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n o 173 4 IDÉES DE IDÉES DE CHOC CHOC De tous temps, les humains ont voulu imiter les oiseaux. Cette fois, ça y est. On y est arrivé! Les nouvelles voiles de parapente permettent de copier à la perfection les arabesques de la gent ailée et parfois de faire mieux qu’elles. Vous en connaissez, vous, des oiseaux capables de décrocher au passage le soutien-gorge d’une touriste qui prend le soleil sur la plage? Dans votre dernier lm, Weightless, on vous voit descendre en piqué sur une plage pour dégrafer le soutien-gorge d’une jeune femme couchée à plat ventre sur le sable tout en poursuivant votre trajectoire (*). Quel est votre truc? Il n’y a aucun truc. C’est le genre de prouesse que permettent les nouvelles voiles de parapente. Des voiles extrê- mement maniables. La difculté pour cette séquence, ce fut de lâcher les com- mandes pendant le très bref instant du décrochage sans perdre le contrôle de la trajectoire. Cela dit, j’aurais préféré que vous évoquiez d’autres passages du lm. Celui-là fait un peu penser à une blague de sale gosse, non? Jean-Baptiste Chandelier est un parapentiste qui a longtemps marqué une discipline peu connue mais spec- taculaire: la voltige (appelée aussi «acro»). Comme en gymnastique, elle consiste à enchaîner les figures avec un maximum de maîtrise et de virtuosité pour impressionner les six juges au sol. Néanmoins, depuis une petite dizaine d’années, Jean-Baptiste Chandelier s’est détourné des compétitions pour inventer un nouveau style appelé «vol de proximité». Son objectif? S’affranchir des lois de la pesanteur pour imaginer des vols pleins d’audace, de grâce et même de poésie. Les petits films qu’il poste régulièrement sur internet sont littéralement à couper le souffle et font des millions de vues, ce qui lui permet de vivre de sa passion. Drôle d’oiseau Drôle d’oiseau

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Page 1: DDrôle d’oiseaurôle d’oiseau - Freerobin.candau.free.fr/SEV173-Drole-d-oiseau.pdfUn faucon pèlerin qui replie ses ailes peut ainsi fondre sur sa proie à des vitesses de chute

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IDÉES DEIDÉES DEC H O CC H O C

De tous temps, les humains ont voulu imiter les oiseaux. Cette fois, ça y est. On y est arrivé! Les nouvelles voiles de parapente permettent de copier à la perfection les arabesques de la gent ailée et parfois de faire mieux qu’elles. Vous en connaissez, vous, des oiseaux capables de décrocher au passage le soutien-gorge d’une touriste qui prend le soleil sur la plage?

Dans votre dernier fi lm, Weightless, on vous voit descendre en piqué sur une plage pour dégrafer le soutien-gorge d’une jeune femme couchée à plat ventre sur le sable tout en poursuivant votre trajectoire (*). Quel est votre truc?Il n’y a aucun truc. C’est le genre de prouesse que permettent les nouvelles voiles de parapente. Des voiles extrê-mement maniables. La diffi culté pour cette séquence, ce fut de lâcher les com-mandes pendant le très bref instant du décrochage sans perdre le contrôle de la trajectoire. Cela dit, j’aurais préféré que vous évoquiez d’autres passages du fi lm. Celui-là fait un peu penser à une blague de sale gosse, non?

Jean-Baptiste Chandelier est un parapentiste qui a longtemps marqué une discipline peu connue mais spec-taculaire: la voltige (appelée aussi «acro»). Comme en gymnastique, elle consiste à enchaîner les fi gures avec un maximum de maîtrise et de virtuosité pour impressionner les six juges au sol. Néanmoins, depuis une petite dizaine

d’années, Jean-Baptiste Chandelier s’est détourné des compétitions pour inventer un nouveau style appelé «vol

de proximité». Son objectif? S’affranchir des lois de la pesanteur pour imaginer des vols pleins d’audace, de grâce et même de poésie. Les petits fi lms qu’il poste régulièrement sur internet sont littéralement à couper le souffl e et font des millions de vues, ce qui lui permet de vivre de sa passion.

