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Prologue

Cloud Ranch, Wyoming, 1867

La vallée disparaissait sous un manteau de neige àperte de vue. La robuste bâtisse en rondins semblaitminuscule, au pied des cimes scintillantes tapissées depins. Dans ce paysage immobile et silencieux, seule unefumée grise montait en volutes de la cheminée vers leciel.

Dans le ranch qu'il avait bâti de ses propres mains,Reese Summers était penché sur son bureau, à la lueurd'une lampe. Les trois jeunes Barclay - Nick, sept ans,Clint, neuf ans, et Wade, onze ans - étaient alignésdevant lui tels des soldats de bois. Ils étaient touchants :si vulnérables, et pourtant unis dans l'adversité. Leurpère l'aurait voulu ainsi, songea Reese.

— Vous savez, les enfants, déclara-t-il d'un tonbourru où perçait l'affection, votre père était monmeilleur ami...

Wade hocha la tête. Les deux autres ne bronchèrentpas.

— C'était aussi l'homme le plus courageux que j'aieconnu. Il est mort en tentant de sauver la vie de votremère. Ne l'oubliez jamais. Vos parents étaient des gensbien.

Les enfants opinèrent dtt chef en silence. Le vent seleva, sifflant contre les vitres de la robuste maison car-rée, qui ressemblait à toutes celles du Wyoming. Dansl'âtre, le feu se mit à crépiter de plus belle. La mâchoirecrispée, le visage grave, les trois garçons, orphelins

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depuis quelques semaines, observaient l'ami de leurpère.

Nick, le benjamin, n'avait pas prononcé un motdepuis leur arrivée au ranch, juste avant le souper.Mais ses yeux sombres, aux longs cils soyeux, avaienttout enregistré. Il écoutait leur hôte avec grande atten-tion. Clint, le cadet, était le portrait craché de son pèreavec sa crinière acajou, ses traits fins et réguliers.Wade, l'aîné et manifestement le chef, avait hérité descheveux noirs de sa mère. Malgré son jeune âge, ilétait déjà grand et promettait d'être puissant et mus-clé.

— C'est gentil de vous occuper de nous, monsieurSummers, déclara-t-il enfin en s'approchant d'un pas.

Il plongea dans le regard de l'adulte, qui posa unemain sur son épaule :

— Appelle-moi Reese, fiston.— Reese... répéta l'enfant, hésitant.Il semblait crispé. L'émotion, sans doute.— Nous nous rendrons utiles, reprit-il avec dignité,

les poings serrés. C'est promis. Nous ne serons pas unecharge pour vous.

— C'est vrai, renchérit Clint. Je sais couper le foinet manier le lasso.

Le petit Nick, qui avait été témoin de l'attaque de ladiligence et de la mort de ses parents, se contenta d'unhochement de tête. Toutefois, ses grands yeux tristesexprimaient à la fois l'émerveillement et l'espoir, touten restant rivés sur Reese Summers.

Celui-ci s'accroupit face aux trois gosses.— Écoutez-moi. Jamais vous ne serez une charge à

mes yeux. Je veux que vous soyez chez vous à CloudRanch, vous comprenez? Vous n'êtes pas mes employés.Vous êtes... vous faites partie de la famille. C'est ainsique je vois les choses.

Il s'éclaircit la gorge.— Vous serez ma famille et je serai la vôtre,

conclut-il.— Mais... et votre vraie famille, monsieur... euh...

Reese ? s'enquit Wade.

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Le regard de l'adulte erra vers un portrait posé surla cheminée, face au bureau. Il s'y attarda, puis revintvers les enfants.

— Eh bien, voyez-vous, j'ai perdu ma famille, moiaussi.

— C'est vrai ? demanda Clint.Il se tourna vers la photographie d'une femme élé-

gante, assise dans un fauteuil, tenant sur ses genouxune fillette blonde.

— Elles sont mortes, comme maman et papa? s'en-quit Wade.

— Non, répliqua Reese en secouant la tête, le cœurlourd. Elles ne sont pas mortes... Mais elles sont par-ties tout de même.

Soudain, le petit Nick s'avança et prit la grosse maincalleuse de Reese dans la sienne. Celui-ci croisa sonregard, la gorge nouée. Les garçons se retenaient pourne pas pleurer, pour être forts, mais ils souffraient ter-riblement.

— Tout se passera bien, les enfants, assura-t-il avecun regard chaleureux. Cloud Ranch est désormaisvotre maison. Nous formerons une vraie famille, vousm'entendez ? Une famille unie. Vous verrez.

Il ignorait s'ils le croyaient, et pria pour que sesparoles se réalisent. Cela prendrait du temps, mais ilsy arriveraient.

Quand les trois enfants furent couchés dans leurchambre, au fond du couloir, il but un whisky, songeantà l'occasion qui se présentait à lui d'aider un ami et demettre un terme à sa solitude. Aussi doucement que lafumée s'élevant de la cheminée, son cœur s'allégea.C'était bon d'être utile, accepté. Il y aurait à nouveaudes enfants, des rires à Cloud Ranch. Si d'autres per-sonnes vivaient sous son toit, il se sentirait chez lui,comme autrefois. Il prit le portrait et le contempla avecnostalgie. Désormais, il avait des fils. Trois fils, qui necombleraient jamais le gouffre laissé dans son cœurpar l'absence de sa fille...

Caitlin... Si seulement...

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Il ferma les yeux, laissant la souffrance familière1'envahir.Cette fois, pourtant, il fut saisi d'une déterminationnouvelle. Un jour, il retrouverait sa fille. Il la ramène-rait à la maison, à sa place.

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— Ah, mademoiselle Summers, ne tombez jamaisamoureuse d'un cow-boy ! Jamais, au grand jamais !

La diligence s'arrêta en cahotant au cœur de Tiny,petite bourgade du Wyoming. Une femme robuste, coif-fée d'un chapeau à plume et vêtue d'une tenue devoyage fauve, se pencha vers la jeune fille blonde assiseen face d'elle et hocha sagement la tête.

— Sinon, vous aurez le cœur brisé, soupira-t-elle.— Je vous crois volontiers, madame Casper, assura

la jeune fille.Elle redressa le nœud de satin surmontant son élé-

gant chapeau rose, lissa sa robe bleu lavande, et parvintà sourire. Depuis qu'elle était montée à bord de la dili-gence, la vieille dame n'avait cessé de bavarder, évo-quant à n'en plus finir quelque nièce du Kansas quiavait été abandonnée, le cœur brisé, par un beau par-leur. Malgré ses babillages incessants, Mme Casperétait gentille, qualité que Caitlin appréciait beaucoup.Elle n'avait guère connu la gentillesse, ces dernierstemps.

— Une telle mésaventure ne risque pas de m'arri-ver, affirma-t-elle d'un ton posé.

Le cocher descendit de son perchoir, faisant tanguerla diligence.

— Je ne risque pas de tomber amoureuse de qui quece soit, d'ailleurs.

Plus jamais, songea-t-elle rageusement.Caitlin chassa la douleur qui lui tenaillait lé cœur,

tandis que le beau visage délicat d'Alec Bailantree sur-gissait à son esprit. Elle refusait de penser à lui. Ni au

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fait que son réticule ne contenait que douze malheu-reux dollars et quarante-sept cents: toute sa fortune.Au cours des derniers mois, son univers douillet avaitvolé en éclats. Elle ne voulait se consacrer qu'à la mis-sion qu'elle s'était fixée, et à Becky, sa petite sœur quiavait besoin d'elle. Elle ne voulait penser qu'à l'avenir.

Pourtant, en songeant à ses responsabilités, elle sen-tait ses entrailles se nouer. Le visage tourmenté de sasœur de onze ans restait imprimé dans sa mémoire.Caitlin n'avait pas droit à l'erreur.

Désireuse de se changer les idées, elle porta le regardsur le paysage qui se déployait sous ses yeux. Cela luipermettrait peut-être d'oublier la fatigue de ce longvoyage et ses incertitudes. Elle arrivait à Hope et, dansquelques heures, elle atteindrait le ranch de son père.

Cloud Ranch. La fierté de Reese Summers.

La ville semblait modeste, mais animée. Des enfantscouraient en riant sur les trottoirs en planches, deshommes arborant éperons et Stetson déambulaientdans la rue principale. Les femmes, aux coiffes etrobes multicolores, allaient et venaient dans les bou-tiques. La ville grouillait de chevaux, de charrettes etde voitures. Du saloon surgissaient les notes d'unpiano et les rires gras des cow-boys.

La voix haut perchée de Mme Casper couvrit lebrouhaha :

— Tenez, fit-elle. Cet homme-là, par exemple. N'est-il pas beau garçon? C'est justement ceux-là qu'il fautfuir comme la peste, mon petit. Croyez-moi sur parole.

Caitlin le remarqua avant même que sa compagneait terminé sa phrase. Elle en eut le souffle coupé. Cethomme brun nonchalamment appuyé contre la bar-rière, devant l'épicerie Hicks, observait la diligenceavec attention. Les pouces glissés dans son ceinturon,qui pendait sur ses hanches minces, un six-coups dechaque côté, il avait assurément la beauté du diable.Les qualificatifs manquaient pour le décrire: beau,impressionnant, irrésistible, un charme ravageur...

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Il dépassait largement le mètre quatre-vingts et avaitla peau très bronzée, un corps musclé, de larges épaules,les traits fins. Il émanait de lui une certaine désinvol-ture.

Un fou de la gâchette, peut-être, ou un tueur à gages ?se demanda-t-elle, un peu mal à l'aise. Il dégageait unesorte de férocité. Son apparence, son attitude ne suggé-raient en rien qu'il puisse être dangereux, mais tout demême... Il était bel homme, mais d'une façon très diffé-rente d'Alec. Elle songea à son ex-fiancé, avec ses che-veux châtains et bouclés, son sourire débonnaire, sesmains douces et élégantes, avec la chevalière à sondoigt, symbole de sa famille depuis quatre générations.

Ce cow-boy était l'opposé. Ses cheveux d'un noir dejais étaient assez longs pour frôler le col de sa chemise.Ses yeux d'un bleu intense pétillaient sous le bord deson chapeau. Ses airs frustes suggéraient qu'il n'avaitjamais mis les pieds à l'opéra ou au théâtre, ni mêmedans un salon de thé. Par ailleurs, il n'avait certaine-ment pas de valet qui lui cirait ses bottes ou lui faisaitcouler un bain. Il n'avait jamais dansé la valse sous unlustre de cristal avec une jeune fille en lui disant qu'ill'aimait, qu'il l'aimerait jusqu'à la fin de ses jours.

Cet homme-là paraissait dur, et un peu en colère.Elle ignorait ce qui avait pu le fâcher et s'en moquait

éperdument. Ce n'était guère le moment de se posermille questions à propos d'un brun ténébreux, surtoutun cow-boy. Mme Casper avait passé son temps à lamettre en garde contre les individus de son espèce.

Elle devait trouver Wade Barclay, le régisseur deson défunt père, qui l'accompagnerait au ranch.

— Hope, Wyoming ! annonça le cocher en ouvrantla portière.

Tandis qu'il dépliait les marches, Caitlin prit congéde Mme Casper. Puis, serrant son élégant réticule ensatin rose entre ses doigts gantés, elle descendit avecprécaution dans la rue poussiéreuse.

Hope. «Espoir» en anglais. Une ville au nom pré-destiné. Voilà ce dont elle avait besoin. L'espoir que lavente du ranch se déroulerait sans encombre, et dans

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les plus brefs délais. Ainsi, elle pourrait retrouver Becky.Elle espérait aussi que ses problèmes ne viendraientpas la rattraper.Caitlin balaya la rue du regard. Le beau cow-boys'était redressé et l'observait. Elle l'ignora superbe-ment. Remarquant un homme plus âgé, bedonnant,coiffé d'un grand Stetson blanc, qui venait vers elle,elle poussa un soupir de soulagement.Il correspondait en tout point à l'image qu'elle sefaisait du régisseur de son père. Chaleureux, détendu,simple. Et ponctuel.— Vous devez être mam'zelle Summers ! fit-il enplissant les paupières.Outre ses petits yeux de fouine et un poireau sur lementon, il avait un gros nez rouge. Il continua :— Je suis...— Oui, je sais qui vous êtes. Bonjour, monsieurBarclay. Je suis ravie de constater que vous êtes àl'heure.— Hein...?Parvenu à sa hauteur, l'homme chancela. Caitlintendit le bras pour le retenir. En sentant son haleinefortement avinée, elle se raidit.— Monsieur Barclay? Vous allez bien?— Comment ? Mais je me porte comme un charme,petite demoiselle. Appelez-moi Wesley.— Wesley? Je croyais que vous vous nommiezWade...—- Mais non, petite ! Je sais comment je m'appelle,quand même...Il gloussa, amusé par l'air effarouché de Caitlin quirecula d'un pas. Ravi de l'avoir choquée, il éclata d'unrire gras.— C'est rien, chérie! Je suis un farceur. Alorscomme ça, vous êtes la gamine que Reese avait per-due... Eh bien, vous êtes un peu pimbêche sur lesbords !Seigneur, un ivrogne... songea Caitlin, au désespoir.Elle aurait dû se douter que Reese Summers engage-rait un ivrogne.

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— J'aimerais gagner le ranch dès que possible,déclara-t-elle en s'efforçant de dissimuler sa contra-riété. Si je parviens à conclure mon affaire ce soir, jepourrai prendre la diligence de demain et rejoindrePhiladelphie...

— Demain... Déjà, chérie? Mais vous venez à peined'arriver.

— Monsieur Barclay... Ne me touchez pas, je vousprie !

— Eh, je suis pas méchant. Vous êtes une petitemijaurée, vous...

— Monsieur Barclay !La jeune fille écarta la main du vieil homme qui

s'aventurait le long de son bras. Avant qu'elle puisselui ordonner de s'éloigner, une bourrasque de ventemporta son chapeau. En faisant volte-face pour le rat-traper, elle heurta de plein fouet un mur de pierre.

Elle mit un certain temps à se rendre compte qu'il nes'agissait pas d'un mur, mais d'un homme. Un hommegrand, brun, au torse puissant et au regard glacial...Le cow-boy.

— Doucement, princesse...Étonnée, Caitlin ne put que le regarder droit dans

les yeux. Sous l'emprise de ces prunelles d'acier, ellesentit une vague de chaleur se propager dans tout soncorps. Son vertige devait être la conséquence du choc,songea-t-elle. De près, il était encore plus fascinant. Etplus imposant, aussi, avec sa barbe de trois jours. Sachemise chambray, du même bleu que ses yeux, lais-sait deviner une poitrine musclée.

Elle se ressaisit enfin et se rappela son chapeau.Détournant la tête du bel inconnu, elle le vit volercontre un cheval, de l'autre côté de la rue.

— Oh non !Elle se lança à sa poursuite, mais trop tard. Sous son

regard impuissant, l'élégant petit chapeau orné d'unnœud de satin rose, de dentelle ivoire et de petites fleursen soie rose et blanche, atterrit dans un abreuvoir. Leslèvres tremblantes de colère, elle vit la soie et la den-telle sombrer dans l'eau boueuse. Elle venait de perdre

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l'un des derniers vestiges de sa vie de citadine aisée. Ilavait disparu comme tout le reste - tout ce qui, naguère,allait de soi.Serrant les dents, elle pivota vers le régisseur.— Monsieur Barclay !Le cow-boy la dévisagea, sourcils froncés. Mais ellel'ignora pour s'adresser à l'ivrogne bedonnant :— Veuillez prendre mon sac. Nous partons immé-diatement pour le ranch. J'imagine que vous êtes venuen calèche...— En calèche? Mais mignonne, on n'a pas decalèche. Et pourquoi persister à m'appeler m'sieurBarclay ?Il tituba à nouveau et faillit tomber. Le cow-boy lerattrapa de justesse.— Elle a pas toute sa tête, Wade, gémit le vieilhomme. Et moi non plus, d'ailleurs... Tu lui explique-ras, d'accord? J'ai l'impression que la fille de Reeseest un peu demeurée, ajouta-t-il en chuchotant assezfort pour faire rougir Caitlin. Qu'est-ce que t'enpenses, Wade?Wade ? La jeune fille regarda tour à tour les deuxhommes. Enfin, son regard ahuri se fixa sur le cow-boy.— Il vous a appelé Wade? (Le cow-boy opina duchef.) Vous voulez dire que Wade Barclay, c'est vous ?— J'en ai bien l'impression.Caitlin sentit son estomac se nouer.— Mais alors... qui est cet homme?— Wesley Beadle. Un joueur de cartes professionnel.— Le jeu...La voix de la jeune fille s'éteignit.— Elle est un peu abrutie, hein, Wade? Et elle amême pas bu.Beadle esquissa un large sourire, eut un hoquet etadressa un vague signe de la main à Caitlin, avant derepartir vers le saloon.Une nouvelle bourrasque descendit de la montagne.Quelques mèches blondes se détachèrent du chignonde la jeune fille et voletèrent sur son cou. Elle les

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écarta d'un geste rageur et se tourna vers le véritableWade Barclay.— Je ne comprends pas. Pourquoi ne pas me l'avoirdit plus tôt? Vous m'avez vue marcher vers lui. Vousavez laissé cet homme me ridiculiser !— Mademoiselle Summers, il me semble que vousn'avez pas eu besoin de lui pour cela.Ses yeux d'un bleu intense la toisèrent longuement.Malgré sa robe couleur lavande, ses bas et sa camisole,elle se sentit mise à nu. Les prunelles de Wade se pro-menèrent sur son corps, s'attardant sur ses courbesféminines. Elle devina, à son sourire légèrement mépri-sant, que ce cow-boy la trouvait totalement insigni-fiante, stupide et disgracieuse.Quelle insolence ! Elle venait de décider de le fusillerdu regard, comme le faisaient les institutrices du pen-sionnat pour jeunes filles de Davenport, quand il dési-gna du pouce la malle que le cocher était en train dedécharger.— C'est la vôtre ?— Oui, mais...Sans lui laisser le temps de terminer sa phrase, ils'éloigna pour aller chercher le bagage.Caitlin secoua la tête. Défends-toi, se dit-elle, se rai-dissant tandis qu'une grosse goutte de pluie venait des'écraser dans son dos. Ne te laisse pas malmener parce cow-boy fruste, impoli, à peine civilisé. Qu'il aille audiable ! Tu vas te rendre au ranch et régler tes affaires,un point c'est tout.Elle sursauta en entendant la voix tonitruante d'unefemme, sur le trottoir :— Wade ! Eh, Wade Barclay ! C'est la fille de Reese ?Il fit volte-face et plissa les yeux face aux deuxfemmes qui avançaient vers lui.— Sans doute. Je n'ai vu personne d'autre des-cendre de la diligence, aujourd'hui.Il se tourna vers Caitlin, son beau visage en partiedissimulé par son chapeau, soulevant la malle avecautant de facilité que s'il s'agissait d'une plume.

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— Mademoiselle Summers ! lança une robuste femmequi portait un panier. Je suis Edna Weaver. Mon maridirige la banque de Hope. Comment allez-vous ?

Laissant passer une charrette, elle traversa vive-ment, suivie d'une femme très maigre, qui scrutaitCaitlin avec curiosité.

— Voici Winifred Dale, qui travaille à la poste. Noussommes ravies de faire votre connaissance, ma chère,ajouta Edna avec un sourire. Dommage que ce soitdans des circonstances aussi pénibles.

— Euh... oui, merci.Toute la ville attendait donc son arrivée. D'abord le

joueur de cartes, et à présent ces femmes. Caitlin étaitétonnée que les gens soient au courant de son exis-tence. Après tout, son défunt père ne lui avait mêmepas envoyé une seule lettre, en dix-huit ans.

Elle observa discrètement les deux femmes. Les che-veux gris d'Edna Weaver étaient relevés en chignon.Sa robe prune en coton, ornée de boutons noirs, met-tait en valeur ses formes généreuses. Ses yeux sombrescroisèrent les prunelles vertes de Caitlin d'un airapprobateur, avec une sympathie sincère. Mais lajeune fille savait qu'il ne fallait jamais se fier aux appa-rences et baisser sa garde. L'autre femme semblait unpeu plus jeune, une quarantaine d'années, peut-être.Brune, petite et menue comme une souris, elle ne ces-sait de porter la main au col fermé de sa robe à car-reaux verts et blancs. Elle fixait Caitlin à travers seslunettes à fine monture, perchées sur son nez pointu.

— Votre père était un homme bien, déclara Ednatandis que Wade posait la malle par terre. Reese venaitrarement en ville, mais je peux vous assurer qu'il vacruellement nous manquer. N'est-ce pas, Winnie ?

