer.—C’estmoncopain,a-t-elleditd’unevoixneutre.Lesortnousrendaitserviceàtousdeux.Jenevoulaispaslapousseràtrompersoncopain.L’avoir

embrasséeunefoissuffisait.—Ilesttempsquejepartedetoutefaçon.J’étaisàlaportequandellem’arappelé.—Cade!J’aiouvertavantdemeretourner.Sontéléphoneàlamain,elleétaitprêteàrépondre.—Jesuisdésolée,m’a-t-elledit.—Net’inquiètepas.Elleafaitunpas,etjemesuisdépêchédesortir.—Àdemainmatin,luiai-jelancéavantdedisparaître.

14

Max

C’étaitunecatastrophe.Majeure.J’aidécroché.—Mace?Aubruitetàlamusiquequej’entendaisderrièrelui,ilétaitenboîte.—Mace?—Ouais,j’suislà,poulette!Enboîteetcomplètementbourré.—Jet’aidéjàditdenepasm’appelerpoulette.C’estridicule.—C’estbon,Max.JesuisauPure,viensmerejoindre.Monagacementagrimpéd’uncran.S’ilétaitlà,cen’étaitpasdel’alcoolqu’ilavaitingurgité,mais

despilules.—Jenepeuxpas,Mace.—Si,tupeux.NomdeDieu,Max,c’estl’éclate,ici!Fautquetuviennes.Et puis quoi encore ? Je ne portais pas de jugement. J’avais trop déraillé moi-même pour me

permettredejugerquiconque,maisjen’avaispasenviedecegenred’éclate.Sijenoyaismasouffrancedansladrogue,jen’auraisplusrienpournourrirmamusique,etjeseraisvraimentpaumée.

—Non,Mace,j’aipasséunsalequartd’heureauboulot,et…—Justement.J’aidequoit’aideràoublier.Ilarticulaitpéniblement,etsavoix,quid’habitudemefaisaitcraquer,étaitpâteuse.Riendecequ’il

meproposaitnemedonnaitenviedelerejoindre.—Non,Mace.Jevaismecoucher.—Putain,Max!Tum’asdéjàplantécematin,et…—Mesparentsdébarquaient,etc’esttoiquim’asplantée.—Etmaintenant,turefusesdeveniralorsqu’onneseverrapasdemain.Jenevoulaispasdiscuterdeçamaintenant.—Jenepeuxpas,d’accord?ai-jeréponduenmeforçantàrestercalme.Onparleraquandtuseras

frais.Bonnenuit.J’airaccrochéetmesuisécrouléesurlecanapé.Jen’arrivaispasàréfléchir.Toutesmespensées

tournaientautourdeMaceetdeCade,et j’étais incapablede lesordonner.D’unautrecôté, la journéeavaitétérude.C’étaitidiotdevouloirprendreunedécisionmaintenant.SurtoutquejesentaisencorelesmainsdeCadesurmondosetque,dèsquejefermaislesyeux,jevoyaissonvisage.

J’étaisdanslamouise.Jusqu’aucou.Jenepouvaismêmepasmedétendresousladoucheàcausedemespansements.Alors,jemesuis

couchéeenespérantfuirdanslesommeil.

Nousétionstouslesdeux.Ilmetiraitlescheveux,et,tandisqueseslèvresglissaientsurmagorge,unedéchargeélectriquedélicieusecouraitjusqu’àl’extrémitédemesorteils.

J’aipousséungémissementqu’ilarécompenséenaccentuantlapressiondesesdentssurmapeau.Mesmainsonttrouvél’ourletdesachemiseetsesontengouffréesdessouspourl’attirerversmoi.

Sesmuscles,sifermessousmespaumes,m’ontarrachéunautregémissement.Ilaquittémagorgepourparcourir,duboutdelalangue,unedesbranchesdemontatouage.J’avais

l’impression de brûler vive. Sa barbe naissante, sensible entremes seins, ne faisait qu’accroîtremesfrémissements.J’avaislesjambesencoton.

—Oh!s’ilteplaît,l’ai-jesupplié.—Onnedevraitpas,a-t-ilmurmuré.Au lieu d’écouter ses scrupules, je l’ai pris par le cou et, une jambenouée autour de lui, je l’ai

obligéàm’embrasser.J’aicruexploser.Sesbaisersétaientdivins,et je l’encourageais, tropheureusedemenoyeravec

lui.Ils’estécarté.—Tuessûre?Oh,oui!J’aiopinéetilm’abasculéesurlelit.Sesmainsm’électrisaient,monhautavaitdéjàdisparu,etmon

slipn’apastardéàsuivre.Ilestvenusurmoi,puis,subitement,jemesuisretrouvéeàcalifourchonsurlui.

Les cheveux en bataille sur l’oreiller, ses yeux marron presque noirs dans l’obscurité, il étaittellementsexyquej’enperdaislespédales.

—Vas-y,m’a-t-ilditenm’empoignantleshanches.Chevauche-moi.Commentungarçonaussicorrectpouvait-ilprononcerdesmotsaussicrus?Jemesuiscambrée.—Max?Sesmainssesontposéessurmesjouespourlesserrerfermement.—Max,a-t-ilrépété.Çava?Oh,oui!J’étaismêmesibienqueparlermesemblaitcomplètementinutile.Ilm’asaisieparlesépaules,etjemesuissentievaciller.J’aiouvertlesyeux.Jen’étaisplusau-dessus.Cademesurplombait,àunedistancebeaucouptroprespectable.J’aitendulamain.C’étaitbizarre,sonmentonnepiquaitplus.Ilétaitmêmerasédeprès.Aucuneimportance,çanem’apasempêchéedel’attraperparlecoupourletirerversmoi.Ilahésitéuneseconde,unetoutepetitesecondequim’asuffipourcomprendrequequelquechose…

clochait.J’aiclignédesyeux.J’avaislabouchesècheetlesidéesconfuses.Desoncôté,ilregardaitmeslèvresd’unairpeiné.—Max…Ils’estécartéetjemesuisretrouvéeenpositionassise.Sonregards’estassombri,puisilalâchéunjuronavantdedénouermesbrasquej’avaistoujours

autourdesoncou.

Unedemesmainss’estposéesursontorse.Ilnel’apasrepoussée,maisiladéclaré,d’unevoixrauqueettendue:

—Jenesuispasunsaint,Max.Jelesavais,etc’étaitunebonnechose,maisj’aitoutdemêmeplissélefront.Mesperceptionschangeaientcurieusement.Quandellessesontstabilisées,j’aicomprisquej’étais

dansmachambre.Qu’ilfaisaitjouretqueCade,assissurmonlit,étaitentièrementvêtu.Ilfixaitlemurcommes’ilvoulaitlepulvériser.Etj’aicompris.Jevenaisderêver.Quejecouchaisaveclui!Lamainsurlabouche,jemesuisdemandé,horrifiée,sij’avaisditquelquechosesusceptibledeme

trahir.Netrouvantrien,j’ailaissétombermamainpourm’apercevoirquej’étais…toutenue.Entièrementnue!Nueaupointdeluimontrertoutmontatouage.Nue au point deme rouler en boule surmon lit, et de tirer,mortifiée, les couvertures sousmon

menton.Cadeasoupirédesoulagementetsesépaulessesontdétendues.Rassemblanttoutemadignité,jeluiaidemandéaussicalmementquepossible:—Qu’est-cequetufaislà?D’uncôté,jenesavaispasoùmemettre.Ilétaitàquelquescentimètresdemoi,etleseffetsdemon

rêvenes’étaientpasentièrementdissipés.D’unautre,pourêtretoutàfaitsincère,j’étaisunpeuvexéequ’ilaitréussiàdétournerleregard.

Assezvexéepourêtretentéederepoussermesdraps,histoiredevoircombiendetempsiltiendrait.— J’ai frappé,m’a-t-il répondu en se levant,mais tu n’as pas répondu. Et je t’entendais gémir,

commesituétaismalade…Jecomprenais,soudain,pourquoiilnem’avaitpasregardée:ilsesentaitcoupable.Iln’avaitrien

faitdemaletilsesentaitcoupable!Jefaisaisdesrêvesérotiquesàsonsujet,sanséprouverlemoindreremords,etilsesentaitcoupable!

—Commelaporten’étaitpasfermée,jesuisentré.Jesuisdésolé.LeMalin devait s’être glissé dans mes pensées car je me suis demandé, si j’écartais les draps

maintenant,cequeCadeferait.J’avaismalpartout,etjevoulaisqu’ilfassequelquechose.J’ai secoué la tête.Mon rêve était encore si proche que le seul contact du drap surma peaume

mettaitdanstousmesétats.«TusorsavecMace,mesuis-jerappelé.Reprends-toi.»J’avaisdûoublierdemettremonréveilavantdedormir.Jesavaisquej’auraisdûlefaire,maisjenesavaispluspourquoi.Unfrissonm’atraversée.Jemesuistournéelégèrement,etj’aidûluimontrerunpeumondos.J’ai

vuentoutcassonregardglissersurmoietsapommed’Adammonterpuisredescendre.Lediablequej’abritais,celuiquimepoussaitàleprovoquer,s’enesttrouvésatisfait.Et,envoyant

Caderevenirlentementversmoi,ilacarrémentjubilé.J’aisouri.C’estalorsquejemesuissouvenuedelaraisonpourlaquellej’auraisdûmettremonréveil.Thanksgiving!Thanksgivingetmesparents.

Thanksgiving,etmesparentsplusCade.Toutça,plusmoi,toutenue,aveclui,dansmachambre.Autantdireledésastre.Repoussantledémonlubriquequiricanaitdansmondos,jemesuisglisséehorsdulit,enprenant

soindebienemporterledrapavecmoi.—Merde!Quelleheureest-il?—Presqueneufheures.—Merde!Aumêmeinstant,lasonnettearetenti,aussitôtsuivieducridemamèrederrièrelaporte.—Mackenziechééééériiiiie?Interrogation aussitôt suivie, parce que j’étais l’abrutie qui ne pensait jamais à fermer son

appartementàclef,dubruitdelaportequis’ouvrait.—Hou!hou!chérie?J’étaispiégéeet,commedanslesfilmsdezombies,surlepointdemefairedévorerlacervelle.Jen’avaisplusqu’àprier.Saufquej’avaislecerveauramolli,complètementramolli,etlezombie–mamèreenl’occurrence–

étaitsurlepointdefaireirruptiondansmachambre.Sielleentraitetmedécouvraitnueavecungarçon,mêmeGoldenBoy,elleneferaitpasdequartier.—Heu…uneseconde,maman!Auborddelapanique,j’aiglissélesmainsdansmescheveux.Ledrap,quej’avaiscomplètement

oublié, m’a échappé, et, tandis que je le rattrapais, Cade a fait un bruit étranglé. Un bruit que moncerveau,ramolliparlapeurmaisfouettéparunflotd’hormones,aapprécié.

Maiscen’étaitpaslemoment!Merde,merdeetre-merde.J’aidûlâchercemotaumoinsunefoisàvoixhaute,parcequeCadem’adit:—Net’inquiètepas,jevaislesaccueillirpendantquetutedouchesetquetut’habilles.—Non!Situsorsdemachambreetquejevaisprendreunedouche,mesparentsvontcroireque

nousavonspassélanuitensemble.—Alorsneprendspasdedouche.Tuesparfaitecommeça.Sesyeuxontglissésurledrap,puissontremontéssurmoi.Ilavaitdûlaissersaculpabilitéàmes

pieds,parcequejen’envoyaispluslatrace.«Arrête,mesuis-jedit.Cen’esttoujourspaslemoment.»— J’empeste la fumée, l’alcool et la transpiration. Je suis sûre qu’ils vont s’imaginer qu’on a

couchéensemble.Ilestvenumeprendreparlesépaules.Songestesevoulaitrassurant,maissesmainsnuessurma

peaun’avaientpasdequoim’apaiser.D’autantplusque,malgrélapanique,jerestais…tentée.J’avaispresqueenviedemefairesurprendreparmamère,mêmesicen’étaitqu’unfauxflagrantdélit.

—Jevaisleurdirelavérité,m’a-t-ildit,quetunet’espasréveillée,etquejesuisvenuunpeutroptôt.

—Lavérité?Ilsnevontjamaistecroire.Ilmemassaitdoucementlesépaules,etjemesentaisflancher.—Ilsvontmecroire,fais-moiconfiance.Ils’estécarté,commesiderienn’était.Certains hommes appartiennent-ils à une espèce différente ? Une espèce dont l’ADN les rend

meilleursqued’autres?

J’aiététentée,unefoisdeplus,delâchermondrap–rienquepourlefairetiquer.Maisj’aifermélesyeuxet,aulieudefaireunebêtise,jel’ailaissépartir.

Jesuisrestéefigée,confitededésiretdefrustration,bienlongtempsaprèssondépart.J’étaisvraimenttordue.Complètementtordue.Etlajournées’annonçaitlongue.

15

Cade

Pourladeuxièmefoisdanscetappartement,j’avaisunproblèmedesplusembarrassantsaupiremoment.Sionm’avaitdonnélechoixentreaffronterles parents de Max dans cet état ou me jeter dans un volcan en pleineéruption,j’auraistrèssérieusementconsidérélaquestion.

Maisjen’avaispaslechoix.AlorsjemesuisconcentrépourchasserMaxdemespensées.Jen’avaisquequelquessecondes,et

elleétaitcanon.J’avaiseu tout lemaldumondeànepasme jetersurelle. Je luttaisencorecontre ledésirdefairedemi-tour.Cequinem’aidaitpas,évidemment,àsurmontermonproblème.

J’aisecouélatête,redressélesépaules,passéunemaindansmescheveuxetavancéverslesalon.Pourvuquesamèrenemeserrepasdanssesbras.—Cade!s’est-elleexclaméeenroucoulantdèsqu’ellem’aaperçu.Jenesavaispasquevousétiez

là.La dinde qu’elle s’apprêtait à sortir de sa glacière est retombée au fond et Mme Miller s’est

précipitée versmoi. Conscient de son intention deme gratifier d’une bonne et solide étreinte, je l’aiesquivéeadroitement.

— Oh ! mais laissez-moi m’occuper de ça, lui ai-je dit en m’emparant de la glacière pour meréfugierderrièrelecomptoirdelacuisine.

Voyantqu’ellenemepoursuivaitpas,j’aicommencé,soulagé,àextrairel’animal.Unedindebiengrasse,dontlafraîcheuretl’odeurdeviandecruem’aidèrentàrésoudremonpetit

problème. D’autant qu’elle était comprimée dans son fichu paquetage. Au terme de l’opération,suffisammentcomplexepourmechangerlesidées,j’étaisredevenutoutàfaitmaîtredemoi.

—Oùdois-jelamettre,madameMiller?Mickvenait deposer le restede leurs affaires sur la table. Ils avaient emporté leur cuisine avec

eux!Ellem’atenduunénormefait-tout.—Ici,s’ilvousplaît.Jemesuisexécutéavantdemelaverlesmains.J’avaistoujoursmonmanteauetmonécharpe.Ilétaittempsdeleurexpliquermaprésenceetdeleur

vendrelavérité.—Mackenzienes’estpasréveillée.Considérantqu’ilsn’appréciaientpassondiminutif,jepréféraisl’appelerparsonprénom.—Jevenaisjusted’arriverquandvousavezfrappé.J’aiôtémonécharpe.—Elleatravaillétard,hiersoir.Elledevaitêtrefatiguée.J’ai enlevé mon manteau, avant de m’apercevoir que je n’avais aucune idée de l’endroit où le

mettre.Y avait-il une penderie ? Ses parents s’étaient débarrassés des leurs.Où les avaient-ilsmis ?Notremascaradenepouvaitpass’écrouleràcaused’uneridiculehistoiredevestiaire…J’airapidement

regardéautourdemoi.Outrecelledelachambre,ilyavaitdeuxportes.Chacunepouvaitouvrirsurunplacard,ousur…n’importequoi.

—Mackenzieestentraindes’habiller?m’ademandésamère.Auplidesonfront,jemesuisditqu’ellesoupçonnaitprécisémentcequeMaxavaitredouté.— Je crois qu’elle prend une douche, ai-je avancé prudemment. Je lui ai dit que ce n’était pas

nécessaire,maiselletientàsefairebellepourvous.Pourvuqu’ellen’arrivepasensurvêtement…—Vouscroyezqu’elleveutqu’onprennedesphotos?m’ademandésamère.Voyantsesyeuxrondsaussibrillantsetaussipleinsd’espoirqueceuxd’ungossedevantlesapinde

Noël,jemesuisempressédesaisirlaperchequ’ellemetendait.—Jecrois,oui.C’estnotrepremierThanksgiving,aprèstout.Ceserabiend’avoirdessouvenirs.Jemesuistournéversunedesporteset,tentantmachance,jel’aiouverte.Bingo!C’étaitlapenderie.J’accrochaismonmanteausuruncintrequandMmeMiller,profitantdemadistraction,s’est jetée

surmoipourmeceinturerdesdeuxbras.—Oh! je suis siheureusequeMackenzieait faitvotreconnaissance !Celane faitquequelques

semaines,etregardezlamerveilleuseinfluencequevousavezdéjàsurelle.Ellenemelaissejamaislaprendreenphoto,d’habitude.

Ah!Maxallaitêtrefurieuse.—Oh!jenecroispasl’avoirchangée,mesuis-jerattrapéensouriant.Elleétaitformidableavant

demeconnaîtreetellecontinuedel’être.—Mick,tuentendscegarçondélicieux?Tupourraisprendreexemplesurlui!Mickaquittélecanapépournousrejoindre.—Tuvasfinirparmedonnerdescomplexes,fiston,etmecréerdesennuis!—Jesuisdésolé,monsieur.—Nel’écoutezpas,Cade.—Oui,madame.J’avaisl’impressiond’êtreuneballedeping-pong.J’aisoupiré.Cepetitmanègerisquaitdeserépétersouvent,aujourd’hui.Aprèsm’avoirserréunedernièrefoiscontreelle,lamèredeMaxm’alâchépours’affairerdansla

cuisine.Je luiaiproposémonaide,maisellem’arabroué.Quandellen’étaitpasdanslacuisine,elledécoraitl’appartementavecquelquesbibelotsqu’elleavaitapportés,descoussinsafghansetdesphotosencadrées. Je commençais à comprendrequeMaxétait le contrairede sesparents…sansdouteparcequ’ellevoulaitêtreleurexactopposé.

—D’oùvenez-vous,Cade?—DuTexas,madame.—Oh!vraiment?Dequelendroit?Noushabitonsl’Oklahoma!—J’aigrandiàFortWorth.—Vosparentssonttoujourslà-bas?—Magrand-mère,enfait.Jemesuisgrattélecou,unpeugênédel’aveuauquelellem’obligeait.—Jen’aiplusqu’elle.Mamèreestdécédée,etmonpèrenefaitpasvraimentpartiedupaysage.Elles’estimmobilisée,lamainenfoncéedansladinde,etm’aregardé.—Oh!pauvreenfant.

—J’étaisjeune,ai-jerépondu.Jenemesouvienspasvraimentd’elle.Etpuis,j’aimagrand-mère.Çamesuffit.

—Venez,m’a-t-elleditenmefaisantsignedesamainlibre.J’aifaitquelquespas,maiselleainsistéjusqu’àcequejevienneplusprèsd’elle.Unemaindansla

dinde,ellem’aalors,del’autre,serréencoreunefoiscontreelle.—Même si vous ne vous souvenez pas de votre mère, a-t-elle déclaré doctement, ça reste une

épreuveterriblepourunenfant.C’était une drôle d’étreinte, et une situation bizarre. Je me sentais tout de même curieusement

réconforté.Jecomprenaisl’agacementdeMax,maisj’auraisdonnécherpourvoirdesparentsdébarquerchezmoi à l’improviste.Ma grand-mère n’avaitmalheureusement plus l’âge deme faire ce genre desurprise.

—Qu’est-cequevousfaites?MmeMillerm’aaussitôtlâché.Max,surleseuildusalon,nousregardaitd’unairperplexe.Elleavaitdisciplinésescheveuxflamboyants,etuncolroulédissimulaitentièrementsacollection

de tatouages. Sonmaquillage était aussi plus discret, comme si elle avait voulu dissimuler sa vitalitédébordante.Jelapercevaistoujours,n’empêche,etjepréféraislaversionoriginale.

—Oh!rien,chérie,arépondusamère.Cademeparlaitdesesparents.—Ah!Sesparents.—MadameMiller,me suis-je dépêché d’enchaîner, racontez-moi plutôt à quoi ressemblaitMax

quandelleétaitpetite.Maxapousséungrognementtandisquesamère,auxanges,battaitdesmains.—Commec’estamusant,j’aijustementdesphotosd’elle!Monpetitalbumnemequittejamais.—Desphotosdebébé?agrincéMaxenvenantàcôtédemoi.Quellebonneidée,Cadechéri.Sesonglessesontenfoncésdansmapaume.Ignorantl’effetquem’auraitfaitcegesteend’autrescirconstances,j’aiportésamainàmeslèvres.—Trésor, ai-je protesté en l’embrassant sur le bout des doigts, tu ne peux pasme reprocher de

vouloirsavoiràquoituressemblais,petite.Samèrepartieausalon,Maxs’estpenchéeàmonoreille.—Si,etcen’estpasdrôledutout,GoldenBoy.—Ahbon?J’étaissûrducontraire.—Attendsunpeuquenoussoyonsseuls…—Hum…j’aihâte.Ellealancéunriretotalementartificielendirectiondusalon.—Situcroist’entirercommeça,a-t-ellereprisenchuchotant,tutetrompes,monmignon.—Jesuistonmignon,maintenant?Ellearetenusonsouffle,etmoimonsourire.J’aimaislavoircommeça.Sesjouesrosesetsesyeux

flamboyantscorrespondaientàl’imagequej’avaisd’elle.—Excuse-moi,maisjenepeuxpasm’empêcherdeteprovoquer!—Àtaplace,jememéfierais,parcequ’àcejeu-là…—Etvoilà!s’estexclaméesamèreenrevenantversnous,unpetitalbumàlamain.Lapremièrephoto,m’a-t-elleexpliqué,avaitétépriseàsonretourdelamaternité.Lachambrede

Maxétaittouterose,etleslettresdesonprénométaientpeintesdansundégradédelamêmecouleurau-dessusdesonberceau.Elleressemblaitàtouslesbébésdumonde,minuscule,levisageunpeuchiffonnéetlecrânechauve.Samère,dansuneversionplusjeune,étaitpenchéesurelle.

—MadameMiller,vousn’avezpaschangé!

—Oh!arrêtez!a-t-ellegloussé,rosedeplaisir.Maxm’aarrachésamainpourmesouffleràl’oreille:—Oui,s’ilteplaît,arrête.Elles’estemparéedel’albumetafaitdéfilerlespagesàtouteallure.J’avaisàpeineletempsde

distinguerchaquephoto,maisunechoseétaitsûre:àvoirsaminebutéedanssesrobesdedentelleetsessouliersvernis,samèreavaiteulamainsursagarde-robe.Maxétait toujoursvêtuederose,avecdesfanfreluchesqu’ellen’aimaitvisiblementpas.Elleavaitaussidesanglaisesparfaitesetelleétaitblonde.

Jemesuispenchéverselle.—C’esttacouleurnaturelle?luiai-jeglisséàl’oreille.J’aibeaucoupmoinsdemalàt’imagineren

pom-pomgirl.Ignorantsonregardnoir,jeluiaiprisl’albumdesmains.Chaquephoto,desanaissanceàsesdixoudouzeans,montrait l’imaged’unepetite fillemodèle.

Max ressemblait à une poupée ; adorable,mais toujours un peu triste.Même ses sourires semblaientforcés.

—Ah!mesuis-jeexclaméenladécouvrantdansuneminijupeetdesbottesrosebonbon,lebusteserré dans un T-shirt aux couleurs de l’équipe de sport locale. Je n’aurais plus besoin de t’imaginer,maintenant.

Elleavaitbeaumefusillerduregard,unsouriredansaitaucoindeseslèvres.—Vousfaisiezdusport,àl’école?m’ademandésamère.—Oui,dufootballetdubasket.—Lesdeux?s’estétonnéeMax.—Jeterappellequej’aigrandiauTexas.Onaimelesport,là-bas.Etenplus,j’étaisbon.Elles’estesclaffée.—Lecontrairem’auraitétonnée!—Jepariequetuétaisunepom-pomgirld’enfer.—D’enfer,jenesaispas.Maisinfernale,çaoui.J’ai continuéde tourner lespages,dans l’attente, après lapom-pomgirl et la jeunediplômée,de

photosplusrécentes,maisenvain.Jerefermaisl’album,unpeudéçu,lorsquej’aivusonsoulagementsefigersursestraits.J’aibaissé

lesyeux.Unedernièrephotoétaitcolléeaudosdel’album–unephotodefamille.Maxdevaitavoirtreizeou

quatorzeans.Derrièreelle,sij’enjugeaisàsablondeur,setenaitsonfrère.Ilportaitunbomber.Àsoncôté,unejeunefilledeseizeoudix-septanssouriait tranquillementàl’objectif.Siellen’avaitpasétémanifestementplusâgéequeMax,j’auraisjuréquec’étaitsasœurjumelle.

—Tonfrèreettasœur?luiai-jedemandé.Quelquechoseenelles’estbrisé,puiselles’esttournéeverssamère,unairterrifiantetterrifiésur

levisage.—Non!Onnevapasrecommencer,a-t-ellehurlé.Sivousêtesvenuspourça,tirez-vous!Elles’estenfuiedanssachambreetaclaquélaporte.Jem’attendais que samère réagisse,mais elle a ramassé l’album et, sansmanifester lamoindre

émotion,l’arangédanssonsac.J’étaisinterloqué.Cettescènedevaitavoirunlienavecl’aversiondeMaxpourlesfêtesdefamille.

J’ignorais lequel, mais il était suffisamment intime, et douloureux, pour fracasser son indestructiblevitalité.

16

Max

Jenesavaispassijedevaishurler,toutcasser,oum’effondrercommeuneloque.Mamère avait le don deme démolir. J’avais l’impression d’avoirtoujours quatorze ans et d’être incapable dem’en sortir. Jeme détestaisd’êtreaussivulnérable,maisc’étaitplusfortquemoi.Jenesupportaispassafaçond’êtreengluéedanslepasséetdem’entraîneravecelle.

Jen’avaispasbesoindesesphotospourmesouvenird’Alex.Jelavoyaispartout,danslemétro,aux concerts, dans la rue. Je la voyais quand je fermais les yeux et je la voyais encore quand je lesouvraissurmonreflet.C’étaitpourçaquej’avaisvoulumeteindrelescheveuxetmefairetatouer.Maisellerevenaittoujours,enparticulierdansleregarddemamère.Dèsqu’elleposaitlesyeuxsurmoi,jelisaisleregretdesonautrefille,labonne,etceluidenepaspouvoirm’échangercontreelle.

J’avaisbeau lui dire et lui répéter d’arrêter, elle faisait de chaqueoccasionun culte au souvenird’Alex.Elleracontaitcequ’Alexandriaavaitfait,dit,oupensé,cequ’elleauraitdit,faitoupensé.Elleparlait d’elle si souvent que son fantôme planait sans cesse au-dessus de nos têtes, interdisant touteallusionaubonheuretnousfigeantdansleroyaumeasphyxiantdelaviesanselle.

Inutiledesongeràmourir:j’étaisdéjàmorte.Mamèreavaitmêmepréparél’albumphotodestinéàmontrer aumonde entier sa deuxième princesse blonde. Et que je n’aie rien à voir avec cette imagedepuislongtempsn’ychangeaitrien.Personnenevoulaitreconnaîtrel’existencedeMax.Iln’yavaitqueMackenziequicomptait.

Qu’y a-t-il demal à laisser le passé à sa place ? Pourquoi traîner nos problèmes derrière nous,nourrir et raviver sans fin la souffrance ?Les fantômes demamèrem’étouffaient. Je n’arrivais pas àvivredanscemonde,etplusjem’yefforçais,plusjemesentaismourir.

J’avaislatêteenfoncéedansmonoreillerquandlaportes’estouverte.CenepouvaitêtrequeCade.Maman ne venait jamaisme rejoindre après ce genre de scène ; elle préférait agir comme si de rienn’était.Etpapafuyaittoutcequiressemblaitdeprèsoudeloinàunemanifestationd’émotion.JemesuisredresséepourvoirCades’asseoirprudemmentauborddulit.

Jemesuistournéeetj’aiattenduenvainsesquestions.Aulieudem’interroger,oumêmedesemettreàparler,ils’estallongéàcôtédemoi,enfaisantbien

attentionànepasmetoucher,et,unbrassouslatête,ilacontempléleplafond.Ducoindel’œil,jevoyaissontorses’éleverets’abaisserdoucement.Commeilrestaitimmobile,

j’aisenti,peuàpeu,lerythmedesarespirationmecalmer.—Jelaisselesgenspartir,a-t-ildéclaréauboutd’unmoment.Jemesuismisesuruncoudepourleregarder,maisilavaitfermélesyeux.—Situfaisréférenceàuntrucreligieux,laissetomber.Undemi-sourires’estétiréaucoindeseslèvres,etilasoupiré.

—Non,jeparledelafilledelachanson.Jeneluiaipascouruaprès,parcequejelaisselesgenspartir.

Jenevoyaispastrèsbienoùilvoulaitenvenir,maisj’aiopiné.Tantqu’onneparlaitpasdemoi,çam’allait.

—Toujours?—Oui.Jemebattaisavant,surtoutquandj’étaispetit,maisj’aiperdutantdefoisquej’aiarrêté.Jevoulaisqu’ilouvrelesyeuxetqu’ilmeregarde.Cecôtésombreétaitdéconcertant,etpuisj’étais

simalquelevoirdanscetétatm’enfonçaitunpeuplus.Maisjen’avaisjamaissutrèsbiengérercegenredesituation,alorsj’aifaitcommelui,jesuisrestéesilencieuse.

Puisj’aiposélatêtesursonépaule.Jenepensaispasàl’attirancequiexistaitentrenous,jevoulaisseulementleréconforter.

Etsansdouteaussimeréconfortermoi-même.Auboutdequelquessecondes,ilabaissélebras,etsamains’estposéesurmahanche.J’airelâché

monsouffle.Jecommençaisàmesentirvraimentàl’aisequandilareprislaparole.—Jemesouviensdujouroùmonpèreestparti.J’avaiscinqans,etjeluidemandaisderester.Jele

suppliais,enfait.Ilalâchéunriretristeetdésabusé.—Lelendemainmatin,ilavaitpristoutessesaffaires.Mamèreestmortemoinsd’unanplustard.Ils’esttu.—Elleaeuuncancer,etc’estcommesielleavait…cessédesebattre.Jen’étaispasuneraisonde

vivresuffisante.Quelquechosedanssavoixm’apriseentraîtreet,toutàcoup,leslarmesmesontmontéesauxyeux.

Jenevoulaispaspleurer, çanem’étaitpasarrivédepuis longtemps,mais l’imaginerpetit, sansdouteaussigentiletaussiadorablequ’ill’étaitaujourd’hui,etcomplètementdésemparé,était…troptriste.Jesavaismemaîtriser, j’enavaispris l’habitudeetçamevenait facilement,maisc’était lapremièrefoisquequelqu’unmefaisaitdesconfidences.Jen’avaisjamaisétéassezprochedequelqu’unpourpartagerdetellessouffrances.

J’auraispu luidirebeaucoupdechoses– ilmesuffisaitd’ouvrir labouche–,mais lesmotsquej’avaisentêtemesemblaientcreux,outropintimes,etjenepouvaismerésoudreàlesprononcer.Alorsjemesuiscontentéedemeserrercontrelui,laissantmeslarmescoulerensilence.

—Monpèreestvenuàl’enterrement.Quandilestarrivé,jecroyaisqu’ilm’emmèneraitaveclui.Il a lâché un rire ; un rire amer, brisé, qui n’avait rien à voir avec celui qui attirait les regards,

commehierauTrestle.—J’imaginais la chambreque j’auraisdans sanouvellemaison. Jemedemandais si sanouvelle

femmem’aimerait.J’enavais tellementenvie!Mais ilestreparti,melaissantunedeuxièmefois,et jesuisalléhabiterchezmagrand-mère.

Jemedemandais,enécoutantlesbattementsdesoncœur,quelgenredeconnardétaitsonpère,et,commed’habitude,jen’aipasputenirmalangue.

—Onsaitaumoinsquelaconnerien’estpashéréditaire.J’allaisluisuggérerd’allertrouvercetabrutipourleremettreàsaplace,quandjemesuisaperçue

qu’ilmecaressaitledos,commes’ilvoulaitmeréconforter.«Non,mesuis-jecorrigée,ilneveutpasmeréconforter,ilmeréconfortevraiment.»Entremesparentset lamortd’Alex,beaucoupdechosesmerévoltaient,mais lapireétaitdeme

sentirseuleàsouffrir.Mesparentssouffraient,biensûr,etjesavaisqu’ilspensaienttoutletempsàelle.

Maisilslefaisaientaveccetteespècedetristesserésignéequej’étaisincapabled’éprouver.ChaquefoisquejepensaisàAlex,jemesentaisphysiquementdéchirée.Commesil’accidentvenaitdeseproduire.Tantd’annéesaprès,ilmesuffisaitdel’évoquerpouravoirl’impressiondemeremettreàsaigner.Jenecomprenaispasquemesparentsn’éprouventpaslamêmechose,etçamerendaithystérique.

Mais,àsaraideur,jesentaisqueCaderéagissaitcommemoi.Soncorpsdevenaitsonarmure.Mebarricader était la seule chose qui m’empêchait de m’effondrer. Et, pour la première fois depuislongtemps,depuislamortd’Alex,peut-être,j’avaisl’impressiondeneplusêtrecomplètementseule.

J’aiprisunegrandeinspiration.—Masœurestmorte.Ilaposélamainsurmescheveux,etsatendresseafaitsurgirlesimagesquejem’efforçaisdepuis

toujoursderepousser.Ellesnes’étaient jamaiseffacées,etquand jen’arrivaispasà lescombattre,ellesdéferlaientsur

moiaveclamêmeviolence.Jerevoyais lespharesaveuglants ; j’entendais lecrissementdespneus, lefracasdeverreetdetôlebrisés,etjesentais,dansmacagethoracique,ledéchirementdelaceinturedesécurité.J’aifermélesyeuxtrèsfort.

Jenepouvaisriencontrelesimages,maisjepouvaisrepoussermeslarmes.Caden’apascherchéàmefaireparler.Serrésl’uncontrel’autre,noussommesrestéssilencieux.La

pressiondesamainmeretenaitdans leprésent. Jen’avaispasbesoind’armure,parcequ’ilme tenaitcontrelui.

—Ladouleurnous transforme,a-t-ilmurmuréauboutd’unmoment.Lamiennem’apousséàêtreparfaitpourquepluspersonneneveuillejamaismequitter.

—Latiennet’arendugénéreux,lamiennem’aseulementaigrieetrévoltée.Ilalevémonvisageverslesien.—Ellet’arendueforte,Max,passionnéeetvibrante.Ellenousafaitstelsquenoussommes.Unrirem’aéchappé.—GoldenBoyetAngryGirl.—OnpourraitécrireuneBDdenosaventures.Cettefois,monrireétaitplusfacile.Qu’ungarçonque jeconnaissaisàpeinepuissem’aidermieuxquemesparents,mesamisouune

sériedethérapeutesnel’avaientfait,m’étonnait.—Merci,luiai-jeditenreposantlatêtesursonépaule.Jenesaispascequej’auraisfaitsanstoi,

hieret…aujourd’hui.J’imaginequetupréféreraisêtreailleurs,mais…—Crois-moi,jepréfèreêtreiciplutôtque…—Quequoi?—Quememorfondreenpensantàquelqu’unquejeferaismieuxd’oublier.Jepréfèreavancer.Avancer…Unepossibilitéqui,pourlapremièrefois,meparaissaitenvisageable.Lesilences’estétiré,et,peuàpeu,cédantàlatranquillitéquimegagnait,jemesuisendormie.

17

Cade

Unelumièrevivem’aforcéàouvrirlesyeux.Malréveilléetéblouiparunsecond flash, il m’a fallu quelques secondes pour comprendre où je metrouvaisetquiétaitlafemmepenchéesurmoiavecunappareilphoto.

