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NOM : Prénom : 1 STI2D Descriptif des lectures et des activités

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NOM : Prénom : 1 STI2D

Descriptif des lectures et des activités

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SEQUENCE 1 La Centrale (2010) d'Elisabeth Filhol,

entre documentaire et réquisitoire

Objet d'étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours

Problématique : quelles visions de l'homme et de la société de son temps Elisabeth Filhol offre-t-elle à travers La Centrale ?

Perspective d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

1. l'incipit, jusqu'à «... qu'on en soit arrivé là » (« Chinon », chapitre 1)

2. la relève : de « Badge magnétique et code d'accès... » jusqu'à la fin du chapitre (« Chinon », chapitre 1)

3. le départ de Loïc : de « Notre carrière dans le nucléaire a commencé là-bas...» jusqu'à la fin du chapitre (« Chinon », chapitre 6)

4. l'explicit, de « Il y a de grandes plages au nord de Royan... » jusqu'à la fin (« Le Blayais », chapitre 18).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : l'homme au travail : Emile Zola, Germinal (1885) ; Emile Zola, La Bête humaine (1890) ; Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) ; François Bon, Sortie d’usine (1982) ; Maylis de Kerangal, Naissance d'un pont (2010).

• Groupement de textes : travailler dans le nucléaire : Mourad Guichard, « Le suicidé de la centrale de Chinon poursuit encore EDF » (6 mars 2007), article paru dans le journal Libération ; Claude Dubout, Je suis décontamineur dans le nucléaire (2010).

• Lecture cursive facultative : Zola, Germinal (1885) ; Zola, La Bête humaine (1890) ; Robert Merle, Malevil (1972).

– lectures d'images :

• Salvador Dali, Idylle mélancolique et uranique mélancolique (1945), La Séparation de l'atome (1947) et La madone de Raphaël à la vitesse maximum (1954)

• Deux documentaires sur le nucléaire : RAS nucléaire rien à signaler (2009) d'Alain de Halleux et Nucléaire, exception française de Frédéric Biamonti (2013)

– autres activités :

• Elisabeth Filhol : biographie et bibliographie• L'oeuvre dans son contexte • La structure de l'oeuvre• Le sens du titre• Les personnages dans le roman• Le sens du roman : la question de l'Homme face au nucléaire

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Etude comparée du roman d'Elisabeth Filhol et de l'adaptation cinématographique de Rebecca Zlotowski (2013).• Zola au travail : les élèves ont navigué librement sur le site de la bibliothèque nationale de France (BNF), consacré à l'écrivain : comment travaille l'écrivain naturaliste ?

• Sujet de dissertation : Dans Deux définitions du roman (1866), Emile ZOLA déclarait : « le premier homme qui passe est un héros suffisant ». Discutez cette affirmation en prenant appui sur les textes du corpus et sur les œuvres que vous connaissez.

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SEQUENCE 2 Huis clos (1943) de Jean-Paul Sartre,une tragédie ou une anti-tragédie ?

Objet d'étude : théâtre, texte et représentation (oeuvre intégrale)

Problématiques : de quelle façon le philosophe Jean-Paul Sartre illustre-t-il sa réflexion sur les Autres et sur la liberté ?

Perspectives d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

5. La scène d'exposition, de « GARCIN, redevenant sérieux tout à coup » à « LE GARÇON : Dame ! »

6. La révélation du système infernal : scène 5, de Ines : « Qu’avez-vous fait ? » à Inès « Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres »

7. Le miroir : scène 5, de « Monsieur, vous avez un miroir ? » à « Garcin ne répond pas ».

8. Le dénouement : scène 5, de Garcin «Le bronze... » à la fin.

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes 1 : la représentation du pouvoir au théâtre : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill, scènes 3 et 4, 1888 ; Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, Acte II, scènes 3 et 4, 1943 ; Albert CAMUS, Caligula, acte II, scène 5, 1944 ; Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

• Groupement de textes 2 : l'existentialisme : texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce en 1965 (ces textes ont été rassemblés par Michel Contat et Michel Rybalka - Folio essais- Gallimard 1992) ; Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme (1946), extraits.

• Huis clos à l'écran : Huis clos (1954) de Jacqueline Audry et Huis clos (1965) de Michel Mitrani. • Lecture cursive : Les Mouches (1943) de Jean-Paul Sartre

– lectures d'images :

• Etude comparée des couvertures des éditions de poche et des affiches de cinéma.• Le Jardin des délices (1503 ou 1504) de Jérôme Bosch

– autres activités :

• Jean-Paul Sartre : biographie et bibliographie• La philosophie de Huis clos• Les personnages, les alliances• La construction de la pièce• Les objets dans la pièce

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Activité conduite en autonomie par l'élève :

Les élèves ont écrit un texte à partir de la question « Quelle est votre représentation de l’enfer et des morts-vivants ? ».

Quatre élèves ont lu à voix haute les répliques des quatre personnages de la première scène de la pièce tandis que l'enseignant s’est occupé de la lecture des didascalies. Les élèves ont émis leurs hypothèses quant aux rôles des didascalies.

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SEQUENCE 3 Paroles (1946) de Jacques Prévert,

une poésie libre et engagée

Objet d'étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours (groupement de textes)

Problématiques : En quoi la poésie de Jacques Prévert, dans Paroles (1946), est-elle une poésie engagée ? En quoi la poésie de Paroles est-elle moderne ? Qu'est-ce qu'un recueil poétique ?

Perspectives d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude de l'intertextualité et de la singularité des textes

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

9. « La grasse matinée » 10. « Pater noster » 11. « Promenade de Picasso» 12. « Barbara »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes 1 : deux conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674), Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840) , Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation ».

• Groupement de textes 2 : le thème de la guerre dans le recueil Paroles (1942) de Jacques Prévert : « Chanson dans le sang », « Familiale », « L’effort humain ».

• Lecture cursive : Jacques Prévert, Paroles (1942).

– lecture d'images :

• Un tableau : Pablo Picasso (1881-1973), Nature morte à la pomme, 1937.

– autres activités :

• Jacques Prévert : biographie et bibliographie• Le contexte historique : la France et l'Europe de l'entre-deux-guerres• Le sens du titre Paroles• Les thèmes à l'oeuvre dans le recueil : l'anticléricalisme, l'antimilitarisme, l'enfance, la création

poétique• Eléments de versification : le mètre, les rimes, le décompte des syllabes, les jeux de sonorités, etc.• Le surréalisme

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Activité conduite en autonomie par l'élève :

Mise en voix et en musique d'une sélection de poèmes, appris par les élèves.

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SEQUENCE 4 Le Dernier jour d'un condamné (1829) de Victor Hugo : roman, monologue intérieur ou journal ?

Objet d'etude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours

Problematique : Le recours à la fction est-il un moyen effcace pour diffuser ses idées ?

Perspective(s) d'etude : étude de l'argumentation et de ses effets sur les destinataires

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

13. La préface de 1832, extrait, de « Qu'avez-vous à alleguer pour la peine de mort ? ... » à « le Mardi gras vous rit au nez » ;

14. l'incipit (chapitre I) ; 15. la description de la cellule, de « Voici ce que c'est que mon cachot... » à « … on suppose qu'il y

a de l'air et du jour dans cette boîte de pierre. » (chapitre X) ;16. le ferrement des forçats, de « On ft asseoir les galeriens dans la boue... » à « … leurs rires me

faisaient pleurer. » (chapitre XIII).________________________________________________________________________________

ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : la peine de mort : Voltaire, Traité sur la tolérance, 1763 ; Victor Hugo, Discours à l'Assemblée constituante (15 septembre 1848) ; Albert Camus, L'Etranger, 1942 ; Albert CAMUS, Réfexions sur la guillotine, 1957 ; Robert Badinter, ministre de la Justice (garde des Sceaux), discours à l'Assemblee nationale, le 17 septembre 1981

• Lecture cursive : Le Dernier jour d'un condamné (1829) de Victor Hugo

– lectures d'images : L’Homme au gibet de Victor Hugo et la bande-dessinee de Stanislas Gros, Le Dernier jour d'un condamné (2007)

– autres activités :

▪ Victor Hugo : biographie et bibliographie ; la notion d'engagement▪ La question de la peine de mort, de Voltaire à Badinter : les grandes etapes du combat, les arguments▪ La construction du roman ; le traitement du temps et des lieux dans le roman▪ Roman, monologue interieur ou journal ? La question du genre▪ Les personnages : le condamne à mort, les representants de la societe (gens de justice, gens d'eglise, foule)

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Activité conduite en autonomie par l'élève : les élèves ont réalisé, en équipes, un clip vidéo ou une séquence audio défendant une cause ou dénonçant une injustice.

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Lectures analytiques

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Lecture analytique n° 1 : l'incipit

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Trois salariés sont morts au cours des six derniers mois, trois agents statutaires1 ayant eu chacun une fonction d’encadrement ou de contrôle, qu’il a bien fallu prendre au mot par leur geste, et d’eux qui se connaissaient à peine on parle désormais comme de trois frères d’armes, tous trois victimes de la centrale et tombés sur le même front. Un front calme. Depuis le début des années soixante et le raccordement du premier réacteur2 au réseau, le site n’a cessé de s’étendre par tranches3 successives, comme une agriculture extensive4, dans une boulimie de terrain, sept tranches au total, d’une technologie graphite-gaz5 pour les trois plus anciennes qui sont aujourd’hui en cours de démantèlement, et le sol remis à nu par endroits et reconverti en aires de stockage. Un grillage électrifié boucle le périmètre. En deçà, c’est le silence. Ce qui frappe au premier abord, c’est ça. Hors le trafic routier et le bruit continu des aéroréfrigérants6,la perception d’un silence malgré tout sur toute l’étendue du site quand on en fait le tour.

Je sors, elle est devant moi. Et parmi ceux qui en sortent, de l’équipe du matin, une poignée d’hommes traversent la route départementale et marchent en direction du bar. Au premier, je tiens la porte. Je devrais être parmi eux qui vont boire après leur journée de travail pour faire sas7, comme par excès de sas et complexité des procédures à l’intérieur, le besoin qu’on éprouve d’une zone tampon avant de rentrer chez soi, en dehors de l’enceinte, et pourtant encore dans sa sphère d’influence, entre collègues qui en parlent et elle toujours à portée de vue, et en même temps au milieu des autres, ceux qui n’en parlent jamais, routiers, livreurs, ouvriers de la société d’autoroutes, artisans, qui pour certains ne la voient même plus, sauf en première page des quotidiens régionaux quand elle fait la une. Avant-hier, un sujet au journal de vingt heures, on s’est réunis, chacun attend. Pour ceux qui ont été interviewés et qu’on connaît, vingt heures dix-sept. Et sur le temps d’interview, ce sont trois phrases au montage qui ont été retenues et c’est bien maigre, mais on voit la centrale, et l’avoir là, à l’écran, avec nos réflexes ordinaires de téléspectateurs pour qui tout ça n’est pas réel, et en même temps la reconnaître, parfois même s’y reconnaître ou un collègue, c’est se réconcilier provisoirement avec elle, et comme un crève-coeur qu’on en soit arrivé là.

La Centrale (2010) d'Elisabeth Filhol (« Chinon », chapitre 1).

1 Agents statutaires : dans les centrales nucléaires, se côtoient trois catégories de travailleurs : les agents statutaires, qui occupent un poste fixe et sont directement employés par l'entreprise qui exploite la centrale ; les salariés des sociétés prestataires ; les salariés employés par les agences d'intérim, dont le statut est le plus précaire.

2 Réacteur : dispositif dans lequel une réaction nucléaire est produite et dirigée.3 Tranches : unités de production électrique dans une centrale nucléaire.4 Agriculture extensive : agriculture pratiquée sur de vastes étendues.5 Technologie graphite-gaz : ancien type de réacteur, aujourd'hui remplacé par des réacteurs utilisant de l'eau sous

pression.6 Aéroréfrigérants : tours de refroidissement.7 Pour faire sas : pour décompresser, pour se détendre (sens figuré) ; au sens propre, le sas est une pièce qui permet

le passage entre deux milieux différents.

