dimensions humaines du travail

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LES DIMENSIONS HUMAINES DU TRAVAIL Théories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations Sous la direction de Eric BRANGIER, Alain LANCRY, Claude LOUCHE

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  • LES DIMENSIONS HUMAINES DU TRAVAIL

    Thories et pratiques de la psychologie du travail et des organisations

    Sous la direction de Eric BRANGIER, Alain LANCRY, Claude LOUCHE

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    MODIFICATION DES DROITS : De 2004 2010 les droits de cet ouvrage ont t grs par les Presses Universitaires de Nancy, 42-44, avenue de la libration - BP 33-47 - 54014 Nancy cedex, sous la forme :

    Brangier, E., Lancry, A., & Louche, C. (eds) (2004). Les dimensions humaines du travail. Thories et pratiques en psychologie du travail et des organisations, Nancy : PUN, 670p. ISBN : 2-86480-926-5

    Depuis 2011, les diteurs scientifiques, Messieurs Eric Brangier, Alain Lancry et Claude Louche ont rcupr les droits qui sont mis librement disposition des membres et laboratoires du Rseau de Psychologie du Travail et des Organisations, rseau scientifique runissant les chercheurs francophones ayant, notamment, assur le dveloppement et la promotion de cet ouvrage.

    Ce texte est original. Aucun usage commercial ne peut en tre fait sans laccord des diteurs. Il est permis den faire une copie papier ou digitale pour un usage pdagogique ou universitaire, uniquement. Pour cet usage, les sources exactes du document, des chapitres extraits ou des citations empruntes devront tre cites par les utilisateurs de ce livre.

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    Hommage

    Antoine Laville est dcd le 28 Novembre 2002, lge de 68 ans.

    Mdecin de formation, il a t un des pionniers de lErgonomie. Entr en 1961 au Laboratoire de Physiologie du Travail du CNAM dirig par le Professeur J. Scherrer, il participe en 1966 avec Alain Wisner la transformation du Laboratoire en Laboratoire de Physiologie du Travail et dErgonomie ; il en sera nomm Sous Directeur en 1979. En 1989, il est nomm Directeur du Labora-toire dErgonomie Physiologique et Cognitive de lEPHE. Linflu-ence de ses recherches et de ses enseignements sest tendue bien au-del des frontires ; lErgonomie brsilienne et lErgonomie qubcoise lui doivent beaucoup.

    Comprendre le travail pour le transformer , la Sant au tra-vail , ont toujours t au cur de ses recherches et interventions effectues en laboratoire puis en entreprises avec la volont de participer, en tant que militant, lamlioration des conditions de travail . Ses principaux thmes de recherches en tmoignent : travail rptitif sous contraintes de temps et sant, horaires posts, horaires de nuit et sant, modalits de rgulation des postures de travail, crans de visualisation et vision, vieillissement et travail.

    Pour dvelopper ce dernier thme et lui donner un statut en entreprise, il a fond avec Serge Volkoff, le Centre de Recherches et dEtudes sur lAge des Populations au Travail (CREAPT). Le vieillissement au cours de la vie active y est considr sous un double aspect : le vieillissement par le travail, cest--dire le rle du travail dans les processus de dclin et de construction (par laccroissement de lexprience et des comptences) et le vieil-lissement par rapport au travail cest dire lvolution de ltat fonctionnel des oprateurs confronts au contenu et aux exigences du travail.

    Ses recherches et son ouverture desprit ont conduit Antoine Laville tisser des liens entre diffrentes Sciences du Travail , ergonomie, physiologie, pidmiologie, psychologie, plaidant pour une multidisciplinarit effective.

    Cette rapide vocation explique sa participation deux chapitres de ce Trait de Psychologie du Travail, lun en collaboration avec Anne Lancry sur les conditions de travail, lautre sur Vieillis-sement et Travail avec Corinne Gaudart et Valrie Pueyo dont il a dirig les thses.

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    Auteurs AKIKI Joumana

    AUBRET Jacques

    BARCENILLA Javier

    BAREIL Cline

    BAUBION-BROYE Alain

    BLANCHARD Serge

    BOUDRIAS Jean-Sbastien

    BRANGIER Eric

    DAMMEREY Caroline

    DE LA GARZA Cecilia

    DELOBBE Nathalie

    DESSAGNE Lara

    DUPUY Raymond

    FISCHER Gustave-Nicolas

    GADBOIS Charles

    GAUDART Corinne

    HAJJAR Violette

    HOCH Raphal

    HOUILLON Virginie

    KOUABENAN Dongo Rmi

    LANCRY Alain

    LANCRY-HOESTLANDT Anne

    LAVILLE Antoine

    LEMOINE Claude

    LEVY-LEBOYER Claude

    LIVIAN Yves-Frdric

    LOUCHE Claude

    MASCLET Georges

    MEYER Carole

    PONNELLE Sandrine

    PRUNIER-POULMAIRE Sophie

    PUEYO Valrie

    ROGARD Vincent

    RONDEAU Alain

    ROQUES Martine

    SAVOIE Andr

    STEINER Dirk D.

    TIJUS Charles

    TISSERANT Pascal

    TOUZE Pierre-Andr

    TROGNON Alain

    VALLERY Grard

    VANDENBERGHE Christian

    WEILL-FASSINA Annie

  • SOMMAIRE

    PREFACE 9

    PREMIERE PARTIE : LHOMME AU TRAVAIL

    1. INTRODUCTION GENERALE : LE DOMAINE DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET DES ORGANISATIONS Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche 15

    2. LE TRAVAIL Anne Lancry-Hoestlandt & Antoine Laville 43

    3. APPRENTISSAGE ET FORMATION Javier Barcenilla & Charles Tijus 65

    4. LE BILAN DE LA PERSONNE AU TRAVAIL Jacques Aubret & Serge Blanchard 103

    5. LEVALUATION DES INDIVIDUS DANS LE CONTEXTE ORGANISATIONNEL Dirk D. Steiner & Pierre-Andr Touz 133

    6. LES ENVIRONNEMENTS DE TRAVAIL Gustave-Nicolas Fischer 161

    7. TEMPS ET RYTHMES DE TRAVAIL Sophie Prunier-Poulmaire & Charles Gadbois 181

    8. ASPECTS PSYCHOLOGIQUES ET ORGANI-SATIONNELS DES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE LINFORMATION ET DE LA COMMUNICATION Eric Brangier & Grard Vallery 213

  • 6

    9. ANALYSE DES ACCIDENTS DU TRAVAIL, GESTION DES RISQUES ET DES PREVENTIONS Annie Weill-Fassina, Dongo Rmi Kouabenan & Cecilia De la Garza 251

    10. LA SANTE PSYCHIQUE AU TRAVAIL Alain Lancry & Sandrine Ponnelle 285

    11. HANDICAP AU TRAVAIL Anne Lancry-Hoestlandt, Joumana Akiki & Virginie Houillon 313

    DEUXIEME PARTIE : LA RELATION TRAVAIL-ORGANISATION-SOCIETE

    12. LES STRUCTURES ORGANISATIONNELLE Yves-Frdric Livian 335

    13. SOCIALISATION ORGANISATIONNELLE ET TRANSFORMATION DES IDENTITES Alain Baubion-Broye, Raymon Dupuy & Violette Hajjar 359

    14. MOTIVATION, SATISFACTION ET IMPLICATION AU TRAVAIL Claude Lemoine 389

    15. GROUPES, COLLECTIFS ET COMMUNICATIONS AU TRAVAIL Alain Trognon, Lara Dessagne, Raphal Hoch, Caroline Dammerey & Carole Meyer 415

    16. LEADERS, MANAGERS ET CADRES : ACTIVITES ET INFLUENCE Vincent Rogard 451

  • 7

    17. CONTEXTE, POUVOIR ET MANAGEMENT Georges Masclet 467

    18. LA CULTURE ORGANISATIONNELLE Nathalie Delobbe & Christian Vandenberghe 503

    19. LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL Andr Savoie, Cline Bareil, Alain Rondeau & Jean-Sbastien Boudrias 535

    20. VIEILLISSEMENT ET TRAVAIL Antoine Laville, Corinne Gaudart & Valrie Pueyo 559

    21. PRECARITE ET EXCLUSION Martine Roques 591

    22. MONDIALISATION ET IMMIGRATION : APPROCHE INTER-CULTURELLE DE LHOMME AU TRAVAIL Pascal Tisserant 615

    INDEX DES MOTS-CLES 643

  • PREFACE

    Claude Levy-Leboyer

    Professeur mrite lUniversit Ren Descartes - Paris V

    Cest en France que dbute la psychologie du travail, au commen-cement du vingtime sicle, avec les recherches dAlfred Binet sur lintelligence, et avec les premiers travaux de Jean-Marie Lahy la Socit Nationale des Chemins de Fer (SNCF) et dans les trans-ports Parisiens. Tous deux rpondent des problmes concrets : dpister les enfants retards et les orienter vers un enseignement spcialis ; slectionner le personnel dans des entreprises o la scurit est imprative. Tous deux aussi abordent ces problmes de manire objective, en sefforant de procder des mesures prci-ses et de les valider par rapport des comportements observs. Et tous deux insistent sur le rle de ce quon appellera plus tard les aptitudes cognitives, Lahy en sinsurgeant contre ce quil nomme la slection des bufs , fonde sur les seules aptitudes physi-ques et Binet en insistant sur le fait que lintelligence est une caractristique dont la variance est forte, plus forte que celle qui caractrise les processus lmentaires, comme la sensation, objet des premiers tests psychologiques dj publis, notamment par le psychologue amricain Mc Keen Cattell. Aprs la premire Guerre mondiale, cest encore Lahy qui participe la cration de lAssociation internationale de psychotechnique (qui deviendra lAssociation Internationale de Psychologie Appli-que) et en est le secrtaire gnral. Et cest aussi lui qui cre en 1932 Le Travail Humain et dirige cette revue jusqu sa mort. Pendant cette priode, la psychologie du travail se dveloppe aussi bien aux Etats-Unis quen Europe, avec, pour ne citer que quelques noms, Mnsterberg en Allemagne, Mira en Espagne, Myers et Burt en Grande-Bretagne et Viteles aux Etats-Unis. En France, on assiste au dveloppement de services de psychologie du travail, dans lindustrie automobile, la SNCF, dans les socits de trans-port. Les recherches universitaires sont trs ralenties pendant la seconde Guerre mondiale, mais les besoins de larme amricaine et de larme anglaise crent un terrain exprimental sans prc-dent et, revenus la vie civile, les psychologues du travail dvelop-pent activement recherches thoriques et applications pratiques. La Division 14 de lAmerican Psychological Association est cre en 1946 et deviendra plus tard SIOP, la Socit de Psychologie Industrielle et Organisationnelle, qui tient des Congrs annuels,

