derrida - ocelle comme pas un (préface à l'enfant au chien-assis de jos joliet)
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5/11/2018 Derrida - Ocelle comme pas un (pr face L'enfant au chien-assis de Jos Joliet) - slidepdf.com
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jos joliet
DU MBME AUTEURi
i
aux editions Robert Morel
L' orage a la campagne
Le repas d'os
I'ai mort
l'enfant
au chien ..assis
p r e c e d e d eo ce lle co mm e p a s u n
par j a c q u e s derrida
editions galilee
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A - I - r ~ II110 ....L . n
OCELLE COMME PAS UN
ce jour
Tous droitsde traduction, de reproduction,
et d'adaptation reserves pour tous paysy compris I'U. R. S. S.
e Editions Gali'iee
9, ru e Linne, 75005 Paris
ISBN 2~7186~0158-2
...ne plus savoir 0 1 1 . se mettre et je pense a uneloi : l'energie d'une apostrophe se reconnait a cecitoujours qu'elle te provoque t a O U tu ne sais plus
des l'envoi oa te mettre.L a ou L'enfant me parle comme pas un.L a ois ? Mais alors la, qu'est-ce que cela veut
dire? 0 1 1 . est-ce que ce la prend place puisquef a oii I'autre arrive a toi, f a ou I'autre te joint,toi-meme par l' adresse a toi-meme ajointe, faoa joint tu aurais lieu tu ne sais plus 0 1 1 . temettre? Tu ne sais plus ou te mettre paree quesoudain viole par l'apostrophe, tel jour et sous
ce jour tu entrevois le secret : a savoir, si onpeut dire, que tu sais a peine d'ois te vient ton
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nom, qui te mande, comment tu t'appelles et
qui dispose de ton iden tite : questions de nais-
sance et de sang, imbroglio des filiations quand
s'y croisent tant de genes, a travers des gene-
rations de gents, gentils et autres, la genetiqueet la genealogie.
Entre ces deux dernieres la vue se trouble et
La distinction fait deiaut, Le partage s' efface
entre la nature (au sens O U l'on parle d'un
enfant naturel et non Legitime) et tous ses autres
(fa societe, la loi, la culture, l'ordre familial, le
langage attitre qui decide, legitime, exclut,
atteste). Or c'est a l 'instant de cette violence,
quand l' apostrophe t' appelle au corps sans te
legitimer, c' est sous ce jour que tu ne sais plusou te mettre, tu te sens unique, pas un mais
unique et tu te demandes si cela, un jour, d'un
jour n' arrive a toi que pour te fa ire sortir de
ta retraite et t'en couper toute autre, et si cela
n'arrive qu'a toi.
C'est arrive deja, tu ne sais plus comment
parer, et le savoir serait encore parer.
L'apostrophe initiale t'a deniche d'un mot oi:
tu tecroyais en ton secret le mieux protege.
Ce mot (est-ce encore un nom? Pas si sftr entous cas, et pas un seul} ie ne sais toujours
pas au juste quel it est. Je le soupconne mais
sans doute renoncerai-te a ['etablir seance
tenante, l'hypothese est toujours plus eijicace.
Car ce livre, tout ce que j'en ai lu ou entendu
me reste enigmatique a mesure que ie crois
m'approcher de son secret ombilical. Je l'aime
d'une admiration qui se tient a distance respec-
tueuse d'un n on -d it [ ai sa nt tableau. Je pourrais
en parler pendant des steeles, et t re s s av ammen t,sans cesser de tourner autour du hieroglyphe. A
quoi bon? Lisez. Si j'ai dit deniche, c'est pourinitier, J'ai fait signe vers le haut et vel'S un
chien, plutot vel'S une constellation de chiens
qui n' aboient pas et qui n' habitent pas : ils
nichent au-dessus, Us veillent de tres haut sur
une espece de maison, Us jigurent le tres-haut
d'une mat son . Entendez ce dernier mot dans Ie
sens aussi de « [amille » .' fa domesticite, l 'eco-
nomie, le tinge sale et la lingerie, le propre et
fa lignee, les Iits au l' armoirie. lls veillent, ces
emblemes cyniques, depuis le toit et c'est pour-quoi j' ai dit protege.
II s'agit, sache-le, d'une histoire de toit.
Toit, le meme toit SOllS lequel, tel jour, if y
alia de ta naissance, SOllS (toujours sous, tou-
[ours sous-jacente) le signe et sous le=regn« de
ces chiens assis. La fut concu L'enfant, et .\aI18
pere, sans un qui ose dire son nom, au-dessus
de fa « lingerie », dans un « grenier ». On y
accedait par une echelle et ce grenier [ut « aveu-
gle », « sans [enetre, ayant. juste le jour dequatre chiens assis, au milieu du toit recouvertpar-dessous de laine de verre ».
Savez-vous ce que veulent dire des chlens
assis, et l'expression de chiens assis ? Il [audra
les interroger mais retenons pour l'lnstant que
des chiens assis au-dessus d'un toit laissent passer
fa lumiere, ce sont des especes litteralement de
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LVCARNES et ce mot tout a coup me terrijie,
comme un nom de dieux vengeurs et iniernaux,
destinees aiiamees, sanguinaires et se lechant les
babines.
Toit au-dessus duquel ces quatre chiens sontimmobiles, impassibles et muets comme des [uges,
Us signiiient sans ouvrir la gueule, its siegent,
Us se tiennent sur leur seant, non pas dans un
lit mais au-dessus d'un lit. Ils n'ont pas de tete,
ce son t des lucarnes, on ne sait pas s'ils regar-
dent au-dedans au au-dehors, aveugles aussi ne
laissant passer que le jour du jour ois quelque
chose arriva, qui sous leur signe [ut toi. Ces
statues transparentes veillent a l' entree sur I' hon-neur des families et les maledictions de fa race,
jroidement, comme un titre de verre (tout ce
qui protege est de verre, a commencer par La
laine). lis montent la garde a hauteur de [amille,
c' est fa police du nom.
La seance de ces chiens fait peur.
Elle aura laisse dire - et tu - ce qu' elle
a tenu d'un interdit en laisse. Le secret sera-t-il
extorque ?
Et Ie titre du livre, un phantasme tout-puis-
sant exhausse en tableau - L'enfant au chien-assis - serait Ie nom de l' enfant, comme un
ietiche royal tenu au bout d'un [il (d'un cordon
plut6t) au-dessus de sa. tete, le nom d'un enfant
qui n' en eut pas : pas un, pas d' autre. Son pere
« ne s' appelle pas » dit-il. (c' est Ie patron de
fa maison). Quand a celle _. je dis celle pour
ne pas dire encore sa mere - celle qui lui:
donna le jour, il a du mal a s'en distinguer.