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Lecture analytique n° 2 : la relève

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Badge magnétique et code d’accès personnel. Deux chiffres, accès restreint. Quatre chiffres, accès en zone contrôlée. Un autre que moi, ce matin, s’est présenté au poste de garde, a franchi les contrôles, l’habillage, et a rejoint les gars de mon équipe pour finir le travail. À présent il se repose en essayant de ne pas y penser, ou de penser que ça n’arrive qu’aux autres, une règle valable pour tous, le risque permanent, statistique, de surexposition, et pour lui-même l’exception qui confirme la règle, ou la pensée magique, ça n’arrivera pas. Il est jeune, j’imagine, en bonne forme physique, et son corps lui répond. Tant qu’il n’aura pas fait l’expérience contraire, il s’en tiendra là. La relève. Comme en première ligne à la sortie des tranchées, celui qui tombe est remplacé immédiatement. Dans la discipline, et les gestes appris et répétés jusqu’à l’automatisme. Il y a des initiales pour ça. DATR. Directement affecté aux travaux sous rayonnements. Avec un plafond annuel et un quota d’irradiation8 qui est le même pour tous, simplement certains en matière d’exposition sont plus chanceux que d’autres, et ceux-là traversent l’année sans épuiser leur quota et font la jonction avec l’année suivante, tandis que d’autres sont dans le rouge dès le mois de mai, et il faut encore tenir juillet, août et septembre qui sont des mois chauds et sous haute tension, parce qu’au fil des chantiers la fatigue s’accumule et le risque augmente, par manque d’efficacité ou de vigilance, de recevoir la dose de trop, celle qui va vous mettre hors jeu jusqu’à la saison prochaine, les quelques millisieverts9 de capital qu’il vous reste, les voir fondre comme neige au soleil, ça devient une obsession, on ne pense qu’à ça, au réveil, au vestiaire, les yeux rivés sur le dosimètre10 pendant l’intervention, jusqu’à s’en prendre à la réglementation qui a diminué de moitié le quota, en oubliant ce que ça signifie à long terme. Chair à neutrons11. Viande à rem. On double l’effectif pour les trois semaines que dure un arrêt de tranche. Le rem, c’est l’ancienne unité, dans l’ancien système. Aujourd’hui le sievert.

Ce que chacun vient vendre c’est ça, vingt millisieverts, la dose maximale d’irradiation autorisée sur douze mois glissants12. Et les corps peuvent s’empiler en première ligne, il semble que la réserve soit inépuisable. J’ai eu mon heure. J’ai été celui qu’on entraîne à l’arrière du front, cours théoriques puis dix jours de pratique sur le chantier école, dix jours ramenés à huit comme au plus fort de l’offensive quand on accélère l’instruction des recrues13 pour en disposer au plus vite, et à quoi servirait d’investir davantage de temps et d’argent sur eux dont on sait que la carrière sera courte ?

La Centrale (2010) d'Elisabeth Filhol (« Chinon », chapitre 1).

8 Quota d'irradiation : quantité maximale d'exposition aux rayonnements radioactifs autorisés sur une période donnée.

9 Millisieverts : unité de mesure évaluant l'impact des rayonnements radioactifs sur le corps humain.10 Dosimètre : appareil permettant de mesurer la quantité de rayonnements radioactifs absorbée par le corps humain.11 Neutrons : particules élémentaires, constitutives du noyau de l'atome et jouant un rôle essentiel dans la réaction de

fission, à l'origine de la création d'énergie nucléaire.12 Douze mois glissants : douze mois successifs.13 Recrues : soldats qui viennent d'être recrutés.

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Lecture analytique n° 3 : le départ de Loïc

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Notre carrière dans le nucléaire a commencé là-bas, sur les rives de la Gironde, formation théorique et entraînement sur le simulateur, jusqu'au jour de la première intervention. Á deux, on se serre les coudes , on se jette plus facilement à l'eau. Et le regard du copain compte alors autant dans la volonté de bien faire que la conscience qu'on a des enjeux. De cette première fois, de l'épreuve d'avoir été jetés ensemble dans le grand bain, on en reparlera souvent, pour consolider ce qui existe, ou pour jouir que ça existe, un lien solide qui éclaire tout d'une lumière différente et rend beaucoup de situations vivables. Donc le Blayais en juin. Puis Nogent-sur-Seine, Cruas, et Civaux14 sur la Vienne. Á Civaux, pour Loïc, ça s'est mal passé. Moins de huit jours après le début des travaux, il s'est vu retirer son habilitation, sanctionné pour faute grave, et l'agence l'a expédié à la centrale de Saint-Laurent sur la Loire nettoyer des tours réfrigérantes . Le détartrage des tours, il n'y a pas pire. Dans la chaleur du mois d'août, au milieu des amibes15 et des légionelles16, et des produits chlorés17 qu'on manipule, c'est du sale boulot. Au bout de deux semaines, les gars n'aspirent plus qu'à une chose, travailler à l'intérieur, entrer en zone contrôlée ; quand on leur délivre les autorisations d'accès, ils vivent ça comme une promotion, d'accord ils vont prendre des doses, mais ça ne se voit pas et leur travail est propre.

Loïc sur les tours, direction Saint-Pierre-des-Corps, changement pour Blois et Saint-Laurent. Je reste à Civaux jusqu'à la fin de la mission. Á la veille de son départ, la rumeur qui circulait depuis quelques jours gagne du terrain : l'intervention sur le générateur aurait mal tourné, devant l'emballement de son dosimètre, il aurait lâché ses collègues et déserté le chantier. J'attends qu'il me donne sa version des faits, qu'il sorte de son silence et me rassure, en vain. Poitiers, place de la Gare. C'est ici qu'on se sépare après six années d'aventures communes, à faire les mêmes choix plus ou moins éclairés, à filer sur les mêmes routes, à négliger les erreurs de pilotage – ou parce que faites à deux et de concert18, à se convaincre qu'elles n'en sont pas -, à bâtir ensemble des plans sur la comète, moi toujours un peu à la remorque19 par respect du droit d'aînesse20, les deux années d'avance qu'il a sur moi à la naissance, mais deux fugues et autant de redoublements, on fera connaissance au lycée Colbert à Lorient, sur les bancs de la terminale STI génie électronique, à la rentrée de septembre 2000. Six ans plus tard, place de la gare à Poitiers, refus de sa part que je descende, ça tourne court, la voiture en double file, son sac pris vite fait sur l'épaule et le claquement du coffre qui vaut signal de départ ; après on revoit les images, l'encombrement des rues ce vendredi soir, le siège vide au retour côté passager et le temps qu'il faudra pour s'y faire. Dans la chambre d'hôtel, deux lits dont un ne sert plus à rien, des affaires qu'il a laissées, qu'il devait reprendre, que j'ai toujours. Trop d'espace. Et le bruit des voisins que je n'entendais pas avant, sauf à de rare occasions, et alors comme des bribes d'une vie lointaine taillées chez nous dans le flot convenu des paroles – les nôtres, ou celles de la télévision, ou l'empilement des deux. La chambre devenue trop grande . Je ne dois pas m'en plaindre. Au mois d'août, beaucoup de travailleurs ont du mal à se loger. Déjà en temps normal, c'est difficile. Le stress de finir loin, ou cher, ou entassés les uns sur les autres.

La Centrale (2010) d'Elisabeth Filhol (« Chinon », chapitre 6).

14 Nogent-sur-Seine, Cruas, Civaux : noms de sites nucléaires français.15 Amibes : êtres vivants constitués d'une seule cellule, qui évoluent dans les milieux humides et peuvent parasiter

l'Homme.16 Légionelles : bactéries se développant dans les eaux entre 25 °C et 50 °C, pouvant entraîner une maladie pulmonaire

grave chez l'Homme.17 Chlorés : contenant du chlore, produit chimique à l'odeur suffocante.18 De concert : en accord.19 Á la remorque : derrière, se laissant diriger.20 Droit d'aînesse : droit qui donne la priorité à l'aîné, au plus âgé.

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Lecture analytique n° 4 : l'explicit

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Il y a de grandes plages au nord de Royan, après Saint-Palais et le phare de Terre-Nègre. Des kilomètres de plage. Et pour fixer les dunes et prévenir l'envahissement par le sable, la forêt de la Courbe plantée de pins et de chênes-lièges, avec au milieu l'enclave de La Palmyre et le zoo. Il faut aller marcher là-bas, disait Loïc, le long de la mer, se laver de toute cette saleté. Royan et Lorient, unies par le destin commun d'avoir été rasées puis reconstruites21. Et les vestiges du mur de l'Atlantique22 d'un bout à l'autre. Il faut fermer les fenêtres. Il ne faut pas bouger. Je ne suis pas sûr que ça serve à quelque chose. Je ne suis pas sûr que ça nous protège de quoi que ce soit. Il n'y a que le plomb. Le plomb a cette propriété, et le béton des murs, mais il faut déjà atteindre une certaine épaisseur. Ici les murs n'arrêtent rien. A moins de s'enfermer dans un blockhaus. Combien de centaines de blockhaus le long de la côte atlantique ? Construits avant l'ère atomique, on pourrait les reconvertir. Certains l'ont fait, qui avaient une casemate au fond de leur jardin et aucun moyen de la faire sauter sans faire sauter la falaise. Les murs n'arrêtent rien, pourtant les Suédois ont pris des mesures, les Finlandais aussi, ils ont donné des consignes, ne pas ouvrir les fenêtres, couper les systèmes de ventilation, limiter les déplacements. Dans les villages exposés, les rues sont désertes, et les parcs, les cours d'écoles, les bacs à sable et les balançoires dans les jardins, tandis que le vent souffle sur les plages, les enfants dans les crèches comme les pensionnaires derrières les vitres des maisons de retraite vivent en circuit fermé.

On ne peut pas y croire et rester cantonné malgré tout, au cas où. Ils sont sous le nuage. Que faire quand on est sous le nuage et que les systèmes de contrôle s'alarment ? Alors que tout est normal, qu'aucune défaillance n'a été signalée dans les installations du pays – ce que les Suédois ont cru au début, à un incident dans une de leurs centrales. Tout est normal, ça vient vient de l'est, du sud et de l'est, dans le sens normal des aiguilles d'une montre, les vents de l'hémisphère nord tournent ainsi dans les anticyclones, tout ce qui vient du nord-est descend vers le sud-ouest, et de la même façon remonte de l'Union soviétique vers les pays scandinaves. Au matin du 27 avril 198623, le vent souffle sur les plages de la mer Baltique. Un vent du sud après six mois d'hiver. L'espace immense du sable et de la mer est balayé, et des voiliers filent au large. Et des gens marchent pieds nus et les pieds rouges dans le sable glacé pendant des kilomètres, ceux qui cherchent l'ambre24 au bord de l'eau comme après les tempêtes pour en faire le commerce mais là juste pour le plaisir, et ceux qui ne cherchent rien, qui profitent du calme, de la douceur de l'air et du ciel bleu, de tous les bienfaits de l'anticyclone qui a bien voulu quitter ses quartiers d'hiver et descendre de Sibérie vers les grandes plaines céréalières, en Ukraine comme ailleurs, partout l'envie d'exposer sa peau aux rayons du printemps est la plus forte, la peau nue et blanche, les landaus ouverts, sous le soleil du dernier dimanche d'avril, chacun admire le ciel et espère qu'il fera beau jeudi, au-dessus des cortèges du 1er mai.

La Centrale (2010) d'Elisabeth Filhol (« Le Blayais », chapitre 18).

21 Les deux villes ont été en grande partie détruite pendant la Seconde guerre mondiale.22 Mur de l'Atlantique : nom donné aux fortifications érigées par l'Allemagne le long de la côte Atlantique lors de la

Seconde guerre mondiale.23 Il s'agit du lendemain de la catastrophe de Tchernobyl.24 Ambre : substance utilisée en bijouterie et en parfumerie, provenant des concrétions intestinales des cachalots.

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Documents complémentaires

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Groupement de textes : l'homme au travail

Texte 1 : Emile Zola, Germinal, extrait de la première partie chapitre 4 (1885)[Maheu est un mineur. Nous assistons en ce début de roman à son travail pénible au fond de

la mine.]

C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang.

Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d'un quart d'heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son œil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage1, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu'un puceron pris entre deux feuillets d'un livre, sous la menace d'un aplatissement complet. Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que ces coups irréguliers, voilés et comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort. Et il semblait que les ténèbres fussent d'un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon, alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n'y mettaient que des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille2 s'ouvrait, montait ainsi qu'une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales s'y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme pour un crime.

