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1 DES JUSTICES ET DES HOMMES : PEINE DE MORT, GIBETS ET BOURREAUX EN EUROPE (Moyen Âge XX) 1 ÉTUDES INTERDISCIPLINAIRES DES ACTEURS, INSTRUMENTS, LIEUX DE JUSTICE ET ESPACES D’EXÉCUTION 2016-2020 INSCRIPTION THÉMATIQUE Normes (pouvoirs, institutions, comportements sociaux, représentations) PORTEURS Martine CHARAGEAT : MCF histoire du Moyen Âge université Bordeaux Montaigne Ausonius UMR 5607 Mathieu SOULA : PR histoire du droit, UPPA (Pau) CAHD (Bordeaux Montesquieu) Mathieu VIVAS : post-doctorant archéologie ; chercheur associé Ausonius (UMR 5607) 1- PROBLÉMATIQUE CENTRALE : PRÉSENTATION SYNTHÉTIQUE La pédagogie pénale passe par la gouvernance des corps, en particulier de ceux des criminels : qu’ils soient vivants ou morts, ils peuvent en effet être exposés, torturés, suppliciés et marqués. Il s’agit ici de démontrer comment la gouvernance des corps est, dans l’histoire des États européens, un enjeu de pouvoir sur le plan normatif, législatif et exécutif 2 . Le sort des condamnés recouvre le droit sous toutes ses formes, autant de la norme émanant du texte écrit que de celle procédant de la coutume, et relève de l’expérience mémorielle des témoins qui ancrent dans leurs souvenirs, non seulement la bonne manière de tuer et d’exposer, mais également le(s) endroit(s) pour exécuter et la personne qui doit y procéder. Par le biais du droit et des divers systèmes juridiques de référence (droit commun, statuts urbains, etc.), ce projet renvoie en amont à la peine de mort et à sa gestion institutionnelle autant que normative. Cette recherche entend donc analyser la manipulation, le contrôle et/ou la contrainte exercée sur le corps des criminels. Qui manipule et comment ? Quels sens donner aux exécutions publiques ? Comment ces spectacles sont-ils perçus et évoluent-ils ? Comment les peines évoluent et changent de sens du Moyen Âge à la période contemporaine ? En outre, la production et l’administration au quotidien des « corps vifs ou morts » de la justice requièrent des hommes et des équipements dont la définition, la fonction et l’impact prennent sens au regard des territoires et des ressorts juridictionnels au sein desquels ils sont amenés à être opératoires. Ainsi, bourreaux et gibets sont eux aussi au cœur de cette enquête programmée sur cinq ans. Allégories de la justice et marqueurs spatiaux de cette dernière, ils sont matériellement, territorialement et symboliquement parlant, l’expression de l’essor de la peine de mort. L’histoire des exécutions publiques a connu depuis une vingtaine d’années un regain d’intérêt à la faveur, notamment, de recherches centrées sur le rituel judiciaire. Dans le droit fil de ce renouveau historiographique, ce projet de recherche propose de repenser et de réévaluer les référents normatifs et institutionnels de gouvernance des corps pour les périodes médiévale, moderne et contemporaine, non seulement en s’ouvrant plus largement à l’interdisciplinarité, mais également en incluant l’analyse des acteurs et des équipements (gibets, bourreaux, lieux d’exécution, devenir des cadavres, etc.) pour les étudier de concert. 1 Ce projet trouve une partie de ses origines dans le dernier colloque organisé à la MSHA (23-24 janvier 2014) sur les fourches patibulaires, pour clôturer le projet région dirigé par Martine Charageat. Il amorçait l’élaboration du programme défendu ici. 2 M. Charageat,

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1

DES JUSTICES ET DES HOMMES : PEINE DE MORT, GIBETS ET BOURREAUX

EN EUROPE (Moyen Âge –XX)1

ÉTUDES INTERDISCIPLINAIRES DES ACTEURS, INSTRUMENTS, LIEUX DE JUSTICE ET

ESPACES D’EXÉCUTION

2016-2020

INSCRIPTION THÉMATIQUE

Normes (pouvoirs, institutions, comportements sociaux, représentations)

PORTEURS

Martine CHARAGEAT : MCF histoire du Moyen Âge université Bordeaux Montaigne – Ausonius UMR

5607

Mathieu SOULA : PR histoire du droit, UPPA (Pau) – CAHD (Bordeaux Montesquieu)

Mathieu VIVAS : post-doctorant archéologie ; chercheur associé Ausonius (UMR 5607)

1- PROBLÉMATIQUE CENTRALE : PRÉSENTATION SYNTHÉTIQUE

La pédagogie pénale passe par la gouvernance des corps, en particulier de ceux des criminels :

qu’ils soient vivants ou morts, ils peuvent en effet être exposés, torturés, suppliciés et marqués. Il

s’agit ici de démontrer comment la gouvernance des corps est, dans l’histoire des États européens, un

enjeu de pouvoir sur le plan normatif, législatif et exécutif2. Le sort des condamnés recouvre le droit

sous toutes ses formes, autant de la norme émanant du texte écrit que de celle procédant de la coutume,

et relève de l’expérience mémorielle des témoins qui ancrent dans leurs souvenirs, non seulement la

bonne manière de tuer et d’exposer, mais également le(s) endroit(s) pour exécuter et la personne qui

doit y procéder. Par le biais du droit et des divers systèmes juridiques de référence (droit commun,

statuts urbains, etc.), ce projet renvoie en amont à la peine de mort et à sa gestion institutionnelle

autant que normative. Cette recherche entend donc analyser la manipulation, le contrôle et/ou la

contrainte exercée sur le corps des criminels. Qui manipule et comment ? Quels sens donner aux

exécutions publiques ? Comment ces spectacles sont-ils perçus et évoluent-ils ? Comment les peines

évoluent et changent de sens du Moyen Âge à la période contemporaine ?

En outre, la production et l’administration au quotidien des « corps vifs ou morts » de la

justice requièrent des hommes et des équipements dont la définition, la fonction et l’impact prennent

sens au regard des territoires et des ressorts juridictionnels au sein desquels ils sont amenés à être

opératoires. Ainsi, bourreaux et gibets sont eux aussi au cœur de cette enquête programmée sur cinq

ans. Allégories de la justice et marqueurs spatiaux de cette dernière, ils sont matériellement,

territorialement et symboliquement parlant, l’expression de l’essor de la peine de mort. L’histoire des

exécutions publiques a connu depuis une vingtaine d’années un regain d’intérêt à la faveur,

notamment, de recherches centrées sur le rituel judiciaire. Dans le droit fil de ce renouveau

historiographique, ce projet de recherche propose de repenser et de réévaluer les référents normatifs et

institutionnels de gouvernance des corps pour les périodes médiévale, moderne et contemporaine, non

seulement en s’ouvrant plus largement à l’interdisciplinarité, mais également en incluant l’analyse des

acteurs et des équipements (gibets, bourreaux, lieux d’exécution, devenir des cadavres, etc.) pour les

étudier de concert.

1 Ce projet trouve une partie de ses origines dans le dernier colloque organisé à la MSHA (23-24 janvier 2014)

sur les fourches patibulaires, pour clôturer le projet région dirigé par Martine Charageat. Il amorçait l’élaboration

du programme défendu ici. 2 M. Charageat,

2

2- BILAN HISTORIOGRAPHIQUE SOMMAIRE

La peine de mort, est depuis les années 1980 l’objet d’un important investissement

historiographique qu’il convient d’exposer entre histoire, archéologie, littérature, droit et

anthropologie juridique. L’intérêt pour les gibets et les bourreaux est beaucoup plus récent voire

absent des préoccupations des chercheurs, en particulier en France, y compris dans le champ de

l’histoire de la justice, du droit et de la criminalité.

Appréhendée à travers le prisme de sa grande complexité, il est admis que la peine de mort

n’a pas seulement pour fonction d’éliminer un criminel3. Elle est appliquée aux crimes socialement les

plus réprouvés, qui mettent en péril des structures sociales définies comme fondamentales par ceux qui

ont le pouvoir de dire le droit à son sujet. L’historiographie s’est ensuite attachée à montrer que la

peine de mort était partie prenante de l’imposition de l’État4, ou plus largement d’une domination

sociale et politique qui se traduit par une acculturation5. Elle serait donc un attribut exclusif de la

souveraineté, une technologie de pouvoir6, mais également la manifestation de celui-ci, le lieu de sa

célébration, un accessoire de la mise en scène d’un spectacle essentiellement politique7. Mais il n’y a

pas d’évolution linéaire dans l’application de la peine de mort : elle est rare au Moyen Âge, quand le

roi n’a pas les moyens de l’imposer à ses sujets, tout en étant plus fréquente au cœur de certaines

justices urbaines au même moment ; elle est beaucoup plus employée au début de l’époque moderne

quand le souverain dispose des moyens, notamment juridiques et procéduraux, de l’appliquer et qu’il

la confisque pour mieux asseoir sa domination8. Toutefois, l’État ne fait pas forcément un usage

systématique de la peine de mort : les évolutions des sensibilités et des incriminations limitent parfois

son usage9.

L’étude de l’exemplarité et de l’aspect rituel de la peine de mort constitue surtout depuis les

années 2000 un champ de recherche fécond10

. L’exécution capitale est un rite dont la mise en spectacle

satisfait un « public », et sert également à mettre en scène la séparation entre le monde social légitime

et le monde criminel. Le rite sert alors à rappeler cette mise à distance, avec tous les effets

3 Claude GAUVARD, « La peine de mort en France à la fin du Moyen Age : esquisse d’un bilan », dans Carozzi

& Tavianni-Carozzi (dir.), Le pouvoir au Moyen Âge. Idéologies, pratiques, représentations, Aix-en-Provence,

2005, p. 71-84. 4 Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, 1975 ; R. MUCHEMBLED, Le temps des

supplices : de l’obéissance sous les rois absolus (XVe-XVIIIe siècle), Paris, 1975. 5 Claude GAUVARD, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, 2

vols ; Ead., « Mémoire du crime, mémoire des peines : justice et acculturation pénale en France à la fin du

Moyen Âge », dans Autrand F., Gauvard C., Moeglin J.-M. (dir.), Saint-Denis et la royauté. Études offertes à

Bernard Guénée, Paris, 1999, p. 691-710 ; Michel PORRET, Beccaria, le droit de punir, Paris, 2003 ; Laurent

MAUGUE, « Entre résistance et acculturation : la peine capitale à Genève durant la période française (1798-1813)

», Crime, Histoire & Sociétés, 12(2), 2008, p. 33-57. 6 Jacques CHIFFOLEAU, « Droit de mort, droit de vie », L’Histoire, La peine de mort de la loi du talion à

l’abolition, 357, 2010, p. 94-97 ; Emmanuel TAÏEB, « La peine de mort en République, un faire mourir

souverain ? », Quaderni, 62 (2006-2007), p. 17-26. 7 Daniel ARASSE, La guillotine et l’imaginaire de la terreur, Paris, 1987.

8 Claude GAUVARD , « Grâce et exécution capitale : les deux visages de la justice royale française à la fin du

Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des chartes, 153, 1995, p. 275-290. 9 Michel PORRET, « Mourir sur l'échafaud à Genève au XVIIIe siècle », Déviance et société, 15 (4), 1991, p.

381-405. 10

Outre les études déjà citées de C Gauvard, de M. Porret et d’E. Taïeb, voir M. BÉE, « Le spectacle de

l’exécution dans la France d’Ancien Régime », Annales, économies, sociétés, civilisations, 38 (4), 1983, p. 843-

862 ; Yves CASTAN, « Exemplarité judiciaire, caution ou éveil des études sérielles », dans Histoire sociale,

sensibilités collectives et mentalités. Mélanges Robert Mandrou, Paris, 1985, p. 51-59 ; R. BERTRAND & A.

CAROL (dir.), L’exécution capitale : une mort donnée en spectacle : XVIe-XX

e siècle, Aix-en-Provence, 2003 ;

Pascal BASTIEN, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Paris, 2006.

3

symboliques qu’il comporte11

. La séparation opérée se retrouve au-delà de la mort avec la mise à

l’écart du cadavre des criminels qu’il reste encore à étudier dans les faits12

. Par ce biais, le monde

criminel est institué comme un envers social qu’il convient de mettre à distance, et avec lui un autre

acteur principal du rite, à savoir le bourreau. Marginalisé et désocialisé, les textes et encore plus les

images médiévales du bourreau certifient qu’il est l’individu à tenir à l’écart, celui dont aucun

personnage « honnête » ne croise le regard dans les images. Mais les travaux de recherche sur le

bourreau sont encore rares, en particulier pour le Moyen Âge13

. Pourtant, entre réalité et

représentations, le bourreau est un rouage essentiel des justices d’ancien régime, même s’il n’est pas

que l’homme des hautes œuvres.

Il en va de même de notre connaissance des structures judiciaires dédiées exécutions, telles

que les fourches patibulaires ou les gibets qui n’ont été que très peu et très partiellement abordés en

France. Dans les années 1980, quelques études pionnières sur l’histoire de la justice, du crime et de la

criminalité au Moyen Âge y font allusion14

, mais ne les envisagent que sous l’angle de leur fonction :

le supplice judiciaire de la pendaison. Il faut attendre des travaux récents pour comprendre que les

conflits de juridiction permettent de débattre de l’inscription territoriale de l’autorité judiciaire que

détiennent les pouvoirs publics maîtres de ces lieux d’exécution15

. D’autres historiens se contentent

d’associer ces structures à d’autres lieux et modes d’exécution ou de supplices16

. Personne n’a abordé

en France les fourches patibulaires en pratiquant l’interdisciplinarité, ni même perçu ces espaces

comme un lieu de « regroupement des morts »17

. Les chercheurs d’Outre-Manche, d’Allemagne, de

Suisse, de Pologne et de Tchéquie sont plus familiers de ce type d’approche en la matière, bien que ce

soit très récent. En 2009, l’archéologue anglais A. Reynolds est l’un des premiers à s’interroger sur les

execution cemeteries18

, liant perception de l’espace, signification et histoire sociale. L’histoire des

lieux d’exécution en tant que « cimetières spéciaux » (Sonderfriedhof) doit beaucoup aux chercheurs

allemands et en particulier au travail pionnier de J. Auler qui, entre 2008 et 2013, a dirigé la

publication de trois ouvrages dédiés à l’archéologie des lieux d’exécution (Richtstättenarchäologie)19

.

