de la génétique à dieu

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L'un des plus grands généticiens actuels, qui a dirigé le projet de décryptage du génome humain, effectue une vaste synthèse entre science et foi, et livre son témoignage de chercheur et de croyant venu de l'athéisme.Si de nombreux physiciens ou astrophysiciens soutiennent des positions spiritualistes, cela est beaucoup plus rare de la part d'un généticien. C'est donc un événement de voir Francis S. Collins expliquer pourquoi l'évolution de l'univers et de la vie (qui n'a, selon lui, nécessité aucune autre intervention que celle des forces naturelles) est compatible avec la foi chrétienne. Du big bang à l'homme, en passant par les premières cellules vivantes, cet ouvrage nous entraîne, avec une exceptionnelle clarté, à la découverte de grandes questions qui concernent autant la science que la religion (y compris celles des miracles ou du mal, à travers son expérience de la souffrance et de la mort avec des patients atteints de maladies génétiques).Malgré tous les troubles de nos comportements, l'existence de la moralité lui paraît être le signe distinctif montrant que l'homme, s'il est le produit de l'évolution, est néanmoins un être unique ayant une dimension spirituelle. Le livre vaut aussi par la description du parcours de son auteur, passé d'un athéisme virulent à une foi profonde au fur et à mesure de son action avec les malades et les mourants, mais aussi au cours de ses découvertes du génome humain, ce «langage de Dieu» ainsi qu'il le nomme.

TRANSCRIPT

  • Les critiques font l'loge de De la gnetique Dieu

    Francis, scientifique brillant, est mondialement respect pour le rle qu'il a jou dans certaines dcouvertes capitales ayant norm-ment apportes l'humanit. J'ai, depuis une dizaine d'annes, eu le privilge de l'admirer en tant que pre et mari dvou, en tant que musicien talentueux, mais galement en tant qu'homme dou d'une vivacit d'esprit des plus charmantes. Cette rconciliation entre Dieu et la science, tout ce qu'il y a de plus honnte d'un point de vue intellectuel, et de plus fonde d'un point de vue spirituel, permet de rpondre vos questions les plus essentielles. Ce livre rn' a profondment clair et je crois que sa lecture devrait en deve-nir obligatoire.

    NaorniJudd

    Francis Collins, l'un des scientifiques les plus rputs mondia-lement, traite de la relation existant entre la science et la religion avec raison et rvrence. La faon dont Collins combine des exposs clairs, bien que techniques, avec sa rflexion personnelle est servie par une honntet intellectuelle et spirituelle. Toute personne s'interrogeant sur la manire dont la foi religieuse peut tre concilie avec la connaissance scientifique, tout individu craignant que la science moderne n'attaque le cur de la foi religieuse, tout tre int-ress par une discussion claire propos d 'une question contem-poraine cruciale devrait lire ce livre.

    William D. Phillips, prix Nobel de physique 1997

    De la gntique Dieu est la profession de foi puissante de l'un des plus grands scientifiques au monde. Rfutant les strotypes rebattus ayant trait l'hostilit existant entre la science et la religion, Francis Collins permet ses lecteurs de trouver une unit de connais-sance englobant la fois la foi et la raison. La foi, comme il le dmontre, n'est pas l'ennemie de la rationalit scientifique, mais son parfait complment. Ce puissant tmoignage personnel du directeur du Projet Gnome humain en surprendra certains, en enchantera d'autres et apportera une contribution durable la grande culture de la comprhension humaine.

    Kenneth Miller, Brown University, auteur de Finding Darwin's Gad ( la recherche du Dieu de Darwin)

  • Ce livre fait bien plus que de se contenter de passer en revue la force des preuves en faveur de l'volution [. .. ]Les objectifs de Col-lins sont bien plus vastes. Pour Collins, volution et foi sont tout fait compatibles.

    The Wilson Quarter/y, revue internationale d'ides et d 'informations dans les sciences humaines

    Personne ne sait mieux que Francis Collins combien il peut tre facile pour des scientifiques de se prendre pour Dieu. Il est peut-tre le gnticien le plus rput au monde, un homme qui a conduit les efforts raliss en vue de dcoder l'ADN humain, tout en laborant une mthode rvolutionnaire de dpistage des gnes responsables de mala-dies [. . .] Dans son nouveau livre provocateur, De la gntique Dieu, il mle sa foi chrtienne avec un empirisme rationnel, une chose dont peu de scientifiques de renomme internationale seraient capables.

    The Express, Londres

    une poque o les gens tendent se diviser en camps distincts -il y a "nous et eux" - avec une facilit consternante, il est remar-quable qu'une personne ayant un pied dans chaque camp incite les deux parties s'entendre. Remarquable. Ncessaire. Et extrme-ment bienvenu.

    The Arizona Republic

    En plus d'offrir une magnifique dfense passionne, et visible-ment sincre, de sa propre foi chrtienne, Collins soutient que nous n'avons pas choisir entre Dieu et Darwin[. .. ] Des arguments forts et mouvants plaidant en faveur des convictions religieuses.

    The Weekly Standard

    L'argument de [Collins] selon lequel la science et la foi seraient compatibles mrite d'tre largement entendu. Il permet galement aux non-pratiquants d'aborder les questions spirituelles avec moins d'apprhension. Interrog par Napolon propos de Dieu, le scien-tifique franais Pierre Simon Laplace rpondit: "Je n'ai pas eu besoin de cette hypothse." Il est difficile de partager sa vision aprs avoir lu ce livre.

    The New York Times Book Review

    [Collins] a crit ce livre pour le grand public. Les faits de la nature sont noncs clairement. Ainsi que sa vie religieuse, ce qui rend le livre rare, sinon unique.

    Science

  • Fascinant. Le docteur Collins fait montre de superbes rfren-ces pour s'attaquer ce sujet dlicat[ ... ] Collms traduit de main de matre la science obscure en des termes taciles comprendre. Sage et opportun. ,.

    National Catholic Reporter

  • Collection Science et religion dirige par Jean Staune

    La collection Science et religion propose des ouvrages portant sur les implications philosophiques et mtaphysiques des grandes avances ralises dans l'tude de la vie, de la matire, de l'Univers, de la conscience.

  • De la gntique Dieu

  • Francis S. COLLINS

    De la gntique Dieu

    La confession de foi d'un des plus grands scientifiques

    Traduit de l'amricain par Alessia Weil

    PRESSES~ DELA~~ RENAIS SAN

  • Ouvrage ralis sous la direction ditoriale d'Alain NOL

    Titre original : The Language of Cod

    Copyright 2006 by Pree Press dition originale en langue anglaise : Copyright 2006 by Francis S. Collins Tous droits rservs dont le droit de reproduction pour tout ou partie, sous toutes formes. Cette dition est dite en accord avec l'diteur d'origine Pree Press, un diteur de Simon & Schuster, Inc., New York.

    www.presses-renaissance.com

    ISBN 978.2.7509.0516.3 Presses de la Renaissance, Paris, 2010, pour la traduction franaise.

  • A mes parents, qui m'ont appris aimer apprendre.

  • Introduction

    Par une chaude journe d't, alors que cela faisait tout juste six mois que nous tions entrs dans le nouveau mill-naire, l'humanit franchissait un pont pour s'engager dans une nouvelle re capitale. Une annonce tait diffuse dans le monde entier, faisant la une de presque tous les grands jour-naux, claironnant que la premire bauche du gnome humain, notre propre livre d'instructions, avait t assemble.

    Le gnome humain est constitu de tout l'ADN de notre espce, c'est--dire le code hrditaire de la vie. Ce texte tout juste rvl tait compos de trois milliards de lettres, et rdig sous la forme trange et cryptographique d'un code quatre lettres. Telle est l'incroyable complexit de l'information transporte dans chacune des cellules du corps humain, et la lecture haute voix de ce code, au rythme de trois lettres par seconde, prendrait trente et un ans, et cela, mme en lisant jour et nuit. Imprimer ces lettres dans une taille de police ordi-naire, sur du papier normal, et regrouper toutes les feuilles de l'impression aurait pour rsultat une tour dont la hauteur quivaudrait celle du Washington Monument (monument de 170 mtres de hauteur rig en l'honneur de George Washington). Pour la premire fois en ce matin d't, ce texte incroyable, portant en lui toutes les instructions permettant la cration d'un tre humain, tait mis la disposition du monde entier.

    En tant que dirigeant du Projet - international - Gnome humain (Human Genome Project) ayant vigoureusement tra-vaill depuis plus de dix ans la rvlation de cette squence d'ADN, je me tenais ct du prsident Bill Clinton dans la salle Est (East Room, salle de rception) de la Maison-Blanche,

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    avec Craig Venter, le dirigeant d'une entreprise concurrente du secteur priv. Le Premier ministre Ton y Blair participait l'aventure via une connexion satellite, et l'vnement tait clbr simultanment dans de nombreuses parties du monde.

    Clinton a commenc son discours en comparant la carte de cette squence humaine celle que Meriwether Lewis avait dplie devant le prsident Thomas Jefferson dans cette mme pice il y avait prs de deux cents ans. Clinton a alors dit : TI s'agit sans aucun doute de la carte la plus importante et la plus merveilleuse que l'humanit ait jamais produite. Mais la par-tie de son discours ayant le plus attir l'attention du public tait celle o il passait de la perspective scientifique de la dcouverte son aspect spirituel. Aujourd'hui, a-t-il dit, nous apprenons le langage suivant lequel Dieu a cr la vie. Nous sommes de plus en plus respectueux de la complexit, de la beaut et de la merveille du cadeau divin et sacr de Dieu.

    Fus-je, moi, scientifique la formation rigoureuse, surpris par l'expression d'une rfrence religieuse si manifeste, non-ce par le chef de file du monde libre, en un moment tel que celui-ci? Fus-je tent de me renfrogner ou de regarder le sol avec embarras ? Non, pas le moins du monde. TI se trouve, en fait, que j'avais travaill en troite collaboration avec la per-sonne ayant pour tche de rdiger les discours du prsident durant les folles journes ayant prcd cette annonce, et que j'avais alors fortement soutenu l'inclusion de ce paragraphe. Lorsque mon tour est venu d'ajouter quelques mots de mon cru, je me suis fait l'cho de ce sentiment : C'est un jour heu-reux pour le monde. Je me rends compte, avec humilit et res-pect, que nous avons saisi la premire esquisse de notre propre livre d'instructions, qui n'tait auparavant connu que de Dieu.

    Que se passait-il? Pourquoi un prsident et un scientifique, chargs d'annoncer un vnement dterminant pour la biologie et la mdecine, se sentaient-ils obligs d'invoquer la relation que pouvait avoir cette dcouverte avec Dieu ? Les visions du monde scientifique et spirituelle ne sont-elles pas antinomiques ou, du moins, ne devraient-elles pas viter de figurer conjointement dans la salle Est de la Maison-Blanche? Pour quelles raisons Dieu a-t-il t invoqu au cours de ces deux discours? Etait-ce de la posie ? De l'hypocrisie ? Une tentative cynique de

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  • INTRODUCTION

    chercher gagner la faveur des croyants ou de dsarmer ceux qui pourraient tre amens critiquer cette tude du gnome humain en affirmant qu'elle tend rduire l'humanit une machinerie? Non, pas en ce qui me concerne. Bien au contraire, pour moi, l'exprience du squenage du gnome humain et la dcouverte de ce texte le plus remarquable qui soit reprsentaient tout la fois une russite scientifique remarquable et une source de dvotion.