Comme celle qui le met au monde, it est d'abord
multiple, le Multiple, dans le Livre I, a fa sec-
tion de « Plusieurs meres». Et quand dans le
Livre II au caul's d'une histoire apparemmenttout autre et qui en aucun cas ne fait un avec fa
premiere, celle du Livre I qui est aussi une
non-histoire, quand dans l'histoire, done, celle
qu'il appelle « ma mere »<devient unique, voici
qu'il fait un avee elle. Le « je » de fa mere et Ie
sien passent trop [acilement l'un dans l'autre :
« cette histoire ... ce n'est pas La mienne. C'est
celle de quelqu'un qui a e t e nous, ma mere et
moi , replies l 'un sur l' autre... s, « Je n ' a v a i s
jusqu' alors h e en union qu'avec elle. . . Plus vraide dire que je n'etals qu'elle ». Ie/nous : unescene exhume deux squelettes « l'un baucoup plus
grand que l'autre » imbrlques l'un en l'autre, un
crane sur un genou ... » Ce je/nous le precede et
le suit, it n' est pas un avec lui-meme pour etre un
avec Edmonde Benlott, celie qui portait le nom de
sa mere. « Je » ne fait pas un, it n'a pas de lieu
propre , it ne sa it pas oa se m ettre , il s 'app elle
depuis quatre chiens assis et tant d'autres qua-
drans disposes dans Ie recu mals if n'a pas de
carte d'identite. Iamais il=n'aura pu s'identiiier,
a lui-meme i'entends. Ils iinissent tous les deux
chez les [ous.
C'est pourquoi je dis qu' avant meme le second
Livre if s' ecrit comme pas un. Et comme pas un
if t'ecrit, car cela aura ete pour toi de la plus
grave consequence. II s' agit de ton histoire.
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L'apostrophe t'a deloge, elle t'a tire vers un
certain jour et tu ne peux plus t' en tirer tout seul .
En exposant L'enfant au chien-assis (comme on
expose un enfant abandonne sur un parvis ou
comme on accroche au murd'une galerie , en
exhibant le roman familial des bienseances, l'apo-
strophe retourne fa scene, fait irruption en pleine
seance. Et tout a coup la question « qu'es t -ce
qu'une seance, une ? » devient la performance
d'un passage a I'acte.
Et je parle de toute apostrophe, ailleurs et dans
les l ivres, quand ne sachant plus ou te mettre
d ' abord tu ne sais pas comment Ie dire d'une
langue habitable, de ce qui s'appelle ici, au
Livre II, une « langue docile » (il faut savoir
des main tenant qu'il y va de l'idiome, le plus
nouveau et Ie plus singulier, dans ce livre qui se
l ai ss e m an ce u vr er par deux langues au moins dont
l'une, fa seconde, selon l'apparence a laquelle je
ne me iierais pas trop si j' etais toi, se veut en
effet .plus « docile » que l'autre : ce changement
de regime est l'evenement dont je n'arrlverai sans
doute pas a parler et iinalement je m'en reiouis).
Ta langue msme tu l'entends plus vieille bavarde
et plus infante que iamais, quelque chose de fa
reconnaissance a lieu, ta langue, une autre mais
fa tlenne encore te reconnait avant tol, tu as
honte, tu as envie et tu iubiles, tu te sais au fond
du desastre plus aimeou mieux reiete que jamais,
delaisse plutot par une [ille-mere qui n' eut que
toi au monde. (Ie dirai peut-etre un autre jour
pourquoi, s'agissant de langue et de iille-mere, je
crois ic i a l'apocalypse, a la vertu prop rem ent
apocalyptique de cet ecrit).
II etait done une [ois, comme dans les reves de
nudite, je ne sais plus oa me mettre, on ne sait
plus ou le mettre, [e ne sait plus ou se mettre , Us
ne savent plus oii nous mettre, les maitres, les
mettre qui, oa sont-ils, ceux-ci, celles-la, qui et
qui au [uste en ce grand nombre d'insulaires , qui
sont- i ls , qui sont-elles dans I'archipel de ces
« innombrables nombrils » qui de partout ouvrent
les livres (je rappelle qu'il y en a au moins deux
dans celui-c i , j'en sa isis encore l'occasion per-
suade qu' e n fin· de compte je ne saurai rien dire
de cette enigme), de partout et du dedans desillent
les chants et Ie rec it comme des yeux , y. ouvrent
des oreilles aussi, et des bouches, des myriades
oriiicielles de sexes en tous genres, et le sphincter.
La stricture du sphincter est fa raison de tout, la
forme generale de toutes les a lle es et venues
comme « double et va-et-viente defecation s, le
mot « iiente » est une [iente aussi mais « ne crois
pas ... que tout sphincter so it anal ».
II parle et c'est .plein de centres soudain, une
plethore d'identites chacune a son tour division-
nee en sa progeniture, une proliferation instante
de lieux et d'actes de naissance, Us sont une
ioule de [ous a dire « je », une jloculatlon d'om-
bilics a echanger depuis fa precipitation accele-
rante du Livre premier, et . des cordons a tirerdans
tous les sens, une trame de lignees. Toutes les
lignes de ce texte se croisent comme les lignages
d'une naissance obscure. II ne requiert pas ses
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ancetres, ce serait trop simple, ce q u'il c he rc he
de l'ancestral aujourd'hui meme est un [oriait,
un « qui n' est pas avouable s, il cherche done
dans fa nuit, un jour, « quoi ehereher », ~a donne
une ecriture violente et dissimulee, verveuse,
puissante et inventive en son ramage, eomme
jamais signee de sang, exultante de souiirance
et retranchee pourtant vers le secret a bso lu , un e
parade poetique oscellee de blasons douloureux,
et bouleversante, sens dessus dessous fa charte
incendiee de genealogies [abuleuses oa l'UIegi-
limite devient un titre, et une naissance fa folie,
je veux dire l'insigne de noblesse a savoir decryp-
ter.
(Laisser venir le mot de ramage, a cause durameau,certes, et de fa branche, a cause du
babil qui vocalise au-dela d'un sens, a cause de
Babel et de fa confusion des langues, it cause du
chant [« L' oiseau prh it m ourir se plaint en son
ramage s, non loin d' un plumage ocelle de petits
yeux pleins de couleurs et d' arc-en-ciels chro-
mosomiques), mais surtout parce qu'en langage
de jurisprudence le ramage designe fa branche
d'un arbre genealogique. Or c'est l'un des suiets
du double livre, et de savoir ce qui se passequand le droit de dire « je », « mol un tel s,
de porter son nom comme un autre, un sujet
ne l'attend que d'un arret sentencieux, d'une
precaire et aleatoire jurisprudence.)
Et toujours c'est de moi qu'il s'agit, de mol
avant moi, et tu ne sais plus d' ou je viens ni qui
te parle, to us Us prononcent en toi avant toi, Us
te coupent le cordon - 014 te [eignent pour te le
la isser encore trainer comme une laisse a tDn
nom ou un impot sur tes vocables.
Or if t'aura fallu repondre, et comme lui tu
auras beau invoquer que/que«
irresponsabilitelinguale », tu ne peux jamaist'y refugier eomme
chez toi, d'avance tu es interpelle (prevenu),
traine devant tes juges, engage par l'initiale apos-
trophe, elle te prend, elle te laisse, et it la [ois elle
te rejette. Elle te detourne.
Moins que jamais je saurai oa me mettre aecrire , et de quel ton, et quelle pose pour ma
voix, je vous le dis tout de suite, je ne veux ni
enseigner, ni mimer, ni assister, je vous le dis le
plus sincerement possible pour une [ois, sautez,allez; sans retard vers La decouverte qui vous
attend seance tenante apres mes italiques, jene
peux rien pour toi n i pour ee texte qui fait tout
ce qu'il y a a [aire : if se pleure et se defend de
lui-meme, it s'assume et pour iinir se rejette, se
decrit par deduction de se s prop res semences, en
tous cas les cherche-t-il comme pas un, je veux
dire en equilibre sur tant de tant de cordes
ombilicales qu'il s'en tend a iaire chanter {« je
complotais une vaste melodie ...»}.