—Excusez-moi,m’a-t-ellemurmuré,maisvousêtessimignons, tous lesdeux,que jen’aipaspurésister.

MmeMillervenaitdenousprendreenphoto––danslelitdesafilleendormiedansmesbras!C’étaitlasituationlaplusbizarredetoutemavie.—Lerepasestprêt,a-t-ellechuchoté.Micketmoivousattendons.Netraînezpas.Elleestpartiesurlapointedespiedsavantdefermerdoucementlaporte.JemesuistournéversMax.Elleavait l’airplus jeunedanssonsommeil ;plusvulnérable,aussi,maisses lèvresrestaient les

plusbellesquej’aiejamaisvues.Ellessemblaientattendreunbaiserd’unairunpeuboudeur.Etj’étaistenté, d’autant que jeme souvenais parfaitement l’avoir entendueme dire qu’elle ne regrettait pas lepremier.

Cequinechangeaitpasgrand-chose,pourtant.Carelleétaitprise.Àcroirequej’étaiscondamnéauxfilleshorsd’atteinte.Aprèscequ’ellem’avaitdit,enoutre,jemevoyaismalprofiterdesafaiblesse.J’allaislaréveillerquandelleaouvertlesyeux.Ellem’aregardélaregarder,puiselleaplisséle

frontets’estassisedel’autrecôtédulit.—Qu’est-cequetufais?m’a-t-elledemandéd’untonrêche.L’intimitéquenousavionspartagées’étaitenvolée.—Jeteregardais,c’esttout.Sescheveuxenbatailleressemblaientplusàcequ’ilsétaientd’habitude.—J’allaisteréveiller.Tamèrevientdemedirequeledînerestprêt.—Ma mère est venue dans ma chambre ? s’est-elle exclamée avec ce frémissement exaspéré

qu’elleavaitchaquefoisqu’ilétaitquestiond’elle.—Jecroisqu’ellenousaprisenphoto.—Quoi?J’aiévitédejustesselecoussinqu’ellem’ajeté.—Tul’aslaisséenousprendreenphoto?Cettefois,j’aiattrapélecoussinetm’ensuisservipourlatirerversmoi.—Jenel’aipaslaisséefaire.C’estleflashquim’aréveillé.—Oh,non!C’estpasvrai,a-t-ellegémienseprenantlevisagedanslesmains.—C’estfini,maintenant.—Tuparles!Onvoitquetun’asjamaisassistéàunrepasdeThanksgivingdemamère.Cen’est

queledébut.

Elles’estlevée,etjel’aisuiviedanslasalledebainspourm’aspergerlevisaged’eaufraîcheavecelle. La scène, tandis que nous manœuvrions pour éviter de nous cogner, avait quelque chose deterriblementordinaire.Commesi,alorsquenousnousconnaissionsàpeine,nousfaisionscelatouslesjours.

Commesi,àlafindelajournée,noscheminsn’allaientpasseséparer.—Alors,m’a-t-elledemandéenseretournant,tuviens?—Oui,oui,j’arrive.Uneautrephotonousasurprissurleseuildusalon.—Maman!—Oh!excuse-moi,chérie,s’estempresséederépondreMmeMilleravecunregarddechienbattu.

Cadem’adittoutàl’heurequetun’avaisriencontrelesphotos,etje…—Iladitça?Ellem’avaitprislamainpourlabroyer.—Heu…oui.Quand tes parents sont arrivés, j’ai expliqué à tamère que tu regrettais de t’être

réveillée tard parce que tu voulais te faire belle pour eux. J’ai dû lui dire aussi que ce serait sympad’avoirdesphotosdenotrepremierThanksgiving.

Leflashadenouveaujailli.—Nouspourrionspeut-êtreattendreledessert,madameMiller.—Oh!biensûr,Cade,maiss’ilvousplaît,etpourladernièrefois,appelez-moiBetty.Oumaman.Maxs’est tournéeversmoiet,unsourire féroceaux lèvres, s’estdressée sur lapointedespieds

pourmeglisseràl’oreille:—Situt’avisesd’appelermamère«maman»,jet’arrachelesyeux.Jeluiairendusonsourire.—Chiche,AngryGirl.J’avaislamainsursajoue,etellemefusillaitduregard,maisjelasentaissoulagéedereveniren

terrainconnu;celuioùnousnousbalancionsdespiques.— Madame Miller, ai-je continué en me tournant vers la cuisine, enfin…maman, vous seriez

surpriseduromantismedontvotrefillefaitpreuve.Max,lesyeuxétincelantsderage,aposélamainsurlamienne.—Tuviensdedéclarerlaguerre,GoldenBoy.Tuvassouffrir.—Jeprendslerisque.J’étaisprêtàenprendrebeaucoup,siçapouvaitluifairedubien.—Assezdemessesbasses,nousa interrompussamèreennouscouvantduregard,etvenezvous

asseoir.Unfestinétaitdéployésurlatable,etlesalonsemblaitbeaucoupplushabité.Àpeineassise,Maxa

lancésonpremierScud.—Papa, tu veux laisserCade dire la prière ? Je sais que tu aimes t’en charger,mais il est très

croyantetilseraittellementheureuxdelefairepournous.Siellepensaitmedéstabiliser,ellesetrompait.—J’enserairavi,Mick,maisjeneveuxsurtoutpaschangervoshabitudes.—Ridicule,arépondusonpère.Vas-y,fiston.J’ai tournémon sourire versMax et lui ai pris lamain, pour l’embrasser délicatement, avant de

prendrecelledesamère,del’autrecôté,etdecommencer.—Nous Te rendons grâce, Seigneur, de nous avoir réunis ici, aujourd’hui.Merci d’avoir guidé

MicketBettyjusqu’àPhiladelphie,afinquenouspuissionscélébrercettefêteenfamille.Merci,surtout,

d’avoir mis Max sur mon chemin. Elle est tellement exceptionnelle que j’ai l’impression de l’avoirconnuehieretqu’ilm’arriveencorededouterdemachance.Continuedeveillersurnousetquecettejournéenousapportejoie,bonheuretfraternité.Amen.

Maxaaussitôtlâchémamain.Profitantduregardattendriquesesparentsposaientsurnous,jemesuispenchésurellepourl’embrassersurlajoue.J’avaisbienledroitdeprendreunpeudelibertéavecmonrôle,surtoutqu’ils’achevaitàlafindelajournée.

—Ilvafalloirtrouvermieuxqueça,AngryGirl,luiai-jeglissé.Elleaattenduquesesparentssedétournentpourmedonneruncoupdecoudedanslescôtes,mais

noussourionstouslesdeux.—Jeproposeuntoast,ai-jeenchaînéenlevantmonverre.Auxrecommencementsetauxpromesses

del’avenir.D’abordréticente,Maxafinipartrinqueravecnous.—Cade,areprissamère,lamainsurlecœur,Maxadûvousdirequenousn’avonspastoujours

appréciésesprécédentspetitsamis.AugrognementdeMax,j’aicomprisquepastoujourssignifiaitjamais.—Maisvousêteslepluscharmantjeunehommequ’ilm’aitétédonnéderencontrer.Mick,quidécoupaitladinde,s’estinterrompu.—C’estbienvrai,ça!OndiraitqueMaxaenfinapprisàleschoisir.À lamention de son surnom, j’ai vuMax sursauter et regarder son père avec ébahissement. J’ai

compris que c’était sans doute la première fois qu’il l’employait et que dans sa bouche c’était unévénement. Sa stupeur passée, elle a plissé le front, puis sa perplexité a fait place à la colère et, leslèvrespincées,elleapousséun longsoupir. Jenepouvaispas luienvouloir.Àsaplace, j’auraisétéagacédevoiruninconnuremporterautantdesuccès.

Nousaurionsdûarrêter lacomédieici.Jesongeaisd’ailleursàm’éclipserenprétextantunoubli,uneurgence,oun’importequelimprévu,quandMaxatournésacolèrecontremoi.

— Il est merveilleux, n’est-ce pas ? a-t-elle commencé d’un ton doucereux, rempli de perfidie.Surtoutquandonsaitcequ’ilétaitencorel’andernier.

Cettefois,çaallaitfairemal.—L’andernier?ademandésonpère.—Oui,l’andernier.Iln’étaitvraimentpasbeauàvoir.N’est-cepas,trésor?—Heu…sionveut.—Sionveut?s’est-ellerécriée.Tunedevraispasminimiser,trésor.Tuasfaittellementd’efforts

pourréussiràte…sevrer.Samères’estétrangléesursonverre,etmoi,j’aibrièvementfermélesyeuxavantdeluiadresser

monpluscharmantsourire.—Maxadoreexagérer.Çal’amuse.Je l’aidévisagéeencherchantuneexplicationà la foisplausible et rassurante.Sonpère,partagé

entrel’incrédulitéetlaméfiance,attendaitmaréponse.SonT-shirtm’adonnéuneidée.—D’accord,ai-jefaitmined’avouer,j’étaisaccroaufantasyfootball.J’ypassaisdesheures.Max

détestait.Elleapourtantcontinuédemesourire,enfaisantdesonmieuxpourcontenirsafureur.—Maisjem’ensuissorti.Pourelle.C’étaituneexplicationpitoyable,maisjecomptaissurl’amourlégendairedesgensduSudpourle

football.

— Excusez-moi, s’est reprise Mme Miller, un peu perdue. Je ne comprends pas. Vous vousconnaissezdepuis…unan?

J’allaisinventerunefabledeplus,quandMaxm’adevancé.—Mais oui, maman. En fait, Cade m’a couru après pendant des mois. Il n’arrêtait pas de me

demanderdesortiraveclui.Çamefaisaitmêmepeuraudébut.—J’aidelasuitedanslesidées,ai-jerétorquédansunsourire.—Etnousen sommes ravis, a affirmésonpère.Oncommençait à sedirequeMaxne trouverait

jamaispersonne.—C’étaitvraimentflippant,ainsistéMax.Àlalimiteduharcèlement.—Nel’écoutepas,fiston,arépliquésonpère.Encequimeconcerne,tupeuxlaharcelerautantque

tuveux.Jetedonnemabénédiction!Maxm’adévisagé,avantdesecouerlatête,incrédule.—Incroyable,a-t-ellesoufflé.Jeluiaisouri.—Etsinousprenionsquelquesphotosavantledessert?

18

Max

J’aiprétenduquej’avaisbesoindemerecoifferpourmeréfugierdansmachambre.

Cadedevaitavoirdessuper-pouvoirs,ungenredefluidegrâceauquelilpouvaitmanipulerlesgensà sa guise. Comment expliquer autrement que tout le monde, à commencer par mes parents, tombelittéralementsoussoncharme?

Jemesuistournéepourclaquerlaportederrièremoi,maisilm’avaitsuivie.—Tuasl’airplusencolèrequed’habitude,AngryGirl.Ilétaitperspicace,enplus.Je l’ai ignoré et me suis jetée sur mon lit. Je dormais peut-être encore, et tout ça n’était qu’un

horriblecauchemar.—Qu’est-cequetufaisici?—Jesuisvenuaidermatendreetadorablepetiteamieàserecoiffer.Jeluiaijetéuncoussinàlafigure.Il l’aattrapéfacilement,puis ils’estadosséà laportepourmeregarder tranquillement.Dansson

pantalondetoileetsachemiseàcarreaux,ilavaitl’airdeposerpourunemarquedesportwear.Etçameplaisait.Qu’est-cequimeprenait?—Tuveuxquejem’enaille?m’a-t-ildemandé.Jepeuxtrouveruneexcuse.Mesparentsn’enaccepteraientaucune.Mamèreétaitunepieuvre,etilétaitdéjàprisonnierdeses

tentacules.Sapropositionm’aquandmêmetouchée.Commentfaisait-ilpourdiretoujours,exactement,cequ’ilfallait?«Dessuper-pouvoirs»,mesuis-jerépétéendétournantleregard.Jenevoyaisqueça.—Cettecomédienerimeàrien,Max.Unjouroul’autre,tuserasbienobligéedetemontrertelle

quetues,ettesparentsserontbienobligésdet’accepter.J’ailâchéunrireamer.—En vingt-deux ans, ils ne l’ont jamais fait. Et je ne vois pas ce qui pourrait les empêcher de

continuervingt-deuxansdeplus.—Max…Ils’estavancé,etjemesuisassisedel’autrecôtédemonlitpourluitournerledos.J’avaislivré

assezdesecretspouraujourd’hui.—Non,ai-jetranché,oncontinue.Jusqu’audessert.Dansunesemaineoudeux,jeleurdiraiqu’ona

rompu.Ilss’enremettront.Enréalité,j’endoutais.Jerisquaismêmed’entendreparlerdeCade,legarçon«siformidable»que

j’auraisétéincapablederetenir,jusqu’àlafindemesjours.—Tun’aurasqu’àleurdirequej’aipréférélefootvirtuel.Tonpèresemblecapabledecomprendre

ça.—Jeteremercie,c’estflatteurpourmoi.

Ilari.—Tusaisquejetepréféreraitoujoursaufoot,Max.Jel’airegardépar-dessusmonépaule.—Tuessûrd’êtretexan?Ilm’asouri.—Onfaitlapaix?J’aiopinéjusteavantderecevoirlecoussinenpleinefigure.—Àpartirdemaintenant,a-t-ilcrubondepréciser.—Persécuteur.—Menteuse.—Crétin.—Adorable.—Tuesnuleninsultes.—Tufaislagrimacechaquefoisquejeprononcecemot,alorsçacompte.—GoldenBoy.—AngryGirl.J’aisouri.Iln’étaitpasseulementcharmeur,ilavaitaussiledondedésamorcermescolères.Noussommesretournésàtable.Lerepasrestaituneépreuve,maisjen’étaisplusàlatorture.Cade

sechargeaitdelaconversationetlamaintenaitavecadressesurdessujetsinoffensifs.Ilnouspréservaitdesdisputesquicaractérisaientnosréunionsdefamille.

Ilétaitexactementcequinousmanquait,enfin…depuislamortd’Alexandria.Elleavaittoujourssuquoidireetcommentréagir.Elleétaitlegardiendelapaixfamiliale,etellen’étaitpluslà.Caderendaitsonabsenceunpeuplustolérable,etsonsouvenirmoinsdouloureux.

Quandmamèreaapportéledessert,latraditionnelletarteàlacitrouille,elleaexigé,avantdenousservir, que chacun se réjouisse de quelque chose.Mon père s’est félicité du repas,mamère d’être àPhiladelphie.

J’étaissincèrelorsquej’aidit:—JesuisheureusequeCadeaitpuveniraujourd’hui.Samainaquittéledossierdemachaisepourm’effleurerl’épaule.—Etvous,Cade?luiademandémamère.Ilarépondu,lesyeuxdanslesmiensetsesdoigtssurmanuque:—Jesuisheureuxdelaisserlepasséoùilest,etdemedirequelefuturnousappartient.«Unfluide,mesuis-jerépété,oudesondes,c’estàçaquejesuissensible.»—Frimeur!luiai-jeglisséenmêmetempsquejeluidonnaismapartdetarte.Jen’avaisjamaisaimécedessert,etmamèrenesemblaitjamaiss’ensouvenir.—Quelqu’unveutducafé?a-t-elledemandé.J’aiaccepté,etCades’estlevéenmêmetempsqu’elle.—Jem’enoccupe.—Jeleprendsavec…—Unpeudelaitetdeuxsucres.Jem’ensouviens,Max.«Franchement,mesuis-jeditenleregardanttraficotermamachineàcafétoutenbavardantavecma

mère,ilesttop.»Ilétaitmêmetropbien,tropcool,tropgénéreux,tropgentil,trop…tout.Ildevaitquandmêmeavoir

undéfaut,mêmetoutpetit.Lesgenscommeluin’existentpas.Ets’ilenexiste,aucunnes’était jamaisintéresséàmoi.

19

Cade

Le reste de la journée s’est déroulé si vite que le départ des parents deMaxm’asurpris.MmeMillerm’aasphyxiédanssesbras,etsonmarim’aserrélamain.

—Onsereverrabientôt,fiston.ÀNoël?JemesuistournéversMax,quiahaussélesépaules.—Oh!onaletempsd’enparler.«D’icilà,mesuis-jerappelé,nousaurions“rompu”.»Maxn’auraitqu’àmedonnerlemauvaisrôle

afinquesesparentsnepuissentluienvouloir.MmeMiller, profitant que je leur souhaitais bon vol,m’a broyé à nouveau contre sa poitrine.À

croirequ’ellevoulaitvérifierquejen’étaispasuneillusion.Puisilss’ensontallés.J’ai fermé la porte et regardé l’appartement. Samère avait insisté pour laisser toute la vaisselle

qu’elleavaitapportée,sescoussinsafghans,lesapindeNoëletDieusaitquoid’autre.Iln’étaitdoncplusvide,maisilneressemblaitpaspourautantdavantageàMax.—Alors,AngryGirl…—Onasurvécu.Ons’estregardé.Jenevoulaispaspartir,maisjen’avaisaucuneraisondem’éterniser…Àpartle

dernier lienquime rattachait à elle : le rendez-vousqu’ellem’avait promis quand j’avais accepté dejouercettecomédie.

Saproposition,surlecoup,m’avaitparuunebonneidée;uneexcellentefaçond’oublierBliss,etçaavaitmarché.Maiscequidevaitêtre,danslafoulée,unrendez-voussansconséquence–puisquenoussavionstousdeuxqu’ilnemèneraitnullepart–n’étaitplussiinnocentqueça.

Alorsjen’airiendit.—Merci, a-t-elle repris. Après ce que je t’ai fait subir, je devrais probablement te payer. Tu

pourraismettrecerôlesurtonCV.—Jenepeuxpasmeplaindre,j’aiprofitéd’unexcellentrepas.—Etd’unstrip-tease,a-t-elleajoutéavantderougirunpeu.L’embarrasluiallaitsibienquejel’aidévisagéesansriendire.Elleafiniparécarterlesmainsetpars’exclamer,exaspérée:—Ehbienquoi?C’estvrai!Nemefaispascroirequetun’yaspaspensédutout!—Oh!si,j’yaipensé.J’y pensaismême encoremaintenant, ce qui ne m’aidait pas à m’en aller. J’avais envie de lui

ébourifferlescheveux,pourleurrendreleurnaturel,etdeluienlevercethorriblecolroulé.Jen’arrivaispasàcroirequej’avaisvu,lematinmême,etentièrement,l’arbrequiornaitsonbuste.Jevoyaisencorelesbranches,lesracinestortueuses.Jemedemandaiscequ’ilsignifiaitpourelle;cequeçameferaitdesuivresescontoursduboutdesdoigts.Deslèvres.

Elleatoussoté.

—Oui,heu…jeferaismieuxdepartir.Pour me taper la tête contre un mur, me jeter sous les roues d’une voiture, ou me trouver, tout

simplement,unevie.—Eneffet,a-t-elleapprouvé.Et,heu,merciencore…pourtout.—Derien.Àlaprochaine,AngryGirl.J’aiouvertlaporte.—Bonnenuit,Cade.Jemesuisretournéletempsdeluisouhaiterlamêmechose,etmesuisprécipitédansl’escalier.Larue,àcausedeThanksgiving,étaitencorepleinedemonde.Avantdepartirvers lemétro, j’ai

levéunedernièrefoislesyeuxverssonappartement.—Aurevoir,luiai-jeditenmepromettantdel’oublier.Jenevoulaispascouriraprèscequejenepouvaispasavoir.Jel’avaisdéjàfait,etçanem’avait

rienapporté.

J’aipassélajournéedulendemainàtraîneraulit,désœuvré.Endébutdesoirée,histoiredefaireaumoinsungesteutile,j’aiappelémagrand-mère.

J’avaismentiàBlisspourcoupercourtàsesquestions.Magrand-mèreavaitunesantédefer; laseulemaladiesérieusedontelleavaitsouffert,unepneumonie,l’annéeprécédente,m’avaitterrorisé.Jen’avaisplusqu’elleetj’avaiscrulaperdre.Jevenaisd’avoirvingtetunans.Commetousmescopainsdefac,jenepensaisqu’àm’amuser,maiscen’étaitpascommeçaquejevoulaisfinirmesétudes.C’estàpeuprèsàcetteépoquequejem’étaismisàenvisagerl’avenird’unemanièreréfléchie.Etquej’avaiscommencéàéprouverdessentimentssérieuxpourBliss.

Magrand-mèreadécrochéàlacinquièmesonnerie,sansdouteletempsd’arriverautéléphone.Elleétaitâgée,et,selonsesproprestermes,«aussivivequelamélasse».

—J’écoute!Iln’yavaitqu’ellepourrépondreautéléphonedecettefaçon.—Salut,Grams.—Cade!Quelplaisir!Tunousasmanqué,hier.J’aifermélesyeux,surprisd’êtreaussiémuparlesondesavoix.Cedevaitêtreàcausedesparents

deMaxetdufaitquej’avaisévoquémespropresparentsdurantlerepas.J’avaislafamilleentête.—Tum’asmanquéaussi,Grams.—Comments’estpasséThanksgivingavecBliss,monchéri?Elle n’était pas au courant de l’épisode «Garrick ». Je lui avais dit que je ne venais pas pour

Thanksgiving,parcequejen’avaispaslesmoyensdemepayerlevoyage,et j’avaisrefuséqu’ellemedonnedel’argent.Saretraiteluipermettaittoutjustedevivrecorrectement,etelles’étaitsuffisammentsacrifiéepourmoi.

—Oh!tusais,ai-jeéludé,avecBliss,c’esttoujourssurprenant.Sonrirem’adétendu.—J’ensuissûre!Elleavait rencontréBlissà l’occasionde la représentationquenousavionsdonnée lorsdenotre

dernièreannéed’étude.Nousétionsallésdînerensembleaprèslespectacle,et,ensortantdurestaurant,Blisss’étaitpris laporteenverre.Magrand-mèrem’avaitavoué,plus tard,qu’elleavaitcomprisquej’étaisamoureuxparcequejen’avaispaséclatéderiredevantcequ’elleconsidéraitcomme«legaglepluscomiquedetoutel’histoiredel’humanité».

Ellememanquait.Blissaussi.Beaucoupdechosesmemanquaient.—Alors,toutlemondeétaitlà,hier?—Oh!oui.Lespetitsm’ontdemandédetesnouvelles.Àchaquevacance,quelquesoncles, tantesetcousinsvenaientnousvoir.Cesvisitesnedonnaient

paslieuàdesrassemblementsénormes,maisnousformionstoutdemêmeunefamille.—Jeregretteden’avoirpaspuvenir.VivementNoël!Jenesavaispastrèsbiencommentj’allaismedébrouillerpourmepayerletrainoul’avion,maisje

comptaisyaller,quitteàfaireunempruntdeplus.Aupointoùj’enétais…Quelqu’unafrappéàlaporte.—Jedoistelaisser,Grams,onfrappe.Jepeuxterappelerplustard?Jeveuxquetumeracontes

toutcequis’estpasséhier.—Biensûr,chéri.EmbrasseBlissdemapart.—C’estcommesic’étaitfait.Àplustard.Jeraccrochaisquandlescoupscontremaporteontredoublé.—Hermano.Tueslà?—Uneseconde,Milo!J’aienfiléunT-shirtetsuisalléouvrir.Miloétaitsursontrenteetun.—Waouh ! s’est-il exclamé devantmon jogging etmamine défraîchie. Tu te lèves ou tu vas te

coucher?—Aucundesdeux,malheureusement.Ilestpassédevantmoipourallers’affalersurmoncanapé.J’airefermélaporteensouriant.—TuneruminespasencoresurBliss,j’espère?—Non,passurelle.—Passurelle?Nemedispasqu’uneautrechica,depuishier,t’abrisélecœur?—Non,moncœurvabien.C’estjusteunefilledéjàprise.—Ah!a-t-illâchéenétirantsesjambesdevantlui.Tuconnaisleremède,hein?—Non.—Unefillelibre!Jesuisalléenriantsortirdeuxbièresduréfrigérateur.—Jesuissérieux,a-t-ilrepris.Aulieudecourirlesfillescasées,appellelablondeduTrestle.Pourquoipas?Çamepermettraitd’oublierBliss.EtMax.J’aiprismontéléphone.—Oh!là,passivite,hermano!Tuconnaislesrègles,non?J’ailevélesyeuxauciel.Miloavaitdesrèglespourtout,enparticulierpourboireetpourdraguer.—Ok,demainalors.Ilasecouélatête.—Après-demain, mon vieux, aumoins. Cette fille s’est pratiquement jetée sur toi, elle n’a pas

besoind’encouragement.Alors,lesamedisuivant,sousleregardattentifdeMilotoujoursvautrésurmoncanapé,j’aiappelé

Cammie.Ellearéponduàlasecondesonnerie.—Allô?—Cammie?

—Oui.—C’estCade.Incapabledemesouvenirsijeluiavaisdonnémonprénom,jemesuisdépêchéd’ajouter:—Ons’estrencontréauTrestle.—Oh,oui,biensûr!Salut,Cade.Sonplaisirétaitmanifeste.— Propose-lui un rendez-vous le week-end prochain, m’a soufflé Milo. Laisse-lui le temps de

mariner.J’ailevélesyeuxauciel,maisj’aisuivisonconseil.—Jene saispas ceque tu fais, vendredi soir,Cammie,mais jemedisais, si tu esprise,que je

pourrais…tekidnapper.—Mekidnapper?Elleagloussé.—Avecjoie!Jen’avaisplusqu’àtrouverl’endroitoùl’emmeneretlemoyend’yaller.Mavoitureétantrestéeau

Texas,jenepouvaispasluidire«Jepasseteprendreenmétro».C’étaitunpeudébile.—Parfait,ai-jerépondu.Jet’appelledanslasemaine.

20

Max

Le lendemaindeThanksgiving, àhuitheuresdumatin,mon téléphoneasonné. Tâtonnant à sa recherche sur ma table de nuit, et pestant contrel’obscuritéet lemalapprisquiosaitmeréveilleràuneheurepareille, j’aidécroché.

—Allô?—Bonjour,chériiiiie!J’aifermélesyeux…Ilétaitvraimenttroptôt.—Salut,maman.—Tonpèreetmoisommesàl’aéroport.Notreavionestretardé.Oh!non.Pourvuqu’ilsnerestentpasàPhiladelphie!J’avaiseumadosedecontretemps,cettesemaine.—Mincealors.J’espèrequelevoln’estpasannulé.—Non,chérie!Lederniervolestarrivéplustardqueprévu,hier,etlacompagnieapréférélaisser

dormirsonpilote.J’aimeautant,parcequetusaiscequec’est…Enfinbref,c’estuneaffaired’uneheureoudeux.Nousseronsàlamaisondanslajournée.

Ouf.—Maiscen’estpaspourçaquejet’appelle.Nousétionsentraindeparleravectonpère,etnous

voulionsteredireàquelpointnousavonsappréciéCade.Ilmesemblaitqu’ilsavaientététrèsclairssurcepoint.—Nous nous faisons du souci pour toi, tu sais. Nous avons eu beaucoup de mal à accepter ta

décisiond’arrêtertesétudes.C’étaituneuphémisme.Ilsavaientfaillimedéclarermentalementinstableetenvisagédemefaire

interner.—Maisons’yestfait…Oui,aprèsunandelutteacharnée.—Etnoust’avonsaidéeàpayertonloyerpourquetupuissesmontertonpetittrucmusical.Entendretousmesespoirsdecarrière,mapassionetmonrêvedetoujoursqualifiésde«petittruc

musical»mefaisaitgrincerdesdents.—Seulement…lesmoispassent,etnouscommençonsànousdirequ’ilesttempsdegrandiretde

regarderleschosesenface.Oh!non,pitié ! J’étais siprèsdubut. Je le sentais.Leconcertde la semaineprochaineétaitun

tremplin.Ilallaitmêmeyavoirunenregistrement.Etcen’étaitpascommesimesparentsavaientmanquéd’argent.Ilsgagnaienttrèsbienleurvie,et

l’assurance, à la mort d’Alex, leur avait versé une somme considérable. Ils me donnaient cinq centsdollarsparmois.Cevirementm’aidaitàrembourserl’empruntquej’avaisdûsouscrirepourlesdeuxansd’études,parfaitementinutiles,quej’avaissuiviesàUPenn.Puisquec’étaienteuxquim’avaientobligéeà

m’yinscrire,ilsauraientpu,aumoins,prendrecesfraisàleurcharge.Maisnon.Ilsn’avaientpasaidémonfrèreMichael,ilsn’allaientpasm’aider,moi.Parsouci«d’équité»,etpourm’apprendre«àfairedeschoix».Saufqueleschoixenquestionn’étaientpaslesmiens,maislesleurs.

Cinqcentsdollarsnereprésentaientpresquerienpoureux.Pourmoi,c’étaittouteladifférenceentrerêveretréalisermonrêve.J’avaisseulementbesoind’unpeuplusdetemps.

—Regarderleschosesenface,qu’est-cequeçaveutdire?ai-jedemandé,inquiète.Vousallez…arrêterdem’aider?

—Unjouroul’autre,oui.J’aifermélesyeux.J’allaisdevoirdoublermesheuresauTrestle.Entrecesurcroîtdetravailetmon

jobausalondetatouage,jen’auraisplusletempsderépéter,etencoremoinsd’écriremeschansons.—Nousavionsl’intentiondet’enparlerhier,areprismamère,maisnousavonsrencontréCade.—Cade?QuelrapportavecCade?— Eh bien… il fait de toute évidence partie de ta vie. C’est un garçon charmant, bien élevé,

réfléchi,ettusembles,pourunefois,prendrecelaausérieux.Tonpèreetmoisommestrèsheureuxdetevoirrompreaveclesinfluencesnégativesquetuaseuesjusqu’ici.Parconséquent,noussommesprêtsàt’accorderquelquesmoisdeplus.

—Quelquesmois…c’est-à-dire?—Nousverrons.Disonsquetun’aspasàt’inquiétertantquetupoursuisdanscettevoie.Autrementdit,tantquejesortaisavecCade.J’avaisenviedehurler.Contreelle.Contrelemondeentier.Etcontremoi.D’êtretroplâchepourluidirelavéritésurCade,surcequejepensaisdesesattentes

etdesonsermon.Jeprenaislavieausérieux.C’étaitmêmeparcequejelaprenaistrèsausérieuxquej’avaisquittélafac.Fairedeschoixqu’elle

necomprenaitpasnesignifiaitpasquej’étaisnaïveouincapable.Ça voulait juste dire que je ne voulais pas finir dans un bureau, condamnée à rêver la vie que

j’auraispuavoirsijem’enétaisdonnélesmoyens.Ça voulait dire que j’étais prête à faire des sacrifices, à cumuler deux jobs et àm’épuiser pour

réalisermesrêves.Çavoulaitdirequej’étaiscourageuse.Jeneregrettaisqu’unechose:nepasl’êtreassezpourluidiretoutçaenface.Alors je l’ai écoutée me raconter la soirée caritative qu’elle organisait la veille de Noël, puis

enchaînersurMichaeletBethany,masiparfaitebelle-sœur.Pluselles’épanchait,plusj’étaissilencieuse;etplusj’étaissilencieuse,plusjem’écœurais.Àbout

deforces,j’aimenti:—Onfrappe,maman,jedoistelaisser.—Oh!biensûr,chérie.Jesuistrèsheureusedet’avoirvue.EmbrasseCadepourmoietdis-luique

nousl’attendonsàNoël.—Jenesuispassûrequ’ilpuissevenir,maman.—Ah!etpourquoidonc,chérie?—Ildoitvoirsafamille,etlevoyagen’estpasdonné.Lesétudescoûtentcher,iladesdettes.Luiaussi.

—Oh!Dis-luiquenousnouschargeonsdesesbillets,chérie,depuisPhiladelphiejusqu’auTexas,enpassantparcheznous.Jerefusequ’ildisenon!

J’étaisheureusequemamèresoitprêteàdépenserdesfortunespourlui…—Onverra,maman.Jedoistelaisser.J’ai raccrochéet tiré lacouverturesurmoidans l’espoirdeme rendormir.Mais lemalétait fait.

J’étaistropénervéepourresteraulit.Alorsjemesuislevéeet,aprèsunelonguedouche,jemesuislancéedanslapréparationd’unpetit

déjeunerultra-compliqué.Ayantéchouéàmechangerlesidées,jesuisensuitealléecourir,puisjesuisrevenuejouerdelaguitareetj’aitentéd’écrireunechanson.

J’aipassédeuxjoursàrépéterlemêmescénario.Deuxjoursdurantlesquelsmontéléphone,dèsquejepassaisprèsdelui,semblaitvouloirmesauterdanslesmains.

JepouvaistéléphoneràCade.Ouaumoinsluienvoyeruntexto.Lasolutiond’unebonnepartiedemesproblèmestenaitdanssaréponseàunepetitequestion.N’était-ce pas ça, la vie : saisir la balle au bond et profiter des occasions, sans se soucier du

lendemain?Cadepouvaitmerendreservice.Ilmesuffisaitdel’appeler.Restaitàsavoirjusqu’oùj’étaisprêteàallerpourconserverl’argentquemedonnaientmesparents.Lamusiquen’étaitpasunrêveinaccessible.Jesavaisquejepouvaisréussir.Jelesentais.Cequi

m’habitait,cequimeconsumaitàchaquefoisquejecommençaisàchanter,nepouvaitêtreuneillusion.Jepensais à tous les concerts auxquels jedevrais renoncer si je n’avaispas cet argent.Chacund’euxpouvaitdébouchersuruncontratetmedonnerlesmoyensdevivredemamusique.

Jenepouvaispasrenoncersiprèsdubut.Etjen’avaispaspeurdessacrifices.Autrement dit, étais-je prête à m’asseoir sur ma fierté, à me soumettre à mes parents et à faire

semblantd’êtrequelqu’und’autre?Cinqcentsdollarsparmois…D’autresseseraienttrahispourmoinsqueça.Ledimanchesoir,j’aifiniparallerdansmachambrerécupérerletéléphonequej’avaiscachésous

monmatelaset,avantdechangerd’avis,j’aifaitdéfilermestextospourretrouverceluideCade.

Salut.MongroupejoueauFire,vendredisoir,àNorthernLiberties.Tudevraisvenir.

J’ai appuyé sur ENVOI, et, comme si je venais de déclencher la bombe atomique, j’ai jeté letéléphonesurmonlit.

«Jel’inviteseulementàvenirnousécouter»,mesuis-jerassurée.Çaneprêtaitpasàconséquence.Etpuis,s’ilacceptait,j’avaislasemainepourdécidersi,ouiounon,jeluiparlaisdemesparents.

Montéléphoneasonnéetjemesuisprécipitépourrépondre.C’étaitMace.Certainequ’ilvoulaitsortiroupasserlanuitchezmoi,j’aiignorél’appel.Jen’étaispasd’humeurà

levoir.LaréponsedeCadeestarrivéequelquesminutesplustard:

Àquelleheure?

J’aipassé lasemainesuivanteàéviterMace.Nousnousretrouvionsauxrépétitionsetdéjeunions

ensemble,maischaquefoisqu’ilmeproposaitdavantage,jetrouvaisuneexcusepourmedéfiler.Lejourduconcert,nousavionsrendez-vousauTrestlepourrécupérernotrematériel.Quandjesuis

arrivée,Spencerfumaitunecigaretteprèsdesonvan.—T’asuneminededéterrée,m’a-t-illancéensoufflantlafumée.Je n’ai pas répondu, parce que c’était la vérité. J’avais trèsmal dormi, parce que je savais que

j’allaisvoirCadeetquejen’avaistoujourspasdécidésij’allaisluiparlerdeNoël.—Cequejeveuxdire,a-t-ilrepris,c’estquetudoisdépotercesoir,etondiraitquetusorsd’un

castingpourTheWalkingDead.—J’aidessoucis,ok?—Jesais.Macem’aditquetuétais«malade».Ilaprononcécemotenfaisantdesguillemetsaveclesdoigts.—Mêle-toi de tes affaires, Spence, et rassure-toi, je serai au top.Tellement sexyque tu vasme

supplierderessortiravectoi.—Tusaisquej’enrêve.—C’estbienledrame.Ilasouriettirésursacigarette.—TuessûrequeMacevavenir?—Pourquoiilneviendraitpas?Ilahaussélesépaules.—Peut-êtrequ’ilavutatêteetqu’ils’estditqueçanevalaitpaslecoup,finalement.Àmoinsqu’il

n’aitentenduparlerdubeaugosseauqueltufaisaislesyeuxdoux,lasemainedernière.Jemesuisapprochéeet,d’uncoupsec,j’aienvoyésacigarettevolerdanslesairs.—Hé!J’étaisentraindefumer!—Jenefaisaispaslesyeuxdoux,Spence.Tudélires.—Non,jesuisobservateur.Cen’estpaslamêmechose.Encequimeconcerne,tupeuxfaireceque

tuveux,maisattendslafinduconcertavantdeplaquerMace,sinononvaavoirdesproblèmes.J’aisortilaclefetouvertlaporteduTrestle.Ilm’asuiviedanslasallevide.—Personnenevaplaquerpersonne,ai-jerépondu.Tutefaisdesidées.J’aitournéuninterrupteuralorsqu’ilhaussaitlesépaules.—J’aitoutdesuitesuquandtuallaismeplaquer,etjenecroispasmetrompercettefoisnonplus.C’étaitparfoispénibled’êtresonamie.Ilpassaitsontempsàmerappelernotrehistoire,alorsque

jesavaistrèsbienqu’ilnepensaitplusdutoutàmoi.Ilchangeaitdefillechaquesemaineetrépétaitqu’ilavaithâted’êtreunerockstarpourcollectionnerlesfansdanssonlit.