  • Claude Levy-Leboyer

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    rassemblant actuellement plusieurs milliers de chercheurs et de praticiens. Le onzime congrs de lAssociation Internationale de Psychotech-nique se tient Paris en 1953 sous la prsidence de Bonnardel qui a succd Lahy au Travail Humain et est la fois responsable du service de psychologie des usines Peugeot Sochaux et directeur de Laboratoire lEcole pratique des Hautes Etudes, avec Suzanne Pacaud, ancienne collaboratrice de Lahy, comme directeur adjoin-te. Pourtant, la place tenue par la France en psychologie du travail tend diminuer et les recherches en psychologie comme leurs applications se dveloppent plutt dans les domaines clinique, scolaire et en psychologie exprimentale. Pour tre plus prcis, seule lergonomie, fille spirituelle de la psychologie exprimentale, est un domaine actif de la psychologie du travail franaise. Par contre, les mthodes et les instruments destins la slection professionnelle, les thmes propres la psychologie des organisa-tions, la motivation, la satisfaction au travail, le leadership, ne donnent lieu aucun programme de recherches important, alors que ce sont des champs dinvestigation actifs dans les pays de langue anglaise. Plusieurs raisons cela: la place centrale prise par la psychologie exprimentale, sous limpulsion de Piron, puis de Fraisse, le courant actif en psychologie du dveloppement cr par Wallon et par ses collaborateurs. Et probablement aussi le fait que la France a t pendant longtemps un pays de petites entreprises, donc peu proccup par les problmes psychologiques que posent les grandes organisations. En 1974, quand jai publi le premier ouvrage en franais sur la psychologie des organisations, il ny avait en France quune trentaine dentreprises employant plus de 5000 personnes, et ce chiffre navait pas vari depuis la guerre... Mais, dans les vingt-cinq dernires annes, le monde du travail, en France comme dans les autres pays industrialiss, a chang, tous points de vue,- conomique, social, technologique. Dune part les besoins des entreprises en matire de gestion des ressources humai-nes se sont affirms, pour de nombreuses raisons. Citons quelques exemples, bien illustrs par la liste des chapitres de cet ouvrage: le progrs technologique et la ncessit de disposer de personnel apte poursuivre sa formation travers la vie adulte et dorganiser cette formation ; larrive de travailleurs migrants dont lintgration pose des problmes interculturels ; le dveloppement de grandes units industrielles et commerciales justifies par des conomies dchelle mais qui soulve des problmes de communication, de motivation, de gestion de la mobilit ; les fusions acquisitions qui requirent une harmonisation des cultures organisationnelles ; la prise en compte de problmes sociaux, comme la prparation la retraite, lintgration des handicaps; la cration de filiales ltranger qui pose des problmes spcifiques dacculturation et de gestion distance ; la complexit des processus de production et limportance croissante du secteur des services qui donnent une place prpondrante aux ressources humaines ; le dveloppement des quipes de projet qui force repenser la dynamique sociale du travail dans des groupes rassemblant des comptences diffrentes et complmentaires...

  • Prface

    11

    Les praticiens de terrain, en France, ont rpondu aux demandes des entreprises, bien souvent avant que la recherche fondamentale ne reprenne vigueur. Ce qui sest invitablement traduit par le dve-loppement dinitiatives et de procdures pas toujours valides: le monde du travail attend des rponses ralistes et disponibles, pas des propositions de recherche dont le rsultat se fera attendre et ne peut tre garanti lavance. Mais la demande, sur le march du travail, de praticiens comptents a conduit les universits fran-aises crer de nombreux cursus de spcialisation en psycholo-gie du travail, alors quil nen existait quun, lInstitut de Psycho-logie de la Sorbonne. Les DESS orients vers ce type dapplication ont alors eu besoin denseignants qualifis... Et une nouvelle gn-ration denseignants-chercheurs a fortement contribu au dvelop-pement de recherches en psychologie du travail dans la majorit des universits franaises. En mme temps, depuis vingt-cinq ans, grce au soutien de la Maison des Sciences de lHomme, cest en France qua t cr et quest toujours gr lENOP (European Network of Organizational Psychology), sur linitiative conjugue de Bernhard Wilpert, de Charles de Wolff, et de moi-mme, et avec lappui de Sylvia Shimmin, de Jacques Leplat et de Maurice de Montmollin. Ce groupement denseignants chercheurs Euro-pens, tous spcialistes de psychologie du travail, au sens le plus large, a sans aucun doute contribu une meilleure connaissance par les chercheurs franais des travaux effectus en Europe et aux Etats-Unis. Mais les initiatives locales restaient peu coordonnes, finances de manire ponctuelle, souvent coupes des recherches internatio-nales. Il devenait urgent de donner une identit ce groupe den-seignants chercheurs franais spcialiss en psychologie du travail, actifs, mais trop isols dans leurs Universits, et mal connus aussi bien des praticiens que des entreprises elles-mmes. Avec un double souci : leur donner des occasions de se rencontrer, de discu-ter entre eux et de faire circuler les rsultats de leurs recherches; les aider dvelopper, auprs des entreprises une image de marque qui contribue lutter contre des pratiques trop souvent errones et qui facilite le dveloppement de recherches appliques. Pour rendre aussi crdible que possible cette action, jai suscit la cration, avec la collaboration de Vincent Rogard, et avec le soutien du Ministre de lEnseignement Suprieur o nous tions consultants, un rseau denseignants chercheurs en psychologie du travail. Pour cela une information a t envoye en 1996 toutes les UFR de psychologie de France, leur indiquant lobjectif poursuivi et leur demandant, si cela les intressait, de prsenter un dossier sur leurs activits de recherche en psychologie du travail. Il importait que la qualit de leurs travaux soit garantie par des valuations faites non pas lchelle locale, mais avec un cadre de rfrence interna-tional. Aussi ces dossiers ont t expertiss par quatre professeurs de psychologie du travail Europens, appartenant tous lENOP, chaque dossier tant valu par deux dentre eux. Bernhard Wilpert (Berlin), Paul Coetsier (Gand), Jos Ferrero-Marqus (Lisbonne) et Jos Peiro (Valence) ont accept de nous rendre ce service et le Ministre a couvert leurs frais de dplacement. Une runion de travail a permis datteindre un consensus total et de faire la liste

  • Claude Levy-Leboyer

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    des quipes de recherche appartenant une universit franaise et destines constituer le noyau du rseau. Des reprsentants de ces quipes se sont runis en 1997, au Ministre de lEnseignement Suprieur. Cette rencontre a montr la motivation et lintrt des participants. Des objectifs, un pro-gramme daction et la constitution dun bureau ont fait lobjet de discussions et de dcisions communes. Le rseau a ensuite vol de ses propres ailes, multipli les runions, les publications, les con-tacts internationaux. Il y a quelques annes, Goldberg1, dcrivant le rle croissant de la personnalit dans les valuations profession-nelles, a dit de manire ironique Once upon a time, we had no personalities . Et Goldberg ajoute : Fortunately, times change . De la mme manire, jai envie de dire : once upon a time we had no work psychology,- heureusement, cela a chang . La psycholo-gie du travail a travers dans notre pays une priode terne. Cest le pass. Cet ouvrage est un tmoignage vivant des progrs raliss et du vigoureux renouveau de la psychologie du travail et des organi-sations en France.

    Claude Lvy-Leboyer.

    1 Goldberg, L.R., (1993). The structure of phenotypic personality trait, American Psychologist, 48, 26-34.

  • PREMIERE PARTIE

    LHOMME AU TRAVAIL

  • 1. INTRODUCTION GENERALE : LE DOMAINE DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET DES ORGANISATIONS

    Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

    Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre lhomme et la nature. Lhomme y joue lui-mme vis--vis de la nature le rle dune puissance

    naturelle. Les forces dont son corps est dou, bras et jambes, tte et mains, il les met en mouvement afin de sassimiler des matires en leur donnant une forme

    utile sa vie. En mme temps quil agit par ce mouvement sur la nature extrieure et la modifie, il modifie sa propre nature

    et dveloppe les facults qui y sommeillent.

    Karl Marx

    Lhomme ne peut raliser son tre quen se ralisant lui-mme objectivement, cest--dire en produisant, grce aux forces de son tre, un monde objectif et

    matriel extrieur, dans lequel il se ralise grce son travai au sens le plus large possible.

    Herbert Marcuse

    Je me proccupe de psychologie fondamentale cest pourquoi je vais sur les lieux de travail

    Alain Wisner

    La notion de travail acquiert un statut dobjet de recherches et dinterventions psychologiques ds le dbut de la psychologie. Ainsi, la fin du 19me sicle voit-elle clore la psychologie comme science, puis immdiatement aprs, une psycho-logie de lhomme au travail qui est, au dpart, trs marque par linstauration du salariat et lessor de lconomie de march. Jouant la fois les rles de refus de lanimalit, de transformateur du monde, de rgulateur des apprentissages, de diviseur de la socit, dorganisateur des groupes sociaux, de rducteur de lennui, dlment dalination, dagent stres-sant, dinsertion sociale, de dagent structurant laction ou encore de support diverses cultures, le travail est, par excellence, un objet de la psychologie. Objet thorique et pratique, le travail est la source de nombreuses recherches que cet ouvrage prsente et actualise. Recherches, qui sont toujours relies des interventions et gestes professionnels que les psychologues du travail mettent en uvre. Cest dans cette perspective que ce premier chapitre introduit la psycho-logie du travail et des organisations et annonce les objectifs des chapitres suivants.