La brune fixait toujours Caitlin, comme en transe.—- Oh oui! balbutia-t-elle avec un sourire timide.

Votre père était un ami cher... très cher, murmura-t-elle tristement. Il aurait été si fier de voir la superbejeune fille que vous êtes devenue.

Caitlin se raidit. Malgré sa gentillesse, Winifred Dalefaisait totalement fausse route. Reese Summers ne

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moquait éperdument de savoir ce que devenait sa fille.Il ne s'était jamais soucié d'elle !— Si vous avez besoin de quoi que ce soit durantvotre séjour à Hope, reprit vivement Winifred, n'hési-tez pas à faire appel à moi, ou à Edna. Nous seronsravies de vous rendre service.— Hope est une petite ville, renchérit Edna. Tout lemonde se connaît. Vous allez vous plaire ici, j'en suiscertaine.— Vous êtes très aimable, mais je ne compte pasrester. Je suis venue régler les affaires de mon père.Les deux femmes arquèrent les sourcils. Wade Bar-clay demeura pétrifié.Caitlin redressa le menton.— Je ne suis pas venue me recueillir ou m'installerdans le Wyoming. Je compte vendre Cloud Ranch.— Vendre... répéta Edna, le souffle coupé.— Oh non! Mon Dieu! s'exclama Winifred en por-tant les mains à son cœur. Vous ne pouvez pas faire unechose pareille ! Un ranch aussi vaste, aussi magnifique,une affaire prospère... C'est la plus grande propriétéde la région. C'était tout, pour votre père.Elle se tourna vers Wade Barclay. Celui-ci ne ditrien, se contentant de fixer la jeune fille.— J'en suis tout à fait consciente, répliqua Caitlin,la gorge nouée.Elle savait trop bien combien le ranch avait comptéaux yeux de son père. Il signifiait plus que sa mère etelle-même...Elle esquissa un geste de la tête, coquetterie qu'elleavait perfectionnée dans les salons de Philadelphie.— Mais pour moi, ce ranch n'est rien. J'ai l'inten-tion de tout vendre et de retourner dans l'Est dès quepossible.— C'est ce qu'on verra, marmonna Wade.— Il veut dire que vous ne pouvez pas vendre, inter-vint précipitamment Edna. Vous n'en avez pas le droit.Elle adressa au régisseur un regard désespéré.— Wade, gémit Winifred. Elle n'est pas au cou-rant?

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— Personne n'a eu l'occasion de lui expliquer quoique ce soit, rétorqua-t-il d'un ton bourru.— De quoi parlez-vous donc ? demanda Caitlin, refou-lant une sourde inquiétude. Il n'y a aucune raison que jene vende pas le ranch. J'ai reçu une lettre du notaire,m'annonçant que mon père me léguait le domaine. Je l'aiici, dans mon réticule.Tandis qu'elle commençait à fouiller son sac enquête du document, Wade posa une main sur sonbras.— Ce n'est ni le moment ni le lieu, dit-il sèchement.Allons-y.— C... comment?— Je vous expliquerai sur place.Il se tourna vers Edna et Winifred, toujours conster-nées.— Mesdames, fit-il avec un hochement de tête.— Oui, partez vite, Wade. Montrez-lui le ranch, ditWinifred en secouant la tête.Edna fit la moue.— Je suis sûre que Wade saura tout vous expliquer.A bientôt, ma chère... Désolée, Wade. Je ne voulais pasme mêler de vos affaires, ajouta-t-elle en baissant latête face au regard exaspéré du régisseur.Caitlin regarda les deux femmes s'éloigner d'un pasvif, faisant voleter le bas de leurs robes. Qu'est-ce quipourrait l'empêcher de vendre une propriété qui luiavait été léguée ? La simple pensée de ne pouvoir menerà bien le projet qui lui tenait tant à cœur, lui faisaitfroid dans le dos. Elle demeura un instant clouée surplace, cherchant à faire bonne figure.Un cheval attaché près de l'épicerie se mit à ruer.Soudain, la rue principale de Hope parut déserte. Sansdoute parce que le ciel de plomb annonçait une pluieimminente. De gros nuages gris s'étaient amoncelésdans le ciel, et le vent frais apportait une odeur deterre humide et de pin.La robe lavande de Caitlin se plaqua sur ses jambesdans l'air lourd.— Mademoiselle Summers, vous allez bien ?

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Wade Barclay lui tenait toujours le bras et la dévisa-geait d'un air inquiet.— Vous n'allez pas tourner de l'œil, au moins?grommela-t-il.Elle prit une profonde inspiration et soutint sonregard.— Sachez que je ne m'évanouis jamais, monsieurBarclay. Et je ne pleure jamais non plus. Mon expé-rience m'a appris que c'était inutile.— Vraiment? Eh bien, à la bonne heure. Allons-y.— Je n'irai nulle part avec vous, tant que vous n'au-rez pas répondu à mes questions.— Vous voulez parier ?Il resserra son emprise et, de l'autre main, soulevaaisément la malle. Puis il se mit en route, entraînant lajeune fille.— Comment osez-vous ? Lâchez-moi !Elle tenta de se dégager, furieuse de constater quec'était impossible.— Écoutez, monsieur Barclay, j'exige des réponses.Et tout de suite !— Princesse, il serait temps que vous appreniez quel'on n'obtient pas toujours ce qu'on veut, dans la vie.— Lâchez-moi ! répéta Caitlin, scandalisée, refusantde faire un pas de plus. Il est hors de question que jevous suive, tant que vous ne m'aurez pas expliqué àquoi ces deux femmes faisaient allusion.Comprenant qu'elle ne céderait pas, Wade s'arrêta,les yeux plissés de colère.— Vous vous conduisez toujours comme une enfantgâtée ?— Et vous comme une brute ?— Je suppose que vous avez le don de faire ressortirce qu'il y a de meilleur en moi, se moqua-t-il.Il regretta aussitôt de s'être emporté. Il ne voulait pasque la fille de Reese sente à quel point elle lui était anti-pathique. Reese ne l'aurait pas voulu. Pourtant, depuisla seconde où il l'avait vue descendre de la diligence,avec son air angélique, elle le hérissait. La petite filledont il avait tant de fois admiré le portrait, sur la che-

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minée du bureau, avait bien grandi. La fillette sourianteétait devenue une femme. Une femme superbe, radieuse,aux traits délicats, et qui sentait la violette.Une femme qui avait brisé le cœur de Reese Sum-

mers. Avec sa mère, se rappela Wade, la gorge nouée.Il eut de la peine en pensant combien l'enfant avait

manqué à son père, combien il s'était soucié d'elle,avait rêvé d'elle. Reese avait murmuré son prénom surson lit de mort.

Il avait envie de frapper, mais il ne pouvait s'enprendre à Caitlin. Jamais il n'avait levé la main sur unefemme, et il n'avait aucune intention de commencer.Pourtant, cette pimbêche aurait mérité une bonnefessée.

Reese lui avait fait promettre de s'occuper d'elle.Dieu sait si Wade avait envie de la faire remonter danscette maudite diligence et de lui claquer la portière aunez ! Mais il se ressaisit, serrant les dents, et s'adressaà elle d'un ton posé :

— Écoutez, mademoiselle Summers, il va pleuvoir.Sans doute même aurons-nous un orage. Vous tenezvraiment à vous retrouver en pleine nature, en proie àla foudre, ou bien préférez-vous être à l'abri au ranch ?A vous de choisir. Si nous ne nous mettons pas enroute tout de suite, nous n'arriverons jamais avantl'orage.

— Au contraire, monsieur Barclay, c'est à vous dechoisir. Je veux une réponse à mes questions. Dès quej'aurai obtenu satisfaction, nous partirons. Pourquoirefusez-vous de me parler de Cloud Ranch ?

— Vous apprendrez ce que vous devez savoir là-bas.Il voulut la saisir à nouveau par le bras, mais elle se

dégagea.— Je n'irai nulle part tant que vous ne m'aurez pas

répondu, persista-t-elle.C'en était trop. Wade crispa la mâchoire, les yeux

pétillant de rage.— A votre guise.Il lâcha la malle, soulevant un nuage de poussière,

puis s'éloigna d'un pas nonchalant. N'en croyant pas

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ses yeux, Caitlin l'observa. Il l'abandonnait pour sediriger vers l'autre extrémité de la ville ! Une charrettepassa en cahotant. Quelque part, une porte claqua. Lesnuages étaient de plus en plus bas.

Caitlin en eut le tournis. Wade ne regarda pas enarrière, ne ralentit nullement le pas. Il allait la laissersur place, monter en voiture et regagner le ranch sanselle.

Qu'allait-elle devenir?Elle grinça des dents, redressa les épaules et, avec

un gémissement, souleva sa malle. Rassemblant toutela dignité dont elle était capable, elle se lança à lapoursuite du régisseur.

Le vent faisait claquer le tissu de sa robe et voler sesmèches blondes. Elle fut envahie d'une sourde colère.Cet homme était censé l'accueillir et la conduire auranch de son père. Il lui devait respect et considération.Au lieu de cela, il l'avait malmenée, insultée, avant del'abandonner à son triste sort !

Elle descendit la rue principale, traînant péniblementsa malle. Déjà, de grosses gouttes de pluie s'écrasaientsur le sol. Quand elle atteignit enfin l'épicerie, Wadel'attendait près d'un attelage de robustes chevaux gris.Elle était à bout de souffle. La sueur perlait sur sonfront, et elle avait les joues aussi rouges que les coque-licots qui parsemaient la plaine.

— Une charrette ? fit-elle en posant sa malle. Pour-quoi n'êtes-vous pas venu en boghei ?

— J'avais des fournitures à acheter. Une charretteétait indispensable.

Faisant le tour du véhicule, il lança de gros sacs entoile de jute à l'arrière.

— Dois-je comprendre que vous avez décidé devenir avec moi, finalement ?

— Vous êtes très perspicace, monsieur Barclay,railla-t-elle. Je constate que votre faculté de raisonne-ment n'est surpassée que par vos bonnes manières etvotre charme.

— Dans mon domaine, le charme et les bonnesmanières ne servent pas à grand-chose, fit-il d'une voix

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traînante. Et je suis en train de travailler, justement.Vous ramener au ranch n'est pas une occupation mon-daine, princesse. Cela fait partie de mon boulot.

— Vous voulez dire que mon père aurait voulu quevous le fassiez ?

Il revint dans sa direction.— Exactement.— Et vous croyez qu'il aurait aimé me voir porter

ma malle et vous suivre, tout en endurant votre impo-litesse ?

Wade la regarda droit dans les yeux, ouvrit labouche pour répondre, mais se ravisa. Qu'elle aille audiable, songea-t-il. Elle venait de lui clouer le bec. Évi-demment, Reese en aurait attendu beaucoup plus de sapart. Mais cette petite peste d'une beauté ravageuse,égoïste et gâtée, ne méritait aucun égard. Ce qu'elleméritait, c'était un coup de pied aux fesses.

— Permettez-moi de vous aider à monter, made-moiselle Summers, dit-il avec une courtoisie forcée. Sivous n'êtes pas trop fière pour voyager en charrette...

— Je n'ai guère le choix, il me semble.Elle s'installa sur le siège. La force des mains de

Wade la fit frémir. Tandis qu'il posait la malle sur unsac de pommes de terre, elle regarda droit devant elle.

— Encore une chose, monsieur Barclay, fit-elled'un ton glacial lorsqu'il s'assit à côté d'elle et saisit lesrênes.

— Laquelle? demanda-t-il alors que l'attelages'ébranlait.

— Je vous congédie, énonça-t-elle clairement. Dèsnotre arrivée à Cloud Ranch, vous serez renvoyé.

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— Renvoyé?— Absolument.— Renvoyé...Sous le ciel du Wyoming de plus en plus lourd, WadeBarclay se mit à rire. Il agita les rênes pour mettre leschevaux au trot, soulevant la poussière du chemin. Ilsquittèrent la petite ville de Hope pour partir versl'ouest, à travers une vaste plaine.Agacée par son rire, Caitlin le fusilla du regard.— Je suis ravie que cela vous amuse. J'espère quevous rirez autant quand vous devrez chercher un nou-vel emploi, chapeau à la main, affamé et désespéré...— Vous êtes vraiment charmante, princesse.— Cessez de m'appeler ainsi! Pour vous, je suisMlle Summers. Vous êtes mon employé, décréta-t-elleen agrippant le siège à cause des cahots. Du moinspendant quelque temps encore, jusqu'à notre arrivéeau ranch.— Environ deux heures, déclara-t-il sur un ton sug-gérant que ce seraient sans doute les heures les plusennuyeuses de son existence.Caitlin partageait son état d'esprit. Elle brûlait d'ar-river au ranch et de se débarrasser de cet hommeodieux.— Je vous prierai de rassembler vos effets au plusvite, et de quitter immédiatement ma propriété. Quel-qu'un d'autre pourra s'occuper des chevaux, des four-nitures et de tout le reste.— Vous êtes du genre autoritaire, vous. Une vraiemaîtresse de domaine, hein ?

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— Jusqu'à ce que je puisse vendre le ranch au plusoffrant.— N'y comptez pas.— Pardon?— Personne ne vendra ce ranch, affirma-t-il avecune assurance qui lui fit froid dans le dos.— Vous n'avez pas votre mot à dire.— C'est là que vous vous trompez.Caitlin n'en pouvait plus. S'il existait une raison quil'empêche de vendre le ranch, une raison dont WadeBarclay avait connaissance, il allait le lui dire, et toutde suite ! Jamais elle ne pourrait attendre deux heurespour en avoir le cœur net.Elle revoyait sans cesse le visage de Becky, pâle ettourmenté, quand elle lui avait rendu visite au pen-sionnat pour lui faire ses adieux.— Mais tu reviendras me chercher, avait-elle imploré.Tu m'emmèneras loin d'ici, n'est-ce pas, Caitlin? Jedéteste ce pensionnat. Les autres propagent des ragotssur moi, sur papa. Même les professeurs sont méchants.— Je viendrai te chercher dès que possible. Ne faispas attention aux paroles blessantes et aux commé-rages. Garde la tête haute, et fais comme si tu n'avaisrien entendu.Caitlin savait d'expérience que ce n'était pas facile.— J'essaierai, avait promis Becky en agrippantdésespérément la main de son aînée. Dis-moi que toutva bien se passer.Elle avait embrassé sa sœur sur la joue en lui assu-rant que tout s'arrangerait. Qu'elle réglerait leurs pro-blèmes, quel que soit le moyen employé...— Arrêtez ces chevaux tout de suite ! ordonna-t-elleà Wade. Vous multipliez les réflexions mystérieusessans me fournir la moindre explication. Je ne le sup-porterai pas une minute de plus. Nous n'irons pas plusloin, tant que vous n'aurez pas éclairé ma lanterne.C'est compris?Impassible, le régisseur fit comme si elle n'avaitrien dit.

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— Répondez ! hurla-t-elle. C'est très important pourmoi. Arrêtez-vous tout de suite ou je... ou je saute!

Il lui adressa un regard sceptique. Toutefois, sesjoues empourprées, son souffle court durent lui indiquerqu'elle était prête à mettre sa menace à exécution,car il lui obéit. L'attelage s'immobilisa. Le sentier sedéployait à perte de vue, vers des collines verdoyantes.Trois cerfs passèrent vivement devant eux, surgissantdes buissons, et s'éloignèrent sous un ciel de plus enplus sombre.

Caitlin fixa son compagnon.— Il est grand temps que vous m'écoutiez...— Ce n'est pas pour vous que je fais cela, coupa-t-il.

Mais pour Reese.— Qu'est-ce que vous racontez ?— Je ne voudrais pas vous fâcher, répondit-il en la

toisant.Décidément, il se mettait le doigt dans l'œil, songea

la jeune fille. Lissant le bas de sa robe, elle haussa lesépaules.

— Mon père était trop égoïste pour se soucier demoi. Je ne vois pas pourquoi je prendrais soudain del'importance, maintenant qu'il est... Aïe !

Wade lui saisit si soudainement le bras qu'elle n'eutpas le temps de l'éviter. Ses doigts puissants se refer-mèrent sur sa peau.

— Ne vous avisez plus de dire du mal de Reese,gronda-t-il. Que ce soit en ma présence ou devant qui-conque !

— Comment osez-vous me menacer? s'exclama-t-elle, ses yeux verts écarquillés d'effroi. Lâchez-moitout de suite, vous m'entendez?

Wade soutint son regard furibond, submergé d'unebrusque vague de chaleur qui se propagea dans toutson corps. Seigneur! Comment une femme pouvait-elleêtre aussi belle, tout en étant une véritable mégère?S'il ne l'avait découverte sous son véritable jour, s'iln'avait vu l'enfant gâtée et autoritaire, il se serait peut-être laissé prendre dans ses filets.

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Tout en luttant contre sa propre colère, il remarquaque la lèvre inférieure de la jeune fille frémissait, unelèvre pulpeuse et sensuelle, qu'il ne pouvait s'empêcherd'admirer. Caitlin avait non seulement une bouche par-faite, mais un corps de déesse qu'il fallait être aveuglepour ne pas désirer. Pourtant, c'était le diable en per-sonne.

La fille de Reese. Or il avait promis à son père des'occuper d'elle...

— Otez vos sales pattes de moi !Cette fois, il lui obéit. Il la repoussa, même.— Je pense que nous devrions nous calmer, grom-

mela-t-il.Caitlin prit une profonde inspiration.— Il est d'une importance vitale pour moi de

comprendre une chose : existe-t-il une raison qui m'em-pêcherait de vendre Cloud Ranch ?

— Vous ne vendrez pas Cloud Ranch, déclara-t-ild'un ton sans réplique.

— C'est ridicule, fit-elle, malgré la peur qui latenaillait. J'en ai le droit. La lettre du notaire indiqueque j'ai hérité du ranch, c'est-à-dire la maison, lesterres, le bétail, les dépendances...

— Vous voulez que je finisse de vous répondre, oupréférez-vous continuer à déblatérer sur une histoiredont vous ne connaissez pas les tenants et les aboutis-sants ?

Ce ton dur la fit taire. Sa colère monta d'un cran,ainsi que son appréhension. Il fallait absolument qu'ellevende le domaine. Elle avait besoin de cet argent pourpouvoir partir avec Becky. Ensuite, elle trouverait dutravail et elles s'installeraient dans une belle maison,ailleurs...

— Très bien. Je vous écoute.— Abner McCain, le notaire de Reese, devait nous

retrouver au ranch, aujourd'hui. Il avait une affaire àrégler à Laramie, mais croyait être rentré à temps. Orj'ai reçu un télégramme, juste avant l'arrivée de la dili-gence. Il ne sera de retour que demain. Je vais doncêtre obligé de vous annoncer moi-même la nouvelle.

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— Quelle nouvelle ?Un grondement de tonnerre explosa. Les nuages

semblaient de plus en plus sombres, lourds et bas.Wade leva les yeux vers le ciel et fronça les sourcils.Puis il regarda la fille de Reese, réfléchissant à ce qu'ilfallait faire. En apprenant la vérité, elle allait se déchaî-ner comme une furie. Crier, sans doute, et pleurer,même si elle affirmait ne jamais verser une larme.

Mais elle mérite ce choc, songea-t-il tristement. Ellel'a bien cherché...

Pourtant, même si la tentation était grande, il neparvenait pas à lui parler tout de suite, là, en pleinenature, alors que l'orage menaçait. Ce n'était pas lemoment.

— Les termes du testament de votre père sontcomplexes. Trop complexes à expliquer maintenant.Mieux vaut que vous preniez vous-même connaissancedu document.

— Mais vous...— Écoutez, le temps se gâte, fit Wade en reprenant

les rênes. Si nous ne nous dépêchons pas, vous allezêtre trempée. J'imagine que cela ne vous plairait guère.De plus, ajouta-t-il en faisant accélérer les chevaux,vous aurez sans doute besoin d'une bonne rasade dewhisky, quand vous découvrirez la vérité. Faites-moiconfiance.

— Je ne bois pas de whisky. Et je ne vous fais pasconfiance. Dites-moi de quoi il s'agit.

— Tant pis pour vous.Il mit les chevaux au galop tandis qu'une violente

bourrasque descendait des montagnes, balayant leshautes herbes et les branches des arbres.

Quelques mèches blondes s'échappèrent du chignonde Caitlin et lui fouettèrent les joues. Elle sentit desgouttes de pluie sur son visage. II ne manquait plusque cela. Non seulement le testament posait des pro-blèmes, mais elle allait être trempée.