Montéléphoneavibré.C’étaituntextodeMace.

Peuxpasvenirpourl’installation.dsl.Àcesoir.

Ilseprenaitpourqui?Jel’aiimmédiatementappelépourtombersursamessagerie.J’aiattendulebipenfrémissant.—Tuas intérêtàavoirunebonneexcuse,ai-jedéclaréau répondeur.Etne t’avisepasd’êtreen

retard!

Quand j’ai raccroché,Spencer,nosdeuxguitaresà lamain,me regardait avecunpetit sourireencoin.

—Finalement,cen’estpeut-êtrepasluiquivasefaireplaquer,cesoir.

21

Cade

EmmenerCammieau concert deMaxn’était peut-êtrepas l’idée laplusbrillantequi soit,mais l’enviede lavoir jouer avait étéplus forteque laraison.J’étaisavecMilo,enpleindébatsur les lieuxdesortiepossibles,quandj’avaisreçusontexto.Jen’avaispashésitéuneseconde.

J’avaisrendez-vousavecCammiedansunrestaurantprèsdelasalledeconcerts.Elleestarrivéedansunepetiterobenoirequimoulaitparfaitementsasilhouetteetdevaitcoûterpluscherquelecontenudemes placards.Quand je l’avais rencontrée, auTreslte, ses joues étaient rose vif. J’avaismis cettecoloration sur le comptede l’alcool.Ellem’était aussi apparuecomme l’incarnationvivanteduverbe«glousser».Làencore,jem’étaisditquec’étaitl’alcool.

Apparemment,jem’étaistrompé:nisonteintnisafaçondepouffern’étaientliésàl’alcool.C’étaitjusteCammie:jouesrougesetpoumonsremplisdegazhilarant.

Jemesuispliéàtouslescodesd’unrendez-vousgalant.Jeluiaiapprochésachaise.J’aicommandéduvin.J’aibavardé.Cammieétaitgentille et très jolie,maisunpeu tropprévisibleàmongoût.Elle a commandéune

saladeetn’arrêtaitpasd’envoyersescheveuxblondsenarrière.Ellenegloussaitpasseulementquanduntrucétaitdrôle,maisàchaquefoisqu’unsilences’installait.

Cequiétaitassezfréquent.—Donc, disait-elle, mon professeur, de façon absurde, s’est entêté à ne pas vouloirme laisser

repasser l’examen. Il aurait pu être un peu plus conciliant, tu ne trouves pas ? Vu le prix del’inscription…

Silence.Gloussement.Jemesuismorduleslèvres.Jemanquaisvraimentd’à-propos.—Eneffet,mesuis-jerattrapé,ilauraitpu.Elleasouriet,d’uncoupdetête,arepoussésescheveuxderrièresonépaule.—Excuse-moi,jet’ennuieavecmeshistoires.—Maisnon,pasdutout!—Oh!tantmieux,parcequetusaislameilleure?Jesuistombéesurcemêmeprof,dansunbar,en

traindefairedesavancesàunefilledemonâge.Tupeuxlecroire?—Non!ai-jerépliquéaussivitequ’ilesthumainementpossibledelefaire.—Tuterendscompte?Ildoitavoirquaranteans.Aumoins!Alorsbiensûr,sij’avaisétécegenre

defilles–samoue,àcemoment-là,endisaitlongsurcequ’ellepensaitdecegenredefilles–,j’imaginequ’ilm’auraitlaisséerepasserl’examen.Maisjenesuispascommeça.

Aulieudeluidemandercommentelleétait,j’aipréférélarelancer.—Etalors?— Alors j’ai écrit une lettre au doyen. Il va peut-être se faire virer. Au minimum, ma note va

changer.Ledoyenestunamidemonpère,ilsjouentaugolfensembledepuisdesannées.—Vraiment?—Oui.Aumomentdem’inscrire,j’aipresquefaillichoisiruneautreécole;tusais,pourfairemon

proprechemin,maisenfindecompte, jemesuisdit…pourquoinepasprofiterdesoccasionsquimesontoffertes?Aprèstout,cen’estpasmafautesimonpèreadesamisbienplacés.

J’avaisdeplusenplusdemalàl’écouter.J’étaissûrqu’ilyavaitquelqu’undesympaderrièrecetterobedemarque,cesonglesmanucurésetcerireinsupportable,mais,cesoir,jen’avaispaslapatiencenil’enviedecreuser.Jenepensaisqu’àl’endroitoùnousirionsensuite.

J’avais passé des heures sur Internet à lire tout ce que je pouvais sur le groupedeMax. J’avaisapprisqu’ils’appelaitUndertheBellJarenréférenceàunromandeSylviaPlath.LebassisteetMaxenétaient les deux membres fondateurs. L’actuel batteur, son petit copain, était une addition récente. Ils’appelaitMace.Commelesbombesdegazlacrymogène.Oucommelemarteauaveclequelonmettaitjadislesgensàmort.

Çaluidonnaitdesalluresdebourreau.L’arrivéedel’additionm’atirédemarêverie.«J’aiintérêt,mesuis-jeditendéposantunesomme

pharamineusedansl’étuidecuirlaisséparleserveur,àévitercegenredesorties.»SurtoutsijevoulaisavoirdequoirentrerchezmoiàNoël.

J’aitirélachaisedeCammieetjeluiaioffertmonbras.Elleagloussé.J’airetenuunsoupir.—Jesuistellementcontentedet’avoirrencontrédanscebaraffreux.Tusaisquejenevoulaispasy

aller ?Des amism’avaient entraînée avec eux, et jenepensaisqu’àpartir.Enfin… jusqu’à ceque jetombesurtoi.

Génial.Siellen’aimaitpasleTrestle,jemedemandaiscequ’elleallaitpenserdelasuite.—Parle-moiencoredecegroupe.J’avaispasséassezdetempssurleursitepourluiendiredeuxmots.—C’estungroupedePhiladelphiequimêlelerocketlamusiquefolk.Ilsontl’airbon.—Super.Gloussements.Gloussements.Etre-gloussements.Jedevaisabsolumentcontinuerdeparler.—Jenelesaijamaisvus,maisjeconnaisunmembredugroupe.Jecroisqueleurmusiquevautle

détour.Tuaimeslerock?ElleaenchaînésurLadyGaga,etj’aipousséunsoupirdesoulagement.Cesujetallaitnousoccuper

aumoinsjusqu’auFireet,àl’intérieur,avecunpeudechance,ilyauraitassezdebruitpourétouffersesgloussements.

En arrivant, jeme suis glissé avec bonheur dans la pénombre, j’ai déniché une table et, laissantCammieconsidérersontabouretaveclaméfianced’unbiologisteenfaced’unvirussuspect,jemesuiséclipsépourallercherchernosverres.

Lebaroffraituneimpressionnantevariétédebières.J’enaichoisiuneetj’aicommandélecocktailquem’avaitdemandéCammie.Lebarmanm’aregardéavecstupeur.LeFiren’étaitpaslegenrel’endroit

où l’onbuvaitdesCosmopolitans–ungrandclassiquedessoiréesmondaines–,mais il s’estexécuté.Pendantqu’ilpréparaitlemélange,j’aipasséuntextoàMax.

Jeviensd’arriver.Bonconcert!

Jen’attendaispasderéponse,puisqu’elleallaitmontersurscène,maismontéléphoneabipé.

Merci.Viensencoulissesaprès.

Pourlecoup,j’étaissurpris.Nousn’avionseuaucuncontactdetoutelasemaine.Quandj’avaisreçusontexto,dimanchedernier,jem’étaisditqu’ellem’invitaitpourmeremercieroupouravoiruneentréedeplus,paspourmerevoir.Or,ellesemblaitytenir.

Cammieaglousséquandjemesuisassisetarecommencéquandjeluiaitenducequidevaitêtrelepirecosmodel’histoiredescocktails.Lapremièregorgéeluiaarrachéunegrimace,maisellen’afaitaucuncommentaire.Lesyeuxsurlascène,pressédevoirdébuterleconcert,jefaisaisdemonmieuxpourm’intéresseràcequ’elledisait.Elleparlait,enl’occurrence,desesprojetsd’étudeàl’étranger.

—Leproblème,c’estquejen’arrivepasàdécideroùm’inscrire.Jesuistentéeparl’Australie,ceserait vraiment formidable, ouLondres, ou Paris. Pour l’instant, je penche vers Paris,mais je changed’avistouteslessemaines!

—J’aiuneamiequifait le tourdumonde.Jecroisqu’elleestenAllemagne,encemoment.Ellesillonnel’Europeentrainetlogedansdesfoyers.

—Desfoyers?Tuessérieux?Ellen’apaspeurdesefairecouperenmorceaux?J’aisouri.—L’Europen’estpasuncoupe-gorge.—Quandmême,a-t-ellerépliquéenagitantlesmainsdevantelle,jen’iraijamaisdansdesendroits

pareils.Cette fois,c’étaitofficiel. Je renonçaiàdécouvrir la fille sympasous lacouchedespréjugés.La

soiréen’étaitheureusementpasfichue,car,aumêmemoment,dansunhurlementstridentdelasono,j’aivuMaxréglersonmicro.

Elleavaitdanssescheveuxrouges,plusindisciplinésquejamais,lafleurblanchequej’avaisvuelejour où je l’avais rencontrée. Ses jambes incroyables étaientmises en valeur par un short ultra-courtléopard,descollantschairetdesescarpinsrouges.UnT-shirtblanc,déchiréauxépaules,révélaittouteladélicatessedesasilhouette.Elleétaitmagnifiqueetsemblaitparfaitementàl’aise.

Elleapassésaguitareenbandoulière,puiss’estapprochéedumicro.—Bonsoir,jem’appelleMax,etlegroupes’appelleUndertheBellJar.J’aurais voulume lever pour l’acclamer,mais jeme suis contenté de l’applaudir comme tout le

monde.—Lapremièrechansons’intituleBetter.Elles’estécartéedumicropourcommenceràjouer,et,pourlapremièrefois,j’aiprisconscience

desmusiciensqui l’entouraient.Lebassisteétaituncurieuxmélangedepunketdegeekboutonneux. Ilportaitunsweat-shirtàcapucheetunnœudpapillonclouté.Seslunettesrondes,visiblementnécessaires,juraientavecsescheveuxlongsetsonpantalonbaggy.Derrière,aucentre,setrouvaitMace,lebatteuretvéritablepetitcopain.Iljouaitsanslaquitterdesyeux.

Commentluienvouloir?Leregardrivésurelle,j’étaisaussifascinéquelui.Quandelles’estmiseàchanter,lerestedumondeacesséd’exister.Son texte parlait des efforts qu’il faut parfois fournir pour vivre, des faux-semblants derrière

lesquels on masque sa douleur, sa fragilité et ses chagrins. Sa voix était basse, un peu rauque, maisprofondeetpourvued’unetendressesurprenante.

Lerythmes’estaccéléré,soutenuparlabatterie.

It’sbetterthisway,BetterthatnooneseesIt’sbetterthiswayBetterwhenI’mnotmeI’llbebetterBetter,Better…

Les yeux fermés, les pétales de ses lèvres près du micro, elle a répété ce mot, entre colère etdésespoir, avec une telle émotion, que j’en étais bouleversé. Je vivais les doutes dont elle parlait, lepoidsdeschoses,ladifficultédeseretrouverdanslesimagesqu’ondonnedesoipourseprotéger,pourvivre…

It’sbetterthiswayUntouchedundertheglassIt’sbetter,IsayThiswayI’lllast…

C’était poignant, et tellement sincère que j’étais sûr qu’elle parlait d’elle. Surtout lorsqu’elle aentonné le dernier couplet à propos d’une prison dans laquelle on se trouve enfermé, mais qu’on nequitterait pour rien aumonde, tant il vautmieux être son propre bourreau que souffrir auxmains desautres…

NoonedoesitbetterAndit’sbetterthiswayBetterBetter…

Elletenaitsibienlepublicqu’àlafindusolodebatterie,quandelles’estmiseàfredonner,nousétionstouspenchésenavant,suspendusaumurmuredeseslèvres.Puislamusiques’esttue.

22

Max

Monter sur scène est une drogue, mais, à la différence des autres,l’euphorie qu’elle me procurait n’avait rien d’artificiel. J’avaisl’impression,chaquefois,d’êtreununiversenexpansion.Lesémotionsquim’envahissaient, la peur, l’espoir, la douleur et le bonheur, n’avaientaucunelimite.

Après la mort d’Alexandria, j’avais tenté un million d’expériences pour trouver un sens àl’existence.Iln’yavaitquelamusique,etchanter,quiavaitmarché.

Je ne pouvais pas renoncer et je savais, en finissant ma chanson, que j’étais prête à tout pourcontinuer.J’étaispeut-êtreégoïste,et jem’enfonçaiscertainementdans lemensonge,maissi j’avais lamoindrechancedeconvaincreCadedecontinueràjouerlacomédiepourmesparents,j’allaislatenter.

Jenel’aiaperçuqu’àlafindelatroisièmechanson.Jecommençaisàcroirequ’ilétaitparti,maisnon,ilétaitlà,aumilieudelasalle,encompagniedelablondequej’avaisvueauTrestle.Qu’ilaitjugébondel’amenerm’irritait.D’unautrecôté,ilnemequittaitpasdesyeux.Çacompensait.

J’aientaméunereprisedeRiloKileyenleregardantfixement.

Andit’sbadnews,babyI’mbadnewsI’mjustbadnews,badnews,badnews

Iladresséunsourcil,etj’aifailliéclaterderire.C’estenpensantàluiquej’avaisajoutécettechansonànotrerépertoire.Elleracontaitledésastre

auquelpeutmenerunerencontrequandelleimpliquequelqu’undenocif.Commemoi.Unmort-vivant…c’étaitletermedelachanson.Etcequej’étais.Maisj’avaisbeaulesavoiretme

répéterquerevoirCadeétaituneerreur,j’étaistropégoïstepourmel’interdire.Alorsj’essayaisdeluitransmettrecesréflexions,delemettreengarde.Jen’auraispasdûfaireattentionàlafaçondontilsuivaitlemoindredemesgestes.J’auraisdûm’en

moquer. Je n’aurais pas dû plonger mes yeux dans les siens ni m’humecter les lèvres entre chaquecouplet,parcequejevoyaistrèsbienl’effetqueçaluifaisait.J’auraisdûavoirhonted’encouragercequisepassait,detouteévidence,entrenous.Maiscen’étaitpaslecas.

Badnews,badnews…

Àlafindelachanson,jemesuistournéeversSpencerpourvérifierqu’ilétaitprêtàenchaînersurlemorceau suivant. Ilm’a dévisagée avant de se tourner délibérément vers le public. Je n’ai pas eubesoindesuivresonregardpoursavoirqu’ilmemontraitCade.

Je n’ai pas eu besoin non plus d’imaginer son sermon, j’étais tout à fait capable deme faire lamoraletouteseule.Danslasériedesconneriesmonumentales,lapireestdeselaisserdistrairependantunconcert,surtouts’ilnevousrestequequelquesmoispourfairevospreuves.Chacunedemeschansonsdevaitêtreirréprochable.Jenepouvaispasmepermettrelamoindrefaussenote.

Alorsj’aioubliéCadeetmesuisconcentréesurmonjeudescène,flirtantavecMaceetSpencer,ouaveclesspectateursdupremierrang.C’estdrôlelafaçondontsurscène,plusonesttrash,pluslepublicadore.Les chansons les plus applaudies étaient celles que j’avais écrites dansmes piresmoments dedéprimeouderévolte.J’auraisditlesmêmeschosesn’importeoùailleurs,onm’auraitenfermée.

Ladernièrechansonachevée,lesapplaudissementsontbalayéuninstantmespréoccupations.J’étaiscomblée,transportéeparl’enthousiasmedelasalle.C’étaitçalavie.Surscène,jeneseraisjamaisunmort-vivant.

Nousétionsentraindesaluer,quandlalumièreestbrutalementrevenuesurmoi.Jemesuisfigée,aveugléeetincapablederespirer.

Lalumièredesphares.Lebruitdetôle.Lehurlementdespneus.Etlestonneauxdelavoiture,incontrôlables,sansfin…Jesuisrestéeparalyséejusqu’aumomentoùj’aisentiunbrassurmonépaule.CeluideMace.Ilétait

ennage,commemoi.Jel’ailaissém’entraînerverslescoulisseset,dèsquenousavonsétéàl’abridesregards,jel’airepoussé.

—J’aibesoind’allerauxtoilettes,ai-jelâchédansunsouffle,enespérantqu’ilcomprendrait.Je me suis enfermée dans une cabine et j’ai résisté à l’envie de m’allumer une cigarette. Si je

voulaisrevenirjouerauFire,jen’avaisaucunintérêtàmefaireprendreàfumerdanslestoilettes.Alorsj’aifaitsemblant.J’aiimaginélebruitdubriquet,saflammedorée,l’odeurdutabacetlacigarettefictiveentremes

lèvres.J’aiinhalélentement,enconvoquantlesoulagementquecegestem’inspiraitd’habitude,puisj’aisoufflé,avecconcentration.

Un jour – celui de l’anniversaire d’Alexandria –, Spencer m’avait dit, alors que j’étaiscomplètementdévastée,qu’ondevraitvivrecommeonfume:enaspirantleprésentpourexhalerlepassé.Çam’avait frappée. Je ne fumais plus que rarement,mais j’allumais une cigarette imaginaire presquechaquejour.Jen’avaispasbesoindelanicotine,seulementdugeste,dufluxetdurefluxdel’airdansmespoumons.

Montéléphoneavibré.

C’étaitgénial,AngryGirl.Tutienstoujoursàmevoir?

Bonnequestion.Luidemanderdemerendreservice,àcausedessentimentsbizarresquiexistaiententrenous,n’était

peut-êtrepastrèsclean,maisçanechangeaitrienauproblème:j’avaisencorebesoindelui.Ets’ilétaitprêtàselaisserutiliser,j’allaislefaire.

Oui,GoldenBoy.Quandtuveux.

Quandjesuissortiedestoilettes,Spenceravaitdisparu,etMacem’attendait.—Alors,madameafinidejouerlesdivas?J’ailevélesyeuxauciel.—Quej’aiebesoind’unpeudesolitudenefaitpasdemoiunediva,Mace.—Etm’envoyerboulertouteunesemaine?Jen’avaisaucuneréponsevalableàluifournir,alorsjeluiairendulapareille:—Etnerépondreàaucundemesappelsdelajournée,zapperl’installation?D’unmouvementde tête, ilarepoussé lamèchedecheveuxtombéedevantsesyeux,et, levisage

fermé,aenfoncélesmainsdanslespochesdesonblousondecuir.—Jet’aiditqu’ils’étaitpasséuntruc.J’aisurtoutcompris,avecunsentimentdemalaise,qu’ilmentait.—Jepeuxsavoirqueltruc?Ilaserrélespoings.—Tuastespetitssecrets,m’a-t-ilréponduenhaussantlesépaules,j’ailesmiens.—Ladifférence,Mace,c’estquemessecretsn’affectentpaslegroupe.—J’enairienàcirer,dugroupe,Max.Tusaistrèsbienquej’enfaispartieuniquementpourtoi.« Incroyable»,me suis-jedit en levoyant s’approcherpourmeprendrepar la taille.Enplus, il

devaitsetrouverromantique.Jel’airepoussé.—Situmeconnaissaisunminimum,Mace,tusauraisquecegroupeesttoutemavie.—C’estclairquetut’intéressesbeaucoupplusàluiqu’àmoiouàn’importequi.—Exactement.Ilatripotél’anneauquitrouaitsonoreilleets’estdenouveauapprochédemoi.—Tusaisquetuessacrémentdéjantée,hein?Jelesavaisdepuislongtemps,cequinem’apasempêchéedeluibalancer:—Parlepourtoi!Tuasvulatailledetespupilles?Qu’est-cequetuaspris?Tunepouvaispas

attendrelafinduconcert?Ilahésité.—J’ysuis!Tum’enveuxpourcematin.Jesuisdésolé,a-t-ilreprisenposantlamainsurmajoue.

Onpourraitpeut-être…Jel’aiencorerepoussé,etsesonglesm’ontgrifféeaupassage.—Non,Mace,onnepeutpas!Jemesuisforcéeàmecalmer.Jen’avaisaucuneenviedemedisputeravecluimaintenant.—Cen’estpaslemoment,Mace.Jesuisfatiguée,onenparleraplustard.—Plustard,oui,c’esttoutcequetusaisdire.Maisj’enaimarred’attendre.J’aitendulamain,maisilareculé.—Ilfautsavoircequetuveux,Mace.—Jenesuispassûrdevouloirquoiquecesoit!Surcettedéclaration,ilafaitdemi-touretadisparu.Quejesoismoinsagacéeparsondépartqueparlefaitqu’ilnouslaissait,unefoisdeplus,Spencer

etmoi,ramasserseulsnosaffaires,endisaitlongsurl’avenirdenotrehistoire.J’aiinspiré.Expiré.Etrecommencé.—Çamarchevraiment?

Cade,adosséaumur,me regardaitensouriant. Ilportaitunechemisenoireauxmanches relevéesjusqu’auxcoudes.

Maréactionàlaseulevuedesesavant-brasdisaitlagravitédemonproblème:unesemainesanslevoirn’avaitdiminuéenrienmonattirancepourlui.Aucontraire.

Mauvaisenouvelle.—Parfois,ai-jerépondu,maispourl’instant,cen’estpasfranchementefficace.Undemi-sourires’estdessinésurseslèvres.—Tuveuxquejetelaisse?Jemesuisdemandés’ilavaitentendumadisputeavecMace,ous’ilétaitsimplementperspicace.

Direquej’étaisàfleurdepeauestuneuphémisme,maisjelesentaiscapabledenepasmebrusquer.—Non,çava,tupeuxrester.Inspirer.Expirer.Ils’estécartédumurpouravancerdanslapièce.—Jesuisvraimentcontentd’êtrevenu.J’aiopiné,etcommej’étaisvraimentmasochiste,jeluiaidemandé:—Tacopinen’estpaslà?Ilaéclatéderireensepassantunemainsurlevisage.J’aimislesmiennesderrièremondos,loin

delui.—Elleestpartie.Dieumerci.Ellevoulait s’enallerdès ledébutduconcert.Alorsons’estmis

d’accordpourenresterlà.Ils’estassissurlevieuxcanapé.—Tuauraispupartiravecelle,ai-jeditenlerejoignant.Çanem’auraitpasvexée.—Jeneseraispartipourrienaumonde.Sonregardaglissésurmesjambes.—Ondoittelediresouvent,a-t-ilcontinué,maisjet’aitrouvéegéniale.C’était comme la caresse d’un rayon de soleil, et je me suis donné le droit d’en profiter ;

contrairementàcequ’ilcroyait,lescomplimentsn’étaientpassifréquents.—Tupeuxmelerépéteraussisouventquetuveux,ai-jeréponduenremontantmesgenouxsousle

menton.Ilaposélebrassurledossierducanapé.—C’estdansmescordes.Jemesuisadosséejusqu’àsentirmescheveuxluieffleurerlebras.Jen’étaispastoutàfaitremise

demadisputeavecMace,etmoncœur,quibattaitlachamade,tenaitàprouverqu’ilsefichaitpasmaldelablessurequ’ilvenaitdesubir.JemesuistournéeversCadeenlaissanttombermesjambescontrelui.

—Alors…tu…Laportes’estouverteà lavolée,etSpencerafait irruption,accompagnédedeuxinconnusserrés

l’uncontrel’autre.Ungrandblondtrèsséduisantetunepetitebrunepasmaldutout.Celle-cis’estfigée,etj’aientenduCades’étrangleravantqu’elles’exclame:—Cade!Tun’espasauTexas?

23

Cade

Bliss.Àcroirequel’univers,chaquefoisqueleschosesfaisaientminedes’arranger,seliguaitcontremoi.—Salut,Bliss,salut,Garrick.—Quiest-ce?amurmuréMaxtandisqu’ilsavançaient.—Tutesouviensdecequejet’aiditl’autrejour?—Lestrucsquetupréfèresoublier?J’aiopinéetmesuislevépourserrerlamaindeGarricketembrasserrapidementBliss.—Jenesuispasparti,finalement.Excuse-moidenepast’avoirprévenue.Mesplansontchangéau

derniermoment,etj’aidécidéderester.—Tagrand-mèrevamieux?—Oui.—Alorspourquoin’es-tupasvenupourThanksgiving?Ellem’avaitprislebras,etj’aisurpris,enmedégageant,lapitiéqu’elleétaitincapabledemasquer.

Jevoyaistrèsbienlescénarioqu’elleimaginait–moi,enfermédansmonstudio,passantmesvacancesàmemorfondre,seuletmisérable.C’étaitcequej’avaisprévudefaire,jusqu’àl’irruptiondeMaxdemavie.J’allaisinventeruneexcusequandMaxm’adevancé.

—Ilétaitavecmoi.Elles’étaitlevéepourmeprendreparlataille,etj’aipassé,instinctivement,unbrasautourdeses

épaules.Elles’estserréecontremoientendantlamainversBliss.—Jem’appelleMax.J’aivulessourcilsdeBlissdisparaîtresoussafrangeetsesyeuxdétailler les tatouagesdeMax.

J’aiessayédememettreàsaplace,d’imaginercequepouvaitpenserdeMaxquelqu’unqui lavoyaitpourlapremièrefois.Maisjen’aivuquelesoutien-gorgenoirsoussonT-shirtdéchiréetj’aipréférénepasinsister.

BlissaserrélamaindeMax,unpeuchoquée.Garricks’estremisplusvite.—Ravideterencontrer,Max,a-t-ildit.En entendant son accent, elle s’est tournée vers moi. J’ai compris qu’elle faisait le lien et j’ai

réponduàsonsourireparunimperceptiblehaussementd’épaulesqu’elleaparfaitementsaisi.—Max,jeteprésenteBliss,nousétionsàlafacensemble.Etsonami,Garrick.Jen’aipasjugéutiledepréciserqu’ilavaitéténotreprofesseur.Lasituationétaitassezcompliquée.—Raviedevousrencontrer,aréponduMaxavantdemesecouergentiment.Jecommençaisàcroire

qu’ilnevoulaitpasmeprésenteràsesamis.C’estluiquivousainvités,cesoir?—Enfait,non,arépondulebassisteaunœudpapillonclouté.C’estmoi.Garrickestl’undemes

amis.—Oh!excuse-moi,Spencer,jenesavaispasquevousvousconnaissiez.

LeSpencerenquestionnousdévisageait,d’unairàlafoissoupçonneuxetincrédule.Jenepouvaispasluienvouloir.Moi,dansmespetitsmocassinsdecuiretmachemiseboutonnée,etMaxenstardurock,onnepouvaitpasimaginerplusmalassortis.

—Ettuesqui?m’a-t-ildemandéencherchantmonregard.—C’estCade,estintervenueMax.Moncopain.Jet’enaiparlé,Spence.—Biensûr,a-t-ilopiné.Cade.Décidantqu’ilétaittempsdepartagerlefardeauqu’elleétaitseuleàporter,j’aienchaîné:—Alors,qu’avez-vouspenséduconcert?JemesuistournéversMax.—Elleestfantastique,non?Elles’estdresséesurlapointedespiedspourm’embrassersurlajoueavectantd’enthousiasmeque

j’étaissûrd’avoirlatracedesonrougeàlèvres.Jesavaisquec’étaitpourdonnerlechange,maisc’étaitunesacréecomédienne.

—C’étaitmagique,acommencéBlissenmequittantdesyeuxpourregarderMax.Tuasunevoixmerveilleuse.

—Commentsefait-ilquetunenousaiespasprésentétonamieavant?ademandéGarrick.Encoreunefois,Maxm’adevancé.—Oh!peudegenssontaucourant.Onpréfèreyallerdoucement,passerunpeudetempstousles

deuxavantd’informerlemondeentier!Bliss,toutsourire,s’esttournéeversGarrick.—Onvouscomprendparfaitement,a-t-elledéclaréenmettantlamainsursonépaule.Monregards’estposésur labaguequibrillaitàsondoigt. Il l’avait fait. Il luiavaitdemandéde

l’épouseretelleavaitaccepté.Alorsquejem’attendaisàéprouverunesortededouleur,del’envieoupeut-être du regret, rien n’est venu. Que l’impression, assez désagréable et consternante, que tout lemondeavançaitsaufmoi.

Quelquechoseavaitchangé.Deboutdevanteux,Maxàcôtédemoi,c’étaitlapremièrefoisquejem’interrogeais vraiment sur les sentiments que j’avais éprouvés pour Bliss. J’aurais dû souffrirdavantage…C’étaitpeut-êtrelaprésencedeMaxquimerendaitmoinssensible…

J’avaisl’impressiond’êtreaubordd’unprécipice,surlepointdedécouvrirquelquechosequejen’avaispasenviedesavoir.

Maxm’a donné une petite secousse. Jeme suis arraché à la contemplation de la bague pourmeforceràsourire.

—Jevoisqu’elleaditoui.LevisagedeGarricks’estilluminé,etilasouriavecuntelbonheurque,cettefois,j’airessentiun

petitpincement.—Oui.—Félicitations.Jesuisvraimentcontentpourvous.Blisss’estmorduleslèvresetm’asouri.Sesyeuxétaienthumides,etc’estd’unevoixdoucequ’elle

m’adit:—Merci.Çacomptebeaucoup.Letempss’estarrêté.C’étaitundecesmomentsoùleventchange,oùlesvoilessetournentpourque

laviepuisserepartirdansunenouvelledirection.Jenesavaispascequeressentaient lesautres,maisBlisslecomprenait.

C’estpeut-êtreparcequenousétionsdesacteurs.Ousimplementparcequec’étaientnous.Maisjelelisaisdanssesyeux.C’étaitlafind’unchapitre.

Noscheminss’écartaientet,àpartirdemaintenant,chaqueminutenoussépareraitunpeuplus.Quelsqu’aientétémessentimentspourelle,nousavionsvécuetpartagétropdechosespourrevenirenarrière.J’avaiscruqu’il suffiraitque ladouleur s’estompepourque tout se remetteenplace.Ladouleurétaitpartie,maisl’écartqu’elleavaitcreuséentrenousdemeurait.

C’estdrôlecommequatreansd’amitiépeuventêtreanéantisenunseulinstant.Blissétaitlederniermorceaud’uneépoqueà laquelle jen’avaispas renoncéenvenantàPhiladelphie.La facavaitétémamaison,lagrandefamillequejen’avaisjamaiseue.Maisc’étaitterminé.Etm’accrocheràcetteépoqueàtraversBlissn’étaitbonpourpersonne.

Touslessouvenirs,touteslesémotionsquenousavionspartagésetquinousavaientréuniss’étaientamenuiséspournelaisserqu’unlienténu.Celamefaisaitpenseràunthéâtreaprèslareprésentation:lepublicestparti, ledécorest rangé, et ledernier àquitter les lieuxéteint les lumières,pourne laisserqu’une veilleuse dans la salle qui, tout à l’heure, avait été si animée. Je sentais, aussi raide et aussimaladroitqu’elle,cedernierlien,cetteultimelueur,s’effaceràsontour.

Elleaprisunecourteinspirationetapincéleslèvres,danscequejesavaisêtreuneffortpournepaspleurer.Suivantl’exempledeMax,j’aiinspiré,puisexpiré.

—Ilfautqu’onailledébarrasserlascène,aditMax.Tunousdonnesuncoupdemain,Cade?Lebatteuradûpartir.

—Biensûr,ai-jeréponduavantdereveniràBlissetàGarrick.C’estsympad’êtrevenus.Encoreunefois,toutesmesfélicitations.

J’ai tendu lamain àGarrick, et, cette fois, vraiment serréBliss dansmesbras.Elle s’est blottiecontre moi, puis s’est écartée. Elle avait beau cligner des yeux, les larmes perlaient au coin de sespaupières.

—Aurevoir,Bliss.Jeme sentais étrangement engourdi, comme si j’étais anesthésié. J’aurais peut-êtremal plus tard.

J’apprenaisquelessouvenirs,mêmelesmeilleurs,restentcequ’ilssont:dessouvenirs.—Aurevoir,Cade.Spencer est parti avec eux.Quand la porte s’est refermée, j’ai soupiré etme suis écroulé sur le

canapé.—Jen’aiaucuneidéedecequivientdesepasser,m’aditMaxenvenantdevantmoi,maisjesuis

complètementdéprimée.J’aiéclatéderire,cequi,toutbienconsidéré,étaitlameilleuredetouteslesréactionsquej’aurais

puavoir.—C’étaitdéprimant!—Çava,GoldenBoy?J’ailevélementonetluiaiprislamainpourl’embrasser.—Merci,tun’étaispasobligéedefaireça.Ehoui,jevaisbien.Ilfautavancer,non?—C’estl’idée,boyfriend.—Ondevientbonpourfairesemblant.Tudevraissongeràêtreactrice.Elleaéclatéderire.—Certainementpas!Jen’aimepasmontrermesémotions,etlesalaireestminable.—Tunedonnespasl’impressiondetecacherquandtuchantes.Elles’estdétournée,malàl’aise.—Chacunsontruc,j’imagine.Ilétaittempsdechangerdesujet.Jemesuislevé,enessayantdechasserunpeudelamélancolie

quipesaitsurmesépaules.

—Allonsrangertesaffaires,AngryGirl.—Tun’espasobligé,c’étaitjusteunprétexte…—Nedispasdebêtises,tusaisquejel’auraisfait.—Oui,jesais.Arrivéedevantlaporte,elles’estretournée.—J’aiautrechoseàtedemander.Çateditd’allerboireunverrequandonaurafini?—Unverre?Jen’aipaspum’empêcherdesourire.—Vucequetum’asproposéjusque-là,jesuisunpeudéçu.Serais-tuàcourtd’idées?Jecroyaislafairerire,maiselles’estcontentéedehocherlatête.—Attendsdevoir.

24

Max

Nos instruments rangés, j’avais convaincu Cade de nous rapprocher ducentre-ville.Sinousrationslederniermétro,chacunpourraitrentrerchezluiàpied,et surtout, le trajetme laissait le tempsde réfléchirà la façondontj’allaisluiprésenterleschoses.

—Bon,m’a-t-ilditenquittantleFire,j’imaginequetuneveuxpasparlerdetadisputeavecMace.Jeluiaidécochéunregardavantderépliquer:—J’imaginequetuneveuxpasdiscuterdelamariée.Ilasoupiré.—Parlonsmusique,alors.Quandest-cequetuascommencé?J’aiboutonnémonmanteaupourmeprotégerdufroid.—Verstreizeans,àpeuprèsàlamortdemasœur.Jeme suis interrompue, stupéfaite d’entendre cesmots sortir demabouche et de la facilité avec

laquellej’évoquaisavecluicedontjen’avaisjamaisparléavecpersonne.—Etquandest-cequetuassuquetuvoulaisenfairetonmétier?Cettefois,j’aisouri.—Lapremièrefoisquej’airéussiàinterpréterunechansonjusqu’aubout.C’étaitgénial!Toutà

coup,j’étaisailleurs.J’oubliaistout,oùj’étais,quij’étais…Plusriennecomptaitquelamusique.—Jecomprendscequetuveuxdire.J’éprouvelamêmechosesurscène.Letempsd’unepièce,je

deviensquelqu’und’autre.Quelqu’undont les problèmes se résolvent beaucoupplusvite et beaucoupplusfacilementquelesmiens.