    Concepts-cls du chapitre :

    Psychologie du travail et des organisations

    Orientations thoriques en psychologie du travail

    Mthodologies en psychologie du travail et des organisations

    Les mutations du travail et le rle du psychologue

    Plan gnral de louvrage

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

    16

    De nombreux dirigeants, salaris, syndicalistes, politiques se proccupent des aspects psychologiques du travail et de son organisation. Ces proccupations visent avant tout amliorer la comptitivit, la performance, le bien-tre, lefficacit des hommes et des organisations. En effet, lorsquil sagit de recruter un collaborateur, de slection-ner une personne pour une promotion, de rorganiser un atelier, damnager une nouvelle ligne de production, dimplanter de nou-veaux espaces de travail, de rduire des maladies professionnelles, dintgrer des jeunes professionnels, de maintenir des salaris gs, dintervenir sur des problmes de harclement moral ou sexuel, de favoriser ladaptation de nouveaux logiciels, de rguler des conflits professionnels, de manager des quipes, dimplanter des usines ltranger, de grer des cadres expatris, damnager le temps de travail, dinsrer des personnes handicapes, de remodeler les structures dune organisation, de grer le changement, alors les connaissances produites en psychologie du travail et des organi-sations (PTO) visent avant tout devenir ou rester comptitifs, performants, efficaces Pourtant en matire de conduites professionnelles, les dirigeants, salaris, syndicalistes, politiques ont plus tendance sintresser aux pratiques sotriques (parfois astrologiques), aux recettes managriales vites prtes (avec un rappel frquent la mtaphore de lorganisation militaire), aux concepts fast-food (souvent glans dans des magazines de vulgarisation conomique), aux exposs de gurus (plutt amricains), et leur bon sens naturel (pour ne pas dire leur pif !). Il faut bien dire que les recherches scientifiques qui dbouchent sur des rsultats nuancs, des modles complexes, des concepts acadmiques, ou des conseils duniversitaires sont, dans quelques entreprises, teints dun scepticisme poli. Pour cause : ces recherches ne sont pas toujours dun abord facile. Et par voie de consquence, un trs grand nombre de connaissances produites en psychologie du travail et des organisations reste trs peu utilis. Cest dans cette ligne aux contours dlicats trace entre le thorique et le pratique, entre la recherche universitaire et le monde conomique, entre lacadmie et lentreprise que se situe ce trait de psychologie du travail et des organisations. Son objectif est de fournir aux lecteurs les lments thoriques, mthodologique et pratiques ncessaires lapprentissage, la comprhension et la pratique professionnelle de la psychologie du travail et des organi-sations. Il s'adresse des chercheurs, enseignants, tudiants et praticiens des domaines de la psychologie du travail. Il s'adresse galement des lecteurs de disciplines partenaires, notamment la gestion, les sciences de l'ingnieur, la sociologie, la communication ou lconomie. Cet ouvrage respecte une progression dans la connaissance de la psychologie du travail et des organisations. Organis en deux grandes parties (1) lindividu au travail, (2) la relation individu-organisation-socit ; louvrage passe en revue, au cours de 22

    Actualiser le savoir en psychologie du travail et des organisations.

    Ce livre vise diffuser des rsultats de recherches, organiser des concepts, permettre des apprentissages et initier des pratiques professionnelles.

  • Introduction gnrale

    17

    chapitres, les dimensions fondamentales de la dynamique des conduites humaines dans les situations de travail. Dans ce premier chapitre, nous allons esquisser les contours de ce trait de psychologie du travail et des organisations en partant dun historique de la PTO qui nous amnera apprhender les mthodo-logies, puis les orientations de cette discipline. Finalement, la dernire partie proposera un panorama de lvolution du travail qui nous servira prsenter lensemble des chapitres de cet ouvrage.

    1.1. LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET DES ORGANISATIONS COMME DISCIPLINE

    SCIENTIFIQUE A PART ENTIERE La PTO est une discipline riche de nombreux niveaux danalyse (la relation entre lindividu et sa tche, la relation entre lindividu et lorganisation, les processus collectifs). Ces diffrents niveaux ont le plus souvent coexist tout au long de lhistoire de la disci-pline. Mais chaque priode, sensible la demande sociale, a eu tendance privilgier lun deux. La dnomination de la discipline dans les titres des ouvrages de rfrence (Leplat, 1996) lillustre : Psychotechnique (1914), Psychologie Industrielle (1925), Techno-psychologie (1926), Psychologie du travail ( partir de 1946), Psychologie Applique (titre dun trait dirig par Pieron dans les annes 50), enfin Psychologie du Travail et des Organisations. Cette dernire dnomination retenue actuellement par des revues et par des ouvrages de base (Bernaud & Lemoine, 2000) marque llargissement du champ de la discipline. Un rapide survol histori-que nous permettra de le retracer. A lorigine, la Psychologie du Travail a t fortement influence par la psychologie exprimentale. Ce sont en effet des lves de Wundt, fondateur en 1879 du premier laboratoire de psychologie exprimentale, qui exerceront un vritable travail de pionnier en rapprochant la psychologie des questions de terrain. Parmi ceux-ci, Cattell crera en 1890 le terme de test mental pour dsigner des preuves, issues du laboratoire, permettant de mesurer des fonc-tions sensori-motrices lmentaires. Mnsterberg, de son ct, jouera galement un rle clef, reprenant et utilisant dans le titre dun de ses ouvrages publi en 1914 le terme de Psychotech-nique . Sous cette dnomination il entendait la science des applications pratiques de la psychologie au service de la solution des tches culturelles (cit par Muller & Silberer, 1968, p. 21). Il avait une vue relativement large de la discipline puisquil traitait du recrutement mais aussi des ambiances de travail, de la fatigue, de la formation des habitudes Toutefois, le champ de la psychotech-nique se rtrcit trs vite pour ne plus concerner que lutilisation des tests pour la slection et lorientation professionnelle. Ce rtr-cissement du champ peut tre illustr en reprenant une dfinition de Piron (1950 p. VII) : La psychotechnique est la discipline qui rgit lapplication aux problmes humains des donnes de la psychophysiologie par lemploi dun ensemble de mthodes rigou-

    Plan du chapitre 1

    Lmergence de la psychologie du travail et des organisations.

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

    18

    reusement scientifiques et principalement des mthodes psycho-mtriques . Lahy en France, partir de 1908, puis Pacaud joueront un rle capital : ils mirent au point des preuves pour la slection de diverses populations (aiguilleurs, conducteurs, dactylo). Ils dmontrrent ensuite lintrt de lutilisation des outils psychotechniques, obtenant par exemple une rduction signi-ficative du nombre des accidents chez les chauffeurs. Dans le monde du travail, la psychologie sest donc proccupe en premier lieu de lvaluation des individus. Paralllement, un largissement de la discipline soprera. Il se traduira par le dveloppement dune orientation visant adapter le travail lhomme. On trouve certes, ds le dbut du XXme sicle, quelques travaux sur la fatigue (Kraepelin, Imbert). Mais cest pendant la guerre de 1914-18 que lon vit se dvelopper avec force, en Angleterre, de nombreuses tudes sur le travail industriel (fatigue, mais galement dure du travail, travail rptitif). La deuxime Guerre mondiale, avec lapparition de matriels militaires sophistiqus (radars, avions de chasse), renforcera les besoins et permettra lappari-tion dune Human Engineering (anctre de lergonomie) proc-cupe par ladaptation de la machine lhomme. Les applications civiles ne manqueront pas darriver. Elles seront mises au service de plusieurs objectifs : lutter contre une division excessive du travail, prvenir les accidents, amliorer les conditions de travail (Faverge, Leplat, Guiguet, 1958). Elles ne se focaliseront plus seulement sur lergonomie des postes , cest--dire la perspec-tive centre sur la machine (Montmollin) pour considrer les systmes hommes-machines . Ainsi, comme on vient de le voir, en plus de sintresser aux indi-vidus sous langle de leur recrutement et de leur formation, la PTO se proccupera de lamnagement de la situation de travail. Les recherches de Mayo, conduites entre les deux guerres Hawthorne, aux USA firent merger un 3me champ de recherche, souvent dnomm Psychologie des Organisations . Ces travaux ont montr linfluence exerce par les groupes dans les processus de production, limportance du style hirarchique et la complexit des motivations. Ils ont offert la Psychologie du Travail et des Orga-nisations de nouvelles voies de recherche et dintervention centres notamment sur les processus relationnels. Ce rapide survol historique illustre la diversit et la richesse de la Psychologie du Travail et des Organisations. Le rseau Europen des Psychologues du Travail et des Organisations (ENOP, 1998) a publi un modle de rfrence qui organise la discipline autour de trois niveaux danalyse : - La relation entre lhomme et sa tche. Il sagit de lactivit de

    travail des individus. Ltude des tches, de lenvironnement du travail, de lamnagement des postes, des charges physiques et mentales relvent de ce niveau.

    - La relation entre lindividu et lorganisation : cest--dire son tablissement, son entretien et sa rupture. On positionnera ce niveau danalyse les travaux concernant la slection du person-nel, le dveloppement de carrire, lengagement et la motiva-tion, la rmunration.

    Lorientation ergonomique

    Les grands thmes de la psychologie du travail et des organisations.

  • Introduction gnrale

    19

    - Enfin, les relations interpersonnelles en relation avec la struc-ture et les dispositifs socio-techniques. On placera ce niveau danalyse les travaux concernant les communications, la prise de dcision et les relations hirarchiques, les conflits, les struc-tures, les changements organisationnels, les cultures

    Concernant la Psychologie du Travail et des Organisations, deux remarques simposent : - Cette discipline est en relation avec le monde conomique qui

    lentoure. Elle sintresse lhomme au travail dans le cadre dune organisation. Or ce contexte organisationnel subit linfluence de multiples facteurs (conomiques, politiques, sociaux). Il est donc marqu par des transformations qui interpellent les chercheurs du domaine : par exemple, la mondialisation des changes a suscit des recherches sur le management interculturel La PTO est donc dpendante du contexte social sans que lon puisse dire (en dehors de quelques rares exceptions) quelle est troitement modele par lui. La demande sociale ne fait que fournir une question. Les cadres thoriques mobiliss ou dvelopps pour rpondre peuvent leur tour remodeler la question pose. On peut illustrer ce propos par un exemple : la crise avait conduit les chercheurs se proccuper du chmage. A partir des aspects positifs du travail, les premiers travaux ont considr que la situation de chmage entrane de lourdes pertes psychologiques pour lindi-vidu. A partir du modle du systme des activits (Curie, 1993, 2000 ; Baubion-Broye, 1998), la conception de la situation de chmage a t considrablement modifie : la privation dem-ploi a t considre partir de lensemble du systme des activits de lindividu concern et partir dune conception active de lindividu. Les recherches ont alors pris une nouvelle orientation, ce qui montre que la PTO ne subit pas passivement la demande sociale. Elle lintgre et la traite partir de ses activits de thorisation.

