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  • DIEUX EN DIASPORA

    Agau grd grd Agaou gronder, gronder Agaou gronde, gronde Li grd foray Il gronder orage Il (Agaou gronde de l'orage Agau vt, vt Agaou venter venter Agaou, vente, vente, Li vt li vt Il venter, il venter Il (Agaou) vente, vente Agau soti fan Gin Agaou sortir la Guine Agaou vient de la Guine Li vter, li vter il venter, il venter Il (Agaou) vente, il vente.

    Ce chant porte la caractristique fondamentale des chants liturgi-ques hatiens. Il proclame l'attribut du /wa : produire le vent, faire gronder l'orage, bref dchaner la tempte. Le symbolisme est si fort que non seulement Agaou est le /wa-moteur qui dclenche la tempte, mais il est lui-mme la tempte, il est lui-mme l'orage, il est lui-mme le vent. Lorsqu'on considre le caractre presque guerrier de ce /wa, son nom ne peut manquer de venir de celui de Gaou, l'un des deux grands chefs militaires du roi d'Abomey. L'autre s'appelait le possou. Ce nom donc est une rminiscence fon qui a servi dans l'acculturation des vaudou du tonnerre du groupe d' Hbiosso. Il faudrait identifier Agaou le /wa Agom Ton que nous avons dj vu plus haut. Ils ont les mmes attributs. Car, comme Agom Ton, Agaou fait aussi trembler la terre. Et quand la terre tremble, les gens disent qu'Agaou est mcontent. Les transes qu'il provoque sont trs violentes. La mme force anime les possds d'Agom Ton. On dit qu'Agaou peut, par sa brutalit, causer la mort des individus qu'il chevauche. Ses possds cherchent imiter les grondements du tonnerre et les mugissements de la tempte, en soufflant de toute leur force et en crachant comme des phoques. Mais le caractre guerrier de ce /wa Agaou apparat dans ces paroles que celui-ci ne cesse de rpter lorsqu'il vient sur la tte de sa hounsi :

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    S mw, knny b Dy C'est moi, canonier Bon Dieu C'est moi, canonier de Dieu

  • La m' grd Lorsque moi gronder Lorsque je gronde, syl la trbl ciel le trembler Le ciel tremble!

    Structure religieuse

    On retrouve le mme caractre guerrier et autoritaire d'Agom Ton. Agaou, lui aussi, est conscient de son rle, de son pouvoir. On peut aussi remarquer la conscience de dpendance du /wa de Dieu qui est l'tre suprme, et en mme temps aussi la conscience de la plnitude de sa puissance dans le domaine qui lui est attribu. Nous avons dj parl de tout cela. Ces paroles viennent confirmer notre assertion.

    4) Ogou- Badagri

    Le pouvoir sur les phnomnes atmosphriques - foudre, orage, ouragan, tempte - est disput par de nom breux /wa. Il y a encore Ogou-Badagri qui est aussi le matre de la foudre et de l'orage comme le tmoigne ce chant:

    Badagri ! inral sgl Badagri oh! gnral sanglant Badagri oh! gnraL qui aimez le sang, Badagri ki kb loray Badagri qui tenez orage Badagri, qui tenez l'orage U s inral sgl Vous tre gnral sanglant Vous tes le gnral qui aime le sang, zkl f kataoo clair faire kataoo Les clairs font kataoo 74 S u ki voy zkl C'8st vous qui lancer clair C'est vous qui lancer l'clair, Ton grd Tonnerre gronder Le tonnere gronde, S u ki voy tn c'est vous qui lancer tonnerre C'est vous qui lancer le tonnerre Badagri ! inra/ sg/ Badagri oh! gnral sanglant Badagri oh! gnral, qui aimez le sang.

    74. Onomatope qui souligne le grand nombre d'clairs.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    Ce chant met bien en relief le mythe de ce /wa, son caractre militaire, sa fonction dans le corps des /wa.

    Une premire remarque s'impose. Agom Ton, Agaou, Ogou-Badagri se recoupent dans leurs fonctions, sauf que ce dernier ne fasse pas trembler la terre et se cantonne seulement dans les phnomnes atmosphriques. Les trois ont le caractre militaire. On peut se demander s'il ne s'agit pas l de tradition de sources diffrentes, nanmoins relative aux mmes phnomnes atmosph-riques et prsentant des personnages de noms diffrents. Il le semble bien. Si la mmoire du chef militaire des rois d'Abomey survit dans la mythologie hatienne sous le nom d'Agaou, le vaudou des Yoruba survit avec mme son surnom, Ogou-Badagri.

    Une seconde remarque s'impose. C'est que l'Ogoun des Yoruba s'est dmultipli en un certain nombre d'Ogou en Hati appartenant au groupe des /wa du feu, et habitant les airs. Nanmoins ces /wa sont lis l'clair et au tonnerre. La foudre est spcifiquement de leur ressort en tant qu'elle est lie l'ide de guerre, de bataille. Il nous faut revenir sur tout cela dans le paragraphe suivant. Voil pourquoi nous allons parler des /wa du feu avant l'imposant cortge de ceux de la terre. Car les Ogou hatiens sont lis au feu.

    c) Les /wa du feu

    Le feu est dans la culture africaine un lment non seulement sacr, mais encore mystrieux. Il en est de mme dans la tradition hatienne. Mais lorsqu'on parle des /wa du feu, c'est l'aspect destructeur du feu qui a sembl retenir l'attention. Cet aspect destructeur est li la guerre. Ces lwa sont reprsents surtout par deux groupes trs importants :

    1) Les Ogou, dont nous avons commenc parler; 2) Les Marinette, de rite petro.

    Tout d'abord nous poursuivrons notre tude sur les Ogou.

    1) Les Ogou

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    Pierre Verger crit ceci

    Ogun chez les Yoruba, Gu chez les Fon est le dieu des forgerons et de tous ceux qui utilisent le fer : guerriers, chasseurs, cultivateurs, bouchers, pcheurs, coiffeurs, etc.

  • Structure religieuse

    Et depuis quelques dcades Ogun est devenu aussi l'Orisha des chauffeurs et des mcaniciens. Ogun est un, mais on lui donne sept noms car le chiffre sept lui est associ: on le dit complet en sept parties. Il est reprsent par des instruments de fer forg au nombre de sept, quatorze, seize, vingt-et-un ou quarante-et-un enfils sur une tige de fer. Il est aussi reprsent par des franges de feuilles de palmier effiloches appeles mariwo par les Yoruba et azan par les Fon. C'tait le vtement port par Ogun autrefois et la prsence de ces franges, au-dessus d'une porte ou en travers de l'entre d'un chemin, suffisent par leur prsence l'voquer et loigner les mauvaises influences; poses plus prs du sol elles interdisent le passage; aller outre serait s'exposer la colre du dieu. Si d'une part, Ogun ferme les chemins aux forces nfastes extrieu-res, par ailleurs c'est lui qui ouvre le chemin pour toutes les actions entreprendre; il convient de le saluer de suite aprs Echou. Au cours des sacrifices pour les autres Orisha des louanges lui sont exprimes et des offrandes lui sont faites, car sans couteau forg par lui, le sacrifice ne serait pas possible. [ ... ] Voici un certain nombre de lgendes recueillies au sujet d'Ogun. Elles varient sensiblement suivant l'endroit o elles ont t recueillies et semblent influences par les traditions locales. Elles vont du rcit historique l'histoire lgendaire et la lgende dpouille de son contexte historique en passant par la rationalisation de certaines coutumes ou mme de simples contes. A ll If le renseignement suivant m'a t donn par le Oni de If : Ogun tait le fils, premier n, de Odudua et il commandait la place de son pre lorsque celui-ci devint aveugle, Ogun tant mort avant Odudua, celui-ci dclara: Je n'ai plus de fils puissant pour garder l'ensemble de mon royaume; Obalufon n'est pas assez guerrier et il partagea ses terres entre ses divers fils. Plus tard il retrouva la vue et plus tard encore Obalufon lui succda. Ogun devint la divinit du fer et de la guerre, il n'eut jamais de couronne. Ses fils vivent Ire o il y avait sept villages; ces villages sont dtruits maintenant. Le chef de famille est Onire If Ekiti prs de Ado Ekiti. Ogun lakaiye dede igbo est le nom qu'il portait de son vivant.

    A If Ekiti, Onire m'a racont sur Ogun l'histoire suivante, continue P. Verger :

    Ogun est le fils premier n de Odudua, c'est un guerrier redoutable sanguinaire et insatiable; il ramne toujours un butin considrable de ses expditions. Il combat contre la ville d'Ara et capture les gens d'Ara, il conquiert la ville de Ire en tue le roi et y tablit sa place son fils an n Il If qui prend le titre de Onire, il part se battre ailleurs, fait d'autres conqutes et retourne ll If d'o il est venu.

    Longtemps aprs il dcide de revenir Ire o par malheur, le jour o il arrive une crmonie est clbre au cours de laquelle les assistants ne doivent parler sous aucun prtexte, et ne peuvent

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  • DIEUX EN DIASPORA

    s'exprimer que par geste. Ogun a faim et il a soif: il voit des jarres qui ont contenu du vin de palme mais il ignore qu'elles sont vides; personne ne lui parle ni ne rpond ses paroles; il ne reconnat pas les lieux car il n'est pas revenu Ire depuis trs longtemps. Ogun est pris de colre devant le silence gnral qu'il prend pour du mpris; il commence briser coups de sabres les jarres qu'il espre pleines mais o il ne trouve rien; puis, emport par l'action, il se met couper la tte des gens jusqu'au moment o son fils Onire apparat et lui offre les nourritures qu'il aime et o figurent en bonne place chiens et escargots, de l'huile de palme des feuilles appeles tt et force jarres de vin de palme. Pendant qu'il apaise sa faim et sa soif les gens d'If chantent ses louanges. Ogun calm, regrette ses actes de violence et dclare: Quelles que soient la bravoure et la vaillance d'un homme, il lui faut un jour trouver o reposer; j'ai fait preuve jusqu'ici de bien assez de courage . Il abaisse son sabre vers le sol et s'enfonce sous terre; avant d'y disparatre, il prononce quelques mots; mais ceux-ci ne peuvent tre rpts la lgre, car lorsqu'ils sont dits au cours d'une bataille, Ogun apparat, dit-on, aussitt l'aide de celui qui les a prononcs. Il n'y a pas de place au monde o l'on puisse aller sans l'aide de Ogun. [ ... ] Cette autre histoire m'a t conte galement Porto-Novo, dit P. Verger, et semble extraite d'une lgende d'un Odu de lfa : Ogun tait un guerrier envoy pour casser les villes au profit du roi (Odudua). Un jour il va If o il avait t provoqu; il casse tout, ramasse tout, coupe la tte du roi d'Ife. Ilia met dans un sac; il attache tous les prisonniers et les amne chez son seigneur. Mais des gens, des ministres ont entendu parler de la chose: ils courent voir le roi et disent: Ogun veut ta mort, il vient prsenter la tte du roi d'If, or un roi ne doit jamais voir la tte fraichement coupe d'un autre roi. Le roi envoie donc une commission Ogun devant les portes de la ville pour lui prendre la tte du roi d'Ife. Une fois celle-ci entre leurs mains, les dlgus envoient dire au roi (Odudua) qu'il peut recevoir Ogun sans danger. Ogun apparat donc devant le roi qui pour s'en dbarrasser lui dit: Je te confie tous ces prisonniers, retourne Ife et rgne sur eux . C'est ainsi que Ogun est devenu roi de If 75.

