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    DELEUZE - 26/03/73

    dualisme; monisme et multiplicits

    dsir

    plaisir

    jouissance

    Foucault a dit dans l'archologie", des choses bien profondes sur les noncs, qui concernentplusieurs domaines la fois, mme si ce n'est pas en mme temps. Je prends deux exemples trsvagues : il y a un moment, dans la cit grecque o des noncs d'un type nouveau surgissent, et cesnoncs d'un type nouveau surgissent dans des rapports temporels assignables, en plusieursdomaines. a peut tre des noncs concernant l'amour, concernant le mariage, concernant laguerre, et on sent qu'il y a une espce de parent, de communaut entre ces noncs. On voit bienque les penseurs qui s'efforcent de donner des explications de comment se fait-il que dans desdomaines divers, des noncs surgissent qui ont un air de parent. Il y a en Grce par exemple, aumoment de la rforme dite "noplitique", des noncs de type nouveau qui surgissent en ce quiconcerne la guerre et la stratgie, mais aussi de nouveaux noncs en ce qui concerne le mariage, lapolitique. On se dit que tout a, ce n'est pas sans rapport. Il y a des gens qui disent tout de suite qu'il ya, par exemple, un systme d'analogies ou un systme d'homologies et que, peut-tre, tous cesnoncs renvoient une structure commune. On les appellera des : structuralistes ... Il y en a d'autresqui diront que ces productions d'noncs dpendent d'un certain domaine dterminant par rapport auxautres, et ceux l, par exemple, on les appellera des : marxistes ..

    Peut-tre convient-il de chercher autre chose.

    Il y a un livre o on apprend tant de choses, "La vie sexuelle dans la Chine ancienne". Ce livre montretrs bien que sont indiscernables les manuels d'amour et les manuels de stratgie militaire, et que

    c'est en mme temps que se produisent les noncs nouveaux stratgiques militaires et les noncsamoureux nouveaux. C'est bizarre a? Je me dis voil : comment sortir, la fois, d'une visionstructuraliste qui cherche des correspondances, des analogies, des homologies, et d'une visionmarxiste qui cherche des dterminants. Je vois bien une hypothse possible, mais elle est d'une telleconfusion ... C'est parfait. a consisterait dire ; un moment donn, pour des raisons qui sont biensr dterminer, tout se passe comme si un espace social tait couvert par ce qu'il faudrait appelerune machine abstraite. Cette machine abstraite non qualifie, il faudrait lui donner un nom, un nom quimarquerait son absence de qualification, pour que tout devienne clair. On pourrait l'appeler - en mmetemps cette machine abstraite, un moment donn, elle sera en rupture avec la machine abstraitedes poques prcdentes -, en d'autres termes, elle serait toujours la pointe, elle recevrait donc lenom de pointe machinique. Ce serait la pointe machinique d'un groupe ou d'une collectivit donne,elle indiquerait dans un groupe et un moment donn, le maximum de dterritorialisation, du coup eten mme temps, sa puissance d'innovation, c'est un peu abstrait pour le moment, c'est comme de

    l'algbre. C'est cette machine abstraite qui, dans des conditions qui sont dterminer, c'est cettepointe machinique de dterritorialisation qui se reterritorialiserait dans telle machine ou telle machinemilitaire, machine amoureuse, productrice de nouveaux noncs. C'est une hypothse possible.

    J'ai l'impression que dans leroi-ghurhan, il y a des trucs qui pourraient servir, il faudrait voir commentest-ce que a fonctionne. Cette pointe machinique indiquerait une espce de vitesse dedterritorialisation. Il y a un systme d'indices sous lesquels se font des reterritorialisations enmachines qualifies, machines de guerre, machines d'amour, machines de mariage.

    Rejik : C'est tes enfilades qui se reprennent en rseaux ?

    Gilles Deleuze : Ah non, c'est autre chose, comme vous le sentez, ce n'est pas au point notre

    hypothse de fond, c'est que dans ce problme d'o viennent les noncs, quoi rapporter uneproduction ? La rponse sous-jacente, a consistait rpondre : il n'y a pas d'noncs individuels, etparmi les multiples piges de la psychanalyse, qui est l'hritire d'une pense qu'on peut appeler

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    pense occidentale qui nous peroit qu'il y a des noncs individuels. Et finalement, la forme ou lalogique des noncs individuels, elle a t fixe par le cogito. Elle a t fixe par le cogito quicomprend la production des noncs partir du sujet et partir d'un sujet. le cogito, a veut dire toutnonc est la production d'un sujet. a veut dire a premirement, et deuximement, a veut dire :tout nonc clive le sujet qui le produit. Lacan, c'est le dernier cartsien. Alors tout nonc renvoie un sujet, et tout nonc clive, coupe, spare le sujet qui le produit, c'est des propositions qui

    s'enchanent tout naturellement parce que, si il est vrai qu'un nonc est produit par un sujet, ce sujetpar l mme va comme se diviser en sujet de l'nonciation et sujet de l'nonc, ce en quoi consiste ladmarche littrale du cogito.

    La dmarche du cogito, vous vous rappelez, c'est : je peux dire "je pense donc je suis", je ne peux pasdire "je marche, donc je suis". Descartes s'explique l-dessus dans ses rponses aux objections dansles rares pages comiques de Descartes o quelqu'un lui a object : "pourquoi vous ne dites pas jemarche comme je suis" et il dit je ne peux pas. Et a revient dire "je marche" c'est un sujet del'nonc tandis que "je pense", c'est le sujet de l'nonciation. Alors, peut-tre que je ne marche pas,mais il y a une chose dont je suis sr, c'est que je pense marcher. En d'autres termes : le sujet nepeut produire un nonc sans tre par l mme scind par l'nonc en un sujet de l'nonciation et unsujet de l'nonc. a introduit toute la mtaphysique du sujet dans la psychanalyse. Si on regarde deprs le cogito ...

    Question : Mais il n'y a pas d'altrit chez Descartes.

    Gilles : Qu'est-ce qu'il vous faut ? Et le dualisme! Il y a un dualisme au niveau de la pense et del'objet pens. Il y a un dualisme au niveau de l'me et du corps, il y a autant de dualisme que vousvoulez. Et si on se demande qu'elle est la source de tous les dualismes cartsiens, elle est dans cettescission intrieure au sujet, entre les sujets de l'nonc qui ne permettent pas de conclure, et un sujetde l'nonciation qui est soustrait au doute : "je pense".