— Très bien, monsieur Barclay. Une fois au ranch,vous m'expliquerez d'abord les termes du testament, etensuite je vous renverrai, décréta-t-elle.

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L'attelage accéléra brutalement, faisant tressauter lacharrette sur le chemin caillouteux.

La jeune fille se rendit compte que Wade cherchait àfuir l'orage, et non à lui faire peur. Pourtant, elle nepouvait maîtriser son appréhension. Ils filaient à unevitesse folle. Elle se retint au siège, regrettant amère-ment d'avoir perdu son chapeau. Son chignon étaitpresque défait.

Elle se raidit et retint un cri. Elle ne voulait pasmontrer sa peur au régisseur, ni combien ce trajet encharrette lui était pénible. De plus, elle commençait àvraiment s'inquiéter à la perspective des ennuis quil'attendaient. La vie était déjà assez compliquée. Elleaurait dû se douter que son père ne lui faciliterait pasles choses. Même après sa mort, il ne lui apportait quedoutes et chagrin.

Caitlin n'avait que trois ans lorsque Lydia, sa mère,avait fui la modeste cabane au cœur du Wyoming,emmenant sa fille vers une vie meilleure. Reese Sum-mers ne s'intéressait qu'à son précieux ranch, lui avaitraconté sa mère quand elle avait été en âge de com-prendre. Il rêvait de faire de Cloud Ranch la plus vastepropriété de la région. Qu'importe, si sa jeune épouse etsa fille se morfondaient en pleine campagne, loin detout. Lydia avait été malheureuse comme les pierres.Les hivers étaient longs et rigoureux, la vie rude et impi-toyable. Mais Reese refusait de renoncer à son rêve deprospérité. Lydia l'avait donc quitté, pour partir dansl'Est. Là-bas, elle avait rencontré Gillis Tamarlane, lefils d'un magnat des chemins de fer. Désireux de l'épou-ser, Gillis avait organisé le divorce de la jeune femme, etpromis d'élever Caitlin comme sa propre fille.

Depuis, Caitlin n'avait plus revu Reese. Elle avaitessayé de se rappeler son passé mais, au fil des années,les souvenirs de ces premières années dans le Wyo-ming s'étaient effacés. Elle se souvenait à peine de sonvrai père. Elle imaginait un homme grand et fort, à lavoix grave, fumant le cigare. L'odeur de cigare restaitgravée dans sa mémoire. Mais rien de plus. Elle nepossédait même pas une photographie de lui.

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Cependant, cela ne lui manquait guère. À l'âge dehuit ans, elle avait envoyé sa première lettre à Reese,lui demandant de lui adresser son portrait. Elle sou-haitait qu'il lui écrive et proposait de lui rendre visiteun jour à Cloud Ranch. Malheureusement, sa lettre étaitdemeurée sans réponse. Elle avait fait une nouvelletentative quelques années plus tard. Sans succès.

Reese n'avait répondu à aucune de ses lettres.Caitlin ignorait même que Cloud Ranch était devenu

l'exploitation la plus prospère de la région, jusqu'àl'arrivée de la lettre du notaire : son père mourantréclamait sa présence à son chevet. Elle avait reçucette lettre le jour même où elle avait appris que Lydiaet Gillis avaient péri en mer. Ce jour funeste avait bou-leversé sa vie.

Sa mère et Gillis Tamarlane étaient charmants, cha-leureux, fascinants, mais c'étaient des parents absents.Tout à leurs mondanités, ils n'avaient guère de temps àconsacrer à Caitlin et à Becky, sa demi-sœur. Certes,elles n'avaient jamais manqué des plaisirs que l'argentpouvait procurer et avaient vécu dans une maison somp-tueuse, entourées de domestiques et de nurses. Ellespossédaient jouets et toilettes à foison. Elles avaient lesmeilleurs professeurs. Cependant, il leur manquait l'at-tention de leurs parents. Il y avait toujours un bal ouune visite, de sorte que leurs entrevues se limitaientsouvent à quelques minutes. C'est d'ailleurs en rentrantd'un séjour chez des amis, dans le Suffolk, qu'ils avaientconnu ce sort funeste. Leur bateau avait sombré aumilieu de l'Atlantique. La vie de Caitlin en avait étédéfinitivement chamboulée.

Même si elles s'étaient retrouvées en pension dès leurplus jeune âge, les deux filles avaient été profondémentmarquées par cette perte.

Tout à sa douleur, Caitlin n'avait guère eu le tempsde se soucier des volontés de Reese, ce père qui l'avaitignorée totalement pendant dix-huit ans. D'autant plusqu'elle avait découvert que Gillis était criblé de dettes.Cela avait été un nouveau coup de tonnerre dans sonexistence. Une fois les dettes épongées, les deux sœurs

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étaient ruinées. Elles étaient devenues l'objet de raille-ries. Les gens qui se disaient leurs amis les accueil-laient désormais dans un silence méprisant. Les ragotsallaient bon train...

La pluie froide tira Caitlin de ses pensées. La charrettetraversait à présent un paysage plus vallonné. Le che-min serpentait au bord d'une profonde ravine. La jeunefille retint son souffle. Un grondement de tonnerre se fitentendre, plus proche que le précédent.

— Je parie que vous regrettez d'avoir perdu votrechapeau, déclara Wade d'une voix forte pour couvrirle souffle du vent.

Elle ne daigna pas lui répondre.Ils arrivaient dans une vallée tapissée de hautes

herbes, qui ployaient sous l'orage. Au loin, les versantsdes montagnes, couverts de pins, se détachaient contrele ciel de plomb. Une cascade argentée jaillissait de laroche. Les troupeaux se groupaient dans les prairies etle long des ravines. Au pied des montagnes, les champsfleuris s'étendaient à perte de vue.

Caitlin vit une biche s'éloigner en sautillant parmiles fleurs aux couleurs chatoyantes, boutons-d'or,myosotis et autres coquelicots. Les chevaux galo-paient vivement sous la pluie battante. Des lièvres seprécipitaient dans les buissons pour regagner leursterriers.

— C'est encore loin? demanda-t-elle en frissonnant,les joues ruisselantes de pluie, la robe trempée.

— Pas trop. La maison se trouve derrière cettecrête, là-bas.

— Ainsi, nous approchons des terres de mon père...— Nous y sommes depuis bien longtemps, répondit-

il. Tout ce que vous voyez appartient à Cloud Ranch.— Vraiment? fit Caitlin, incapable de dissimuler

son étonnement.Il désigna les alentours d'un geste de la main, englo-

bant la vallée, les collines, les crêtes qu'ils avaientfranchies, même la cascade, au loin.

— Le moindre brin d'herbe, le moindre caillou, lestroupeaux, sans parler des canyons au-delà de la vallée,

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les collines, la rivière, la prairie à perte de vue... Toutcela, c'est Cloud Ranch.

Abasourdie, la jeune fille croisa les bras, tressautantsur son siège de bois. Comment était-ce possible ?

Quelque chose dans cette nature sublime l'émouvait.C'était superbe, presque effrayant. Dans ce paysagesauvage, ils n'avaient pas croisé un être humain ou unehabitation depuis leur départ de Hope. Par beau temps,la campagne devait être enchanteresse. Mais sousl'orage, Caitlin était un peu inquiète. Si la foudre venaità frapper...

A cet instant précis, un éclair zébra le ciel. Ellepoussa un cri d'effroi en voyant la lueur argentée fendrele ciel.

— Calmez-vous. Nous ne risquons rien.Croisant le regard condescendant de Wade, elle se

mordit les lèvres. De toute façon, elle se fichait de cequ'il pensait d'elle. Bientôt, il s'en irait de Cloud Ranch,et elle ne le verrait plus jamais.

Elle songea soudain à tous ceux qui s'étaient moquésd'elle. Surtout Mavis Drew et Annabella Pratt, quiavaient bien ri en apprenant que la jeune fille la plusconvoitée de Philadelphie se retrouvait sans le sou, à larue. Elle avait tout perdu, y compris Alec Ballantree...

Oh, comme elles avaient ri !Sa gorge se noua. Elle pinça ses jolies lèvres,

forte d'une détermination nouvelle. Qu'importe cequ'elle devrait endurer, qu'importent les obstaclesqu'elle devrait surmonter : plus personne ne se moque-rait d'elle ou de Becky !

Un autre éclair traversa le ciel, illuminant les mon-tagnes aux cimes déchiquetées. Cette fois, Caitlin necria pas et ravala sa peur.

— Nous y sommes presque ! annonça Wade.La pluie se déchaîna, tombant de biais. Recroque-

villée sur elle-même, Caitlin pria pour trouver bientôtun abri, n'importe lequel.

En atteignant le sommet d'une crête, elle découvritune vaste plaine, parsemée de bétail. La charrette des-cendit en cahotant sur le chemin. Ils traversèrent un

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bosquet dont les arbres frémissaient, puis gravirent unepente et, enfin, elle apparut.

La maison.C'était une demeure somptueuse, loin de la cabane

en rondins à laquelle elle s'attendait, celle que sa mèrelui avait dépeinte. Il s'agissait d'une bâtisse de deuxétages, aux grandes fenêtres, entourée de dépendanceset d'enclos. Des volutes de fumée grise s'échappaientde la cheminée. Une chaleureuse lueur dorée filtraitpar les fenêtres. A l'avant se dressait un porche majes-tueux.

La charrette s'engagea dans une allée en courbe,passant devant les enclos et une grange. Un jeune cow-boy aux cheveux roux salua Wade de la main. Dès quele véhicule s'arrêta devant la maison, il se précipita àleur rencontre.

Lorsque Wade mit pied à terre, un gros chien noirvint l'accueillir.

— Dawg ! Tout doux, le chien !Il alla chercher la malle de Caitlin. Un éclair zébra

le ciel.— Tu nous amènes le beau temps, Wade ! plaisanta

le cow-boy avec un sourire, en saisissant les rênes deschevaux.

— Tu l'as dit!Le régisseur aida la jeune fille à descendre, avec une

telle aisance qu'elle eut l'impression d'être légèrecomme une plume. Dès qu'elle toucha terre, elle cou-rut se mettre à l'abri sous le porche.

— Vous devez être Mlle Summers, fit le cow-boy quiôta son chapeau trempé.

En voyant le tissu lavande mouler les formes de lajeune fille, il ne put s'empêcher de rougir.

— Euh... je suis ravi de vous rencontrer, mademoi-selle, en dépit des circonstances...

— Moi de même ! lança Caitlin sans même lui accor-der un regard.

Elle ignora également le gros chien, venu reniflerle bas de sa robe. Une fois sur le seuil de la maison,elle demeura pétrifiée. Elle fixait la lourde porte en

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chêne, dont le heurtoir en forme de fer à cheval étin-celait.

C'était ici qu'elle était née... Or sa mère avait tou-jours évoqué une modeste cabane. Sans doute ReeseSummers avait-il agrandi peu à peu sa demeure, àmesure que le ranch se développait? Il avait fini parréaliser son rêve, en sacrifiant sa femme et sa fille.

— Entrez donc.La voix grave de Wade Barclay la fit sursauter.— Reese est parti, ajouta-t-il froidement. Vous n'au-

rez pas à l'affronter.Impressionnée, elle était incapable de prononcer un

mot. Pendant des années, l'indifférence de son père luiavait brisé le cœur. La plaie ne s'était jamais refermée.Son retour dans cette maison, qui avait plus comptédans la vie de son père qu'elle-même, faisait ressurgirla vieille douleur. Elle ne pouvait s'empêcher de sedemander quelle aurait été sa vie, si sa mère n'avaitjamais quitté son père, ou si Reese l'avait suffisam-ment aimée pour répondre à ses lettres...

Vas-y, entre, se dit-elle tandis que la pluie redoublaitde violence et que le vent plaquait sa robe contre sescuisses. Il te suffit de pousser la porte...

— Quelque chose ne va pas? s'enquit Wade d'unton sec.

Elle arracha son regard du panneau de chêne pourse tourner vers son beau visage inquiet.

— N... non, tout va bien.Rooster, le jeune cow-boy, mena les chevaux à l'écu-

rie. Le chien trottinait gaiement derrière lui. Elle seretrouvait seule sous le porche en compagnie de WadeBarclay, alors que les éléments se déchaînaient autourd'eux. Elle sentit le regard du régisseur s'attarder surses courbes, que moulait la robe trempée. Ses seins, seshanches étaient soulignés par la soie lavande. Wadeplissa ses yeux bleus. Elle y décela une lueur trou-blante, qui la fit rougir. Elle eut envie de le gifler, des'enfuir loin de lui et de cette maison.

— Vous avez parcouru tout ce chemin pour touchervotre héritage, déclara-t-il d'un ton où perçait la

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colère. Vous n'avez pas envie de connaître l'endroit oùvivait votre père ? Et où il est mort ? A moins que voussoyez trop craintive pour entrer...— Ne soyez pas ridicule.Il esquissa un sourire narquois. Avant que Caitlinpuisse réagir, il poussa le lourd battant et l'entraîna àl'intérieur. Il referma la porte du pied.— Bienvenue à Cloud Ranch !

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Pendant un certain temps, Caitlin fut incapable deprononcer un mot. Elle balaya du regard le vaste ves-tibule au parquet ciré. Elle en oublia même la pré-sence de Wade, sa dureté, ses manières brusques. Uneimpression de confort, de luxe, se dégageait des lieux.Elle se sentit même enveloppée d'une douce chaleur...Ainsi, cette demeure somptueuse, aux plafonds hauts,était Cloud Ranch. La gorge nouée, elle songea que leseul vestibule devait occuper tout l'emplacement de lacabane d'origine, où sa mère et elle avaient vécu.

A présent, c'était une pièce élégante, étincelante depropreté, ornée d'un lustre en cristal, d'un guéridon ennoyer, de grands miroirs. Un escalier majestueuxmenait à l'étage.

La jeune fille retint son souffle. Il flottait un délicatparfum de cire, de bœuf en daube et de pain chaud.Mélange exquis et appétissant. Elle apercevait quelquespièces meublées avec goût, donnant dans le vestibule.Un salon, avec des aquarelles et une cheminée enmarbre. Elle devina aussi un bureau ou une biblio-thèque, aux murs tapissés de livres. Un immense bureauen chêne et un tapis persan couvraient presque toutela surface de la pièce.

Cloud Ranch n'avait décidément rien de primitifou de rustique. Il n'avait même rien à envier à sonancienne demeure de Philadelphie.

Cela ne fit qu'empirer son trouble et sa nervosité.— Francesca ! Nous sommes arrivés ! lança Wade

en posant la malle de la jeune fille près d'une table ennoyer.

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— Qui est Francesca ?— Notre gouvernante et cuisinière. Tenez, la voici.Pour la première fois, les traits de Wade s'adouci-

rent lorsqu'il vit entrer une femme au teint mat. Elledevait avoir un peu plus de soixante ans, et portait sescheveux gris en chignon au-dessus d'un visage auxtraits finement ciselés.

— Senor Wade! Mon Dieu, vous êtes trempé jus-qu'aux os ! gronda-t-elle avec un accent espagnol.

Elle porta les mains à ses joues. Mais toute inquié-tude s'envola de son visage quand elle découvrit la pré-sence de Caitlin.

— Ah, ce doit être la fille du senor, marmonna-t-elle.

Francesca cligna les paupières et toisa la jeune filled'un œil critique.

— Au nom du défunt senor Reese, je vous souhaitela bienvenue, senorita, déclara-t-elle avec un manqued'enthousiasme évident. Je vais vous montrer votrechambre.

— Merci, répondit posément Caitlin. Je suis déso-lée, je crois que j'ai mouillé le parquet...

— Hmm, fit la gouvernante. Vous n'êtes pas respon-sable du temps qu'il fait. De plus, je crois savoir que ceparquet vous appartient, désormais.

J'ai l'impression que cette nouvelle ne l'enchanteguère, songea la jeune fille avant de se tourner versWade:

— J'ai décidé que vous pourrez rester jusqu'à ceque nous ayons eu notre discussion... et jusqu'à ce quel'orage soit calmé. Ensuite, je veux que vous partiezsur-le-champ.

— Pas possible !— Si, c'est possible.En dépit de son attitude hautaine, elle tressaillit en

remarquant que la chemise du régisseur était aussitrempée que sa robe. Le fin coton moulait ses musclespuissants. Quant à ses bras... Elle en eut le soufflecoupé. Sans doute était-ce un travail acharné qui avaitsculpté ce corps de rêve...

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Arrête de le fixer ainsi ! se dit-elle.— Ayez la gentillesse de monter ma malle dans machambre. Ce sera votre dernière tâche à mon service.— Je crains que vous n'arriviez pas à vous débar-rasser de moi de sitôt, répliqua-t-il.— C'est ce que nous verrons.— C'est ça, on verra.Il saisit la malle, traversa le vestibule, et ajouta :— Rejoignez-moi dans le bureau de Reese, d'ici uneheure. Ne soyez pas en retard. Nous étudierons le tes-tament avant le dîner.Caitlin demeura bouche bée. Cet homme se compor-tait vraiment comme s'il était le propriétaire du ranch !Indignée, elle le regarda gravir les marches quatre àquatre, avant de disparaître au détour d'un couloir.Elle allait mettre un terme à cette insolence.— Venez, senorita, déclara la gouvernante. Vous devezêtre fatiguée, après ce long voyage. Le senor Reese auraitvoulu que vous vous reposiez.«Fatiguée» n'était pas le terme que Caitlin auraitchoisi pour évoquer son état. Elle se sentait sur le pointde s'effondrer, sous l'effet de toutes les émotions quil'assaillaient. Elle suivit la gouvernante à l'étage, aufond d'un long couloir. La porte de la chambre étaitentrouverte, et sa malle posée au milieu de la pièce,près d'un lit à baldaquin.— Je vais monter de l'eau chaude pour votre bain,annonça sèchement Francesca. Ensuite, j'ai à faire à lacuisine.Elle tourna les talons.— Francesca, attendez! fit Caitlin. (La gouvernantela toisa d'un regard sombre.) J'ai l'impression que vousne souhaitez pas ma présence ici. J'ignore pourquoi,mais cela n'a pas d'importance. Je ne m'éterniserai pas,sachez-le. Je resterai le temps de vendre le domaine.Un lourd silence s'installa, rompu par le martèlementde la pluie sur les vitres. Puis Francesca secoua la tête.— Ce n'est pas que vous soyez indésirable ici, made-moiselle. Je n'ai pas à porter de jugement. Mais vousavez mis bien longtemps à venir... trop longtemps.

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Avant que Caitlin puisse réagir, la domestique s'éloi-gna dans le couloir et disparut.

Elle respira profondément, referma la porte et s'ap-puya contre le panneau de bois. La chambre était spa-cieuse, avec une grande fenêtre encadrée d'élégantsrideaux jaune et blanc. Le lit était couvert d'un édredonmoelleux assorti. Tout semblait propre, soigné, mais cequi attira son attention fut surtout le feu qui flambaitdans la cheminée. La jeune fille s'approcha du foyer.Sans doute Wade l'avait-il allumé en déposant samalle...

Glacée, elle commença à ôter ses vêtements trem-pés. Peut-être cet homme n'est-il pas si mauvais, aprèstout... songea-t-elle, pleine de gratitude. Puis ellesecoua la tête. A quoi pensait-elle ? Wade Barclay étaitmauvais. Il était trop beau pour être honnête, d'uneimpolitesse intolérable, arrogant et autoritaire. Il n'étaitpas question qu'elle se laisse dominer par un homme.Elle avait assez souffert. Plus jamais un homme n'abu-serait de son pouvoir sur elle, se jura-t-elle en se pen-chant vers les flammes.

Soudain lui revint le souvenir de Dominic Trent, affi-chant un air triomphant et cruel, persuadé de l'avoir àsa merci, quand il avait tenté de la... Elle chassa cesimages. Dominic Trent avait appris à ses dépens queCaitlin ne se laissait pas faire, et Wade Barclay le sau-rait aussi !

Se frottant les bras, elle pensa à ce qui l'attendait.Elle allait vite régler ces problèmes, quels qu'ils soient,puis elle renverrait ce maudit Barclay. Ensuite, ellepourrait retourner auprès de Becky. Si tout se dérou-lait sans encombre, elle prendrait la diligence du len-demain. Et rien de ce que pourrait dire le régisseur nel'en empêcherait.

— Comment cela, le ranch ne m'appartient pas àmoi seule ?

Assise sur le canapé de cuir vert, dans le bureau deReese Summers, Caitlin écarquilla les yeux.