Jen’avaisjamaiseud’amiaveclequelj’auraispuparleraussilibrement.Jem’étaissibiencoupéedesautres,etsilongtemps,quej’avaisoubliéqueçapouvaitêtreagréable.

—Ilt’arrivedeneplustesupporter,GoldenBoy?—Parfois,oui.Ettoi?Sonhonnêtetémedonnaitenviedemeconfier,moiaussi.Inspirer.Expirer.—Oui,toutletemps.Nous avons continué demarcher en silence, et, bizarrement, c’était confortable. Je regardais les

façadesdesimmeubles,lestrottoirsinégaux,leslumièresdanslesappartements…Jeconnaissaisbiencechemin,c’étaitpourtantlapremièrefoisquejefaisaisvraimentattentionàcequim’entourait.

C’étaitsurprenant.—Tucroisquetoutlemondeestcommeça,ai-jerepris,ouc’estnousquiavonsunproblème?Iln’apasrépondutoutdesuite.—Personnen’enparle,maisjecroisquetoutlemondeestcommeça,mêmelesgensheureux.C’est

durdevivre,etplusletempspasse,moinsc’estfacile.Alorsons’arrête,onfermelesyeux,onvafaire

unjogging,ouonprendunelonguedouche.Çapermetd’oublierquionest,cequ’ondoitfairetouslesjours.

Ilparlaitenregardantleciel,etlefroidcréaitunpetitnuagedebuéedevantseslèvres.Ilcroyaitcequ’ildisait,etsatranquillitém’aidaitàycroireaussi.

J’auraisdû lui répondre,mais jeme sentais si bienque jevoulais fairedurer cemoment lepluslongtempspossible.Alorsjen’airiendit.

Surlequaidumétro,nousavonsattendudixbonnesminutes,sansparlerdavantage.Jen’avaispasenviedem’enfuir,decomblerlevideoudefaireautrechose.

Nouspartagionslesilence,etc’étaitbien.Quandletrainestarrivé,noussommesmontésdanslewagonenmêmetempset,sansavoirbesoin

denousconsulter,commesinouslefaisionstouslesjours,nousnoussommesassiscôteàcôte.Jemesuisalorsdécidée.—J’aiquelquechoseàtedemander,maisjen’enaipasdutoutenvie.Ils’esttournéversmoi,etnosgenouxsesontfrôlés.—Çam’al’airintéressant.—C’estsurtoutcomplètementdébile.Ilaattendu,et j’aivraiment tenté,soussonregard,deluidire leschosessimplement,mais jen’y

arrivaispas,alors,derage,j’aienfoncémonvisagedansmesmains.—Jedétestel’argent,çagâchetout!—Àquiledis-tu!J’aipromisàmagrand-mèredeveniràNoël,maisjesuistellementfauchéque

j’auraisdelachancesijepeuxmepayerlevoyageenbus!Jemesuisredressée,engardantlesyeuxbaissés.—Etsijepouvaist’aideràpasserNoëlcheztoi?—Désolé,maisjedoutequetonbossappréciedemevoirdanseràtaplace!J’aiéclatéderiresifortquetouslesregardssesonttournésversnous.—Jeseraislapremièreàpayerpourvoirça!Ilm’adonnéuncoupd’épaule.—Eh,jesuisbondanseur.—Situledis!—Tuveuxquejet’emmèneenboîte?J’étaistentéededireoui,delelaisserm’emmenerauGarage,ouailleurs,pourmeperdredansle

rythmedelamusique,maisjepréféraisresterlucide.—Onverra,GoldenBoy.Enattendant,jesuissérieusepourNoël.Mesparentstiennenttellementà

terevoirqu’ilssontprêtsàtepayertoustesbilletsdepuisPhiladelphie.Ilcontinuaitdesourire,maisjelisaissaconfusiondanssessourcilsfroncés.—Onn’étaitpascensérompre?—Si,mais…Oh!Etpuiszut!Aupointoùj’enétais,autanttoutluiraconter.—Tusaisque je faisde lamusique.Mesparents, évidemment,n’apprécientpas.Mêmes’ilsme

donnentunpeud’argent,cequimepermetdejoueretdecomposer,ilsn’ontjamaisapprécié.Enfait,ilssontvenusmevoirpourmedirequec’étaitterminé,qu’ilétaittempsquejetrouveunvraijob,etqu’ilsallaient cesser dem’aider.Et ils t’ont rencontré.Apparemment, ta présence les a convaincusque leurfille n’est pas une ratée totale, et ils sont prêts à continuer àme soutenir. Si je leur annonce qu’on arompu, ilsme coupent les vivres.Autrement dit, je nepourrai plusm’occuperdugroupe.Alors, je te

demande,lâchement,pourfaireplaisiràmesparents,decontinueràfairesemblantdesortiravecmoi,etdeveniràNoël.

—Max…Ils’étaitunpeuécarté.—Jesaisquec’estfou,ai-jereprisenmetournantverslui,maisjeteprometsqueceneserapas

long, justequelques jours, le tempsde faireuneapparition,et tupourraspartir fêterNoëlchez toi.Tuviensdemedirequetuasbesoind’argentpourlevoyage…Mesparentspaieront.

Ilaplongésonregarddanslemien.—Jenepeuxpasleslaisserfaire,Max.Jeluiaiprislamainpourlaserrer.—Cen’estrienpoureux,Cade,jetelejure.Situvoyaisàquoiilsgaspillentleurargent,jepréfère

qu’ilsledépensentpourtoi.Ilaposésamainsurlesmiennes.—Tusaisquejeveuxt’aider,Max,maisc’estunetrèsmauvaiseidée.Tunepeuxpascontinuerà

jouerlacomédie.Tunefaisquerepousserleproblèmeetsansdoutel’aggraver.Tapremièrechanson,cesoir…C’esttoiquil’asécrite,n’est-cepas?Ellenet’arienapprisdesfaux-semblants,dupiègedanslequelonseretrouveàforcedesementiràsoi-mêmeetauxautres?

Jemesuissentiesubitementmiseànu,commes’ilm’avaitdisséquéeetquetoutlemondepouvaitvenirmetriturerlecœuretl’âme.J’avaisécritcetextejusteavantdelaissertomberlafac.Etilavaitraison.

Jen’avaispaschangé.J’avais cru, en arrêtantmes études, cesser de faire semblant. J’avais crume débarrasser demes

vieuxoripeauxetcommencerunenouvellevie.J’avaiscruquemedéguiseràl’occasiondesvacances,oudesvisitesdemesparents,étaitinsignifiant.Maisc’étaitfaux.

J’étaisrestéelamême.Etjedétestaisqu’ils’enrendecompte.Jeluiaiarrachémesmainsetjemesuislevée.—Jenesuispasaussiparfaitequetoi,GoldenBoy,etjeleregrette,maisjen’aipasbesoind’un

psy.Oublie.Lemétroarrivaitdanslastation,et jesuisalléedel’autrecôtéduwagon,attendrequelesportes

s’ouvrent. Je l’ai entendum’appeler aumoment où je descendais sur le quai,mais je neme suis pasretournée.Ilm’arattrapéedansl’escalier.

—Max…attends!Alorsquejedéboulaisdansl’airglacial,samains’estreferméesurmoncoude.—Laisse-moi!—Non.—Commentça,non?Ilm’asaisieparlesépaulesetserréecontrelui.—Onnevapassedisputeràcausedeça?—Situcroisquetupeuxdécideràcausedequoionse…—J’accepte,Max.J’ailevélesyeux,stupéfaite.—Mais,tuviensdedire…—Quetudoisarrêterdefairesemblant,pasquejerefusaisdet’aider.Jesuisprêtàveniravectoi

cheztesparents,situyvastellequetues,pasenversioncolroulé.

Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser, j’étais complètementdéboussolée.

—Jementiraistoujourssurtoi.Jeserais…—C’estundétail,Max.Etc’estlepremierpasquicompte.Tulaissestesparentss’habitueràcelle

quetueset,quandilss’ysontfaits,tufrappesunsecondcoup,avecMace.Aumilieuduchaos,j’aiéclatéderire.—Situsavaislenombredefoisquej’aivoululesfrapperàcoupdemasse!Sondemi-souriremefaisaitundrôled’effet;commesij’étaisplusforte,unpeumoinsdétraquée.

C’estpeut-êtrepourçaquesesdoigtssurmajouenemefaisaientpascomplètementpaniquer.—Alors?a-t-ildemandé.Onlancelecommando«Révélation»?—Parleplutôtducommando«Attaquecardiaque»…D’accord.Onyva.—Formidable.Sonpoucea suivi le contourdemonmenton, etun frissonm’a traversée. Jeme suishumecté les

lèvres.—Merci,luiai-jeditlagorgeunpeutropnouéeàmongoût.Pourtout,labalade,ladiscussion,et

heu,tusais…debienvouloirfairesemblantdesortiravecmoi.Ils’estimmobiliséuninstant.—Jecroismesouvenirquetum’aspromisunvrairendez-vous,l’autrejour.Moncœurafaitunbond.Ilmeplaisait,ilm’avaittoutdesuiteplu,etçanefaisaitqu’empirer.La

soiréeavaitétéparfaite,ilavaitsutrouverlesmotsjustes,mefaireréfléchir,etilm’encourageaitàêtremoi-même.Autantderaisonspourlesquellesjenedevaispassortiraveclui.J’étaisnocive,etilétaitledernierquejevoulaiscontaminer.Nouspouvions,enrevanche,êtreamis.J’avaistoujoursrêvéd’unamicommelui.Ilm’obligeaitàregardermeserreurs,etenmêmetemps,ilmerassurait.

Maisquandilmeregardaitdecettefaçon,etqu’ilmetouchait,cen’étaitpasdutoutdel’amitiéquejeressentais…

Montéléphoneavibré.Profitantdeladiversion,jemesuisécartée.J’allaisrépondre,quandj’aivulenomsurl’écran.Mace.Parler avec Cade m’avait apporté une paix que je ne voulais pas briser, alors j’ai appuyé sur

IGNORER. Mais le charme avait dû se rompre, car la fatigue de la journée m’est brutalement tombéedessus.

J’avaispeut-êtreseulementbesoindesommeil;j’étaisépuisée,toutàcoup.Cadeaproposédemeraccompagner et j’ai accepté, parce que sa présence m’aidait à oublier… le reste. La tournure, parexemple,queprenaitmarelationavecMace.Elleétaitdevenuehouleuseetmenaçait legroupe,cequiétaitpréoccupant.

Cadearetenulaportedemonimmeuble.—Lepropriétairen’atoujourspasréparélaserrure?a-t-ildemandéenmesuivantdansl’escalier.

Tudoisinsister,AngryGirl.C’estdangereux.Jeluiaisouripar-dessusmonépaule.—C’estvrai,unsadiquepourraits’introduiredansmonappartementetmesurprendrependantque

jedors…toutenue.—Moi,parexemple.J’aiéclatéderireetvoululuidonnerunebourrade,maisilm’aretenueparlebras.Jel’airegardé,

entâchantdemaîtriserl’emballementdemoncœur.—Jesuissérieux,m’a-t-ildit,situnel’obligespasàchangerlaserrure,jem’encharge.

Sonairgravem’adonnédesfrissonsquej’aichassésenplaisantant.—Àvosordres,Maître.Ilyaautrechosequejepuissefairepourvousplaire?Son regards’estassombri. J’étaisàdeuxdoigtsdeme jeter sur lui,quand j’aientenduquelqu’un

m’appeler.—Max?Lenœudquis’étaitformédansmagorges’estresserré.Cadem’alâchée,etjemesuistournée.Mace,assissurmonpaillasson,selevaitpéniblementpouravancerversnous.Ilétaitdéfoncé.JemesuisécartéedeCade.—Mace,qu’est-cequetufaislà?—Jem’amuseentoutcasmoinsquetoi.Tun’aspasperdudetemps,hein?Sonvisage,d’habitudesibeau,étaittorduparunehorriblegrimace.—Jeteprésente,Cade,unami.Ilestvenuauconcertetm’araccompagnée.—C’estça,a-t-ilrépliquéentriturantlepiercingdesonsourcil.Tucroisvraimentquejesuisconà

cepoint?—Non,Mace,jecroisseulementquetun’espasdanstonétatnormal.Ilatitubéversmoi.—Etmoi,jecroisquetun’esqu’unesalope.Cades’estaussitôtinterposé.—Ducalme,vieux,onestamis.C’esttout.Jel’aiécarté.—Laissetomber,Cade.Iln’estbonnipourlegroupenipourmoi.Considèrequetueslibérédes

deux,Mace.Jel’airegardéapprocherenchancelant.Ilavaitlesyeuxrougesetlespupillesminuscules.«C’est

drôle,mesuis-jedit,commel’attirancepeutdisparaîtreaussivitequ’elleestnée.»Jeneressentaisplusriendel’embrasementqui,d’habitude,crépitaitentrenous.Ilétaitlà,hargneuxetdéfoncé,ettoutcequej’éprouvais,c’étaitdusoulagement.Jel’aidévisagé.Ilm’aregardéedelatêteauxpiedsavantdelâcherunricanement.

—Detoutefaçon,j’enavaismarre.Plutôtquelacolère,c’estledégoûtquim’aenvahie.—Vatechercherd’autrespilules,connard.EnpassantdevantCade,illuiadonnéuncoupd’épaule.—Bonnebaise,vieux.Cettefois,monsangn’afaitqu’untour,etjemesuisjetéesurlui,lespoingsserrés.—Espècede…LesbrasdeCadesesontferméssurmoi.Ilmetenaittoujours,serréecontrelui,bienaprèsledépartdeMace.J’étaispluscalme,maisjelui

étaisreconnaissantedenepasmelâcher.Jemesentaiscommeunoiseaubrusquementremisenliberté.Quandjemesuisretournée,ilavaitl’airplusfurieuxquejenel’avaisété.Cetypeavaitlestoïcismed’unsaint.Jeluiaisouri.—Ilparaîtquetusaisdanser?J’étaislibre.Etj’avaistrèsenviedem’envoler.

25

Cade

J’étaisdéchiré.D’uncôté,jevoulaisluidirequ’elleavaittort,quelanuitporteconseiletqu’elleverraitplusclairdemain.De l’autre, j’avaisenviede céder et de l’emmener danser.Même si, tout au fonddemoi, j’auraispréféréentrerchezellepourluiprouveràquelpointellen’avaitriendontjepuisse,contrairementàl’abrutiquivenaitdedisparaître,melasser.

Commed’habitude,maraisonl’aemporté.—Max,lajournéeaétélongue.Tuessûrequetuneveuxpas…Ellem’acoupé.—Jeveuxdanser,GoldenBoy.Etjevaislefaire,quecesoitavecousanstoi.Maisàtaplace,a-t-

elleajoutéaveccepetitairdedéfiquejetrouvaisirrésistible,jenemelaisseraispastouteseule.Elleabattudescilsetm’asouri.Ellesavaitdéjàquej’avaiscédé.—D’accord,maistuneviendraspasteplaindrequandmonstyleéblouissantt’auraaveuglée.Ellem’aprislamainetentraînéenriantdansl’escalier.—Attendsunpeuavantdetevanter.Onvavoirquivaéblouirqui.

Quandletaxis’estarrêtédevantcequiressemblaitàunhangarabandonné,jemesuistournéversMax.Jeconnaissaisl’endroit–j’habitaisàdeuxpasetjepassaisdevanttouslesjours–,etj’étaissûrquec’étaitunsquat.

—Tuveuxdanseroutefaireégorger?Elleaéclatéderireet,melaissantàpeineletempsderéglerlacourse,ellem’aprislamainpour

m’entraîneravecelle.—Relax,GoldenBoy!Çavateplaire.Ellemeplaisait,alorsjemesuislaisséfaire.Àdixmètresdel’entrée, jesentaislespulsationsdelamusique.L’intérieurétaitàlahauteur.Ily

avaitdescanapésunpeupartout,et lesmursétaientcouvertsdegraffitis.C’étaituncurieuxmélange ;j’avaisl’impressiond’êtreàlafoisdansl’appartementd’uncopainetaucoind’unerueabandonnée.

—BienvenueauGarage,m’aditMax.L’endroitluiressemblait;ilvibraitdelamêmeénergie.Alorsoui,elleavaitraison,ilmeplaisait.Onétait loindesboîteshabituelles,pleinesàcraqueretaudesigndépourvudecaractère.Ici, ily

avaituneâme.Unedesfresquesreprésentaitdeschanteursetdesdanseurs.Elleétaittoutesimple,ennoiretblanc,

maissonréalismeétaitsaisissant.—C’estlepatrondusalondetatouageoùjetravaillequil’adessinée,m’aditMaxàl’oreille.Ila

faitçaaussi.

«Elletravailledansunsalondetatouage»,mesuis-jeditenlaregardanttirersurlecoldesonT-shirt.

—Leveinard.—Max!Elles’estretournéepours’envolerverslebaretletype,derrièrelecomptoir,quil’appelait.—Désoléd’avoirloupéleconcert,luidisait-ilquandjel’airejointe,mais…Illuiamontréleverrequ’ilessuyait.—Tusaiscequec’est,a-t-ilconcluavecunhaussementd’épaules.—C’étaitformidable,ai-jedit.Ilm’aregardé,unpeusurpris,ets’esttournéversMax.Lesourireradieuxqu’ellem’adressaitl’a

faithésiter,etilavaitl’airencoreétonnéquandilacontinué:—Jemedébrouilleraipourvenirlaprochainefois.Surcettepromesse, ilnousaservideuxverres–sur lecomptede lamaison–etnousasouhaité

bonnesoirée.Max s’est hissée sur le bar pour l’embrasser sur la joue.Elle n’avait pas l’air de quelqu’un qui

venaitderompre.Maisj’étaisplusintéresséparseslonguesjambes.Elles’estretournéeetasurprismonregard.Aulieudeserenfrogner,sonsourires’estélargi.—Prêteauchocdetavie,AngryGirl?Sij’enjugeaisàsonsourire,j’allaisdevoirluitrouverunautresurnom.Ellem’aentraîné,sansun

mot, à l’étage. J’avais dumal, en la suivant dans l’escalier, à garder la tête froide.Au-dessus de sestalons aiguilles rouges, ses courbes étaient absolument divines.L’abruti qui l’avait plaquée ce soir neméritaitpaslachancequ’ilavaiteue.

Ilyavaitplusdemondeàl’étage,maisl’ambiance,aumilieudescanapésdépareillés,étaittoujoursla même, chaleureuse et décontractée. Il y avait deux pistes de danse. Sur la seconde, plus petite etsurélevée,desdanseursdehiphopselivraientàdesacrobaties incroyablessouslesapplaudissementsd’uncercled’admirateurs.

Max a fermé les yeux et lâché un soupir. Entre celui, frémissant, qui annonçait une explosion decolère,tousceuxquiétaientliésàsamère,etmonpréféré,celuiquiluiéchappait,presqueimperceptible,justeaprèsunbaiser,jecommençaisàbienlesconnaître.Celui-làmerappelaitsafaçondechanter.

Légèreetdétendue,elles’estavancéesurlapisteet, lesbraslevésetondulants,elles’estmiseàdanser.SonT-shirtmelaissaitentrevoirlecreuxdesesreins.Lesécorchuresquej’avaisnettoyéesavecsoin n’étaient plus qu’un souvenir. Les pansements avaient disparu, et je devinais, au creux de seshanches,ladouceurdesapeau.

Plusieursdanseursnousontséparés.Ellem’afaitsignedelarejoindre.Ce gestem’a fait l’effet d’un électrochoc et j’ai compris, tout à coup, que je n’avais jamais été

amoureuxdeBliss.Parceque,àcetinstant,rien,strictementrien,nem’auraitempêchéd’allerverselle–pasmêmeBliss,justement.

Jeme suis frayé un chemin jusqu’à elle, qui dansait en fredonnant les paroles de la chanson quipassait.L’encolure de sonT-shirt avait glissé sur son épaule, et sesmains descendaient le long de sataille.

—Alors,GoldenBoy?J’attends!J’étais fasciné. Elle était plus troublante que lamusique qui pulsait entre nous, et je n’ai pas pu

résisteràl’enviedelatoucher.Seshanchessesontmisesàonduleretjel’aiimitée.Noscorpssesontfrôlés,etelles’estmorduleslèvres.

Comme tous lesétudiantsd’artdramatique, j’avais suividescoursdedanseà l’université ;notreprofesseur, en guise d’échauffement, nous faisait travailler différents mouvements de façondésynchronisée.Cen’étaitpasexactementde ladanse,maisçaconvenaitparfaitementau rythmede lamusique.

Maxdansaitcommeellechantait,avectantdenaturelqu’ilmesuffisaitdelasuivre.Quandlamusiqueachangé,pourunrythmepluslent,jel’aipriseparlatailleetattiréeversmoi.

Commeelleselaissaitfaire,j’airesserrénotreétreinte.Nousnepouvionspasêtreplusproches,niplusen phase, et danser de cette façon si intime, nos corps suivant les méandres de la musique, étaitensorcelant.Elles’est inclinéeversl’arrièreetvoirsonbustetendu, la ligneparfaitedesagorge,m’ainspirédessensationsfulgurantes.Maisjepréféraislasentircontremoi.Alorsjel’airedresséeet,unemainaucreuxdesesreins,j’ailimiténosgestesauminimum.

Sonsoufflecaressaitmagorge,jemesentaistellementbienquej’auraisvoulufigercetteseconde,ouêtreailleurs,seulavecelle.Jenepouvaispasm’empêcherd’ypenser.Lapremièrefoisquejel’avaisvueavecMace,j’avaiscomprisqu’ilsn’étaientrienl’unpourl’autre.Iln’yavaitpascetteattirancequejeressentaisentrenous.Nouspouvionsfairesemblantdel’ignorer,elleétaitlà.

Et j’étais en traindem’apercevoirque, contrairementàceque j’avais toujourscru, jene l’avaisjamaiséprouvéeavecBliss.Nousnousserionstrèsbienentendus,ellecorrespondaitàl’idéequejemefaisais de la vie à deux, mais ce n’était pas d’elle que j’étais amoureux, seulement de ce qu’ellereprésentait,etquej’avaiscruvouloir:uneviefaitedetendressepartagéeetdesécurité.

Max,elle,meterrifiait.Etc’étaittellementmieux.Jepouvaisenfinmedirequelapageétaittournée,quelepasséétaitderrièremoi.J’ai glissé la main dans ses cheveux. Son bras s’est resserré sur mon cou et ses lèvres m’ont

effleuré.J’airetenumonsouffle,inquietdeprendreunemauvaisedécision.Commesielleavaitsentimesdoutes,etvoululesfairetaire,ellem’amordillélecouenseserrant

davantagecontremoi.Sic’étaituneerreur–etj’étaissûrquec’enétaitune–,c’étaitlaplusagréabledetoutescellesque

j’auraispum’apprêteràcommettre.

26

Max

J’aifaitcommeluiet,dèsquemesdoigtssesontposéssursoncou,ilaglissélamainsousmonT-shirt.Ladéchargequej’airessentiem’aaussitôtrappelélesoiroùilm’avaitsoignéeetoùj’avaistellementvouluqu’ilmecaresse.

Ils’estpenché.—Max,a-t-illâchédansunsouffle.Àsonhésitation, j’ai toutdesuitecompriscequ’ilallaitdire. Ilallait semontrerchevaleresque,

prétendrequecen’étaitpasunebonneidée,quej’avaisbesoindeprendremontemps,deréfléchir,oumedonnern’importequelconseildumêmegenre.Ilsecompliquaittellementlavie.

Alorsj’aidécidédesimplifier.Jemesuisdresséesurlapointedespiedsetjel’aiembrassé.Sesbonnesrésolutionsdevaientêtrehyper-fragiles,parceque,à lasecondeoùnos lèvressesont

touchées,ilm’aplaquéecontreluietrépondu.Ungémissementm’aéchappé.Il embrassaitdivinementbien, à la fois avec ferveur et sans aucuneprécipitation, comme s’ilme

savourait et qu’il voulait prendre tout son temps. J’avais toujours sous-estimé les baisers tendres etparesseux.Celui-cimeconsumait,maisilmeconsumaitavecunetellelenteur,etsibien,quej’étaisprêteàlesupplierdem’achever.Ils’estinterrompu,letempsdememordillerlalèvre,puissabouches’estécraséesurlamiennepourm’embrasserànouveau,cettefoisdefaçondévorante.

Quandjemesuisécartée,étourdieetàboutdesouffle,j’étaiscomplètementélectrifiée.Jenesentaisplusqueses lèvressurmoncouetsoncorps,pressécontre lemien.Jene tenaisplussurmes jambes.Pourladeuxièmefois,ilm’aempêchéedem’écrouler.

Lapremièrefoisquej’avaisfaillitomber,c’étaitàcausedelasouffrance.Laseulequej’éprouvais,àprésent,étaitliéeàmonimpatience.Jenevoulaispasm’arrêterlà.J’en

étaisincapableetjen’enavaisaucuneenvie.Jeluiairedressélementonet,enmedemandantsij’avaislespupillesaussidilatéesquelessiennes,j’aiplongédanssonregard.

J’avais toutes les chances deme faire jeter,mais j’étais prête à prendre le risque. J’étaismêmeprête,aupointoùj’enétais,àlesupplier.

—Ilparaîtquetuhabitesàcôté?Ilascrutémonregardpuis,aprèsquelquessecondes,dessecondesquim’ontparuinterminables,il

aopiné.Jemesuisdresséesurlapointedespieds,enpensantl’embrasserrapidement,maisilm’asaisile

visageàdeuxmainsetm’aembrasséeavecunetellepassionquej’aiprié,accrochéeàsachemise,pourqu’ilhabitevraimenttoutàcôté.

—Jesuisincapabledetedirenon,m’a-t-ilditd’unevoixrauqueenmerelâchant.—Tantmieux.

LeseuildeCadefranchi,j’aifermélaporteetmesuislaissétombercontrelui.J’avaislecœurquibattaitàtoutrompreetl’impressionquedesjetsd’adrénalinepurecouraientdansmesveines.Coincéeentre laporteglacialed’uncôté,et le regarddeCade,brûlant,de l’autre, je frissonnaisde la têteauxpieds.

Jen’avaisjamaisétéaussinerveuse.Detoutemavie.Mêmepourmapremièrefois.D’ailleurs,quandilestvenuversmoi,j’aibiencruquej’allaism’évanouir.Jemesuisheureusementaccrochéeàsonregard.Cequej’yailuétaitplusfortquemesdoutesoula

panique.Jen’avaispasseulement l’impressiond’êtrebelle–cequepouvaitmefairecroiren’importequel typequime sifflait dans la rue–, jeme sentais…unique aumonde.C’est risible tellement c’estmièvre,maisc’estvrai.Danssonregard,jenevoyaisplusmesdéfauts,nimesdoutes,nimapeur,nimacolère.J’avaisl’impressiond’êtreimportante,d’êtrelamélodieetpasseulementl’accompagnement.

—Tuessûre?m’a-t-ildemandé.Sonexpressionétaitunpeudéconcertante.Commes’ilnesavaitpas,alorsquesonregardbrûlaitde

désir,s’ilvoulaitquejeluirépondeouiounon.Jen’aieuaucunmalàl’éclairer:j’aisaisimonT-shirtàdeuxmainspourlepasserau-dessusdematête.

Ill’aregardétomberparterreavantdereleverlentementlesyeux.Heureusementquelaporteétaitlà pour me soutenir quand il s’est avancé. J’ai attendu, frémissante, mais il s’est arrêté à quelquescentimètres pour saisir la bretelle de mon soutien-gorge. Il a commencé à la faire glisser, avant dechangerd’avis.Samains’estalorsposéesurlaporte,sesyeuxsontrevenussurlesmiensetilm’aditavecunpetitsourireencoin:

—Enlève-le.Ilétaitsiprèsdemoiqu’enmecambrantpourdégrafermonsoutien-gorge,lefrôlementdemesseins

contre son torse m’a coupé le souffle. C’était une véritable torture, d’autant que je n’arrivais pas àdétacherl’agrafeetqu’ilnefaisaitstrictementrienpourm’aider.Finalement,lesbretellesontglissésurmesépaules.Jemesuisadosséeetj’ailaissé,dansunsoupir,monsoutien-gorgerejoindremonT-shirtparterre.Laporteétaitglaciale,etlapointedemesseins,soussonregardbrûlant,s’estdurcie.

Il a posé un doigt sur mon ventre et, du bout de l’index, a commencé à suivre le tracé demontatouage. Il prenait tout son temps, et sa caresse, en redessinant chaque racine, était si légèreque j’enfrissonnais. S’il continuait de cette façon, j’allaism’écrouler à ses pieds.Heureusement, il a fini pars’intéresser au tronc d’arbre qui remontait entremes seins. Jeme suis cambrée, désespérée qu’ilmetouchevraiment,mais,dedeuxdoigtsfermessurmonsternum,ilm’aforcéeàreculercontrelemur.

—Patience,AngryGirl.Mongémissementplaintifl’afaitsourire.—Tun’imaginespasletempsquej’aipasséàimaginercetatouage.Jeveuxl’apprendreparcœur,

pourmesouvenir,chaquefoisquejefermelesyeux,delafaçonparfaitedontilembellitchaquepartiedetoncorps.

Durantunebrèveseconde,ilapressémesseinsentresesmains.J’aigémi,maisillesalâchéspourmerepoussercontrelaporte.

— Ne t’inquiète pas, m’a-t-il dit en m’embrassant sur le front. Je te promets de prêter autantd’attentionàchaquecentimètrecarrédetoncorps.

Lelaissersuivrechaquebranchesansbougerétaitunetorture.L’arbres’étiraitsurmonbuste,maiss’arrêtait toujours à quelquesmillimètres des endroits que j’aurais vraiment voulu qu’il touche. Je luiauraisbiensaisilesmains,pourlesdéplacermoi-même,maisj’adoraismesentiraussientièrementàsamerci.

Quandsondoigts’estimmobilisé,suspenduàl’extrémitédeladernièrebrindilledudernierrameau,j’étaispantelante,lesmainsplaquéescontrelaporte.

Nos regards se sont croisés. Il avait lespaupières lourdes, lespupillesdilatées, et jeme sentaiscomplètementintoxiquée.Toutétaitflou,cotonneux,sauflui.

—Tuesmagnifique,a-t-ilmurmuré.—S’ilteplaît,ai-jelâchédansunsouffle.J’étaistellementsubmergéededésirquejen’auraispaspuleverlepetitdoigt.Ilaexaucémaprièreenm’attirantcontrelui.C’étaitbien,maisilétaittoujourshabillé.Alorsj’ai

commencé, lesmains fébriles, àm’attaquer aux boutons de sa chemise. Il s’en est débarrassé et s’estpenchéversmoi.Ilavaitlesépauleslarges,lapeaubronzée,etdesabdosàfairemourird’envieleplussplendidedestop-modèles.Mesmainssontpourtantdescendues…plusbas.

Undoigtdanslaceinturedesonjean,jel’aiattiréàmoi.J’avaisbeaum’yattendre,lepremiercontactdesapeausurlamienneaprovoquéunedéflagration

dontlesouffles’estimmédiatementpropagéentrenous.Après,lalenteurn’aplusétéqu’unconcept.Mon dos a heurté le mur et, tandis que sa main s’enfonçait dans mes cheveux, sa bouche s’est

écraséesurlamienne.Cebaisern’avaitplusriendedélicat.Legarçonquiavaitsuivilecontourdemontatouageavectantdedouceurtoutàl’heurevenaitd’êtreremplacéparunebruteaffamée,dontlesmainsmeclouaientaumuralorsquesabouchemedévorait.Jemesuisabandonnée,accrochéeàsoncou,aveclamêmevoracité.

J’aiprotestéquandils’estécarté,avantdecomprendrequec’étaitpourmehisseràsahauteur.J’aiaussitôtnouélesjambesautourdeluiet,d’uncoupdereins,ilm’aplaquéecontrelaporte.J’aienfoncélesmainsdanssescheveux.

Seslèvresontglissésurmagorge,maisjen’étaispasassezhautpourqu’ellesatteignentl’endroitquenousespérions tous lesdeux.Alors il apivotéet, aprèsm’avoirallongée sur la tableque j’avaisaperçueenentrant,ils’estpenchépours’emparerd’undemesseins.

Jemesuiscambrée;ducoup,ilaglissélesmainssousmatailleet,maintenuedanscetteposition,offerteàsescaresses,etsonregard,unevaguedeplaisir,d’unerareintensité,m’atranspercée.

—S’ilteplaît!l’ai-jesuppliéenessayantdel’attirer.Ilacontinué,commesijen’avaisriendit,àmeparcourirdebaisers.Jeluiaisoulevélementon.—Jecroyaisquetunepouvaispasmedirenon?Ilm’aembrasséeencoreunefoisavantderépondre:—Jen’aipasfinid’explorercetendroit.Cettefois,jel’aiobligéàresteràmahauteur.—Tul’explorerasplustard.Sonsourireétaitàtomber.—J’aimebienquandtumesupplies.J’aitirésonvisageau-dessusdumien.—Etmoi,ai-jecommencécontreseslèvres,j’aimebienquandtucraques.Ilm’aredressée,etnousnoussommesretrouvésaumilieudesonsalon.Lesjambesautourdelui,je

ledominais,pourunefois,d’unetête.J’airepoussélesmèchesquitombaientsursonfrontetplongémonregarddanslesien.

Ilétaitbeau,vraimenttrèsbeau.J’étaissortieavecbeaucoupdebeauxmecs,dansmavie,maisillessurpassaittous.Ilavaitl’aird’unestardecinéma.Éblouissant.Inaccessible.

Justepourmeprouverqu’ilnel’étaitpas,j’aiposélesdoigtssurseslèvres.Ilétaitàmoi,aumoinscettenuit,etj’étaisdécidéeàenprofiter.

—J’aienviedetoi,ai-jemurmurésanslequitterdesyeux.Combiendefoisvas-tum’obligeràtesupplier?

Ils’estdirigéversuneportequej’espéraisêtrecelledesachambre.—Celle-cisuffira.

27

Cade

Elle était allongée sur mon lit, tellement magnifique que j’aurais pul’embrasserjusqu’àl’aube,sinousavionsétécapablesd’enresterlà;maisj’étais aussi impatient qu’elle.Alors, jeme suis écarté pour faire glissersonshortlelongdesesjambes.Seshanchesétaientparfaites,sescuissesétaient parfaites, et le minuscule slip de dentelle noire assorti à sonsoutien-gorgedisparuétaitaussiparfait.

Matâcheachevée,au lieudeme laisser revenirverselle,ellem’aobligéàmemettredeboutaupied du lit. À genoux devant moi, elle s’est alors mise, avec une lueur malicieuse dans les yeux, àdéboutonnermonjean.Jemesuisefforcédegarderlatêtefroide,maisquandmonpantalonetmonboxerse sont retrouvés par terre, j’ai compris que c’était perdu. Sa bouche était divine, et j’avais beaumerécitertouteslestablesdemultiplication,j’avaislatêtequitournait.

—MonDieu,Max!Avec un grognement sourd, j’ai enfoncé lesmains dans ses cheveux. Je ne savais pas ce que je

désiraisleplus.D’uncôté, jerêvaisdeprendretoutnotretemps,etdel’autre, jen’avaisqu’uneseuleidéeentête.Nousn’aurionsqu’àtoutreprendredezéro…ensuite.

Elleétaittellementbellequej’avaisdumalàrespirer.Elles’estassisesurlelitetareculéverslescoussins.J’étaisprêtàlarejoindre,maisjemesuisobligéàprendreunpréservatifdansletiroirdematable de nuit. Je l’ai enfilé, puis je suis venu au-dessus d’elle. Sachant la déflagration qui allait nousemporter,jemesuisimmobilisé.Elleafermélesyeux.Jemesuispenchéet,embrassantlalèvrequ’ellemordillait,jemesuislaisséguiderauparadis.

J’aicommencédoucement,parcequejevoulaisgraverdansmamémoirechaquesensation.Jeluiaipris lesmains et, alors que nos doigts s’enlaçaient, jeme suis enfoncé un peu plus. Elle a ouvert labouche,dansuncrisilencieux,etrejetélatêteenarrière.Etj’airecommencé,unpeuplusfort.