Destiné à l’étude archéologique de lieux de justice médiévaux et modernes en Europe de l’Est, ce

travail a été envisagé dans une optique interdisciplinaire, privilégiant systématiquement le croisement

entre données archéologiques, archéo-anthropologiques, textuelles et figurées.

11

Pierre BOURDIEU, « Les rites comme acte d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales, 43 (1),

1982, p. 58. 12

Mathieu VIVAS, « Les lieux d’exécution comme espaces d’inhumation. Traitement et devenir du cadavre des

criminels (XIIe-XIVe s.) », Revue Historique, 670 (avril 2014), p. 295-312. 13

Jacques DELARUE J., Le métier de bourreau du Moyen Age à aujourd’hui, Paris, 1979 ; Bernard

LECHERBONNIER, Bourreaux de père en fils. Les Sanson 1688-1847, Paris, 1989 ; Gérard. A. JAEGER, Carnets

d’exécutions – Anatole Deibler, 1885-1939, Paris, 2004 ; Frédéric ARMAND, Les bourreaux en France, Paris,

2012. 14

Voir, par exemple, Bronislaw GEREMEK, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos

jours, Paris, 1987. 15

Voir, par exemple, Sylvie BÉPOIX, Une cité et son territoire. Besançon, 1391. L’affaire des fourches

patibulaires (Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 871; Cahiers d’Études Comtoises, 71),

Paris, 2010. 16

Nicole GONTHIER, Cri de haine et rites d’unités. La violence dans les villes (XIIIe-XVI

e siècles), Paris, 1992 ;

Id. (1998), Le châtiment du crime au Moyen Âge, Rennes ; Julien MAQUET, « Faire justice » dans le diocèse de

Liège au Moyen Age (VIIIe-XII

e siècles). Essai de droit judiciaire reconstitué, Genève, 2008 ; Jean-Pierre

LEGUAY, Terres urbaines. Places, jardins et terres incultes dans la ville au Moyen Age, Rennes, 2009, p. 227-

239. 17

Dominique CASTEX, Patrice COURTAUD, Henri DUDAY, Françoise LE MORT, Anne-Marie. TILLIER (dir.), Aux

origines du regroupement des morts. Du fait singulier à la coutume, Actes de la table ronde organisée par la

Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine et Archéorient (M.O.M.), 11-12 décembre 2008, Bordeaux, 2011. 18

Andrew REYNOLDS, Anglo-Saxon Deviant Burial Customs. Medieval History and Archaeology, Oxford, 2009. 19

Josteen AULER (dir.), Richtstätten-archäologie, 3 vols, Dormagen, 2008-2013.

4

3- ÉTAT DES LIEUX ET OBJECTIFS SCIENTIFIQUES DU PROJET : UNE APPROCHE

INTERDISCIPLINAIRE

3-1 L’histoire de la peine de mort a-t-elle un sens ?

Par quatre résolutions, adoptées le 18 décembre 2007 (62/149), le 18 décembre 2008 (63/168),

le 21 décembre 2010 (65/206), et le 20 décembre 2012 (67/176), l’Assemblée générale des Nations

Unies demande aux États membres d’instituer un moratoire sur les exécutions en vue d’abolir la peine

de mort, faisant de l’abolition une cause universelle et un horizon commun. Des rapports du secrétaire

général font régulièrement état des avancées de l’abolition en droit ou en fait dans le monde. Le

dernier (A/67/226), du 3 août 2012, en application de la résolution 65/206, estime que plus des deux-

tiers des États membres ont soit aboli la peine de mort, soit ne l’appliquent plus. En 2011, 140 pays

étaient abolitionnistes en droit ou en fait, et 58 pays maintenaient la peine capitale, 18750 personnes

étaient sous le coup d’une condamnation à mort, et, en dehors de la Chine, il y a eu 680 exécutions20

.

L’abolition est donc toujours un sujet d’actualité, un problème devenu de dimension planétaire sous la

double influence d’institutions internationales productrices de « causes universelles », et

d’entrepreneurs de réformes internationaux, comme les très actives Amnesty International et Human

Rights Watch. Ceux qui luttent pour l’abolition trouvent dans son internationalisation un moyen

efficace de l’actualiser et de la perpétuer, contribuant à pérenniser et diffuser des arguments, c’est-à-

dire à imposer universellement des manières de concevoir et de se représenter l’abolition de la peine

de mort. Ainsi, comme le portent les différentes résolutions, la peine de mort doit disparaître car elle

est regardée comme irréversible et irréparable, contraire aux droits de l’homme et à la dignité humaine,

et non dissuasive.

Dans le discours politique portant l’abolition, les liens sont étroits entre la progression et la

diffusion des droits de l’homme et la disparition de la peine de mort. Autrement dit, là où les droits de

l’homme progressent, la civilisation progresse, et la peine de mort recule. Robert Badinter expose ainsi

que la généralisation de l’abolition dans l’espace européen, tout comme sa protection, sont parmi les

« fondements de la civilisation européenne »21

. La peine de mort serait donc comprise dans un

processus abolitionniste qui lui donne sens : « En dépit de ses survivances la marche vers l’abolition

universelle est irréversible »22

. Cette représentation de la peine de mort n’est pas récente, car elle est

déjà largement partagée par les abolitionnistes, voire certains rétentionnistes au XIXe siècle.

Alexandre Lacassagne accorde ainsi que « l’étude de l’histoire montre que les sociétés humaines, en se

civilisant, deviennent de moins en moins cruelles, prennent de plus en plus l’horreur du sang versé »23

.

Le médecin lyonnais ne se fait là que le relais d’un discours diffusé alors dans les espaces politiques et

savants : l’histoire de la peine de mort s’inscrit dans celle de son abolition. Si les raisons politiques

d’un tel discours semblent évidentes, car il s’agit de placer l’abolition du côté de la modernité et la

peine de mort du côté de la barbarie, le maintien de cette représentation dans les espaces savants

depuis le XIXe siècle doit être interrogé. Comment se sont maintenus dans les analyses de certains

juristes, historiens, criminologues et sociologues le lien entre avancées de la civilisation et abandon de

la peine de mort ? Au prix de quelles modifications et actualisations ? Au-delà de ces espaces savants,

ont-elles servi le discours politique, ont-elles participé à imposer l’idée d’une abolition réellement

irréversible ? En d’autres termes, quelles sont les logiques de la construction, de la diffusion, et de la

consécration d’un discours savant et politique qui donnent un sens à l’histoire de la peine de mort

20

Rapport du secrétaire général des Nations Unis, 2 juillet 2012, n° A/HRC/21/29, p. 6. 21

Robert BADINTER, « L’abolition universelle est en marche », L’Histoire, la peine de mort de la loi du talion à

l’abolition, n° 357, octobre 2010, p. 44. 22

Robert BADINTER, L’abolition de la peine de mort, Paris, Dalloz, 2007, p. 20. 23

Alexandre LACASSAGNE, Peine de mort et criminalité. L’accroissement de la criminalité et l’application de la

peine capitale, Paris, A. Maloine éditeur, 1908, p. 7.

5

depuis les temps médiévaux ? Mais aussi, quels peuvent être les impensés de ces analyses ? C’est-à-

dire quels autres aspects ou problèmes liés à la peine de mort ou à son abandon doivent être analysés ?

Toutes ces questions posent celle plus générale des ressorts d’une représentation largement diffusée

d’une peine de mort en perpétuelle abolition.

Certes, ce programme de recherche ne saurait répondre valablement à l’ensemble de ces

questions, mais faisant le point à partir de travaux récents, confrontant les approches et les

points de regard, et comprenant l’objet « peine de mort » dans un temps long (du Moyen Âge à

aujourd’hui), il entend proposer des pistes de réflexions pour mieux comprendre cette peine en

la replaçant à la fois dans un cadre d’usages et de pratiques, dans un arsenal pénal qui lui donne

sens, et dans une réflexion préalable plus générale sur les diverses conceptions de son histoire.

Les divers usages faits de la peine de mort amène à comprendre son abolition et,

subséquemment, celle des gibets et du métier de bourreaux. Cette évolution nous amène en

réalité à aborder, tant pour le Moyen Âge (oppositions) que pour l’époque contemporaine

(abolition), les débats sur la peine capitale24

. Ceci permettrait d’expliciter qui en sont les

porteurs, leurs origines sociales, leurs trajectoires sociales et intellectuelles. On pourra mettre en

relation la position des abolitionnistes avec les espaces dans lesquels ils ont évolué. Cela

montrerait enfin comment s’est progressivement constitué le problème politique, puis social, de

l’abolition. Il serait alors permis de comprendre comment le développement de l’abolitionnisme,

puis sa consécration en 1981 et 2007, ont nécessairement pesé sur la manière dont ont été écrites

les histoires de la peine de mort. Enfin, la peine de mort ne peut parfaitement être comprise si

elle n’est pas replacée dans un cadre plus large qui la comprend : celui de l’élimination pénale,

dont elle n’est qu’une des modalités possibles. Les logiques de l’élimination sont évidemment

diverses suivant les modalités qui sont empruntées, même si toutes se rapportent au

retranchement définitif d’un membre de la communauté jugé inamendable et dangereux.

Élargir la recherche aux autres peines éliminatoires s’impose car, en définitive, la peine

de mort ne peut parfaitement être comprise si elle n’est pas replacée dans un cadre plus large

qui la comprend : celui de l’élimination pénale, dont elle n’est qu’une des modalités possibles.

Les logiques (physiques, spatiales, sociales etc.) de l’élimination sont évidemment diverses

suivant les modalités qui sont empruntées, même si toutes se rapportent au retranchement

définitif d’un membre de la communauté jugé inamendable et dangereux. Remettre l’histoire de

la peine de mort et celle de son abolition dans la perspective englobante de l’élimination revient

en définitive à investir des questionnements plus larges qui interrogent les constructions sociales,

politiques et juridiques du monstrueux, du repentir, de l’amendement, de la dangerosité, tout

comme les utilisations politiques de ces catégories, les représentations dont elles sont l’objet, les

luttes de sens qui les saisissent, ainsi que les fonctions politiques et sociales de l’élimination

pénale.

3-2 « Nous avons de plus en plus horreur de la violence »25

La violence fait partie du quotidien au Moyen Âge et elle est en partie légitime voire louée

comme un beau fait. Mais cela affecte-t-il la perception des exécutions capitales ? Pour la peine de

mort, son histoire reste à faire au-delà de la seule historiographie consacrée à son expression

normative ou à l’étude des criminels ainsi qu’aux châtiments décidés par les juges et exécutés ou non,

24

Jean-Marie CARBASSE, « Débats médiévaux autour de la peine de mort », Papadopoulos I. S. & Robert J.-H.

(2000), La peine de mort droit, histoire, anthropologie, philosophie, Paris, 2000, p. 87-103. 25

Émile DURKHEIM, « Deux lois de l’évolution pénale », Année sociologique, vol. 4, 1899-1900, p. 85.

6

selon ce qu’en laissent voir les sources dont les historiens disposent26

. Elle est encore en devenir parce

qu’elle est largement celle de son apprivoisement ce qui entraîne l’historien dans le champ de la

justification théorique de cette peine particulière et que les historiens sont peu nombreux à s’y

consacrer. L’histoire de l’apprivoisement de la peine de mort se partage ainsi entre la connaissance

des débats doctrinaux qui ont permis de la rendre acceptable malgré le cinquième commandement du

Décalogue (tu ne tueras point), et celle de la pratique justicière, à travers ceux qui la décident et la font

appliquer, ceux qui sont susceptibles de la subir et ceux qui assistent aux exécutions. Le processus

d’acceptation de la peine de mort au sein d’une société avant tout chrétienne s’inscrit dans le cadre

d’un consensus politico-social lui-même construit progressivement27

. Spectaculaire mais plus rarement

appliquée qu’on ne l’a longtemps pensé, marqueur de la puissance de l’État comme l’a écrit Michel

Foucault28

mais seulement à partir des crimes politiques comme le rappelle régulièrement Claude

Gauvard29

, le recours à la peine de mort est également révélateur de valeurs communes partagées par

les pouvoirs publics, les juges et les justiciables. En effet, son acceptabilité s’articule autour du jeu de

l’honneur et de la fama qui fondent les relations sociales et marquent en retour l’exercice de la justice

pénale au Moyen Âge30

.