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En ville, on peut voir le ballet des mar-tinets noirs au printemps. Ils sont capables de pénétrer dans un trou de souris au faîte d’un immeuble sur lequel ils fondent à des vitesses de l’ordre de 70-80 km/h. On a alors l’impres-sion qu’ils traversent les murs comme Dutilleul, le héros de Passe-muraille, ce conte de Marcel Aymé.Voyez aussi comment les hirondelles arrivent à boire en plein vol en frôlant la surface de l’eau. C’est magique. Notez qu’à chaque fois, il s’agit d’oiseaux de petite taille. La distance à parcourir pour que l’infl ux nerveux passe des muscles au cerveau et inversement est forcé-ment plus courte. De ce fait, leur réponse motrice est quasiment immédiate. Il faut préciser aussi qu’ils ont 150 millions d’années d’adaptation derrière eux. Par comparaison, le premier parapente a vu le jour en 1965. Nous sommes encore loin d’égaler nos modèles.

Que vous reste-t-il à améliorer pour cela? Les oiseaux sont mieux profi lés que nous, ce qui se traduit par une plus grande fi nesse de vol. En planant, ils arrivent à couvrir 70 mètres horizonta-lement pour un mètre perdu sur le plan vertical. Par comparaison, les meilleurs parapentes possèdent une fi nesse de 12-13. C’est-à-dire qu’en l’absence de vent, ils ne peuvent faire que douze ou treize mètres de déplacement horizon-tal pour un mètre d’altitude. C’est pas

Parlons alors de ces images tirées du fi lm précédent, intitulé Light Line, où vous semblez vous prendre pour une mouette. Vous volez dans un espace urbain en bord de mer. Vous vous per-chez sur un banc public ou un poteau puis vous reprenez votre vol avec aisance. Cela paraît tellement facile.Les oiseaux m’inspirent, c’est vrai. Ils vaquent à leurs occupations sans se soucier en apparence des diffi cultés folles qu’implique chacun de leurs déplacements. J’habite Briançon dans le département des Hautes-Alpes. En montagne, je suis toujours impressionné par l’habileté des chocards, par exemple. Leur temps de réaction est si bref qu’ils arrivent à conserver un vol fl uide en dépit des puissantes bourrasques d’alti-tude. Un mouvement d’aile malvenu ou une fraction de seconde d’inattention suffi raient pour qu’ils s’écrasent contre la paroi rocheuse. Mais non, cela n’ar-rive jamais! C’est un pur bonheur de les observer et, bien sûr, ça donne envie de les imiter.

(*) Tous ses fi lms sont visibles gratuitement sur jean-baptistechandelier.com et valent vraiment la peine d’être vus!

(**) L’air réchauffé par le soleil le long des pentes exposées est plus léger et a tendance à monter, si bien qu’il est possible de s’élever en choisissant les bonnes masses d’air en mouvement. Sous les cumu-lus, de puissants ascendants sont redoutés par les pilotes. En février 2007, la championne du monde allemande Ewa Wisnierska en a été victime. Elle volait en Australie lorsqu’elle fut soudain happée jusqu’à 9946bmètres d’altitude. Le froid et le manque d’oxygène auraient normalement dû lui coûter la vie. Mais elle survécut par miracle. L’histoire est racontée dans le fi lm A Miracle in the Storm réalisé par Guy Norris et Leo Farber (sorti en 2010).

mal. Mais, clairement, on ne tire pas dans la même catégorie. Et il n’y a pas que cela! Les oiseaux sont capables de piquer vers le sol bien mieux que nous. Un faucon pèlerin qui replie ses ailes peut ainsi fondre sur sa proie à des vitesses de chute libre, soit à plus de 200b km/h. Sa course s’arrête dès qu’il déploie de nouveau ses ailes, ce qui lui évite de se fracasser sur le sol. En tant que concepteur de voile de parapente, je serais ravi de pouvoir faire varier ma surface d’aile comme eux. Mais ce n’est pas possible. Pour le moment, on doit se contenter de manœuvres beaucoup plus modestes. «On fait les oreilles» disent les parapentistes. C’est-à-dire qu’on replie les extrémités de la voile pour diminuer la portance. Résultat: on descend plus vite, ce qui peut avoir du sens lorsqu’on veut se poser dans la vallée alors qu’un vent thermique ascendant nous tire vers le haut (**).