Elle s’estmordu la lèvre, laissantéchapperun infimesoupir.Àchaquemouvement, ses réactionsétaientunpeumoinscontenues.Lorsqu’elleacriémonprénom,j’aifaillilâcherpriseetjemesuisforcéàralentir.

—Max.Elle a ouvert les yeux et m’a regardé à travers ses cils. Je l’ai embrassée sur le front, et ses

paupièressesontrefermées.—Max,regarde-moi.Elleagémi,maisaccepté,et,àpartirdelà,elleagardélesyeuxouverts.Ilyavaittantdeplaisir,dedésir,debeautédanssonregardquej’avaisl’impressionquel’univers

s’étiraitpouraccueillirunpeuplus,unpeumieux,toutelapuissancedecequenouspartagions.J’aivudanssonregardl’émerveillementquej’éprouvais.Puisj’aivu,presqueaussitôt,lapeur.

Devinantcequipouvaitlarassurer,j’aibasculépourqu’ellesoitau-dessusdemoi.Quandelleaouvertlesyeux,sapeuravaitdisparu.Elleasouriet, lesdeuxmainsàplatsurmon

ventre,elles’estmiseàbouger.—J’airêvédetoi,unefois,exactementcommeça.NomdeDieu!J’aidûlaprendreparleshanchespourl’obligeràs’arrêter.Elles’estpenchéepourm’embrasser,puiselles’estremiseàbouger.Elleme faisait penser aux nymphes qui peuplent les pièces deShakespeare.Ellem’offrait aussi,

libreetd’unebeautépresquesurnaturelle,letableauleplusérotiquequej’aiejamaisvu.J’étaissûrdenejamaisl’oublieretjen’allaisplustenirtrèslongtemps.

Sesmainssontrevenuessurmontorse,sesonglesm’ontéraflé,etj’aibondiverselle.Elleajetélatêteenarrièreet,enmêmetempsquesoncri,monuniverss’estdésintégréaveclesien.

Elleestretombéesurmoi,leregardvoilé.Jel’aiserréedansmesbras,et,tandisquelesderniersfrissonsdeplaisirnoustraversaient,jemesuisassissanslalâcher.

Jenesaispascombiendetempsnoussommesrestésenlacés,frontcontrefront, lesyeuxdanslesyeux.Quelquessecondes,desheuresoudesannées,toutcequejesais,c’estquejen’avaisplusenviedebouger.Noscorpss’emboîtaientparfaitement,commedeuxmorceauxd’unpuzzle.Commedeuxmoitiésd’untoutenfinréuni.

Jel’aiembrasséetoutdoucement.Jenevoulaispenserqu’àladouceurdesapeau,àl’odeurdesescheveux.Puisjel’aiattiréecontremoi,etnousnoussommesallongés,serrésl’uncontrel’autre.

28

Max

Je baignais dans un nuage de béatitude, jusqu’au moment où celui-cis’est…fissuré.

Touteslesréflexionsquej’avaistenuesàl’écartm’ontassaillie.Cademetenaitdanssesbras,etjemesentaistoutàlafoisensécurité,détendue,et…prisonnière.

Le sexe nem’avait jamais fait cet effet-là. C’était d’habitude une équation simple de sensationsphysiquesetderéactionschimiques.LesexeavecCadeétait…troublant.C’étaitcommeadditionnerunetunetobtenirunautrerésultatquedeux.Çanecollaitpas,ouçacollait,aucontraire,çacollait tropbien.Etçameperturbait.

Il s’est levé pour aller dans la salle de bains. J’en ai profité pour enfilermon slip et partir à larecherchedemonsoutien-gorge.Sonappartementn’avaitrienàvoiraveclemien.Ilyavaitdesphotosencadréessurlesmursetlesétagèresétaientpleinesdelivres,desouvenirsetdebibelots.Cetendroitétaitchaleureux,confortableetaccueillant.Exactementcommelui.

Ettoutlecontrairedemoi.Unsentimentdemalaisem’aenvahie.Je l’ai repousséet jesuis retournéedans lachambresur la

pointe des pieds. Mais là, mes nerfs ont recommencé à flancher. Les yeux sur le lit défait, j’étaisincapabledemerésoudreàyretourner.

Cadeétaitmerveilleux,incroyablementmerveilleux,etcettesoiréeavaitétél’unedesplusintenses,pournepasdirelaplusintense,detoutemonexistence.

C’étaittoutleproblème.Onseconnaissaitdepuisdixjoursetpersonnenem’avaitjamaisregardéecommeça,aprèsl’amour.

Jen’étaismêmepascapablededirecequeceregardm’avaitfait.Sinonqu’ilm’avaitanéantie,complètement.Ilétaitsisincère,ettellement…profond,qu’àcôtédelui,toutlerestedemaviesemblaitartificiel

etdérisoire.Toutchangeait tropvite.Encoremaintenant, j’ai levertigerienqued’ypenser.Commesiquelquechoseenmois’étaitdésintégrétroprapidement.

J’aisursautéquandsesbrassesontreferméssurmataille,etj’aifrémiquandilm’aserréecontreluienm’embrassantdanslecou.Cecontactn’apassuffiàbalayermesangoisses;jelessentaisencore,tapies,prêtesàmesauterà lagorge.Pourtant, j’étaisbiendanssesbras,alors jemesuis laisséeallercontrelui.

—Jet’aiditàquelpointtuesbelle?a-t-ilmurmuréàmonoreille.Magorges’estnouée.—Pasdepuisquelquesminutes.—Mmm…Sabarbenaissantemechatouillaitlanuque.—Tuesmerveilleuse,etcequicompte,a-t-ilcontinué,c’estquetulesaches.Ilétaittropbienpourmoi.C’étaitd’uneclartéaveuglante.Attentif,tendre,généreux,ilnemanquait

jamais une occasion de me rassurer, de me faire un compliment, ou de me toucher. Je n’avais pas

l’habitudedecegenred’attentions.Engénéral, je lesfuyais.Maisdesapart,ellesmefaisaient l’effetd’unepluiemiraculeusesuruneterredesséchée.

Fatiguée de réfléchir, jeme suis tournée pourme lover contre lui. Il avait passé un pantalon depyjama.Lataille,unpeulâche,flottaitsurseshancheset l’ourlet,d’oùdépassaientsesorteils, traînaitpar terre.Voirnospiedsnusfaceàfacem’atoutàcoupserré lagorge.L’intimitédenotreétreintemefaisaitpaniquer,alorsquel’idéedem’enarracherm’étaitinsupportable.

Ilm’aentraînéedanssonlitetatirélacouettesurnous.Jemesuisefforcée,pendantqu’ilpassaitunbras autour dema taille, de respirer normalement. Puis il a éteint la lumière et, dans le noir, il m’aembrasséederrièrel’oreille.J’aifrissonné.

J’avaisenviedepleurer.Parcequecen’étaitpasça,mavie.Ceschoses-lànem’arrivaientjamais,etsiellesm’arrivaient,

ellesneduraientpas.Lesfillescommemoinerestentpasavecdesgarçonscommelui.Ilmefaudraitpeut-êtreunesemaine,oudeux,maisjefiniraispartoutgâcher.J’étaistrèsdouéepour

ladémolition.La seule choseque je faisais bien, c’est chanter.Et vu cequi s’était passé avecMace,aujourd’hui,j’étaisenpassededétruireçaaussi.

Jenemefaisaisaucuneconfiance.Deuxsemainesplus tôt, j’étaisencorecomplètementdinguedeMace,entoutcasassezmorduepouréchafaudercescénarioultra-compliquédansleseulbutd’empêchermesparentsdelefairefuir.Ettoutd’uncoup,commeaprèsunrêveanodin,jemesouciaisdeluicommed’uneguigne.

C’étaitcommeçaquejefonctionnaisou,plusexactement,quejenefonctionnaispas.Je ne pouvais pas faire ce plan-là à Cade. Que se passerait-il si je sortais avec lui, qu’on

s’installait,etqu’unbeau jour,parcequ’une lubiem’auraitprise, j’avaisenviede toutplaquer?Étantdonnél’estimequej’avaispourlui,j’étaiscapabledesacrifiermonbonheuretmalibertépouréviterdele faire souffrir. Ce serait comme toutes ces années où j’avais joué à être Alex pour éviter de fairesouffrirmesparents.Maisaulieud’unecouleurdecheveuxoud’unrôledepom-pomgirl,cettecomédie-ciimpliqueraitdesgossesetunpavillondebanlieue.

Jemeconnaissais assezpour savoirque j’étais capable, si jem’autorisaisquoiquece soit avecCade,deruinermaviepournepasgâcherlasienne.

Àmoinsquejenesabotetout,parcequej’enétais,toutsimplement,capableaussi.Àmoinsquejen’aierienàruiner?CadeseremettaitdesonhistoiremalheureuseaveccetteBliss;

je n’étais, après tout, qu’une phase de transition, un lot de consolation, destiné à lui faire oublier cetéchec.

Danscombiendetempsallait-ils’apercevoirquejen’étaispascellequ’ilvoulait?Etquandilleverrait,jusqu’àquelpointensouffrirais-je?

J’avaisenviedevomir.J’aiattenduet,quandj’aiétésûrequ’ildormait,jemesuisglisséehorsdulit.Jecroyaisavoirseulementbesoind’unpeud’air,maisàlasecondeoùilnem’aplustouchée,mon

poulss’estemballé.Fuis,fuis,fuis,medisait-il.JemesuistournéeversCadeet,aprèsundernierregardsursonbeauvisageendormi,c’estexactementcequej’aifait.

Jemesuishabillée,j’aiattrapémeschaussures,monsacàmain,etjemesuisglisséedehorsaussisilencieusementquepossible.

Saufque, sur lepalier, jeme suis renducomptequ’il était presquequatreheuresdumatin. Jenepouvaispassortirtouteseuledanscequartier.

Alorsj’aiappeléSpencerpourqu’ilviennemechercher.Iln’habitaitpasloinetilavaitunevoiture.Malgrél’heurematinale,ilatoutdesuitedécroché.Ausondesavoix,j’aisoupirédesoulagement,etles

larmesmesontmontéesauxyeux.Merde.—Jesuisdésoléedeteréveiller,Spence,maisj’aibesoindetonaide.Tupeuxvenirmechercher?Iln’étaitpasbienréveillé,maisiln’apashésitéuneseconde.—Oui,biensûr.Oùes-tu?Jeluiaidonnél’adresse,ilm’aditqu’ilarrivaitdansdixminutesetj’airaccroché.C’étaitignobledepartirsansunmot,maissic’étaitpouréviterpire,était-cevraimentsigrave?Jedevaism’en tenir à ce que je savais.Cademéritaitmieuxquemoi. Il avait besoind’une fille

capabledeluirendretoutel’attention,toutelatendresseettoutelagénérositéqu’ilavaitàluioffrir.Cequi n’était pas mon cas. Je ne pouvais pas le rendre heureux. Je ne pouvais pas me donner aussicomplètement à lui, parce que j’étais en mille morceaux et qu’il me manquait des pièces. Une enparticulierétait restéesurcette routeetenterréeavecmasœur.D’autresétaientseméesunpeupartoutdanscetteville.Jenevoulaispasqu’ilaillelesramasser.

Jemesuisassiseenhautdel’escalieretj’aiserrélesjambescontremoi.Jenevoulaispasflancher,alors,latêtesurmesgenoux,j’airetenumonsouffle.Maisj’avaisbeaumeraidir,jenepouvaisoublierla façon dont il m’avait tenue dans ses bras, cette nuit, et chezmoi, quand j’avais tant eu besoin deréconfort.

Etj’aicraqué.Pourlapremièrefoisenneufans–lapremièrefoisdepuislamortd’Alex–,jen’aipasréussiàretenirleslarmesquimebrouillaientlavue.J’aiéclatéensanglotsetellessesontmisesàcouler,couler.Despansentiersdemonuniverss’effondraient.J’aibiententédemeressaisir,maisj’enétais incapable.Après tout, ilétaitquatreheuresdumatin,et iln’yavaitpersonnepourassisteràmonnaufrage.Sijem’interdisaisdepleurermaintenant,quandleferais-je?

Alors,envahiedechagrin,j’aiditadieuauxinstantsmerveilleuxquej’avaisvécuspendantquelquesheures;desinstantsd’autantplusmagiquesquejen’auraisjamaisdûlesvivre.

Laportedel’immeubleaclaquéetdeséclatsderire,suivisdepasprécipités,sontmontésjusqu’àmoi.Jen’aipaseuletempsd’essuyermeslarmes.Aupieddel’escalier,Miloetunejoliefille,levaientlesyeuxversmoi.

J’ai baissé la tête etme suis poussée contre lemur pour les laisser passer.La fille ne s’est pasarrêtée,maisMilos’estassisàcôtédemoi.

J’aipincéleslèvresettâchéderespirernormalement.—Max,c’estbiença?J’aiopinéetilm’adévisagée.Jedevaisavoirl’aird’unevraieloque,carilasoupiré.—Tuluiaslaisséunmot,aumoins?J’aiécarquillélesyeux.—Ben quoi ? Tu es là, à quatre heures dumatin, en train de pleurer, tes chaussures à lamain.

CommeCadeneferaitpasdemalàunemoucheetqu’ilnelaisseraitjamaispersonne,enpleursoupas,sursonpalier,pasbesoind’êtreEinsteinpourcomprendrequetufilesendouce.Jetedemandeseulementsituluiasditpourquoi.

Etdirequejepensaisavoirtouchélefond…Jem’étaistrompée.Montéléphoneabipé.Spencer.C’étaitignoble,etjelesavais,maisjen’allaispaschangerd’avis.—Dis-luiquejesuisdésolée.Puisjemesuislevéeetj’aidévalél’escalier,laissantderrièremoilameilleurechosequipouvait

m’arriver.

Iln’apastéléphoné.Jenevoulaispasqu’illefasse,maisj’avaiscru…Qu’est-cequej’avaiscru?Ilneretenaitpaslesgens.Ilmel’avaitdit.Ilnes’étaitpasbattupourBliss,ilnesebattraitpaspour

moi.Sij’étaisparfaitementsincère,unepartiedemoiavaitcomptélà-dessus.Parceque,s’ilétaitvenumechercher,jenesuispascertainequej’auraispurésister.

C’étaitdoncmieuxcommeça.Jedevaism’enconvaincre.Sinon,jen’avaisaucuneraisondemelever.Jenousrendaisservice.Àtouslesdeux.C’estdecettefaçon,enmerépétantcediscours,etenm’occupantlemieuxpossible,quej’ailaissé

letempspasser.Jen’avaisrienditàmesparentsdema«rupture»avecCade.Detoutefaçon,çan’auraitpaschangé

grand-chose.Letempsquejetrouvelaforced’appelermamère,elleavaitdéjàprisnosbillets.Jemesuisditquejetrouveraisuneexcuseenarrivantchezeux.Jeraconteraisqu’ilétaitmalade,

qu’ilavaiteuunempêchement,outropdetravail.Jepouvaisaussi leurdire lavérité,aupointoùj’enétais…

Touts’écroulait.Noëlapprochait,nousn’avionsplusdebatteur,etmesparentsallaientmecouperlesvivres.

LeplusimportantétaitderemplacerMaceetdecaserunmaximumderépétitionsavantlesfêtes.Iln’yavaitplusquelamusiquequicomptait.

29

Cade

Quand j’ai ouvert les yeux, elle n’était plus à côté demoi. Et la placequ’elleauraitdûoccuperétaitfroide.J’aicompristoutdesuite.Quandons’était couché, déjà, sa docilité m’avait paru étrange. Sans parler de lafaçondontelles’étaitblottiecontremoi, justeavant.Elleavaitbeauêtredansmesbras,jel’avaissentieailleurs;etmaintenant,elles’étaitenvolée.J’avaisbeauenêtresûr,jemesuisquandmêmelevépourvérifierdanslasalledebains.

Ellen’yétaitpas.Nidanslesalonnidanslacuisine.Jel’aiappelée,commesisonprénomavaiteulepouvoirdelafaireréapparaître.Raté.Jesuisretournédansmachambre,unpeusonné,maispasvraimentsurpris.J’auraisdûécoutermes

intuitions.Ilsuffisaitdelaregarderpourcomprendreàquelpointnousétionsdifférents.J’avaiséténaïfdecroirequ’ellepouvait secontenterd’un typecommemoi, et je l’étaisencoreplusd’essayerdemeconvaincre qu’il ne s’agissait que d’une attirance physique. C’était bien plus. Et j’en avais assez debradermoncœurpourlerécupérerensuiteenbouillie.

J’aifinipararracherlesdrapsdemonlit.Ilsavaientgardésonodeuretjerefusaisderevivrecequejem’étaisinfligéavecBliss.Maxnevoulaitpasdemoi?Parfait.

J’évitaisprobablementlepire.J’airefaitmonlitposément,j’aividémonpanieràlingepourymettrelesdraps,puisj’airegardé

monréveil.Septheuresvingtetunedumatin.LeLavomaticétaitouvert.Tantmieux.Plusviteelleseraithorsdemavie,mieuxceserait.Jedevaisavancer.Ilsuffisaitde

poserunpieddevantl’autre.Maisoùétaitpasséemafichuelessive?Pasdanslasalledebains,àsaplacehabituelle.Nidanslacuisine.J’ai fouillé lesplacardsdemachambre, ledoset lanuquedeplusenplus raides,pour finirpar

regardersousmonlitetdécouvrir…lescollantsdeMax.Jelesairamassésetregardésbêtement.Macolèreflanchait,toutàcoup.Etmoiavec.Jevoulaisles

jeteràlapoubelle,jevoulaislesluirendre,lesgarder;jevoulais,jevoulais…unmilliondetrucs,tousinutiles,parcequ’ellenevoulaitpasdemoi.

Malampedechevetafaitlesfraisdemarage.Jel’airegardéeexplosercontrelemurenregrettantdenepasêtreàsaplace.Aumoinsaurais-jesuoùçafaisaitmal,tandisquelà…jen’éprouvaisaucun

soulagement.C’étaitmêmepire.Jemesentaiscomplètementperduet,aufildesheures,encoreplusseulqu’avant.J’aipassé la semaine suivanteà fuirmonappartement.Chaque foisque jeposais lamain surma

porte, que j’approchais de la table, ou que j’entrais dansma chambre, je la voyais. Si j’essayais dem’allonger,jesentais,malgrélesdrapspropres,sonodeursurmonoreiller,àmoins–cequirevenaitaumême–quesonsouvenirsoitsibienincrustédansmamémoirequej’avaisl’impressiondelasentir;etsijetentaisdedormir,sonimagemehantaitdèsquejefermaislesyeux.

Unenuitavaitsuffiàrendremonappartementinvivable.Alorsjepassaisdesheuresàlabibliothèque,jetraînaisàlafaclongtempsaprèslescoursetj’étais

lepremieràmeportervolontairedèsqu’onavaitbesoind’uncoupdemainaudépartementthéâtre.Tucherchesquelqu’unpourtriercesarchivesquepersonnen’atouchéesdepuisunsiècle?Pas

deproblème!Besoind’aidepourrédigercerapport?Jesuislà!Ilsuffiraitque jem’occupesuffisammentpournepaspenseràelle,c’étaiten toutcas l’idée.Car

Maxneselaissaitpasfacilementévincer.Malgrétousmesefforts,ellesurgissaitàl’improvistedansmespensées.Etlesvacancesapprochaient.Etjen’auraisbientôtplusrienpourmedistraire.Jepréféraisnepasypenser.

Un soir, tandis que je rentrais chezmoi après l’une de ces journées déprimantes, j’ai découvertMilo,affalésurmoncanapé,entraindeviderundemespaquetsdechips.JeneluiavaisrienditdemonfiascoavecMax.

—Jenet’aipasdonnémesclefspourquetuviennespiocherdansmesplacards,luiai-jedit.Ilaengloutilesdernièresmiettesetfroissélepaquetdanssamain.—Çafaitunesemainequetuasdisparu,Winston.Qu’est-cequetufiches?J’aijetémonsacsurunfauteuiletmesuisdébarrassédemonmanteau.S’ilavaitl’intentiondeme

traînerenboîte,ouailleurs,ilperdaitsontemps.—Riendespécial,ai-jeréponduenhaussantlesépaules.Ils’estlevé,maisilnem’apassuividanslacuisine.—Çava?J’aisortiunverreduplacard.—Oui.Pourquoicettequestion?—Jel’aivue,Cade.J’aifaillienlâchermonverre.—Qui?ai-jefeintbêtement,cachéparlaportedufrigoquejevenaisd’ouvrir.—Cessedejouerlacomédieavecmoi,hermano.J’aisortilacarafed’eauetmesuisserviunverre,lesmainstremblantes.—Quellecomédie?Onacouché,elleestpartie,c’esttout.—C’esttout?Tutefichesdemoi?J’aisoupiré.—Ok.Qu’est-cequetuveuxsavoir?J’aibuunegorgéeetposémonverresurlecomptoir.Ilahaussélesépaules.—Tupourrais commencerparme raconter comment c’était !Eh, je plaisante ! s’est-il empressé

d’ajouterenseréfugiantsurlecanapé.J’avaisbondisurlui,etsonbrastendum’aarrêté.J’avaislesoreillesquibourdonnaient.—Jecroisquejeviensdeprouverquecen’estpastout.

Jel’airegardé,unpeuinterloqué,ettoutd’uncoup,j’aicraqué.—Tuveuxquejetedisequejesuislaminé?ai-jepresquehurlé.Parfait!Jesuislaminé.Maissitu

croisquetuvasmefaireavalertesfoutusshots,tupeuxterhabiller!—Enfin!s’est-ilexclamé,ravi.Ilétaittempsquetutemettesencolère,monvieux.Jemesentais,eneffet,nettementmieux.—Attendsunpeuavantdeteréjouir,jepourraisavoirdumalàmecontrôler.Ilasouriavantdeserasseoir,plussérieux.—Tuascherchéàlarevoir?J’aiinspiré,puisexpiré,maisçan’afaitquemerappelerMax.—Non.Pourquoifaire?—Pourquoifaire?Pourluidired’arrêtersesconneries,parexemple.Commejesuisvenutedire

d’arrêterlestiennes.—Lesmiennes?J’aisecouélatête.—Sondépartestassezclair,tunecroispas?Ellesavaitquejen’iraispaslachercher,jeluiavaisditquecen’étaitpasmongenre.Etelleétait

quandmêmepartie.Cequiprouvait,defaçonaveuglante,qu’ellenevoulaitpasdemoi.Laconversation,demonpointdevue, s’arrêtait là. Je suis retournédans lacuisine terminermon

verred’eau.—Ellepleurait,Cade.J’aitoutrecraché.—Pardon?Miloétaitdevantmoi,l’airgrave.J’avaiscertainementmalcompris.—C’estpourçaquejesuislà,a-t-ilpoursuivi.Jet’aicherchétoutelasemainepourteraconterque

jel’avaiscroiséesurtonpalier.Elleétaitlà,assiseparterre,etcomplètementenvrac.Elleavaitl’airdepleurerdepuisunmoment,tupeuxmecroire.

J’ai sentimagorge senouer. J’avais, plusque jamais, enviede la revoir, de la consoler, tout ensachantquec’étaitmoi,sonproblème.

—Ellet’aditquelquechose?—Seulementqu’elleétaitdésolée.Jemesuiseffondrésurmoncanapé,levisageentremesmains.— Je ne sais pas ce qui se passe entre vous, a continuéMilo,mais ce n’est pas rien.Les filles

commeellenepleurentpaspourdesbroutilles.Jesentaistousmesespoirsrenaître,maisjerefusaisdelesencourager.Sijemebattaispourelleetquejeperdais…jenepourraispaslesupporter.Resteravecmoiétait

au-dessusdesesforces.Allerlachercherétaitau-dessusdesmiennes.Nousétionsprisonniersdenous-mêmes,denoshistoires,et,pourunefois,jedevaispenseràmoi.

—Turéfléchistrop,m’aditMilo.Jenesuispasentraindetedirequetudoistatouersonnomsurtonderrièreoulademanderenmariage.Tudoisseulementluiparler,outuleregretterastoutetavie.

Sij’avaisréfléchiunpeuplusavantdel’amenerchezmoi,jen’enseraispeut-êtrepaslà.Etpuis,ses larmes ne voulaient pas dire qu’elle avait des sentiments pour moi. Elle pleurait peut-être parcequ’elle se sentait coupable. Si me quitter lui avait fait tellement mal, elle serait revenue. Elle auraitappelé,envoyéuntexto.Elleauraitfait…quelquechose.

—Jedoispartir,Milo.Lesgossesm’attendent.

C’étaitl’antidoteparfait.Laplupartdecesgaminsavaientdesproblèmesbienplusgravesquelesmiensetilssebattaientpours’ensortir.Leurénergieallaitmetirerdel’auto-apitoiementdanslequeljem’enfonçais. Il était tempsque jeme secoue,moi aussi, au lieude rêver l’impossible avecMax.Quej’affronte,commeeux,lavraievie.

—Tuescomplètementstupide,hermano.Aucontraire,c’étaitlaseulebonnedécision.

30

Max

C’étaitdugrandn’importequoi.J’avais réussi à me convaincre du contraire, mais arrivée devant sa porte, je me suis vraiment

demandécequejefaisaislà.J’avaisunebonneraisondevenir:lesbilletsquevenaientdem’envoyermesparents;jem’étaisdit

que je pouvais lui donner le sien. Sauf que ce n’était qu’un prétexte. En vérité, j’étais obnubilée parl’envie de le revoir. Et j’avais, du même coup, oublié un détail. Je ne m’étais même pas demandécommentçarisquaitdesepasser.

Mal,évidemment.Jen’avaispasnonpluspris le tempsde téléphoner. Il allaitm’envouloiret jen’étaispasdouée

pourlesdisputes.Lescris,c’estbonquandonsesentconcerné;jem’étaisfaitunerègledenejamaisl’être.

Alorspourquoilapossibilitéqu’ilpuissenepasêtreencolère–qu’ils’enfichemêmecarrément–m’inquiétait-elletellement?

J’ai levé lamain et, avant de changer d’avis, j’ai frappé.Mon cœur cognait commeun sourd, etj’avaislabouchedesséchée.

J’allaislevoir.J’enavaislesjambesflageolantes.Àcroirequejel’avaisdanslapeau.Jerevoyaissonsourire,son

regard,sesmains,commesions’étaitquittélaveille.Pasunesemaineplustôt.Unesemaineaucoursdelaquellej’avaiscomplètementperdulespédales.Jen’arrivaismêmeplusà

savoircequejevoulais.Penseràluiétaitlaseuleactivitéquim’apaisait.J’avaisbesoindelevoir.Pourpasseràautrechose.Sij’étaissûrequ’ilallaitbien,j’arrêteraisde

mesentircoupableetdemedemandersij’avaisfaituneerreur.Auboutdequelquessecondes,j’airecommencéàfrapper.Pasderéponse,etaucunbruitderrièrelaporte.Iln’étaitpaschezlui.Toutematensions’estrelâchéed’uncoup.J’hésitais,partagéeentrelesoulagementetladéception,quandj’aientendudespasdansl’escalier.

Jemesuisretournéesivitequej’aifaillitomber.C’étaitsonvoisin.Milo.Celuiquiavaitassistéàmadébâcle,unesemaineplustôt.Jel’airegardé,bêtement.—Je…heu…Ilalevélamain.—Tun’aspasbesoindet’expliquer.Heureusement,parceque jenesavaispasquoidire. Jen’avais rienpréparé. Jem’étaisditqu’en

voyant Cade, lesmots viendraient tout seuls ou que jeme contenterais de lui donner son billet et dedétaler.Etjem’apercevais,soudain,quejenesavaismêmepascequej’attendaisdecetterencontre.

Jemesuiséclaircilagorgeet,enévitantdecroisersonregard,jemesuislancée.—Ilest…Heu…Commentva-t-il?Milos’estappuyécontrelemur.—Bien.Trèsbien,enfait.—Ah!Qu’est-cequim’avaitprisdevenirici?J’étaistellementmalquej’avaisenviededisparaître.J’ai

avancéversl’escalier,maisMilom’abarrélepassage.—Tudevraisleluidemanderdirectement.Ilestsurlecampus,aucentredeloisir.Jenepouvaispasyaller.—Pasgrave,jeleverraiuneautrefois.Ilaéclatéderire.—Çam’étonnerait!Situn’yvaspasmaintenant,tun’irasjamais.—Qu’est-cequetuensais?—J’ensaisassezpoursavoircequeçat’acoûtédevenirjusqu’ici.Tunerecommenceraspas.Sonsourireavaitquelquechosed’agaçant.—Tupeuxmecroire,a-t-ilrepris,jesuisdéjàpasséparlà.Ilétaittellementsûrdeluiquej’étaissurprisedenepaslevoirgonflerd’orgueiletéclater.—Parlepourtoi,ai-jerépliqué.J’étaisseulementvenueluiapporteruntrucquiluiappartient.Ilavaitl’aird’endouter,etjen’étaispascertainedemecroiremoi-même.—Jerepasserai.Jesuispasséedevantluietj’aidévalél’escalier.Pourtant,danslarue,aulieudepartirverslemétro,jemesuisdirigéeverslecampus.J’avaispeut-

êtrefaitlamalignedevantMilo,maisilavaitraison.Sijen’yallaispasmaintenant,jen’iraisjamais.Detoutefaçon,j’avaistoutlecheminpourrassemblermoncourageoubien…changerd’avis.

Lecentredeloisirétaitfacileàtrouver.DénicherCade,enrevanche,étaituneautrehistoire.Ilyavaitdesmilliersdegosses,detouslesâges,detouslesstylesetdetouteslesorigines,répartis

dansdesdizainesdesalles. Ici, ils jouaientauxéchecs,ailleursaubasket ;plus loin, ilssuivaientdescours de danse ou de kung-fu. Le bâtiment résonnait de rires et de cris. Un groupe de gamins m’adépasséeenhurlant,manquantdeme renverser aupassage. Je les ai suivisdesyeuxen souriant,pourdécouvrirqueleurspastumultueuxlesconduisaientversCade.

Ilsetenaitaumilieud’unenuéed’enfantsencompagnied’unejolieblondeetportait,commeelle,unT-shirtrouge,audosduquelétaitinscritANIMATEUR.Lesgossesétaientsuspendusàleurslèvres.

Cade, un bras tendu en avant, étirait l’autre en arrière. SonT-shirt était juste assezmoulant pourdessinerparfaitementsesépaulesetsondos.Ilavaitl’airenforme,maisjenem’attendaispasauchocquej’airessentienlevoyant.Jen’avaismêmepasbesoindefermerlesyeuxpourmesouvenirdechaquedétaildesasilhouette.

Ilabaissélesbras.—Bien, a-t-il dit,maintenantqu’on abien étirénosbras et nos jambes, passons auxmusclesdu

visage.Uncomédiendoitêtreexpressif.Oncommenceparlatêtedecitron.Imaginezquevousvenezdegoûterlecitronleplusacidedetoutel’histoiredel’humanité.

Lesgossesontpincéleslèvresetplissélesyeux.Cadeafaitletourdugroupeenfaisantlagrimaceaveceux.

Ils’estarrêtédevantungarçond’àpeuprèsseptansparticulièrementconcentrésursonexercice.—Ilestvraimentacide,toncitron,hein,Jamal?Legaminahochélatêteensautantd’unpiedsurl’autre.—Oh,oui,M’sieurCade,drôlementacide.J’airetenuunéclatderire.—Bon,maintenant,vousêtestellementénervésparl’aciditédececitronquevousrugissezcomme

deslions.Lesgaminsont tousouvert la bouche enmême temps.Dansune clameur assourdissante, les yeux

écarquillés et les poings serrés, ils avaient quelque chose d’effrayant, un peu comme dans un filmd’horreur.L’effetétaitvraimentspectaculaire.

Cade,couvrantleursvoix,s’estalorsmisàcrier:«Citron!Lion!Citron!»,etlesenfants,suivantsesordres,ontenchaînélesmimiques,deplusenplusvite,enessayantdenepassetromper.

Cades’esttournéverssacoéquipière,unsourireamuséauxlèvres.Elleluiaréponduaveccetairqu’onttouteslesfillesquandungarçonleurplaît,avantdeluidonneruncoupd’épaulecomplice.

J’aisentilesolsedérobersousmespieds.Milom’avaitditqu’ilallaitbien.Trèsbienmême.C’étaitpeut-êtreàçaqu’ilpensaitquandilavaitinsistépourquejevienne.J’airegardélablondeenmedemandantcommentellepouvaitbiens’appeler.Et puis j’ai compris que j’avais eu tort de venir.C’était son univers, lumineux, plein de rires et

d’enthousiasme, et je n’y avais pasma place. C’était pour cette raison que j’étais partie de chez lui.Qu’est-cequej’avaiscruenvenantici?

Quenousredeviendrionsamis,commes’ilnes’étaitrienpassé?Que nous tomberions dans les bras l’un de l’autre ? Que toutes nos différences, nos casseroles,

disparaîtraient,parceque…Parcequequoi,aujuste?Parcequ’ilmemanquait?J’étaisvraimentstupide.J’ai reposé lesyeux sur lui.Son sourire était si beauque j’enavaismal. J’allais fairedemi-tour

quandilm’aaperçue.Il a cligné des yeux, comme s’il avait la berlue, et son sourire s’est effacé.C’était le signal que

j’attendais,lapreuvequ’iln’avaitpasenviedemevoir.Jemesuisdétournéeaumomentoùildisait:—Tupeuxmeremplaceruneminute,Amy?J’aifoncéentredeuxtablesdejoueursd’échecs.—Max!J’aifranchi,sansralentir,lesgrandesportesquidonnaientsurl’avenue.—Max!Aulieudetraverser,j’aitournésurBroadStreetet,parcequ’ilyavaitdumonde,j’aicontinuéd’un

paspluscalme.Quandilarépétémonprénom,justederrièremoi,laproximitédesavoixm’afaitfrissonner.—Max.J’allaisleregretter,maisjen’avaispaslaforcedemeremettreàcourir.Alors,meforçantàfaire

bonnefigure,jemesuistournée.—Salut,Cade.—Qu’est-cequetufaislà?Enpleindanslemille.J’aifouillédansmonsac,soulagéed’avoiraumoinscetteréponse.—Jesuisvenuetedonnerça.Milom’aditquetuétaislà.

Jeluiaitendul’enveloppeenretirantmamain.— Mes parents ont acheté les billets d’avion. Ils ne sont pas remboursables, mais ils sont

échangeables,alorsjemesuisditquetupourraischangerletienpourallerdirectementcheztoi.Ilaàpeineregardél’enveloppe.Ils’estcontentédemedévisager,lesmâchoiresserrées.—C’esttout?J’airevulablondesecolleràlui.C’étaitladeuxièmeblondeaveclaquellejelevoyais–desfilles

beaucoupplussongenre.Cedétourprouvaitaumoinsquej’avaisraison.—C’esttout,ai-jerépondu.—Alorspourquoies-tupartieencourant?J’avaiscouru,vraiment?Quelleidiote!Seulement,j’étaissurlepointdefairequelquechosedeplusidiotencore:medirequej’avaisfait

uneerreur,parexemple,oucroirequej’avaisunechance.—Parceque tuétaisoccupé,ai-je répondu. J’allaism’acheteràboireaukiosqueet revenirplus

tard.M’acheteràboireencourantcommeunedératée?Bravo,Max.—Maisjeneveuxpasteretenir,lesjeunest’attendent.EtAmy.Quej’auraisvolontiersétranglée.Lesilences’estétiré, et jenevoyaispasquoidirepourmedépêtrerdes lianesqui s’enroulaient

autourdenous.J’auraisdûpartiravantqu’ilsoittroptard,maisj’enétaisincapable.C’étaitpeut-êtreladernièrefoisquejelevoyais.—Jeferaismieuxd’yaller,ai-jeavancésanspourautantbouger.Mespiedsavaientdûprendreracinedanslemacadam.—Heu…c’étaitsympadeterevoir.Il me dévisageait, et je n’avais aucun mal à lire la méfiance dans son regard – comme s’il se

demandaitjusqu’àquelpointj’étaissincère.Jenepouvaispasluienvouloir.J’étais,lestroisquartsdutemps,lapremièreàmentir.N’empêchequ’il seméfiait, etqu’il seméfiaitdemoi. Jene l’avais jamaisvu commeça– et je

détestaisluiinspirercesentiment-là.Pourtant,jedevaismerendreàl’évidence:quelquesoitlelienquinousavaitrapprochés,ilavaitdisparu.

