dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

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Al-QAnṭArA XLII 1, enero-junio 2021, e04 eISSN 1988-2955 | ISSN-L 0211-3589 https://doi.org/10.3989/alqantara.2021.004 Dire la norme dans la seconde moitié du IX e /XV e siècle : la Tuḥfa d’al-ʿUqbānī, miroir de transformations sociales au Maghreb central Formulating the Rules in the Second Half of the 9th/15th Century: Al-ʻUqbānī’s Tuḥfa, Mirror of Social Transformations in the Central Maghrib Jennifer Vanz Université Paris I Panthéon-Sorbonne ORCID iD: https://orcid.org/0000-0002-3639-7869 Résumé Cet article se propose d’étudier le traité de ḥisba, intitulé Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġunyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿā’ir wa‑taġyīr al‑manākir, du juriste tlemcénien Muḥammad al-ʿUqbānī (m. 871/1467). C’est d’abord le contexte de production de ce texte qui est envisagé : celui du Maghreb central dans la seconde moitié du IX e /XV e siècle caractérisé par une évolution des rapports de force entre différents pouvoirs, saints, savants et pouvoirs sultaniens. Se pose alors avec une nouvelle acuité la question du maintien de l’ordre social abordé à travers cet ouvrage situé à l’intersection de deux genres, traité de ḥisba et recueil de fatwā-s. Al-ʿUqbānī propose ainsi une discussion du précepte coranique d’ordonner le bien et d’interdire le mal puis une sélection de fatwā-s traitant de la ḥisba. Ce texte, loin d’être atemporel, s’inscrit pleinement dans son temps et témoigne des transformations sociales à l’œuvre. Mots-clés : Maghreb central ; ḥisba ; fatwā-s ; ordre social. Abstract The aim of this article is to study the ḥisba treatise, entitled Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġunyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿā’ir wa‑taġyīr al‑manākir, of the tlemcenian jurist Muḥammad al-ʿUqbānī (m. 871/1467). Firstly, it is the context production of this text which is considered: the central Maghrib in the second half of the 9th/15th century characterized by an evolution of the balance of power between different actors, saints, scholars and sultanian powers. The acuteness of the question of social order preserva- tion arises through this work which mix two kind of literary genre, ḥisba treatise and fatwā collection. Al-ʿUqbānī proposes a discussion of the coranic precept of commanding right and forbidding wrong, then a selection of fatwa which deal with ḥisba. So this work, far from being timeless, fits fully into its time and reflects social transformations in process. Key words : central Maghrib ; ḥisba ; fatwā-s ; social order. Citation /Cómo citar: Vanz, Jennifer, “Dire la norme dans la seconde moitié du IX e /xv e siècle : la Tuḥfa d’al-ʿUqbānī, miroir de transformations sociales au Maghreb central”, Al‑Qanṭara, 42, 1 (2021), e04. doi: https://doi.org/10.3989/alqantara.2021.004. Recieved: 11/01/2019; Accepted: 13/07/2020; Published: 08/07/2021 Copyright: © 2021 CSIC. This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0) License.

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Page 1: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Al-QAnṭArAXLII 1 enero-junio 2021 e04

eISSN 1988-2955 | ISSN-L 0211-3589httpsdoiorg103989alqantara2021004

Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales au Maghreb central

Formulating the Rules in the Second Half of the 9th15th Century Al-ʻUqbānīrsquos Tuḥfa Mirror of Social Transformations in the Central Maghrib

Jennifer VanzUniversiteacute Paris I Pantheacuteon-Sorbonne

ORCID iD httpsorcidorg0000-0002-3639-7869

ReacutesumeacuteCet article se propose drsquoeacutetudier le traiteacute de ḥisba intituleacute Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġunyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir du juriste tlemceacutenien Muḥammad al-ʿUqbānī (m 8711467) Crsquoest drsquoabord le contexte de production de ce texte qui est envisageacute celui du Maghreb central dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle caracteacuteriseacute par une eacutevolution des rapports de force entre diffeacuterents pouvoirs saints savants et pouvoirs sultaniens Se pose alors avec une nouvelle acuiteacute la question du maintien de lrsquoordre social abordeacute agrave travers cet ouvrage situeacute agrave lrsquointersection de deux genres traiteacute de ḥisba et recueil de fatwā-s Al-ʿUqbānī propose ainsi une discussion du preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal puis une seacutelection de fatwā-s traitant de la ḥisba Ce texte loin drsquoecirctre atemporel srsquoinscrit pleinement dans son temps et teacutemoigne des transformations sociales agrave lrsquoœuvre

Mots-cleacutes Maghreb central ḥisba fatwā-s ordre social

AbstractThe aim of this article is to study the ḥisba treatise entitled Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġunyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir of the tlemcenian jurist Muḥammad al-ʿUqbānī (m 8711467) Firstly it is the context production of this text which is considered the central Maghrib in the second half of the 9th15th century characterized by an evolution of the balance of power between different actors saints scholars and sultanian powers The acuteness of the question of social order preserva-tion arises through this work which mix two kind of literary genre ḥisba treatise and fatwā collection Al-ʿUqbānī proposes a discussion of the coranic precept of commanding right and forbidding wrong then a selection of fatwa which deal with ḥisba So this work far from being timeless fits fully into its time and reflects social transformations in process

Key words central Maghrib ḥisba fatwā-s social order

Citation Coacutemo citar Vanz Jennifer ldquoDire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales au Maghreb centralrdquo Al‑Qanṭara 42 1 (2021) e04 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

Recieved 11012019 Accepted 13072020 Published 08072021

Copyright copy 2021 CSIC This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution 40 International (CC BY 40) License

Jennifer Vanz2

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

Parent pauvre de lrsquohistoriographie contempo-raine lrsquohistoire du Maghreb au ixexve siegravecle est mal connue Les chroniques il est vrai sont moins nombreuses qursquoau siegravecle preacuteceacutedent La documenta-tion nrsquoest pourtant pas inexistante mais elle change sensiblement de nature les sources juridiques notamment devenant plus abondantes Le ixexve siegravecle maghreacutebin voit ainsi fleurir les ceacutelegravebres recueils juridiques drsquoal-Burzulī (m 8411438)1 et drsquoal-Wanšarīsī (m 9141508)2 Lrsquoœuvre du juriste tlemceacutenien Muḥammad al-ʿUqbānī (m 8711467) intituleacutee Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġunyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir ( laquo Curiositeacute du regard et utiliteacute de se souvenir pour la protection de la loi et la correction des actes blacircmables raquo )3 srsquoinscrit dans ce mouvement drsquoessor des sources juridiques Pour autant cela ne doit pas occulter lrsquooriginaliteacute profonde de cet ouvrage situeacute agrave lrsquoin-tersection de deux genres celui du traiteacute de ḥisba et celui des recueils de fatwā-s Degraves lors com-ment comprendre la reacutedaction drsquoun tel ouvrage De quoi est-il le symptocircme4 Car comme tout document il laquo renvoie en effet neacutecessairement aux pratiques sociales qui non seulement forment son contexte mais surtout deacuteterminent sa forme (mateacuterielle visuelle graphique langagiegravere) et son sens chaque document est une cristallisation de pratiques sociales5 raquo

Lrsquoanalyse du contexte de production de lrsquoou-vrage srsquoavegravere ainsi essentielle afin de mettre au jour les rapports de force qui se jouent entre diffeacuterents acteurs qui preacutetendent deacutefinir la norme et la faire appliquer Lrsquoobjet drsquoeacutecriture choisi par lrsquoauteur la ḥisba doit ensuite ecirctre interrogeacute Car loin drsquoecirctre anodin il teacutemoigne de lrsquoacuiteacute avec laquelle se pose la question du maintien de lrsquoordre social Enfin le discours juridique deacuteveloppeacute dans

1emspAl-Burzulī Ǧāmiʿ sur cet auteur voir Vidal Castro ldquoAl-Burzulīrdquo

2emspAl-Wanšarīsī Al‑Miʿyār sur cet auteur et cet ouvrage voir Vidal Castro ldquoEl Miʿyār de al-Wanšarīsīrdquo Id ldquoLas obras de Aḥmad al-Wanšarīsīrdquo Id ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo

3emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa ʿAlī Chenoufi a reacutealiseacute son eacutedition agrave partir drsquoun seul manuscrit celui de la Zaytūna (ndeg2978) mais il existe au moins deux autres manuscrits un agrave la bibliothegraveque drsquoAlger et un agrave la bibliothegraveque al-Ṣādiqiyya auxquels il nrsquoa pas eu accegraves Ibid p 141 Ce manuscrit ndeg2978 avait deacutejagrave eacuteteacute mis au jour par Mohammed Talbi qui en avait proposeacute une preacutesentation Talbi ldquoQuelques donneacutees sur la vie socialerdquo

4emspLe terme est ici employeacute au sens deacutefini par Joseph Morsel agrave savoir que laquo le symptocircme renvoie non pas agrave une absence mais agrave une preacutesence non visible latente (hellip) Cet invisible est la part abstraite du monde social sa logique ses repreacutesentations tout ce qui en assure la coheacutesion la reproduc-tion et la transformationrdquo Morsel ldquoTraces rdquo p 855-856

5emspIbid p 858

la Tuḥfa loin drsquoecirctre atemporel doit ecirctre envisageacute dans toute sa profondeur historique La seacutelection des fatwā-s mais eacutegalement leur agencement reacutesulte drsquoun projet drsquoeacutecriture ancreacute dans le temps preacutesent drsquoun auteur preacuteoccupeacute par les transformations so-ciales qui animent la socieacuteteacute de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlem-cen au ixexve siegravecle tensions et concurrences

11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien

Aux cocircteacutes des Marzūq et des Maqqarī les ʿUqbānī constituent la troisiegraveme grande famille de Tlemcen6 dont les membres ont freacutequenteacute les souverains abdelwadides et meacuterinides et ont occupeacute sur plusieurs geacuteneacuterations des postes de premier plan Le premier membre de la famille agrave ecirctre reacutepertorieacute dans les dictionnaires biogra-phiques7 est Abū ʿUṯmān (m 8111408-9) qui fut qāḍī al‑ǧamāʿa de Tlemcen Bougie Marrakech Saleacute Oran et Hunayn et eacutetait agrave lrsquoeacutepoque de Yaḥyā b Ḫaldūn preacutedicateur agrave la grande mosqueacutee de Tlemcen8 Agrave sa suite plusieurs de ses descen-dants ont occupeacute la charge de qāḍī Ce fut le cas de Qāsim b Saʿīd9 qāḍī agrave Tlemcen durant sa jeunesse et ceacutelegravebre muftī dont les fatwā-s ont eacuteteacute compileacutees par al-Wanšarīsī10 et al-Māzūnī11 De mecircme Aḥmad (m 8401436)12 fut qāḍī de Tlem-cen ainsi qursquoIbrāhīm (m 8801475)13 eacutegalement auteur de plusieurs fatwā-s14 Quant agrave Muḥam-

6emspKisaichi ldquoThree Renowned lsquoUlamārsquordquo Sur lrsquoaffirma-tion de Tlemcen en tant que centre intellectuel voir Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo

7emspEn dehors des dictionnaires biographiques Charles Brosselard a eacutegalement retrouveacute les eacutepitaphes Brosselard ldquoLes inscriptions arabes de Tlemcenrdquo

8emspYaḥyā b Ḫaldūn Buġiyat eacuted t I p 60 trad p 76-77 Ibn Maryam Al‑Bustān eacuted p 221-223 trad p 113-115 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 189

9emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 284-287 trad p 161-163 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 365-366

10emspLagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 36 (ndeg107) 41 (ndeg142-149) 91 (ndeg90) 143-145 (ndeg121-151) 147 (ndeg160) 189 (ndeg347) 225-226 (ndeg60-62) 232-233 (ndeg84) 331 (ndeg169-171) 402 (ndeg119) 445-446 (ndeg98) 460 (ndeg163) 469-470 (ndeg31-32)

11emspVoguet Le monde rural p 19 Qāsim al-ʿUqbānī est laquo lrsquoauteur de plus drsquoun quart des fatwā-s compileacutees par al-Māzūnī dans la seconde partie de son ouvragerdquo

12emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 131 trad p 55 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 118

13emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 61-62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

14emspVoguet Le monde rural p 20 Lagardegravere Histoire et socieacuteteacute

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 3

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

mad (m 8711467)15 auteur de la Tuḥfa il cumula lui aussi les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et de muftī mais les notices biographiques restent tregraves laconiques et ne donnent aucune preacutecision sur la peacuteriode durant laquelle il exerccedila ces fonctions Le reacutecit de ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl offre toutefois de preacutecieux deacutetails Lorsqursquoil arrive agrave Tlemcen en 8681464 sous le regravegne drsquoal-Mutawakkil Muḥammad al-ʿUqbānī est alors grand qāḍī de Tlemcen16 En 8691465 il est envoyeacute agrave Tunis comme ambassadeur du souverain abdelwadide afin de neacutegocier la paix avec les Hafsides17 Puis entre 8691465 et 8711467 date de sa mort Muḥammad al-ʿUqbānī est destitueacute de sa fonction de qāḍī au profit de son oncle Ibrāhīm18

La famille ʿ Uqbānī a donc exerceacute sur plusieurs geacuteneacuterations la judicature agrave Tlemcen et devait jouir drsquoun certain monopole sur cette charge19 En outre la plupart de ses membres ont eacuteteacute agrave la fois qāḍī et muftī indiquant ainsi que la judicature (qaḍārsquo) et lrsquoeacutemission de fatwā-s (iftārsquo) eacutetaient des fonctions qui pouvaient ecirctre occupeacutees par les mecircmes individus Crsquoest ainsi toute la question du subtil eacutequilibre entre ces deux fonctions et des rapports entre le juge et le jurisconsulte qui se trouve poseacutee Durant la seconde moitieacute du viiiexive siegravecle agrave Tunis sous lrsquoimpulsion drsquoIbn ʿA-rafa (m 8031401) le muftī prend un ascendant progressif sur le juge le premier tendant agrave devenir le premier personnage de la hieacuterarchie judiciaire de la capitale20 La fonction de muftī srsquoinstitution-nalise alors progressivement puisque comme dans le cas de la judicature crsquoest le pouvoir qui tend agrave prendre la main sur la nomination des muftī-s21 Au Maghreb central le pheacutenomegravene est attesteacute pour le ixexve siegravecle notamment agrave travers le cas de la famille ʿUqbānī Exerccedilant les deux fonctions quoique pas neacutecessairement simultaneacutement les ʿUqbānī concentraient donc en leurs mains une

15emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 394 trad p 257 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 547-548

16emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 5417emspIbid p 71-7218emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62

Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 6519emspHormis les al-ʿUqbānī les sources ne mentionnent

que deux personnages ayant exerceacute cette charge Muḥammad Abū ʿAbd Allāh Ḥammū al-Šarīf (m 8731468) (dans Ibn Maryam Al‑Bustān eacuted p 365 trad p 230) et Ibn Abī al-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen autour de 1480 agrave lrsquoeacutepoque de la controverse du Touat (dans Lagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44 ndeg162)

20emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 279-282

21emspIbid Voguet Le monde rural p 21 parle drsquolaquo inteacutegration institutionnelle des juristesrdquo

large part du pouvoir judiciaire dans la capitale abdelwadide et participaient activement agrave la deacute-finition des normes juridiques

Cette position preacuteeacuteminente a sans doute sus-citeacute contestations et convoitises Ainsi Qāsim al-ʿUqbānī auteur du plus grand nombre de fatwā-s conserveacutees eacutetait reacuteputeacute pour professer laquo des opinions qui srsquoeacuteloignaient de la doctrine mālikite et qui furent pour la plupart combattues par son contemporain Ibn Marzūq al-Ḥafīd22 raquo Ce dernier eacutetait eacutegalement un eacuteminent muftī sans pour autant avoir occupeacute la fonction de qādī Comme Qāsim al-ʿUqbānī il restait proche du pouvoir Le souverain abdelwadide Abū-l-ʿAbbās Aḥmad as-sista drsquoailleurs aux funeacuterailles de ces deux figures illustres23 La proximiteacute plus ou moins afficheacutee avec le pouvoir politique est alors un veacuteritable enjeu pour les eacutelites religieuses de Tlemcen Le dictionnaire biographique drsquoIbn Maryam laisse ainsi entrrsquoapercevoir la concurrence que les eacutelites religieuses se livrent entre elles la position par rapport au pouvoir eacutetant un des principaux eacuteleacute-ments clivant Dans la longue notice consacreacutee agrave Abū ʿAlī al-Ḥasan b Maḫlūf connu sous le nom drsquoAbarkān (m 8681463) lrsquoun de ses disciples al-Sanūsī (m 8951490)24 raconte comment il en est venu agrave suivre ses enseignements

Apregraves avoir freacutequenteacute quelque temps les confeacuterences de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī je me rendis un jour agrave une leccedilon du cheikh Sīdī Muḥammad b Marzūq et mrsquoeacutetant aperccedilu que le savoir de ce professeur eacutetait dans chaque science un oceacutean sans rivage je mrsquoattachai agrave son enseignement et abandonnai celui de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī Un autre jour que jrsquoeacutetais descendu agrave Bāb Zīrī et que jrsquoavais pris place parmi les auditeurs du cheikh al-Ḥasan il me sembla que la science de ce dernier perdait agrave ecirctre compareacutee agrave celle du cheikh Sīdī Muḥammad b Marzūq25

Al-Sanūsī eacuteminent repreacutesentant du soufisme de la fin du ixexve siegravecle eacutetablit ici une hieacuterarchie entre les principaux maicirctres de Tlemcen qui semble inversement proportionnelle agrave leur proximiteacute avec le pouvoir Aux cocircteacutes des grandes figures tradition-nelles comme Qāsim al-ʿUqbānī et Muḥammad b Marzūq drsquoautres personnaliteacutes de premier plan eacutemergent comme Abarkān et al-Sanūsī26 Ces

22emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 284 trad p 161 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 365

23emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 286 et 374 trad p 163 et p 239 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 366

24emspBencheneb ldquoal-Sanūsīrdquo EIsup2 vol IX p 20-24 Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 277-278

25emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 183-184 trad p 8926emspSur la place du soufisme dans lrsquoenseignement agrave

Jennifer Vanz4

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derniers nrsquooccupent pas de fonctions officielles se rapprochent par leur mode de vie asceacutetique du modegravele de la sainteteacute et procircnent de fait une certaine distance agrave lrsquoeacutegard des biens mateacuteriels et du pouvoir politique On retrouve alors pour ces deux personnages le topos de lrsquoindiffeacuterence voire du refus de freacutequenter les souverains27 Cette attitude est justifieacutee par de nombreux auteurs maghreacutebins comme Ibn Qunfuḏ qui reprennent notamment les propos drsquoal-Ġazālī sur laquo ce qui est licite et ce qui ne lrsquoest pas dans la freacutequentation des sultans28 raquo Le rejet nrsquoest pas loin srsquoen faut systeacutematique puisque Abarkān finit par recevoir le sultan Abū ʿAbd Allāh Aḥmad et al-Sanūsī apregraves un premier refus accepte les revenus drsquoune madrasa que lui offre le sultan Mais leur meacutefiance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir terrestre nrsquoen est pas moins clairement affirmeacutee

Ce clivage entre eacutelites religieuses les unes affichant leur indeacutependance par rapport agrave un pouvoir qui leur est quoi qursquoil en soit soumis29 les autres se caracteacuterisant par leur laquo inteacutegration institutionnelle30 raquo apparaicirct au grand jour dans le cadre de la poleacutemique sur les synagogues du Touat agrave partir des anneacutees 148031 Plusieurs per-sonnaliteacutes sont alors mobiliseacutees pour reacutepondre agrave la question poseacutee au qāḍī du Touat al-ʿAṣnūnī concernant le statut leacutegal des synagogues de cette reacutegion Al-Wanšarīsī32 compile ainsi plusieurs opinions celle drsquoal-ʿAṣnūnī qāḍī du Touat celle drsquoIbn Zakrī muftī officiel de Tlemcen celle drsquoIbn Abī l-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen celle drsquoal-Raṣṣāʿ grand qāḍī de Tunis qui se prononcent tous contre la destruction Agrave lrsquoinverse al-Fiǧǧīǧī al-Sanūsī al-Tanasī et al-Maġīlī y sont favorables Il srsquoagit bien lagrave drsquoune fracture au sein des eacutelites religieuses dont la signification est eacuteminemment politique Les juristes officiels nommeacutes par les pouvoirs abdelwadide et hafside adoptent tous une mecircme position srsquoopposant agrave la destruction des synagogues Agrave lrsquoinverse les partisans de la

Tlemcen Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 282-284

27emspIbid eacuted p 191 416-418 trad p 94-95 et p 273-27528emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 172 voir eacutegalement

sur les relations entre les saints et le pouvoir Ferhat ldquoSouve-rains saints et fuqahārsquordquo

29emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 188-19030emspVoguet Le monde rural p 2131emspVajda ldquoUn traiteacute maghreacutebinrdquo Hunwick Jews of a

Saharan oasis Id ldquoThe rights of dhimmisrdquo Id ldquoAl-Mahicirclicirc and the Jews of Tuwacirctrdquo

32emspLagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44-45 (ndeg162) sur la position drsquoal-Wanšarīsī voir Powers ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 382-399

destruction qui lrsquoemportent finalement laquo ne font pas partie des juristes inteacutegreacutes au systegraveme33 raquo Ce sont les arguments drsquoal-Tanasī qui nrsquoest pourtant pas muftī qui sont retenus par al-Maġīlī pour leacutegitimer son action de destruction Comme le souligne John Hunwick sa position est pourtant consideacutereacutee comme ayant valeur de fatwā ce qui interroge sur lrsquousage qui est fait au ixexve siegravecle du terme de muftī ainsi que sur la relation qursquoen-tretient le deacutetenteur de cette charge avec les autres jurisconsultes34 Cette poleacutemique qui suscita un vif deacutebat au sein des eacutelites religieuses revecirct ainsi une dimension politique Elle teacutemoigne aussi drsquoun mouvement de fond plus ancien de contestation de la leacutegitimiteacute politique des pouvoirs en place qui connaicirct agrave partir du ixexve siegravecle un nouveau re-gain Crsquoest dans ce contexte de contestation latente drsquoun pouvoir sultanien abdelwadide fragiliseacute face agrave son concurrent hafside que doit ecirctre analyseacute le regravegne drsquoal-Mutawakkil (866-8731461-1468)

12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par al-Mutawakkil

Al-Mutawakkil accegravede au pouvoir agrave Tlemcen en 8661461 apregraves avoir meneacute aux cocircteacutes de son pegravere une reacutevolte contre son parent Abū ʿAbd Allāh Muḥammad Pourtant depuis le deacutebut du ixexve siegravecle les Hafsides jouent un rocircle de premier plan dans la politique du sultanat abdelwadide menant plusieurs expeacuteditions agrave Tlemcen afin que leur souveraineteacute soit reconnue par le prince abdelwa-dide reacutegnant Ils interviennent ainsi agrave plusieurs reprises pour favoriser ou destituer un souverain agrave Tlemcen35 La prise de pouvoir par al-Mutawak-kil en 8661461 ne change pas veacuteritablement les rapports de force Le voyageur eacutegyptien ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl qui se rend agrave Tlemcen entre 8681464 et 8711466 se fait lrsquoeacutecho de la menace permanente drsquoune expeacutedition hafside agrave laquelle le nouveau souverain abdelwadide est exposeacute36 Malgreacute les tentatives reacutecurrentes drsquoeacutemancipation al-Mutawakkil reconnaicirct la souveraineteacute hafside une reconnaissance mateacuterialiseacutee par lrsquoenvoi par le nouveau souverain abdelwadide sans doute agrave titre de preacutesent de dirhams et de dinars frappeacutes au nom du Hafside37

33emspVoguet ldquoLes communauteacutes juivesrdquo p 304 Hunwick ldquoThe rights of dhimmisrdquo p 141-143

34emspIbid p 14335emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 244-246 trad p 119-