    Ce qui sous-tend tous ces rcits, c'est le thme de la guerre. Or, voici comment J.-B. Romain dcrit l'Ogou ou plutt les Ogou hatiens :

    Les esprits du feu forment une famille - celle des Ogu - aussi importante que la famille des Dan. Ils appartiennent la caste des guerriers, des forgerons, des

    75. P. Verger, Notes ... , p. 141 ss.

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  • Structure religieuse

    mtallusgistes, des travailleurs du fer, en gnral. Les plus populaires d'entre eux se nomment Baljo, Fer ou Fra i//e , Badagri. Ogu Baljo les reprsente tous, les ayant tous supplants. Il rgne souverainement dans le dpartement du Nord. Il est l, une sorte de dieu guerrier l'instar du dieu Mars des Romains. Nombre de hros hatiens de l'poque coloniale viennent du Nord. Selon la tradition, ils doivent leur bravoure et leur prestige militaire Ogu Baljo. Leur comportement la bataille de Vertires le prouve. S'ils montrent victorieusement l'assaut de cette citadelle en plongeant leur bras dans la gueule des canons pour en arracher les boulets c'est qu'ils incarnaient, alors, le dieu du fer et du feu. Baljo a pour symbole un sabre plant en terre ou une forge en miniature devant son autel. Sa couleur prfre est le rouge, son oiseau de sacrifice, un coq rouge comme celui des autres Ogu. Mais ce coq porte une crte double ou marque d'un sillon en son milieu. Cette particularit rappelle que Baljo est frre jumeau d'Ogu Frai//e. Deux jours par semaine, le mercredi et le vendredi, son autel doit tre clair, l'huile de palme christi. Autant que possible on allume la mche nageant dans le contenu d'huile d'un bol, en soumant sur une braise ardente. Au cours des crmonies l'adresse de Baljo l'officiant fait sauter, par trois fois, la poudre canon. Puis il chante la chanson suivante qui glorifie le dieu et le considre comme St Jacques le Majeur: Ogu Baljo Ogou Balindjo Wa a di yo mw vny gas vous (fut.) dire leur moi vaillant garon Vous leur direz que je suis un homme vaillant; Mn' mm s zak maze Moi mme saint Jacques Majeur Moi-mme saint Jacques Majeur; Wa a di yo mw vny gas vous (fut.) dire leur moi vaillant garon Vous leur direz que je suis un homme vaillant 76.

    Baljo et les autres dieux hatiens du feu trouvent leurs pendants en Afrique noire avec des attributs identiques. Ces dieux africains s'appellent galement Ogi chez les Yoruba, les Bini, les Dassa et Gu chez les Fon 77.

    Ce texte de J.-B. Romain met bien en relif le caractre guerrier, martial de rOgou hatien. C'est le reliquat de la mythologie yoruba. On comprend que le peuple ait donn ces Iwa le domaine de la foudre, des clairs, de l'orage cause du fracas des batailles. Ce fracas et le tonnerre sont identiques dans la pense populaire. Et puisque la foudre brle, on comprend que du coup on a confi la garde du feu ces mmes Iwa.

    76. Il fait allusion sa qualit guerrire. 77. J.-B. Romain, op. cit., p. 159.

    III

  • DIEUX EN DIASPORA

    Mais ce caractre guerrier, martial, l'Hatien lui a donn la couleur du terroir en raison mme de la guerre de l'Indpendance (1791-1804) et de nombreuses guerres civiles qui ont dchir le pays jusqu'en 1915. Voici comment A. Mtraux dpeint l'Ogou hatien:

    On prte Ogou l'aspect et les faons des vieux briscards du temps des baonnettes (guerre civiles). Pour mieux incarner Ogou, les fidles qui sont habits par lui se coiffent d'un kpi la franaise et revtent un dolman rouge. Ceux qui ne possdent pas ces dfroques militaires se ceignent la tte d'un foulard rouge et attachent d'autres foulards de cette mme couleur autour de leurs bras. Les Ogou brandissent un sabre ou un coupe-liane. Ils affectent le langage brusque et nergique du soldat, qu'ils entrecou-pent de gros jurons. Ils mchonnent un cigare et rclament du rhum selon la formule consacre

    grn mw frt testicules moi froids Mes testicules sont froids

    Les membres de cette famille divine sont de grands buveurs que l'alcool n'incommode jamais. C'est ce que nous apprend 'un chant en leur honneur :

    Mt Ogou bw Matre Ogou boire, Matre Ogou boi t, li bw, m li jm su il boire, mais il jamais saoul Il boit, mais il n'est jamais saoul 78

    Ogou ne serait pas un vrai soudard s'il n'avait aussi un faible pour les jupons. Il se ruine pour les jolies femmes :

    Ogou travay 0 ! li pas mz Ogou travailler oh! il pas manger Ogou travaille oh! il ne mange pas. Li sr laz il cacher argent il cache de l'argent Pu li al' domi kay bl fm pour il aller dormir maison belle femme Pour aller dormir chez les belles femmes. y 0 swa Ogu dom; s sup hier au soir Ogou dormir sans souper hier au soir Ogou a dormi sans souper

    78. La traduction des deux chants a t remanie.

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  • Ogu travay 0 Ogou travailler oh! Ogou travaille oh!! Ogu pa m~ Ogou pas manger Ogou ne mange pas Li aS"t b/ rob pu fm li Il acheter belle robe pour femme lui Il achte de belle~ robes pour sa femme. Y 0 swa Ogu Idomi s sup Hier au soir Ogou dormir sans souper Hier au soir Ogou a dormi sans souper 79

    Structure religieuse

    A. Mtraux a donc saisi un Ogou tout fait accultur. C'est le vieux militaire hatien tel que le 1ge s. l'a connu aprs l'Indpen-dance. C'est aussi le militaire avec un langage un peu paillard. On pourrait dire que c'est l'un des cts pittoresques de la vie des casernes. Mais l'on peut retrouver dans le pays d'origine des lments qui ont peut-tre prsid la cration de cette partie du mythe hatien. P. Verger rapporte cette histoire qui lui a t raconte If par Onire :

    Autrefois Ogun tait trs batailleur. Il tait le premier n de Odudua. S'tant battu du ct de Oyo, il ramena la mre de Oraniyan de la bataille. La femme tait attrayante, lorsqu'il la vit il eut des relations avec elle. Lorsque Ogun arriva auprs de son pre Odudua, celui-ci trouva aussi la femme attrayante. Odudua dit Ogun qu'il esprait qu'il n'avait pas eu de relation avec elle. Odudua prit la mre de Oraniyan comme femme. Odudua tait de teint clair. Ogun tait quelqu'un de trs noir. Neuf mois aprs la femme accoucha d'un enfant dont une partie tait noire et l'autre partie tait claire. Odudua, pre de Ogun appela Ogun et dit : Lorsque je t,ai demand si tu avais eu des relations avec cette femme sur le chemin ce jour tu tais d'accord . Ogun n'a pas pu rpondre 80.

    Il ne faudrait donc pas que l'on croie que les liens entre Ogun et les femmes ont commenc avec la mythologie hatienne. Il y a l'arrire-plan de celle-ci la pense yoruba tout comme va encore le confirmer cet autre mythe recueilli par P. Verger Ktou :

    A Ktou on dit que: O/orun a mis Ogun au monde avec sa femme O/ure et leur a dit de descendre sur terre. O/ure ne veut pas que Ogun vienne avec elle. Ogun reste au ciel. Elle se met en route et trouve qu'un trs grand

    79. A. Mtraux, op. cit., p. 96. 80. P. Verger, Notes ... , p. 143.

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    arbre est tomb en travers du chemin. Elle revient trouver O/orun et lui demande que Ogun vienne couper l'arbre. Ogun coupe l'arbre et ouvre le chemin. O/ure est assise les jambres cartes et un morceau de bois saute accidentellement et entre dans son vagin. Ogun retourne vers O/orun et O/ure va vers la terre, mais le morceau de bois la fait souffrir, elle ne peut plus continuer, elle retourne vers O/orun pour que Ogun la dbarrasse de ce bois. Ogun lui demande si elle l'pousera, elle accepte. S'il avait t plus patient ce seraient les filles qui demanderaient les garons en mariage. Ogun enlve le morceau de bois et une cicatrice est reste. C'est l'origine de l'excision. O/ure devient sa femme et O/orun leur dit de descendre tous deux sur la terre. Aprs cela, les femmes disent que les hommes ne sont rien dans la ville. C'est la femme qui marche devant le mari. Tous les hommes sont Ogun. Toutes les femmes sont O/ure. Ils vont Ekiti Ado. Ogun a des relations avec O/ure mais comme le sperme ne sort pas assez vite Ogun coupe le bout de son pnis; c'est l'origine de la circoncision 81.

    Ds le pays yoruba donc, Ogun est ml des problmes des relations sexuelles. En Hati, cette sdimentation mythique a survcu, mais rinterprte selon les circonstances historiques particulires au milieu.

    Il en est de mme pour l'affinit de l'Ogou hatien avec le rhum, le tafia... Cette affinit est dj en germe dans le mythe nago ou yorubSl. L'histoire raconte P. Verger et que nous avons mentionne plus haut, concernant les jarres de vin de palme, est trs explicite l-dessus. A cette histoire il faudrait encore ajouter celle-ci qu'a recueillie encore P. Verger Porto-Novo :

    A Porto-Novo, crit-il, la raison pour laquelle les jarres vides de vin de palme sont tournes ouverture vers le bas est donne par l'histoire suivante qui drive de la prcdente (c'est--dire celle que nous avons mentionne ci-dessus) : Ogun voyage, le soleil est ardent, il est midi, il a grand soif. Il passe devant un apatam (abri couvert de chaume) o on vend du vin de palme. Il demande boire, les jarres sont toutes vides, il n'y a plus de vin de palme. Mcontent il part, les vendeurs se mettent rire. Ogun fch revient et demande De quoi riez-vous donc? Il tire son pe et les blesse puis il regarde et voit que les jarres sont bien vides et jusqu'aujourd'hui les vendeurs de vin de palme retournent les jarres vides, ouverture vers le sol, afin d'viter toute mprise et difficult avec Ogun s'il venait passer 82.