    Dans toute la srie des dualismes cartsiens, me-corps, pense-tendue, nonc-nonciation, laseule remarque et la seule question c'est que ce n'est pas le dernier aspect, la dualit des sujetsd'nonc et des sujets d'nonciation, encore une fois sujets d'noncs du type "je marche", "je

    respire", "j'imagine", sujets d'nonciation "je pense", est-ce que ce n'est pas cette dualit l qui vahabiter tous les dualismes de la rflexion et tous les autres dualismes des substances, des corps, etc.

    Je reprends, je pense au texte o Descartes dit : il se peut trs bien - je vois une licorne, ou j'imagineune licorne -, il se peut trs bien que la licorne n'existe pas, il se peut trs bien que la proposition, quel'nonc "je vois une licorne" soit faux, mais en revanche, il est vrai que je pense voir une licorne, ceniveau se produit une espce de dgagement d'un sujet de l'nonciation et par l, tous les sujetsd'noncs possibles. D'o il vous dira : je ne peux pas dire "je marche donc je suis", car je ne peuxpas conclure qu'un sujet de l'nonc un tre de l'nonciation, ou l'tre d'un sujet de l'nonciation,mais je peux dire "je pense donc je suis", car je peux conclure d'un sujet de l'nonciation l'tre de cesujet.

    Or tous les dualismes de Descartes, mme passion et action, dpendent troitement de cette

    opration du cogito qui a consist rapporter les noncs un sujet de l'nonciation, qui ds lors, vacliver le sujet en deux : sujet de l'nonc, sujet de l'nonciation, ce qui se trouvera par exemple auniveau cartsien en sujet de l'nonc qui renvoie finalement l'union de l'me et du corps, et sujet del'nonciation qui renvoie la substance pensante. Quand je dis que, d'une certaine manire, lapsychanalyse, c'est bien la dernire hritire du cartsianisme, c'est parce que, mme regarder lecogito, c'est trs curieux quel point c'est un appareil oedipien, un appareil oedipien sublim. Il sepeut trs bien que moi, en tant qu'tre vivant, j'ai t fait par mon pre et ma mre, mais le fait que jepense, a ne s'explique pas par mon pre et ma mre, et a s'explique par quoi ? Si on considre lecogito comme une machine, on y voit trois grands moments : le doute - qui est typiquement uneespce de machine paranoaque -, le Dieu non trompeur est une machine draillante (?), et le "jepense" qui est une machine clibataire. a c'est l'espce d'oedipe de la pense pure. Des oedipes, ily en a partout; il n'y a pas seulement des oedipes familiaux, mais il y a des oedipes scientifiques, etpuis l'oedipe philosophique, c'est le cogito, c'est la machine oedipienne au niveau de la pense. C'estce qu'on appelle le dualisme. Le dualisme est ce qui empche la pense. Le dualisme, toujours, vanier l'essence de la pense, savoir que la pense soit processus. Et la source du dualisme, il me

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    semble, c'est cette espce de rduction, d'applatissement de tous les noncs de la pense,prcisment par cet appareil spculatif oedipien o l'nonc, d'une part est rapport au sujet, unsujet, et d'autre part, et du mme coup, le sujet est cliv en sujet d'nonc et sujet d'nonciation. Danscette perspective, on repense le sujet.

    Il n'y a qu'une forme de pense, c'est la mme chose : on ne peut penser que de manire moniste ou

    pluraliste. Le seul ennemi c'est deux. Le monisme et le pluralisme c'est la mme chose parce que,d'une certaine manire, il me semble que toute opposition, mme toutes possibilits d'oppositionsentre l'un et le multiple ... C'est que la source du dualisme, c'est prcisment l'opposition entrequelque chose qui peut tre affirm comme un, et quelque chose qui peut tre affirm commemultiple, et plus prcisment ce qui la signale comme un c'est prcisment le sujet de l'nonciation, etce qui la signale comme multiple c'est toujours le sujet de l'nonc ...

    Pour faire la suppression de l'opposition entre l'un et le multiple, a on l'a vu la dernire fois, elle sefait partir du moment o un et multiple cessent d'tre des adjectifs pour faire place au substantif : iln'y a que des multiplicits. C'est dire quand le substantif multiplicits prend la place de l'un, dumultiple et de leur ******** et ce moment l, un et multiple perdent absolument tout sens, en mmetemps que sujet de l'nonciation en sujet de l'nonc. Il y a des multiplicits, ce qui impliquevidemment une thorie et une pratique des multiplicits. L o nous quittons le domaine des

    multiplicits, nous retombons dans les dualismes, i.e. dans le domaine de la non-pense, nousquittons le domaine de la pense comme processus. Or, pour montrer quel point les choses segchent, je pense toujours cette histoire de dsir. Ce que je viens de dire depuis le dbut, a revient dire que penser et dsirer, c'est la mme chose. La meilleure manire de ne pas voir ou de refuserque le dsir soit la pense, soit la position du dsir dans la pense, est vritablement processus, c'estvidemment lier le dsir au manque; et ds qu'on lie le dsir au manque, on est tout de suite dans ledomaine, on a dj assum les bases du dualisme. Mais je voudrais dire aujourd'hui, qu'il y a desmanires plus sournoises de rintroduire le manque dans le dsir, et par l l'Autre, et par l ledualisme. L, la pense dite occidentale, elle s'est faite du rapport entre le dsir et le plaisir, unecertaine conception compltement pourrie.

    La premire maldiction du dsir, la premire maldiction qui pse comme une maldiction

    chrtienne, qui pse sur le dsir et qui remonte aux Grecs, c'est le dsir est manque. La secondemaldiction c'est : le dsir sera satisfait par le plaisir, ou sera dans un rapport nonable avec lajouissance. Bien sr, on nous expliquera que ce n'est pas la mme chose. Il y a quand mme un drlede circuit DESIR-PLAISIR-JOUISSANCE. Et tout a, encore une fois, c'est une manire de maudire etde liquider le dsir!