Jedevaissimplementl’accepter.Alors,j’aiaffichéungrandsourireetluiaidit:—Aurevoir,Cade.

31

Cade

—Max,attends!Jenesavaispascequej’allaisdirejusqu’aumomentoùjemesuisentendudemander:—Àquelleheureondécolle?Elle s’est retournée, un drôle d’éclat au fond des yeux. Je faisais demonmieux pour ne pasme

laisseraffecter,maisjen’yarrivaispas.Sastupeurétaitlerefletdelamienne.Je ne savais pas ce qui m’avait pris, je regrettais même ma question. Pourtant, quand elle m’a

demandé«On?»,sesgrandsyeuxbleusécarquillés,j’aipersisté:—Situveuxtoujoursquejevienne,j’ensuis.Jet’aifaitunepromesse,Max,j’ail’intentiondela

tenir.Mêmesij’encrevais.Elleacroisé lesbrasetm’adévisagé.Jemesuis forcéà resterneutre. Jenevoulaispasqu’elle

pense que c’était une ruse pour la récupérer. J’étais sincère. Si elle jugeait avoir besoin demoi pouraffrontersesparents,jen’allaispaslalaissertomber.

—Tuesprêtàfaireçapourmoi?Aulieuderéfléchiràtoutcequej’étaisprêtàfairepourelle,j’airépondu:—Onapasséunmarché.J’enferaisautantpourn’importequi.Elle a cillé, et j’aidûmemordre la languepournepas luidire lavérité.Que jen’avais aucune

enviedelalaissertomber.Nimaintenantni…jamais.—Oh!Alorsdanscecas…d’accord.Et,heu…merci.Ondécolledimanchematinàonzeheures.—Jeviendraitôt,onprendrauntaxijusqu’àl’aéroport.—D’accord.Àdimanche,alors.Jel’airegardées’éloigner,puisdisparaîtreaucoindelarue,avantderetourneràmonposte.Qualifiercequejevenaisdefairede«grandn’importequoi»étaituneuphémisme.

Les jours suivants, j’ai passé mon temps à sortir mon billet de son enveloppe. Parfois, je mecontentaisdecontempler leschiffres– ladate, l’horaire, lenumérodevol.Parfois, jem’efforçais, lesyeuxfermés,dedeviner,rienqu’enletouchant,lesintentionsdeMax.

N’était-cequ’unbilletouétait-ceunmessage?Etsic’étaitunmessage,quellesignificationluidonner?J’étaissurmoncanapéavecmonbilletquandletéléphoneasonné.Lenomsurl’écranm’aarrachéunsourire.Riendetelqu’unboncopainpourmechangerlesidées.—Salut,Rusty.Jetepréviens,situm’appellespourmedirequeturegrettestesdixans,necompte

passurmoipourteremonterlemoral.Sonéclatderireaeffacétousleskilomètresquinousséparaient.

—Pff,nem’enparlepas!Sij’avaissu,j’auraisdemandéauxprofsdenousfaireredoublerdeuxoutroisfois,onseraitencoreàlafac!

—Eh,jesuisencoreàlafac!—Endoctorat,çanecomptepas.C’estlafac2.0,leboulotenplus,larigoladeenmoins.—Parcequec’estmieuxdebosseràpleintemps?—Ah!non.Hier,unclients’estétrangléetm’acrachésoncaféenpleinefigure.Tuparlesd’une

vie!Ilaéclatéderireavantdereprendre:—Bon,maintenantquejet’aidéridé,jetranchedanslevif…J’aiapprisqueBlissallaitsemarier.

Jesuisdésolé,vieux.—Oui,j’aireçuuntasdemessagessurFacebook.Cen’estquandmêmepasunenterrement.—Commenttulevis?J’airamassélebilletd’avion.—Bien.C’étaitvrai.J’étaisbien,entoutcascôté«Bliss».—Cade…—Jevaisbien,Rusty,jet’assure.Jelesaivus,ilyauneoudeuxsemaines.C’étaitsuper-bizarre,et

surtoutdéprimant,parceque jesuisquasicertainquemonamitiéavecelleestpasséedevieà trépas.Maisçava.Enfait,j’airencontréquelqu’un.

Jen’avaisparlédeMaxàpersonneendehorsdeMilo.Elleétait commeun trésor–un trésor siprécieuxquejenevoulaispaslepartager.Cependant,ellememettaitdansuntelétatquej’avaisbesoind’enparler.

—Uneautre,hein?Àquoielleressemble?—Àunemineantipersonnel.—Jel’aimedéjà!Jen’étaispassurpris.—Voussortezensemble?—Pasvraiment.—Vousallezsortirensemble?J’airegardémonfichubillet.—Heu…passûr.—Vousêtessortisensemble,alors?—Sionveut.—Attends,jesuisunpeuperdu,là.Tuveuxoutuneveuxpassortiravecelle?— Je n’en sais rien, vieux. Je veux et je ne veux pas. Elle est incroyable, vraiment, mais elle

trimballeunsacrélotdecasseroles.Enfait,elleréussitàmedémolirencoremieuxqueBliss.—Voilàpourquoijepréfèreleshommes!—Chacunsontruc,Rusty.—Entoutcas,tontrucàtoi,cen’estpascettefille.J’ail’impressionquetusaisdéjàqu’ellen’est

pasfaitepourtoi.Je lesavais,maisçanem’empêchaitpasdepenser tout le tempsàelle. Jedevaissanscesseme

rappelercequej’avaisressentienmeréveillanttoutseulpournepasl’appeler.—Tuasraison,Rusty.Jevoudraisseulementquelavieredeviennefacile.C’étaitçaquim’avaitfaitrêvé,chezBliss.Jelesavais,maintenant:uneviesimple,agréable,sans

complication.

—Mauvaisenouvelle,Winston.Lavien’ariendesimple,saufdanslatombe.Nous avons enchaîné sur la possibilité de réunir toute la bande pour leNouvelAn,mais j’avais

l’espritailleurs.Jemedisais que j’avais passédes années à courir après la vie que j’imaginais vouloir.Unevie

tranquille,sansimprévus.Maisquicontinuaitdem’échapper.J’avaisatteintlesobjectifsquejem’étaisfixésdepuisquej’étaisgosse:desétudes,unjob,desamis…,maisçarimaitàquoi?

Envérité,rienn’empêchejamaislesgensdepartir.Riennepeutretenirquelqu’unquineveutpasrester.Laseulequestionestdesavoircequ’onestprêtàfaire,ouàrisquer,pourleretenir.Cequej’étaisprêtàfaireouàrisquer.

CommeRustydevaitpartirtravailler,nousnoussommespromisdenousrappelerrapidement.Jenesavais toujourspasceque jevoulais.Alorsque j’avaiscomptésurcetteconversationpour

m’éclairerunpeu,j’airaccrochéplusconfusquejamais.

32

Max

Je ne voulais pas penser à Cade ni à la perspective de passer quelquesjoursaveclui.J’avais tropdesoucispourmelaisserperturber.Saufqu’ilrôdaitenpermanencedansmespensées.

Ilmeminait.Avant, j’étais solide, imperturbable, froide et indépendante. Maintenant, je me sentais faible,

hésitanteetvulnérable.Jedétestaisça.Surtoutàmoinsdevingt-quatreheuresdelafindumonde–autrementdit,Noëlenfamille.Chezmoi,mesblessuresseraviveraient,parcequec’étaitlà-basqu’ellesétaientnées.J’avais,plus

quejamais,besoindemonarmure.Etlasoiréepourretrouvermadétermination.Ma mère m’avait déjà téléphoné une bonne dizaine de fois – son dernier appel avait duré si

longtempsqu’ilcomptaitpourcinq.Mon frère et sa femme, Bethany, étaient arrivés la veille. Leurs commentaires, en fond sonore,

avaientsuffiàmedonnerlanausée.Ilssuintaientlavanitéetl’arrogance.Jen’avaistoujourspasbouclémavalise.J’avaispréparédeuxpilesdevêtements:d’uncôté,ceux

quejemettaisd’habitudepourmesparents,unecollectiondepullsàcolrouléetd’écharpes;del’autre,ceuxquejeportaisicitouslesjours.JevoulaisfaireplaisiràCadeetrestermoi-même,maiscen’étaitpasunedécisionfacile.C’étaitmêmeunerévolution,decellesquiprovoquentdescataclysmes.

Arrivéedevantchezmoi,aprèsmajournéeausalondetatouage,j’aiétésurprisedetrouverlaporteverrouillée.

Jemesuisdemandé,encherchantparmimesclefscellequicorrespondait,cequiavaitdécidé lepropriétaireàintervenir.

Jemesuisfigée,laclefdevantlaserrure.Cades’enserait-ilchargé?Bienquenoussoyons…Oui,bon,laquestionn’étaitpasdesavoircequenousétionsoupas,maisquiavaitréparélaserrure.Entremonpropriétaire,notoirementdésobligeant,etGoldenBoy,laréponsen’étaitpasdifficileàtrouver.

Moncœurs’estmisàcogner.Çanevoulaitriendire.Enplus,cen’étaitpeut-êtremêmepaslui.Maissic’étaitlui?Cetteéventualitémeminaitunpeuplus.J’aisecouéla têteetmesuisconcentréesurmaclef.Quandj’aienfinréussiàouvrir–parceque

j’avaislesmainsquitremblaient–,jesuismontéeaffrontermonautreproblème,mavalise.Finalement,j’aiprisquelquescolsroulés,aucasoù,maissurtoutmesvêtementshabituels,ceuxque

Cadeapprouverait,etquejeseraispeut-êtrecapabledeporter.C’est en pensant à lui, et les nerfs en pelote, que je suis alléeme coucher. La seule chose que

j’espérais,c’étaitnepascraquer…quoiqu’ilarrive.

Matêteexplosait, j’avaisl’impressiond’êtresousl’eau.Lemondemeparaissaitsiloinettrop

brillant;leslumièresmefaisaientmal,commesij’étaisrestéelongtempsdanslenoir.Unéclairm’aaveugléeetj’aitressailli.Unvisageflottaitau-dessusdumien.Moncœurs’estdérobé.

Alex.C’étaitforcémentelle.J’aiessayédel’appeler,envain;j’avaislalanguepluslourdequ’unepierreetmeseffortspour

parlermedéchiraientlagorge;jen’airéussiqu’àproférerunmurmure.«N’essaiepasdeparler,n’abîmepastescordesvocales.»C’étaitlavoixd’unhomme,pascelled’Alex.L’universquim’entouraitavoléenéclats.J’avais

lavuebrouillée,meslèvres,poisseuses,avaientungoûtmétallique.Deux doigts se sont posés sur mon poignet, et l’homme a commencé à débiter des chiffres à

quelqu’unquejenevoyaispas.J’airemarquéalorslegrondementrégulierd’unmoteur,etcesurquoij’étaisallongées’estmisà

bougerdoucement.J’étaisdansuneambulance.Onm’emportait.Prise de panique, j’ai essayé de me redresser, mais mes épaules étaient bloquées. J’étais de

nouveauprisonnière.J’aiessayédemedébattre,maisuneviolentedouleurm’atranspercélajambe.J’aiessayédecriersansyparvenir.

Ma tête me faisait tellement mal que j’avais envie qu’elle explose pour de bon, pour ne plussentirladouleur.

Jerépétaislenomd’Alex,alorsqu’aucunsonnesortaitdemagorge.«Tuvast’ensortir,m’aditl’ambulancier,noussommesarrivésjusteàtemps.»Non,non,cen’étaitpasvrai.Ilsétaientvenustroptard.Je l’ai vu prendre une seringue, et ma vision s’est de nouveau brouillée. La panique s’est

estompée,maispaslesimages.Ilétaittroptard.

Jemesuisréveilléeennage,suffocantedansmesdrapstrempés.Mescauchemarsétaient toujours

piresetplusfréquentsàl’approchedesvacances.Maisc’étaitlepremierdepuislongtemps.J’avaisététrop préoccupée pour quemes vieux démonsmontrent leurs visages, cette année. Ils nem’avaient paspourautantabandonnée.

J’aitentédemerendormir,maislesouvenirdel’accidentétaittropvif.Chaquevoiturequipassaitdanslarue,chaquerefletdepharessurmafenêtre,mefaisaitredouterunnouveaucauchemar.

J’aifiniparmeleveret,aprèsunelonguedouche,jemesuismiseàsongeràmonséjourchezmesparents.

Monseulobjectifétaitlamusique.C’étaitmoncap,maconstante,etlaseulechosequejedevaismerappeler.SiimpatientequejesoisderevoirCade,jenepouvaismelaisserdistraire.Niparlui,niparlepassé,niparrien.

Jemesuislissélescheveux.Jenelefaisaisjamais,maisj’avaisbesoindem’occuper.Mamèrem’atéléphonédeuxfois,lapremièrepours’assurerquej’étaisréveillée,lasecondepourvérifierquej’étaisbien levée. La deuxième fois, je l’ai mise sur haut-parleur et l’ai laissée bavarder en limitant mesinterventionsàdes«oui»etdes«vraiment»occasionnels.

J’aienfiléunechemiseetmesuisregardéedanslemiroir.Mestatouagesn’étaientpasentièrementvisibles, mais ils n’étaient pas non plus complètement dissimulés. J’ai fermé les yeux en essayantd’imaginerlaréactiondemesparents.

Jeprenaismonmanteauetuneécharpequandonafrappéàlaporte.Cade.J’aidûmereteniraumur.—Uneseconde!«Penseàlamusique,mesuis-jedit,pasàlui.»J’aiprisunebonneinspirationetsuisalléeluiouvrir.Ilétaitlà,adosséaumurettellementsexyquej’aicrurêver.Maisnon.Ducoup,jemesuissentieflancher.Touteslesémotionsquej’avaissoigneusementévitéespendant

lasemainemesonttombéesdessus.J’aibiententédelesrepousser,maisellesétaienttropfortes.Jen’arrivaispasàdéchiffrersonregard,niàmefaireàlaréalitédesaprésence.J’aidûm’imposer

uneffortsurhumainpourréussiràlâcherun«salut».Aprèsquoi,moncerveauasembléseliquéfier.Ilapoussélaporteets’estavancé,lesmainsdanslespoches.Monregardestremontédesesbrasà

sesépaules,puisdesesépaulesàsamâchoire,avantquejeparvienneàletournerailleurs.Sileseulfaitdelevoirmemettaitdanscetétat,commentallais-jesurvivreàsaprésencependant

plusieursjourschezmesparents?J’aireposéprudemmentlesyeuxsurlui.Ilsouriait,commes’iln’yavaitriendecompliqué,oude

douloureux,entrenous.Commesimaprésenceneletroublaitpas.Jemouraisd’enviedeletoucher,etlui,ilétaitlà,complètementdétendu.

Tandisquejelefixais,ilafinipars’éclaircirlagorge.—Tuesprête?Ah!non,mêmepasenrêve.

33

Cade

Àl’instantoùjel’aivue,jemesuissentidévisser.Sescheveuxn’étaientplus bouclés, ni rouges, mais plus longs, magnifiquement lisses, et siblonds qu’ils en étaient presque blancs. Je me suis dit qu’elle les avaitteints pourplaire à sesparents, et çam’a serré le cœur.Maisquand elles’est écartée pour me laisser entrer et que la lumière a joué dans sesmèches, j’aivuqu’ilsn’étaientpasvraimentblonds,maisd’unviolet trèspâle.

Ellesouriaitetsemblaitsincèrementheureusedemevoir.—Tescheveuxsontmagnifiques,luiai-jedit.Ellelesavaitlégèrementrelevés,desortequelesoiseauxtatouéssursoncouétaientbienvisibles.

Satenue,sansêtreextravagante,luiressemblait,etsurtout,ellen’avaitpasl’airdéguisé.—Tum’asconseilléderestermoi-même,a-t-ellerépondu,jet’aiécouté.Jen’aipascherchéàdissimulermonsourire.Elleestalléeenfilersonmanteau.Elleavaitl’aircrispé,sansdouteàcausedesesparents.Demoncôté,partagéentrel’enviedel’embrasseretcellededéguerpirpournepasysuccomber,je

n’enmenaispaslarge.J’aioptépourlaneutralité.Saufquejenevoyaispasquoidire.Alors,plutôtqueresterlesbrasballants,jemesuisrenduutileenprenantsonsac.

Nosmains se sont effleurées. Je me suis vite écarté, mais le mal était fait. Elle s’est raidie, etdétournée.

—Tuesstressée?Ellem’aregardé,sesgrandsyeuxbleuspleinsd’interrogation.—Àcausedetesparents,jeveuxdire.Elles’estdétendue.—Oh!non,seulementaupointdemefairedestrousdansl’estomac.C’étaitbondel’entendrerire.—Riendegrave,alors.—Jedoisquandmêmeteprévenir,m’a-t-elleditenfermantsaporteàclef.Enfait,soussesairsde

sainteNitouche,mabelle-sœur,Bethany,estl’avatardel’Antéchrist.Elles’estretournéesivitequandj’aiéclatéderire,etellesemblait tellementsurprise,quejeme

suisdemandéàquoielles’attendait.Àmevoireffondré,aprèscequ’ellem’avaitfait?J’enavaismarredecetype-là.Jen’avaisaucuneraisondenepasmeconduirenormalement.J’étaiscomédien,aprèstout.—Jesuissérieuse,a-t-ellerepris.Ellealecerveaud’unesauterelle,unelanguedevipère,etson

contactestaussiagréablequ’ungantdecrinsurunepeaudebébé.—Tuexagères.

—Tucrois?Le jourdesonmariage,ellea faituncapricepouravoirun lâcherdecolombesaumomentdubaiser.Unlâcherdecolombesaubeaumilieudel’Oklahoma,lapatriedeschasseurs!Elleaeudelachancequepersonnenesortesonfusil.

—D’accord,elleestunpeudingue,ai-jeadmis,maisquinel’estpas,lejourdesonmariage?—Ellen’apasvouluquejesoisdemoiselled’honneur,a-t-ellecontinuécommenousdébouchions

danslarue,parcequemonteintjuraitaveclacouleurdesrobesqu’elleavaitchoisies.J’aigrimacé,maisellen’avaitpasfini.—Ilyahuitans,elleaconcourupourletitredeMissOklahoma.Elles’estfaitéliminerenfinale,

eh bien crois-le si tu veux,mais aujourd’hui encore, elle continue de prétendre que le concours étaittruquéetqu’elleauraitdûgagner.

Jeluiaiouvertlaportedutaxiquinousattendaitetl’ailaisséegrimper.— Compris, ai-je dit. Éviter de laisser Max en compagnie de l’Antéchrist Bethany, ou celle-ci

risqued’ylaisserunœil.Àpartirdelà,laconversationestdevenuelaborieuse.Ilestmoinsfacilededonnerlechangedans

unsipetithabitacleetsousleregardd’unchauffeur.Maxsetordaitlesmainsnerveusement.Quandelleaeffleurélestatouagessursoncou,jen’aipaspum’empêcherdeluidemander:

—Pourquoidesoiseaux?Ellem’a regardécommesiellem’avaitcomplètementoublié– jenepouvaispas,hélas !endire

autant–,puiselles’estmordillélalèvre.—Excuse-moi,mesuis-jerepris,tun’espasobligéederépondre.—Non,çava.Enfait,cen’estpastrèsoriginal.Elleaposélamainsursoncou.—Jelesaifaitfairequandj’aiquittélafac.C’étaitlapremièrefoisquejebrisaislesbarreauxde

macage.J’avaisdécidédem’envoleretcesoiseauxdevaientmerappelerderestertoujoursmoi-même.Tuparlesd’uneréussite…

J’aiprissamainetluiaidit:—Çavaaller,Max.Elleacroisélesbras,commepourseprotéger.—Çatefichetellementlatrouille?— Tu n’as pas idée. Ma mère est un croisement entre Terminator et le Père Noël. Une vraie

terroriste.Situaslemalheurdemanqueruntoutpetitpeud’enthousiasme,elletegavedelaitdepoule,decookiesetdechantsdeNoëljusqu’àcequetulasupplies…decontinuer.

—J’aimebienlelaitdepoule,moi.Elleafaitlagrimace,maissacontrariétéacédélaplaceàunnouveausourireetjemesuisfixépour

objectifdeladéridercomplètement.C’étaitdumasochisme,parcequechacundesessouriresmefaisaitunmaldechien,maisjepréféraissouffrirplutôtquelavoiràlatorture.

—Je,heu…j’auraisdû te ledireplus tôt, a-t-elle reprisen se triturant lesmains,mais…mercid’êtrevenu.Jesuiscontentedenepasêtreseule.

—Derien.Elleacontinuéenrougissant:—Etonn’estpasobligéde,heu…Enfin,siçategênedefairesemblantqu’onsorteensemble,on

n’estpasobligédesecomportercomme…uncouple.Jemesuisforcéàsourire.Jen’avaispascesséd’ypenser,cesjoursderniers.D’uncôté,jevoulais

fuir tout ce qui, de près ou de loin, nous aurait fait passer pour un couple, et de l’autre, c’était uneperspectivequejen’auraisrefuséepourrienaumonde.

—Çanemegênepasdefairesemblant.Ledireàvoixhauteétaitpeut-êtreunefaçondem’enpersuader.—Cen’estpastrèsdifficile.Jesuiscomédien.Elleaopiné.—Oui,biensûr,jevoulaisjuste…temettreàl’aise.Durant le restedu trajet, sonanxiétén’acessédecroître, sibienqu’enmontantdans l’avionelle

avaitl’aird’unanimaltraqué.Ellem’a fait signe dem’asseoir près du hublot et, sans unmot, elle s’est installée côté couloir.

Aprèsledécollage,elleaôtéseschaussuresetremontésespiedssurlesiègeenévitantdemetoucher.Quandnousavonseuledroitd’utilisernosappareilsélectroniques,elleasortisontéléphoneportableetmissesécouteurs.

Jeme suis demandé, en entendant lamusique, si le volume l’aidait à oublier ses peurs.Puis j’aifermélesyeuxet,latêtecontrelehublot,j’aiessayédepenseràautrechose.

Je somnolais lorsqu’un poids surmon épaulem’a tiré dema torpeur. J’ai tourné la tête pourmeretrouvernezànezavecMax.

Blottiecontremoi,lesyeuxfermésetlevisageparcourudecrispations,ellerespiraitparà-coups,commesiellesouffrait.Elleagémietquandelleamurmuré«Alex»,d’unevoixétranglée,j’aiposélamainsursajoue.

Jemesuispenchésurellepourmurmurer:—C’estunrêve,Max,réveille-toi.Samains’estcrispéesurmachemise.J’aipasséunbrasautourd’elleetjel’aiserréecontremoi.—Chut,tuvasbien,jesuislà.Réveille-toi.Elleaouvertlesyeuxettressailli.—C’étaitunrêve,Max.Jel’airépétéplusieursfois,parcequejen’étaispassûrqu’ellem’entendait.Ellearegardéautour

denous,puis,ayantcomprisoùnousétions,ellearelâchélepoingqu’elletenaitserrésurmachemise.—Çava?Elle a fermé les yeux et pris une longue inspiration. Quand elle les a ouverts, elle ne s’est pas

écartée demon épaule, ni du bras que j’avais laissé autour d’elle.Elle a seulement plongé dansmonregard.

34

Max

J’étaisencoresouslecoupdemonrêve,etsentirsonbrassurmesépaulesnem’aidaitpasàrecouvrermoncalme.Pasplusquevoirsonvisagepenchésurmoi,regardersabarbenaissantequej’aimaistant,ouplongermesyeuxdanslessiens,encorepleinsd’inquiétude.

Sonsouriremeprocuraitunesensationagréable.Jemesuishumectéleslèvres.Jen’arrivaispasàmedétournerdesesyeux;çal’avisiblementrenduperplexe,maisiln’apasrompulecontact.Jevoulaisluidiredansquelétatmemettaientcescauchemars,maisjen’arrivaispasàmettredesmotsdessus.Detoutefaçon,jen’étaispassûrequeçal’intéresse.Ilabougé.Sonbrass’estunpeuplusserrésurmoi,etjemesuissentie,commeAliceaupaysdesmerveilles,glisserdansunpuitssansfond.

Jeleregardais toujoursquandunehôtessem’atapésur l’épaulepourmeproposeràboire.Jemesuisredressée,et,letempsquejerefuse,Cadeavaitreprissonbras.Mesécouteurspendaientautourdemoncou,lamusiqueàpleinvolume.J’aicoupélesonetj’aiouvertlabouche.Jen’avaisaucuneidéedece que j’allais dire, mais si je restais silencieuse plus longtemps, j’allais exploser. J’ai repris monsouffle,maisilaréagiplusvitequemoi.

—Lepasséestlepassé,AngryGirl.Çam’atellementdéconcertéequej’ensuisrestéebouchebée.Ilabiententédemesourire,maisjevoyaisqu’ilseforçait,etsonregardétaitdistant.Cettefois-ci,j’étaiscertainequ’iljouaitunrôle.Etlaperspectivedepassercesquelquesjoursavecluim’atoutàcoupparud’unetristesseinfinie.Il

avaitraison:lepasséestlepassé,etilyavaitbeaucoupdechosesquejevoulaislaisserderrièremoi.Maisj’étaissûre,maintenant,qu’iln’enfaisaitpaspartie.

Dommagequ’ilsoittroptard.

35

Cade

Jedétestaislafacilitéaveclaquellej’arrivaisàluimasquermesémotions.Je la poussais à être elle-même, à assumer ce qu’elle était, et je faisaisexactementlecontraire.Alorsquelaseulechosequejedésiraisétaitdelaprendredansmesbraspourl’embrasser.

Maisjedevaisresterneutre,garderlatêtesurlesépaules.C’était leseulmoyendesurvivreàcevoyage,etauxquelquesjoursquim’attendaientchezsesparents.

Sesyeuxétaientremplisdeterreur.C’étaittellementbizarredelavoirdanscetétat,ellequiétaitsisûred’elle,quej’avaisl’impressionderegarderquelqu’und’autre.

Alorsjeluiaiditcequ’elleavaitbesoind’entendre:—Lepasséestlepassé,AngryGirl.Elles’estdétendueunpeu,maisacontinuéàse triturer lesmainsetà regarder l’heure toutes les

deuxsecondes.Quandl’avionaamorcésadescente,elles’estraidieet,lesmainscrispéessurlesaccoudoirs,les

yeuxfermés,elles’estenfoncéedanssonsiège.Ellerespiraitàpeine.Çamefaisaittellementmaldelavoirdanscetétatquej’aifaillilaprendreparlesépaules.

—C’estl’atterrissagequitefaitsipeuroucequit’attendàterre?—Tuveuxlavérité?—Oui.—Lesdeux.J’aitoujoursl’impressionquejevaismemettreàhurlerjusteavantdetoucherlesol,

etpourcequiestdureste,franchement,j’aimeraismieuxqu’onn’atterrissejamais.Elle n’a pas été exaucée.À l’instant où l’avion semettait à rugir sous l’effet des aérofreins, ses

jointures sont devenues blanches et elle s’estmordu les lèvres jusqu’au sang. Je savais que c’était lapeur,maissafaçondesetorturerleslèvresm’afaitpenseràtoutautrechoseetj’aidétournéleregard.

Quand les roues ont touché le sol, elle a posé les mains sur le siège devant le sien et suivi leralentissementdel’avionavecunelonguegrimacedouloureuse.Quandils’estcomplètementimmobilisé,elleasoupiréets’estadosséebrusquement.J’aiattenduqu’elleouvrelesyeux,maisellenel’apasfait,sesmainssontrestéesagrippéesauxaccoudoirs.

—Tuvasprendreracine,AngryGirl.Aulieudesarepartiehabituelle,dustyle«Ettoi,tuvasprendremonpoingdanslafigure,Golden

Boy»,elleestrestéemuette.Quandelle aouvert lesyeux,pour lesposer sur lespassagersqui se levaientpourprendre leurs

affaires, ellen’avaitplus l’airpaniqué.Ellen’exprimaitd’ailleursaucuneémotion.Elleétaitmêmesicomplètementferméequejemesuisdemandésijen’avaispaseutortdelapousseràfairecevoyage.

J’allaisfranchirlesportesduterminal,nossacsàlamain,quandjemesuisrenducomptequeMax,quiavaitprissontéléphonepourprévenirsesparents,n’étaitplusàcôtédemoi.Jemesuisretourné.

Figéeaumilieuduflotdepassagers,elleregardaitdroitdevantelle,commesielleallaitsemettreàhurlerous’évanouir.

—Oh!non,l’ai-jeentenduegémirenrevenantprèsd’elle.Paseux.—Qui?Max,qu’est-cequisepasse?ai-jeinsistéenluitouchantlebras.Sonregardm’atranspercéet,tandisquenousrestionssilencieux,j’aicomprisquej’avaisfranchila

lignejaune.J’aireculéetsonvisages’estradouci.—Jesuisdésolée.Jecroyaisqu’elleparlaitdesaréactionquandelles’estcachéederrièremoipourboutonnerlecol

desonmanteau,nouersonécharpepar-dessusetenleverlabarrettequiretenaitsescheveux.Elleétaittoujoursaussibelle,maisjesavaiscequ’ellefaisait.—Max…quesepasse-t-il?Ellesedissimulait,aveclamêmedextéritéquelejouroùjel’avaisrencontrée.J’airegardéderrière

moi,maissesparentsn’étaientpaslà.—Max,onavaitditquetu…—Jesais.Sonregardn’étaitplusvidedutout,nipaniqué.Seulementfurieux.—IlsontenvoyéMichaeletBethanynouschercher.Jenepeuxpascommencerparelle.Jen’aurais

pluslaforced’affrontermesparents,ensuite.Àl’instantoùelles’étaittransformée,toutesanervosités’étaitenvolée,etj’aieulesentimentqueje

nereverraisplusmaMaxdetoutleséjour.Enfin,c’estunefaçondeparler,parcequ’ellen’étaitplusàmoi.Àsupposerqu’ellel’aitétéunjour.

—Jeleferai,Cade,jetejure,maispasmaintenant.J’aisoupiré.—Commetuveux.Allez,viensmeprésenterl’Antéchrist.Ellearedressélesépaules,commesiellesepréparaitaucombat,etj’aisuivisonregard.De l’autre côté du hall, un couple tiré à quatre épingles se dirigeait vers nous. J’ai reconnu la

versionplusâgéedufrèredeMaxquej’avaisaperçudansl’albumphotodesamère.Lebomberavaitlaissélaplaceàuncostumecravate.Safemme,Bethany,portaituneroberougeet

des talons aiguilles noirs, plus adaptés à un cocktail ou à une soirée de campagne électorale, qu’à unpassage à l’aéroport.Ses longs cheveuxblondsme faisaient penser à laBelle aubois dormant et sonimmense sourire, accompagné d’un petit salut de la main, aurait convaincu n’importe quel jury d’unconcoursdeMiss.

Maxsemblaitprêteàsedéfoulersurunpunching-ballenroberouge.J’ignoraisquelledistancenousséparaitdelamaison,maisj’étaissûrqu’ilyavaitmillekilomètresdetrop.

—Mackenziechérie!s’estexclaméeBethanyàdixmètres.Quelplaisirdeterevoir!J’aitellemententenduparler de tonpetit amique j’ai insistépourqu’onviennevous cherchernous-mêmes. Je-n’-y-crois-pas!

JemesuispenchéversMaxpourluimurmureràl’oreille:—Respire.Bethany était l’affectation incarnée, de ses ongles manucurés à ses anglaises parfaitement

symétriques.Sonmarietellesesontarrêtésenmêmetemps,commesileursgestesétaientchorégraphiés,pourexaminerMaxdelatêteauxpieds.

—Oh!levoyaget’avraimentfatiguée,aglousséBethany.

Max s’est fendue d’un sourire sombre. En la voyant ouvrir la bouche, je me suis dépêchéd’intervenir.

—Quelplaisirdevousrencontrer,ai-jelancéentendantlamain.Michael me l’a serrée en premier. Il semblait se moquer complètement de ce à quoi pouvait

ressemblersasœur;ilétaitbienplusintéresséparsonBlackBerry.—Jem’appelleCade,maisvouslesavezdéjà.Bethanym’asouri.—Oui,BettyetMicknecessentdeparlerdel’excellenteinfluencequetuassurnotreMackenzie.

Dieusaitqu’elleabesoindequelqu’unpourladiscipliner.J’aiessayépendantdesannées,maisilauraitfalluunmiracle.

JemesuisrapprochédeMax,enmedemandantsijepouvaislatoucher.Sespoingsétaienttellementserrésquej’airenoncé.

Bethanyacontinué:— Ta teinture est complètement ratée, Mackenzie, mais ne t’inquiète pas, je suis sûre que ma

coiffeusepourraarrangerça.J’ai regardéMax respirer très doucement plusieurs fois. Comprenant qu’elle n’avait pas encore

reprisledessus,j’aisongéàlaprendreàl’écart.—Écoute,Be…Jel’aiinterrompueavantdel’entendredire«Belzebuth».—Tun’aimespassacouleurblondlavande,Bethany?Jelatrouvetrèsréussie,aucontraire.Maxs’estraidie.—Oh!c’esttrèsgentildetapart,m’aréponduBethanyensouriant,maistun’aspasbesoindevoler

àsonsecours.NotreMackenzieestcoriace.Ellesedéfendtrèsbientouteseule.En voyantMax faire un pas, j’ai cessé de me demander si j’avais tort ou raison de vouloir la

toucher.Jel’airetenueparl’épaule.—Onpeutyaller?Jenesaispascequ’enpenseMax,maislevoyageaétélong,etj’aihâtedeme

poser.— Vous n’avez pas de valises ? s’est étonnée Bethany en regardant les sacs que je portais en

bandoulière.Nemedispasquetuasfourrétarobelà-dedans!Maxapâli.—Quellerobe?—Pourlebaldecharité!Tamèren’arrêtepasd’enparler.Ellenet’apasditdeprendreunerobe?—Ellem’enaparlé,maisellen’apaspréciséqu’onétaitobligéd’yaller.—Ehbiensi.J’étaispeut-êtrepartial,maisBethanysemblait franchement se réjouirdumalheurdeMax.Ellea

secouélatêteetsoupiré.—Bon,ehbien,onvadevoircaseruneviréeshoppingenplusdurendez-vouschezlecoiffeur.Je

nesaispascommenttesparentsfaisaientavantquej’arrive.Elles’esttournéeverssonmari.—Onyva,chéri?Celui-ciarelevélesyeuxdesonBlackBerry.—Situesprête,chérie.Ilsontéchangéunbaiser,quemêmemoij’aitrouvéécœurant,puisBethanys’estmiseenmarcheau

pasdecharge,sesanglaisesrebondissantderrièreelle,ennousdisantdelessuivre.

— Je vais la tuer, a souffléMax. Je te préviens, tu vas retrouver son corps en petits morceauxéparpillésdanslejardin.

J’aisouri,maissonintonationm’adonnédesfrissons.—Arrête,tumefaispeur.Nouslesavonssuivissansquejeluilâchel’épaule.Jenesuismêmepassûrqu’elles’ensoitrendu

compte.Elleétaittropoccupéeàdécocherdesflèchesimaginairesdansledosdesabelle-sœur.—Elleesttoutcequejedétestechezmesparents,a-t-ellerepris.Ellemerendmalade.Jenepouvaispasprétendrequej’appréciaislepersonnage,maislaviolencedeMaxm’inquiétait.—Chaquefamilleasabêtenoire,ai-jerépondu.Dansquelquesjours,ceserafini,tunelaverras

plus.—Tunecomprendspas,a-t-elleobjectésansdétournerleregarddeBethany.J’ail’impressionde

mevoir.J’étaisexactementcommeelle,aulycée.Aussisuperficielle,prétentieuseet…Jel’aiobligéeàs’arrêter.—Tunel’esplus,Max.Tun’arrêtespasdetefairedesreproches,surcellequetuétais,cellequetu

n’espas,cellequetudevraisêtreetmêmecellequetues.Çasuffit!Ellem’aregardé,interloquée,etj’aicomprisquej’avaisréussi,mêmebrièvement,àladéstabiliser.