Parfois, en se détachant, luisaient des blocs de houille3, des pans et des arêtes, brusquement allumés d'un reflet de cristal.

Puis, tout retombait au noir, les rivelaines4 tapaient à grands coups sourds, il n'y avait plus que le halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l'air et la pluie des sources.

1 - havage : galerie creusée dans une mine.2 - taille : galerie d'où l'on extrait la houille.3 - blocs de houille : blocs de charbon.4 - rivelaines : pics à deux pointes utilisés dans les mines pour extraire la houille.

Texte 2 : Emile Zola, La Bête humaine, chapitre VII (1890)- Jamais elle ne montera, la fainéante ! dit-il, les dents serrées, lui qui ne parlait pas en route.

Pecqueux, étonné, dans sa somnolence, le regarda. Qu'avait-il donc maintenant contre la Lison ? Est-ce qu'elle n'était pas toujours la brave machine obéissante, d'un démarrage si aisé, que c'était un plaisir de la mettre en route, et d'une si bonne vaporisation, qu'elle épargnait son dixième de charbon, de Paris au Havre ? Quand une machine avait des tiroirs comme les siens, d'un réglage parfait, coupant à miracle la vapeur, on pouvait lui tolérer toutes les imperfections, comme qui dirait à une ménagère quinteuse, ayant pour elle la conduite et l'économie. Sans doute qu'elle dépensait trop de graisse. Et puis, après ? On la graissait, voilà tout ! Justement, Jacques répétait, exaspéré :

- Jamais elle ne montera, si on ne la graisse pas.

Et, ce qu'il n'avait pas fait trois fois dans sa vie, il prit la burette, pour la graisser en marche. Enjambant la rampe, il monta sur le tablier, qu'il suivit tout le long de la chaudière. Mais c'était une manoeuvre des plus périlleuses : ses pieds glissaient sur l'étroite bande de fer, mouillée par la

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neige ; et il était aveuglé, et le vent terrible menaçait de le balayer comme une paille. La Lison, avec cet homme accroché à son flanc, continuait sa course haletante, dans la nuit, parmi l'immense couche blanche, où elle s'ouvrait profondément un sillon. Elle le secouait, l'emportait. Parvenu à la traverse d'avant, il s'accroupit devant le godet graisseur du cylindre de droite, il eut toutes les peines du monde à l'emplir, en se tenant d'une main à la tringle. Puis, il lui fallut faire le tour, ainsi qu'un insecte rampant, pour aller graisser le cylindre de gauche. Et, quand il revint, exténué, il était tout pâle, ayant senti passer la mort.

Texte 3 : Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

Réformé pour troubles nerveux après avoir été blessé durant la guerre 14-18, Bardamu, âgé d’une vingtaine d’années, part pour l’Amérique. Il réussit à se faire engager à Détroit, dans les usines Ford.

Nous fûmes répartis en files traînardes, par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d’où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré du haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine.

On résiste tout de même, on a du mal à se dégoûter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ça ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble !

Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines vous écoeurent, à leur passer les boulons calibrés et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre . On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée. On est devenu salement vieux d’un seul coup.

Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la règle.

J’essayai de lui parler au contremaître à l’oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m’a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d’ici s’en iraient à passer des petites chevilles à l’aveugle d’à côté qui les calibrait, lui, depuis des années, les chevilles, les mêmes.

Texte 4 : François Bon, Sortie d’usine (1982)

Ce premier roman de François Bon a paru en 1982. Ce texte se déroule sur quatre semaines, quatre semaines durant lesquelles François Bon, au plus près du réel, décrit le quotidien d’un ouvrier en usine.

Non, ce matin-là traînait comme traîne l’immense suite des jours qui valident et

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reconduisent leurs lieux communs : ça va comme un lundi et puis le mercredi en voilà un bon de fait, jeudi ça va mieux qu’hier et moins bien que demain jusqu’à vendredi ça ira mieux ce soir puis encore une de faite qu’est plus à faire ou merci d’être venu. Les jours qui filent sans particulier ni mémoire, où l’heure n’est plus tout à fait un temps et disparaît se voile dans la succession rigide des actes, leur enchaînement mécanisé, on sait qu’il est neuf heures parce qu’on revient de prendre le casse-croûte ou le café, puis ce moment plus tard de creux des onze, cette heure à la fois plus légère et plus lente parce qu’on écoute l’estomac battre la durée, que l’échelonnement des services commence à la cantine, on se retrouve à se laver les mains et ce n’est plus travailler, cette heure quasi invisible du midi, même si l’on ne s’éloigne pas du poste ni qu’on sorte à la lumière, jusqu’à la sirène de la reprise, les deux coups à cinq minutes d’intervalle. Ce moment des mains libres où les habitudes, même régnant sans partage, ne sont pas celles auxquelles veille le chef, journal cigarettes parler, ou les cartes, ou rien.

Texte 5 : Maylis de Kerangal, Naissance d'un pont (2010)

Coca, en Californie. Le nouveau maire de cette petite ville imaginaire a pour projet d'y construire un pont, qu'il veut à la mesure de son ego : titanesque. Des ouvriers affluent du monde entier : de Chine, de Russie, d'Afrique ou d'Europe, des hommes et des femmes convergent en masse pour bâtir ce géant autoroutier.

Le concours avait imposé un calendrier infernal et mis sous pression des centaines de personnes dans le monde entier. Il y eut de l'excitation et il y eut de la casse. Les ingénieurs marnaient quinze heures par jour et le reste du temps vivaient le BlackBerry ou le iPhone vissé à l'oreille, fourré la nuit sous l'oreiller, le son augmenté quand ils passaient sous la douche, quand ils se défonçaient au squash ou au tennis, le vibreur à fond quand ils allaient au cinéma, et très peu y allaient car ne pensaient qu'à ça, ce putain de pont, cette putain de propale, devenaient obsessionnels, s'exceptaient de la vie. Les semaines filaient, les enfants s'éloignaient, les maisons s'encrassaient, et eux ne touchèrent bientôt plus d'autres corps que les leurs. Il y eut du surmenage, des dépressions, des fausses couches et des divorces, des enlacements sexuels dans les open space, mais ça ne rigolait pas, ce n'était pas ludique, juste une occasion, des larrons, et l'incapacité de résister à une promesse de plaisir quand la nuque craque et que les yeux ont cramé douze heures sur des tableaux Excel, poussées de fièvres converties en coïts rapides, un peu n'importe quoi, et finalement, bien qu'atrocement déçus à l'annonce de la proclamation, les recalés furent soulagés de s'en tenir là : ils avaient vieilli, ils étaient épuisés, nazes, morts, sans plus de jus que celui des larmes de fatigue qu'ils laissaient couler une fois seuls en voiture au retour du boulot, quand la radio passait un air de rock, un morceau gorgé de jeunesse et d'envie de s'éclater, Go Your Own Wray de Fleetwood Mac ou n'importe quoi des Beach Boys, et la nuit venue quand ils se garaient dans leur garage, ils ne sortaient pas tout de suite mais restaient dans le noir, feux éteints et mains sur le volant, et projetaient soudain de tout laisser tomber, de vendre la baraque, de rembourser les crédits, hop tout le monde pieds nus dans la bagnole et en route pour la Californie.

Les autres, ceux qui travaillaient pour Pontoverde, rentrèrent chez eux le soir de la proclamation, victorieux, la niaque, ils avaient un pont à construire, leurs corps en santé incarnaient le progrès, leurs mains impliquées apportaient une pierre à l'édifice, ils savouraient leur place en forme de destin, sûrs à présent d'être des acteurs du monde. Eux aussi s'éternisèrent dans leur véhicule moteur coupé, les yeux rivés sur une feuille de laurier séchée contre le pare-brise et les bras croisés sur le ventre, bien adossés, et eux aussi se tinrent en silence à penser à leur expatriation future, à chiffrer leur carrière qui soudain accélérait parce qu'ils savaient acquiescer à l'opportunité, à évaluer les points qu'ils engrangeraient ainsi avant de rentrer au Siège afin d'y exercer des fonctions supérieures, à prévoir le réaménagement du service qu'ils prendraient en main, et encore à réfléchir au déménagement familial ou à s'imaginer délocalisé célibataire commutant aux vacances scolaires, eux aussi soudain sur le départ, mais ce n'était pas un décrochage de tout, une virée, pas vraiment des vacances, il leur fallait maintenant prendre de l'élan et aller parler à leur femme, annoncer la nouvelle (…).

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Groupement de textes : travailler dans le nucléaire

Texte 1 : Mourad GUICHARD, « Le suicidé de la centrale de Chinon poursuit encore EDF », Libération, 6 MARS 2007.

Le suicidé de la centrale de Chinon poursuit encore EDF

L'entreprise conteste le lien entre la mort d'un salarié en 2004 et les conditions de travail.

Dominique Peutevynck a 49 ans quand, le 21 août 2004, il décide de mettre fin à ses jours en se jetant sous les roues d'un train à proximité de son lieu de travail, la centrale nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire). Il y est employé depuis 1977 et jouit d'une parfaite reconnaissance professionnelle tant de la part de la direction d'EDF, gestionnaire de la centrale, que de ses collègues directs. Hier après-midi, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Tours qui a mis l'affaire en délibéré pour le 14 mai était saisi par EDF, qui conteste le lien entre le geste de son ancien salarié et ses conditions de travail. Une précédente décision de la caisse primaire d'assurance maladie a estimé que ce suicide pouvait être classé comme «maladie professionnelle».

Présent à l'audience, Jérôme, le fils de Dominique, ne comprend toujours pas la position de l'ancien employeur de son père : «Leur argumentaire me semble bien léger. Mais je me demande jusqu'ou ils pourront aller.» Cet homme de 26 ans, lui-même employé par une société sous-traitante de la centrale de Chinon, fait allusion à la plaidoirie de Philippe Toison, l'avocat d'EDF. Ce dernier s'est appuyé sur un rapport d'enquête pour mettre la «dépression» de Dominique Peutevynck sur le compte de «problèmes personnels. D'abord, une première période de dépression, courant 1988, puis des décollements successifs de la rétine qui auraient pu le conduire, comme son grand-père, à une cécité totale». L'avocat souligne ensuite la situation affective de la victime : «La période du suicide correspond à celle de la séparation définitive avec sa compagne,avec laquelle il vivait depuis huit ans. Enfin, j'y ajouterai des différents sérieux avec son fils Jérome...»

Quelques semaines avant son suicide, l'ancien technicien supérieur, promis à un poste d'encadrement à la centrale voisine de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), se faisait effectivement opérer des yeux pour un nouveau décollement. Mais, selon son fils et son conseil, Me Philippe Baron, mandaté par le syndicat CGT de la centrale, les raisons de ce geste sont à rechercher ailleurs : «Au cours des six derniers mois de sa vie, la victime a cumulé quatre-vingt-sept heures supplémentaires, a plaidé l'avocat. Dès 2001, il s'était confié au médecin du travail pour lui parler de sommeil perturbé par le travail.» Ce dernier lui avait prescrit un anxiolytique. En février 2004, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la centrale avait tiré la sonnette d'alarme. Le médecin du travail s'en était fait le relais dans un courrier adressé à la direction de la centrale : «Sur les 24 agents que compte le service maintenance, la moitié se trouve en souffrance professionnelle», indiquait ce courrier. «Il existe un risque psychosocial de retour des agents contre eux-mêmes», poursuivait le praticien. La direction n'y avait apporté aucune réponse.

Guy Cleraux, secrétaire général du syndicat CGT de la centrale, interroge brutalement : «Comment expliquez-vous que nous en soyons au sixième suicide en quelque temps sur les deux grosses centrales de la région ?» (lire ci-dessous). Pour le syndicaliste, les causes sont clairement définies : «Nous subissons une restriction croissante des moyens et des effectifs alors que notre employeur nous demande toujours plus.»

Mourad GUICHARD, Libération 6 MARS 2007

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Texte 2 : Claude Dubout, Je suis décontamineur dans le nucléaire (2010)

Ce livre est consacré au récit de la vie professionnelle d’un des nombreux travailleurs du nucléaire. Ce monde décrié, car inconnu de beaucoup, montré du doigt, car synonyme de pollutions, incompris, car faisant souvent appel à un vocabulaire spécifique, pourtant il héberge de nombreux individus qui croient en leur métier.