La lecture de certains discours politiques et savants dès l’époque moderne portant sur la peine

de mort peut laisser l’impression d’une répétition tant certaines références, certains arguments, voire

certaines conceptions de la peine de mort paraissent proches. Cette proximité peut laisser penser qu’il

y aurait une « permanence » des arguments ou du débat depuis deux siècles voire plus, ou en tout cas

une actualisation des mêmes arguments au gré des débats31

. Il faudrait pouvoir déconstruire les

ressorts d’une telle actualisation pour comprendre comment le discours qui lie l’histoire de la peine de

mort à celle de son abolition est devenu une représentation largement diffusée dans l’espace politique

mais aussi dans certains espaces savants. Il s’agit là d’une vaste entreprise que ces quelques pages de

présentations ne sauraient qu’esquisser, car faire la genèse d’une telle représentation demanderait de

suivre ses formulations et reformulations en les rapportant aux conditions de leur circulation à

l’intérieur d’une discipline et entre disciplines, liées à la fois à la position occupée par leur auteur dans

cet espace et à l’état de construction de cette discipline. On peut néanmoins essayer, dans le cadre de

ce projet de recherche, de comprendre les effets de certaines actualisations décisives. Trois moments

semblent, sans exclusive, particulièrement importants à partir du XIXe siècle : les années 1820-1850,

26

Une étude comparant le rapport entre la norme et la pratique n’est pas simple à mener. Voir Mario ASCHERI,

« La pena di morte a Siena (secc.XIII-XV) : tra normativa e prassi », Bulletino senese di storia patria, CX,

(2003), p. 489-505. 27

François-Xavier PUTALLAZ, « La peine de mort est-elle légitime ? Le studium franciscain de Cologne

s’interroge au XIVe siècle », Philosophy and theology in the studia of the religious orders and at papal and

royal courts, Kent Jr. Emery éd., Turnhout, 2012, p. 393-406. Claude GAUVARD, « Grâce et exécution capitale :

les deux visages de la justice royale française à la fin du Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des Chartes,

tome 153, 1995, p. 275-290. 28

Michel FOUCAULT, « Surveiller et punir. Naissance de la prison », Paris, 1975, p. 62. 29

Claude GAUVARD, « La peine de mort en France à la fin du Moyen Âge : esquisse d’un bilan », dans Le

pouvoir au Moyen Âge, Claude Carozzi et Huguette Taviani-Carozzi (dir.), Publication de l’Université de

Provence, Aix-en-Provence, 2005, p. 71-85. 30

Antonina FIORI, « Quasi denunciante fama : note sull’introduzione del processo tra rito accusatorio e

inquisitorio », er Einfluss der Kanonistick auf die europaïsche Rechtskultur, 3 : Straf-und Strafprozessrecht,

Cologne, 2012, p. 351-367 ; Jésus Antonio SOLORZANO TELECHEA, « Fama publica, infamy and defamation :

judicial violence and social control of crime against sexual moral in medieval Castile », Journal of Medieval

History, 33, 2007, p. 398-413 ; Julien THÉRY, “Fama enormia. L’enquête sur les crimes de l’évêque d’Albi

Bernard de Castanet (1307-1308). Gouvernement et contestation au temps de la théocratie pontificale et de

l’hérésie des bons hommes. » heresis, 40, 2004, p. 192-197 ; Claude GAUVARD, « L’honneur du roi : peines et

rituels judiciaires dans l’Occident médiéval », Claude Gauvard et Robert Jacob (éd.), Les rites de la justice :

gestes et rituels judiciaires dans l’Occident médiéval, Paris, 2000, p. 93-123 ; Claude GAUVARD, « La fama une

parole fondatrice », Medievales, 24, 1993, p. 5-13. 31

Jean-Marie CARBASSE, La peine de mort, Paris, PUF, Que-sais-je ?, 2011, p. 115 ssq.

7

les années 1880-1910, et depuis les années 1970, c’est-à-dire trois moments où la peine de mort fait

l’objet de controverses publiques en étant notamment discutée dans différentes tribunes politiques32

,

mais aussi dans les espaces savants. Ces trois moments permettent donc, en portant une focale

resserrée sur des temps courts, d’étudier trois étapes porteuses d’enjeux divers (politiques et savants)

dans la production d’un savoir et d’un discours sur la peine de mort et son abolition. Ils nous

permettent, par un rapide survol nécessairement réducteur, de repérer les reformulations d’une

représentation de la peine de mort qui lie son histoire (et partant, son avenir) à l’inéluctabilité de son

abolition.

Dans la première moitié du XIXe siècle se déploie aux frontières des champs littéraire,

politique et intellectuel, une conception d’une marche en avant de la modernité qui commanderait soit

la suppression partielle ou totale de la peine de mort, soit un contrôle plus strict de l’État sur son

application. Ainsi, entre 1820 et 1850, les prises de positions d’historiens, philosophes, écrivains, qui

appartiennent également au champ politique, rend compte du large déploiement de cette représentation.

Par exemple, pour François Guizot, l’efficacité des peines varie selon « les divers degrés de la

civilisation »33

. Le duc de Broglie, dans un article qui est souvent repris par les juristes de son époque,

justifie le maintien de la peine de mort malgré les « progrès de la civilisation » qui en rendent

l’application « de moins en moins fréquente »34

. Dans une position d’abolitionniste, Alphonse de

Lamartine développe cette même représentation35

. Victor Hugo, à la tribune de la Constituante en

1848, l’actualise dans un contexte républicain : « Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie

domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne »36

. La position intermédiaire de

certains politiques appartenant à différents espaces sociaux contribue ainsi à diffuser un discours qui

lie les progrès du droit et de la civilisation. L’avancée vers toujours plus de civilisation, de raison, en

un mot de modernité, emporte la mise à distance de la peine de mort, jugée cruelle, dégoutante, voire

barbare.

Au même moment, les juristes engagés dans la constitution du droit pénal en discipline

autonome et en science juridique surinvestissent le discours et les méthodes « scientifiques » qui se

retraduisent dans la construction et l’imposition d’une analyse juridique et historique qui développe

une marche vers la modernité qui, pour le cas de la peine de mort, aboutit soit à la demande de son

abolition, soit à celle de son exécution dans des lieux fermés37

. Pour exemple, dans son Commentaire

32

Les débats tenus devant les assemblées ont fait l’objet de nombreuses études : Raphaël MICHELI, L’Émotion

argumentée. L’abolition de la peine de mort dans le débat parlementaire français, Paris, Cerf, 2010 ; Jullie LE

QUANG SANG, La loi et le bourreau. La peine de mort en débats (1870-1985), Paris, L’Harmattan, 2001. Sur le

débat de 1908 voir Julie LE QUANG SANG, « L’abolition de la peine de mort en France : le rendez-vous manqué

de 1906-1908 », Crime, Histoire & Sociétés, 2002, n° 1, pp. 57-83 ; Jean-Claude FARCY, « La peine de mort :

pratique judiciaire et débats », Criminocorpus, revue hypermédia. Sur le débat de 1981, Robert BADINTER,

L’abolition, Paris, Fayard, 2000 ; Julie LE QUANG SANG, « L’abrogation de la peine de mort en France : une

étude de sociologie législative (1976-1981) », Déviance et société, n° 3, 2000, pp. 175-296. 33

François GUIZOT, De la peine de mort en matière politique, Paris, 1822, p. 10 et 32. 34

Victor DE BROGLIE, « Du système pénal et du système répressif en général ; de la peine de mort en

particuliers ; par M. Charles Lucas », Revue française, n° 5, septembre 1828, p. 2. 35

Alphonse DE LAMARTINE, « De l’abolition de la peine de mort », Revue de législation et de jurisprudence,

1836, t. 4, p. 63. 36

Victor HUGO, « La peine de mort, 15 septembre 1848 », Œuvres complètes, Actes et paroles avant l’exil, Paris,

Hetzel et Quantin, 1882, t. 1, p. 234. Plus généralement sur le mouvement abolitionniste sous la Restauration et

la monarchie de Juillet : Éric TANNIER, L'époque romantique contre la peine de mort. Combats abolitionnistes

en France 1815-1851, mémoire de maîtrise, Histoire, Grenoble 2, 1999. 37

Sur la doctrine pénale : Jean-Louis HALPÉRIN, « L’originalité de la doctrine pénaliste en France depuis la

codification napoléonienne », Archives de philosophie du droit, 2010, 53, p. 26-36 ; Jean-Louis HALPÉRIN, « La

doctrine pénaliste et la récidive au XIXe siècle », Jean-Pierre ALLINNE et Mathieu SOULA (dir.), Les Récidivistes.

Représentations et traitements de la récidive XIXe-XXI

e siècles, Rennes, PUR, 2010, p. 87-95 ; Mathieu SOULA,

« Spécialisation et professionnalisation du droit criminel : le cas exemplaire de Victor Molinier », Jean-

8

sur le Code pénal, Carnot pose la Révolution comme la limite entre un âge pénal barbare et un âge

pénal de raison qui doit voir « se réaliser ce vœu philanthropique » de la disparition de la peine de

mort38

. De même, Joseph-Louis-Elzéar Ortolan et Victor Molinier, longtemps les deux seuls titulaires

de chaires spécifiques de droit criminel, respectivement à Paris et Toulouse, diffusent et participent à

consacrer par leur position institutionnelle une telle représentation. Ortolan estime ainsi que « la peine

de mort est avant tout une chose absurde et mauvaise ; une de ces vieilles erreurs des temps

barbares »39

. Victor Molinier, pourtant rétentionniste, professe qu’à « mesure que les sociétés

progressent et s’éclairent, la raison étend son empire, l’esprit d’examen pénètre l’étude du Droit, et le

flambeau de l’analyse éclaire les abus et prépare la réforme des institutions »40

. S’agissant de la peine

de mort, elle doit être réservée aux cas les plus graves, et doit se faire « à l’intérieur d’un bâtiment

public, en présence seulement d’un petit nombre de citoyens, appelés comme témoins »41

. Ces deux

auteurs, qui dominent la recherche et l’enseignement du droit pénal en France, ne sont pas les seuls

spécialistes ni les seuls auteurs auxquels les juristes se réfèrent. D’autres juristes, qui eux aussi tendent

à faire du droit criminel un domaine spécifique de la recherche en droit, développent les mêmes

représentations d’un adoucissement des peines consécutif aux progrès de la civilisation comme Alfred

Chauveau et Faustin Hélie42

, ou encore Charles Lucas43

. Surtout, les juristes se réfèrent souvent à des

auteurs issus de pays où la doctrine pénale est déjà bien instituée et où la science pénale semble

pleinement légitime. C’est alors un moyen pour ces juristes attachés à la construction d’une discipline

et d’une science pénale autonomes de capter des profits symboliques pour eux-mêmes et pour leur

domaine de recherche. Par là, ils contribuent à importer et diffuser des analyses jugées

« scientifiques » qui lient l’histoire de la peine à celle des progrès de la civilisation. Deux auteurs sont

souvent repris, discutés, et l’objet de comptes rendus dans les revues de droit : Mittermaïer et

Carmignani44

. Ce dernier, dans une leçon académique donnée à Pise sur la peine de mort, lie

adoucissement des peines et progrès de la civilisation45

. Mittermaïer synthétise ses longues et patientes

recherches sur la peine de mort dans un ouvrage, traduit en français en 1865, dans lequel il expose

qu’il « faut tenir compte aussi du témoignage de l’histoire qui montre, chez tous les peuples, un

rapport exact entre le degré de leur civilisation et l’état de leur législation sur la peine de mort »46

. Dès

le milieu du XIXe siècle, la conception évolutionniste de l’histoire pénale est un lieu commun savant

Christophe GAVEN et Frédéric AUDREN (dir.), Les facultés de droit de province au XIX

e et XX

e siècles, t. 3 : Les

conquêtes universitaires, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2012, p. 297-318. 38

Joseph-François-Claude CARNOT, Commentaire sur le Code pénal, Paris, 1823, t. 1, p. 54. 39

Joseph-Louis-Elzéar. ORTOLAN, « La peine de mort », Revue pratique de droit français, jurisprudence,

doctrine, législation, 1870, t. 15, p. 52. 40

Victor MOLINIER, « Mémoire sur le droit de punir et sur la peine de mort », Mémoires de l’Académie royale

des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, 1848, p. 244. 41

Victor MOLINIER, « Mémoire sur le droit de punir et sur la peine de mort », op. cit., p. 268. 42

Adolphe CHAUVEAU et Faustin HÉLIE, Théorie du Code pénal, Paris, Legrand et Descauriet, t. 1, 1837, p. 10. 43

Charles LUCAS, Du système pénal et du système répressif en général, et de la peine de mort en particulier,

Paris, 1827, p. 70. 44

Carl Joseph Anton MITTERMAÏER, « Compte rendu de l’ouvrage de M. Carmignani, intitulé, Théorie des lois

de la sécurité sociale », Revue de droit français et étranger, t. 1, p. 117 ; Carl Joseph Anton MITTERMAÏER,

« Sur le projet d’abolition complète de la peine de mort dans l’État de New-York », Revue de droit français et

étranger, t. 1, p. 308 ; Jacques-Frédéric RAUTER, « Compte rendu de l’ouvrage de M. Mittermaïer : La

législation criminelle examinée dans ses progrès », Revue de droit français et étranger, t. 8, p. 747 ; Jacques-

Frédéric RAUTER, « Compte rendu d’une leçon académique sur la peine de mort faite à l’université de Pise, le 10

mars 1836, par M. Carmignani », Revue de droit français et étranger, t. 4, p. 859. 45

Giovanni CARMIGNANI, Una lezione accademica sulla pena di morte detta nella università di Pisa, Pisa, 1836,

p. 15 : « La storia del dritto presenta la severità di supllizi compagna inseparabile della barbarie : la dolcezza o

seguace o presaga sempre di progressi del viver civile ». 46

Carl Joseph Anton MITTERMAÏER, De la peine de mort d’après les travaux de la science, les progrès de la

législation, et les résultats de l’expérience, Paris, Maresq aîné, 1865, p. 156.

9

dans les œuvres des juristes, et tend à se diffuser dans les diverses tribunes politiques notamment sous

l’influence de certains abolitionnistes, mais aussi de certains rétentionnistes.

La troisième République marque une autre étape importante dans l’actualisation de cette

représentation. Plusieurs facteurs permettent de comprendre la (re)mobilisation d’un discours liant

avancées du droit et progrès de la civilisation. Tout d’abord, le contexte politique particulier de cette

troisième République dans laquelle le champ politique est largement investi par les juristes47

.

L’investissement d’une représentation de l’histoire et du monde social en termes de progrès de la

civilisation, de progrès techniques, de progrès scientifiques, et de progrès du droit, participe à

légitimer le nouveau régime en place et le nouveau personnel politique qui l’anime. La diffusion,

ensuite, dans les champs politique et journalistique d’une nouvelle sensibilité à la peine de mort, ou

tout au moins à sa publicité, qui participe à remettre en cause ses fonctions et son efficacité48

. Le

recours, enfin, dans les débats politiques à de nouvelles sources d’arguments, comme la statistique ou

les travaux des criminologues, c’est-à-dire des références qui permettent de construire une approche

« scientifique » de la peine de mort et de son abolition (ou de sa conservation), dans la droite ligne du

scientisme triomphant de ce début de troisième République49

. Malgré l’échec de l’abolition, les débats

parlementaires de 1908 participent sans doute eux aussi à consolider la représentation d’une histoire

pénale marquée par un processus de rationalisation et d’adoucissement des peines. Les députés

abolitionnistes, entre autres arguments, font usage de celui des progrès de la civilisation qui

commanderaient l’abandon de la peine de mort regardée comme cruelle, barbare, d’un autre âge. Jean

Jaurès, dans son célèbre discours à la chambre des députés, fait la synthèse de cet argument : « [La

peine de mort] est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution »50

. Le

christianisme et la Révolution sont les deux étapes d’une marche en avant de la civilisation qui

condamne le recours à la peine capitale. Lors du même débat Alfred Wilmm reprend un argument au

professeur de droit criminel René Garraud (rétentionniste) pour légitimer l’abolition : « Il est certain

que la peine de mort s'en va de tous les pays de l'Europe, ici un peu plus vite, là plus lentement ; elle

paraît reculer devant la civilisation »51

. Paul Deschanel déploie le même argumentaire : « La

disparition progressive des rigueurs pénales inutiles a toujours marché de pair avec la civilisation »52

.