    L'ide du plaisir, c'est une ide compltement pourrie - y'a qu' voir les textes de Freud, au niveaudsir-plaisir, a revient dire que le dsir c'est avant tout une tension dsagrable. Il y a un ou deuxtextes o Freud dit que, aprs tout, il y a peut-tre des tensions agrables, mais encore a ne va pasloin. En gros, le dsir est vcu comme une tension tellement dsagrable que, il faut, mot horrible,mot affreux, pour s'en sortir tellement c'est mauvais ce truc l, il faut une dcharge. Et cette dcharge,et bien c'est a le plaisir! Les gens auront la paix, et puis, hlas, le dsir renat, il faudra une nouvelledcharge. Les types de conceptions que l'on appelle en termes savants: hdonistes, savoir la

    recherche du plaisir, et les types de conceptions mystiques qui maudissent le dsir, en vertu de ce quiest fondamental dans le manque, je voudrais que vous sentiez juste que de toutes manires, ilsconsidrent le dsir comme le sale truc qui nous rveille, et qui nous rveille de la manire la plusdsagrable, c'est dire - soit en nous mettant en rapport avec un manque fondamental qui peut treds lors apais avec une espce d'activit de dcharge, et puis on aura la paix, et puis arecommencera ... quand on introduit la notion de jouissance l-dedans - vous voyez je suis en traind'essayer de faire un cercle, trs confus, un cercle pieux, un cercle religieux de la thorie du dsir, onvoit quel point la psychanalyse en est imprgne, et quel point la pit psychanalytique estgrande. Ce cercle, un de ses segments c'est le dsir-manque, un autre segment c'est plaisir-dcharge, et encore une fois, c'est compltement li a. Et je me dis tout d'un coup : qu'est-ce qui neva pas chez Reich ? Il y a deux grandes erreurs chez Reich : la premire erreur c'est le dualisme,alors il passe ct : c'est le dualisme entre deux conomies, entre une conomie politique et uneconomie libidinale. Si on parle du dualisme entre deux conomies, on pourra toujours promettre de

    faire le branchement, le branchement ne se fera jamais. Et cette erreur du dualisme se rpercute unautre niveau : le dsir est encore pens comme manque et donc il est encore pens avec commeunit de mesure, le plaisir. Et Reich a beau donn au mot plaisir un mot plus fort et plus violent, il

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    l'appelle orgasme, toute sa conception prcisment de l'orgasme, qu'il va essayer de retourner contreFreud, consiste pousser jusqu'au bout que le dsir en tant que tel est li tellement au manque, quesi il n'arrive pas obtenir la dcharge qui l'apaise, il va se produire ce que Reich appelle des stases.Le dsir est fondamentalement rapport l'orgasme, et que l'on rapporte le dsir au plaisir ou l'orgasme, il faut bien qu'on le rapporte au manque. C'est exactement la mme chose. L'une despropositions, c'est l'inverse de l'autre.

    Si on ajoute le troisime arc de cercle : dsir-manque, tout a c'est toujours du dsir qui est dirig surde la transcendance. En effet, si le dsir manque de quelque chose, il est comme intentionnalit visede ce dont il manque, il se dfinit en fonction d'une transcendance, de la mme manire qu'il estmesur en fonction d'une unit qui n'est pas la sienne, et qui serait le plaisir ou l'orgasme lui assurantsa dcharge. Et, pour fermer ce cercle dont on n'a pour le moment que deux arcs - videmment, lethme qui consiste tablir une distinction entre jouissance et plaisir, est trs utile. C'est a qui vafaire fonctionner le tout. Je pense notamment une distinction chre Lacan, mais je ne la connaispas, la distinction entre la jouissance et le plaisir. J'en retiens ce que Barthes en dit dans son dernierlivre : "Le plaisir du texte", o il explique un peu. Il distingue des textes de plaisir et des textes dejouissance. Voil ce qu'il dit au sujet du texte de plaisir : "Celui qui contente, emplit, donne del'euphorie. Celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est li une pratique confortable de lalecture"; texte de jouissance : "celui qui met en tat de perte, celui qui dconforte, fait vaciller les

    assises culturelles, historiques, psychologiques du lecteur, la consistance de ses gots, de sesvaleurs et de ses souvenirs ..." "Or, c'est un sujet anachronique, celui qui tient les deux textes dansson champ et dans sa main les rnes du plaisir et de la jouissance, car il participe en mme temps etcontradictoirement l'hdonisme profond de toute culture et la destruction de cette culture. Il jouit dela consistance de son moi, c'est l son plaisir, et recherche sa perte, la perte de son moi. C'est l sajouissance, c'est un sujet deux fois cliv, deux fois pervers."

    Formidable, on retrouve la dualit du sujet de l'nonc capable de plaisir, et du sujet de l'nonciationdigne d'une jouissance. Seulement, comme le sujet de l'nonc ne s'lve jamais jusqu'au sujet del'nonciation, parce que le sujet de l'nonciation finalement c'est le grand signifiant, il va de soi que lajouissance est impossible. a veut dire que la jouissance, comme est en train de l'expliquer Barthes,est en rapport fondamental avec la mort, si bien qu'on peut boucler notre cercle : dsir-manque, dsir-plaisir ou orgasme, dsir-jouissance.

    Heureusement, dans un texte encore plus clair, aprs, Barthes va jusqu' dire: "Le plaisir n'est-ilqu'une petite jouissance, la jouissance n'est-elle qu'un plaisir extrme ? Non. Ce n'est pas l'un qui estplus fort que l'autre, ou l'autre moins fort, mais a diffre en nature. Si on dit que le dsir et lajouissance sont des forces parallles, quelles ne peuvent se rencontrer et qu'entre elles, il y a plusqu'un combat, une incommunication, alors il nous faut bien penser que l'histoire, notre histoire n'estpas paisible, ni mme peut-tre intelligente, que le texte de jouissance y surgit toujours la faon d'unscandale, d'un botement, qu'il est toujours la trace d'une coupure, d'une affirmation, on peut y aller ..."Qu'est-ce qui se passe ?

    Je pense ce livre sur la vie sexuelle dans la Chine ancienne. Il nous raconte une drle d'histoire,finalement on est tous des Chinois : dans le Taosme, a varie au cours des ges. de toutes manires,

    le lecteur est frapp de ce que c'est la gloire de l'homme, les femmes l-dedans ... mais ce n'est pasa qui fait la diffrence avec la pense occidentale, parce que, du ct de la pense occidentale, ane va pas plus fort; la diffrence, elle est ailleurs.