Le mot Énergie tire son origine du mot grec « en ergon » qui signifie « voir la possibilité de faire quelque chose, d’exécuter un certain travail. » Ainsi, cette faisabilité de récupérer, puiser cette énergie de façon rationnelle, méthodique et autodidacte permet à ce petit homme d’œuvrer dans un milieu hostile, extrême, avec une force de caractère insoupçonnable. Vous découvrirez, à travers ces tranches de vie les différents « métiers du nucléaire » : démantèlement, décontamination, expertise, radioprotection, logistique, étude, avec la vision d’un opérateur, d’une personne de terrain.

Aujourd’hui, le suivi et la réalisation des activités du nucléaire, assuré par ces opérateurs, passent souvent au second plan. Le mot d’ordre est « management. » Or cette vision opérationnelle est le reflet réel des contraintes, péripéties et satisfaction, auxquelles sont soumises ces personnes. Nous sommes ainsi loin de tous ces aspects organisationnels et fonctionnels qui occultent l’aspect humain.

L’homme baigne dans l’Énergie. L’Énergie nucléaire se nourrit des hommes. Cette symbiose permet à notre petit homme de travailler et d’acquérir un « savoir faire » reconnu par tous ceux qui le côtoient.

En effet, lorsque Paul Valéry énonce « Je n’hésite pas à le déclarer, le diplôme est l’ennemi mortel de la culture.» Ce petit homme en est le reflet typique : importante culture du nucléaire avec peu de diplômes selon les critères de management actuel. Cependant, ses compétences font partie du faire valoir de nos métiers.

L’énergie nucléaire est souvent limitée à l’industrie du même nom et de son « cycle du combustible. » Or la radioactivité est utilisée dans de nombreux domaines. Ainsi l’industrie du nucléaire produit des déchets, mais vous découvrirez que l’industrie chimique, les centres de recherches et autres laboratoires font de même. Les conditions d’interventions sont alors bien différentes de celles connues sur des sites de grands donneurs d’ordres. Ainsi, tout travail dans le domaine de la radioactivité implique une gestion des risques implacable et une bonne dose de compétence.

Le but de cet ouvrage est de vous montrer la vie d’un travailleur du nucléaire dans différentes situations professionnelles : prise en compte du facteur « risque », faire face à des difficultés techniques et à des contraintes hiérarchiques. Loin de faire un pamphlet sur le nucléaire, la raison noble est de décrire le métier d’un radioprotectionniste hors pair, d’un technicien réfléchi qui, tout en restant humble, gère bon nombre de situations diverses et variées. Ce livre n’est qu’une évocation partielle de l’univers professionnel de ce petit homme. Il est établi à partir d’une expérience et de références tout à fait fondées.

Aujourd’hui, le secteur nucléaire français abrite de nombreux talents et compétences qui font tout son savoir faire. Cet acquis des compétences mérite un ouvrage pas comme les autres, un ouvrage qui, à l’image de ce petit homme ne doit rien à personne, mais mérite d’être connu et reconnu. De même, dans cet ouvrage, la forme seule peut effarer, étonner ou dérouter.

Mais, même si ce petit homme n’est pas un grammairien émérite, il a le talent de ramasser, de couler et d’assembler sur une page des mots qui font de son ouvrage un travail purement philologique et présentant un intérêt culturel remarquable. Il a écrit son ouvrage avec technicité, méthodologie et rigueur extrême, de façon à suivre son fil conducteur : peindre la vie professionnelle des travailleurs du nucléaire en toute transparence et avec discernement.

Bonne lecture de ce livre écrit par « un de ces vieux dinosaures en voie de disparition et malheureusement non protégé. »

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Salvador Dali, Idylle mélancolique et uranique mélancolique (1945), La Séparation de l'atome (1947) et La Madone de Raphaël à la vitesse

maximum (1954)

Idylle mélancolique et uranique mélancolique (1945)

La Séparation de l'atome (1947)

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La madone de Raphaël à la vitesse maximum (1954)

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Lectures analytiques

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Lecture analytique n° 5

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SCÈNE PREMIÈREGARCIN, LE GARÇON D'ÉTAGE

GARCIN, redevenant sérieux tout à coup : Où sont les pals ?

LE GARÇON : Quoi ?

GARCIN : Les pals, les grils, les entonnoirs de cuir.

LE GARÇON : Vous voulez rire ?

GARCIN, le regardant : Ah ? Ah bon. Non, je ne voulais pas rire. (Un silence. Il se promène.) Pas de glaces, pas de fenêtres, naturellement. Rien de fragile. (Avec une violence subite) Et pourquoi m'a-t-on ôte ma brosse à dents ?

LE GARÇON : Et voilà. Voilà la dignite humaine qui vous revient. C'est formidable.

GARCIN, frappant sur le bras du fauteuil avec colère : Je vous prie de m'epargner vos familiarites. Je n'ignore rien de ma position, mais je ne supporterai pas que vous...

LE GARÇON : Là ! là ! Excusez-moi. Qu'est-ce que vous voulez, tous les clients posent la même question. Ils s'amènent : - « Où sont les pals ? » A ce moment-là, je vous jure qu'ils ne songent pas à faire leur toilette. Et puis, dès qu'on les a rassures, voilà la brosse à dents. Mais, pour l'amour de Dieu, est-ce que vous ne pouvez pas refechir ? Car enfn, je vous le demande, pourquoi vous brosseriez-vous les dents ?

GARCIN, calmé : Oui, en effet, pourquoi ? (Il regarde autour de lui.) Et pourquoi se regarderait-on dans les glaces ? Tandis que le bronze, à la bonne heure... J'imagine qu'il y a de certains moments où je regarderai de tous mes yeux. De tous mes yeux, hein ? Allons, allons, il n'y a rien à cacher; je vous dis que je n'ignore rien de ma position. Voulez-vous que je vous raconte comment cela se passe ? Le type suffoque, il s'enfonce, il se noie, seul son regard est hors de l'eau et qu'est-ce qu'il voit ? Un bronze de Barbedienne. Quel cauchemar ! Allons, on vous a sans doute defendu de me repondre, je n'insiste pas. Mais rappelez-vous qu'on ne me prend pas au depourvu, ne venez pas vous vanter de m'avoir surpris ; je regarde la situation en face. (Il reprend sa marche.) Donc, pas de brosse à dents. Pas de lit non plus. Car on ne dort jamais, bien entendu ?

LE GARÇON : Dame !

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Lecture analytique n° 6

INES : Qu’avez-vous fait ? Pourquoi vous ont-ils envoyee ici ?

ESTELLE, vivement : Mais je ne sais pas, je ne sais pas du tout ! Je me demande même si ce n’est pas une erreur. (A Inès.). Ne souriez pas. Pensez à la quantite de gens qui… qui s’absentent chaque jour. Ils viennent ici par milliers et n’ont affaire qu’à des subalternes, qu’à des employes sans instruction. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’erreur. Mais ne souriez pas. (A Garcin.) Et vous, dites quelque chose. S’ils se sont trompes dans mon cas, ils ont pu se tromper dans le vôtre. (A Inès.) Et dans le vôtre aussi. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux croire que nous sommes là par erreur ?

INES : C’est tout ce que vous avez à nous dire ?

ESTELLE : Que voulez-vous savoir de plus ? Je n’ai rien à cacher. J’etais orpheline et pauvre, j’elevais mon frère cadet. Un vieil ami de mon père m’a demande ma main. Il etait riche et bon, j’ai accepte. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Mon frère etait malade et sa sante reclamait les plus grands soins. J’ai vecu six ans avec mon mari sans un nuage. Il y a deux ans, j’ai rencontre celui que je devais aimer. Nous nous sommes reconnus tout de suite, il voulait que je parte avec lui et j’ai refuse. Après cela, j’ai eu ma pneumonie. C’est tout. Peut-être qu’on pourrait, au nom de certains principes , me reprocher d’avoir sacrife ma jeunesse à un vieillard. (A Garcin.) Croyez-vous que ce soit une faute ?

GARCIN : Certainement non. (Un temps.) Et vous, trouvez-vous que ce soit une faute de vivre selon ses principes ?

ESTELLE : Qui est-ce qui pourrait vous le reprocher ?

GARCIN : Je dirigeais un journal pacifste. La guerre eclate. Que faire ? Ils avaient tous les yeux fxes sur moi. « Osera-t-il ? » Eh bien, j’ai ose. Je me suis croise les bras et ils m’ont fusille. Où est la faute ? Où est la faute ?

ESTELLE, lui pose la main sur le bras : Il n’y a pas de faute. Vous êtes…

INES, achève ironiquement : Un Heros. Et votre

femme, Garcin ?

GARCIN : Eh bien, quoi ? Je l’ai tiree du ruisseau.

ESTELLE, à Inès : Vous voyez ! vous voyez !

INES : Je vois. (Un temps.) Pour qui jouez-vous la comedie ? Nous sommes entre nous.

ESTELLE, avec insolence : Entre nous ?

INES : Entre assassins. Nous sommes en enfer, ma petite, il n’y a jamais d’erreur et on ne damne jamais les gens pour rien.

ESTELLE : Taisez-vous.

INES : En enfer ! Damnes ! Damnes !

ESTELLE : Taisez-vous. Voulez-vous vous taire ? Je vous defends d’employer des mots grossiers.

INES : Damnee, la petite sainte. Damnee, le heros sans reproche. Nous avons eu notre heure de plaisir, n’est-ce pas ? Il y a des gens qui ont souffert pour nous jusqu’à la mort et cela nous amusait beaucoup. A present, il faut payer.

GARCIN, la main levée : Est-ce que vous vous tairez ?

INES, le regarde sans peur, mais avec une immense surprise : Ha ! (Un temps.) Attendez ! J’ai compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble.

GARCIN : Prenez garde à ce que vous allez dire.

INES : Vous allez voir comme c’est bête. Bête comme chou ! Il n’y a pas de torture physique, n’est-ce pas ? Et cependant, nous sommes en enfer. Et personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu’au bout seuls ensemble. C’est bien ça ? En somme, il y a quelqu’un qui manque ici : c’est le bourreau.

GARCIN, à mi-voix : Je le sais bien.

INES : Eh bien, ils ont realise une economie de personnel. Voilà tout. Ce sont les clients qui font le service eux-mêmes, comme dans les restaurants cooperatifs.

ESTELLE : Qu’est-ce que vous voulez dire ?

INES : Le bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres. (Un temps. Ils digèrent la nouvelle)

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ESTELLE : Monsieur, avez-vous un miroir ? (Garcin ne répond pas.) Un miroir, une glace de poche, n'importe quoi ? (Garcin ne répond pas.) Si vous me laissez toute seule, procurez-moi au moins une glace.

Garcin demeure la tête dans les mains, sans répondre.

INÈS, avec empressement : Moi, j'ai une glace dans mon sac. (Elle fouille dans son sac. Avec dépit :) Je ne l'ai plus. Ils ont dû me l'ôter au greffe.

ESTELLE : Comme c'est ennuyeux.

Un temps. Elle ferme les yeux et chancelle. Inès se précipite et la soutient.

INÈS : Qu'est-ce que vous avez ?

ESTELLE, rouvre les yeux et sourit : Je me sens drôle. (Elle se tâte.) Ça ne vous fait pas cet effet-là, à vous : quand je ne me vois pas, j'ai beau me tâter, je me demande si j'existe pour de vrai.

INÈS : Vous avez de la chance. Moi, je me sens toujours de l'interieur.

ESTELLE : Ah ! oui, de l'interieur... Tout ce qui se passe dans les têtes est si vague, ça m'endort. (Un temps.) Il y a six grandes glaces dans ma chambre à coucher. Je les vois. Je les vois. Mais elles ne me voient pas. Elles refètent la causeuse, le tapis, la fenêtre... comme c'est vide, une glace où je ne suis pas. Quand je parlais, je m'arrangeais toujours pour qu'il y en ait une où je puisse me regarder. Je parlais, je me voyais parler. Je me voyais comme les gens me voyaient, ça me tenait eveillee. (Avec désespoir.) Mon rouge ! Je suis sûr que je l'ai mis de travers. Je ne peux pourtant pas rester sans glace toute l'eternite.

INÈS : Voulez-vous que je vous serve de miroir ? Venez, je vous invite chez moi. Asseyez-vous sur mon canape.

ESTELLE, indique Garcin : Mais...

INÈS : Ne nous occupons pas de lui.