    - La PTO est attache lapplication de ses thories. Elle ne peut toutefois pas tre considre comme une simple psychologie applique. La psychologie applique est oriente essentielle-ment vers la solution de problmes pratiques (Leplat, 1980, p.197). Elle est souvent oppose une psychologie fondamen-tale, le plus souvent construite en laboratoire. Elle se conten-terait de mobiliser un savoir bti par dautres pour mettre en uvre des solutions dans une situation particulire. Cet assujet-tissement de la Psychologie du Travail et des Organisations une psychologie fondamentale ne peut tre accept. Comme lcrivait Leplat (1980, p. 198), il existe une psychologie du travail fondamentale oriente vers llaboration de connais-sances. Cette PTO peut sappuyer sur les mmes cadres thori-ques et les mmes mthodologies que la psychologie sociale ou exprimentale fondamentale. Sil est vrai que la PTO tire parti du dveloppement de ces recherches fondamentales, il nen reste pas moins que la spcificit de son objet constitue un obstacle leur transposition directe aux situations de travail. Les caractres originaux de ces situations (contraintes tempo-relles, structures organisationnelles, facteurs environnemen-

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    taux) appelleront un enrichissement de la thorie et des modes dapproche. A titre dillustration, on peut citer les recherches de Kouabenan (1999) sur lexplication nave des accidents dans le contexte organisationnel. Cet auteur part certes des thories classiques de psychologie sociale sur les explications. Mais il met ensuite en vidence le poids des dter-minants organisationnels et donc des spcificits de la situation de travail. De plus, ce qui correspond lorientation fonda-mentale de la PTO, il ne manque pas dutiliser ses rsultats pour dvelopper des applications.

    Aprs avoir affirm que loriginalit de la PTO tient son dvelop-pement sur deux sphres (recherche et application) qui gagnent tre articules, on abordera les mthodes du domaine.

    1.2. LES METHODES EN PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET DE LORGANISATION Les mthodes ne sont jamais sparables du domaine dtude ni des objets particuliers auxquels on sintresse dans ce domaine. La PTO tant la fois une discipline de recherche et une discipline dintervention, on pourrait prsenter les principales mthodes de cette discipline selon la finalit de ltude ou encore selon les objets sur lesquels elles portent. Ce serait procder une sorte dontologie qui masquerait probablement le fait que le plus souvent on a recours, pour un mme objet, plusieurs mthodes compl-mentaires. Ce serait aussi dune certaine faon nier le caractre profondment interactionniste de la situation de travail qui fait se cotoyer des personnes qui ont des histoires, des vies extra-profes-sionnelles, des personnalits diffrentes avec des contextes de travail macro et micro-conomiques et des dispositifs sociotech-niques varis, des objectifs et des finalits court et long termes diffrents. Il convient par consquent de considrer la classification que nous proposons comme tant justifie seulement par la struc-ture de lexpos. Mais il faut bien dans une prsentation gnrale des mthodes de la psychologie du travail et des organisations choisir un fil conducteur. Cest pourquoi nous envisagerons suc-cessivement les mthodes pour ltude centre sur le travailleur, personne singulire ou membre dun collectif de travail, celles utilises pour apprhender le travail, son produit et ses consquen-ces, enfin les mthodes utiles pour analyser le cadre de travail et lorganisation de travail. Nous ne ferons pas de distinction formelle entre mthodes de recherche et mthodes dintervention ; lensem-ble des mthodes tant susceptibles dtre mobilises pour lune et lautre pratique. En revanche, nous traiterons dune mthodologie gnrale de lintervention, comme il existe une mthodologie gnrale de la recherche.

    Des mthodes utilises autant pour la recherche que pour lintervention

  • Introduction gnrale

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    1.2.1. Mthodes centres sur la personne

    Si on considre quune situation de travail met en jeu essentiel-lement trois lments1 qui sont la tche, lagent et le contexte de ralisation de la tche par cet agent, on peut sintresser plus particulirement lagent. Ce dernier peut tre considr la fois comme systme de traitement de la tche (Leplat, 1997) et comme personne ayant des aspirations et des objectifs qui ont leurs propres finalits et qui peuvent tre parfois en dphasage avec les contraintes et les finalits du travail. Sil sagit de raliser une tche ou une srie de tches, il convient alors de connatre avec quels moyens, par quelles procdures, en combien de temps et quels cots cet objectif peut tre atteint. Dans ce cas, les mthodologies qui doivent tre mises en uvre sont celles qui permettent de connatre les comptences de lopra-teur, ncessaires pour raliser la tche mais aussi celles qui identi-fient les dterminants cognitifs de ralisation de la tche. Les comptences quil faut ici identifier sont les comptences effectives, ncessaires et mises en jeu pour la ralisation des tches. Les comptences attendues, dfinies par le responsable ou le concepteur de la tche, renvoient plutt au processus de slec-tion et dengagement des personnels. Lvy-Leboyer a beaucoup uvr mieux cerner la signification des comptences et iden-tifier les mthodes fiables dvaluation. Dans un court article paru en 2001, elle distingue trois grands types de mthodes, des plus simples au plus sophistiques, portant aussi bien sur les compten-ces attendues que sur les comptences situes. On trouve dabord, les mthodes fondes sur la rputation, cest--dire sur lexprience et le pass professionnel de la personne qui peut faire tat de rfrences vrifiables. Aises utiliser, elles sont malheureu-sement peu fiables car faible validit prdictive et empreintes de subjectivit. Dans un autre registre mais aussi plus fiables, il faut citer les mthodes dites analogiques qui consistent apprcier le savoir-faire dun professionnel au travers dune sorte de simula-tion qui met en situation une activit pour laquelle on veut valuer les comptences de la personne. Ces simulations peuvent prendre diverses formes, allant du jeu de rles lexercice in-basket qui sapparente la rsolution dune srie de problmes contenus dans un panier courrier . Enfin, plus labores, sont les mthodes utilises dans les centres de bilan de comptences alliant entretiens approfondis, analyse biographique et diffrentes mthodes du type de celles voques ci-dessus mais aussi dautres mthodes relevant dune approche diffrentielle portant sur les traits de personnalit mais aussi des mthodes centres sur limage de soi (Lvy-Leboyer, 1993). Mais finalement, la difficult dvaluation vient plus du caractre volutif des comptences et de limprcision des dfinitions que lon peut en donner que des procdures dvalua-tion proprement dites.

    1 Dautres auteurs rajoutent de faon justifie dautres lments comme lactivit mais par souci de clart, nous nous en tiendrons ce triptyque : agent, tche, contexte.

    La personne comme agent de traitement de la tche

    Evaluation des comptences

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    Dans un autre registre de donnes, la PTO, qui partage avec lergonomie le souci dobjectiver certaines valuations, importe dans ses approches des techniques de mesure objectives destines soit quantifier une des dimensions des conduites au travail comme, par exemple, des indicateurs endocriniens de stress et danxit, soit connatre prcisment ce qui est peru et appr-hend de la situation de travail. A cet gard, ltude des fixations oculaires, laide dappareils comme le NAC Eye Mark Recorder, permet non seulement de connatre avec exactitude quels sont les lments de la situation qui sont fixs visuellement mais aussi dapprhender les stratgies dexploration oculaire, illustrant ainsi une autre facette de lactivit : celle relative au recueil de linfor-mation, premire tape dun traitement cognitif (Pottier & Neboit, 1995). Ces techniques sont dailleurs fort utiles ds lors que lon veut reconstituer, voire simuler les comportements au travail ou dans des situations particulires (Laya, 1995). Des mthodes complmentaires comme lobservation, lentretien dexplicitation, associes ou non des mesures plus objectives (mesures de temps de raction par exemple ou encore dtermination de la quantit dinformations traiter) permettent dapprocher au plus prs les dterminants cognitifs de laction, autorisant alors reconstruire par simulation les comportements pour mieux les comprendre. On peut ainsi, comme le suggre Rogalski (1995), cite par Leplat (1997), identifier les connaissances oprationnelles (ou nactives), les processus qui permettent de construire des reprsentations de la situation et des procdures mettre en uvre et ce qui relve des mdiations instrumentales ou humaines. Dans cette perspective, lexprimentation et la modlisation sont des mthodes dont luti-lit est indniable. Si lon considre maintenant la personne comme singularit humai-ne et non plus seulement comme un agent excutant une activit, on ne peut ignorer ce qui fait sa spcificit et sa singularit. On est alors amen prendre en compte et valuer ce qui relve de ses aptitudes, de ses intrts professionnels, de sa personnalit. Ind-pendamment des comptences exercer un mtier particulier ou occuper une fonction donne au sein dune organisation de travail, on peut galement se poser la question de savoir ce qui finalement attire une personne pour tel ou tel mtier, pour telle ou telle activit. Dans une perspective dorientation, on traite alors de la question des intrts professionnels. De nombreux travaux ont t raliss sur ce thme parmi lesquels le modle hexagonal de Holland fait autorit (Huteau, 2001). Ce modle retient 6 dimen-sions de personnalit qui sont : raliste (R), intellectuel (I), artis-tique (A), Social (S), entrepreneurial (E) et conventionnel (C). A partir dun inventaire dintrts, on peut alors dresser le profil de la personne. Cette mthode portant sur les intrts professionnels se traduit par la prise en compte des traits de personnalit, en sus dune typologie des environnements de travail. Les dimensions de personnalit ont donn lieu de nombreux travaux destins non seulement les dfinir mais aussi les dtecter. Le psychologue du travail, tant dans son travail dintervention que dans une perspec-tive de recherche dispose actuellement dune batterie trs fournie de tests et dinventaires de personnalit. A titre dexemple, citons

    Les tmoins de lactivit ou de ltat de loprateur et la reconstruction de lactivit

    Evaluation des aptitudes, des intrts et de la personnalit

  • Introduction gnrale

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    le 16PF5, le No-Pi, le D5D, etc. Chacun deux finalement appr-hende les mmes dimensions et se distingue les uns des autres par le nombre de facteurs de personnalit envisag. Un modle semble aujourdhui retenir lattention des chercheurs et des professionnels, bien quil ne fasse pas lunanimit ; celui des big-five . On trouvera dans les travaux de Bernaud (1998, 2000) une prsenta-tion critique de ces inventaires de personnalit, de mme que dans les chapitres 4 (Aubret et Blanchard) et 5 (Steiner et Touz). La dtermination des traits de personnalit est complte le plus souvent par des questionnaires biographiques. La dimension socio-affective du travail se manifeste chez le travailleur par son niveau de motivation, dimplication et de satis-faction au travail (cf chapitre 14 de Lemoine et chapitre 4 de Aubret & Blanchard). Pour en apprcier limportance mais aussi les composants, il est courant dutiliser les questionnaires et les inventaires standardiss dont la construction sappuie sur des con-ceptions thoriques varies comme la pyramide des besoins de Maslow ou la thorie ERG dAlderfer (E pour besoins existentiels ; R pour besoin relationnels ; G pour besoins de dveloppement). Les techniques multifactorielles viennent tayer ces modles. Comme nous lavons dj prcis, lanalyse du travail, et plus prcisment lanalyse de lactivit, visant comprendre le pour-quoi et le comment de lactivit, permet den identifier les facteurs ou dterminants. Parmi ces derniers, certains dentre eux relvent plus de la vie hors travail que de la vie au travail, en ce sens o ils trouvent leurs racines plutt dans les sphres dactivit familiale et de vie personnelle et sociale que dans la sphre professionnelle. Dans cette perspective dveloppe par Curie et Hajjar (1987), Curie (et al. 1990), Marqui et Curie (1993), Curie (2000 (cf chapitre 13 de Baubion-Broye, Dupuis et Hajjar), on considre que les diffrents domaines de vie constituent un systme dans lequel il existe des transactions entre domaines conduisant trouver et maintenir un certain quilibre sous le contrle dun modle de vie, constitue des valeurs, des reprsentations et des aspirations de la personne. On quitte donc le strict contexte de travail pour intgrer lanalyse de lactivit ce qui relve dautres contextes. Pour saisir ce systme des activits, les auteurs ont conu un instrument : lin-ventaire du systme des activits (ISA) se prsentant sous forme dun jeu de fiches dont la slection, llimination ou encore le classement, permet de saisir limportance absolue et relative des activits des diffrents domaines mais aussi leurs changes entre domaines. On a l une mthodologie originale la fois par sa conception mais aussi et surtout par lobjet quelle permet dappr-hender et qui est le plus souvent ignor dans lexamen des dter-minants de lactivit de travail, recentrant dune certaine manire, comme le fait Clot, lanalyse de lactivit sur le sujet agissant.