    81. Ibid., p. 144. 82. Ibid., p. 142.

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  • Structure religieuse

    Il Y a donc une tradition qui lie Ogun la boisson. C'est sans doute celle-ci que se rattache la mythologie hatienne sur ce point. C'est dire qu'il faut manier avec une certaine prcaution les concepts de transformation, de changement appliqus aux mythes des Iwa hatiens lorsqu'on compare ceux-l aux mythes africains des pays d'origine. Parfois il faut se demander finalement quel rcit s'accroche et se rattache, mme par un fil trs tnu, la version hatienne. Par exemple, cette parole de R. Bastide ne pourrait pas s'appliquer au mythe d'Ogou :

    Troisime changement crit-il: la mythologie des Fon a entirement disparu 83 et sa place s'est cre sur place une nouvelle mythologie, qui consiste identifier l'histoire du Iwa avec le comportement de ses fidles; ce sont donc les biographies des chevaux des dieux, leurs aventures miraculeuses, qui remElacent les mythes ancestraux, perdus par la mmoire collective 4.

    Personnellement nous croyons qu'il faut parler de rinterprtation en ce qui concerne ce point prcis, phnomne trs comprhensible cause de la pression ethnique des Fon en Hati, des circonstances historiques et des situations sociales propres ce milieu. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il y a eu complte disparition des lments primitifs.

    Mais en fait, il y a malgr tout une transformation radicale et que souligne justement R. Bastide.

    Il reste de l'Afrique, crit-il, l'ide que ces Iwa forment des familles (fanml) mais ce ne sont pas les familles traditionnelles de la mythologie fon, telles qu'on peut les retrouver bien conserves au Maranno; ce sont des groupements de divinits de mme nom, distingus seulement par un qualificatif; par exemple, la famille des Ogou comprend le pre, Papa Ogou, Ogou Badagri, qui est gnral, Ogou Ferraille, qui est le protecteur des soldats, Ogou Ashad, qui connat les plantes mdicinales (rattach la famille probablement parce qu'il soigne les blessures de guerre), Olisha, magicien, Ogou Balindjo (gurisseur et gnral), Ossange (l'Ossaim des Yoruba), etc. Donc, premiere changement par rapport l'Afrique 8S.

    Enfin, ces Ogou, habitant les airs et maniant l'orage, le tonnerre et la foudre, lis aussi au feu parce que celui-ci est lui-mme le symbole de la destruction de la guerre dont les Ogou sont les

    83. C'est nous qui soulignons. 84. R. Bastide, op. cit., p. 145. 85. Ibid., p. 145.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    matres, ces Ogou, disons-nous, sont finalement bien hatiens. Il reste des rminiscences, coup sr, des mythes africains, - c'est d'ailleurs ce qui rattache ces /wa la terre d'origine - mais malgr tout, ceux-ci sont le produit du terroir cause mme de la projection du social hatien dans la superstructure religieuse.

    Qu'en est-il des Marinette dont le feu est aussi le domaine?

    2) Les Marinette

    Cette fois, nous avons affaire un type de /wa trangers la Cte des Esclaves. Ils relvent de la tradition congo, appartiennent au rite petro, sont considrs comme cration hatienne. A. Mtraux dit de ces /wa :

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    Marinette bois-chche, l'un des /wa les plus redouts de la classe des petro, nous est particulirement bien connue grce une excellente monographie que Mme Odette Mennesson-Rigaud et M. Lorimer Denis lui ont consacre. C'est une diablesse voue au mal et l'excutrice des basses uvres de Kita, lui-mme un grand /wa sorcier. La chouette est l'animal symbolique de Marinette ou, si l'on veut, elle est une chouette, car ceux qu'elle possde s'efforcent de ressembler cet oiseau. Ils font bec terre (baissent la tte), laissent pendre leurs bras comme des ailes et recourbent leurs doigts en griffes. Marinette est surtout rvre par les loups-garous qui lui font des services propitiatoires lorsqu'ils ont besoin de son aide. Elle vagabonde dans les bois et c'est l que ses serviteurs viennent dposer leurs offrandes dans des endroits secrets. Elle s'y rend la faveur de la nuit, afin de ne pas devoir partager sa nourriture avec quelque autre /wa, car elle passe pour une divinit chiche . Le culte de Marinette-bois-chche n'est pas rpandu dans tout Hati. Au moment de mon sjour, il gagnait les dpartements du Sud. Les crmonies en son honneur sont clbres en pleine campagne sous une tente leve prs d'un poteau-dmembr (poteau sacr). On allume un grand feu dans lequel on jette du sel et de l'essence. Le houngan provoque des possessions parmi l'assistance en frappant les gens qui l'entourent avec un foulard rouge. Par la bouche de ses chevaux Marinette avoue ses crimes et se vante du nombre de gens qu'elle a mangs . Houngan et possds se jettent dans le feu et le pitinent jusqu' ce qu'ils l'aient teint. On lui sacrifie des poules - plumes vivantes - des chvres et des truies de couleur noire. Personne ne touche ces offrandes que l'on 'doit enterrer. Marinette-bois-chche est la matresse de Petro-j-rouge, mais elle est aussi la femme de Ti-Jean-pied-fin, prince Zandor, Ti-Jean-Zandor ; c'est un petit homme habill de rouge, qui sautille sur une jambe et se perche volontiers sur le sommet des palmistes d'o il surveille les routes et s'lance sur les passants, qu'il dvore. Il m'a suffi d'observer les jeux de physionomie et les gestes que Jean

  • Structure religieuse

    Zandor habitait pour que me soit rvle sa nature violente et rageuse. La possde, les yeux dilats et fixes, commena par marcher reculons, les bras dans le dos. Quand les tambours s'arrtrent, elle tomba genoux prs de la fosse contenant les restes du sacrifice et se mit jeter furieusement les bras d'un ct et de l'autre, comme en proie un immense chagrin. Puis, croisant les bras sur la poitrine, elle les mordit belles dents. Quand on eut fait clater prs d'elle de petites charges de poudre, elle tendit ses bras vers la fume et, plongeant sa tte dans la fosse, la secoua avec une nergie froce. Bakoulou-baka, qui' trane des chanes derrire lui, est un Iwa si terrible qu'on n'ose l'invoquer. Lui-mme ne possde personne. On lui porte ses offrandes dans les bois dont il fait sa demeure &6.

    Cet exemple du Iwa Marinette montre combien dans le vaudou hatien il est difficile de parler d'une tradition et d'une tradition dahomenne. Les deux groupes de Iwa du feu - Ogou et Marinette - n'ont pas de rapport avec une cration fon. Car les Fon eux-mmes ont reu leur Gu des Nago. Nous-mmes nous n'avons pas rencontr trace de tradition de ces Iwa hatiens Allada. Heureuse-ment les Iwa Marinette ne sont pas rangs sous le nom de Rada mais celui de petro. Ces Iwa Marinette constituent un exemple peut-tre d'une interprtation de la magie bantou en terme de religion par les Fon d'Hati. Mais l nous sommes l'inverse du phnomne tel qu'il est expliqu par R. Bastide : Nous pouvons penser qu'au fond le Vaudou Petro a consist rinterprter la religion dahomenne dominante en termes de magie bantoue 87. Nous avons dj cit ce texte. Il faut manier le fait religieux hatien avec infiniment de prcaution. Tout le rituel des marinette avec tout son cortge de symboles: chouette, culte de loups-garous, repas rituel dans la nuit et au fond des bois, poules plumes vivantes, sacrifice de truies (surtout !), de chvres et de poules de couleur noire, le crime mme de la sorcellerie (

  • DIEUX EN DIASPORA

    Ces lwa du feu forment un double cortge de tradition mythique trs diffrente. Nanmoins les Hatiens n'ont pas fait que les placer dans leur propre systme des esprits. Les figures de ces lwa ont t modifies, ciseles selon les exigences propres de la socit hatienne et eu gard aux impratifs de l'histoire et du milieu naturel. C'est ce double facteur qui a concouru produire ces lwa qui nous tonnent par leur originalit lorsqu'on se rfre leurs homonymes africains.

    En est-il de mme pour les lwa de la terre?

    d) Les lwa de la terre

    C'est trs justement que G. Parrinder a crit :

    Les esprits de la terre occupent une place de premier plan dans la vie religieuse de l'Afrique occidentale. Les dispensateurs de fcondit, pour la famille et pour les rcoltes, sont honors comme l'taient ailleurs Demeter, la terre-mre et les desses similaires de l'ancienne Europe et de l'Orient 88.

    Il existe une prise de conscience de la terre comme source de vie. Ainsi, continue G. Parrinder,

    Chez les Ibo, le terre est la grande desse-mre, l'esprit de fcondit, la plus proche et la plus chre de toutes les divinits. Certaines de ses statues se trouvent dans les temples des Ibo Mbari ... ; elle a un enfant dans ses bras ou sur ses genoux, un halo autour de la tte, et souvent le croissant lunaire est dessin soit au-dessus d'elle, soit ct; telles, ces statues rappellent quelques madones d'Italie, et plus encore Ast ou Isis avec son enfant, Horus. Les attitudes des deux desses sont trs similaires. Souvent aussi, comme pour les desses crtoises, des serpents sont reprsents la suite de la grande mre ibo (Talbot) [ ... ] Dans les trois principaux groupes que nous tudions, le dveloppe-ment des cultes chtoniens n'est nullement uniforme. Il s'agit parfois d'une divinit fminine; ailleurs elle est masculine; et l, des apports successifs l'ont obscurcie. En gnral, le dieu de la terre ou de la rgion persiste, au milieu de pratiques cultuelles importes ultrieurement, et il prend place parmi les divinits suprieures. La divinit de la terre est le second grand esprit que rvrent les Ashanti; ils l'appellent Asas Ya ou Abrwa (vieille mre - Asas Efua en dialecte fanti) ; Ya est un terme trs rpandu pour dsigner une vieille femme, et c'est aussi le nom propre des femmes nes un jeudi, jour mis part au service de la terre-mre. Beaucoup considrent cette desse comme tant l'pouse du dieu du ciel; cependant aucun temple ne lui est lev, aucun autre objet, consacr; et son pouvoir n'en reste pas moins universellement reconnu (Rattray, Ashanti, p. 214 s.)