12536emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage

trad p 56-59 7537emspIbid p 17-18 En effet les catalogues de monnaies

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 5

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Affaibli au niveau reacutegional le souverain ab-delwadide semble agrave lrsquoinstar de son illustre preacute-deacutecesseur Abū Ḥammū II (760-7911359-1389) avoir porteacute une attention toute particuliegravere agrave leacutegitimer son pouvoir par la plume Alors que depuis le regravegne drsquoAbū Ḥammū II aucune source produite dans lrsquoentourage drsquoun souverain ab-delwadide ne nous est parvenue deux ouvrages probablement reacutedigeacutes sous le regravegne drsquoal-Mu-tawakkil ont eacuteteacute conserveacutes Le premier inti-tuleacute Naẓm al‑durr est lrsquoouvrage qursquoal-Tanasī (m 8991494) deacutedie agrave ce souverain Comme la Buġiyat de Yaḥyā b Ḫaldūn (m 7801378-1379) il ne relegraveve pas drsquoun genre unique mais en associe plusieurs mecirclant chronique geacuteneacutealo-gie miroir au prince poeacutesie et adab De mecircme comme dans la chronique de Yaḥyā b Ḫaldūn ougrave le reacutecit de la (re)conquecircte de Tlemcen par Abū Ḥammū II depuis Tunis jusqursquoagrave la capitale abdelwadide constituait la matrice de la leacutegi-timiteacute de ce souverain al-Tanasī offre dans sa chronique un reacutecit similaire Bien que de faccedilon moins deacutetailleacutee il raconte la conquecircte du pouvoir par al-Mutawakkil et son pegravere qui partant de Tunis conquiegraverent successivement les provinces orientales du royaume abdelwadide avant de srsquoemparer de la capitale et de mettre fin au regravegne drsquoAbū l-ʿAbbās Aḥmad (r 834-8661430-1466)38 Cette similitude est sans doute loin drsquoecirctre ano-dine avec lrsquoavegravenement drsquoal-Mutawakkil crsquoest la descendance drsquoAbū Tāšfīn II b Abī Ḥammū (r 791-7971389-1393) qui triomphe deacutefinitive-ment sur la Maison drsquoAbū Ḥammū II Lrsquoœuvre drsquoal-Tanasī teacutemoigne ainsi de la volonteacute drsquoal-Mu-tawakkil drsquoassocier les lettreacutes de sa capitale agrave la mise par eacutecrit de cette nouvelle page de lrsquohistoire abdelwadide Reste que les relations drsquoal-Tanasī avec le pouvoir abdelwadide eacutetaient sans doute bien plus complexes qursquoil nrsquoy paraicirct Si son ou-vrage est bien destineacute agrave leacutegitimer le pouvoir du nouveau souverain ses biographes ne font eacutetat drsquoaucune fonction officielle En outre lors de la controverse du Touat sous le regravegne du successeur drsquoal-Mutawakkil Abū ʿAbd Allāh Muḥammad IV al-Ṯābitī (r 873-9101468-1504) il ne se rallie pas agrave la position des juristes laquo officiels raquo mais incarne la figure drsquoune opposition farouche au maintien des synagogues Le changement de sou-verain explique peut-ecirctre cette prise de distance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir politique mais rien dans

ne font pas eacutetat de piegraveces frappeacutees par les Abdelwadides au nom des Hafsides

38emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 253-254 trad p 130-135

lrsquoeacutetat actuel de la documentation ne permet de mieux eacutetayer cette hypothegravese

Le second ouvrage qui date selon toute proba-biliteacute du regravegne drsquoal-Mutawakkil est la Tuḥfa de Muḥammad al-ʿUqbānī Bien que lrsquoon ne connaisse pas la date exacte de sa reacutedaction les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et drsquoambassadeur occu-peacutees par Muḥammad al-ʿUqbānī durant le regravegne drsquoal-Mutawakkil ainsi que lrsquoouvrage deacutedieacute agrave ce prince par al-Tanasī rendent lrsquohypothegravese drsquoune composition de la Tuḥfa agrave cette peacuteriode vrai-semblable mecircme si rien nrsquoindique qursquoil srsquoagit drsquoune commande princiegravere En effet de mecircme qursquoal-Tanasī semble prendre ses distances avec le pouvoir Muḥammad al-ʿUqbānī est sous le regravegne mecircme drsquoal-Mutawakkil destitueacute de ses fonctions au profit de son oncle Ibrāhīm39 Apregraves lui les sources ne mentionnent plus de membres de la famille ʿUqbānī aux postes de qāḍī ou de muftī Aussi ne doit-on pas exclure soit degraves la fin du regravegne drsquoal-Mutawakkil soit sous celui de son successeur Muḥammad IV al-Ṯābitī une hostiliteacute du pouvoir agrave lrsquoeacutegard de certains juristes Outre les ʿUqbānī le cas drsquoal-Wanšarīsī est eacutegalement inteacute-ressant Apregraves avoir reccedilu sa formation agrave Tlemcen un conflit dont on ne connaicirct pas la cause lrsquoopposa au sultan abdelwadide Muḥammad IV al-Ṯābitī Sa maison fut saccageacutee il ducirct fuir Tlemcen et srsquoinstalla agrave Fegraves en 874146940 Il semble par ail-leurs qursquoal-Wanšarīsī procircnait le maintien drsquoune distance neacutecessaire entre le pouvoir et les ʿ ulamārsquo qui devaient rester indeacutependants41 Il srsquoagit sans doute lagrave drsquoun point de vue qui devait faire lrsquoobjet drsquoun certain consensus au sein des eacutelites Qursquoil srsquoagisse de saints42 de fuqahārsquo ou de ʿ ulamārsquo tous devaient consideacuterer que le pouvoir politique leur eacutetait assujetti Face au deacutesordre et agrave lrsquoinstabiliteacute introduits par le politique leur rocircle est drsquoincar-ner la norme de la reacuteaffirmer et de srsquoen porter garants Les tensions observeacutees entre le pouvoir abdelwadide sous les regravegnes drsquoal-Mutawakkil et de Muḥammad IV al-Ṯābitī et certaines personnaliteacutes

39emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

40emspVidal Castro ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 328-329 Vidal Castro rappelle lrsquohypothegravese eacutemise par les eacutediteurs du Miʿyār selon lesquels une fatwā interdisant la construction sur un cimetiegravere sauf en des conditions tregraves preacutecises aurait eacuteteacute agrave lrsquoorigine du conflit avec le sultan

41emspIbid p 329 note 71 Vidal Castro cite le Miʿyār vol 2 p 408 ougrave al-Wanšarīsī fait un reacutesumeacute de lrsquoeacutevolution historique des relations entre ʿulamārsquo et gouvernants agrave diffeacuterentes eacutepoques

42emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 180 et s le montre bien dans le cas des saints

Jennifer Vanz6

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comme al-ʿUqbānī et al-Wanšarīsī srsquoexpliquent probablement par leur volonteacute drsquoencadrer peut-ecirctre plus eacutetroitement les eacutelites

Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexiteacute des relations que les eacutelites religieuses entretiennent avec le pouvoir De mecircme qursquoil existe une varieacuteteacute de deacuteclinaisons entre deux grands modegraveles de saints le premier refusant sys-teacutematiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince43 de mecircme certains ʿulamārsquo acceptent de servir le pouvoir alors que drsquoautres refusent Muḥammad al-ʿUqbānī fait ainsi le choix dans un premier temps de se mettre au service drsquoal-Mutawakkil avant drsquoecirctre reacutevoqueacute Si les raisons de sa destitu-tion ne sont pas mentionneacutees par les sources on peut neacuteanmoins srsquointerroger sur le lien eacuteventuel que celle-ci pourrait avoir avec la reacutedaction de son traiteacute de ḥisba sujet ocirc combien sensible Car lrsquoun des enjeux majeurs de ces tensions entre eacutelites mais eacutegalement entre eacutelites et pouvoir sultanien est de savoir in fine qui du pouvoir politique des jurisconsultes ou des saints a pour fonction drsquoassurer le maintien de lrsquoordre social et en particulier de garantir lrsquoapplication du preacutecepte de ḥisba qui recegravele un reacuteel potentiel subversif

2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba

21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee

La notion de ḥisba et par extension les ou-vrages qui en traitent revecirct plusieurs dimensions La ḥisba deacutesigne drsquoabord le devoir de tout musul-man drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo (al‑amr bi‑l‑maʿrūf wa‑l‑nahy ʿan al‑munkar) mentionneacute dans plusieurs versets du Coran44 Mais le terme renvoie eacutegalement agrave laquo la fonction du personnage chargeacute en ville de lrsquoapplication de cette regravegle agrave la police des mœurs et plus par-ticuliegraverement agrave celle du marcheacute45 raquo Cette tension entre devoir individuel et devoir collectif semble particuliegraverement exacerbeacutee au ixexve siegravecle

Drsquoun cocircteacute le potentiel subversif inheacuterent au devoir individuel est de nouveau freacutequemment mobiliseacute au ixexve siegravecle Les hagiographes se plaisent ainsi agrave rappeler la deacutetermination des saints agrave appliquer le preacutecepte coranique de la ḥisba dont la dimension contestataire nrsquoest pas nouvelle46

43emspIbid p 17344emspCoran III104 III110 XXII41 IX7145emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup2 vol III p 503-50546emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo

Le souverain abdelwadide al-Mutawakkil en avait drsquoailleurs pleinement conscience et nrsquoheacutesita pas agrave destituer le preacutedicateur de la mosqueacutee drsquoOran Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Qaṣṣār suite agrave laquo des paroles du šayḫ contenant une exhortation agrave faire le bien et agrave eacuteviter le mal47 raquo De mecircme le sultan wattaside Muḥammad b Šayḫ expulsa de Fegraves al-Maġīlī (m 1503-4 ou 1505-6) consideacutereacute comme un censeur par Ibn ʿAskar pour avoir meneacute une reacutebellion contre le pouvoir en place48 Preacutetendre ordonner le bien et interdire le mal eacutetait donc une faccedilon explicite de deacutenoncer lrsquoincapaciteacute du pouvoir sultanien agrave maintenir lrsquoordre social et donc de contester sa leacutegitimiteacute

Dans le mecircme temps la magistrature du ṣāḥib al‑sūq ne semble plus jouir de la mecircme importance qursquoaux siegravecles preacuteceacutedents Jean-Pierre Van Staeumlvel souligne ainsi que les teacutemoignages drsquoal-Ǧarsīfī et drsquoIbn Ḫaldūn49 peuvent ecirctre mis en doute laquo pour rendre compte des reacutealiteacutes institutionnelles du temps dans la capitale hafside50 raquo et par extension dans les autres villes du Maghreb post-almohade tant les attributions de ce fonctionnaire se sont reacuteduites et se limitent agrave la surveillance des marcheacutes excluant notamment de son domaine drsquointervention ce qui a trait agrave la voirie et teacutemoignant du caractegravere subal-terne de cette charge51 En al-Andalus agrave lrsquoeacutepoque nasride la sphegravere drsquointervention du ṣāḥib al‑sūq semble eacutegalement limiteacutee aux fraudes concernant la qualiteacute des marchandises les poids et les mesures52 En outre pour al-Bunnāhī53 le fonctionnaire qursquoil nomme ṣāḥib al‑ḥisba nrsquoest pas un muḥtasib au sens ougrave il nrsquoexerce pas le rocircle de censeur de la morale publique54 En revanche malgreacute des attributions circonscrites aux marcheacutes la charge de ṣāḥib al‑sūq aurait continueacute agrave ecirctre lrsquoobjet drsquoun certain prestige elle est consideacutereacutee par al-Bunnāhī qui reprend sur ce point Ibn Sahl55 sur le mecircme plan que drsquoautres magistratures comme celle de qāḍārsquo šurṭa ou maẓālim le passage de lrsquoune agrave lrsquoautre eacutetant aiseacute De mecircme la lettre de feacutelicitations adresseacutee

47emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 8148emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 16049emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba Ibn Ḫaldūn Al‑Muqaddima

eacuted t I p 379 380 trad t I p 524-52550emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 28951emspIbid J-P Van Staeumlvel cite une fatwā drsquoal-Burzulī

allant dans ce sens52emspChalmeta El zoco medieval p 556-557 (drsquoapregraves

al-Azdī) et p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhīal-Bunnāhī)53emspLa nisba semble ecirctre al-Bunnāhī plutocirct qursquoal-Nubāhī

Bencherifa ldquoAl-Bunnāhī lā al -Nubāhīrdquo54emspIbid p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba

eacuted p 66-75 trad p 230-244)55emspIbid p 559

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 7

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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

Jennifer Vanz8

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 15

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 2: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Jennifer Vanz2

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Parent pauvre de lrsquohistoriographie contempo-raine lrsquohistoire du Maghreb au ixexve siegravecle est mal connue Les chroniques il est vrai sont moins nombreuses qursquoau siegravecle preacuteceacutedent La documenta-tion nrsquoest pourtant pas inexistante mais elle change sensiblement de nature les sources juridiques notamment devenant plus abondantes Le ixexve siegravecle maghreacutebin voit ainsi fleurir les ceacutelegravebres recueils juridiques drsquoal-Burzulī (m 8411438)1 et drsquoal-Wanšarīsī (m 9141508)2 Lrsquoœuvre du juriste tlemceacutenien Muḥammad al-ʿUqbānī (m 8711467) intituleacutee Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġunyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir ( laquo Curiositeacute du regard et utiliteacute de se souvenir pour la protection de la loi et la correction des actes blacircmables raquo )3 srsquoinscrit dans ce mouvement drsquoessor des sources juridiques Pour autant cela ne doit pas occulter lrsquooriginaliteacute profonde de cet ouvrage situeacute agrave lrsquoin-tersection de deux genres celui du traiteacute de ḥisba et celui des recueils de fatwā-s Degraves lors com-ment comprendre la reacutedaction drsquoun tel ouvrage De quoi est-il le symptocircme4 Car comme tout document il laquo renvoie en effet neacutecessairement aux pratiques sociales qui non seulement forment son contexte mais surtout deacuteterminent sa forme (mateacuterielle visuelle graphique langagiegravere) et son sens chaque document est une cristallisation de pratiques sociales5 raquo

Lrsquoanalyse du contexte de production de lrsquoou-vrage srsquoavegravere ainsi essentielle afin de mettre au jour les rapports de force qui se jouent entre diffeacuterents acteurs qui preacutetendent deacutefinir la norme et la faire appliquer Lrsquoobjet drsquoeacutecriture choisi par lrsquoauteur la ḥisba doit ensuite ecirctre interrogeacute Car loin drsquoecirctre anodin il teacutemoigne de lrsquoacuiteacute avec laquelle se pose la question du maintien de lrsquoordre social Enfin le discours juridique deacuteveloppeacute dans

1emspAl-Burzulī Ǧāmiʿ sur cet auteur voir Vidal Castro ldquoAl-Burzulīrdquo

2emspAl-Wanšarīsī Al‑Miʿyār sur cet auteur et cet ouvrage voir Vidal Castro ldquoEl Miʿyār de al-Wanšarīsīrdquo Id ldquoLas obras de Aḥmad al-Wanšarīsīrdquo Id ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo

3emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa ʿAlī Chenoufi a reacutealiseacute son eacutedition agrave partir drsquoun seul manuscrit celui de la Zaytūna (ndeg2978) mais il existe au moins deux autres manuscrits un agrave la bibliothegraveque drsquoAlger et un agrave la bibliothegraveque al-Ṣādiqiyya auxquels il nrsquoa pas eu accegraves Ibid p 141 Ce manuscrit ndeg2978 avait deacutejagrave eacuteteacute mis au jour par Mohammed Talbi qui en avait proposeacute une preacutesentation Talbi ldquoQuelques donneacutees sur la vie socialerdquo

4emspLe terme est ici employeacute au sens deacutefini par Joseph Morsel agrave savoir que laquo le symptocircme renvoie non pas agrave une absence mais agrave une preacutesence non visible latente (hellip) Cet invisible est la part abstraite du monde social sa logique ses repreacutesentations tout ce qui en assure la coheacutesion la reproduc-tion et la transformationrdquo Morsel ldquoTraces rdquo p 855-856

5emspIbid p 858

la Tuḥfa loin drsquoecirctre atemporel doit ecirctre envisageacute dans toute sa profondeur historique La seacutelection des fatwā-s mais eacutegalement leur agencement reacutesulte drsquoun projet drsquoeacutecriture ancreacute dans le temps preacutesent drsquoun auteur preacuteoccupeacute par les transformations so-ciales qui animent la socieacuteteacute de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlem-cen au ixexve siegravecle tensions et concurrences

11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien

Aux cocircteacutes des Marzūq et des Maqqarī les ʿUqbānī constituent la troisiegraveme grande famille de Tlemcen6 dont les membres ont freacutequenteacute les souverains abdelwadides et meacuterinides et ont occupeacute sur plusieurs geacuteneacuterations des postes de premier plan Le premier membre de la famille agrave ecirctre reacutepertorieacute dans les dictionnaires biogra-phiques7 est Abū ʿUṯmān (m 8111408-9) qui fut qāḍī al‑ǧamāʿa de Tlemcen Bougie Marrakech Saleacute Oran et Hunayn et eacutetait agrave lrsquoeacutepoque de Yaḥyā b Ḫaldūn preacutedicateur agrave la grande mosqueacutee de Tlemcen8 Agrave sa suite plusieurs de ses descen-dants ont occupeacute la charge de qāḍī Ce fut le cas de Qāsim b Saʿīd9 qāḍī agrave Tlemcen durant sa jeunesse et ceacutelegravebre muftī dont les fatwā-s ont eacuteteacute compileacutees par al-Wanšarīsī10 et al-Māzūnī11 De mecircme Aḥmad (m 8401436)12 fut qāḍī de Tlem-cen ainsi qursquoIbrāhīm (m 8801475)13 eacutegalement auteur de plusieurs fatwā-s14 Quant agrave Muḥam-

6emspKisaichi ldquoThree Renowned lsquoUlamārsquordquo Sur lrsquoaffirma-tion de Tlemcen en tant que centre intellectuel voir Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo

7emspEn dehors des dictionnaires biographiques Charles Brosselard a eacutegalement retrouveacute les eacutepitaphes Brosselard ldquoLes inscriptions arabes de Tlemcenrdquo

8emspYaḥyā b Ḫaldūn Buġiyat eacuted t I p 60 trad p 76-77 Ibn Maryam Al‑Bustān eacuted p 221-223 trad p 113-115 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 189

9emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 284-287 trad p 161-163 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 365-366

10emspLagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 36 (ndeg107) 41 (ndeg142-149) 91 (ndeg90) 143-145 (ndeg121-151) 147 (ndeg160) 189 (ndeg347) 225-226 (ndeg60-62) 232-233 (ndeg84) 331 (ndeg169-171) 402 (ndeg119) 445-446 (ndeg98) 460 (ndeg163) 469-470 (ndeg31-32)

11emspVoguet Le monde rural p 19 Qāsim al-ʿUqbānī est laquo lrsquoauteur de plus drsquoun quart des fatwā-s compileacutees par al-Māzūnī dans la seconde partie de son ouvragerdquo

12emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 131 trad p 55 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 118

13emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 61-62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

14emspVoguet Le monde rural p 20 Lagardegravere Histoire et socieacuteteacute

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 3

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mad (m 8711467)15 auteur de la Tuḥfa il cumula lui aussi les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et de muftī mais les notices biographiques restent tregraves laconiques et ne donnent aucune preacutecision sur la peacuteriode durant laquelle il exerccedila ces fonctions Le reacutecit de ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl offre toutefois de preacutecieux deacutetails Lorsqursquoil arrive agrave Tlemcen en 8681464 sous le regravegne drsquoal-Mutawakkil Muḥammad al-ʿUqbānī est alors grand qāḍī de Tlemcen16 En 8691465 il est envoyeacute agrave Tunis comme ambassadeur du souverain abdelwadide afin de neacutegocier la paix avec les Hafsides17 Puis entre 8691465 et 8711467 date de sa mort Muḥammad al-ʿUqbānī est destitueacute de sa fonction de qāḍī au profit de son oncle Ibrāhīm18

La famille ʿ Uqbānī a donc exerceacute sur plusieurs geacuteneacuterations la judicature agrave Tlemcen et devait jouir drsquoun certain monopole sur cette charge19 En outre la plupart de ses membres ont eacuteteacute agrave la fois qāḍī et muftī indiquant ainsi que la judicature (qaḍārsquo) et lrsquoeacutemission de fatwā-s (iftārsquo) eacutetaient des fonctions qui pouvaient ecirctre occupeacutees par les mecircmes individus Crsquoest ainsi toute la question du subtil eacutequilibre entre ces deux fonctions et des rapports entre le juge et le jurisconsulte qui se trouve poseacutee Durant la seconde moitieacute du viiiexive siegravecle agrave Tunis sous lrsquoimpulsion drsquoIbn ʿA-rafa (m 8031401) le muftī prend un ascendant progressif sur le juge le premier tendant agrave devenir le premier personnage de la hieacuterarchie judiciaire de la capitale20 La fonction de muftī srsquoinstitution-nalise alors progressivement puisque comme dans le cas de la judicature crsquoest le pouvoir qui tend agrave prendre la main sur la nomination des muftī-s21 Au Maghreb central le pheacutenomegravene est attesteacute pour le ixexve siegravecle notamment agrave travers le cas de la famille ʿUqbānī Exerccedilant les deux fonctions quoique pas neacutecessairement simultaneacutement les ʿUqbānī concentraient donc en leurs mains une

15emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 394 trad p 257 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 547-548

16emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 5417emspIbid p 71-7218emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62

Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 6519emspHormis les al-ʿUqbānī les sources ne mentionnent

que deux personnages ayant exerceacute cette charge Muḥammad Abū ʿAbd Allāh Ḥammū al-Šarīf (m 8731468) (dans Ibn Maryam Al‑Bustān eacuted p 365 trad p 230) et Ibn Abī al-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen autour de 1480 agrave lrsquoeacutepoque de la controverse du Touat (dans Lagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44 ndeg162)

20emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 279-282

21emspIbid Voguet Le monde rural p 21 parle drsquolaquo inteacutegration institutionnelle des juristesrdquo

large part du pouvoir judiciaire dans la capitale abdelwadide et participaient activement agrave la deacute-finition des normes juridiques

Cette position preacuteeacuteminente a sans doute sus-citeacute contestations et convoitises Ainsi Qāsim al-ʿUqbānī auteur du plus grand nombre de fatwā-s conserveacutees eacutetait reacuteputeacute pour professer laquo des opinions qui srsquoeacuteloignaient de la doctrine mālikite et qui furent pour la plupart combattues par son contemporain Ibn Marzūq al-Ḥafīd22 raquo Ce dernier eacutetait eacutegalement un eacuteminent muftī sans pour autant avoir occupeacute la fonction de qādī Comme Qāsim al-ʿUqbānī il restait proche du pouvoir Le souverain abdelwadide Abū-l-ʿAbbās Aḥmad as-sista drsquoailleurs aux funeacuterailles de ces deux figures illustres23 La proximiteacute plus ou moins afficheacutee avec le pouvoir politique est alors un veacuteritable enjeu pour les eacutelites religieuses de Tlemcen Le dictionnaire biographique drsquoIbn Maryam laisse ainsi entrrsquoapercevoir la concurrence que les eacutelites religieuses se livrent entre elles la position par rapport au pouvoir eacutetant un des principaux eacuteleacute-ments clivant Dans la longue notice consacreacutee agrave Abū ʿAlī al-Ḥasan b Maḫlūf connu sous le nom drsquoAbarkān (m 8681463) lrsquoun de ses disciples al-Sanūsī (m 8951490)24 raconte comment il en est venu agrave suivre ses enseignements

Apregraves avoir freacutequenteacute quelque temps les confeacuterences de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī je me rendis un jour agrave une leccedilon du cheikh Sīdī Muḥammad b Marzūq et mrsquoeacutetant aperccedilu que le savoir de ce professeur eacutetait dans chaque science un oceacutean sans rivage je mrsquoattachai agrave son enseignement et abandonnai celui de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī Un autre jour que jrsquoeacutetais descendu agrave Bāb Zīrī et que jrsquoavais pris place parmi les auditeurs du cheikh al-Ḥasan il me sembla que la science de ce dernier perdait agrave ecirctre compareacutee agrave celle du cheikh Sīdī Muḥammad b Marzūq25

