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1 MINISTERE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE LA REFORME DE L’ETAT ET DE LA DECENTRALISATION DGAFP/DIRE JOURNEES D’ETUDE – Compte-rendu – 8 juin 1999 INTERNET, INTRANET : DES LEVIERS POUR MODERNISER L’ADMINISTRATION

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MINISTERE DE LA FONCTION PUBLIQUE, DE LA REFORME DE L’ETAT ET DE LA DECENTRALISATION

DGAFP/DIRE

JOURNEES D’ETUDE – Compte-rendu – 8 juin 1999 INTERNET, INTRANET : DES LEVIERS POUR MODERNISER L’ADMINISTRATION

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SOMMAIRE OUVERTURE Emile Zuccarelli, ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de la Décentralisation TEMOIGNAGES Un point sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par l’administration en France et à l’étranger Daniel Blume Membre du comité PUMA de l’OCDE Un éclairage sur les pratiques de 5 pays de l’OCDE Michel Audet Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO), Québec L’approche du Québec Philippe Schnäbele Chef de mission à la DIRE (délégation interministérielle à la réforme de l’Etat) L’entrée de la France dans la société de l’information : où en sommes-nous ? TABLES RONDES Table ronde 1 : “ internet : un levier pour développer de nouveaux services ” Table ronde 2 : “ intranet et SIT (systèmes d’information territoriaux) : des leviers de la modernisation interne ” POINT DE VUE Yves Lasfargue Directeur du CREFAC (Centre d’étude et de formation pour l’accompagnement des changements) La nécessité d’un nouveau management et de nouvelles organisations du travail CLOTURE Gilbert Santel Directeur général de l’administration et de la fonction publique, délégué interministériel à la réforme de l’Etat

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OUVERTURE Emile Zuccarelli, ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de la Décentralisation Mesdames, Messieurs, En ouvrant avec vous cette journée d’étude sur l’usage par l’administration des nouvelles technologies de l’information et de la communication (les NTIC), j’ai souhaité souligner l’importance que j’attache à cette question, et le gouvernement avec moi. Votre présence ici, nombreux, venant des services centraux et des services déconcentrés des différents ministères, démontre que vous attachez au thème des NTIC la même importance que moi : je n’en suis pas autrement surpris. J’ai constaté, tout au long de ces deux ans, la prise de conscience enthousiaste qui s’est généralisée parmi les agents publics en faveur d’une utilisation intelligente des NTIC, utilisation qui bénéficie autant aux intérêts des usagers qu’à la modernisation des administrations. Je vois aussi, bien sûr, dans votre engagement, un gage de la qualité des témoignages et des débats qui rythmeront votre journée. En faisant le point sur l’avancement du chantier de l’administration électronique, l’un des six volets du “ programme d’action gouvernemental pour la société de l’information ” (PAGSI), vous constaterez le foisonnement d’initiatives qui améliorent à la fois la qualité du service public et les modes de fonctionnement interne, et vous réfléchirez sur les nouvelles organisations du travail que ces innovations amènent à développer dans les services. Je ne veux pas anticiper sur vos discussions, dont je ne doute pas de la richesse, mais voudrais insister sur l’absolue nécessité d’avancer collectivement, concrètement, dans ce domaine. Dans notre tradition, l’administration est un pilier du “ pacte républicain ” qui structure la société française. Cette vision, à laquelle je suis comme vous attaché, nous impose un effort rigoureux et permanent de réforme et de modernisation des services publics, au même rythme que la société qui nous entoure, à la fois dans ses possibilités techniques et dans ses attentes. Utilisées au mieux, les technologies de l’information et de la communication peuvent jouer un rôle considérable dans cette modernisation et cette adaptation de nos services aux attentes du public. C’est sur la base de ces convictions que je me propose de dresser brièvement un bilan des actions entreprises depuis 18 mois, de préciser la contribution de ces NTIC à la réforme de l’Etat et d’évoquer les changements qu’elles vont apporter dans l’organisation et la culture de l’administration. 1) Bilan des actions entreprises depuis 18 mois A l’été 1997, notre pays connaissait des retards en matière de taux d’équipement des ménages en micro-ordinateurs, notamment en micro-ordinateurs connectés à l’internet, ainsi qu’en matière d’enseignement et de formation dans les technologies de l’information, et de contenus et de services français sur l’internet. En contrepartie, la France disposait toutefois d’atouts

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indiscutables : des industriels et des opérateurs présents sur le marché, une infrastructure de communication moderne, un réseau de recherche et d’enseignement supérieur de grande qualité, une population et des entreprises familiarisées, grâce au minitel, avec la logique des services en ligne et le commerce électronique. Il est vraisemblable que l’existence du minitel, où la France avait une avance, explique les retards mais aussi la familiarité avec les services en ligne. Le discours du Premier ministre à Hourtin, en août 1997, a annoncé l’ambition du gouvernement, et deux CISI (comités interministériels pour la société de l’information), tenus en janvier 1998 et en janvier 1999, ont précisé le contenu du PAGSI, le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information, programme destiné à surmonter les retards et à aborder une nouvelle étape. En matière de modernisation de l’administration, le PAGSI visait à faciliter l’accès de l’administration au public par internet, et aussi à accroître l’efficacité du fonctionnement interne de l’administration. On retrouvera cette double nécessité tout au long de mon propos. * * * Dix-huit mois plus tard, quel bilan pouvons-nous tirer de ce programme gouvernemental ? En France en général, l’année 1998 a largement permis de résorber le retard. Ainsi, le taux d’équipement des ménages et le taux de branchement sur internet croissent plus vite qu’en moyenne en Europe, et la quasi-totalité des lycées français est désormais connectée à l’internet. Dans l’administration, l’ensemble des ministères a réagi avec rapidité et a très vite mis en œuvre des mesures dont chacun ressentait l’importance. Les agents, dans leur ensemble, ont fait preuve de beaucoup de volonté, et leur engagement a largement facilité les réussites actuelles, dont je ne vous citerai que quelques exemples : -l’enrichissement régulier des sites internet des différents ministères, avec le développement progressif de services nouveaux et l’apparition des premiers sites de services déconcentrés, -l’ouverture des sites interministériels, Admifrance et Légifrance, qui sont aujourd’hui largement utilisés, -le transfert sur l’internet des services minitel, -la mise en ligne d’environ 300 formulaires, couvrant 50% du volume des procédures, -le développement des messageries et des intranets dans tous les ministères, -la création des premiers systèmes d’information territoriaux (SIT), qui favorisent la modernisation du mode de travail interministériel, -les travaux en vue du lancement de la messagerie interministérielle AdER (pour “ Administration en réseau). * * * D’une manière générale, la prise en compte de la réflexion sur l’usage des nouvelles technologies a été introduite à tous les niveaux de fonctionnement de l’administration. Au

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niveau ministériel, la plupart des programmes pluriannuels de modernisation (PPM), récemment achevés, abordent ce thème avec des perspectives ambitieuses. Par ailleurs, de plus en plus souvent, les réflexions associent les services déconcentrés, soit avec les services centraux, soit entre eux sur un même territoire, et donc le réseau se complète suivant les deux axes et l’ensemble est prometteur de nouvelles habitudes de travail. Voilà dont un premier bilan sommaire. 2) La contribution des NTIC à la politique de réforme de l’Etat Puisque aujourd’hui l’administration électronique n’est plus un simple souhait, mais que nous commençons à en voir la réalisation, il est temps à présent d’entreprendre une nécessaire mutation organisationnelle et culturelle, qui s’inscrit pleinement dans la réforme de l’Etat que je conduis. Sur ce thème, je souhaiterais ici présenter trois points. 1) L’un des objectifs majeurs de la réforme est l’amélioration des relations entre le public et l’administration. Cette ambition est au cœur du PAGSI : elle se concrétise par la mise en ligne d’informations nouvelles et pertinentes, par la recherche de nouveaux services et par le développement des téléprocédures. Dans ce domaine, je dirais que nous avons tous un “ devoir d’imagination ” et un “ devoir de réalisation de ces nouveaux services ”. Tous les ministères y ont contribué et y contribuent. Les prochains mois seront marqués par le développement de sites internet des services déconcentrés de l’Etat qui offriront des informations et des services de proximité et, au niveau interministériel, par l’enrichissement du site Admifrance, que j’évoquais tout à l’heure et qui offrira aux usagers un portail de l’administration française. 2) Ces actions de modernisation nécessitent la participation de tous les fonctionnaires. Tous les agents doivent être informés des actions menées. Ils doivent être associés à leur mise en œuvre, formés à la maîtrise des outils, doivent voir valorisé leur engagement. Car s’ils ressentent, en général, beaucoup de satisfaction et d’espoir, ils conservent, vous le savez sans doute, quelques inquiétudes. Leur fierté de travailler sur un outil moderne s’accompagne de questions sur les modes de travail, d’inquiétudes sur les compétences à acquérir. Cela nous oblige à accompagner les projets techniques, notamment par des actions de formation et par une réflexion sur les procédures de travail. Je tiens à vous dire ici que mes services et moi-même vous y aiderons. 3) L’administration doit passer d’une organisation verticale, cloisonnée, à une organisation en réseau, ouverte sur les besoins de la société. L’Etat, est-il besoin de le dire, est de plus en plus multiple dans ses attributions et dans ses modes d’action. Il mène ses politiques en liaison avec la commission européenne, les collectivités locales, les associations, les partenaires sociaux. En son sein même, la déconcentration et le travail interministériel s’accroissent dans des domaines essentiels comme l’environnement, la politique de la ville, les questions sociales, qui de plus en plus enjambent les frontières entre ministères. Dans cette perspective, les technologies de l’information et de la communication offrent des

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opportunités qu’il vous appartient de concrétiser par un management et un accompagnement appropriés. C’est sur l’importance de ce point que je voudrais conclure mon propos. 3) L’administration doit s’organiser pour accompagner ces changements Les NTIC sont un outil efficace, mais il reste au public et aux agents de l’Etat à les diffuser, car il ne faut pas compter sur une progression automatique. Surtout, dans cette progression, il nous appartient de veiller à l’accès de tous à la société de l’information, qui ne doit pas devenir un système à deux vitesses. Il faudra pousser derrière la machine pour que tous y soient associés, sans développement d’un nouvel illettrisme, facteur de rupture sociale. Cela signifie que les acteurs politiques et les responsables administratifs auront à la fois à s’impliquer eux-mêmes, à favoriser l’initiative des services de terrain, à faire confiance à leurs collaborateurs par de nouvelles habitudes de travail, bref, bien plus qu’à accepter, à organiser et à favoriser, et donc à diffuser, le changement. * * * Voilà, mesdames, messieurs, ce que je voulais vous dire ce matin au début de vos travaux. En 1998, nous avons franchi une étape-clé pour l’entrée de l’administration dans la société de l’information, avec une large prise de conscience, une sensibilisation des acteurs et le lancement de quelques actions exemplaires. L’étape suivante, dans laquelle nous sommes actuellement, a commencé par une réflexion sur de nouvelles pratiques de travail, une appropriation des outils et des méthodes par les acteurs et une généralisation des actions lancées lors de l’étape précédente. Les expérimentations, c’est bien, mais elles ont toute leur saveur quand elles se généralisent. A présent, il nous faut nous préparer à la troisième étape, qui se fera dans la conduite du changement, l’aide à la banalisation de l’utilisation des outils et l’aide à l’appropriation des nouveaux usages avec, j’insiste, l’ensemble du public. Ce séminaire s’inscrit parfaitement dans ces perspectives. Il me reste à remercier tous les conférenciers pour leurs contributions, et à vous souhaiter à tous une excellente et productive journée de travail. Je vous remercie.

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TEMOIGNAGES UN POINT SUR L’UTILISATION DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION PAR L’ADMINISTRATION EN FRANCE ET A L’ETRANGER Un éclairage sur les pratiques de 5 pays de l’OCDE Daniel BLUME membre du comité PUMA de l’OCDE Ma présentation sera principalement basée sur une étude de l’OCDE dans 5 pays, “ les technologies de l’information en tant qu’instrument de réforme de la gestion publique ”. Les 5 pays étudiés étaient l’Australie, la Finlande, la France, le Royaume-Uni et la Suède, mais les tendances sont plus larges et je citerai aussi d’autres pays. Mon exposé comprendra 4 parties :les opportunités pour la réforme, quelques risques et défis, les traits communs, avec quelques exemples et quelques conclusions. - Les opportunités pour la réforme des services publics se situent dans un contexte de

pression économique, fiscale et budgétaire, face à des citoyens de plus en plus exigeants qui mettent une forte pression, favorisant le réforme de l’Etat et de la gestion publique. Les nouvelles technologies créent de nouvelles opportunités, à trois niveaux. Au premier niveau, elles créent une possibilité d’économies par des services moins chers, plus efficaces, mieux coordonnées et répondant aux attentes des citoyens. Au deuxième niveau : elles permettent une meilleure qualité de la démocratie, avec une meilleure information, une meilleure communication et une meilleure consultation. Enfin, le troisième niveau est celui de la compétitivité de l’économie et de la qualité de vie des citoyens, avec une population plus habituée à l’utilisation des technologies et mieux adaptée à la société de l’information. Mais ce n’est pas si facile.

- Les risques et les défis.: l’étude montre que si on fait un investissement trop grand au

début, il peut être difficile de s’adapter quand les circonstances changent. Comment assurer la protection de la vie privée ? Se pose aussi la question de l’accès aux services pour tous. Les exemples dans différents pays peuvent donner des idées pour maximiser les avantages et minimiser les risques.

- L’étude a dégagé quatre traits communs. Le premier, présent dans tous les pays, est un effort croissant d’intégration horizontale et verticale, l’idée du guichet unique. Le projet Centrelink, en Australie, est souvent cité car il est ambitieux. Il vise à relier les services de deux organismes, l’agence pour l’emploi et le département de la sécurité sociale, pour en faire un nouvel organisme distinct. Avec ces changements, le département de la sécurité sociale a réduit le nombre d’emplois de 21 000 à seulement 700, avec lesquels ils ont créé 400 bureaux qui donnent des services par téléphone, en face à face, par courrier ou encore par le biais de kiosques électroniques, d’internet ou de systèmes vocaux interactifs, disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Il y a eu quelques difficultés au début. Les citoyens n’ont pas bien compris comment cela marchait, tous les appels étaient concentrés en même temps, les lignes sont tombées en panne, les

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journaux ont dit que le budget avait été coupé... Maintenant cela marche. Plusieurs services bien intégrés ce sont ajoutés: l’assistance rurale et les allocations familiales. Il y a 18 millions d’appels téléphoniques par an et 1,6 million de messages électroniques. Ce n’est donc pas une minorité qui utilise l’accès électronique. C’est un exemple d’intégration horizontale qui permet de trouver des renseignements d’ordre différent, issus de bureaux différents. Un exemple intéressant d’intégration verticale, c’est le système d’aide judiciaire en Finlande. Il a commencé par une aide aux citoyens décentralisée, avec 452 communes qui opéraient indépendamment, en bureaux locaux. L’Etat a décidé d’intervenir, de consolider et de mettre des centres d’expertise à la disposition des ces bureaux: le citoyen continue à se rendre rès de chez lui, et c’est le centre d’expertise qui le cas échéant envoie la réponse. Ce service aussi disponible, maintenant, dans les bureaux d’avocats. Le volume des affaires traitées a augmenté de 200 %, avec une réduction des coûts. Cela permet de donner beaucoup plus d’aide aux utilisateurs. Un exemple d’intégration à la fois horizontale et verticale : le projet local en Suède et aux Pays-Bas. En Suède, c’est le projet de Kista, dans la région de Stockholm. Tous les services se trouvent dans un guichet unique, éducation, garderie d’enfants, santé. On peut avoir les renseignements au niveau local et au niveau national. Aux Pays-Bas, un projet similaire est en cours. Le troisième trait commun, c’est, l’appui aux événements de la vie quotidienne. On peut l’observer sur les sites internet de pays comme le Danemark, la Norvège, le Portugal et la Suède. Au lieu de chercher les informations par entité responsable (les Affaires étrangères si on veut un passeport, etc.), on cherche par thème, les voyages par exemple. Au Danemark, les sites sont organisés selon le cours de la vie, naissance, entrée à l’école, université, mariage, déménagement... En Australie, on est allé encore plus loin, on a organisé le service autour de l’entreprise. Pour obtenir un visa, on ne clique pas sur un site gouvernemental. L’agence qui vend le billet d’avion délivre en même temps le visa, par une connexion internet avec le gouvernement. Les services sont construits autour des transactions dans la vie privée du citoyen. Le dernier trait commun est une tendance au partenariat. Le cas des formulaires intelligents au Royaume-Uni est intéressant, et je sais que la France est en train de faire la même chose, avec la rationalisation des formulaires. Au Royaume-Uni, trois ministères se sont impliqués sur le cas des travailleurs indépendants: les impôts, les douanes et l’agence de recouvrement des cotisations du ministère de la Sécurité sociale. Auparavant, 6 à 8 formulaires étaient nécessaires: il n’en faut plus qu’un. Le partenariat a associé Microsoft, pour l’interface avec l’usager, EDS pour l’exploitation du site web et deux banques pour la transmission avec une signature électronique. L’opération, qui a démarré en 1997, a été longue à mettre en place du fait de la loi sur la protection de la vie privée qui interdit de partager un formulaire entre trois ministères différents. Les avocats du gouvernement ont décidé que ce n’était pas illégal si le citoyen donnait son accord. Il y a maintenant 10 000 transactions par semaine et jamais un citoyen n’a refusé que l’information soit partagée par les trois ministères. La conclusion est que les administrations et les citoyens peuvent être également gagnants si l’on réussit les partenariats. A plusieurs, le service au citoyen peut devenir plus accessible. Il faut également prendre en compte la culture du pays. La Finlande a obtenu l’accord du Parlement pour une carte à puce, une carte d’identité nationale qui donne accès à plusieurs

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services. Dans ce pays, plus de 50 % des habitants ont accès à internet, et la population fait confiance au gouvernement. Cela a donc marché. Mais au Danemark, on a tenté la même chose, il y a deux ans. L’idée a été très controversée et donc abandonnée, parce que la population ne faisait pas confiance au gouvernement pour gérer les bases de données sans violer la vie privée. Ce que j’ai donc appris, c’est qu’il faut obtenir l’accord et le soutien du citoyen. Je ne dis pas qu’il faut toujours utiliser les nouvelles technologies: parfois, les citoyens ne le veulent pas.Par exemple, des études danoises et britanniques sur les attentes des citoyens ont montré qu’un tiers de la population refuse d’utiliser ces technologies. Pour cela, il faut trouver d’autres solutions pour eux. Les technologies de l’information peuvent être un supplément, mais pas la seule façon de donner un service, du moins pas pour l’instant. L’important, c’est d’informer les citoyens sur ces nouveaux services, sur les nouveaux fonctionnements, et le plus en amont possible. L’approche du Québec Michel AUDET Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO) C’est un honneur pour moi d’avoir été invité par la DIRE et je l’en remercie. Le Québec est une petite société de 7 millions d’habitants, entourés de 300 millions de “ parlant anglais ”, nous devons tous les jours nous battre pour défendre notre langue, notre culture. Je précise d’abord que mon pont de vue sera celui d’un expert en sciences sociales, pas d’un technologue. Le CEFRIO se préoccupe principalement de la dimension humaine et du développement organisationnel par rapport aux nouvelles technologies de l’information. En outre, c’est une organisation neutre, financée à la fois par les pouvoirs publics, par des entreprises privées et même par certains syndicats, qui a comme mandat de donner un éclairage le plus critique possible sur les grands enjeux de la société de l’information pour l’Etat québécois. Mon point de vue n’aura donc rien d’officiel. Mes propos sont nourris à la fois des expériences analysées au CEFRIO et de mon expérience personnelle: au titre de directeur innovation et transfert au CEFRIO, j’accompagne en effet dans les démarches de gestion stratégique et de changement par les technologies de l’information des équipes de hauts dirigeants et surtout ce que l’on appelle chez nous des “ sous-ministres ”, hauts dirigeants de l’administration publique québécoise. Une précision: grâce aux merveilles de la technologie, ma conférence est aussi disponible sur le site du CEFRIO (www.cefrio.qc.ca). Mon exposé comporte 5 points : 1- le positionnement du Québec par rapport à l’ensemble de l’Amérique en termes d’appropriation des TI (technologies de l’information); 2- les orientations stratégiques et le discours formel de l’administration publique québécoise ; 3- le bilan de l’expérience québécoise 4- les grands enjeux 5- une conclusion. 1- Le positionnement du Québec Les spécificités du Québec font qu’on ne peut pas agir de la même façon que les autres provinces canadiennes et que les Etats-Unis, du fait de la culture et de la langue et de la

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compétitivité de l’Etat. Les sociétés nord-américaines sont en compétition très forte l’une par rapport à l’autre pour attirer la société de l’information et les entreprises qui y œuvrent, pour créer de l’emploi et dynamiser l’économie des provinces et des Etats. La performance de l’administration publique devient un facteur clé de la compétitivité. Ainsi, l’Ontario est passé à une phase très agressive de déploiement des TI dans l’administration publique ; ils ont réussi, un peu grâce à cela, à baisser les impôts pendant plusieurs années consécutives et le gouvernement vient d’être réélu la semaine dernière. De même, le Nouveau-Brunswick a très fortement développé les centres d’appel, ce qui a obligé le Québec à réagir très rapidement pour ne pas perdre ce business et pour conserver certains avantages compétitifs. Actuellement, le Québec se situe dans la moyenne des provinces canadiennes en termes d’investissements. Dans le domaine de l’éducation, par exemple, (nombre d’élèves par ordinateur, pourcentage d’établissements branchés, quel que soit leur niveau), près de 95 % des établissements sont branchés à internet, comme dans l’Ontario et aux Etats-Unis. Le taux de branchement des ménages est inférieur au reste du Canada et aux Etats-Unis. Le pourcentage d’internautes réguliers (qui surfent sur le Net au moins une fois par semaine) parmi les adultes de plus de 18 ans est de 18 %. Dans le domaine de l’achat en ligne, les Québécois sont encore frileux. Nous accusons aussi un certain retard dans le pourcentage de PME qui ont un site internet par rapport aux Etats-Unis. Certes, les sites des PME des Etats-Unis ne sont pas toujours interactifs, c’est une présence sur le Net. 2- Les orientations stratégiques Le gouvernement du Québec a développé ses intentions stratégiques dans un programme intitulé “ Agir autrement ”, lancé en grande pompe l’an dernier par le ministre du Conseil du trésor (le grand argentier du Québec), et par la ministre de la Culture et de la communication. Un des volets de cette politique touche plus particulièrement l’administration publique. Il s’intitule “ Pour mieux servir les citoyens et les entreprises ”. La politique québécoise de l’autoroute de l’information a 5 grands volets. Le premier concerne la généralisation de l’accès de “ l’autoroute ” à toute la population. Le deuxième vise à préparer la jeune génération à l’univers des nouvelles technologies. Le troisième vise à construire un tronçon de l’autoroute qui reflète notre culture et notre langue. Le quatrième a pour objectif d’accélérer la transition de l’économie ; c’est un ensemble de mesures qui va permettre au Québec de profiter des fruits de la nouvelle économie, de favoriser les investissements en nouvelles technologies, d’accélérer les investissements dans l’industrie du multimédia et du commerce électronique. Enfin, le cinquième volet vise à rapprocher l’Etat des citoyens et des entreprises. 3- Le bilan de l’expérience québécoise et les facteurs de succès Deux exemples marquants : le RICIB (Réseau intégré de communications informatiques et bureautiques), et le projet GIRES (progiciel de gestion intégrée des ressources). En ce début juin 1999, une commission devra prendre une décision sur le choix d’un progiciel de gestion intégrée des ressources. Le Québec va intégrer ses 80 ministères et organismes, ses centaines de milliers de fonctionnaires dans ce grand chantier. Citons aussi le déploiement d’une infrastructure à clés publiques gouvernementales (ICPG) pour assurer la sécurité et le respect de la vie privée ; la gestion des ressources informationnelles (GRI) ; “ le Courriel à tous les citoyens en 2002 ”. C’est une politique qui vise à donner à tous les citoyens une adresse électronique. Un projet pilote est en cours à Baie-Comeau et dans un quartier défavorisé de Montréal. C’est un peu bizarre, car, dans ce quartier, certains citoyens n’ont pas d’adresse tout court. La dispersion géographique nous a obligés à renforcer la formation en ligne. Certaines universités et certains collèges ont développé des expertises très intéressantes.