    Beaucoup seront surpris par ces sentiments, supposant qu'un scientifique rigoureux ne saurait galement croire srieusement en un Dieu transcendant. Ce livre vise dissiper cette opinion, en affirmant que la croyance en Dieu peut tre un choix totalement rationnel et que les principes de la foi sont, en fait, complmentaires des principes de la science.

    Cette synthse potentielle des visions du monde scientifique et spirituelle est considre par beaucoup, l'poque moderne, comme tant une impossibilit, un peu comme si l'on tentait de forcer les deux ples d'un aimant se rassem-bler en un mme point. Malgr cette impression, de nombreux Amricains semblent cependant intresss par l'ide d'int-grer la validit de ces deux visions du monde dans leur vie quotidienne. Des sondages rcents confirment que 93 % des Amricains professent une forme de croyance en Dieu ; la plu-part d'entre eux conduisent toutefois des voitures, utilisent de l'lectricit et prtent attention aux prvisions mtorologi-ques, supposant apparemment que la science sous-tendant ces phnomnes est gnralement digne de confiance.

    Qu'en est-il, par ailleurs, de la conviction spirituelle chez les scientifiques? Il s'agit d'un fait bien plus rpandu qu'on ne l'imagine. En 1916, des chercheurs demandrent des biolo-gistes, des physiciens et des mathmaticiens s'ils croyaient en un Dieu qui communique activement avec l'humanit et que l'on peut prier dans l'espoir d'en obtenir une rponse. Envi-ron 40% d'entre eux rpondirent par l'affirmative. En 1997, le mme sondage fut repris in extenso et, la surprise des chercheurs, le pourcentage en tait rest peu prs le mme.

    Ainsi, la bataille faisant rage entre la science et la reli-gion n'est-elle peut-tre pas aussi polarise qu'il semblerait. Malheureusement, la preuve d'une harmonie potentielle exis-tant entre elles est souvent clipse par les dclarations pr-pondrantes de ceux occupant les ples du dbat. Des

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    bombes sont dfinitivement jetes de part et d'autre. L' mi-nent volutionniste Richard Dawkins, discrditant essentielle-ment les croyances spirituelles de 40 % de ses collgues en les taxant de non-sens sentimental , est par exemple devenu le porte-parole du point de vue selon lequel toute croyance en l'volution exigerait l'athisme. Voici 1' une de ses dclarations abracadabrantesques : La foi est la grande chappatoire, la grande excuse pour se soustraire la ncessit de penser et d'valuer les lments de preuve. La foi est la croyance en dpit de, et mme peut -tre cause de, l'absence de preuves [. .. ] La foi, conviction ne se fondant pas sur des preuves, est le principal vice de toute religion*.

    De l'autre ct, certains fondamentalistes religieux atta-quent la science en la dclarant dangereuse et faillible, et invi-tent une interprtation littrale des textes sacrs, dclarant qu'il s'agirait du seul moyen fiable permettant de discerner la vrit scientifique. Les commentaires de feu Henry Morris, l'un des chefs de file du mouvement crationniste, se dta-chent au sein de cette communaut : Le mensonge de l'vo-lution est omniprsent et domine la pense moderne dans chaque domaine. Puisqu'il en est ainsi, il s'ensuit invitable-ment que la pense volutionniste est essentiellement seule responsable des dveloppements politiques fatalement inqui-tants et du chaos des dsintgrations morales et sociales qui s'acclrent partout [. . .] Lorsque la science et la Bible diff-rent, c'est videmment que la science a mal interprt ses don-nes**.

    La cacophonie croissante des voix antagonistes laisse de nombreux observateurs honntes sans voix, confus et dmo-raliss. Tou te personne raisonnable se voit alors oblige de conclure qu'elle n'a pas d'autre possibilit que de choisir entre ces deux extrmes peu apptissants, n'offrant ni l'un ni l'autre le moindre rconfort. Dsabuss par la vhmence des deux perspectives, beaucoup choisissent de rejeter tout la fois la fiabilit des conclusions scientifiques et la valeur de la religion en tant qu'institution, glissant plutt dans diffrentes formes

    * R. Dawkins, Is Science a Religion? (La science est-elle une reli-gion?), The Humanist, n 57, janvier-fvrier 1997, pp. 26-29.

    ** H. R. Morris, The Long War Against Cod (La Longue Guerre mene contre Dieu), New York, Master Books, 2000.

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  • INTRODUCTION

    de pense antiscientifique, dans la spiritualit superficielle, voire dans la simple indiffrence. D'autres dcident d'accepter aussi bien la valeur de la science que celle de l'esprit, mais compartimentent ces domaines de leur existence spirituelle et matrielle afin d'viter tout malaise face aux conflits appa-rents. Feu le biologiste Stephen Jay Gould a prconis, dans cette optique, de sparer la science et la foi grce un non-recouvrement des magistres (non-overlapping magisteria ou NOMA). Mais cela peut se rvler tout aussi peu gratifiant. Cela incite au conflit interne, et prive les gens de la chance d'embrasser soit la science soit l'esprit, d'une faon leur per-mettant de se raliser pleinement.

    Voici donc la question centrale de ce livre : en cette re moderne de la cosmologie, de l'volution et du gnome humain, la possibilit d'une harmonie hautement satisfaisante entre les visions du monde scientifique et spirituelle est-elle encore envisageable ? Je rponds par un oui retentissant. Selon moi, il n'existe aucun antagonisme entre le fait d'tre un scientifique rigoureux et celui d'tre une personne croyant en un Dieu attentif chacun de nous. Le domaine des sciences, c'est d'explorer la nature. Celui de Dieu se rapporte au monde spirituel, un monde qu'on ne peut explorer avec les outils et le langage de la science. Il doit tre apprhend avec le cur, l'esprit et l'me- et l'esprit doit trouver un moyen d'embras-ser les deux domaines.

    J'avancerais que ces perspectives peuvent non seulement coexister en une seule personne, mais peuvent galement le faire d'une manire qui claire et enrichit l'exprience humaine. La science est le seul moyen fiable que nous ayons pour tenter de comprendre le monde naturel, et ses outils, lorsqu'ils sont correctement utiliss, peuvent apporter des claircissements profonds de l'existence matrielle. Mais la science est impuissante rpondre des questions telles que Pourquoi l'Univers est-il n?, Quel est le sens de l'exis-tence humaine?, Que se passe-t-il aprs la mort?. L'une des plus grandes qutes de l'humanit est de chercher des rponses des questions profondes, et nous devons avoir recours toute la puissance des perspectives scientifiques aussi bien que spirituelles pour pouvoir comprendre le visible comme l'invisible. L'objectif de ce livre est d'explorer une voie

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    pouvant mener l'intgration aussi sobre qu'honnte d'un point de vue intellectuel de ces visions.

    Rflchir ces questions lourdes de sens, d'implication et de consquences peut tre inquitant. Que nous l'appelions par son nom ou non, chacun de nous est parvenu acqurir une certaine vision du monde. Cela nous aide donner du sens au monde environnant, nous confre un cadre thique et guide nos dcisions relatives l'avenir. Toute personne tente de remanier cette vision du monde ne devrait pas le faire la lgre. Un livre se proposant de dfier quelque chose d'aussi fondamental peut inspirer plus d'inquitude que de rconfort. Mais nous, humains, semblons possder un dsir profond-ment ancr de dcouvrir la vrit, mme si ce dsir se trouve facilement rprim par les dtails banals de la vie quotidienne. Ces distractions s'associent au souhait d 'viter d'avoir penser notre propre mortalit, de sorte que les jours, les semaines, les mois et mme les annes peuvent s'couler sans que l'on accorde la moindre attention srieuse l'ternelle question de l'existence humaine. Ce livre n'est qu'un petit antidote cette contingence, mais fournira peut-tre l'occasion d'une rflexion, aussi bien qu'il suscitera, je l'espre, le dsir de regarder les choses avec davantage de profondeur.

    Je me dois tout d'abord d'expliquer comment un scientifi-que tudiant la gntique en est venu devenir croyant, qui plus est croyant en un Dieu qui ne serait limit ni par le temps ni par l'espace et qui serait attentif aux tres humains. Certains penseront que cela doit rsulter d'une ducation religieuse rigoureuse, vigoureusement inculque par la famille et la culture, et donc tre une fatalit incontournable de la vie. Or, il ne s'agit pas exactement de mon histoire.

  • Premire partie

    L'abme existant entre la science et la foi

  • 1

    De l'athisme la croyance

    Mes jeunes annes furent anticonventionnelles de bien des faons, mais en tant que fils de libres-penseurs, j'ai reu une ducation assez conventionnellement moderne dans son posi-tionnement l'gard de la foi- c'est juste qu'elle n'tait pas trs importante.

    J'ai t lev dans une ferme boueuse de la valle de She-nandoah, en Virginie. La ferme n'avait pas d'eau courante et manquait clairement de quelques-uns des autres conforts matriels de la vie moderne. Pourtant, cette privation fut lar-gement compense par le mlange stimulant d'expriences et d'opportunits que la remarquable faon de penser de mes parents mettait ma disposition.

    Ils s'taient rencontrs l'universit de Yale en 1931, et avaient quitt leur centre universitaire pour rejoindre la com-munaut d' Arthurdale, en Virginie, laquelle ils apportrent leurs comptences et leur amour de la musique, et o ils tra-vaillrent avec Eleanor Roosevelt tenter de redynamiser une communaut minire opprime, touchant le fond au cur de la Grande Dpression.

    Mais certains des conseillers de l'administration Roosevelt avaient d'autres ides en tte, et les fonds se tarirent rapide-ment. Le dmantlement final de la communaut d' Arthurdale, sous prtexte qu'elle mdisait de la politique de Washington, incita mes parents prouver, vis--vis du gouvernement, un sentiment de suspicion qui ne les quitta jamais. Ils sont ensuite passs la vie acadmique en intgrant l'universit d'Elon (Elon College), Burlington, en Caroline du Nord. Le milieu rural du Sud offrait une culture populaire incroyable-ment belle et sauvage. Cela incita mon pre rassembler une

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    collection de chants folkloriques : il se mit voyager travers collines et valles, tentant de convaincre les autochtones rti-cents de Caroline du Nord de chanter dans son magnto-phone Presto (marque d'enregistreurs). Ces enregistrements, complts par la collecte impressionnante de chansons d'Alan Lomax (thnomusicologue et folkloriste), reprsentent une fraction Importante de la collection de chansons folklori-ques amricaines de la bibliothque du Congrs (Library of Congress).