    Ce qui est diffrent, c'est la manire dont le dsir est vcu d'une faon totalement diffrente : il n'estrapport aucune transcendance, il n'est rapport aucun manque, il n'est mesur aucun plaisir etil n'est transcend par aucune jouissance, sous la forme ou sous le mythe de l'impossible. Le dsir estpos comme pur processus. Concrtement, a veut dire que ce n'est pas du tout l'orgasme; leurproblme ce n'est pas comme le problme occidental qui est : comment arracher la sexualit lagnitalit, leur problme c'est : comment arracher la sexualit l'orgasme. Alors, ils disent en gros :vous comprenez, le plaisir ou l'orgasme, ce n'est pas du tout l'achvement du processus, c'est, ou soninterruption, ou son exaspration, or les deux reviennent au mme et c'est tout fait fcheux! Sansdoute, il faut que a arrive, mais alors il faut percevoir ces moments de suspension comme de

    vritables suspensions qui permettent la remise en marche du processus. Ils ont une thorie surl'nergie femelle et l'nergie mle, qui consiste dire en gros : l'nergie femelle est inpuisable,

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    l'nergie mle, c'est plus ennuyeux, elle est puisable. Le problme, de toutes manires, c'est quel'homme prenne quelque chose de l'nergie femme qui est inpuisable, ou bien que chacun prennequelque chose l'autre. Comment cela peut-il se faire ?

    Il faut que les flux - et il s'agit bien d'une pense en termes de flux -, il faut que le flux fminin, suivantdes trajets trs dtermins, remonte suivant les lignes du flux masculin, le long de la colonne

    vertbrale, pour aller jusqu'au cerveau, et l se fait le dsir dans son immanence comme processus.On emprunte un flux, on absorbe un flux, se dfinit un pur champ d'immanence du dsir, par rapportauquel plaisir, orgasme, jouissance sont dfinis comme de vritables suspensions ou interruptions.C'est dire, non pas du tout comme satisfaction de dsir, mais comme le contraire : exaspration duprocessus qui fait sortir le dsir de sa propre immanence, i.e. de sa propre productivit. Tout a c'estintressant pour nous dans la mesure o, dans cette pense, le dsir simultanment perd toute liaisonet, avec le manque, et le plaisir ou l'orgasme, et avec la jouissance. Il est conu comme production deflux, il dfinit un champ d'immanence, et un champ d'immanence a veut dire une multiplicit oeffectivement tout clivage du sujet en sujet de l'nonciation et sujet de l'nonc devient strictementimpossible, sujet de jouissance et sujet de plaisir devient strictement impossible, puisque dans notremachin tournant c'tait tout simple : le sujet de l'nonciation c'tait le sujet de la jouissanceimpossible, le sujet de l'nonc c'tait le sujet du plaisir et de la recherche de plaisir, et le dsirmanque c'tait le clivage des deux. C'est vous dire quel point, de Descartes Lacan, cette

    rpugnante pense du cogito n'est pas seulement une pense mtaphysique.

    Toute l'histoire du dsir - et encore une fois, c'est de la mme manire que Reich tombe, cettemanire de relier le dsir un au-del, qu'il soit celui du manque, qu'il soit celui du plaisir ou qu'il soitcelui de la jouissance, et, de poser le dualisme du sujet de l'nonciation et du sujet de l'nonc, et cen'est pas par hasard que c'est les mmes qui le font aujourd'hui, i.e les lacaniens, i.e. d'engendrertous les noncs partir du sujet qui, ds lors, et rtroactivement, devient le sujet cliv en sujetd'nonciation et sujet d'nonc. Ce qui est inscrit, c'est le sujet de l'nonciation qui met le dsir enrapport avec la jouissance impossible, le sujet de l'nonc qui met le dsir en rapport avec le plaisir, etle clivage des deux sujets qui met le dsir en rapport avec le manque et la castration. Et, au niveau dela thorie, la production des noncs se retrouve exactement, mots pour mots, cette thorie pourrie dudsir.

    C'est en ce sens que je dis que penser, c'est forcment tre moniste, dans l'apprhension mme del'identit de la pense et du processus, aussi bien que dans l'apprhension de l'identit du processuset du dsir : le dsir comme constitutif de son propre champ d'immanence, c'est dire commeconstitutif des multiplicits qui le peuplent. Mais c'est peut-tre obscur tout a, un champ moniste c'estforcment un champ habit par des multiplicits.

    Kyril Rejik : Oui, mais je trouve a dangereux parce qu'on considre le monisme comme tout faitautre chose, comme le rsultat d'une dialectique issue du dualisme ... Hegel par exemple.

    Gilles : Mais a c'est un faux monisme.

    Cette opration magique qui consiste s'interdire l'emploi des adjectifs un et multiple, pour ne garder

    que le substantif multiplicits. C'est a l'opration qui rend compte de l'identit du monisme et dupluralisme et qui rapporte la vraie source du dualisme la dualit tablie entre les deux adjectifs : l'unet le multiple. Le fondement du dualisme, a a toujours t : il y a des choses qui sont unes :retrouvant l toujours Descartes puisqu'aujourd'hui, c'est de Descartes dont il s'agit, i.e. de Lacan etpuis il y a des choses qui sont divisibles. Le dualisme ne se dfinit pas par deux, le dualisme a sedfinit par l'emploi de un et de multiple comme adjectifs. C'est dj vrai chez Dunn Scott.

    Et bien que, si l'emploi de un et de multiple comme adjectifs, on substitue le substantif multiplicitssous la forme : il n'y a rien qui soit un, rien qui soit multiple, tout est multiplicits. A ce moment l, onvoit l'identit stricte du monisme et du pluralisme sous cette forme d'un processus d'immanence qui nepeut tre ni intrt - et c'est a que nous disent les Chinois dans leur sagesse sexuelle, ni exaspr.Le processus d'immanence est aussi bien une multiplicit, i.e. dsigner un champ d'immanence

    peupl par une multiplicit.

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    Kyril : Tout l'heure, tu as parl de dualisme comme un rsultat d'oedipe. Comme tu penses d'autrepart oedipe comme une machine transitoire entre les affaires de masse, de meute, ou les affaires deparanoa ou de schizophrnie, tu as donc une production de ce dualisme partir d'un dualisme quit'es propre (te retournes pas comme a) au niveau du fonctionnement des processus. Ce que tu nousas expos depuis deux ou trois ans.

    Gilles Deleuze : C'est fini depuis deux ou trois ans, c'est fini. L, aujourd'hui, je ne rintroduis aucundualisme. On oublie tout le reste.