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Pour les mêmes raisons, nous sommes aussi innovateurs dans le domaine de la santé, avec notamment le déploiement de la télémédecine. Des hôpitaux, des centres de santé reliés à des centres universitaires font du diagnostic à distance par de l’imagerie, de l’échocardiographie à distance, de la téléradiologie. Des expériences intéressantes sont aussi menées dans les secteurs de la justice et du tourisme. Qu’est-ce que ces expériences nous ont appris ? Entre autres qu’il y a un écart entre le discours et la pratique, entre la politique nationale gouvernementale et les initiatives sur le terrain. Le premier point, c’est l’importance du leadership politique et administratif. Au Canada, nous avons beaucoup été influencés par la politique américaine. Plus le dossier est près du bureau du Président aux Etats-Unis, du Premier ministre au Canada ou au Québec, plus on a de chance de succès. Au Québec, le dossier a été initialement porté par le Premier ministre, qui a beaucoup favorisé le déploiement des idées et le développement de la politique de l’inforoute. Du côté du leadership administratif, on voit apparaître des CIO (Chief Information Officer), une nouvelle race d’acteurs et de gestionnaires, qui ne sont pas des directeurs de technologies de l’information, ni des directeurs informatique, mais des gens au cœur du débat, de l’information, des connaissances et des savoirs dans les organisations, branchés directement sur les plus hauts dirigeants. Leurs compétences stratégiques sont importantes. Au Québec et dans les autres provinces canadiennes, on a entrepris de faire évioluer les directeurs informatique, au départ plus techniciens, vers ce rôle de CIO. Deuxième facteur de succès : passer de de l’Etat silo à l’Etat réseau. Le concept d’Etat réseau est porté par les décideurs ; mais dans les faits, il y a beaucoup de problèmes d’intégration horizontale de services, entre unités d’un même ministère et aussi entre ministères. Or, pendant que nous nous battons sur l’intégration horizontale, d’autres sociétés se penchent sur l’intégration verticale. Au Québec, nous avons des problèmes de relations entre le Fédéral et le Provincial et entre le Provincial et le Municipal. Dans les prochaines années, nous devrons nous centrer beaucoup sur l’intégration verticale. Troisième facteur : le changement de rôle des principaux acteurs. Je vous ai déjà parlé de l’évolution du rôle des directeurs informatique vers un rôle de CIO. Il en va de même pour les hauts dirigeants de l’administration publique. Dans les expériences réussies, ils ont donné des commandes très fermes à la machine. De plus en plus, ils ne devront pas considérer les technologies comme de l’intendance. Les directeurs des ressources humaines, eux, du fait de l’apparition des progiciels de gestion intégrée, vont voir une grande part de leur travail disparaître ou se modifier. Dans un contexte où l’information est une ressource stratégique et change les missions, les stratégies et les structures de l’Etat, cela demande des porteurs de dossiers qui vont êtres capables d’accompagner le changement, d’exercer leur leadership sur le changement. Nous menons actuellement des actions très musclées pour changer le rôle des directions des ressources humaines et développer de nouvelles compétences chez les professionnels en ressources humaines. Enfin, les syndicats devront aussi à changer de rôle (le taux de syndicalisation au Québec est de 44 %, contre 11 % aux Etats-Unis). Au Québec, on ne peut pas faire sans les syndicats. Ils sont en train de mener des réflexions majeures sur la société de l’information, sur la modernité. A titre de conclusion, je vous dirai que le Québec est à cheval entre l’Europe et les Etats-Unis. Au niveau politique, nous aimons avoir des politiques réfléchies, intégrées, pensées en amont. Par contre, les Etats-Unis nous démontrent que pragmatisme et volontarisme peuvent déboucher sur des stratégies utiles. Notre approche à mi-chemin s’est développée au fur et à mesure des expériences et des initiatives portées par certains champions dans l’administration publique québécoise. Nous avons de très bons retours sur des décisions politiques prises

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récemment. On a nommé un ministre délégué à l’autoroute de l’information, monsieur David Cliche. Il est rattaché au Conseil du Trésor, et donc très sensible à ce qui va se passer dans l’autoroute gouvernementale au cours des prochaines années. Par ce fait, l’Etat québécois consolide son rôle de leadership en matière de technologie de l’information. Cette approche s’inscrit dans la réforme de l’administration québécoise qui, comme toutes les administrations publiques du monde, est en train de se réformer. Certaines tendances lourdes se dessinent. Nous avons été très inspirés par les Etats-Unis, mais aussi par la Grande-Bretagne et sa stratégie d’agences et d’unités autonomes de services et aussi par certaines expériences australiennes. Il y a actuellement un projet de loi sur la gestion de l’Etat, qui est très centré sur les résultats à atteindre par ministère et organisme, sur des contrats de performances qui seront passés entre les politiciens et les administrateurs publics, sur la reddition de comptes des sous-ministres et des hauts administrateurs publics pour l’atteinte ou non des contrats de performances, sur l’intégration des NTI dans la planification stratégique de chaque ministère et sur le contrôle stratégique et le monitoring. Nous avons mené récemment, au CEFRIO, une recherche sur les approches nationales de déploiement des technologies de l’information. Après avoir étudié 9 sociétés (la Finlande, l’Australie, Washington fédéral, l’Etat de Caroline du nord, du Massachusetts, le Royaume-Uni, la province de l’Ontario, du Manitoba et le Canada au niveau fédéral), nous avons dégagé trois grands pôles, trois grands modèles : - un premier, illustré par la Finlande, vise à développer des capacités installées dans les

organisations publiques. On branche par exemple tous les citoyens d’une municipalité, on favorise le branchement de toutes les entreprises, en espérant que, par percolation, les choses vont arriver.

- Le deuxième modèle, illustré par la stratégie de l’Ontario, est fondé sur le contrôle des règles et des moyens. Cela va jusqu’à imposer le même poste de travail pour tous les fonctionnaires de l’Ontario. Tous les ministères ont un même “ pattern ” de site web.

- Le troisième modèle, illustré par le Royaume-Uni et les Etats-Unis, est une approche de contrôle par les objectifs. De grands débats ont lieu au Congrès américain sur la modernité, la technologie et la réforme de l’Etat. De grandes législations en découlent, avec des obligations de résultats pour les agences et organismes américains ; leurs dirigeants doivent venir témoigner de ce qu’ils entendent faire par rapport aux objectifs qu’on leur donne. Deux exemples d’objectifs structurants : les douanes américaines seront numérisées à

- 100 % d’ici deux ans ou le “ Paper Reduction Act” qui oblige à réduire de tant de % la paperasse de chaque organisme.

Le Québec est en train de migrer d’une tradition d’administration publique centrée sur les règles et les moyens à une intention d’administration publique qui va être centrée sur le contrôle par les objectifs et les contrôles de performances. L’entrée de la France dans la société de l’information : où en sommes-nous ? Philippe Schnäbele chef de mission à la DIRE Après ces deux présentations de situations étrangères, un retour en France pour faire un rapide bilan de l’avancement du programme d’action gouvernemental lancé en janvier 1998. Rappelons les principaux objectifs du PAGSI (Programme d’action gouvernemental pour la société de l’information) et le bilan, avec trois lectures : une lecture qualitative, une lecture quantitative et une lecture un peu prospective pour donner les principaux chantiers en cours.

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Le PAGSI comporte 6 chapitres : l’enseignement, la culture, la modernisation des services publics, l’utilisation par les entreprises, l’innovation et le cadre de régulation juridique. Ces 6 chantiers sont interdépendants les unes des autres. Dans mon exposé, je me concentrerai sur le troisième chantier, celui de l’administration, mais il faut avoir en tête qu’il s’intègre dans un ensemble beaucoup plus vaste. Ce chantier a deux objectifs principaux : 1- Utiliser les nouvelles technologies pour améliorer les relations entre l’administration et les usagers afin de produire des services plus accessibles et de meilleure qualité. C’est le domaine de l’internet, de la mise en ligne des données publiques qu’on aura préalablement numérisées, une ouverture de l’administration par des boîtes aux lettres électroniques, d’une dématérialisation des formulaires et du développement progressif des téléprocédures. 2- Le deuxième objectif concerne le fonctionnement interne de l’administration afin de s’engager dans des rénovations des procédures de travail et d’organisation. Il s’agit beaucoup plus du domaine d’intranet, avec une ambition de mise en réseau de l’administration, au propre comme au figuré, le développement des messageries, des intranets et un nombre important d’actions de formation associées à cet objectif. Pour mémoire, je rappellerai que ce chapitre comporte quelques autres actions, avec notamment le projet ACCORD de modernisation de l’application de gestion comptable de l’administration centrale ou tous les développements associés au réseau santé social. A l’occasion du second comité interministériel pour la société de l’information (réuni le 19 janvier 1999), les services du Premier ministre ont dressé un bilan analytique des actions engagées dans le PAGSI. Sur 218 actions, environ 70 % ont été réalisées. Moins de 10 n’ont pas été engagées. Le livre “ La France dans la société de l’information ” (La Documentation française, mars 1999), paru à l’occasion de la Fête de l’internet, qui dresse un bilan général de l’avancement de la France dans la société de l’information, est très intéressant. S’agissant du troisième chapitre du PAGSI, la modernisation de l’administration, les différents ministères ont remis, le mois dernier, au Premier ministre, à sa demande, des programmes pluriannuels de modernisation, dont la DIRE a été chargée d’effectuer une synthèse. Tous ces PPM comportaient un chapitre consacré aux nouvelles technologies et c’est une synthèse de ces chapitres que je vais vous présenter. Le premier enseignement que l’on peut tirer est une très forte mobilisation des ministères. Ils perçoivent le besoin de s’engager. Le discours du Premier ministre à Hourtin et le PAGSI ont constitué des catalyseurs qui ont permis de libérer cette énergie. Nous n’avons plus aujourd’hui face à nous un problème de motivation, elle est acquise. Il s’agit maintenant de mettre en œuvre et de concrétiser une volonté générale d’avancer dans ce domaine. On peut néanmoins voir que les ministères qui sont le plus mobilisés sont ceux qui, à un titre ou à un autre, sont directement impliqués dans le PAGSI. Je pense par exemple au ministère de l’Education nationale, au ministère de la Culture, à la Santé qui ont parfaitement intégré cette dimension. Deuxième enseignement, assez lié au premier, la gestion des technologies de l’information et de la communication est une condition tout à fait essentielle à l’exercice du service public. Je donnerai très sommairement deux exemples. Le ministère des Affaires étrangères ne peut pas fonctionner sans un réseau de communication fiable et sécurisé, la notion de travail diplomatique est singulièrement éthérée s’il n’y a pas ce support par derrière. Le ministère de l’Environnement, qui brasse un nombre considérable d’informations qui émanent souvent d’autres administrations, a une politique entièrement tournée sur la gestion de ces bases

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d’informations. En pratique? on a constaté au cours des vingt dernières années un enrichissement considérable des sites internet des différents ministères, qu’il s’agisse de la simple mise en ligne d’informations, de la mise en ligne de formulaires, même si à ce niveau nous ne sommes pas aussi bons que nous devrions l’être, ou du développement de nouveaux services. Par contre, quasiment aucun PPM n’a mis en avant l’utilisation du courrier électronique. Dans votre dossier, vous trouvez aussi un CD Rom, le “ best of ”, une sélection de 70 services administratifs sur internet qui a un peu vieilli puisqu’il a été conçu pour la fête de l’internet. C’est néanmoins une illustration de la diversité des actions entreprises par l’administration, qui en la matière n’a pas du tout à rougir. Troisième enseignement, ces nouvelles technologies arrivent en appui, en accompagnement de nouvelles organisations de travail qui sont en train de se mettre en place. Bien évidemment, toutes les administrations insistent sur le fait que les services intranet, les messageries internes nécessitent préalablement une bonne infrastructure de communication interne et de bonnes actions de numérisation des données, mais toutes affichent des programmes de développement de l’intranet, toutes espèrent des décloisonnements et espèrent éventuellement aussi une dynamisation du fonctionnement hiérarchique. Je donnerai en la matière un exemple qui me paraît très illustratif, celui de l’administration des Finances. Le ministre a annoncé récemment la mise en place de l’interlocuteur fiscal unique. A l’évidence, cette ambition, cet objectif en termes de missions à l’usager ne pourra se mettre en place sans un recours important aux nouvelles technologies pour mettre en relation la direction générale des Impôts et la direction générale de la Comptabilité publique. Cette ambition du ministre serait beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, voire impossible, sans un usage important, massif des nouvelles technologies. Il reste trois points à préciser. On a constaté dans les PPM une faible référence aux projets interministériels, sauf dans le projet AdER et dans quelques SIT (Systèmes d’information territoriaux). J’y reviendrai dans un instant. On constate encore souvent une vision qui est centralisée, avec peu d’exemples d’illustration d’usages locaux de ces nouvelles technologies, que ce soit des bases d’information locales, une modernisation dans le fonctionnement de la CAR (Conférence administrative régionale), etc. Enfin, il me semble qu’un certain nombre de mesures d’accompagnement sont probablement sous-estimées, comme les réflexions sur l’organisation du travail ou simplement les actions de formation. Mais ces derniers points ne font que nuancer une vision tout à fait positive. Deuxième facette de mon bilan, quelques éléments chiffrés. D’après une enquête de la DIRE effectuée à l’automne dernier pour préparer le second comité interministériel pour la société de l’information, le nombre de micro-ordinateurs déclarés par les administrations de l’Etat (hors informatique pédagogique) reste autour de 500 000 postes. La courbe de croissance existe, mais elle est beaucoup moins forte que les années précédentes. Il est intéressant de voir la très forte augmentation du nombre de postes de travail reliés en réseau local : d’une situation minoritaire à la fin 1998 on passe à une situation majoritaire à la fin de cette année? et l’on peut considérer que d’ici un ou deux ans il n’y aura plus aucun poste de travail isolé. Le nombre de postes de travail ouverts sur le web, beaucoup plus faible (moins de 10% du parc) même s’il triple chaque année, montre bien la difficulté à développer des contenus associés à ces réseaux. Je suis incapable de porter un jugement de valeur là-dessus, essentiellement parce qu’on a du mal à apprécier les besoins (tous les postes ont-ils besoin d’être ouverts sur le web ?) et aussi parce que ces courbes rendent également compte de travaux très importants effectués en matière de sécurisation.

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Pour terminer, quelques mots sur des projets interministériels. Le projet AdER, auquel le Ministre a fait référence tout à l’heure, vise à relier les réseaux ministériels entre eux, avec des services associés en termes de qualité de service. L’objectif est de permettre aux fonctionnaires des différentes administrations de l’Etat de communiquer entre eux. Ce chantier est mené par la MTIC (Mission interministérielle de soutien technique pour le développement des technologies de l’information et de la communication dans l’administration). Le deuxième projet interministériel important concerne les SIT (Systèmes d’information territoriaux), un ensemble d’outils, bases de données, messageries, forums qui permettent aux différents services déconcentrés de l’Etat, dans un même département, de communiquer entre eux. La généralisation des systèmes d’information territoriaux a été décidée par le dernier Comité interministériel pour la société de l’information. Ce projet est mené par la DIRE, avec bien sûr beaucoup de ministères. Enfin, d’autres projets sont en cours de définition: des actions ambitieuses de formation aux nouvelles technologies et des réflexions sur le développement du portail internet de l’administration française et des évolutions du site Admifrance. QUESTIONS Thierry Courtine, chargé de mission à la DIRE à Monsieur Michel Audet : comment l’administration québécoise s’organise-t-elle pour réfléchir sur les suites, sur l’organisation du travail, sur la formation ? Au-delà des premières étapes, classiques dans tous les pays, de repérage d’un enjeu d’équipement, comment les services sont-ils structurés pour répondre à ces enjeux ? Michel Audet : au Québec, le dossier est porté par le Conseil du Trésor (l’équivalent du Budget en France) qui a récupéré la responsabilité de la gestion des ressources humaines. Ainsi, le projet GIRES dont je vous parlais tout à l’heure touche des centaines de milliers d’employés de l’Etat québécois. Plusieurs millions de dollars sont affectés à un poste appelé “ gestion du changement ”. C’est la première fois qu’autant de ressources monétaires sont injectées pour prendre en compte la préparation, la sensibilisation des employés à la généralisation du changement. Il y a aussi des actions de sensibilisation -encore timides- auprès des hauts dirigeants de l’Etat, qui n’ont pas toujours le temps de se former aux nouvelles technologies de l’information, même si certains le font naturellement.

Le CEFRIO, dont je fais partie, est un centre de recherche neutre, qui dispose de chercheurs universitaires de différentes disciplines (historiens, anthropologues, sociologues, informaticiens, ingénieurs, spécialistes en gestion, psychologues...). Il travaille sur des périodes de 12 à 24 mois avec des acteurs de l’administration publique et des entreprises privées sur des projets de toutes sortes, liés à la transformation de l’administration publique. Notre neutralité aide l’Etat à réfléchir sur ce qu’il fait. Question anonyme: l’information fournie par l’administration est souvent approximative. Les nouvelles technologies de l’information ont-elles changé quelque chose ? Michel Audet : on constate une boulimie d’information. On voit apparaître de plus en plus dans l’administration publique des organismes servant d’intermédiaires entre les utilisateurs d’informations et les producteurs d’informations. Par ailleurs, sur la question de la tarification des services, nous avons une politique à trois niveaux: -l’information publique générale doit être gratuite et accessible par le public le plus large possible et par le plus grand nombre d’accès publics possible ; - le deuxième niveau d’information, plus précis, répondant à des besoins plus collectifs, peut

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être donné sur demande et tarifé au coût de revient ; -le troisième niveau d’information implique de recourir aux fonctionnaires pour sortir des informations qui peuvent être utiles aux acteurs et qui doivent être tarifées en fonction du marché, c’est-à-dire de l’offre et de la demande. Philippe Schnäbele : progressivement, la difficulté portera de moins en moins sur la précision et la justesse de la réponse ; elle sera, pour l’usager, de trouver facilement, par une ergonomie appropriée, par des moteurs de recherche appropriés, le lieu précis de l’information. Pour l’administration, la difficulté portera de plus en plus sur la mise à jour de ces informations. Un investissement initial considérable est en train d’être fait. On constate déjà, dans un certain nombre de cas, une information qui vieillit mal, qui n’est pas toujours mise à jour. En matière de tarification, la doctrine française n’est pas encore très claire, elle est évolutive. Mais schématiquement, on retrouve la même logique. Un certain nombre d’informations gratuites sont diffusées très largement et des informations plus précises, ponctuelles sont payantes. Ainsi, le site Legifrance, gratuit, associé au site Jurifrance, payant, est illustratif de cette tendance. Jean-Benoît Fréches, directeur de la gestion et de l’organisation à la DGA/Défense : ma question est relative à notre organisation en termes de moyens. Nous avons vu qu’on va vers un grand partage de l’information et vers un décloisonnement. Ma crainte personnelle est que le cloisonnement, lui, se maintienne. Avez-vous des exemples d’orientations et de mise en œuvre de politiques de partage de ressources, de techniques, de puissances ? Va-t-on mettre en place des pôles de compétences communs ? Philippe Schnäbele : dans le domaine de l’administration française, et avec l’amicale pression de la direction du budget, il est clair que cette réflexion progresse. On peut donner quelques exemples : le logiciel de gestion comptable des administrations centrales ACCORD, dont je parlais tout à l’heure. Ce projet, bien engagé, vise à faire utiliser par l’ensemble des administrations centrales de l’Etat un progiciel unique, avec une équipe unique qui sera constituée pour l’occasion. C’est un premier exemple de mise en commun de moyens financiers et de compétences humaines. Deuxième exemple, la préparation des systèmes d'information locaux dont je parlais tout à l'heure. L’organisation de ce chantier de généralisation montre bien, là aussi, le facteur critique qui est le nombre de personnes techniquement compétentes. Dans plusieurs départements, cela a été l’occasion d’une réflexion sur une mise en commun des compétences des différents services déconcentrés de l’Etat entre eux. Dans plusieurs cas, des services informatiques bien constitués se sont mis à travailler pour le compte d’autres services déconcentrés Ce sont deux exemples de cette tendance, peut-être un peu lente à être mise en œuvre, mais qui est certaine dans son ambition et dans sa direction. Michel Audet : on est en train de migrer vers une approche centrée sur le contrôle des résultats, ce qui a un effet pervers de retour au cloisonnement. Sur le projet GIRES, une équipe centrale assure le déploiement en termes d’aide, de support, de formation, d’accompagnement du changement, c’est de la mise en commun de ressources. Depuis trois mois, nous rencontrons les fournisseurs ; chaque organisme prête ses meilleures ressources, humaines, matérielles, technologiques, financières sur ce projet pour qu’on puisse prendre la meilleure décision possible pour l’Etat québécois. Claude Georges, directeur départemental de la Jeunesse et des Sports en Eure et Loire : les