Pour se comprendre if se descend : peut-etre
en s'entendant donner unordre [« tuicide "),
aussi en vous donnant it penser depuis Ie bas
(jusqu'a fa poubelle et le travailleur immigre de
fa fin, depuis le grenier sureleve, 80US le cui des
chiens assis ou la bienseance des families a
confine L a conception d'une bdtardise), en expert
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pour tout ce qui r e l e v e d'une descendance, 1 1
savoir ce qui revient ou ne revient pas a [ 'ordregenealogique. Et je le dis tout de suite pour
gagner de la place : chaque iois qu' on evoque
fa generation, dans le double registre du genetiqueou du genealogique, entendez bien qu'avec celle
du sujet traitant de son nom propre, c'est l'auto-
biographie de la langue et de fa litterature qui se
travaille au corps.
L'enfant... m' a pousse sous les projecteurs,
it m' a expulse vers le jour en me donnant un
ordre, La premiere [ois oii je l'ai lu. C'etait en
juillet dernier, jusqu' au petit jour dans un hotel
pres de l'aeroport d'Heathrow. II portait un autre
titre, L'ete rouge. Devais-je le devoiler ? Je mesens un peu delateur, indicateur, mais aussi jus-
tilM a trahir un secret. Iustiiie par plusieurs rai-
sons, et je plaide (if y a dans ce livre une atmo-
sphere de sublime instruction policiere, de cour
d'assises, de [uges en robe, avec l'avocat general
representant les families et fa societe, une sombre
histoire de. trahison, de crime, de viol, de man-
sarde aveugle, de grossesse inavouable, L a prison
et l' asile ne sont pas loin, la legitimite bourgeoise
est menacee, et tous Us siegent, c'est le mot;pour juger, condamner, reniermer, mais aussi
pour comparaitre, car e' est le proces de fa loi),
Done je pZaide aussi :
1. je suis iustiil» a trahir par celui qui dit
« je » des La decouverte (et decouvrir ne promet
pas tant un savoir tranquille que l' acces violent
a un secret) et qui traduit « que puis-je voir? »
par « qui puis-je trahir ? ». « De deux choses
l'une : tra itre - ou espion. ». On voit tout atravers lui. Judas, il donne: des la decouverte sur
La scene du premier Livre (it comporte treize
sujets, comme on dit treizetableaux). Le cru-
cifix apparait discretement une iois dans chaque
livre, fa premiere dans une sequence donnant aremarquer les clous, le s vis, l'antique caveau, Ie
chiijre impair et la serie 6 78 9; fa seconde
iois dans legrenier sous les 4 chiens assis. Ecce
homo. Des fa premiere page [ai vu se presenter
un travailleur immigre qui ressemblait a Judas
se posant des questions sur se s chromosomes.
Trahir serait iei livrer Ie secret d'une naissance
- et done d'un titre cache. Le titre d'un livre
est son nom propre. L'ete rouge, dans le temps,
a failli etre ce nom. En verite, on peut dire que
des lors il l'a ete, meme s'il reste apocryphe au
moment ou je le [ais sortir de sa clandestinite.
2. Les deux Livres en un font succession autour
d'un heritage de genes, de noms et d'appellations
d'identite, avec dissimulation, substitution ou
[orclusion du titre. I'aime done qu'un titre ait
ete au dernier moment remplace par un autre,
[urtivement, clandestinement, et moi aussi je
veux en garder fa memoire.
3. Et meme, pour cela je ne dois pasiseule-
ment nommer ou citer le titre ancien, je dois sur
le perime, Ie perdu, le forclos vous fa ire le recude mes hypotheses. II n' aura pas seulement ete,
L'ete rouge, une saison memorable, l'enier de la
naissance avec toutes les histoires de sang qui,
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vous le verrez, irriguent les deux Livres : c'est
de bout en bout une auto-analyse du sang, du sang
lu i-m im e, si on peu t dire, tel qu'il cou le dans
les veines, et du vehicule genealogique, meta-
phore de Larace. Il aura ete, eet ete rouge, passe
anterieur, absolument anterieur d'un sang devenu
noir. Premier mot du premier Livre, La decou-
verte : « Je crois que i'ai noir sang. » II aura
ete rouge a fa naissance, au moment de la sepa-
ration d'avec l'Une, La seule de ses innombrables
meres, Laseule en ce deuxieme temps (Livre 11)
parmi le s joules du premier. II aura he rouge aLa na issance , au moment du « magna rouge s ,
encore tout pres de ce moment, d'ailleurs propre-
men! interminable, et invivable, oii « je n'etais
qu'elle s , Je dois citer le Livre I pour vous en
[aire entendre une langue que je m'interdis de
mimer ou de decrire, et pour suggerer ce que
pourrait avoir ete l' he rouge. C'est fa veille, la
prehistoire ou le my the precedent, l'accompagnant
aussi, l' histoire qu'il feint en suite de derouler
selon l' ordre des raisons, c' est un autre temps,
celui du Multiple, et if y dit par exemple, apres
avoir nomme plus .d'une [ois « Ie nombril innom-
brable et polysemitique du prepuce sectionna-
rise s, apres avoir dit et redit la multiplicite des
meres, tous ces « hymens perjores », cette « [aran-
dole maculee conceptrice, cette prodigieuse per-
foration multisphincterielle », voici : « Entendez
bien : ce tatouage enserrure chaque nombril mais
jamais ne deborde sur Lazone proxime. lis s'arre-
tent et se liserent a l'oree du suivant, mailles par
je ne sais quelle main. Est-ce un sceau que cha-
cune de mes parturientes marqua de son rouge
tampon aux formes stercorales ? Est-ce une signa-
ture que mes copulees apposerent au bas de cette
expression cloagineuse ? Est-ce un signe de remi-
niscence que mes perjorees [uterent sur mes pores
distendus ? », J'ai « ete rouge », c'est done une
signature cachee, un titre encrypte dans les plis
de son nombril, et non choisi, non elu, appose
chaque [ois, tant de [ois, sur l' ombilic de « je s,
du Multiple, par tant et tant de meres, appose
comme un sceau, comme un coup de « tampon
rouge », Des les premieres lignes de « Plusieurs
meres» (Livre I) , une mere sans noblesse {« igno-
ble »} , une seule cette [ois et c' est sans doute
l'ignoble de fa chose, aurait manque de le signer
ainsi : « II ne s'ejjarouchait plus de cette spatu-
leuse araignee ombilic scorpionacee et qu'une
mere ignoble n' ait pas scelle un tampon sur La
cavite susabdominale ne le terrorisait plus, » La
if n'a plus peur du sans-nom de l' autre histoire.
A cause du rouge, j' aurais parte de progeminiature
ou de similimignature et je vous laisserais la sui-
vre du cote de la « mer rouge s , du « rouge de
l'incendie » et de la « paupiere rouge ». Mais
surtout du cote d'un certain idiome syntaxique dusignataire : if inverse souvent les roles des auxi-
laires « €ire » et « avoir s, if dit parexemple
« j' ai » a la place de « je suis s , comme une iaute
d' enfant pervers et mal scolarise, mal eleve, qui
vous entraine savamment vers une autre logique.