Bethanys’estretournéeaumêmemoment.—Ilvafalloirnouspardonnerlechoixdelavoiture.Ilyaeuunmicmacavecl’agencedelocation,

etcellequ’onavaitréservéeestalléeàquelqu’und’autre.Onn’apaspufairemieux.Jem’attendaisàdécouvriruneépave,maiselle s’estarrêtéedevantunegrossevoitureneuvequi

devaitcoûteraumoinsdixfoiscequej’arriveraisjamaisàgagnerenunan.Michaelluiaouvertlaportièreet,aprèsluiavoirdéposéuncourtbaisersurleslèvres,ilestvenu

nousouvrirlecoffre.J’aijeténossacsettenulaportièrepourMax.—Quelgentleman!aremarquéBethany.Tufaisvraimentdesprogrès,Mackenzie.Ça allait finir dans unbain de sang, si elle continuait commeça.Max, toute raide sur son siège,

serraitlespoingssursesgenoux.LemieuxquejepouvaisfaireétaitdepousserBethanyàparlerd’elle.—Alors,ai-jecommencétandisquenousquittionsleparking,depuisquandêtes-vousmariés?—On fêtera nos trois ans en juin prochain.C’était unmariagemagnifique, tout était absolument

parfait.—Pasaussiparfaitquetoi,apréciséMichaelens’engageantsurl’autoroute.Bethanys’esttournéeversluiavecbéatitude,etilssesontunefoisdeplusbécotés.—Laroute!alancéMax,lesdentsserrées.—Etvous,areprisBethany,àquandlanoce?JenemesuispastournéversMax.J’aijouémonrôle,concentrésurmonpersonnage:—Onn’estpaspressé.—Oh!arépliquéBethanyavecunemouedéçueavantdetournerunregarddepitiésurMax.Bien

sûr.J’aisuivisonregardpourvoirMaxposerlefrontcontrelavitreetfermerlesyeux.Ellem’aaussi

reprissamain.—Noussommesloindelamaison?ai-jedemandé.—Àpeuprèsunedemi-heurederoute,m’aréponduMichael.—S’ilsnenousfichentpasdanslefosséavant,amurmuréMax.

36

Max

Dèsqu’ellenousavusarriver,mamères’estprécipitéedehorsenpoussantdes crisde joie.Mon souriredevait ressembler à celuidu Joker, enpire.Quandmonpèreestapparusurleperron,Cadem’apriseparlatailleetsesdoigtsm’ontfaitl’effetdecinqpoignardsenfoncésauplusprofonddemesdoutes.

C’étaittropdur.J’étaisdévastée,commeunpaysenguerre.MonpèreatendulamainàCade,etmamèrenousaserréstouslesdeuxdanssesbras.—Entrez!Entrez!Noussommestellementheureuxdevousavoir,Cade!Ellem’aattiréecontreelle,etcommeilnem’avaitpaslâchée,jemesuisretrouvéeàmoitiécoincée

entre eux.Nous devions ressembler à une espèce demonstre. Elle est ensuite revenue versmoi pourécarter,avecunpetitclaquementdelangue,unemèchedemescheveuxsurmesyeux.

—Oh!chérie,a-t-ellecommentéenfronçantlessourcils.Commeellenedisait riendeplus, j’aipenséqu’ilyavaitpeut-êtreunespoirqu’ellesupporte le

reste.Peut-être.J’aicroiséleregarddeCadequis’esttournéversmamère.J’aiprisunebonneinspiration.—Maman?—Oui,chérie?Ellem’aregardéecommeellenel’avaitpasfaitdepuisdesannées.D’habitude,ellesedépêchaitde

détournerlesyeuxpourlesposerailleurs.Là,elleabattudescilsetattendulesmotsquejen’arrivaispasàprononcer.

—DansquellechambrevadormirCade?ai-jedemandéfinalement.—Nousluiavonspréparélachambred’amiaupremier,justeàcôtédelatienne.J’airegardéCade,quim’afaitunpetitsouriretendu.—Allezvousinstaller,aditmamère.Ledînerestprêt,netraînezpas!J’aiopinéetvouluprendrelamaindeCade,maisils’estécartéetm’afaitsignedeluimontrerle

chemin.Songesteétaitencoreplus raidequesonsourire.Leseuil franchi, il s’estarrêtéderrièremoipourregarderlehautplafondvoûtédel’entréedécoréeàoutranceparmamère.

—C’estparlà,luiai-jedit.Dansl’escalier,j’aieul’impressionquesespasétaientdeplusenpluslourds.Quandj’aiouvertla

portede lachambred’ami,aufondducouloir,sonaccablementm’adonnél’impressiondepeser troistonnes.Ilajeténossacssurlelitets’estretourné.

J’adorais,d’habitude,lafaçondontilmeregardait…Quandjechantais,quandonmarchaitdanslarueetqu’ilmelançaitdescoupsd’œilà ladérobée,quandj’étaisallongéesursonlit.Mais leregard

qu’ilm’adressaitmaintenantn’avait rienàvoiravecceux-là. Ilavaitsurtout l’air triste.Etdéçu–uneexpressionquej’avaisl’habituded’inspirer.Cequej’avaistoujoursvudanssesyeux,cequelquechosed’indéfinissable,avaitdisparu.

J’aifermélaporteetlebruitdelaserrurearésonnédanslapièce.—Jesuisdésolée,Cade.Çadevenaitunehabitude.J’allaisfinirparleluirépéterplusqu’àn’importequi.N’importequi,à

l’exceptiond’Alex.—Jet’avaisditquejeleurparlerais…quejeneferaisplussemblant…—Tuasditbeaucoupdechoses.J’aieuunmouvementderecul.—Cade.—Jenetecomprendspas.Ils’estpassélamaindanslescheveuxets’estmisàfairelescentpasdevantlelit.—Jetecroyaiscourageuse.Unbruitétranglé,entrerireetsanglot,m’aéchappé.—Ehbien,tut’estrompé.—Non,Max. Tu temets à nu devant des centaines de personnes quand tu chantes, tu interdis à

quiconquedetemarchersurlespieds,tuvasauboutdecequetuveux,tuesincroyable,etici…c’estcommesituétaisquelqu’und’autre.

—Arrête!C’estunstylequejemedonne,unmasque,ouunrôle,appelleçacommetuveux.J’ail’aird’êtrecourageuse,ettuasl’aird’êtreparfait,çaneveutpasdirequenouslesommes.

Ils’estarrêtédedéambulerpourvenirversmoi.J’aidûleverlementonpourleregardertellementilétaitprès.

—Qu’est-cequetut’imagines?a-t-ilrepris.Quetuvasgarderlesecrettoutetavie?Tuvasfairequoi?Porterdescolsrouléschaquefoisquetuviendras,nejamaisvenirenété,nepaslesinviteràtonmariage?

J’aidégluti.—Jevaisleurdire,Cade,seulementj’aibesoind’unpeudetemps.Jeneveuxpasleschoquer.Jete

rappellequejedépendsd’euxfinancièrement.Ilahaussélesépaules.—Etalors?Onesttoustributairesdequelqu’un,Max!C’estlavie.—Cen’estpasaussisimple.Etdepuisquandest-cequetumejuges?—Depuisquejeteconnais!Ilnemeconnaissaitpas.Pasdutout.S’ilavaitsuquij’étais,ilneseraitpaslà.Ilneseseraitmême

jamais intéressé àmoi.Mais je ne pouvais pas le lui dire, alors j’ai reculé en secouant la tête.Cetteconversationétaitabsurde,etjenevoulaispascontinuer.Seulement,iln’avaitpasterminé.

—Jecroisquetuaspeur,c’esttout.—Évidemmentquej’aipeur!J’avaiscriésifortquejemesuiscouvertlaboucheàdeuxmains.J’aicontinuéd’untonpluscalme.—J’aitoujourspeur.J’étais terrifiée à l’idéedene jamaisy arriver,deme réveillerunmatinetde constaterquemes

parentsavaientraison,quej’avaistoutmisésurunecarrièrequinedébouchaitnullepart…quej’avaisgâchélaviequiauraitdûêtrecelled’Alex.

—Dequoias-tupeur,Max?—Detout,d’absolumenttout.

Inutiledepréciserqu’ilétaitcomprisdanslelot,j’étaissûrequ’illesavait.—C’estçaquetuveuxentendre,GoldenBoy?Ilasoupiréetbaissélatête.J’avaisl’habituded’inspirerladéception,maisjen’avaispascherché

lasienne.—Non,Max,pasdutout.—Ehbien,désoléedetedécevoir.Oh!oui,j’étaisdésolée,tellementdésolée!Ilafaitunpasenavant,j’enaifaittroisenarrière.—Jevaisposermesaffairesdansmachambre.Ilyaunesalledebainsdanslecouloir.Fais-moi

signequandtuserasprêt.Etjemesuisenfuie.Arrivéedansmachambre,jemesuisadosséeàlaportepourmeconcentrersurmarespiration.Jemedétestaisd’êtreaussiterrorisée.Jedétestaislafaçondontlapeurpouvaitmerongeraupoint

demefairedouterdelaréalitédelaterresousmespieds,delavie,dumondequim’entourait.Ellemerendaitpathétiqueetminable,maisj’étaisincapabledelasurmonter.Ce n’était pas seulement l’argent ou le fait de choquer mes parents qui m’interdisaient de leur

montrermestatouagesoumespiercings.C’étaituneépinequej’avaisplantéedanslecœur,uneépinequimedisaitquejen’étaispasàla

hauteur, qu’il y avait un minimum requis pour valoir quelque chose et que j’étais loin, très loin, ducompte. Tant que j’étais la seule à le savoir, je pouvais faire bonne figure – ça restait une blessuresecrète.

Parleràmesparents,c’étaitretournerlecouteaudanslaplaie,provoquerunehémorragiequejenepourraispasendiguer.

J’aienlevémonmanteau,puismachemise,etj’aiouvertmonsacsurmonlitpourensortiruncolroulénoir.

J’étaisentraindel’enfilerquandlaportes’estouverte.J’aipivotéaussivitequepossible,toutenessayantdefaireglissermonpullsurmonventre,maisle

colétaitbeaucouptropserré.—Uneseconde,maman…Iln’yavaitqu’ellepourentrersansfrapper.Matêteaémergéaumomentoùj’entendais:—C’estCade.J’aiprisletempsd’ajustermonpullavantdemeretourner,lecœurbattant.Beaucoupd’émotionsse

lisaientdanssonregard:lacolère,latristesse,ledésir,etjen’arrivaispasàsavoirlaquellel’emportait.—Jesuisprête.J’avaislagorgenouée.Iln’apasfaitungeste,etjesuisrestéelongtempsclouéeparsonregard.Ilétaitsiintensequej’en

avaislesgenouxquitremblaient.J’allaiscéderàtoutcequ’ilm’inspirait,quandilareculé.—Àtable!acriémamère.JemesuisressaisiepourrejoindreCadedanslecouloir,et,alorsqu’ondescendaitl’escalier,ila

posélamainaucreuxdemesreins;j’aiététellementsurprise,etsurlesnerfs,quej’aifaillilouperunemarche. J’étais sur le point de tout perdre : ma famille, son soutien financier, la vie que je m’étaisconstruite, et pourtant, la seule chose qui m’obsédait était cette main, et cette sensation qui m’avaittellementmanqué.

37

Cade

Toutlemondeétaitàtablequandnoussommesarrivés.C’étaitlapremièrefois que jeme trouvais dans unemaison pourvue d’une véritable salle àmanger.Sesparents étaient assis à chaqueextrémité,Michael etBethanyd’uncôté,enfacededeuxchaisesvides.J’aitirécelledeMaxetmesuisinstalléàcôtéd’elle.

Ledînern’étaitpasaussiélaboréque le repasdeThanksgiving,mais iln’enétaitpas loin. Jenepouvaisqu’imagineràquoiallaitressemblerceluideNoël.

—Mick,turéciteslebénédicité?ademandéMmeMiller.JebaissaislatêtesurmonassiettequandMaxademandé:—Jepeuxledire?MêmeMichaelaeul’airétonné.Samèreaclignéplusieursfoisdesyeux,maiselleasouri.—Biensûr,chérie.Ellem’atendulamain,etjel’aiprise.Jemesuistournéverselle,etj’aisoutenusonregardtandisquejeluienlaçaislesdoigts.J’aibaissé

latêteaveclesautres,toutengardantlesyeuxposéssurelle.Ellefixaitsonassiette,commesilesmotsqu’elleallaitprononcers’ytrouvaient.—Merci,Seigneur,denousréunirenfamillepourcerepas.Apporte-nouslajoieet lepardon,et

donne-nous…Elles’esttue,commesiellecherchaitcommentpoursuivre,puiselleafermélesyeuxpourachever,

ensoupirant:—Etdonne-nouslaforcedepardonner,malgrénospeurs.Amen.Unchœurd’«amen»hésitantsafaitéchoausien,etBethany,endépliantsaserviettesursesgenoux,

aprislaparole.—C’estlapremièrefoisquej’entendscegenredeprière.—C’étaitadorable,machérie,aditsamère.Max a prononcé un « merci » à peine audible et n’a plus desserré les lèvres de tout le repas.

Bethany,heureusement,n’étaitpasàcourtdesujetsdeconversation.ElleaparlédutravaildeMichael,deleurmaisonetdesenfantsqu’ilssesentaientmaintenant«presqueprêtsàavoir».Jecommençaisàcomprendrepourquoielleétaitsimince:ellen’arrêtaitjamaisdeparlerassezlongtempspouravoirletempsdemanger.Max,elle,passaitletempsentripotantcequ’ilyavaitdanssonassiette,etj’occupaislemienàlaregarder.

Ledîner terminé,MmeMiller nous a envoyés au salonpendantqu’elledébarrassait.Nous étionsprivésdeladistractiondenosassiettes,etleniveaudegêneaaugmentéd’uncran.M.Millerm’aprisàpartpourmemontrertouteslesbestiolesempailléesquiornaientlapièce.J’avaisgrandiauTexas,oùily

apresqueautantdetaxidermistesqued’églises,jen’étaisdoncpasdépaysé;maisenimaginantlatêtedeMacedevantcelled’uncerfempaillé,j’aidûretenirunéclatderire.

Nousnoustrouvionsdevantunsangliersauvage,dontM.Millermeracontaitlachasse,quandj’aientenduBethanyparleràMaxsurlecanapé.

— Ce n’est jamais bon signe quand les disputes commencent si tôt. Ce que je veux dire, c’estqu’entre lesmots que vous avez eus en haut et le silence gêné entre vous à table, je vous donne unesemaine,peut-êtredeux,avantlarupture.

Max,d’uncalmeolympien,regardaitdroitdevantelleentriturantunfilquidépassaitdel’accoudoir.—Heureusementquej’étaislàpourfairelaconversation,areprisBethany,sinontesparentss’en

seraientrenducompte.Maxestrestémuette.—Jesaisquec’estdur,acontinuéBethanyenlaprenantparl’épaule,maistunepeuxpasespérer

retenirlepremiergarçonbienquicroisetonchemin.Tutedébrouillerasmieuxlaprochainefois.J’ignoraiscequeBethanyavaitcontreMax,maislefrémissementdesavoixtrahissaitsajubilation.

Incapabled’ensupporterdavantage,jemesuistournéversM.Miller.—Excusez-moiuninstant,monsieur.JesuisalléversMaxetmesuislaissétomberàcôtéd’ellesurlecanapé.Et,pourclouerlebecde

Belzébuth,jemesuispenchépourl’embrassersurlabouche.Maxs’estraidie,justeavantdefermerlesyeuxetdemerendremonbaiser.

Jemesuisécartépourpasserunbrasautourdesesépaules.—Excuse-moi,luiai-jeditenl’attirant,maisjecommençaisàmesentirseul.J’aisouriavantdecontinuer:—Dequoiparliez-voustouteslesdeux?Bethanyabredouillé,etunsourirebeaucommeunrayondesoleils’estétirésurleslèvresdeMax.—J’étaisentraind’expliqueràBethanyàquelpointtuesmerveilleux.—Vraiment?—Maisoui,tuestellementparfait.J’airetenumonéclatderire.—Maisnon,c’esttoiquiesparfaite.Elles’estserréecontremoi,etjemesuisdemandésiellepercevaitlavitessedesbattementsdemon

cœur.—Disonsqu’onestparfaitsl’unpourl’autre,alors.Jel’embrassaissurlefrontquandBethanys’estlevée.—Excusez-moi,a-t-elleditd’unairpincé.JevaischercherMichael,jemedemandebiencequ’il

fait.Ilprofitaitcertainementdel’irremplaçablecompagniedesonBlackBerry.Bethanyaquittélapièce

sansseretourneretMaxaenfouisonvisageaucreuxdemonépaulepourétouffersonrire.—CeseralemeilleurdetousmessouvenirsdeNoël,a-t-ellesouffléens’écartant.—Pourquoitedéteste-t-elleautant?Elle a levé lementon.Quand elle neme regardait pas, je pouvaisme dire que ce n’était qu’une

comédie,unrôlecommeunautre,maisquandsesyeuxétaientplongésdanslesmiens…jeperdaislefil.—Jet’aiditqu’elleétaitl’Antéchrist,non?—C’estungenredecombatentreleBienetleMal,alors?—Non,c’estuntrucgenrepsycho.—Jevois.C’estvraiqu’elleaimeunpeutrops’écouterpournepasêtreunpeusociopathe.

Maxafermélesyeuxetjemesuisaperçuquemamainglissaitdanssescheveux.J’allaisl’enlever,maiselleaposélajouesurmonépauleetpasséunbrasautourdemoi.

Sicen’étaitpasunepermission,jenesavaispascequec’était.BethanyestbientôtrevenueavecMichael.MmeMillerlessuivait,unplateaudetassesdechocolat

chauddanslesmains.J’enaiprisune,maisMaxadécliné.Elleestrestéecontremoi,sa têtesurmoncœur,tandisquelesautress’asseyaient.

Jemesuisefforcédemeraisonner,maisj’étaisfatiguédemesurveiller,dem’interrogersurlesensdumoindredenosgestes,alorsj’aiprofitédel’instantprésentenluicaressantsimplementlescheveuxetlepetitcreuxsousl’oreille.Jenesavaispascequ’ellepensait,nimêmesiellepensaittoutcourt;maisc’étaitapaisant,commeunsursisloindumondeetdesesproblèmes.

Bethanyn’arrêtaitpasdenous jeterdescoupsd’œil,mais,pourune fois, elle restait silencieuse.J’aifermélesyeuxetposélajouesurlatêtedeMax.Nousavionstouslesdeuxbesoindecerépit.

—Michael,aditMmeMiller,pourquoinepasmettreàprofittoutescesannéesdepianoetjouerunchantdeNoël?

Ah!lesfameuxdémonsdeNoëlévoquésparMax.Michaels’estlevédocilementpouralleraupianoetasoulevélecouvercledusiègecapitonnédont

ilasortiunlivretrouge.Ilatournélespagesetdemandé:—«Doucenuit»?MmeMilleraopiné,etils’estinstallépourcommenceràjouer.Maxs’estlégèrementredressée.Toutlemondes’estmisàchanter,maisjen’écoutaisqu’elle.

Doucenuit,saintenuitDanslescieux,l’astreluitLemystèreannoncés’accomplitCetenfantsurlapailleendormiC’estl’amourinfiniC’estl’amourinfini.

C’étaitstupéfiantcommeunechansonquej’avaisentenduedesmilliersdefoispouvaitmesemblersibelle,etsinouvelle,danssabouche.Ilyavaitquelquechosedelégèrementdifférentdanssonphraséetdanssatonalité.Savoixétaitdouce,fragile,etjen’aipaspum’empêcherdem’écarterunpeupourlaregarder.Ellealevélatêteetm’arendumonregard.J’aicaressésajoue,sansqu’elles’esquive,etj’airepousséunemèchedesescheveux.

Je sentais ses défenses tomber, sa peur s’envoler. La colère que j’avais éprouvée tout à l’heuren’existait plus. J’étais sûr que nous n’étions pas si différents que nous voulions le croire, sûr qu’elleéprouvaitquelquechosepourmoi,sûrqueçapouvaitmarcher.

Etj’étaissûrqu’ellelesavait,elleaussi.Lamusiques’estarrêtéeetlecharmes’estaussitôtrompu.Maxs’estécartéeettoutesmescertitudes

sesonteffondrées.Jecomprenaisqu’ellepuissedouter,seulement,j’avaisdeplusenplusdemalàjouerlerôlequ’elle

m’imposait.

38

Max

J’aigardémesdistances.C’étaitleseulmoyendemeprotéger.Jesavaisquejenepourraispaslerepousseréternellement,maisj’ysuisarrivéejusqu’àlafindu

récitalimpromptudemamère.Jusqu’aumomentd’allersecoucher.Ilétaitdanssachambre,j’étaisdanslamienne,etj’avaisbesoindedormirpouravoirlaforce,le

lendemain,detenirlapromessequejeluiavaisfaiteetdirelavéritéàmesparents.Quejesoistoujourséveilléequandonafrappéàmaporteàdeuxheuresdumatinétaitdemauvais

augure.Jemedoutaisbiendel’identitédemonvisiteur,maisiltambourinaitsifortquejen’avaispasintérêt

àlefaireattendre.TantpispourmonvieuxT-shirtetmescheveuxenbataille.Dès que j’ai ouvert, il s’est engouffré dans ma chambre. J’ai regardé dans le couloir, un peu

paniquée,maistoutesleslumièresétaientéteintes;iln’avaitdonc,pourl’instant,réveillépersonne.J’airefermédoucementderrièrelui.

—Cade,qu’est-cequetufaislà?Sesyeuxflamboyantssontremontésdemesjambesnuesàmonvisage.—Tuesencolère?ai-jeavancé,troublée.—Oui,etsacrément.—Je t’aiditque j’allais leurparler,Cade.J’aimême l’intentionde le faireaupetitdéjeuner. Je

n’arrêtepasd’ypenser.—Cen’estpasàcausedeça.J’allais luidemanderpourquoi,mais ilnem’enapas laissé le temps.Àpeineavais-jeouvert la

bouchequ’ils’estprécipitésurmoipourmeprendrelevisageàdeuxmainsetsejetersurmeslèvres.Sonbaiserétaitviolent,agressifet…foudroyant.—Jesuisencolèreparcequetupassestontempsàmerepousser,alorsquejesaistrèsbienquece

n’estpascequetuveux.Ils’estdenouveauemparédemeslèvres,aveclamêmerage.—Jesuisencolèreparcequetum’asplantéaprèslanuitlaplustorridedetoutemavie.Ilm’afaitpivoterpourmeplaquercontrelaporte,exactementcommecettenuit-là.Ungémissementm’aéchappé.—Etsurtout,jesuisencolèred’avoirdûattendreaussilongtempspourt’embrasserencore.Ils’estencorejetésurmoipourdéverser,cettefois,toutesacolèreettoutesafrustrationdansson

baiser.J’étaistellementstupéfaitequejenesavaispassijedevaislerepousserouluirépondreencoreplus

fiévreusementquejenelefaisaisdéjà.Jen’avaispasvraimentlechoix,àvraidire.J’étaisàsamerci,etaussienflamméequelui.

Ilm’asaisieparlespoignets,et,mesbrascoincésau-dessusdematête,ils’estappliquéàtraquertoutelafrayeurquejepouvaiséprouver,pourmelaisser,faibleetpantelante,gémissantededésirentresesbras.

Quandilavoulus’écarter,jel’aiagrippéparlesépaulesenmecollantàsabouche.Ilm’apresquemorduleslèvresetlà,j’aicomplètementperdulatête.

Toutesmesappréhensionscarbonisées, jemesuispresséecontre luiet, lesmains fébriles, je l’aipousséversmonlit.

Sonétreintes’est resserrée,et sonbaiserétait sidévastateurque jevoulaishurler,mourir,ou lesdeux.

Ilaheurtéleborddulitets’estretenupournepastomber.Ils’estécarté.—Jenesaispaspourquoitutienstellementàmefuir.Sonregardétaitsombre,sonsoufflecourt.—Maisquellequ’ensoitlaraison,elleeststupide.Çameprendraletempsqu’ilfaudra,maisjete

leprouverai.Etsurce,ilestparti.Jemesuisassisesurmonlit,sicomplètementsidéréequejesuisrestéeunlongmoment,lesdoigts

surmeslèvres,àmedemandersijen’avaispasrêvé.

Dèsquej’aientendumamères’affaireraurez-de-chaussée,j’aisautéhorsdulit.Lejourn’étaitpasencorelevé,etjen’avaispasbeaucoupdormi,maisjemesentaisenpleineforme.L’irruptiondeCadeetsesbaisersm’avaientboostée.Jemesuisdébarbouilléerapidementet,pleinedeconfianceetd’espoir,j’ai enfilé un demes pulls décolletés, puis jeme suis attaché les cheveux sur le côté, laissant l’autreentièrementdégagé.

On ne voyait que le bout des branches de mon arbre dépasser de l’encolure, mais elles étaientvisibles,commelesoiseauxsurmoncou.

J’aiterminéenremplaçantmesbouclesd’oreillesparmespiercingshabituels.L’heuredevéritéétaitvenue.J’avais passé une trop grande partie dema vie à dissimuler ce que j’étais pour faire plaisir aux

autres.C’étaitterminé.Àpartird’aujourd’hui,rienneseraitpluscommeavant,moicomprise.Avantdechangerd’avis,jesuisalléefrapperàlaportedeCade.Ilm’atoutdesuiteouvert,déjàprêtàaffronterlajournée.Ses cheveuxhumidesbouclaient sur son front, et sonparfum,viril et familier,me chatouillait les

narines.Lanuitprécédentem’estaussitôtrevenueenmémoireetj’aidûmeretenirpournepasmejeterdanssesbras.

—Bonjour,m’a-t-ilditavecprudence.Jen’avaisaucuneraisonde luienvouloir.Àvraidire, jemesentaisdavantagesur lepoint…de

flancher.Jenesavaispaspourquoi,mais,enlevoyant,toutelasérénitéquej’avaiséprouvéeausautdulits’étaitenvolée.J’avaislagorgenouée.Iladûs’enapercevoir,carilm’aattiréeàl’intérieuravantdefermerlaportesurnous.

Jeluiaitournéledos.—Laisse-moijusteuneseconde,s’ilteplaît.Jemesuiscomprimélespaupièrespourtenterdecontenirleslarmesquimebrûlaientlesyeux.

—Max…—Çava,ai-jelâchésansbaisserlesmains.Jedétestaisperdremesmoyens,surtoutdevantquelqu’un.MêmedevantCade.Sesbrassesontferméssurmoietjemesuisblottiecontrelui,lespoingsserréssurmabouche.—Tuvasyarriver,a-t-ilmurmuré.Jelesais.Commentpouvait-ilenêtresisûr?Saconfiancemesidérait,ilenavaittellement!Bienplusqueje

nem’enaccordaismoi-même.Jemesuisunpeuressaisie.Sijeperdaistoutleresteaujourd’hui,j’auraisaumoinsgagnéça.

—Çanevapasêtrefacile,a-t-ilrepris.Labonneblague.—Maistesparentst’aiment,Max.Cen’étaitpasdrôle;pourtant,j’aiéclatéderire,m’étranglantpresque.Ilm’asoulevélevisage.—Ets’ilsnevoientpasàquelpointtuesmerveilleuse,c’estqu’ilssontaveugles.J’aitentéd’avalerlaboulequim’étouffait.Jenesavaispascequej’avaisfaitpourlemériter.Jene

savais pas pourquoi il se souciait de quelqu’un d’aussi néfaste que moi, mais je lui en étaisreconnaissante.

Noussommesrestésuninstantsilencieux,puisilm’atendulamain,etjem’ysuisaccrochéecommeàunebouéedesauvetage.

—Jesuislà,etjevaisresteràcôtédetoi.Unpeudupoidsquim’écrasaits’estallégé.—Merci,Cade.—Jenevoispaspourquoitudevraismeremercier.Cettefois,jeluiaisouri.—Mercid’êtrelà,mercid’êtrevenu,etsurtout,mercidem’avoirparlé,hiersoir.Jesaiscequeça

t’acoûtédemediretoutça.Alors,situastrouvélecouragedelefaire,jedoispouvoirtrouverceluideparleràmesparents.

Ilm’arendumonsourireetserrélamain.—Allons-y,camarade.J’étaisloind’êtrerassurée,maissavoirqu’ilm’accompagnait,qu’ilseraitavecmoi,medonnaitun

peudelaconfianceetdelaforcequimemanquaient.En bas, mamère était à la cuisine, mon père devant la télé, etMichael pendu à son téléphone.

L’Antéchrist,àtable,feuilletaitunmagazinededécoration.Voir – à l’instant où ses yeux se sont posés surmoi – samâchoire se décrocher et l’horreur se

peindresursonvisageaeuquelquechosed’extrêmementagréable.Çan’amalheureusementpasduré.Elles’esttournéeverslacuisine,puis,aprèsavoirappelémamère,ellem’acontempléeavecunair

si profondément suffisant que la question de Cade m’est aussitôt revenue à l’esprit. Pourquoi medétestait-elleautant?Sansdouteparceque,commemesparents,ellen’aimaitquecequiestlisse,propreetnet.Toutcequejen’étaispas,avecousansmestatouages.

Cadem’adonnéunepressiondelamainetj’aiprisuneprofondeinspiration.Mamèreestarrivée,unecasseroleetuntorchondanslesmains.

—Oui?Bethanym’amontréedudoigt.J’aiavancépourêtrebienenvueaumilieudusalon,Cadetoujoursà

moncôté.

Mamèrem’aregardée,maisilluiafalluquelquessecondespourvraimentmevoir.Lacasseroleluiestalorstombéedesmainspouratterrirparterreavecfracas.Unemultituded’émotions,qu’end’autrescirconstances j’aurais trouvées très drôles, s’est succédé sur son visage. J’avais l’impression de voirtournerlaRouedelaFortune,saufquejenesavaispasdutoutsurquellecaseelleallaits’arrêteretquetoutescellesquiauraientpumerassureravaientétésupprimées.Monpèrealevélesyeuxaumomentoùelledisait:

—MackenzieKathleenMiller,commentas-tupuinfligerdetelleshorreursàtoncorps?—Quelleshorreurs?ademandémonpère.Il s’est tourné versmoi et j’ai vu, distinctement, la colère s’épanouir sur ses traits. Il s’est levé

lentement,avecraideur,et, tandisquesesyeuxpassaientdestatouagessurmoncouàmespiercings, ilm’ademandé:

—Qu’est-cequetuasfait?Saquestion était clairement articulée, tranchante.Et son immobilité comme le silencequi a suivi

étaientpluseffrayantsquelecalmeavantlatempête.Mamère l’a rejoint et il l’aprisepar lesépaules.Elle larmoyait et se tapotait lesyeuxavec les

coinsdesontorchon.—Commentpeut-ellenousinfligerdeschosespareilles?a-t-ellegémi.Toutemonangoisse,d’uncoup,s’estmuéeencolère.—Jenevousinfligeriendutout!Moncorpsm’appartient,j’enfaiscequejeveux.Çan’arienà

voiravecvous!—Tutemarquescommedu…bétailouunevulgaireprostituée,ettuvoudraisqueçanenousgêne

pas?Il n’avait pas levé la main, mais ça revenait aumême ; l’humiliation, pire que la douleur, était

cuisante.—Mick,estintervenuCaded’untonferme.Monpèrel’aregardé,commes’ilnes’apercevaitquemaintenantdesaprésence,etlagênedevoir

unétrangerassisteràcettescènes’estajoutéeàsafureur.—Laisse-nous,fiston.Prisedepanique,jemesuisaccrochéeàlamaindeCade.—Excusez-moi,monsieur,a-t-ilrépondu,maisavectoutlerespectquejevousdois,jenevaisaller

nullepart.Mamèreenaeuunhoquetdestupeur,etmonpères’estétranglé.Caden’yétaitpourrien,etcomme

jenevoulaispasqu’ilss’enprennentàlui,jemesuisavancée.—Jesaisquevousn’appréciezpascegenredechoses,mais…—Cegenredechoses?s’estexclaméemamèreauborddel’hystérie.Noust’avonsélevéedansla

religion,Mackenzie,nous t’avonsenseigné,depuis toutepetite,que toncorpsest sacré…et tu…tu lesaccages!TusaiscequeditlaBibledecesabominations.

—LaBibleditaussiderenonceràsesrichesses,pourtantvousnelefaitespas.Etjenesaccagepasmoncorps.Jen’aipasdetracesdepiqûresdanslesbras,jenemedroguepas,jenemeprostituepasnonplus.Cestatouagessontartistiques,ilsreprésententquelquechosed’importantpourmoi,quelquechosed’assezimportantpourquejeveuillequ’ilsfassentpartiedemoi.

—Tuveuxme fairecroirequecesgribouillages sontartistiques?aaboyémonpère.Etquecesoiseauxreprésententquelquechosed’important?

—Oui,ilsreprésententlaliberté!Unechoseàlaquellejetiens!

—Jesuisheureuxdetel’entendredire,arépliquémonpère,parcequetuvaspouvoirenprofiter.Sic’est ce que tu fais de l’argent qu’on te donne, temutiler et ruiner toutes tes chances d’avoir une vierespectable,alorsnecompteplussurnouspourt’aider.

Cettenouvellem’anettementmoinsaffectéequecequej’avaisimaginé.Jemefichaisbiendeleurargent,c’étaitmêmelamoinsimportantedetoutesleschosesdontilspouvaientmepriver.

—Ilyalongtempsquevousavezcessédevouloirm’aider.—Jesuissérieux,Mackenzie.Etj’espèrequetapetitelubiemusicalevamarcher,parcequetune

risquespasdetrouverdetravaildanscetteallure.—Jem’appelleMax,papa,ai-jerépliqué,lesdentsserrées.Max.Etma«petitelubie»,commetu

dis,c’esttoutemavie.J’enaiassezdemeplieràcequevousvoulezquejefasseouquejesois.JenesuispasMackenzie,etjenesuispasAlexandria!

Mamèreareculécommesijel’avaisgiflée.Cequiadécuplémafureur.Ellepassaitsontempsàrépéterleprénomdemasœur,àmebalancerdesphotosetdesvieuxsouvenirs,maisdèsquej’essayaisdeparlervraimentd’elle,ellesedéfilait.

J’ai foncévers le guéridon sur lequelmesparents posaient leurs clefs, et j’ai attrapé celle de lavoiturequej’utilisaisavantdepartiràPhiladelphie.

—Oùcrois-tut’enaller,jeunefille?s’estécriéemamère.—Mechangerlesidées.Jereviendraiquandêtreicinemedonnerapluslanausée.Autrementdit,ettrèsprobablement,jamais.Jesavaisexactementoùj’allais:làoùmavie,aveccelledemasœur,s’étaitbrisée.

39

Cade

Jeme doutais que cette conversation serait difficile,mais je n’avais pasprévuqu’ellepuissem’affecterautant.Etj’avaisencoremoinsimaginéquelesparentsdeMaxpuissent réagir avecune telleviolence.L’amour filialn’est-il pas censé être inconditionnel ? Je m’étais dit qu’ils allaients’énerver, peut-être pleurer, puis qu’ils se calmeraient pour parlertranquillement,commedesadultes.Aulieudequoi,ilsn’avaientmêmepasessayé de la comprendre, et quand son père l’avait traitée de prostituée,j’avaisfaillimejetersurlui.

J’aisuiviMaxparlaportedelacuisinequidonnaitdanslegarage.Sesparentsnesesontpasnonplusprécipitésderrièrenous.

Ilsavaienttroisvoitures.Envoyantlesclignotantsdecelledufonds’allumer,j’aitentéderetenirMax.Maiselleouvraitdéjàlaportièreetmebloquaitlepassage.

—Max…—Tais-toietmonte.Jemesuisdépêchédefaireletourdelavoiture.Heureusementqu’ellem’attendait,carjen’aurais

jamaisoséretournerdanslamaison.La porte électrique du garage était déjà ouverte, et j’étais à peine assis que Max appuyait sur

l’accélérateurpourfoncerdanslarue.—Max,faisattention,s’ilteplaît.Ellearalenti.Untoutpetitpeu.—Jesuisdésolé,ai-jelâchéenm’accrochantàlapoignée.Jemesentaispitoyable,parcequej’étaisentièrementresponsable.—Jen’auraisjamaisdûtepousseràleurparler.Jesuisvraimentdésolé.Ellem’asouri,lesyeuxbrillantsdelarmes.—Inutiledet’envouloir.—Si,c’estmafaute.Tuavaispeuretapparemmentavecraison.—Jetrouvetoujoursd’excellentesraisonsd’avoirpeur,GoldenBoy.Ilesttempsquej’arrête,tune

croispas?Si,j’enétaismêmeconvaincu,puisquej’étaislepremieràl’avoirlancéesurcettevoie.Cependant,

j’étaisencoretropsecouéparlascèneàlaquellejevenaisd’assister.Jen’étaispas seulement responsableduclashavec sesparents. Jeme rendaiscompteque j’étais

aussi responsable, maintenant, de ses conséquences. Tout ce qui faisait pleurer Max m’étaitinsupportable,etjerefusaisdelavoirsouffrir.J’avais…dessentimentspourelle,jelesavais,mais,toutàcoup,etpourlapremièrefois,leurprofondeurm’afaitpeur.