    Implication, motivation, satisfaction au travail

    Les liens entre vie de travail et vie hors travail

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    1.2.2. Mthodes centres sur le travail et lactivit

    Lanalyse de lactivit peut tre centre sur la tche ou centre sur lagent (Leplat, 1997). Lorsquelle est centre sur la tche, cest larticulation entre tche et activit telle quelle est dveloppe par lagent qui est la cible de lanalyse. Lanalyse de lactivit relle (cf chapitre 2), qui se donne comme objectif de saisir lactivit relle dploye pour raliser une tche, suppose dune part de bien identifier les segments dactivit quil est pertinent dapprhender et dautre part de mettre en uvre les moyens daccder cette activit mais aussi ses dterminants. Pour rpondre aux questions pourquoi ; quoi et comment (Leplat, 1997), le psychologue du travail dispose dun ventail de mthodes centres autour de lob-servation, directe ou diffre, arme ou non, normalise ou ouverte (Leplat & Cuny ; 1977, Sprandio, 1980) et autour des verbali-sations. Le recours lanalyse des traces de lactivit, quil sagisse des notes informelles rdiges par loprateur in situ ou en diffr, ou encore des productions formelles (rapports, planning, etc) permet de complter les observations. Parmi les mthodes utilises, celles qui ont la verbalisation comme support ou comme objet sont essentielles. La verbalisation, en tant que production provoque dnoncs verbaux et/ou crits nest pas une mthode spcifique de la psycho-logie du travail. Elle peut, comme cest le cas en psychologie cognitive lorsque lon veut comprendre des comportements com-plexes ou pratiquer une modlisation dun savoir-faire, permettre daccder aux procdures et processus cognitifs qui sous-tendent ces comportements. Elle peut aussi servir identifier les raisons dagir, les buts recherchs et les motivations qui guident laction. Dune manire gnrale, la verbalisation permet davoir accs ce qui nest pas directement observable. Cest le cas en psychologie du travail. Mais on doit ajouter que la verbalisation, dans ce domaine, permet galement daider reconstituer, et par cons-quent mieux comprendre certaines activits de travail pour lesquelles lobservation directe, quelle soit arme ou non, ne suffit pas. Le plus souvent, la verbalisation est utilise en psychologie du travail comme un appoint dautres mthodes qui ne suffisent pas elles seules apprhender la totalit de ce que le psychologue veut analyser. Toutefois, elle peut constituer elle seule lossature dune mthode part entire, comme lauto-confrontation croise. Une premire faon dutiliser la verbalisation est de le faire de faon concomitante lactivit que lon veut analyser. Il sagit alors dune sorte de commentaire chaud prcisant la fois ce qui est fait et parfois pourquoi et dans quel but cela est fait. Cette mthode prsente cependant quelques limites. Dune part, toute activit nest pas totalement verbalisable ; certains gestes com-plexes, certaines procdures parce quelles ne sont pas squen-ables en units constitutives, certaines actions parce quelles sont automatises, se prtent mal la verbalisation. Dautre part, comme le rappelle Caverni (1988), la verbalisation concomitante lactivit peut modifier celle-ci, en particulier de faon ngative

    Lanalyse de lactivit

    Lanalyse de la verbalisation au travail et lanalyse de lactivit par la verbalisation

  • Introduction gnrale

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    (par augmentation des erreurs ou par allongement des temps dex-cution) si les procdures mobilises par la personne pour raliser une tche ont t codes verbalement. Une autre faon dutiliser la verbalisation comme moyen daccder la description des activits est de le faire a posteriori. Cest le cas dans lentretien dexplicitation. Vermersch (1990, 1994) dfinit lentretien dexplicitation comme une faon de conserver, travers la verbalisation, le lien entre action et cognition. Il tente daccder aux observables verbalisables produits par laction. Cette mthode consiste faire rfrence une tche effective et spcifie et de demander loprateur dvoquer cette situation et de dcrire les actions lies cette tche. On sassure que le sujet est bien en tat dvocation par la prsence de quelques critres comportementaux comme la direction du regard qui se porte ailleurs que sur son interlocuteur, le ralentissement du dbit de parole, la prsence, dans le discours, dlments descriptifs et sensoriels plus nom-breux que les termes gnraux et abstraits. Linterlocuteur a pour tche essentielle, par un questionnement adapt centr sur la recherche des informations non conscientes ou automatises et par des relances sur la description prcise des lments de laction, daider le sujet verbaliser les procdures de lactivit. Cette mthode repose essentiellement sur la capacit du sujet voquer, ractualiser ce qui a t fait et comment cela a t fait. Par ailleurs, elle cre une situation dsquilibre o lun des acteurs sait et lautre cherche savoir, o lun est expert et lautre naf. Lactivit telle que veut la saisir et la comprendre Vermersch dans lentretien dexplicitation est donc une activit toute centre sur le droulement de procdures de travail qui permettent de raliser une tche. Il sagit ici didentifier la nature et lordre de mise en uvre des procds, des savoirs et des savoir-faire mis en uvre relle-ment et concrtement pour raliser une tche donne. Cest donc plus laspect droulement de lactivit qui est ici central que les buts et la formation de laction comme le prconise Clot. Pour analyser le dveloppement des activits de travail et leurs empchements, Clot construit un cadre mthodologique quil dnomme clinique de lactivit et qui se propose de saisir com-ment une activit contrarie non seulement maintient mais aussi dveloppe la fonction psychologique du travail. Cest donc bien ici la subjectivit mme du travail que lon veut apprhender. Une des caractristiques de cette clinique du travail est, comme toute approche clinique, quelle soit mdicale ou psychologique, quelle redonne du sens ce que font et pensent les travailleurs. Mais loin de prendre ce qui est dit et ralis comme fait stabilis et invariant, il nous invite revenir une analyse de lactivit qui permet de rduire le caractre parfois univoque des jugements ports par les oprateurs ou les agents. On est donc en prsence dun processus de co-construction que les mthodes dauto-confrontation croise viennent tayer. Cette auto-confrontation croise est de fait une activit dirige en ce sens o la description que peut faire un travailleur de son activit quil visionne partir dun enregistrement vido est destine au chercheur, au psycholo-gue ou lergonome. Il sagit donc dune activit dirige de verba-

    Lentretien dexplicitation

    Lauto-confrontation croise

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    lisation, de commentaire qui donne un accs diffrent au rel de lactivit du sujet . Elle est r-adresse dans chaque cas (Clot, 1999, page 142) en direction dune personne particulire qui na pas le mme statut quune autre. Etant dirige, cette activit de description et dexplicitation est ncessairement une co-construc-tion, une co-analyse de lactivit de travail. Dun point de vue pratique, elle se dcompose en trois phases. La premire tape de lanalyse a posteriori de lactivit consiste dterminer quelles situations, parmi lensemble de celles qui constituent le contenu du travail, doivent tre analyses. Il sagit, comme le prcise Clot (op.cit. Page 144), de procder une conception partage avec un collectif de professionnels du domaine de travail tudi. La seconde phase, qui met en face face professionnels et chercheur dans un dialogue portant sur une situation donne, consiste mettre en uvre une auto-confrontation simple (un professionnel, un chercheur et des documents vido) et une auto-confrontation croise (deux ou plusieurs professionnels, un chercheur et des documents vido). Enfin, la dernire tape consiste revenir auprs de lensemble des oprateurs concerns pour susciter, dans un cycle dialogique, des interactions entre ce que les travailleurs font, ce quils disent de ce quils font, ce quils font de ce quils disent faire . A la diffrence de lentretien dexplicitation de Vermersch (1994), lauto-confrontation croise, ne prsuppose pas de la connaissance que peut avoir le chercheur de la situation quil analyse et de son impact sur le commentaire que fait le travailleur sur son activit. Cette connaissance peut en effet orienter, voire tronquer la descrip-tion que le professionnel fait car il prsuppose que certaines des-criptions sont inutiles puisquelles sont dj connues de son inter-locuteur. Lauto-confrontation croise permet dviter cet cueil par la prsence dun non spcialiste ayant un rle de naf. Une autre mthode, diffrente de lauto-confrontation, en ce sens o elle est plus facile mettre en uvre est la mthode dauto-confrontation en formation, dite aussi mthode des instructions au sosie. Elle reprend une mthode mise au point dans le groupe Fiat, Elle consiste, propos dune situation de travail donne, imagi-ner pour un travailleur volontaire quil doit donner des instructions un sosie sens le remplacer le lendemain son poste de travail sans que personne ne puisse percevoir la substitution de personnes. Elle implique donc bien une centration sur les faons de faire en allant le plus loin possible dans le dtail. Elle est complte par Clot par un commentaire crit portant sur le dialogue entre le travailleur et son sosie . Cette clinique de lactivit est lune des dmarches cliniques portant sur le travail. Elle sapparente aux dmarches cliniques analytiques dveloppes en ergonomie et centres sur un aspect dune situation donne. Dautres approches, plus globales que Leplat (1997) qualifient dholistiques abordent la totalit dun cas et cherche identifier ce quil partage avec une classe de situations analogues. Lanalyse de lactivit par la mthode de la verbalisation nous amne naturellement envisager les mthodes portant sur lanalyse des communications et des verbalisations en situation de travail.