II dit par exemple, ou elle, « j'ai oblige » pour
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« je suis oblige »,alors vous entendez par-dessus
« je est oblige ), ou j'apostrophe, j'est oblige, je
suisou j'est lie. J'enonce encore « j'ai mort » pour
« je suis mort ». L'article de fa mort est elide,il
coniond Ie nom et l'attribut (suivez la conse-
quence), if dirait aussi bien j'ai ete rouge,etedevenant un nom, que je suis ete rouge, .e t vous
voyez rougir fa langue. J'ai mort aura ete le titre
d'un livre, le precedent, une autre histoire, si on
peut dire, de « cryptomassacre » genet lco-genea-
logique, avec sigles scellesdans le corps, mere
violee par le pere, et tout un « labyrinthe de
constructions multipares » (p. 105) dont serait
issu, une jois le cordon coupe, notre Enfant auchien-assis. Entre autres, et par hypothese. Sf je
rappelle la derniere page de J'ai mort [« Safemme, sublimee par Ie viol parternel, ennoblie
par la decheance de son mari... »}, c'est touiours
par hypothese : et si l' enfant au chien-ass is eta it
aussi le petit-fils de son pete inconnu, autrement
dit du pateron de Lamere dont if a du mal a se
distinguer ? Fils du meme pere, ne serait-il pas Ie
irere de sa mere (a suivre) ? Cela n' est pas dit,
car if ne dit rien de ce qu'il vous laisse lire, et if
ne decrypte pas, if crypte ou scelle comme pas
un tout le dechitirementauquel depuis longtempsif s'adonne, il se livre : une des entreprise les
plus singulieres, les plus puissamment solitaires
depuis des annees qu'elle inventeson ecriture a
l' ecart, ne cede a aucune intimidation, trop occu-
pee a forger en secret une signature de langue
irremplacable, une noblesse, oui, qui se met a
mal comme toute naissance, et qui se fait saigner
d'un livre a l'autre 1. Tous les massifs de l 'ceuvre
sont separes par des eiiondremerus iniranchissa-
bies, mais Us appartiennent a la meme chaine, a
fa m em e serie d' evenement s geo-genea[ogiques. Iepredis qu'un jour i l [audra toute une science pour
la relier voire des instruments speciaux pour s'y
mesurer.
« J'ai mort ... je suis mort et je suis ne », j'ai
un tel ete rouge, telle a ete sa premiere signature,
scellee par celle dont il dit « je n' etais qu' elle ».
Tel aura ete son premier titre. Et je l'ai recu
comme un ordre sansautorite. Et l' envie me vint,
c'est le mot, de le reconnoitre. Entendez bien :
comme on pourrait reconnoitre, si on l'a [amaisiait, tous les peres COI1nUS et inconnus dont on se
croit issu, et les grand-perescpour dire : voila,
je vie ns de la, de tous ceux-la , c'est ma [amille,
c ' est pas moi ma i s j'a imera is bien et c ' est tout
comme. Et reconnoitre ces meres, cette mere si
nombreuse pour une [ois, celle encore qui me
tient par le nombril de sa langue, unique pourtant,
presque identique a qui dit « je », j'apostrophe,
mais unique comme pas une, trop unique pour que
~a ne [asse plus qu'une histoire, pour que 9a ne[asse pas d'un coup tant d'histoires.
En fait if y en a deux, tout apparemment, et
L'enfant... semble portage en deux, en deux tomes
dont le deuxieme seul semble courir comme une
, ~. L'orage a la campagne, 1970; Le repas d'os, 1971;I ai mort, 1972, Robert Morel edlteur.
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narration iilee, un compte-rendu plus ou mains
continu malgre quelques retours en arriere, avec
une seule voix narrative, un seul je plus ou moins,
entre mere et iils ; et les deux livres en un,
comme pas un, sont ecrits en deux langues quisont encore fa meme, l'enigme=demeurant d'un
code secret : il permettrait de traduire les deux
progenitures l'une dans l'autre. I pense a une
sorte d'ADN de la litterature. Et la transcription
ne travaillerait pas entre deux histoires mais entre
une histoire et une non-histoire, un recit et du
pas-racontable. Le meme semble se preter au
transjert entre l'un et l'autre, et pourtant les deux
tomes, les deux atomes sont absolument indepen-
dants, leur indivisibilite se reiusant a composeravec Lacomposition qui pourtant les tient ensem-
ble dans fa meme [ormule. Comme dans L'arretde mort, tiens, car c' est aussi un arret de mort
en tous Ies sens, y compris ce qui fait loi, aussi
different du premier qu'ilest possible. On se dit
en reve que Ie code commun doit exister meme
sl fa cle reste introuvable. On pressent que la
meme generation se dit deux [ois plutot qu'une,
une [ois chantee, haranguee, strophee, dispersee,
et l' autre (apres un evenement obscur, une muta-tion dans l'ordre du temps, Lamort des survivants
et la levee d'un interdit) recitee sous controle
avec une application reglee, comme s'il allait a
La lignee pour quelque document notarie, une
attestation legalisee - au moins en apparence
et selon un supplement de simulacre. On se dit
qu'entretemps, entre les deux proces, un ombilic
introuvable doit attirer les deux livres en un, au
centre de c e tt e n omb ri le u se ocellure. Mais juste-
ment, dit-il, l' hiatus doit rester iniranchissable
entre les deux temps, « if est interdit de melanger
deux histoires ». Uncertain « je » le dit, dansle second Livre, a l'instant oic it s'apprete a racon-
ter I'Histoire de la mere ou plutot a La laisser
racontera une premiere personne que ie livre
au zele des identificateurs, a la competence tran-
quille des experts, des [uges, des narratologues
et des theoriciens des speech acts (et je, bien
sur, leur souhaitebien du plaisir) : « C'est a moi
ou lui ou elle de raconter cette histoire de la
mere, mais pour faire plus simple on dit je, et
quand c'est je, r a veut dire ma mere ou la [lllede ma mere, etc. » Iuste avant que ne commence
l'Histoire de la mere le « magma rouge » avait
efe expulse, le cordon coupe par les dents de la
mere: « Elle a coupe de ses dents. du haut et du
bas mon cordon. Ses dents m'ont deilnuivement
separe d'el/e. Paree qu'il est interdit de melanger
deux histoires. » Ce deuxleme livre alors parait
docile, et dans sa langue deja, qui semble du
moins normalisee, apaisee -- une accalmie apres
Ie dechainement sublime. Docile et soumis a uninterdit : une loi commande de ne pas melanger
les « je » et leurs histoires. Les voix narratives
peuvent bien se multiplier, on doit en tous cas
discerner les identites. Dans ce deuxieme Livre
en somme un certain « je » mettrait de l'ordre
et se soumettrait a Laloi de Lanarration qui serait
aussi fa loi genealogique : devant elle eire comp-
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table de la generation des generations, ne pas
con iondre . Le livre II commence en effet par
cette invocation de la 10i, il en appelle a l'ordre
de l'histoire, au « it [aut » du recit, et il enchaine
d'un ergo par dessus l'interruption iniinie :« Done, it [audra bien la raconter cette histoire.