    88. G. Parrinder, La religion en Afrique occidentale, p. 60.

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  • Structure religieuse

    Dans le chapitre prcdent, nous avons parl d'Odudua, la desse-terre, cratrice, des Yoruba, la partenaire de l'Obatala c~leste, connue des G sous le nom d'Odua. ( ... ) Odudua est la patronne de l'amour, en tant que desse de la fcondit. L'un de ses principaux temples se trouve Ado, prs de la frontire entre le Nigria et le Dahomey. L'Ewe vnre la terre sous les noms d'Ayi et de Li. Ce dernier est souvent rapproch de D, dieu serpent populaire ... La moindre bourgade possde un sanctuaire du dieu chtonien, ayi-z. Il y a un clan fils de la terre (ayinn-vz) qui adorent un certain arbre, l'iroko ... Dans la plupart des villes et des villages existe un chef ou propritaire de la terre (bal, ayi-nn). Il est le reprsentant des occupants primitifs du soL. Une autre divinit chtonienne des Yoruba est Orishaoko, le dieu de la ferme, Orishaoko, par contraction, qu'on appelle aussi Ajo-oko, le serpent de la ferme. C'est un dieu de la fcondit; on l'adore particulirement lors de la rcolte des ignames ... Actuellement, le culte d'Odudua est moins rpandu et prdomine moins que celui de Shkpona ou Sakpata, gnralement connu comme dieu de la petite vrole. Au Dahomey, ses fidles sont plus nombreux que ceux de tous les autres dieux. Ce culte a le plus souvent embarrass et mme gar les chercheurs qui tudiaient la religion nigrian ne et w ; ils inclinaient n'y voir que du mal. Le premier, semble-t-il, Le Hriss aura dcouvert que Sakpata tait un dieu chtonien: Il est le ftiche du sol (l'Ancien royaume du Dahomey, p. 128). Ce rsultat fut renforc par les tudes de Herskovits. Rcemment, on a surtout insist sur la sanction dont ce dieu dispose au moyen de la petite vrole, et ceci recouvre plus ou moins son caractre de divinit de la terre. Les Fon donnent Sakpata la place d'honneur; il est pour eux le premier dans le panthon terrestre (ayi-vod). Certain mythe installe Sakpata dans la moiti infrieure de la calebasse, celle d'en haut revenant l'ancien dieu Sogbo, ou Dada Sgbo. Un petit-fils du roi Gll, Abomey, me donna spontanment cette information: Ayi est Sakpata. On appelait Sakpata roi de la terre; telle est l'une des raisons auxquelles se rfre le bannissement temporaire dont le frapprent certains rois dahomens, car deux rois ne peuvent rgner dans la mme cit ... L'un des quatre jours composant eux seuls l'ancienne semaine dahomenne (mioxi) est consacr Sakpata. Ce jour-l on ne laboure pas; de l vient que c'est devenu le jour de march, ou le jeudi quand prvalut la semaine de sept jours ... 89

    Il existe donc sur la Cte des Esclaves une vritable tradition concernant le culte de la terre comme telle. Celle-ci est mythise en un esprit tutlaire. C'est ce qui ressort de cette analyse de

    89. Ibid., p. 60 ss.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    G. Parrinder. Nous-mmes, nous avons constat la mme chose durant notre enqute au Dahomey. Sakpata, c'est la terre , nous a-t-on souvent dit.

    En Hati, on a perdu cette tradition. La terre n'est pas considre en elle-mme comme Iwa comme elle est vaudou chez les Fon ou chez les autres ethnies du Golfe de la Guine. Sur ce point prcis, il y a rupture. Car Hati n'a aucun Iwa proprement chtonien. Et quand nous parlons des Iwa de la terre, nous n'entendons pas pour autant que la terre est divinise en tant que telle, mais que ces esprits y habitent ou exercent leur pouvoir en des lieux qui s'y rapportent. Et pourquoi la perte de cette tradition? Il semble bien que les Hatiens, presss par l'esclavage, la misre physique, psychologique et morale plus que par le souci de se reproduire, furent ports regarder vers le ciel et implorer les esprits d'en-haut et Papa Bon Dieu lui-mme plus qu' regarder en bas vers la source de la vie. Le panthon hatien est n d'un besoin urgent d'un salut-dlivrance. Ses Iwa sont des sauveurs. Car c'est toujours le mme cri qu'on adresse tous les Iwa :

    sov /avi mw sauver vie moi Sauvez ma vie.

    Ou encore:

    ba mw /avi donner moi vie Donnez-moi la vie.

    La vie est prise comme une donne. Tout le souci de l'homme est de la conserver et l'arracher des griffes de tout ce qui la menacent. A ce sujet les chants vaudou hatiens sont trs suggestifs. Ceux-ci sont tisss de complainte et de supplication, tel ce refrain Danbala :

    Papa Dbala, Papa Danbala, Sl pu proti mw c'est pour protger moi Vous devez me protger.

    Aussi c'est en vue de cette protection que l'Hatien a organis son panthon de la terre. Et voici les principaux reprsentants de celui-ci:

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  • Structure religieuse

    1) Legba 2) Loko 3) Azan 4) Agassou 5) A vrkt ou V lkt

    Ils correspondent gnralement des vaudou connus dans le Bas-Dahomey. Qu'en est-il de leurs mythes dans les deux mondes dahomens et hatiens?

    1) Legba

    Ce /wa est originaire du pays yoruba et s'appelle Eschou ou E/egbara. De l, il a migr chez les Fon et s'appelle Legba. C'est ce dernier nom qu'il porte en Hati. P. Verger a fait la synthse suivante de la tradition africaine relative cet orisha ou vaudou:

    Eschou E/egba est le messager des autres orisha; il est aussi le gardien des temples, des personnes, des maisons et des villes. D'un caractre irascible il est la colre des Orisha et des hommes; il aime susciter les dissentions et les querelles et provoquer les accidents et les calamits publiques et prives. Il obtient ces rsultats en crant avec astuce des malentendus. Voici quelques lgendes ce sujet : L'une, trs connue, dont il existe de nombreuses variantes, raconte la faon dont il brouilla deux amis qui travaillaient dans des champs voisins. Il mit un bonnet rouge d'un ct et blanc de l'autre et passa sur un sentier qui sparait les deux champs. Au bout de quelques instants l'un des amis fit allusion l'homme au bonnet blanc, l'autre lui fit remarquer que le bonnet tait rouge, le premier insista, maintint son affirmation, le second sa rectification. Comme ils taient tous deux de bonne foi ils s'enttaient dans leur point de vue, le soutenaient avec chaleur, puis avec colre. Ils en vinrent aux mains et s'entreturent. Une autre lgende montre Eschou plus machiavlique. Il alla trouver une reine dlaisse depuis un certain temps par son poux et lui dit : Apporte-moi quelques poils de la barbe du roi, et coupe-les avec le couteau que voici; j'en ferai une amulette qui lui rendra son empressement de jadis auprs de toi. Le roi va partir en guerre, lui dit-il, et te prie d'aller ce soir au palais accompagn de tes guerriers.

    Il alla enfin parler au roi : La reine ulcre de ta froideur son gard veut te tuer pour se venger; fais donc attention ce soir. Vient la nuit, le roi se couche, fait semblant de dormir et voit bientt sa femme lui approcher un couteau de la gorge; elle voulait couper un peu de sa barbe, il croit qu'elle veut l'assassiner. Le roi la

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  • DIEUX EN DIASPORA

    dsarme et ils se disputent grand bruit. Le prince qui arrivait au palais avec ses guerriers, entend des cris chez le roi; il Y court. Voyant le roi un couteau la main, le fils pense qu'il veut tuer sa mre; le roi voyant entrer, en pleine nuit chez lui, son fils arm suivi de ses partisans croit qu'ils en veulent sa vie. Il crie l'aide; ses gens accourent et il s'ensuit une mle et un massacre gnral.

    Une historiette plus simple montre l'activit d'Eschou dans la vie de tous les jours; une femme est au march vendant sa marchandise; il met le feu sa maison, elle s'y prcipite, en abandonnant ses affaires sur la place. Elle arrive trop tard, la maison est brle, pendant ce temps un voleur enlve ses marchandises. Tout cela ne serait pas arriv: les amis ne se seraient pas disputs, le roi et le prince entremassacrs et la marchande ne se trouverait pas ruine s'ils avaient fait Eschou les offrandes et sacrifices d'usage. C'est lui, en tout premier, que doivent tre faites louanges et offrandes avant toute crmonie ... Lorsque Eschou Elegba se manifeste chez les Yoruba et les Nago d'Afrique, il porte la main un gourdin ou des pendentifs ... Ce gourdin (ogo) aurait la vertu, prcieuse pour un messager, de le transporter en quelques heures des centaines de kilomtres et d'attirer aussi rapidement, par un pouvoir magntique, les objets placs la mme distance. Il joue un rle important dans la divination, car c'est de lui, suivant certaines lgendes, qu'Ifa a reu ce don. En Nigria, dans la rgion d'Ijbu, on le dit mis au monde Il If par Oloja (propritaire du march). Il aurait t le premier roi de Ktou (Alaktou) et serait l'anctre du premier roi des Egba. Au Dahomey, on dit qu'il fut un homme qui devint vaudoun Ijelou au pays d'Ayo, quelques jours de marche de Il If (c'est--dire Nigeria). C'est de l que son culte se serait rpandu au Dahomey. Chez les Fon il s'appelle Legba et joue le mme rle qu'Eschou Elegba des Yoruba. Il y prend cependant un caractre plus phallique; les buttes de terre qui le reprsentent sont toujours agrmentes de volumineuses verges de bois. Ceci ne fait de lui, comme certains voyageurs l'ont affirm, ni le dieu de la fcondit, ni celui de la copulation; c'est la marque de son caractre truculent, violent et sans vergogne et de son dsir de choquer les bonnes murs. Les statues des Legba de Zangbeto sontjlarticulirement portes l'exhibitionisme et aux bats rotiques .

    Ce caractre rotique du Legba Fon est trs marqu surtout pendant le rythme et la danse propres Legba que celui-ci seul danse. C'est l'imitation de l'acte sexuel tandis que le vaudou tient son grand phallus en bois appuy son ventre et point vers les

    90. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. ),82 ss.

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  • Structure religieuse

    spectateurs. Et chaque mouvement de dhanchement, ceux-ci applaudissent et rient dans un vacarme indescriptible. Ce rythme est battu par trois fois. Legba, en ce sens, m'a paru symboliser l'exhubrance de la vie dont regorge le monde invisible des vaudou.