L’abbé Lemire, lui aussi, reprend cette thématique de la civilisation : « Tout le mouvement de la

civilisation nous porte vers une reconnaissance de plus en plus grande de la dignité humaine, où nous

voulons que l'homme soit le moins possible violenté »53

. Le recours à une histoire qui lie

adoucissement des peines et progrès de la civilisation n’est pourtant pas l’apanage des abolitionnistes.

En effet, dans les espaces savants où la peine de mort est au même moment discutée et

analysée, certains juristes, sociologues ou criminologues, même rétentionnistes (comme les juristes

Gabriel Tarde et René Garraud, ou le médecin Alexandre Lacassagne) déploient une conception d’un

adoucissement des peines, et partant d’une extinction progressive de la peine de mort du fait des

avancées de la civilisation. La formation des juristes permet de mieux saisir la reproduction de certains

47

Gille LE BÉGUEC, La République des avocats, Paris, Armand Colin, 2004 ; Christophe CHARLE, « Le déclin de

la République des avocats », Pierre BIRNBAUM (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994, p.

56-87 ; Yves-Henri GAUDEMET, Les juristes et la vie politique sous la IIIe République, Paris, PUF, 1970. Pour

une analyse critique de ce lieu commun : Laurent WILLEMEZ, « La « République des avocats » : le mythe, le

modèle et son endossement », Michel OFFERLÉ (dir.), La profession politique, Paris, Belin, 1999, p. 201-229.

Pour un point historiographique : Alain CHATRIOT, « Les juristes et la IIIe République, note critique », Cahiers

Jaurès, 2012/2, n° 204, p. 83-125. 48

Emmanuel TAÏEB, La guillotine au secret. Les exécutions publiques en France, 1870-1939, Paris, Belin, 2011. 49

Jean-Claude FARCY, « La peine de mort en France : Deux siècles pour une abolition (1791-1981) »,

Criminocorpus, revue hypermedia, 2006. 50

Journal Officiel, Chambre des députés (JOCD), séance du 18 novembre 1908, p. 2393. 51

JOCD, séance du 4 novembre 1908, p. 2027. 52

JOCD, séance du 4 novembre 1908. 53

JOCD, séance du 3 juillet 1908, p. 2399.

10

arguments et représentations. Les facultés de droit sont alors peu nombreuses, tout comme les

enseignements de droit criminel dominés par des professeurs formés par ceux qui, comme Ortolan et

Molinier, avaient mené le combat de l’autonomisation de leur discipline à l’aune d’une conception

scientifique de leur métier et du droit pénal. Ils reprennent et diffusent, en les actualisant dans un

contexte de concurrence avec la science pénitentiaire, la criminologie, et la sociologie (sciences en

construction), une conception évolutionniste du droit pénal. La survivance et la consolidation dans le

monde du droit de cette conception doivent encore être rapportées aux structures particulières du

champ du droit et de son espace théorique, celui des facultés de droit, où le professeur s’occupe

essentiellement du droit, c’est-à-dire produit une analyse interne coupée du monde social que seul « le

Législateur a pour mission d’instituer, de réformer et d’ordonner »54

. Dans ces conditions, les juristes

se montrent « conservateurs », dans le sens où ils reproduisent des manières de faire et de voir héritées

de la première moitié du XIXe siècle. Ceci est particulièrement visible dans les manuels de droit

criminel : qu’ils soient abolitionnistes ou rétentionnistes, les pénalistes y promeuvent toujours une

marche en avant du progrès de la civilisation et du droit. De René Garraud à Georges Vidal, jusqu’à

Henri Donnedieu de Vabres, la doctrine pénale perpétue, propage, et enseigne une représentation

devenue un lieu commun savant qui postule en creux que l’ancien droit pénal était arbitraire et cruel,

alors que le droit pénal moderne, issu de la Révolution et du Code de 1810, et amélioré par les

réformes de 1832, satisfait aux principes de rationalité, d’égalité et d’humanité, suivant en cela les

progrès de la civilisation55

.

Dans leur monopole d’étude et de commentaire des lois, les juristes, en matière pénale, sont

concurrencés par des sciences qui apportent un autre éclairage à l’évolution pénale, qui se veut lui

aussi « scientifique », comme l’anthropologie criminelle (et plus largement la médecine) ou encore la

sociologie56

. La définition de la mort et le choix des moyens de son administration ne sont d’ailleurs

plus depuis longtemps le monopole des juristes : les médecins entendent investir le pénal et l’une de

ses manifestation les plus spectaculaires, l’exécution57

. On l’a vu, Alexandre Lacassagne prend

position dans le débat sur la peine de mort. Il développe une représentation évolutionniste de l’histoire

qui lie civilisation et adoucissement des peines58

. Pour autant, il maintient le principe de la peine de

mort, voire aspire à ce que soient réactivés des châtiments corporels59

. Les sociologues entendent eux

aussi étudier le droit pénal. Pour Émile Durkheim, par exemple, l’adoucissement des peines est

envisagé comme une loi sociologique : « L’intensité de la peine est d’autant plus grande que les

sociétés appartiennent à un type moins élevé – et que le pouvoir central a un caractère plus absolu ».

De même que la disparition de la peine de mort et son remplacement par des peines privatives de

liberté : « Les peines privatives de liberté et de la liberté seule, pour des périodes de temps variables

selon la gravité des crimes, tendent de plus en plus à devenir le type normal de la répression »60

. Pour

autant, il ne lie pas directement l’adoucissement des peines à celui des mœurs. Si les peines

deviennent plus douces, c’est en raison de l’affaiblissement de la religiosité des mœurs et du droit

pénal, « à mesure que la coercition collective s’allège, s’assouplit, devient moins exclusive du libre

54

Frédéric AUDREN, « Les professeurs de droit, la République et le nouvel esprit juridique. Introduction », Mil

neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle : La Belle Époque des juristes, enseigner le droit dans la République, t.

29, 2011, p. 12. 55

Voir entre autres les usages des introductions historiques dans ces manuels : René GARRAUD, Précis de droit

criminel, Paris, Larose, 1881 ; Georges VIDAL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, Paris, Arthur

Rousseau, 1902 ; Henri DONNEDIEU DE VABRES, Précis de droit criminel, Paris, Dalloz, 1946. 56

Voir : Laurent MUCCHIELLI, «Naissance et déclin de la sociologie criminelle (1890-1940) », Laurent

MUCCHIELLI (dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 287-312. 57

Daniel ARASSE, La guillotine et l’imaginaire de la terreur, Paris, Champs Histoire, 2010 ; Anne CAROL,

Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la guillotine, Seyssel, Champ Vallon, 2012. 58

Alexandre LACASSAGNE, Peine de mort et criminalité…, op. cit., p. 8. 59

Voir sur le fouet : Emmanuel TAÏEB, La guillotine au secret…, op.cit., p. 67 ssq. 60

Émile DURKHEIM, « Deux lois de l’évolution pénale », Année sociologique, vol. 4, 1899-1900, p. 65 et 78.

11

examen »61

. La postérité des recherches amorcées par ces deux auteurs, et plus largement de

l’anthropologie criminelle et de la sociologie criminelle, ne sera pas forcément assurée, de sorte que le

discours des juristes sur la peine de mort restera longtemps le plus largement diffusé et donc audible62

.

Dans des formes différentes (politique, juridique, sociologique, historique), le lien entre les

avancées de la civilisation et l’abandon de la peine de mort est largement repris et diffusé dans divers

espaces. Un tel déploiement, qui traverse les frontières disciplinaires, pourrait s’expliquer par la

grande malléabilité de cette conception puisque la progression de la « civilisation » n’a ni le même

sens, ni les mêmes bases dans ces différentes disciplines, mais toutes ces interprétations participent à

attribuer une fin à l’histoire de la peine de mort qui en commanderait, à plus ou moins long terme, la

disparition.

Quoique dans des contextes fort différents, les années 1970 et 1980 marquent une double

reformulation de cette représentation. La consécration politique se réalise à travers une consécration

législative puis constitutionnelle. Les débats à l’Assemblée nationale témoignent d’une reconduction

de l’argument portant sur les progrès de la civilisation. Dans son discours du 17 septembre 1981,

Robert Badinter reprend cette logique et inscrit l’abolition de la peine de mort dans un processus

historique, traduit dans « une longue marche », dont la destination est déjà connue63

. Les grandes

étapes sont égrenées comme autant de paliers successifs nécessaires (1791, 1832, 1848, 1908). Plus

largement, il met en relation les pays où triomphent la liberté et l’abolition de la peine de mort, qui

apparait de fait comme le résultat des progrès de la civilisation et du droit, entendu ici comme

protection ou garantie de l’individu à l’égard de l’État. Cette représentation est appuyée par plusieurs

députés abolitionnistes, comme Alain Richard, Christian Goux, Louis Odru, ou encore Florence

d’Harcourt, qui tous associent l’abolition aux progrès de la civilisation. Le vote de la loi vient

consacrer une telle conception et en renforce la légitimité par cette force du droit qui lui confère des

« effets symboliques »64

. L’inscription dans l’article 66-1 de la Constitution que « nul ne peut être

condamné à la peine de mort », depuis la loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007, offre

une protection juridique supplémentaire à l’abolition (en interdisant toute loi rétablissant la peine de

mort), et participe encore à légitimer l’argumentaire qui la sous-tend65

.

Au même moment dans le champ universitaire, la peine de mort (re)devient un objet

spécifique d’étude, à la faveur notamment de la réception des travaux de Norbert Elias66

. Par son

caractère malléable, c’est-à-dire autorisant de multiples usages et interprétations, son œuvre peut être

saisie et mobilisée aussi bien par les historiens, les sociologues ou socio-historiens, et les juristes. Ceci

notamment, permet de mieux comprendre à la fois l’actualité des travaux de Norbert Elias (mobilisés

61

Émile DURKHEIM, « Deux lois de l’évolution pénale », op. cit., p. 93. 62

Sur les difficultés d’établissement d’une sociologie criminelle et d’actualisation de l’héritage durkheimien :

Laurent MUCCHIELLI et Jean-Christophe MARCEL, « La sociologie du crime en France depuis 1945 », Laurent

MUCCHIELLI et Philippe ROBERT (dir.), Crime et sécurité : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2002, p. 53-

63. 63

JO, débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du 17 septembre 1981, p. 1138. 64

Pierre BOURDIEU, « La force du droit. Éléments pour une sociologie juridique », Actes de la recherche en

sciences sociales, vol. 64, 1986, p. 3-19. 65

Une telle consécration prend appui sur des normes européennes qui tendent, depuis les années 1980, à diffuser

l’abolition dans l’espace européen : le Protocole n° 6 à la Convention européenne des Droits de l'Homme sur

l’abolition en temps de paix a été adopté en 1983, suivi en 2002 par l’adoption du Protocole n° 13 sur l’abolition

de la peine capitale en toutes circonstances y compris pour des actes commis en temps de guerre. La Cour

européenne des droits de l’homme interprétant l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme

renforce cet arsenal en décidant dans son arrêt Öcalan contre Turquie que la peine de mort est en temps de paix

« une forme de sanction inacceptable, voire inhumaine » (CEDH 12 mars 2003, req. n° 46221/99). 66

Dans une étude très fine, Marc Joly étudie notamment les logiques de la réception de l’œuvre du sociologue

par les historiens français au début des années 1970 (Marc JOLY, Devenir Norbert Elias, Paris, Fayard, 2012).

Voir aussi Roger CHARTIER, « Norbert Elias interprète de l’histoire occidentale », Le débat, 1980/5, n° 5, p. 138-

143.

12

depuis près de quarante ans) et leur caractère transdisciplinaire. Pour la question plus particulière de la

peine de mort, le cadre utilisé qui donne un sens à son histoire est celui du processus de civilisation.

En histoire, Robert Muchembled, le mobilise non sans ajustements pour expliquer la disparition

progressive des supplices par une « modernisation » des mentalités consécutive à l’imposition par le

haut d’une culture dominante en remplacement d’une culture populaire et paysanne de plus en plus

dévalorisée67

. À mesure de la « modernisation » des esprits, c’est-à-dire de la mise à distance des

cultures dominées (devenues des « superstitions »), et de l’effectivité du monopole de la violence

physique légitime l’exemplarité des supplices n’est plus aussi utile. Preuve de la malléabilité du

processus de civilisation qui en autorise une large mobilisation, plus récemment et dans une autre

discipline Emmanuel Taïeb explique l’effacement de la publicité des exécutions publiques sous la

troisième République par l’évolution des sensibilités qui prend place dans le cadre du processus de

civilisation68

.

Devenu incontournable, le processus de civilisation n’est pourtant pas unanimement partagé. Il

faut dire qu’il autorise les interprétations divergentes, d’autant qu’Elias lui-même a pu le reformuler

pour le préciser69

. L’ambiguïté vient aussi de l’usage même du terme de civilisation qui, suivant les

interprétations qui en sont faites, pourrait comporter un caractère normatif, critiqué aussi bien par Jack

Goody (qui y voit une captation par l’Occident de la civilisation et une hiérarchisation des cultures)

que par Claude Gauvard (qui critique à la fois l’engagement précoce de la constitution du monopole de

la violence physique légitime et la conception d’un Moyen Âge cruel et violent qui fasse

systématiquement usage de la peine de mort)70

. Les tenants d’une histoire culturelle ou d’une

anthropologie historique contribuent d’ailleurs à discuter Elias soit en montrant que la peine de mort

est aussi apportée aux communautés médiévales par le déploiement de l’inquisitoire, soit en montrant

ce que cette peine a d’exceptionnel71

. Récemment Pascal Bastien dans une histoire comparatiste des

rituels et des pratiques de la peine de mort en France et en Angleterre à l’époque moderne, se

démarque des approches eliassiennes pour « démontrer que la peine de mort n’est pas nécessairement

67

Robert MUCHEMBLED, L’invention de l’homme moderne. Sensibilités, mœurs et comportements collectifs sous

l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1983 et Le temps des supplices. De l’obéissance sous les rois absolus, XVe –

XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1992.