    lanalyse du travail est prcde sur le terrain par ceux qui y vivent. Il y rencontre des sujets qui ont dj d comprendre et interprter leur milieu de travail pour lui donner et parfois lui conserver un sens cote que cote (Clot, 1999)

    Lauto-confrontation en formation

    Lanalyse des communications

  • Introduction gnrale

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    Parmi ces mthodes, nous retiendrons lune dentre elles en parti-culier parce quelle porte sur un aspect de plus en plus prsent dans les situations de travail du fait mme que le travail est soit de plus en plus collectif, soit met en scne deux ou plusieurs personnes comme cest le cas dans les relations de service (relation agent - usager, relation agent - client, relation expert - novice). Cette mthode a t dveloppe dans le cadre de llaboration de la thorie de la logique interlocutoire (Trognon 1995 ; Trognon & Kostulski, 1996 ; Kostulski, 1998, Trognon, 1999) qui sinscrit dans le cadre plus vaste de la thorie des actes du langage. Cette mthode permet entre autres choses de faire ressortir lorganisation hirarchique de la transaction stablissant entre deux personnes en identifiant les units, leurs fonctions et les liens de rcursivit qui la composent. On peut ainsi, avec cette mthode, saisir par exem-ple le rle des transmissions crites et orales dans lorganisation du travail dun collectif dagents, comme cest le cas dans la relve entre quipe montante et quipe descendante en travail par quipes. On ne peut conclure sur le domaine de lanalyse du travail et de lactivit sans voquer les consquences positives mais aussi nga-tives que ce travail et cette activit peuvent avoir pour lorga-nisation de travail et pour le travailleur. Travailler, cest produire des biens, des services, qui ont non seulement une valeur marchan-de et conomique mais aussi une signification profonde pour la personne. Ainsi, comme nous lavons rappel ci-dessus, les ques-tions de motivation, de satisfaction et dimplication au travail doivent tre traites avec les mthodes ad hoc. Dployer une activi-t peut aussi avoir un cot pour la personne et par consquent pour lorganisation de travail. Ce cot peut prendre diverses formes : fatigue, accident stress et burn-out pour la personne (cf le chapitre 10 de Lancry sur la sant au travail), cot de labsentisme, des erreurs, des incidents et des accidents pour la structure de travail. Des mthodologies adaptes ces objets ont t mises au point et prennent la forme de questionnaires et dinventaires pour ce qui relve de la personne et de techniques danalyse des erreurs, des accidents et incidents et de la fiabilit pour ce qui relve la fois de la personne et de lorganisation de travail (Kouabenan, 1999, 2000 ; Masson, 1989, 1990 ; Reason, 1993).

    1.2.3. Mthodes centres sur le cadre et lorganisation de travail Analyser les conduites au travail ne peut tre envisag sans que soient pris en compte un moment ou un autre, un niveau ou un autre, les facteurs et les lments qui dfinissent le cadre et lorga-nisation de travail. En allant des contextes macroscopiques ceux qui renvoient aux relations interpersonnelles au sein dune struc-ture de travail. Il est donc ncessaire de pouvoir disposer des outils et des mthodes pour identifier et analyser limpact de ces facteurs sur lagent oprant. Sagissant des contextes macroscopiques, qui relvent le plus souvent des domaines de lconomie et de la gestion dentreprise, il est ncessaire de pouvoir dterminer grce lanalyse de documents les cadres juridiques, les domaines dacti-

    Analyse des effets de lactivit de travail pour le travailleur et pour lorganisation

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    vit conomique, les spcificits de lentreprise, les modes de management. En ce qui relve de la structure immdiate de travail, cest--dire lentreprise, le service ou la socit, un certain nombre de paramtres doivent tre identifies et prciss. Comme le souli-gne Louche (2000), il convient de prciser le niveau de spcia-lisation des postes de travail, la standardisation des procdures avec son degr de formalisation, la taille et le regroupement des units de travail, les procdures de prise de dcision et de planifi-cation et contrle de lactivit de travail, les modalits de contrle hirarchique. Sagissant de lanalyse de poste, elle consiste dterminer les caractristiques des emplois, les qualifications et les comptences requises pour lemploi. Linventaire des composantes de poste de Banks (1988, cit par Guillevic, 1991) est lune des mthodes les plus connues. Elle permet didentifier plusieurs centaines de carac-tristiques des postes relevant de lutilisation doutils et dquipe-ments, des contraintes perceptives et physiques, des connaissances scientifiques, de la gestion des communications et de lorganisation du travail et des prises de dcision.. Bien que ne relevant pas seulement de la PTO mais aussi de lergonomie, lanalyse des conditions de travail apporte au psycho-logue des lments dexplicitation de certaines conduites au travail. Il est alors intressant de pouvoir les recenser avec des mthodes adquates qui ne sont pas spcifiques lune ou lautre des disci-plines (observation, analyse documentaire, mesures physiques et anthropomtriques, entretiens et enqutes, analyse des communi-cations et des verbalisations). Quil sagissent des conditions phy-siques (mesure des ambiances physiques, de la charge de travail), humaines (assistance technique, encadrement, hirarchie, collectifs de travail), socio-techniques (matriels et outils disponibles ; procdures mettre en uvre ; normes respecter) et organisa-tionnelles (travail en quipes, horaires, dure et cadences de travail, pauses et congs, type de management), elles mritent souvent dtre prises en compte dans lanalyse du travail.

    1.2.4. Interventions et pratiques professionnelles et recherche Quest-ce qui justifie de distinguer entre intervention et pratiques professionnelles dune part et recherche dautre part ? Nous ne distinguerons pas ici lintervention externe de lintervention interne car hormis la distanciation entre intervenant et structure de travail plus grande dans le premier cas que dans le second, il nous semble que les deux situations partagent largement une communaut dobjectifs et de mthodes. Il est vident que recherche et intervention sur le travail, ayant en commun un mme objet, ne peuvent se concevoir quimmerges dans les situations de travail (Lemoine, 2000). Ce qui nest pas sans poser de problme au chercheur, soucieux de garantir sa neutralit, de se prmunir contre toutes les variables non contrles mais aussi de ne pas interfrer avec lobjet mme quil souhaite

    Analyse de poste

    Analyse des conditions de travail

  • Introduction gnrale

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    tudier. Mais dun certain point de vue, objet et contexte tant les mmes, il faut chercher ailleurs ce qui pourrait diffrencier les deux approches. Peut-on dire que ce sont les mthodes et les donnes quanalysent lintervention et la recherche qui les dmarquent lune de lautre ? En rapportant une tude portant sur les pratiques de lintervention ergonomique qui sapparente fortement lintervention psycho-logique (mme si les champs des deux disciplines ne sont pas superposables), Lamonde (2000) montre bien que les mthodes et donnes restent largement partages. En effet au cours de linter-vention, on procde au recueil et lenregistrement des donnes relatives aux actions et aux conduites, lenvironnement de travail, aux communications et on relve les traces de lactivit (relevs papier-crayon), On effectue ensuite, le cas chant, des auto-confrontations et on enregistre toutes les verbalisations : simul-tanes ou aprs relance, interruptives ou non. Enfin, on reconstitue, voire on modlise lactivit pour en valider la reconstruction, afin de pouvoir dterminer les lments sur lesquels agir. Ces diffren-tes mthodes et donnes ne varient gure selon quil sagit dune intervention ou dune recherche. Les finalits en revanche ne sont pas les mmes : dun ct, on cherche poser un diagnostic et le cas chant reprer ce qui peut tre amnag, chang, voire abandonn dans la situation de travail ; de lautre ct, on cherche mettre lpreuve des faits une conception thorique (dmarche dductive) ou encore on cherche les lments dune classe de situations qui permettront de btir, ou encore modifier et enrichir une cadre thorique (dmarche induc-tive). Une autre source de diffrence tient au rapport au temps. Les dlais temporels diffrent : lintervention se caractrise par des dlais plus courts car le contexte socio-conomique pse de tout son poids sur lorganisation et par consquent sur les acteurs. En revanche, la pression temporelle est moins aigu pour le chercheur. Mais finalement, hormis les objectifs et les dlais dexcution, on peut dune certaine faon conclure que les logiques des deux dmarches sont proches lune de lautre : chacune dmarre par une phase de questionnement, suivie dune phase de recueil de donnes dbouchant sur lanalyse et se terminant par une phase conclusive.

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    Encadr 1.a. Les diffrentes phases dune recherche et dune intervention portant sur le travail

    Type de dmarche Phase 1

    Questionnement

    Phase 2

    Recueil de donnes

    Phase 3

    Analyse des donnes

    Phase 4

    Conclusion

    Recherche

    A propos dune thorie ou dun modle ou encore propos de faits.

    Validation de la problmatique

    Recherche des donnes adquates avec des outils appropris

    Mise en forme, analyse et interprtation des donnes

    Test de conformit des donnes recueillies avec les prdictions thoriques

    Retour la thorie

    Intervention

    A propos de la pertinence des facteurs humains, technologiques, matriels ou organisationnels dune situation de travail.

    Validation de la demande dintervention

    Collecte des donnes ; multiplication des points de vue. Positionnement de la problmatique dans le contexte de lorganisation de travail

    Mise en perspective des diffrentes catgories de donnes. Identification des lments sur lesquels faire porter les propositions damnagement

    Proposition damnagement ou de modification de la situation de travail. Mise en perspective de ces propositions avec lorganisation de travail et ses acteurs

    Relativement la faon de mener une recherche ou une interven-tion, les mmes prcautions et les mmes dmarches en direction des responsables de la structure de travail et des personnes impli-ques par le projet se retrouvent dans les deux cas. On ne peut envisager de mener une recherche, de mme quon ne peut engager une intervention, sans avoir consult responsables et acteurs con-cerns, du fait mme que les deux activits se droulent en situa-tion relle de travail et quelles engagent dune certaine faon les personnes et lorganisation de travail. Comme le signale Guillevic (1991), lintervention externe consiste mettre en place une rgulation des perturbations ou des dysfonc-tionnements de la situation de travail. Les perturbations peuvent prendre plusieurs formes relatives au systme de travail ou encore loprateur se traduisant par exemple par des processus de blo-cage, dinhibition, de carence, de conflit ou encore de surcharge. Lintervention va donc consister agir soit sur le systme : elle est alors plus ergonomique que psychologique, soit sur loprateur ; elle est alors essentiellement psychologique. Toutefois, le type dintervention ne dpend pas seulement de la nature des dysfonc-tionnements et de ses causes. Des considrations dordre socio-conomiques peuvent intervenir pour linflchir, voire la bloquer. Le dialogue avec les donneurs dordre est alors indispensable.