Laquelle ? Et qui fa racontera? ». De La combi-
natoire et des substitutions qui suivent, et vous
pourrie; dire « substitutions d'enfant s, peut-on
penser qu' elles sont la consequence d'un « if
faut » ? d'un « it faut raconter » comme « it est
in terdit de melanger deux histoires » ? C'est une
hypothese que je suspecte encore et sur laquelle
je devra i revenir. Car fa position de l'interdit sur-
vient aussi au moment oa, un autre interdit etantleve, if serait eniin possible de passer au recti.Auparavant, on n'avait pas le droit de dire la
geneaiogie, seulement de chanter fa folie genera-
tive, et le dechainement du poeme genetique aurait
ete lui-meme l'effet d'une censure. Il [allait taire
l'inavouable, ne pas le dire en direct, il fallait
allegoriser en mobilisant toutes le s puissances
d'une langue nouvelle et affolee par son secret, il
fallait taire jusqu' a [aire trembler l' ecriture de
peur,de iouissancepreliminaire, de depossessionextatique. Alors un interdit aurait succede a l'au-
tre, ou aussi bien une levee a l'autre, et fa mort
des parents, autrementdit de tout contemporain
possible, delivrerait Ie recit comme survivance :
« Maintenant que tout ce monde est mort, je n'ai
plus riena cacher des identites, ni a craindre
quelques retours de baton. » Alors d'un interdit
c l l'autre, d'un « faut pas» a l'autre, L'enfant. ..
ierait le proces de fa. loi genealogique. Et cela
ne pourrait se iaire qu'en deux temps, autour
d'une interruption a bso lu e. L e premier Livre ne
p reja cera it le second qu' en laissant deja jouerl'interdit de legitimite. Je ne sais plus comment
entendre cette expression, .« interdit de legiti-
mite », I'ordre de son genitif me parait obscur
et son obscurite necessaire. J'y reviendrai peut-
etre, et je pressens que le mot de « naturalisa-tion » nous y portera, je l'ai lu quelque part,
une lois, dans le premier Livre.
Ne pas s av oir o i: se mettre des lors qu'ecrivant
cecl, ici meme, on ne peut plus taire le fait que,
sous un nom ou sous un autre, et surtout sans letitre de preface (surtout pas une preface, n'est-ce
pas), ceci viendra preceder sous quelque titre
(precede de, par exemple, Ocelle comme pas un,
par Jacques Derridajet sous vos yeux L'enfant
au chien-assis. Aucune denegation n'y pourra
rien changer, une pre/ace vient avant pour de s~
p r ev e na n ce r e co n no i tr e, et [a i re reconnoitre ce qui
fa precede pourtant dans l'ordre des generations:
pour autoriser d'une evaluation /avor~b~~ ce .qul
pourtant ne l' avait pas attendue. Legitimatton,proces en reconnaissance de L'enfant... qui est
deja lao Tout cela revient a paterner, pateronner,
reconnoitre, Vous n'imaginez pas une preface
venue maudire ou medire, a moins que ce ne soit
l'insconcient de toute preface. C'est pourquoi je
ne sais plus oii me mettre, j' ai accepte une situa-
tion impossible, malgre les denegations subtiles
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et la forme tout implicite du contrat, j'y at ete
engage avant meme de pouvoir me r ac on te r to u te s
les bonnes raisons que j'aurais de me derober
devant L'enfant ... Jamais en eiiet une pretention
it legitimer ou a pateronner n' aura ete aussiabsurde, vaine, derisoire , sotte et aveugle. D'ou
Ie piege ou je tombe. Comme pas un - ce double
livre denonce de bout en bout l'imposture pate-
ronnante, l'iniamie d'un pateron connu qui [ut un
p er e in co nn u (devant rester inconn u, e t do ne bien
entendu connu), fa grefje, la batardise, l'illegiti~
mite de l' enfant au chien-ass is , son irrecevabititedeiinuive, taiamille injdme, fa dispersion et Ie
croisement des genes, fa conception clandestine
qu' aucun ordre symbolique jamais ne pourra niassimiler ni rejeter. C'est l'identite meme de cet
ordre qui se perd. Et ee double livre qui done n'en
est pas un et dit le pas un, voila qu'il l'annonce
des son titre, des son « vrai » titre, le second.
Ie survenu, le parvenu. II [au t bien que j'en dise
un mot puisque le livre a change de nom propre
au passage, [urtivement, et que de son nom d'etat
civil ou de depot Legal il ne dit a peu pres rien,
apparemrnent : le titre est pre/eve comme au pas-
sage, comme un petit morceau de texte qui vaudrapour le tout, la distration d'une synecdoque. II
[aut que j'en dise un mot puisque ce double livre
traite de fa question du titre (et meme du double
titre) : de quel droit, a quel titre, quelle est votre
identite, quelle est l'unite de votre histoire, qu'est-
ce quivous autorise comme auteur a vous=aug-
menter ainsi ? et aussi - quelle est l'auctoritas
d'un qui prend Laparole avant l' autre? Qu' est-ce
qui s'autorise a prefacer ? Au fond c'est d'un titre
ici qu'il s'agit de ne plus rien savoir.
Au c hi en -a ss is , l 'enfant. Sf vous s av ez tr ad ui re
« au s, vous pouvez decider de tout, de celle,pour commencer, dont if est a peine detache, Ie
D eta ch e. E ssa yez tousles au, tous les ordres
d' appartenance ou de participation, d' accompa-
gnement ou de propriete, vous m'en dire: des
nouvelles. Au singulier, le chien assis se tient
comme un ballon, ou un blason, au-dessus de la
the de l'enfant. Il n'appartient pas plus au sujet
qu'il ne le possede, if le marque sans que cette
marque iasse partie de lui, il le situe des sa nais-
sance et lui donne lieu sans avo ir avec lui aucunrapport de ressemblance naturelle. 11 surmonte
I' enfant et L'enfant, avant et au-dessus de lui, ou
d'eux (car l'enfant et L'enfant ne font pas un)
comme un titre: avant et au-de s sus du livre. Et
une preface. Ceci est un chien assis .
II a preleve un chien sur quatre pour le titre,
en prelevant il a rassemble, collecte, identijie,
figure, eleve a la dignite d'un embleme. lls etaient
quatre, pas un, au-dessus du toit de fa maison,
au-dessus d'un grenier, car tout descend de la,et le je meme. D'un grenier aveugle, sans [enetre,
et dont le tenebreux n' est interrompu, si on peut
dire, mais aussi scelle que d'un « jour de quatre
chien assis s, A vec un toit cela fait angle pour
donner le jour.
C'est L a que tel jour, sous ce jour, dans un lit
cage, moi Lamereie [us engrossee par Ie pateron
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et mot son fils a eM concu par son pere qui ne
s'appelait pas et qui ne m'a pas reconnu. Par Ie
chien assis un jour le jour jut donne, Ie nom
refuse, mais Ie chien assis main tenant donne le
nom et sans doute pour se retirer un jour. Atten-
tion au nombre : 1,4, j'avais remarque les 6 7 8 9
et le jeu du pair ou impair. A cause de la n um e-
rologie, jasc ine par La iixiie de ces ch iens de
. verre qui Ie regardent de haut, perches sur Ie plus
haut de la scene, i'ai pense que l'enjant au chien
appartenait peut-etre, avec tous les croisements
aleatoires que vous voudrez, a la grande [amille
de l'homme aux loups. Mats c'est ia mon analyse
et je ne vous dirai rien de toutesmes associations.