Al-Sanūsī eacuteminent repreacutesentant du soufisme de la fin du ixexve siegravecle eacutetablit ici une hieacuterarchie entre les principaux maicirctres de Tlemcen qui semble inversement proportionnelle agrave leur proximiteacute avec le pouvoir Aux cocircteacutes des grandes figures tradition-nelles comme Qāsim al-ʿUqbānī et Muḥammad b Marzūq drsquoautres personnaliteacutes de premier plan eacutemergent comme Abarkān et al-Sanūsī26 Ces

22emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 284 trad p 161 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 365

23emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 286 et 374 trad p 163 et p 239 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 366

24emspBencheneb ldquoal-Sanūsīrdquo EIsup2 vol IX p 20-24 Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 277-278

25emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 183-184 trad p 8926emspSur la place du soufisme dans lrsquoenseignement agrave

Jennifer Vanz4

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derniers nrsquooccupent pas de fonctions officielles se rapprochent par leur mode de vie asceacutetique du modegravele de la sainteteacute et procircnent de fait une certaine distance agrave lrsquoeacutegard des biens mateacuteriels et du pouvoir politique On retrouve alors pour ces deux personnages le topos de lrsquoindiffeacuterence voire du refus de freacutequenter les souverains27 Cette attitude est justifieacutee par de nombreux auteurs maghreacutebins comme Ibn Qunfuḏ qui reprennent notamment les propos drsquoal-Ġazālī sur laquo ce qui est licite et ce qui ne lrsquoest pas dans la freacutequentation des sultans28 raquo Le rejet nrsquoest pas loin srsquoen faut systeacutematique puisque Abarkān finit par recevoir le sultan Abū ʿAbd Allāh Aḥmad et al-Sanūsī apregraves un premier refus accepte les revenus drsquoune madrasa que lui offre le sultan Mais leur meacutefiance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir terrestre nrsquoen est pas moins clairement affirmeacutee

Ce clivage entre eacutelites religieuses les unes affichant leur indeacutependance par rapport agrave un pouvoir qui leur est quoi qursquoil en soit soumis29 les autres se caracteacuterisant par leur laquo inteacutegration institutionnelle30 raquo apparaicirct au grand jour dans le cadre de la poleacutemique sur les synagogues du Touat agrave partir des anneacutees 148031 Plusieurs per-sonnaliteacutes sont alors mobiliseacutees pour reacutepondre agrave la question poseacutee au qāḍī du Touat al-ʿAṣnūnī concernant le statut leacutegal des synagogues de cette reacutegion Al-Wanšarīsī32 compile ainsi plusieurs opinions celle drsquoal-ʿAṣnūnī qāḍī du Touat celle drsquoIbn Zakrī muftī officiel de Tlemcen celle drsquoIbn Abī l-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen celle drsquoal-Raṣṣāʿ grand qāḍī de Tunis qui se prononcent tous contre la destruction Agrave lrsquoinverse al-Fiǧǧīǧī al-Sanūsī al-Tanasī et al-Maġīlī y sont favorables Il srsquoagit bien lagrave drsquoune fracture au sein des eacutelites religieuses dont la signification est eacuteminemment politique Les juristes officiels nommeacutes par les pouvoirs abdelwadide et hafside adoptent tous une mecircme position srsquoopposant agrave la destruction des synagogues Agrave lrsquoinverse les partisans de la

Tlemcen Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 282-284

27emspIbid eacuted p 191 416-418 trad p 94-95 et p 273-27528emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 172 voir eacutegalement

sur les relations entre les saints et le pouvoir Ferhat ldquoSouve-rains saints et fuqahārsquordquo

29emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 188-19030emspVoguet Le monde rural p 2131emspVajda ldquoUn traiteacute maghreacutebinrdquo Hunwick Jews of a

Saharan oasis Id ldquoThe rights of dhimmisrdquo Id ldquoAl-Mahicirclicirc and the Jews of Tuwacirctrdquo

32emspLagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44-45 (ndeg162) sur la position drsquoal-Wanšarīsī voir Powers ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 382-399

destruction qui lrsquoemportent finalement laquo ne font pas partie des juristes inteacutegreacutes au systegraveme33 raquo Ce sont les arguments drsquoal-Tanasī qui nrsquoest pourtant pas muftī qui sont retenus par al-Maġīlī pour leacutegitimer son action de destruction Comme le souligne John Hunwick sa position est pourtant consideacutereacutee comme ayant valeur de fatwā ce qui interroge sur lrsquousage qui est fait au ixexve siegravecle du terme de muftī ainsi que sur la relation qursquoen-tretient le deacutetenteur de cette charge avec les autres jurisconsultes34 Cette poleacutemique qui suscita un vif deacutebat au sein des eacutelites religieuses revecirct ainsi une dimension politique Elle teacutemoigne aussi drsquoun mouvement de fond plus ancien de contestation de la leacutegitimiteacute politique des pouvoirs en place qui connaicirct agrave partir du ixexve siegravecle un nouveau re-gain Crsquoest dans ce contexte de contestation latente drsquoun pouvoir sultanien abdelwadide fragiliseacute face agrave son concurrent hafside que doit ecirctre analyseacute le regravegne drsquoal-Mutawakkil (866-8731461-1468)

12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par al-Mutawakkil

Al-Mutawakkil accegravede au pouvoir agrave Tlemcen en 8661461 apregraves avoir meneacute aux cocircteacutes de son pegravere une reacutevolte contre son parent Abū ʿAbd Allāh Muḥammad Pourtant depuis le deacutebut du ixexve siegravecle les Hafsides jouent un rocircle de premier plan dans la politique du sultanat abdelwadide menant plusieurs expeacuteditions agrave Tlemcen afin que leur souveraineteacute soit reconnue par le prince abdelwa-dide reacutegnant Ils interviennent ainsi agrave plusieurs reprises pour favoriser ou destituer un souverain agrave Tlemcen35 La prise de pouvoir par al-Mutawak-kil en 8661461 ne change pas veacuteritablement les rapports de force Le voyageur eacutegyptien ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl qui se rend agrave Tlemcen entre 8681464 et 8711466 se fait lrsquoeacutecho de la menace permanente drsquoune expeacutedition hafside agrave laquelle le nouveau souverain abdelwadide est exposeacute36 Malgreacute les tentatives reacutecurrentes drsquoeacutemancipation al-Mutawakkil reconnaicirct la souveraineteacute hafside une reconnaissance mateacuterialiseacutee par lrsquoenvoi par le nouveau souverain abdelwadide sans doute agrave titre de preacutesent de dirhams et de dinars frappeacutes au nom du Hafside37

33emspVoguet ldquoLes communauteacutes juivesrdquo p 304 Hunwick ldquoThe rights of dhimmisrdquo p 141-143

34emspIbid p 14335emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 244-246 trad p 119-

12536emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage

trad p 56-59 7537emspIbid p 17-18 En effet les catalogues de monnaies

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 5

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Affaibli au niveau reacutegional le souverain ab-delwadide semble agrave lrsquoinstar de son illustre preacute-deacutecesseur Abū Ḥammū II (760-7911359-1389) avoir porteacute une attention toute particuliegravere agrave leacutegitimer son pouvoir par la plume Alors que depuis le regravegne drsquoAbū Ḥammū II aucune source produite dans lrsquoentourage drsquoun souverain ab-delwadide ne nous est parvenue deux ouvrages probablement reacutedigeacutes sous le regravegne drsquoal-Mu-tawakkil ont eacuteteacute conserveacutes Le premier inti-tuleacute Naẓm al‑durr est lrsquoouvrage qursquoal-Tanasī (m 8991494) deacutedie agrave ce souverain Comme la Buġiyat de Yaḥyā b Ḫaldūn (m 7801378-1379) il ne relegraveve pas drsquoun genre unique mais en associe plusieurs mecirclant chronique geacuteneacutealo-gie miroir au prince poeacutesie et adab De mecircme comme dans la chronique de Yaḥyā b Ḫaldūn ougrave le reacutecit de la (re)conquecircte de Tlemcen par Abū Ḥammū II depuis Tunis jusqursquoagrave la capitale abdelwadide constituait la matrice de la leacutegi-timiteacute de ce souverain al-Tanasī offre dans sa chronique un reacutecit similaire Bien que de faccedilon moins deacutetailleacutee il raconte la conquecircte du pouvoir par al-Mutawakkil et son pegravere qui partant de Tunis conquiegraverent successivement les provinces orientales du royaume abdelwadide avant de srsquoemparer de la capitale et de mettre fin au regravegne drsquoAbū l-ʿAbbās Aḥmad (r 834-8661430-1466)38 Cette similitude est sans doute loin drsquoecirctre ano-dine avec lrsquoavegravenement drsquoal-Mutawakkil crsquoest la descendance drsquoAbū Tāšfīn II b Abī Ḥammū (r 791-7971389-1393) qui triomphe deacutefinitive-ment sur la Maison drsquoAbū Ḥammū II Lrsquoœuvre drsquoal-Tanasī teacutemoigne ainsi de la volonteacute drsquoal-Mu-tawakkil drsquoassocier les lettreacutes de sa capitale agrave la mise par eacutecrit de cette nouvelle page de lrsquohistoire abdelwadide Reste que les relations drsquoal-Tanasī avec le pouvoir abdelwadide eacutetaient sans doute bien plus complexes qursquoil nrsquoy paraicirct Si son ou-vrage est bien destineacute agrave leacutegitimer le pouvoir du nouveau souverain ses biographes ne font eacutetat drsquoaucune fonction officielle En outre lors de la controverse du Touat sous le regravegne du successeur drsquoal-Mutawakkil Abū ʿAbd Allāh Muḥammad IV al-Ṯābitī (r 873-9101468-1504) il ne se rallie pas agrave la position des juristes laquo officiels raquo mais incarne la figure drsquoune opposition farouche au maintien des synagogues Le changement de sou-verain explique peut-ecirctre cette prise de distance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir politique mais rien dans

ne font pas eacutetat de piegraveces frappeacutees par les Abdelwadides au nom des Hafsides

38emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 253-254 trad p 130-135

lrsquoeacutetat actuel de la documentation ne permet de mieux eacutetayer cette hypothegravese

Le second ouvrage qui date selon toute proba-biliteacute du regravegne drsquoal-Mutawakkil est la Tuḥfa de Muḥammad al-ʿUqbānī Bien que lrsquoon ne connaisse pas la date exacte de sa reacutedaction les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et drsquoambassadeur occu-peacutees par Muḥammad al-ʿUqbānī durant le regravegne drsquoal-Mutawakkil ainsi que lrsquoouvrage deacutedieacute agrave ce prince par al-Tanasī rendent lrsquohypothegravese drsquoune composition de la Tuḥfa agrave cette peacuteriode vrai-semblable mecircme si rien nrsquoindique qursquoil srsquoagit drsquoune commande princiegravere En effet de mecircme qursquoal-Tanasī semble prendre ses distances avec le pouvoir Muḥammad al-ʿUqbānī est sous le regravegne mecircme drsquoal-Mutawakkil destitueacute de ses fonctions au profit de son oncle Ibrāhīm39 Apregraves lui les sources ne mentionnent plus de membres de la famille ʿUqbānī aux postes de qāḍī ou de muftī Aussi ne doit-on pas exclure soit degraves la fin du regravegne drsquoal-Mutawakkil soit sous celui de son successeur Muḥammad IV al-Ṯābitī une hostiliteacute du pouvoir agrave lrsquoeacutegard de certains juristes Outre les ʿUqbānī le cas drsquoal-Wanšarīsī est eacutegalement inteacute-ressant Apregraves avoir reccedilu sa formation agrave Tlemcen un conflit dont on ne connaicirct pas la cause lrsquoopposa au sultan abdelwadide Muḥammad IV al-Ṯābitī Sa maison fut saccageacutee il ducirct fuir Tlemcen et srsquoinstalla agrave Fegraves en 874146940 Il semble par ail-leurs qursquoal-Wanšarīsī procircnait le maintien drsquoune distance neacutecessaire entre le pouvoir et les ʿ ulamārsquo qui devaient rester indeacutependants41 Il srsquoagit sans doute lagrave drsquoun point de vue qui devait faire lrsquoobjet drsquoun certain consensus au sein des eacutelites Qursquoil srsquoagisse de saints42 de fuqahārsquo ou de ʿ ulamārsquo tous devaient consideacuterer que le pouvoir politique leur eacutetait assujetti Face au deacutesordre et agrave lrsquoinstabiliteacute introduits par le politique leur rocircle est drsquoincar-ner la norme de la reacuteaffirmer et de srsquoen porter garants Les tensions observeacutees entre le pouvoir abdelwadide sous les regravegnes drsquoal-Mutawakkil et de Muḥammad IV al-Ṯābitī et certaines personnaliteacutes

39emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

40emspVidal Castro ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 328-329 Vidal Castro rappelle lrsquohypothegravese eacutemise par les eacutediteurs du Miʿyār selon lesquels une fatwā interdisant la construction sur un cimetiegravere sauf en des conditions tregraves preacutecises aurait eacuteteacute agrave lrsquoorigine du conflit avec le sultan

41emspIbid p 329 note 71 Vidal Castro cite le Miʿyār vol 2 p 408 ougrave al-Wanšarīsī fait un reacutesumeacute de lrsquoeacutevolution historique des relations entre ʿulamārsquo et gouvernants agrave diffeacuterentes eacutepoques

42emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 180 et s le montre bien dans le cas des saints

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comme al-ʿUqbānī et al-Wanšarīsī srsquoexpliquent probablement par leur volonteacute drsquoencadrer peut-ecirctre plus eacutetroitement les eacutelites

Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexiteacute des relations que les eacutelites religieuses entretiennent avec le pouvoir De mecircme qursquoil existe une varieacuteteacute de deacuteclinaisons entre deux grands modegraveles de saints le premier refusant sys-teacutematiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince43 de mecircme certains ʿulamārsquo acceptent de servir le pouvoir alors que drsquoautres refusent Muḥammad al-ʿUqbānī fait ainsi le choix dans un premier temps de se mettre au service drsquoal-Mutawakkil avant drsquoecirctre reacutevoqueacute Si les raisons de sa destitu-tion ne sont pas mentionneacutees par les sources on peut neacuteanmoins srsquointerroger sur le lien eacuteventuel que celle-ci pourrait avoir avec la reacutedaction de son traiteacute de ḥisba sujet ocirc combien sensible Car lrsquoun des enjeux majeurs de ces tensions entre eacutelites mais eacutegalement entre eacutelites et pouvoir sultanien est de savoir in fine qui du pouvoir politique des jurisconsultes ou des saints a pour fonction drsquoassurer le maintien de lrsquoordre social et en particulier de garantir lrsquoapplication du preacutecepte de ḥisba qui recegravele un reacuteel potentiel subversif

2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba

21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee

La notion de ḥisba et par extension les ou-vrages qui en traitent revecirct plusieurs dimensions La ḥisba deacutesigne drsquoabord le devoir de tout musul-man drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo (al‑amr bi‑l‑maʿrūf wa‑l‑nahy ʿan al‑munkar) mentionneacute dans plusieurs versets du Coran44 Mais le terme renvoie eacutegalement agrave laquo la fonction du personnage chargeacute en ville de lrsquoapplication de cette regravegle agrave la police des mœurs et plus par-ticuliegraverement agrave celle du marcheacute45 raquo Cette tension entre devoir individuel et devoir collectif semble particuliegraverement exacerbeacutee au ixexve siegravecle

Drsquoun cocircteacute le potentiel subversif inheacuterent au devoir individuel est de nouveau freacutequemment mobiliseacute au ixexve siegravecle Les hagiographes se plaisent ainsi agrave rappeler la deacutetermination des saints agrave appliquer le preacutecepte coranique de la ḥisba dont la dimension contestataire nrsquoest pas nouvelle46

43emspIbid p 17344emspCoran III104 III110 XXII41 IX7145emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup2 vol III p 503-50546emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo

Le souverain abdelwadide al-Mutawakkil en avait drsquoailleurs pleinement conscience et nrsquoheacutesita pas agrave destituer le preacutedicateur de la mosqueacutee drsquoOran Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Qaṣṣār suite agrave laquo des paroles du šayḫ contenant une exhortation agrave faire le bien et agrave eacuteviter le mal47 raquo De mecircme le sultan wattaside Muḥammad b Šayḫ expulsa de Fegraves al-Maġīlī (m 1503-4 ou 1505-6) consideacutereacute comme un censeur par Ibn ʿAskar pour avoir meneacute une reacutebellion contre le pouvoir en place48 Preacutetendre ordonner le bien et interdire le mal eacutetait donc une faccedilon explicite de deacutenoncer lrsquoincapaciteacute du pouvoir sultanien agrave maintenir lrsquoordre social et donc de contester sa leacutegitimiteacute

Dans le mecircme temps la magistrature du ṣāḥib al‑sūq ne semble plus jouir de la mecircme importance qursquoaux siegravecles preacuteceacutedents Jean-Pierre Van Staeumlvel souligne ainsi que les teacutemoignages drsquoal-Ǧarsīfī et drsquoIbn Ḫaldūn49 peuvent ecirctre mis en doute laquo pour rendre compte des reacutealiteacutes institutionnelles du temps dans la capitale hafside50 raquo et par extension dans les autres villes du Maghreb post-almohade tant les attributions de ce fonctionnaire se sont reacuteduites et se limitent agrave la surveillance des marcheacutes excluant notamment de son domaine drsquointervention ce qui a trait agrave la voirie et teacutemoignant du caractegravere subal-terne de cette charge51 En al-Andalus agrave lrsquoeacutepoque nasride la sphegravere drsquointervention du ṣāḥib al‑sūq semble eacutegalement limiteacutee aux fraudes concernant la qualiteacute des marchandises les poids et les mesures52 En outre pour al-Bunnāhī53 le fonctionnaire qursquoil nomme ṣāḥib al‑ḥisba nrsquoest pas un muḥtasib au sens ougrave il nrsquoexerce pas le rocircle de censeur de la morale publique54 En revanche malgreacute des attributions circonscrites aux marcheacutes la charge de ṣāḥib al‑sūq aurait continueacute agrave ecirctre lrsquoobjet drsquoun certain prestige elle est consideacutereacutee par al-Bunnāhī qui reprend sur ce point Ibn Sahl55 sur le mecircme plan que drsquoautres magistratures comme celle de qāḍārsquo šurṭa ou maẓālim le passage de lrsquoune agrave lrsquoautre eacutetant aiseacute De mecircme la lettre de feacutelicitations adresseacutee

47emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 8148emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 16049emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba Ibn Ḫaldūn Al‑Muqaddima

eacuted t I p 379 380 trad t I p 524-52550emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 28951emspIbid J-P Van Staeumlvel cite une fatwā drsquoal-Burzulī

allant dans ce sens52emspChalmeta El zoco medieval p 556-557 (drsquoapregraves

al-Azdī) et p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhīal-Bunnāhī)53emspLa nisba semble ecirctre al-Bunnāhī plutocirct qursquoal-Nubāhī

Bencherifa ldquoAl-Bunnāhī lā al -Nubāhīrdquo54emspIbid p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba

eacuted p 66-75 trad p 230-244)55emspIbid p 559

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 7

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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

Jennifer Vanz8

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

Bibliographie

Sources

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128emspUne premiegravere enquecircte a eacuteteacute meneacutee en ce sens sur le traitement de deux cateacutegories sociales les femmes et les ḏimmī-s dans la Tuḥfa Vanz Lrsquoinvention drsquoune capitale p 257-286

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 3: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 3

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mad (m 8711467)15 auteur de la Tuḥfa il cumula lui aussi les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et de muftī mais les notices biographiques restent tregraves laconiques et ne donnent aucune preacutecision sur la peacuteriode durant laquelle il exerccedila ces fonctions Le reacutecit de ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl offre toutefois de preacutecieux deacutetails Lorsqursquoil arrive agrave Tlemcen en 8681464 sous le regravegne drsquoal-Mutawakkil Muḥammad al-ʿUqbānī est alors grand qāḍī de Tlemcen16 En 8691465 il est envoyeacute agrave Tunis comme ambassadeur du souverain abdelwadide afin de neacutegocier la paix avec les Hafsides17 Puis entre 8691465 et 8711467 date de sa mort Muḥammad al-ʿUqbānī est destitueacute de sa fonction de qāḍī au profit de son oncle Ibrāhīm18

La famille ʿ Uqbānī a donc exerceacute sur plusieurs geacuteneacuterations la judicature agrave Tlemcen et devait jouir drsquoun certain monopole sur cette charge19 En outre la plupart de ses membres ont eacuteteacute agrave la fois qāḍī et muftī indiquant ainsi que la judicature (qaḍārsquo) et lrsquoeacutemission de fatwā-s (iftārsquo) eacutetaient des fonctions qui pouvaient ecirctre occupeacutees par les mecircmes individus Crsquoest ainsi toute la question du subtil eacutequilibre entre ces deux fonctions et des rapports entre le juge et le jurisconsulte qui se trouve poseacutee Durant la seconde moitieacute du viiiexive siegravecle agrave Tunis sous lrsquoimpulsion drsquoIbn ʿA-rafa (m 8031401) le muftī prend un ascendant progressif sur le juge le premier tendant agrave devenir le premier personnage de la hieacuterarchie judiciaire de la capitale20 La fonction de muftī srsquoinstitution-nalise alors progressivement puisque comme dans le cas de la judicature crsquoest le pouvoir qui tend agrave prendre la main sur la nomination des muftī-s21 Au Maghreb central le pheacutenomegravene est attesteacute pour le ixexve siegravecle notamment agrave travers le cas de la famille ʿUqbānī Exerccedilant les deux fonctions quoique pas neacutecessairement simultaneacutement les ʿUqbānī concentraient donc en leurs mains une

15emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 394 trad p 257 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 547-548

16emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 5417emspIbid p 71-7218emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62

Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 6519emspHormis les al-ʿUqbānī les sources ne mentionnent

que deux personnages ayant exerceacute cette charge Muḥammad Abū ʿAbd Allāh Ḥammū al-Šarīf (m 8731468) (dans Ibn Maryam Al‑Bustān eacuted p 365 trad p 230) et Ibn Abī al-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen autour de 1480 agrave lrsquoeacutepoque de la controverse du Touat (dans Lagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44 ndeg162)

20emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 279-282

21emspIbid Voguet Le monde rural p 21 parle drsquolaquo inteacutegration institutionnelle des juristesrdquo

large part du pouvoir judiciaire dans la capitale abdelwadide et participaient activement agrave la deacute-finition des normes juridiques

Cette position preacuteeacuteminente a sans doute sus-citeacute contestations et convoitises Ainsi Qāsim al-ʿUqbānī auteur du plus grand nombre de fatwā-s conserveacutees eacutetait reacuteputeacute pour professer laquo des opinions qui srsquoeacuteloignaient de la doctrine mālikite et qui furent pour la plupart combattues par son contemporain Ibn Marzūq al-Ḥafīd22 raquo Ce dernier eacutetait eacutegalement un eacuteminent muftī sans pour autant avoir occupeacute la fonction de qādī Comme Qāsim al-ʿUqbānī il restait proche du pouvoir Le souverain abdelwadide Abū-l-ʿAbbās Aḥmad as-sista drsquoailleurs aux funeacuterailles de ces deux figures illustres23 La proximiteacute plus ou moins afficheacutee avec le pouvoir politique est alors un veacuteritable enjeu pour les eacutelites religieuses de Tlemcen Le dictionnaire biographique drsquoIbn Maryam laisse ainsi entrrsquoapercevoir la concurrence que les eacutelites religieuses se livrent entre elles la position par rapport au pouvoir eacutetant un des principaux eacuteleacute-ments clivant Dans la longue notice consacreacutee agrave Abū ʿAlī al-Ḥasan b Maḫlūf connu sous le nom drsquoAbarkān (m 8681463) lrsquoun de ses disciples al-Sanūsī (m 8951490)24 raconte comment il en est venu agrave suivre ses enseignements

Apregraves avoir freacutequenteacute quelque temps les confeacuterences de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī je me rendis un jour agrave une leccedilon du cheikh Sīdī Muḥammad b Marzūq et mrsquoeacutetant aperccedilu que le savoir de ce professeur eacutetait dans chaque science un oceacutean sans rivage je mrsquoattachai agrave son enseignement et abandonnai celui de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī Un autre jour que jrsquoeacutetais descendu agrave Bāb Zīrī et que jrsquoavais pris place parmi les auditeurs du cheikh al-Ḥasan il me sembla que la science de ce dernier perdait agrave ecirctre compareacutee agrave celle du cheikh Sīdī Muḥammad b Marzūq25