Une blague de sale gosse

Au bar des hirondelles

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en sécurité à très haute altitude. Si les choses se passent mal, il aura toujours l’occasion de se sauver en utilisant un de ses deux parachutes de secours. Bien sûr, il faut faire attention à ne pas s’em-mêler les voiles. C’est donc le largage du parapente qui commande l’ouverture du parachute de façon automatique. Ce système est très effi cace sauf dans des cas de fi gure quasiment inextricables. Par exemple si on rate son «tumbling» (le «looping» en aviation) et qu’on retombe dans sa propre voile. On est pris au piège sans possibilité de déclencher son para-chute de secours!

Que peut-on faire alors? Ce sont des situations très délicates. Un pilote expérimenté pourra néanmoins s’en sortir. Mais il devra être capable de diagnostiquer le problème en une fraction de seconde et, en tirant sur les bons fi ls, décoincera les suspentes, per-mettant ainsi à l’aile de se regonfl er, du moins en partie, pour ralentir la chute. Parfois il faut répéter la manœuvre à plusieurs reprises. Décrochage, regon-fl age, décrochage, regonfl age…. Tandis que le sol se rapproche très dangereuse-ment. Dans ce cas-là, il faut pas mal de «self-control».

D’autant qu’on ne peut pas s’entraîner à faire face à ce genre de situations, j’imagine.

des objets en mou-vement. Cela n’a rien de facile. Il faut pouvoir gérer les dif-férents fl ux d’air. En plus de la vitesse du bus. Cela peut vite devenir chaotique avec des vents qui changent très bru-talement ou qui sou-dain disparaissent. Un jour, j’essayais de me poser sur le toit d’un immeuble. Je me suis loupé et du coup, j’étais sous le vent du building. L’enfer! Le bord droit de ma voile s’est replié. Puis le bord gauche. Dans le jar-gon, on dit que l’aile «se met en cravate». A 50 mètres du sol, c’est le genre d’expé-rience qui peut s’avérer fatale! Je me suis battu autant que j’ai pu pour retrouver un peu d’appui et éviter le crash. Il s’en est fallu d’un cheveu. Moralité: on doit toujours faire extrêmement attention lorsqu’on se trouve sous les turbulences d’un gros relief comme un piton rocheux ou un immeuble. Les oiseaux non plus ne s’y aventurent pas volontiers.

Voilà qui rappelle qu’il s’agit d’une acti-vité dangereuse alors que vos fi lms donnent l’impression inverse d’une totale maîtrise.Paradoxalement, le parapentiste est plus

C’est tout ce que vous enviez aux oiseaux? Non. Ils possèdent encore un autre avantage sur nous dans la mesure où ils bénéfi cient d’un variomètre intégré à leur système nerveux central. Grâce à cela, ils savent toujours à quelle alti-tude ils volent alors que nous, pauvres parapentistes, sommes tributaires de la technique. Cela peut paraître bizarre pour tous ceux qui ne connaissent du parapente que les images de vols dans des conditions idéales sans les vents tourbillonnants et les brouillards qui masquent la vue. Mais il arrive aussi qu’on soit prisonnier de masses d’air qui se cognent les unes aux autres jusqu’à nous faire perdre tous nos repères habi-tuels. Dans ces cas-là, on ne sait plus si on monte ou si l’on descend. Certes, nous sommes capables de percevoir dans une certaine mesure les variations de pression. Mais les oiseaux sont mieux équipés que nous. Disons qu’ils pos-sèdent «l’oreille absolue» si vous m’auto-risez ce parallèle avec la musiqueb(*).