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apports semblent relativement précis en ce qui concerne l’information, la consultation, la mise en commun des informations administratives. Mais l’administration, c’est aussi la gestion, c’est-à-dire l’organisation des services et la prise de décisions. Nous nous interrogeons sur les conséquences des NTIC sur le fonctionnement de l’administration, dans le cadre de traitement des demandes présentées par les usagers et devant aboutir à une décision administrative. Ces nouvelles technologies vont bouleverser le fonctionnement et l’organisation du service, et notamment les processus de décision. Pourrions-nous avoir, de la part des trois intervenants, quelques réflexions ? Thierry Courtine : ce thème sera développé cet après-midi, mais Monsieur Blume peut évoquer les expériences étrangères. Daniel Blume : il y a des étapes. Souvent, dans la première étape, les gens ont des difficultés, les messages sont trop utilisés. Après quelque temps, ils adoptent une stratégie plus discrète, ils les utilisent moins et cela devient très efficace pour partager l’information et pour mieux gérer nos administrations. Michel Audet : ce sera difficile de passer dans ce type de société de l’information sans responsabilisation du citoyen par rapport à la recherche d’informations. Au Québec, nous avons développé une attitude où n’importe qui prend le téléphone et obtient une réponse sur un problème, quelle que soit la personne au bout de la ligne et quel que soit le problème. Les gens devront être un peu plus conscients de ce qu’il cherche et devront faire des efforts pour mieux le chercher. On a commencé à le faire dans le domaine bancaire. Cela ne pourra pas se faire sans déconcentration et surtout sans décentralisation. Anita Rozenholc, MTIC : j’ai beaucoup travaillé à l’aménagement du territoire et je sais combien de nombreux fonctionnaires se plaignent de devoir aller travailler dans les grandes métropoles. L’administration est faite de “ front offices ”, de guichets, mais aussi de “ back offices ”, d’arrière-guichets. Ceux-ci n’ont pas grand intérêt à être dans les grandes métropoles où les salariés sont souvent mal logés, ont beaucoup de temps de transport…Avez-vous rencontré des politiques systématiques de gestion du back office pour que les fonctionnaires passent une partie de leur temps dans l’arrière-guichet et une partie de leur temps au guichet, dans les petites communes ? Dans des pays comme l’Australie, la Finlande ou la Suède, qui ont de grands territoires, y a-t-il des politiques d’aménagement du territoire ? Michel Audet : nous ne sommes pas dans une réflexion sur l’aménagement du territoire. Par contre, nous abordons cette question par la lorgnette du télétravail. Des expériences sont tentées, surtout à Montréal à cause des problèmes de circulation. On s’aperçoit qu’on réfléchit très peu au télétravail. Dans les quelques expériences de l’administration publique, par exemple au ministère du Revenu ou de l’Assurance emploi, les gens télétravaillent en dehors des centres d’affaires de l’administration publique, à domicile, en région rurale ou en banlieue. On a développé ce qu’on appelle le taylorisme assisté par ordinateur. On diminue les routines de travail du back office, on les envoie à la résidence avec un employé de l’Etat ; il revient une journée par semaine au bureau pour faire part des résultats de son travail, pour se faire évaluer et pour rencontrer quelques collègues. Mais je dois vous avouer que l’expérience du télétravail dans l’administration publique est loin d’être une expérience très positive, parce que la technologie numérise une vieille conception de l’organisation du travail et ne sert pas de levier pour réinventer le travail. Mais je ne réponds pas à votre question, car nous n’avons

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pas encore cette dynamique-là. Le Québec ne compte que 7 millions d’habitants, avec deux grandes villes, Montréal et Québec. TABLE RONDE 1 “ INTERNET : UN LEVIER POUR DEVELOPPER DE NOUVEAUX SERVICES ” ANIMEE PAR ROBERT POMMIES Préfet du département de la Manche Thierry Courtine : l’objectif de cette première table ronde est de s’intéresser à l’avant-scène. Que se passe-t-il en termes d’usages, en termes d’informations, en termes de services à l’attention des usagers, des citoyens et des entreprises ? Il s’agit de présenter des expériences, de dégager les points forts, les difficultés rencontrées pour pouvoir réfléchir au caractère de généralisation de ce type d’expériences dans chaque administration. Ce type de projets peut peut-être se développer pour que l’entrée de la France dans la société de l’information soit quelque chose de concert, de pragmatique, au-delà du discours et de la simple volonté politique. Robert Pommies : pourquoi suis-je là à animer cette table ronde alors qu’un préfet est un généraliste ? C’est peut-être parce que nous ne sommes pas spécialistes et qu’on est à la convergence des administrations centrales, des administrations déconcentrées, des collectivités locales et surtout des concitoyens. Un nouvel accès aux bourses scolaires Jean-Claude Demari Mission communication au ministère de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie Je commencerai par un bref historique sur notre site (www.éducation. gouv.fr), avant de vous présenter les formulaires en ligne et notre expérience sur les mutations des enseignants. Il existe un site internet au ministère de l’Education nationale depuis novembre 1995. A l’époque il s‘appelait édutel.fr, ce qui évoque la filiation avec un certain nombre de services minitel. Le site éducation.gouv a ouvert le 1er février 1997. La première maquette marque une certaine appartenance à la ligne graphique du Bulletin officiel de l’Education nationale, dans la mesure où notre bureau s’occupe aussi bien de l’internet que du B.O et des sites minitel. Il va sans dire que, pour notre ministère, internet est un outil très important en raison même de la taille de notre public : il y a 15 millions d’élèves, d’apprentis et d’étudiants auxquels s’ajoutent leurs parents et 1,3 million d’agents de l’éducation, de la recherche et de la technologie. Notre cible est quasiment la société française tout entière. Quand on y ajoute l’importance accordée à internet par notre ministre, Claude Allègre, on voit que l’option internet a été dès le départ, pour nous, un service essentiel au public. Le service des formulaires a été mis en ligne après une réflexion commune entre les directions du ministère, avec le représentant du CERFA (l’ancien Centre d’enregistrement et de révision

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des formulaires administratifs, désormais intégré à la COSA, commission pour les simplifications administratives) . Ce service a ouvert en juin 1998 ; cela a duré à titre expérimental pendant six petits mois, puisque la mise en service effective de ces formulaires date de janvier 1999, avec pour les bourses des lycées, une première campagne d’inscription de janvier à mars 1999. On va ensuite passer au formulaire de demande de bourse nationale d’études du second degré. Le service que nous offrons là est intéressant certes, mais modeste puisque ce service est la disponibilité du formulaire vierge. La procédure habituelle est la suivante : les élèves retirent un formulaire au secrétariat administratif de leur lycée, ils le remplissent avec leur famille, le remettent au secrétariat qui vérifie que le document est complet et l’envoie à l’inspection académique. Celle-ci traite le formulaire avec une application informatique et accepte la demande ou la rejette. Étant donné la très grande décentralisation de notre système et la nature du public concerné, on ne peut pas proposer pour l’instant une saisie en ligne ni le renvoi par courrier électronique à une adresse. Sur 2,3 millions lycéens et lycéens professionnels, 600 000, soit 27 %, sont aidés par une bourse. Tous les ans, environ 200 000 nouveaux lycéens sont admis au bénéfice des bourses et 200 000 sortent après le bac. En 1998, l’administration centrale du ministère a passé commande, pour ces 200 000 boursiers potentiels, de 550 000 formulaires auprès d’un imprimeur. Parmi les bénéficiaires, on trouve par exemple une famille de trois personnes, avec un enfant à charge qui entre au lycée qui a un revenu annuel brut global de 62 000 F, après abattement fiscal de 10 % et de 20 % . La situation provoquée par la mise en ligne du formulaire de bourse est la suivante : nous rendons le service de multiplier les points d’accès au formulaire, nous permettons aux secrétariats administratifs des lycées de disposer en permanence des formulaires et des dernières informations validées qui les entourent ; nous permettons aussi à tout autre type de structure administrative, maison des services publics par exemple, de diffuser les informations et les formulaires. Le problème est posé par la tranche de revenus des familles. Avec 62 000 F de revenus annuels, il n’est pas évident que la première priorité soit de s’équiper d’un ordinateur performant et de s’abonner à internet. A terme, nous pensons que nous pourrons réduire ou supprimer l’impression centralisée des formulaires. Les bourses de collèges concernent 750 000 élèves en 1998-1999, soit 23 % des 3 350 000 collégiens. La prochaine campagne aura lieu du 6 au 30 septembre 1999, et un formulaire sera mis en ligne vers le 15 août 1999. Les bourses de l’enseignement supérieur sont traitées sous forme de téléprocédures, directement par les CROUS (Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires). Les formulaires de recherche d’une première inscription en premier cycle d’université française concernent les titulaires d’un baccalauréat français résidant à l’étranger, en dehors de l’Europe. Là aussi, on a procuré un formulaire vierge accompagné d’un dossier assez important, qui comporte plus de 30 pages. La campagne est très courte : en gros le mois de février de chaque année, avec un petit débord en janvier et en mars. D’où des délais très serrés pour accomplir les formalités. De plus, dans certaines régions du monde, il y a un retard du courrier. La procédure habituelle est la suivante : les formulaires vierges et leurs dossiers sont envoyés aux antennes diplomatiques ; les usagers les retirent, les remplissent chez eux, les rapportent aux antennes qui vérifient le contenu et les envoient au CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires). On voit l’apport d’internet dans cette procédure: un gain de temps d’acheminement considérable, un service utilisable directement à domicile par le public visé, qui n’a sans doute pas les mêmes problèmes que les familles des boursiers. A terme, puisqu’il existe un point central de traitement de ces dossiers, le CNOUS, on peut envisager la possibilité de remplir ce formulaire en ligne et aussi de le renvoyer directement, depuis son domicile. Mais compte tenu des usages de l’administration, il convient peut-être de ne pas supprimer la procédure habituelle dans un premier temps. Quelques chiffres : tous les

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ans, le CNOUS traite 5 000 demandes d’inscription. Pour la campagne 1999, déjà plus de 1 000 formulaires provenaient d’internet, soit 23 % des dossiers, alors que c’était la première campagne. En 1999, une partie des antennes diplomatiques n’a utilisé que le formulaire internet. L’administration centrale du ministère, c’est-à-dire la DRIC (délégation aux relations internationales et à la coopération) a passé commande de 10 000 formulaires. Un mot rapide sur une procédure qui a bien fonctionné, la procédure SIAM (Système d’information et d’aide pour les mutations). C’est un site dédié aux mutations des personnels enseignants du second degré, un secteur sensible. On y trouve toutes les informations utiles au personnel pour élaborer leur demande de mutation inter ou intra-académique et la possibilité d’accéder à différentes fonctions : consultation de son dossier, consultation des postes vacants, estimation des chances de mutation, saisie des demandes et consultation des résultats. A partir de la page d’accueil de SIAM on a un accès facile aux 30 serveurs mis en place par les académies. La confidentialité des informations personnelles est assurée par un code personnel et un mot de passe. De plus, les informations transmises sont cryptées. Lorsque l’usager quitte SIAM, les fichiers correspondant à sa recherche sont automatiquement effacés. Je ne peux vous donner qu’un premier résultat car le mouvement de mutation est toujours en cours, un résultat à mi-chemin au 22 avril 1999, après la phase inter-académique. Cela s’est très bien passé. 50 000 demandes de mutation ont été traitées par le ministère et examinées par les commissions paritaires, 76 % des demandes ont été satisfaites, contre 45 % l’an dernier. SIAM va permettre d’améliorer la mobilité des enseignants et raccourcir le calendrier pour le résultat des mutations inter-académiques qui a été connu mi-avril cette année, contre mi-juillet l’an passé. Pour terminer, j’indiquerai quelques perspectives. La première est tracée pour transformer, progressivement peut-être, les établissements scolaires en pôles d’information du public. Dès aujourd’hui, il existe sur le site du CERFA devenu COSA de très nombreux formulaires de toutes sortes et de toutes provenances ministérielles. A échéance proche, certains de ces formulaires pourraient être mis à la disposition des usagers des établissements scolaires, parents, enfants, enseignants par le secrétariat de l’établissement ou par des ordinateurs connectés, mis en libre service, même si ces formulaires n’émanent pas du ministère. Par exemple, le formulaire du BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) pourrait être utile à l’équipe des professeurs ou à des élèves de Terminale -il se trouve sur le site du ministère de la Jeunesse et des Sports- ou le formulaire de demande d’allocation parentale d’éducation, disponible sur le site de la Sécurité sociale. Deuxième série de perspectives, la mise en place, dès août 1999, d’une page articulée autour de trois rubriques : - Les formulaires concernant les élèves, - Les formulaires concernant les professionnels et les entreprises, - Les formulaires concernant les personnels et le recrutement. Cette page regroupera alors plusieurs dizaines de formulaires : l’inscription en classe préparatoire aux grandes écoles, la demande de bourse des collèges, un ensemble de formulaires concernant les entreprises du secteur de la recherche et de la technologie et enfin un ensemble de formulaires concernant la gestion des enseignants du supérieur. Les téléprocédures de l’administration pour les collectivités, les entreprises, les citoyens, Lionel Rimoux Sous-préfet de Chalon-sur-Saône Mon propos est de vous présenter une expérience territoriale globale, conduite actuellement à

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Chalon-sur-Saône, dont les caractéristiques sont les suivantes : c’est une démarche très partenariale, dans laquelle les approches, les savoir-faire et même les coûts sont mutualisés. Nous travaillons dans un cadre général du PAGSI. Notre zone a été référencée au dernier comité interministériel à l’aménagement du territoire, ce qui nous donne quelque avantage en termes de moyens. Notre structure de pilotage rassemble à la fois des collectivités locales, les chambres consulaires, les agences de développement, les journaux de Saône et Loire, non pas au titre de la publicité, mais en tant qu’utilisateurs futurs, les GRETA, etc. Tout le monde a donc intérêt à participer, pour ses développements propres, pour sa propre contribution et aussi pour la contribution globale au projet. Notre principe de projet est simple : donner à notre territoire un avantage concurrentiel en participant au PAGSI, opérer des gains de productivité et de qualité et même financiers, développer des espaces de tertiarisation possibles dans le domaine de la téléprocédure. Nous redoutons le terme d’expérience, nous préférons parler de développement. Notre action doit être faite en concertation avec les administrations centrales, bénéficier d’un référencement pour diffusion ou mise à disposition des infrastructures matérielles et logicielles développées en direction d’autres territoires. Dans le domaine de la téléprocédure en collectivité, il s’agit bien d’identifier et de développer l’intégralité des relations Etat-collectivités locales à terme. Les stades préalables, dits pré-requis, sont l’équipement en matériel, la formation des élus et des fonctionnaires, qu’ils soient d’Etat ou de la fonction publique territoriale, la pratique de la messagerie entre nous, aimablement au départ et formalisée ensuite, avec des protocoles, des standards et les logiciels correspondants. Le premier développement, sur lequel nous sommes aujourd’hui en phase pré-opérationnelle, est le contrôle de la légalité des délibérations. Anciennement, les délibérations étaient préparées par le secrétaire de mairie, passées au conseil municipal, éventuellement retravaillées, imprimées, signées, mises sous pli, affranchies, acheminées suivant des délais variables, arrivées dans une sous-préfecture ou dans une préfecture, décachetées, tamponnées. Pour accuser réception, pour rendre la délibération exécutoire, un certain nombre d’exemplaires retournaient à la commune et étaient tamponnés. Enfin, la délibération arrive là où elle devait arriver, sur le bureau du fonctionnaire chargé du contrôle de la légalité. L’opération était donc lourde pour les communes, elle manquait de traçabilité, était génératrice de coûts. Le nouveau système permet d’envoyer les délibérations d’un simple mouvement de souris, de manière sécurisée et authentifiée, et de générer, au travers d’un notaire électronique, un accusé de réception électronique et automatique: c’est le premier élément de traçabilité. Deuxième élément, la délibération et les pièces jointes sont entrées sans innervation dans une base de données ; l’exploitation peut se faire en ligne, par le fonctionnaire. Côté Etat, on a très clairement muté des tâches logistiques, de manipulation incessante de papiers et de classement, en tâches de fond ; faire du droit à partir des actes des collectivités locales. Pour les collectivités locales, la perspective est de faire référencer ce système qui fonctionne avec des vraies collectivités, en zones rurales et en zones urbaines. Et de poursuivre le développement, suivant ces mêmes principes en matière d’urbanisme et de comptabilité publique, ce qui est plus compliqué et nécessitera sans doute un groupe de réflexion sur les méthodes. Nous ne pouvons pas, dans ce dernier domaine, entamer un développement sans avoir préalablement les pré-requis réglementaires et juridiques du niveau central. En termes de méthodes, nous avons associé à tous ces développements les utilisateurs, c’est-à-dire les élus et les fonctionnaires territoriaux, mais aussi les fonctionnaires qui auront à mettre en œuvre ce système. La contribution à l’ergonomie générale du système a été tout à fait excellente. La mutation dans les méthodes de travail a eu lieu concomitamment, sans douleur. Aujourd’hui, cette plate-forme est développée, elle fonctionne, elle va être étendue sur tout un

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arrondissement, voire sur tout le département dans les mois qui viennent, probablement à l’automne. Elle est aussi dimensionnée pour accueillir d’autres arrondissements ou d’autres départements. Se pose tout de même le problème de la légalisation. La signature électronique sera un fait dès que notre code civil aura été réformé. Le Premier ministre l’a annoncée et c’est probablement la meilleure nouvelle, dans le domaine des NTIC, de l’année 1999. Ce sera un coup d’accélérateur fantastique pour arriver au “ zéro papier ”. Le jour où cette légalisation-là interviendra, nous serons en mesure de passer, sur ce territoire-là, au “ zéro papier ”. Aujourd’hui, nous restons, pour être juridiquement valide, en double commande allégée, de manière à garder une trace papier, opposable notamment devant les tribunaux. C’est la période transitoire. Du côté des entreprises, on trouve un développement similaire avec les mêmes méthodes, les mêmes plates-formes. Nous sommes engagés aujourd’hui dans le développement de la déclaration d’échanges de biens communautaires, avec la direction interrégionale des douanes, mais aussi la direction générale des douanes. C’est un bel exemple de croisements horizontal et vertical, cela marche très bien, ce n’est pas si compliqué qu’on pouvait le penser. La communication marche bien, nous travaillons à la fois en partenariat local avec les collectivités et avec une trentaine d’entreprises et un grand opérateur, car c’est une procédure un peu complexe en back office. Enfin le troisième axe est constitué des téléprocédures aux citoyens. Nous avons considéré qu’il y avait danger d’entropie, c’est-à-dire la propension naturelle à multiplier des téléprocédures dédiées. C’est une affaire qui, territorialement, manquera certainement de lisibilité à terme sur un territoire. Nous sommes en train de développer dans l’agglomération chalonnaise ce qu’on appelle un guichet universel distant, où nous serons amenés à commettre des normes. Les responsables de téléprocédures se brancheront sur ce réseau un peu normé, ouvert aux citoyens –parce qu’aujourd’hui le taux d’équipement des ménages ne permet pas de le faire raisonnablement à domicile. Cela permettra de mutualiser les coûts de diffusion, cela permettra l’émergence d’un nouveau métier de cyberguichetier universel. La signature électronique nous paraît une chose importante. Nous sommes complètement décloisonnés dans cette affaire-là, avec des zones centrales communes, mutualisées, comptant d’un côté des services de l’Etat, de l’autre des opérateurs, y compris des opérateurs de certification, des systèmes clients et des systèmes producteurs, sachant que les communes elles-mêmes en sont un, puisque, quand un tel système existe avec son maillage et ses outils, il suffit de faire preuve d’un peu d’imagination et de rigueur pour qu’un établissement public intercommunal puisse se gérer exactement de la même manière, avec des coûts résiduels marginaux. La signature électronique, ce n’est seulement un problème de savoir-faire et de savoir distribuer un certificat. Les opérateurs savent faire ce métier. Nous avons un problème de garantie, c’est pourquoi nous développons un modèle, que nous proposerons probablement à la validation. Il faudra une autorité de certification. Il y aura aussi une nécessité d’autorité d’enregistrement ou de séquestre ; il faudra bien, avant d’entrer dans la téléprocédure, que les futurs usagers se présentent la première fois –afin d’en être dispensés à jamais, nous l’espérons- pour faire la preuve de leur identité ou de leur qualité. Troisième élément, l’opérateur de certification. On ne peut pas dire que la certification aujourd’hui soit seulement un problème technique, c’est aussi un problème juridique, un problème de méthode : il faut développer à la fois des réseaux pour permettre aux gens de pouvoir se faire certifier, mettre en place un opérateur qui soit agréé et désigner une autorité de certification. A mon avis, c’est un rôle qui incombe à l’Etat. L’autorité de certification assure l’intégrité de ces approches.