Al-Sanūsī eacuteminent repreacutesentant du soufisme de la fin du ixexve siegravecle eacutetablit ici une hieacuterarchie entre les principaux maicirctres de Tlemcen qui semble inversement proportionnelle agrave leur proximiteacute avec le pouvoir Aux cocircteacutes des grandes figures tradition-nelles comme Qāsim al-ʿUqbānī et Muḥammad b Marzūq drsquoautres personnaliteacutes de premier plan eacutemergent comme Abarkān et al-Sanūsī26 Ces

22emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 284 trad p 161 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 365

23emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 286 et 374 trad p 163 et p 239 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 366

24emspBencheneb ldquoal-Sanūsīrdquo EIsup2 vol IX p 20-24 Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 277-278

25emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 183-184 trad p 8926emspSur la place du soufisme dans lrsquoenseignement agrave

Jennifer Vanz4

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derniers nrsquooccupent pas de fonctions officielles se rapprochent par leur mode de vie asceacutetique du modegravele de la sainteteacute et procircnent de fait une certaine distance agrave lrsquoeacutegard des biens mateacuteriels et du pouvoir politique On retrouve alors pour ces deux personnages le topos de lrsquoindiffeacuterence voire du refus de freacutequenter les souverains27 Cette attitude est justifieacutee par de nombreux auteurs maghreacutebins comme Ibn Qunfuḏ qui reprennent notamment les propos drsquoal-Ġazālī sur laquo ce qui est licite et ce qui ne lrsquoest pas dans la freacutequentation des sultans28 raquo Le rejet nrsquoest pas loin srsquoen faut systeacutematique puisque Abarkān finit par recevoir le sultan Abū ʿAbd Allāh Aḥmad et al-Sanūsī apregraves un premier refus accepte les revenus drsquoune madrasa que lui offre le sultan Mais leur meacutefiance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir terrestre nrsquoen est pas moins clairement affirmeacutee

Ce clivage entre eacutelites religieuses les unes affichant leur indeacutependance par rapport agrave un pouvoir qui leur est quoi qursquoil en soit soumis29 les autres se caracteacuterisant par leur laquo inteacutegration institutionnelle30 raquo apparaicirct au grand jour dans le cadre de la poleacutemique sur les synagogues du Touat agrave partir des anneacutees 148031 Plusieurs per-sonnaliteacutes sont alors mobiliseacutees pour reacutepondre agrave la question poseacutee au qāḍī du Touat al-ʿAṣnūnī concernant le statut leacutegal des synagogues de cette reacutegion Al-Wanšarīsī32 compile ainsi plusieurs opinions celle drsquoal-ʿAṣnūnī qāḍī du Touat celle drsquoIbn Zakrī muftī officiel de Tlemcen celle drsquoIbn Abī l-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen celle drsquoal-Raṣṣāʿ grand qāḍī de Tunis qui se prononcent tous contre la destruction Agrave lrsquoinverse al-Fiǧǧīǧī al-Sanūsī al-Tanasī et al-Maġīlī y sont favorables Il srsquoagit bien lagrave drsquoune fracture au sein des eacutelites religieuses dont la signification est eacuteminemment politique Les juristes officiels nommeacutes par les pouvoirs abdelwadide et hafside adoptent tous une mecircme position srsquoopposant agrave la destruction des synagogues Agrave lrsquoinverse les partisans de la

Tlemcen Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 282-284

27emspIbid eacuted p 191 416-418 trad p 94-95 et p 273-27528emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 172 voir eacutegalement

sur les relations entre les saints et le pouvoir Ferhat ldquoSouve-rains saints et fuqahārsquordquo

29emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 188-19030emspVoguet Le monde rural p 2131emspVajda ldquoUn traiteacute maghreacutebinrdquo Hunwick Jews of a

Saharan oasis Id ldquoThe rights of dhimmisrdquo Id ldquoAl-Mahicirclicirc and the Jews of Tuwacirctrdquo

32emspLagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44-45 (ndeg162) sur la position drsquoal-Wanšarīsī voir Powers ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 382-399

destruction qui lrsquoemportent finalement laquo ne font pas partie des juristes inteacutegreacutes au systegraveme33 raquo Ce sont les arguments drsquoal-Tanasī qui nrsquoest pourtant pas muftī qui sont retenus par al-Maġīlī pour leacutegitimer son action de destruction Comme le souligne John Hunwick sa position est pourtant consideacutereacutee comme ayant valeur de fatwā ce qui interroge sur lrsquousage qui est fait au ixexve siegravecle du terme de muftī ainsi que sur la relation qursquoen-tretient le deacutetenteur de cette charge avec les autres jurisconsultes34 Cette poleacutemique qui suscita un vif deacutebat au sein des eacutelites religieuses revecirct ainsi une dimension politique Elle teacutemoigne aussi drsquoun mouvement de fond plus ancien de contestation de la leacutegitimiteacute politique des pouvoirs en place qui connaicirct agrave partir du ixexve siegravecle un nouveau re-gain Crsquoest dans ce contexte de contestation latente drsquoun pouvoir sultanien abdelwadide fragiliseacute face agrave son concurrent hafside que doit ecirctre analyseacute le regravegne drsquoal-Mutawakkil (866-8731461-1468)

12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par al-Mutawakkil

Al-Mutawakkil accegravede au pouvoir agrave Tlemcen en 8661461 apregraves avoir meneacute aux cocircteacutes de son pegravere une reacutevolte contre son parent Abū ʿAbd Allāh Muḥammad Pourtant depuis le deacutebut du ixexve siegravecle les Hafsides jouent un rocircle de premier plan dans la politique du sultanat abdelwadide menant plusieurs expeacuteditions agrave Tlemcen afin que leur souveraineteacute soit reconnue par le prince abdelwa-dide reacutegnant Ils interviennent ainsi agrave plusieurs reprises pour favoriser ou destituer un souverain agrave Tlemcen35 La prise de pouvoir par al-Mutawak-kil en 8661461 ne change pas veacuteritablement les rapports de force Le voyageur eacutegyptien ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl qui se rend agrave Tlemcen entre 8681464 et 8711466 se fait lrsquoeacutecho de la menace permanente drsquoune expeacutedition hafside agrave laquelle le nouveau souverain abdelwadide est exposeacute36 Malgreacute les tentatives reacutecurrentes drsquoeacutemancipation al-Mutawakkil reconnaicirct la souveraineteacute hafside une reconnaissance mateacuterialiseacutee par lrsquoenvoi par le nouveau souverain abdelwadide sans doute agrave titre de preacutesent de dirhams et de dinars frappeacutes au nom du Hafside37

33emspVoguet ldquoLes communauteacutes juivesrdquo p 304 Hunwick ldquoThe rights of dhimmisrdquo p 141-143

34emspIbid p 14335emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 244-246 trad p 119-

12536emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage

trad p 56-59 7537emspIbid p 17-18 En effet les catalogues de monnaies

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 5

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Affaibli au niveau reacutegional le souverain ab-delwadide semble agrave lrsquoinstar de son illustre preacute-deacutecesseur Abū Ḥammū II (760-7911359-1389) avoir porteacute une attention toute particuliegravere agrave leacutegitimer son pouvoir par la plume Alors que depuis le regravegne drsquoAbū Ḥammū II aucune source produite dans lrsquoentourage drsquoun souverain ab-delwadide ne nous est parvenue deux ouvrages probablement reacutedigeacutes sous le regravegne drsquoal-Mu-tawakkil ont eacuteteacute conserveacutes Le premier inti-tuleacute Naẓm al‑durr est lrsquoouvrage qursquoal-Tanasī (m 8991494) deacutedie agrave ce souverain Comme la Buġiyat de Yaḥyā b Ḫaldūn (m 7801378-1379) il ne relegraveve pas drsquoun genre unique mais en associe plusieurs mecirclant chronique geacuteneacutealo-gie miroir au prince poeacutesie et adab De mecircme comme dans la chronique de Yaḥyā b Ḫaldūn ougrave le reacutecit de la (re)conquecircte de Tlemcen par Abū Ḥammū II depuis Tunis jusqursquoagrave la capitale abdelwadide constituait la matrice de la leacutegi-timiteacute de ce souverain al-Tanasī offre dans sa chronique un reacutecit similaire Bien que de faccedilon moins deacutetailleacutee il raconte la conquecircte du pouvoir par al-Mutawakkil et son pegravere qui partant de Tunis conquiegraverent successivement les provinces orientales du royaume abdelwadide avant de srsquoemparer de la capitale et de mettre fin au regravegne drsquoAbū l-ʿAbbās Aḥmad (r 834-8661430-1466)38 Cette similitude est sans doute loin drsquoecirctre ano-dine avec lrsquoavegravenement drsquoal-Mutawakkil crsquoest la descendance drsquoAbū Tāšfīn II b Abī Ḥammū (r 791-7971389-1393) qui triomphe deacutefinitive-ment sur la Maison drsquoAbū Ḥammū II Lrsquoœuvre drsquoal-Tanasī teacutemoigne ainsi de la volonteacute drsquoal-Mu-tawakkil drsquoassocier les lettreacutes de sa capitale agrave la mise par eacutecrit de cette nouvelle page de lrsquohistoire abdelwadide Reste que les relations drsquoal-Tanasī avec le pouvoir abdelwadide eacutetaient sans doute bien plus complexes qursquoil nrsquoy paraicirct Si son ou-vrage est bien destineacute agrave leacutegitimer le pouvoir du nouveau souverain ses biographes ne font eacutetat drsquoaucune fonction officielle En outre lors de la controverse du Touat sous le regravegne du successeur drsquoal-Mutawakkil Abū ʿAbd Allāh Muḥammad IV al-Ṯābitī (r 873-9101468-1504) il ne se rallie pas agrave la position des juristes laquo officiels raquo mais incarne la figure drsquoune opposition farouche au maintien des synagogues Le changement de sou-verain explique peut-ecirctre cette prise de distance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir politique mais rien dans

ne font pas eacutetat de piegraveces frappeacutees par les Abdelwadides au nom des Hafsides

38emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 253-254 trad p 130-135

lrsquoeacutetat actuel de la documentation ne permet de mieux eacutetayer cette hypothegravese

Le second ouvrage qui date selon toute proba-biliteacute du regravegne drsquoal-Mutawakkil est la Tuḥfa de Muḥammad al-ʿUqbānī Bien que lrsquoon ne connaisse pas la date exacte de sa reacutedaction les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et drsquoambassadeur occu-peacutees par Muḥammad al-ʿUqbānī durant le regravegne drsquoal-Mutawakkil ainsi que lrsquoouvrage deacutedieacute agrave ce prince par al-Tanasī rendent lrsquohypothegravese drsquoune composition de la Tuḥfa agrave cette peacuteriode vrai-semblable mecircme si rien nrsquoindique qursquoil srsquoagit drsquoune commande princiegravere En effet de mecircme qursquoal-Tanasī semble prendre ses distances avec le pouvoir Muḥammad al-ʿUqbānī est sous le regravegne mecircme drsquoal-Mutawakkil destitueacute de ses fonctions au profit de son oncle Ibrāhīm39 Apregraves lui les sources ne mentionnent plus de membres de la famille ʿUqbānī aux postes de qāḍī ou de muftī Aussi ne doit-on pas exclure soit degraves la fin du regravegne drsquoal-Mutawakkil soit sous celui de son successeur Muḥammad IV al-Ṯābitī une hostiliteacute du pouvoir agrave lrsquoeacutegard de certains juristes Outre les ʿUqbānī le cas drsquoal-Wanšarīsī est eacutegalement inteacute-ressant Apregraves avoir reccedilu sa formation agrave Tlemcen un conflit dont on ne connaicirct pas la cause lrsquoopposa au sultan abdelwadide Muḥammad IV al-Ṯābitī Sa maison fut saccageacutee il ducirct fuir Tlemcen et srsquoinstalla agrave Fegraves en 874146940 Il semble par ail-leurs qursquoal-Wanšarīsī procircnait le maintien drsquoune distance neacutecessaire entre le pouvoir et les ʿ ulamārsquo qui devaient rester indeacutependants41 Il srsquoagit sans doute lagrave drsquoun point de vue qui devait faire lrsquoobjet drsquoun certain consensus au sein des eacutelites Qursquoil srsquoagisse de saints42 de fuqahārsquo ou de ʿ ulamārsquo tous devaient consideacuterer que le pouvoir politique leur eacutetait assujetti Face au deacutesordre et agrave lrsquoinstabiliteacute introduits par le politique leur rocircle est drsquoincar-ner la norme de la reacuteaffirmer et de srsquoen porter garants Les tensions observeacutees entre le pouvoir abdelwadide sous les regravegnes drsquoal-Mutawakkil et de Muḥammad IV al-Ṯābitī et certaines personnaliteacutes

39emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

40emspVidal Castro ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 328-329 Vidal Castro rappelle lrsquohypothegravese eacutemise par les eacutediteurs du Miʿyār selon lesquels une fatwā interdisant la construction sur un cimetiegravere sauf en des conditions tregraves preacutecises aurait eacuteteacute agrave lrsquoorigine du conflit avec le sultan

41emspIbid p 329 note 71 Vidal Castro cite le Miʿyār vol 2 p 408 ougrave al-Wanšarīsī fait un reacutesumeacute de lrsquoeacutevolution historique des relations entre ʿulamārsquo et gouvernants agrave diffeacuterentes eacutepoques

42emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 180 et s le montre bien dans le cas des saints

Jennifer Vanz6

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comme al-ʿUqbānī et al-Wanšarīsī srsquoexpliquent probablement par leur volonteacute drsquoencadrer peut-ecirctre plus eacutetroitement les eacutelites

Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexiteacute des relations que les eacutelites religieuses entretiennent avec le pouvoir De mecircme qursquoil existe une varieacuteteacute de deacuteclinaisons entre deux grands modegraveles de saints le premier refusant sys-teacutematiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince43 de mecircme certains ʿulamārsquo acceptent de servir le pouvoir alors que drsquoautres refusent Muḥammad al-ʿUqbānī fait ainsi le choix dans un premier temps de se mettre au service drsquoal-Mutawakkil avant drsquoecirctre reacutevoqueacute Si les raisons de sa destitu-tion ne sont pas mentionneacutees par les sources on peut neacuteanmoins srsquointerroger sur le lien eacuteventuel que celle-ci pourrait avoir avec la reacutedaction de son traiteacute de ḥisba sujet ocirc combien sensible Car lrsquoun des enjeux majeurs de ces tensions entre eacutelites mais eacutegalement entre eacutelites et pouvoir sultanien est de savoir in fine qui du pouvoir politique des jurisconsultes ou des saints a pour fonction drsquoassurer le maintien de lrsquoordre social et en particulier de garantir lrsquoapplication du preacutecepte de ḥisba qui recegravele un reacuteel potentiel subversif

2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba

21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee

La notion de ḥisba et par extension les ou-vrages qui en traitent revecirct plusieurs dimensions La ḥisba deacutesigne drsquoabord le devoir de tout musul-man drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo (al‑amr bi‑l‑maʿrūf wa‑l‑nahy ʿan al‑munkar) mentionneacute dans plusieurs versets du Coran44 Mais le terme renvoie eacutegalement agrave laquo la fonction du personnage chargeacute en ville de lrsquoapplication de cette regravegle agrave la police des mœurs et plus par-ticuliegraverement agrave celle du marcheacute45 raquo Cette tension entre devoir individuel et devoir collectif semble particuliegraverement exacerbeacutee au ixexve siegravecle

Drsquoun cocircteacute le potentiel subversif inheacuterent au devoir individuel est de nouveau freacutequemment mobiliseacute au ixexve siegravecle Les hagiographes se plaisent ainsi agrave rappeler la deacutetermination des saints agrave appliquer le preacutecepte coranique de la ḥisba dont la dimension contestataire nrsquoest pas nouvelle46

43emspIbid p 17344emspCoran III104 III110 XXII41 IX7145emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup2 vol III p 503-50546emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo

Le souverain abdelwadide al-Mutawakkil en avait drsquoailleurs pleinement conscience et nrsquoheacutesita pas agrave destituer le preacutedicateur de la mosqueacutee drsquoOran Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Qaṣṣār suite agrave laquo des paroles du šayḫ contenant une exhortation agrave faire le bien et agrave eacuteviter le mal47 raquo De mecircme le sultan wattaside Muḥammad b Šayḫ expulsa de Fegraves al-Maġīlī (m 1503-4 ou 1505-6) consideacutereacute comme un censeur par Ibn ʿAskar pour avoir meneacute une reacutebellion contre le pouvoir en place48 Preacutetendre ordonner le bien et interdire le mal eacutetait donc une faccedilon explicite de deacutenoncer lrsquoincapaciteacute du pouvoir sultanien agrave maintenir lrsquoordre social et donc de contester sa leacutegitimiteacute

Dans le mecircme temps la magistrature du ṣāḥib al‑sūq ne semble plus jouir de la mecircme importance qursquoaux siegravecles preacuteceacutedents Jean-Pierre Van Staeumlvel souligne ainsi que les teacutemoignages drsquoal-Ǧarsīfī et drsquoIbn Ḫaldūn49 peuvent ecirctre mis en doute laquo pour rendre compte des reacutealiteacutes institutionnelles du temps dans la capitale hafside50 raquo et par extension dans les autres villes du Maghreb post-almohade tant les attributions de ce fonctionnaire se sont reacuteduites et se limitent agrave la surveillance des marcheacutes excluant notamment de son domaine drsquointervention ce qui a trait agrave la voirie et teacutemoignant du caractegravere subal-terne de cette charge51 En al-Andalus agrave lrsquoeacutepoque nasride la sphegravere drsquointervention du ṣāḥib al‑sūq semble eacutegalement limiteacutee aux fraudes concernant la qualiteacute des marchandises les poids et les mesures52 En outre pour al-Bunnāhī53 le fonctionnaire qursquoil nomme ṣāḥib al‑ḥisba nrsquoest pas un muḥtasib au sens ougrave il nrsquoexerce pas le rocircle de censeur de la morale publique54 En revanche malgreacute des attributions circonscrites aux marcheacutes la charge de ṣāḥib al‑sūq aurait continueacute agrave ecirctre lrsquoobjet drsquoun certain prestige elle est consideacutereacutee par al-Bunnāhī qui reprend sur ce point Ibn Sahl55 sur le mecircme plan que drsquoautres magistratures comme celle de qāḍārsquo šurṭa ou maẓālim le passage de lrsquoune agrave lrsquoautre eacutetant aiseacute De mecircme la lettre de feacutelicitations adresseacutee

47emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 8148emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 16049emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba Ibn Ḫaldūn Al‑Muqaddima

eacuted t I p 379 380 trad t I p 524-52550emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 28951emspIbid J-P Van Staeumlvel cite une fatwā drsquoal-Burzulī

allant dans ce sens52emspChalmeta El zoco medieval p 556-557 (drsquoapregraves

al-Azdī) et p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhīal-Bunnāhī)53emspLa nisba semble ecirctre al-Bunnāhī plutocirct qursquoal-Nubāhī

Bencherifa ldquoAl-Bunnāhī lā al -Nubāhīrdquo54emspIbid p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba

eacuted p 66-75 trad p 230-244)55emspIbid p 559

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 7

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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

Jennifer Vanz8

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 15

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 4: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Jennifer Vanz4

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derniers nrsquooccupent pas de fonctions officielles se rapprochent par leur mode de vie asceacutetique du modegravele de la sainteteacute et procircnent de fait une certaine distance agrave lrsquoeacutegard des biens mateacuteriels et du pouvoir politique On retrouve alors pour ces deux personnages le topos de lrsquoindiffeacuterence voire du refus de freacutequenter les souverains27 Cette attitude est justifieacutee par de nombreux auteurs maghreacutebins comme Ibn Qunfuḏ qui reprennent notamment les propos drsquoal-Ġazālī sur laquo ce qui est licite et ce qui ne lrsquoest pas dans la freacutequentation des sultans28 raquo Le rejet nrsquoest pas loin srsquoen faut systeacutematique puisque Abarkān finit par recevoir le sultan Abū ʿAbd Allāh Aḥmad et al-Sanūsī apregraves un premier refus accepte les revenus drsquoune madrasa que lui offre le sultan Mais leur meacutefiance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir terrestre nrsquoen est pas moins clairement affirmeacutee

Ce clivage entre eacutelites religieuses les unes affichant leur indeacutependance par rapport agrave un pouvoir qui leur est quoi qursquoil en soit soumis29 les autres se caracteacuterisant par leur laquo inteacutegration institutionnelle30 raquo apparaicirct au grand jour dans le cadre de la poleacutemique sur les synagogues du Touat agrave partir des anneacutees 148031 Plusieurs per-sonnaliteacutes sont alors mobiliseacutees pour reacutepondre agrave la question poseacutee au qāḍī du Touat al-ʿAṣnūnī concernant le statut leacutegal des synagogues de cette reacutegion Al-Wanšarīsī32 compile ainsi plusieurs opinions celle drsquoal-ʿAṣnūnī qāḍī du Touat celle drsquoIbn Zakrī muftī officiel de Tlemcen celle drsquoIbn Abī l-Barakāt grand qāḍī de Tlemcen celle drsquoal-Raṣṣāʿ grand qāḍī de Tunis qui se prononcent tous contre la destruction Agrave lrsquoinverse al-Fiǧǧīǧī al-Sanūsī al-Tanasī et al-Maġīlī y sont favorables Il srsquoagit bien lagrave drsquoune fracture au sein des eacutelites religieuses dont la signification est eacuteminemment politique Les juristes officiels nommeacutes par les pouvoirs abdelwadide et hafside adoptent tous une mecircme position srsquoopposant agrave la destruction des synagogues Agrave lrsquoinverse les partisans de la

Tlemcen Touati ldquoHistoire et anthropologie religieuserdquo p 282-284

27emspIbid eacuted p 191 416-418 trad p 94-95 et p 273-27528emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 172 voir eacutegalement

sur les relations entre les saints et le pouvoir Ferhat ldquoSouve-rains saints et fuqahārsquordquo

29emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 188-19030emspVoguet Le monde rural p 2131emspVajda ldquoUn traiteacute maghreacutebinrdquo Hunwick Jews of a

Saharan oasis Id ldquoThe rights of dhimmisrdquo Id ldquoAl-Mahicirclicirc and the Jews of Tuwacirctrdquo

32emspLagardegravere Histoire et socieacuteteacute p 44-45 (ndeg162) sur la position drsquoal-Wanšarīsī voir Powers ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 382-399

destruction qui lrsquoemportent finalement laquo ne font pas partie des juristes inteacutegreacutes au systegraveme33 raquo Ce sont les arguments drsquoal-Tanasī qui nrsquoest pourtant pas muftī qui sont retenus par al-Maġīlī pour leacutegitimer son action de destruction Comme le souligne John Hunwick sa position est pourtant consideacutereacutee comme ayant valeur de fatwā ce qui interroge sur lrsquousage qui est fait au ixexve siegravecle du terme de muftī ainsi que sur la relation qursquoen-tretient le deacutetenteur de cette charge avec les autres jurisconsultes34 Cette poleacutemique qui suscita un vif deacutebat au sein des eacutelites religieuses revecirct ainsi une dimension politique Elle teacutemoigne aussi drsquoun mouvement de fond plus ancien de contestation de la leacutegitimiteacute politique des pouvoirs en place qui connaicirct agrave partir du ixexve siegravecle un nouveau re-gain Crsquoest dans ce contexte de contestation latente drsquoun pouvoir sultanien abdelwadide fragiliseacute face agrave son concurrent hafside que doit ecirctre analyseacute le regravegne drsquoal-Mutawakkil (866-8731461-1468)