    Lorsque la Seconde Guerre mondiale clata, mon pre fut oblig de mettre ses activits musicales en veilleuse et d'accor-der son attention des faits plus urgents : la dfense nationale. Il partit aider fabriquer des bombardiers pour l'effort de guerre, et se retrouva finalement superviseur d'une usine d'avions Long Island.

    la fin de la guerre, mes parents conclurent que la vie des affaires, excessivement contraignante et stressante, n'tait pas faite pour eux. En avance sur leur temps, ils se comportrent dans les annes 1940 comme d'autres le feront dans les annes 1960 : ils dmnagrent dans la valle de Shenandoah, en Virgi-nie, achetrent une ferme de trente-huit hectares, et tentrent de crer un mode de vie agricole simple, dnu de la moindre machinerie agricole. Dcouvrant quelques mois plus tard que cela ne leur permettrait pas de nourrir leurs deux fils adoles-cents (auxquels allaient bientt s'ajouter un autre frre et moi-mme), mon pre dcrocha un poste de professeur de thtre l'universit locale (rserve aux femmes). Il recruta, en ville, des acteurs masculins, et cet assortiment mlant tudiants et commerants locaux se rendit rapidement compte de l'aspect incroyablement amusant de la production de pices de thtre. La coupure estivale, considre par certains comme longue et ennuyeuse, suscita des plaintes qui obligrent mon pre et ma mre dnicher un thtre d't dans une chnaie au-dessus de notre ferme. Le thtre de la Chnaie (Oak Grove Theater) continue tourner plein en proposant ses merveilleuses reprsentations plus de cinquante ans plus tard.

    Je suis n dans cet heureux mlange de beaut pastorale, de labeur agricole, de thtre d't et de musique, et m'y suis pleinement panoui. En tant que petit dernier de quatre gar-ons, je ne pouvais m'attirer des ennuis qui ne soient dj familiers mes parents. J'ai grandi avec le sentiment que je

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  • DE L'ATHISME LA CROYANCE

    devais tre responsable de ma conduite et de mes choix, et que personne d'autre ne s'en chargerait pour moi.

    l'instar de mes frres ans, ma mre, enseignante de talent, m'a fait la classe. Ces jeunes annes m'ont confr le cadeau inestimable qu'est celui de la joie d'apprendre. Bien que ma mre n'et ni horaires fixes ni programme de cours particuliers, elle faisait nanmoins preuve d'une incroyable per-ception identifier les sujets pouvant intriguer un jeune esprit, les poursuivant avec une grande intensit et les menant jusqu' un point final naturel, puis passant quelque chose de nou-veau et de tout aussi passionnant. Apprendre n'tait pas une chose que nous faisions par devoir, c'tait une chose que nous faisions avec ardeur et plaisir.

    La foi n'a pas reprsent une partie importante de mon enfance. J'tais vaguement conscient de la notion de Dieu, mais les seules interactions que j'avais avec Lui taient limites quelques moments purils de ngociation relative une chose que je voulais vraiment qu'Il ft pour moi. Je me sou-viens, par exemple, d'avoir pass un contrat avec Dieu ( l'ge de neuf ans environ) stipulant que s'Il empchait le mauvais temps d'annuler une reprsentation thtrale du samedi soir et une fte de la musique dont je me rjouissais particulire-ment l'avance, je promettais de ne jamais fumer de cigaret-tes. Et effectivement, la pluie s'est tenue distance, et je n'ai jamais pris l'habitude de fumer. Plus tt, lorsque j'avais cinq ans, mes parents avaient dcid que nous - moi et mon frre an le plus proche de moi en ge - deviendrions membres de la chorale constitue de garons de l'glise piscopale locale. Ils nous avaient alors prcis qu'il s'agirait d'une excellente faon d'apprendre la musique, mais qu'il ne fallait pas que nous prenions la thologie trop au srieux. J'ai suivi ces ins-tructions la lettre, apprenant les chefs-d' uvre harmoniques et en contrepoint, mais laissant les concepts thologiques pr-chs depuis la chaire glisser sur moi sans laisser de rsidu per-ceptible.

    Lorsque j'eus atteint l'ge de dix ans, nous dmnagemes en ville pour tre prs de ma grand-mre malade, et j'entrai l'cole publique. quatorze ans, mes yeux taient grands ouverts sur les mthodes merveilleusement passionnantes et puissantes de la science. Inspir par un professeur de chi-mie combien charismatique et pouvant crire les mmes

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    informations sur le tableau noir avec les deux mains en mme temps, je dcouvris pour la premire fois l'intense ravissement que l'on peut ressentir face la nature ordonne de l'Univers. Le fait que toute la matire ft labore partir d'atomes et de molcules suivant des principes mathmatiques reprsen-tait, mes yeux, une rvlation inattendue, et la capacit uti-liser les outils de la science dans le but de dcouvrir de nouvelles choses relatives la nature m'a immdiatement sem-bl tre quelque chose dont je voulais faire partie. Avec l'enthousiasme d'un rcent converti, je dcidai que le but de ma vie serait de devenir chimiste. Peu importait que je ne connusse que relativement peu de choses en matire de scien-ces, ce premier amour semblait me promettre un changement de vie.

    Mes rencontres avec la biologie me laissrent, en revanche, compltement froid. Tels que je les jaugeais du haut de mon esprit adolescent, les principes fondamentaux de la biologie semblaient avoir davantage trait l'apprentissage par cur de faits btifiants qu' l'lucidation de principes. Je n'tais vrai-ment pas intress par le fait d'apprendre par cur chaque membre de l'crevisse, ni par celui de tenter de comprendre la diffrence existant entre un phylum, une classe et un ordre. L'immense complexit de la vie me conduisit conclure que la biologie tait un peu comme la philosophie existentielle : elle n'avait tout simplement aucun sens. Pour mon esprit rductionniste en herbe, elle n'tait tout bonnement pas assez logique pour me sduire. Obtenant mon baccalaurat l'ge de seize ans, je continuai mon cursus estudiantin l'universit de Virginie, dtermin me spcialiser en chimie et poursui-vre une carrire scientifique. Comme tout bizut, je trouvais ce nouvel environnement vivifiant, avec ses nombreuses ides rebondissant sur les murs de la salle de classe et dans les dor-toirs, une fois le soir venu. Certaines de ces questions tour-naient invariablement autour de l'existence de Dieu. J'avais, entrant dans l'adolescence, expriment quelques occasions la nostalgie que l'on ressent face quelque chose d 'extrieur soi-mme, qui, pour ma part, tait souvent associe la beaut de la nature ou une exprience musicale particulire-ment profonde. Mon sens de la spiritualit n'tait toutefois que trs peu dvelopp et facilement remis en cause par un ou deux des athes agressifs que l'on retrouve dans presque tous

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  • DE L'ATHISME A LA CROYANCE

    les dortoirs universitaires. Quelques mois d'tudes universitai-res me suffirent pour tre convaincu du fait que, bien que diverses traditions artistiques et culturelles intressantes aient pu tirer leur inspiration de nombreuses fois religieuses, ces dernires ne possdaient cependant pas de vrit fondamen-tale.

    Bien que je n'en connusse pas le terme l'poque, je devins agnostique - mot invent par T. H. Huxley, scientifique du :xnce sicle, visant exprimer le fait qu'une personne ne sait tout simplement pas si Dieu existe. On peut distinguer toutes sortes d'agnostiques ; certains arrivent cette position aprs avoir intensment analys les tmoignages et preuves en la matire, d'autres - nombreux - la considrent tout simple-ment comme une position confortable, leur permettant d'vi-ter d'avoir considrer les arguments potentiellement embarrassants de part et d 'autre. Je faisais dfinitivement par-tie de cette dernire catgorie. En affirmant je ne sais pas , je n'tais en fait pas loin de penser je ne veux pas savoir. En tant que jeune homme grandissant dans un monde rempli de tentations, il m'tait commode d'ignorer la ncessit d'tre responsable devant toute autorit spirituelle suprieure. Je pratiquais un modle de pense et de comportement que l'crivain et savant C. S. Lewis taxait de ccit volontaire .

    Aprs l'obtention de mon diplme, je poursuivis mon cur-sus en m'inscrivant en doctorat de chimie mdicale Y ale, talonnant l'lgance mathmatique qui m'avait tout d'abord attir vers cette branche de la science. Ma vie intellectuelle se retrouva immerge dans la mcanique quantique et dans les quations diffrentielles de deuxime ordre, mes hros deve-nant alors les gants de la physique - Albert Einstein, Niels Bohr, Werner Heisenberg et Paul Dirac. Je fus progressive-ment convaincu du fait que les quations et les principes de la physique pouvaient expliquer tout ce qui se trouvait dans l'Univers. La lecture de la biographie d'Albert Einstein, et la dcouverte du fait que, malgr la forte position sioniste qu'il dfendit aprs la Seconde Guerre mondiale, il ne croyait pas en Yahv, le Dieu du peuple juif, ne fit que renforcer ma pro-pre conclusion selon laquelle aucun scientifique rationnel ne

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    pouvait srieusement envisager la possibilit de Dieu sans commettre une sorte de suicide intellectuel.

    Et c'est ainsi que je suis doucement pass de l'agnosticisme l'athisme. Contester les croyances spirituelles de toute per-sonne les mentionnant en ma prsence m'tait chose particu-lirement aise, et je ne manquais jamais de rabaisser les perspectives nonces en les taxant de sentimentalisme et de superstition dsute.

    Deux ans aprs avoir dbut ces tudes devant me conduire l'obtention de mon doctorat, mon plan de vie minutieuse-ment structur commena tomber en lambeaux. Malgr le plaisir quotidien que j'prouvais poursuivre mon mmoire sur la mcanique quantique, je me mis douter du bien-fond de mon choix et m'interroger propos de la meilleure des voies suivre. Il me semblait en effet que la plupart des avan-ces majeures de la thorie quantique avaient eu lieu cin-quante ans auparavant, et que j'tais susceptible de passer la plus grande partie de ma carrire mettre en pratique des sim-plifications et approximations leur tant subsquentes, uni-quement dans le but de rendre certaines quations insolubles - bien qu'lgantes - juste un petit peu plus solubles. Plus concrtement, il me semblait que ce chemin me conduirait inexorablement une vie de professorat, donnant une srie interminable de cours sur la thermodynamique et la mcani-que statistique, exposs, classe aprs classe, des tudiants potentiellement ennuys ou terrifis par ces sujets.

    Environ la mme poque, faisant un effort pour largir mon horizon, je m'inscrivis un cours de biochimie, tudiant finalement les sciences de la vie que j'avais si soigneusement vites par le pass. Le cours tait tout simplement stupfiant. Les principes de l'ADN, de l'ARN et des protines, qui ne m'avaient jamais t vidents, taient noncs dans toute leur gloire numrique substantielle. La rvlation du code gnti-que m'a permis de saisir l'ide selon laquelle il tait possible de comprendre la biologie via l'application de principes intel-lectuels rigoureux - chose que je pensais jusqu'alors impossi-ble. Avec l'avnement de nouvelles mthodes permettant d'pisser volont diffrents fragments d'ADN (ADN recom-binant), la possibilit d'appliquer la somme de toutes ces connaissances au profit de la sant de l'tre humain semblait

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    bien relle. J'tais stupfait. La biologie avait, aprs tout, une lgance mathmatique. La vie avait un sens.