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— Vous... vous devez faire erreur, reprit-elle.— Absolument pas. Voyez vous-même.Wade ouvrit un tiroir du bureau, dont il sortit uneliasse de feuilles qu'il lui apporta. Caitlin se contenta deles fixer, n'osant les toucher, comme s'il s'agissait d'unserpent.Elle se croyait prête à tout entendre. Avant derejoindre Wade, elle avait pris un bain, s'était coifféeavec soin, formant un chignon parfait, et avait enfiléune robe en soie bleue rehaussée d'un collier et deboucles d'oreilles en perles. Puis elle était descendue,sûre d'elle, déterminée à affronter le régisseur.Toutefois, elle avait perdu un peu de sa belle assu-rance dès son entrée dans l'élégant bureau. Une légèreodeur de cigare y flottait, faisant ressurgir des souve-nirs qu'elle croyait enfouis à jamais dans sa mémoire.Des souvenirs agréables de tendresse, de sécurité, debonheur. Une voix grave qui lui parlait, lui chantait deschansons... Souvenirs de Reese qu'elle s'était empres-sée de chasser, de peur qu'ils ne deviennent trop pré-sents. Après tout, ils n'avaient aucune importance.L'odeur de cigare s'était atténuée. Mais dès queWade lui annonça la nouvelle fracassante, l'aplomb dela jeune fille s'envola. Les mains moites, elle garda lesyeux rivés sur la liasse de documents.— Alors, vous les voulez ou pas ?Elle s'en empara enfin.— Auriez-vous l'amabilité de me dire qui est l'autrepropriétaire du ranch ? demanda-t-elle sèchement.— Avec plaisir, mademoiselle, répondit-il en laregardant droit dans les yeux. C'est moi.— Vous ? répéta Caitlin, sidérée.— Absolument.Il alla s'appuyer au bureau, les mains glissées dansles poches de son pantalon.— Ainsi que mes frères, précisa-t-il. Clint et Nick.— Vos frères? Vous voulez dire qu'il existe plu-sieurs individus de votre espèce ?— Vous désirez connaître les termes du testament,oui ou non ?

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— Je vous écoute! lança-t-elle, sentant la paniquel'envahir.Wade prit un crayon et le fit rouler entre ses doigts,tout en s'exprimant d'un ton posé.— Reese vous laisse quarante pour cent de CloudRanch. Je reçois la même part. Clint et Nick ont dixpour cent chacun.Ses yeux s'attardèrent sur la jeune femme, indéchif-frables dans la lumière dorée de la pièce.— En résumé, princesse, les frères Barclay possè-dent soixante pour cent du domaine, et vous quarante.— Je sais compter, merci ! répliqua-t-elle. Mon pèren'aurait jamais fait une chose pareille, ajouta-t-elle ense levant péniblement. Pourquoi diable a-t-il légué sonranch à un régisseur ?Wade l'observa longuement, tandis que la pluie mar-telait les vitres. Le vent évoquait le hurlement desloups.— J'étais plus que son régisseur. J'étais... Je suisson fils.Les yeux verts de Caitlin se mirent à pétiller decolère, incrédules.— Mais... on m'a dit qu'il ne s'était jamais remarié...— C'est vrai, il ne s'est pas remarié. Il m'a adopté,ainsi que Clint et Nick. Il nous a élevés tous les troiscomme ses fils.Elle en demeura bouche bée. Chacune de ses parolesla frappait comme un coup de poignard.— Reese Summers a été pour nous le meilleur despères, reprit Wade. A onze ans, je me suis retrouvéorphelin. Clint avait neuf ans, et Nick seulement sept.Reese nous a recueillis, il nous a appris la vie dans unranch, et un tas d'autres choses...Il se tut, mais la jeune fille avait décelé une note dechagrin dans sa voix. Il souffrait de la mort de ReeseSummers.Enfin, il s'éclaircit la gorge et poursuivit d'un tonferme :— Finalement, je suis le seul à partager sa passionpour cette terre, pour ce ranch. Ne vous méprenez

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pas : Clint et Nick adorent Cloud Ranch. C'est ici qu'ilsont grandi. Mais ils ont suivi d'autres voies, avec labénédiction de Reese. Il tenait à ce qu'ils se sententtoujours chez eux, ici.

Wade posa son crayon et dévisagea la jeune fille.— Votre père était un homme bien, mademoi-

selle Summers. Jamais je n'en ai rencontré de plushonorable. Je suis fier de le considérer comme monpère.

Un long silence s'installa, uniquement rompu par lemartèlement de la pluie sur les carreaux. Caitlin avaitdu mal à parler.

— II... il vous a recueillis, tous les trois, et vous alégué le ranch...

Elle se sentait sur le point de défaillir. Ses jambesrefusaient de la soutenir. Elle s'écroula sur le canapé,cherchant son souffle. Reese Summers n'avait réponduà aucune de ses lettres. Il ne lui avait même pas envoyéson portrait, comme elle le lui avait demandé. Pourtant,il avait adopté trois garçons, les avait élevés comme sesfils, avait fait d'eux ses héritiers, sans jamais se soucierde sa propre fille.

Une douleur fulgurante la transperça, mêlée à unecolère terrible, tandis qu'elle crispait les doigts sur letestament.

— Je le déteste, murmura-t-elle. Oh, comme je ledéteste... (Ses lèvres se mirent à trembler.) Je suiscontente de ne pas être venue à son chevet, quand il aenfin décidé de se manifester.

Wade la rejoignit en deux enjambées. Avant qu'ellepuisse réagir, il l'agrippa avec force. Le testamenttomba à terre. Il la fit se lever. Sidérée, elle déceladans son regard un mélange de fureur et de dégoût.Ses muscles étaient tendus. Elle comprit qu'il ressen-tait une rage aussi intense que la sienne.

— Assez! gronda-t-il.— L... lâchez-moi.— Je vous lâcherai quand bon me semblera! Mais

avant, nous avons plusieurs points à régler.— Vous me faites mal... souffla Caitlin.

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Il baissa les yeux vers sa propre main, qui meurtris-sait l'épaule de la jeune fille. Aussitôt, il relâcha sonemprise. Il la saisit par les poignets.— Je vous préviens, je ne le répéterai pas deux fois.Ne dites pas de mal de Reese.— Je dis ce que je veux !— Pas dans cette maison, en ma présence.Caitlin voulut se dégager, en vain. Wade lui adressaun sourire glacial.— A présent, voulez-vous prendre connaissance dela suite du testament ?— Ce que je veux, c'est que vous me lâchiez !— Avec plaisir, mademoiselle Summers, déclara-t-ilavec mépris.Pourtant, il y avait autre chose que du mépris dansle regard de Wade. Il y brûlait une lueur étrange quipouvait être de la colère, ou alors... un sentiment dan-gereux, indéfinissable, qui diffusa en elle une onde dechaleur. Pour une raison inexplicable, son cœur se mità battre la chamade.— Lâchez-moi tout de suite, murmura-t-elle, tropconsciente de sa force, de sa fureur, et de la tensionpalpable qui régnait entre eux.Ses yeux pétillants semblaient transpèrcer l'âme dela jeune fille.Wade voulait la lâcher, il le voulait plus que tout,mais il persista. L'espace d'un instant, il se noya dansses prunelles vertes. Distrait par ses seins ronds etfermes, sous sa robe ajustée, il respira son parfum deviolette sauvage. Or Caitlin Summers n'avait rien d'unesauvage, songea-t-il. C'était une citadine privilégiéequi ne savait que donner des ordres, faire des capriceset essayer de nouvelles toilettes. C'était l'enfant quiavait brisé le cœur de Reese.Il relâcha son emprise.— Tâchez de vous rappeler ce que je vous ai dit.Comment pourrait-elle l'oublier? Chaque parolequ'il avait prononcée sur Reese, sur les frères Barclay,resterait à jamais gravée dans sa mémoire.

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Elle s'approcha de la cheminée, cherchant à mettrede l'ordre dans ses idées, à calmer les battements effré-nés de son cœur. C'est alors qu'elle vit les deux photo-graphies posées côte à côte, sur la cheminée.

L'une, dans un cadre en bronze, représentait Caitlinenfant, assise sur les genoux de sa mère, dans un fau-teuil. L'autre montrait trois adolescents entourant unhomme élégant, aux larges épaules, se tenant biendroit, un cigare entre les doigts.

Reese Summers et les frères Barclay.Elle se détourna vivement. Elle mourait d'envie' de

scruter l'image de son père, cet homme qui ne l'avaitpas aimée. Mais elle se refusait à le faire en présencede Wade Barclay.

— Nous sommes tous deux propriétaires de CloudRanch, dit-elle. Enfin, tous les quatre... Très bien. Jevais vous faciliter la tâche, à vous et vos frères. Je vaisvous vendre ma part.

Il s'appuya à nouveau contre le bureau, la considé-rant froidement.

— Non.Soudain la pluie se calma, le vent se tut. La lumière

dorée éclairait les livres, les dossiers, les carafes dewhisky sur les étagères. Un léger parfum de tabacse mêlait à celui du cuir usé. Wade était appuyé contre lebureau comme s'il l'avait fait toute sa vie, ce qui étaitprobablement le cas. Désespérée, Caitlin chercha sonregard.

— Pourquoi pas ? J'ignore tout de la façon de gérerune telle exploitation. D'ailleurs, je m'en moque. Jeveux retrouver ma vie normale, dans l'Est.

Ce n'était pas totalement faux, même si la vie quil'attendait ne serait pas facile.

— J'imagine que vous ne tenez pas à m'avoir dansles pattes, à discuter la moindre de vos décisions, ajouta-t-elle en s'efforçant de masquer combien cette venteavait d'importance à ses yeux. Je ne cesserais de vousdonner des ordres, de vous dire comment faire ceci oucela. Je serais un poids, pour vous. J'interviendrais dansvos affaires.

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— Il me semble que ce sont aussi vos affaires,répondit-il.

— Mais vous ne pouvez vouloir de moi en tantqu'associée !

— Vous avez parfaitement compris, mademoiselle.Le problème, c'est que ce ne sont pas mes souhaits quicomptent, c'est la volonté de Reese. Pour une raisonque j'ignore, il tenait à votre présence ici.

Elle se précipita vers lui. Si seulement elle avait pule gifler, chasser cette expression arrogante de sonvisage !

— Il l'a fait exprès ! s'exclama-t-elle. Il ne cherchaitqu'à détruire ma vie. Vous ne voyez donc pas ? C'étaitun homme amer, frustré. Il en voulait à ma mère del'avoir quitté parce qu'elle détestait cet endroit lugubre,à l'époque, autant que je le déteste aujourd'hui. Il sou-haitait me punir car elle n'a pas voulu rester dans cettemaudite maison, dans ce pays perdu, au milieu de cesbarbares. A présent, il veut me forcer à...

Elle s'interrompit en lisant la rage sur les traits deWade, qui s'avançait lentement vers elle pour la domi-ner de toute sa hauteur. D'instinct, elle fit un pas enarrière, se préparant à sentir une nouvelle fois le contactde ces mains puissantes sur sa peau.

Il dut déceler sa peur. Il ne la toucha pas, maiss'adressa à elle d'un ton doux et menaçant à la fois :

— Assez.— Laissez-moi vous vendre ma part, implora-t-elle,

le souffle court. Ensuite, vous serez débarrassé de moià jamais! Vous pourrez faire ce que bon vous sem-blera, raser la maison, même, sans que je m'en mêle.

Ses yeux verts le suppliaient. Des yeux presque irré-sistibles. Et ses cheveux blonds, relevés en un strictchignon... Wade eut la bouche sèche en imaginantcette crinière cascadant sur ses épaules nacrées.

Bon sang, elle était si belle... et si superficielle!— Mettons les choses au point. Personne ne rasera

jamais cette maison, ou ne fera quoi que ce soit pourlui nuire. C'est moi qui commande ici. Je dirige leranch.

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— Pas si vous me forcez à conserver ma part, sivous refusez de l'acheter, rétorqua Caitlin, une lueurd'espoir dans le regard.

La solution semblait si simple qu'elle aurait dû ypenser avant !

— Très bien. Je n'ai plus qu'à vendre ma part àquelqu'un d'autre, déclara-t-elle avec un soupir. Dèsque le notaire sera rentré, je lui donnerai des instruc-tions dans ce sens. Il vendra au plus offrant. Vos frèreset vous aurez un nouvel associé, au lieu de vous parta-ger Cloud Ranch.

Il s'appuya contre la cheminée.— Vous ne comprenez pas les termes du testament,

mademoiselle Summers. Je vais vous les expliquer.Vous ne pouvez vendre votre part à un tiers, sans l'ac-cord de mes frères et le mien. Accord que vous n'ob-tiendrez jamais. Votre seul espoir est de vendre à l'und'entre nous. Et aucun ne vous achètera votre part...en tout cas, pas avant un an.

Sidérée, elle fronça les sourcils.— Un an? Mais... pourquoi?— Reese souhaitait que vous viviez ici pendant un

an. Ne me demandez pas pourquoi, c'est sa volonté,c'est indiqué noir sur blanc. Au terme de cette année,si vous désirez vendre, à moi, Nick ou Clint, voire àtous les trois, vous le pourrez.

— Mais je ne peux pas passer un an ici ! Je ne veuxpas...

— J'ai oublié de vous préciser qu'une somme ronde-lette vous sera versée chaque mois durant cette année,ajouta-t-il froidement. Une rente généreuse, même sivous ne semblez guère dans le besoin.

Il songeait à son collier, ses boucles d'oreilles et sonélégante robe en soie bleue.

— J'ai l'impression que vous possédez déjà toutesles toilettes et fanfreluches dont vous pourriez rêver.Mais je suppose que les femmes telles que vous en veu-lent toujours plus...

Venant de lui, ces paroles étaient insultantes. Lesfemmes telles que vous...

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Ce rustre ignorait qui elle était vraiment. Il ignoraitles épreuves qu'elle avait subies. De toute façon, elle nevoulait pas qu'il sache. Connaître ses faiblesses seraitpour lui un atout supplémentaire, dont il ne manqueraitpas de profiter. C'était une leçon qu'elle avait appriseà Philadelphie.

Wade avait évoqué une somme rondelette. Ainsi, sielle restait au ranch, elle toucherait de l'argent chaquemois... Caitlin sentit sa gorge se nouer. Elle avait besoind'argent rapidement. Elle devait encore un semestreau pensionnat de jeunes filles de Becky, et les gages desdomestiques qu'elle avait dû congédier de sa maison dePhiladelphie, faute de moyens. Après avoir épongé lesdettes de Gillis, il lui resterait à acheter des billets detrain pour qu'elle et Becky puissent quitter Philadelphie.De plus, les deux sœurs devraient subsister, en atten-dant que Caitlin trouve un emploi de gouvernante oude vendeuse, peut-être, dans une autre ville...

Et voilà que cet homme lui annonçait que, si ellesouhaitait obtenir de l'argent, il lui faudrait vivre unan à Cloud Ranch !

— A combien se monte cette allocation mensuelle ?demanda-t-elle en s'efforçant de paraître calme.

Il ne fallait pas qu'il pense qu'elle voulait s'acheterdes frivolités.

— Une somme suffisante. Plus que suffisante, selonvos critères, je suppose.

— Je veux lire le testament, découvrir son contenupar moi-même.

— Bien sûr.Il ramassa le document tombé à terre. Alors qu'il le

tendait à Caitlin, Francesca apparut sur le seuil.— Le dîner est servi, senor Wade, annonça-t-elle.— Nous arrivons, Francesca. Merci.Il passa une main dans ses cheveux et lança à la

jeune fille un regard irrité.— Vous venez manger ?Elle ouvrit le dossier et scruta l'écriture régulière

tracée à l'encre noire.— Non. Je n'ai pas faim.

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— McCain viendra demain. Il vous expliquera tout.— Je préfère le lire moi-même.L'espace d'un instant, il crut déceler une note de

panique dans sa voix. De quoi s'inquiétait-elle donc ?Qu'elle fût bouleversée, d'accord. Fâchée, même. Il lecomprenait sans peine. Elle voulait le ranch et l'argentqu'il représentait. Wade avait déjà reconnu en elle unefemme vénale. En apprenant qu'elle devrait attendreun an pour vendre, elle avait dû être fort déçue.

Pourtant, elle semblait presque... effrayée.— Peut-être souhaitez-vous boire un verre de

whisky, histoire de vous remonter le moral ?— Je vous l'ai déjà dit, répondit-elle, les yeux rivés

sur le testament. Je ne bois pas de whisky.— C'est vrai, admit-il.Sous son regard perplexe, la jeune fille alla s'instal-

ler dans le fauteuil de cuir bordeaux de Reese, et sereplongea dans la lecture du testament.

Elle était si concentrée qu'elle ne se rendit pascompte que Wade quittait la pièce.

Dans la salle à manger, la longue table en chêneétait dressée pour deux. Francesca posa devant Wadeune assiette garnie d'un steak, de pommes de terre et deharicots. Le régisseur se réjouit que Caitlin ait décidéde ne pas se joindre à lui. Son repas serait plus tran-quille.

Pourtant, il n'aimait pas particulièrement dîner seuldans cette grande pièce. Depuis la mort de Reese, ilavait toujours eu la compagnie de Clint ou de Nick.Après le départ de ses frères, il était allé partager lerepas des ouvriers, ou dîner chez des amis, des voisins.Luanne Porter, la nouvelle institutrice, l'invitait sou-vent. Se retrouver seul à table lui faisait penser à Reese,aux dîners en famille, aux discussions, aux querelles,aux projets échangés autour de cette table... La vastemaison semblait bien vide, sans l'homme qui l'avaitconstruite.

Comme d'habitude, la cuisine de Francesca étaitsucculente. Il termina son repas par une part de tarteaux pommes et un café. Caitlin ne daigna même pas

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faire une apparition. Elle devait mourir de faim, aprèsson voyage, mais elle était manifestement plus entêtéeque raisonnable.

Il fronça les sourcils. Si elle croyait trouver dans letestament un moyen de le détourner pour vendre sa part,elle se trompait. Wade avait longuement étudié la ques-tion avec Reese. Il lui avait assuré que tout se déroule-rait selon ses volontés. Il n'achèterait pas la part deCaitlin avant que l'année soit écoulée. Pas plus que Clintou Nick.

Ayant dévoré les dernières miettes de sa tarte auxpommes, il se leva de table et regagna le bureau. Iltrouva la jeune fille installée derrière le bureau deReese, penchée sur le document.

— Si vous avez faim, vous trouverez de quoi man-ger à la cuisine...

— Je n'ai pas faim.A son entrée, elle se leva. Il remarqua son air las, sa

posture abattue.— Je monte dans ma chambre.Elle passa devant lui, les doigts crispés sur le testa-

ment. Combien de fois allait-elle relire ce mauditpapier, en quête d'une solution?

— On n'est pas si mal, ici, vous savez, déclara-t-il.Elle se raidit.— On voit de superbes couchers de soleil, ajouta-

t-il. Certes, les hivers sont rigoureux, mais nous nesommes encore qu'au printemps. Vous avez le temps,avant que le froid revienne.

Elle le dévisagea sans un mot. Wade n'avait cherchéqu'à apaiser la souffrance qu'il lisait dans ses yeux. Ilsentit ses entrailles se nouer. Décidément, elle n'avaitrien de son père. Elle n'aimait que la vie raffinée, cita-dine, le beau monde qu'elle avait toujours connu. SiReese avait cru éveiller en elle le goût de la nature, de lavie simple, son projet était voué à l'échec. Au terme decette année, elle vendrait sa part. Même avant, si elle lepouvait.

— J'aimerais rencontrer M. McCain dès son arri-vée, demain, annonça-t-elle à voix basse.

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Ses yeux tristes mirent Wade mal à l'aise.— Comme vous voudrez. Bonne nuit.Elle s'éloigna, laissant un léger parfum de violettedans son sillage.

Une fois dans sa chambre, Caitlin ravala ses larmes.La pluie avait cessé. Elle ouvrit la fenêtre et respiral'air frais de la montagne, cherchant à se calmer. Ellevoulait relire le testament, mais elle était trop fatiguée.Elle devrait attendre le matin.

Demain, songea-t-elle en se frottant les yeux. Demain,je trouverai une solution.

Il n'était pas question qu'elle passe un an dans leWyoming. C'était impossible. Elle avait besoin de cetargent, et tout de suite. Bien sûr, l'allocation du pre-mier mois lui serait utile, mais elle ne suffirait pas.Que ferait-elle de Becky ? Elle ne pouvait faire venir sasœur dans cette grande maison sordide, en pleinecampagne !

Gagnée par le désespoir, elle se coucha, s'attendantà ne pas trouver le sommeil. Cela faisait si longtempsqu'elle n'avait pas passé une bonne nuit... Chaquesoir, elle se retournait dans son lit, hantée par ses sou-cis et son avenir incertain.