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La déclaration des revenus 1998 : garantir une réponse aux questions en 48 heures Dominique Gibrat Sous-directeur chargé du département communication à la DGI (direction générale des Impôts) Toutes mes excuses pour cette remémoration d’un week-end douloureux que vous avez tous subi en remplissant votre déclaration d’impôt sur le revenu. Mais rassurez-vous, puisque c’est aussi un grand -et peut-être le premier- moment de communion nationale. Je vous rappelle brièvement le contexte : l’administration fiscale est confrontée à un traitement de masse. Nous adressons chaque année 31 millions de déclarations pré-imprimées, nous recevons physiquement, sur une période très concentrée d’une quinzaine de jours, près de 3 millions de personnes, tandis que près de 2,5 millions de personnes sont renseignées par téléphone. Ce vecteur de communication personnalisée s’insère dans un dispositif de renseignement automatique, de serveurs vocaux : le minitel (782 000 connexions sur le minitel qui permet d’accéder à des renseignements fiscaux généraux, voire de calculer l’impôt par l’entrée IR), le vecteur plus classique des dépliants (une vingtaine), la télévision, la radio (avec des émissions comme “ le téléphone sonne ”, des centres de renseignements téléphonés sur certaines chaînes comme RTL, sans oublier que nous sommes présents aussi sur des radios moins connues mais qui nous intéressent car elles touchent des publics un peu ciblés (comme Radio Beur), la presse écrite, internet. Le site internet du ministère des Finances est un site important, par sa taille, par sa qualité qui est reconnue et par le nombre de consultations. On constate une montée en puissance très forte du nombre de connexions. Les chiffres suivants ne concernent que les connexions concentrées pendant la période de déclaration des revenus : 2 millions en 1997, (sur un total de 8,7 millions), 11 millions en 1998 (sur un total de 36 millions) et 26 millions au 15 mars 1999. Cet internet a un fort contenu fiscal, mais pas uniquement : il est organisé pour que le cloisonnement des directions soit le plus discret possible. L’usager n’a pas devant lui des directions séparées mais des matières. On y trouve un fonds documentaire très important. Un conseil : n’achetez pas le Code général des impôts ni le recueil des conventions fiscales. Ils sont en libre consultation sur le site, de même que le Précis de fiscalité, les organigrammes, les dépliants et tous les renseignements qui concernent les non-résidents. Ce sont aussi des prestations. L’usager peut commander des formulaires qu’il reçoit ensuite par la poste (4 000 en 1998, 15 000 en 1999), ou les télécharger, voire les remplir en ligne. Le téléchargement est une opération simple : on fait sortir sur son imprimante le formulaire qui vous intéresse (à la fin de l’année 1999, une centaine de formulaires fiscaux seront en ligne).Le remplissage en ligne est plus intéressant, c’est le cas de la déclaration d’impôt sur le revenu. On peut la faire apparaître à l’écran et avant de la sortir, la remplir à l’écran et, mieux encore, la remplir en bénéficiant d’une assistance en ligne. Des boîtes de dialogue permettent, en cas d’hésitation, d’accéder à des renseignements et de remplir le formulaire efficacement. Bien entendu, ce n’est pas encore la véritable téléprocédure qui est espérée par l’ensemble des usagers. La presse nous a un peu brocardés sur ce système de remplissage en ligne, puisque ce qui intéresse l’usager, c’est de pouvoir réexpédier son formulaire de la même façon qu’il l’a reçu. On le fera très bientôt, on bute sur quelques difficultés, non pas techniques, mais de sécurité juridique ; il faut éviter tout risque de falsification. Nous n’avons pas non plus résolu quelques problèmes accessoires comme l’envoi des justificatifs. Cette année, 76 000 formulaires ont été téléchargés par les contribuables. On peut également calculer son impôt sur internet (673 000 connexions). Voici le contexte dans lequel nous

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avons décidé cette année, pour la première fois en vraie grandeur, de franchir une étape supplémentaire et de mettre en place un système de réponse en ligne, personnalisée, aux questions des contribuables. Nous l’avons expérimenté de façon très progressive –le bout du pied dans l’eau pour commencer- : 500 réponses, en 1997, à des messages qui étaient peu nombreux, 3 000 en 1998 , tout cela étant fait au sein de l’administration centrale. Devant cette progression importante, nous avons décidé d’expérimenter cette année un dispositif faisant intervenir des directions déconcentrées. Celui de 1999 s’appuie ainsi sur les directions départementales, à partir d’un formulaire de saisie. Notre propos de départ était d’avoir un système entièrement dématérialisé, donc une boucle totale en zéro papier, depuis l’internaute jusqu’au retour à l’internaute. Ce traitement a été totalement déconcentré, puisque nous évitons en administration centrale d’avoir des tâches de production, si ce n’est à titre expérimental. Nous avons lancé un “ appel d’offres ” à nos directions départementales : sur 117 directions des services fiscaux 35 se sont portées volontaires, certaines même de façon très enthousiaste ; nous avons fait quelques déçus puisque nous n’avons pu en retenir que 12 pour calibrer le dispositif de façon raisonnable par rapport à nos prévisions de trafic. Nous y avons ajouté une direction spécialisée en fiscalité internationale, compte tenu des nombreuses questions posées par les non-résidents. Derrière cet appel à des directions déconcentrées, les moyens humains qui ont été déployés sont relativement importants. Dans chaque direction, de façon à pouvoir faire face à une montée en puissance d’un trafic qui était pour nous inconnu, nous avons formé des équipes de 5 personnes (5 postes) encadrées par un inspecteur principal en laissant carte blanche aux directions pour s’organiser sur la tenue de ces postes. Deux options étaient possibles : soit des gens s’y installent quasiment à plein temps pendant la campagne impôt sur le revenu, soit on fait une rotation importante d’agents. On a vu les deux cas de figure, certaines directions allant jusqu’à faire passer 60 ou 80 agents sur ces 5 postes, d’autres laissant les agents en place pour se spécialiser. Le matériel mis en place : un parc de 70 micro-ordinateurs équipés de leur modem. La mobilisation a duré à peu près un mois pour mener à bien cette opération que nous avons commencée à concevoir au mois de décembre pour êtres opérationnels pendant la campagne d’impôt sur le revenu, en février-mars. Ce site a été ouvert du 11 février au 15 mars. On a vu très rapidement -c’est l’intérêt de ces techniques, la facilité de suivre l’activité des équipes- des agents démarrer et traiter une quinzaine de messages par jour et terminer, pour certains, à près d’une trentaine. On a donc vu une familiarisation, une dextérité très rapide s’acquérir sur ce système de réponse par messagerie. Il y a des comparaisons à faire - cela fait partie de nos réflexions- entre l’efficacité de ce dispositif par rapport aux renseignements par téléphone. On traite effectivement nettement moins de messages par ce moyen qu’on en traite par téléphone ; le contenu est néanmoins différent. Les réponses sont personnalisées : les contribuables, après avoir été filtrés par les étapes de renseignements automatiques qui évitaient de mettre un agent pour rien sur du renseignement de premier degré, pouvaient poser des questions concrètes et recevoir une réponse d’un agent. Nous avons dû –c’est la difficulté de la matière fiscale- définir soigneusement à l’avance le statut de ces réponses et l’attitude de nos services face à des questions parfois très pointues. En matière fiscale, lorsque l’administration prend position par écrit, la réponse qu’elle fait lui est ensuite opposable. Comment résoudre cette question dans un média qui n’est ni écrit ni parlé, qui n’est pas sécurisé puisqu’un informaticien un peu habile peut transformer la réponse qu’il reçoit de nous ? Nous avons pris le parti d’accepter une certaine prise de risque -on a décidé à un moment de plonger sans essayer de résoudre une situation qui n’était pas soluble. Pour éviter de gros ennuis (un contribuable qui chercherait une réponse qui l’arrange dans un conflit avec un inspecteur local, quitte à entrer trois ou quatre fois sous des identités

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différentes), nous nous en sommes remis, après les avoir bien “ briefés ”, à la professionalité des agents qui savent déceler, derrière une question, la situation particulière pouvant poser problème. Ils avaient pour consigne de renvoyer l’internaute sur son centre de rattachement. Les usagers n’étaient pas ceux territorialement assignés aux agents qui répondaient. Pour l’essentiel, les questions étaient générales, parfois assez pointues. Nous avons rapidement réalisé que les réponses relevaient d’une technique rédactionnelle qui méritait une formation plus approfondie que celle que nous avions dispensée : cela fera partie des enseignements de l’expérience. Bilan de l’opération : 15 600 messages reçus, 13 800 questions traitées (l’écart est dû au fait que certaines questions ne comportaient pas de références permettant d’y répondre). Tous les messages qui comportaient ces références ont reçu une réponse, dans les 48 heures. Sous quelques réserves, ce délai a été tenu. Le bilan humain est très largement positif. Les directions qui se sont portées volontaires l’ont été parfois de façon enthousiaste, les agents eux-mêmes ont été très motivés. Cette opération a été un facteur de décloisonnement très net, d’ouverture également, puisque des agents de départements très éloignés de la région parisienne ont répondu par exemple à des questions sur la déductibilité de la carte orange, ou des départements sans aéroport à des questions parfois nombreuses du personnel navigant sur sa situation fiscale. On a noté une appétence assez forte pour cette technique du fait de ses aspects de télétravail. L’administration fiscale est confrontée, comme d’autres, à des difficultés de redéploiement : nous cherchons à mettre les agents des impôts là où il y a du tissu fiscal, ce qui nous oblige à rapatrier des postes et à faire chaque année des malheureux dans les départements provinciaux, puisque nous supprimons des postes en province pour les transplanter à Paris. L’embryon de télétravail qui existe derrière ces dispositifs a été un facteur important de l’intérêt porté par les directions à cette opération et aussi d’une position de nos syndicats qui a été relativement “ profil bas ” là-dessus, même si comme toujours ils peuvent être méfiants. Tout n’est pas parfait, bien entendu, nous avons éprouvé des difficultés du fait de l’inadaptation de la messagerie utilisée, une messagerie personnelle mal adaptée à ces traitements de masse (on s’attend à 50 000, voire 60 000 connexions l’an prochain), d’une formation sans doute insuffisante, notamment sur la technique de rédaction dématérialisée et de l’organisation. Pour éviter que ne se reproduise un taux de perte de messages, nous sécuriserons de façon plus rigoureuse nos formulaires à l’entrée du dispositif. Pour le reste, quelques observations techniques : un enregistrement chronologique des messages nous sera utile, même si nous sommes censés ne pas conserver –nous ne les conservons pas d’ailleurs- trace des questions et des réponses, compte tenu des exigences de la CNIL. Enfin, et ce point est important, nous avions localement un pilote, donc une équipe et un responsable. Tout en laissant carte blanche aux directions pour organiser leur architecture, nous avons pu, de façon assez efficace, travailler en étroite relation avec eux. Notre collaborateur Patrick Graniou recevait ces messages sur sa messagerie, en faisait des lots -un alottement quotidien- et les dirigeait sur ces 12 directions (plus une). A la moindre difficulté technique, il était, avec un agent, en posture de hot line pour résoudre toutes les difficultés. Il y en a eu quelques-unes, mais elles n’ont pas porté atteinte au dispositif. La procédure de visa est sans doute un peu spécifique à la matière que nous traitons ; elle a nécessité la présence d’un employé supérieur pour visionner à l’écran les réponses adressées afin de sécuriser, de répondre à nos inquiétudes sur la portée juridique des réponses. Néanmoins, tout cela s’est fait en dématérialisation totale, puisque ce que Patrick Graniou envoyait aux agents était reçu directement par eux sur le poste de travail. Les agents

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basculaient les réponses faites sur le poste de l’inspecteur principal qui les renvoyait à l’internaute. La boucle était bouclée sans papier. Le point de vue d’un élu local Bernard Longhi Maire de Marly-le-Roi Personnellement, j’ai horreur du terme téléprocédure, car il fait penser à quelque chose de difficile et de formaliste, alors que l’enjeu est de rendre le service public plus accessible à nos citoyens et à nos entreprises. Je voudrais vous apporter un témoignage modeste, né bien sûr de notre pratique quotidienne à Marly-le-Roi, où, avec François-Henri de Virieu, nous avons essayé de promouvoir un projet de ville numérique, à l’égal des projets d’urbanisme, d’aménagement de la ville, de politique sociale et de modernisation des transports. Nous avons quelques débuts de bilan à ce titre-là. Je voudrais aussi vous faire part de quelques témoignages d’autres villes, puisque je préside l’Association des villes numériques d’Ile-de-France et que j’ai été chargé dernièrement par l’Union des maires des Yvelines de lancer une réflexion sur une autorité de certification départementale. Enfin, les quelques propositions que je vous livrerai sont nées de l’animation d’un atelier dans le cadre de la mission de Bruno Lasserre au Commissariat général au Plan, où nous travaillons d’ailleurs avec Gilbert Santel pour faire des propositions dans ce domaine de la modernisation de l’Etat grâce aux nouvelles technologies de l’information. Il est important de rappeler trois enjeux fondamentaux. Le premier est un enjeu de société : il s’agit de permettre à l’ensemble de nos citoyens d’entrer de plain-pied dans la société de l’information, qui présente un risque de nouvelle fracture sociale. Derrière le discours que nous avons sur internet, intranet et les technologies de l’information, il ne faut pas oublier un enjeu fondamental : nous avons à faire entrer nos citoyens dans cette ère de la société de l’information. Deuxième point important, nous pensons que les maires ont un rôle capital à jouer. Il y a encore un an et demi, on débattait encore pour savoir s’il fallait arbitrer en faveur de la restructuration de nos écoles ou dégager des budgets pour mettre en ligne des services en ligne. Le troisième enjeu est celui de la finalité de l’action publique au niveau des services à rendre. Il s’agit fondamentalement du développement local à mettre en œuvre, à partir de technologies souvent orientées vers un développement global. Un état des lieux : en 1995, on comptait en France moins de 50 sites internet de communes, plus de 100 en 1996 et plus de 500 à la fin 1998. En 1999, plus de la moitié des villes de plus de 10 000 habitants aura un site internet. Cela nous oblige à réfléchir sur ce que nous pouvons mettre à disposition sur ces médias nouveaux. Nous faisons face à une nouvelle demande sociale. Souvent dans un foyer, les deux personnes travaillent et ne disposent que du samedi matin pour se rendre en mairie et accomplir certaines formalités, à l’état civil, à l’urbanisme ou au service social par exemple. Dans une société dominée par le travail, même si on parle actuellement de réduction du temps de travail, nous ne sommes plus en face d’usagers, mais massivement de consommateurs de services publics. C’est fondamentalement différent. Les gens ne comprennent pas que notre administration soit en retard par rapport à ce qu’ils ont l’habitude de voir dans le domaine des entreprises ou dans le domaine bancaire. C’est un moyen supplémentaire pour passer d’une démocratie seulement représentative à une démocratie participative.

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Les comportements des élus évoluent. Ils se préoccupaient, il y encore quelques mois, uniquement du débat sur les infrastructures de télécommunications (fallait-il être acteur dans ce domaine, au niveau d’une ville ou au niveau intercommunal ?) pour s’intéresser aujourd’hui à un débat de services : quels sont les services qu’on peut rendre à nos concitoyens ? Non seulement, cela bouge, mais on passe à de vrais débats. Quels sont les domaines où nous pouvons agir ? L’Association des maires des grandes villes de France fait une enquête tous les ans sur les usages. D’après l’enquête de 1998, dans les priorités affichées dans le domaine des télécommunications et du multimédia par les communes, l’information du citoyen arrive au premier rang, suivie du développement économique, de l’amélioration du fonctionnement administratif, de l’éducation, de l’amélioration de la vie démocratique, de l’aménagement du territoire, des économies budgétaires, de la culture et du développement du tourisme. Au niveau des villes, quels sont les axes où nous pouvons agir ? Trois axes : 1) Faire entrer tous nos concitoyens dans l’ère de la société de l’information. Cela passe, pour nous, par une véritable philosophie de l’action politique : c’est l’accès gratuit à l’internet, à partir des écoles et des cyber-lieux. Un maire doit se tenir à distance respectueuse de l’Education nationale. Nous avons pour mission d’équiper en télécommunications nos écoles maternelles et primaires. Nous avons demandé aux directeurs d’écoles de mettre au point des chartes pédagogiques. Après quoi, nous pouvons les aider à mettre en réseau leurs salles de classe, à mettre sur pied un serveur où les parents peuvent trouver différentes choses, notamment des nouvelles des classes transplantées ou les compte-rendu des conseils de classe, par exemple. Au début, il y a deux ans et demi, une seule école a répondu ; aujourd’hui, je ne sais plus où donner de la tête au niveau du budget municipal en la matière. Dans ce domaine, je crois qu’il est très important de jouer la confiance et le volontariat. En matière de cyber-lieux, notre philosophie, à Marly, est de fournir des accès gratuits. Nous avons 5 cyber-lieux: à la bibliothèque municipale, au foyer des personnes âgées -je suis très fier de mes cyberpapies et de mes cybermamies-, à l’espace jeunes, arrivé après les anciens, à la maison des associations, au service emploi de la mairie et bientôt à l’office du tourisme et à la Chronique de Marly, dans le vieux village. Nous considérons qu’il y a là un enjeu de société : mettre des accès gratuits à la disposition de l’ensemble des citoyens. En contrepartie, nous discutons durement avec les opérateurs de télécommunications pour réduire notre note téléphonique, de façon à aménager des forfaits de télécommunications au niveau local. Nous sommes très vigilants quant aux décisions que l’ART a prises ou prendra dans les mois à venir de façon à favoriser quelques accès sur le câble ou sur d’autres médias (je pense à l’ADSL, qui est la récupération du réseau téléphonique de France Télécom de bout en bout pour faire passer de très hautes vitesses, plus rapides que le câble). Il faut entrer dans cette société en maîtrisant ces outils de technologie de l’information. 2- C’est une mairie et un service public communicants. Certaines mairies préfèrent commencer par l’intranet avant d’ouvrir des sites internet dans leur prolongation. Personnellement, je penche pour l’inverse : commencer par des services internet à destination des citoyens et des entreprises et faire en sorte que l’intranet de la collectivité se mette en place en fonction de la finalité qui est d’offrir un service public en ligne. Dans beaucoup de villes, nous avons passé une phase 1. La phase 2, c’est la mise en ligne des services publics : à Marly, les imprimés de l’état civil (extraits de fiches familiales ou individuelles). Nous venons de passer un accord avec la sous-préfecture pour mettre en ligne, sur le serveur municipal, la demande de cartes grises.

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3- Le renouvellement du développement local. Là, le secteur public et le secteur privé peuvent jouer les partenariats. Sur les sites internet, nous pouvons avoir des hyperliens avec les sites des entreprises installées sur notre territoire et nous pouvons offrir –c’est le cas à Marly- des pages gratuites aux artisans et commerçants. Ils ont deux ou trois pages de présentation avec un e-mail qui leur est offert au niveau de la mairie. Nous croyons aussi beaucoup à une synergie en matière de carte à puce ville entre les paiements de services publics municipaux et les cartes de fidélité de commerçants. Nous poursuivons actuellement une expérience dans ce domaine-là. Je crois que c’est important pour les commerçants de bénéficier d’un volume de cartes à puces ville, distribuées notamment au travers des régies scolaires. En matière de propositions, et c’est un appel au dialogue entre l’administration centrale, déconcentrée et les collectivités locales, nous avons besoin d’enrichir trois actions fondamentales : - faire en sorte que nous ayons des portails qui soient cohérents. Portail est un mot

québécois : en français, on aurait appelé cela guichet unique. Nous allons multiplier les portails, que ce soit les portails de proximité au niveau des communes ou les portails de l’administration centrale. Je cois que nous devons tous ensemble mettre en réseau l’information ou les services que nous pouvons délivrer à partir de portails de proximité que sont les communes (on s’adresse souvent au maire pour des sujets qui ne relèvent pas de sa compétence). Il faut rendre cohérents les portails entre les communes, les départements, les régions et l’administration centrale.

- Conduire des chantiers transversaux. J’ai appris, et c’est capital, que certaines directions départementales de l’Equipement étaient tout à fait à la pointe pour le suivi des permis de construire et de leur instruction en ligne sur internet, avec l’ensemble du tracing. Nous avons à mettre en œuvre des chantiers transversaux, que ce soit dans le domaine de l’état civil, de l’urbanisme, de l’aménageant, du social ou de premier emploi.

- Faciliter le cadre réglementaire. On citait les délibérations à transmettre en sous-préfecture pour le contrôle de légalité. Nous le faisons depuis décembre 1996, avec la sous-préfecture de Saint-Germain. Le surlendemain, je renvoie un coursier parce que nous n’avons toujours pas la signature électronique légalisée. En cas de problème, le sous-préfet ne peut prendre en compte que le point de départ de la réception du papier. Derrière l’inclusion dans le Code civil, annoncée par Lionel Jospin, que nous attendons tous, de la signature numérique et l’authentification de documents électroniques, il y a un chantier énorme d’autorité de certification. Nous travaillons, pour les Yvelines, à regarder comment nous pourrions avoir une seule autorité de certification. Nous serons obligés de travailler sur des certificats qui seront enregistrés, qui seront temporaires. Le grand enjeu, c’est qu’on puisse parfois réutiliser les mêmes certificats quand on demande certaines téléprocédures à l’Etat ou dans une commune. Je vous propose de favoriser la mise sur pied d’un lieu de dialogue permanent entre l’Etat et les collectivités territoriales. J’espère que cette journée sera le point d’envoi d’une telle volonté car nous avons besoin de réfléchir tous ensemble à ce que cela signifie d’éviter une nouvelle fracture sociale et de faire en sorte que les services publics soient la fierté des fonctionnaires publics, qu’ils soient centraux ou territoriaux.

Robert Pommies : avant de passer aux questions, je voudrais vous faire part d'une réflexion. Le mot "levier", qui figure dans le titre du colloque, est devenu un mot-clé de l'administration. J'ai voulu savoir ce qu'il signifiait. J'ai regardé le Grand Larousse du 20ème siècle, édition de 1951 (la préfecture de la Manche n'ayant pas de gros moyens). Je vais vous lire la définition,

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car ce que j'ai trouvé est assez savoureux. Un levier est un corps solide capable de tourner autour d'un axe et soumis au moins à deux forces qu'on appelle la puissance et la résistance. On distingue trois types de leviers : - celui dans lequel l'axe d'appui est placé entre la puissance et la résistance. Entre parenthèses: balance romaine. - celui dans lequel la résistance est entre l'axe d'appui et la puissance. Entre parenthèses : casse-noix. - celui dans lequel la puissance est entre l'axe d'appui et la résistance. Entre parenthèses : pince à sucres. Alors je vous laisse le choix : balance romaine, casse-noix - ça c'est peut-être pour mon voisin de gauche (Dominique Gibrat) - ou pince à sucres. Vous avez la parole. QUESTIONS Pascal Lebrun, chef de bureau internet, DICOD, Défense : J'ai une question qui s'adresse au maire de Marly-le-Roi. Est-ce que vous pouvez nous donner une idée des trafics générés sur votre site et sur les différents services que vous apportez à vos administrés ? Bernard Longhi : en ce qui concerne notre site, nous avons une moyenne, en termes de visites (je ne parle pas de connexions), une montée en puissance progressive, depuis l'ouverture de mai 1997 sur notre site et nous en sommes actuellement à 2 500 visites par mois. Donc, c'est à la fois peu et beaucoup. Peu, parce que nous sommes une ville de 16 676 habitants. Nous avons effectivement, dans les communes, différents trafics liés à la taille de la ville- c'est un critère -, mais aussi à la richesse du contenu. Donc, sur notre site, nous avons franchi une première étape en mettant cinq espaces électroniques à disposition de nos citoyens, qui sont : les informations municipales, la chronique de Marly le Roi, dont une version électronique existe sur le site avec l'ensemble des archives, l'information des associations (ce qui pose un problème de charte de publication, au vu des dernières condamnations d'éditions électroniques de certains sites internet), l’information venant des entreprises (je le signalais tout à l'heure) et un ensemble d'informations qui permet après, par un système d'hyper-liens, de se retrouver sur Pariscope ou sur d'autres "sortierama" pour le domaine du théâtre et du cinéma. Je dirais que cela forme un ensemble d'une phase 1 qui est la mise à disposition d'informations avec des boîtes à lettres électroniques qui sont associées. Donc on peut écrire au maire. Je reçois actuellement une moyenne de 20 à 50 messages électroniques par jour. Là aussi, je ne relancerai pas le débat de la démocratie virtuelle, mais cela va de la demande des horaires du marché jusqu'à une opinion ferme et entière sur le projet d'urbanisme qui est soumis en enquête publique. Il y a en somme certainement des multitudes de correspondances. La phase 2, nous l'avons commencée, c'est la mise en ligne de services publics. Nous ne sommes pas la seule commune à avoir mis en ligne l'état-civil. Nous poursuivons avec l'urbanisme et le social. Derrière, cela signifie que nous allions un plan de mise en réseau avec la sous-préfecture (pas uniquement) mais aussi avec le Conseil général puisque nous allons faire en ligne, pour tout ce qui est cartes de transport, la gestion de la délivrance des cartes Améthyste et Rubis. Philippe Schnäbele : Une question qui s'adresse à l'un ou à l'autre, mais je crois d'abord à M. Longhi : dans quelle mesure les services que vous pouvez apporter à l'extérieur