    Presque au mme moment- je n'avais alors que vingt-deux ans, bien que je fusse dj mari et pre d'une petite fille brillante et curieuse -, je devins de plus en plus sociable. Il m'tait souvent arriv, tant jeune, de prfrer rester seul. L'interaction humaine et le dsir d'apporter quelque chose l'humanit me semblaient dsormais de plus en plus impor-tants. Faisant la synthse de toutes ces rvlations soudaines, je me mis remettre en question l'intgralit de mes choix antrieurs, y compris le fait de savoir si j'tais rellement taill pour faire de la science ou si je ne devrais pas plutt effectuer des recherches personnelles. Alors que j'tais sur le point d'achever mon doctorat, je me lanai dans un long examen de conscience qui me fit finalement prendre la dcision de sou-mettre une demande d 'admission l'cole de mdecine. Je tentai alors, en rdigant un discours aussi peaufin que possi-ble, de convaincre les commissions d'admission du fait que cette tournure des vnements tait en fait un chemin naturel la formation de l'un des futurs mdecins de notre pays. Aprs tout, n'tais-je pas le type qui avait dtest la biologie en raison du fait qu'elle ncessitait de mmoriser les choses ? Quel autre domaine d'tude pourrait requrir davantage de mmorisation que la mdecine ? Une chose tait nanmoins dsormais diffrente: il s'agissait de l'humanit et non d'cre-visses ; et les dtails taient sous-tendus par des principes ; et cela pourrait, in fine, faire la diffrence pour les vies de per-sonnes relles.

    Je fus admis l'universit de Caroline du Nord. En quel-ques semaines, je sus que l'cole de mdecine tait le lieu tout indiqu pour moi. J'adorais non seulement la stimulation intellectuelle qui y rgnait mais galement les enjeux thiques de la discipline, son lment humain et l'incroyable com-plexit du corps humain. Durant le mois de dcembre de ma premire anne de mdecine, je dcouvris une faon de com-biner mon nouvel amour de la mdecine avec mon ancien amour des mathmatiques. Un pdiatre austre et assez inac-cessible, qui prodiguait aux tudiants de premire anne le nombre impressionnant de six heures de cours de gntique mdicale, me montra en effet ce moment-l une esquisse de mon avenir. Il avait demand certains de ses patients atteints

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    de diffrentes maladies de l'accompagner en classe ; les mala-dies allaient de l'anmie hmaties falciforme, la galactos-mie (une intolrance, souvent mortelle, aux produits laitiers), en passant par le syndrome de Down. Tou tes ces maladies sont causes par des erreurs se produisant dans le gnome, dont parfois la modification d'une unique lettre peut tre res-ponsable.

    Je fus frapp par l'lgance du code de l'ADN humain et par les consquences multiples gnres par ces rares moments de ngligence dont son mcanisme de copie faisait preuve. Bien que la possibilit de pouvoir rellement faire quelque chose pour aider un trs grand nombre de personnes touches par ces maladies gntiques semblait, l'poque, encore lointaine, je fus immdiatement attir par cette discipline. Et bien qu' ce moment-l pas la moindre ombre de possibilit de quoi que ce soit d'aussi grandiose et ayant des consquences aussi importan-tes que le Projet Gnome humain n'et effleur le plus petit esprit humain, le chemin que j'entrepris en dcembre 1973 se rvla, par hasard, mener directement l'une des entreprises les plus remarquables de l'humanit.

    Ce chemin m'a galement conduit, alors que j'tais en troi-sime anne de mdecine, connatre des expriences intenses en matire de prise en charge des patients. En tant que mde-cins en cours de formation, les tudiants en mdecine sont amens dvelopper des relations des plus intimes avec des personnes qui leur taient encore totalement inconnues avant qu'elles ne tombent malades. Les tabous culturels tendant nor-malement empcher tout change d'informations extrme-ment prives s'croulent ds que s'tablit, au cours d'une consultation, un contact physique, proximit confrant invi-tablement une certaine intimit la relation s'installant entre un mdecin et ses patients. Tout cela fait partie du contrat, combien ancien et vnr, prvalant entre le malade et le gu-risseur. Je trouvais ces relations avec les patients malades et mourants presque accablantes, et je luttais pour maintenir une distance professionnelle et limiter l'implication motionnelle comme beaucoup de mes professeurs le prconisaient.

    Ce qui m'a profondment frapp propos des conversations de chevet que j'entretenais avec ces bonnes gens de Caroline du Nord tait l'aspect spirituel de ce que nombre d'entre eux traversaient. J'ai pu observer que la foi leur octroyait le grand

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    rconfort du salut final, que ce soit dans ce monde ou dans celui lui succdant, et ce malgr les terribles souffrances que, dans la plupart des cas, ils n'avaient pas cherch provoquer. Si la foi est une bquille psychologique, en ai-je conclu, elle doit en tre une trs puissante. S'il ne s'agissait de rien de plus qu'un vernis de la tradition culturelle, pourquoi ces personnes ne montraient-elles pas leurs poings Dieu et n'exigeaient-elles pas que leurs amis et leurs familles arrtent d'voquer un pou-voir surnaturel aimant et bienfaisant ?

    Nanmoins, un moment me fut plus dlicat vivre que tous les autres : une femme ge, qui souffrait au quotidien d'une grave angine de poitrine malheureusement incurable, me demanda en quoi je croyais. n s'agissait d'une question on ne peut plus lgitime. Nous avions en effet abord plusieurs occasions diverses questions importantes ayant trait la vie et la mort, discussions au cours desquelles elle m'avait fait part de sa propre forte foi chrtienne. Je sentis mon visage rougir alors que je bgayais je ne suis pas vraiment sr . La sur-prise qu'elle manifesta face mon aveu mit en vidence une situation extrmement difficile que j'avais tent d'viter durant la quasi-totalit de mes vingt-six annes: je n'avais jamais srieusement examin les preuves plaidant en faveur aussi bien qu'en dfaveur de la croyance.

    Cet change m'a hant pendant plusieurs jours. Ne me considrais-je pas comme un scientifique ? Un scientifique tire-t-il des conclusions sans tenir compte des donnes? Saurait-il y avoir une question plus importante dans toute l'existence humaine que Existe-t-il un Dieu?. Et pourtant, voil o j'en tais, combinant une sorte de ccit volontaire quelque chose ne pouvant tre correctement dcrit que comme de l'arrogance, ayant vit tout examen srieux relatif au fait que Dieu puisse tre une possibilit relle. Soudain, tous mes arguments semblaient trs minces, et j'avais la sensa-tion que la glace se trouvant sous mes pieds se fissurait.

    Cette prise de conscience fut une exprience on ne peut plus terrifiante. En effet, si je ne pouvais plus compter sur la solidit de ma position d'athe, devais-je prendre mes respon-sabilits pour des actions que je prfrerais ne pas avoir considrer ? Avais-je des comptes rendre quelqu'un d'autre que moi-mme? La question tait dsormais trop pressante: je ne pouvais plus l'esquiver.

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    J'tais, au dpart, convaincu du fait qu'une investigation complte des bases rationnelles de la foi dmentirait le bien-fond de la croyance et raffirmerait mon athisme. J'tais nanmoins dtermin considrer les faits, quel qu'en fusse le rsultat. C'est ainsi que dbuta ma prospection droutante travers les grandes religions du monde. Nombre des informa-tions consignes dans les guides d'tude de diffrentes reli-gions (je trouvais la lecture des textes sacrs trop difficile) me laissrent dconfit, et je ne trouvai que peu de raisons de me sentir attir par l'une ou l'autre de ces nombreuses possibili-ts. Je doutais en effet du fait que la croyance spirituelle sous-tendant l'une ou l'autre de ces fois recle la moindre base rationnelle. Ces incertitudes n'taient toutefois pas voues durer. Je fis rapidement la dmarche de rendre visite un pas-teur mthodiste vivant au bout de ma rue afin de m'entretenir avec lui de l'ventuel sens logique de la foi. Il couta patiem-ment mes divagations nbuleuses (et probablement blasph-matoires), puis prit un petit livre sur son tagre et me le tendit en me suggrant de le lire.

    Le livre en question tait Mere Christianity (Les Fondements du christianisme) de C. S. Lewis. En tournant les pages de l'ouvrage les jours suivants, alors que je bataillais pour absor-ber l'ampleur et la profondeur des arguments intellectuels exposs par ce lgendaire savant d'Oxford, je me rendis compte que tout ce que j'avais chafaud pour discrditer la plausibilit de la foi tait digne d'un colier. Il me devint vi-dent que, pour tre mme de considrer la plus importante de toutes les questions humaines, je me devais de commencer par faire table rase. Lewis semblait connatre toutes mes objec-tions, parfois mme avant que je ne les aie parfaitement for-mules. Il les abordait invariablement en une ou deux pages. Lorsque j'appris par la suite que Lewis avait lui-mme t athe, et qu'il avait pareillement tent de rfuter la foi sur la base d'arguments logiques, je compris quel point il tait naturel qu'il soit si perspicace propos de mon propre che-min. Cela avait galement t le sien.

    L'argument qui retint le plus mon attention, et qui branla le plus les ides que j'avais conues propos de la science et de l'esprit, et ce, jusqu' leur fondement, se trouvait prcis-ment dans le titre du livre I : Le Bien et le Ma~ des indices du sens de l'Univers. Bien que la loi morale que Lewis dcrit

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    soit, bien des gards, une caractristique universelle de l'existence humaine, j'avais nanmoins le sentiment de la reconnatre et de l'admettre pour la premire fois.

    Pour comprendre la loi morale, il est utile d'examiner -comme Lewis l'a fait -la faon dont elle est invoque chaque jour sous des centaines de formes diffrentes, sans que l'invo-cateur cesse de souligner le fondement de son argument. Les dsaccords font partie de la vie quotidienne. Certains sont banals, telle la femme reprochant son mari de ne pas parler plus gentiment un ami, ou la complainte d'un enfant, ce n'est pas juste, lorsque l'on distribue des quantits ingales de glace une fte d'anniversaire. D'autres arguments ont en revanche une importance bien plus grande. Prenons un exem-ple parmi les affaires internationales : lorsque certains soutien-nent que les tats-Unis ont l'obligation morale de propager la dmocratie travers le monde entier, mme si cela doit impli-quer d'avoir recours la force militaire, d'autres affirment, pour leur part, que faire appel aux forces militaires et cono-miques de faon agressive et unilatrale pourrait amener rui-ner l'autorit morale.

    Le domaine de la mdecine, quant lui, suscite l'heure actuelle des dbats enrags propos du fait de savoir s'il est acceptable d'effectuer des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines. Certains affirment que ce type de recherche viole le caractre sacr de la vie humaine ; d'autres postulent que le potentiel soulager la souffrance humaine constitue en lui-mme un mandat thique pour agir (j'aborde ce sujet ainsi que plusieurs autres dilemmes inhrents au domaine de la biothique dans l'appendice de ce livre).

    Notez que dans tous ces exemples, chaque partie tente de faire appel un niveau implicite plus lev. Ce niveau est la loi morale. Elle pourrait galement porter le nom de loi du bon comportement . Elle est incontestablement prsente dans chacune de ces situations. Et, dans le fond, ce qui est rellement dbattu, c'est l'ajustement d'une action ou d'une autre aux sommations de cette loi. Les personnes accuses d'avoir mal agi, telle mari manquant de cordialit envers l'ami de sa femme, trouvent habituellement toute une batterie d'excuses pour se tirer d'affaire. La personne accuse ne rpond en effet pratiquement jamais : Au diable votre notion de bon comportement.