Ce soir-là, pourtant, bercée par le chant des criquetset le vent des montagnes, elle s'endormit sans difficulté.

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4

Caitlin ne savait plus où elle se trouvait.Allongée dans un lit moelleux, la tête posée sur un

oreiller de plumes, elle fixa le plafond. L'air embaumaitle pin. Elle savoura la caresse des draps frais contre sapeau. Quelques bruits lui parvinrent : le hennissementdes chevaux, le chant des oiseaux, les appels desouvriers... Une porte claqua. Le chien se mit à aboyer.

Cloud Ranch.Elle se dressa sur son séant, repoussant ses cheveux

en arrière. La chambre était inondée d'une lumièredorée qui se reflétait dans le miroir, sur le tapis rose etbleu qui couvrait le plancher ciré, et enfin sur le lit.Les rideaux jaune et blanc voletaient sous la brise.Pieds nus, elle gagna la fenêtre.

Le paysage qui se déployait sous ses yeux lui coupale souffle. La veille, elle était arrivée sous la pluie, dansla grisaille. Ce matin-là, le soleil était radieux et le pay-sage resplendissant. Des montagnes gris-bleu s'élevaientau loin, parsemées de cascades, leurs cimes enneigées,leurs versants tapissés de pins qui scintillaient au soleildu matin; une longue vallée profonde, verdoyante,semblait s'étendre à perte de vue...

Les sens en éveil, la jeune fille aspira profondémentl'air parfumé. Elle vit le gros chien noir s'enfuir encourant de l'enclos et sentit son cœur se serrer. CloudRanch était un endroit superbe, elle ne pouvait le nier.Mieux encore, pour la première fois de sa vie, elle sesentit liée à son père. Elle comprenait à présent pour-quoi Reese avait tant aimé son ranch, cette terre majes-tueuse et ensoleillée. Mais elle ne comprenait toujours

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pas comment il avait pu le préférer à sa femme et à safille.

Réprimant un léger frisson, elle s'éloigna de lafenêtre. La région était attrayante avec ses fleurs sau-vages, ses montagnes, ses cascades, ses prairies ondu-lant sous le vent. Mais elle ne se laisserait pas séduire.Elle était venue pour conclure une vente, et elle partiraità la fin de cette journée, après avoir trouvé une solution.

Au moment de se détourner de la fenêtre, elle vitWade Barclay émerger de la grange. Il se dirigea versl'enclos où s'ébattait un superbe étalon. Il donna sesinstructions à un groupe de cow-boys. Avec sa chemisebleu foncé, son pantalon sombre et ses bottes, il étaitplus séduisant que jamais. Son holster pendait sur seshanches. Il était coiffé d'un Stetson noir.

Le cœur de la jeune fille s'emballa.Il semblait à l'aise, si bien intégré dans cet environ-

nement, malgré l'agitation qui régnait autour de lui.Rien de plus naturel, se dit-elle, furieuse, en s'éloi-gnant pour commencer sa toilette. Il avait grandi ici. Ilétait chez lui.

Becky et elle n'avaient plus de foyer. La jeune filles'arma de courage et de détermination. Après le petitdéjeuner, elle relirait le testament et se défendrait becet ongles pour obtenir satisfaction.

La maison était silencieuse. Caitlin trouva la salle àmanger déserte. Francesca s'affairait à la cuisine, lesmains dans la farine.

— Senor Wade et les hommes ont terminé leur petitdéjeuner depuis longtemps, grommela-t-elle en guisede salutation.

Elle jeta sa pâte à pain sur une planche et s'essuyales mains.

— Je vais vous préparer quelque chose.— Ne vous donnez pas cette peine, répondit froide-

ment Caitlin. J'attendrai le déjeuner.Son estomac gargouillait furieusement, mais elle

espérait que Francesca n'entendait rien.— Non, senorita, insista la gouvernante d'un air

condescendant. Que dirait le senor Reese, si je ne nour-

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rissais pas convenablement sa fille ? Vous allez mangerdes crêpes, des œufs, des tartines, comme tous lesautres. Mais demain, il faudra descendre plus tôt pourmanger avec senor Wade.

— Demain, je ne serai sans doute plus là.S'asseyant sur un banc, près de la table, Caitlin prit

une pomme dans la corbeille de fruits.— Je compte repartir aujourd'hui, dès que j'aurai

rencontré le notaire. Savez-vous à quelle heure il doitarriver ?

La gouvernante se contenta de hausser les épaulesen secouant la tête. Caitlin ne chercha pas à poursuivrela conversation. De toute évidence, Francesca la jugeaitindésirable dans cette maison, et elle ne souhaitait pasvoir son séjour se prolonger. Qu'importe. Il ne restaità la jeune fille qu'à trouver un moyen de vendre sapart de l'héritage, et elle pourrait s'en aller.

Quand elle eut terminé ses œufs brouillés au bacon,accompagnés de grosses tranches de pain beurré, ellese sentit de taille à affronter l'épreuve qui l'attendait.Mieux encore, elle avait une stratégie.

En entendant approcher un attelage, elle se préci-pita à la fenêtre. Un boghei remontait l'allée.

— Monsieur McCain! lança-t-elle en se précipitantsous le porche pour accueillir un homme dégingandé,vêtu d'un élégant costume sombre.

Sur son nez de fouine étaient perchées de petiteslunettes à monture dorée.

— Oui, mademoiselle Summers, fit-il en effleurantle bord de son chapeau. Je suis désolé de ne pas êtrevenu hier. J'espère que je ne vous dérange pas.

Elle lui assura qu'il arrivait à point, et l'introduisitavec enthousiasme dans le petit salon qu'elle avaitaperçu la veille. Elle espérait que Wade Barclay seraitretenu quelque part, qu'elle n'aurait pas à endurer saprésence. Ses espoirs s'envolèrent lorsqu'elle vit lerégisseur apparaître sur le seuil.

— Bonjour, Abner, déclara-t-il d'un ton désinvolte.Mademoiselle Summers...

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Le notaire s'avança pour lui serrer la main, maisCaitlin se contenta d'un vague salut de la tête. Elles'excusa pour aller chercher le testament dans sachambre, croisant Wade comme s'il n'existait pas.

A son retour, il décela une lueur déterminée dans sesyeux. Elle adressa au notaire un sourire radieux.

— Nous avons à discuter d'une affaire importante,annonça-t-elle.

Elle s'installa dans un fauteuil, face au notaire, etdisposa avec grâce les plis de sa jupe en soie vertmousse, associée à un corsage en dentelle blanche.

— Je crains d'avoir un petit problème avec le testa-ment de mon père, monsieur McCain. C'est trèsfâcheux. Je ne puis le tolérer.

Elle se pencha légèrement en avant. Son chemisierse plaqua sur ses seins.

— Toutefois, continua-t-elle, je suis certaine quevous allez m'aider.

— Vous connaissez donc déjà son contenu? fit lenotaire, étonné.

— Je lui en ai parlé, intervint Wade, ignorant leregard glacial de la jeune fille. Je lui ai remis monexemplaire hier soir. J'imagine qu'elle en connaîtdésormais les termes aussi bien que vous et moi, Abner.Elle le connaît peut-être même par cœur. Et il ne l'en-chante guère.

— Je vois. Eh bien...— Vous êtes un homme d'expérience, reprit Caitlin

en affichant un sourire angélique. Vous trouverez cer-tainement une solution. Je sais que vous avez du cœur.Vous comprendrez mon malheur, et vous en tiendrezcompte. Naturellement, je souhaite toucher mon héri-tage. Mon père voulait qu'il me revienne. Mais il m'estimpossible de passer un an dans le Wyoming.

Appuyé contre la cheminée, les bras croisés, Wadel'observait. Ce n'était pas la première fois qu'il voyaitune femme jouer de ses charmes, mais aucune ne s'yprenait avec autant de douceur et d'habileté. McCain luimangerait dans la main avant qu'ils aient terminé le pre-

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mier paragraphe ! Grand bien lui fasse. Cela ne change-rait rien à la situation. Ce testament était verrouillé.

A moins... Il se raidit soudain, espérant que lenotaire saurait garder la tête froide.

Abner McCain sortit son propre exemplaire de sa ser-viette en cuir et remonta ses petites lunettes. Il se tournavers la ravissante fille du défunt et rougit légèrement.

— Je ferai tout mon possible pour vous aider, made-moiselle Summers, assura-t-il.

— Je m'en doutais, souffla-t-elle avec un regardempli d'adoration.

Il rougit davantage.— Hum... Si nous commencions? Il est de coutume

de lire le testament à haute voix.— Ce ne sera pas nécessaire, répondit-elle d'un ton

où perçait une certaine impatience. Je connais trèsbien le contenu de ce testament, monsieur McCain.M. Barclay me l'a expliqué, et je l'ai lu avec soin. Ce quej'aimerais savoir, c'est ce que vous pouvez faire pour lemodifier.

Le notaire s'offusqua.— Le modifier? Mais c'est impossible! Je ne puis

modifier le testament de mon client. J'ai été chargé deveiller à ce que les dernières volontés de votre pèresoient respectées...

— Que faites-vous de mes propres volontés ? minaudaCaitlin d'une petite voix plaintive. Je vous en prie, mon-sieur McCain, vous tenez mon avenir entre vos mains.Je ne puis passer un an ici ! Je ne suis pas dans mon élé-ment, dans un ranch. Cela saute aux yeux. Et M. Bar-clay ne souhaite certainement pas ma présence.

— Bien sûr que si. Il veut honorer la mémoire deM. Summers autant que moi.

Il adressa un regard à Wade, qui émit un vaguegrommellement.

— En ce qui me concerne, elle reste, déclara-t-ilsèchement. Mais cela ne signifie pas que je souhaite saprésence.

— Eh bien, si vous ne voulez pas d'elle, cela pour-rait résoudre...

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— Abner ! coupa brutalement Wade. (Il s'éloigna dela cheminée et riva ses yeux bleus sur le notaire, quiretint son souffle.) Je veux qu'elle reste, affirma-t-il.

Caitlin le dévisagea, abasourdie. Menteur, songea-t-elle avec mépris. Elle se tourna vers McCain, qui sem-blait mal à l'aise. Son regard passait de l'un à l'autre.Elle le vit déglutir péniblement, faisant saillir sa pommed'Adam. Il se mit à agiter les papiers dans ses mainsfébriles.

— Eh bien, bredouilla-t-il, je suis vraiment désolé,mademoiselle Summers, croyez-moi... mais il n'y a rienà ajouter. Pour conserver votre héritage, vous devrezséjourner au ranch pendant une année. Une fois cedélai écoulé, vous aurez le droit de vendre votre part àl'un des frères Barclay, ou à toute autre personne ayantreçu l'approbation de ces trois messieurs. Allons, cen'est pas si terrible, assura-t-il avec un sourire plein decompassion.

Caitlin sentit sa gorge se nouer. Elle était prise aupiège. Baissant les yeux sur le précieux document, elleentendit la voix monocorde du notaire poursuivre :

— Il faudrait que vous apposiez votre paraphe surchaque page du testament, pour prouver que vous avezpris connaissance de l'intégralité de son contenu etcompris les termes.

McCain sortit de la poche de son élégant costume unstylo en argent. Il le fit tomber mais le ramassa vive-ment, les joues cramoisies.

— Tenez. Asseyez-vous confortablement au bureau,et nous réglerons officiellement les formalités.

Caitlin aurait préféré mourir que de signer cespapiers. Elle ne parvenait pas à admettre sa défaite.Mais elle n'avait guère le choix... Elle s'assit donc, pritle stylo et fixa le document.

— Ici, dit le notaire avec gentillesse en désignant lamarge. Il n'y a que quatre pages. Le testament de votrepère est moins complexe que certains autres dont jeme suis occupé, vous savez, ajouta-t-il non sans fierté.

Mais la jeune fille ne l'écoutait plus. Elle était pétri-fiée, stylo en main.

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— Quatre pages? répéta-t-elle, sourcils froncés.L'exemplaire que j'ai lu n'en comptait que trois.Un silence gêné s'installa. Puis Wade Barclay étouffaun juron.— Voyez ce que vous avez fait, Abner ! grommela-t-il.Caitlin parcourut rapidement les quatre pages que lenotaire avait posées devant elle. Les trois premièresétaient identiques à celles qu'elle connaissait. La qua-trième lui était inconnue.En lisant le mot «codicille», elle sentit son cœurs'emballer.

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Caitlin lut rapidement le texte, vibrant d'un nouvelespoir. Quand elle eut terminé, elle recula sa chaise, seleva et se tourna vivement vers Wade.

— Comment avez-vous osé me dissimuler cette par-tie du document? lança-t-elle en lui agitant le testa-ment sous le nez.

— Cela ne vous regardait en rien, répondit-il. Cettepartie m'était destinée.

— Cela ne me regarde pas? Il est pourtant men-tionné que vous, Wade Barclay, pouvez annuler laclause qui m'oblige à passer un an ici. Si vous le jugeznécessaire ou approprié, vous pouvez me permettre devendre ma part à tout moment !

— Et alors? fit-il, la mâchoire crispée. Cela n'aaucune importance, princesse. Votre père n'a prévucette possibilité qu'en cas d'urgence, en guise de garan-tie contre une situation imprévue. Il ne s'attendait pasà ce que je l'utilise. Il voulait que vous séjourniez auranch. Il voulait que vous restiez ici pendant uneannée, et il en sera ainsi.

— Non! Vous avez la possibilité de me libérer, etj'exige que vous le fassiez sur-le-champ !

— Mademoiselle Summers, intervint Abner McCain,posant une main hésitante sur son bras.

Furieuse, elle le repoussa brutalement, ce qui le fitsursauter.

— Cessez de me parler sur ce ton condescendant!ordonna-t-elle. Je vous ai demandé s'il existait un moyende contourner les termes de ce testament, et vousm'avez répondu par la négative. Vous m'avez menti !

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Il pâlit.— Ce n'était pas à proprement parler un mensonge.

Cette clause est de nature privée, uniquement destinéeà M. Barclay.

— Eh bien, maintenant que j'en ai pris connais-sance, allons jusqu'au bout. Veuillez rédiger un acte devente.

L'esprit de la jeune fille était en ébullition. Finale-ment, elle pourrait s'en aller le jour même !

— J'aimerais savoir quel est le prix de mes quarantepour cent du ranch. Enfin, si je peux encore vous faireconfiance !

Blessé, le notaire voulut la convaincre de sa loyauté,mais Wade le devança :

— McCain, vous pouvez partir.— Partir? Mais... je n'ai pas terminé. Cette affaire

n'est pas réglée.— Si, tout est réglé. Elle reste. Un an. Comme Reese

le voulait. Même si je me demande vraiment pour-quoi...

— Il ne cherchait qu'à m'embêter! s'exclama-t-elle, ivre de rage et de douleur. Je ne vois pas d'autreraison pour qu'il songe à cette exigence mons-trueuse...

— Non, non, mademoiselle Summers, fit le notaire,visiblement choqué. Votre père était très soucieux devotre bien-être. Il souhaitait sincèrement que vousvous installiez au ranch, et que vous l'aimiez autantque lui. Il me l'a souvent dit, pendant que je rédigeaisle testament.

Caitlin savait pertinemment que son père se souciaitd'elle comme d'une guigne. Il l'avait prouvé toutesa vie.

— Il est un peu tard pour que je commence à mesentir chez moi dans cette maison, fit-elle d'une voixtremblante.

Durant toutes ces années, elle avait rêvé de rendrevisite à son père, mais il l'avait ignorée. Ensuite, à lafin de sa vie, il avait trouvé un moyen pour la forcer àrester un an, alors qu'il n'était plus là.

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Mais elle n'y était pas vraiment obligée. Dieu merci,il existait cette clause de garantie ! Luttant pour garderune voix ferme, elle dévisagea Wade. — Vous savez aussi bien que moi que cela ne fonc-tionnera jamais. Mon séjour ici serait pénible pourtous les deux. Pourquoi n'utilisez-vous pas cette clause ?Vous nous épargnerez ainsi bien des difficultés.— Jamais de la vie.— Mais...Les yeux bleus de Wade fixèrent les siens.— J'ai respecté Reese de son vivant, et j'entendsrespecter sa volonté après... son départ.Il semblait incapable de prononcer le mot «mort».Sa mâchoire se crispa.— Quant à moi, reprit-il, je me moque éperdumentde ce que vous ferez. Vous pouvez rester ou partir àvotre guise. Mais si vous voulez toucher l'allocationmensuelle ou votre part du ranch dans un an, vous res-terez ici. Ce sont vos deux seules possibilités.Certainement pas, songea la jeune fille, qui s'immo-bilisa soudain. Une idée merveilleuse venait de germerdans son esprit.Oh non, monsieur Barclay! pensa-t-elle. Ce ne sontpas les seules possibilités. Loin de là !Tout à coup, une alternative se faisait jour, un nou-veau plan qui ne pouvait pas échouer, mais elle nevoulait pas en parler à Wade. Il comprendrait bienassez vite.Elle se détourna de lui pour s'adresser au notaire.Cette fois, elle se montra froide, polie.— Merci de m'avoir consacré votre temps et dem'avoir tout expliqué dans les détails, monsieurMcCain. Ce sera tout... pour aujourd'hui.Elle le raccompagna. Ensuite, elle remarqua queWade s'était retiré dans le bureau. Elle le rejoignit et levit ouvrir un grand registre relié de cuir.— Qu'est-ce que c'est?— Les comptes du ranch, répondit-il froidement,sans lever les yeux.Elle s'approcha avec une grâce féline.

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— J'aimerais en prendre connaissance, quand vousaurez terminé, déclara-t-elle d'un ton posé.Il la regarda enfin, les sourcils arqués. Elle semblaitsi belle, si innocente... Mais il n'était pas dupe. Ellemijotait quelque chose.— Dites-moi, que connaissez-vous à la comptabilité,mademoiselle Summers ?— Il se trouve que j'ai fait mes études dans l'une desmeilleures institutions pour jeunes filles. J'y ai reçuune excellente éducation, et j'étais particulièrementdouée en arithmétique.Caitlin s'approcha, posa la main sur le registre et sepencha vers Wade :— Je considère que, en tant que copropriétaire del'exploitation, je me dois de connaître tous les aspectsde l'activité d'élevage. J'ai décidé de commencer parl'aspect financier. Ensuite, il faudra que j'interroge tousles hommes qui travaillent ici.— Interroger les hommes ? répéta-t-il d'un air aba-sourdi qui la fit presque sourire. Pourquoi ?— Peut-être avons-nous trop d'employés par rapportà nos besoins réels. Peut-être pourrions-nous faire deséconomies. De plus, certains d'entre eux ne travaillentsans doute pas autant qu'ils le devraient. (Elle haussales épaules.) Qui sait ce que je vais découvrir ? Il y a tou-jours moyen de s'améliorer. Telle est ma devise.— Cela m'étonnerait.— Mettriez-vous ma parole en doute, monsieurBarclay?Il referma brusquement le registre et se leva d'unbond.— Cela ne fonctionnera pas, décréta-t-il, la domi-nant de sa hauteur.— Quoi donc?Elle dut résister à l'envie de reculer. Il était tropgrand, trop imposant.— Vos manigances.Cette fois, elle lui adressa un sourire mielleux.— Vous ignorez tout de mes projets, murmura-t-elle.

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Il décela une lueur déterminée dans son regard vert,juste avant qu'elle ne tourne les talons pour gagner laporte. Wade se sentit envahi d'une sourde appréhen-sion. En la regardant s'éloigner, il ne put s'empêcherd'admirer le doux balancement de ses hanches. Ellemijotait quelque chose qui n'allait certainement pas luiplaire, mais quoi?

Il prit son registre, mais le reposa aussitôt. Nerveux,il s'approcha de la fenêtre et contempla la vallée.

Le spectacle de ces terres familières l'apaisa un peu.Ce ranch qu'il aimait tant, avec sa flore, ses couchersde soleil, ses montagnes au loin, était tout pour Reese.Et il était tout pour Wade. Son frère Nick avait l'âmed'un vagabond, incapable de se poser. Clint avaittrouvé sa voie en devenant juriste à la ville. Tous deuxaimaient Cloud Ranch, mais pas autant que Wade. Ases yeux, il n'y avait rien de plus beau sur terre que cecoin du Wyoming.

Et voilà qu'une pimbêche, incapable de discerner lavaleur de son héritage, venait lui gâcher la vie ! Tout cequ'elle voulait, c'était vendre sa part comme un vul-gaire paquet et rentrer chez elle.