    1.3. LES ORIENTATIONS EN PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET DE LORGANISATION Tenter de dcrire lensemble des approches en PTO relve dun vrai dfi, tant lon est immdiatement frapp par la complexit de la discipline et labsence dunification des contributions thoriques

  • Introduction gnrale

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    sur les tudes des conduites de lhomme au travail. Cette difficult tient trois explications simples : - La psychologie du travail et des organisations est multi-

    paradigmatique . Les cadres thories de la PTO ne sont en rien uniques. Ils sont diffrents et insparables, ou encore consub-stantiels. Ainsi, la PTO se rfrera la psychologie cognitive, la psychologie sociale, la psychanalyse, lergonomie, la psychologie diffrentielle, la psychologie clinique et patho-logique sans avoir de paradigme dominant clairement iden-tifiable. Cette absence dunicit dun modle dapproche de la ralit sociale, en mme temps quelle obscurcit la visibilit acadmique de la discipline, montre toute sa richesse et sa capacit sappuyer sur plusieurs paradigmes et en dvelop-per de nouveaux.

    - La psychologie du travail et des organisations est multi-mthodologique . Alors que certaines sous-disciplines de la psychologie se sont dveloppes partir dune mthodologie (comme par exemple la psychologie clinique ou la psychologie exprimentale) ; la PTO na pas de spcificit mthodologique, si ce nest de se centrer sur lanalyse des situations relles de travail. Mais pour ce faire, elle utilisera la fois des mthodes quantitatives (questionnaires), talonnes (tests), qualitatives (entretiens), participatives (observation), exprimentales (cons-truction de protocoles exprimentaux), ou toutes autres mtho-des qui lui permettra de produire, analyser et interprter des donnes sur lhomme au travail.

    - La psychologie du travail et des organisations est multi-pratique . Si certaines sous-disciplines de la psychologie appliquent leurs thories sur des populations ou des domaines circonscrits (comme la psychologie de lducation, ou la psy-chologie grontologique), la PTO na pas de telles restrictions ; elle analyse et intervient sur tous les domaines de lactivit humaine. Les gestes professionnels des psychologues du travail abordent autant la question du travail (cotation des postes, amnagement), de la personne (recrutement, valuation, orien-tation), des groupes (leadership, ngociation, conflit), de lor-ganisation (structure, flexibilit), des processus (implication, apprentissage, formation), de la socit (mondialisation, ch-mage, insertion). Dans ces domaines varies, les pratiques dintervention le sont tout autant. On trouvera des dmarches dintervention centres sur lamnagement et la correction de situation de travail, sur le dveloppement de la personne, sur des techniques danimation, sur des mthodes dvaluation des hommes, sur des techniques daudit socio-organisationnel, etc. Pour tous ces problmes poss, lintervention du psychologue tiendra toujours compte de trois principes fondamentaux : (1) le respect de la dontologie de la profession, (2) la construction dune intervention qui soit adapte au problme du terrain, et (3) la validation de lefficacit de son geste professionnel. Ce sont, de notre point de vue, ces principes essentiels et inali-nables qui expliquent la diffrence entre les psychologues du travail et des organisations et certains consultants aux pratiques sotriques, aux recettes managriales vites prtes, aux notions

    Une pluralit pistmologique

    Des mthodologies adaptes au travail et ses volutions.

    De nombreuses pratiques dintervention

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    et dmonstrations mal ou pas tayes bien que parfois percu-tantes !

    Dans cet enchevtrement de cadres thoriques, mthodologiques et pratiques, les luttes pour la suprmatie dune approche sur une autre font bien videmment dbat dans la communaut scientifique de la PTO. Mais, pour linstant et sans doute pour toujours, aucun paradigme ne parvient simposer et unifier la PTO. Nous disions sans doute pour toujours , car nous pensons que la PTO est multi-paradigmatique, multi-mthodologique et multi-pratique, non par un effet dvolution ou de crise interne de la discipline, mais par essence. Cest dans la structure mme de cette discipline et dans lobjet quelle tudie, en loccurrence le travail, que lon trouve lessence mme de lclatement apparent de la PTO. Finale-ment, si la PTO na pas dunit forte, cela tient peut-tre au fait que le travail na pas dunit lui non plus. Comment se donner un objet dtude si volatile, changeant, multiple en bref polymorphe et pouvoir prtendre trouver une cohrence unique en PTO ? La richesse de la psychologie du travail et des organisations est dans sa pluralit structurelle. Une consquence des caractristiques multidimensionnelles de la PTO est sans doute que son dveloppement nest ni volutionniste (volution linaire du pass vers lavenir), ni oscillatoire (volution irrgulire autour dune linarit), mais mutante (volution contin-gente dlments externes sources de bonds qualitatifs). Autrement dit, le dveloppement de la PTO ne se fait pas seulement de ma-nire continue et progressive, ou par dpassement de contradictions internes des faits scientifiques que cette discipline produit, mais aussi et surtout en relation avec les mutations du monde social et conomique, quelle analyse et quelle contribue amliorer. Cest principalement la thse que nous dfendons dans cet ouvrage : le dveloppement de la PTO est contingent des mutations du travail, qui accompagnent des volutions thoriques de cette discipline.

    1.4. LE TRAVAIL EN MUTATION ET LA DYNAMIQUE DU DEVELOPPEMENT

    DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL ET DES ORGANISATIONS Les profondes mutations technologiques, sociales et conomiques de notre socit inaugurent de nouveaux modes de rapports sociaux. Avec ce dbut de nouveau millnaire, la socit indus-trielle mise en place au 19me sicle subit une crise sans prcdent. Rappelons que la rvolution industrielle avait permis le dvelop-pement de la grosse industrie, du capitalisme, de lexode rural, de laugmentation dmographique, du salariat, de limmigration euro-penne vers les Amriques, de la socit de consommation de masse, des banques, de lurbanisation des grandes villes, des qui-pements routiers, maritimes et ferroviaires, etc. Cette srie de

    De la rvolution industrielle la rvolution informationnelle.

  • Introduction gnrale

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    progrs a notamment t rendue possible par le dveloppement de lorganisation taylorienne, qui sest gnralise quasiment tous les secteurs dactivit au cours du 20me sicle. Cette forme dorga-nisation du travail a entran le dveloppement de la socit de consommation de masse et a favoris la transformation de la socit du fermage en celle du salariat. A cette occasion, les travailleurs ont recompos progressivement leurs tours de main acquis par la culture de la terre et le compagnonnage, en des savoir-faire minimaux, dqualifis et parcelliss. Cette mutation industrielle ne fut pas sans encombre, et 1848 fut lanne dune rvolution qui se propaget en six semaines toute lEurope, ainsi quen Amrique du Sud (Labrousse, 1948). Quel rapport entre le 19me sicle, et plus particulirement 1848, et aujourdhui ? Peut-tre aucun ! Mais tentons tout de mme quelques rapprochements. La mcanisation progressive du monde rural gnra au 19me sicle de nombreux indigents. Sans travail, sans allocation chmage, dambulant dans les villes, la merci des maladies et intempries, ils ne deviendront pas rvolutionnaires par conviction mais par ncessit. Et la rvolution de 1848, entrana une prise de cons-cience politique qui aboutira a redonner du travail aux personnes. Le travail ainsi gnr fut principalement cr dans deux secteurs d'activit. Il s'agissait de dvelopper les grands travaux d'quipe-ment comme les canaux, le chemin de fer, les routes..., et d'autre part, dinventer un grand projet culturel qui allait tre l'cole obligatoire, rpublicaine et laque. Ainsi le 19me sicle inventa deux manires doccuper les citoyens : les grands travaux dquipement et lcole obligatoire. Un grand projet matriel et un grand projet culturel ! Ces projets ont permis dune part dorganiser la socit industrielle en produi-sant et consommant de lacier, du ciment, des moteurs lexplo-sion et vapeur, et dautre part de former les citoyens afin de leur donner des acquis lmentaires pour fonctionner dans cette socit du salariat. Ces gnrations dindividus vont donc vivre une transformation assez spectaculaire de leur savoirs : apprendre lire, crire, calculer et ainsi tre amens dvelopper des aptitudes nouvelles et contingentes des besoins socio-conomiques. Les apprentissages qui se mettent en place cette poque sont assez rudimentaires par rapport ceux enseigns aujourdhui par nos systmes ducatifs. En fait, ils furent adapts aux systmes produc-tifs de lpoque et au taylorisme qui va rapidement prendre son essor. Aujourdhui, cette socit du salariat est assaillie par une srie de transformations qui fait suite aux volutions des systmes techno-logiques, sociaux et conomiques (Gaudin, 1993). En effet, un nouveau systme technologique se substitue celui du 19me sicle : llectricit remplace les moteurs vapeur et explosion ; les polymres et leurs drivs compltent les matriaux issus de lacier et du ciment ; le rapport au vivant change dchelle passant de la microbiologie du vivant (les travaux initis par Pasteur) aux manipulations gntiques et enfin, le temps saffranchit de la mesure de la seconde qui a permis le chronomtre et lorganisation

    La grosse industrie et lEcole.

    Le systme technologique du 21me est en rupture avec le pass.