68 Emmanuel TAÏEB, La guillotine au secret…, op. cit.. Le succès des outils proposés par Norbert Elias dépasse

toutes les frontières (qu’elles soient nationales ou disciplinaires). Bien des auteurs en font usage dans leurs

travaux sur l’histoire de la peine de mort, comme par exemple Pieter Spierenburg (entre autres : The spectacle of

suffering : executions and the evolution of repression : from a preindustrial metropolis to the European

experience, Cambridge, Cambridge University Press, 1984). Pour le cas particulier des États-Unis, David

Garland évoque un processus contraint (« Le processus de civilisation et la peine capitale aux États-Unis »,

Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2010/2, n° 106, p. 193-208), alors que John Pratt y voit un exemple

de décivilisation (« Toward the Decivilization of Punishment », Social and Legal Studies, 7 (4), p. 487-515). 69

Roger Chartier remarque ainsi : « Quant à l’évolutionnisme, oui, il y a un peu de cela chez Elias. Peut-être

s’en est-il rendu compte. Ceci expliquerait que, dans ses derniers textes, il insiste sur le fait que les processus de

civilisation ne sont pas inexorables » (Roger CHARTIER, « Pour un usage libre et respectueux de Norbert Elias »,

Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2010/2, n° 106, p. 46). 70

Jack GOODY, Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris,

Gallimard, 2010. Claude GAUVARD, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005. 71

Martine CHARAGEAT, « La peine de mort en Aragon (XI-XV) : entre châtiment et exclusion », César

GONZALEZ MÍNGUEZ et Iñaki BAZÁN DÍAZ (dir.), El discurso legal ante la muerte durante la Edad Media en el

nordeste peninsular, Bilbao, UPV/EHU, 2006, p. 455-473 ; Martine CHARAGEAT, « Pena de muerte y justicia en

las ciudades aragonesas a fines de la Edad Media », César GONZALEZ MÍNGUEZ et Iñaki BAZÁN DÍAZ (coord.),

La pena de muerte en las sociedades europeas de la edad media, Clio & Crimen, 4, 2007, p. 134-166 ; Pierre

PRÉTOU, « La tarification de l’homicide en Gascogne à la fin du Moyen Âge », Histoire & Mesure, 2012, vol.

XXVII, n° 1, p. 7-28 ; Pierre PRÉTOU, Crime et justice en Gascogne à la fin du Moyen Âge, Rennes, PUR, 2011.

13

le reflet d’une barbarie culturelle ou d’une civilisation inachevée », mais d’une société dont il faut

comprendre la structure pour apprécier sa pratique de la mort légale72

.

Il y aurait donc un malentendu sur l’interprétation du processus de civilisation et sur ses effets

sur l’évolution des pratiques et des législations relatives à la peine de mort, malentendu

nécessairement produit par l’état des espaces dans lesquels s’opèrent les diverses réceptions73

. Tout

l’enjeu réside dans l’interprétation du processus de civilisation, selon qu’on lui attribue un aspect

normatif (que l’on défende ou critique d’ailleurs cet aspect normatif). En effet, mal interprété, il peut

alors nourrir la confusion entre l’histoire de la peine de mort et celle de son abolition. Mal interprété, il

peut encore apparaître inopérant pour expliquer des « accidents » comme l’abrogation de l’abolition de

la peine de mort en matière politique par l’ordonnance n° 60-529 du 4 juin 196074

. Mal interprété, il

peut enfin porter l’idée que toutes les sociétés qui utilisent la peine de mort seraient peu ou moins

civilisées ou plus barbares, plus cruelles en somme, établissant des hiérarchies entre les sociétés selon

leur degré de « civilisation ».

Plus largement, l’association de l’histoire de la peine de mort avec celle de son abolition,

dont nous proposons de suivre la trace dans divers espaces à l’échelle européenne, comprend des

points aveugles et des impensés qu’une analyse des pratiques de la mort légale et des sociétés

dans lesquelles elles prospèrent doit permettre d’éclairer en partie.

3-3 « On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil

monstre »75

En ouvrant son essai contre la peine de mort par l’évocation d’un souvenir relatif à l’exécution

à Alger « d’un assassin dont le crime était particulièrement révoltant » et en précisant qu’ « on estima

généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil monstre », Albert Camus

explicite l’un des aspects de la peine de mort : elle n’est pas qu’une technique d’État, qu’un moyen

d’imposer la justice par la peur d’un supplice exemplaire, que la manifestation du monopole étatique

de la violence physique légitime (ou un moyen de le construire), mais elle est aussi une pratique, une

peine saisie par ceux à qui elle s’adresse pour lui donner sens. Comme l’expose Claude Gauvard pour

le Moyen Âge : « L’exemplarité est le résultat d’un choix subtil entre la justice qui condamne et la

communauté qui dénonce »76

. La peine de mort est donc complexe, car elle n’a pas seulement pour

fonction d’éliminer un criminel. Elle a, en effet, bien d’autres fonctions d’où l’importance d’en savoir

plus sur les acteurs qui contribuent matériellement à son application ainsi que sur les équipements

requis et leur localisation dans la géographie des espaces (de souveraineté et juridictionnels) justiciers.

Tout d’abord, elle sert à marquer, pour reprendre le mot de Durkheim, les « états forts et

définis de la conscience collective », c’est-à-dire qu’elle s’applique aux crimes socialement les plus

réprouvés, ceux qui mettent en péril des structures sociales fondamentales, ou qui sont conçues

comme telles par ceux qui ont le pouvoir de dire le droit. Par exemple, sous l’ancien droit, le parricide

est puni de la roue (pour les hommes) et du bûcher (pour les femmes), peines les plus cruelles après

72

Pascal BASTIEN, Histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices, Paris, Londres, 1500-1800, Paris, Seuil,

2011, p. 17. 73

Pierre BOURDIEU, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Cahiers d’histoire des

littératures romanes, a. 14, 1-2, p. 3 : « Le sens et la fonction d'une œuvre étrangère sont déterminés au moins

autant par le champ d'accueil que par le champ d'origine ». 74

JO, 8 juin 1960, p. 5107. 75

Albert CAMUS, « Réflexions sur la guillotine », Arthur KOESTLER et Albert CAMUS, Réflexions sur la peine

capitale, Paris, Calmann-Lévy, 1957, p. 121. 76

Claude GAUVARD, « Mémoire du crime, mémoire des peines : justice et acculturation pénale en France à la fin

du Moyen Âge », Françoise AUTRAND, Claude GAUVARD et Jean-Marie MOEGLIN, Saint-Denis et la royauté,

colloque en l’honneur de Bernard Guenée, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 709.

14

l’écartèlement, réservé aux parricides politiques (régicides) : le parricide crée la rupture et le désordre,

car il porte atteinte à la famille, entité structurée (définie et protégée par les normes religieuses et

sociales) et structurante (base de l’ordre social et politique)77

. La peine de mort sert alors à rappeler les

structures fondamentales de la société et à les faire incorporer par celui qui a commis le crime (valeur

« médicinale » de la peine de mort) et par ceux qui assistent à son exécution. De fait, la peine de mort

permet de rappeler et d’imposer des valeurs dominantes.

Ensuite, elle est partie prenante de l’imposition de l’État78

, ou plus largement d’une

domination sociale et politique qui se traduit par une acculturation79

. Elle « exprime la haute justice

attachée à la souveraineté absolue de l’État moderne »80

. Elle serait donc un attribut exclusif de la

souveraineté, une technologie de pouvoir81

. Elle serait la manifestation de ce pouvoir, le lieu de sa

célébration, un accessoire de la mise en scène d’un spectacle essentiellement politique82

. Dans ces

conditions, puisque la peine de mort est un instrument de la construction de l’État, elle ne peut se

déployer largement que lorsque le souverain est en capacité politique et institutionnelle de le faire,

autrement dit, il n’y pas d’évolution linéaire dans l’application de la peine de mort : elle est rare au

Moyen Âge, quand le roi n’a pas les moyens de s’imposer (et qu’il fait aussi le choix de s’imposer par

la paix et la rémission des crimes), elle est beaucoup plus fréquente au début de l’époque moderne

quand il a effectivement ces moyens (et notamment l’appui de la procédure inquisitoire largement

déployée dans ses tribunaux) et qu’il s’agit alors d’asseoir sa domination83

. Mais même quand il en a

les moyens, l’État ne fait pas forcément un usage systématique de la peine de mort : les évolutions des

sensibilités et des incriminations limitent parfois son usage84

. La peine de mort aurait donc comme

fonction d’imposer le souverain par la peur du châtiment, en un mot par l’exemplarité.

L’exemplarité n’est pourtant pas performative en soi, elle ne l’est qu’à condition que ceux à

qui s’adresse le spectacle de la mort en comprennent et en acceptent le sens. La peine de mort aurait

donc aussi pour fonction d’associer la société à la sanction par la recherche de l’accord du public. Elle

est un lien entre le pouvoir qui châtie et la société qui a abrité le crime. Ceci est particulièrement

repérable dans le caractère ritualisé, ou plutôt réglé, de l’exécution : le pouvoir qui châtie respecte des

formes, des normes, des habitudes qui encadrent sa pratique pour le faire apparaître comme une

autorité légitime et non pas arbitraire. Le rituel de l’exécution (que celle-ci soit publique ou abritée à

l’ombre des murs d’une prison) montre une justice contrainte, limitée, qui agit dans un cadre

77

Mathieu SOULA, « La roue, le roué et le roi : fonctions et pratiques d’un supplice sous l’Ancien Régime »,

Revue historique de droit français et étranger, 2010-3, p. 343-364. 78

Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975 ; Robert MUCHEMBLED,

Le temps des supplices…, op. cit. 79

Ludovic MAUGUÉ, « Entre résistance et acculturation : la peine capitale à Genève durant la période française

(1798-1813) », Crime, Histoire & Sociétés, 2008, vol. 12, n°2, pp. 33-57. 80

Michel PORRET, Beccaria, le droit de punir, Paris, Éditions Michalon, 2003, p. 94. 81

Jacques CHIFFOLEAU, « Droit de mort, droit de vie », L’Histoire, La peine de mort de la loi du talion à

l’abolition, n° 357, octobre 2010, p. 94-97 ; Emmanuel TAÏEB, « La peine de mort en République, un faire

mourir souverain ? », Quaderni, n° 62, 2006-2007, p. 17-26. 82

Daniel ARASSE, La guillotine et l’imaginaire de la terreur, op. cit.. 83

Claude GAUVARD, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Age, Paris,

Publications de la Sorbonne, 1991 ; Claude GAUVARD, « Grâce et exécution capitale : les deux visages de la

justice royale française à la fin du Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des chartes, 1995, t. 153, p. 275-290 ;

Jean-Marie CARBASSE, « Débats médiévaux autour de la peine de mort », Ioannis S. PAPADOPOULOS et Jacques-

Henri ROBERT, La peine de mort droit, histoire, anthropologie, philosophie, Paris, Panthéon-Assas, 2000, p. 87-

103 ; Robert MUCHEMBLED, Le temps des supplices…, op. cit. 84

Michel PORRET, « Mourir sur l'échafaud à Genève au XVIIIe siècle », Déviance et société, vol. 15, 1991, n° 4,

p. 381-405.

15

prédéterminé, et qui se donne à voir comme telle85

. Par là, en montrant qu’elle n’agit pas injustement,

mais dans le respect de règles qui s’imposent à elle, elle favorise l’accord de ceux sur qui elle pèse.

L’étude de l’aspect rituel de la peine de mort est devenue depuis les années 1970 un champ de

recherche particulièrement fécond86

. Il s’agit de s’attacher à décrypter la valeur symbolique des

exécutions pour en dégager une fonction sociale essentielle : celle de la pacification de la société87

.

Cette approche permet de réinsérer la peine dans une pratique qui en commande l’effectivité et

l’efficience. Mais, quand elle ne considère le rituel de mort que comme « un parchemin que l’on

décrypte »88

, par l’usage de catégories universelles et atemporelles (le rite, le supplicié, le public, la

culture), une telle approche peut parfois abraser les luttes de sens qui se nouent lors de ce rituel, c’est-

à-dire les confrontations des appropriations qui le rendent complexe et malléable. Par exemple, ce

« public », dont on scrute les réactions, n’est pas une masse uniforme qui reçoit ou rejette en bloc le

rituel pénal : il ne rassemble ni ne représente toute une communauté, et il est parcouru de réactions

diverses et divergentes. Si l’exécution capitale est effectivement un rite, elle n’en est pas moins

soumise à divers usages. Là se trouve le danger des exécutions publiques : elles autorisent une

multiplicité d’appropriations qui peuvent mettre en péril la justice même.

Enfin, en tant que rite, la peine de mort a une autre fonction sociale : celle « d’instituer une

différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas »89

. Dans cette

perspective, le rite d’institution est censé rendre légitime et naturelle une limite fixée arbitrairement

constitutive d’un ordre social et mental « qu’il s’agit de conserver à tout prix ». Ce n’est donc pas tant

l’exemple que le rituel de l’exécution capitale recherche, que de fixer la limite entre les actes et les

acteurs qui sont juridiquement définis et doivent être regardés comme atroces (puisque la peine de

mort concerne les crimes les plus graves et socialement les plus réprouvés), et le reste de la société. Ce

n’est donc pas seulement la satisfaction d’un « public » ou la manifestation d’un pouvoir de châtiment

que met en scène de manière solennelle le spectacle de mort, mais plutôt la séparation entre le monde

social légitime et le monde criminel. Il institue ce monde criminel comme un envers social atroce et

violent qu’il convient de mettre à distance. Le rite sert alors à rappeler cette mise à distance, avec tous

les effets symboliques que le rite comporte : « en agissant sur la représentation du réel »90

, le rite sert à

ce monde social légitime à se sentir comme légitime, et à se sentir légitime à participer à la

dénonciation et à la punition de ce monde criminel qui menace son unité et son intégrité. La peine de

mort délimite le champ de ce qui est défini comme atroce et monstrueux, que l’on se propose de

revisiter ici.