J’avais besoin de temps. Ilm’avait fallu desmois avant de reconnaître ce que j’éprouvais pourBliss,etautantpourmerendrecomptequejemetrompais.Maxavaitdéboulécommeunetornadedansmavie.Jen’avaisjamaisrienressentid’aussiintenseetj’étaiscomplètementdéboussolé.

Elleaprisunvirageserréàgauche,puisàdroite,etunautreàgauche.Nousétionsdansunezonepavillonnaire,etj’avaisl’impressionderevenirtoujoursaumêmeendroit.Elleaencoretournéàdroite,etnousavonsdébouchésurunevoie rapidequ’elleapriseendirectiondusoleil levant.Sesmainssesontdesserréessurlevolant,etelles’estunpeudétendue.

—Onvaoù?—Auseulendroitplusdéprimantquechezmesparents.Chaquefoisquejecroyaisdevinercequ’ellepensait,jemetrompais.—Pourquoi?Ellem’aregardé.Lesoleiljouaitdanssescheveux,etsesyeuxmefaisaientl’effetd’unocéandans

lequeljerêvaisdemenoyer.Durantunebrèveseconde,unesecondedeperfection,lemonde,letemps,l’angoisseduprésent,celledel’avenir,ontcesséd’exister,etellem’arépondu:

—Pourtournerlapage.

Cinqminutes plus tard, nous arrivions au pied d’une colline. La route, en ligne droite, s’élevaitdevantnousjusqu’ausommet.Elleétaitdéserteet,toutenhaut,souslavoûtedesarbres,lesoleilpointaitsespremiersrayons.Lascèneétaitmagnifique,decellesquidemandentqu’ons’arrêtepourlesprendreenphoto.Maxs’estd’ailleursarrêtéeauborddufossé,justeavantlamontéeetl’oréedesarbres.Elleacoupélemoteuretcroisélesbrassurlevolant.Sonregard,fixédroitdevantelle,étaitsiintensequejen’airienvouludire.Quoiquepuissereprésentercetendroitpourelle,ilsignifiaitbienplusqu’unejolievuedecartepostale.

Elles’estsecouéeetaordonnéd’unevoixdouce:—Viens.Elleestdescendueets’estmiseàmarchersurleborddelaroute,verslesommetdelacolline.J’ai

détaché ma ceinture de sécurité et me suis dépêché de la rejoindre. Elle avançait en silence, sur unminusculesentierdont le tracé,àpeinevisibleaumilieudesherbeshautes,m’afaitpenserquec’étaitellequil’avaitcréé.

Quandlacôteestdevenueplusraide,ellen’apasralenti.Ellen’apasnonplusparlé.Arrivéausommet,j’étaisennageet,malgrélefroid,j’aienlevémonmanteau.Maxavaitlaisséle

sienchezelle,maisellenem’amêmepasréponduquandjeluiaiproposélemien.Lesentiers’éloignaitduborddelaroutepourallerversunpetitpromontoirerocheux.L’aisancede

Maxà legrimperm’aconfirméqu’elle avait l’habitudedevenir ici. Je l’ai suivie enprenantgardeàmettremes pas dans les siens, puis jeme suis assis à son côté, laissant, comme elle,mes jambes sebalancerdanslevide.Nousétionssouslesarbres.Lesdeuxversantsdelacollines’étiraientsousnospieds,traversésparlerubandelaroutequiserpentaitauloin.

L’endroitétaitincroyablementpaisible.Onnevoyaitpaslaville,niunevoiture,nimêmeuneseulemaison. Jecomprenaisqu’ellepuissevenir se réfugier ici.Loinde l’agitationdumonde,aumilieudenullepart,onpouvaitsesentirréconforté.

Elleaprisuneinspirationtremblante,désignélaroutederrièreetm’adit:—Masœurestmorteici,sousmesyeux.

J’ai eu l’impression de recevoir un coup de poing ;mes réflexions, l’instant d’avant si sereines,volaientenéclats.Elleavaitparléposément,sanslamoindrehésitation,maisjevoyaisbiencequecesmots lui coûtaient. Sesmains étaient nouées sur ses genoux. Elle était raide et complètement figée, àl’exceptiondeseseffortspourretenirseslarmes.

—J’avaistreizeans.Mamèrem’avaitobligéeàalleràunestupidesoiréepyjamas.Alors,commejesaissibienlefaire,jemesuisconduitecommeuneimbécileetj’aiénervélafillequinousinvitait.MamèreaenvoyéAlexmechercher.

Ellealevélesyeuxsurlecielmatinal,pourpreetrose,etpincéleslèvres.—Alexétaitbonnepourcegenredemissions.Allercherchersapetitesœur,unsamedisoir,aurait

renduhystériquen’importequid’autre,maispaselle.Cesoir-là,pourtant,quelquechoselacontrariait.Jen’arrêtaispasdel’embêterpoursavoircequec’était.Elleafiniparmedirepourquoielleétaitàlamaisonetpasdesortieavecsesamis.Nosparentsavaienttrouvédel’herbedanssachambre;elleétaitprobablement punie jusqu’à la fin des temps. C’est une des raisons pour lesquellesmes parents sonttellementméfiantsaujourd’hui.

Elle s’est interrompue pour faire glisser le bracelet de cuir qu’elle avait au poignet. Dessous,tranchantsurlapeauclaire,setrouvaituntatouagequejen’avaispasremarqué.C’étaientdeschiffres,«23:12».J’aiattendu,lagorgenouée,qu’ellecontinue.

—Ilétaitvingt-troisheuresdouze.Savoixs’estbrisée,etleslarmesqu’elles’efforçaitdecontenirsesontmisesàroulersursesjoues.— Je le sais parce que je tripotais la radio pour trouver une station audible.Alex parlait de la

réactionexcessivedenosparents.L’herbeappartenaitàMichael,maisellen’avaitpasvoululedénoncer,alorselleessuyaitl’orage.Nousétionspresqueausommetdelacolline,onnefaisaitpastrèsattention,iln’yavaitpasdecirculation.Personnenepassejamaisparici.Saufcettenuit-là.Untypeadébouchéenfacedenous,ils’étaitendormiauvolant…

Elles’estmiseàtrembler.Jesavaisquecen’étaitpasàcausedufroid,maisj’aiquandmêmeposémonmanteau sur ses épaules.Elle apousséun soupir et fermé lesyeux.Ses larmesbrillaientdans lesoleil,etsonvisage,crispédesouffrance,étaitpresqueméconnaissable.

Elleareprisd’unevoixtendue:—Alexabraqué,maispasassezvite,etl’autrevoiturenousaheurtéessurlecôté.Onacommencé

àtourner,puisonestpartiesdanslesairs.J’ai l’impressiondemesouvenirdetout,etenmêmetempsd’avoir toutoublié. J’ai criéen regardantpar la fenêtre les arbres seprécipiterversnous. Jemesuisretournée versAlex, il y avait desmorceaux de verre qui volaient et un trou dans le pare-brise.Ellen’étaitplussursonsiège,mais l’unedeseschaussuresétaitcoincéesurcequi restaitde lavitre.J’airegardécettechaussurependantuneéternitéavantqueletoitdelavoitureneheurtelesol.Çan’aduréqu’une seconde, peut-être deux,mais jeme suis vue, projetée dans le futur. Je voyais ce que j’allaisdevenir,cequenousallionstousdevenir,siAlexmourait.Jemevoyaisgrandirsanselle,passertoutesnosvacances,touteslesfêtessansqu’ellesoitavecnous.J’aivudéfilerdixanscommeça,dixannéesdecauchemar.

Elle s’est comprimé le cœur, comme si elle voulait l’empêcher d’exploser. Incapable de resterimmobile, jeme suis rapproché et j’ai posé lamain sur la sienne.Ellem’a enlacé les doigts et les aserréscontreelle.

—Écraséeparlechocdelaceinturedesécurité,mavisions’estobscurcie.Quandj’airouvertlesyeux,j’avaislatêteenbaset,àcausedeséclatsdeverre,j’avaisdusangpartout.J’aivulachaussureetj’aicommencéàcrier.Jenemesouvienspassijeprononçaisdesphrasesousijepoussaisseulementdeshurlements, mais ma sœur était quelque part, et moi, j’étais coincée. J’avais beau tirer, pousser, je

n’arrivais pas à défaire ma ceinture. J’ai arrêté de lutter et je me suis contorsionnée pour tenterd’apercevoirAlexpar l’uneou l’autredes fenêtres.Sur lecôté, j’aivusonsweat shirt rose fluoet lamassequidevaitêtresoncorps.Ellenebougeaitpas,etjel’appelaisdetoutesmesforces.Jecriaissonprénom,encore,etencore,etj’attendaisqu’ellefasseungeste,queletypedel’autrevoiturearriveprèsd’elle,ouquen’importequiviennenousaider.Maisilnesepassaitrien.Jenelesavaispas,maisletypequinousétait rentrédedansavait atterridansunarbreet il étaitmort sur lecoup. Jen’avaispasmontéléphoneportable,parcequemamèremel’avaitconfisqué,etjenesavaispasoùétaitceluid’Alex.J’aicontinuédecrier,demedébattreetdepleurerpendantjenesaiscombiendetemps,maisj’étaisleseulêtrevivantàdeskilomètresàlaronde.Jenesaispasauboutdecombiendetempsquelqu’unestarrivé.J’avaislagorgedéchirée, l’impressionqu’onmeserrait la têtedansunétau.Et jesavaisquemasœurétaitmorte.

Jel’aiprisedansmesbras,etelleapleurélongtemps,jusqu’àcequeleprésentreprennedoucementsesdroitsetquejesachequejenepouvaisplusvivresanselle.

40

Max

Jemesentaisvidée.Commesi toutcequejeretenaisdepuisdesannées,ces morceaux de vie brisés, déchiquetés, qui me déchiraient depuis silongtemps,m’avaient été arrachés. J’étais soulagée d’en être débarrassée,maisjemeretrouvaisaussicomplètement…démunie.

Je n’avais jamais raconté cette histoire à personne. J’avais dit aux urgentistes ce qu’ils avaientbesoindesavoiretauxthérapeutescequ’ilsvoulaiententendre.Jen’arrivaistoujourspasàcroirequej’aieputoutdireàCade.J’avaispeurdeleregarder,maintenant;peurdeliredanssesyeuxl’horreuretledégoûtquem’inspiraitcellequej’étais;cellequi,parsescapricesetsonégoïsme,avaitprovoquélamort de sa sœur. Alors, je me suis concentrée sur les battements de son cœur contre ma joue – desbattements forts,calmeset réguliers.Toutcequemavien’avait jamaisété. J’avaisbesoindequelquechosedestable,parcequejen’enavaispasfini.Sijevoulaisvraimenttournerlapage,laisserlepassépourdebonderrièremoi,jedevaiscontinueràlutter.

Le silence des premières heures du jour avait laissé la place au chant des oiseaux et aubourdonnementdesinsectes.

—J’auraisdûmouriràsaplace,ai-jemurmuré.Alexétaitlameilleure.Ilm’asaisieparlesépaulesetécartéepourmeregarderdroitdanslesyeux.—Cequis’estpasséestatroce,Max,c’estunetragédiepourelle,pourtoi,pourvoustous,maisne

redisjamaisquetuauraisdûmouriràsaplace.Tuassurvécu,etmalgrélasouffrancequiauraitdétruitbeaucoupdemonde,tuesdevenueunefillemagnifique,pleinedetalentetcourageuse.

Iln’avaitpascompris.Jenemedisaisplusquej’auraisdûmouriràlaplaced’Alex,enfinplussisouvent, mais je restais celle que j’étais, coupable et nocive pour les autres. Ses compliments n’ychangeaientrien.

J’aiessuyémeslarmes,étirémesmusclesendoloris,etévitédeleregarder.Le soleil étaitmonté. J’avais l’impression qu’il éclairait tousmes secrets, toutesmes tares, dont

cetteépinemonstrueuseplantéedansmoncœur.—Oui,j’aisurvécu,maistucomprendsmaintenantpourquoijet’airepoussé.Leventm’ébouriffaitlescheveux;ilarepousséunemèchederrièremonépaule.—Jecroisquejelesaisdepuisunmoment,Max.J’aisoupirédesoulagement.Lasuiteseraitpeut-êtremoinsdurequejenel’avaisimaginée.—Tucomprends?Tantmieux.Tun’asqu’àchangertonbilletpourleTexas.Tupourrasrejoindreta

familleplustôt,pendantquej’essaiederecollercequejepeuxaveclamienne.J’aisautédurocher,etilm’aimitée.—Max,jen’irainullepart,saufsituviensavecmoi.Etvoilà,ilsesacrifiaitencorepourmoi.J’avaispeut-êtreeutortdememontrersousmonvraijour.

Ilétaittellementgentilqu’ilnepouvaitpass’empêcherdem’aider.J’aifaitdemi-tourverslavoiture,maisilm’aattrapéeparlepoignet.

—Çaira,Cade.Jepeuxtrèsbienmedébrouilleravecmesparents.Enfin,j’espérais.J’aitentédemedégager,maisilm’atournéeverslui.Jemesuissentie,malgrémoi,glisserdansses

bras.—Jenerestepasparcequejepensequetuasbesoindemoi.Jereste,parcequejeveuxrester.Je

t’aiditcettenuitquej’allaisteprouverquetuavaistortdemerepousser,etça–iladésignélacolline–nechangestrictementrien.

Sonregardétaitbrillantetsincère.—J’auraisdûtecouriraprèsquandtuespartiedechezmoi;jenecommettraipaslamêmeerreur

unedeuxièmefois.J’ai fermé les yeux. Comment une seule phrase pouvait-elle me rendre aussi heureuse et aussi

misérableàlafois?—Non,ai-jerépondusombrement,tun’auraispasdû.Ilaflanché,maisacontinué:—Ilyadeschosesquiméritentqu’onsebattepourelles,Max,ettuenfaispartie.—Cade…—Jesaisquenoussommesdifférentsetquejenesuispastongenre,maisjesaisaussiquejenete

laissepasindifférente.Ilaposélamainsurmajoue,etmoncorpsluiatraîtreusementrépondu.—Jesaisquetumefaisrire,a-t-ilcontinué,jesaisquej’aimelesondetavoix,particulièrement

quandtuchantes.Jesaisquetumeplaisetquej’aimeteregarder.Jesaisaussi,etsurtout,quejen’aipascessédepenseràtoidepuisquetut’esassiseàmatable,danscecafé.

Jenevoulaispeut-êtrepasl’admettre,maisc’étaitvraipourmoiaussi.—Etjesaisquejenesupportepasdetevoirsouffrir.—Cade…jenepeuxpas.J’aitentédem’écarter,maisilaprismonvisageàdeuxmainsetm’aretenuefermement.—Pourquoi?—Jeteferaismal.—Jeprendslerisque.Jemesuisdégagéeet,cettefois,ilm’alaisséepartir.J’enaiprofitépourluimontrerl’endroitoù

nousvenionsdepasserdesheures.—Tunevoisdoncpasqui jesuis?Cequejeprovoque?Laseulechosequejesaisfaire,c’est

détruire!Jesuisnuisible,Cade!Ils’est,luiaussi,misencolère.—Non,Max.Tun’espasnuisible.J’aisecouélatête,excédéedesentirleslarmes,unefoisdeplus,roulersurmonvisage.—Si.Jedétruistoutcequ’ilyadebiendansmavieetdanscelledesautres.Ceseraexactement

pareilavectoi.—Tutetrompes,Max.Toutcequetuesmerendmeilleur.Tumepoussesàprendredesrisques,à

fairedeschoix.Grâceàtoi,jemesouciemoinsd’êtreparfaitqued’êtreréel.Tumedonnesenviedemedépasser,d’êtrecourageux.

Plusilapprochait,plusj’avaisenviedefuir.—Arrêtededireça!Jetel’aidéjàdit,jenesuispascourageuse!Jesuistoutlecontraire.J’aitout

le tempspeur, et çam’étouffe aupointdenepluspouvoir rien faire. J’ai l’impressiond’être toujours

coincéedanscettevoiture,quelemondes’écrouleautourdemoi,àcausedemoi,etquejenepeuxrienfairepourl’empêcher.

Je n’arrivais pas à respirer. J’étais complètement exposée.Tout ce que j’avais construit pourmeprotégers’étaitécrouléquandjeluiavaisparléd’Alex.Jen’avaisplusrienàquoimeretenir,rienpourbloquerlesémotionsquimesubmergeaient.

—Jesaiscequeturessens,Max,maisjenecroispasquetulaisseslapeurtedominerautantquetul’imagines.Tutebatspourréalisertonrêve.Tunelaissespersonnetemarchersurlespieds.Tuesassezcourageusepourt’affirmer,mêmedevanttesparents,mêmeaurisquedelesperdre.Tueslafillelapluspassionnée,laplusbelle,laplustalentueuse,quej’aiejamaisrencontrée.

Ilaglisséunemainsousmonmanteaupourm’attireràlui.—Fermelesyeux,m’a-t-ilditenposantlefrontcontrelemien.Tuterappellescedontnousavons

parlé après ton concert ?Vivre est difficile. C’était difficile quand tu avais treize ans, c’est difficileaujourd’hui,etçaseradifficiledemain.Alorsfermelesyeuxetrespire.Respireavecmoi.

Jenevoulaispasl’écouter,jetremblaisdetousmesmembres,maisjemesentaisplusforteaveclui.Sonsouffle,légersurmeslèvres,m’apaisait;sesbrasautourdemoimerassuraient.Alorsj’airespiré,doucement, jusqu’àceque lemondemesembleplussimpleàsupporter.Peut-êtreparceque jen’étaisplusseule.

—J’aitellementpeur.—Jesais,Max,maislapeurnousditqu’onestvivant.Ellemeditaussiquetutesouciesdecequ’il

yaentrenous,parcequepersonnen’apeurdecequinecomptepas.Maintenant,ouvrelesyeux,Max.Tun’espasnocive.Jenesuispasmieuxsanstoi.Regarde-moidanslesyeuxetdis-moiquetun’éprouvesrienpourmoi.

Jel’airegardé,maisjen’airiendit,parcequej’auraismenti.Ilm’asouri.—Jen’aipasbesoind’ensavoirplus,Max.Nousavonsnosproblèmes,maisjeneveuxpluslaisser

lesmiensmedictermeschoix.Tuasditquetuvenaisicitournerlapage,jeveuxfairepareil.Onaeunotrelotdesouffrancesetdedéceptions,alorsonnesaitpascommentfairequandlesbonneschosesseprésentent,onpréfèretournerledos,sortirlesgriffes.J’enaiassezdetoutça.J’enaiassezdelaisserlesgenspartir.

J’étais contente de le voir surmonter ses problèmes et prendre de bonnes résolutions, maisj’affrontais lesmiensdepuis le leverdu jour,et jen’étaispas sûredevouloirenaffronterundeplus.Maisilm’yobligeait.

—Tunecomprendspas,ai-jerépondu.Oui,j’aidessentimentspourtoi.Unsourires’estdessinésurseslèvres.Jel’aiignorépourcontinuer:—Tequitter était trèsdur,mais jemeconnais. Je sais comment je fonctionne, jeneme faispas

confiance,etc’estpourçaquejeneveuxpassortiravectoi.Jesuisinstable,inconstante,etterrifiéeàl’idéedemeréveillerunmatinlasséedetaprésence.

—Jecroisquetuessurtoutterrifiéeàl’idéedenepastelasser,justement.J’aifermélabouche.Ilavaitraison,unefoisdeplus.—Etsitudevaisteréveilleretvouloirmequitter,jemebattraispourtoicommejesuisentrainde

lefaire.Ilm’areprisedanssesbras.—Jeterappelleraichaquejourlemiraclequiseproduitchaquefoisquenoscorpssetouchent.Je

te rappellerai lesbonsmoments,et je t’aideraiàoublier lesmauvais. Je te rappelleraicelleque tuesquandlescoupsdurst’enferontdouter.Jeviendraitecoincercontretaporteaubeaumilieudelanuitet

jet’embrasseraijusqu’àcequetutesouviennesquetespeursnesontqueça:despeurs,etqu’ellesnepeuventpastedominer.Jeprendslerisquedevoirtoncœurchangersiçaveutdirequ’ilestàmoi.

Malgré tousmesdoutes, j’étais en trainde comprendrequ’il lui appartenait déjà. J’ai regardé lacollinederrière lui. J’avais toujoursassociécetendroitauxfins,mais ilétaitpeut-êtreaussiceluidescommencements.J’aiprisunegrandeinspiration.

—Jetepréviens,jevaist’enfairebaver.J’étaisloind’avoirsonéloquence,maiscegenrede«oui»devaitluisuffire,parcequ’unimmense

sourires’estdessinésursonvisage,etj’aisentimoncœurgonfler.—Jecroyaisquetuavaisdéjàcommencé.Jeluiairendusonsourireenhaussantlesépaules.—Cen’étaitqu’undébut.Nousavonsri,etlatensionquimecomprimaitlapoitrines’estunpeurelâchée.—Jenetedemandepasdeneplusavoirpeur,a-t-ilrepris.C’estmêmelejouroùtun’aurasplus

peurquejecommenceraiàm’inquiéter.Non,toutcequejeveux,pourl’instant,c’estlerendez-vousquetum’aspromislejouroùons’estrencontrés.

—C’estdansmescordes.Il m’a embrassée et, pour la première fois depuis longtemps, le mondem’a semblé de nouveau

cohérent.

41

Cade

Après l’avoir si longtemps tenuedansmesbras, j’hésitais à la lâcher, etencoreplusàpartir.Alors,nousavonsprislescouverturesdanslecoffredelavoitureetnousnoussommesemmitoufléssurlabanquettearrière.Serrésl’un contre l’autre, nous avons continué à parler et à nous embrasser,commesinousavionsl’éternitédevantnous.

J’espéraisquec’étaitlecas,mêmesilesiègeétaitbientropétroitpourquenoussoyonsvraimentàl’aise.

—Jetrouvaislesvoituresplusconfortables,quandj’étaisaulycée.Elles’estredressée.—Parcequetuaspassébeaucoupdetempssurlesbanquettesarrière,GoldenBoy?Jel’aichatouillée,etelles’esttortilléesurmoienriant.—Onn’apasditqu’onlaissaitlepasséoùilétait?—Si,si,m’a-t-elleréponduenmeprenantparlespoignets.Jemesuislaisséemprisonner.—Etpourêtretoutàfaitsûrequetunepensesqu’auprésent…Elles’estpenchéepours’emparerdemeslèvres.Jel’aid’abordlaisséefaire,tropheureuxdecéder

àlalenteurqu’ellem’imposait,puis,n’ytenantplus,j’aiglissélesmainsdanssescheveux.J’adoraislebrasier qui me dévorait chaque fois que nos lèvres se rencontraient. Elle pouvait penser ce qu’ellevoulait,jenevoyaispascomment,unjour,nouspourrionsnousenlasser.

Alternantlesbaisersetlesmomentsdediscussion,nousavonslaisséletempss’écouler,etquandlesoleilacommencéàdécliner,nousavionstouslesdeuxsérieusementmalaudos.

—Onsefaitvieux,a-t-elleremarquéenriant.—C’estvraiquetun’asplusvingtans,tuessurlapentedescendante.Ellem’adonnéunetapeavantdem’embrasser.—Jesuiscontentequetunem’aiespaslaisséepartir.—Jesuiscontentquetum’aieslaisséteretenir.

Lesoleilétaitsurlepointdesecoucherquandnoussommesrentréschezelle.Jeluiavaisproposéde trouverunhôteloude louerunevoiturepourpartirdirectementauTexas,maisellem’avait assuréqu’ellesesentaitcapabled’affrontersesparents.

Lavoiture était àpeinedans l’alléeque samère seprécipitait versnouspour sangloterdans lescheveuxdesafille.

—Ton père a essayé de te suivre,mais tu roulais si vite qu’il t’a perdue, et quand on a voulut’appeler,on s’est aperçuque ton téléphoneétait à lamaison.Ne t’avisepasdenous refaireune telle

frayeur.Max,malgrésonairunpeueffaré,arendusonétreinteàsamère.—Tonpèreétaitdévasté.Ilestencoreàtarecherche.—Jevaisbien,maman.J’avaisbesoindefairelepoint,c’esttout.Samèreareculépourluiprendrelevisageàdeuxmains.Ellel’aregardée,puiselleatendrement

repousséunemèchedesescheveux.—Jeregrettecequejet’aidit…Max.Maxn’arrêtaitpasdedéglutir,signequ’elleétaitauborddeslarmes.—Tonpère etmoi sommes seulement terrifiés de ce qui pourrait t’arriver.Nous avons perdu ta

sœur,etdepuis,toutnousfaitpeur.Maxafaitunbruitentrerireetsanglot.—Siçan’avaittenuqu’àmoi,acontinuésamère,tun’auraisjamaispassélepermis,niquittéla

maison,nifaitquoiquecesoitquejenepuissesurveillerdemespropresyeux.Nousvoulionstellementteprotégerquenousavonsoubliéquecenesontpasnosdésirsquicomptent.Tuesgrande,maintenant,ilesttempsquenoustelaissionsouvrirtesailes.

Maxaprissamèredanssesbraset,sansdoutepourlapremièrefoisendixans,l’avraimentserréecontreelle;MmeMilleradenouveauéclatéensanglots.

Ceneseraitpasfacile.Maxétaittropécorchéeetsesparentstropsecouéspourqu’unebonnecrisedelarmessuffiseàtoutrégler,maisc’étaitundébut.Et,d’aprèscequej’envoyais,unbondébut.

Sonpère,prévenuparsamère,est rentréà lamaisonet,aprèspresqueuneheuredepleursetdediscussionentreeuxtrois,Maxasembléavoirbesoind’unbreak.

—Etsionallaittechercherunerobepourlegala?ai-jeproposé.C’estbiendemainsoir,non?Lesmagasinssontencoreouverts?

L’évocationdecesmondanitésasembléplongerMmeMillerdansladétresse,maisellearépondu:—Lesmagasinsrestentouverts tard,cesoir,àcausedesfêtes,maisnousnesommespasobligés

d’alleraugala,chérie.—Biensûrquesi,arépliquéMax,tut’esbeaucoupinvestiepourcettesoirée.Samèreasouri,etjepouvaispresquevoirlelienbriséentreellesserenouer.Unlienfragile,mais

unlientoutdemême.Samèreluiaproposésacartedecrédit.—Non,maman.Çaira,jevaistrouverquelquechose.—Nesoispasridicule.Tudétestescegenredesortiesettun’yvasquepourmoi,alors,laisse-moi

payer.EttrouveaussiquelquechosepourCade.Bethanyal’intentiondeluidonnerundesvieuxcostumesdeMichael.Jenecroispasqu’ilaitenviederessembleràuncollégien.

Maxaprislacartedecrédit,maisaclairementprécisé,surtoutàl’intentiondeBethany,quiécoutaitàlaportedusalon,qu’ellen’allaitpasfairedefolies.

Aprèsdeuxoutroismagasins,quin’étaientpasdutoutdugoûtdeMax,nousavonsatterridansuneboutiquevintage.Lapropriétaire,quiétait sur lepointde fermer,nousagentimentaccueillis etmêmeencouragés,«dansl’espritdeNoël»,àprendre«toutnotretemps».Maxétaitradieuse.

J’ai vite trouvémonbonheur : un costume taillédansun tissugris avecde trèsdiscrets carreauxrouges,venduavecunepairedebretellesqueMaxachaleureusementapprouvées.Elles’enestd’ailleursserviepourm’attirercontreelleetm’embrasser.

Elleaessayédifférentestenues,commecettepetiterobedeperlesjaunes,quis’arrêtaitaumilieudesescuissesetmedonnaitenviedelasuivredanslacabined’essayage.Puiselleenaessayéuneautre,vertfoncé,dontlecoltrèshautcachaittoussestatouages.

—Elleestsplendide,luiai-jedit,maisnet’avisepasdelachoisir.—Tunecroispasquejedevraislescacher?Jel’airepousséedanslacabineetj’aifermélaportesurnous.—Jecroisquetunedevraisriencacherdutout.Elleasouri.—Merci.—Jesuissérieux.Àmonavis,tunedevraisjamaisrienporter.Elleaéclatéderire.—Oh!c’esttonavis?—Oui,etj’yaibienréfléchi.—Tum’étonnes,m’a-t-elleditenmeprenantparlecou.Jugeantquec’étaitunepermission,jel’aipresséecontrelemiroir.Sesonglesm’ontarrachéunrugissement.—Chut!Ouonvaavoirdesennuis.—Lesmeilleursennuisdumonde,ai-jerépliquéenglissantleslèvressursoncou.Songémissementm’atranspercé.—C’est drôle, ai-je lâché d’une voix un peu rauque,mais je ne crois pas que c’était à ça que

pensaitlaproprioquandellenousaditdeprendretoutnotretemps.La caresse demes lèvres, juste sous son oreille, lui a arraché un autre gémissement. Jeme suis

concentrésurcetendroit,etelles’estagrippéeàmoi,commesielleétaitsurlepointdedéfaillir.Jenevalaisguèremieux,etjen’avaispaseul’intentiond’allersiloin,maisellemerendaitcomplètementfou.

Jedescendaissursagorgequandsoncolabloquémaprogression.—Cen’estdéfinitivementpaslarobequ’iltefaut.Ellem’aécarté,toutefrémissante,etm’achassédelacabine.Àpartirdelà,jen’aipluseuledroitd’entrer.Ellen’amêmepasvoulumemontrerladernièrerobe,

etcommeellevoulaitmefaireunesurprise,j’aidûattendrequ’ellepaiedanslavoiture.Jen’aidécouvertsonchoixquelelendemain,justeavantdepartir.Ellesetenaitdansl’encadrementdemaporte.Uncorsetdeveloursnoirceignaitsapoitrine,justeen

dessous de laquelle partait une longue jupe blanche.Le tissu était si aérien, et il y avait tellement devolants,qu’onauraitditunnuage.Desdouzainesdefinesbretellespassaientdesesépaulesàsondos.Lesbranchesdesontatouageseconfondaientsibienavecellesqu’ellessemblaientfairepartiedutissu.C’étaitexactementlegenrederobedanslaquellejel’imaginaislejourdesonmariage.

Elleétaitsibelle,etsonsourireétaitsihésitantsurseslèvres,quej’enaiétébouleversé.J’avaisconnupléthored’émotionsdansmavie, j’avais faitmonmétierde les explorer etde les exprimer surscène.Maisaucunen’approchaitlapuissancedecellequej’éprouvaisdevantelle.

J’aialorssuaveccertitudequejel’aimais.

Épilogue

Troismoisplustard

Max

Jeneluiavaispasencoreditquejel’aimais.Nousvenionsjustededépasserlerecorddemapluslonguehistoire,etj’avaistoujourspeurdetout

gâcher. J’attendais, comme dans le conte de fées, de voir arriver la seconde chaussure. Et je n’étaisévidemmentpasCendrillon.

J’avais failli luidireunebonnedouzainede fois,maisces troispetitsmotsn’étaientpasdeceuxqu’onprononceàlalégère.Unefoisqu’onlesalâchésdansl’univers,toutchange.

J’attendaislemomentpropice.J’aimisunpeuplusdeblushsurmesjouesetretouchémonrougeàlèvrescarmin,masignaturede

scène.Cadeafrappéàlaporte.—Tuesprête,Max?Onestlesprochains.Cesoir,Cadeetmoiparticipionsensembleàunescèneouverte.Ensemble,parcequelachansonque

j’avaischoisie–lapremièredetoutescellesquej’avaisécrites–étaitparticulière.Jemesentaisenfinprête à la chanter, mais uniquement avec lui. Ce n’était pas une chanson que je voulais associer augroupe,ellen’étaitpasfaitepourgagnerdel’argentnipoursimplementpasserletemps.

Ellecomptaittroppourmoi.—Tuesstressée?J’aisouri.—Oh!non,seulementaupointdemefairedestrousdansl’estomac.Ilaéclatéderire.—Riendegrave,alors.Quand nous sommesmontés sur scène, la salle était presque pleine.Cadem’a embrassé lamain

avant de prendre la basse. En parfaitGoldenBoy qu’il était, il avait appris à jouer en unmois pourpouvoirm’accompagnerpendantquejecomposais.J’aiprismaguitareetajustélemicro.

Les lumières me permettaient tout juste de deviner les silhouettes dans l’obscurité. Je me suisapprochéedumicroetjenousaiprésentés:

—Jem’appelleMaxetvoiciCade.Cesoir,nousallonsinterpréteruntextequej’aiécritilyatrèslongtemps.Jenel’aijamaischantéenpublic,maiscesoir,j’aidécidéqu’ilétaittemps.

J’aiprisunebonneinspiration.—Ças’appelleTenYears.Dès lespremiersaccords, sentant toutesmesvieilles sensations remonterà la surface, jemesuis

demandépourquoi jeprenais ce risque.Mais la réponseétait évidente :parcequece textemehantaitdepuisquejel’avaisécrit,etqu’ilétaittempsdem’enlibérer.

J’aiprisuneautre inspirationet j’aicommencéàchanter.LavoixdeCade,graveet solide, s’estélevéeenmêmetempsquelamienne.J’avaisbienfaitdeluidemanderdem’accompagner,ilétaitcommeuneancre.

Inonesecond,IseetenyearsIpictureafutureofallmyfearsOneblink,andIthinkLosingyouislikelosingme.

J’ai croisé le regarddeCade et jeme suis dit que, d’une certainemanière, cette chansonparlaitaussi de nous. Cela faisait trois mois que nous sortions ensemble, et nos vies étaient déjà si bienimbriquées…Jemesuisobligéeàrefoulermeslarmes.Sijecontinuaiscommeça,j’allaisfinirpardiretouslestrucsringardsquejetrouvaistellementdébilesaucinéma.

Lightsflash,thecarspinsEverytimeIclosemyeyesIseeBrokenskin,mylifestretchedthinEverytimeIclosemyeyesIseeBrokenskinandbrokenkinTheendofyoufeelsliketheendofme.

There’sascreaminmysoul‘CauseI’llneverfeelwholeI’mstuckinthemoment.Mymind’sonrepeatTrappedinaninstantIcan’tdelete.

Timeunravels,mylifeunspoolsThefuturehasmadeusallintofoolsYou’relyingthere,andI’mstuckinmychairAllI’mallowedtodoisstare.

À la fin de cette strophe, j’étais tellement bouleversée que ma voix s’est brisée. J’ai dû jouerquelquesaccordsdeplusavantdepouvoir reprendre.Cadem’asuivie, sans lamoindrehésitation.Safaçondemedevinernecessaitdemestupéfier.

We’reallslavestothegraveHelplesstosaveSowecloseoureyestoshutitoutInsteaditbecomeswhatwe’reallabout.

J’aifermélesyeuxetj’airevutouteslesimagesquim’avaienttraverséeenunéclair,lesoirdelamortd’Alex.Touslesmomentsqu’ellenepourraitpaspartageravecmoi,lafaçondont,sanselle,rienneseraitplusjamaiscommeavant.Celafaisaitneufans,maintenant,etmêmesirienn’étaitpareilsanselle,lavien’étaitpasaussiinsupportablequejel’avaiscru.

JemesuistournéeversCade.Lavien’étaitpasinsupportabledutout.

Inonesecond,IseetenyearsCan’tholditbackanymorethanthetearsIseeblackdresses,life’sstressesImaginethegrief,lossofbeliefMylifeunfoldasyoursisuntold

EverytimeIclosemyeyes.

Cade a répété le dernier vers tout seul, et, en entendant sa belle voix grave et posée, j’ai eul’impressionquemesfantômesavaientprislelarge.

Lesgensontcommencéàapplaudir,jemesuistournéeversluietj’aiarticulé:

—Jet’aime.