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DE QUOI PARLE LA NOTION D'ACCOMPAGNEMENT ? Lin Grimaud ERES | Empan 2009/2 - n° 74 pages 29 à 34 ISSN 1152-3336 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-empan-2009-2-page-29.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Grimaud Lin, « De quoi parle la notion d'accompagnement ? », Empan, 2009/2 n° 74, p. 29-34. DOI : 10.3917/empa.074.0029 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Dalhousie University - - 129.173.72.87 - 02/05/2013 15h34. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - Dalhousie University - - 129.173.72.87 - 02/05/2013 15h34. © ERES

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Page 1: De quoi parle la notion d'accompagnement ?

DE QUOI PARLE LA NOTION D'ACCOMPAGNEMENT ? Lin Grimaud ERES | Empan 2009/2 - n° 74pages 29 à 34

ISSN 1152-3336

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-empan-2009-2-page-29.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Grimaud Lin, « De quoi parle la notion d'accompagnement ? »,

Empan, 2009/2 n° 74, p. 29-34. DOI : 10.3917/empa.074.0029

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Distribution électronique Cairn.info pour ERES.

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De quoi parle la notiond’accompagnement ?Lin Grimaud

« L’optimisme des philosophies ne nous est plus suffisant. »

René Char, Le météore du 13 août.

Cet exergue de René Char pour dire ce que je ressens ; à savoir quele travail social qui s’est beaucoup nourri d’une pensée de lapensée, de théorie venue d’ailleurs, même si c’est du voisinage, amaintenant besoin d’une pensée issue de sa pratique.

La passion de la pensée est peut-être mue par le fantasme quel’aboutissement de la pensée est de produire la réalité. Sommes-nous en train de sortir difficilement d’une longue période qui amarqué le travail social de cette passion ? En tout cas, il me semblebien que nous sommes passés de la question de produire la réalité àcelle d’extraire de la pratique, une pensée. Ce qui n’est pas la mêmechose et ne suppose pas la même démarche.

Le destin de la notion d’accompagnement est peut-être ce qui vanous permettre d’interpréter les transformations actuelles du travailsocial plutôt comme une stimulation à trouver de nouveaux posi-tionnements dynamiques que comme une perte sèche. Je mepropose donc d’en suivre le fil.

Il suffit d’entrer le mot « accompagnement » dans un moteur derecherche pour découvrir la masse de réponses disponibles et leurdistribution entre les secteurs du travail social, de la pédagogie, dela formation professionnelle, du service à l’entreprise, du sport etdu loisir. Avec un avantage en nombre de réponses concernantl’entreprise, qui paraît bien être aujourd’hui le premier utilisateurde la notion figurant parmi une gamme de services entre conseil etcoaching.

Dans le domaine de la pédagogie, l’accompagnement apparaît« comme nouveau paradigme professionnel : entre contrainte etcréativité », en rapport étroit avec la notion de « tutorat 1 ». Pour letravail social, l’accompagnement – comme le signale RémyPuyuelo dans l’argument de ce numéro de la revue Empan –« procède à un déplacement : il n’est plus prescripteur d’un cadre-remède ; il s’efforce d’être le révélateur de pistes réalisables entrelesquelles son “partenaire” peut choisir de se risquer ».

Lin Grimaud, psychologueclinicien. [email protected] note 1 page suivante.

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L’ACCOMPA-GNEMENT :

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On retrouve là le lien avec la maïeutique socratique – fondement dela pensée laïque –, l’art d’aider autrui à accoucher de la vérité deson propre désir. Rappelons que dans la perspective du Ve siècleathénien, la vérité du désir articulée au respect des lois est le moyende la construction à la fois de l’individu, de la Cité et du rapportentre les deux. Cette idée de « citoyenniser » va faire résurgencedans celle, laïque, d’« humaniser », qui pour les travailleurs sociauxreflète une démarche favorisant à la fois les capacités affective,réflexive, éthique, sociale et politique dont procède le sujet-citoyen.

La notion d’accompagnement est ainsi amarrée au mythe occiden-tal dont se soutient un système de représentations qui a caractériséla fonction du travail social dans sa phase d’expansion – depuis laSeconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours. Le fait nouveau est quela notion d’accompagnement est soumise à une diffusion qui enrapproche des aspects jugés incompatibles par les travailleurssociaux ; notamment le fait que l’aide au développement de lapersonne se trouve confondue avec l’entraînement à la perfor-mance. Nouvel alliage des signes qui introduit le trouble dans lesystème de référence du travail social ; ses valeurs traditionnellesde solidarité et d’étayage étant aujourd’hui poussées à se combineravec celles de rationalité et de compétitivité.