Il convient alors aussi, pour ce faire, d’interroger les moyens mis en œuvre pour la

réalisation et l’efficacité du rite, en regard de la puissance publique ; de questionner la place et

la fonction de qui sert à la mise en scène de la mort et à la gestion des corps mis à mort : les

bourreaux et les gibets ou fourches patibulaires. Ces équipements sont tout à la fois un lieu de

justice, un espace d’exécution, d’exposition, d’inhumation, de contestation, mais aussi une

85

Pour un contre-exemple (une peine socialement jugée inacceptable parce qu’extravagante) : Michel PORRET,

« À la une de Surveiller et punir : l’anachronisme du supplice de Damiens », Marco CICCHINI et Michel PORRET

(dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault, Lausanne, Éditions Antipodes, 2007, p. 111-124. 86

Outre les études déjà citées de Claude Gauvard, Michel Porret, Pascal Bastien et Emmanuel Taïeb : Michel

BÉE, « Le spectacle de l’exécution dans la France d’Ancien Régime », Annales, économies, sociétés,

civilisations, 1983, vol. 38, n° 4, p. 843-862 ; Régis BERTRAND et Anne CAROL (dir.), L’exécution capitale : une

mort donnée en spectacle : XVIe-XX

e siècle, Aix-en-Provence, PUP, 2003 ; Pascal BASTIEN, L’exécution publique

à Paris au XVIIIe siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Paris, Champ Vallon, 2006.

87 Claude GAUVARD et Robert JACOB, « Introduction. Le rite, la justice et l’historien », Les rites de la justice.

Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge, Paris, Le Léopard d’ord, 2000, p. 5-18. 88

Alban BENSA, Après Lévi-Strauss, pour une anthropologie à taille humaine, Paris, Textuel, 2010, p. 70 ssq. 89

Pierre BOURDIEU, « Les rites comme acte d’institution », Actes de la recherche en sciences sociales, a. 1982,

vol. 43, n° 1, p. 58. 90

Pierre BOURDIEU, « Les rites comme acte d’institution », op. cit., p. 59.

16

frontière symbolique (juridictionnelle, politique ou sociale) et un objet de concurrences

institutionnelles. De tels lieux d’exécution permettent indéniablement d’ancrer au sol les limites

d’une juridiction. L’étude de leurs modes de construction permet d’en dresser une typologie

(matériaux, nombre de poutres et de piliers, etc.), en tenant compte de leurs usages: sociaux,

politiques, judiciaires et funéraires.. On s’interrogera aussi sur les producteurs du spectacle

judiciaire de la mort ( qui en a la charge, comment est-il financé et comment sa mise en scène

est-elle maîtrisée ) et sur les moyens de sa réalisation : outils, ustensiles, leur prix, les nouveautés,

les innovations, etc.

On questionnera dans la foulée la place du bourreau en tant que technicien légal et

individu inséré dans une communauté humaine. Exécuteur des sentences pénales, il peut

également être chargé d’inhumer le corps des criminels décédés. Largement associé aux

fourches patibulaires, il trouve très régulièrement place dans la documentation écrite et figurée.

Ces différentes sources permettent alors de connaître son nom, son lieu d’habitation et son

costume, mais également d’étudier les rémunérations qu’il peut percevoir. Qui est le bourreau ?

Quelle est sa place ? Quelles sont ses fonctions ? Y a-t-il une évolution de son savoir-faire ?

Véritable acteur de la gouvernance des corps et professionnel de la mise à mort, il est aussi un

agent requis par divers réseaux juridictionnels au sein desquels il est amené à circuler parce que

toutes les justices n’ont pas les moyens de disposer d’un bourreau. Entre réalités et

représentations (écrits et images), il s’agit de comprendre les répulsions sociales dont il est

l’objet. Qui embauchent des bourreaux et possèdent des gibets au Moyen Âge et à l’époque

moderne ? Ceux qui ont le droit ou le privilège de rendre la justice. Mais toutes les justices n’ont

pas les moyens d’employer un bourreau, de construire et entretenir un gibet. Justement, parce

que bourreaux et gibets se prêtent, ils sont également disputés : la frontière entre juridictions

s’incarne en effet dans le bois ou dans la pierre des uns, et dans la personne des autres. Enjeux

d’autorité, représentations et marqueurs spatiaux de la justice et des pouvoirs publics, ils sont

pris à parti par le juge d’en face, ou par les justiciables qui contestent leur ancrage ou leur

venue. La démolition des gibets illustre bien la représentation symbolique de cet instrument de

mort où la chair pourrissante des cadavres exposés incarne le droit et la volonté des pouvoirs

publics.

En dépassant le thème de la « mauvaise mort », ce projet invite à discuter l’implication

des différentes institutions en matière de gestion des corps produits par le système judiciaire et

les lois afférentes. Pour l’Église, le corps des « mauvais chrétiens » doit être déposé extra

cimiterium, en périphérie du cimetière consacré91

. Il peut cependant trouver une place loin du

cimetière et finir sa course à distance des zones d’habitation, dans des lieux dédiés à la justice. Il

s’agit donc de revisiter la notion d’exclusion, de mise à distance ou de punition par l’espace

souvent annoncée par les tenants de l’histoire de la justice et du crime mais réduite à sa plus

simple expression, voire niée dès lors que l’Église instaure le système de confession pour les

condamnés à mort dès la seconde moitié du XIVe siècle. Si ceci a été la clé de l’apprivoisement de

la peine capitale, facilitant la tâche des théologiens à l’heure de justifier ce qui ne doit plus être

assimilé à un homicide, il n’en demeure pas moins que la gouvernance des corps passe par celle

de l’espace et la fabrique de certains territoires discriminatoires. Le dedans-dehors corrélé à des

politiques publiques d’enfermement dès le Moyen Âge92

tient autant à l’organisation des

communautés humaines qu’à la distribution des lieux d’exécutions, à la revendication d’espaces

91

Mathieu VIVAS, La privation de sépulture au Moyen Âge. L’exemple de la province ecclésiastique de

Bordeaux (Xe – début du XIVe siècle), Thèse d’Histoire et d’Archéologie sous la direction de C. Treffort et d’I.

Cartron, 2012, Poitiers. 92

Isabelle HEULLANT DONAT, Elisabeth LUSSET, Julie MAYADE CLAUSTRE, Enfermements : le cloître et la

prison (VIe-XVIII

e siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.

17

où le pouvoir justicier peut se manifester ou se retirer ; ce dernier élément est à mettre en liaison

avec l’actualité des espaces contemporains d’exclusion, comme peuvent l’être les prisons. La

géographie est convoquée ici, particulièrement à travers les travaux d’Olivier Milhaud sur

l’espace carcéral93

.

3-4 Vers l’abolition

Dans ces conditions, au regard de ces différentes fonctions, au regard des divers usages

faits de la peine de mort, comment comprendre son abolition, fût-elle tardive ? Emmanuel Taïeb

l’explique par un « mouvement de retrait » du pouvoir qui répugne, depuis la troisième République, à

exécuter en public, voire à exécuter94

. Ce retrait de la violence s’exprime par le choix d’investir plus

largement la prison, y compris comme lieu d’exécution. Depuis Foucault, la prison est d’ailleurs vue

comme la manifestation d’un changement de paradigme pénal qui explique l’abandon progressif des

exécutions et de la peine de mort. Jean-Claude Farcy voit dans le « retard » français plutôt une

explication politique95

. En tant que « machine de gouvernement », la fonction d’exemplarité de la

peine de mort a prévalu dans les conceptions des groupes dominants le champ politique, de sorte

qu’elle était vue comme un mal nécessaire « pour tenir en respect le peuple et le réprimer au besoin ».

Tant que le libéralisme n’a pas été totalement intégré, la peine de mort s’est maintenue, la victoire des

socialistes ralliés à ce libéralisme autorisant l’abolition d’une peine devenue inutile. Jean-Claude

Farcy rappelle ici l’un des facteurs de l’abolition qui en montre toute la fragilité : l’abolition est aussi

le résultat d’une configuration politique et sociale particulière, propre à un « moment »96

.

Malgré l’abolition (qui, on l’a vu, concentre l’attention) l’État a-t-il véritablement

renoncé aux peines éliminatrices ? La question, notamment, de la perpétuité réelle doit ici être posée

dans le sens où elle participe d’une autre manière à éliminer le criminel, voire à lui apposer une note

d’infamie. Au-delà de l’abolition, quelle place les systèmes pénaux qui la consacrent laissent-ils à une

perpétuité réelle qui élimine et dégrade socialement le criminel ? Existe-t-il aussi d’autres pratiques

qui permettent de contourner l’abolition ? Autrement dit, si on déplace la focale de la seule peine

de mort, apparaît tout un jeu de pratiques pénales ou extra-judiciaires qui peuvent être prises en

compte pour aider à mieux resituer les usages de la peine de mort et l’histoire de son abolition

Dans un article paru peu de temps avant le vote de l’abolition de la peine de mort, Michel

Foucault tentait déjà d’attirer l’attention sur d’autres peines tout aussi définitives car perpétuelles97

.

Bien plus, il tentait d’attirer l’attention sur le problème d’une conception largement partagée de la

peine de mort centrée exclusivement sur sa seule abolition : « La véritable ligne de partage, parmi les

systèmes pénaux, ne passe pas entre ceux incluant la peine de mort et les autres ; elle passe entre ceux

qui admettent les peines définitives et ceux qui les excluent », c’est-à-dire entre ceux qui admettent

qu’il existe des criminels incorrigibles et ceux qui admettent l’universalité de l’amendement. Derrière

la posture humaniste du philosophe se dévoile un impensé : la peine de mort est un objet d’étude

spécifique, un champ particulier de recherches, sans que cet isolement soit forcément questionné. Or,

si la peine de mort se traduit pare une dégradation morale et une destruction physique, n’y-a-t-il pas

d’autres peines, d’autres pratiques pénales ou extrajudiciaires qui poursuivent le même but ?

Autrement dit, au-delà de la peine de mort, quelle place est laissée aux autres peines capitales et

93

Olivier MILHAUD, Séparer et punir. Une géographie des prisons françaises, Paris, CNRS éditions, 2012. 94

Emmanuel TAÏEB, « Le débat sur la publicité des exécutions capitales. Usages et enjeux du questionnaire de

1885 », Genèses, n° 54, mars 2004, p. 142. 95

Jean-Claude FARCY, « La peine de mort en France : Deux siècles pour une abolition (1791-1981) », op. cit. 96

Voir l’explication de l’échec des débats de 1908 : Jean-Claude FARCY, « La peine de mort : pratique judiciaire

et débats »,op. cit. 97

Michel FOUCAULT, « Contre les peines de substitutions », Libération, 18 septembre 1981.

18

éliminatrices ? Dans le cas d’un système pénal qui connaît l’abolition, que deviennent ces mêmes

peines, comment sont-elles appliquées, à quels crimes, dans quelles proportions ? Au final, replacer

les usages de la peine de mort et l’abolition dans un arsenal pénal doit permettre de mieux apprécier

leurs effets et leurs fonctions, de mieux les resituer aussi. Un rapide survol historique permet de

constater que la peine de mort n’est pas la seule peine capitale en droit, elle n’est pas non plus la seule

peine capitale en fait, et il existe des pratiques de contournement de l’abolition.

La peine de mort n’est généralement pas la seule peine capitale dont le juge dispose pour

retrancher un membre de la communauté. D’autres peines produisent les mêmes effets, à savoir le

retranchement définitif du criminel du corps social, à la seule différence que la perte de la vie est

différée mais reste la conséquence de la peine choisie. Comme l’explique l’Encyclopédie méthodique,

une peine capitale est une peine « qui emporte mort naturelle ou civile »98

, c’est-à-dire qui provoque la

mort physique (à plus ou moins long terme) ou sociale immédiate du condamné. Doivent être rangées

dans la catégorie des peines capitales celles qui privent perpétuellement de la liberté ou des droits du

citoyen. Pour l’ancien droit, Daniel Jousse en compte cinq : « la mort naturelle, le bannissement à

perpétuité hors du royaume, les galères perpétuelles, et la réclusion à perpétuité en un hôpital, ou

maison de force », ainsi que « la peine d’être trainé sur la claie, et toute autre condamnation contre le

cadavre, ou contre la mémoire d’un défunt »99

. C’est là une position partagée par la doctrine pénale

classique : Farinacius rappelle que la peine capitale ne s’entend pas seulement de la peine de mort,

mais peut s’entendre aussi de la mort civile, et de la peine de la déportation ou de la relégation quand

elles sont perpétuelles100

. Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, il y a donc bien d’autres moyens

que les spectaculaires chaudrons, barres de fer, chevaux, bûchers, épées et cordes pour administrer la

mort légale. L’éloignement à vie du royaume qui oblige, en théorie, le condamné à quitter ses réseaux

familiers de relation, le pousse à vivre une vie d’errance nécessairement courte : « Isolé, il perd ses

amis, c’est-à-dire ses défenseurs et ses protections »101

. S’il échappe à la mort, une vie de voleur, de

bande, de récidiviste s’offre à lui, le plus souvent terminée par une dernière sentence capitale. De la

même manière, par définition, la condamnation aux galères ou à la réclusion à vie entraîne la mort du

condamné, qui survient, là encore, assez rapidement102

. C’est replacée dans ce système des peines

capitales, dans cette économie de l’exclusion définitive, que la pratique des supplices peut alors être

mieux appréciée.