II .y en a trop et comme des chiens elles me
.regardent,
Un mot encore et l'obandonne. L'auteurlaissons le narrateur, j' ai encore plus de mal aEidentifier - sait-ll qu'assis, le mot « assis »,
appart ient au code des blasons ? Assis se dit alors
des'tanimaux domestiques lorsqu'un blason les
represente poses sur leur derriere. Cela releve d'un
code, en eiiet, d'une representation typique. La
posture est irequente, cette position, sf vousvou-fez. C'est une seance.
Dans l'espace de visibilite, dans un jour de-
coupe par la seance de ces animaux tres domes-
tiques, deux paires de chiens ant assiste a une
scene don t Us jurent les seuls temoins, its y ant
assiste de face ou Ie dos tourne (allez savoir pour
des chiens de verre, et comment orienter La
lucarne), de toute [aeon sur leur derriere, et if
s 'ag i t de sphincters dont vous auriez tort de
croire que taus Us sont de forme anale.
Et la position des parents, les chiens, ils l'ont
vue!
Ils n' en ant rien perdu, Us l' o nt o bs er ve e de
leurs petits yeux fixes au-dessus de La scene, de
leurs oceiles de verre. Synopsis, Argus, tant de
paires d'yeux pour [ouiller les quatre coins, autant
de temoins oculaires imperturbablement immobi-
Uses devant le tribunal d'une memoire . Ils ant ete
saisis. Mais comme tout s' est passe par derriere
au sur le derriere, le regard et la scene.quils
eussent ou non des yeux derriere la tete, Us ant
d u cacher ce qu'ils ont vu, Us ant oculte .
- - \ ~ ~ ' ~ ~ ~\lo\f~anq Goeu,,. ",,~:,<;
C' \3\~" ,,. ..", ' ""::,''',
('j'
Biblioh '"'., ..G ... ,t.,ck",zen(;-, ,","AefStf!:SV'li.~~~sen~:,;,;';;;"~'~
"" '" F r ," . /~ --- ilin kf'm am ! 'v1\1\\1 /';;>~ " , . . : : : ;, : :: : -- - ': . ._ _ " _ ~ _ . _ i ~ , : " _ . ~_ . . . .-zz:...,,,.,.r"<'
l'hypothese-d'une premiere lecture, je renon-rr:"cerai clairement, pedagogiquement, « methode-
ment »comme if estecrit, Ie precise: posement.Car if ne [aut surtout pas tenter d' egaler ou de
mimer la b ea ute ivre de sa langue, je veux vous
l ai ss er s eu ls avec l' art poet ique de cette [urieuse
allegresse, avec la frappe de ce nouvel idiome.
Je compte abandonner L'enfant... it ce qu'il predit
au surencheri t de lui-meme. L'hypothese enoncee
(une [ormalite car j'appauvris a l 'extreme pour
[ormaliser, litteralement pour ne rien dire, pour
Un autre jour.
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ne den dire qui ne s'efface devant vous et lui dansl' elan d'une toute premiere lecture) je saute en
marche. L'ignoble scene preiaciere, que vous neconiondrez pas avec fa primitive sous pretexte
qu'elle introduit a tout de sa preseance et qu'ensomme elle joue les presentations, l'ignoble scenene s'interrompt que d'un saut, et arbitraire autantqu'un alea genetique, un jour, a telle adresse.
L'hypothese prejaciere concerne ['hypothese,
celle qui se pose sous Ie signe des chiens assiset au dessous des deux, sous la reliure par exempledes deux livres, qui un jour s'assemblent commepas un, et dans une singuliere position. L'enfantau chien-assis (il a six pattes, celui-la) n'est pas
un.II
se livre en deux tomes. Mais if decrit sondevenir-un. Dans le premier tome une premierepersonne qui n'est encore personne et qui pour-tant precede a I'analyse de sa propre generation.Elle dit « je » mais je se decompose a l'analyse,a tauto-hemato-analyse des composantes geneti-ques de son propre sang, de tout ce qui lui don-
nant corps le disperse dans l'innombrable. Ce pre-
mier tome est le livre du multiple ou du pas un :le sujet suppose (sous Ie chien assis qui d'un mot,car ce n'est quun mot, lui montre son cui),le suppose sujet a plusieurs naissances, plusieurssexes, if se dit plusieurs iois hermaphrodite etmeme « hermanphrogyne » apparemment (Des
noms d'anatomie), it a tant de meres, tant deperes. La mere deviendra ou aura ete uniquedans l'autre livre, et l'unique pere du premier livreaura ete multipenien, rouge sans doute. Un seul
pere donne le nom, le seul nom, mais ce pere
f ut « polyverge », « multipenien ». TeZ fut « Iemiracle de fa nature » : « que mon pere multipe-nien fut unique dans cette sarabande termitiere.
Un seul homme pour me donner un seul nom,en terrassant de ses ,appendices des legions mens-truces s. Livre I : un seul pere polyverge quidonne le nom, plusieurs meres naturelles. Inver-sement, Livre II : un seul geniteur monoverge qui
ne donne pas son nom, une seule mere naturelle.La mere est touiours naturelle. Le premier temps(L__vre I) serait done le temps du multiple: gigan-
tesque panspermie polysemitique, comme dit IeMultiple Iui-meme. Temps discontinu d'une ge-
neration sans [amille, sans calendrier, sans charte,sans genealogie : trop de verges et trop de meres,trop de nombrils pour un nom suppose unique.II n'est pas un celui qui analyse son sang mele,ce meteque sf naturellement polygenetique. D'oula tres-savante decomposition de ce Livre de deli-vrancequi n'en est pas un : serie specieusemeni
discontinue de chants, strophes, harangues, apos-trophes, stances sans [il narratii. Des actes , destableaux, des scenes, des descriptions, des extaseset des convulsions, pas une histoire, pas denarration filee, aucune filiation unii iee , aucunegenealogie regtee par un ordre social, pasd'armoirie (aucun [etlche animal ne preside
encore), seulement une multipllcite aleatoire de
corps, de genes, de globules, de membres et d'or-ganes, les peaux, les surfaces colorees, les grains,les nombrils, tous les orifices sphincteriens que
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I' ecole, mais fa verve vous surprend toujours, elle
conceit et accouche a chaque instant de mots
inouis pour dire. comme on n' a jamais dit Ie
corps du Multiple et de tous ses progeniteurs.