La notion d’accompagnement, qui – pour les travailleurs sociaux –était intégrée à un discours de libération et de progrès social 2, appa-raît soudain recyclée dans le registre normatif, au sens où la socia-lisation dans le contexte post-industriel tend à se normaliser entermes de survie. La famille, l’éducation, la formation se lisent déjàau travers de ce prisme : le temps de l’enfance tend à se réduire àun temps d’entraînement (voir les emplois du temps des enfants lesmercredis après-midi). L’idée générale étant que la socialisation dechaque sujet exige une préparation intensive parce que la sociététout entière est contrainte à un effort exceptionnel. N’échappent pasà ce discours les personnes porteuses de handicap, qui en devien-nent même des exemples mis en avant 3.

Réapparaît ainsi la tonalité rhétorique de préparation aux sacrificesde masse qui a caractérisé le discours politique à la veille des grandsconflits du XXe siècle. Certes, l’effort aujourd’hui requis est écono-mique, mais la rhétorique utilisée se rapproche toujours plus decelle de l’effort de guerre.

Telle est donc la tendance générale qui affecte aussi le travail social,infléchissant l’interprétation de ses conceptions de base. Replacer lacrise du travail social dans la crise globale permet de comprendre qu’iln’a pas perdu sa fonction, mais bien une certaine exclusivité institu-tionnelle de son exercice de sauvegarde. L’exception du cas social –qui faisait l’exception institutionnelle du travail social – est en trainde s’étendre au grand nombre. Au point que la différence de condi-tions d’existence entre le travailleur social et l’usager s’estompe, le

1. « […] on peut [… ] identifier troisvaleurs-visées guidant l’acted’accompagner. Elles constituent trois“dons” au niveau social, troismanières d’être en veille, troismanières de questionner l’adulte quenous sommes dans la relation à autrui.– Don d’autonomie : l’autonomieconstitue la dimension sociale, saportée est autant écologique etéthique qu’économique et politique– ce qui suppose de cesser d’assisterl’autre comme impuissant à penser,parler, agir par lui-même.– Don de sollicitude : le “prendre soin”d’autrui dans sa capacité à se prendreen main fonde, pour Honoré, ladémarche de santé comme rapport àl’autre dans sa manière de “bien seporter” et de “bien aller” (la santécomme rapport à soi, l’autre et aumonde – et non rapport à la maladie).Cette sollicitude ouvre réciproquementnos possibilités humaines : elle a doncune portée existentielle et collective.– Don d’autorité : l’autorité estproprement éducative. Son expressionet sa défaillance questionnent lesadultes que nous sommes plus que lessystèmes. Elle met en jeu des relationsdissymétriques légitimes etnécessaires permettant lareconnaissance mutuelle etl’émulation réciproque de la puissanced’agir. Elle suppose de cesser deconcevoir l’accompagnement commebéquille pour autrui comme incapableet fragile pour entrevoir une relationentre deux adultes à la fois puissantset faillibles.

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degré de précarité psychosociale de l’un et del’autre se rapprochant jusqu’à parfois s’inverser.

À l’idée que la crise du travail social serait dueà l’introduction du discours managérial dans lesecteur, on peut ajouter une autre série defacteurs qui ont pour épicentre l’érosion del’identité de travailleur social, dont la fonctionest reprise par une multitude d’acteurs institu-tionnels se prévalant de l’accompagnement soustoutes ses formes.

Qu’est-ce donc qui fait l’identité du travail socialsi se généralise une préoccupation commune desurvie psychosociale ? Cette question qui flotteau dessus de notre espace professionnel n’est querarement énoncée, mais elle détermine actuelle-ment le climat subjectif de nombreuses équipeshéritant du manque de rigueur et de l’insuffi-sance de formalisation qui n’ont pas permis autravail social d’énoncer et de fonder la spécificitéde ses conceptions et de ses pratiques.

Par exemple, la méthodologie du traitement de lacrise psychosociale – analyse de situation, défini-tion de problématique, proposition de dispositifde suivi personnalisé, évaluation du dispositif etde la démarche – a fonctionné dans la disconti-nuité : par îlots de pratiques et par moments.