N’empêche, vous êtes capable de réali-ser des prouesses auxquelles même les oiseaux ne se risqueraient pas. Dans le fi lm Touch, vous vous posez sur le toit d’un bus qui descend le col du Galibier avant de redécoller. Ni vu, ni connu!Je comprends assez facilement pour-quoi les oiseaux ne se posent pas sur

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(*) L’oreille absolue est la capacité propre à certains musiciens de reconnaître une seule note sans autre note de référence.

Le monde à l’envers

Un busard sur le toit

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Quelle recommandation feriez-vous à un novice qui, inspiré par vos fi lms, vou-drait à son tour s’élancer dans les airs? Exactement, celle-là: apprendre à lire les déplacements des masses d’air dans son environnement. C’est fondamental. Les simulateurs sont pratiques pour placer le pratiquant dans des situations proches de la réalité et lui permettre d’explorer sans risque les différentes confi gurations de vol. Mais ils n’aident pas à conduire le vol. Pour cela, seule l’expérience compte.

Là encore, on pourrait envier les oiseaux qui connaissent tout cela d’instinct. (sceptique) D’instinct? Je n’en suis pas sûr. Les oiseaux aussi doivent apprendre à voler, vous savez. Dans le Briançonnais où j’habite, on a réintroduit une espèce d’oiseau, les gypaètes barbus. C’est une sorte de grand vautour dont les ailes font presque trois mètres d’envergure. Le vol des adultes est majestueux. Mais j’ai déjà vu des bébés gypaètes s’exercer au décollage. C’est à mourir de rire. Ils commencent par courir dans la pente, face au vent pour gonfl er leurs ailes. On comprend bien qu’ils espèrent s’élever dans les airs comme leurs parents. Mais cela ne marche pas à tous les coups. Parfois, ils prennent un mètre ou deux de hauteur et retombent lourdement sur le sol. Ou alors ils s’envolent vrai-ment. Ils font quelques boucles dans le ciel. Puis ils se plantent à l’atterris-sage. Bref, les jeunes oiseaux procèdent comme nous, par essais et erreurs. C’est seulement qu’ils y passent plus de temps et de ce fait, ils progressent plus vite.

en prenant des virages très serrés à des vitesses de chute importantes de l’ordre de 90 km/h. Cela vous fait descendre les chaussettes et surtout le sang du cer-veau vers les jambes. Tout le défi sera de garder intactes ses facultés cogni-tives. Une gageure. Dans ces cas-là, moi, je ne m’évanouis pas. Encore heu-reux! Mais je souffre parfois de troubles de la vision. Je n’arrive plus à faire le net. Surtout quand je suis fatigué. En revanche, j’encaisse mieux les accéléra-tions plus fortes et plus brèves comme les 7 ou 8 g après un «tumbling». Ainsi les simulateurs de vol aident à mieux se connaître et à savoir comment le corps réagira dans les différentes situations de vol. En revanche, ils ne permettent pas de s’exercer à décrypter les fl ux d’air sur les reliefs. Or c’est ce qui constitue l’essentiel des qualités d’un bon pilote, selon moi.

Si. Certaines écoles organisent des stages de mise en situation extrême avec des vols à très hautes altitudes en restant au-dessus d’un lac, par exemple. Comme ça, si on arrive trop vite sur le sol, le choc sera moins violent que sur la terre ferme. On peut aussi s’entraîner sur des simulateurs de vol comme celui qui se trouve près de Chambéry. On teste alors la capacité des pilotes à encaisser des accélérations très brutales sans perdre connaissance. Vous êtes là-dedans comme dans une véritable essoreuse avec des situations qui ressemblent assez aux spirales du parapente. Pour ma part, je ne supporte pas très bien les accélérations longues, de l’ordre de plusieurs secondes à des intensités aux alentours de 4 g (*). Or ce sont des situa-tions auxquelles on s’expose en voltige