Même si au XIXe siècle le terme de peine capitale ne semble valoir que pour les peines qui

« privent de la vie »103

, le code pénal de 1810 n’est pas non plus étranger à la diversité des peines

capitales entendues dans un sens large : la mort par décapitation (article 12), les travaux forcés à

perpétuité (articles 15, 16, 18), ou encore la déportation (toujours prononcée à perpétuité, article 17),

les deux dernières peines emportant, d’ailleurs, la mort civile. Carnot doutait déjà de la conservation

dans l’arsenal pénal de peines perpétuelles au motif que le condamné n’a « pour toute perspective

qu’une agonie lente, et toutes les angoisses du désespoir »104

. Pourtant, le recours aux peines

perpétuelles est aggravé en 1832 par la création de la réclusion perpétuelle. Il l’est aussi alors même

qu’il s’agit de restreindre le champ d’application de la peine de mort : la peine de mort en matière

98

Encyclopédie méthodique, Jurisprudence, Paris, Panckoucke, 1786, t. 6, verb. « Peine », p. 521. 99

Daniel JOUSSE, Traité de la justice criminelle de France, Paris, Debure, 1771, t. 1, p. 36. 100

Prosperus FARINACIUS, Praxis et theoricae criminalis, Lyon, 1634, première partie, tome premier, p. 245 ssq. 101

Claude GAUVARD, « Préface », Hanna ZAREMSKA, Les bannis au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1996, p. 13. 102

Jacques-Guy PETIT, Nicole CASTAN, Claude FAUGERON, Michel PIERRE et André ZYSBERG, Histoire des

galères, bagnes et prisons, XIIIe–XX

e siècles, Toulouse, Privat, 1991, p. 103 : il y a un fort taux de mortalité dans

les galères royales, car près d’un forçat sur trois meurt au cours des trois premières années de sa peine. 103

Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence en matière de droit

civil, commercial, criminel, administratif, de droit des gens et de droit public : jurisprudence générale, Paris,

1855, t. 35, p. 560. 104

Joseph-François-Claude CARNOT, Commentaire sur le Code pénal, op. cit., t. 1, p. 41.

19

politique abolie en 1848 est remplacée, en 1852, par la déportation dans une enceinte fortifiée, peine

plus sévère que la déportation simple car elle organise un régime de surveillance plus strict. Il l’est

enfin par la création de la relégation, le 27 mai 1885, peine complémentaire qui frappe les criminels en

état de récidive et les contraint à finir leur vie d’abord dans les colonies, puis, à partir d’une loi du 23

septembre 1946, dans des prisons métropolitaines105

. L’ordonnance du 4 juin 1960 simplifie le

système des peines en ne laissant subsister que la réclusion criminelle et la détention criminelle à

perpétuité. D’une manière concomitante le recul de la pratique de la peine de mort et celui des crimes

frappés de mort s’accompagnent d’un renforcement des peines perpétuelles et des mesures de sûretés,

tout aussi perpétuelles, ou en tout cas indéfinies. C’est notamment le cas des États-Unis où la

perpétuité réelle (Life without parole) est une autre peine de mort en ce qu’elle est une peine

éliminatrice, même si récemment elle a été écartée pour les mineurs106

.

En France, la perpétuité s’entend de peines possiblement perpétuelles, ou plus exactement

indéfinies, c’est-à-dire dont le terme, du fait de mécanismes de reconduction et de poursuite de la

peine, demeure incertain et peut s’étendre ad mortem107

. Depuis l’abolition, d’ailleurs, le régime de la

perpétuité ne cesse de se renforcer pour atteindre une forme de « perpétuité réelle »108

. De la loi n° 86-

1019 du 9 septembre 1986 (qui instaure une période de sûreté de trente ans en cas de condamnation à

perpétuité pour certains crimes) , à la loi n° 94-89 du 1er février 1994 (qui crée la période de sûreté

incompressible lorsque la victime est un mineur de quinze ans et que l'assassinat est précédé ou

accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie), jusqu’à la loi du n° 2011-267 du 14 mars

2011 (qui étend les dispositions de la loi précédente à l'assassinat commis sur un magistrat, un

fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de

l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de

l'exercice ou en raison de ses fonctions), la perpétuité, même limitée à quelques cas, ne cesse de

s’aggraver et devient un levier de rétablissement de peines effectivement éliminatrices.

La perpétuité pose donc question dans le sens où elle est aussi une « neutralisation à vie des

criminels »109

. En effet, si juridiquement les peines perpétuelles ne semblent pas remises en cause

parce qu’elles seraient, au regard des modalités d’exécution, conformes à l’article 8 de la Déclaration

des droits de l’homme et du citoyen, à savoir « des peines strictement et évidement nécessaires »110

, ou

parce qu’elles ne constitueraient pas, toujours en fonction des modalités d’exécution, un traitement

inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme111

,

105

Sur la relégation : Jean-Lucien SANCHEZ, La relégation des récidivistes en Guyane française. Les relégués au

bagne colonial de Saint-Jean-du-Maroni, 1887-1953, thèse dact., ÉHESS, 2009 ; Hinda HÉDHILI, « Relégation

collective ou individuelle : une condition juridique spéciale pour les récidivistes, XIXe-XX

e siècles », Jean-Pierre

ALLINNE et Mathieu SOULA (dir.), Les récidivistes…, op. cit., p. 169-184, Estelle SIMONNEAU, La loi du 27 mai

1885 : l’amendement par l’exclusion, mémoire dact., Master 2 Agen et ENAP, 2010. 106

Arrêt de la Cour suprême du 25 juin 2012 n° 567-US-(2012), Miller c/ Alabama, voir AJ Pénal, 2012, p. 607.

Plus généralement sur la position de la Cour suprême sur la peine de mort : Wanda MASTOR, « La Cour suprême

des États-Unis est-elle abolitionniste ? », Gazette du Palais, 3 septembre 2011, n° 246. 107

Pour un état de la question aujourd’hui voir : Yannick LÉCUYER (dir.), La perpétuité perpétuelle. Réflexions

sur la réclusion criminelle à perpétuité, Rennes, PUR, 2012. 108

Martine HERZOG-HEVANS, « La perpétuité plus réelle qu’auparavant : le durcissement continu de l’exécution

de la peine de réclusion criminelle à perpétuité », Yannick LÉCUYER (dir.), La perpétuité perpétuelle…, op. cit.,

p. 51-68. 109

Denis SALAS, « Abolir la prison perpétuelle », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, p. 174. 110

Sur la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de 30 ans : CC, Décision n° 86-215

DC du 03 septembre 1986. Sur la perpétuité réelle : CC, Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994 ; Décision

n° 2011-625 DC du 10 mars 2011. 111

CEDH, 30 mars 2009, n° 19324/02, Léger c/ France ; CEDH, 12 févr. 2008, n° 21906/04, Kafkaris c/

Chypre (dans les deux causes la perpétuité n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme,

et à son article 3, parce qu’il existe des mécanismes permettant d’étudier périodiquement la situation du détenu

20

dans la pratique elles posent un certain nombre de problèmes liés à leur spécificité. L’appel des dix

« emmurés vivants » de Clairvaux du 16 janvier 2006 montre à voir l’un des effets de la perpétuité : le

manque de « perspective effective de libération » qui donne l’impression « de mourir à petit feu » et

qui dans cet appel se traduit par une demande spectaculaire de rétablissement de la peine de mort.

Comme le relève Anne-Marie Marchetti dans ses travaux sur les perpétuités, « l’idée de finir ses jours

en prison est désespérante », autrement dit, les condamnés, suivant leur âge et leurs dispositions

sociales ne reçoivent pas la peine de la même manière, ni ne la subissent de la même manière, mais la

perspective d’une peine extrêmement longue voire indéfinie peut être vécue comme une véritable

élimination sociale112

. Les mêmes réflexions valent bien évidemment pour la rétention de sûreté dans

ce qu’elle a d’indéfini113

. Comme le notait Michel Foucault à la veille de l’abolition, la question n’est

pas seulement celle de la disparition de la peine de mort, mais aussi celle de la pratique et des usages

des peines éliminatrices qui révèlent finalement une représentation dominante de certains crimes

regardés comme atroces et certains criminels regardés comme monstrueux et incurables. C’est bien

souvent dans la question de la récidive et des représentations qui lui sont liées que se logent les restes

d’une défense des peines éliminatrices.

La peine de mort n’est pas, non plus, la seule peine capitale en fait : même si elles ne

poursuivent pas le but d’exclusion perpétuelle, certaines peines du fait de leur durée, de leur dureté, en

un mot de leurs conditions d’exécution, aboutissent pourtant à ce résultat. La prison, les galères à

temps, les dépôts de mendicité de l’ancien droit n’offrent qu’une maigre perspective de survie. La

prison et le bagne depuis le Moyen Âge sont tout aussi mortifères. De nos jours, même à temps la

prison peut parfois être vécue et ressentie comme une peine d’exclusion définitive : le 5 janvier 2013,

une détenue âgée de 73 ans a mis fin à ses jours en s’immolant par le feu dans sa cellule de la prison

de Joux-la-Ville, alors que sa peine devait s’achevait en 2019, pour ses 80 ans. La perspective de

mourir du fait de la prison a pu être vécue comme insupportable. Plus généralement, certaines

modalités d’exécution de la prison sont parfois vécues comme inhumaines, voire extrêmes dans leur

ambition d’élimination. Aux États-Unis, la pratique du solitary confinement est vécue, selon les

propres mots des détenus, comme une peine de mort vivant (living death)114

.

Enfin, les pratiques sont nombreuses pour contourner le juge et/ou l’abolition selon les

époques concernées. Des éliminations sans procès faites ou non au nom de la raison d’État (dans un

cadre policier ou militaire), à la vengeance des victimes ou de leurs proches sur l’auteur du crime,

jusqu’à la qualification de crimes manifestement politiques en crimes de droit commun pour leur

appliquer la peine de mort. Inversement, les opportunités pour échapper légalement à la peine de mort

existent comme la procédure de fait mandé en vigueur par exemple dans les villes flamandes du

Moyen Âge avant de disparaître au XVIIIe siècle115

. Les questions sur l’histoire des exécutions

publiques ne peuvent s’affranchir de cette autre histoire qui montre comment elles sont esquivées pour

favoriser d’autres formes d’éliminations, notamment dans le champ des crimes politiques. Cette

afin de le libérer). Voir en dernier lieu : CEDH 17 janv. 2012, n° 66069/09, Vinter et autres c/ Royaume-Uni.

Même interprétation : CCass crim, 20 janvier 2010, 08-88.301. 112

« À plusieurs voix sur Le temps infini des longues peines », Mouvements, 2002/1, n° 19, p. 156. Plus

généralement : Anne-Marie MARCHETTI, Perpétuités. Le temps infini des longues peines, Paris, Plon, 2001. 113

Pour un point sur les analyses de la rétention de sûreté : Jérôme FERRAND, « Vous avez-dit rétention de

sûreté ? La victoire posthume de Saleilles et les préventions de la doctrine pénale française à l'encontre du

positivisme », L’IRASCible, Les éclaireurs du pénal, n° 3, 2012, p. 193-233. Plus généralement, sur la

dangerosité : Jean DANET, « La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante », Champ

pénal/Penal field, Vol. V, 2008. 114

Lisa GUENTER, « The Living Death of Solitary Confinement », New York Times, 26 août 2012. 115

Aude Musin

21

catégorie indéfinie a longtemps autorisé nombre d’usages pour déployer la peine de mort. 116

.

L’abolition de la peine de mort en matière politique n’a pas pour autant mis totalement fin à ces

pratiques. Le cas exemplaire réservé entre 1890 et 1914 aux attentats anarchistes doit ici être relevé117

.

Le soubassement politique de ces divers attentats est suffisamment explicite et ne fait évidemment

aucun doute, sans pour autant qu’il soit pris en compte dans la qualification juridique des faits. Ils ne

sont pas regardés comme portant atteinte à un système politique ou contre une forme particulière de

gouvernement, mais contre « les bases de toute organisation sociale »118

. Autrement dit, ils viseraient

d’abord les personnes et les propriétés119

. De fait, l’exclusion par la jurisprudence et la doctrine des

attentats anarchistes du champ des crimes politiques est partie prenante d’une définition restrictive de

ce que sont les crimes politiques. Au final, c’est la notion même de crime politique qui est remise en

cause, car elle se trouve particulièrement restreinte. L’explication juridique doit être rapportée à la

position des juristes (magistrats et professeurs de droit criminel) qui se voient comme les « gardiens

du temple » de l’ordre politique et social. Comme le note René Garraud, il s’agit, pour eux, de

« protéger la société attaquée, dans ses principes vitaux, par de nouveaux barbares »120

. Dans ces

conditions, le recours aux peines de droit commun, et donc à la mort, s’explique à la fois par

l’ambition de déployer une pénalité exemplaire et de disqualifier les attentats anarchistes en les privant

de leur portée politique. On le voit, l’abolition de la peine de mort en matière politique n’a pas entraîné

une abolition de la peine de mort pour tous les crimes politiques : l’interprétation des crimes et du

code pénal doit être rapportée au contexte politique et social qui lui donne sens, en sorte que le

contournement de l’abolition reste toujours possible dès lors qu’elle n’est pas absolue. Le cas

particulier du traitement pénal des attentats anarchistes montre plus généralement que la peine de mort

et son abolition ne sauraient être comprises sans un retour réflexif sur les contextes politiques et

sociaux dans lesquels elles prospèrent, sans les rapporter à leur cadre de pratiques, aux usages qui en

sont faits, aux représentations dominantes qui conditionnent les discours politique, juridique et

historique qui leur sont appliqués, bref, sans les replacer dans un ensemble de déterminants qui, s’ils

sont objectivés, permettent de mieux les comprendre.

À l’issue du cheminement proposé ici, on pourra réaffirmer combien le lien est étroit

entre la peine capitale (tolérée, rejetée, acceptée) et la construction de la souveraineté étatique

multiscalaire (selon les époques). Si le projet était mené à bien, il permettrait de « boucler la

boucle » avec le précédent programme qui travaillait plus largement au cadre politique de la

gouvernance des hommes à travers l’intrusion de la justice d’État autoritaire (Aquitaine-

Espagne) au plus près des sujets, citoyens et justiciables en devenir, malgré mais aussi grâce à

certaines dynamiques de résistances d’ordre juridique, procédural et institutionnel.

4- UNE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE (voir aussi le tableau des partenariats infra)

116

Pour un exemple : Jean-Christophe GAVEN, Le crime de lèse-nation. Histoire d'une brève incrimination

politique (1789-1791), thèse dact., Histoire du droit, Toulouse 1, 2003. 117

Vivien BOUHEY, Les anarchistes contre la République, 1880 à 1914. Contribution à l'histoire des réseaux

sous la Troisième République, Rennes, PUR, 2008 ; Jean MAITRON, Ravachol et les anarchistes, Paris,

Gallimard, 1992. 118

Georges VIDAL, Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1921, p.

108. 119

René GARRAUD, L’anarchie et la répression, Paris, Librairie du Recueil général des lois et des arrêts et du

Journal du palais, 1895, p. 7. 120

René GARRAUD, L’anarchie et la répression, op. cit., p. 14.