Ce modèle revient de l’extérieur sous le termegénérique d’accompagnement et sous diffé-rentes formes : par les acteurs de la recherche del’emploi, de l’insertion et de la formationprofessionnelle, bientôt par l’orientationscolaire, ainsi que par une multitude de servicesd’intégration sous-traitant projets et missionsliés à l’impasse psychosociale, quelles qu’ensoient les causes et les manifestations.

Au-delà de la vision quelque peu hallucinatoired’une représentation interne que l’on perçoitsoudain à l’extérieur de soi, la diffusion dumodèle indique aussi une réalité qu’il s’agitpour le travail social d’assumer : ses pratiquesau cours des décennies ont constitué un véri-table laboratoire inventant des réponses adap-tées au traitement de la crise psychosociale dansses dimensions individuelle et groupale. De fait,la carence de formalisation n’a pas annulé lacréativité pratique au quotidien.

La problématique aujourd’hui est : d’une partde réactiver l’analyse des pratiques afin demodéliser et de développer la créativité àl’œuvre sur le terrain – même si elle est initiale-ment de faible intensité ; d’autre part, deprendre la mesure des transformations contex-tuelles irrévocables qui sont en cours. Prendrecette mesure, c’est admettre qu’un véritablepositionnement institutionnel du travail socialest à effectuer, qui spécifie ses outils en rapportavec le fait d’une décroissance économiquedans ses conséquences objectives et subjectivesdébouchant sur une généralisation de la problé-matique de la survie.

Je pense qu’il est vain de lutter pour un mondemeilleur si cela autorise à nier la réalité et lestendances lourdes qui la modèlent.

Un mot de ces tendances. La forme prise par letravail social dans la phase de reconstructiond’après-guerre et au cours des Trente Glorieusesa trouvé sa limite dans la loi 2002. Comme onsait, la limite s’exprime par l’effet conjugué dedeux notions : le contrat institution-usager ainsique l’obligation de soumettre pratiques et fonc-tionnements à évaluation. La difficulté consisteà intégrer à ce nouveau cadre notre fond depratiques peu formalisées.

L’articulation des notions d’accompagnement etde survie permet de respécifier le travail socialdans les deux dimensions d’appartenance dusujet : – appartenance horizontale au réseau relationnelet à l’environnement actuels (relation synchro-nique) ;– appartenance verticale au réseau généalogiqueet à l’histoire qu’il y occupe (relation diachro-nique).

Le travail social a tenu compte du fait quechacun de ces deux registres, bien qu’interdé-pendants dans la réalité du sujet, ne se traitentpas de la même manière, ni dans le même temps.

Dans le registre actuel-synchronique, il proposeune aide à la survie par une forme de greffe deréseau d’appartenance. C’est la dimension desauvegarde par l’aménagement concret d’unaccueil, éventuellement d’un habitat et d’un

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système relationnel transitoires, assurant au sujet sa sécurité interneet rendant possible la remobilisation de ses potentialités.

Dans le registre diachronique-historique, il propose une aide pouréclairer et réorganiser le rapport du sujet à la place symbolique qu’iloccupe dans l’ordre de sa filiation.

D’où l’action technique du travail social dans les deux registrescomplémentaires et articulés : l’aide par l’accueil, et l’aide parl’analyse – qui répondent aux deux problématiques auxquelles s’af-fronte le sujet au cours de sa lutte pour la survie psychosociale.

La fonction synchronique d’accueil est assez lisible dans son prin-cipe pour les travailleurs sociaux, qui en rendent généralement biencompte au travers d’une série de notions : tenir et contenir (c’est levecteur de la construction ou de la restauration de la sécurité debase) ; rythmer et ordonner le quotidien, favoriser l’expression, lacommunication, la participation, la représentation (c’est le vecteurde la socialisation). En pratique, la fonction d’accueil exige compé-tence et cohésion de l’équipe pluridisciplinaire. Ce ne sont pas descompétences pérennes, il faut les recréer jour après jour au traversde dispositifs d’analyse des pratiques, aussi bien en interne que parle biais d’intervenants extérieurs.

La dimension de la souffrance généalogique du sujet – ce qui l’em-pêche de se sentir légitimement au monde à sa place de sujet d’his-toire, de désir et de projet – est plus délicate à appréhender.L’étymologie des termes de « survie » et de « survivant » va nous yaider.

Dans son ouvrage Le psychanalyste infidèle, Georg R. Garner inti-tule un sous-chapitre « Survivre, survie, survivance, survécu ».Voici ce qu’on y trouve : « Tous ces mots viennent essentiellementdu champ du droit de l’héritage, du droit des successions duXVIIe siècle.