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    taylorien pour celle de la nanoseconde qui, au passage, permet les organisations flexibles en juste temps notamment. Il sagit l dun nouveau systme technique qui sinscrit en discon-tinuit la plus totale avec celui mis en place par la rvolution industrielle du 19me sicle. De la mme manire que cette dernire avait permis le passage de la socit du fermage celle du salariat (Castel, 1995), la crise que nous connaissons aujourdhui, loin dtre conjoncturelle, introduit des mutations structurelles dont celle de la gnralisation de la flexibilit. Si l'on constate aujourd'hui que les 19me et 20me sicles ont ralis la transition entre la socit du fermage et celle du salariat, nous avons tendance soutenir, en prolongement de Gaudin (1993), Castells (1996) et Castel (1995) que la priode allant fin du 20me sicle et le dbut du 21me se prsente comme propice l'essor entrepreneurial. En effet, le salariat vit une crise qui s'observe par des transformations profondes du rapport de l'homme au travail et lemploi. Examinons en quelques aspects, notamment l'essor de la flexibilit. Cette flexibilit, prise comme capacit sadapter rapidement aux circonstances, s'exprime la fois au niveau des contrats de travail, au niveau des lieux de travail, au niveau des horaires de travail, au niveau des structures organisationnelles, au niveau des technologies et au niveau de l'individu lui-mme. La crise du salariat nentrane pas directement et immdiatement la fin du contrat de travail dure indtermine, quand bien mme les diffrents statuts dentrepreneurs individuels progressent de ma-nire significative, tout autant que les statuts prcaires (travail intrimaire, contrat dure dtermine, contrat emploi solidarit, temps partiel, chque service, emploi jeune). Dans ce contexte de dmultiplication des formes juridiques des rapports au travail, lindividu peut-il encore faire carrire ? Ou au contraire ne multi-plie-t-il pas les alternances entre des priodes de salari, de consultant libral, de chmeur, dintrimaire ou de travailleur clandestin ? Ces alternances se succdent ou se cumulent, et tou-chent de plus en plus de mtiers, et pas uniquement des profes-sions trs diplmes ! A ce propos, les tudes menes sur les chques emploi service ont montr quen 1995, le revenu mensuel moyen tait de 2000 francs pour 52 heures de travail (Zilberman, 1995). Cette tude a galement montr que ces salaris aspiraient des emplois salaris des plus classiques. En effet, lacquisition de comptences chez des particuliers, comme femme de mnage ou jardinier occasionnel, est envisage comme un moyen daccder une meilleure situation dans un organisme stable avec un emploi stable (maison de retraite, collectivits). Ainsi, de nouvelles formes demploi, caractrises par la flexibilit, se dveloppent. Insistons sur ce fait. Lgalement, lemploy de maison est un sala-ri en contrat dure indtermine. Mais en pratique, il cumule les contrats de travail auprs de plusieurs employeurs et devient une sorte de travailleur indpendant. La flexibilit de ses contrats de travail, de ses employeurs, de ses temps et lieux de travail, la conduit a se comporter comme un mini-entrepreneur. Dailleurs, lorsque des litiges, insatisfactions ou conflits apparaissent dans ce type de relations, elles relvent plus dune relation client-

    La flexibilit se gnralise

    Flexibilit de lemploi et du contrat de travail

  • Introduction gnrale

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    fournisseur, cest--dire dune relation commerciale librale, que dune relation salariale. Ainsi, une forme de rapport individuel, et non plus collectif, sinstaure entre un salari, se comportant parfois comme un mini-entrepreneur, et son ou ses employeurs. Sur le fond, ces nouveaux rapports de lhomme son emploi oprent un glissement de la qualification vers la comptence. La crise taylorienne de la fin du 20me sicle prcipite les organisa-tions dans un nouvel ordre productif jalonn par le juste temps, la qualit, la certification, la normalisation... Les nouvelles exigences productives que sont la responsabilit, limplication, la polyva-lence, la qualit ne reposent plus sur les fiches de postes et leur conception parcellise du travail, mais sur les comptences qui forment maintenant une nouvelle codification largie des ralits du travail, une nouvelle normalisation des conduites profession-nelles. Il sagit l de nouveaux dveloppements organisationnels qui rsultent de la crise du taylorisme et cherchent en pallier les insuffisances. Ils remettent en cause la parcellisation du travail, la monovalence, la spcialisation et propose un enrichissement des tches, une valorisation de limplication au travail et un dveloppe-ment de la mobilit professionnelle et de la motivation (Lemoine, Chapitre 14). Ces changements organisationnels (Savoie, Bareil, Rondeau & Boudrias, chapitre 19), reprsentent un enjeu cono-mique et social considrable au moment historique prcis o le dveloppement technologique rend le taylorisme contre-productif. La communication organisationnelle, les quipes de travail et les activits collectives prennent dans ces organisations une dimension toute nouvelle (Trognon, Dessagne, Hoch, Dammerey & Meyer, chapitre 15) et cruciale pour la survie et le dveloppement de lorganisation. Bien videmment, il en va de mme des styles de management, des rapport dautorit et donc du pouvoir dans les organisations (Rogard, chapitre 16). La flexibilit se retrouve encore un autre niveau : celui des lieux de travail. Lunicit des lieux de travail est de plus en plus remise en cause. Rochefort (1997) sest appuy sur une tude de lIFOP pour souligner qu cette poque un tiers de franais travaillait son domicile raison de 6h30 par semaine. Malgr les difficults de mise en place du tltravail en France, les opinions son gard sont largement favorables. Pour 70% des sonds, le tltravail apporte souplesse et autonomie ; 54% dentre eux pensent que le tltravail va crer des emplois, et enfin, 59% des personnes interroges sont favorables un double mi-temps, chez elles et leur bureau. Ainsi, la flexibilit des lieux de travail se dveloppe, si bien que la frontire entre la vie domestique et la sphre profes-sionnelle tend seffondrer. Les espaces de travail (Fischer, chapi-tre 6) deviennent hybrides. Le rapport de lhomme au temps est galement modifi. En France, des accords originaux dans certaines entreprises, puis le succs de la loi De Robien et enfin lobligation de la rduction du temps de travail de la loi Aubry, engendre un changement structurel dans notre socit : lamnagement du temps de travail (Prunier-Poulmaire & Gadbois ; chapitre 7). Ces lois visent apporter une solution, sans doute trs restreinte, au chmage en amenant les

    Le dveloppement et la flexibilit des organisations du travail

    La flexibilit des espaces de travail

    La flexibilit du temps de travail : amnagement et rduction des horaires

  • Eric Brangier, Alain Lancry & Claude Louche

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    horaires 35 heures par semaine, certains accords portant mme sur 27 heures. Cet amnagement vise introduire de la flexibilit dans le temps de travail et donc de la souplesse dans les horaires et les priodes de travail. Ainsi, la flexibilit du temps de travail, qui nest pas une directive explicite des lois actuelles, est souvent vue comme une contrepartie de la rduction. En somme, le salariat tendait normer le temps de travail autour de contraintes lgales. Au contraire, la flexibilit du temps de travail cherche abolir ces normes, introduire de la variabilit des temps de travail selon les individus, les mtiers, les contrats, les saisons, les clients, etc. Cette crise du salariat se manifeste galement par une recompo-sition de la structure des employeurs. Nagure de grosses industries portaient les emplois par milliers. Il sagissait notamment de la sidrurgie, des charbonnages qui ont par exemple faonne des rgions et des cultures rgionales, comme la Lorraine. Aujour-dhui, le fait le plus marquant du dveloppement des entreprises est la part occupe par les trs petites entreprises. De 1985 1995, les emplois dans les trs petites entreprises (moins de 10 salaris) ont progress de 20,1%, alors que pour les P.M.E la progression ntait que 5,7% et que les grandes entreprises enregistraient sur la mme priode une perte de 29,6% des emplois. Les structures organisa-tionnelles sont ainsi remanies et les thories sont repenser (Livian, chapitre 12). La tendance est clairement affiche : les emplois sont recomposs dans de toutes petites structures qui en France reprsentent quasiment le tiers des emplois. Ces structures ont deux caractristiques essentielles qui retiennent notre attention. Premirement elles permettent lautonomie de lentrepreneur, et une flexibilit de la structure quune plus grande entreprise ne peut que difficilement obtenir. Deuximement, ces petites structures constituent un maillage ; elles sont relies entre elles par une struc-ture en rseau. Autrement dit, leur dveloppement est envisag la fois en interne accroissement des effectifs, de la part de march, etc et en externe travers un rseau de relations avec dautres entreprises afin de couvrir plusieurs champs de comptences. A ce propos, remarquons que ce type dentreprise est, de fait, amen plus dvelopper des qualits relationnelles, des partenariats, ou des associations opportunistes qu rentrer dans des logiques de con-flits ou daffrontement. Par consquent, la notion de conflit au travail volue galement. Jadis cloisonnes aux salaires, la protection des emplois et aux conditions de travail, les revendications portent dsormais sur de nouveaux thmes comme le temps de travail ou la mondialisation. De mme, sous limpulsion de la construction europenne et de la dcentralisation de lEtat, de nouveaux acteurs des ngociations se mettent en place comme lEurope et les Rgions o lon dcide de la cration ou de la suppression demploi. A un niveau plus indi-viduel, ce sont galement les individus eux-mmes, et non plus seulement leurs reprsentants, qui ngocient leur salaire, leur temps de travail, leur fonction et parfois mme lorganisation de leur propre travail. Dans ce contexte, la PTO propose de nouveaux cadrages pour comprendre et agir sur les conflits et ngociations.

    La flexibilit et lessor des petites entreprises

    Des nouveaux thmes de ngociation et de conflit.

  • Introduction gnrale

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    La ralisation de lactivit professionnelle a galement grandement volu (Lancry & Laville, chapitre 2). Lasfargue notait que pour lanne 1987 dans le tertiaire, un poste de travail sur cinq tait quip dun ordinateur, ils taient trois sur cinq en 1990 et la totalit des postes de travail du tertiaire franais serait depuis 1995 dote dun ordinateur. Il sagit l dun changement radical du travail, dune modification sans prcdent de son contenu, et dun passage irrversible. On estime quaujourdhui plus de 70% des salaris ont quotidiennement une interaction avec un clavier et un cran. Ainsi, lordinateur et le robot programmable simposent dans le monde du travail. Ils forment les technologies capables de raliser de nombreuses oprations diversifies. Pouvant traiter des textes, souder larc, calculer des donnes, visualiser des graphi-ques, contrler un processus industriel, etc., le micro-processeur est flexible par essence. En le programmant, lhomme peut lui faire raliser de nombreuses oprations (Brangier & Vallery, chapitre 8). Avec ces changements technologiques, lanalyse de la pnibilit du travail volue aussi. Nagure centre sur les cadences et leffort physique, la pnibilit du travail se recompose autour de leffort cognitif, de la charge mentale. De ceci, il en rsulte que la prven-tion des risques, la rcupration des dysfonctionnements, la gestion des erreurs et les accidents du travail sont revues en fonction de nouvelles donnes thoriques et des transformations dans les conditions de travail (Weill-Fassina, Kouabenan & De la Garza, chapitre 9). Cette volution technologique saccompagne galement dune intensification du travail : le nombre de salaris soumis des dlais courts de travail ne cesse daugmenter (il tait pass de 19% 38% entre 1987 et 1992). Par ailleurs sur ces mmes dates, le nombre de salaris en contact direct avec des clients ou du public est pass de 39% 57%. Cette intensification du travail, qui sobserve aisment sur le plan statistique, est largement appuye par des tudes quali-tatives qui soulignent la souffrance au travail (Lancry & Ponnelle, chapitre 10), laugmentation de la pression hirarchique sur les salaris notamment par un renforcement des contrles sur les rsultats et, plus largement, limportance des dimensions manag-riales de lintensification du travail (Masclet, chapitre 17). Il est