12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par al-Mutawakkil

Al-Mutawakkil accegravede au pouvoir agrave Tlemcen en 8661461 apregraves avoir meneacute aux cocircteacutes de son pegravere une reacutevolte contre son parent Abū ʿAbd Allāh Muḥammad Pourtant depuis le deacutebut du ixexve siegravecle les Hafsides jouent un rocircle de premier plan dans la politique du sultanat abdelwadide menant plusieurs expeacuteditions agrave Tlemcen afin que leur souveraineteacute soit reconnue par le prince abdelwa-dide reacutegnant Ils interviennent ainsi agrave plusieurs reprises pour favoriser ou destituer un souverain agrave Tlemcen35 La prise de pouvoir par al-Mutawak-kil en 8661461 ne change pas veacuteritablement les rapports de force Le voyageur eacutegyptien ʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl qui se rend agrave Tlemcen entre 8681464 et 8711466 se fait lrsquoeacutecho de la menace permanente drsquoune expeacutedition hafside agrave laquelle le nouveau souverain abdelwadide est exposeacute36 Malgreacute les tentatives reacutecurrentes drsquoeacutemancipation al-Mutawakkil reconnaicirct la souveraineteacute hafside une reconnaissance mateacuterialiseacutee par lrsquoenvoi par le nouveau souverain abdelwadide sans doute agrave titre de preacutesent de dirhams et de dinars frappeacutes au nom du Hafside37

33emspVoguet ldquoLes communauteacutes juivesrdquo p 304 Hunwick ldquoThe rights of dhimmisrdquo p 141-143

34emspIbid p 14335emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 244-246 trad p 119-

12536emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage

trad p 56-59 7537emspIbid p 17-18 En effet les catalogues de monnaies

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 5

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Affaibli au niveau reacutegional le souverain ab-delwadide semble agrave lrsquoinstar de son illustre preacute-deacutecesseur Abū Ḥammū II (760-7911359-1389) avoir porteacute une attention toute particuliegravere agrave leacutegitimer son pouvoir par la plume Alors que depuis le regravegne drsquoAbū Ḥammū II aucune source produite dans lrsquoentourage drsquoun souverain ab-delwadide ne nous est parvenue deux ouvrages probablement reacutedigeacutes sous le regravegne drsquoal-Mu-tawakkil ont eacuteteacute conserveacutes Le premier inti-tuleacute Naẓm al‑durr est lrsquoouvrage qursquoal-Tanasī (m 8991494) deacutedie agrave ce souverain Comme la Buġiyat de Yaḥyā b Ḫaldūn (m 7801378-1379) il ne relegraveve pas drsquoun genre unique mais en associe plusieurs mecirclant chronique geacuteneacutealo-gie miroir au prince poeacutesie et adab De mecircme comme dans la chronique de Yaḥyā b Ḫaldūn ougrave le reacutecit de la (re)conquecircte de Tlemcen par Abū Ḥammū II depuis Tunis jusqursquoagrave la capitale abdelwadide constituait la matrice de la leacutegi-timiteacute de ce souverain al-Tanasī offre dans sa chronique un reacutecit similaire Bien que de faccedilon moins deacutetailleacutee il raconte la conquecircte du pouvoir par al-Mutawakkil et son pegravere qui partant de Tunis conquiegraverent successivement les provinces orientales du royaume abdelwadide avant de srsquoemparer de la capitale et de mettre fin au regravegne drsquoAbū l-ʿAbbās Aḥmad (r 834-8661430-1466)38 Cette similitude est sans doute loin drsquoecirctre ano-dine avec lrsquoavegravenement drsquoal-Mutawakkil crsquoest la descendance drsquoAbū Tāšfīn II b Abī Ḥammū (r 791-7971389-1393) qui triomphe deacutefinitive-ment sur la Maison drsquoAbū Ḥammū II Lrsquoœuvre drsquoal-Tanasī teacutemoigne ainsi de la volonteacute drsquoal-Mu-tawakkil drsquoassocier les lettreacutes de sa capitale agrave la mise par eacutecrit de cette nouvelle page de lrsquohistoire abdelwadide Reste que les relations drsquoal-Tanasī avec le pouvoir abdelwadide eacutetaient sans doute bien plus complexes qursquoil nrsquoy paraicirct Si son ou-vrage est bien destineacute agrave leacutegitimer le pouvoir du nouveau souverain ses biographes ne font eacutetat drsquoaucune fonction officielle En outre lors de la controverse du Touat sous le regravegne du successeur drsquoal-Mutawakkil Abū ʿAbd Allāh Muḥammad IV al-Ṯābitī (r 873-9101468-1504) il ne se rallie pas agrave la position des juristes laquo officiels raquo mais incarne la figure drsquoune opposition farouche au maintien des synagogues Le changement de sou-verain explique peut-ecirctre cette prise de distance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir politique mais rien dans

ne font pas eacutetat de piegraveces frappeacutees par les Abdelwadides au nom des Hafsides

38emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 253-254 trad p 130-135

lrsquoeacutetat actuel de la documentation ne permet de mieux eacutetayer cette hypothegravese

Le second ouvrage qui date selon toute proba-biliteacute du regravegne drsquoal-Mutawakkil est la Tuḥfa de Muḥammad al-ʿUqbānī Bien que lrsquoon ne connaisse pas la date exacte de sa reacutedaction les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et drsquoambassadeur occu-peacutees par Muḥammad al-ʿUqbānī durant le regravegne drsquoal-Mutawakkil ainsi que lrsquoouvrage deacutedieacute agrave ce prince par al-Tanasī rendent lrsquohypothegravese drsquoune composition de la Tuḥfa agrave cette peacuteriode vrai-semblable mecircme si rien nrsquoindique qursquoil srsquoagit drsquoune commande princiegravere En effet de mecircme qursquoal-Tanasī semble prendre ses distances avec le pouvoir Muḥammad al-ʿUqbānī est sous le regravegne mecircme drsquoal-Mutawakkil destitueacute de ses fonctions au profit de son oncle Ibrāhīm39 Apregraves lui les sources ne mentionnent plus de membres de la famille ʿUqbānī aux postes de qāḍī ou de muftī Aussi ne doit-on pas exclure soit degraves la fin du regravegne drsquoal-Mutawakkil soit sous celui de son successeur Muḥammad IV al-Ṯābitī une hostiliteacute du pouvoir agrave lrsquoeacutegard de certains juristes Outre les ʿUqbānī le cas drsquoal-Wanšarīsī est eacutegalement inteacute-ressant Apregraves avoir reccedilu sa formation agrave Tlemcen un conflit dont on ne connaicirct pas la cause lrsquoopposa au sultan abdelwadide Muḥammad IV al-Ṯābitī Sa maison fut saccageacutee il ducirct fuir Tlemcen et srsquoinstalla agrave Fegraves en 874146940 Il semble par ail-leurs qursquoal-Wanšarīsī procircnait le maintien drsquoune distance neacutecessaire entre le pouvoir et les ʿ ulamārsquo qui devaient rester indeacutependants41 Il srsquoagit sans doute lagrave drsquoun point de vue qui devait faire lrsquoobjet drsquoun certain consensus au sein des eacutelites Qursquoil srsquoagisse de saints42 de fuqahārsquo ou de ʿ ulamārsquo tous devaient consideacuterer que le pouvoir politique leur eacutetait assujetti Face au deacutesordre et agrave lrsquoinstabiliteacute introduits par le politique leur rocircle est drsquoincar-ner la norme de la reacuteaffirmer et de srsquoen porter garants Les tensions observeacutees entre le pouvoir abdelwadide sous les regravegnes drsquoal-Mutawakkil et de Muḥammad IV al-Ṯābitī et certaines personnaliteacutes

39emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

40emspVidal Castro ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 328-329 Vidal Castro rappelle lrsquohypothegravese eacutemise par les eacutediteurs du Miʿyār selon lesquels une fatwā interdisant la construction sur un cimetiegravere sauf en des conditions tregraves preacutecises aurait eacuteteacute agrave lrsquoorigine du conflit avec le sultan

41emspIbid p 329 note 71 Vidal Castro cite le Miʿyār vol 2 p 408 ougrave al-Wanšarīsī fait un reacutesumeacute de lrsquoeacutevolution historique des relations entre ʿulamārsquo et gouvernants agrave diffeacuterentes eacutepoques

42emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 180 et s le montre bien dans le cas des saints

Jennifer Vanz6

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comme al-ʿUqbānī et al-Wanšarīsī srsquoexpliquent probablement par leur volonteacute drsquoencadrer peut-ecirctre plus eacutetroitement les eacutelites

Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexiteacute des relations que les eacutelites religieuses entretiennent avec le pouvoir De mecircme qursquoil existe une varieacuteteacute de deacuteclinaisons entre deux grands modegraveles de saints le premier refusant sys-teacutematiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince43 de mecircme certains ʿulamārsquo acceptent de servir le pouvoir alors que drsquoautres refusent Muḥammad al-ʿUqbānī fait ainsi le choix dans un premier temps de se mettre au service drsquoal-Mutawakkil avant drsquoecirctre reacutevoqueacute Si les raisons de sa destitu-tion ne sont pas mentionneacutees par les sources on peut neacuteanmoins srsquointerroger sur le lien eacuteventuel que celle-ci pourrait avoir avec la reacutedaction de son traiteacute de ḥisba sujet ocirc combien sensible Car lrsquoun des enjeux majeurs de ces tensions entre eacutelites mais eacutegalement entre eacutelites et pouvoir sultanien est de savoir in fine qui du pouvoir politique des jurisconsultes ou des saints a pour fonction drsquoassurer le maintien de lrsquoordre social et en particulier de garantir lrsquoapplication du preacutecepte de ḥisba qui recegravele un reacuteel potentiel subversif

2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba

21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee

La notion de ḥisba et par extension les ou-vrages qui en traitent revecirct plusieurs dimensions La ḥisba deacutesigne drsquoabord le devoir de tout musul-man drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo (al‑amr bi‑l‑maʿrūf wa‑l‑nahy ʿan al‑munkar) mentionneacute dans plusieurs versets du Coran44 Mais le terme renvoie eacutegalement agrave laquo la fonction du personnage chargeacute en ville de lrsquoapplication de cette regravegle agrave la police des mœurs et plus par-ticuliegraverement agrave celle du marcheacute45 raquo Cette tension entre devoir individuel et devoir collectif semble particuliegraverement exacerbeacutee au ixexve siegravecle

Drsquoun cocircteacute le potentiel subversif inheacuterent au devoir individuel est de nouveau freacutequemment mobiliseacute au ixexve siegravecle Les hagiographes se plaisent ainsi agrave rappeler la deacutetermination des saints agrave appliquer le preacutecepte coranique de la ḥisba dont la dimension contestataire nrsquoest pas nouvelle46

43emspIbid p 17344emspCoran III104 III110 XXII41 IX7145emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup2 vol III p 503-50546emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo

Le souverain abdelwadide al-Mutawakkil en avait drsquoailleurs pleinement conscience et nrsquoheacutesita pas agrave destituer le preacutedicateur de la mosqueacutee drsquoOran Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Qaṣṣār suite agrave laquo des paroles du šayḫ contenant une exhortation agrave faire le bien et agrave eacuteviter le mal47 raquo De mecircme le sultan wattaside Muḥammad b Šayḫ expulsa de Fegraves al-Maġīlī (m 1503-4 ou 1505-6) consideacutereacute comme un censeur par Ibn ʿAskar pour avoir meneacute une reacutebellion contre le pouvoir en place48 Preacutetendre ordonner le bien et interdire le mal eacutetait donc une faccedilon explicite de deacutenoncer lrsquoincapaciteacute du pouvoir sultanien agrave maintenir lrsquoordre social et donc de contester sa leacutegitimiteacute

Dans le mecircme temps la magistrature du ṣāḥib al‑sūq ne semble plus jouir de la mecircme importance qursquoaux siegravecles preacuteceacutedents Jean-Pierre Van Staeumlvel souligne ainsi que les teacutemoignages drsquoal-Ǧarsīfī et drsquoIbn Ḫaldūn49 peuvent ecirctre mis en doute laquo pour rendre compte des reacutealiteacutes institutionnelles du temps dans la capitale hafside50 raquo et par extension dans les autres villes du Maghreb post-almohade tant les attributions de ce fonctionnaire se sont reacuteduites et se limitent agrave la surveillance des marcheacutes excluant notamment de son domaine drsquointervention ce qui a trait agrave la voirie et teacutemoignant du caractegravere subal-terne de cette charge51 En al-Andalus agrave lrsquoeacutepoque nasride la sphegravere drsquointervention du ṣāḥib al‑sūq semble eacutegalement limiteacutee aux fraudes concernant la qualiteacute des marchandises les poids et les mesures52 En outre pour al-Bunnāhī53 le fonctionnaire qursquoil nomme ṣāḥib al‑ḥisba nrsquoest pas un muḥtasib au sens ougrave il nrsquoexerce pas le rocircle de censeur de la morale publique54 En revanche malgreacute des attributions circonscrites aux marcheacutes la charge de ṣāḥib al‑sūq aurait continueacute agrave ecirctre lrsquoobjet drsquoun certain prestige elle est consideacutereacutee par al-Bunnāhī qui reprend sur ce point Ibn Sahl55 sur le mecircme plan que drsquoautres magistratures comme celle de qāḍārsquo šurṭa ou maẓālim le passage de lrsquoune agrave lrsquoautre eacutetant aiseacute De mecircme la lettre de feacutelicitations adresseacutee

47emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 8148emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 16049emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba Ibn Ḫaldūn Al‑Muqaddima

eacuted t I p 379 380 trad t I p 524-52550emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 28951emspIbid J-P Van Staeumlvel cite une fatwā drsquoal-Burzulī

allant dans ce sens52emspChalmeta El zoco medieval p 556-557 (drsquoapregraves

al-Azdī) et p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhīal-Bunnāhī)53emspLa nisba semble ecirctre al-Bunnāhī plutocirct qursquoal-Nubāhī

Bencherifa ldquoAl-Bunnāhī lā al -Nubāhīrdquo54emspIbid p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba

eacuted p 66-75 trad p 230-244)55emspIbid p 559

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 7

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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

Jennifer Vanz8

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

Jennifer Vanz12

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

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les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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Voguet Eacutelise ldquoLes communauteacutes juives du Maghreb central agrave la lumiegravere des fatwa-s mālikites de la fin du Moyen Acircgerdquo dans Maribel Fierro et John Vic-tor Tolan (eacuted) The Legal Status of Ḏimmī‑s in the Islamic West (secondeighth‑ninthfifteenth centu‑ries) Turnhout Brepols 2013 p 295-306

Yarbrough Luke ldquoA rather small genre Arabic Works Against Non-Muslim State Officialsrdquo Der Islam 93 1 (2016) p 139-169

  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 5: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 5

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Affaibli au niveau reacutegional le souverain ab-delwadide semble agrave lrsquoinstar de son illustre preacute-deacutecesseur Abū Ḥammū II (760-7911359-1389) avoir porteacute une attention toute particuliegravere agrave leacutegitimer son pouvoir par la plume Alors que depuis le regravegne drsquoAbū Ḥammū II aucune source produite dans lrsquoentourage drsquoun souverain ab-delwadide ne nous est parvenue deux ouvrages probablement reacutedigeacutes sous le regravegne drsquoal-Mu-tawakkil ont eacuteteacute conserveacutes Le premier inti-tuleacute Naẓm al‑durr est lrsquoouvrage qursquoal-Tanasī (m 8991494) deacutedie agrave ce souverain Comme la Buġiyat de Yaḥyā b Ḫaldūn (m 7801378-1379) il ne relegraveve pas drsquoun genre unique mais en associe plusieurs mecirclant chronique geacuteneacutealo-gie miroir au prince poeacutesie et adab De mecircme comme dans la chronique de Yaḥyā b Ḫaldūn ougrave le reacutecit de la (re)conquecircte de Tlemcen par Abū Ḥammū II depuis Tunis jusqursquoagrave la capitale abdelwadide constituait la matrice de la leacutegi-timiteacute de ce souverain al-Tanasī offre dans sa chronique un reacutecit similaire Bien que de faccedilon moins deacutetailleacutee il raconte la conquecircte du pouvoir par al-Mutawakkil et son pegravere qui partant de Tunis conquiegraverent successivement les provinces orientales du royaume abdelwadide avant de srsquoemparer de la capitale et de mettre fin au regravegne drsquoAbū l-ʿAbbās Aḥmad (r 834-8661430-1466)38 Cette similitude est sans doute loin drsquoecirctre ano-dine avec lrsquoavegravenement drsquoal-Mutawakkil crsquoest la descendance drsquoAbū Tāšfīn II b Abī Ḥammū (r 791-7971389-1393) qui triomphe deacutefinitive-ment sur la Maison drsquoAbū Ḥammū II Lrsquoœuvre drsquoal-Tanasī teacutemoigne ainsi de la volonteacute drsquoal-Mu-tawakkil drsquoassocier les lettreacutes de sa capitale agrave la mise par eacutecrit de cette nouvelle page de lrsquohistoire abdelwadide Reste que les relations drsquoal-Tanasī avec le pouvoir abdelwadide eacutetaient sans doute bien plus complexes qursquoil nrsquoy paraicirct Si son ou-vrage est bien destineacute agrave leacutegitimer le pouvoir du nouveau souverain ses biographes ne font eacutetat drsquoaucune fonction officielle En outre lors de la controverse du Touat sous le regravegne du successeur drsquoal-Mutawakkil Abū ʿAbd Allāh Muḥammad IV al-Ṯābitī (r 873-9101468-1504) il ne se rallie pas agrave la position des juristes laquo officiels raquo mais incarne la figure drsquoune opposition farouche au maintien des synagogues Le changement de sou-verain explique peut-ecirctre cette prise de distance agrave lrsquoeacutegard du pouvoir politique mais rien dans

ne font pas eacutetat de piegraveces frappeacutees par les Abdelwadides au nom des Hafsides

38emspAl-Tanasī Naẓm al‑durr eacuted p 253-254 trad p 130-135

lrsquoeacutetat actuel de la documentation ne permet de mieux eacutetayer cette hypothegravese

Le second ouvrage qui date selon toute proba-biliteacute du regravegne drsquoal-Mutawakkil est la Tuḥfa de Muḥammad al-ʿUqbānī Bien que lrsquoon ne connaisse pas la date exacte de sa reacutedaction les fonctions de grand qāḍī de Tlemcen et drsquoambassadeur occu-peacutees par Muḥammad al-ʿUqbānī durant le regravegne drsquoal-Mutawakkil ainsi que lrsquoouvrage deacutedieacute agrave ce prince par al-Tanasī rendent lrsquohypothegravese drsquoune composition de la Tuḥfa agrave cette peacuteriode vrai-semblable mecircme si rien nrsquoindique qursquoil srsquoagit drsquoune commande princiegravere En effet de mecircme qursquoal-Tanasī semble prendre ses distances avec le pouvoir Muḥammad al-ʿUqbānī est sous le regravegne mecircme drsquoal-Mutawakkil destitueacute de ses fonctions au profit de son oncle Ibrāhīm39 Apregraves lui les sources ne mentionnent plus de membres de la famille ʿUqbānī aux postes de qāḍī ou de muftī Aussi ne doit-on pas exclure soit degraves la fin du regravegne drsquoal-Mutawakkil soit sous celui de son successeur Muḥammad IV al-Ṯābitī une hostiliteacute du pouvoir agrave lrsquoeacutegard de certains juristes Outre les ʿUqbānī le cas drsquoal-Wanšarīsī est eacutegalement inteacute-ressant Apregraves avoir reccedilu sa formation agrave Tlemcen un conflit dont on ne connaicirct pas la cause lrsquoopposa au sultan abdelwadide Muḥammad IV al-Ṯābitī Sa maison fut saccageacutee il ducirct fuir Tlemcen et srsquoinstalla agrave Fegraves en 874146940 Il semble par ail-leurs qursquoal-Wanšarīsī procircnait le maintien drsquoune distance neacutecessaire entre le pouvoir et les ʿ ulamārsquo qui devaient rester indeacutependants41 Il srsquoagit sans doute lagrave drsquoun point de vue qui devait faire lrsquoobjet drsquoun certain consensus au sein des eacutelites Qursquoil srsquoagisse de saints42 de fuqahārsquo ou de ʿ ulamārsquo tous devaient consideacuterer que le pouvoir politique leur eacutetait assujetti Face au deacutesordre et agrave lrsquoinstabiliteacute introduits par le politique leur rocircle est drsquoincar-ner la norme de la reacuteaffirmer et de srsquoen porter garants Les tensions observeacutees entre le pouvoir abdelwadide sous les regravegnes drsquoal-Mutawakkil et de Muḥammad IV al-Ṯābitī et certaines personnaliteacutes

39emspIbn Maryam Al‑Bustān eacuted p 143 trad p 62 Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ p 65

40emspVidal Castro ldquoAḥmad al-Wanšarīsīrdquo p 328-329 Vidal Castro rappelle lrsquohypothegravese eacutemise par les eacutediteurs du Miʿyār selon lesquels une fatwā interdisant la construction sur un cimetiegravere sauf en des conditions tregraves preacutecises aurait eacuteteacute agrave lrsquoorigine du conflit avec le sultan

41emspIbid p 329 note 71 Vidal Castro cite le Miʿyār vol 2 p 408 ougrave al-Wanšarīsī fait un reacutesumeacute de lrsquoeacutevolution historique des relations entre ʿulamārsquo et gouvernants agrave diffeacuterentes eacutepoques

42emspAmri ldquoLe pouvoir du saintrdquo p 180 et s le montre bien dans le cas des saints

Jennifer Vanz6

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comme al-ʿUqbānī et al-Wanšarīsī srsquoexpliquent probablement par leur volonteacute drsquoencadrer peut-ecirctre plus eacutetroitement les eacutelites

Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexiteacute des relations que les eacutelites religieuses entretiennent avec le pouvoir De mecircme qursquoil existe une varieacuteteacute de deacuteclinaisons entre deux grands modegraveles de saints le premier refusant sys-teacutematiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince43 de mecircme certains ʿulamārsquo acceptent de servir le pouvoir alors que drsquoautres refusent Muḥammad al-ʿUqbānī fait ainsi le choix dans un premier temps de se mettre au service drsquoal-Mutawakkil avant drsquoecirctre reacutevoqueacute Si les raisons de sa destitu-tion ne sont pas mentionneacutees par les sources on peut neacuteanmoins srsquointerroger sur le lien eacuteventuel que celle-ci pourrait avoir avec la reacutedaction de son traiteacute de ḥisba sujet ocirc combien sensible Car lrsquoun des enjeux majeurs de ces tensions entre eacutelites mais eacutegalement entre eacutelites et pouvoir sultanien est de savoir in fine qui du pouvoir politique des jurisconsultes ou des saints a pour fonction drsquoassurer le maintien de lrsquoordre social et en particulier de garantir lrsquoapplication du preacutecepte de ḥisba qui recegravele un reacuteel potentiel subversif

2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba

21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee

La notion de ḥisba et par extension les ou-vrages qui en traitent revecirct plusieurs dimensions La ḥisba deacutesigne drsquoabord le devoir de tout musul-man drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo (al‑amr bi‑l‑maʿrūf wa‑l‑nahy ʿan al‑munkar) mentionneacute dans plusieurs versets du Coran44 Mais le terme renvoie eacutegalement agrave laquo la fonction du personnage chargeacute en ville de lrsquoapplication de cette regravegle agrave la police des mœurs et plus par-ticuliegraverement agrave celle du marcheacute45 raquo Cette tension entre devoir individuel et devoir collectif semble particuliegraverement exacerbeacutee au ixexve siegravecle

Drsquoun cocircteacute le potentiel subversif inheacuterent au devoir individuel est de nouveau freacutequemment mobiliseacute au ixexve siegravecle Les hagiographes se plaisent ainsi agrave rappeler la deacutetermination des saints agrave appliquer le preacutecepte coranique de la ḥisba dont la dimension contestataire nrsquoest pas nouvelle46

43emspIbid p 17344emspCoran III104 III110 XXII41 IX7145emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup2 vol III p 503-50546emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo

Le souverain abdelwadide al-Mutawakkil en avait drsquoailleurs pleinement conscience et nrsquoheacutesita pas agrave destituer le preacutedicateur de la mosqueacutee drsquoOran Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Qaṣṣār suite agrave laquo des paroles du šayḫ contenant une exhortation agrave faire le bien et agrave eacuteviter le mal47 raquo De mecircme le sultan wattaside Muḥammad b Šayḫ expulsa de Fegraves al-Maġīlī (m 1503-4 ou 1505-6) consideacutereacute comme un censeur par Ibn ʿAskar pour avoir meneacute une reacutebellion contre le pouvoir en place48 Preacutetendre ordonner le bien et interdire le mal eacutetait donc une faccedilon explicite de deacutenoncer lrsquoincapaciteacute du pouvoir sultanien agrave maintenir lrsquoordre social et donc de contester sa leacutegitimiteacute