[… ] La question de la “survie” est uniquement le problème deshéritiers. Et c’est un problème uniquement parce qu’il faut déter-miner quel bien ou quelle proportion des biens va à qui, et quelimpôt est à payer. Par définition le survivant survit à un mort, àquelqu’un dont il reçoit quelque chose. À ce titre il est redevable etimposable. La survie se paye d’un impôt, d’une dîme, d’une gabelleà un tiers. Le survivant est tributaire. Littéralement il paye un tributau groupement social dont il est issu… » « La culpabilité en alle-mand, et donc chez Freud, est non seulement “la coulpe”, la culpalatine, ce n’est pas seulement la faute dont on s’accuse ou qu’onimpute à un autre, c’est également la dette 4. »

Prendre place dans la vie est pour le sujet humain le résultat d’unetransaction infinie avec les figures de son passé. Transaction plus oumoins absorbante, voire paralysante, que la psychanalyse a su péné-trer par l’opération appelée « analyse du transfert ». L’enjeu de la

…/…Ces trois valeurs-visées permettent depenser l’accompagnement, au traversdu tutorat, comme transversal à cestrois domaines que sont l’éducatif, lasanté et le social. » ; Maëla Paul,conférence à l’université de Nantes,23 novembre 2006. Du même auteur : L’accompagnement,une posture professionnellespécifique, Paris, L’Harmattan, 2004.2. Lin Grimaud, « Articulation del’individu et du collectif », Les cahiersde l’Actif, mars-juin 2008.3. Mon propos n’est pas une critiquenégative des lois 2002 et 2005, dont leprincipe est salutaire à condition quesoit considéré l’effort qu’impliquedans la réalité une situationd’intégration pour l’ensemble despartis. Cet effort peut être hors mesureet la situation cependant maintenue aunom du principe. C’est ce qu’onrencontre tous les jours dans lapratique de l’intégration scolaire desenfants handicapés.4. Georg Garner, Le psychanalysteinfidèle, Toulouse, érès, 2007.5. Émile Benveniste, Le vocabulairedes institutions européennes, Paris,Minuit, 1969.

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transaction tient entre la place qui est donnée ausujet, la place qu’il est en mesure de recevoir, laplace qu’il désire s’arroger, la place dont ildésire s’affranchir.

La place symbolique est affaire de réseauxgénéalogique et social. Elle ne peut se réduire àl’espace de construction du sujet entre son pèreet sa mère. Dans cette perspective, l’héritagen’est pas une simple interaction entre celui quilègue et celui qui hérite, mais une opérationdont l’objet véritable est le principe de trans-mission dont se structure le groupe social. Ceque rappelle Garner sur la base des élémentsréunis par le linguiste Émile Benveniste 5.

C’est donc le principe symbolique – organisateurdes subjectivités individuelle et groupale – quiest véritablement donné en partage par le mort àceux qui lui survivent. À ce titre, un héritage peutêtre réussi ou raté ; il permet une reconnaissancedu principe de transmission ou bien, à l’inverse,il en brouille l’enjeu et le rend illisible, parfoissur plusieurs générations en aval.

Dans les cas favorables, le mort, par sa mort,réédite le message humanisant du partagesymbolique qui engage sa descendance dans lareconnaissance commune d’un principe tiers, laloi commune, dont seules l’instauration socialeet l’intégration subjective individuelle permet-tent de surseoir à l’exigence insatiable dupulsionnel. La recherche de l’équité dans lasuccession équivaut ainsi à la constructioncommune d’un dispositif d’encadrement del’avidité pulsionnelle de chacun.

Dans les cas défavorables, l’objet de la trans-mission échoue à se constituer dans sa valeursymbolique et c’est l’organisateur pulsionnelqui risque de faire défaut dans les générationssuivantes.

La grande majorité des pathologies narcis-siques, des troubles de l’identité, des troublesdu caractère et du comportement déterminantdes distorsions graves de la socialisation vien-nent de là. La souffrance psychique patholo-gique est dans un grand nombre de cas laconséquence pour le sujet d’un héritage inhabi-table. Le sujet doit ainsi être accompagné à se

distancier du manque ou de la distorsion ayantaffecté la reconnaissance dont il a fait l’objet etqu’il tendra à transmettre inconsciemment à sespropres enfants.