ESTELLE : Nous allons nous faire du mal : c'est vous qui l'avez dit.

INÈS : Est-ce que j'ai l'air de vouloir vous nuire ?

ESTELLE : On ne sait jamais...

INÈS : C'est toi qui me feras du mal. Mais qu'est-ce que ça peut faire? Puisqu'il faut souffrir, autant que ce soit par toi. Assieds-toi. Approche-toi. Encore. Regarde dans mes yeux : est-ce que tu t'y vois ?

ESTELLE : Je suis toute petite. Je me vois très mal.

INÈS : Je te vois, moi. Tout entière. Pose-moi des questions. Aucun miroir ne sera plus fdèle.Estelle, gênée, se retourne vers Garcin comme pour l'appeler à l'aide.

ESTELLE : Monsieur ! Monsieur ! Nous ne vous ennuyons pas par notre bavardage ?Garcin ne répond pas.

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Lecture analytique n° 8

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GARCIN : Le bronze... (il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout etait prevu. Ils avaient prevu que je me tiendrais devant cette cheminee, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (Il rit) Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le grol... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres.

ESTELLE : Mon amour !

GARCIN, la repoussant : Laisse-moi. Elle est entre nous. Je ne peux pas t'aimer quand elle me voit.

ESTELLE : Ha! Eh bien, elle ne nous verra plus.

Elle prend le coupe-papier sur la table, se précipite sur Inès et lui porte plusieurs coups.

INES, se débattant et riant : Qu'est-ce que tu fais, qu'est-ce que tu fais, tu es folle ? Tu sais bien que je suis morte.

ESTELLE : Morte ?

Elle laisse tomber le couteau. Un temps. Inès ramasse le couteau et s'en frappe avec rage.

INES : Morte ! Morte ! Morte ! Ni le couteau, ni le poison, ni la corde. C'est déjà fait, comprends-tu ? Et nous sommes ensemble pour toujours.

Elle rit.

ESTELLE, éclatant de rire : Pour toujours, mon Dieu que c'est drôle ! Pour toujours !

GARCIN rit en les regardant toutes deux : Pour toujours !

lls tombent assis, chacun sur son canapé. Un long silence.

Ils cessent de rire et se regardent. Garcin se lève.

GARCIN : Eh bien, continuons.

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Documents complémentaires

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Groupement de textes : la représentation du pouvoir au théâtre

Texte A : Alfred JARRY, Ubu Roi, acte Ill, scènes 3 et 4, 1888.

[La scène se passe dans une Pologne imaginaire. Poussé par l'ambition de sa femme, le Père Ubu fomente une conspiration contre le roi Venceslas. Parvenu à ses fns, et une fois couronné, Ubu fait régner la terreur.]

ACTE III, SCÈNE III

Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.

Plusieurs paysans sont assemblés.

UN PAYSAN, entrant : — Apprenez la grande nouvelle. Le roi est mort, les ducs aussi et le jeune Bougrelas s'est sauve avec sa mère dans les montagnes. De plus, le Père Ubu s'est empare du trône.

UN AUTRE : — J'en sais bien d'autres. Je viens de Cracovie1, où j'ai vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cents magistrats qu'on a tues, et il parait qu'on va doubler les impôts et que le Père Ubu viendra les ramasser lui-même.

TOUS : — Grand Dieu ! qu'allons-nous devenir ? le Père Ubu est un affreux sagouin et sa famille est, dit-on, abominable.

UN PAYSAN : — Mais, ecoutez : ne dirait-on pas qu'on frappe à la porte ?

UNE VOIX, au-dehors : — Comegidouille2 ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saint Pierre et saint Nicolas ! ouvrez, sabre à fnances, corne fnances, je viens chercher les impôts !La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d'une légion de Grippe-Sous.

SCÈNE IV

PERE UBU : — Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s'avance.) Comment te nommes-tu ?

LE PAYSAN : — Stanislas Leczinski.3

PERE UBU : — Eh bien, comegidouille, ecoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles4. Mais, vas-tu m'ecouter enfn ?

STANISLAS : — Mais Votre Excellence n'a encore rien dit.

PERE UBU : — Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dans le desert ?

STANISLAS : — Loin de moi cette pensee.

PERE UBU : — Je viens donc de te dire, t'ordonner et te signifer que tu aies à produire et exhiber promptement ta fnance, sinon tu seras massacre. Allons, messeigneurs les salopins de fnance, voiturez ici le voiturin à phynances5. (On apporte le voiturin.)

STANISLAS : — Sire, nous ne sommes inscrits sur le registre que pour cent cinquante-deux rixdales que nous avons dejà payees, il y aura tantôt six semaines à la Saint-Mathieu.

PERE UBU : — C'est fort possible, mais j'ai change le gouvernement et j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être designes ulterieurement. Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai.

PAYSANS : — Monsieur Ubu, de grâce, ayez pitie de nous. Nous sommes de pauvres citoyens.

PERE UBU : — Je m'en fche. Payez.

PAYSANS : — Nous ne pouvons, nous avons paye.

PERE UBU : — Payez ! ou ji6 vous mets dans ma poche avec supplice et decollation du cou et de la tête ! Cornegidouille, je suis le roi peut-être !

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TOUS : — Ah, c'est ainsi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de Dieu, roi de Pologne et de Lithuanie !

PERE UBU : — En avant, messieurs des Finances, faites votre devoir.(Une lutte s'engage, la maison est détruite et le vieux Stanislas s'enfuit seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser la fnance.)

1. Ancienne capitale de Pologne.2. Un des jurons ubuesques les plus violents. On peut y voir une composante sexuelle (dans le prefxe corne) et une composante digestive (gidouille) qui symbolisent les « appetits inferieurs » du personnage.3. Nom authentique d'un roi de Pologne dont la flle (Marie) epousa Louis XV.4. Deformation d'oreilles. Le mot appartient au vocabulaire ubuesque comme merdre.5. Phynance est une invention orthographique que Jarry justife en rapprochant le mot de physique.6. Ji : je.

Texte B : Jean-Paul SARTRE, Les Mouches, acte II, scènes 3 et 4, 1943

[L'histoire se passe dans la ville d'Argos. Egisthe, après avoir assassiné Agamemnon, et épousé Clytemnestre sa femme, a instauré un régime de terreur. Oreste, fls de la reine, revient quinze ans plus tard, suivi par Jupiter. Electre, sa sœur, traitée en esclave, incite le peuple à la révolte. Egisthe la chasse. Elle se cache avec Oreste dans le palais.]

SCÈNE IIIEGISTHE, CLYTEMNESTRE, ORESTE et ELECTRE (caches)

EGISTHE. [... ] — Je regrette d'avoir dû punir Électre.

CLYTEMNESTRE. — Est-ce parce qu'elle est nee de moi ? II vous a plu de le faire, et je trouve bon tout ce que vous faites.

EGISTHE. — Femme, ce n'est pas pour toi que je le regrette.

CLYTEMNESTRE. — Alors pourquoi ? Vous n'aimiez pas Électre.

EGISTHE. — Je suis las. Voici quinze ans que je tiens en l'air, à bout de bras, le remords de tout un peuple. Voici quinze ans que je m'habille comme un epouvantail : tous ces vêtements noirs ont fni par deteindre sur mon âme.

CLYTEMNESTRE. — Mais, Seigneur, moi-même...

EGISTHE. — Je sais, femme, je sais : tu vas me parler de tes remords. Eh bien, je te les envie, ils te meublent la vie. Moi, je n'en n'ai pas, mais personne d'Argos n'est aussi triste que moi.

CLYTEMNESTRE. — Mon cher seigneur...

Elle s'approche de lui.

EGISTHE. — Laisse-moi, catin ! n'as-tu pas honte, sous ses yeux ?

CLYTEMNESTRE. — Sous ses yeux ? Qui donc nous voit ?

EGISTHE. — Eh bien, le roi. On a lâche les morts, ce matin.

CLYTEMNESTRE. — Seigneur, je vous en supplie... Les morts sont sous terre et ne nous gêneront pas de sitôt. Est-ce que vous avez oublie que vous-même inventâtes ces fables pour le peuple ?

EGISTHE. — Tu as raison, femme. Eh bien, tu vois comme je suis las ? Laisse-moi, je veux me recueillir.Clytemnestre sort.

SCÈNE IVEGISTHE, ORESTE et ELECTRE (caches)

EGISTHE. — Est-ce là, Jupiter, le roi dont tu avais besoin pour Argos ? Je vais, je viens, je sais crier d'une voix forte, je promène partout ma grande apparence terrible, et ceux qui m'aperçoivent se

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sentent coupables jusqu'aux moelles. Mais je suis une coque vide : une bête m'a mange le dedans sans que je m'en aperçoive. A present je regarde en moi-même, et je vois que je suis plus mort qu'Agamemnon. Ai-je dit que j'etais triste ? J'ai menti. Il n'est ni triste ni gai, le desert, l'innombrable neant des sables sous le neant lucide du ciel : il est sinistre. Ah ! je donnerais mon royaume pour verser une larme !

Entre Jupiter.

Texte C : Albert CAMUS, Caligula, acte II, scène 5, 1944.

[Depuis la mort de sa sœur Drusilla, Caligula, jeune empereur romain, prend conscience de l'absurdité du monde. II décide d'exercer un pouvoir absolu, tyrannique et cruel sur son royaume.]

ACTE II SCÈNE 5

Il mange, les autres aussi. Il devient évident que Caligula se tient mal à table. Rien ne le force à jeter ses noyaux d'olives dans l'assiette de ses voisins immédiats, à cracher ses déchets de viande sur le plat, comme à se curer les dents avec les ongles et à se gratter la tête frénétiquement. C'est pourtant autant d'exploits que, pendant le repas, il exécutera avec simplicité. Mais il s'arrête brusquement de manger et fxe avec insistance Lepidus l'un des convives.Brutalement.CALIGULA. — Tu as l'air de mauvaise humeur. Serait-ce parce que j'ai fait mourir ton fls ?

LEPIDUS, la gorge serrée. — Mais non, Caïus, au contraire.

CALIGULA, épanoui. — Au contraire ! Ah ! que j'aime que le visage demente les soucis du cœur. Ton visage est triste. Mais ton cœur ? Au contraire n'est-ce pas, Lepidus ?

LEPIDUS, résolument. Au contraire, Cesar.

CALIGULA, de plus en plus heureux. — Ah ! Lepidus, personne ne m'est plus cher que toi. Rions ensemble, veux-tu ? Et dis-moi quelque bonne histoire.

LEPIDUS, qui a présumé de ses forces. — Caïus !

CALIGULA. — Bon, bon. Je raconterai, alors. Mais tu riras, n'est-ce pas, Lepidus ? (L'œil mauvais.) Ne serait-ce que pour ton second fls. (De nouveau rieur.) D'ailleurs tu n'es pas de mauvaise humeur. (II boit, puis dictant.) Au..., au... Allons, Lepidus.

LEPIDUS, avec lassitude. — Au contraire, Caïus.

CALIGULA. — A la bonne heure! (Il boit.) Écoute, maintenant. (Rêveur.) Il etait une fois un pauvre empereur que personne n'aimait. Lui, qui aimait Lepidus, ft tuer son plus jeune fls pour s'enlever cet amour du cœur. (Changeant de ton.) Naturellement, ce n'est pas vrai. Drôle, n'est-ce pas ? Tu ne ris pas. Personne ne rit ? Ecoutez alors. (Avec une violente colère.) Je veux que tout le monde rie. Toi, Lepidus, et tous les autres. Levez-vous, riez. (Il frappe sur la table.) Je veux, vous entendez, je veux vous voir rire.

Tout le monde se lève. Pendant toute cette scène, les acteurs, sauf Caligula et Caesonia, pourront jouer comme des marionnettes.Se renversant sur son lit, épanoui, pris d'un rire irrésistible.

Non, mais regarde-les, Caesonia. Rien ne va plus. Honnêtete, respectabilite, qu'en dira-t-on, sagesse des nations, rien ne veut plus rien dire. Tout disparaît devant la peur. La peur, hein, Caesonia, ce beau sentiment, sans alliage, pur et desinteresse, un des rares qui tire sa noblesse du ventre. (Il passe la main sur son front et boit. Sur un ton amical.) Parlons d'autre chose, maintenant. Voyons. Cherea, tu es bien silencieux.

CHEREA. — Je suis prêt à parler, Caïus. Dès que tu le permettras.