UNE CHOUETTE DÉCOUVERTEL’observation fi ne de la nature sert parfois à faire progres-ser la science. Ce fut le cas en aéronautique avec le recour-bement des ailes d’avion à leurs extrémités. Cette ingénierie fonctionne aussi dans l’industrie énergétique avec la concep-tion d’éoliennes moins bruyantes pour les parcs terrestres ou maritimes. Cette fois, les chercheurs se sont inspirés du plu-mage de la chouette effraie, le seul oiseau qui arrive à voler de façon parfaitement silencieuse, ce qui lui permet d’attraper des petits rongeurs qui, forcément, ne l’ont pas entendue venir. Il y a sept ans, des travaux menés à l’Université technique de Darmstadt en Allemagne ont révélé les secrets du volatile. En réalité, ses battements d’ailes sont aussi bruyants que ceux des autres espèces. Mais les sons produits sont absorbés par

un plumage velouté très dense qui lui recouvre l’ensemble du corps. Actuellement, on s’efforce de reproduire cette prouesse pour concevoir de nouvelles pales silencieuses.

(*) En aéronautique, on utilise l’accélération de la pesanteur à la surface de la Terre comme unité de mesure: 4 g = 4 gravités terrestres = ~ 40 m/s².

On peut tout simuler, sauf l’essentiel!

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Pourrait-on faire mieux?Sans doute, oui. Cela implique de réduire les résistances aérodynamiques. Celles-ci proviennent des suspentes et du pilote pour un tiers, de l’aile elle-même pour un autre tiers et de ce que l’on appelle la «traînée», c’est-à-dire les forces de freinage liées à la géométrie de la voile, pour le dernier tiers. Il faut savoir que, dans les airs, une dépression règne sur l’«extrados» (NB: le dessus de la voile) et une surpression sous l’«intrados» (NB: le dessous de la voile). Cette asymétrie crée des turbulences (ou «vortex») aux extrémités, ce qui ralentit l’avancement.

Comment pourrait-on faire pour les réduire encore? Pour les résistances qui s’exercent sur le pilote, on ne peut pas faire grand-chose. Pour la traînée de l’aile et notamment celle aux extrémités, si! Théoriquement, elle diminue à mesure qu’on allonge l’aile. Seulement, c’est dangereux. Une aile très allongée est plus susceptible d’opérer des fermetures sur les côtés. Imaginez que cela m’arrive alors que je suis en train de réaliser des acrobaties à quelques mètres du sol. Cela pourrait virer au drame. Donc voilà l’équation que je m’efforce de résoudre: avoir une aile qui soit à la fois maniable et rapide.

Comment font les oiseaux? C’est très intéressant que vous posiez cette question. Effectivement, les

«pompe» (NB: un fl ux d’air ascendant). Il vous rejoint pour en profi ter lui aussi. Dans ces cas-là, on est évidemment très fi er d’avoir découvert le fi lon avant lui.

Vous concevez vous-même vos ailes?C’est ma passion! J’essaie de trouver les meilleurs compromis en fonction des contraintes que posent les différentes situations de vol, qu’il s’agisse de voltige en haute altitude ou de vol de proxi-mité. A chaque fois, je tente de dessiner des ailes qui répondent instantané-ment aux commandes. En général, elles ont une surface de portance d’environ 17bmètres carrés, ce qui est peu par rap-port aux ailes géantes des parapentes conçus pour les longues distances. C’est presque deux fois moins. Mais cela per-met un pilotage très fi n qui donne la priorité aux sensations.

Quelles vitesses atteignez-vous? Cela dépend des modèles. Disons que la vitesse par rapport à l’air est com-prise entre 25 et 75 km/h pour les ailes de performance tandis que les ailes de voltige sont un peu moins rapides, soit entre 28 et 50 km/h. C’est normal. Non seulement, ces ailes sont plus petites. Mais elles comportent aussi plus de suspentes qui frottent dans l’air. Et puis nous sommes en position assise sur la sellette alors que les pilotes de perfor-mance sont presque allongés sur le dos dans un cocon très aérodynamique.