22

Notre réflexion s’inscrit à la croisée de différentes disciplines : histoire-droit-archéologie-

anthropologie juridique- histoire politique- histoire de l’art-littérature-philosophie. En effet, ce projet

ne peut être mené à bien s’il n’investit pas une approche du sujet par les images et par les textes

(archives de la pratique judiciaires-coutumes, lois, statuts, littérature etc.) et s’il n’intègre pas les

données d’archéologie et d’anthropo-archéologie.

L’anthropologie est largement présente par ses apports sur l’étude des rituels, aidant en cela

les historiens à les repenser dans les sociétés du passé, tout en s’appuyant sur une autre tradition

consacrée aux travaux sur le corps. Plus encore, l’anthropologie dite juridique est incontournable pour

comprendre la place du droit dans l’essor de la peine de mort, des lieux d’exécution et des acteurs

autant que dans leur disparition plus ou moins annoncée.

L’histoire des idées, le rôle des théologiens, des moralistes et des philosophes intègre la

réflexion sur le débat généré par l’apprivoisement ou le refus de la peine de mort en Occident chrétien.

En France, elles inspirent notamment les recherches de politistes qui s’interrogent sur l’histoire des

sensibilités à la violence et au spectacle judiciaire. Dans sa thèse publiée chez Belin en 2011,

Emmanuel Taïeb revient ainsi sur le processus de civilisation qui encadrerait le retrait de la publicité

de la peine de mort, de son exposition publique, à sa pratique dans les murs des prisons, à l’abri des

regards des spectateurs. Cette approche socio-historique met en relief les luttes de sens qui se nouent

au pied de l’échafaud, car ce spectacle n’est pas reçu de manière univoque par les spectateurs. Cette

lutte de sens qui impriment diverses appropriations semble aux yeux des autorités dangereuses, surtout

quand elles croient que ces spectacles sanglants, loi d’édifier les « foules », les pousseraient en fait au

crime. Contrôler le spectacle judiciaire, en le cachant dans les murs d’une prison, est alors un enjeu

politique fort : ce retrait du spectacle judiciaire montre l’ambition de contrôle total du spectacle en

question mais aussi du sens à lui donner. Il n’y a plus, comme au Moyen Âge et à l’époque moderne,

qu’un seul producteur de la peine de mort, dès lors que le « public » n’est plus directement associé :

l’État et sa justice. Cette perspective sera effectivement prise en compte dans notre projet de recherche

parce qu’elle participe à révéler l’un des points de tension que ce projet veut mettre en lumière à

propos de l’histoire de la peine de mort : son caractère malléable, incertain, voire dangereux pour

l’autorité publique qui le produit et qui cherche à en dominer le sens.

La géographie des espaces est la discipline qui aide à repenser l’exclusion en terme spatial et

les travaux d’Olivier Milhaud à partir des prisons françaises sont fondamentaux, venant à l’appui des

travaux récents de médiévistes ayant réfléchi aux logiques d’exclusion par l’enfermement dans des

espaces (clos ou ouverts) y compris en milieu monacal et pas seulement carcéral.

Il faut ajouter à cela une approche globale par le genre pour deux raisons : d’abord parce que

cela fait partie de la spécialité et des compétences professionnelles de l’un des porteurs (M.

Charageat121

) ; ensuite parce qu’on ne peut plus questionner les sociétés du passé en faisant

l’économie d’une approche des ressources et des stratégies déployées au masculin et au féminin,

même si les artistes, les magistrats et les législateurs sont exclusivement des hommes. La mort, le

crime et le châtiment ne sont pas l’apanage des rôles sociaux ou des représentations et des valeurs

culturelles dites masculines. Interactions et acculturation sont parmi les moteurs de cette approche. De

fait, le projet envisage une approche genrée, en ayant recours à l’image (enluminures, gravures, etc.),

aux textes, mais également aux données archéologiques. Si les sources écrites semblent confirmer que

la pendaison est une peine essentiellement dévolue aux hommes, les représentations figurées tendent à

prouver que les fourches patibulaires sont également des lieux d’exécution pour les femmes et, parfois,

constituent leur dernière demeure. À l’aune des progrès en archéo-anthropologie et archéothanatologie,

121

Cf biblio en annexe

23

il devient plus aisé de re-discuter le recrutement des populations inhumées dans un espace (estimation

de l’âge au décès, détermination du sexe, pathologie, etc.), et, conséquemment, de faciliter une

approche genrée122

. Les images nous emmènent encore plus loin dans la réflexion sur le genre : si elles

racontent la force de la peine de mort, sa perception (entre apprivoisement et peur), la représentation

des exécutions, elles témoignent de l’absence fréquente des femmes dans le public (spectateurs) et une

vision sans doute très masculinisée de cette expression du pouvoir et de la justice.

APPLICATION ET CRÉATION D’OUTILS NUMÉRIQUES

Criminocorpus123

: Revue hypermedia. Histoire de la justice, des crimes et des peines. Possibilité de

mettre en ligne des bibliographies thématiques et par périodes. Éditions de sources en ligne, de

dossiers pour la revue du même nom, d’y inscrire l’actualité de la recherche, de tenir un blog sur la

réalisation du projet, d’y annoncer les manifestations et diffuser des appels à contribution.

L’avantage : on peut toucher des gens de disciplines différentes et hors de France.

Clio & Crimen : revue en ligne a large diffusion associée au Centre d’histoire du crime de Durango

(université de Vitoria) ; un colloque international se tient par an sur des thématiques de violence,

criminalité et justice. Le prochain a lieu les 6 et 7 novembre 2014 Homo homini lupus: los delitos

contra las personas / de violencia en la Historia”. Dir. Inaki Bazan Diaz.

Création d’une base de donnée (GI.B.EX-Gibet /Bourreaux/Exécutions ) dans le cadre du projet. Le

projet numérique prend la forme d’un corpus contenant les données archéologiques, textuelles et

iconographiques portant sur l’architecture et la localisation des gibets, mais également sur les

bourreaux à partir du Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine. Les données textuelles sur ces

derniers permettront d’établir une prosopographie, alors que les images, en tenant compte des

contraintes iconologiques mais aussi de temps, d’espace et de nature des supports, amèneront à

réfléchir au sujet en termes de représentations. La base de données sera réalisée au sein d’Ausonius, en

partenariat avec Nathalie Prévost ; l’objectif étant d’obtenir l’hébergement du site en ligne sur le TGIR

huma-num. La constitution se ferait en collaboration avec les chercheurs des instituts français et

étrangers prêts à collaborer (+ mémoires de master). Le travail des membres de l’équipe sera complété

par une enquête générale auprès des chercheurs français et étrangers afin que chacun dépose

volontairement l’information concernant les données. La base de données est structurée en vertu des

métadonnées attendues pour une exploitation internationale et interdisciplinaire, elle sera interopérable

et doit bénéficier d’un archivage sur long terme. La mise en route de la base suppose un financement

adapté (contrat de recherche ou postdoctorat).

TYPES D’OPÉRATIONS DE RECHERCHE ENVISAGÉES

2016-2020 : constitution et essor de la base de données.

Workshops : classés en deux axes

- axe 1 : pour servir au recensement des sources disponibles, à la mise au point des métadonnées afin

de construire la base de donnée, impliquant des rencontres avec des partenaires étrangers (Allemagne,

Angleterre, Tchéquie) pour des confrontations de données, échanges méthodologiques + analyses des

122

Voir, par exemple, Bruzek J. (2002), « A method for visual determination of sex, using the human hip bone »,

American Journal of Physical Anthropology, 117, p. 157-168. 123

Le dernier colloque (23-24 janvier 2014-MSHA) sur les fourches patibulaires sera publié en ligne sur ce site

avec l’accord unanime du comité scientifique.

24

résultats sur le sujet des bourreaux, des fourches patibulaires et des sépultures atypiques (hors espace

autorisé)

- axe 2 : Un par an, inséré dans l’organisation de séminaires de master : un ou deux auteurs sont

invités à présenter leurs ouvrages ou recherches en cours sur l’histoire de la peine de mort. Un

discutant doit choisi parmi les porteurs du projet doit à la fois présenter la problématique de la journée,

discuter les textes des auteurs, et animer les débats. Ces séminaires auront pour point commun

d’interroger l’histoire de l’abolition, l’histoire de l’élimination pénale, et les modalités de la peine de

mort, à travers des recherches historiographiques, de type anthropologique, portant sur les

représentations, sur les rituels, sur la réception, ou la production. L’idée, ici, est de confronter les

savoirs dans la perspective de décloisonner l’histoire de la peine de mort : ouvrir à l’interdisciplinarité,

mettre la peine de mort en connexion avec d’autres modalités de l’élimination pénale (l’abolition

n’étant jamais synonyme de la fin de l’élimination pénale).

Colloques + publication des actes.

2016-2017 : Un colloque international et interdisciplinaire de deux jours (+ publication) portant sur la

production et la réception des exécutions publiques (hors peine de mort). Il s’agira d’interroger les

divers rituels, leurs fonctions, leurs évolutions en prenant soin d’interroger la place du corps en tant

qu’objet de contraintes pénales et vecteur d’une pédagogie pénale. C’est donc à la fois les moyens, les

fins, et les effets d’adhésion ou de résistance qui doivent être analysés.

2017-2018 : 2016-2017 : Colloque + publication sur la gouvernance des corps (suppliciés, morts,

exposés, cachés) produits par la justice (avec l’accent mis sur la mise à distance des condamnés et la

punition par l’espace ou une géographie de la peine).

2018-2019 : Deux journées d’études portant sur les modalités des diverses peines éliminatoires : le

bannissement, les galères, les peines perpétuelles (réclusion, détention, travaux forcés, relégation,

transportation). Il faut pouvoir arriver à 1. Mieux connaître ces diverses pratiques, avec une attention

portée, comme pour la peine de mort et les exécutions publiques, à la production et à la réception de

telles peines (1ère

journée) ; 2. À mettre en relation l’histoire de ces peines avec celle de la peine de

mort, ce qui n’est pratiquement jamais fait (2ème

journée qui vient ici compléter les workshop).

Projet d’ouvrage collectif hors colloque.

2016-2018 : appel à contributions et publication avec comité scientifique de lecture sur le thème

suivant : Du sort des bourreaux du Moyen Âge à nos jours.

BUDGET PRÉVISIONNEL 2016-2020.

Frais de colloques et workshop: 25000 euros

Frais d’édition : 18000 euros

Frais de numérisation de documents et d’encodage dans la base (contrat de recherche sur deux ans) :

35000 euros

Frais de mission : 10000 euros

PARTENARIATS + CO-FINANCEMENT ACQUIS OU ATTENDUS :

Local NOM INSTITUTION CO-FINANCEMENT

Histoire

archéologie

Lavaud Sandrine

Jeancourret

Ézéchiel

Ausonius

Bordeaux Montaigne

Projet-région Aquitaine

Acquis mais montant

à définir

Histoire Charageat Martine Ausonius LABEX-archéologie

25

Mathieu Vivas

(Postdoctorant)

En programmation (2015)

Anthropo-

archéologie

Dominique Castex PACEA-A3P En attente

Histoire du

droit

Soula Mathieu-

Nader Hakim

UPPA–Bordeaux Montesquieu-

CAHD (centre aquitain d’histoire

du droit )

Acquis : 1500 euros minimum sur 5 ans.

National

Littérature Bernard Ribémont Université Orléans

Suite projet ANR Juslittera Acquis : Projet région

Centre

15000 euros

Droit et

sciences

politiques

Béatrice Fourniel Albi-Centre Toulousain d’Histoire

du droit et des idées politiques

En attente

Sciences

politiques

Emmanuel Taïeb ENS Lyon Université Lyon 2-

TRIANGLE UMR 5206

En attente

Geographie Olivier Milhaud Université de Paris Sorbonne En attente

Histoire de

l’art

Cécile Voyer CESCM - Poitiers Accord de principe

Montant à définir

International

Casa de

Velazquez

MADRID En attente pour cause

de changement des

axes de la politique

scientifique en 2015

Histoire Iñaki Bazán Díaz Université de Vitoria –Centre

d’histoire de la criminalité en

Espagne médiévale de Durango

Acquis : 4000 euros

Histoire Aude Musin

Postdoctorante

Université de Louvain-Centre

d’histoire du Droit et de la justice

En attente

Histoire Andrea Zorzi Université de Florence En attente

Littérature Catalina Girbea Université de Bucarest En attente

archéologie Pavlina Maskova

Doctorante

Université de Prague Acquis : montant et

modalités à

déterminer

archéologie Daniel Wojtucki

Doctorant

Université de Wroclaw

Tableau récapitulatif de l’implication des chercheurs dans le projet :

Nom du laboratoire / de

l’équipe

Nom, prénom

de la personne

Qualification

Enseignant chercheur

/ chercheur / doctorant

/ ingénieur /

technicien /

administratif

Adresse électronique % du temps

consacré par

le personnel

au projet

AUSONIUS-UMR 5707

L’ordre du monde

CHARAGEAT

Martine

EC [email protected] 60 %

26

(coord de l’axe)

AUSONIUS-

UMR 5607 (Gestes

techniques, gestes rituels,

pratiques sociales)

VIVAS

Mathieu

Postdoctorant

<[email protected]

>

80%

CAHD-Bordeaux

Montesquieu

SOULA

Mathieu

EC <[email protected]> 45%

Université Orléans-Polen-

CESFIMA

RIBÉMONT

Bernard

EC <bernard.ribemont@univ

-orleans.fr>

20 %

CESCM (Poitiers)

UMR 7302 (signes forme et

représentations)

VOYER,

Cécile

EC <[email protected]> 30 %

Université de Vitoria-

Centro de historia del

crimen (Durango)

BAZAN DIAZ,

Inaki

EC <[email protected]> 20%

Université de Bucarest

CESCM UMR 7302

(communication et

propagande XII-XIII)

GIRBEA

Catalina

EC <[email protected]

r>

20%

Université catholique de

Louvain

INCAL (institut des

civilisations, arts et lettres)

MUSIN Aude Postdoctorant

e

<Aude.Musin@uclouvain

.be>

20 %

Université de Prague

Centre d’études médiévales

MASKOVA

Pavlina

doctorant <Pavlina.Maskova@sezn

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