CALIGULA. — Parfait. Alors tais-toi. J'aimerais bien entendre notre ami Mucius.

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MUCIUS, à contrecœur. — A tes ordres, Caïus.

Texte D : Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.

[Bérenger 1er ne veut pas comprendre le destin inexorable que son médecin et sa première femme lui ont annoncé : il va mourir. La seconde épouse du Roi, Marie, est présente.]

LE ROI. — Viens vers moi.

MARIE. — Je voudrais bien. Je vais le faire. Je vais le faire. Mes bras retombent.

LE ROI. — Alors, danse. (Marie ne bouge pas.) Danse. Alors, au moins, tourne-toi, va vers la fenêtre, ouvre-la et referme.

MARIE. — Je ne peux pas.

LE ROI. — Tu as sans doute un torticolis, tu as certainement un torticolis. Avance vers moi.

MARIE. — Oui, Sire.

LE ROI. — Avance vers moi en souriant.

MARIE. — Oui, Sire.

LE ROI. — Fais-le donc !

MARIE. — Je ne sais plus comment faire pour marcher. J'ai oublie subitement.

MARGUERITE, à Marie. — Fais quelques pas vers lui.

Marie avance un peu en direction du Roi.

LE ROI. — Vous voyez, elle avance.

MARGUERITE. — C'est moi qu'elle a ecoutee. (A Marie.) Arrête. Arrête-toi.

MARIE. — Pardonne-moi, Majeste, ce n'est pas ma faute.

MARGUERITE, au Roi. — Te faut-il d'autres preuves ?

LE ROI. — J'ordonne que les arbres poussent du plancher. (Pause.) J'ordonne que le toit disparaisse. (Pause.) Quoi ? Rien ? J'ordonne qu'il y ait la pluie. (Pause, toujours rien ne se passe.) J'ordonne qu'il y ait la foudre et que je la tienne dans ma main. (Pause.) J'ordonne que les feuilles repoussent (ll va à la fenêtre.) Quoi ! Rien ! J'ordonne que Juliette entre par la grande porte. (Juliette entre par la petite porte au fond à droite.) Pas par celle-là, par celle-ci. Sors par cette porte. (Il montre la grande porte. Elle sort par la petite porte, à droite, en face. A Juliette.) J'ordonne que tu restes. (Juliette sort.) J'ordonne qu'on entende les clairons. J'ordonne que les cloches sonnent. J'ordonne que cent vingt et uns coups de canon se fassent entendre en mon honneur. (Il prête l'oreille.) Rien ! ... Ah si ! J'entends quelque chose.

LE MÉDECIN. — Ce n'est que le bourdonnement de vos oreilles, Majeste.

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Groupement de textes 2 : l'existentialisme

Texte 1 : texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce en 1965.

Huis Clos est une pièce très controversée et souvent mal comprise. Sartre explique en quoi chaque homme est le bourreau de l’autre, et plus particulièrement la phrase conclusive : « l’Enfer c’est les autres ».

Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis Clos, vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est à dire , je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais , s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout comme pour l'éternité.

C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle.

Par la suite d'ailleurs, je dois dire , ces trois amis n'ont pas joué la pièce et , comme vous le savez c'est Vitold, Tania Balachova et Gaby Sylvia qui l'ont jouée.

Mais il y avait à ce moment-là des soucis plus généraux et j'ai voulu exprimer autre chose dans la pièce que simplement ce que l'occasion me donnait. J'ai voulu dire : l'enfer , c'est les autres. Mais "l'enfer, c'est les autres" a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut-être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons ses connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.

Deuxième chose que je voudrais dire, c'est que ces gens ne sont pas semblables à nous. Les trois personnages que vous entendrez dans Huis Clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous sommes vivants et qu'ils sont morts. Bien entendu, ici" morts" symbolise quelque chose. Ce que j'ai voulu indiquer, c'est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d'habitudes, de coutumes,, qu'ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu'ils ne cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts. En ce sens qu'ils ne peuvent briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes; et qu'ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu'on a portés sur eux. A partir de là , il est bien évident qu'ils sont lâches ou méchants par exemple.

S'ils ont commencé à être lâches , rien ne vient changer le fait qu'ils étaient lâches. C'est pour cela qu'ils sont morts, c'est pour cela, c'est une manière de dire que c'est une mort vivante que d'être entouré par le souci perpétuel de jugements et d'actions que l'on ne veut pas changer. De sorte que , en vérité, comme nous sommes vivants , j'ai voulu montrer pr l'absurde, l'importance chez nous de la liberté, c'est à dire l'importance de changer les actes par d'autres actes. Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c'est encore librement qu'ils y restent . de sorte qu'ils se mettent librement en enfer.

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Vous voyez donc que, rapports avec les autres, encroûtement et liberté , liberté comme l'autre face à peine suggérée , ce sont les trois thèmes de la pièce. Je voudrais qu'on se le rappelle quand vous entendrez dire : "l'enfer c'est les autres."

Texte 2 : Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme (1946), extraits. Huis Clos permet à Sartre d’illustrer sa philosophie : L’existentialisme.

L'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait.Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet

objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept ; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe- papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l'existence [...]

L'existentialisme athée, que je représente, [...] déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme [...]. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme.

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Huis clos à l'écran

Huis clos (1954) de Jacqueline Audry

Huis clos (1965) de Michel Mitrani

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Etude comparée des couvertures des éditions de poche et des affiches de cinéma

Edition folio (1973) Edition folio (2006)

Affiche du film de Jacqueline Audry (1964)

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Le Jardin des délices (1503 ou 1504) de Jérôme Bosch

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Lectures analytiques

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Lecture analytique n° 9

La grasse matinée

Il est terriblele petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étainil est terrible ce bruitquand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faimelle est terrible aussi la tête de l'hommela tête de l'homme qui a faimquand il se regarde à six heures du matindans la glace du grand magasinune tête couleur de poussièrece n'est pas sa tête pourtant qu'il regardedans la vitrine de chez Potinil s'en fout de sa tête l'hommeil n'y pense pasil songeil imagine une autre têteune tête de veau par exempleavec une sauce de vinaigreou une tête de n'importe quoi qui se mangeet il remue doucement la mâchoiredoucementet il grince des dents doucementcar le monde se paye sa têteet il ne peut rien contre ce mondeet il compte sur ses doigts un deux troisun deux troiscela fait trois jours qu'il n'a pas mangéet il a beau se répéter depuis trois joursÇa ne peut pas durerça duretrois jourstrois nuitssans mangeret derrière ces vitres

ces pâtés ces bouteilles ces conservespoissons morts protégés par les boîtesboîtes protégées par les vitresvitres protégées par les flicsflics protégés par la crainteque de barricades pour six malheureuses sardines...Un peu plus loin le bistrocafé-crème et croissants chaudsl'homme titubeet dans l'intérieur de sa têteun brouillard de motsun brouillard de motssardines à mangeroeuf dur café-crèmecafé arrosé rhumcafé-crèmecafé-crèmecafé-crime arrosé sang !...Un homme très estimé dans son quartiera été égorgé en plein jourl'assassin le vagabond lui a volédeux francssoit un café arrosézéro franc soixante-dixdeux tartines beurréeset vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.

Il est terriblele petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étainil est terrible ce bruitquand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.

Jacques Prévert, Paroles

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Lecture analytique n° 10

Déjeuner du matin

Déjeuner du matin

Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler

Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder

Il s'est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis son manteau de pluie Parce qu'il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder

Et moi j'ai pris Ma tête dans ma main Et j'ai pleuré

Jacques Prévert, Paroles

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Lecture analytique n° 11

Promenade de Picasso

Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelleune pomme poseFace à face avec elleun peintre de la réalitéessaie vainement de peindrela pomme telle qu'elle estmaiselle ne se laisse pas fairela pommeelle a son mot à direet plusieurs tours dans son sac de pommela pommeet la voilà qui tournedans une assiette réellesournoisement sur elle-mêmedoucement sans bougeret comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gazparce qu'on veut malgré lui lui tirer le portraitla pomme se déguise en beau fruit déguiséet c'est alorsque le peintre de la réalitécommence à réaliserque toutes les apparences de la pomme sont contre luietcomme le malheureux indigentcomme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n'importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilitéle malheureux peintre de la réalité

se trouve soudain alors être la triste proied'une innombrable foule d'associations d'idéesEt la pomme en tournant évoque le pommierle Paradis terrestre et Ève et puis Adaml'arrosoir l'espalier Parmentier l'escalierle Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l'Apile serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pommeet le péché originelet les origines de l'artet la Suisse avec Guillaume Tellet même Isaac Newtonplusieurs fois primé à l'Exposition de la Gravitation Universelleet le peintre étourdi perd de vue son modèleet s'endortC'est alors que Picassoqui passait par là comme il passe partoutchaque jour comme chez luivoit la pomme et l'assiette et le peintre endormiQuelle idée de peindre une pommedit Picassoet Picasso mange la pommeet la pomme lui dit Merciet Picasso casse l'assietteet s'en va en souriantet le peintre arraché à ses songescomme une dentse retrouve tout seul devant sa toile inachevéeavec au beau milieu de sa vaisselle briséeles terrifiants pépins de la réalité.

Jacques Prévert, Paroles

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Lecture analytique n° 12

Barbara

Rappelle-toi BarbaraIl pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-làEt tu marchais sourianteÉpanouie ravie ruisselanteSous la pluieRappelle-toi BarbaraIl pleuvait sans cesse sur BrestEt je t'ai croisée rue de SiamTu souriaisEt moi je souriais de mêmeRappelle-toi BarbaraToi que je ne connaissais pasToi qui ne me connaissais pasRappelle-toiRappelle-toi quand même ce jour-làN'oublie pasUn homme sous un porche s'abritaitEt il a crié ton nomBarbaraEt tu as couru vers lui sous la pluieRuisselante ravie épanouieEt tu t'es jetée dans ses brasRappelle-toi cela BarbaraEt ne m'en veux pas si je te tutoieJe dis tu à tous ceux que j'aimeMême si je ne les ai vus qu'une seule foisJe dis tu à tous ceux qui s'aimentMême si je ne les connais pasRappelle-toi Barbara

N'oublie pasCette pluie sage et heureuseSur ton visage heureuxSur cette ville heureuseCette pluie sur la merSur l'arsenalSur le bateau d'OuessantOh BarbaraQuelle connerie la guerreQu'es-tu devenue maintenantSous cette pluie de ferDe feu d'acier de sangEt celui qui te serrait dans ses brasAmoureusementEst-il mort disparu ou bien encore vivantOh BarbaraIl pleut sans cesse sur BrestComme il pleuvait avantMais ce n'est plus pareil et tout est abiméC'est une pluie de deuil terrible et désoléeCe n'est même plus l'orageDe fer d'acier de sangTout simplement des nuagesQui crèvent comme des chiensDes chiens qui disparaissentAu fil de l'eau sur BrestEt vont pourrir au loinAu loin très loin de BrestDont il ne reste rien.

Jacques Prévert, Paroles

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Documents complémentaires

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Groupement de textes 1 : deux conceptions de la poésie

Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme25. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein de feurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fn répondent au milieu ; Que d'un art délicat les pièces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'écartant N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un sévère critique.

Texte B - Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840)

Dieu le veut, dans les temps contraires,Chacun travaille et chacun sert.Malheur à qui dit à ses frères :Je retourne dans le désert !Malheur à qui prend ses sandalesQuand les haines et les scandalesTourmentent le peuple agité !Honte au penseur qui se mutileEt s'en va, chanteur inutile,Par la porte de la cité !

25 Barbarisme, solécisme : incorrections.

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Le poète en des jours impies26

Vient préparer des jours meilleurs.II est l'homme des utopies,Les pieds ici, les yeux ailleurs.C'est lui qui sur toutes les têtes,En tout temps, pareil aux prophètes,Dans sa main, où tout peut tenir,Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,Comme une torche qu'il secoue,Faire famboyer l'avenir !

II voit, quand les peuples végètent !Ses rêves, toujours pleins d'amour,Sont faits des ombres que lui jettentLes choses qui seront un jour.On le raille. Qu'importe ! Il pense.Plus d'une âme inscrit en silenceCe que la foule n'entend pas.II plaint ses contempteurs27 frivoles ;Et maint faux sage à ses parolesRit tout haut et songe tout bas !