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    Nous avons ici affaire une conjoncture trs particulire : le concept du bien et du mal se rvle tre universel pour l'int-gralit des membres constituant l'espce humaine (bien que ses applications puissent engendrer des rsultats bien distincts). n semble ainsi s'apparenter une loi, telles les lois de la gravita-tion ou de la relativit. Pourtant, si nous sommes honntes avec nous-mmes, nous ne pouvons nier qu'il s'agisse d'une loi que nous violons avec une tonnante rgularit.

    Cette loi semble particulirement s'appliquer l'tre humain. Bien que d'autres animaux paraissent parfois faire montre de lueurs de sens moral, il n'est cependant gure rpandu et le comportement d'autres espces se dmarque dramatiquement, en bien des occasions, de tout sens de bien universel. Cette loi peut s'apparenter la conscience que nous avons du bien et du mal, qui s'accompagne du dveloppement du langage, de la conscience de soi et de la capacit imaginer l'avenir, auxquels les scientifiques se rfrent gnralement lorsqu'ils tentent d'numrer les qualits spcifiques l'Homo sapiens.

    Mais cette notion du bien et du mal est-elle une qualit intrinsque l'tre humain, ou uniquement un comportement conscutif aux traditions culturelles ? Certains affirment que les cultures ayant des normes de comportement extrmement disparates, conclure une loi morale commune ne saurait tre raliste. Lewis, universitaire riche de nombreuses cultures, appelle cela un mensonge, un mensonge retentissant. ll suffit qu'un homme se rende dans une bibliothque, puis y passe quelques jours en compagnie de l'Encyclopdie de la religion et de l'thique, pour dcouvrir l'unanimit crasante de la rai-son pratique chez l'homme. De l'Hymne babylonien Samos, des lois de Manu, du Livre des Morts, jusqu'aux Analectes, des stociens aux platoniciens, des Aborignes d'Australie jusqu'aux Peaux-Rouges, il rassemblera les mmes dnoncia-tions solennellement monotones d'oppression, de meurtres, de trahisons et de mensonges ; les mmes ordonnances faire preuve de gentillesse envers les personnes ges, les jeunes et les faibles, faire l'aumne et faire preuve d'impartialit et d'honntet * . La loi peut prendre des formes surprenan-

    * C. S. Lewis, The Poison of Subjectivism ( Le poison du subjectivisme), dans C. S. Lewis, Christian Re/lections (Rflexions chrtiennes), dit par Walter Hooper, Grand Rapids, Eerdmans, 1967, p. 77.

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    tes dans certaines cultures peu courantes - prenons l'exemple de l'excution des sorcires prsumes dans l'Amrique du XVIf sicle. Pourtant, lorsque l'on examine attentivement ces aberrations apparentes, on ne peut que constater qu'elles tirent leurs origines de conclusions fermement tablies - bien qu'errones- stipulant que telle personne ou telle chose incar-nerait le bien ou le mal. Si vous croyez fermement qu'une sor-cire est la personnification du mal sur terre, un aptre du diable lui-mme, ne semble-t-il alors pas justifi de prendre une mesure aussi draconienne ?

    Permettez-moi de m'arrter ici afin de souligner que la conclusion selon laquelle la loi morale existerait bel et bien est en srieuse opposition avec la philosophie postmoderniste qui soutient, elle, qu'il n'existe aucun bien ou mal absolu et que toutes les dcisions thiques sont relatives. Ce point de vue, rpandu parmi les philosophes modernes, mais laissant per-plexe la majorit du grand public, est battu en brche par une srie de logiques inextricables. S'il n'y a pas de vrit absolue, le postmodernisme lui-mme peut-il tre vrai? En effet, si le mal et le bien n'existent pas, pourquoi devrait-on plaider en faveur de l'thique?

    D'autres rtorqueront que la loi morale n'est qu'une cons-quence des contraintes volutionnistes. Cette objection pro-cde du nouveau domaine qu'est la sociobiologie, qui tente d'expliquer le comportement altruiste partir de sa valeur positive au sein de la slection darwinienne. Si cet argument se vrifiait, l'interprtation de la plupart des conditions requi-ses de la loi morale en tant qu'indicateurs de l'existence de Dieu rencontreraient potentiellement quelques difficults - il est donc intressant d'examiner ce point de vue plus en dtail.

    Considrons un exemple majeur de la force que la loi morale peut nous faire ressentir - la pulsion altruiste, la voix de la conscience nous appelant aider les autres, mme lors-que nous ne recevons rien en retour. Les conditions requises de la loi morale ne se rduisent bien entendu pas l'altruisme ; l'accs de mauvaise conscience que nous pouvons ressentir aprs avoir transcrit une lgre distorsion des faits sur notre dclaration d'impts ne peut par exemple gure tre imput au sentiment d'avoir nui un autre tre humain identifiable.

    Alors commenons par dcanter ce dont nous parlons. Par altruisme, je n'entends pas le genre de comportement suivant :

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    Tu m'as gratt le dos, mon tour de te gratter le tien ; cette pratique de la bienveillance envers autrui comporte en effet une attente directe de bienfaits ou avantages rciproques. L'altruisme est plus intressant que cela : il s'agit du vritable don de soi, totalement dsintress et ne possdant pas la moin-dre motivation secondaire. Lorsque nous sommes confronts ce genre d'amour et de gnrosit, nous ne pouvons qu'tre remplis de respect et de dfrence. Oskar Schindler a plus que mis sa vie en danger en protgeant plus d'un millier de Juifs de l'extermination nazie durant la Seconde Guerre mondiale et il est finalement mort sans le sou - nous sommes submergs d'admiration pour ce qu'il a fait. Mre Teresa a toujours compt parmi les personnes les plus admires de notre po-que, et ce, bien que le fait qu'elle se soit impos de vivre dans la pauvret et l'abngation vis--vis des malades et des mou-rants de Calcutta soit radicalement contraire au mode de vie matrialiste caractristique de notre culture moderne.

    L'altruisme peut mme, dans certains cas, s'exercer dans des circonstances o le bnficiaire semblerait tre un ennemi jur. Sur Joan Chittister, religieuse bndictine, raconte l'histoire soufie * suivante :

    Il tait une fois une vieille femme qui avait pour habitude de mditer sur la rive du Gange. Un matin, finissant sa mditation, elle vit un scorpion flottant dsesprment dans le puissant cou-rant. Alors que le scorpion tait entran vers la rive, il fut pris dans les racines qui se dployaient vers les profondeurs du fleuve. Le scorpion lutta frntiquement pour se librer, mais cela n'eut pour rsultat que de le pousser s'enchevtrer encore davantage. La femme tendit immdiatement sa main vers le scorpion pas loin de se noyer, qui, ds qu'elle l'eut touch, la piqua. La vieille femme retira brusquement sa main puis, aprs avoir retrouv son quilibre, tenta de nouveau de sauver la crature. chacune de ses tentatives, la queue du scorpion la piquait si fortement que ses mains se mettaient saigner et son visage se dformer sous l'effet de la douleur. Un passant voyant la vieille femme lutter avec le scorpion cria : Que faites-vous, imbcile ? ! Voulez-vous

    * J. Chittister dans F. Franck, J. Roze et R. Connolly (d.), What Does lt Mean To Be Human? Reverence /or Li/e Rea//irmed by Responses /rom Around the World (Qu'implique le /ait d'tre humain? La vnration de la vie raffirme par des rponses provenant du monde entier), New York, St. Martin's Griffin, 2000, p. 151.

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    vous tuer en sauvant cette vilaine chose ? Regardant l'tranger dans les yeux, elle rpondit : La nature du scorpion tant de piquer, pourquoi devrais-je, moi, nier ma propre nature pour le sauver?

    Cet exemple peut sembler un brin radical - peu d'entre nous peuvent se targuer de se mettre en danger pour sauver un scorpion. En revanche, la plupart d'entre nous ont assur-ment au moins une fois ressenti l'appel intime les incitant voler au secours d'un tranger se trouvant dans le besoin, mme en sachant qu'il n'y avait aucune chance qu'ils en reti-rent le moindre bnfice personnel. Et si nous avons effective-ment donn suite cette impulsion, nous avons certainement t amens ressentir le sentiment rconfortant d'avoir accompli la bonne chose .

    C. S. Lewis, dans son remarquable ouvrage The Four Loves (Les Quatre Amours), examine en dtailla nature de ce type d'amour dsintress, qu'il appelle agape , mot d'origine grecque. Il souligne que l'on doit distinguer ce type d'amour des trois autres (que sont l'affection, l'amiti et l'amour romantique), qui peuvent tre plus facilement entendus comme des bienfaits rciproques, et que nous pouvons voir modliss chez d'autres animaux, en dehors de nous-mmes.

    Agape, ou l'altruisme dsintress, prsente un dfi majeur pour l'volutionniste. Le raisonnement rductionniste l'assi-mile un franc scandale. Il ne peut tre justifi par la ncessit de la perptuation des gnes individuels de la cupidit. Bien au contraire: il peut inciter certains humains faire des sacri-fices les conduisant une grande souffrance personnelle, des blessures ou la mort, sans qu'ils en retirent le moindre bn-fice. Et pourtant, en prtant l'oreille cette voix intrieure que nous appelons parfois la conscience, nous savons que la moti-vation pratiquer ce type d'amour existe en chacun de nous, malgr les efforts rptitifs que nous dployons en vue de l'ignorer.

    Des sociobiologistes tels qu'E. O. Wilson ont tent d'expli-quer ce comportement en nonant que celui qui pratique l'altruisme en retirerait des bnfices reproductifs indirects. Nanmoins, ces arguments ont rapidement but contre des difficults. L'une des thses stipule que la rptition, chez

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    l'homme, d'un comportement altruiste serait reconnue comme un attribut positif dans la slection d'un compagnon. Mais cette hypothse est en conflit direct avec les observations que l'on a faites sur des primates non humains qui, souvent, rv-lent l'inverse - tel un singe mle nouvellement dominant pra-tiquant l'infanticide afin de dgager la voie pour sa propre progniture future. Un autre des arguments nonce que l'altruisme comporterait des bienfaits rciproques indirects ayant, au cours de l'volution, octroy des avantages au prati-cien ; mais cette explication ne peut rendre compte de la moti-vation humaine pratiquer des petits actes de conscience que tout autre personne ignore. Un troisime raisonnement exprime l'ide que tout comportement altruiste accompli par l'un des membres d'un groupe apporte des bienfaits/avantages l'ensemble du groupe. L'exemple choisi pour illustrer cette ide est celui des colonies de fourmis. Les fourmis travailleu-ses striles besognent en effet incessamment crer un envi-ronnement dans lequel leur mre pourra concevoir davantage d'enfants. Mais ce genre d' altruisme de fourmi peut ais-ment tre expliqu en termes volutionnistes par le fait que les gnes motivant la fourmi travailleuse strile sont exactement les mmes que ceux qui seront transmis par leur mre ses frres et surs qu'elle contribue engendrer. Cette connexion gntique directe inhabituelle ne s'applique pas aux popula-tions plus complexes. Les volutionnistes s'accordent dsor-mais presque universellement dire que la slection oprerait sur l'individu et non sur la population. Le comportement programm de la fourmi travailleuse diffre donc fonda-mentalement de la voix intime me poussant me sentir oblig de sauter dans la rivire pour tenter de sauver un tranger de la noyade, mme si je ne suis pas un bon nageur et que je pour-rais moi-mme en mourir. En outre, l'argument volutionniste dfendant l'ide d'un bienfait sur le groupe conscutif l'altruisme dont une personne aurait fait preuve semblerait appeler une rponse inverse, savoir faire preuve d'hostilit envers les personnes extrieures au groupe. L'agape d'Oskar Schindler et de Mre Teresa dment ce genre d'attitude. Aussi scandaleux que cela puisse paratre, la loi morale me sommera de sauver l'homme de la noyade et ce, mme s'il s'agit d 'un ennemi.