    Quand je dis : le cogito, c'est oedipien, peu importe ... Il faudrait trouver d'ailleurs, a doit tre dansl'Oedipe de Sophocle qu'il y a les premires formulations du cogito, mme dans la dmarchecartsienne, il y a toute cette progression, l'assimilation des trois stades de la machine oedipienne,avec le doute paranoaque, le dieu non trompeur, miraculant, et le "je pense", a me parat presque*******, savoir ce que je veux dire, c'est toute une thorie qui, d'une manire ou d'une autre, rapportela production d'noncs un sujet, est premirement une thorie qui va ncessairement diviser lesujet en deux : sujet de l'nonc et sujet de l'nonciation. Deuximement, elle va nous entraner toutes les soumissions, et ce, de la manire la plus hypocrite, en nous disant : c'est toi le chef! Ce queje voudrais faire ressortir, c'est que tout a c'est la mme chose, et troisimement, les figures du dsir,en ce sens que il lie le dsir au manque, ou ce qui revient au mme, il lie le dsir la trinit plaisir-

    orgasme-jouissance; voil.

    Pourquoi ce deuxime point, pourquoi est-ce la soumission la plus hypocrite ? C'est que cette histoirede clivage du sujet, elle consiste toujours dire : c'est toi qui commandes, i.e. vous accderez aucommandement dans la mesure o vous vous soumettrez un ordre dont vous n'tes pas le sujetsans tre le lgislateur aussi. C'est le fameux ordre de la dmocratie. C'est en tant que sujet que voustes lgislateur; ce n'est pas par hasard que celui qui a pouss cette doctrine le plus loin, leformalisme de cette doctrine, c'est l'hritier de Descartes du point de vue du cogito, savoir : c'estKant, et que la soumission la raison nous est prsente comme la manire dont nous devenonslgislateurs. Et cette soumission la raison, considre comme la manire dont nous devons devenircomme naturellement lgislateurs : a nous renvoie toujours la division du sujet en sujet de l'noncet sujet de l'nonciation : tu obiras comme sujet de l'nonc, mais parce que c'est toi qui commande

    en tant que sujet de l'nonciation, et on nous convie saisir cette grande identit clive, commeidentit barre, tout ce que vous voulez, du lgislateur et du sujet. C'est la mme chose; c'est lemme mcanisme qui, donc, prtend engendrer les noncs par rapport un sujet, qui pose la dualitd'un sujet de l'nonciation et d'un sujet de l'nonc comme source de tous les autres dualismes qui,ds lors, supprime la pense comme processus et qui, troisimement, fout en l'air toute position dudsir parce que rapportant le dsir au manque, au plaisir, la jouissance et que, ce moment l, cequi saute en effet au profit de l'apparence de la pense, i.e. au profit d'une image de la pense. Onpourra contempler l'image de la pense dans le dualisme, alors qu'il n'y a de ralit de la pense quedans le monisme du processus et dans les multiplicits qui peuplent le champ d'immanence. Si bien,que lorsque les Chinois dfinissent ce champ d'immanence du dsir parcouru de flux qui nepoursuivent ni le plaisir possible au niveau du sujet de l'nonc, ni la jouissance impossible au niveaud'un pseudo-sujet de l'nonciation, ils se donnent en mme temps toutes les conditions de toute unethorie du dsir et d'une thorie de la production des noncs. Dernier pas faire : pourquoi est-ce

    que la thorie de la production des noncs, alors ils vont la chercher du ct d'un art militaire, c'est dire d'une machine de guerre, une machine stratgique de guerre, en mme temps que la thorie dudsir, ils vont la chercher dans les manuels de sexualit et que les types de thories manuelles sonttroitement ****** l'un dans l'autre. C'est dire qu'ils dfinissent des multiplicits communicantes dansle processus ou dans le champ d'immanence mme.

    Kyril : Avec cette petite diffrence en plus que les manuels de sexologie sont compltementphallocrates et que la politique chinoise est compltement impriale.

    Gilles : D'accord, mais c'est un dtail, parce que ce n'est pas a qui fait la diffrence entre l'occident etl'orient. Tu en dirais autant de l'occident si on cherche la diffrence, ce n'est srement pas l; que cesoit phallocrate et imprial, d'accord, mais a c'est plutt le fond commun. a veut dire qu'il ne suffitpas de dfinir le dsir comme champ d'immanence pour chapper l'imprialisme, etc.

    Est-ce clair ce rapport entre la thorie des noncs et la conception du dsir ?

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    INTERRUPTION

    Personne ne pourrait dire un peu la diffrence chez Lacan entre plaisir et jouissance.

    Intervention : Le dsir entretient un rapport nonable avec la jouissance.

    Gilles : On voit bien comment a fait partie du mme truc de dire que la jouissance ce n'est pas leplaisir, a fait partie d'une espce de systme, que pour tout simplifier, je prsenterais comme uneconception circulaire du dsir o, la base, il y a toujours le postulat de dpart - et il est vrai que laphilosophie occidentale a toujours consist dire : si le dsir est, c'est le signe mme, ou le fait mmeque vous manquez de quelque chose. Et tout part de l. On opre une premire soudure dsir-manque, ds lors, a va de soi que le dsir est dfini en fonction d'un champ de transcendance; ledsir est dsir de ce qu'il n'a pas, a commence avec Platon, a continue avec Lacan. a c'est lapremire maldiction du dsir, c'est la premire faon de maudire le dsir; mais a suffit pas. Ce que

    je fais, c'est la mthode de Platon dans le Phdon, quand il construit un cercle partir des arcs. Ledeuxime arc : si le dsir est fondamentalement vise de l'Autre, ouvert sur une transcendance, si ilsubit cette premire maldiction, qu'est-ce qui peut venir le remplir ? Ce qui peut venir le remplir, cene sera jamais qu'en apparence l'objet vers lequel il tend, c'est aussi bien l'Autre, c'est inatteignable,c'est le pur transcendant. Donc, ce ne sera pas a qui viendra le remplir. Ce qui vient le remplir ou lesatisfaire, qui vient lui donner une pseudo-immanence, a va tre ce qu'on appelle l'tat de plaisir,mais ds ce second niveau, il est entendu que cette immanence est une fausse immanence puisquele dsir a t dfini fondamentalement en rapport avec une transcendance, que ce remplissementc'est, la lettre, une illusion, un leurre. Seconde maldiction du dsir : il s'agit de calmer le dsir pourl'instant, et puis la maldiction recommencera. Et puis il faudra le rclamer, et puis c'est la conceptiondu plaisir-dcharge. Rien que ce mot indique assez que le titre de ce second arc de cercle est "pouren finir provisoirement avec le dsir." C'est a qui me parat fascinant, quel point a reste dans toutela protestation de Reich contre Freud, il garde cette conception du dsir-dcharge qu'il thmatise dans