Texte C - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes28, ayant le décorum pour loi,

Et montant à Versaille29 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires30, Habitant les patois ; quelques-uns aux galères Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas, Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre éparse ; Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas31 leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familière, Vils, dégradés, fétris, bourgeois, bons pour Molière. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi

26 Impies : irréligieux, qui ne respectent ou offensent la religion. 27 Contempteurs : ceux qui le méprisent.28 Personnages de tragédies.29 L'absence de la lettre "s" est volontaire.30 Inquiétants.31 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codife la langue selon l'usage de l'élite.

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Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? Et sur l'Académie, aïeule et douairière32,

Cachant sous ses jupons les tropes19 effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fs souffer un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! Je fs une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ; Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote33, Frémirent ; je montai sur la borne Aristote34, Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces35, N'étaient que des toutous auprès de mes audaces; Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

32 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.33 Figures de style.34 Aristote, philosophe grec, avait codifé les genres et les styles.35 Peuples considérés ici comme barbares.

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Groupement de textes 2 : le thème de la guerre dans le recueil Paroles (1942)

Chanson dans le sangIl y a de grandes flaques de sang sur le mondeoù s’en va-t-il tout ce sang répanduEst-ce la terre qui le boit et qui se saouledrôle de saoulographie alorssi sage… si monotone…Non la terre ne se saoule pasla terre ne tourne pas de traverselle pousse régulièrement sa petite voiture ses quatre saisonsla pluie… la neige…le grêle… le beau temps…jamais elle n’est ivrec’est à peine si elle se permet de temps en tempsun malheureux petit volcanElle tourne la terreelle tourne avec ses arbres… ses jardins… ses maisons…elle tourne avec ses grandes flaques de sanget toutes les choses vivantes tournent avec elle et saignent…Elle elle s’en foutla terreelle tourne et toutes les choses vivantes se mettent à hurlerelle s’en foutelle tourneelle n’arrête pas de tourneret le sang n’arrête pas de couler…Où s’en va-t-il tout ce sang répandule sang des meurtres… le sang des guerres…le sang de la misère…et le sang des hommes torturés dans les prisons…le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman…et le sang des hommes qui saignent de la têtedans les cabanons…et le sang du couvreurquand le couvreur glisse et tombe du toit

et le sang qui arrive et qui coule à grands flotsavec le nouveau-né… avec l’enfant nouveau…la mère qui crie… l’enfant pleure…le sang coule… la terre tournela terre n’arrête pas de tournerle sang n’arrête pas de coulerOù s’en va-t-il tout ce sang répandule sang des matraqués… des humiliés…des suicidés… des fusillés… des condamnés…et le sang de ceux qui meurent comme ça… par accident.Dans la rue passe un vivantavec tout son sang dedanssoudain le voilà mortet tout son sang est dehorset les autres vivants font disparaître le sangils emportent le corpsmais il est têtu le sanget là où était le mortbeaucoup plus tard tout noirun peu de sang s’étale encore…sang coagulérouille de la vie rouille des corpssang caillé comme le laitcomme le lait quand il tournequand il tourne comme la terrecomme la terre qui tourneavec son lait… avec ses vaches…avec ses vivants… avec ses morts…la terre qui tourne avec ses arbres… ses vivants… ses maisons…la terre qui tourne avec les mariages…les enterrements…les coquillages…les régiments…la terre qui tourne et qui tourne et qui tourneavec ses grands ruisseaux de sang.

FamilialeLa mère fait du tricotLe fils fait la guerreElle trouve ça tout naturel la mèreEt le père qu'est-ce qu'il fait le père ?Il fait des affairesSa femme fait du tricotSon fils la guerreLui des affairesIl trouve ça tout naturel le pèreEt le fils et le filsQu'est-ce qu'il trouve le fils ?Il ne trouve rien absolument rien le filsLe fils sa mère fait du tricot son père fait des

affaires lui la guerreQuand il aura fini la guerreIl fera des affaires avec son pèreLa guerre continue la mère continue elle tricoteLe père continue il fait des affairesLe fils est tué il ne continue plusLe père et la mère vont au cimetièreIls trouvent ça naturel le père et la mèreLa vie continue la vie avec le tricot la guerre les affairesLes affaires la guerre le tricot la guerreLes affaires les affaires et les affairesLa vie avec le cimetière.

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L’effort humain

L’effort humainn’est pas ce beau jeune homme souriantdebout sur sa jambe de plâtreou de pierreet donnant grâce aux puérils artifices du statuairel’imbécile illusionde la joie de la danse et de la jubilationévoquant avec l’autre jambe en l’airla douceur du retour à la maisonNonl’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droiteun autre sur la têteet un troisième sur l’épaule gaucheavec les outils en bandoulièreet la jeune femme heureuse accrochée à son brasL’effort humain porte un bandage herniaireet les cicatrices des combatslivrés par la classe ouvrièrecontre un monde absurde et sans loisL’effort humain n’a pas de vraie maisonil sent l’odeur de son travailet il est touché aux poumonsson salaire est maigreses enfants aussiil travaille comme un nègreet le nègre travaille comme luiL’effort humain n’a pas de savoir-vivrel’effort humain n’a pas l’âge de raisonl’effort humain a l’âge des casernesl’âge des bagnes et des prisonsl’âge des églises et des usinesl’âge des canonset lui qui a planté partout toutes les vigneset accordé tous les violonsil se nourrit de mauvais rêveset il se saoule avec le mauvais vin de la résignationet comme un grand écureuil ivresans arrêt il tourne en ronddans un univers hostilepoussiéreux et bas de plafondet il forge sans cesse la chaîne

la terrifiante chaîne où tout s’enchaînela misère le profit le travail la tueriela tristesse le malheur l’insomnie et l’ennuila terrifiante chaîne d’orde charbon de fer et d’acierde mâchefer et de poussierpassée autour du coud’un monde désemparéla misérable chaîneoù viennent s’accrocherles breloques divinesles reliques sacréesles croix d’honneur les croix gamméesles ouistitis porte-bonheurles médailles des vieux serviteursles colifichets du malheuret la grande pièce de muséele grand portrait équestrele grand portrait en piedle grand portrait de face de profil à cloche-piedle grand portrait doréle grand portrait du grand divinateurle grand portrait du grand empereurle grand portrait du grand penseurdu grand sauteurdu grand moralisateurdu digne et triste farceurla tête du grand emmerdeurla tête de l’agressif pacificateurla tête policière du grand libérateurla tête d’Adolf Hitlerla tête de monsieur Thiersla tête du dictateurla tête du fusilleurde n’importe quel paysde n’importe quelle couleurla tête odieusela tête malheureusela tête à claquesla tête à massacrela tête de la peur

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Un tableau : Pablo Picasso (1881-1973), Nature morte à la pomme, 1937

Pablo Picasso (1881-1973), Nature morte à la pomme, 1937.

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Lectures analytiques

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Lecture analytique n° 13 : la préface de 1832

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Qu'avez-vous à alleguer pour la peine de mort ?

Nous faisons cette question serieusement : nous la faisons pour qu'on y reponde ; nous la faisons aux criminalistes, et non aux lettres bavards. Nous savons qu'il y a des gens qui prennent l'excellence de la peine de mort pour texte à paradoxe comme tout autre thème. Il y en d'autres qui n'aiment la peine de mort que parce qu'ils haïssent tel ou tel qui l'attaque. C'est pour eux une question quasi litteraire, une question de personnes, une question de noms propres. Ceux-là sont les envieux, qui ne font pas plus faute aux bons jurisconsultes qu'aux grands artistes. Les Joseph Grippa ne manquent pas plus aux Filangieri que les Torregiani aux Michel-Ange et les Scudery aux Corneille.

Ce n'est pas à eux que nous nous adressons, mais aux hommes de loi proprement dits, aux dialecticiens, aux raisonneurs, à ceux qui aiment la peine de mort pour la peine de mort, pour sa beaute, pour sa bonte, pour sa grâce.

Voyons, qu'ils donnent leurs raisons.

Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort necessaire. D’abord, – parce qu’il importe de retrancher de la communaute sociale un membre qui lui a dejà nui et qui pourrait lui nuire encore. – S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpetuelle suffrait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’echapper d’une prison ? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidite des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des menageries ?

Pas de bourreau où le geôlier sufft.

Mais, reprend-on, – il faut que la societe se venge, que la societe punisse. – Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu.

La societe est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas “punir pour se venger” ; elle doit corriger pour ameliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous adherons.

Reste la troisième et dernière raison, la theorie de l’exemple. – Il faut faire des exemples ! il faut epouvanter par le spectacle du sort reserve aux criminels ceux qui seraient tentes de les imiter !

Voilà bien à peu près textuellement la phrase eternelle dont tous les requisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nions d’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’edifer le peuple, il le demoralise, et ruine en lui toute sensibilite, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus recent. Au moment où nous ecrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint-Pol, immediatement après l’execution d’un incendiaire nomme Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l’echafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! le mardi gras vous rit au nez.

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, extrait de la preface de 1832.

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Lecture analytique n° 14 : l'incipit

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Bicêtre36.

Condamne à mort !

Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensee, toujours seul avec elle, toujours glace de sa presence, toujours courbe sous son poids ! Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des annees que des semaines, j’etais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idee. Mon esprit, jeune et riche, etait plein de fantaisies. Il s’amusait à me les derouler les unes après les autres, sans ordre et sans fn, brodant d’inepuisables arabesques cette rude et mince etoffe de la vie. C’etaient des jeunes flles, de splendides chapes237 d’evêque, des batailles gagnees, des theâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes flles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’etait toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’etais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idee. Une horrible, une sanglante, une implacable idee ! Je n’ai plus qu’une pensee, qu’une conviction, qu’une certitude : condamne à mort !

Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensee infernale, comme un spectre de plomb à mes côtes, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi miserable et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux detourner la tète ou fermer les yeux.

Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m’obsède eveille, epie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau.

Je viens de m’eveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : – Ah ! ce n’est qu’un rêve ! – He bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour voir cette fatale pensee ecrite dans l’horrible realite qui m’entoure, sur la dalle mouillee et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre fgure du soldat de garde dont la giberne38 reluit à travers la grille du cachot, il me semble que dejà une voix a murmure à mon oreille : – Condamne à mort !

Victor Hugo, , Le Dernier jour d’un condamné, chapitre I, 1829.

36 Prison de Paris.

37 Longs manteaux.

38 Boîte recouverte de cuir portée à la ceinture et où les soldats mettaient leurs cartouches.

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Lecture analytique n° 15 : la description de la cellule

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Voici ce que c’est que mon cachot :

Huit pieds carres. Quatre murailles de pierre de taille qui s’appuient à angle droit sur un pave de dalles exhausse d’un degre au-dessus du corridor exterieur.

À droite de la porte, en entrant, une espèce d’enfoncement qui fait la derision d’une alcôve. On y jette une botte de paille où le prisonnier est cense reposer et dormir, vêtu d’un pantalon de toile et d’une veste de coutil, hiver comme ete.

Au-dessus de ma tête, en guise de ciel, une noire voûte en ogive – c’est ainsi que cela s’appelle – à laquelle d’epaisses toiles d’araignee pendent comme des haillons.

Du reste, pas de fenêtres, pas même de soupirail. Une porte où le fer cache le bois.

Je me trompe ; au centre de la porte, vers le haut, une ouverture de neuf pouces carres, coupee d’une grille en croix, et que le guichetier peut fermer la nuit.

Au dehors, un assez long corridor, eclaire, aere au moyen de soupiraux etroits au haut du mur, et divise en compartiments de maçonnerie qui communiquent entre eux par une serie de portes cintrees et basses ; chacun de ces compartiments sert en quelque sorte d’antichambre à un cachot pareil au mien. C’est dans ces cachots que l’on met les forçats condamnes par le directeur de la prison à des peines de discipline. Les trois premiers cabanons sont reserves aux condamnes à mort, parce qu’etant plus voisins de la geôle ; ils sont plus commodes pour le geôlier.

Ces cachots sont tout ce qui reste de l’ancien château de Bicêtre tel qu’il fut bâti dans le quinzième siècle par le cardinal de Winchester, le même qui ft brûler Jeanne d’Arc. J’ai entendu dire cela à des curieux qui sont venus me voir l’autre jour dans ma loge, et qui me regardaient à distance comme une bête de la menagerie. Le guichetier a eu cent sous.