Dans le mecircme temps la magistrature du ṣāḥib al‑sūq ne semble plus jouir de la mecircme importance qursquoaux siegravecles preacuteceacutedents Jean-Pierre Van Staeumlvel souligne ainsi que les teacutemoignages drsquoal-Ǧarsīfī et drsquoIbn Ḫaldūn49 peuvent ecirctre mis en doute laquo pour rendre compte des reacutealiteacutes institutionnelles du temps dans la capitale hafside50 raquo et par extension dans les autres villes du Maghreb post-almohade tant les attributions de ce fonctionnaire se sont reacuteduites et se limitent agrave la surveillance des marcheacutes excluant notamment de son domaine drsquointervention ce qui a trait agrave la voirie et teacutemoignant du caractegravere subal-terne de cette charge51 En al-Andalus agrave lrsquoeacutepoque nasride la sphegravere drsquointervention du ṣāḥib al‑sūq semble eacutegalement limiteacutee aux fraudes concernant la qualiteacute des marchandises les poids et les mesures52 En outre pour al-Bunnāhī53 le fonctionnaire qursquoil nomme ṣāḥib al‑ḥisba nrsquoest pas un muḥtasib au sens ougrave il nrsquoexerce pas le rocircle de censeur de la morale publique54 En revanche malgreacute des attributions circonscrites aux marcheacutes la charge de ṣāḥib al‑sūq aurait continueacute agrave ecirctre lrsquoobjet drsquoun certain prestige elle est consideacutereacutee par al-Bunnāhī qui reprend sur ce point Ibn Sahl55 sur le mecircme plan que drsquoautres magistratures comme celle de qāḍārsquo šurṭa ou maẓālim le passage de lrsquoune agrave lrsquoautre eacutetant aiseacute De mecircme la lettre de feacutelicitations adresseacutee

47emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 8148emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 16049emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba Ibn Ḫaldūn Al‑Muqaddima

eacuted t I p 379 380 trad t I p 524-52550emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 28951emspIbid J-P Van Staeumlvel cite une fatwā drsquoal-Burzulī

allant dans ce sens52emspChalmeta El zoco medieval p 556-557 (drsquoapregraves

al-Azdī) et p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhīal-Bunnāhī)53emspLa nisba semble ecirctre al-Bunnāhī plutocirct qursquoal-Nubāhī

Bencherifa ldquoAl-Bunnāhī lā al -Nubāhīrdquo54emspIbid p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba

eacuted p 66-75 trad p 230-244)55emspIbid p 559

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 7

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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

Jennifer Vanz8

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

Jennifer Vanz12

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 6: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

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comme al-ʿUqbānī et al-Wanšarīsī srsquoexpliquent probablement par leur volonteacute drsquoencadrer peut-ecirctre plus eacutetroitement les eacutelites

Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexiteacute des relations que les eacutelites religieuses entretiennent avec le pouvoir De mecircme qursquoil existe une varieacuteteacute de deacuteclinaisons entre deux grands modegraveles de saints le premier refusant sys-teacutematiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince43 de mecircme certains ʿulamārsquo acceptent de servir le pouvoir alors que drsquoautres refusent Muḥammad al-ʿUqbānī fait ainsi le choix dans un premier temps de se mettre au service drsquoal-Mutawakkil avant drsquoecirctre reacutevoqueacute Si les raisons de sa destitu-tion ne sont pas mentionneacutees par les sources on peut neacuteanmoins srsquointerroger sur le lien eacuteventuel que celle-ci pourrait avoir avec la reacutedaction de son traiteacute de ḥisba sujet ocirc combien sensible Car lrsquoun des enjeux majeurs de ces tensions entre eacutelites mais eacutegalement entre eacutelites et pouvoir sultanien est de savoir in fine qui du pouvoir politique des jurisconsultes ou des saints a pour fonction drsquoassurer le maintien de lrsquoordre social et en particulier de garantir lrsquoapplication du preacutecepte de ḥisba qui recegravele un reacuteel potentiel subversif

2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba

21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee

La notion de ḥisba et par extension les ou-vrages qui en traitent revecirct plusieurs dimensions La ḥisba deacutesigne drsquoabord le devoir de tout musul-man drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo (al‑amr bi‑l‑maʿrūf wa‑l‑nahy ʿan al‑munkar) mentionneacute dans plusieurs versets du Coran44 Mais le terme renvoie eacutegalement agrave laquo la fonction du personnage chargeacute en ville de lrsquoapplication de cette regravegle agrave la police des mœurs et plus par-ticuliegraverement agrave celle du marcheacute45 raquo Cette tension entre devoir individuel et devoir collectif semble particuliegraverement exacerbeacutee au ixexve siegravecle

Drsquoun cocircteacute le potentiel subversif inheacuterent au devoir individuel est de nouveau freacutequemment mobiliseacute au ixexve siegravecle Les hagiographes se plaisent ainsi agrave rappeler la deacutetermination des saints agrave appliquer le preacutecepte coranique de la ḥisba dont la dimension contestataire nrsquoest pas nouvelle46

43emspIbid p 17344emspCoran III104 III110 XXII41 IX7145emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup2 vol III p 503-50546emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo

Le souverain abdelwadide al-Mutawakkil en avait drsquoailleurs pleinement conscience et nrsquoheacutesita pas agrave destituer le preacutedicateur de la mosqueacutee drsquoOran Abū ʿAbd Allāh Muḥammad al-Qaṣṣār suite agrave laquo des paroles du šayḫ contenant une exhortation agrave faire le bien et agrave eacuteviter le mal47 raquo De mecircme le sultan wattaside Muḥammad b Šayḫ expulsa de Fegraves al-Maġīlī (m 1503-4 ou 1505-6) consideacutereacute comme un censeur par Ibn ʿAskar pour avoir meneacute une reacutebellion contre le pouvoir en place48 Preacutetendre ordonner le bien et interdire le mal eacutetait donc une faccedilon explicite de deacutenoncer lrsquoincapaciteacute du pouvoir sultanien agrave maintenir lrsquoordre social et donc de contester sa leacutegitimiteacute

Dans le mecircme temps la magistrature du ṣāḥib al‑sūq ne semble plus jouir de la mecircme importance qursquoaux siegravecles preacuteceacutedents Jean-Pierre Van Staeumlvel souligne ainsi que les teacutemoignages drsquoal-Ǧarsīfī et drsquoIbn Ḫaldūn49 peuvent ecirctre mis en doute laquo pour rendre compte des reacutealiteacutes institutionnelles du temps dans la capitale hafside50 raquo et par extension dans les autres villes du Maghreb post-almohade tant les attributions de ce fonctionnaire se sont reacuteduites et se limitent agrave la surveillance des marcheacutes excluant notamment de son domaine drsquointervention ce qui a trait agrave la voirie et teacutemoignant du caractegravere subal-terne de cette charge51 En al-Andalus agrave lrsquoeacutepoque nasride la sphegravere drsquointervention du ṣāḥib al‑sūq semble eacutegalement limiteacutee aux fraudes concernant la qualiteacute des marchandises les poids et les mesures52 En outre pour al-Bunnāhī53 le fonctionnaire qursquoil nomme ṣāḥib al‑ḥisba nrsquoest pas un muḥtasib au sens ougrave il nrsquoexerce pas le rocircle de censeur de la morale publique54 En revanche malgreacute des attributions circonscrites aux marcheacutes la charge de ṣāḥib al‑sūq aurait continueacute agrave ecirctre lrsquoobjet drsquoun certain prestige elle est consideacutereacutee par al-Bunnāhī qui reprend sur ce point Ibn Sahl55 sur le mecircme plan que drsquoautres magistratures comme celle de qāḍārsquo šurṭa ou maẓālim le passage de lrsquoune agrave lrsquoautre eacutetant aiseacute De mecircme la lettre de feacutelicitations adresseacutee

47emspʿAbd al-Bāsiṭ b Ḫalīl Deux reacutecits de voyage p 8148emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 16049emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba Ibn Ḫaldūn Al‑Muqaddima

eacuted t I p 379 380 trad t I p 524-52550emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 28951emspIbid J-P Van Staeumlvel cite une fatwā drsquoal-Burzulī

allant dans ce sens52emspChalmeta El zoco medieval p 556-557 (drsquoapregraves

al-Azdī) et p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhīal-Bunnāhī)53emspLa nisba semble ecirctre al-Bunnāhī plutocirct qursquoal-Nubāhī

Bencherifa ldquoAl-Bunnāhī lā al -Nubāhīrdquo54emspIbid p 559 (drsquoapregraves al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba

eacuted p 66-75 trad p 230-244)55emspIbid p 559

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 7

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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

Jennifer Vanz12

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

Bibliographie

Sources

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128emspUne premiegravere enquecircte a eacuteteacute meneacutee en ce sens sur le traitement de deux cateacutegories sociales les femmes et les ḏimmī-s dans la Tuḥfa Vanz Lrsquoinvention drsquoune capitale p 257-286

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
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par Ibn al-Ḫaṭīb agrave Abū ʿAbd Allāh al-Šudayyid alors qursquoil vient drsquoecirctre nommeacute ṣāḥib al‑ḥisba de Malaga plaide dans le sens drsquoune charge toujours convoiteacutee56 Le teacutemoignage plus tardif de Leacuteon lrsquoAfricain vient finalement nuancer ce tableau du moins pour le Maghreb ougrave comme lrsquoindiquaient les sources analyseacutees par Jean-Pierre Van Staeumlvel pour lrsquoIfrīqiya hafside la charge de ṣāḥib al‑sūq semble srsquoecirctre deacutevaloriseacutee puisque deacutesormais elle est laquo confeacutereacutee par le roi aux gentils-hommes qui la lui demandent raquo alors qursquolaquo autrefois on ne la confiait qursquoagrave des hommes compeacutetents et drsquoune bonne renommeacutee57 raquo Crsquoest dans ce double contexte de reacuteduction des preacuterogatives du ṣāḥib al‑sūq et de la probable deacutepreacuteciation de cette charge drsquoune part et drsquoune revendication croissante de lrsquoexer-cice de la ḥisba par des individus drsquoautre part qursquoal-ʿUqbānī choisit de consacrer une discussion theacuteorique agrave ce sujet

22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa

Apregraves un acircge drsquoor en al-Andalus entre les ivexe et viexiie siegravecles le dernier traiteacute de ḥisba connu avant celui drsquoal-ʿUqbānī est celui du maghreacutebin al-Ǧarsīfī58 dateacute de la fin du viiexiiie ndash deacutebut du viiiexive siegravecle La Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī est donc un ouvrage plutocirct laquo inattendu raquo le seul de ce genre connu dans lrsquoOccident islamique pour le ixexve siegravecle Traditionnellement deux types drsquoouvrages ont eacuteteacute distingueacutes ceux qui traitent de faccedilon theacuteorique de la ḥisba les deux ouvrages de reacutefeacuterence les plus anciens eacutetant les Aḥkām al‑sulṭāniyya drsquoal-Māwardī (m 4501058)59 et la Iḥyārsquo drsquoal-Ġazālī (m 5051111)60 et ceux qui se preacutesentent sous la forme drsquoun manuel destineacute au muḥtasib et qui ont laquo un caractegravere adminis-tratif et non juridique61 raquo Les traiteacutes de ḥisba de lrsquoOccident islamique eacutetudieacutes par Pedro Chalmeta62

56emspIbid p 560-56157emspLeacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique p 207 citeacute

par P Chalmeta El zoco medieval p 57458emspAl-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted p 119-128

trad p 365-375 59emspAl-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya p 513-553

sur la ḥisba chez al-Māwardī voir Laoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo Cook Commanding Right p 344-345 Abbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 184

60emspAl-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn p 280-326 Lrsquoeacutetude la plus reacutecente et qui offre une bibliographie complegravete est celle de Cook Commanding Right p 427-468

61emspCahen et Talbi ldquoḤisbardquo EIsup262emspChalmeta El zoco medieval Id ldquoLa hisba en

Ifriqiya et al-Andalusrdquo

relegravevent de cette derniegravere cateacutegorie malgreacute une reacuteelle heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute Le plus ancien celui de Yaḥyā b ʿUmar (seconde moitieacute du iiieixe siegravecle)63 est comme lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī une compilation de fatwā-s Toutefois il ne propose pas une discus-sion geacuteneacuterale sur le preacutecepte coranique de ḥisba et ne semble faire allusion au devoir individuel que dans un seul passage64 Comme le souligne Michael Cook parmi ces traiteacutes occidentaux seuls deux auteurs Ibn al-Munāṣif (m 6201223)65 et al-ʿUqbānī font exception en consacrant une dis-cussion preacutealable agrave la notion de ḥisba avant drsquoeacutevo-quer les cas concrets66 Lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī se distingue donc de ceux de ses preacutedeacutecesseurs en proposant un deacuteveloppement theacuteorique sur la ḥisba (comme Ibn al-Munāṣif dont lrsquoouvrage nrsquoest pas exclusivement consacreacute agrave la ḥisba agrave laquelle seule la cinquiegraveme partie est deacutedieacutee) et en adoptant la forme des consultations juridiques (comme Yaḥyā b ʿUmar) pour traiter des diffeacuterentes theacute-matiques ayant trait agrave la police des mœurs et du marcheacute relevant de la fonction de muḥtasib plus souvent deacutesigneacute sous le titre de ṣāḥib al‑sūq dans lrsquoOccident islamique67

Dans son introduction al-ʿUqbānī expose les raisons qui lrsquoont conduit agrave composer la Tuḥfa Il explique ainsi qursquoil a eacutecrit cet ouvrage suite agrave une demande sans preacuteciser cependant le nom de son commanditaire68 drsquoautant que commanditaire et destinataire ne semblent pas ecirctre les mecircmes personnes Si lrsquoouvrage reacutepond agrave une demande il srsquoadresse agrave toute personne preacuteoccupeacutee par le preacutecepte coranique drsquoordonner le bien et drsquointer-dire le mal teacutemoignant de sa vocation didactique et instructive Le fait que lrsquoouvrage ne soit pas adresseacute speacutecifiquement agrave des agents de lrsquoautoriteacute publique comme les qāḍī-s ou les muḥtasib-s met drsquoembleacutee lrsquoaccent sur la dimension individuelle du devoir et la volonteacute de mettre agrave disposition le mateacuteriel leacutegal disponible Al-ʿUqbānī preacutecise alors la meacutethode qursquoil a utiliseacutee pour mener agrave bien sa tacircche Les eacutecrits et les propos des ʿulamārsquo agrave ce sujet eacutetant disperseacutes (manṯūra) il srsquoagissait de les reacutecapituler (murāǧaʿ) puis drsquoen faire une synthegravese (talḫīṣ) prenant la forme drsquoun aide-meacutemoire (ʿalā

63emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq64emspCook Commanding Right p 36865emspRodriacuteguez Goacutemez ldquoIbn al-Munāṣif Abū lsquoAbd Allāhrdquo

Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo66emspCook Commanding Right p 368-36967emspChalmeta El zoco medieval p 578 le terme de

muḥtasib srsquoemploie de faccedilon preacutefeacuterentielle pour deacutesigner lrsquoaction individuelle spontaneacutee (mutaṭawwiʿ)

68emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 1 (l 3-4) (le numeacutero des pages citeacutees correspond agrave la numeacuterotation arabe)

Jennifer Vanz8

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

Jennifer Vanz12

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 8: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

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šakl al‑taḏkira) Al-ʿUqbānī souligne en outre la possibiliteacute pour qui le souhaite de se reacutefeacuterer directement agrave ces ouvrages afin de veacuterifier agrave la source les propos qursquoil cite69 Lrsquoauteur se place ainsi entiegraverement sous lrsquoautoriteacute des ʿ ulamārsquo dont les fatwā-s ou les ouvrages sont reconnus Cette mise en retrait drsquoal-ʿUqbānī lui permet de lever la suspicion qursquoil semble redouter tant lrsquoobjet de son ouvrage la ḥisba recegravele un reacuteel poten-tiel subversif Car si la dimension contestataire du preacutecepte et son invocation par des individus isoleacutes est attesteacutee et teacutemoigne de la fragiliteacute du pouvoir abdelwadide les raisons qui ont pousseacute al-ʿUqbānī agrave participer au deacutebat restent floues de mecircme que sa position est on le verra le reacutesultat drsquoun subtil eacutequilibre Aussi nrsquoest-il pas incongru drsquoenvisager lrsquohypothegravese selon laquelle la desti-tution drsquoal-ʿUqbānī de son poste de qāḍī pourrait avoir un lien avec des propos qursquoil aurait pu tenir concernant le fait drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal Il aurait ensuite voulu se deacutedouaner de toute velleacuteiteacute contestataire en reacutedigeant cet ouvrage dans lequel il se retranche derriegravere les autoriteacutes juridiques reconnues Crsquoest en se fondant sur leurs eacutecrits et leurs propos qursquoil envisage drsquoexpliquer agrave qui incombe le devoir agrave quel moment il doit (ou ne doit pas) srsquoexercer ce qui permet de distinguer un acte blacircmable drsquoun acte qui ne lrsquoest pas Pour ce faire il a diviseacute son ouvrage en huit chapitres accompagneacutes drsquoune conclusion dont les intituleacutes sont les suivants

Premier chapitre Du caractegravere leacutegal [du preacutecepte coranique]Deuxiegraveme chapitre Des cas ougrave [ce preacutecepte] est obligatoire recommandeacute ou illiciteTroisiegraveme chapitre Le censeur (al‑muġayyir) et commentaires agrave son sujetQuatriegraveme chapitre Des modaliteacutes de la censure et de sa mise en œuvreCinquiegraveme chapitre Gradation des actes blacircmablesSixiegraveme chapitre Du moyen de deacutepister les actes blacircmablesSeptiegraveme chapitre Cas preacutecis drsquoactes blacirc-mablesHuitiegraveme chapitre Ce qui distingue ceux que jrsquoai interrogeacute agrave ce sujet parmi les gens de la communauteacute (ahl al‑umma) et ceux qui leur ressemblent parmi les gens du pacte (al‑muʿāhidīn)

69emspIbid p 2

Conclusion De lrsquoorigine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la diffeacuterencie des autres charges leacutegales70

Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclu-sion traitent de faccedilon theacuteorique du preacutecepte cora-nique reacuteveacutelant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir Les trois autres chapitres (6 7 et 8) soit environ 85 de lrsquoouvrage envisagent la ḥisba et son exercice dans la pratique sous la forme drsquoune compilation de fatwā-s

Al-ʿUqbānī deacutebute son propos en reacuteaffirmant dans un bref premier chapitre drsquoune page le carac-tegravere leacutegal du devoir de tout musulman drsquolaquo ordonner le bien et drsquointerdire le mal raquo en citant plusieurs versets coraniques71 ainsi que des ḥadīṯ-s

Le second chapitre traite des diffeacuterents cas ougrave ce devoir srsquoexerce de faccedilon obligatoire re-commandeacutee ou illicite Il srsquoappuie notamment sur un ḥadīṯ selon lequel laquo celui qui parmi vous voit un acte blacircmable qursquoil lrsquointerdise avec la main srsquoil ne le peut pas par la parole srsquoil ne le peut pas avec son cœur72 raquo De fait il srsquoagit drsquoun devoir qui doit ecirctre accompli par tous ceux qui ont la connaissance dans la mesure de leurs moyens Crsquoest donc aux imām-s gouverneurs qāḍī‑s et ḥukkām que revient la charge obligatoire de le mettre en œuvre (iḏā kāna ḏālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli man ʿalima‑hu bi‑ḥasabi wasʿi‑hi fa‑huwa ʿala al‑arsquoimmati wa‑l‑wulāti wa‑l‑quḍāti wa‑sārsquoir al‑ḥukkām73) Al-ʿUqbānī fait donc la distinction entre un individu qui ignore le principe et celui qui le connaicirct Ce dernier doit alors remplir les trois conditions formuleacutees par Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) dans ses Muqaddimāt faire la distinction entre un acte blacircmable et un acte qui ne lrsquoest pas srsquoassurer que son action ne va pas causer un preacutejudice eacutegal ou supeacuterieur agrave celui qursquoelle preacutetend combattre avoir de bonnes raisons de penser que lrsquoon va ecirctre entendu74 Al-ʿUqbānī rapporte ensuite les propos drsquoal-Ġazālī tireacutes de son ouvrage al‑Arbaʿīn selon lequel tous ceux qui sont teacutemoins drsquoun acte

70emspIbid p 2 (l 16-26)71emspCoran III104 III110 XXII41 V78 et IX7172emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 4 (l 7-8) 73emspIbid p 4 (l 9-10) Il cite ensuite le Coran XXII41

pour renforcer son propos laquo Toute autorisation de se deacutefendre est donneacutee agrave ceux qui si nous leur accordons le pouvoir sur la terre srsquoacquittent de la priegravere font lrsquoaumocircne ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blacircmable ndash La fin de toute chose appartient agrave Dieu ndashrdquo (Le Coran p 413-414)

74emspIbid p 4-5 Cook Commanding Right p 362-364 et 369

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

Jennifer Vanz12

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

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les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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Yarbrough Luke ldquoA rather small genre Arabic Works Against Non-Muslim State Officialsrdquo Der Islam 93 1 (2016) p 139-169

  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 9: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 9

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blacircmable qui ne le condamnent pas et se taisent sont complices75 Lrsquoimportance du devoir indivi-duel est ainsi souligneacutee mais al-ʿUqbānī preacutefegravere la position drsquoIbn Rušd agrave celle drsquoal-Ġazālī pour lequel face au danger il est meacuteritoire de continuer Invoquant le verset V105 ( laquo celui qui est eacutegareacute ne vous nuira pas si vous ecirctes biens dirigeacutes76 raquo ) al-ʿUqbānī considegravere agrave lrsquoinstar drsquoIbn Rušd qursquoil est preacutefeacuterable de ne pas srsquoexposer au danger77

Apregraves avoir preacuteciseacute lrsquoopportuniteacute ou non drsquoune intervention face agrave un acte blacircmable al-ʿUqbānī traite dans son troisiegraveme chapitre des conditions personnelles neacutecessaires pour pouvoir exercer la censure reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif Ces preacuterequis sont au nombre de quatre ecirctre musul-man ecirctre leacutegalement compeacutetent (mukallaf) avoir la connaissance (ʿālim) et la possibiliteacute drsquoexercer la censure (qādir)78 Drsquoautres conditions comme lrsquohonorabiliteacute (al‑ʿadāla) ou le fait drsquoavoir reccedilu lrsquoautorisation du pouvoir pour mettre en œuvre le preacutecepte font lrsquoobjet de deacutesaccords entre les juristes qui sont exposeacutes79

Le quatriegraveme chapitre concerne la faccedilon drsquoabor-der la question de la ḥisba Al-ʿUqbānī procircne une certaine peacutedagogie via une approche bienveillante et douce (bi‑l‑taraffuq wa‑l‑talaṭṭuf) invoquant agrave lrsquoappui les versets coraniques80

Dans le cinquiegraveme chapitre diffeacuterentes cateacute-gories de condamnation des actes blacircmables sont eacutenumeacutereacutees dans un ordre croissant de graviteacute Au premier degreacute un simple rappel agrave lrsquoordre (muǧar‑rad al‑tanbīh wa‑l‑taḏkīr) suffit Puis au fur et agrave mesure que la graviteacute de lrsquoacte lrsquoexige on passe agrave lrsquoexhortation (waʿẓ) puis agrave la reacuteprimande au blacircme au rudoiement (al‑zaǧr wa‑l‑tarsquonīb wa‑l‑iġlāẓ) avant drsquoenvisager une action physique (al‑taġiyyr bi‑mulāqat al‑ayād) le dernier degreacute eacutetant celui du chacirctiment (ʿuqūba)81 Agrave la fin de ce cinquiegraveme chapitre al-ʿUqbānī traite de la question des peines peacutecuniaires (al‑ʿuqūba bi‑l‑māl) qui

75emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5 Cook Commanding Right p 369