    Pendant les danses, Legba, ici au Dahomey, joue aussi son rle de trouble-ete. Bien qu'il faille toujours jouer son rythme par trois fois au dbut de la crmonie, souvent il intervient pendant la danse, va s'asseoir sur l'un ou l'autre tambour, empche tel ou tel vaudou de danser. Il fait tout pour briser le bon ordre. Legba est celui qui sme la zizanie. C'est le pre de la chicane.

    Cependant le Legba fon n'est pas que cela. Il est aussi gardien. C'est lui qui garde les portails des maisons. On l'appelle Agbonu-hossou (roi du portail) ou encore Legba Honnoukon (Legba devant la porte). Il garde le march: il s'appelle alors axi Legba (Legba du march). Il garde l'entre des villages: c'est le To Legba (Legba du village). Chaque portail de houmfo (temple de vaudou) est dfendu par un Legba appel Houn Legba (Legba du vaudou).

    Tels sont les principaux caractres du Legba africain tel que ceux qui sont partis pour Hati ont d le laisser ici.

    Le Legba hatien a pour rle principal de garder la barrire par laquelle on pntre au domicile des /wa et par laquelle ceux-ci passent pour venir dans le monde des hommes. C'est pourquoi il est syncrtis avec saint Pierre. Car il dtient la cl de la communication avec le monde des esprits . La tradition africaine continue en Hati de telle sorte que dans toutes les crmonies vaudou on salue Legba avant tous les autres lwa et on chante ceci:

    Papa Legba, /uvr; bay a pu mw, ago y! Papa Legba, ouvrir barrire la pour moi, ago y ! Papa Legba, ouvrez-moi la barrire, ago y! 91 Papa Legba, /uvr; bay a pu mw Papa Legba, ouvrir barrire la pour moi, Papa Legba, ouvrez-moi la barrire, pu mw pas; Pour moi passer; Pour que je passe; Lij m' a tun Lorsque moi (fut.) revenir, Lorsque je reviendrai,

    91. Cf. glossaire, p. 202.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    m a di /wa yo meSl moi (fut.) dire Iwa les merci Je dirai merci aux lwa. Papa Legba, /uvri bay pu mw Papa Legba, ouvrir barrire pour moi, Papa Legba, ouvrez-moi la barrire, o /uvri bay a pu mw Oh! ouvrir barrire la pour moi, Oh! ouvrez-moi la barrire, pu mwpas; Pour moi passer; Pour que je passe; La m' a tun Lorsque moi (fut.) revenir, Lorsque je reviendrai, m a di /wa yo msi moi (fut.) dire lwa les merci Je dirai merci aux lwa.

    Ce chant dans la bouche du suppliant demande que Legba mette celui-ci en communication avec les /wa. Personne ne peut aller ceux-ci sans la permission de Legba. Nous sommes en plein dans la tradition yoruba et fon concernant le mme vaudou. En Hati, aucun /wa ne peut se manifester sans l'autorisation de Legba. Quiconque a offusqu celui-ci ne peut plus prier les autres /wa ni obtenir leur protection. Aussi, on prend grand soin de ne pas provoquer sa colre.

    Legba n'est pas seulement le matre de la barrire qui donne accs aux /wa, il est aussi le gardien de toutes les barrires des habitations. On l'invoque en ce sens sous le titre de

    Mt bitasion Matre habitation Matre de l'habitation.

    L'Hatien a donn une certaine extension au mythe africain. Le Legba d'Hati est aussi le gardien de toutes les voies de passage: les routes, les sentiers, les chemins et surtout les carrefours. C'est que dans la croyance hatienne, les croises des chemins sont des endroits hants par les mauvais esprits et propices aux arts magiques. C'est le lieu sacr de prdilection des sorciers. C'est pourquoi ceux-ci saluent toujours Legba avant de commencer leurs crmonies. Et celui-ci prside ainsi leurs incantations et leurs envotements. Beaucoup de formules magiques commencent gnra-lement par les mots :

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  • Structure religieuse

    Pa puvwa Mt Kalfu Par pouvoir Matre Carrefour Par le pouvoir de Matre Carrefour.

    Nous retrouvons l'habitude hatienne de personnifier le domaine du /wa jusqu' faire du nom de celui-l celui du dernier: Legba ou Matre Carrefour, c'est identique.

    Est-ce parce que Legba est le Matre des chemins qu'on lui donne encore pour correspondant catholique St-Antoine? On l'invoque pour retrouver les objets perdus ou vols. Voil une modification du mythe africain au contact du christianisme occidental.

    Le Legba hatien a gard aussi le caractre phallique fon. Ses possds dansent, exhibant un pnis en bois, et leur danse volontairement lascive choque les gens. Il a donc gard sa truculence particulirement fon. Il a aussi gard son caractre violent. Le Legba hatien se prsente sous l'apparence d'un vieillard infirme, couvert de haillons avec une pipe la bouche et une sacoche en bandoulire. C'est la tenue du paysan hatien. Le /wa, ainsi vtu, avance pniblement, appuy sur une bquille. Celle-ci est son symbole et on la trouve accroche au mur de presque tous les houmfo. Cet aspect pitoyable lui a mrit le surnom de Legba-pied-cass. Mais sous cette apparence, ce /wa dispose d'une force terrible, et celle-ci se rvle par la brutalit des possessions qu'il provoque. Son possd est projet sur le sol o il se dbat frntiquement, ou encore reste inerte comme frapp par la foudre. Ce caractre violent est d'une expression plus marque en Hati qu'en Afrique. Son sans-gne a t aussi retenu en Hati, mais on l'a symbolis d'une faon originale. Dans sa sacoche, il porte banane verte boucane, riz cassave grille, chair de volaille provenant d'un coq plumage bigarr qu'il mange tout en se manifestant. C'est le seul /wa agir de la sorte.

    Ainsi, les traits de caractre du Legba africain se sont conservs mais rinterprts dans leur expression. Chaque fois que je vois danser le Legba fon, je me dis que c'est peut-tre le seul vaudou d'Allada et mme du Dahomey que les frres d'ici reconnatraient facilement en allant chez nous, l-bas en Hati. Et c'est avec raison que A. Mtraux dit au sujet de la rinterprtation hatienne du Legba Comme le remarque fort bien Bastide, dit-il, il y eut

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  • DIEUX EN DIASPORA

    prolongement et intensification - et non diminution d'un trait africain 92.

    2) Loko

    Le loko des Dahomens ou l'Iroko des Yoruba (chlorophora excelsa) est cet arbre gant qui domine tous ceux qui l'environnent et s'impose l'attention de tous. Il est aussi un bois prcieux, dur et rsistant avec lequel on fait les meubles. Par sa taille, son usage recherch, cet arbre symbolise bien l'essence forestire. Nanmoins le loko n'est pas un arbre sacr en lui-mme. Il devient sacr s'il sert de support un vaudou. Il semble bien toutefois qu'il y ait une lgende ou plutt des lgendes qui ont donn naissance aux mythes du vaudou Loko. Nanmoins celui-ci, quoique symbolis par l'arbre, ne se confond pas avec ce dernier, de telle sorte que celui-ci n'est pas finalement sacr en lui-mme quoiqu'il soit l'arbre de prdilection de certains vaudou tels que Dan etc. J'en ai mme vu un qui logeait le vaudou Agassou, dans un quartier d'Allada. La majest du Loko prte bien ce genre d'usage cultuel. L'arbre donc, lui-mme, est souvent infod au culte, mais il est rarement vnr pour lui-mme. Au sujet des lgendes que nous voquions plus haut, voici ce qu'en crit Le Hriss :

    Il y a autant de lgendes du Roco que de Vaudoun dans les noms desquels cet arbre figure : Adanloko, Atanloko, Llko, Lokozoun, etc. En voici deux titre d'exemples:

    Lgende de l'Adanloko : Un roco immense sortit de terre subitement Dou et de ses branches descendirent un homme et une femme. L'homme s'appelait Adan, qui veut dire courageux. Il eut beaucoup d'enfants. Un jour gu'il chassait, il s'enlisa et disparut dans un banc d'argile, to-ou 93. Ses enfants dcidrent alors de ne plus jamais se servir de cette argile; ils abandonnrent leur pays et vinrent se soumettre aux fils d'Agassou Allada. Quand ceux-ci se divisrent, les Adanlokovi Doounou (fils d'Adanloko, gens de Dou) suivirent en masse la branche qui migra vers Abomey. Deuxime lgende. - Les Anonvi Hountonou, dont un des anctres diviniss est Atanloko, racontent que celui-ci se changea en arbre pour empcher son me de se perdre. Il choisit le roco qui atteint un ge trs grand. C'est depuis ce temps-l que les Anonvi offrent des

    92. A. Mtraux, op. cil., p. 320. 93. On lit en note : To-ou est le caolin blanc appel encore Ou-ko (terre

    blanche). On s'en sert pour crpir les maisons, les temples, les tombeaux.

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  • Structure religieuse

    sacrifices aux rocos qui croissent prs de leurs cases, car ils pensent que ces arbres poussent spontanment, pour indiquer la tombe d'un individu dont toute la famille est teinte et qui reste par suite sans aucun culte des morts 94.

    Ces deux lgendes montrent comment des groupes donns peuvent arriver servir le Loko comme arbre sacr. Mais souvent ce culte est li tel Loko bien prcis. Il ne s'agit pas d'un culte gnralis.

    Le culte hatien du vaudou Loko ne semble pas relever de cette tradition que nous venons de mentionner. Car en Hati le /wa Loko est le matre de la fort. C'est lui qui donne aux feuilles leurs proprits curatives et leurs vertus rituelles. C'est le /wa doct fy, c'est--dire le /wa gurisseur. Etant donn l'importance des feuilles dans la thrapeutique hatienne, on comprend sans peine qu'il faut un /wa patron des gurisseurs et qui explique les vertus curatives des plantes. L'Hatien a fait de Loko le gardien des houmfo, sanctuaires des /wa, et on le considre comme un houngan (prtre du vaudou) invisible, exerant son autorit sur tous les houmfo d'Hati. Dans un chant il est dit que ce /wa dtient la cl du houmfo :

    Loko d, ayibobo ! Loko deux, aibobo! o Loko, miroi, o Loko, miroir, k/ houmfo nan m u. clef temple des /wa dans main vous. La clef du temple des /wa est dans vos mains.