Vous ne les ennuyez pas trop en empié-tant sur leur territoire? C’est rare mais il peut arriver, en période de nidifi cation et lorsqu’on vole près du relief, qu’ils nous fassent comprendre qu’on n’est pas les bienvenus chez eux. Ils nous tournent tout autour en multi-pliant les «ressources». (NB: on désigne ainsi les brusques changements de direc-tion dans le plan vertical). Leur message est très clair. Cela veut dire: «déguer-pissez vite!». Il arrive que des buses s’en prennent à l’aile, par exemple. On fi che le camp encore plus vite. Récemment, on m’a même raconté que dans les Alpes vaudoises, un pilote s’est fait attaquer par un aigle (*). C’est extrêmement rare!

Des interactions plus amicales existent-elles aussi?Oh oui. La plupart du temps, on se côtoie. On s’observe. Parfois même on s’entraide en s’indiquant les uns aux autres les masses d’air ascendantes. Si un oiseau a localisé une belle colonne d’air chaud qui ne s’élève pas trop loin de l’endroit où je me trouve, je le rejoins et on prend l’ascenseur à deux. Parfois, c’est l’inverse. Le rapace vous regarde et il comprend que vous avez trouvé une

(*) Jean-Baptiste Chandelier fait référence à la mésaventure vécue par le parapentiste vaudois Mathieu Thuner en avril dernier. Il volait à environ 1900 mètres d’altitude lorsqu’un aigle l’a agressé, lui infl igeant de profondes blessures aux mains et aux bras qui nécessitèrent quatre heures de soins à l’hôpital de Monthey.

Les passagers du vent

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et à la réalisation de petits fi lms de démonstration.

Vol de proximité. On pourrait aussi dire vol en rase-mottes.Exactement. Et c’est très différent de la voltige. Quand on s’élance, on ne sait pas exactement comment cela va se passer. On improvise en fonction des éléments. En même temps, il faut être hyper vigi-lant parce qu’à proximité du sol, la moindre erreur de pilotage se paie cash. Or on peut être surpris par l’instabilité des masses d’air, notamment à basse altitude. Personnellement, je m’auto-rise une marge d’erreur de trajectoire de 50 centimètres seulement, ce qui correspond à peu près à l’épaisseur de mousse sous la sellette en plus de celle du parachute de secours principal fi xé juste en-dessous. Donc si je suis 50 cen-timètres plus bas que la trajectoire pré-vue en frôlant les toits, je m’en sors sans me laminer le derrière sur des lauzes de schiste. Au-delà de 50 centimètres, ce serait plus problématique.

Comment prépare-t-on un tel vol? D’abord, il faut apprendre à se défaire de toute la technologie habituelle: vario-mètre, capteur de vitesse, etc. Ces outils n’ont plus d’importance lorsqu’on évolue tout près du sol. Ensuite, il faut observer l’endroit avec soin, essayer de deviner l’écoulement des masses d’air en fonc-tion du relief. L’air, c’est un peu comme l’eau d’une rivière qui choisit le chemin le plus court pour descendre de la mon-tagne. Sauf qu’ici rien n’est visible. On ne voit pas les tourbillons et les bulles d’air qui se déplacent. On doit donc se les représenter en pensée. Là-dessus, on passe une première fois, pas trop

oiseaux ont trouvé la solution. Les aigles en tout cas. Au bout de leurs ailes, ils possèdent une plume très judicieuse-ment recourbée qui limite la traînée. En aéronautique, ils ont copié cet ingénieux stratagème il y a une vingtaine d’années en faisant en sorte que les ailes des avions remontent légèrement vers le haut. En parapente, ce n’est pas encore le cas. On y réfl échit!