Pourquoi Reese avait-il tant tenu à la faire venir?Tout à ses pensées, il vit une biche s'enfuir dans les bois.L'ancienne épouse de Reese n'aimait pas cet endroit etlui avait brisé le cœur. Sa fille était tout aussi malfai-sante.

Peut-être devrais-je la laisser partir ? se dit-il.Le vent se leva et s'engouffra dans la pièce, faisant

bruisser les feuilles du registre. Wade sourit.Ne t'en fais pas, Reese. Je ne le ferai pas. Elle aura

beau pleurer, supplier, crier, menacer ou essayer dem'acheter, je ne céderai pas. Je t'ai fait une promesseet je la tiendrai...

Mais cette promesse de s'occuper de Caitlin neserait pas une sinécure. Cette année s'annonçait bienlongue.

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Ce soir-là, en se rendant dans le baraquement desouvriers pour jouer au poker avec Rooster, Baldy etquelques autres, Wade trouva ses employés en train deparier sur la durée du séjour de la nouvelle proprié-taire du ranch.

— Moi, je lui donne une semaine ! lança Miguel, unséduisant Mexicain, en posant un billet sur la pile.

— Mais non ! Elle ne restera pas une journée de plus,assura Rooster en ajoutant deux pièces en argent.Demain, à l'heure du souper, elle sera partie. J'ai bienvu sa tête quand elle est arrivée, trempée jusqu'aux os.Cette fille-là n'est pas faite pour vivre à la campagne.Elle est plutôt du genre à fréquenter les salons, lesdîners en ville. Croyez-moi, elle sera partie dès demain.

— C'est tout de même la fille de Reese, intervintBaldy en posant ses yeux vitreux sur chacun deshommes présents. Elle doit être entêtée, en dépit deson éducation. Moi, je parie qu'elle va rester au moinsune dizaine de jours. Ensuite... (Il cracha la fumée deson cigare.) Elle prendra ses jambes à son cou.

— J'espère qu'elle va rester, déclara Jake Youngavec un soupir.

C'était le dernier arrivé des cow-boys, un jeunehomme très doué au lasso.

— C'est une sacrée jolie fille, reprit-il. Elle est bienplus belle que les filles de chez Dixie, à Laramie.

— On dirait qu'il est amoureux ! railla Miguel.Wade rejoignit les autres, qui riaient du trouble du

jeune cow-boy.

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— Eh bien, peut-être. En tout cas, si Mlle Summersest toujours dans les parages au moment du bal deCrooked T, je lui proposerais bien d'être son cavalier,se vanta Jake.

— Tu risques de devoir faire la queue, mon vieux,prévint Dirk Watkins, qui avait parcouru du pays avantde se fixer au ranch. Il se peut qu'un autre l'inviteavant toi.

Wade fronça les sourcils.— C'est une jolie fille, mais elle a un cœur de pierre,

grommela-t-il. Pour ma part, je préfère les femmes plusdouces.

— Comme Luanne Porter, par exemple ? fit Roosterd'un air entendu. Combien de fois as-tu dîné chez elle,la semaine dernière ?

— Mêle-toi de tes affaires.— Elle me semble très douce, à moi, murmura

Dirk.— Qui? demanda Jake.— Mlle Summers, répondit l'ancien vagabond, le

regard sombre dans la lueur dorée. A mon avis, elle estpleine de douceur...

Wade crispa la mâchoire. S'il entendait un mot deplus sur Caitlin, il risquait de s'énerver.

— Alors, on la commence, cette partie de poker ?

Derrière la fenêtre, Caitlin contemplait les étoiles,faisant de son mieux pour chasser Wade Barclay de sonesprit. Peu avant minuit, elle quitta sa chambre, serrantun châle sur ses épaules. Elle sortit par la porte de lacuisine et se dirigea vers la rivière, qui coulait à unecinquantaine de mètres derrière le baraquement desouvriers. Perdue dans ses pensées, elle s'assit sur untronc d'arbre, dans une clairière, et contempla le rubanscintillant au clair de lune, en écoutant les grenouilles.

— Vous allez voir, je vais mettre votre ténacité àrude épreuve, Wade Barclay, marmonna-t-elle pourelle-même.

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Sentant un contact froid et humide sur sa main, elleretint son souffle. Deux yeux brillants la fixaient. Unequeue remua dans la pénombre.

— Dawg... fit-elle avec un soupir de soulage-ment.

Elle le laissa renifler sa main. Ravi, le chien battit laqueue de plus belle. Caitlin le caressa derrière lesoreilles.

— J'ai l'impression que tu es le seul ami qui me restesur cette terre, dit-elle en souriant, tandis qu'il luiléchait le bout des doigts. Mais ce n'est pas grave. Iln'est pas toujours facile de se faire des amis, de vraisamis, n'est-ce pas ? Les apparences sont souvent trom-peuses...

— Vous parlez toute seule ?Relevant vivement la tête, elle écarquilla les yeux en

découvrant la présence de Wade. La lune scintillaitdans ses cheveux de jais. Mais rien n'aurait pu atté-nuer la lueur glaciale de son regard.

— Que faites-vous ici? Vous m'avez fait une peurbleue !

Elle fut contrariée de voir le chien l'abandonner etaller quémander les caresses de son maître.

— Vous ne me donnez pas l'impression d'une femmequi prend peur facilement. Enfin, vous avez des airs dejeune fille sage et douce, mais j'ai pu constater quevous êtes plus dure qu'il n'y paraît.

Il s'avança lentement. Soudain, Caitlin se sentit trèsvulnérable. Wade était si fort, si imposant. Il était cer-tainement capable de tout.

— Je prends cela comme un compliment, répliqua-t-elle, un peu oppressée. Même si vous ne cherchiez pasà me flatter.

Elle décela une lueur particulière dans son regard. Ilhaussa les épaules.

— N'en soyez pas si sûre, princesse. Je ne vousapprécie guère, c'est vrai, mais je vous l'accorde, vousne vous laissez pas faire.

Il s'arrêta tout près d'elle. Trop près. Elle voulutreculer, mettre de la distance entre eux, car sa présence

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semblait emplir la clairière. Mais elle ne parvenait pasà arracher son regard de son visage tendu.— Vous m'avez dit que vous ne pleuriez jamais, nevous évanouissiez jamais et, jusqu'à présent, vous nem'avez pas menti.Il la toisa ouvertement, scrutant le châle posé sur sesépaules, ses lèvres entrouvertes, le mouvement régu-lier de son souffle qui soulevait sa poitrine.— Vous avez reçu un grand choc, mais vous aveztenu le coup, je l'admets.> — J'ai l'habitude de me battre pour obtenir ce que jeveux, si c'est ce que vous voulez dire. Quels que soientles moyens pour y parvenir, ajouta-t-elle vivement ensongeant à Dominic Trent, gisant dans une mare desang, lorsqu'elle avait été forcée de le frapper à l'aided'un bougeoir.Le chien trottina en direction du baraquement. Lajeune fille resta seule avec Wade, dans la clairière bai-gnée d'une brume féerique au clair de lune.— Cela signifie sans doute que nous nous trouvonsdans deux camps opposés, conclut-elle d'un air de défi.Elle voulut s'en aller, mais il la retint par le bras.— Nous ne sommes pas obligés d'en arriver là,déclara-t-il. Vous ne remporterez pas cette bataille, carj'ai donné ma parole à Reese. S'il y a une chose quevous devez savoir à mon propos, c'est que je n'ai qu'uneparole.Caitlin se rappela soudain la voix grave et tristed'Alec Ballantree :— Il m'est pénible de revenir sur ma parole, mais jene puis vous épouser, Caitlin. Ce n'est plus possible...Un homme de parole? Bah! Elle n'y croyait plus.— Vous changerez d'avis, quand il sera de votreintérêt de le faire, affirma-t-elle d'un ton glacial.— Non, répliqua-t-il fermement. Vous perdez votretemps à lutter. Autant accepter les termes du contrat etessayer de...Elle dégagea son bras.— J'ai une sœur de onze ans, monsieur Barclay. Jesuis responsable de son éducation, désormais. Vous

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l'ignorez peut-être, mais elle n'a plus que moi. Nosparents sont morts il y a peu.Elle avait employé ce terme à dessein, pour lui fairecomprendre qu'elle ne considérait pas Reese commeson père. Wade parut surpris.— Je crois avoir entendu parler d'un naufrage...Mais j'ignorais que vous aviez une sœur.— Vous ne savez rien de ma vie, ni de moi, monsieurBarclay. Vous croyez savoir, mais vous vous trompez.— Ce que je sais, c'est que lorsque Reese, votre père,vous a demandé de venir à son chevet, vous lui aveztourné le dos.— Sa lettre est arrivée le jour où j'ai appris que mamère et Gillis avaient péri en mer ! s'exclama-t-elle. Jen'aurais pas pu venir, même si je l'avais voulu.Il sembla sidéré. Pendant un moment, il ne dit rien.Seules les grenouilles rompaient le silence. La jeunefille retint son souffle.— Je rentre, annonça-t-elle. Demain à la premièreheure, je commencerai mes entretiens avec les hommes.Je verrai ainsi s'ils me conviennent. Ensuite, nous véri-fierons ensemble les registres. Tous. J'ai déjà dénombrétrois erreurs dans les comptes de février. Il manquetrente-sept cents.Wade plissa les paupières.— C'est impossible. J'ai vérifié tous les calculs. Iln'y a pas la moindre erreur.— Vous êtes prêt à parier ?Soudain, les yeux du jeune homme se mirent à scin-tiller.— Bien sûr. Combien ?— Comment?— Combien d'argent ?Caitlin hésita. Il ne lui restait que douze dollars etquarante-sept cents dans son réticule. Elle était cer-taine d'avoir raison, mais elle ne pouvait se permettrede prendre le moindre risque.— L'argent, c'est trop ennuyeux, fit-elle avec mépris.Parions quelque chose de plus intéressant.

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— Ah oui? Qu'est-ce qui peut donc être plus inté-ressant que l'argent, à vos yeux?Sa question était teintée d'une note moqueuse, d'undéfi tacite.— Si j'ai raison, vous me rachetez ma part du ranchsur-le-champ, proposa-t-elle.Il esquissa un sourire. — Non. Désolé, princesse, mais cette clause ducontrat est intouchable.— Alors... (Elle prit une profonde inspiration.) Sij'ai raison, vous me donnerez deux mois d'avance surmon allocation.Cette somme lui permettrait de régler la pension deBecky, de lui envoyer de l'argent de poche, et il lui res-terait suffisamment pour payer les domestiques.Wade se demanda pourquoi elle proposait cet enjeu,alors qu'elle avait sans doute hérité d'une fortune dansl'Est.— Très bien. Marché conclu.Il ne put s'empêcher de remarquer le charmant sou-rire qui naquit sur ses lèvres. Elle était très attirante auclair de lune, délicate et tentante. — Qu'est-ce que je gagne, si j'ai raison? s'enquit-il.— Je promets de ne congédier aucun de vos hommes,répondit-elle en hochant la tête. C'est un marché équi-table.Il fut sur le point de lui signaler qu'il ne toléreraitaucun renvoi parmi son personnel, car il avait besoinde tous ses hommes. Ils avaient été triés sur le volet etformaient une équipe très efficace. Chacun avait saspécialité, qui le rendait indispensable.Il lui prit les mains.— Peut-être devrions-nous laisser les hommes endehors de tout cela. Ce pari doit rester entre vous et moi.— Vous... et moi?Soudain, elle se sentit légère comme une plume. Lecontact de ses mains lui faisait perdre la tête.— Je ne comprends pas, murmura-t-elle. Que pour-rions-nous... parier entre nous?

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— Je pense que nous devrions trouver quelquechose.Wade se rendait à peine compte de ce qu'il disait. Ilse sentait noyé dans ses yeux verts. Pour une fois, sescheveux blonds n'étaient pas relevés en un chignonstrict, mais cascadaient librement sur ses épaules. Il eutenvie de les caresser, pour vérifier s'ils étaient aussidoux qu'ils en avaient l'air. Et sa bouche...— Nous pourrions parier un baiser, suggéra-t-ild'une voix rauque.Ces paroles avaient surgi d'elles-mêmes, sans douteparce qu'il était en train de contempler sa bouche.Mais il sentit sous ses mains le frisson de panique dela jeune fille.— Certainement pas !Affolée, elle voulut reculer. Il la retint.— Allons, ne jouez pas les mijaurées avec moi, prin-cesse. Je plaisantais, c'est tout.Était-ce vraiment le cas? Lui-même n'en était pascertain. Il lut le doute et le soupçon dans son regard. Ill'avait vraiment effrayée.— Et si j'ai raison, si le registre ne comporteaucune erreur, vous laisserez vos beaux cheveux déta-chés pendant une semaine. Comme ils sont mainte-nant.Caitlin le fixait, abasourdie.— Pourquoi vous souciez-vous de la façon...— Soit vous pariez, soit vous refusez, princesse,coupa-t-il doucement, sans se rendre compte qu'il laserrait plus fort.Il fut soudain assailli par une envie irrépressible del'embrasser, et eut toutes les peines du monde à résis-ter. Il n'aimait pas cette pimbêche. Mais sa bouchepulpeuse lui faisait perdre la raison. Il se pencha len-tement vers elle...Caitlin s'écarta en étouffant un cri.— Non!Le souffle court, elle avait les yeux écarquillés d'ef-froi, comme si elle le croyait capable de se jeter surelle pour la violer.

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— Attendez, dit-il. Je ne vais pas vous faire de mal...— Vous avez essayé de m'embrasser !— Pourquoi diable ferais-je une chose pareille ?— A vous de me l'expliquer!Le problème, c'était qu'il en était incapable. Il igno-rait pourquoi il avait agi de la sorte. Il savait simple-ment que c'était une grossière erreur. Aussi fit-il lapremière chose qui lui vint à l'esprit : il changea desujet.— Écoutez, j'ai besoin de dormir. Réglons cetteaffaire de pari et vérifions les registres dès ce soir.— D... d'accord, répondit-elle, hésitante.S'était-elle méprise ? Peut-être n'avait-il pas cherchéà l'embrasser, finalement... Elle n'en était plus trèssûre.— Mais je vous préviens, reprit-elle, tenez-vous àdistance.— Avec plaisir, marmonna-t-il. Alors, qu'est-ce queje gagne ?Caitlin réfléchit désespérément. Pourquoi permet-tait-elle à cet homme de la déstabiliser à ce point ?— Je vous préparerai un gâteau, dit-elle enfin, ser-rant son châle sur ses épaules.— Vous savez faire la cuisine ?— Vous verrez bien... si vous gagnez! lança-t-ellepar-dessus son épaule en s'éloignant vers le ranch.— Quel genre de gâteau? demanda-t-il en luiemboîtant le pas.— Une tarte au poison.Il s'esclaffa. Elle faillit sourire, mais se ravisa ensongeant combien il lui était antipathique.— Alors, vous acceptez ces conditions ?— Bien sûr, princesse.Il la rattrapa de justesse par le bras, au moment oùelle trébuchait sur une racine.— Je sens déjà le goût de ce délicieux gâteau...Dans le bureau, Wade alluma la lampe et sortit lesregistres, qu'il posa sur le bureau.— Très bien, allez-y. Montrez-moi ces prétendueserreurs.

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Caitlin se mit à feuilleter un imposant volume, levisage déterminé dans la lueur dorée.— Voilà, fit-elle, triomphante, en pointant un indexau bas d'une page. Et il y en a une autre ici.Wade se pencha par-dessus son épaule, effleurant sescheveux soyeux. Un doux parfum de violette lui cha-touilla les narines.— Et encore une autre !Il dut se forcer pour se concentrer sur les chiffres,mais c'était difficile en présence d'une créature sienvoûtante. Aussi saisit-il le registre, afin d'aller l'exa-miner à l'autre extrémité de la pièce. Ayant mis unecertaine distance entre lui et Caitlin, il eut soudain lesidées plus claires. Il vit alors à quoi la jeune fille faisaitallusion. Fixant les colonnes de chiffres, il refit les cal-culs, puis une fois encore.— Nom d'un chien...Elle ne s'était pas trompée.— Je vous l'avais bien dit! lança-t-elle en battantdes mains.Visiblement agacé, Wade fronça les sourcils.— Bon... j'accepte que vous me remettiez mes deuxmois d'allocation demain, à la première heure,déclara-t-elle d'un ton hautain. Quand j'aurai inter-rogé les hommes.— Vous pouvez oublier ce projet, rétorqua-t-il, lamine grave, en posant le registre. S'il vous prend l'idéesaugrenue de congédier l'un d'entre eux, je le réenga-gerai sur-le-champ.Ce fut au tour de la jeune fille de plisser les yeux.— C'est ce que nous verrons, monsieur Barclay.Nous possédons des parts égales. J'ai autant mon motà dire que vous sur la question. Si je veux renvoyer unhomme, je le ferai.— Vous vouliez me renvoyer hier, moi aussi. Vousvous rappelez ?Caitlin serra les dents. Il s'était bien moqué d'elle.Jamais elle n'aurait pu imaginer que ce régisseur impoliet arrogant posséderait une part égale à la sienne. Etque son père le considérait comme son propre fils.

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— Dommage que je ne puisse vous congédier, mar-monna-t-elle en se dirigeant vers la porte. — Si vous trouvez d'autres erreurs dans les comptes,n'hésitez pas à me les signaler ! lança-t-il. Je peux voussortir les registres du dernier trimestre, si vous voulezy jeter un coup d'œil. — C'est peut-être ce que je vais faire. Voyez-vous, jene fais que manifester un intérêt actif pour ce ranch...mon ranch, précisa-t-elle.— Reese serait ravi de vous voir impliquée dans uneexploitation qu'il a mis plus de vingt ans à bâtir, à lasueur de son front. Malheureusement, vous n'avez dai-gné y mettre les pieds qu'après sa mort.Aussitôt, un silence pesant s'installa dans la pièce. Ilvit son visage s'assombrir, et ses mains agripper lesplis de sa robe.— Vous êtes... odieux, monsieur Barclay, énonça-t-elle enfin.Ignorait-il donc à quel point Reese l'avait rejetée?Qu'il n'avait jamais répondu à aucune de ses lettres ?Qu'il ne l'avait pas invitée à lui rendre visite ? Jamaiselle ne lui ferait part de cette terrible humiliation. D'au-tant plus que son père avait élevé les frères Barclaycomme ses fils.— Dans ma vie, j'ai rencontré mon compted'hommes odieux.Sur ces mots, elle tourna les talons et quitta lebureau, sans laisser à Wade le temps de répondre.Après son départ, il alla se servir un verre de whisky,qu'il but d'un trait.J'ai rencontré mon compte d'hommes odieux.Il songea à l'amertume qu'il avait lue sur son visage,tandis qu'elle prononçait cette phrase.Puis il se rappela une autre de ses paroles, lors-qu'elle avait évoqué sa sœur :— Vous ne savez rien de ma vie, monsieur Barclay.Vous croyez savoir, mais vous vous trompez.Il s'en voulut de s'attendrir sur cette beauté éblouis-sante, qui avait négligé Reese pendant dix-huit ans, puisavait essayé de pousser le notaire à modifier le testa-

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ment. De plus, elle mijotait sans doute quelque chose.Pourquoi vérifiait-elle les comptes ? Pourquoi interro-gerait-elle les hommes ? Il n'y voyait pas l'intérêt, maisson comportement commençait à lui taper sur lesnerfs.

Pense à autre chose, se dit-il. A Luanne, par exemple.Luanne Porter, l'institutrice fraîchement débarquée

de Saint Louis pour enseigner à l'école de Hope, avaitles cheveux roux, le visage parsemé de taches de rous-seur, et un sourire chaleureux. Elle vivait tout près duranch, chez son oncle et sa tante. Depuis la mort deReese, elle l'avait souvent invité à dîner, et lui appor-tait régulièrement tartes et gâteaux. Elle s'était effor-cée de lui remonter le moral. Ses baisers avaient faitdu bien à Wade. De doux baisers au goût de vanille...

Clint et Nick taquinaient leur aîné, en affirmantqu'ils se marieraient dans l'année. Mais Wade n'étaitpas de cet avis. Il n'était nullement pressé de convoler,même si cela faisait partie de ses projets. Il verrait plustard. Malgré les attentions de Luanne, il avait pris soinde ne pas se montrer trop encourageant. Il y avait biendes jolies filles, au saloon, qui aimaient le provoquer,s'asseoir sur ses genoux et l'inviter à monter dans unechambre tapissée de rouge et or. Il n'avait pas encoreeu le temps de faire la connaissance de toutes. Pour-tant, un jour, il savait qu'il se marierait avec une filletelle que Luanne, une fille douce, facile à vivre, quirendrait sa vie paisible et agréable comme une bonnepartie de pêche.