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impose une organisation interne ? Et quelle est votre expérience en la matière ? Bernard Longhi : En ce qui nous concerne, je crois qu'il y a un impact direct sur la mise en place soit d'un site internet, soit d'une carte à puce. Je crois qu'on peut prendre l'exemple du site internet. Le fait d'avoir des courriers électroniques, et cela a été cité par la Direction générale des impôts, nous impose une vitesse de réponse qui n'a rien à voir avec celle du papier. Cela veut dire que là où on avait une moyenne de réponses de 15 jours à 3 semaines, il faut répondre en moins de 48 heures, et encore, moins de 48 heures, c'est extrêmement long pour un internaute quotidien et chevronné. Autrement dit, immédiatement derrière l'ouverture sur un internet des boîtes aux lettres électroniques sur un service, il y a un intranet qui se met en place, bien sûr pour la mise en réseau d'une messagerie interne, mais de l'organisation des réponses. Cela implique de revoir l'organisation totalement hiérarchique entre les différents visas qui arrivaient d'un service au directeur, au secrétaire général et sur le bureau du maire, et qu'il y a certainement là une nouvelle délégation à mettre en place. Même chose pour l'introduction d'une carte à puce au niveau de la réorganisation des services. Nous avons pour la régie scolaire, pour les centres de loisirs, pour la piscine municipale, pour la bibliothèque municipale, mis en place une carte à puce. Cela signifie très directement : suppression de plusieurs régies, mise en place d'une seule régie municipale et donc réorganisation des services afférents. Voilà quelques impacts très directs. Je pense que là où il y a nécessité de penser en même temps service rendu aux citoyens et organisation interne, c'est qu'en fonction de la finalité du service que nous rendons, il y a bien évidemment à choisir des services volontaires. On n'y arrive pas toujours dans une mairie. C'est certainement la même chose dans les administrations centrales. Il y a certainement à jouer sur le volontariat au niveau des directions et des services. Robert Pommies : Dans le même sens, M. Gibrat l'a évoqué, prenons le cas du suivi des dossiers personnels. Donner des informations sur la façon dont on obtient une carte nationale d'identité, c'est un service qui n'engage pas trop l'administration. Permettre à l'administré de savoir où se trouve son dossier de demande de carte d'identité, lorsque depuis la gratuité de l'an passé on a parfois plusieurs mois de retard, cela veut dire que l'administration prend le risque de montrer qu'on n'est pas toujours très bons. C'est aussi une des difficultés. Il y a les heures supplémentaires, la spécialisation des personnels, l'engagement d'une responsabilité juridique,... Il y a beaucoup de problèmes, quand même, qui se posent. Je ne voudrais pas freiner votre enthousiasme mais je me dis : autant, si on en reste simplement à l'annonce des services, il n’y a pas de difficulté, autant, si on veut aller plus loin, il y a des risques de bloacage. Je pense notamment au suivi des dossiers. L’avancée serait considérable pour l'administration : imaginez que vous sachiez où en est un permis de construire.... C'est intéressant, mais cela remet en cause beaucoup de choses. J'aimerais avoir votre idée là-dessus. Lionel Rimoux : Je pense d'une manière générale qu'on va introduire sur ces procédures-là quelque chose qui était singulièrement absent de l'administration, c'est-à-dire la démarche qualité quasiment procédure par procédure. Démarche qualité, cela veut dire qu’à chaque développement, on insèrera les développements dans des critères de qualité, de temps, de délai de traitement et de traçabilité. Moi, cela me semble tout à fait indispensable. On le voit sur nos premières applications, on le pressent sur les suivantes. La procédure, le service aux citoyens, doit être complètement désossée en amont et reconstituée en modes opératoires avec la qualité attendue par l'usager et non pas la complexité administrative projetée sur l'usager comme on le voit quelquefois aujourd'hui. C'est un énorme travail qui doit se faire procédure

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par procédure. Cela dit, on ne pourra pas en faire l'économie si on prétend vouloir être plus efficace. Question anonyme : Tout ce que fait la mairie de Marly le Roi est tout à fait intéressant en termes de services. Mais est-ce que vous pouvez nous dire quelles sont les incidences sur les emplois, par exemple, que paie la mairie, avant ces services et après ? Vous avez parlé tout à l'heure de mettre en commun les régies, d'en supprimer d'autres. Cela, ça veut peut-être dire des emplois en moins, certes des services pour le citoyen. Pouvez-vous nous donner une idée globale de l'impact de ces nouvelles activités sur l'emploi dans la mesure où il dépend de la mairie ? Bernard Longhi : Je crois qu'on n'a pas de réponse absolue actuellement. Globalement, ma conviction, c'est que nous allons vers des emplois plus qualifiés et qu’on est en train d’automatiser les tâches automatisables. C'est mon opinion sur ce qui va se passer dans les années qui viennent. De façon concrète, pour essayer de répondre à vos questions, nous sommes face à des pointes de charge dans les mairies et les administrations (vous citiez les mois de retard sur les cartes d'identité) qui font que nous ne sommes plus capables d'assurer tous les services, dans une certaine mesure de qualité, pour nos citoyens. Donc je crois que pour le moment, l'heure n'est pas du tout à la suppression d'emplois, en tout cas c'est ma conviction sur le terrain. Je peux vous dire que la courbe, à la mairie de Marly, est plutôt en train de se stabiliser après avoir, ces dernières années, enregistré des recrutements. Nous étions face, non pas à une inflation, ce serait un mot beaucoup trop fort, mais à une demande de compétences liée à la mise en place de ces nouveaux moyens. Je citerai par ailleurs un certain nombre d'emplois-jeunes créés pour permettre aux écoles primaires et maternelles de mettre sur pied ces réseaux multimédia et de le faire avec un encadrement techniquement formé. Cela permet aussi aux jeunes d'avoir accès à des emplois dans l'avenir. Donc, pour être honnête avec vous, je ne suis pas en mesure de faire le bilan actuellement. Il faudra attendre quelques années. La visibilité de cette affaire, c'est que là où on regroupait des postes, nous avons dégagé du temps pour mieux suivre les dossiers d'aide sociale dans des services sociaux ou au CCAS, les citoyens dans un service d'état-civil... Vous connaissez tous les queues du samedi matin. Nous en sommes actuellement à créer une queue de service rapide pour tous ceux qui ont commandé en ligne l'état-civil. Cela permet aux services de s'organiser dans la semaine pour préparer ces états qui sont demandés plutôt de le faire le samedi matin à une heure de pointe. Cela n'a pas pour autant supprimé de l'emploi : cela a permis de mieux assurer l'amplitude des horaires de travail au sein du service état-civil. Pour l'instant, il n'y a pas de suppression d'emplois, il y a plutôt enrichissement des tâches, ce qui pose un autre problème: la formation. Nous avons là un enjeu considérable. TABLE RONDE 2 "INTRANET ET SIT : DES LEVIERS DE LA MODERNISATION INTERNE" ANIMEE PAR JEAN-PIERRE WEISS Délégué à la modernisation et à la déconcentration au ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement

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Jean-Pierre Weiss : Nous avons exploré ce matin les nouvelles frontières de l'administration et nous sommes allés loin dans cette exploration. Nous allons cet après-midi regarder comment se passent les choses en interne. Pour faire la transition avant que nos interlocuteurs nous emmènent dans ce voyage, je vous livrerai une brève anecdote, assez révélatrice. Il y a quelques mois de cela, nos amis de la DIRE nous pressaient, comme les autres ministères, de mettre sur le site internet du ministère de l'Equipement, le compte rendu d'avancement de notre programme d'action pour la société de l'information. Après quelques débats internes, nous avons choisi d'ouvrir au public la possibilité de messages. Nous avons guetté avec impatience les messages. Le premier message arrivé posait la question suivante : où peut-on trouver un logement en région parisienne ? Le second message était en anglais et demandait quand l'autoroute qui reliera le tunnel sous la Manche à Arras serait en service. Il n'y a jamais eu de troisième message. J'ai tu cette dernière information et j'ai dit partout que dès que nous avions ouvert un site vers l'extérieur, la moitié du trafic était international. Je donne maintenant la parole à Alain Le Gourrierec qui, précisément, dans une perspective tout à fait internationale, va vous parler de l'expérience du ministère des Affaires étrangères. Les atouts d’un intranet ministériel Alain Le Gourrierec Chargé de mission pour les nouvelles technologies auprès du Secrétaire général, ministère des Affaires étrangères. J'avais un peu d'appréhension en venant ici car je me dis que ce que nous sommes en train de faire au ministère des Affaires étrangères est en cours de création; j'étais censé apporter des réponses et je crois que je vais surtout apporter un certain nombre de questions. Mais après tout, plutôt que de mauvaises réponses, il vaut mieux apporter de bonnes questions. Quelques mots pour rappeler certaines spécificités de notre ministère, qui est d'avoir une grande diversité de métiers. Si son métier principal ce sont, évidemment, les aspects de politique internationale, il a aussi un rôle en ce qui concerne les Français de l'étranger, un rôle tout à fait équivalent à celui d'une mairie ou d'une préfecture, voire de l’éducation nationale. Deuxième spécificité : le rôle des services déconcentrés. Nous sommes un ministère qui vit de ses services déconcentrés puisque la vie réelle se trouve dans les ambassades, dans les consulats, dans les postes à l'étranger. Les deux-tiers de nos effectifs se trouvent en services déconcentrés à l'étranger. Autre spécificité : une culture maison assez forte, dans la mesure où nous tournons beaucoup, d'une direction à une autre, de l'étranger en France. Il y a un brassage permanent des agents. L'inconvénient, c'est une très grande mobilité du personnel et je reviendrai là-dessus tout à l'heure à propos des problèmes de formation qui se posent. Dernier élément de spécificité : nous avons la chance d'avoir un service d'informatique et de télécommunications très structuré, aux compétences très démontrées. C'est un atout immense pour le développement de l'intranet. Voilà pour nos spécificités. En conclusion, pour nous, l'information, la gestion de l'information, c'est vraiment le coeur de nos préoccupations. Tout notre métier est un métier fait d'informations. Je précise ce que j'entends par intranet, pour que la suite soit plus claire. Pour moi, intranet, ce

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sont trois éléments qui se rajoutent les uns par rapport aux autres. 1er élément indispensable : la messagerie. Nous avons cette messagerie, elle est connectée à internet et tous les agents du Département (le terme “ maison ” pour décrire le ministère), en France, ont accès à cette messagerie depuis leur poste de travail. Une grande partie des agents du réseau, ceux qui sont dans le réseau privé, ont aussi cette connection. Mais pas encore tous les agents des services déconcentrés. Un plan de développement existe, qui va se terminer en 2 002-2 003, suivant les disponibilités budgétaires. Il prévoit que l'ensemble des agents du réseau, c'est-à-dire tout le Département et tous les services déconcentrés, soient connectés par messagerie. 2ème couche : je l'appellerais intranet documentaire, ou intranet statique. C'est ce que nous sommes en train de mettre au point. Ce sont tous les documents de base, de référence, de travail, pour l'administration centrale et les postes. 3ème fonction, à développer : l'intranet dynamique, qui incluerait des fonctions de travail en commun, de "groupware", et aussi des fonctions de messagerie formelle avec identification formelle, possibilité d'identification des auteurs, possibilité d'accusé de réception et éventuellement possibilité de chiffrement en ligne. Nous n'y sommes pas encore mais je pense que nous nous y lancerons à partir du début de l'année prochaine. Je parlerai donc des deux premières phases. Pour vous donner une idée de la démarche, le pilotage du projet intranet se fait du point de vue des ressources humaines avec un chargé de mission -moi-même-, un chef de projet informaticien connaissant extrêmement bien la maison et le travail administratif, et une petite cellule rattachée au directeur général de l'administration, ce qui lui permet d'avoir une vision horizontale et un accès plus facile aux ressources humaines et aux ressources budgétaires. Cette petite cellule comprend un chef de projet, un webmestre que nous avons recruté à l'extérieur, et un administrateur-rédacteur en chef, quelqu'un qui sera chargé de l'animation du site intranet. Dans cette démarche, nous avons constamment essayé d'avoir une approche hiérarchisée et déléguée: hiérachisée au sens où l’on définit une structure cohérente pour l'ensemble du ministère ; et déléguée au sens où chacune des directions, chacun des services met en ligne ses contenus sous sa responsabilité. Nous essayons de toujours travailler avec cette double approche : hiérarchie de la conception mais décentralisation des contenus. De quelle façon avons-nous procédé? Il nous fallait tenir compte de deux choses : la très grande différence de formation, de sensibilisation des agents et, aussi, cette très grande mobilité qui fait que le chef de projet initial de notre intranet est maintenant en poste à l'Ambassade du Chili! Il a fallu avoir une approche pratique et accepter qu'il y ait plusieurs vitesses dans le déploiement de l'intranet. L'essentiel, c'est d'avancer. Nous avons développé le projet en trois phases. 1ère phase : l'audit Nous avons ouvert un groupe de travail très vaste, à tous ceux qui souhaitaient venir, afin de de repérer les talents. Ces talents sont à tous les niveaux de la hiérarchie, dans tous les secteurs. Cela nous a permis de créer un réseau spontané à l'intérieur de la maison. Maintenant, nous l'avons d'ailleurs transformé en forum avec un atelier intranet. Cela nous a permis également d'énumérer la liste des questions à résoudre, de façon très pratique, à partir de la vie quotidienne des agents et de leurs problèmes. Par exemple, le

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problème, pour l'accès à la messagerie, de la qualité de leur matériel informatique. A l'heure actuelle, pratiquement tout le monde a des PC 486 mais un tiers des agents ont des Pentium. Il y a donc des différences entre les uns et les autres et il fallait mettre clairement ça sur la table pour qu'il n'y ait pas d'impasse. Cela a permis aussi tout le travail, très long et un peu frustrant, sur les procédures et des contenus que nous pourrions mettre ensemble sur l'intranet. Nous avons demandé à toutes les directions d'apporter leur contribution. Phase 2 : phase de prototype et d'expérimentation. Nous avons mis le site en place en interne, sur un serveur géré par notre service d'informatique. Nous avons défini une charte de navigation et une arborescence précise du site mais ouverte. Elle n'est pas figée et peut évoluer dans le temps. Nous avons déterminé un certain nombre de sites pour la production des documents en essayant dans cette phase de trouver des correspondants dans différentes directions et de préférence des correspondants qui soient dans des centres d'archives et de documentation. C'est là que naturellement on manipule, on fait circuler, on a accès à l'information. Nous avons soit pris des gens très motivés, soit, dans un certain nombre de cas, formé ceux qui allaient travailler sur ce site de production. Dans cette phase de prototype, nous sommes en train d'affiner les différents contenus de l'intranet. Nous sommes actuellement dans la phase 3 qui est une phase de généralisation progressive de l'outil. La cellule dont j’ai parlé sera une sorte de centre de ressources auquel les agents peuvent téléphoner s'ils ont telle ou telle difficulté. Elle a pour tâche la définition de l'architecture, le pilotage général, la coordination et le conseil. Ce n'est pas elle qui met en ligne les contenus: ils sont mis en ligne par les directions de façon décentralisée. Dans cette phase de généralisation, nous avons également à mener un travail de sensibilisation de tous les agents.On les approche de façon plus méthodique, direction par direction, service par service, et on essaie de leur parler d'intranet, de leur montrer à quoi ça peut leur servir et d'arriver à se mettre dans la phase actuelle qui est un peu longue : la phase de formation. C'est bien sûr un des enjeux essentiels, compte tenu de ces très grandes différences dans la sensibilité à l'outil. Nous avons essayé de définir des produits de formation en fonction du niveau des agents. A eux de s'inscrire librement. Certains produits de formation sont faits en interne, d'autres sont externalisés auprès de spécialistes de formation. En gros, nous avons des produits de formation très généraux comme simplement la capacité de passer de Word à la conversion en html. Nous pensons que tout le monde saura le faire. Nous avons aussi des formations plus spécialisées qui sont des formations de type webmestre. En conclusion, on s'aperçoit que l'essentiel réside dans la culture de l'outil, la façon dont les gens se l'approprier. Aujourd'hui, on arrive à un degré de réponses satisfaisant. Nous allons mettre aussi en ligne sur le site intranet un instrument de mesure qui va nous permettre de savoir où les agents vont chercher les ressources, ce qui les intéresse, ce qu'il consultent le plus pour essayer d'adapter le site en fonction de ça. Mais on se rend bien compte qu'il y a des inégalités très profondes dans la culture intranet, à tous les niveaux de la hiérarchie. C’est l'un des problèmes que l'on rencontre. Plus généralement, ous avons développé un certain nombre de principes qui sont acceptés par toute la maison.

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1er principe : l'idée que l'intranet est commun à tout le monde. Il n'y a pas d'intranet réservé d'une direction. Il peut y avoir éventuellement des espaces de travail, il peut y avoir des niveaux de confidentialité différents mais l'intranet est commun à l'ensemble des Affaires étrangères, donc tous les agents y ont accès. 2ème règle : tout ce qui concerne la publication des documents se fait selon les règles de validation normales. On ne remet pas en cause les règles de validation de niveau hiérarchique. C'est fait selon la hiérarchie normale du document. Donc nous prenons des documents qui ont été validés. 3ème principe : la production et la mise en ligne des contenus se font de façon décentralisée. Il appartient à chaque direction, à chaque service de mettre en ligne les contenus qu'il estime nécessaire, la cellule étant là pour coordonner l'ensemble et piloter de façon générale. 4ème principe : nous avons retenu dans la structure de l'intranet une structure qui est à peu près le décalque de la structure de l'administration centrale. C'est-à-dire que chacun y retrouve ses petits. Mais nous avons aussi introduit des thèmes horizontaux, et il y a un gros travail à faire sur les liens d'utilisation, notamment les liens hypertexte, qui ont un rôle à la fois fédérateur et politique. Fédérateur, pour que les gens sachent bien ce pour quoi le ministère travaille; politique, parce que ces thèmes fédérateurs devant être définis au niveau du Secrétaire général, et même peut-être au niveau du Ministre. 5ème élément : il nous paraît indispensable d'anticiper, dans l'organisation future de l'intranet, le continuum, c'est-à-dire la liaison qui existe entre intranet, extranet et internet. Ce sont trois mondes qui coexistent et qui ont recours aux mêmes technologies. On doit donc être en mesure de faire passer des documents d'un de ces mondes vers l'autre sans difficulté. Un exemple : nous travaillons sur un dossier de visite d'un chef d'Etat étranger en France. Les services ont, comme c'est la tradition, une note. Il faut que certains éléments de cette note, une fois validés, puissent passer éventuellement de l'intranet sur le site internet pour l'information de la presse, pour l'information du public. Evidemment, ce ne sont pas les mêmes contenus mais il faut anticiper la mise en ligne des contenus pour se préparer à ce qu'on pourra mettre en ligne de façon publique. 6ème principe : il faut anticiper le déploiement avec les services déconcentrés qui sont pour nous essentiels. Nous allons avoir des petits intranets des services déconcentrés. Donc il faut qu'il y ait bien un renvoi de hiérarchie et de délégation entre les uns et les autres, pour éviter les doubles contenus. On est encore dans cette phase. Il n'y a seulement encore que cinq ou six postes qui ont des intranet. 7ème principe : l'obligation, dans toute cette démarche, d'aller vers des modes opératoires simples et efficaces, pour éviter des questions de procédures très complexes. On touche là, nous y reviendrons, aux aspects de réforme. J'en viens à la conclusion en termes de perspectives sur l'organisation du travail chez nous. Je pense que nous allons vers trois conséquences en termes d'organisation du travail : 1. contribuer à faire tomber les cloisonnements. En particulier, on va pouvoir littéralement visualiser les doubles emplois. C'est-à-dire qu'on va pouvoir voir sur intranet des gens qui font deux fois la même chose. Un exemple très concret : nous sommes en train de mettre en place un annuaire pour l'ensemble de l'administration centrale et des postes. On s'est aperçus qu'il y avait quatre ou cinq annuaires dans toute la maison : l'annuaire téléphonique, l'annuaire du personnel, l'annuaire de certains postes. On va évidemment essayer de fusionner tout ça en un seul annuaire et aussi regrouper au sein d'une même structure les personnes qui vont piloter l'opération.

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2. inciter au travail en équipe et renforcer la cohésion de la maison, un élément essentiel que devraient permettre les thèmes fédérateurs évoqués plus haut. 3. vis-à-vis de l'extérieur, réaliser un effort de transparence et réfléchir à de nouveaux services. C'est très intéressant :avec le développement d'intranet, on s'aperçoit que de nouveaux services apparaissent et qu’ils méritent d’être proposés au public. Le système d’information territorial de l’Auvergne François Leblond Préfet de la région Auvergne, préfet du département du Puy-de-Dôme François Leblond :Je suis préfet de la région Auvergne depuis bientôt trois ans mais j'ai occupé un certain nombre de postes avant, puisque je suis à mon septième poste territorial. J'ai commencé à m'intéresser à l'utilisation des NTIC il y a maintenant dix ans. Je n'ai commencé à être opérationnel dans une telle matière qu'au quatrième poste qu'on m'a assigné, dans l'Essonne. Qu'est-ce que je souhaitais ? 1er objectif : Que l’Etat se rassemble à partir des NTIC. 2ème objectif : lutter contre la rétention de l'information, source traditionnelle du pouvoir dans nos administrations, et qui doit être maintenant remplacée par la diffusion de l'information, nouvelle source du pouvoir. Je crois que c'est un élément fondamental pour tous les fonctionnaires que nous sommes. 3ème objectif : parvenir à une culture administrative nouvelle, une culture du partage, une volonté de raisonner par objectifs et non par procédures. Je crois que c'est très important pour les fonctionnaires que nous avons sous notre responsabilité. Ils sont toujours, en effet, excellents pour traiter les procédures, mais beaucoup moins bons pour raisonner par objectifs. Les NTIC, c'est une manière de les faire changer de point de vue et une manière d'obtenir que les résultats que les gouvernements successifs nous demandent soient plus facilement atteints, parce que nous serons mieux organisés pour mieux les atteindre. 4ème point : je suis préfet de région mais j'ai été préfet de département. A l’époque, je me plaignais d'être trop isolé par rapport aux autres préfets et j'avais envie de situer mon action par rapport à celle des autres. Je voulais savoir si dans tel domaine j'étais meilleur ou moins bon que tel ou tel préfet autour de moi. C'était extrêmement difficile. J'avais donc, dans l'Essonne, été voir le préfet de la région Ile-de-France pour lui demander de prendre la tête d'une initiative d'une réunion des préfets de la région d'Ile-de-France pour, autour d'un serveur commun, nous permettre d'échanger entre nous, de dialoguer. J'ai été nommé préfet de la région Auvergne à ce moment-là et ce que je n'ai pas pu faire dans la région Ile-de-France, je l'ai entrepris en Auvergne. J'ai alors proposé aux trois préfets de départements autres que la préfecture de la région, chef-lieu de la région, de travailler ensemble et de monter ensemble quelque chose qui facilite un véritable partenariat entre le niveau régional et le niveau départemental. Je m'inscris en faux contre l'idée qu'il y a le choix entre le niveau départemental et le niveau régional. Il y a des fonctions départementales, il y a des fonctions régionales. Il y a un partenariat qui doit se faire entre les deux niveaux . Les NTIC sont certainement pour cela un outil. Et puis, je voudrais simplement dire que tout ce que nous avons entrepris n'aurait pas pu l'être sans le commissariat à la modernisation de l'Etat, puis la délégation interministérielle à la modernisation de l'Etat qui nous ont apporté des moyens et des conseils et nous ont permis de relativiser notre expérience par rapport à d'autres et donc de progresser aussi dans notre débat interne.