    une thorie de l'orgasme. Ce second arc dfinit bien cette espce d'immanence illusoire par laquellele plaisir vient combler le dsir, c'est dire l'anantir pour un temps. Mais, comme dans toute bonneconstruction, puisque tout a c'est de la pure construction, c'est pas vrai, c'est faux d'un bout l'autre,il faut un troisime pour boucler le truc, puisque vous avez cette vrit suppose du dsir branchesur une transcendance de l'Autre, cette illusion ou ce leurre par lequel le dsir rencontre desdcharges calmantes l'issue desquelles il disparat, quitte reparatre le lendemain, il faut bien untroisime arc pour rendre compte de ceci : que mme travers ces tats de sommeil, de satisfaction,etc. ..., il faut bien que soit raffirm sous une forme nouvelle l'irrductibilit du dsir aux tats deplaisir qui l'ont satisfait que en apparence, il soit raffirm sur un autre mode : la transcendance. Etcette raffirmation c'est le rapport jouissance impossible-mort. Et du dbut la fin, c'tait la mmeconception, et quand on nous dit : attention, faut pas confondre le dsir, le plaisir, la jouissance,videmment il ne faut pas les confondre puisqu'ils en ont besoin pour faire trois arcs d'un mmecercle, savoir les trois maldictions portes sur le dsir. Les trois maldictions c'est :

    - tu manqueras chaque fois que tu dsireras

    - tu n'espreras que des dcharges

    - tu poursuivras l'impossible jouissance.

    Alors le dsir est compltement pig, il est pris dans un cercle. Et alors en quoi c'est la mme chose,le problme des noncs ? C'est pareil au niveau du cogito cartsien, puisque vous construisezgalement votre cercle au niveau de je marche, je respire, j'imagine, je vois une licorne, systmed'noncs o le JE est sujet de l'nonc, et a c'est quelque chose comme l'apparence. Peut-tre quece n'est pas vrai, peut-tre que Dieu me trompe, peut-tre que je crois marcher et que je ne marche

    pas. Deuxime arc : mais attention, car s'il est vrai que je peux me tromper quand je dis je marche, enrevanche, je ne peux pas me tromper lorsque je dis "je pense marcher". Si il est vrai que je peux me

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    tromper quand je dis "je vois une licorne", je ne peux pas me tromper en disant "je pense que je voisune licorne". a c'est l'extraction du "je pense donc je suis", c'est l'extraction d'un sujet del'nonciation; et la production de l'nonc, d'un nonc quelconque se fait sous la forme du clivage dusujet en sujet de l'nonciation et sujet de l'nonc comme condition de la production de tout noncpossible.

    Le dsir-manque se trouve au niveau du clivage du sujet, de la coupure, de la barre. Le systme dudsir-plaisir, il se retrouve au niveau du sujet de l'nonc. Et le systme du dsir-jouissance, il seretrouve au niveau de la gloire du sujet de l'nonciation, avec encore une fois, la mystification ducercle : tu commanderas d'autant plus que tu obiras, i.e. tu seras d'autant plus prs d'tre le vritablesujet de l'nonciation que tu te conformeras la barre qui te spare comme sujet de l'nonc du sujetde l'nonciation, c'est dire que c'est par la castration que tu accdes au dsir.

    Dire : c'est par la castration que tu accdes au dsir, ou dire : c'est par le clivage du sujet que tuaccdes la production d'noncs, c'est pareil.

    Rejik : T'as pas envie de pousser plus loin avec le Dieu de Descartes et le signifiant de Lacan ?

    Gilles : J'ai pas tellement envie, mais je veux bien, ouaf! ouaf! ouaf!

    Le problme, a devient, supposer qu'on dise que les seuls noncs, c'est le dsir. Tout dsir est unnonc, tous les noncs sont des dsirs. Si c'est bien comme a, ce dont il faut rendre compte, c'estle systme de l'apparence, alors il va de soi que Nietzsche a compltement raison, c'est vraiment unsystme platonicien chrtien, et si a aboutit la psychanalyse, c'est pas par hasard, parce que lapsychanalyse c'est le truc qui nous dit : viens, allonge-toi et tu vas avoir enfin l'occasion de parler enton nom, et qui, en mme temps a retir d'avance toutes les conditions possibles d'une productiond'noncs, prcisment parce qu'elle a subordonn toute production d'noncs au clivage du sujet del'nonciation et du sujet de l'nonc, i.e, tu commanderas d'autant plus que tu acceptes la castrationet que tu poursuivras la jouissance impossible.

    Richard III : Il me semble que le dsir-dcharge repris sous la forme de la mtonymie chez Lacan, ce

    n'est pas loin - mais ce n'est qu'une intuition - du dsir - aufhebung, et que, finalement, toute l'histoiredu dsir qui se dplace et qu'on n'arrive jamais atteindre, c'est le parcours de la phnomnologie del'esprit, en gros. Avec comme impossible horizon, justement cette jouissance qui serait le savoirabsolu.

    Gilles : Si tu veux, mais il n'y a aucune raison de privilgier Hegel parce que c'est un des cas multipleso le dsir est dfini comme manque, mais dans les pages qui prcdent celles du matre et del'esclave, tout y passe de ce cercle : le dsir-manque, l'illusion du plaisir, et le dsir-jouissance.

    Richard III : Ce qui est vachement intressant, c'est que si tu relies le dsir au champ de l'Autre et autrsor du signifiant, tu as vraiment le procs de l'errinerung ...

    Gilles : Bien oui, c'est pas par hasard que Lacan est pass par Hegel; il a supprim ses texteshgeliens.

    Le problme c'est qu'il faudra expliquer la formation de cette apparence, quelles conditions est-ceque les noncs paraissent tre produits par un sujet qui, en tant que producteur d'noncs, seraitds lors ncessairement cliv en sujet de l'nonc et sujet de l'nonciation. Et surtout, qu'est-ce quea permet comme rabattement? C'est des choses qu'on a dj faites, vous avez deux rabattementspossibles : ou bien le sujet de l'nonciation - le clivage sert de toutes manires rabattre l'un surl'autre - ou bien le sujet de l'nonciation sera rabattu sur le sujet de l'nonc, et a ce sera l'appareiloedipien, ou bien le sujet de l'nonc sera exauc jusqu'au sujet de l'nonciation, et ce sera l'appareilparanoaque. Le paranoaque c'est le sujet de l'nonc qui se prend pour sujet de l'nonciation.