76emspLe Coran p 14577emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 5-678emsp Ibid p 7 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 314-31679emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 8-10 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 316-31880emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 10-11 Ibn al-Munāṣif Tanbīh

p 318-320 Ils citent les versets XX44 (ldquoAdressez lui des paroles courtoises peut-ecirctre reacutefleacutechira-t-il ou eacuteprouvera-t-il de la crainte rdquo Le Coran p 384) et III159 (ldquoSi tu avais eacuteteacute rude et dur de cœur ils se seraient seacutepareacutes de toirdquo Le Coran p 84)

81emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 11-13 Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 320-323 Al-Ġazālī distingue quant agrave lui huit degreacutes Cook Commanding Right p 438-441

nrsquoest pas eacutevoqueacutee par Ibn al-Munāṣif Il srsquoappuie de nouveau sur Ibn Rušd qui rappelle que si les peines peacutecuniaires eacutetaient admises au deacutebut de lrsquoislam (fī awwal al‑islām) il y a deacutesormais un consensus sur leur interdiction (al‑iǧtimāʿ ʿalā manʿ al‑ʿuqūba bi‑l‑māl)82

Apregraves ces cinq premiers chapitres relativement brefs al-ʿUqbānī en vient agrave la dimension pratique et concregravete de lrsquoapplication du preacutecepte agrave travers les fatwā-s avant de revenir dans sa conclu-sion agrave des questions plus theacuteoriques Il reprend alors plusieurs passages des Aḥkām al‑sulṭaniyya drsquoal-Māwardī les neuf diffeacuterences entre le de-voir officiel et le devoir individuel83 les diffeacute-rences entre le qaḍārsquo les maẓālim et la ḥisba84 les qualiteacutes requises pour exercer la ḥisba85 De faccedilon plus surprenante en revanche al-ʿUqbānī emprunte deux exemples que lrsquoon retrouve agrave la fin de la seconde partie drsquoal-Māwardī lorsqursquoil traite des actes reacuteprouveacutes par le muḥtasib touchant agrave la fois aux droits divins et aux droits priveacutes Le premier concerne le fait drsquointerdire aux imām-s de prolonger la priegravere86 et le second traite du refus du qāḍī de recevoir les plaideurs87

Comment comprendre les choix qui ont eacuteteacute faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des mateacuteriaux seacutelectionneacutes que de leur agencement Al-ʿUqbānī deacutebute son propos par lrsquoeacutenonceacute du devoir individuel tel qursquoil se preacutesente dans le Coran et dans les ḥadīṯ-s (chapitre 1) avant de se reacutefeacuterer agrave deux auteurs qui ont joueacute un rocircle de premier plan dans lrsquoeacutelaboration de la doctrine sur la ḥisba Le premier Ibn Rušd al-Ǧadd (m 5201126) est le grand juriste de lrsquoeacutepoque almoravide nommeacute qāḍī al‑ǧamāʿ de Cordoue en 5111117 et auteur du Kitāb al‑bayān wa‑l‑taḥsīl wa‑l‑šarḥ wa‑l‑tawǧīh wa‑l‑taʿlīl li‑masārsquoil al‑ʿUtbiyya (ldquoLivre de lrsquoex-position claire de lrsquoeacutetude scientifique du com-mentaire de lrsquoorientation et de lrsquoexplication des questions juridiques de la ʿ Utbiyyardquo)88 commen-

82emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 14-1983emspIbid p 178 Al-Māwardī al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya

trad p 513-51484emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 178-180 Al-Māwardī

al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya trad p 515-51985emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 514-51586emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 54887emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī Al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-54988emspAl-ʿUqbānī cite agrave la fois le Bayān et les Muqaddamāt

drsquoIbn Rušd Cook Commanding Right p 363 (note 36) signale que le traitement des questions relatives agrave la ḥisba est identique dans les deux ouvrages en dehors de deux passages

Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

Jennifer Vanz12

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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Vidal Castro Francisco ldquoEl Miʿyār de al-Wanšarīsī (m 9141508) II Contenidordquo Miscelaacutenea de Es‑tudios Aacuterabe y Hebraicos XLIV 1995 p 213-246

Vidal Castro Francisco ldquoLas obras de Aḥmad al-Wanšarīsī (m 9141508) Inventario analiacuteticordquo Anaquel de Es‑tudios Aacuterabes III (1992) p 73-112

Vidal Castro Francisco ldquoAḥmad al-Wanšarīsī (m 9141508) Principales aspectos de su vidardquo Al‑Qanṭara 12 2 (1991) p 315-352

Viguera Moliacutens Mariacutea Jesus ldquoLa censura de cos-tumbres en el Tanbīh al‑ḥukkām de Ibn al-Munāṣif (1168-1223)rdquo dans Actas de las II Jornadas de Cultura Aacuterabe e Islaacutemica Madrid Instituto Hispa-no-Aacuterabe de Cultura 1985 p 591-611

Voguet Eacutelise Le monde rural du Maghreb central (xive‑xve siegravecles) Reacutealiteacutes sociales et constructions juridiques drsquoapregraves les Nawāzil Māzūna Paris Pu-blications de la Sorbonne 2014

Voguet Eacutelise ldquoLes communauteacutes juives du Maghreb central agrave la lumiegravere des fatwa-s mālikites de la fin du Moyen Acircgerdquo dans Maribel Fierro et John Vic-tor Tolan (eacuted) The Legal Status of Ḏimmī‑s in the Islamic West (secondeighth‑ninthfifteenth centu‑ries) Turnhout Brepols 2013 p 295-306

Yarbrough Luke ldquoA rather small genre Arabic Works Against Non-Muslim State Officialsrdquo Der Islam 93 1 (2016) p 139-169

  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
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Jennifer Vanz10

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taire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī (m 255869)89 Cet ouvrage constitue une eacutetape fondamentale dans la construction de la theacuteorie leacutegale mālikite Lrsquoobjectif drsquoIbn Rušd eacutetait drsquoactualiser la ʿ Utbiyya pour la rendre compatible avec la meacutethodologie des uṣūl al‑fīqh Degraves lors la ʿUtbiyya nrsquoest plus transmise directement mais uniquement par le biais de ce commentaire drsquoIbn Rušd90 dans lequel al-ʿUqbānī puise abondamment non seulement pour son exposeacute theacuteorique sur la ḥisba mais eacutega-lement dans la seconde partie de son ouvrage ougrave de nombreuses masārsquoil drsquoIbn Rušd sont citeacutees Face agrave drsquoautres grandes figures comme al-Ġazālī et al-Māwardī tous deux repreacutesentants de lrsquoeacutecole šāfiʿīte Ibn Rušd incarne dans cette premiegravere partie de lrsquoouvrage drsquoal-ʿUqbānī la caution et lrsquoautoriteacute mālikite Ibn Rušd met ainsi lrsquoaccent sur la dimension individuelle (farḍ ʿ alā al‑aʿyān) du preacutecepte coranique tout en rappelant la triple condition pour que ce devoir puisse ecirctre exerceacute ainsi que le devoir des autoriteacutes de le prendre en charge via la nomination drsquoun agent chargeacute de le mettre en œuvre91

Aux cocircteacutes drsquoIbn Rušd al-ʿUqbānī mobilise eacutegalement al-Ġazālī dont lrsquoimportance dans lrsquoessor du soufisme maghreacutebin et en particulier de sa vision du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal est attesteacutee92 Il insiste notamment sur la neacutecessiteacute de reacuteprouver le souverain sur le devoir de tout bon musulman de censurer lrsquoaction du sultan quand celui-ci le meacuterite mecircme srsquoil faut le payer de sa vie93 Pourtant tant al-ʿUqbānī qursquoIbn al-Munāṣif ne retiennent pas ces propos hautement subversifs drsquoal-Ġazālī94 Se pose alors la question deacutejagrave souligneacutee par Michael Cook de lrsquoeacuterosion de lrsquoheacuteritage ghazalien chez ces deux auteurs et de leurs modaliteacutes drsquoaccegraves au texte de lrsquoIḥyārsquo soit de faccedilon indirecte soit par le biais drsquoautres auteurs qui lrsquoavaient abreacutegeacute95 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement srsquointerroger au moins pour le cas drsquoIbn al-Munāṣif96 sur les liens que pourrait

89emspSerrano Ruano ldquoIbn Rušd al-ǧadd Abū-l-Walīdrdquo90emspFernaacutendez Felix Cuestiones legales p 258-292 et

368-38691emspCook Commanding Right p 362-36492emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 154-155

Amri ldquoLe pouvoir du saint en Ifrīqiyardquo p 173 Touati ldquoHist oir e et ant hr opol ogie r el igieuserdquo p 278-283

93emspGarciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 15494emspCook Commanding Right p 371 (note 100)95emspIbid p 371-37396emspIbn al-Munāṣif ne cite jamais al-Ġazālī ce qui nrsquoest

pas le cas drsquoal-ʿUqbānī qui le cite mais uniquement lorsqursquoil nrsquoest pas redevable agrave Ibn al-Munāṣif Il est cependant malaiseacute de deacuteterminer dans quelle mesure al-ʿUqbānī a

avoir cette eacuterosion avec les enjeux propres agrave son temps celui des Almohades

Si la preacutedication par Ibn Tūmart du devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal a eacuteteacute deacuteterminante dans lrsquoeacutemergence du mouvement almohade97 une fois au pouvoir les Almohades se sont efforceacutes de srsquoarroger le monopole du amr bi‑l‑maʿrūf wa l‑nahy ʿ an al‑munkar Le preacutecepte apparaicirct ainsi dans les lettres et actes de nomination almohades98 mais eacutegalement dans lrsquoinscription eacutepigraphique de Bāb al-Ruwāḥ agrave Rabat99 Ain-si dans le commentaire coranique drsquoal-Qurṭubī eacutetudieacute par Mayte Penelas lrsquoobligation qui eacutetait individuelle chez Ibn Rušd devient une obligation collective Reprenant le ḥadīṯ distinguant lrsquoaction par la main la parole ou le cœur al-Qurṭubī es-time que seul le pouvoir peut agir avec la main les ʿulamā avec la parole et les autres avec le cœur100 Crsquoest donc au calife almohade et agrave lrsquoen-semble de ses repreacutesentants que revient lrsquoexercice de la ḥisba101 Drsquoautres textes comme le Kitāb al‑ansāb fī maʿrifat al‑aṣhāb qui consacre une section au muḥtasib font de la ḥisba une branche du qaḍārsquo102 Il semble bien que ce soit eacutegalement le cas de lrsquoouvrage drsquoIbn al-Munāṣif Cependant si le devoir drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal apparaicirct drsquoabord et avant tout comme un devoir officiel relevant de lrsquoEacutetat et de ses repreacutesentants103

connaissance de lrsquoheacuteritage ghazalien que contiennent les propos drsquoIbn al-Munāṣif

97emspSur lrsquointeacuterecirct accordeacute par Ibn Tūmart agrave ce preacutecepte voir Penelas ldquoEl preceptordquo p 1051-1052 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 156-157 Chalmeta El zoco medieval p 592-596

98emspChalmeta El zoco medieval p 597 Buresi El Aal-laoui Gouverner lrsquo empire p 180-182 Garciacutea-Arenal ldquoLa praacutectica del preceptordquo p 157

99emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1052-1053 et 1070 Sur lrsquointerpreacutetation de cette inscription (Coran III110 et III111) M Penelas rappelle lrsquoanalyse de M A Martiacutenez Nuacutentildeez selon laquelle cette inscription deacutemontre la volonteacute des Almohades de controcircler directement la ḥisba drsquoecirctre les premiers censeurs et de srsquoen servir comme argument de propagande Agrave partir du commentaire drsquoal-Qurṭubī sur ce verset elle propose une autre interpreacutetation (qui nrsquoest pas exclusive de la preacuteceacutedente) selon laquelle cette injonction aurait pour but drsquoinciter les soldats almohades agrave lutter contre les infidegraveles pour ne pas que la communauteacute disparaisse

100emspIbid p 1065-1069 ce ḥadīṯ est citeacute par al-ʿUqbānī Tuḥfa p 4

101emspPenelas ldquoEl preceptordquo p 1069 Buresi et El Aallaoui Gouverner lrsquoempire p 180-181

102emspChalmeta El zoco medieval p 598103emspldquoIḏā kāna dālika wāǧiban mutarsquoakkidan ʿalā kulli

man ʿalima‑hu bi‑ḥasab wasʿi‑hi fa‑huwa ʿalā wulāt wa‑l‑quḍāt wa‑sārsquoir al‑ḥukkāmrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 et 325 329-333 336-338 Cook Commanding Right p 372 (et note 103) souligne que les reacutefeacuterences au devoir individuel

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

Jennifer Vanz14

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 15

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 11: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 11

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lrsquoexistence drsquoun devoir individuel nrsquoest pas igno-reacutee104 Crsquoest lagrave sans doute toute lrsquoambiguumliteacute de la penseacutee drsquoIbn al-Munāṣif chez qui srsquoopegravere un subtil glissement du devoir individuel vers le devoir officiel qui prime neacuteanmoins Le propos drsquoIbn al-Munāṣif cadre donc bien avec le projet almohade dans lequel le devoir individuel ne peut ecirctre nieacute en raison du rocircle fondamental qursquoil a joueacute aux deacutebuts du mouvement mais qui doit ecirctre canaliseacute et neutraliseacute par lrsquoaffirmation de la primauteacute du devoir officiel Al-ʿUqbānī srsquoinscrit dans la mecircme perspective mecircme si chez lui lrsquoheacute-ritage drsquoIbn Rušd quant au caractegravere individuel du devoir est plus clairement affirmeacute En revanche alors que pour Ibn al-Munāṣif la ḥisba relegraveve de la judicature et que plus geacuteneacuteralement lrsquoexercice du devoir revient agrave lrsquoensemble des repreacutesentants du pouvoir al-ʿUqbānī choisit de distinguer la charge de muḥtasib drsquoautres fonctions celle de la judicature (qaḍārsquo) et du redressement des torts (maẓālim) Sur ce point comme sur ce qui diffeacute-rencie le devoir individuel et le devoir officiel il choisit de reprendre les Aḥkām al‑sulṭāniyya du ceacutelegravebre auteur šāfiʿīte al-Māwardī

La section deacutedieacutee par al-Māwardī agrave la ḥisba doit ecirctre replaceacutee dans le contexte et les enjeux de production de lrsquoensemble de son ouvrage Si Henri Laoust y a vu un texte de deacutefense de lrsquoins-titution du califat abbasside contre le pouvoir des eacutemirs bouyides105 faisant du califat une institution religieuse plutocirct que politique Makram Abbegraves a proposeacute une nouvelle lecture privileacutegiant le politique106 Concernant la ḥisba al-Māwardī rappelle qursquoelle laquo doit ecirctre une fonction controcircleacutee par lrsquoautoriteacute souveraine et non par un devoir religieux individuel dont lrsquoaccomplissement pour-rait geacuteneacuterer plus de mal et empecirccher tout bien agrave la fois pour la population et pour lrsquoEacutetat107 raquo En deacutepit de situations fort diffeacuterentes les objectifs drsquoal-ʿUqbānī sont finalement assez proches de ceux drsquoal-Māwardī Dans un contexte politique ma-ghreacutebin relativement instable ougrave la leacutegitimiteacute des souverains reste fragile et contesteacutee al-ʿUqbānī se propose non pas de theacuteoriser une nouvelle

sont moins freacutequentes et que ce sont les autoriteacutes qui sont consideacutereacutees comme les principaux agents en charge du devoir

104emspldquoAl‑qiyām bi‑taġyīr al‑munkar wāǧib mutaʿayyin wa‑farḍ mutarsquoakkid fī baʿḍ al‑aḥwālrdquo Ibn al -Munāṣif Tanbīh p 310 mais aussi 315 316 332 agrave cet eacutegard Cook Commanding Right p 371 souligne sa dette agrave lrsquoeacutegard drsquoIbn Rušd mecircme srsquoil ne le cite pas

105emspLaoust ldquoLa penseacutee et lrsquoaction politiques drsquoal-Māwardīrdquo106emspAbbegraves ldquoEssai sur les arts de gouvernerrdquo p 195107emspIbid p 184

situation juridique comme al-Māwardī108 mais de rappeler les regravegles juridiques agrave mecircme de preacuteserver le systegraveme politique et institutionnel Soulignant la neacutecessaire primauteacute drsquoun exercice officiel de la ḥisba al-ʿUqbānī dans le sillage drsquoal-Māwardī attribue cette charge agrave un repreacutesentant speacutecifique le muḥtasib dont les attributions diffegraverent du qāḍī et du redresseur de torts Il reprend eacutegalement la hieacuterarchie proposeacutee par al-Māwardī faisant de la ḥisba une fonction subalterne agrave celle du qāḍī Neacuteanmoins cette supeacuterioriteacute du qāḍī ne preacuteserve pas de la reacuteprobation du muḥtasib en cas de neacutegligence de sa part Crsquoest sans doute sur ce point qursquoal-ʿUqbānī a voulu mettre lrsquoaccent en choisissant de reprendre un cas preacutecis proposeacute par al-Māwardī concernant le refus du qāḍī de recevoir les plaideurs109 Le second exemple retenu par al-ʿUqbānī plus deacutelicat agrave interpreacuteter concerne lrsquointerdiction faite aux imām-s de prolonger la priegravere110 Le pouvoir du muḥtasib agrave lrsquoeacutegard des imām-s est dans ce cas limiteacute puisqursquoil ne peut les chacirctier mais il peut toutefois les remplacer Peut-ecirctre faut-il eacutetablir un lien entre le choix de ce cas et les eacutevolutions du milieu savant agrave Tlemcen ougrave certains imām-s indeacutependants du pouvoir peuvent repreacutesenter agrave travers leurs precircches une menace pour le pouvoir

Agrave travers les choix qursquoil a opeacutereacutes al-ʿUqbānī propose une conception de la ḥisba relativement originale impliquant un subtil eacutequilibre entre la dimension individuelle et officielle de ce devoir Si tout croyant peut ordonner le bien et interdire le mal certaines conditions eacutenonceacutees par Ibn Rušd doivent ecirctre remplies Lrsquoapport drsquoal-Ġazālī est certes inteacutegreacute mais partiellement Al-ʿUqbānī comme Ibn al-Munāṣif avant lui deacutesamorce ainsi la dimension subversive que pouvait contenir sa reacuteflexion tout en se reacuteappropriant une partie de son discours coupant lrsquoherbe sous le pied drsquoeacuteven-tuels reacuteformateurs zeacuteleacutes Degraves lors crsquoest agrave lrsquoEacutetat agrave travers la deacutesignation drsquoun agent qursquoincombe prioritairement ce devoir Le pouvoir du sultan est pourtant remarquablement absent du propos drsquoal-ʿUqbānī Ce sont ses agents qādī redresseur de torts (maẓālim) et muḥtasib qui sont en charge de la preacuteservation et du maintien de lrsquoordre social et les juristes et jurisconsultes en charge de sa deacutefinition

108emspIbid p 195109emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 177 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548-549110emspAl-ʿUqbānī Tuḥfa p 176 Al-Māwardī al‑Aḥkām

al‑sulṭāniyya trad p 548

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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
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3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique

Cette discussion theacuteorique proposeacutee par al-ʿUqbānī est ensuite compleacuteteacutee par des cas drsquoespegravece qui constituent la majeure partie de son ouvrage Ces fatwā-s avis juridiques reacutesultant drsquoune demande concernant un point de doctrine ou le regraveglement drsquoun conflit ne doivent pas ecirctre consideacutereacutees comme atemporelles Car le droit qursquoelles eacutenoncent nrsquoest pas figeacute au contraire il srsquoadapte srsquoinfleacutechit en fonction des besoins du temps preacutesent Crsquoest donc agrave la fois lrsquoagencement de ces fatwā-s mais aussi leur seacutelection qursquoil convient drsquoanalyser afin de mettre au jour les dynamiques sociales en cours

Lrsquoagencement qursquoal-ʿUqbānī propose des dif-feacuterents cas drsquoespegravece seacutelectionneacutes ne correspond pas exactement agrave lrsquoorganisation traditionnelle des recueils de jurisprudence diviseacutes en deux grands ensembles un premier consacreacute aux relations de lrsquohomme avec Dieu (al‑muʿābadāt) et un second deacutedieacute aux relations des hommes entre eux crsquoest-agrave-dire aux affaires de la vie quo-tidienne (al‑muʿamalāt) Par ailleurs lrsquoordre de preacutesentation de ses fatwā-s diffegravere de ce que lrsquoon peut trouver dans le manuel de ḥisba de Yaḥyā b ʿUmar seul auteur agrave utiliser des fatwā-s et qui traite pecircle-mecircle des poids et des mesures des prix des diffeacuterents meacutetiers de lrsquoalimentation des fraudes des instruments de musique des bains des femmes des ḏimmī‑s de lrsquoentretien des rueshellip111 En revanche le second ouvrage de ḥisba dans lequel al-ʿUqbānī puise pour eacutetayer ses cas drsquoespegravece est celui drsquoIbn al-Munāṣif deacutejagrave abondamment mobiliseacute dans la discussion theacuteo-rique preacutealable112 Dans lrsquoensemble il reprend le mecircme scheacutema drsquoorganisation qursquoIbn al-Munāṣif Bien qursquoal-ʿUqbānī lui-mecircme ne propose pas un deacutecoupage de sa septiegraveme partie qursquoil intitule ldquoCas preacutecis drsquoactes blacircmablesrdquo on peut y distinguer trois theacutematiques principales une premiegravere est

111emspYaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq112emspLrsquoeacutediteur drsquoIbn al-Munāṣif divise son propos en

sept grandes theacutematiques 1 la censure des actes en relation avec la pratique religieuse 2 les questions portant sur le serment de divorce 3 la censure concernant les rues et les places 4 la fixation des prix 5 les marcheacutes et les contrats 6 les poids et les mesures 7 les conseacutequences neacutefastes provoqueacutees par les ignorants qui srsquointeacuteressent agrave la science islamique et eacutemettent des fatwā-s Ibn al-Munāṣif Tanbīh p 330-354 Viguera Moliacutens ldquoLa censura de costumbresrdquo p 597 proposait non pas sept mais cinq grandes theacutematiques la censure des actes concernant la pratique religieuse la vie sociale le commerce et les opeacuterations bancaires la fixation des prix et la condamnation des pratiques des gens ignorants

consacreacutee comme chez Ibn al-Munāṣif aux pratiques religieuses (sect10-37) un second groupe de fatwā-s traite de questions relatives agrave lrsquoes-pace public (sect38-61) abordant successivement le maintien de lrsquoordre et de la propreteacute dans les rues (sect38-48) la preacutesence des femmes (sect49-61) et de quelques fatwā-s (sect62-70) concernant les ignorants et ceux qui se disent savants un troi-siegraveme groupe de fatwā-s rassemble enfin tout ce qui concerne la vie eacuteconomique (sect71-126) crsquoest-agrave-dire les eacutechanges (sect71-83) les poids les mesures et les monnaies (sect84-88) les fraudes (sect89-114) la fixation des prix (sect115-118) et lrsquousure (sect121-126) Cet agencement des fatwā-s nrsquoest finalement pas si diffeacuterent de ce que lrsquoon trouve chez Ibn al-Munāṣif et dans les recueils de jurisprudence En revanche al-ʿUqbānī innove lorsqursquoil choisit de consacrer son huitiegraveme et dernier chapitre agrave un groupe social speacutecifique celui des ḏimmī-s (sect127-149) La Tuḥfa se dis-tingue agrave ce titre tant des traiteacutes de ḥisba connus que des recueils de fatwā-s ougrave les ḏimmī-s ne se voient jamais consacrer une partie speacutecifique les questions les concernant eacutetant disseacutemineacutees tout au long de ces ouvrages preuve que les ḏimmī-s sont pleinement inteacutegreacutes au systegraveme juridique islamique113 Ce choix drsquoal-ʿUqbānī srsquoinscrit dans les eacutevolutions propres agrave son eacutepoque caracteacuteriseacutee par lrsquoarriveacutee de Juifs de la peacuteninsule Ibeacuterique suite aux perseacutecutions de 1391 La seconde moitieacute du ixexve siegravecle voit se multiplier les tensions intra et interconfesionnelles la destruction des synagogues du Touat dans les anneacutees 1480 eacutetant lrsquoeacutepisode le plus ceacutelegravebre Agrave ce contexte reacutegional srsquoajoute sans doute aussi lrsquoeacutecho qursquoa pu avoir lrsquoessor de la litteacuterature poleacutemique anti-ḏimmī notamment en domaine mamelouk114