J’oubliais de dire qu’il y a nuit et jour un factionnaire de garde à la porte de mon cachot, et que mes yeux ne peuvent se lever vers la lucarne carree sans rencontrer ses deux yeux fxes toujours ouverts.

Du reste, on suppose qu’il y a de l’air et du jour dans cette boîte de pierre.

Victor HUGO, Le dernier jour d’un condamné, Chapitre X, Éditions Hatier, 1829.

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Lecture analytique n° 16 : le ferrement des forçats

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On ft asseoir les galeriens dans la boue, sur les paves inondes ; on leur essaya les colliers ; puis deux forgerons de la chiourme, armes d'enclumes portatives, les leur rivèrent à froid à grands coups de masses de fer. C'est un moment affreux, où les plus hardis pâlissent. Chaque coup de marteau, assene sur l'enclume appuyee à leur dos, fait rebondir le menton du patient ; le moindre mouvement d'avant en arrière lui ferait sauter le crâne comme une coquille de noix.

Après cette operation, ils devinrent sombres. On n'entendait plus que le grelottement des chaînes, et par intervalles un cri et le bruit sourd du bâton des gardes-chiourme sur les membres des recalcitrants. Il y en eut qui pleurèrent ; les vieux frissonnaient et se mordaient les lèvres. Je regardai avec terreur tous ces profls sinistres dans leurs cadres de fer.

Ainsi, après la visite des medecins, la visite des geôliers ; après la visite des geôliers, le ferrage. Trois actes à ce spectacle.

Un rayon de soleil reparut. On eût dit qu'il mettait le feu à tous ces cerveaux. Les forçats se levèrent à la fois, comme par un mouvement convulsif. Les cinq cordons se rattachèrent par les mains, et tout à coup se formèrent en ronde immense autour de la branche de la lanterne. Ils tournaient à fatiguer les yeux. Ils chantaient une chanson du bagne, une romance d'argot, sur un air tantôt plaintif, tantôt furieux et gai ; on entendait par intervalles des cris grêles, des eclats de rire dechires et haletants se mêler aux mysterieuses paroles puis des acclamations furibondes ; et les chaînes qui s'entre-choquaient en cadence servaient d'orchestre à ce chant plus rauque que leur bruit. Si je cherchais une image du sabbat, je ne la voudrais ni meilleure ni pire.

On apporta dans le preau un large baquet. Les gardes-chiourme rompirent la danse des forçats à coups de bâton, et les conduisirent à ce baquet dans lequel on voyait nager je ne sais quelles herbes dans je ne sais quel liquide fumant et sale. Ils mangèrent.

Puis, ayant mange, ils jetèrent sur le pave ce qui restait de leur soupe et de leur pain bis, et se remirent à danser et à chanter. Il paraît qu'on leur laisse cette liberte le jour du ferrage et la nuit qui le suit. J'observais ce spectacle etrange avec une curiosite si avide, si palpitante, si attentive, que je m'etais oublie moi-même. Un profond sentiment de pitie me remuait jusqu'aux entrailles, et leurs rires me faisaient pleurer.

Victor HUGO, Le dernier jour d’un condamné, Chapitre XIII, Éditions Hatier, 1829.

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Documents complémentaires

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Groupement de textes 1 : la peine de mort

Textes :- texte 1 : VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, 1763- texte 2 : Victor Hugo, Discours à l’Assemblée constituante (15 septembre 1848)- texte 3 : Albert Camus, L’Etranger, 1942- texte 4 : Albert CAMUS, Réflexions sur la guillotine, 1957

Texte A : VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, 1763.

[Le 12 octobre 1761, on découvre Marc-Antoine Calas pendu dans le magasin de son père Jean Calas, un négociant protestant. Ce dernier est accusé d'avoir tué son fils pour l'empêcher de se convertir au catholicisme, seule religion autorisée alors. Jean Calas est condamné à mort et roué. Voltaire entreprend de réhabiliter sa mémoire.]

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps les jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu un fils âgé de vingt-huit ans, qui était d’une force au-dessus de l’ordinaire ; il fallait absolument qu’il eût été assisté dans cette exécution par sa femme, par son fils Pierre Calas, par Lavaisse1 et par la servante. Ils ne s’étaient pas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure. Mais cette supposition était encore aussi absurde que l’autre : car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir que des huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d’aimer la religion de cette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu exprès de Bordeaux pour étrangler son ami dont il ignorait la conversion prétendue ? Comment une mère tendre aurait-elle mis les mains sur son fils ? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu’eux tous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage, sans des coups réitérés, sans des meurtrissures, sans des habits déchirés ?

Il était évident que, si le parricide avait pu être commis, tous les accusés étaient également coupables, parce qu’ils ne s’étaient pas quittés d’un moment ; il était évident qu’ils ne l’étaient pas ; il était évident que le père seul ne pouvait l’être ; et cependant l’arrêt condamna ce père seul à expirer sur la roue.

Le motif de l’arrêt était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait résister aux tourments, et qu’il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses complices. Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin de son innocence, et le conjura de pardonner à ses juges.

Ils furent obligés de rendre un second arrêt contradictoire avec le premier, d’élargir2 la mère, son fils Pierre, le jeune Lavaisse, et la servante ; mais un des conseillers leur ayant fait sentir que cet arrêt démentait l’autre, qu’ils se condamnaient eux-mêmes, que tous les accusés ayant toujours été ensemble dans le temps qu’on supposait le parricide, l’élargissement de tous les survivants prouvait invinciblement l’innocence du père de famille exécuté, ils prirent alors le parti de bannir Pierre Calas, son fils. Ce bannissement semblait aussi inconséquent, aussi absurde que tout le reste : car Pierre Calas était coupable ou innocent du parricide ; s’il était coupable, il fallait le rouer comme son père ; s’il était innocent, il ne fallait pas le bannir. Mais les juges, effrayés du supplice du père et de la piété attendrissante avec laquelle il était mort, imaginèrent de sauver leur honneur en laissant croire qu’ils faisaient grâce au fils, comme si ce n’eût pas été une prévarication3 nouvelle de faire grâce ; et ils crurent que le bannissement de ce jeune homme pauvre et sans appui, étant sans conséquence, n’était pas une grande injustice, après celle qu’ils avaient eu le malheur de commettre.

1. Lavaisse : ami du fils.

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2. élargir : libérer, relaxer ; élargissement = mise en liberté.3. prévarication : acte de mauvaise foi, manquement aux devoirs d’une charge.

Texte B : Victor Hugo, Discours à l’Assemblée constituante (15 septembre 1848).

Je regrette que cette question, la première de toutes peut-être, arrive au milieu de vos délibérations presque à l’improviste, et surprenne les orateurs non préparés.

Quant à moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d’une conviction profonde et ancienne.

Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore , l’inviolabilité de la vie humaine.Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’est rien. (Très bien ! très bien !)

Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. (Sensation.)

Messieurs, ce sont là des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le dix-huitième siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le dix-neuvième siècle abolira la peine de mort. (Vive adhésion. Oui ! Oui !)

Vous ne l’abolirez pas peut-être aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, demain vous l’abolirez, ou vos successeurs l’aboliront. (Nous l’abolirons ! Agitation.)

Vous écrivez en tête du préambule de votre constitution « En présence de Dieu », et vous commenceriez par lui dérober, à ce Dieu, ce droit qui n’appartient qu’à lui, le droit de vie et de mort. (Très-bien ! Très-bien !)

Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme l’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble. Malheur à l’homme s’il les introduit dans ses lois ! (Mouvement.) Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l’équilibre nécessaire des lois et des moeurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience. (Sensation.)

Je suis monté à cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi ; ce mot, le voici. (Écoutez ! Écoutez !)

Après février, le peuple eut une grande pensée, le lendemain du jour où il avait brûlé le trône, il voulut brûler l’échafaud. (Très bien ! — D’autres voix : Très mal !)

Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondément, à la hauteur de son grand coeur . (À gauche : Très bien !) On l’empêcha d’exécuter cette idée sublime.Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversez l’échafaud. (Applaudissements à gauche. Protestations à droite. )

Texte C : Albert CAMUS, L’Étranger, 1942.

[Sur une plage écrasée de soleil, Meursault a tué un homme ; acte nullement prémédité, conséquence d'une succession de hasards. Le personnage de ce roman va se trouver pris dans l'engrenage judiciaire.]

Et j’ai essayé d’écouter encore parce que le procureur1 s’est mis à parler de mon âme.

Il disait qu’il s’était penché sur elle et qu’il n’avait rien trouvé, messieurs les jurés2. Il disait qu’à la vérité, je n’en avais point, d’âme, et que rien d’humain, et pas un des principes moraux qui gardent le cœur des hommes ne m’était accessible. « Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le lui reprocher. Ce qu’il ne saurait acquérir, nous ne pouvons nous plaindre qu’il en manque. Mais quand il s’agit de cette cour, la vertu toute négative de la tolérance doit se muer en celle, moins facile, mais plus élevée, de la justice. Surtout lorsque le vide du cœur tel qu’on le découvre chez cet homme devient un gouffre où la société peut succomber. » C’est alors qu’il a parlé de mon attitude envers Maman3. Il a répété ce qu’il avait dit pendant les débats. Mais il a été beaucoup plus long que lorsqu’il parlait de mon crime, si long même que, finalement, je n’ai plu senti que la chaleur de cette

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matinée. Jusqu’au moment, du moins, où l’avocat général4 s’est arrêté et, après un moment de silence, a repris d’une voix très basse et très pénétrée : « Cette même cour, messieurs, va juger demain le plus abominable des forfaits : le meurtre d’un père. » Selon lui, l’imagination reculait devant cet atroce attentat. Il osait espérer que la justice des hommes punirait sans faiblesse. Mais il ne craignait pas de le dire, l’horreur que lui inspirait ce crime le cédait presque à celle qu’il ressentait devant mon insensibilité. Toujours selon lui, un homme qui tuait moralement sa mère se retranchait de la société des hommes au même titre que celui qui portait une main meurtrière sur l’auteur de ses jours. Dans tous les cas, le premier préparait les actes du second, il les annonçait en quelque sorte et il les légitimait. « J’en suis persuadé, messieurs, a-t-il ajouté en élevant la voix, vous ne trouverez pas ma pensée trop audacieuse, si je dis que l’homme qui est assis sur ce banc est coupable aussi du meurtre que cette cour devra juger demain. Il doit être puni en conséquence. »

1. procureur : représentant du Ministère public, chargé de l’accusation.2. jurés : citoyens faisant partie du jury.3. Meursault a beaucoup choqué parce qu’il a fumé et bu du café au lait pendant la veillée funèbre de sa mère, et parce qu’il a commencé une liaison amoureuse le lendemain.4. avocat général : synonyme de procureur.

Texte D : Albert CAMUS, Réflexions sur la guillotine, 1957. Nous définissons encore la justice selon les règles d’une arithmétique grossière. Peut-on dire

du moins que cette arithmétique est exacte et que la justice, même élémentaire, même limitée à la vengeance légale, est sauvegardée par la peine de mort ? Il faut répondre que non.

Laissons de côté le fait que la loi du talion est inapplicable et qu’il paraîtrait aussi excessif de punir l’incendiaire en mettant le feu à sa maison qu’insuffisant de châtier le voleur en prélevant sur son compte en banque une somme équivalente à son vol. Admettons qu’il soit juste et nécessaire de compenser le meurtre de la victime par la mort du meurtrier. Mais l’exécution capitale n’est pas simplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp de concentration l’est de la prison. Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement le meurtre commis. Mais elle ajoute à la mort un règlement, une préméditation publique et connue de la future victime, une organisation, enfin, qui est par elle-même une source de souffrances morales plus terribles que la mort. Il n’y a donc pas équivalence. Beaucoup de législations considèrent comme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu’est-ce donc que l’exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait de criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé ? Pour qu’il y ait équivalence, il faudrait que la peine de mort châtiât un criminel qui aurait averti sa victime de l’époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l’aurait séquestrée à merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontre pas dans le privé.

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Histoire des arts : L’Homme au gibet de Victor Hugo et la bande-dessinée de Stanislas Gros, Le Dernier jour d'un condamné (2007)

Victor Hugo, Le pendu, 1854

Estampe de Victor Hugo intitulée John Brown (1860).

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Têtes empalées, Plume et pinceau, encre brune et lavis, sur un feuillet d'album. 1864-1865.

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