    J'ai peur que toute explication ne rende la formule plus morne. Le paranoaque, c'est vraiment celuiqui s'tablit entre tout ce qui peut servir de signe rseaux, ou un systme de rseaux tel que lesigne renvoie au signe. Le signe ne renvoie plus soit une terre, soit un corps, soit une chose, le

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    signe renvoie au signe dans un systme de rseaux, et ds lors, et en mme temps, est subsumsous un signifiant; et ce signifiant, c'est lui qui reprsente pour un autre signifiant, le sujet, suivant uneformule bien connue, savoir : le signifiant c'est prcisment le sujet de l'nonciation. Et la position duparanoaque, elle est trs typique et trs formidable, parce que, c'est la fois celui qui doute le plus,et celui qui a la plus grande puissance. La paranoa, a fourmille dans tous les sens : un signe ici, oh,mais il y en a un autre l, oh, mais l-bas, etc. C'est pas comme a dans tous les dlires; encore une

    fois, un paranoaque, c'est les rseaux, et quand il est pris dans les rseaux, il doute de tout, il se dit :peut-tre que je me trompe ? En tant que sujet de l'nonc, il est perptuellement dans une espcede doute, mais en mme temps, il rcupre tout, et il rcupre une certitude, c'est lui le distributeurdes signes, il est puissant et surpuissant dans la mesure o il saute, il est instable, au niveau du sujetde l'nonciation, et la formule du paranoaque, c'est du niveau : j'ai devin d'avance. Il passe sontemps osciller l'intrieur de son rseau de signes.

    Il faudra rendre compte de cette production d'une apparence. L'apparence consiste en ceci, encoreune fois : les noncs seraient produits par un sujet ainsi cliv. Comment a a pu se produire ce trucl ? Et c'est le problme de comment dire MOI ? Comment oser dire MOI ? Ds que je dis "moi", jeme situe la fois comme sujet de l'nonc et comme sujet de l'nonciation. Et chaque fois qu'il y a ceclivage, il y a la saloperie qui arrive; je veux dire par exemple : "moi comme homme""; toutes lesfonctions sociales sont construites l-dessus, toutes les fonctions rpressives sont construites sur ce

    clivage : moi comme homme, je vous comprends, mais comme pre, je dois agir! Moi comme homme,je suis de votre ct; mais comme flic, je dois appliquer la loi! Comme flic je dois appliquer la loi, aveut dire que je suis sujet de l'nonc; comme homme, je vous comprends : a veut dire que je suissujet de l'nonciation. Je serai d'autant plus lgislateur que je serai sujet, vous serez d'autant plussujet que vous serez lgislateurs, on se comprend tous ... c'est une autre manire de dire : d'accord,on est tous castrs, a marche.

    Ce qu'on disait la semaine dernire, c'est : il n'y a pas d'noncs individuels, aucun nonc ne peuttre produit par un individu. Notre hypothse c'tait que ce qui produit les noncs c'taient desagencements machiniques, ou ce qui revient au mme, des agents collectifs d'nonciation, conditionde comprendre que des collectifs, a ne veut pas dire des peuples, mais a veut dire, en quel quesens que le terme soit pris : ce qu'il faut appeler agents collectifs d'nonciation, c'est toutesmultiplicits, de quelque nature qu'elles soient. Si bien que expliquer comment des agencementsmachiniques d'nonciation produisent effectivement des noncs variables dans telles ou tellescirconstances et produisent des types nouveaux d'noncs ? Comment ces noncs sontncessairement des dsirs et comment l'intrieur de cette production, s'engendre l'illusion d'un sujet,d'un sujet cliv en sujet de l'nonciation et en sujet de l'nonc, qui a l'impression de produire lesnoncs qui, en fait, sont produits par les agencements machiniques ou par les multiplicits agissanten lui.

    Il faut voir comment a se passe. Il faut poser le problme pratiquement! Il faut poser une sried'oppositions, il faut faire un tableau : comment se produit un corps sans organes, premireproduction de l'nonc; je veux dire : si quelque chose, dans des conditions donnes, ne fonctionnepas comme corps sans organes, il n'y a pas de surface o inscrire un nonc. Un corps sans organes,c'est la surface d'inscription pour tout nonc possible ou pour tout dsir. Seulement un corps sans

    organes, il n'y en a pas un seul, il y en a autant que vous voulez. C'est un truc produire ou fabriquer. Un corps sans organes, a prexiste pas. J'avais pris, la dernire fois, comme modle, ledsert, mais condition qu'il se passe des choses. Le dsert c'est bien un lieu ou une surface deproduction d'noncs. Il n'y a pas d'noncs lis la drogue qui ne supposent comme pralable laconstitution d'un corps sans organes ... quoi qu'il se passe de l'ordre de l'vnement, i.e. de l'noncou du dsir, l'vnement c'est finalement l'identit mme de l'nonc et du dsir, quoi qu'il se passeimplique la constitution d'un corps sans organes. Tant que vous n'avez pas fait votre corps sansorganes, tout seul, deux ou n, rien n'est possible, il faut trouver le sien ... Dans la mauvaisecolonne, celle de la fausse conception du dsir, on mettrait l'organisme. L-dessus, il faudrait montrercomment un corps sans organes se forme sur cet organisme, comment apparat une tte chercheuse,une pointe machinique, et cette pointe machinique c'est cette instance de mouvement qui va setrouver plus tard dans tel ou tel agencement. Le corps sans organes, le dsert est fondamentalementpeupl. Le problme de l'inconscient ce n'est vraiment pas celui de gnrations, c'est un problme de

    population, il s'agit de savoir comment on peuple. Alors quand Green dit : faut pas charrier, unschizophrne c'est quelqu'un qui a un pre et une mre comme tout le monde, et bien c'est pas vrai ...J'ai l un texte d'une vieille schizo, il est trs beau ce texte. Elle fait des contes : "j'adore inventer des

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    peuplades, des tribus, les origines d'une race; enfin imaginer d'autres comportements, mille autresfaons d'tre. J'ai toujours eu le complexe d'exploration et je n'aime gure compter que desexplorations trs fantaisistes. Par exemple, mes dserts sont en somme des divertissements, desdivertissements-dserts, pour qui peut imaginer ces tranges simulateurs de *********, cette sorte dechants oniriques. Je me laissais aller; j'avais tendance me livrer de coupables expriences surmes personnages, les maltraiter - vous voyez il s'agit de peupler un dsert -, user envers eux de

    cruaut mentale, par provocation. J'ai la rage d'imaginer comment a peut fonctionner, un tre, dansune situation extrme, aprs tout c'est une passion ... "(magntophone inaudible). Dans tous sescontes, il n'est question que de dserts peupls de tribus : "je reviens de mes tribus, je suis jusqu' cejour le fils adoptif de quinze tribus, pas une de moins; et ce sont mes tribus adoptes car j'en aimechacune plus et mieux que si j'y tais ne. L-bas, l'enfant a le droit d'adopter une autre tribu. Il y abeaucoup d'enfants transfuges et ils ne se sentent pas du tout exils. Mais leurs vrais parents ?Qu'entendez-vous par vrais parents ? Les gniteurs vrais, les parents sont d'abord ceux que l'enfantreconnat pour tels, gniteurs ou adopts, c'est dire les tribus." On est l'enfant d'une population etpas l'enfant d'un pre et d'une mre. Un schizo pense comme a.