En tout cas, il ne tomberait jamais amoureux. Plutôtmourir. Wade avait vu Reese souffrir à cause de Lydia,il avait vu son cœur saigner de nombreuses années. Al'âge de quatorze ans, il s'était juré de ne jamais accor-der à une femme un tel pouvoir sur lui. Jamais unefemme ne lui manquerait comme Lydia avait manquéà Reese.

Lydia Summers lui avait brisé le cœur, et Reesen'avait cessé de l'aimer. Il ne s'était pas remarié, n'avaitjamais courtisé une autre femme, même s'il invitait detemps à autre Winifred Dale à danser, ou s'il passait

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parfois la nuit avec une fille du saloon. Non, Reese nes'était pas remis de son amour pour Lydia.

Et Wade ne commettrait pas la même erreur.Pense à Luanne ! se dit-il.Il s'efforça d'imaginer son visage, mais il lui apparut

un peu flou. Ce devait être le whisky. Il alla se coucher,en se demandant si les baisers de Caitlin auraient ungoût de violette.

Au même moment, Caitlin Summers occupait lespensées d'un autre homme. Il rêvait de ses baisers, deses soupirs.

Dans son manoir de Philadelphie, Dominic Trent mar-chait de long en large dans son vaste salon, grimaçant àchaque pas. Il finit par s'écrouler sur le divan de veloursvert, et appuya ses épaules puissantes sur les coussinsmoelleux. La pièce était plongée dans la pénombre. Seulle lustre du vestibule éclairait faiblement le salon riche-ment meublé.

Trent se servit un nouveau cognac. La carafe étaitdéjà presque vide. Il avala une longue gorgée du liquideambré.

Il ferma les yeux et s'installa plus confortablement,imaginant le visage de la jeune fille blonde, qu'il neparvenait pas à oublier. Une douleur lui transperçait latête, aussi forte que l'alcool qui tournoyait dans sonverre. Son pansement avait disparu depuis longtemps.Il n'avait plus de bosse, mais la souffrance était tou-jours présente. Et elle ne disparaîtrait pas, tant que lafemme qui la lui avait infligée ne serait pas sous sonemprise.

IÎ avait désiré Caitlin Summers à la seconde où ill'avait aperçue, à l'opéra, le soir de son entrée dansle monde. Quand il avait essayé de la courtiser de lamanière habituelle, elle l'avait repoussé. Elle avait unemain de fer dans un gant de velours, en dépit de sesairs de jeune fille sage. Ce qui ne la rendait que plusséduisante à ses yeux. Cette résistance avait sans douteété une stratégie. Au fond d'elle-même, elle voulait uni-

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quement le tourmenter, l'ensorceler, sachant que cettefroideur aurait pour effet d'attiser son désir.

Trent avait l'âme d'un chasseur. Autrefois, il avaitvoyagé dans l'Ouest et chassé le cerf, l'ours brun et lebuffle, en compagnie des meilleurs guides de la région.A la mort de son père, il était revenu à la civilisationpour reprendre le chantier naval familial, mais iln'avait jamais perdu sa fascination pour l'aventure.Dès le premier regard, Caitlin Summers lui avaitsemblé la proie idéale. Elle était belle, indépendante,élégante... avec la grâce d'une biche.

Toutefois, il n'avait pas prévu que sa proie le blesse-rait. Le soir où il avait cru la tenir entre ses griffes, dansce même salon, sans personne pour venir à son secours,il n'aurait jamais imaginé qu'elle le frapperait avec unetelle violence. Elle avait failli le tuer. Il lui en restaitune douleur lancinante et chronique. Les médecinsaffirmaient qu'elle ne disparaîtrait peut-être jamais.

Elle allait le lui payer. Au prix fort.Caitlin croyait peut-être lui avoir échappé, mais elle

apprendrait vite qu'il était impossible d'échapper àDominic Trent. Quand il l'aurait dans ses filets, ceserait la seule leçon qu'il lui donnerait.

Et je t'aurai, douce Caitlin... songea-t-il en se levantpour gagner le vestibule.

— Thomas ! appela-t-il d'une voix posée, mais teintéede menace. La femme de chambre qui a fait le ménagedans mes appartements doit être congédiée. Elle acassé un verre et renversé du Champagne sur le tapis.

— En effet, monsieur. Une regrettable erreur. Maiselle est nouvelle et...

— Congédiez-la.— Bien, monsieur, fit le majordome en s'inclinant.

Désirez-vous autre chose ?— Dites à Forbes de préparer la calèche pour

demain matin, huit heures précises.— Bien, monsieur.— Il devra connaître l'itinéraire menant à ma desti-

nation.

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— Bien sûr, monsieur. Où souhaitez-vous vousrendre ?Dominic Trent se dirigea vers un fauteuil, le visagecrispé de douleur. Puis il déclara avec un plaisir nondissimulé :— Un endroit crucial pour mon avenir : le pension-nat pour jeunes filles de Davenport.

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Finalement, Caitlin fut incapable de congédier unseul des ouvriers travaillant au ranch. Ni Rooster, quirougissait sans cesse et claudiquait, ni Jake Young,dont les grands yeux noisette et les traits fins lui rappe-laient un portrait de Billy the Kid qu'elle avait vu surla couverture d'un livre. Miguel avait un sourire radieuxet des manières irréprochables. Dirk Watkins arboraitune moustache noire, d'élégants vêtements noirs, unfouloir en soie assorti. Elle ne pouvait non plus ren-voyer le vieux Baldy, avec sa peau tannée, ses yeuxvitreux, ses mains calleuses après des années de labeuren plein soleil. Il avait déclaré à la jeune fille êtreemployé de son père depuis le début.

Caitlin était incapable de faire une chose pareille.Plus tard, toutefois, en se rendant en ville avec Roos-

ter, coiffée d'une capeline en mousseline pour se proté-ger des rayons brûlants, elle élabora un autre plan. Elleétait impatiente de voir l'expression de Wade Barclay,quand elle serait parvenue à ses fins !

En attendant, elle ouvrit un compte à la banque, ydéposa ses deux mois d'allocation et envoya une partieà Philadelphie. Ensuite, elle se rendit chez Hicks, l'épi-cier, et fit la connaissance de Nell et de son père. Elleeut aussi une agréable conversation avec WinifredDale, qui triait le courrier au guichet de la poste.

Winifred examina l'enveloppe que lui tendit la jeunefille.

— « Mlle Rebecca Tamarlane, pensionnat pour jeunesfilles de Davenport. » Une amie à vous, je présume,mademoiselle Summers ?

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— Ce n'est pas une amie, c'est ma sœur. Ma demi-sœur, plus exactement.

Elle regarda Winifred déposer l'enveloppe dans unsac, espérant que Becky ne serait pas trop déçue enapprenant qu'elle ne reviendrait pas aussi vite queprévu. Toutefois, Caitlin ferait de son mieux pour nepas s'éterniser au ranch.

— Ah... Peut-être viendra-t-elle vous rendre visite àCloud Ranch? suggéra Mlle Dale avec un sourire.

— Non. Jamais je ne ferais faire à Becky un aussilong voyage, pour venir dans ces contrées sauvages...enfin, si loin de chez elle, balbutia-t-elle. De plus, je neresterai pas assez longtemps pour recevoir des visites.

— Vraiment? fit Winifred, l'air inquiet. Mais... letestament ? Je suppose que vous êtes au courant, main-tenant...

— Oui, et j'ai l'impression que toute la ville en saitautant que moi, commenta Caitlin en cherchant à dis-simuler son irritation. Comment se fait-il que tout lemonde soit au courant de mes affaires personnelles?

Winifred rougit légèrement.— C'est une petite ville, vous savez. Les nouvelles

vont vite et les secrets sont difficiles à garder. Surtoutentre amis.

Elle remonta ses fines lunettes et regarda la jeunefille droit dans les yeux :

— Votre père m'a annoncé que vous alliez venir,par exemple.

— Vraiment?— Je lui ai rendu visite, quelques jours avant sa

mort. Il m'a appris qu'il vous léguait une part du ranch.Et qu'il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pourvous encourager à vous installer ici. Il m'a demandé...(Elle s'interrompit, les lèvres un peu tremblantes.) Ilm'a demandé de vous réserver le meilleur accueil.

— Je vois, murmura Caitlin en la scrutant. Vousdeviez être très proches...

— Oui, nous étions des amis très chers, avoua-t-elle,les yeux embués de larmes. Certes, il n'y avait rien deromantique, dans tout cela, rien de la sorte, ajouta-

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t-elle vivement. Tout le monde ici sait bien qu'il n'y ajamais eu d'autre femme que votre mère, dans le cœurde votre père. Il l'a aimée jusqu'au dernier jour desa vie.

Caitlin fut parcourue d'un frisson. Tout le mondeétait peut-être au courant, mais pas elle. Ainsi, Reeseaimait encore sa mère, même après son départ, et mal-gré son remariage ?

— Mais c'est du passé, reprit Winifred. Aujourd'hui,je suis contente de vous voir vous installer. Votre pèreen aurait été très heureux.

— Je n'imagine pas en quoi il s'en serait soucié.Caitlin se demanda amèrement pourquoi son père

avait cherché à faire croire à tout Hope qu'il tenait àsa fille. Elle n'en revenait pas qu'il se soit donné autantde peine !

— Je ne reste ici que parce que j'y suis obligée,expliqua-t-elle. Je n'ai aucune intention de m'attarderdans le Wyoming.

— J'espère sincèrement que vous changerez d'avis,affirma Mlle Dale en s'efforçant d'afficher un sourire.Bien sûr, je sais que Hope ne peut rivaliser avec Phila-delphie, mais c'est une ville qui se développe. Nousavons maintenant de nombreux commerces bien acha-landés, avec des marchandises de qualité. Chez Hicks,par exemple, on trouve de tout. Grâce à Nell. Cela faitdes années qu'elle tient la boutique. Depuis la findes problèmes, l'an dernier, de nouveaux habitantssont venus s'installer ici. Nous avons même un stand detir et...

— Des problèmes ? Quels problèmes ?Winifred remonta ses lunettes.— Eh bien, la bande de Campbell. Ils terrorisaient

la ville. Ils ont tué ce pauvre shérif Owen et ont faillienlever Nell Hicks !

Elle se tut en voyant entrer Edna Weaver, qui portaitun panier plein de lettres à poster. Celle-ci salua cha-leureusement Caitlin. Quand Winifred lui expliqua cedont elle parlait à la jeune fille, la femme du banquierhocha vigoureusement la tête.

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— Oh oui ! Hope est bien plus sûre et plus agréable,aujourd'hui. C'est grâce à Quinn Lassiter et les autres,y compris Seth, mon mari. Ils se sont unis pour nousdébarrasser des Campbell une fois pour toutes. Sinon,Dieu sait ce qui serait arrivé ! Hope serait devenue uneville fantôme. Pendant les troubles, de nombreusesfamilles ont fui. Même Winifred est allée vivre chez sasœur, dans l'Iowa, jusqu'à ce que le calme soit revenu.

— C'était effrayant, approuva Mlle Dale. Le mari dema sœur est tombé malade, et elle avait besoin d'aideà la ferme. Le moment était tout choisi. Mais j'ai étébien soulagé d'apprendre que la bande avait cessé desévir. A mon retour, j'ai retrouvé notre petite ville tellequ'elle était auparavant. Nous avons même une biblio-thèque, à présent !

Mais Caitlin l'écoutait à peine. Elle songeait à labande de Campbell et aux horreurs qu'elle avait enten-dues à son sujet. Il était hors de question qu'elle fassevenir Becky dans une ville où il pouvait se passer detelles atrocités.

Les paroles d'Edna achevèrent de la convaincre :— Oui. Il reste encore un petit souci avec les voleurs

de bétail qui sillonnent les ranchs, mais ce n'est rien,comparé à la bande de Campbell.

— Des voleurs de bétail? répéta Caitlin en écar-quillant les yeux. Mon père tenait donc à ce que je viveà la merci des voleurs de bétail ?

— Mon Dieu, non ! Ce n'est pas si méchant, fit Ednaavec un geste désinvolte. Ils opèrent surtout de nuit, etne tirent que si on vient les déranger. Vous ne risquezrien, je vous assure. Wade ne vous a pas déconseillé devous aventurer dehors, à la nuit tombée ?

— M. Barclay serait trop content que je me fassetirer dessus par quelque brigand !

— Mais non ! Voyons ! s'exclama Edna.Winifred semblait abasourdie.— Vous l'avez mal jugé, ma chère. Wade est l'un

des hommes les plus honorables de la région. De toutle pays, même. Et il était dévoué à Reese.

Elle secoua doucement la tête.

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— Jamais il ne vous souhaiterait le moindre mal,ajouta-t-elle.Il changera d'avis quand j'aurai mis mon plan à exé-cution, songea Caitlin.Mais elle ne pouvait révéler aux deux femmes cequ'elle avait en tête pour l'ignoble régisseur de CloudRanch. Elle les salua donc et tourna les talons. Aumoment où elle s'éloignait, la porte s'ouvrit sur unejolie rousse, portant une robe de calicot jaune pâle.— Tiens, bonjour, Luanne ! Quel plaisir de vous voir !lança Edna.Elle attrapa Caitlin par le bras avant qu'elle n'aitfranchi le seuil :— Avez-vous fait la connaissance de Mlle Summers ?— Je n'ai pas eu ce plaisir.Edna fit les présentations, expliquant à Caitlin queLuanne était la nouvelle institutrice, et qu'elle venaitde Boston.— Elle a grandi dans l'Est, comme vous. Vous devezavoir de nombreux points communs, toutes les deux...conclut-elle.— Enchantée, murmura Caitlin.L'institutrice était jolie, avec son visage en forme decœur, ses cheveux ornés de petits rubans jaunes, sa sil-houette mince, mise en valeur par sa robe.— Je suis ravie de vous rencontrer, assura Luanneavec chaleur. Wade m'a raconté tous les préparatifs devotre venue.La jeune fille tressaillit.— Comment?— Oh, Wade et moi sommes très proches, fit l'institu-trice en rougissant. Il m'a dit que vous deviez arriver, etque tout le monde était un peu nerveux, à Cloud Ranch.— Je vois.Luanne sourit. Ses yeux noisette pétillaient.— Peut-être pourriez-vous venir dîner chez mononcle et ma tante, dimanche? Wade a déjà acceptél'invitation. Et peut-être... pourrions-nous en profiterpour organiser une fête ? J'avoue que les grandes soi-rées de l'Est me manquent un peu. Là-bas, les gens

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sont plus proches les uns des autres. Les maisons sontmoins isolées. Les mondanités ne vous manquent pas ?

— Je ne suis pas arrivée depuis assez longtemps pourque quoi que ce soit me manque, murmura Caitlin, sedemandant comment une personne aussi charmantepouvait supporter un homme aussi odieux que WadeBarclay.

Luanne se tournait déjà vers les deux autres femmes,emplie d'espoir.

— Voulez-vous vous joindre à nous ? M. Weaver estinvité aussi, bien sûr, dit-elle à Edna.

Avant que Caitlin ait le temps de réagir, la soirée étaitorganisée.

Elle quitta le bureau de poste un peu ahurie, maiselle se ressaisit et remonta la rue d'un pas vif. D'icidimanche, elle ne serait peut-être plus en mesure d'as-sister à ce dîner. Peut-être serait-elle en route pourPhiladelphie, après la vente de sa part du ranch !

Ce qu'elle était sur le point de faire pouvait résoudretous ses problèmes. Si elle s'y prenait bien.

Elle se dirigea vers le saloon d'un pas décidé.

— Que diable... ?Le lendemain matin, Caitlin venait de finir de bou-

tonner sa veste vert émeraude, quand le vacarmedémarra. Le cœur battant la chamade, elle se précipitaà la fenêtre et regarda vers l'enclos. Un petit grouped'hommes y était rassemblé. Wade, en train de sellerson cheval, le vieux Baldy, Jake Young, et cinq nou-veaux venus.

Ces derniers semblaient aussi menaçants que toutesles bandes qu'elle avait croisées lors de son voyage endiligence. En les regardant, le cœur de la jeune fille segonfla de fierté. Plusieurs d'entre eux se remettaientmanifestement d'une soirée trop arrosée. Ils étaient malrasés, sales, crottés. Ils n'avaient sans doute pas pris unbain depuis des semaines, voire des mois. Elle les avaittous trouvés au saloon de Hope - enfin, presque tous.Elle avait dû traverser la ville jusqu'à la maison close

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d'Opal, pour dénicher un borgne dénommé Otter Jones.Jamais elle n'avait croisé un regard aussi méchant. Deplus, elle avait entendu dire qu'il était capable de tuerpère et mère pour une bouteille de whisky.Caitlin sentit l'enthousiasme monter en elle. Surtoutquand elle vit le visage de Wade s'assombrir de colère.Elle descendit précipitamment les marches et courutvers l'enclos.— Vous pourriez peut-être m'expliquer, grommelaWade en la voyant arriver.— Qu'y a-t-il à expliquer? Vous venez de rencontrernos nouveaux cow-boys.Le regard qu'il lui lança avait de quoi glacer le sangdes plus coriaces. Ses jambes se mirent à trembler,mais elle prit appui sur un poteau, adoptant une pos-ture désinvolte. Elle lui sourit.— Je me suis dit que quelques employés supplé-mentaires permettraient de réaliser de meilleurs pro-fits. Il vous suffit de leur donner vos instructions, et jesuis sûre...— Dégagez.Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, Wades'adressa aux hommes :— Nous avons suffisamment de personnel à CloudRanch.Otter Jones lui jeta un regard furibond de son œilvalide.— C'est pas ce qu'a affirmé la dame. Elle a dit quevous nous paieriez pour réparer des clôtures et... euh...(Il se gratta la tête, cherchant à se souvenir.) Elle a ditque vous auriez besoin de cow-boys pour rassemblerles bêtes égarées pendant quelques jours.Un petit homme trapu, à la barbe hirsute qui lui cou-vrait tout le bas du visage, s'avança.— Et elle a dit qu'on toucherait trente dollars.Wade garda son calme.— Elle se trompe, déclara-t-il. Nous ne manquonspas de personnel.— C'est faux, protesta Caitlin. J'ai engagé ceshommes. Vous devez leur donner du travail et les payer.

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— Ouais, la dame a raison, lança Otter d'un airmenaçant. Elle a loué cette charrette et ces chevaux,pour nous amener jusqu'ici. Elle a dit qu'on aurait cha-cun notre cheval... (Il eut un hoquet et cracha à terre.)Et trente dollars. Je sais pas pour les autres, mais moi,Je pourrais m'acheter plein de bouteilles de whisky avectrente dollars, et quelques parties de jambes en l'airavec les filles de chez Opal. Je bougerai pas d'ici tantque j'aurai pas touché mes sous.

Les autres employés s'étaient approchés, pour voirce qui se passait. En entendant les paroles d'Otter, ilsse redressèrent, la mine grave.

— Mademoiselle, je crois que vous devriez rentrer àla maison, suggéra Jake Young à voix basse.

La main de Dirk glissa vers son revolver, mais il nedégaina pas.

Une tension palpable régnait autour de l'enclos.Caitlin n'avait pas prévu que la situation dégénérerait.Elle pensait que Wade s'en prendrait à elle, et non à cespauvres bougres. Et elle n'avait pas imaginé que leshommes seraient si contrariés de ne pas toucher l'ar-gent qu'elle leur avait promis. Le barman du saloon luiavait affirmé que c'étaient des ivrognes notoires, dou-blés de paresseux, qui acceptaient des emplois et ne seprésentaient même pas à leur poste. Peut-être leuravait-elle proposé une trop forte somme. Mais elleavait voulu s'assurer qu'ils viendraient. C'était le seulmoyen pour elle de contrarier Wade.

Malheureusement, ces hommes étaient sans douteprêts à se battre pour obtenir leur salaire.

— Vous recevrez tous vos trente dollars, intervint-elle vivement pour apaiser leur colère. C'est un regret-table malentendu, je...

— Il n'en est pas question, trancha Wade, le regardglacial. Ils auront deux dollars chacun pour le déplace-ment, ajouta-t-il en les dévisageant l'un après l'autre.Et un retour en ville en charrette.

— Enfer et damnation ! Tu pèux les garder, tes deuxdollars, Barclay! explosa Otter. Elle a dit trente, et jepartirai pas d'ici sans cette somme !