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    Si la loi de la nature humaine ne peut tre explique comme un artefact culturel ou un driv volutionniste, alors com-ment pouvons-nous justifier son existence ? Il se passe ici quelque chose de franchement inhabituel. Pour citer Lewis, S'il existait un pouvoir dterminant en dehors de l'Univers, il ne pourrait se manifester nous sous la forme d'un des l-ments se trouvant l'intrieur de l'Univers - pas plus que l'architecte d'une maison ne pourrait tre un mur ou un esca-lier ou une chemine de ladite maison. La seule faon dont nous pourrions nous attendre ce qu'il se prsente nous serait depuis l'intrieur de nous-mmes, telle une influence ou une ordonnance tentant de nous inciter nous comporter d'une certaine faon. Or, il s'agit exactement de ce que nous pouvons trouver l'intrieur de nous-mmes. Cela ne devrait-il pas assurment veiller nos soupons* ?

    Lorsque je pris connaissance de cet argument l'ge de vingt-six ans, sa logique me laissa interdit. Ici, se cachant dans mon propre cur, aussi familire que l'est l'exprience quoti-dienne, mais maintenant mergeant pour la premire fois sous les traits d'un principe clairant, cette loi morale brillait de sa lumire blanche clatante dans les recoins de mon athisme enfantin, et rclamait que je considre ses origines avec le plus srieux des gards. tait -ce Dieu qui venait rgner sur mon pass?

    Et si tel tait le cas, quel genre de Dieu devait-Il tre? S'agissait-il d'un Dieu diste, ayant invent la physique et les mathmatiques et amorc la marche de l'Univers il y a environ quatorze milliards d'annes, pour ensuite errer afin de grer d'autres questions plus importantes, comme le pensait Ein-stein ? Non, ce Dieu, si je Le saisissais bien, devait tre un Dieu thiste, dsirant entretenir une sorte de relation avec les cratures spciales que sont les tres humains, et ayant ainsi insuffl cette ide singulire de Lui-mme en chacun de nous. Cela pouvait tre le Dieu d'Abraham, mais il ne s'agissait cer-tainement pas du Dieu d'Einstein.

    Cette perception croissante de la nature de Dieu- s'Il tait rel- avait une autre consquence. en juger par le trs haut

    * C. S. Lewis, Mere Christianity (Les Fondements du christianisme), Westwood, Barbour & Company, 1952, p. 21.

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    niveau de la loi morale, loi que je devais admettre violer trs rgulirement dans la pratique, il s'agissait d'un Dieu saint et juste. Il devait tre l'incarnation de la bont. Il devait dtester le mal. Et il n'y avait aucune raison de douter que ce Dieu ne ft bienveillant et indulgent. L'accroissement progressif de ma prise de conscience de la plausibilit de l'existence de Dieu entrana, avec lui, des sentiments conflictuels : d'un ct, du rconfort face l'ampleur et la profondeur de l'existence d'un tel Esprit, et de l'autre, une profonde consternation face mes propres imperfections regardes dans Sa Lumire.

    J'avais dbut ce voyage spirituel exploratoire avec, en tte, l'ide qu'il confirmerait mon athisme. Tout cela tombait dsormais en ruine, l'argument de la loi morale (et bien d'autres points) me forant admettre la plausibilit de l'hypothse de Dieu. L'agnosticisme, qui m'avait pourtant sembl autrefois incarner un refuge solide, m'apparaissait dsormais distinctement comme la grande chappatoire qu'il est souvent. La foi en Dieu me semblait maintenant plus rationnelle que la non-croyance.

    Il m'est galement devenu clair que la science, bien qu'incontestablement comptente pour dmler les mystres du monde naturel, ne m'aiderait pas rsoudre la question de Dieu. Si Dieu existe, Il doit alors se trouver l'extrieur du monde naturel. Par consquent, les outils de la science ne sont pas mme de nous permettre d'en savoir plus sur Lui. Au lieu de cela, alors que je commenais croire que je compre-nais cette nouvelle dimension en regardant dans mon propre cur, je sentais que la preuve de l'existence de Dieu devrait me parvenir d'ailleurs, et que ma rsolution finale serait fon-de sur la foi, et non sur des preuves. Tou jours en proie des incertitudes perturbantes quant au chemin sur lequel je m'tais engag, je devais admettre que j'avais atteint le seuil d'acceptation de la possibilit d'une vision du monde spiri-tuelle, y compris de l'existence de Dieu.

    Il me semblait dsormais impossible d'aller de l'avant ou de revenir en arrire. Des annes plus tard, je suis tomb sur un sonnet de Sheldon Vanauken qui dcrivait parfaitement mon dilemme d' antant. Voici la conclusion de ce sonnet :

    Entre le probable et le prouv se creuse un foss. Effrays l'ide de sauter, nous nous tenons, insenss,

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  • DE L'ATHISME A LA CROYANCE

    Puis voyons derrire nous la terre s'affaisser et, pire encore, Notre point de vue s'bouler. Oiseaux dsesprs Notre seul espoir: sauter dans le Mot Qui ouvre l'Univers aux volets clos*.

    Je suis rest, tremblant, pendant longtemps sur le bord de ce foss bant. Finalement, ne voyant aucune chappatoire possible, j'ai saut.

    Comment de telles croyances peuvent-elles tre possibles pour un scientifique ? Nombre des dclarations religieuses ne sont-elles pas incompatibles avec l'attitude d'une personne se consacrant l'tude de la chimie, de la physique, de la biologie et de la mdecine, consistant demander Montrez-moi les donnes ? En ouvrant la porte de mon esprit ses possibili-ts spirituelles, avais-je entam une guerre des visions du monde qui me consumerait, finalement confront la victoire crasante de l'une ou de l'autre d'entre elles ?

    * S. Vanauken, A Severe Mercy (Une misricorde svre), New York, Harper-Collins, 1980, p. 100.

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    La guerre des visions du monde

    Si vous, sceptique, tes parvenu voyager avec moi jusqu'ici, il ne fait aucun doute que vous avez dj d com-mencer concevoir un torrent de rfutations. J'ai galement eu les miennes: Dieu n'est-il pas qu'un cas de vu pieux? Beaucoup de mal n'a-t-il pas t fait au nom de la religion? Comment un Dieu d'amour peut-il consentir que la souffrance existe? Comment un scientifique srieux peut-il accepter l'ventualit des miracles ?

    Si, en revanche, vous tes croyant, le rcit de mon premier chapitre aura peut-tre contribu vous rassurer. li reste nanmoins que votre foi doit entrer en conflit avec d'autres problmes ou sphres auxquels vous tes vous-mme- ou des personnes de votre entourage - confront quotidiennement.

    Le doute est une occurrence incontournable de la foi. Selon les mots de Paul Tillich: Le doute n'est pas le contraire de la foi ; c'est un lment de la foi*. Si les arguments en faveur de la croyance en Dieu taient entirement hermtiques, le monde serait alors rempli de pratiquants confiants, ne prnant qu'une seule et unique foi. Mais imaginons un monde o la certitude des tmoignages en faveur de Dieu nous terait la possibilit d'oprer un choix en toute libert et conscience. Cela serait-il plus intressant ?

    Les doutes sont issus de nombreuses sources, et ce aussi bien pour le sceptique que pour le croyant. Certains de ces doutes proviennent des contradictions entre les affirmations

    * P. Tillich, The Dynamics of Faith (La Dynamique de la foi), New York, Har-per & Row, 1957, p. 20.

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  • LA GUERRE DES VISIONS DU MONDE

    de la croyance religieuse et les observations scientifiques. Ces dbats, particulirement prsents dans le domaine de la biolo-gie et de la gntique, sont traits dans les chapitres ultrieurs. Restent d'autres questions, davantage de l'ordre du domaine philosophique de l'exprience humaine, que je vais aborder au cours de ce chapitre. Si vous ne vous sentez pas concern par ces questions, n'hsitez pas vous reporter directement au chapitre 3.

    En abordant ces questions philosophiques, je vais m'expri-mer essentiellement au nom du laque que je suis. Pourtant, force est de constater que j'ai partag ces luttes. Surtout durant la premire anne de ma toute nouvelle acceptation de l'existence d'un Dieu attentif aux tres humains. Je fus alors assailli par des doutes provenant peu prs de toute part. Bien que, de prime abord, ces questions me parussent toutes fra-ches et insolubles, je fus rconfort d'apprendre que toutes les objections de ma liste avaient dj t souleves - voire avec encore plus de force et de clart - par d'autres travers les sicles. Et mon plus grand soulagement, de nombreuses sources tout fait merveilleuses apportaient des rponses indiscutables ces dilemmes. Je vais, au cours de ce chapitre, faire appel certaines des penses desdits auteurs, que je com-plterai par mes propres opinions et expriences. La plupart des analyses les plus accessibles sont tires des crits de C. S. Lewis, mon conseiller d'Oxford, qui vous est dsormais familier.

    Bien que nous pourrions ici prendre en compte une multi-tude d'objections, quatre d'entre elles m'ont toutefois paru particulirement pineuses en ces premiers jours d'une foi toute neuve, et il me semble qu'elles font partie des problmes les plus importants auxquels sera confronte toute personne envisageant de prendre une dcision mrement rflchie quant la notion de croyance en Dieu.

    L'ide de Dieu n'est-elle pas uniquement un dsir d'exaucement

    Dieu est-il vraiment le centre du problme? Ou la qute de l'existence d'un tre surnaturel, si prgnante dans toutes les cultures tudies, reprsente-t-elle une aspiration humaine

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  • DE LA GNTIQUE DIEU

    universelle - quoique infonde - quelque chose d'extrieur nous-mmes dans le but de donner du sens une vie qui en serait dnue et de soulager la douleur cuisante de la mort ?

    Bien que la qute du divin soit, de nos jours, quelque peu brouille par nos vies charges et hyperstimules, elle reste toutefois l'une des batailles humaines les plus universelles. C. S. Lewis dcrit ce phnomne dans son merveilleux livre Surprised by foy (Surpris par la joie) en citant l'exemple de sa propre vie. Ce qu'il identifie comme la joie est le senti-ment d'intense mlancolie provoqu par quelque chose d'aussi simple que quelques vers de posie. Il dcrit l' exp-rience comme un dsir insatisfait, tant lui-mme plus dsi-rable que toute autre satisfaction*. Je me souviens distinctement de certains de ces moments de ma vie o ce sentiment poignant de mlancolie ou de nostalgie, s'inscri-vant entre le plaisir et la douleur, m'a frapp par surprise et m'a incit me demander d'o pouvait provenir une mo-tion si forte, et de quelle faon une telle exprience pourrait se renouveler.

    dix ans, je me souviens d'avoir t transport par une exprience fascinante : un astronome amateur avait install un tlescope sur l'un des champs les plus levs de notre ferme. Je suis un jour all y jeter un il et ai pu observer le ciel travers sa lunette. J'ai alors distingu les cratres se trouvant sur la lune et la lumire diaphane magique des Pliades et ai ressenti avec puissance l'immensit de l'Univers. quinze ans, je me souviens d'une veille de Nol durant laquelle le dchant d'un chant de Nol particulirement beau, s'levant, doux et authentique, au-dessus de l'air plus familier, me laissa avec un sentiment d'merveillement inattendu et de mlanco-lie relatif quelque chose que je ne parvenais pas nommer. Bien plus tard, alors que j'tais tudiant en troisime cycle et encore athe, je me surpris ressentir ce mme sentiment d'merveillement et de mlancolie, cette fois-ci alli un sen-timent particulirement profond de tristesse, en coutant le second mouvement de la Troisime Symphonie de Beethoven (dite Hroque). Alors que le monde pleurait la mort des

    * C. S. Lewis, Surprised by foy (Surpris par la joie), New York, Harcourt Brace, 1955, p. 17.