    Si different qu'il soit du culte Loko qui existe actuellement au Dahomey, le culte hatien ne relve pas moins d'une certaine tradition dahomenne. C'est un reliquat du culte des arbres tel qu'il a sembl rgner au moins dans le Bas-Dahomey une poque antrieure. Le culte des arbres, crit P. Verger, a partag, au deuxime rang, la clbrit de celui des serpents pour avoir t cit aprs lui pendant longtemps par les premiers voyageurs. Il tait considr comme le deuxime ftiche en importance Ouidah suivant l'opinion de Bosman en 1698 ... L'un des principaux arbres auxquels des dons taient faits est Loko ( ... ). Et l'auteur cite de nombreux tmoignages dont :

    94. A. Le Hriss, op. cil., p. 114.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    Bosman :

    Il y a panni eux trois divinits principales connus par tout le pays; ... la seconde sont des arbres extraordinairement hauts et qui semblent tre le chef-d'uvre de la nature. On se contente de leur faire des offrandes en cas de maladie, et surtout en temps de fivre.

    R. P. Labat:

    Il n'en cote pas tant (voir sacrifices la mer) pour se rendre favorable les arbres qui sont les divinits de la deuxime espce. Ce sont d'ordinaire les malades qui ont recours eux ( ... ). On ne sacrifie aux arbres que des pains de mil, de mas ou de riz; le Marabout les met au pied de l'arbre auquel le malade a dvotion, et les y laisse quelque temps, aprs quoi il les emporte, moins que le malade ne s'accommode avec lui pour les y abandonner jusqu' ce que les chiens, les cochons ou les oiseaux s'en soient empars.

    Guillaume de Smith:

    Leurs divinits du second ordre sont des arbres de haute futaie, pour lesquels ils ont une grande vnration.

    Pruneau de Pommegorge :

    De gros arbres qui sont arbres ftiches: ils sont rvrs du peuple et personne n'oserait les couper, sans craindre les plus grands malheurs pour le pays.

    Richard Burton :

    Le deuxime (dieu) est reprsent par des arbres superbes et altiers dans la formation desquels Dame Nature semble avoir exprim son art le plus grand . On leur fait des prires avec des offrandes aux poques de maladies et spcialement de fivre. Les plus rvrs sont le hun-tin ou acanthaceous silk cotton-tree (Bombax) dont les femmes galent celles du serpent, et le Loko, l'ordalie Edum ou l'arbre poison bien connu de la Cte Ouest Africaine. Ce dernier a peu de Loko'-si ou femmes de Loko : mais d'un autre ct, il a ses propres poteries ftiches qui peuvent tre achetes dans n'importe quel march ...

    Skertchely :

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    La divinit suivante en importance est A tin vodun , dont la forme terrestre est celle de divers arbres, cependant que sa demeure est dans quelques curieux spcimens d'arts de la cramique. ( ... ) Le culte de Atin- Vodun consiste dans la foi dans son pouvoir prvenir et gurir les maladies, spcialement la fivre et en offrande d'eau verse dans le pot. Bien entendu c'est le saint patron de tous les mdecins. N'importe quel grand arbre est considr tre habit par cette divinit, mais ceux spcialement sacrs pour lui sont le Hun, ou fromager, et le Loko, ou arbre de poison, une dcoction de ses feuilles est utilis comme ordalie pour dterminer tout crime cach.

  • Structure religieuse

    On peut, la lumire de ces tmoignages, voir dans quel sol le culte hatien du /wa Loko, protecteur et inspirateur des docteurs-feuilles d'Hati, plonge ses racines et puise sa sve. C'est que ds l'Afrique-Guine, on connaissait cette tradition. On retiendra qu'en Hati l'arbre qui est consacr Loko, c'est spcialement le fromager antillais, appel mapou en Hati. C'est le plus grand arbre d'Hati. Et c'est celui-ci qu'on accroche la sacoche d'offrandes au /wa Loko.

    Le /wa Loko, lorsqu'il se manifeste, peut tre reconnu par la pipe qu'il fume et la canne qu'il tient la main. Ces symboles rappellent le paysan. Le bton, de plus, symbolise la vieillesse, l'ge de la sagesse. Qui dit sagesse, dit connaissance. Or, c'est encore une tradition dahomenne, particulirement fon, la connaissance pri-mordiale et fondamentale est celle des feuilles, de la pharmacope locale. Et c'est ici que nous rejoignons cette dclaration qu'a recueillie Melville Herskovits Abomey et que moi-mme j'ai souvent entendue: Si vous saviez le nom et J'histoire de toutes les feuilles de la fort, vous sauriez tout ce qu'il y a savoir en religion dahomenne 95. Le /wa Loko symbolise la connaissance, la sagesse. C'est pourquoi le paysan hatien dit souvent :

    Mw-mm, mw s Loko Basiy, Moi-mme, moi tre Loko Vacille, Moi-mme, je suis Loko Vacill, u mt w tu sa m ap f a, Vous pouvoir voir tout ce que moi tre en train de faire Vous pouvez voir tout ce que je suis en train de faire tt mw plas. tte moi en place. Ma tte est en place.

    C'est--dire, je puis tre ouvert toutes les influences, et mme si vous voyez que je suis en train de vaciller sur ma base, ne craignez rien: j'ai la tte en place. On peut dire que le Lwa Loko, c'est la personnification du bon sens du paysan.

    3) Azan

    Le /wa hatien, l'un des plus remarquables et des plus importants, Azan, vient du Dahomey et des Fon. A Allada, on dit qu'il est

    95. P. Verger, Notes ... , p. 522 SS.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    originaire de Tado et que c'est Adjahout, qui l'aurait apport avec lui lors de son exode avec les Sadonou. P. Verger lui-mme a recueilli ces donnes. Il crit: Ayizan est un vaudoun trs ancien, orginaire d'Allada, semble-t-il. Il y fut, disent certains, amen par Adjahouto lorsqu'il arriva de Tado. D'autres affirment que Ayizan tait dj dans le pays avant son arrive et qu'il reprsente la natte de la terre , la crote terrestre 96. En fait, il existe deux Azan Allada. Il y a celui qui serait apport par Adjahouto, lequel vaudou tait le To-zan 97 de Tado, dit-on. Cet Ai'zan est parmi les sept vaudou qui forment le groupe d'Adjahouto, y compris celui-ci. Il y a aussi celui du march, l'ahi-zan 98. Ce dernier est tantt dit tre plac l par Adjahouto qui aurait cr ce march et plant en mme temps le fromager qui abrite celui-ci. Il est tantt dit tre plac l par quelqu'un d'autre. Nanmoins, chose remarquable, le prtre de l'Ai'zan d'Adjahouto n'officie pas pour l'A hi-zan. Le temple de l'Ai'zan qui serait venu de Tado est ailleurs dans le quartier d'Alomn, o Adjahouto se serait fix avant d'aller dfinitivement Togoudo (2 km). En ce dernier lieu, l o Adjahouto avait tabli sa demeure, ce lieu ,porte le nom d'Ai'zanli, c'est--dire lieu fond, difi sur Ai'zan. Devant la proprit, il existe une butte qui est vnre et servie comme abritant l'Ai'zan d'Adjahputo. il garde l'entre de la proprit.

    Ce rle de gardien n'est pas identique celui de Legba. Ai'zan est particulirement le gardien des marchs. P. Verger crit avec raison:

    Il s'en trouve aux marchs des grandes villes telles que Abomey et Ouidah. Ils en sont les gardiens ou plus exactement ils en sont les matres, les protecteurs de la ville, les propritaires du sol. Certaines familles ont un Ayizan particulier qui est leur soutien, la dirige et punit les fautes des enfants, une sorte d'anctre : la terre 99.

    Il faudrait donc regarder Ai'zan comme matre du sol o l'on s'tablit. Legba n'est pas le matre du sol, mais le dfenseur des entres, ce qui est bien diffrent. C'est pourquoi d'ailleurs, dans la mythologie populaire, du moins Allada, on conoit Azan comme

    96. Ibid., p. 524. 97. Ayi = terre; z = natte, en fon. 98. En fon : to = village, ville, pays; z est dit pour Ayizan. Il y a omission des

    deux premires syllabes par euphonie. 98. En fon : ahi = march; z est dit pour ayizan, cf. note 97. 99. P. Verger, Notes ... , p. 551.

    130

  • Structure religieuse

    un sdentaire (il ne se dplace pas, disent les gens), tandis que Legba est trs mobile.

    Alors qu'au Brsil o rgne en matre la civilisation yoruba, le culte de ce vaudou n'existe pas, en Hati o ont domin les Fon, celui-ci a gard une grande importance parmi les /wa hatiens. Il a t rinterprt.

    Emile Marcelin, ethnographe hatien, en parle ainsi :

    Azan Velequete, pouse de Atibon Legba, desse protectrice et desse des eaux douces, prside aux marchs, aux places publiques, aux portes, aux barrires, aux routes ... Une couleuvre, connue sous le nom de couleuvre-madeleine, la reprsente, elle a le mme reposoir que Legba, le mdicinier bni (Jatropha curcas). Azan avait autrefois, dit-on, son culte propre. Avant de donner manger aux dieux Vaudou on sparait la nourriture en deux portions gales: rune pour les loas (vaudou) et l'autre pour Azan. D'aprs un houngan (prtre vaudou). Azan est le plus ancien des loas. Par consquent, selon lui, on devrait le servir le premier. On lui fait les mmes offrandes qu' Legba 100.

    Il semble que Azan, du moins o Emile Marcelin a recueilli ses informations, soit un syncrtisme de Azan et A vrkt dont nous parlerons ci-aprs. En tout cas, il y a une transformation si radicale de la mythologie fon, ou plutt des bribes mythologiques fon que l'on peut parler d'un tout nouveau mythe. A ce sujet, A. Mtraux, regrettant toujours un peu de ne pas trouver la mythologie originale africaine en Hati, cri t ceci :

    Le cas du loa Azan fournit un autre exemple o la mythologie a t dforme. En Hati, Azan est reprsente sous les traits d'une vieille femme. En tant qu'pouse de Legba, elle protge les marchs, les places publiques, les portes et les barrires. On dit la plus ancienne des divinits, d'o son droit aux premires offrandes. Elle est invoque sitt aprs son mari, Legba. Au Dahomey, Azan est le nom d'esprits plus anciens que les fondateurs mythiques des clans sur lesquels ils veillent, ainsi que sur les marchs et les maisons. Ils sont symboliss par des monticules de terre que l'on arrose d'huile et que l'on entoure d'azan, franges de feuilles de palmiste. Le souvenir du rapport entre Azan et les azan s'est maintenu en Hati o l'on appelle azan les franges de feuilles de palmistes auxquels on attribue des vertus purificatrices et prophylactiques. L' arbre-reposoir du loa Azan est le palmiste. Et ceux qu'ils possdent s'habillent de blanc et portent en sautoir une frange de feuilles de palmiste effiloches 101.