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Depuis près de trois ans que je suis dans la région Auvergne, je me suis beaucoup impliqué dans ce dossier. Si les responsables que nous sommes ne s'impliquent pas, à mon avis, l'opération ne se fera pas, en tout cas pas dans de bonnes conditions. J’avoue qu’il y a eu une volonté très forte de ma part. Cette volonté a été accompagnée par les équipes que nous avons constituées et je rejoins tout à fait ce qui vient d'être dit par M. Le Gourrierec sur les équipes du ministère des Affaires étrangères. L'équipe de chez nous est sur l'estrade. Elle est constituée de Mme Geneviève Deplat-Paulin qui est au SGAR d'Auvergne et qui a fait une partie de sa courte carrière à l'INSEE, ce qui nous a beaucoup aidés dans la mise en place du dispositif ; et de M. Couvisac, attaché informatique à la Préfecture, et qui a été la cheville ouvrière de l'opération sur le plan technique. Je vais m'arrêter là et je reprendrai la parole dans un instant lorsqu'ils se seront exprimés. Je voudrais qu'eux-mêmes vous disent comment fonctionne le dispositif qu'ils ont mis en place. Geneviève Deplat-Paulin : Je vais vous présenter le système d'information territoriale (SIT) de l'Auvergne.C’est l'outil de l'ensemble des services de l'Etat régionaux et départementaux et tous ont participé à sa conception. C'est en outre, en plus d'être régional et interdépartemental, un outil de partage de l'information et de travail en groupe et interministériel. Sur le plan de l'architecture informatique, ce système se compose de cinq serveurs : deux serveurs régionaux et trois serveurs départementaux, chacun basé en préfecture de département. Aujourd'hui, la quasi-totalité des services régionaux et départementaux d'un des départements, le site pilote, sont raccordés, et ceux des autres départements se raccordent progressivement. Voici l'évolution des raccordements de décembre 1998 à mai 1999 : 18 services étaient raccordés en décembre ; il sont 59 aujourd'hui. 70 utilisateurs étaient raccordés en décembre ; ils sont 131 aujourd'hui. Cette une évolution constante est due au passage des postes dédiés au raccordement des réseaux locaux. Ce qui est important, c'est que les services se sont aperçus qu'un poste dédié ne suffisait pas dans un service pour utiliser cet outil mais qu'il fallait bien raccorder l'ensemble des agents. Aujourd'hui, les utilisateurs font autant partie de l'encadrement que de l'ensemble des services. Cet outil a été mis en place pour diffuser plus largement l'information au sein des services de l'Etat, développer l'interministérialité et créer une culture administrative nouvelle enrichissant certains débats (par exemple, les réunions de niveau régional présidées par le préfet de région réunissant l'ensemble des chefs de service, ainsi que la conférence administrative régionale (CAR) qui est une instance de décision). Pourle mettre en place, il y a eu une implication forte du préfet mais aussi une implication forte des services. Tous, ainsi que chaque préfecture de département, ont nommé un correspondant SIT, les correspondants départementaux ayant pour rôle d'animer les services départementaux. Un deuxième souci a été d'établir un espace d'expression propre au département, dans chacune des fonctionnalités du site. Enfin, les services ont la possibilité d'actualiser directement leurs informations depuis leur poste de travail. La préfecture n'a donc aucun pouvoir sur le fond des informations si ce n'est dans des instances de validation. Que trouve-t-on sur le site? D’abord, une rubrique “ actualités ”, nourries par les chargés de communication interministériels qui centralisent l'ensemble des informations.

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Ensuite, trois outils: -le tableau de bord, nourri par l’ensemble des services, l’information étant validée par des groupes de travail thématiques interministériels associant le niveau départemental et le niveau régional. Je précise que l'ensemble des services propriétaires ou titulaires de l'information sont les seuls à pouvoir la modifier ou l'actualiser. -la base de données communale, fonctionnant sur le même principe d’enrichissement et de validation. Elle comporte aujourd'hui une centaine d'indicateurs par commune, ainsi que des informations sur les zonages et sur les structures intercommunales. - l'outil messagerie.Il permet de préparer un certain nombre de réunions, notamment les Conférences administratives régionales (CAR). Toutes les contributions arrivent sur la rubrique “ Dossier public ”, ce qui permet une meilleure qualité d'information et une diffusion beaucoup plus rapide: l’économie de temps réalisée pour la préparation de la CAR est de l’ordre d’une dizaine de jours. En outre, nous avons pris le parti d'ouvrir ce dossier public à l'ensemble des utilisateurs. Quels impacts en matière d'organisation? Certains services déconcentrés ont commencé à se réorganiser, en recrutant par exemple une personne chargée de l'actualisation du site et, d'une façon plus large, du suivi des nouvelles techniques de communication. Un autre service, la DRASS (délégation régionale aux affaires sanitaires et sociales) a revalorisé la tâche d'une personne en charge du suivi du SIT Auvergne. D'autre part, de nombreuses formations se sont mises en place :pour l'utilisation du SIT, l'édition et à la mise en page en langage html... Enfin, le SIT Auvergne, qui est un site intranet, nous permet d'actualiser un certain nombre d'informations qui passent également sur le site internet. L'idéeest de bien concevoir entre nous, services de l'Etat, un certain nombre d'informations pour pouvoir les énoncer beaucoup plus clairement au sein de publications extérieures ou sur le site internet. François Leblond : Je voudrais préciser que nous sommes partis de l'intranet pour arriver à l'internet. C'est-à-dire que nous avons conçu un certain nombre d'éléments d'information dont nous nous sommes aperçus que beaucoup d'entre eux n'étaient pas confidentiels et pouvaient être mis à la disposition du public. C'est la raison pour laquelle la démarche a été dans ce sens. L’impact d’un intranet dans le fonctionnement d’un service déconcentré Constant Lecoeur Directeur départemental de l’Agriculture et de la Forêt de l’Oise Constant Lecoeur : Nous avons mis en place le site intranet de la DDAF de l’Oise où, il y a quatre ans, il n’y avait pas de responsable informatique, un seul Pentium pour 105 personnes. Aujourd’hui, tous les agents disposent d’un poste de travail avec accès à l’intranet “ maison ” ainsi qu’un accès à l’ensemble des circulaires dans l’intranet du ministère de l’Agriculture et de la Pêche. En outre, ils ont tous leur boîte aux lettres électronique propre, ce qui fait que chaque agent peut tout à la fois communiquer et conserver son autonomie. En l’espace de quatre ans, les secrétaires, les “ personnes-ressources ”, les techniciens, les ingénieurs, les chefs de services et le directeur ont été formés. Ensuite la diffusion des

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circulaires et des notes, classiquement confiée aux secrétaires des chefs de service a été remplacée par la possibilité donnée à l’ensemble des agents des services de les consulter. Résultat ? les circulaires ne circulent plus, l’information ne va plus aux agents, ce sont les agents qui doivent aller à l’information. Ce que je constate aujourd’hui est le changement de travail du binôme secrétaire/responsable (de cellule, de service, de section). Actuellement, nous sommes en train de mettre en place à titre expérimental une formation de groupe des binômes ; car il faut organiser le travail sans susciter de frustration chez la secrétaire qui voit moins de choses mais conserve un rôle d’assistante. Donc il faut revoir la répartition des tâches. Plus généralement, le changement culturel constaté présente deux gros avantages : d’une part, une rigueur accrue dans la mise à disposition des informations et leur accès rapide et, d’autre part, la responsabilité accrue des agents et la simplification des rapports hiérarchiques. En conclusion : - il faut manager au sens où le management n’est pas restreint à une équipe restreinte, à une

équipe technique, c’est un engagement de la direction, - on se situe bien dans une démarche stratégique. On voit comment un service de l’Etat

contribue à la réorganisation du service public, notamment dans l’écoute clients, dans l’écoute usagers.

Jean-Pierre Weiss : Pour vous permettre de préparer vos questions, je vous livre très vite quelques réflexions complémentaires à ce que nous venons d'entendre. D'abord, je crois qu'on a tous compris que la société de l'information n'a aucune chance de laisser l'administration dans l'état dans lequel elle l'a trouvé et que les modifications vont être extrêmement profondes. Nous avons aperçu à travers toutes les présentations à la fois le fait que l'on découvrait les choses en marchant - il y avait beaucoup de pragmatisme dans ces différentes démarches et en même temps, des remises en cause très importantes. Je note l'expression du Préfet Leblond : "L'information va changer totalement de statut". On peut dire donc sans excès que l'information-pouvoir va être remplacée par l'information-travail. Cela veut dire très concrètement que, dans l'administration, on ne va plus probablement transmettre l'information avec les instructions, mais qu’on va donner toute l'information et que les instructions devront suivre rapidement et en parallèle. Voilà des changements extrêmement importants qui vont remettre en cause de nombreuses pratiques hiérarchiques. On comprend aussi, on l'a aperçu à travers les exposés de ce matin et de cet après-midi, que pour ce qui est du guichet - je préfère employer ce mot plutôt que front-office ou back-office qui a un sens différent, même en traduction littéraire - on doit trier entre le service de base, celui qui est simple, et l'expertise relativement complexe que les citoyens vont demander peut-être beaucoup plus précisément à l'administration. On comprend aussi que le temps a changé de statut, de référence et que pour ce qui est du bureau dont la règle d'or était de donner la sécurité de la procédure, il est maintenant interpellé en matière de délais, il est interpellé en matière de statut de l'information. Ce sont des bouleversements. J'ai essayé d'en donner quelques éclairages, disant la même chose autrement. QUESTIONS

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Pascal Lebrun, ministère de la Défense : Je voudrais m'adresser au ministère des Affaires étrangères. Vous avez dit que l'intranet relativement récent était chargé de fournir du contenu pour l'internet du ministère. Pour le peu que je m'en souvienne, l'internet du ministère des Affaires étrangères a été un précurseur en matière d'internet ministériel. Qu'est-ce que l'intranet apporte en plus et est-ce que vous pourriez illustrer votre réponse en expliquant comment l'intranet vous a permis de traiter sur l'internet la crise du Kosovo qui, du fait de sa longueur, a vu une profusion d'informations sur les intranets de communication institutionnelle ? Alain Le Gourrierec : Le site www.diplomatie.fr, qui est le site internet du ministère des Affaires étrangères, a été développé il y a assez longtemps. Ça a été pour nous essentiellement un outil vers les médias, un outil généraliste, sur lequel on met en ligne les contenus qu'on met habituellement sur des supports papier. L'idée, maintenant, c'est d'évoluer et d'aller vers des choses plus spécialisées, plus professionnelles. Notamment, on va se poser à terme la question de savoir si l'on ne va pas limiter les accès à certains domaines. C’est là une problématique un peu différente d'extranet. Concernant le lien intranet/internet, c'est en cours de réflexion. Nous allons vers l'idée qu'il y aura certains produits fabriqués en interne et qu'il faudra incorporer à ces produits dès le départ la dimension mise à disposition du public. Qu'est-ce qui est réservé à l'information interne ? Qu'est-ce qui a pu être destiné au public ? C'est une culture très différente qu'il va falloir développer à l'intérieur d'une administration qui, comme la vôtre, est une administration un peu régalienne, donc a priori plutôt sur elle-même. Anita Rozenholc, chargée de mission à la MTIC . Les grandes entreprises, les grands managers disent aujourd'hui que l'intranet sera une façon, non pas de perdre le pouvoir, mais de l'exercer différemment. Qu'adviendra-t-il de l'exercice du pouvoir du préfet, quand il verra disparaître l'ensemble de ses parapheurs ? François Leblond : A mon avis, il exercera son pouvoir d'une façon tout à fait différente. Je pense que le pouvoir n'est pas seulement lié à ce qui est écrit sur une circulaire, sur une note. C'est la façon d'animer une équipe. Je pense que c'est l'avenir du corps préfectoral que de savoir animer correctement des équipes. Ce n'est pas du tout un problème de parapheur. C'est vrai qu'il y avait autrefois d'autres méthodes de travail, plus autoritaires. Mais je crois que la société a évolué. Je crois au contraire qu’il faut agir dans la concertation. Moi, j'essaie d'organiser la concertation au niveau régional et au niveau départemental. Je fais une conférence des chefs de service régionaux tous les mois. Il n'y en avait pas avant mon arrivée car ce n'était pas prévu dans les circulaires. Si je l'ai installée, c'est parce que je l'ai bien voulu. Au niveau départemental, c'était prévu dans les circulaires, on l'avait installée. Alors, je considère qu'il fallait une conférence des chefs de services régionaux et elle fonctionne bien. Je crois qu'on a besoin dans l'administration de bons spécialistes mais on a besoin de spécialistes qui communiquent entre eux et le préfet doit être celui qui favorise cette communication. Il n'est pas tout seul, bien sûr, à le faire, mais je crois que son rôle dans cette matière est important. Jacques Perrier, responsable de la communication électronique, DAS/Emploi et solidarité : J'entends dire dans certains services déconcentrés que quand on leur envoie des informations depuis l'administration centrale, les réseaux se bloquent à la réception des messages : parce qu'ils en reçoivent énormément, qu'il y a une secrétaire occupée une bonne partie de la journée à les recevoir ces messages, à savoir à qui ils s'adressent, etc.

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"Libération" d'hier disait qu'un patron en général, pas simplement dans l'administration, lisait ou recevait sur son site à peu près 200 messages par jour. Alors il y a des pratiques, des dérives, qui s'installent : soit il y en a trop et je ne réponds pas, soit je donne à mes copains des mots-clés ou un code et les autres, je ne leur réponds pas. C'est le trop-plein. Comment faire lorsqu'on n'est pas suffisamment équipé, et qu’ il y a dans les administrations des problèmes de disponibilité en termes de temps pour la fonction éditoriale, et en termes de compétences pour la production technique des informations ? Jean-Pierre Weiss : Cette intervention a le mérite de rappeler certaines réalités. Je tenterai une réponse en rappelant qu'il y a à peine quelques mois, nous étions, pour la plupart d'entre nous, en train d'essayer d'encourager le développement de ces technologies. Aujourd'hui, cette séance a montré comme celle de ce matin que les questions principales sont: pour quels usages ? Et on en est déjà à nous demander quels vont être les bons usages. Mais, sans boutade, je voudrais proposer une réponse optimiste. L'administration a une force considérable par rapport aux entreprises : elle a perdu de vue toute procédure, contrairement à sa tradition. Il ne reste plus aujourd'hui de respect strict des règles d'enregistrement de courrier, de stockage de l'information. Il y a autant de versions qu'il y a de services. Du coup, au lieu de modifier, nous pouvons construire. Alors peut-être avons-nous là un formidable défi. François Leblond :Vous avez parlé de la masse d'informations qui parvient au responsable et entre lesquelles il n'arrive pas à trier comme il le voudrait. Je crois que c'est un problème de management. Il faut qu'il ait confiance dans ses collaborateurs capables de faire dans les informations un tri qui lui permettra d'exercer ses fonctions.Qu'il arrive 200 informations en 1/4 d'heure sur le bureau du chef, c’est très mauvais. Mais ce n'est plus un problème d'informatique, c'est un problème de méthode de travail. Et sur ce point, je crois malheureusement que beaucoup ont des progrès à faire. Constant Lecoeur :Est-ce qu'on peut se plaindre du trop-plein? Pour le moment, on peut plutôt se plaindre que ce n'est pas assez diffusé! Et puis, il y a le problème du discernement: tout le monde n'a pas celui de dire : "le directeur a besoin de savoir ça, ou il n'a pas besoin de le savoir". Il faut un travail d'éducation et de formation. Le troisième point, c'est le "sous couvert". Quand il y a des diffusions centrales vers le service des statistiques, par exemple, j’en suis systématiquement informé, et je ne vais pas me plaindre. En fait, on double. On m'a posé la question : "comment faites-vous avec votre préfet ?". On ne le fait pas encore, mais si cela vient, il me semble que j'appliquerais la même méthode, c'est-à-dire que j’enverrais l’information au préfet, s'il est directement concerné, et au secrétaire général en même temps. En l'absence de l'un, il est normal que les deux soient au courant. Chacun apprend une nouvelle pratique et vraisemblablement, on gagnera dans nos circuits du fait qu'on diffusera sans doute mieux. A nous, encore une fois, d'avoir du discernement. Mais, surtout, ne nous plaignons pas du trop plein ! POINT DE VUE Yves Lasfargue Directeur des études du Créfac (Centre d'étude et de formation pour l'accompagnement des changements), Président du groupe de travail "Nouvelles technologies, qualifications et

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formations dans le Secteur Public - Mission Lasserre" du Commissariat Général du Plan. Personne n'est évidemment capable de faire la synthèse de ce qui s’est dit mais, personnellement, si je n'avais qu'une phrase à retenir de la journée, que je mettrais en gros au milieu de cent, c'est celle qu'on a entendue tout à l'heure : "dans la société de l'information, les circulaires ne circulent plus". On va essayer de voir, par rapport à ça, quels sont les nouveaux modes de management, les nouvelles organisations qui peuvent se mettre en place pour aider la non-circulation. Quand on parle d'organisation, de métier, de conséquences sociales, rappelons les quatre vagues technologiques de ces trente dernières années. Les métiers d'aujourd'hui ne sont pas le résultat de la société de l'information , d'internet ou d'intranet.Ils sont le résultat de trois vagues technologiques et du début de la quatrième. Autrement dit: l’informatisation (années 1960-1970), la robotisation et l’automatisation poussée (années 1970-1980), puis la bureautique (années 1980-1990) qu'on n'a pas fini de vivre puisque, vous avez vu dans les taux, on en est encore dans la phase d'équipement. D’ailleurs, le mot Pentium est plusieurs fois revenu dans beaucoup d'exposés d'aujourd'hui. Si M. Pentium présentait une liste, il est probable qu'il aurait la majorité, puisque c'est une revendication qui revient très souvent ! Enfin, on est en train de vivre actuellement la mise en place des réseaux dont la caractéristique est qu'elle ne s'adresse plus du tout à l'automatisation des procédures, mais qu'elle concerne l'automatisation des échanges. Quand on est dans l'administration, on est directement concerné par le problème des échanges et on va essayer de voir ce qui est spécifique par rapport aux dernières études. Il faut se rappeler trois aspects. D’abord, on ne peut pas dire aujourd'hui la même chose qu'il y a cinq ou six ans. Or on a tendance à répéter les mêmes choses du genre : on est en retard, etc. Personnellement, je crois, et on en a eu la preuve aujourd'hui, qu'il y a eu un formidable virage dans les années 1995-1996, qui peut se matérialiser de trois manières. Globalement, dans les années 1980-1990, la France et l'administration en particulier étaient plutôt peuplée de techno-sceptiques. Dès qu'on voyait un truc à base de technologie, on se posait d'abord des questions : où va l'emploi ? Où va le monde ? Où va la liberté ? Est-ce qu'on va avoir mal au dos ? Est-ce qu'on va avoir mal aux yeux ? Et tout d'un coup sont arrivées des technologies très séduisantes - le téléphone mobile et internet - qui ont fait que la société française et, tel que je le ressens de l'extérieur, l'administration, ont complètement viré de bord et globalement, de techno-sceptiques, sont devenus techno-mordus. En particulier, les cadres qui, classiquement dans notre système, étaient plutôt en retrait par rapport aux technologies en disant "c'est bien, surtout pour les autres", sont devenus des techno-mordus fanatiques. Avec tout le problème des nouveaux convertis. Il est évident qu'aujourd'hui nous sommes ici 250 techno-mordus. Les cadres ont vécu un formidable virage avec, encore une fois internet et le téléphone : "ça, c'est des technologies pour nous, donc il en faut pour tous". Si l'un des problèmes il y a dix ans était de convaincre d'utiliser les technologies, l'un des problèmes aujourd'hui c'est de réfléchir à : quand faut-il les utiliser ? Quand faut-il les laisser tomber ? Et nous autres cadres, nous avons eu un peu tendance à perdre notre esprit critique par rapport à ça. Evidemment, la troisième tendance, ça a été la généralisation. On a pu, dans les chiffres que nous a présentés ce matin M. Schnäbele sur les courbes de bureautisation, voir qu'on en est loin pour les réseaux, mais qu'on commence à avoir une très grande généralisation. Si j'insiste, c’est qu’en termes de management, jusqu'à maintenant on avait plutôt à gérer des innovations, alors qu’aujourd'hui, on a surtout à gérer de la généralisation, ce qui est tout à fait différent. Généralisation, cela veut dire :comment cela se passe-t-il pour tout le monde et notamment

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pour les 20 à 30 % de gens qui n'aiment pas tellement ce genre de chose? Quelles sont les conséquences sur l'emploi ou les conditions de travail? Aujourd'hui, ceux qui utilisent le plus l'ordinateur, ce sont les cadres, ce qui n'était pas du tout vrai il y a une dizaine d'années. Il y a donc eu un véritable virage. Le problème d'aujourd'hui, c'est à la fois la généralisation et l'apparition des réseaux. Quand on est techno-mordu, le réseau, c'est de la communication. Quand on est un peu technopathe ou technophobe, le réseau c'est d'abord une barrière qui empêche la communication entre les individus. En somme, il y a toujours une double vision du réseau et il faut donc raison garder quand on aborde le sujet. Par contre, ce dont il faut avoir conscience, surtout quand on compare le service public aux entreprises privées, c'est la généralisation du poste de travail unique,de la personne assise devant un clavier à regarder un écran. J'insiste là-dessus parce que la position de travail qui était pour beaucoup d'entre nous une position debout s'est généralisée comme une position assise, y compris chez des gens qui jusqu'à présent étaient très tournés vers l'extérieur, avec beaucoup de déplacements. La position debout a été remplacée à très grande échelle par la position assise. Je crois qu'il faut en prendre conscience sur le plan de la civilisation : l'homme a mis en gros 40 millions d'années pour passer de la position à quatre pattes à la position debout ; on a mis en gros quarante ans pour tous s'asseoir. Il ne reste plus que quelques cadres debouts, ceux qui passent d'un service à l'autre, mais globalement tout le monde est assis. On va probablement mettre moins de dix ans pour s'allonger parce que toutes les études ergonomiques montrent que pour travailler sur un écran et frapper sur un clavier, on est beaucoup mieux sur des systèmes de transat où le dos est beaucoup mieux soutenu que dans la position ridicule qu'on a trouvée : un dos vertical pour regarder un écran vertical. Si je dis cela, c’est que toute notre culture a été une culture du travail debout. Tous nos chants révolutionnaires commencent par “ debout ”: on aurait à réécrire l'Internationale, on dirait "Assis, les damnés de la terre ! " parce que c'est aujourd’hui la vraie position dynamique. Il faut se le rappeler parce que, quand on va parler tout à l'heure des compétences et des conditions de travail, cette position va être extrêmement importante. Il y a actuellementi dans la société de l’information sept enjeux : techniques, industriels, économiques, sociaux, culturels, politiques et militaires, juridiques et moraux. Pourquoi ce schéma ? Parce que dans les autres vagues technologiques (informatisation, robotisation, bureautique), cela ne changeait pas profondément la société. Ça changeait des situations de travail, pas la société. Qu'est-ce qui fait que ces technologies de l'information (communication, intranet, internet) changent la société ? C'est que quand on prend enjeu par enjeu, on s'aperçoit que chacune de ces technologies, notamment leur généralisation, a de l'incidence sur chacun des enjeux. On voit bien qu'à terme cela est en train de changer la société. Le vrai problème n'est pas tellement d'entrer dans la société de l'information, qui n'existe pas, mais de la construire ensemble parce qu'on voit bien que tout est en train de bouger et que se met en place cette nouvelle société. On va maintenant surtout se polariser sur ce qui est management, gestion et les enjeux sociaux. Il est évident qu'il faut se rappeler en permanence les liaisons avec les autres enjeux, car on ne peut pas isoler une chose parmi cet ensemble. Première réflexion: qu'est-ce qui change les métiers ? Qu'est-ce qui change le management ? Qu'est-ce qui nous pousse à changer l'organisation ?