Qu’est-ce qui vous passionne le plus: la création des voiles ou la compétition? J’ai fait beaucoup de voltige jusqu’en 2010. A l’époque, j’étais très admiratif d’un type comme Raúl Rodriguez (*). C’est lui qui m’a donné l’envie de me lan-cer dans ce sport. Pendant des années, je me suis donc fi xé pour objectif de faire partie du top mondial. Je répétais mes gammes de façon à maîtriser à la perfection les six mouvements codifi és avec toutes leurs variantes. En général, celles-ci consistent à ajouter un twist en cours d’exécution, c’est-à-dire qu’on effectue un demi-tour par rapport à la voile, ce qui rend les choses beaucoup plus diffi ciles puisque, dans cette situa-tion, les suspentes se croisent et si elles se croisent encore plus, par exemple si on fait un tour complet, on risque de perdre complètement le contrôle des freins en raison des frictions trop fortes dans les commandes. Aujourd’hui, tout cela me passionne beaucoup moins. La voltige ne constitue plus que 20% de mes vols. Les 80 autres pourcents sont dédiés au plaisir pur du vol de proximité

bas encore, juste pour vérifi er nos pré-dictions. Puis on repasse plus près pour se faire une idée plus précise et ainsi de suite. Lorsqu’on a tout bien en tête, on tente le rase-mottes. La sensation est totalement grisante. Quand tout se passe bien, on a l’impression de ne plus faire qu’un avec la voile. On ressent la den-sité du fl uide et on manoeuvre d’instinct en réponse à l’écoulement de l’air sur le corps. On fi le à du 50 km/h à quelques centimètres au-dessus d’une piste de ski ou d’une plaine d’alpage. On sait où sont les masses d’air sur lesquelles on pourra prendre appui et on devine quand le fl uide risque de se dérober. Parfois, on est surpris tout de même par des obsta-cles imprévus. Je me suis déjà bien tapé le pied sur des cailloux dissimulés dans les hautes herbes. Rien de grave, en réa-lité. Actuellement, j’expérimente de nou-velles formes d’évolution hybride dans lesquelles je glisse à la fois dans l’air et sur le sol en utilisant divers supports de type surf, snowboard, skate. Cela sera le sujet du prochain fi lm, je crois.

Chaque fi lm est un peu plus spectacu-laire que le précédent. N’y a-t-il pas un risque de surenchère?Non parce que ce n’est pas forcément la prise de risque qui rend le fi lm specta-culaire. Le matériel compte aussi pour beaucoup, comme ces stabilisateurs électroniques équipés de gyroscopes (Gimbal) qui permettent de réaliser des prises de vue dynamiques sans que cela bouge! Les drones aussi nous aident à réaliser des images étonnantes qui trans-mettront aux spectateurs des sensations très proches de celles qu’on ressent soi-même lorsqu’on vole. Le décollage par exemple. J’essaie toujours de glisser une scène de décollage dans mes fi lms car c’est là qu’on prend vraiment conscience de la sensation de voler. En fait, ces petits fi lms ne cherchent pas à susciter de l’ef-froi chez les spectateurs. Je ne veux pas qu’ils soient subjugués par la prise de risque. Non, je voudrais plutôt qu’ils soient sensibles à la poésie de ces images et peut-être aussi que cela réveille en eux des souvenirs d’enfance comme lors-qu’on était petit et que l’on s’imaginait doté de superpouvoirs, comme les héros des Marvel Comics. Au premier rang de ces pouvoirs, il y avait bien évidemment celui de voler, non?

Propos recueillis par Robin Candau et Anthony MJ Sanchez

(*) Le parapentiste espagnol Raúl Rodriguez a inventé la plupart des fi gures de voltige comme l’Infi nity (plusieurs «tumbling» d’affi lée) ou la FAT (pour Fafe Acri Team): une manœuvre au cours de laquelle la voile et le pilote tournent en sens inverse. Raúl Rodriguez a annoncé son retrait de la compéti-tion en 2007.

Plus près de Toi, Seigneur

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