    100. Cit par P. Verger, ibid., p. 551. 101. A. Mtraux, op. cit., p. 320.

    131

  • DIEUX EN DIASPORA

    4) Avrkt ou Vlkt

    Avrkt ou Vlkt nous tonne par la profonde rinterprta-tion dont il a t l'objet en Hati. Dans le Bas-Dahomey, ce vaudou fait partie du cortge de Hou, le vaudou de la mer des Houla, et adopt par les Fon. Avrkt est fminine au Dahomey. C'est une femme de caractre malicieux, indiscret et scabreux. Elle a trois rythmes de tambour qui lui sont propres, du moins Allada. Le premier, Avrkt le danse en imitant le canotier qui rame. Elle porte un chapeau de paille, bords plats et mime le canotier avec un petit aviron. Par l, ce vaudou rvle son caractre marin, -comme nous l'avons vu pour le vaudou Agb ou Hou. Le second rythme, elle le danse en distribuant de la main des baisers toute l'assistance et en tendant l'oreille comme pour couter. C'est son caractre indiscret et scabreux qui s'y rvle. Mais ce dernier trait, l'aspect scabreux, est rendu plus manifeste par le troisime rythme, o elle mime carrment l'acte sexuel en dansant par trois fois devant un membre de l'assistance. Elle est paillarde. Et cette dernire danse rappelle beaucoup le rythme favori de Legba dont nous avons dj parl.

    Or, en Hati, Avrkt est un Iwa masculin. Il n'a gard aucun des traits prcdents. Voici les informations recueillies par J.-B. Romain:

    Quelques paysans du Nord le comptent dans leur panthon. Deux fois par an seulement, Avrkt s'incarne dans son serviteur. Ce dieu a charge d'mes en Guine. Il ne vient visiter ses protgs hatiens que si le cas s'avre grave et l'appel pressant. Avrkt passe pour un excellent gurisseur. Son impopularit dans les autres rgions du pays s'explique en partie par le masque plutt repoussant dont s'affuble son possd : yeux exorbits, mains tordues, pieds retourns, comme en proie une crise d'pilepsie. Cette divinit est masculine en Hati, tout au moins dans le Nord; tandis que l'Avrkt des Fon et des G est une desse marine, fille de Hu et de Nat 102.

    Ce caractre violent de la crise de possession de l'A vrkt hatien a t aussi retenu par A. Mtraux. Il nous raconte une scne dont il a t tmoin lui-mme :

    102. J.-B. Romain, op. cil., p. 165.

    132

  • Structure religieuse

    La jeune femme continua danser, mais ne tarda pas tre saisie par Ti-Jean-Dantor, dont l'incarnation fut cependant assez brve. A peine tait-il parti que les traits de L. C , qui avaient reflt successivement le caractre rude et farouche du dieu-soldat et la gaiet un peu perverse de Ti-Jean-Dantor, devinrent hideux. Elle gisait recroqueville sur le sol, le cou tordu, le visage inclin sur l'paule, les yeux blancs, la bouche crispe d'o pendait une langue dmesure et violace, les bras rejets en arrire et les doigts en griffes. On tendit cette gargouille vivante sur une natte et la foule se pressa autour d'elle. Chaque spectateur, tour de rle, vint enjamber la possde et accrocher son petit doigt au sien. Le public tant nombreux, le dfil dura bien une heure. Pendant tout ce temps, L. C ... resta fige dans la mme grimace et la mme position incommode. Lorsque Vlkt - tel tait le nom de la divinit qui venait de se manifester - s'en alla, L. c ... se releva d'un bond et reprit son expression habituelle comme si on lui et arrach un masque. Elle excuta plusieurs danses parmi ses compagnes, jus-qu'au moment o, pour la quatrime fois, elle tomba en transe. Le dieu qui l'avait monte tait sans doute son mari car, de temps autre, elle lanait un juron ou rclamait du rhum. Elle le partageait gnreusement avec d'autres danseurs ~ui, la premire gorge, taient leur tour possds par Ogou 10

    L'Avrkt ou V/kt hatien, comme l'on peut voir, est si diffrent de son homologue dahomen que l'on peut se demander si les croyants hatiens de ce /wa ont eu partager un moment donn le mme rythme. De l'A vrkt dahomen il ne reste plus que le nom, et rien de plus.

    5) Agassou

    Il en est de mme d'Agassou. Ce vaudou, au Dahomey, est li Adjahouto, le fondateur de la dynastie d'Allada de laquelle celles d'Abomey et de Porto-Novo essaimrent. Voici ce qu'en vrit P. Verger:

    Les diverses lgendes qui le (Adjahouto) concernent s'accordent presque toutes pour situer l'origine d'Adjahouto Tado prs de la rivire Mono; presque toutes galement lui donnent une parent avec une panthre nomme Agassou. Dans certaines d'entre elles c'est une panthre mle qui aurait eu des relations amoureuses avec la femme du roi de Tado; dans d'autres, c'est le roi de Tado qui aurait pous une femelle de panthre mtamorphose en femme. Dans les deux cas le fruit de cette union aurait t le futur Adjahouto. Il prit ce nom, qui signifie le tueur d'Adja, pour avoir

    103. A. Mtraux, op. cil., p. 193.

    133

  • DIEUX EN DIASPORA

    donn la mort un de ses frres au cours d'une querelle propos de la succession au trne de Tado. Oblig de s'enfuir, il serait venu se fixer Allada avec ses partisans 104.

    Ici, Allada, on trouve les reprsentants des deux lgendes de la panthre pre ou mre d'Adjahouto. En tout cas, c'est comme tel qu'Agassou est vnr au temple qui lui est consacr. Pour son prtre, ce vaudou est la mre d'Adjahout. Mais pour d'autres informateurs, et c'est le plus grand nombre, ce mme vaudou est le pre d'Adjahouto. Il y a mme une troisime tradition qui fait de ce vaudou seulement un animal chasseur, grand ami d'Adjahouto ... A la vrit, cette dernire n'a pas beaucoup d'adeptes.

    En Hati, il ne reste rien de cette lgende. Il reste trs peu de chose du mythe dahomen de ce vaudou. Nanmoins un fil trs tnu relie encore la reprsentation hatienne de ce vaudou son modle originel. En effet, le /wa Agassou, lorsqu'il possde un de ses fidles, (il) le contraint recroqueviller ses mains comme des griffes lOS. C'est sans doute l un dernier reste du mythe de la panthre. Il faut aussi ajouter qu'en Hati, Agassou n'est pas un /wa majeur comme au Dahomey. Il est perdu dans la masse des petits /wa mineurs. C'est peut-tre cause de l'arrive tardive des reprsentants de cette tradition ...

    104. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 191. 105. A. Mtraux, op. cit., p. 24.

    134

  • CONCLUSION

    Tout au long de cette tude nous avons tent de situer le vaudou hatien par rapport au vaudou dahomen tel que celui-ci est connu par son panthon dans le royaume d'Allada. Le souvenir de la terre d'origine, la notion de Dieu, les mythes des vaudou eux-mmes, tel a t l'objet de notre analyse. Ce sont des points fondamentaux.

    Il ressort qu'il ne faut pas prendre l'tiquette de Rada comme une marque d'origine. Ce nom a permis l'Hatien de srier ses esprits en une des trois catgories qui satisfont la fois son intelligence et son affectivit: rada, congo, petro. Le cas hatien, en ce qui concerne ces vaudou originaires du Golfe de Guine, est un exemple typique des effets de la migration des dieux. Ceux-ci ne peuvent subir les effets du dmnagement et de l'emmnagement sans tre un peu bousculs dans leur existence. Gaston Bachelard le dit bien : en traversant les frontires du temps, de l'espace, des langues, du milieu social, les dieux changent de caractre, au point qu'un mot dform peut donner un nouveau dieu. L'exil trans-forme, faonne les hommes comme les dieux. On range ceux-ci autrement. On leur donne d'autres attributions. On leur donne d'autres visages plus conformes la psychologie du milieu, aux impratifs du milieu social, des structures. Car les dieux sont le produit du langage des hommes.

    Que reste-t-il de dahomen et plus spcialement fon dans les mythes des lwa hatiens? A la fois peu et beaucoup.

    Il en reste peu si l'on considre les mythes originels. Ceux-ci ont t rabots, lessivs par le temps. Les mutations sont profondes. En devenant des lwa hatiens, des vaudou dahomens ou des orisha yoruba ont chang de sexe, tels Avlkt, Azan; ont chang de condition physiologique, tel le truculent Legba devenu un vieillard impotent; ont chang de profession, tel Loko devenu mdecin de campagne. Certains se sont ddoubls, tel Danbala et sa femme Adahoudo, vaudou androgyne au Dahomey. Certains traits ont t approfondis, tels ceux du Gou fon o l'aspect guerrier n'tait pas trop mis en relief. L'Ogou Ferraille hatien a renforc ses traits belliqueux. Il est devenu le Gnral Ogou. Dieu lui-mme n'a pas t pargn. S'il est toujours rest le propritaire du monde et

    135

  • DIEUX EN DIASPORA

    dsign comme tel par ce nom pittoresque de Grand Matre en Hati, il n'est pas moins vrai qu'il est le Dieu sauveur avant d'tre le Dieu crateur dans la pense hatienne. Tout le systme mythique des esprits a t bouscul par les exigences du milieu social.

    Cette mutation tmoigne du dynamisme, de la vigueur, de la vitalit, de la vivacit et de la sant de la religion traditionnelle africaine. C'est ce dynamisme que nous devons tre attentifs, plutt qu'aux formes qu'il revt 1 . J'ai dj montr ailleurs quel point le vaudou savait s'adapter aux impratifs du milieu hatien 2. Ce qui est dit du culte, vaut tout aussi bien pour les mythes des esprits . Hati est la preuve que la figure des dieux africains n'est pas fixe, fige dans un dogmatisme sans impact sur le rel.

    D'autre part, il reste beaucoup si l'on considre trs attentive-ment les lments mythiques encore conservs dans le Golfe de Guine, et certaines manifestations des /wa hatiens. Tout ne s'est pas vanoui. Ce mme Legba, devenu vieillard impotent, qui marche clopin-clopinant, ne lui a-t-on pas attribu un type de possession d'une vigueur sans pareille? Ne faut-il pas tre fort pour le supporter dans son corps? A-t-il perdu toute sa truculence? Il reste encore paillard malgr son grand ge et son extrieur plutt froid. L'Hatien a mme song lui donner une pouse : Azan. Et si nous prenons Loko, par exemple, n'est-il pas rest attach la flore? Ogou, aux armes ? .. Il reste donc un fond smantique qui sert de base structurelle toute l'activit cratrice hatienne. L'imagination brode l-dessus, mais la sdimentation africaine demeure et nourrit toute la mythologie hatienne de sa sve.