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Aujourd'hui, dans les entreprises, mais aussi dans les administrations et partout, il y a en fait cinq grandes familles d'innovations qui changent à la fois les métiers, l'organisation et le management. Ce sont toutes les innovations extérieures (pour aller vite : l'Euro, l'évolution de la société,...), toutes les évolutions de mission que chaque ministère se donne à lui-même, toutes les évolutions de processus technologiques, toutes les innovations organisationnelles et toutes les innovations sociales. Tout à l'heure, par exemple, on s'est posé la question : "est-ce qu'internet, est-ce que votre intranet crée ou supprime de l'emploi ?". Je crois qu'il ne faut pas se poser ce type de question. Parce que intranet, internet, les téléphones mobiles n'ont jamais ni supprimé ni créé de l'emploi. Ce qui crée ou supprime de l'emploi, c'est cet ensemble d'innovations au même moment. Ce qui va faire bouger le management, ce n'est pas internet, c'est cet ensemble d'innovations. Je crois donc qu'il faut faire - première étape dans le management - un recensement de toutes les innovations. Certaines entreprises commencent. France Télécom a fait une liste d'une centaine d'innovations, département par département, direction par direction et métier par métier, por essayer de voir quelles sont les innovations qui, à un moment donné, changent l'organisation des métiers et le management. J'insiste parce que je sais que dans une réunion dont le titre est "internet, intranet", on a l'impression qu'internet et intranet cela change tout. Oui, cela change tout mais cela n'est qu'un facteur de changement, et il faut en permanence tenir les deux bouts de la chaîne, c'est-à-dire l'ensemble des facteurs de changement. Deux mots sur les innovations de processus technologiques. L'expert québécois a évoqué ce matin la mise en place généralisée, dans l'administration québécoise, de ce qu'il a appelé les logiciels intégrés, ce qu'on appelle en France les PG ou en américain les ERP, c'est-à-dire les SAP, Oracle et tout ça. Il n'y en a aujourd'hui que dans deux ou trois endroits dans l'administration française et dans les cinq ou six ans il y en aura de partout. J'attire votre attention là-dessus parce qu'on est toujours très frappé par ce qui est spectaculaire (intranet, internet, on en fait des cartes postales, on en diffuse). Or les logiciels intégrés, ce n'est pas spectaculaire, on n'en fait pas de brochures ni de cartes postales, mais ça change beaucoup, beaucoup plus les emplois, les conditions de travail, le management et la gestion que jamais internet et intranet ne changeront. Le spectaculaire est parfois important mais l'important n'est pas toujours spectaculaire. Comment évoluent les différents métiers ? Il n'y a pas de déterminisme des technologies pour la bonne raison qu'il y a les autres types d'innovations qui bougent au même moment, que ce soit les entreprises ou les administrations. Mais quand on analyse un peu finement ce qui se passe dans les entreprises et les services publics, on repère en général 8 grandes évolutions du travail. L'un des problèmes de ces évolutions, c'est qu'elles ne sont ni positives, ni négatives. Pour les uns, elles pourraient être tout à fait positives, pour d'autres, elles vont être des facteurs d'exclusion. L'un des problèmes des managers sera d’être d'être lucide sur ces évolutions, sur la manière dont nous les vivons personnellement, sur la manière dont les autres les vivent. Rapidement, quelles sont ces 8 évolutions ? 1. vers des métiers de plus en plus abstraits. Concrètement, cela veut dire que, du fait de la généralisation du travail à distance sur écran, on travaille beaucoup moins sur la réalité que sur la représentation de la réalité. Cette représentation est non seulement abstraite mais en plus est abstraite de manière cathodique, puisqu'elle apparaît sur un écran. Pour certains, c'est beaucoup mieux qu'avant, parce que cette abstraction est vécue de manière positive. Pour

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d'autres, elle est vécue très difficilement: ils préfèrent les contacts physiques avec les gens, et l'abstraction va être une évolution négative. Je crois que l'un des problèmes du management, c'est de gérer le taux d'abstraction. Au-delà d'un certain taux d'abstraction, on est très très loin de la réalité et donc il faut en permanence tenir de pair abstraction et réalité. 2. vers des métiers de plus en plus interactifs, avec tout le côté ludique de l'interactivité, et aussi tout le côté pénible pour ceux qui n'aiment pas cette interactivité. Globalement, je dirais que tous ceux qui aiment jouer au ping-pong adorent l'interactivité sur écran ; ceux qui sont plutôt fanatiques de bridge ou de marche à pied, au contraire, n'en ont rien à faire d'attendre devant un écran à se demander si ça va apparaître ou pas. J’insiste sur le fait que l’interactivité, tout le monde n'aime pas ça. Quand on dit, ce qui est une énorme bêtise : "tous les enfants aiment l'interactivité", rappelez-vous que seulement 63 % des petits garçons et 24 % des petites filles aiment les jeux électroniques. Ce n'est pas mal, mais enfin ce n'est pas tous les enfants. Et quand on parle des non-enfants, on a des taux tout à fait différents. 3ème grande évolution, on l'a vue, c'est la rapidité. 4ème grande évolution : ces technologies font que les rapports avec les citoyens (et, dans les entreprises, avec les clients) sont de plus en plus nombreux. Je n'ai pas d'étude sur l'administration, mais je vous donne simplement un chiffre sur les entreprises privées, qui vient de sortir, et qui est extrêmement important : en 1970, globalement, 35% des salariés des entreprises privées avaient un contact avec les clients. La dernière enquête de 1997 montre que 79% des salariés ont un contact avec les clients. Donc, il y a à la fois une évolution vers l'abstraction et un accroîssement du nombre de contacts direct avec les gens. Pour les uns, cela va être ressenti comme tout à fait positif, pour les autres cela va être ressenti comme une contrainte. 5ème grande évolution : tout ce qui concerne la qualité tendue. On l'a vu avec la notion "répondre très vite sans faire d'erreur", avec le zéro défaut. Tout ce qui est également l'évolution à distance, qui n'est pas encore répandu dans l'administration mais qui va se répandre, on le verra tout à l'heure dans un autre chapitre. 6. La vulnérabilité 7. Le télétravail mixte 8. L’équipe virtuelle Voilà donc ces 8 grandes évolutions. En matière d'effort de management, il faut être lucide sur ce que veulent dire ces évolutions en termes de plaisir (car on a plus ou moins de plaisir à travailler avec les NTIC), et en termes de qualification (est-ce qu'on en a plus ou moins qu'avant ?). Il n'y a pas de réponse déterministe : ce sont à la fois des facteurs de qualification pour les uns et de déqualification pour les autres. Enfin, les NTIC font bouger les compétences. L'avantage de cette phrase, que je vous recommande de répéter dans les réunions de Cab', c'est d'abord que personne n'est contre, car tout le monde a une définition différente de la compétence, donc on est sûr de faire le

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consensus. Dans le groupe du Plan que je dirige en ce moment, on a trouvé pas moins de 17 définitions de la compétence. Ainsi, on est sûr que dans une réunion Cab' de 16 personnes, personne ne parlera de la même chose. Disons que, globalement, la compétence, c'est la capacité de résoudre les problèmes dans un contexte donné. Ce n'est pas la connaissance, ce n'est pas la formation, c'est en fait la notion de mettre en valeur dans un contexte donné ce qu'on a appris à faire. Quand on parle de nouvelles technologies, et donc d'intranet, d'internet, très rapidement, on tombe sur quatre types de compétences repérées aujourd'hui : - tout ce qui est de type savoir-faire opérationnel (il faut que je sache faire marcher cet ensemble de systèmes), - tout ce qui est de type connaissances professionnelles : par exemple, dans la réponse rapide aux messages, il faut mettre en marche des connaissances professionnelles qui n'ont rien à voir avec internet, mais qui doivent se marier avec un savoir-faire opérationnel, - des connaissances dans la résolution de problèmes, - des connaissances de type social : on voit bien que les rapports sociaux sont changés dès qu'on est à distance, dans ce milieu d'abstraction. Je vous donnerai deux exemples de compétences vues aujourd'hui. Quand on travaille en groupe virtuel, ce qu'on appelle travail coopératif ou groupware, une nouvelle compétence apparaît: le fait de savoir gérer un groupe virtuel, le dynamiser, envoyer des messages de telle façon que le groupe participe à la réunion. On voit donc surgir une compétence qui n'est pas nouvelle par ses composants, mais par ce qu'elle représente aujourd'hui. Je ne vous parlerai pas, faute de temps, de nouveaux métiers. Il y en a relativement peu dans l'entreprise ou dans l'administration, à part les webmestres. Il y a surtout recomposition, par des compétences différentes, d'anciens métiers. Exemple de nouvelle compétence typique de ce travail sur la représentation de la réalité: celle que vont devoir acquérir les cadres, mais aussi l'ensemble des agents du service public quand ils parlent avec les citoyens : c'est la place du regard. (Sur l’écran apparaît une photo de chirurgiens opérant sous endoscopie . Une fibre optique est envoyée dans le corps du patient, dont la numérisation abstraite arrive sur l'écran. Une deuxième fibre optique est envoyée avec un laser: c'est ce qui permet d'opérer. Sur la photo, les chirurgiens regardent un écran, pas le corps du patient). C'est ça, la société de l'information : on travaille beaucoup mieux sur la représentation de la réalité que sur la réalité. Mais vous voyez aussi que, dans la société de l'information, le gugusse que vous êtes, ou que je suis, il est en bas, comme sur la photo, et personne ne s'en occupe. Le regard porte ailleurs, c'est-à-dire là où il se passe quelque chose. Si vous avez vous-même été dans cette situation, en particulier sous anesthésie péridurale où on reste les yeux ouverts, vous savez que c'est insoutenable. Il y a deux types de cliniques : les mauvaises qui tournent l'écran vers le patient (normalement, il ne tient pas plus de 35 secondes) ; les bonnes qui mettent le rideau pour qu'on ne voie pas : du coup, on est les yeux ouverts, stressé, de l'autre côté du rideau. Il y a un formidable changement de métier : la plupart des anesthésistes sont des gros mecs poilus qui sont se sont faits anesthésistes pour fuir le contact humain et qui se retrouvent nounous, car il faut bien tenir la main ! (Applaudissements). On en rigole et on applaudit, parce que ça ne nous touche pas, on n'est pas le chirurgien, mais

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quand on est dans un bureau, on est dans la même situation. C'est-à-dire qu'avant, on était cool, il y avait un agent qui regardait un écran et puis, derrière, il y avait un gugusse. De plus en plus, vous le savez comme moi, on a des postes de travail où on partage de l'information. C'est d'abord arrivé dans l'assurance puis dans la banque et maintenant massivement dans les mairies, les administrations : le citoyen ou le client se met du même côté de l'écran. Et se pose l'énorme problème de la place du regard : si je regarde l'écran, je me fiche du citoyen. Si je regarde le citoyen, je ne peux plus voir l'écran, et donc je me demande pourquoi il est là. Ce problème du stress du travail à trois, je vous le cite à titre de nouvelles compétences. On ne sait pas comment le régler en termes de formation, mais en termes de compétence, on sait bien que c'est l’une de celles qui va se développer. Il faut donc inventer une nouvelle manière de travailler très liée à "il faut que je regarde les gens dans les yeux, et en même temps que je tienne compte de la représentation de la réalité". Qu'est-ce que cela peut induire pour le management et les nouvelles organisations ? (Je dis bien “induit ”, car cela n’a rien d'automatique). Réponse: sept grands facteurs qui constituent, à mon sens, le rôle du cadre, du manager. Car ce n’est ni à l’Etat, ni aux autres de prendre cela en charge, mais à lui. Premier facteur : l'équilibrage des innovations. On a évoqué tout à l’heure un système d'innovations composé de cinq familles. L’important, c'est que ces cinq familles soient équilibrées entre elles. Pourquoi ? Parce que même quand on ne fait rien, l’innovation pénètre les processus et l’organisation, de manière spontanée. Pour le processus, on demande des Pentiums, comme j’ai entendu dire ce matin. Et l'organisation, elle, est donnée de surcroît. Mais on a alors un déséquilibre total, à la fois sur les conditions de travail et sur les emplois. Or qu’est-ce que le management? C'est de travailler de manière volontariste sur : "quelles sont les nouvelles innovations, les missions, quels sont les nouveaux services que je vais donner ?" Et, deuxièmement, "quelles sont les nouvelles innovations sociales qui peuvent accompagner ces innovations de processus et d'organisation qui, quoiqu'on fasse, existeront ? ” En résumé, la première tâche des responsables, c'est de veiller à l'équilibre des innovations. Par exemple, en les recensant, comme je l’ai suggéré plus tôt. Cela permet d’éviter que l’une d’elles ne prenne la place des autres au détriment, encore une fois et de l'emploi, et des conditions de travail et du service que l'on va donner à l'extérieur. Deuxième facteur, déjà évoqué à plusieurs reprises sous divers aspects : le problème du trop-plein d’informations. Je crois que la caractéristique de cette société de l'information, liée à la numérisation des données, c'est que l'on devoir gérer l'abondance. Pour nous, c'est très difficile parce que nous sommes un peuple à qui de nombreuses guerres et invasions ont appris au contraire à gérer la pénurie. Toute notre formation à l'école a été d'apprendre des modèles mathématiques pour savoir comment faire plus avec moins. Or, la société de l'information, c'est : comment faire moins avec plus? Comment gérer du trop-plein? C’est d’autant plus difficile pour nous que, dans notre culture, l'abondance c’est le gaspillage. A l’avenir, au contraire, tout ce qu'on dépensera ne vaudra rien. Il faudra donc apprendre à gérer cela, et en particulier, à prendre conscience qu'il ne s’agit en fait pas du tout d’abondance,mais d’information. Même si, dans un premier temps, il y a une surabondance de données, car nous sommes dans une période où on sait numériser vite et pas cher et donc, sans réfléchir, on numérise tout vite et pas cher. Deux exemples, que tout le monde peut trouver sur internet. Des tas de cartes géographiques ont été numérisées parce qu'elles n'étaient pas chères. Eh bien elles sont totalement fausses !

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Parce que, dès qu'on numérise une carte, elle a bougé. Un autre exemple, ce sont les rues parisiennes photographiées (350 000 photos, site France-Télécom www.pagesjaunes.fr sur Voila) : dès qu'elles sont affichées, elles sont fausses aussi, parce que les boutiques changent à tout moment. Il faut donc se demander : pourquoi je numérise ? Et surtout, est-ce que cette donnée va un jour devenir une information ? C'est le gros problème qu'on aura à résoudre dans les dix ans : depuis 1 000 ans, on n'a pas inventé de méthode pour passer des données aux informations. Il y a des gens parmi nous qui savent passer des données aux informations, il y en a d'autres qui ne savent pas mais on n'a pas de méthode simple qu'on puisse enseigner pour passer de l’un à l’autre et, en particulier, pour passer de trop de données à quelques informations. En fait, quand on n'a pas de méthode, qu'est-ce qu'on fait ? Ce que font toutes les familles quand elles ont 150 chaînes de télévision et pas le programme : elles prennent la zappette et elles zappent. Gérer le trop-plein, c'est zapper! A raison d'une chaîne par seconde,sur 150 chaînes, on retombe sur la même toutes les trois minutes et en gros, on suit le film. Mais quand on a 1 500 000 sites internet, on ne peut pas zapper. D'abord, quand on zappe, on en a pour 10 secondes et comme il y en a 1 500 000, vous sentez qu'on arrive doucettement à la retraite sans avoir vu le tiers des sites. Il faut donc inventer -et l’administration est là en première ligne- des méthodes de gestion du trop-plein de données, de l'abondance de données pour passer à l'information. C’est un vrai problème pour la recherche. Un autre, c’est de savoir comment passer des informations aux connaissances. Aucune étude n'a jamais montré que plus on avait d'informations, plus on avait de connaissances. Quelque part, tout le monde y croit : quand on achète un micro à un gosse, c'est pour lui donner des données en disant "avec ça, il sera moins con". Mais globalement, on n'a aucune preuve que plus on a d'informations, plus on a de connaissances. Ceux d'entre vous qui, dans leur jeunesse, ont vendu des encyclopédies le soir savent qu'on les vendait en disant aux familles ayant plutôt des problèmes : "si vous avez l'encyclopédie, vos enfants réussiront à l'école". Dramatique ! Maintenant, c'est ce qu'on fait avec internet. Pourquoi ? Parce que, quelque part on dit : plus il y a de données, plus il y a d'informations, plus il y a de connaissances. Aucune preuve. Par bonheur, aucune contre-preuve. En outre, est-ce que les connaissances donnent les bonnes décisions et les bonnes actions ? Je vous rappelle que même Bill Gates n'a pas pu le prouver. Bien sûr, on y croit tous et moi aussi, sinon je m'arrêterais. Mais sachez que personne n'a prouvé cette chaîne. Il faudra bien que dans les dix ans on assimile un peu mieux ça. Troisième grand facteur à gérer : le temps. Avec une contradiction fantastique : plus on utilise des technologies qui vont vite, plus on a l'impression de manquer de temps. Tout le monde se le dit personnellement en pensant ne pas être malin et ne pas savoir gérer son temps. Or, on se rend compte que la société de l'information est chronophage, à cause du temps d'exploitation, qui est de plus en plus long. En deux minutes, on trouve la définition d’un mot dans le Petit Larousse: levier, par exemple. Essayez de trouver la définition du mot levier sur internet en moins de 25 minutes. Je paie une caisse de champagne à celui qui y arrive. Parce qu'il va la trouver, mais avec beaucoup plus de temps que s'il avait le dictionnaire. En plus, on va trouver 122 définitions du mot levier, et cela va encore bouffer du temps. Il faut donc se dire que le temps d'exploitation s'allonge. Les Américains le savent mieux que nous, qui ne parlent plus de "wordwildeweb" mais de "worldwildewait". Deuxièmement, le temps d'apprentissage - on y reviendra tout à l'heure - est de plus en plus

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long. Troisièmement, le temps internet est permanent. Le temps biologique, lui, ne l'est pas. Il faut donc à gérer le temps et plus cela va vite, plus les cadres auront besoin d'apprendre à le faire. Là aussi, on manque encore de méthode. Je vous donne une enquête récente qui a été faite - pour vous décomplexer - auprès de cadres suisses dans une multinationale. 70 % de leur temps de travail se passe devant un micro. On leur a demandé : qu'est-ce que vous faites devant votre micro ? Ils ont répondu : on travaille et on règle des problèmes pendant 30 % de notre temps, c'est-à-dire un jour par semaine. Ils passent un bon bout de temps à faire imprimer l'imprimante, un bout de temps non négligeable à faire "réseauter" le réseau, à trouver des logiciels. Il y a aussi le problème des mots de passe : on croit qu'il n'y a que chez nous qu'on met un mot de passe sur un post-it, que la femme de ménage l'enlève. Non, chez les Suisses aussi. Ils ont également des problèmes de matériel, de messagerie, de virus... Nous le vivons tous sans jamais oser l’avouer. "Si je le dis aux autres en réunion, ils vont dire “ quelle cloche ”. Non, quel Suisse ! C'est aussi cela, la technologie. En termes de gestion, il faut en tenir compte. Le mythe du “ plus cela va vite, plus on gagne du temps ” est un mythe. Et c'est faux ! Il faut que nous apprenions à gérer le temps. Quatrième facteur: la gestion de l'espace. Voici un autre mythe : puisque maintenant on communique à distance, il n'y a plus à se transporter et on a réglé des problèmes de gestion de l'espace. Et comme le Français est réfractaire au télétravail, on va lui donner des subventions pour qu'il aime le télétravail, comme les Finlandais qui, eux, aiment ça. Pourquoi ce problème de gestion du temps et de l'espace ? Parce qu'on se rend compte, maintenant qu'on a fait des tas d'essais, que le problème de la gestion de l'espace, c'est de gérer l'espace et la société. Je donnerai deux exemples. Tout le monde sait que ça libère d'avoir le téléphone mobile : on peut appeler de n'importe où n'importe qui. On peut aussi être appelé par n'importe qui (sur l'écran s’affiche la publicité pour SFR : un homme qui fait du delta plane appelle de son portable. Image suivante, un texte a été rajouté : "allô, c'est ton patron"). Autre photo : vous avez ici une nouvelle usine construite par Renault à Guyancourt, à 10 km de Versailles. C'est le technocentre de Renault, inauguré le 15 septembre 1998. La 7 500ème personne y est arrivée le 15 janvier 1999. Renault a regroupé sur le même espace 7 500 personnes qui étaient l'année dernière sur 60 espaces différents. Pourquoi les a-t-on regroupées? Pour gagner du temps. Parce que Renault voulait passer d'une voiture faite en 49 mois à une voiture faite en 29 mois et que pour gagner du temps, ils se sont aperçus qu'il n'y avait rien de mieux que les gens mangent au même endroit, se garent au même endroit, se voient au même endroit et que même si on pouvait avoir internet, intranet, les messageries - ils en ont plus que tout le monde - la productivité venait de la proximité. La gestion de la distance, c'est d'abord la gestion de l'équilibre proximité-distance. Cinquième facteur : la gestion par projet. Le mot se répand dans l'administration. Jusqu'à maintenant, c'était réservé aux projets informatiques. Ça veut dire que toute la notion de gestion par projet, notion anglo-saxonne, repose sur la logique contractuelle. Je te fais un contrat - de temps, de budget, de moyen - et toi, tu respectes ton contrat. Il se trouve que les Anglo-saxons négocient le contrat et tiennent le contrat. Nous, nous sommes dans un pays non anglo-saxon où nous avons une logique qui