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    athltes israliens tus par des terroristes lors des Jeux olym-piques de 1972, le Philharmonique de Berlin jouait les accords puissants de ce chant funbre en ut mineur dans le stade olym-pique, mlangeant noblesse et tragdie, vie et mort. Je fus, durant quelques instants, arrach ma vision du monde mat-rialiste pour pntrer dans une dimension spirituelle indes-criptible, exprience me semblant alors assez tonnante.

    n m'est galement arriv de ressentir un tel sentiment plus rcemment. Un scientifique qui est occasionnellement donn le remarquable privilge de dcouvrir quelque chose prala-blement inconnu de l'homme prouve, lors de tels clairs de perspicacit et de lucidi, une sorte de joie trs spciale. Ayant alors distingu une lueur de vrit scientifique, j'ai ressenti tout la fois un sentiment de grande satisfaction et le dsir de comprendre une vrit encore plus grande. En un tel moment, la science devient bien plus qu'un simple processus de dcou-verte. Elle transporte le scientifique dans une dimension dfiant toute explication totalement naturaliste.

    Alors, que devons-nous faire de ces expriences ? Et quelle est cette sensation de mlancolie que nous ressentons vis--vis de quelque chose de plus grand que nous-mme? Ne s'agit-il pas de rien de plus que d'une combinaison de neurotrans-metteurs atterrissant prcisment sur les bons rcepteurs, dclenchant une profonde dcharge lectrique dans une partie du cerveau? Ou est-ce, telle la loi morale dcrite dans le cha-pitre prcdent, une vague ide de ce qui se trouve au-del de notre Univers, un panneau de signalisation plac au plus pro-fond de l'esprit humain indiquant l'existence de quelque chose de bien plus grand que nous-mme ?

    Selon la vision athiste, ces aspirations ou mlancolies ne devraient pas tre perues comme des signes de l'existence d'une dimension surnaturelle. De mme que traduire ces sen-sations d'merveillement par la croyance en Dieu ne reprsen-terait rien d'autre qu'un vu pieux - nous n'inventerions une rponse que parce que nous souhaiterions qu'elle soit vraie. Ce point de vue particulier a touch son plus large public via les crits de Sigmund Freud qui affirmait qu'il convenait de chercher la source premire de la foi religieuse dans le fonds pulsionnel manant de la petite enfance. Freud crit dans Totem and Taboo (Totem et Tabou): De l'examen psychana-lytique de l'individu, il ressort avec une vidence particulire

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    que le Dieu de chacun est l'image de son pre, que l'attitude personnelle de chacun l'gard de Dieu dpend de son atti-tude l'gard de son pre charnel, varie et se transforme avec cette attitude, et que Dieu n'est au fond qu'un pre d'une dignit plus leve*.

    Le problme avec cet argument de dsir d'exaucement ou d'accomplissement, c'est qu'il ne concorde pas avec la nature que les grandes religions de la terre ont attribue Dieu. Armand Nicholi, professeur Harvard ayant suivi une forma-tion en psychanalyse, compare, dans The Question of God (La Question de Dieu), livre fort lgant qu'il a rcemment publi, l'opinion de Freud avec celle de C. S. Lewis**. Lewis affirmait que ce dsir donnerait vraisemblablement naissance un tout autre genre de Dieu que celui dcrit dans la Bible. Et si nous recherchons l'indulgence et nous faire dorloter avec bien-veillance, la Bible ne promet pas ce genre de rconfort. Au lieu de cela, alors que nous commenons nous attaquer l' exis-tence de la loi morale, et que nous dcouvrons notre vidente incapacit y faire face, nous nous rendons compte quel point nous sommes pris dans de grandes difficults, et combien nous sommes peut -tre ternellement spars de l'Auteur de cette loi. De plus, tout enfant, en grandissant, n'prouve-t-il pas des sentiments ambivalents envers ses parents, y compris celui de goter la libert ? Alors, pourquoi le dsir d'exauce-ment/accomplissement devrait-il nous conduire dsirer qu'il y et un Dieu, par opposition au souhait qu'il n'y en et pas ?

    Enfin, en termes logiques simples, si l'on accepte l'ide selon laquelle Dieu serait une entit que les humains pour-raient dsirer, cela exclut-ilia possibilit que Dieu soit rel? Absolument pas. Le fait que j'aie un jour souhait avoir une pouse aimante ne la rend pas aujourd'hui imaginaire pour autant. Tout comme le fait qu'un agriculteur dsirant qu'il pleuve ne remet pas en question la ralit d'une pluie torren-tielle venir.

    On peut, en fait, prendre le contrepied de cet argument de vu pieux. Pourquoi une telle faim universelle spcifiquement

    * S. Freud, Totem and Taboo (Totem et Tabou), New York, W. W. Norton, 1962.

    ** A. Nicholi, The Question of Cod (La Question de Dieu), New York, The Free Press, 2002.

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    humaine existerait-elle si elle ne devait pas tre raccorde une possibilit de ralisation ? Une fois de plus, Lewis exprime cette ide avec clart : Les cratures ne naissent pas avec des dsirs, moins que n'existe la satisfaction de ces dsirs. Un bb a faim: eh bien, il existe une chose comme la nourriture. Un canard veut nager : eh bien, il existe une chose comme l'eau. Les hommes ressentent le dsir sexuel : eh bien, il existe une chose comme le sexe. Si je trouve en moi un dsir qu'aucune exprience de ce monde ne peut satisfaire, je ne pourrai l'expliquer que par le fait que j'tais probablement fait pour un autre monde*. Se pourrait-il que ce dsir de sacr, aspect universel combien trange de l'exprience humaine, ne soit en fait pas un dsir d'exaucement mais plutt un indice dsignant l'existence de quelque chose nous dpassant ? Pour-quoi nos curs et nos esprits auraient-il un vide correspon-dant la forme de Dieu si cet espace n'tait pas destin tre combl ?

    Notre monde matrialiste moderne nous incite aisment et frquemment perdre de vue ce sentiment d'aspiration et de mlancolie. Annie Dillard voque ce vide grandissant dans sa magnifique collection d'essais Teaching a Stone to Talk (Apprendre une pierre parler):

    Nous ne sommes dsormais plus des tres primitifs. Dorna-vant, le monde entier ne nous apparat plus comme sacr [. .. ] Nous, en tant que peuple, sommes passs du panthisme au pan-athisme [. .. ] n nous est difficile de rparer nos propres dgts, et de rappeler nous ce que nous avons cart. li est dlicat de profaner un bosquet pour ensuite changer d'avis. Nous avons teint le buisson ardent et ne pouvons le rallumer. Nous frottons des allumettes en vain sous chaque arbre verdoyant. Le vent avait-il pour habitude de pleurer et les collines de mander des louanges? La parole s'est dsormais teinte d'entre les choses inanimes de la terre, et les choses vivantes disent trs peu (de choses) trs peu (de gens) [. .. ] Et pourtant, il se pourrait que l o il y a du mouvement il y ait du bruit, comme lorsqu'une baleine saute hors de l'eau en frappant les flots, et que l o il y a du calme on puisse discerner la petite voix pose, Dieu parlant depuis la tornade, les anciennes chansons et danses de la nature,

    * C. S. Lewis, Mere Christianity (Les Fondements du christianisme), op. cit., p.115.

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  • DE LA GNTIQUE DIEU

    le spectacle que nous avons rapport de la ville [ ... ] Qu'avons-nous fait d'autre, durant tous ces sicles, que de tenter de rappe-ler Dieu la montagne, ou, dfaut, de jeter un coup d'il sur toute chose n'tant pas nous? Quelle est la diffrence entre une cathdrale et un laboratoire de physique? Ne disent-ils pas tous deux: Bonjour*?

    Qu'en est-il de tout le mal/ait au nom de la religion L'une des principales pierres d'achoppement de nombreux

    chercheurs srieux rside dans la preuve incontestable que des choses terribles ont t ralises tout au long de l'histoire au nom de la religion. Et cela s'applique presque toutes les confessions en un moment et en un lieu donns, y compris cel-les dont les principaux dogmes prchent la compassion et la non-violence. Compte tenu des multiples exemples existant en matire de pouvoir abusif et grossier, de violence et d'hypo-crisie, comment peut-on souscrire aux diffrentes doctrines de la foi lorsque celles-ci sont promues par des criminels ?

    Il existe deux rponses ce dilemme. Il faut tout d'abord garder l'esprit que le tableau n'est pas aussi noir qu'il y parat et que bien des choses merveilleuses ont galement t rali-ses au nom de la religion. L'glise (j'entends ici le terme gnrique et me rfre la religion en tant qu'institution, pro-mouvant une foi particulire, sans me proccuper de la foi spcifique que l'on pourrait ici dcrire) a maintes fois jou un rle crucial en soutenant et encourageant la justice et la bien-veillance. titre d'exemple, considrons la faon dont les chefs religieux ont uvr soulager moult personnes de l'oppression, depuis Mose guidant les Isralites hors de la ser-vitude jusqu' la victoire finale de William Wilberforce, par-venu convaincre le Parlement anglais de faire opposition la pratique de l'esclavage, en passant par le rvrend M_artin Luther King menant le mouvement des droits civils aux Etats-Unis, pour lequel il a donn sa vie.

    La seconde rponse nous ramne, quant elle, la loi morale, et au fait que nous tous, en tant qu'tres humains,

    * A. Dillard, Teaching a Stone to Talk , New York, Harper-Perennial, 1992, pp. 87-89.