    Mais il reste que la crativit de ces hommes victimes de l'esclavage et, aprs, des situations socio-politiques aberrantes, s'est manifeste dans une expression trs originale. La vaudou hatien n'est pas le vaudou dahomen, mme s'il y a des rapprochements trs suggestifs, des similitudes indiscutables. Maintenant chacune de ces religions volue selon la pression spcifique des influences qui les harclent. En Hati, les mythes continuent changer, et les /wa natre. Au Dahomey, la loi est autre; c'est l'adhsion aux

    1. Pre Henri Gravrand, A la rencontre des religions africaines, p. 12. 2. Gurin Montilus, Hati: un cas-tmoin de la vivacit des religions africaines

    en Amrique. Et pourquoi? , Communication au Colloque de Cotonou sur La religion traditionnelle africaine comme source de valeurs de civilisation , 16-22 aot 1970.

    136

  • Conclusion

    mythes des vaudou qui s'affaiblit et la magie qui se renforce. Les distances vont donc en s'accentuant.

    Il semble ainsi que le mythe puisse donner raison toute philoso-phie. Etes-vous historien rationaliste? Vous trouverez dans le mythe le rcit encombr des dynasties clbres. N'y a-t-il pas dans les mythes, des rois et des royaumes? Pour un peu on daterait les diffrents travaux d'Hercule, on tracerait l'itinraire des Argonautes. Etes-vous linguiste, les mots disent tout, les lgendes se forment autour d'une locution. Un mot dform, voil un dieu de plus. L'olympe est une grammaire qui rgle les fonctions des dieux. Si les hros et les dieux traversent une frontire linguistique, ils changent un peu leur caractre, et le mythologue doit tablir de subtils dictionnaires pour dchiffrer deux fois, sous le gnie de deux langues diffrentes, la mme histoire. Etes-vous sociologue? Alors dans le mythe apparat un milieu social, un milieu moiti rel moiti idalis, un milieu primitif o le chef est, tout de suite, un dieu 3.

    3. Gaston Bachelard, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, de Paul Diel, prface.

    137

  • GLOSSAIRE

    Ce glossaire contient surtout les termes croles etfon les plus frquemment utiliss dans la prsente tude. La plupart des dfinitions donnes ici sont inspires du Vaudou hatien d'Alfred Mtraux et du Dictionnaire Fon-Franais du P. Segurola.

    1. CROLE

    Ayibobo ou abobo : Acclamation rituelle qui ponctue la fin des chants rada ou exprime l'enthousiasme religieux. L'ex-clamation est accompagne parfois du bruit que l'on produit en frappant la bouche avec les doigts.

    Les Fon ont la mme acclamation qui ponctue la fin de leur prire aprs la vrification de celle-ci avec les noix de kola. En cas de rponse affirma-tive, on fait le mme geste rituel en disant : awobobo.

    Ago : Exclamation rituelle dont le sens est attention.

    Mot fon qui signifie : attention! gare! place!

    Bossai: De l'espagnol bosal qui signifie sauvage, indompt. Ce mot s'ap-pliquait aux Ngres nouvellement arrivs dans la colonie et non encore baptiss. On le dit toujours de nos jours des enfants non encore baptiss.

    Choual : Forme crole du mot che-va!. Personne possde par un loa.

    Les fon disent plutt assi qui signifie pouse, femme. En ce cas, le vaudou est dit assou qui signifie poux, mari.

    Le crole n'a pas d'quivalent d'as-sou pour dsigner le Iwa en tant qu'il est prsent dans la personne possde.

    Caye : Mot crole signifiant maison. L'quivalent fon, c'est ho.

    Caye-mystre : Maison des esprits ou /wa. On dit aussi houmfo.

    138

    En fon, on dit : -h ho

    esprit case case de l'esprit

    Remarquer le rapprochement avec le houmfo hatien.

    On dit encore vod ho esprit case case de l'esprit

    Escorte : Groupe de /wa qui accom-pagne un /wa important. Ce mot a parfois le sens de famille de /wa.

    Le fon emploie le terme ahw qui signifie groupe, assemble, cortge.

    Le concept est donc fon. Houmfo : Cf. caye-mystre ci-dessus. Houngan : Prtre vaudou.

    C'est un mot d'origine fon. Il se dcompose ainsi :

    h = esprit g = chef.

    Dans le hh fon, c'est le chef du corps des hsi. Cf. ce mot ci-dessous. Le hg fon n'est pas le prtre, mais il est adjoint celui-ci dans l'organisa-tion de la maison de l'esprit. Le prtre se dit hno, v dno (propritaire du vod).

    L'Hatien a donc largi le sens du mot fon hg.

    Hounsi: Homme ou femme qui a pass par les rites d'initiation et qui est consacr au service des Iwa.

    Ce mot est d'origine fon : h = esprit si (pour as,) = pouse.

    En fon, homme ou femme qui a t initi pour tre possd par un vod.

  • On dit encore : vodsi : vod esprit

    si (pour asi) = pouse. Alors qu'en Hati le Iwa peut pos-

    sder celui qui n'a pas t initi, au Dahomey seules les hsi peuvent tre possdes.

    Lwa : Esprit associ l'Etre suprme dans le gouvernement du monde. Il est une personnification d'une force de la nature. Il est charg de l'ordre du monde, dispose pour cela des pouvoirs tendus et peut venir au secours des hommes.

    Ce mot est plutt d'origine yoruba et vient de oluwa qui signifie seigneur.

    Les Fon disent vod. h. Et les Yoruba, orisa.

    Manger: Offrandes de nourriture. M anger-Iwa : Crmonie destine

    nourrir les Iwa auxquels on offre des sacrifices d'animaux et des nourritu-res diverses.

    Monter: Ce verbe est employ dans la possession lorsqu'on parle d'un Iwa qui descend sur un fidle.

    Le fon dit plutt wa ta , c'est--dire venir sur la tte.

    Nago : Nom que les Fon donnent au Yoruba.

    Ogan : Cloche en fer battant extrieur. L 'ogan peut tre un morceau de fer que l'on frappe avec une tige de mtal.

    Cet instrument est employ dans le culte fon pour accompagner la rcita-tion des devises des vod et s'appelle g.

    Glossaire

    P : Autel en maonnerie dans un houmfo. On y dpose les cruches sacres, les pierres des esprits, leurs attributs et les accessoires du prtre ou ce de la prtresse du vaudou. C'est sur le P que l'on place les offrandes faites aux Iwa.

    Ce mot est d'origine fon; kp. Ce mot signifie butte, marche ou estrade en terre ou en ciment pour y installer un vod.

    Pristyle : Annexe du houmfo ayant l'aspect d'un grand hangar ouvert sur les cts. C'est l que se droulent presque toutes les crmonies vaudou et qu'ont lieu les danses rituelles. Chez les Fon, on retrouve la mme annexe au hho, aux jours de grandes crmonies. On l'appelle azava.

    Poteau-mitan : Pilier situ au centre du pristyle et considr comme le che-min des esprits. C'est un objet mi-nemment sacr. Cela n'est pas dans la tradition fon.

    Service : Crmonie en l'honneur des esprits vaudou.

    Ce mot correspond au fon s (ser-vir). En effet, la culte est dit en fon ss qui signifie service.

    vv : Dessin symbolique reprsentant les attributs d'un Iwa que l'on trace sur le sol avec de la farine de mas, de la cendre, du marc de caf ou de la brique pile.

    Ce mot fon dsigne dans le culte la farine de mas teinte d'huile rouge. On s'en sert pour dessiner sur le sol des tranes caractre magique.

    2. FON

    Adjahouto: Hros conducteur des Sado-nou de Tado Allada. Il est l'ori-gine des dynasties d'Allada, d'Abo-mey et de Porto Novo. Il est vnr comme vaudou Allada, et son culte y occupe le premier rang. Cependant celui-ci n'a pas t emport en Hati.

    Agbomin Abomey. Capitale du Royaume du Danhonmin (Dahomey).

    Arada : Nom du royaume d'Allada au 17< s. et 18< s. On l'appelait encore le Royaume d'Ardres, Ardra ou Grand-Ardra. Jusqu'ici on appelle les habi-tants d'Allada Ardresiens dans le lan-

    139

  • DIEUX EN DIASPORA

    gage noble. Ordinairement on dit Alladanou.

    Arada, Ardra est rest simplement Rada pour les Hatiens. Il dsigne l'une des trois catgories dans lesquel-les les /wa sont rangs et servis selon leurs rites propres. Les deux autres sont : Perro, Congo.

    Assin : Objet en mtal reprsentant les morts d'une famille.

    En Hati, tige de fer surmonte d'un petit plateau rond. Il est plant devant l'autel et sert de support des bougies.

    140

    Danhonmin : A l'origine, ce mot dsignait le palais d'Akaba, bti Abomey sur le ventre du Dan ; par suite, il a dsign la ville d'Abomey, puis tout le pays soumis aux rois d'Abomey.

    Ce nom a survcu en Hati comme terre d'origine.

    Vaudou: Cf. p. 191 : Lwa. En Hati, le mot vaudou dsigne la

    religion traditionnelle africaine ha-tienne. Il y a eu donc un glissement de sens. C'est le mot Lwa, d'origine yoruba, qui est employ au sens de vaudou fon en Hati.

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  • DIEUX EN DIASPORA

    VERGER (Pierre). Dieux d'Afrique, Paris, 1954. - Notes sur le culte des Orisa et Vodun Bahia, la Baie de tous les Saints,

    au Brsil et l'ancienne Cte des Esclaves en Afrique. IFAN, Dakar, 1957.

    ZAHAN (Dominique). Religion, spiritualit et pense africaines. Paris, 1970. GEORGES-JACOB (Klber). Contribution l'tude de l'homme hatien, Port-

    au-Prince, Hati, 1946.

    142

  • TABLE DES MATIRES

    Avertissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Valeurs de signes employs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 CHAP. 1 - Le fantasme de la terre.............. 10 CHAP. II - Structure religieuse.................. 31

    a. Les diffrentes influences. . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 b. Le systme des tres spirituels. . . . . . . . . . . . . . 50

    CONCLUSION ................................. 135 GLOSSAIRE. . . . .. . .. . . . . . . .. .. . . . . .. . . . . . . . .. . 138 OUVRAGES CiTS....................... . . . . . . 141

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  • ACHEV D'IMPRIMER EN SEPTEMBRE 1989

    PAR L'IMPRIMERIE F. PAILLART

    ABBEVILLE

    N d'impression: 7309 Dpt lgal : 3~ trimestre 1989

    Imprim en France