Rabelais au XX' siecle dirait le maitre d' ecole
avant d' avoir compris qu'il est absurde [ustementd'assigner des paradigmes ou des ancetres a un
orphelin pareil qui d' ailleurs sait tout : if sous-
entend Rabelais, sa gigantesquerie et quelques
autres [« je m ' obsessionne a cette picrocholineentreprise.i, »}, meme il l' accoupie Ii Rubens et
comme chaque [ois vous avez plus d'un corps en
un sous « cette peau aux noirceurs velues intra-
jessie res et rubaisselliennes qu'il avail [allu tou-
cher de partout... s, La langue du premier Livre
est en perpetuelle expansion, elle precipite lesmots dans ce qui est proprement leur iloculation,
elle les coagule aussi .parjois, les agglomere ou
les accole par une surface seulement de leur corps
anterieur, y pratique des greffes d'organe qui
prennent a taus les coups, sans manquer. A cha-
que instant cette copufloculation s'ingenie, elle
met a nu sans pudeur tout ce qui fait bander la
langue, au plus invisible de seselements, les genes,
les chromosomes, les spermatozoides et les ovules
d' un vocabulaire [ou de desir ; et dans toutes lespositions, les seantes et les autres, ca baise La
phrase [rancaise comme seuls peuvent le [aire
des bdtards turbulents ou des travailleurs immi-
gres de la litterature. Le Multiple, non, ne se sert
pas d'un idiome en formation pour dire sa poly-
genie, Ce n' est pas une irenesie manipulatrice,
vous voulez; mille copulations, et la conception
proliiere dans l'aiiolement panique d'une combi-
natoire. La dispersion progeniale n'affecte pas
seulement le mode de composition, ni la rhetori-
que d'une decomposition en longues sequencesdejerlees, La langue elle-meme est iurieusement
demontee. Dans ce premier Livre elLe n'est pas
une, elle proliiere a l' eta t le plus germinal, langue
en formation incessante au temps oii le [rancais
ne fait pas encore la loi; le temps n'est pas
encore venu de la langue d'Etat, de la bienseance
paternelle et du=dictionnaire academique. Tout
est possible avec une langue qui n' a pas encore
a repondre devant se s juges (c'est l' « irresponsa-
bilite lingua le » au moment ou telle « mere tenaitmon autre main »), tout est possible avec le mot
« langue » au meme moment (« Son sein que
j' engouffrais de toute ma succion a laisse sur rna
langue un gout que je n'ai pas retrouve. [... J La
fraise bulbolee allait et venait au gre· de ma lan-
gue... »}, Cettelangue se meut au plus pres d'un
volcan qui de dessous fa mer fait monter par
secousses les mots nouveaux, lis arrivent brulants
a la surface, l' eruption saccadee les crache en
pleine fusion, des corps de mots tout neuis, quine doivent plus rien Ii personne, et malgre la sur-
prise de leur emergence Us se laissent mieux
entendre, plus pres de tous les corps, plus clairs,
plus rigoureux, plus SUI'S de leur folie que les
anciens, II y a bien sur des regularites, des modes
de formation typiques, des recurrences, et on
pourra les distribuer en classes ou les classer it
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c'est le corps de La langue qui lui-meme enseigne
son 'htstotre, la veille de son histoire plutot si
une histoire suppose un processus intelligible
regie par un ordre discursii, une monogenese ,
une pre/ormation et un droit. A travers le
Multiple vous lisez La prehistoire jloculante,
fa confusion babelienne des langues et des
Iitte ra tu re s. Im a gin es ; d ir ait fa « pesante logi-
castre » « ecolisante », Rabelais apres Freud, a
ladecouverte de l'ADN, avec l'idee combinatoire
de ces codes g ra p h iq u es tr a ve rs a n t tou tes les ecr i-
tures , de la genetique a fa lit terature et au droit.
Jusqu' a la harangue zarathoustrienne (rien n' y
manque, ni Ie « [unambule » ni les« saltimbes »)
et au-dela de Joyce. Ces noms d'auteurs, autre-
. ment dit de peres presumes qui s'augmentent scan-
daleusement de leur progeniture supposee, Us
n'ont ici aucun droit, qu'Us soient eux-meme:.poly verges ou anonymes. Ils echappent lei a l'or-
dre de la reconnaissance. Pourtant i'inslsterai
scandaleusement sur loyce. Certes rien ne lui
revient de cet Enfant ... et je ne t iendrai pas regis-
tre ic i de toutes Les differences. Mais voyez le
« polysemitique » (if [audrait dire ici polychemi-
tique et dicheminant en pensant a Shem the pen-
man de Finnegans Wake. et au motif babelien
qui traverse le livre; puis en disseminant la tribu
de Shem qui voulait se [aire un nom et imposer
sa langue, et langue se dit « levre » et Shem
voulait dire « nom » deja, en deconstruisant la
tour YHWH litteralement les disperse pour clamer
son propre nom, Bavel, Confusion}. Eh bien Ie
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polychemitique des langues et de la litterature,
ne croyez-vous pas qu'il [asse un clin d'cell
ocellure vers votre cousin d'Irlande interieure ?
vets un cousin germinal par Lamere, par La[ ille-
mere et putain de langue ? Ou par une cousinegermaine, tiens par exemple Germaine Gaillot de
J'ai mort {« Germaine - dis-mot cet organe
qui a penetre en to i ? ... Oh, racont e -moi Ger-
maine ») dont le sort, je veux dire Ie lot, a la fin,
rappelle celui d'Edmonde Benlott, la=mere de
l'Enfant. .. Benlott, fils ou iille de Lott ? Car dans
le Livre II , I'Histoire de la mere, de la i i l le -mere
plus ou moins violee par so n pere (au moins celui
de son fils), penetree par un pateron au cours
d'un hymen sans hymen, l'histoire de cette vierge
putain de n' avoir pas epouse, c' est l' histoire ina-
vouable d'une certaine Edmonde Benlott « issue
de je n' ai 'iamais su quelle cuisse irlandaise et
mon pere ne s'appelait pas s, Et j' assume Ie nom
de sa mere, if portage. son lot. Celie qui fut une
a fa fin mais avec laquelle [aisant un if se coniond
plus ou moins jusque chez les ious, celle-la il ne.
vient pas apres elle. II ou elle. J'est elle. Il est aUSSI
l e c on ge ne re de sa mere, son irere jumeau peut-
eire, if est ne de sa sceur si le pateron leur est
commun : « Pour plus vrai que nature, il [audra
bien me mettre dans fa tete que je suis ne plutot
en meme temps que ma mere, Edmonde Benlott. »
I'est, je n'ai plus O U me mettre dans l'ordre des
generations.
Une dans le Livre II, la mere du Livre I aura
e r e multiple (deja elle etait lui, Ie Multiple) : pas
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une et done encore une « mere ignoble s, une
immonde, une putain soumise au pete unique mais
polyverge. Or entre la confusion {« Confusion.
Mosaiques ! »), la confusion des langues, et fa
~ros~itution le frayage est ancestral, babelien,
joycten et apocalyptique. Relisez toute la reve-
lation, rappelez-vous a l'Apocalypse, la putain
de Babel, « le nom de la bete / ou le chiiire de
son nom ». Dans l'Apocalypse de Jean, Laputain
preside, elle est assise, elle aussi, et la bete ecar-
late n' est pas loin, pas diiiicile a supposer : « II
parle avec moi et dit : "Viens. Je te montrerai
le [ugement / de La grande putain, / assise sur
les eaux immenses. / Avec elle Us ont putasse,
les rois de la terre, / Us se sont saoules, les habi-
tants de fa terre / au .vin de sa puterie". / II
me transporte au desert, dans Ie souffle. / Je vois
une femme assise sur une bete ecarlate / pleine
des noms du blaspheme / avec des tetes : sept " /
et des comes : dix. / La femme est habillee de
pourpre [ ...J Sur son front un nom ecrit, un
mystere : / « Babel la grande, / mere des putains /
et des abominations de la terre. » [. .. J « Elle est
tombee, elle est tombee/Babel la grande l... s.
Babel n' est peut-etre pas Bavel, mais if s'agit
ici du nom de confusion et de la confusion des
noms, des langues et des generations.