Crsquoest ensuite la seacutelection de fatwā-s opeacutereacutee par al-ʿUqbānī qui doit ecirctre scruteacutee Parce qursquoil compile des fatwā-s dont le corpus ne fait que srsquoeacutelargir il est confronteacute agrave la multipliciteacute des opinions qui ont eacuteteacute eacutemises et qui contribuent agrave former un laquo reacutegime de pluralisme normatif reacutegime ougrave coexistent des normes contradictoires ou ambiguumles115 raquo Jean-Pierre Van Staeumlvel a ainsi mis en exergue lrsquoenjeu que constituait pour les juristes lrsquoagencement des diffeacuterentes opinions la laquo gestion des divergences116 raquo afin de don-ner une coheacuterence au discours juridique On retrouve alors chez al-ʿUqbānī comme ailleurs

113emspMuumlller ldquoNon-Muslims as a part of Islamic Lawrdquo114emspYarbrough ldquoA rather small genrerdquo115emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 190116emspIbid p 293

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 13: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 13

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une agreacutegation de cas drsquoespegravece qui srsquoajoutent progressivement au fonds doctrinal mālikite ini-tial chaque auteur offrant finalement une vision qui lui est propre117 Les autoriteacutes convoqueacutees par al-ʿUqbānī teacutemoignent de la mobilisation de plusieurs heacuteritages Un premier groupe corres-pond agrave la tradition juridique mālikite de la haute eacutepoque les avis de Mālik et de ses disciples sont citeacutes sur la base des textes de reacutefeacuterence que sont le Muwaṭṭarsquo de Mālik b Anas (m 179795) la Mudawwana de Saḥnūn (m 240854) la Wāḍiḥa drsquoIbn Ḥabīb (m 238852) ou la Risāla drsquoIbn Abī Zayd al-Qayrawānī (m 386996) Mais crsquoest surtout lrsquoœuvre drsquoIbn Rušd en particulier le Bayān son commentaire de la Mustaḫraǧa drsquoal-ʿUtbī qursquoal-ʿUqbānī mobilise abondamment pour transmettre les propos de Mālik et de ses dis-ciples et de faccedilon nettement secondaire lrsquoœuvre de celui qui fut consideacutereacute comme son continua-teur Ibn al-Ḥāǧǧ (m 5291134-5)118 Agrave ces vec-teurs de transmissions originaires drsquoal-Andalus doivent ecirctre ajouteacutees des sources ifrīqiyennes agrave savoir le plus ancien traiteacute de ḥisba celui de Yaḥyā b ʿUmar (m 289901) et les fatwā-s drsquoal-Māzarī (m 5361141) un des plus presti-gieux transmetteurs de la tradition kairouanaise du viexiie siegravecle119

Le deuxiegraveme heacuteritage mobiliseacute par al-ʿUqbānī est celui drsquoIbn Munāṣif qui comme lui se consacre apregraves une premiegravere partie theacuteorique agrave lrsquoexposeacute drsquoexemples de la pratique Cette seconde partie ne se preacutesente pas sous la forme de fatwā-s mais srsquoinscrit dans la continuiteacute des traiteacutes de ḥisba andalous qui lrsquoont preacuteceacutedeacute120 et dont la vocation eacutetait de faire office de manuel destineacute aux preacute-poseacutes agrave cette charge Agrave cet eacutegard lrsquousage qursquoen fait al-ʿUqbānī est inteacuteressant lui qui ignore absolument tous les traiteacutes de ḥisba andalous et ne se reacutefegravere qursquoagrave celui de Yaḥyā b ʿUmar (le seul agrave compiler des fatwā-s) utilise le texte drsquoIbn al-Munāṣif sur le mecircme plan lui confeacuterant une valeur juridique qursquoil nrsquoa pas agrave lrsquoorigine

Un troisiegraveme socle est constitueacute par les au-teurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī al-Nawāwī (m 6761277)121 et ʿIzz al-Dīn b ʿAbd al-Salām (m 6601262)122 Les eacutechanges intellectuels entre

117emspIbid p 192 voir aussi Voguet Le monde rural p 21

118emspEl Hour ldquoIbn al-Ḥāǧǧ al-Tuǧībī Abū ʿAbd Allāhrdquo119emspIdris ldquoLrsquoeacutecole malikite de Mahdiardquo120emspChalmeta ldquoLa hisba en Ifriqiya et al-Andalusrdquo121emspHeffening ldquoal-Nawāwīrdquo EIsup2 vol VII p 1043-1044122emspIl fut un des maicirctres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī

Jackson Islamic Law and the State p 9

les diffeacuterentes eacutecoles juridiques sunnites et en particulier entre mālikites et šāfiʿītes ont participeacute aux eacutevolutions doctrinales Degraves le ivexe siegravecle en al-Andalus les mālikites ne peuvent plus ignorer la doctrine šāfiʿīte sur les uṣūl al‑fiqh et lrsquointro-duisent dans leur systegraveme de penseacutee juridique et dans leurs pratiques123 Agrave la fin du vexie siegravecle lrsquoœuvre du šāfiʿīte al-Ġazālī rencontre un eacutecho important dans lrsquoOccident islamique avant drsquoecirctre particuliegraverement repris dans les milieux soufis Par la suite lrsquoessor du šāfiʿīsme en Eacutegypte agrave partir du regravegne de Saladin124 contribua sans doute agrave la connaissance de cette eacutecole juridique chez les voyageurs mālikites pour lesquels Le Caire restait une eacutetape incontournable du voyage vers lrsquoOrient Ainsi agrave partir du second quart du viiiexive siegravecle plusieurs juristes tunisois integravegrent agrave leurs reacuteflexions les traditions juridiques venues de lrsquoEacutegypte mamelouke125 Comme dans la discussion theacuteorique sur la ḥisba al-ʿUqbānī invoque agrave des occasions tregraves preacutecises la position juridique des autoriteacutes šāfiʿītes susmentionneacutees On les retrouve quasi exclusivement dans le premier ensemble de cas drsquoespegravece traitant des pratiques religieuses et plus particuliegraverement sur les questions portant sur la calomnie et la meacutedisance (sect23-30) pour les-quelles les positions drsquoal-Ġazālī et drsquoal-Nawāwī sont citeacutees aux coteacutes de celle de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m 6841285) ceacutelegravebre juriste mālikite installeacute en Eacutegypte126 Les seules autres occasions ougrave la doctrine šāfiʿīte est rappeleacutee concernent les passages sur les femmes (sect55-56-63)

Enfin le quatriegraveme et dernier type de sources utiliseacute par al-ʿUqbānī correspond au milieu judi-ciaire tunisois contemporain Les plus ceacutelegravebres sont abondamment mis agrave contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi de faccedilon plus secondaire des juristes comme al-Ubbī (m 8271424)127 ou ʿAbd al-Salām al-Tūnisī (m 7491348) Cette belle repreacutesentation du milieu tunisois contraste avec lrsquoabsence totale de juristes du Maghreb extrecircme mais aussi du Maghreb central incarneacute par une figure unique celle du grand-pegravere de lrsquoauteur Qāsim al-ʿUqbānī

Ce rapide panorama des auteurs mobiliseacutes par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion lrsquoagencement de ces diffeacuterentes strates juridiques est loin drsquoecirctre homogegravene Au contraire il teacutemoigne des inflexions

123emspFierro ldquoHeresy in al-Andalusrdquo p 897-898124emspJackson Islamic Law and the State p 53125emspVan Staeumlvel Droit mālikite et habitat agrave Tunis p 311126emspJackson Islamic Law and the State127emspIl est lrsquoauteur drsquoun ouvrage de jurisprudence intituleacute

Ikmāl ikmāl al‑muʿlim

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et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

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of the Tamantit community Princeton M Wiener Publishers 2006

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Lagardegravere Vincent Histoire et socieacuteteacute en Occident musulman au Moyen Acircge analyse du Miʿyār drsquoAl‑Wanšarīsī Madrid Casa de Velaacutezquez 1995

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Jennifer Vanz16

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

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Talbi Mohammed ldquoQuelques donneacutees sur la vie sociale en Occident musulman drsquoapregraves un traiteacute de ḥisba du xve siegraveclerdquo Arabica 1 (1954) p 294-306

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Vajda Georges ldquoUn traiteacute maghreacutebin adversus judaeos aḥkām ahl al‑ḏimma du Šayḫ Muhammad b ʿAbd al-Karīm al-Maghīlīrdquo dans Eacutetudes drsquoorientalisme deacutedieacutees agrave la meacutemoire de Leacutevi‑Provenccedilal Paris Mai-sonneuve et Larose 1962 vol II p 805-814

Van Staeumlvel Jean-Pierre Droit mālikite et habitat agrave Tunis au xive siegravecle Conflits de voisinage et normes juridiques drsquoapregraves le texte du maicirctre‑maccedilon Ibn al‑Rāmī Le Caire IFAO 2008

Vanz Jennifer Lrsquoinvention drsquoune capitale Tlemcen (viiexiiie‑ixexve siegravecle) Paris Eacuteditions de la Sorbonne 2020

Vidal Castro Francisco ldquoAl-Burzulīrdquo Encyclopaedia of Islam THREE Ed Kate Fleet Gudrun Kraumlmer Denis Matringe John Nawas Everett Rowson 2010

Vidal Castro Francisco ldquoEl Miʿyār de al-Wanšarīsī (m 9141508) II Contenidordquo Miscelaacutenea de Es‑tudios Aacuterabe y Hebraicos XLIV 1995 p 213-246

Vidal Castro Francisco ldquoLas obras de Aḥmad al-Wanšarīsī (m 9141508) Inventario analiacuteticordquo Anaquel de Es‑tudios Aacuterabes III (1992) p 73-112

Vidal Castro Francisco ldquoAḥmad al-Wanšarīsī (m 9141508) Principales aspectos de su vidardquo Al‑Qanṭara 12 2 (1991) p 315-352

Viguera Moliacutens Mariacutea Jesus ldquoLa censura de cos-tumbres en el Tanbīh al‑ḥukkām de Ibn al-Munāṣif (1168-1223)rdquo dans Actas de las II Jornadas de Cultura Aacuterabe e Islaacutemica Madrid Instituto Hispa-no-Aacuterabe de Cultura 1985 p 591-611

Voguet Eacutelise Le monde rural du Maghreb central (xive‑xve siegravecles) Reacutealiteacutes sociales et constructions juridiques drsquoapregraves les Nawāzil Māzūna Paris Pu-blications de la Sorbonne 2014

Voguet Eacutelise ldquoLes communauteacutes juives du Maghreb central agrave la lumiegravere des fatwa-s mālikites de la fin du Moyen Acircgerdquo dans Maribel Fierro et John Vic-tor Tolan (eacuted) The Legal Status of Ḏimmī‑s in the Islamic West (secondeighth‑ninthfifteenth centu‑ries) Turnhout Brepols 2013 p 295-306

Yarbrough Luke ldquoA rather small genre Arabic Works Against Non-Muslim State Officialsrdquo Der Islam 93 1 (2016) p 139-169

  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
Page 14: Dire la norme dans la seconde moitié du ixe/xve siècle

Jennifer Vanz14

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

et des adaptations dont les normes sont lrsquoobjet des nouvelles preacuteoccupations qui surgissent ou de celles plus anciennes mais appreacutehendeacutees de maniegravere sensiblement diffeacuterente128 Les transfor-mations sociales agrave lrsquoœuvre affleurent ainsi agrave travers un discours juridique qui bien que structureacute autour drsquoautoriteacutes passeacutees srsquoancre indeacuteniablement dans le temps preacutesent de son auteur

Par la discussion theacuteorique du preacutecepte cora-nique drsquoordonner le bien et drsquointerdire le mal sur laquelle deacutebute lrsquoouvrage puis par lrsquoagencement et la seacutelection de ses fatwā-s al-ʿUqbānī compose un ouvrage original ayant pour objet la ḥisba Loin drsquoecirctre une simple compilation drsquoavis eacutemis par des autoriteacutes anteacuterieures la Tuḥfa srsquoinscrit pleinement dans lrsquoeacutepoque de son auteur une eacutepoque de bouleversements et de contestations politiques Il teacutemoigne drsquoabord de la compeacutetition que se livrent les savants les saints et le pouvoir sultanien pour srsquoarroger lrsquoexercice de la ḥisba ou en drsquoautres termes du controcircle de lrsquoordre social Lrsquoeacutevolution des rapports de force entre ces dif-feacuterents acteurs semble srsquoeffectuer en faveur des premiers aux deacutepends drsquoun pouvoir abdelwadide fragiliseacute et se manifeste notamment par un chan-gement dans la nature des documents les sources juridiques devenant plus abondantes Ces eacutelites en concurrence se rejoignent toutefois dans leur crainte commune du deacutesordre social Ainsi ce que donnent aussi agrave voir les fatwā-s ce sont les pratiques quotidiennes des habitants leurs varia-tions et la faccedilon dont les juristes les appreacutehendent De nouvelles preacuteoccupations eacutemergent filles de leur temps telle cette attention particuliegravere que lrsquoauteur consacre aux ḏimmī-s dans un chapitre qui leur est entiegraverement deacutedieacute Par son originaliteacute et son caractegravere exceptionnel la Tuḥfa apparaicirct alors comme une source privileacutegieacutee permettant drsquoappreacutehender les transformations sociales en cours dans le Maghreb de la seconde moitieacute du ixexve siegravecle

Bibliographie

Sources

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128emspUne premiegravere enquecircte a eacuteteacute meneacutee en ce sens sur le traitement de deux cateacutegories sociales les femmes et les ḏimmī-s dans la Tuḥfa Vanz Lrsquoinvention drsquoune capitale p 257-286

Aḥmad Bābā Nayl al‑ibtihāǧ bi‑taṭrīz al‑dībāǧ eacuted ʿAbd al-Ḥamīd ʿAbd Allāh al-Harāma Tripoli Manšūrat kulliyyat al-daʿwa al-islāmiyya 1989

Al-Burzulī Fatāwā al‑Burzulī Ǧāmiʿ masārsquoil al‑aḥkām li‑mā nazala min al‑qaḍāyā bi‑l‑muftīn wa‑l‑ḥuk‑kām eacuted Muḥammad al-Ḥīla Beyrouth 2002

Le Coran introduction traduction et notes par De-nise Masson Paris Gallimard 1967

Al-Ǧarsīfī Risāla fī l‑ḥisba eacuted Eacutevariste Leacutevi-Proven-ccedilal Trois traiteacutes hispaniques de ḥisba Le Caire Maṭbaʿa al-maʿhad al-ʿilmī al-firansī li-l-āṯār al-šarqiyya 1955 p 119-128 et trad Rachel Arieacute ldquoTraduction annoteacutee et commenteacutee des traiteacutes de ḥisba drsquoIbnʿAbd al-Rarsquoūf et de ʿUmar al-Ǧarsīfīrdquo Hespeacuteris‑Tamuda I3 1960 p 365-375

Al-Ġazālī Iḥyārsquo ʿulūm al‑dīn Le Caire 1967-1968 vol 2

Ibn Ḫaldūn ʿAbd al-Raḥmān Al‑Muqaddima eacuted Ab-desselam Cheddadi Casablanca Ḫizānat Ibn Ḫaldūn Bayt al-funūn wa-l-ʿulūm wa-l-adab 2005 trad Abdesselam Cheddadi Le Livre des Exemples I Autobiographie Muqaddima Paris Gallimard-Bi-bliothegraveque de la Pleacuteiade 2002

Ibn Ḫaldūn Yaḥyā Buġiyat al‑ruwwād fī ḏikr al‑mulūk banī ʿabd al‑wād eacuted et trad Alfred Bel Histoire des Beni ʿAbd‑al‑Wacircd rois de Tlemcen jusqursquoau regravegne drsquoAbou HrsquoAmmou Moucircsa Alger Imprimerie Orientale Pierre Fontana 1903-1913

Ibn Maryam Al‑Bustān fī ḏikr al‑ʿulamārsquo wa‑l‑awlīyārsquo bi‑Tilimsān eacuted ʿAbd al-Qādir Būbāyā Beyrouth Dār al-kutūb al-ʿilmiya 2014 trad F Provenzali El Bostan ou jardin des biographies des saints et savants de Tlemcen Alger Imprimerie Orientale Fontana fregraveres 1910

Ibn al-Munāṣif Tanbīh al‑ḥukkām ʿalā mārsquoḫiḏ al‑aḥkām Tunis Dār al-Turkī li-l-Našr 1988

Leacuteon lrsquoAfricain Description de lrsquoAfrique trad Alexis Eacutepaulard Paris Librairie drsquoAmeacuterique et drsquoOrient Adrien-Maisonneuve 1956

Al-Māwardī Al‑Aḥkām al‑sulṭāniyya wa‑l‑wilāya al‑dīniyya trad Edmond Fagnan Les statuts gou‑vernementaux ou regravegles de droit public et adminis‑tratif Alger 1915

Al-Nubāhī Kitāb al‑marqaba al‑ʿulyā fī man yastaḥiqq al‑qaḍārsquo wa‑l‑futyā eacuted Eacutevariste Leacutevi-Provenccedilal Bey-routh sd p 66-75 trad Arsenio Cuellas Marqueacutes Celia del Moral Al‑marqaba al‑ʿulya de al‑Nubahi (La atalaya suprema sobre el cadiazgo y el muftiazgo) Grenade Universidad de Granada 2005

Al-Tanasī Naẓm al‑durr wa‑l‑ʿiqyān fī bayān šaraf Banī Zayyān eacuted Maḥmūd Bouyaed Tārīḫ Banī Zayyān mulūk Tilimsān muqtaṭaf min Naẓm al‑durr wa‑l‑ʿiqyān fī bayān šaraf Banī Zayyān Alger Bibliothegraveque Nationale drsquoAlgeacuterie 1985

Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 15

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

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Al-Ubbī Ikmāl ikmāl al‑muʿlim eacuted M S Hāshim Beyrouth 1994

Al-ʿUqbānī Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġuniyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir eacuted ʿAlī Chenou-fi ldquoUn traiteacute de hisba (Tuḥfat an‑nāẓir wa ġunyat ad‑ḏākir fī ḥifẓ as‑šarsquoārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir) de Muḥammad al-lsquoUqbānī al-Tilimsānī (jurisconsulte mort agrave Tlemcen en 8711467) eacutedition critiquerdquo BEO XIX 1965-1966 p 133-343

Al-Wanšarīsī Kitāb al‑Miʿyār al‑muġrib wa‑lāmiʿ al‑muʿrib ʿan fatāwā ahl Ifrīqiya wa‑l‑Andalus wa‑l‑Maġrib eacuted Muḥammad Ḥaǧǧī Beyrouth 1981-1983

Yaḥyā b ʿUmar Aḥkām al‑sūq eacuted Maḥmūd ʿ Alī Mak-kī ldquoKitāb aḥkām al-sūq li-Yaḥyā b ʿUmar al-An-dalusīrdquo Revista del Instituto Egipcio de Estudios Islaacutemicos en Madrid 4 1956 p 59-151 trad Emi-lio Garciacutea Goacutemez ldquoUnas ordenanzas del zoco del siglo IXrdquo al‑Andalus XXII 1957 p 253-316

Eacutetudes

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dans Akādimiya Revue de lrsquoAcadeacutemie du Royaume du Maroc 13 1998 p 71-89

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Jennifer Vanz16

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

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Touati Houari ldquoHistoire et anthropologie religieuse Lrsquoislam religion et culturerdquo dans Houari Touati (dir) Histoire geacuteneacuterale de lrsquoAlgeacuterie LrsquoAlgeacuterie meacutedieacutevale Oran Zaytun 2014 p 243-314

Vajda Georges ldquoUn traiteacute maghreacutebin adversus judaeos aḥkām ahl al‑ḏimma du Šayḫ Muhammad b ʿAbd al-Karīm al-Maghīlīrdquo dans Eacutetudes drsquoorientalisme deacutedieacutees agrave la meacutemoire de Leacutevi‑Provenccedilal Paris Mai-sonneuve et Larose 1962 vol II p 805-814

Van Staeumlvel Jean-Pierre Droit mālikite et habitat agrave Tunis au xive siegravecle Conflits de voisinage et normes juridiques drsquoapregraves le texte du maicirctre‑maccedilon Ibn al‑Rāmī Le Caire IFAO 2008

Vanz Jennifer Lrsquoinvention drsquoune capitale Tlemcen (viiexiiie‑ixexve siegravecle) Paris Eacuteditions de la Sorbonne 2020

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Vidal Castro Francisco ldquoEl Miʿyār de al-Wanšarīsī (m 9141508) II Contenidordquo Miscelaacutenea de Es‑tudios Aacuterabe y Hebraicos XLIV 1995 p 213-246

Vidal Castro Francisco ldquoLas obras de Aḥmad al-Wanšarīsī (m 9141508) Inventario analiacuteticordquo Anaquel de Es‑tudios Aacuterabes III (1992) p 73-112

Vidal Castro Francisco ldquoAḥmad al-Wanšarīsī (m 9141508) Principales aspectos de su vidardquo Al‑Qanṭara 12 2 (1991) p 315-352

Viguera Moliacutens Mariacutea Jesus ldquoLa censura de cos-tumbres en el Tanbīh al‑ḥukkām de Ibn al-Munāṣif (1168-1223)rdquo dans Actas de las II Jornadas de Cultura Aacuterabe e Islaacutemica Madrid Instituto Hispa-no-Aacuterabe de Cultura 1985 p 591-611

Voguet Eacutelise Le monde rural du Maghreb central (xive‑xve siegravecles) Reacutealiteacutes sociales et constructions juridiques drsquoapregraves les Nawāzil Māzūna Paris Pu-blications de la Sorbonne 2014

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Yarbrough Luke ldquoA rather small genre Arabic Works Against Non-Muslim State Officialsrdquo Der Islam 93 1 (2016) p 139-169

  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
    • 1 Milieux savants et pouvoir sultanien agrave Tlemcen au ixexve siegravecle tensions et concurrences
      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
        • 2 Controcircler lrsquoordre social lrsquoexercice de la ḥisba
          • 21 La ḥisba au ixexve siegravecle un devoir individuel revendiqueacute une magistrature deacutepreacutecieacutee
          • 22 Entre devoir individuel et devoir officiel la discussion theacuteorique de la notion de ḥisba dans la Tuḥfa
            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
            • Bibliographie
              • Sources
              • Eacutetudes
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Dire la norme Dans la seconDe moitieacute Du ixexve siegravecle la Tuḥfa drsquoal-ʿUqbānī miroir de transformations sociales aU maghreb central 15

Al‑Qanṭara xLii 1 2021 e04 eiSSN 1988-2955 | iSSN-L 0211-3589 doi httpsdoiorg103989alqantara2021004

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Al-ʿUqbānī Tuḥfat al‑nāẓir wa‑ġuniyat al‑ḏākir fī ḥifẓ al‑šaʿārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir eacuted ʿAlī Chenou-fi ldquoUn traiteacute de hisba (Tuḥfat an‑nāẓir wa ġunyat ad‑ḏākir fī ḥifẓ as‑šarsquoārsquoir wa‑taġyīr al‑manākir) de Muḥammad al-lsquoUqbānī al-Tilimsānī (jurisconsulte mort agrave Tlemcen en 8711467) eacutedition critiquerdquo BEO XIX 1965-1966 p 133-343

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Viguera Moliacutens Mariacutea Jesus ldquoLa censura de cos-tumbres en el Tanbīh al‑ḥukkām de Ibn al-Munāṣif (1168-1223)rdquo dans Actas de las II Jornadas de Cultura Aacuterabe e Islaacutemica Madrid Instituto Hispa-no-Aacuterabe de Cultura 1985 p 591-611

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  • Dire la norme dans la seconde moitieacute du ixexve siegravecle la Tuḥfa ʿUqbānī miroir de transformation sociales au Maghreb central
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      • 12 Une volonteacute de reprise en main des eacutelites par alMutawakkil
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            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
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Jennifer Vanz16

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      • 11 Les ʿUqbānī et le milieu savant tlemceacutenien
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            • 3 De la discussion theacuteorique aux cas pratiques historiciser le discours juridique
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