Cet héritage inhabitable, c’est ce que j’ai appeléla souffrance généalogique du sujet, qui setransmet elle-même en lieu et place de la loisymbolique. Ce qui a fait dire à Lacan qu’il fauttenir à son symptôme, seul repère susceptible demettre sur la voie de l’embrouille et des moda-lités toujours singulières de sa débrouille.

Si ce travail était exclusivement celui de lapsychanalyse, très peu de personnes en difficultépourraient y accéder et, certainement, de moinsen moins ; c’est donc aussi au travail social des’en spécifier, avec ses moyens propres, dans lecadre et avec les atouts particuliers qui sont lessiens. Dans ce registre au moins, le travail socialhérite de la psychanalyse tout en lui apportant enretour une part de son devenir.

La fonction d’accompagnement en travail socialse représente donc d’un outil hétérogène –éducatif, pédagogique, thérapeutique – à lamesure de l’hétérogénéité des registres de laréalité humaine, synchronique et diachronique,qu’elle aborde. Cette hétérogénéité va se retrou-ver dans la forme de son dispositif pratique,dans la composition de son outil théorique etdans la valeur parfois contradictoire des notionsqu’elle emploie, par exemple ici celle de survieet de survivant.

En effet, du point de vue synchronique – del’accueil, de la restauration des fonctions éduca-tives de base –, le travail social cherche à aiderle sujet à passer d’une position de survivant, ausens de sujet menacé dans sa sécurité de base, àune position de vivant au sens de sujet disposantde sa sécurité de base. Ainsi pour la fonctionsynchronique, d’accueil, le travail social attacheune valeur positive au mot vivant et une valeurnégative à celui de survivant.

Du point de vue diachronique – de l’aide appor-tée au sujet pour se repérer dans son histoire etsurmonter les courts-circuits de sa généalogie –,les valeurs sémantiques s’inversent ; on chercheà aider le sujet à passer d’une position de pur

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vivant (au sens de sujet réduit à son présent, à son activité senso-rielle et perceptive) à une position de survivant, à savoir d’héritierd’un organisateur symbolique lui permettant de donner sens à sonorigine, son histoire et son projet de vie.

De nombreuses variations sémantiques et inversions de valeursaffectent les concepts du travail social, dues à l’extrême hétérogé-néité tant de l’objet psychique que de l’objet social. Les principauxregistres de la pratique ainsi que les principales articulations théo-riques doivent être ainsi continuellement re-sémantisés. Il s’agitaussi de tenir compte de l’érosion par les routines des contenus desens véhiculés par les pratiques. Tout « fonctionnement » tend àaffaiblir et à distordre le sens des notions sur lequel il s’appuie.

Un enjeu majeur du travail social est de contrecarrer cette logiquequi tend à réduire la pratique à une succession de formalités. D’oùles questions : comment formaliser la pratique sans la formater ?comment donner vie aux notions qui la fondent ?

La notion de « projet » par exemple, si elle rend compte d’une obli-gation légale à plusieurs niveaux, peut parfaitement être pervertie etrabattue sur une opération qui n’implique rien d’autre que de trou-ver dans l’équipe le scribouillard ayant le sens de la formule infini-ment réutilisable qui enveloppe le vide.

De quoi parle le projet – individualisé, de service, d’établisse-ment –, de quoi parle telle ou telle prise en charge, de quoi parlenttel ou tel des professionnels, tel ou tel équipe ou sous-groupe : cesont les véritables questions dont le principe intégré à une équipepeut seul la conduire sur la voie du sens de ses pratiques.

De quoi parle pour nous l’adjectif « thérapeutique », utilisé pourdésigner à la fois l’action spécifique (médicale ou psychologique),mais aussi la visée globale de la prise en charge qui exige de conce-voir l’équipe pluridisciplinaire comme un outil soignant ?

De quoi parle chaque prise en charge ? De quelle souffrance quivient là se cristalliser ? De quels destins familial et social ? De quelparcours de vie ?

De quoi une équipe a-t-elle besoin de parler, autant pour défendreson fonctionnement que pour s’en affranchir et être en mesure dedévelopper sa créativité face à une situation qui la met en miroir deson symptôme et la fait tourner en rond ?

Cet accompagnement à l’analyse de l’existant, dans un effort à lafois de respect des facteurs de sa cohésion et de soutien dynamiqueà sa transformation, spécifie le travail social. À nous, qui ensommes les héritiers, de le fonder et d’en faire reconnaître la valeurd’outil opposable à la souffrance psychosociale.

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