L'enfant commence par l' Apocalypse et ren-
versant l'ordre pour le [aire apparaitre, l'Entete
en bas, jinit par une Genese apparemment ordon-
nee. Le Livre 11 ressemble a l'Entete., autre
mot pour Genese. Comment les choses de la
generation se recitent dans l'ordre, feignant au
moins d'y rentrer, et selon quelle souffrance
iniiniment jubilante, selon queUe inversion cata-
strophique et autodestructrice, voila fa question
de l'histoire. Elle se pose ou se suppose, commeun chien assis, entre deux livres. Dans les deux
if y va du croisement. Aucune famille avec elle-
meme ne fait un, ni en un ni en deux, ni dans
un livreni dans l'autre. Mais encore [aut-il pen-
ser le croisement de deux livres independents,
et comment II engendre. Car U fait ceuvre et c'est
L'enfant au chien-assis. Bien qu'i: la fin il se
rejette comme un excrement, un dechet bon pour
la poubelle, bien qu'il represente souvent son
enjantement comme un dejection (et vous y asso-ciez la chiennerie, le chiot et les chiottes), il se
met en ceuvre , it aura et e fait ceuvre , [ 'ete fait
ceuvre . Je repete : de quel croisement ?
Le scheme en est un chiasme.
Alors que dans le Livre I(Apocalypse en mal
d' aurore), le Multiple est engendre par L a copu-
lation d'un seul polyverge et de plusieurs meres,
dans le Livre II (en revanche) Ie Multiple devient
un mais pour se perdre dans sa mere, et comme
dans le cas precedent la maison « des fous » lesattend. Celle qui lui donne le jour parait une
cette jois mais le pere absent ne s' appelant pas
et ne donnant aucun nom, le couple mere/fils n'en
est pas un, if n'y a ni mere ni fils ni saint esprit.
Seulement un je labile entre elle et lui, un .ie sus-
pendu et une grande incertitude sur l' arbre des
generations. La putain reste vierge. Vous pouvez
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encore « ecoliser » l'immonde et murmurer des
noms: (Edipe et Jocaste(chez les [ous O U onI' . ,enjerme avec Edmonde Sa mere, « elle caressait
aussi mon sexe de sa main crispee, et il durcissaiz ,
se gonflait. Elle Ie serrait entre ses cuisses.: »},
Marie et Jesus (plus d'une allusion a ses trentetrois ans, ecce homo, comme a ce crucifix qui
apparau une lois dans chaque Livre, en Un dans
le chapitre 2, Un pere etune mere de reve, en
Deux, dans le grenier de I'Histoire de rna mere),
vous pouvez croiser Jocaste et Jesus, (Edipe et
Marie, mais les 4 noms blasonnes entameraient
encore des proces en reconnaissance devant la
loi. Or c' est cette juridiction genealogique et ce
notariai es litteratures et religions que L'enfant. ..
de son idiome [out en l' air, alors meme que son
histoire est « De l 'histoire humaine, et c'est tout ».
Et de meme que ... tout de meme , voila un autre
texte sous scelles. De meme que le Livre I jouait la
nature ou feignait la genetique, ['Apocalypse d'une
generation soumise a la multiciplite naturelle ou a
l'alea biologique, de meme le Livre II mime la
culture et simule une ordonnance genealogique :
Genese de l' humanite, filiation narree au regard
de la loi, les iamilles, la domestictte, le recit d'une
descendance comme roman familial et autobiogra-
phie. Mais dans les deux cas, dans les deux chutes
ca iinit chez les ious et a la poubelle sous l' ceil des
travailleurs immigres en mal de naturalisation
dans les deux cas il y a ruse, guerre et [einte. '
Et jiente, « double et va-et-vlente deNcation »
selon la serrure et Ie rythme d' un sphincter un i-
versel. C'est le secret dans Ladoublure du Livre.
La performance d'une signature affolee de greffe,
dans le s deux cas de figure, s ignature rerum ou
signature des noms. La genet ique eta it deja
contaminee de geneaiogie, La naturalite biologi-
que portait effet de croisement symbolique, avec
La triangulation, le patronyme et l'inquietude
jiliale du Multiple.
En revanche, et la branche d'un ch iasme se
reploie toujours, la geneaiogie du Livre II aura
he, encore, une biogenese naturelle. II y analyse
le dossier d'un injamille, les actes notaries, les
archives medico-legales ou psycho-sociales d'une
naissance illegitime, et d'un enfant comme on
dit naturel. « La bete triomphante » reappara i t
au chapitre sept (nombre des sceaux et retour a
I'Apocalyse), le pere est innommable, la bonne
mere « ignoble ».
La feinte aura pris forme, c'est sa generosite,
et fait ceuvre.
A quelle condition ?
Qu' un simulacre de genese ressemble a La
genealogie, puis qu'i: s'y meprendre l'apocaiypse
encore se deguise en nature.
Mais Nature n'a pas et«, ni Culture. Seulementdes naturalisations. Et sans nombre et par leur
proliieration meme toute limite est debordee,
toutes les irontieres sont passees en contrebande
par un travailleur noir du concept et de la concep-
tion, ou par le proletaire «arabe judeo-gitan »,
toutes les jrontieres et tout se clandestine, entre
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la nature et laculture, la nature et la loi, la
nature et la societe, la nature et l'histoire, la
nature et la liberte, la bete et I'hom me , le ceci
et Ie eela, le non-langage et Ie langage, le un et
le deux, le deux et Ie trois, Le couple et le trian-
gle" l'imaginaire et le symbolique, le speculaire
et I autre (vous remarquerez Ie crucifix «au-des-
sus de laglace s, dans le grenier aux chiens
assis de la maculee conceptricei. II n'y a pas
un, pas un et deux, ni deux et trois, it y a d'un
coup quatre chiens assis, un lot de chiens assis
sans nature. Ils sont aussi naturalises. Ils veillent
sur une c1andestination. Je baptise ainsi, de ce
nom, la mise au secret d'une adresse, un coup
d'aiguillage invisible, juste de quoi egarer ladestination et vous [alre avec la meme .adresse
changer de pays sans vous laisser le temps de
vous retourner, Vous venez de passer la ligne,
le paysage a change, vous en etes sur mais vous
n' avez rien compris. II y a eu envoi de vous-
memes et vous ne savez plus ou vous mettre.
Le lot des chiens assis veille devant une
crypte. Ils gardent la memoire sans mot dire d'un
texte sacre qui n' a iamais ete lisible : E acte en
somme d'une naturalisation. Eile s'impose tou-[ours au desir, la naiuralisation, mais elle reste
impossible, interminable et iinalement indechif-
frable. Son apocryphe ne se tient pas au-dela
d'une interpretation, il aiiecte l'ldee meme et Ie
secret de l'lnterpretation. II fa clandestine.
Voila peut-etre ce que [e, entre parentheses,
donne a penser : « (aurai-]e un jour la connais-
sance sacree de ce texte, de cette histoire qui lut
ecrite sur une peau dans laquelle on me glissa,
ou on me naturalisa ?) s,
Qui est-ce que j' est dans le « bocson fugiti! $
de ces bibles ? dans ce clande testamentaire ?
J.'oscille alors entre deux je. J'apostrophe deux
jois. Je donne a penser, l'un donne comme Ie gene-
reux, Ledonneur de sang, et l' autre -le double,
if donne comme le traitre, it vous devoile des
identites en connaissance de cause, ne vous y iiez
pas.
Jacques DERRIDA.
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