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  • LA GUERRE DES VISIONS DU MONDE

    y manquons frquemment. L'glise est constitue et reprsen-te par des personnes faillibles. L'eau pure et vierge de la vrit spirituelle est yerse dans des conteneurs rouills, et les manquements de l'Eglise travers les sicles ne doivent pas tre projets sur la foi elle-mme, comme si l'eau en avait t le problme. n n'est ds lors pas tonnant que ceux qui va-luent la vrit et l'attrait spirituel de la foi suivant le compor-tement de n'importe laquelle des glises considrent souvent comme impossible ne serait-ce que le fait d'imaginer la r~joindre. Exprimant l'hostilit manifeste l'gard de l'Eglise catholique franaise l'aube de la Rvolution franaise, Vol-taire crivait: Faut;il s'tonner qu'il existe des athes dans le monde, lorsque l'Eglise se comporte de manire si abomi-nable*?

    n n'est pas qifficile d'identifier des exemples relatant la pro-motion, par l'Eglise, d'actions allant l'encontre de principes que sa propre foi devrait avoir soutenus. Les Batitudes pro-nonces par le Christ lors du Sermqn sur la montagne furent on ne peut plus ignores lorsque l'Eglise chrtienne mena de violentes croisades au Moyen ge, avant d'instituer l'Inquisi-tion. Bien que le prohte Mahomet n'ait jamais fait appel la violence pour faire face ses perscuteurs durant la premire partie de sa vie La Mecque, le djihad islamique a dbut durant l'exil de Mdine pour se rpandre au fil des sicles jusqu' aujourd'hui et occasionner de violentes attaques comme celle du 11 septembre 2001, donnant la fcheuse impression que l'islam ne peut tre que violence. Mme les adeptes de religions prtendument non violentes, telles que l'hindouisme et le bouddhisme, s'engagent parfois dans de violents affrontements, comme c'est actuellement le cas au Sri Lanka**.

    Et la violence n'est pas le seul acte souiller la vrit de la foi religieuse. De frquents exemples de l'hypocrisie grossire dont font preuve les chefs religieux, rendue encore plus visible par leur puissante mdiatisation, incitent de nombreux scepti-ques conclure que la religion ne possde ni vrit objective ni bont.

    * Voltaire cit dans Alister McGrath, The Twilight of Atheism (Le Crpuscule de l'athisme), New York, Doubleday, 2004, p. 26.

    ** En 2006, lorsque l'auteur a crit le livre original (N.d. TI.

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    L'mergence, dans de nombreuses glises, d'une foi laque spirituellement efface est peut-tre encore plus insidieuse car elle gratigne tous les aspects sacrs de la croyance tradition-nelle, prsentant une version de la vie spirituelle qui ne serait qu'vnements sociaux et/ou traditionnels, dnue de la moindre recherche de Dieu.

    Faut-il alors s'tonner que certains journalistes accusent la religion de reprsenter une force ngative au sein de la socit ou, selon les mots de Karl Marx, l'opium du peuple ? Mais restons prudents. Les grandes expriences marxistes en Union sovitique et en Chine maoste, qui avaient pour but de mettre en place des socits fondes explicitement sur l'athisme, se sont rvles capables de commettre au moins autant, sinon probablement plus, de massacres humains et d'abus de pou-voir grossiers que le pire de tous les rgimes rcents. En fait, en niant l'existence de toute autorit suprieure, l'athisme a le potentiel - prsent ralis - de soustraire totalement les tres humains toute responsabilit relative l'oppression de leurs semblables.

    Ainsi, la longue histoire de l'oppression et de l'hypocrisie religieuses faisant profondment rflchir, le chercheur srieux doit, pour tre mme de trouver la vrit, regarder au-del du comportement imparfait et faillible des humains. Condamneriez-vous un chne uniquement parce que son bois a contribu construire des bliers ? Blmeriez-vous l'air de transporter et rapporter les mensonges? Jugeriez-vous de la qualit de La Flte enchante de Mozart sur la base d'une interprtation d'lves de cinquime n'ayant gure eu le temps de la rpter ? Si vous n'aviez jamais eu la chance de contem-pler de vos propres yeux un coucher de soleil sur le Pacifique, chercheriez-vous en saisir la beaut via une brochure touris-tique quelconque ? N'valueriez-vous la puissance de l'amour romantique qu' la lumire du mariage malheureux de vos voi-sins?

    Non. valuer rellement la vrit de la foi dpend de la faon dont on observe l'eau pure et vierge et non les conte-neurs rouills.

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  • LA GUERRE DES VISIONS DU MONDE

    Un Dieu aimant accepterait-il que la sou/france existe dans le monde ?

    Peut-tre existe-t-il quelque part dans le monde des person-nes vierges de toute souffrance. En ce qui me concerne, je n'en connais aucune, et je doute que vous, lecteur de ce livre, ayez la prtention d'affirmer appartenir cette catgorie. Cette exprience humaine universelle a incit de nombreuses per-sonnes s'interroger propos de l'existence d'un Dieu d'amour. Tel qu'exprim parC. S. Lewis dans The Problem of Pain (Le Problme de la souffrance), l'argument s'nonce comme suit : Si Dieu tait bon, il souhaiterait rendre ses cratures parfaitement heureuses, et si Dieu tait tout-puis-sant, il serait en mesure de raliser ce qu'il souhaite. Or, les cratures ne sont pas heureuses. Par consquent, Dieu man-que soit de bont soit de puissance, soit des deux*.

    li existe plusieurs rponses ce dilemme. Certaines sont plus faciles accepter que d'autres. Reconnaissons, en premier lieu, que nous devons une grande partie de nos souffrances et de celles de nos frres humains ce que nous nous faisons les uns aux autres. C'est l'humanit, et non Dieu, qui a invent les couteaux, les flches, les fusils, les bombes, et toutes les autres sortes d'instruments de torture qui ont t utiliss travers les ges. Les tragdies que sont un jeune enfant tu par un chauf-feur ivre, un homme innocent mourant sur un champ de bataille, ou bien encore une jeune fille abattue par une balle perdue dans un quartier mal fam d'une ville moderne ne peu-vent gure tre imputes Dieu. Aprs tout, nous avons, pour une raison ou pour une autre, t gratifis du libre arbitre, savoir de la capacit d'agir comme nous l'entendons. Et nous employons frquemment cette aptitude pour dsobir la loi morale. Or, lorsque nous le faisons, nous ne devrions pas bl-mer Dieu pour les consquences qui en rsultent.

    Dieu aurait-il d restreindre notre libre arbitre afin de pr-venir ce genre de comportement pouvantable ? Cette ligne de pense se trouve rapidement confronte un dilemme dont on

    * C. S. Lewis, The Problem of Pain (Le Problme de la sou/france), New York, Macmillan, 1962, p. 23.

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    ne peut se sortir rationnellement. Une fois encore, Lewis le formule distinctement : Si vous choisissez d'affirmer que "Dieu peut donner le libre arbitre une crature et en mme temps le lui refuser", vous n'tes pas parvenu dire quoi que ce soit propos de Dieu : des combinaisons de mots dnues de sens ne peuvent soudainement acqurir de signification tout simplement parce que nous leur prfixons les deux ter-mes "Dieu peut". Une absurdit reste une absurdit et ce, mme si nous la soutenons au sujet de Dieu*.

    Certains arguments rationnels peuvent galement tre diffi-ciles accepter lorsque l'exprience d'une souffrance terrible touche une personne innocente. Une jeune tudiante de ma connaissance passait les vacances d't seule effectuer des recherches mdicales pour se prparer une carrire de mde-cin. Se rveillant une nuit, elle dcouvrit qu'un homme s'tait introduit par effraction dans son appartement. Appuyant un couteau sur sa gorge, il ignora ses supplications, lui banda les yeux, et la pntra de force. Il la laissa dvaste. Elle se rem-mora et revcut cette affreuse exprience des annes durant. L'auteur de l'agression ne fut jamais retrouv.

    Cette jeune femme tait ma fille. Jamais la notion de mal absolu ne me fut plus vidente que cette nuit-l, et je n'ai jamais davantage passionnment souhait que Dieu ft inter-venu d'une faon ou d'une autre pour mettre fin ce terrible crime. Pourquoi n'a-t-Il pas fait en sorte que l'auteur de cette terrible violence soit frapp par la foudre, ou, du moins, par un accs de mauvaise conscience? Pourquoi n'a-t-Il pas plac un bouclier invisible autour de ma fille pour la protger ?

    Peut-tre arrive-t-il Dieu de faire des miracles en de rares occasions. Mais pour l'essentiel, le monde reste tributaire des faits inexorables que sont le libre arbitre et l'ordre de l'univers physique. Alors que nous pourrions souhaiter qu'un tel sauve-tage miraculeux se produise plus frquemment, force est de constater que l'interruption de ces deux forces mnerait au chaos le plus total.

    Que dire de la survenue des catastrophes naturelles? Des tremblements de terre, des tsunamis, des ruptions volcani-ques, des inondations et des grandes famines ? Sur une plus

    * Ibid., p. 25.

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  • LA GUERRE DES VISIONS DU MONDE

    petite chelle, mais non moins dramatique, qu'en est-il de la dclaration d'une maladie chez une victime innocente, tel un cancer chez un enfant ? John Polkinghorne, prtre anglican et physicien distingu, a qualifi cette catgorie d'vnements de mal physique , par opposition au mal moral commis par l'humanit. Comment peut-il tre expliqu?

    La science rvle que l'Univers, notre propre plante et la vie elle-mme sont engags dans un processus volutionniste. Cela peut, entre autres, avoir pour consquence l'imprvisibilit du temps mtorologique, le glissement d'une plaque tectonique, ou le fait qu'un gne du cancer soit mal orthographi lors du processus normal de la division cellulaire. Si Dieu a, au dbut des temps, choisi d'employer ces forces pour crer les tres humains, le caractre invitable de ces autres consquences douloureuses tait alors galement assur. Des miracles trop fr-quents creraient le chaos sur terre car ils interfreraient avec les actes humains provenant du libre arbitre de l'homme.

    Ces explications rationnelles sont, pour bien des chercheurs srieux, loin d'tre aptes justifier la douleur de l'existence humaine. Pourquoi notre vie ressemble-t-elle davantage une valle de larmes qu' un jardin des dlices ? Bien des choses ont t crites au sujet de ce paradoxe apparent, et son dnouement n'est gure plaisant : si Dieu est amour et ne nous veut que du bien, alors peut-tre cela induit-il que Son plan n'tait pas le mme que le ntre. Il s'agit d 'un concept difficile digrer, surtout lorsque nous avons rgulirement t nour-ris du discours selon lequel Dieu serait bienveillant et que cette bienveillance n'impliquerait rien de plus que Son dsir de nous voir perptuellement heureux. L encore, Lewis sou-tient un argument de poids: Nous ne voulons, en fait, dans le ciel, pas tant d'un pre que d'un grand-pre - une bien-veillance snile qui, comme ils disent, "aime voir les jeunes s'amuser", et dont le plan, pour l'Univers, n'tait simplement autre qu'il puisse ventuellement tre fidlement affirm, propos de tous les humains, la fin de chaque journe, "qu'ils ont vcu un bon moment*".

    en juger par l'exprience humaine, si, de notre ct, nous acceptons la bont et l'amour de Dieu, Lui, en revanche,

    * Ibtd., p. 35.

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  • DE LA GNTIQUE A DIEU

    semble souhaiter davantage que cela de nous. Ne s'agit-il pas en fait de votre propre exprience? Avez-vous davantage appris sur vous-mme lorsque les circonstances vous taient favorables, ou quand la vie vous obligeait affronter des dfis, des frustrations et des moments de souffrance ? Dieu mur-mure dans nos plaisirs, parle dans notre conscience, mais crie dans nos douleurs : c'est le porte-voix qu'li utilise afin de rveiller un monde sourd*. Bien que nous souhaitions viter ces expriences autant que possible, sans elles ne serions-nous pas des cratures superficielles et gocentriques, perdant, au final, tout notion de noblesse ou de lutte pour