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s'appelle la logique de l'honneur, où nous n'avons jamais respecté un contrat de notre vie parce que ça n'est pas l'honneur. Donc quand on a un contrat, nous faisons autre chose que le contrat - mieux, en général - et vous savez que dans la fiche d'appréciation d'un salarié ou d'un agent, le pire qu'on puisse mettre pour un Français, c'est : "fait ce qu'on lui dit de faire". Avec ça, l'Anglo-saxon devient président. Chez nous : "pauvre type, sans avenir, il n'a aucune initiative". Parce que toute la gestion de projet à l'anglo-saxonne repose sur : il y a un cahier des charges que l'on respecte. Si on met en place la gestion de projet, ne mettons surtout pas ça, car on fera un cahier des charges qu'on ne respectera pas. Deuxièmement, pour tout ce qui est à base d'intranet ou d'internet, il ne faut jamais de cahier des charges : on fait en allant. Et non pas : on conçoit et deux ans après on fait. Là aussi, c'est une philosophie totalement opposée. Mais il ne faut pas essayer de réinventer. On pourrait arriver à des trucs aussi grossiers que : maître d'oeuvre ou maître d'ouvrage. Mais ça fait rigoler tout le monde, ça ! Dans les années 1970, ça a un peu plu. Mais aujourd'hui, tout le monde sait qu'il n'y a qu'un objectif : le maître d'oeuvre se fait le maître d'ouvrage et vice-versa. C'est ce qu'on appelle de l'ingénierie simultanée. On fait tout en même temps. Ce n'est pas l'un qui passe la balle à l'autre : ça c'est du rugby, ce n'est pas de la gestion de projet. Donc de la gestion de projet, dans la société de l'information il en faut, mais c'est une autre gestion de projet que celle qu'on a dans la tête et qu'on a fort bien appliquée pour l'informatique. Des cahiers des charges de 24 mois, des programmations de 48, des mises en place de 6 ans et globalement on avait une comptabilité. Mais ce n'est pas internet, ce n'est pas intranet. C'est : je fais un petit truc, je le mets en place. Je refais un petit truc, je le remets en place. Exemple : vous allez voir dans quelques jours le nouveau site internet du Monde. Le Monde a lancé un site internet en 1996. Il a changé quatre fois depuis. Vous sentez donc qu'on fait pas un site internet avec un cahier des charges de deux ans et une mise en place de deux ans. Sinon, ils auraient leur premier site en 2001. Donc : oui à la gestion par projet, mais avec un projet très souple. Sixième facteur: gérer la vulnérabilité. Le mot n'est pas venu aujourd'hui, ce qui prouve bien qu'on avait un colloque de techno-mordus. C'est-à-dire que nous nions la panne, sauf lorsqu'il n'y a plus de courant,. En dehors de ça, elle n'existe pas. Or, il faut savoir qu'on met en place des systèmes de plus en plus complexes, où chaque chose est assez fiable mais où l'ensemble n'est pas fiable. Alors, on ne dit pas les choses comme ça. On dit : il y a des aléas, de nombreux dysfonctionnements, mais au total, ça ne marche pas. Cela, on l'a vécu il y a vingt ans dans les ateliers de production et avec la robotique, on l'a bien compris. On a dit que dans les ateliers de production, on passait de la civilisation de la peine à la civilisation de la panne où il fallait tenir en état un outil de production. Les bureaux? Rien à voir, ils n'avaient jamais vu de panne, mais tout doucettement, avec les réseaux et toutes nos nouvelles technologies arrive la panne dans les bureaux. Et on s'aperçoit que la panne c'est de la complexité, c'est du tabou. Le tabou, c'est qu'on en n'a pas parlé aujourd'hui. Du fait de notre civilisation et de notre culture judéo-chrétienne, dès qu'on voit une panne, on se dit qui est le responsable de la panne ? Et avant même de dépanner, le problème est de trouver le responsable, alors que le responsable, c'est la complexité. Plus on met en place de la complexité, plus on met en place de la panne. Un chercheur célèbre a dit : "j'ai même vu des réseaux tomber en marche". C'est un peu vrai, de temps en temps. Dans l'administration, il y a un double problème. D'abord on nie la panne, donc il faut se dire qu'il faut la gérer. Deuxièmement : on a souvent de la panne en présence du public et rien n'est plus insupportable qu'une panne en public, car on paraît déqualifié.

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Donc, il faut apprendre à gérer la panne en présence de public. J'insiste là-dessus, parce qu'on ne l'a pas abordé aujourd'hui : il faut apprendre à gérer la panne et la vulnérabilité. Il faut former les gens à accepter ça. Deux exemples : quand un cadre, y compris un cadre très supérieur, rentre dans une salle où il y a plein de photocopieuses, s'il en voit une en panne, il se tire. Pourquoi ? Parce que s'il se dit: "si on me prend près de la photocopieuse en panne, on va dire que c'est moi". Personne n'en parle parce qu'il y a un tabou de la panne. Il faut lever ce tabou. Autre exemple : il faut apprendre aux gens : "qu'est-ce que je fais en cas de panne ?". On vient de faire une étude très approfondie dans une banque sur ce que veut dire la panne en présence de public. L'individu est devant son écran, il y a trois clients qui attendent. Ça tombe en panne. Il devient gris parce qu'il n'est pas formé. On compte : "un, deux" et au bout de deux secondes, comme il ne sait pas quoi faire, il caresse l'écran en se disant : "eh, cocotte, tu ne peux pas me faire ça". Quelqu'un de pas formé se dit : "un peu d'affection, ça ne peut pas lui nuire". C'est un peu comme la vendeuse des Galeries qui frotte la Carte Bleue et, si ça ne marche toujours pas, frotte contre la peau en se disant : "Elle préfère". Ça, c'est une vision affective de la panne. On compte : "un, deux, trois, quatre, cinq, six". Gros coup de pied. "Ah! Tu ne comprends pas la douceur, je frappe !". Et drame, parfois ça remarche (mais pas dans les réseaux). Ensuite, on recompte "un, deux, trois" et le premier client dit : "ah!, quand vous n'êtes pas en grève, vous êtes en panne !". C'est pour ça que je vous dis que la gestion de la panne, qui va massivement arriver dans l'administration avec le taux d'équipement, doit tout à fait être prise en compte. Ça va être ça le problème des conditions de travail. Pour ceux d'entre vous qui ont une vaste culture, pour vous montrer que la panne n'est pas un problème récent : vous avez là (sur écran) un vase gallo-romain où est gravé: "si vis pacem, cave pannem", qui est le mot d'ordre de la civilisation de la société de l'information. "Si tu veux la paix en gestion, prends garde à la panne" tout repose là-dessus. Dernier élément : définir notre rôle, le rôle des cadres. Personne ne sait dans quel sens, mais tout le monde sait que ça bouge. Les quatre piliers traditionnels du rôle du cadre sont : - être à un noeud de communication. Mais c'est de moins en moins une caractéristique du cadre, car tout le monde est à un noeud de communication. -faire la règle. Or, vous savez comme moi que plus la règle est mise dans le logiciel, moins c'est le cadre qui fait la règle et plus c'est une équipe de cadres centralisée. Donc cela disparaît aussi. - interpréter la règle. Ça restait un des grands plaisirs de celui qui avait du pouvoir. Dire : "mais tu as mal lu !". L'interprétation de la règle restera de moins en moins avec des systèmes automatiques d'interprétation de la règle qu'on trouvera forcément à distance sur intranet. - qu'est-ce qui nous reste ? Un cadre, c'est quelqu'un qui était un expert et un animateur. Il nous reste à redéfinir notre expertise qui n'est plus d'être à un noeud de communication, qui n'est plus de faire la règle, qui est probablement une expertise d'animateur, mais pas seulement d’animateur de groupes formels mais aussi de groupes à distance, de groupes virtuels. Et ça, c'est une chose qu'il nous faudra bien apprendre. Dernier mot, pour terminer : se rendre compte que la formation à tout ce qui est internet, intranet, doit être à autre chose qu'à internet, intranet mais à tout ce qu'on vient de dire, c'est-à-dire au management de ces technologies. Il faut aussi se rendre compte que dans notre tête de Français, on est plutôt sur une formation longue, avec des temps d'apprentissage courts et des temps de rôdage très courts. Il faut se rendre compte qu'en fait, dans la société de l'information, c'est exactement le contraire. Les

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formations sont souvent très courtes, de l'ordre de la journée ou de 2 ou 3 jours. Au bout de 3 jours, plus personne ne veut les suivre. L'apprentissage est toujours très long, de l'ordre de plusieurs mois et le rôdage est toujours très long, de l'ordre de plusieurs semestres. Donc, il va falloir apprendre à prendre ce virage qui est : la formation, l'apprentissage et le rôdage n'ont plus les mêmes pondérations qu'on voit bien quand on donne un jeu à un enfant. Temps de formation : 10 micro-secondes. Temps d'apprentissage : 150 heures, tout seul dans sa chambre. Il en sort, il joue avec ses parents, il gagne. Les parents disent : "c'est un génie". Non, il a 150 heures dans les pattes ! Ce n'est pas tout à fait pareil ! Parce qu'on apprend tout par apprentissage. Après 200 heures dans sa chambre avec des copains pour le rôdage, ensuite il jette : plus aucun intérêt. C'est l'archétype des métiers de demain. C'est-à-dire : de la formation courte, de l'apprentissage-rôdage assez long, mais ensuite une volonté de changer parce que, forcément, il y a un côté routinier. Voilà ce que je voulais vous dire sur notre rôle de cadre dans la société de l'information. CONCLUSION Gilbert Santel Directeur général de l'administration de la Fonction publique, délégué interministériel à la réforme de l’Etat. Après le feu d'artifice d'Yves Lasfargue, tout a été dit. Je voudrais simplement tirer quelques conclusions rapides. Cette journée, comme les précédentes, comme celles que nous serons conduits à réaliser dans les prochains mois, avait un double objectif. Premier objectif : essayer de faire progresser la réflexion et la connaissance commune sur un sujet tout particulièrement important, vous avez pu le voir au cours des exposés et des tables rondes, pour l'évolution de l'administration, l'évolution de ses pratiques et l'amélioration des services qu'elle peut rendre. Il s'agissait aussi pour nous, selon une formule maintenant déposée, d'échanger les bonnes pratiques. Il nous semble qu'il est important pour chacun d'apprendre des autres et de ne pas réinventer à chaque fois, de refaire le même parcours que celui qui aura pu être réalisé. Qu'est-ce qu'on peut donc retirer de cette journée mais aussi d'un certain nombre de travaux récents ou en cours ? Quand je parle de travaux récents, j'évoque notamment tout ce qui a été fait en matière de mise en oeuvre d'action gouvernementale pour accéder à l'information, j'évoque aussi le programme pluriannuel de modernisation . Le volet nouvelles technologies a été particulièrement développé et particulièrement bien traité ; quand je parle de travaux en cours, j'évoque notamment les travaux conduits dans le cadre du Commissariat général au

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plan par la Commission que préside M. Lasserre et auxquels nous avons, M. Yves Lasfargue et moi, le plaisir de participer. En fait, le chantier de l'administration électronique, comme on dit, devient une réalité. Nous passons d'une ère de pionnier à celle de l'usage quotidien des technologies de l'information et de la communication. Je crois que ce constat est tout à fait important. Car dès lors que nous passons à un usage quotidien, à une généralisation, il est évident que c'est là que nous allons commencer à rencontrer les vraies difficultés. Beaucoup d'expériences, d'initiatives ont été réalisées, prises, conduites par des pionniers, par des techno-mordus, pour reprendre l'expression d'Yves Lasfargue, avec des compétences nécessaires, la volonté d'aboutir, parfois aussi quelques moyens financiers. Ces expériences ont donc été conduites avec des conditions maximales de réussite. Dès lors que l'on passe de quelques dizaines de milliers à des millions d'agents concernés, il est évident que le problème change non seulement d'échelle mais aussi de nature. Nous sommes donc dans ce contexte. Il y a trois idées essentielles : La première, c'est qu'il faut aujourd'hui se concentrer sur les usages plus que sur les technologies. La deuxième, c'est que les conditions de succès deviennent organisationnelles et culturelles et tout ce qui vient de vous être dit l'illustre parfaitement ; et, enfin, que l'adhésion, la participation effective des agents devient fondamentale. Au passage, je souligne le fait que si nous avons fait des pas en avant significatifs, le chemin qui reste à faire reste également très important. L'intervention de monsieur Audet ce matin était là parfaitement pour l'illustrer. Au-delà de ces idées générales, je souhaite insister sur trois points : Le premier : nous devons inventer de nouvelles organisations de travail, expérimenter et créer les conditions de la généralisation. Dans cette affaire de nouvelles technologies (ou disons de technologies tout court, parce qu’en fait le caractère nouveau devient de plus en plus relatif), je crois qu'il y a deux types d'appréciation diamétralement opposées. La première, c'est celle de l'enthousiaste naïf que je résumerais de la façon suivante : les nouvelles technologies vont tout raser sur leur passage, donc il faut que chaque agent ait son micro-ordinateur et à l'heure d'internet, tout va être bouleversé, les pratiques, l'organisation, etc., de façon quasi-naturelle. A l'inverse, vous avez les sceptiques, critiques ou lucides, je ne sais pas, qui tiennent à peu près le propos suivant : "De toute façon l'administration est ce qu'elle est : on connaît sa culture, sa tradition, son organisation. Passé les premiers moments d'agitation, on fait confiance à l'administration et à son organisation traditionnelle pour que tout rentre rapidement dans le rang". Je crois qu'il y a sûrement un peu de vrai dans les deux appréciations. Je crois néanmoins qu'il faut que nous soyons capables, dans l'incapacité où nous nous trouvons de réellement prévoir le futur, de bien apprendre de chacune des initiatives qui sont prises et de pouvoir en tirer les conclusions pratiques. Je prendrais deux exemples tout simples. Premier exemple : nouvelles technologies et fonctionnement hiérarchique. Prenez un service de 100 personnes. Vous mettez en place une messagerie. Traditionnellement, le patron s'adressait à l'adjoint qui s'adressait au sous-directeur ou au chef de bureau et puis au chargé d'études pour passer une commande. La question étant traitée, tout cela remonte en sens inverse, chacun apportant son complément, sa modification (je passe sur les allers-retours successifs avant que ça finisse par remonter définitivement au sommet). Vous mettez en place une messagerie. Une commande descend, en général sous la forme traditionnelle et puis la

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réponse remonte dans des conditions radicalement différentes. Le chargé d'études a tapé sa réponse sur la messagerie, s'adresse au directeur et met tout le monde en copie. Dans un premier temps, surprise des uns et des autres : du directeur, de l'adjoint, du sous-directeur, du chef de bureau, tout le monde commençant à se demander : "à quoi je sers dans cette affaire?". Et puis on y trouve des avantages et des inconvénients. On n'est pas forcément d'accord, aux échelons intermédiaires, sur ce qu'on vient de voir passer. Mais puisque le patron est au courant, on va voir comment il réagit, ça évitera de se mouiller en jugeant en conséquence. Ça, ça marche très bien pendant les premiers temps parce que ce type de fonctionnement concerne dix, puis quinze, vingt messages par jour. Et puis, la machine s'emballe, forcément. Les règles du jeu s'en trouvent fondamentalement modifiées. Au bout de quelque temps de ce fonctionnement, ce n'est plus quinze ou vingt messages qui arrivent en haut mais 50, 60, 70. Et qu'est-ce qui se passe ? Deux solutions : première solution, le directeur dit : il faut en revenir aux solutions traditionnelles, ce n'est plus possible, donc je vais demander à ma secrétaire de lire les messages, de trier, de faire redescendre, etc. On a déjà un début de retour vers le fonctionnement antérieur. Deuxième type de solution, encore fréquent : ça consiste pour le directeur à montrer quand même qu'il travaille et qu'il est là pour faire quelque chose. Alors il imprime systématiquement les messages qui lui arrivent. Evidemment, il n'en lit plus qu'un sur trois, avec un début de dysfonctionnement parce qu'à tous les niveaux de la hiérarchie, tout le monde est convaincu que tout a été lu, compris, intégré, etc. Ce que je veux dire avec un exemple comme celui-là, c'est qu'on voit, en même temps que les potentialités de transformation, les difficultés à gérer ces nouveaux modes de travail. De toute évidence, si la part des nouvelles technologies est importante, celle des hommes le sera tout autant. Il me paraît donc essentiel de voir très concrètement quels nouveaux types d'organisation, de fonctionnement résultent de la mise en place de ces nouveaux outils. Nous aurons besoin dans ce domaine, à partir des expériences des uns et des autres, de tirer quelques conclusions pratiques. Deuxième exemple, d'une autre nature, tourné cette fois vers l'extérieur de l'administration. La tradition de l'administration française est quand même très largement la tradition du secret. Dès lors qu'on commence à se poser la question d'un intranet, puis d'un internet, d'un extranet, on est conduit à s'interroger sur ce qui est confidentiel, sur ce qui a vocation à rester à l'intérieur, ce qui a vocation à être rendu public. La question qu'on ne s'était jamais posée jusque là parce qu'on fonctionnait dans l'implicite. Il faut arriver à donner maintenant des réponses claires : oui, cela doit rester interne à l'administration ou au contraire cela a vocation à être diffusé. On se rend compte tout simplement sur une affaire comme celle-là que la frontière entre le secret et le public, le confidentiel et ce qui ne l'est pas, est une frontière qui a vocation à se déplacer, et à se déplacer de plus en plus, D'autant plus qu'il y a par ailleurs des exigences en matière de transparence, notamment, de la part de nos concitoyens. On pourrait multiplier les exemples. Mais cette idée des nouvelles organisations à imaginer, à expérimenter, à échanger puis à généraliser me paraît une première leçon sur laquelle je voulais insister aujourd'hui en soulignant encore une fois que, surtout dans un domaine comme celui-là, même s'il s'agit d'une vérité plus générale, il est important d'innover, de créer les conditions de l'innovation et donc d'accepter le droit à l'erreur. Je crois que c'est peut-être une des choses aussi qui fait le moins partie de notre culture au sein de l'administration. Eh ! bien le droit à l'erreur doit être reconnu, et reconnu comme partie intégrante d'un processus de progrès. Deuxième leçon sur laquelle je voudrais insister : nous avons beaucoup travaillé, y compris aujourd'hui, à partir d'approches ministérielles. Les programmes pluriannuels de modernisation, d'ailleurs, ont bien été réalisés dans ce cadre et j'avais moi-même insisté

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depuis longtemps sur l'importance qui s'attachait à ce que chaque ministre soit responsable des actions de modernisation au sein de son ministère. Mais affirmer, cela ne signifie pas que chacun doit bétonner son territoire et s'enfermer dans son domaine. Au contraire : les nouvelles technologies, qui doivent nous permettre les mises en réseau au sein de chacune des administrations doivent nous permettre aussi des mises en réseau sur un plan interministériel. Et aussi, d'ailleurs, dans nos relations avec les collectivités locales ou l'ensemble de la société civile. Sur ce volet de l'interministériel, vous savez qu'un certain nombre d'initiatives ont été prises, qui concernent le niveau national et le niveau local, les tuyaux, les technologies, les infrastructures mais aussi les usages. Un travail est en cours sur le réseau AdER (la mise en réseau de l'ensemble de l'administration). Un autre, très important, a été engagé en matière de réalisation de systèmes d'information territoriaux et nous avons l'ambition que pour la fin de l'an 2000 il y ait bien une généralisation dans l'ensemble des départements et des régions de ces systèmes. S'agissant de l'aspect utilisation, nous avons un certain nombre de grands chantiers ouverts, notamment le projet ACCORD en matière budgétaire et comptable. Si j'insiste sur ce volet interministériel, c'est à partir d'une constatation toute simple : il constitue une nécessité absolue, du point de vue de la mise en oeuvre des politiques publiques, tout simplement parce que ces politiques publiques ont un caractère de plus en plus interministériel, surtout pour l'ensemble des grandes politiques prioritaires: ainsi de questions comme l'emploi, la lutte contre l'exclusion, l'aménagement du territoire, l'environnement et un certain nombre d'autres. Enfin, troisième et dernière leçon : elle concerne les hommes et les femmes et elle s'inscrit évidemment tout à fait dans le prolongement de ce que vient de nous dire Yves Lasfargue. Il faut bien comprendre la réalité dont on part. Nous avons d'une part des fonctionnaires, des agents de l'Etat qui revendiquent la capacité à pouvoir utiliser les nouvelles technologies et qui, lorsqu'ils y ont accès, en ressentent légitimement une certaine fierté. Le simple fait de pouvoir dire que l'administration n'est pas en retard sur le privé en matière de nouvelles technologies contribue à développer cette fierté. On voit bien que lorsqu'on commence à équiper, à mettre en place un réseau, à fournir les premiers logiciels, il y a une spirale vertueuse, une demande croissante qui se manifeste. Et de l'autre côté, il y a beaucoup d'interrogations, beaucoup d'inquiétudes. L’une concerne l'emploi : est-ce que la mise en place des nouvelles technologies va conduire à des gains de productivité tels qu’on serait conduit à faire évoluer négativement les effectifs ? Nous avons pu voir dans des discussions récentes que les risques dans ce domaine paraissent relativement limités mais il y a un certain nombre d'autres inquiétudes :le stress, par exemple. Il faut bien prendre en compte cette double réalité et créer des conditions pour développer la fierté dont je parlais et, en même temps, répondre aux questions que ne manquent pas de se poser les agents. Si tout processus de transformation, de modernisation de l'administration nécessite évidemment dialogue social et concertation avec les agents, je crois que c'est peut-être tout particulièrement vrai en ce qui concerne les nouvelles technologies. Leur bonne maîtrise requerra en outre, comme on vient de l'évoquer, des modifications de l'organisation et du travail, de nouvelles compétences, l'apparition de nouveaux métiers;il y a donc un investissement très important à réaliser dans ce domaine, notamment en matière de formation. C'est d'ailleurs un de nos objectifs pour le deuxième trimestre de cette année et pour les années qui viennent que de donner un coup d'accélérateur très significatif au niveau interministériel. Voilà donc les trois points sur lesquels je souhaitais insister : les nouvelles organisations du travail, les réflexions, expérimentations et généralisation, la dimension interministérielle et le rôle des hommes dans le processus engagé.

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Pour conclure, voici simplement quelques informations complémentaires. Les actes de cette journée seront préparés pour être diffusés à l’automne et vous pourrez les consulter sur le site internet du ministère. Cette journée s'inscrit dans un cycle d'études. De nouvelles auront lieu à la rentrée. La prochaine sera plus concentrée sur le volet ressources humaines. Compte tenu du succès de cette journée, nous avons dû refuser du monde et dire aux derniers inscrits qu'il n'y avait plus de place. Nous envisageons de renouveler l'expérience vraisemblablement au début de l'année prochaine avec au moins une certitude dans ce domaine : quelle que soit la date exacte, le contenu aura forcément évolué.