    Aux agencements de multiplicits, dans l'autre colonne, s'oppose le thme du sujet d'nonciation, dusujet cliv comme source des dualismes. A l'appareil anti-oedipien s'oppose l'appareil oedipien, ou, audevenir inhumain, au devenir animal s'oppose le devenir humain de l'autre colonne. Au monisme-

    pluralisme, s'opposent des dualits qui dcoulent de la fausse conception de l'nonc. Au dsir oupense-processus, s'oppose la conception du dsir-manque-plaisir-jouissance; tout commes'opposent les deux statuts du signe que nous avons vu la dernire fois, savoir le signe rassembldans un rseau qui le subordonne au signifiant, et au contraire, le signe qui se met travailler pourson compte, qui se libre de l'hypothque du signifiant et qui passe en couplage avec une particule ouun systme de particules, i.e. le signe-particule par opposition au signe-signifiant. Il faudrait savoirquelle pointe machinique marque le maximum de dterritorialisation sur ce corps sans organes; cettehistoire de pointe machinique qui va marquer sur le CSO les courants de dterritorialisation, a mesemble trs compliqu. Il faut voir aussi les agencements machiniques qui en dcoulent, et puis lesdevenirs animaux, ou, ce qui revient au mme, les intensits. Les intensits dterritorialises quiquadrillent le corps sans organes. Et dans tout a, le sujet c'est, la lettre, une particule nomade quiparcourt tout a, les lignes de dterritorialisation, les intensits. Le problme de la gense de l'illusionc'est : qu'est-ce qui va fixer le sujet : tout la fois, on va lui faire un organisme, on va le soumettre au

    cogito, on va le fixer, on va assurer sa soumission en lui disant : c'est toi qui produit les noncs. Laprochaine fois, il faudra voir le livre de Carlos CASTANEDA. Il raconte en gros, non pas une initiation,mais vraiment une exprimentation. Le type voudrait bien se faire initier, parce que c'est un pauvretype, et l'indien lui dit pas question. Carlos lui dit : apprends-moi, je veux savoir, i.e. qu'il traite le vieilindien comme on traite son psychanalyste, et l'indien lui dit : commence par trouver ton corps sansorganes. La recherche du CSO de Carlos, c'est pathtique, il cherche dans un espace restreint, dansune espce de dsert, a c'est de l'exprimentation joyeuse; et d'une certaine manire, cetterecherche, c'est trouver la place o on est bien. Dans une perspective de schizo-analyse, il faut que letype trouve o il est bien, et dans quelle position, sir il veut s'accrocher au plafond ... Il n'y a aucuneraison pour qu'il se couche. Et Carlos la cherche sa place, en roulant sur lui-mme dans l'herbe, ilcherche jusqu' ce qu'il trouve. Une fois qu'il a trouv sa place, il ne se vit plus du tout comme sujet,c'est un petit truc, une petite particule, et puis il y a une particule plus brillante, c'est l'indien. Alors,commence un agencement machinique, sous quelle forme ? Sous forme qu'il faut un alli. Il faut,

    d'une part un enseignant, un exprimentateur, mais il faut aussi une puissance allie. Tout a, acommence faire une petite machine o quelque chose va se passer; sur ce corps sans organes sedessine dj une certaine distributions d'intensits. Et v'l qu'il voit un chien, il fait le chien, mais c'estpas a non plus, il ne fait pas le chien; il est en train de dfaire l'organisation du corps au profit d'autrechose. On sent que le problme ce n'est pas celui de devenir animal, le chien, c'est pas un chien.L'indien dit : c'est pas un chien, c'est n'importe quoi, tout ce que tu veux. Qu'est-ce que c'est cetteespce de devenir inhumain qu'on exprime trs mal en disant : "il a fait le chien". Il a parcourucertaines intensits qu'on peut reprsenter par : chien, comme dans Kafka. Kafka aussi fait le chien,mais il a pas besoin de drogue pour le faire; il s'est invent une autre machine pour le faire. A la fin,Carlos embte tellement l'indien, que l'indien lui dit : mais, quand mme ce chien, quoi, tu le prendspour qui ? C'est quand mme pas ta putain de mre. a c'est de l'anti-psychanalyse. Ce chien, l,c'est la sortie de l'appareil oedipien. Il a suivi sur le corps sans organes, des lignes dedterritorialisation suivant des intensits dterritorialises.

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    Pourquoi telles intensits plutt que d'autres ? Il deviendra ensuite un lzard; puis il progressera, ildeviendra corbeau. Faire le corbeau, a consiste vraiment faire pousser les pattes de corbeau, lesailes de corbeau partir de son visage, se peupler de corbeaux. Ce n'tait pas faire le chien, c'tait sepeupler de chiens. a veut dire traverser ces intensits l. Pour faire le chien, suffit pas de faire ouaoua oua, il faut passer par d'autres exprimentations. a change tout au problme du totmisme.

    Quand les structuralistes parlent du totmisme, c'est quand mme pauvre, sec; le totmisme a atoujours eu certains rapports avec les histoires de drogue, mais ce n'est pas tout car, dans le secondlivre o l'exprimentation continue bien plus fort, on va assister au passage du devenir inhumain, dudevenir intense quelque chose d'autre encore qui est une espce de devenir molculaire, comme sila dsorganisation de l'organisme au profit d'un corps vivant sur un autre mode, impliquait encorequelque chose de plus. Et a c'est la voyance. Qu'est-ce que veut dire voir l-dedans ?

    a consiste avant tout voir de l'eau, et Carlos, travers toute une srie de stades, voit l'eau qui semodifie, se durcit, s'immobilise et qui, surtout, se dissocie. A la fin, elle se molcularise et il saisit l'eau partir de ses bulles constitutives; mais il ne peut saisir et voir l'eau partir de ces bullesmolculaires constitutives que en liaison avec ce qui est produit par l'exprimentation ... (fin de labande).