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— Moi non plus !— Moi non plus !Plusieurs autres s'avancèrent, menaçants.Soudain, Otter saisit Caitlin par le bras.— Sale petite menteuse !Il reçut le poing de Wade en plein visage et s'écrouladans la poussière.— Je commence à en avoir assez de toi, Jones, fit-ilfroidement. Présente tes excuses à la demoiselle, et va-t'en!— Des excuses ? Plutôt crever !Lançant une bordée de jurons, Jones voulut se rele-ver, mais Wade le projeta à terre. Le petit trapu s'enprit alors à Jake Young et lui assena un coup de poing.Le jeune homme riposta et lui fit faire un vol plané.Dirk dégaina. De même que Miguel et Rooster.— Qui veut refuser les deux dollars? s'enquit Dirkd'un ton traînant, en pointant son arme.Caitlin avala sa salive. Malgré le soleil qui dardaitses rayons brûlants, elle se sentait frigorifiée. Son stra-tagème ne visait qu'à agacer Wade, qu'à l'obliger àcongédier ces hommes, pas à provoquer une situationaussi périlleuse...— Bon, ça va. Ne nous énervons pas, grommela lepetit homme trapu. On s'en va.— On aura quand même nos deux dollars ? s'enquitun autre en écartant ses cheveux longs et sales de sonvisage.— Oui, répondit posément Wade. Si vous partezsans poser de problèmes.Il observa le groupe comme s'il comptait des poulesdans un poulailler. Puis il sortit d'une bourse une liassede billets. Sans un mot, chaque homme accepta l'ar-gent qui lui était remis, avant de s'éloigner vers la char-rette en grognant. Plusieurs adressèrent un regardvengeur à Caitlin.Enfin, Otter Jones parvint à se relever. Il tendit unemain pour recevoir son dû, mais Wade garda ses der-niers billets.— Demande pardon à la demoiselle.

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— Pas question, répondit-il en secouant la tête.Wade rempocha les billets. Otter Jones le fusilla duregard, puis il posa des yeux emplis de haine sur lajeune fille.— Désolé, m'dame, bredouilla-t-il à contrecœur.Comme promis, Wade lui remit l'argent.— Tu as intérêt à te tenir à distance de Mlle Sum-mers, prévint-il. Si tu ne veux pas avoir d'ennuis. — P't-être bien que oui, p't-être bien que non,grommela-t-il en se dirigeant vers la charrette.Humiliée, mal à l'aise, Caitlin s'approcha du régis-seur.— Je suis déso...Avant qu'elle puisse lui présenter ses excuses, Wadela prit par le bras et l'entraîna vers la grange.— Doucement, patron ! prévint Baldy, qui avait déjàvu cette expression sur le visage de Wade.Cette jeune fille n'allait pas s'en tirer à bon compte.Jake en était conscient, lui aussi.— Eh, patron, peut-être devriez-vous vous calmerun peu avant...— Tout le monde au travail ! coupa Wade à l'adressede ses ouvriers.Chacun savait qu'il valait mieux ne pas le contrarier,quand il était d'humeur massacrante. C'était un hommejuste, mais il piquait parfois des colères redoutables.— Je n'aimerais pas être à la place de cette fille,marmonna Dirk en montant à cheval.Les autres approuvèrent. Ils virent la porte de lagrange se refermer sur le régisseur et la fille de Reese.

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La grange était plongée dans la pénombre. Seulesdeux étroites ouvertures laissaient filtrer un peu delumière. Il flottait une odeur de foin.Caitlin se dégagea de l'emprise de Wade.— Comment osez-vous me traîner ici, comme unvulgaire sac de pommes de terre ?— Je ne traînerais pas un sac de pommes de terre.Je le porterais sur mon épaule. Peut-être aurais-je dûen faire autant avec vous ?— Essayez un peu, pour voir ! rétorqua Caitlin, unelueur de défi dans le regard.Les mains sur les hanches dans une posture provo-catrice, elle se moquait de dépasser les limites.— Posez la main sur moi, et vous le regretterez amè-rement, ajouta-t-elle. Le dernier homme qui a essayé...Elle s'interrompit et se mordit les lèvres. Pas ques-tion de parler de Dominic Trent au régisseur.— Il a sans doute reçu ce qu'il méritait, déclaraWade en la scrutant. Qu'a-t-il donc tenté de vous faire ?— Cela ne vous regarde en rien. Je voulais simple-ment vous mettre en garde, rien de plus. Cette histoiren'a pas d'importance.Caitlin respira profondément, pensant à Becky, laseule personne qui comptait à ses yeux.— Dites-moi plutôt pourquoi vous n'avez pas profitédes hommes que j'avais embauchés, reprit-elle.Mieux valait ne pas être sur la défensive. Elle devaitrevenir à son plan initial.— A mon avis, le ranch bénéficierait de...

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— Avec des irresponsables qui ne pensent qu'à leurprochaine bouteille de whisky? coupa-t-il. Vous leuravez proposé plus d'argent que mes employés n'engagnent en un mois. Vous cherchiez à provoquer desremous parmi mon personnel ?— En tant qu'associée, je suis en droit de... Oh!Il la saisit par le poignet et l'attira contre lui. Elle seretrouva plaquée contre son torse.— Vous savez ce qu'il vous faudrait ?Elle ne tenait pas à le savoir.— Ce qu'il me faudrait, c'est que vous me lâchiezsur-le-champ.— Non. Ce qu'il vous faut, c'est une bonne fessée,princesse.— Une fes... sée ?— Absolument, dit-il le plus sérieusement dumonde.Une lueur étrange dans son regard noua la gorge dela jeune fille.— Vous n'oseriez pas, fit-elle en tentant de se déga-ger de son emprise.Mais ses doigts la serrèrent plus fort.— Ne me poussez pas à bout, prévint-il doucement.Je sais ce que vous mijotez, mais cela ne fonctionnerapas. Je ne rachèterai pas votre part, pas avant un an.Même si vous me menez la vie dure.Caitlin demeura impassible. Qu'importe qu'il sachece qu'elle mijotait. Son plan finirait par se révéler effi-cace. Ce qui venait de se passer n'était que le commen-cement. Il existait mille façons de troubler son existence,jusqu'à ce qu'il accepte de la libérer.— Vous n'approuvez peut-être pas mes décisionsconcernant le ranch, mais j'ai autant de droits quevous.Toujours prisonnière, elle releva fièrement la têtepour croiser son regard. Le sentir si proche faisaitbattre son cœur à un rythme effréné. Elle ne compre-nait d'ailleurs pas pourquoi. Ce devait être la colère quil'étouffait.

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— Je compte bien continuer à prendre des décisions,en dépit de vos objections. Alors il est inutile d'essayerde m'intimider.Rejetant la tête en arrière, il éclata de rire.— Vous intimider? Je vois mal qui pourrait vousintimider. Vous êtes une femme de pierre, voire de fer.Soudain, les yeux bleus de Wade se mirent à errersur son corps.— Du moins, c'est l'impression que vous me faites...Une fois encore, elle voulut se dégager. Voyantqu'elle n'y arriverait pas, en désespoir de cause, elle luiassena un violent coup de pied dans le tibia. Mais il laretenait d'une poigne puissante et l'attira plus près delui. Sans crier gare, il l'enlaça par la taille et lui sourit.Ce sourire la fit trembler de tous ses membres. Levisage de Wade était transfiguré. Il semblait d'unebeauté ravageuse, presque juvénile.Elle se débattit de toutes ses forces, cherchant à ledéséquilibrer, mais autant lutter contre un mur. Loinde la libérer; il l'entoura de ses deux bras et l'entraînasur une botte de foin. Il roula sur elle et la cloua sousson corps, ignorant ses protestations.— Lâchez-moi... immédiatement!— Pas avant d'avoir dit ce que j'ai à dire. Si c'est leseul moyen d'obtenir votre attention, princesse...Caitlin se tortilla, rua, cherchant à lui faire mal, às'échapper par tous les moyens, mais Wade ne parais-sait même pas essoufflé. Il la tenait à sa merci.Enfin, à bout de forces, elle abandonna toute résis-tance.— Voilà qui est mieux, dit-il d'une voix rauque.Écoutez-moi, reprit-il, enserrant toujours ses poignets,les yeux rivés dans les siens. Je veux que vous cessiezde semer la zizanie. Regardez autour de vous. Cher-chez donc à apprécier le ranch, ce cadeau qui vous estoffert. Vous et moi allons devoir nous entendre. Je suisdisposé à faire un effort, si vous en faites également.Reese l'aurait souhaité ainsi.— J'en ai plus que marre d'entendre parler de Reese !Il fronça les sourcils.

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— Si Reese était là, en ce moment, il serait très inquietpour vous. Vous vous êtes fait un ennemi, aujourd'hui. Caitlin avait du mal à réfléchir sereinement. Une cha-leur troublante était née au plus profond d'elle-même.Elle voulait que Wade la libère, s'écarte d'elle.— Vous faites allusion à... Otter Jones? murmura-t-elle, retrouvant ses esprits. — Exactement.— Il ne me fait pas peur.— Il est dangereux, pourtant, assura-t-il en retrou-vant son air grave.Elle gémit de colère sous son poids, de sorte qu'ilchangea de position.— Bref, vous devriez éviter de vous promener seulependant un moment, prévint-il. Accordez-moi le tempsd'aller le trouver en ville, pour lui conseiller de vouslaisser tranquille...— Je n'ai pas besoin de votre protection.Avec une détermination décuplée, elle recommença àse débattre. L'espace d'un instant, couchée dans le foin,le souffle chaud de Wade sur sa joue, son corps musclésur le sien, elle avait failli perdre la tête. Mais elle s'étaitressaisie, prise au piège par l'homme le plus odieux quisoit et furieuse contre elle-même, contre son impuis-sance. — De toute évidence, vous avez besoin que quel-qu'un s'occupe de vous, rétorqua-t-il. Et il sembleraitque ce rôle me revienne...Soudain, il se redressa. La porte de la grange venaitde s'ouvrir. Baldy passa la tête à l'intérieur. Le vieuxcow-boy plissa les yeux dans la pénombre.— Qui est là? C'est toi, Wade?En un éclair, il lâcha la jeune fille et se leva pouraller à la rencontre de son employé.— Que se passe-t-il, Baldy?— Mlle Summers n'est plus avec toi? J'ai quelquechose à te demander, à propos des veaux du pré sud.— Sortons, fit Wade en l'entraînant à l'extérieur. Ondiscutera en route. Je dois vérifier combien de bêtes sesont égarées.

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Leurs voix s'éteignirent à mesure qu'ils s'éloignaient.Caitlin se releva lentement. Sa confrontation avec

Wade était allée plus loin qu'elle ne l'avait prévu. Enréalité, la situation lui échappait totalement. Elle épous-seta sa robe et ôta quelques brins de paille qui s'étaientglissés dans ses cheveux. Pourtant, elle ne pouvait sepermettre de s'arrêter à ce stade. Si Wade croyait l'im-pressionner au point de lui faire abandonner le combat,il se berçait d'illusions. Il lui fallait quitter Cloud Ranchpour retrouver Becky.

Plus que jamais, elle devait lui prouver qu'elle nebaisserait pas les bras tant qu'elle n'aurait pas obtenusatisfaction.

Elle émergea sous le soleil, plissant les yeux dans lalumière vive, sous le ciel turquoise. Au loin, les cimesbleutées des montagnes frôlaient les nuages d'un blancimmaculé.

Wade et ses hommes étaient partis à cheval. Dans labasse-cour caquetaient les poules. Le chien aboyaitcontre un écureuil qui s'enfuyait dans les arbres. Cait-lin ne vit personne, à part Francesca qui regagnait lamaison d'un pas lent, la tête penchée en avant.

Elle partit à sa rencontre. En rejoignant la gouver-nante, elle remarqua les larmes qui inondaient sesjoues.

— Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta-t-elle.La vieille dame leva brièvement les yeux, puis porta

un mouchoir en dentelle à ses paupières.— Non, senorita, répondit-elle d'un ton morne. Je

viens de fleurir la tombe de votre père. Comme chaquesemaine.

— Ah... fit Caitlin, abasourdie. Vous... vous deviezêtre très attachée à lui.

Francesca hocha la tête, les lèvres pincées.— C'était un homme bon, senorita. Très gentil, avec

des sentiments profonds. Il y a peu d'hommes tels quelui. À part M. Wade.

Elle tourna les talons et gravit les marches du perron.Caitlin se rappela soudain qu'elle n'avait pas pris sonpetit déjeuner, mais elle n'avait pas faim. Sans trop

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savoir pourquoi, elle se dirigea vers le bosquet d'oùvenait Francesca.

Elle n'eut aucun mal à trouver la tombe.La pierre blanche se dressait dans une agréable clai-

rière, parmi les herbes hautes et les fleurs multicolores.La tombe portait le nom de Reese, ainsi que la date desa mort. Un bouquet de fleurs roses et jaunes était poséau pied de la pierre.

La jeune fille s'approcha lentement. En lisant leslettres gravées, elle sentit sa gorge se nouer. Fermantles yeux, elle revit en pensée la photographie d'unhomme aux larges épaules, fumant le cigare, entourédes frères Barclay. Son père.

Elle se pencha et, d'une main tremblante, cueillit unefleur sauvage. Elle hésita, puis s'agenouilla pour ladéposer avec les autres. Son bras tendu se figea.

— Pourquoi ne m'as-tu pas écrit, pas une seulefois ? murmura-t-elle, ivre de chagrin. Tu ne t'es souciéde moi qu'au moment de ta mort. Pourquoi ? Pourquoisouhaitais-tu ma présence ici, dans cet endroit que tun'as pas voulu partager avec moi de ton vivant ?

Elle eut du mal à ravaler ses larmes amères. Jetantsa fleur dans l'herbe, elle courut jusqu'à la maison. Iln'existait aucune réponse à ses questions.

Il n'y en aurait jamais.En se précipitant vers le refuge de sa chambre, elle

se promit de ne plus jamais se rendre sur la tombe deReese.

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— Où donc allez-vous ?Le lendemain matin, Wade était sur le point de par-

tir pour Black Bear Point afin de rassembler son bétail,quand il vit Caitlin menant Star, une jument palomino,hors des écuries.

Elle était ravissante, avec sa tenue d'équitation bleufoncé et son corsage ourlé de dentelle blanche. Il ne puls'empêcher de remarquer la façon dont le décolletémettait en valeur ses seins ronds et généreux, ainsi queles reflets dorés du soleil dans ses cheveux. Ses yeuxverts semblaient pétiller.

Il aurait voulu oublier le contact de son corpsallongé sous le sien dans le foin, la veille. Surtout, nepas y penser.

— Je vais faire un tour, histoire de visiter ma pro-priété, répondit-elle d'un ton enjoué. D'ailleurs, enquoi cela vous regarde-t-il ?

— Ne vous aventurez pas trop loin. Vous ne connais-sez pas encore très bien les lieux.

— Ce ne sera pas nécessaire. Je n'ai pas l'intentionde m'éterniser dans le Wyoming, répliqua-t-elle enflattant l'encolure de la jument.

Wade talonna son cheval, mais fit aussitôt volte-facepour la regarder monter en selle. L'émotion l'envahitdevant tant de grâce. Ses dernières craintes sur l'apti-tude de la jeune fille à maîtriser l'impétueuse montures'envolèrent dès qu'il la vit en selle.

— Il faut que vous sachiez que nous avons eu affaireà des voleurs de bétail, récemment, déclara-t-il tandisqu'elle avançait vers lui.

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— Je suis au courant. Winifred m'en a parlé quandje suis allée en ville. Elle m'a aussi raconté les exploitsde la bande de Campbell. Hope était devenue un endroitsi dangereux qu'elle a dû s'exiler plusieurs mois, letemps que la situation s'améliore.

— Eh bien, le calme est revenu. Vous ne risquezrien, à Cloud Ranch.

— Alors pourquoi me mettre en garde contre cesbrigands ? Elle inclina la tête vers lui d'un air moqueur. Wadene pouvait s'empêcher de fixer ses lèvres. Jamais iln'avait vu de bouche aussi séduisante, aussi sensuelle.C'était la bouche d'une fille de saloon, pas d'une pim-bêche de la ville, avec ses bonnes manières et ses colsboutonnés jusqu'en haut, sans parler de ses robes quicouvraient ses chevilles.

— Pardon? fit-il, distrait.Il fronça les sourcils en la voyant sourire. Elle répéta

sa question :— Si je suis en sécurité à Cloud Ranch, pourquoi

me mettez-vous en garde contre les brigands ?— Parce que vous êtes inexpérimentée, vous ne

savez rien de la vie dans cette région. Si vous voyez desinconnus autour du bétail, enfuyez-vous vite. N'allezsurtout pas leur demander ce qu'ils fabriquent, ou touteautre bêtise de ce genre.

Une légère appréhension s'empara de la jeune fille.Son visage trahit sa peur, à la grande satisfaction deWade.

— Pensez-vous que ces voleurs iraient jusqu'à metirer dessus, par exemple ?

— Mieux vaut ne pas prendre de risques. Ils sont deplus en plus téméraires. Ne vous éloignez pas trop duranch. Je ne voudrais pas être obligé d'organiser unebattue pour vous retrouver.

— Seigneur ! Je ne voudrais surtout pas vous déran-ger! rétorqua-t-elle.

Elle regretta aussitôt ses paroles.— Alors faites attention, dit-il en réprimant son

envie de s'emparer du petit Stetson noir qu'elle avait

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acheté en ville, pour le jeter dans l'abreuvoir. Hier, jesuis allé à Hope, ajouta-t-il en l'observant sous le rebordde son chapeau. J'ai rencontré Luanne Porter. Ellem'a dit qu'elle vous avait invitée à sa soirée.— C'est exact, répondit Caitlin en tapotant l'enco-lure de sa jument qui s'impatientait. Vous n'y voyezpas d'inconvénient, j'espère?— C'est une bonne chose que vous vous adaptiez,que vous vous fassiez des amies, dit-il avec un souriremoqueur. Si ça continue, vous allez bientôt vous ins-crire au club de couture, et vous organiserez le concoursde la plus belle courtepointe.Sur ces mots, il talonna sa monture et s'éloignaavant qu'elle ne puisse lui lancer quelque réponse cin-glante.— Certainement pas ! fulmina la jeune fille tandisqu'il laissait un nuage de poussière dans son sillage.Wade Barclay allait regretter ses paroles avant la finde la journée !Elle interpella Miguel, qui coupait du bois près de lagrange.— Où travaille Jake Young, ce matin ? lui demanda-t-elle.Le Mexicain se redressa et la dévisagea, étonné.— Il rassemble les bêtes égarées vers CougarCanyon.— Et où cela se trouve-t-il ?Miguel posa sa hache.— Vers le nord, à environ quinze kilomètres.— Euh... le nord? fit Caitlin en plissant les yeux,puis en regardant en tous sens.— Par là, senorita, expliqua-t-il. Mais le patron nevoudrait pas que vous...— Merci de votre aide, Miguel, coupa Caitlin avecun sourire radieux.Sans plus attendre, elle talonna sa jument et partitau galop vers le nord.

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C'était une journée merveilleuse pour une prome-nade à cheval. Le paysage était superbe, la jument galo-pait comme une flèche. La jeune fille fut envahie d'unsentiment de liberté, de paix, de jubilation, savourant lecontact de la brise sur ses joues et la beauté des lieux.

Enfin, elle fit ralentir Star et se mit à scruter lesalentours avec attention. La plaine avait fait place à unpaysage vallonné, parsemé de bétail. Au loin s'annon-çait un canyon, mais elle ne vit aucun signe de JakeYoung.

Elle poursuivit jusqu'au canyon.— Jake ! appela-t-elle dans la chaleur de cet après-

midi torride. Jake Young !Un cri lui répondit. Quelques instants plus tard, le

cow-boy apparut, sur son cheval, au sommet d'unecrête. Agitant son chapeau, il vint lentement vers elle. — J'explorais un peu le coin, déclara Caitlin avecun sourire. Je me suis souvenue d'avoir entendu direque vous étiez par ici... Ça se passe bien?

Elle ignorait tout de ce qu'il était censé faire, maisfeignit de savoir de quoi elle parlait.

— J'ai déjà récupéré une douzaine de bêtes, made-moiselle Summers. Dans le canyon. Je les ramèneraibientôt. Il en reste quelques-unes dans les bois. J'allaisles chercher quand je vous ai entendue m'appeler.

Elle pencha la tête et posa sur lui un regard char-meur, qui avait ensorcelé des hommes bien plus sophis-tiqués. — Wade Barclay était furieux, hier, parce quej'avais embauché ces hommes. Il m'en veut terrible-ment... Mais vous, Jake, vous ne m'en voulez pas, j'es-père?

— Vous en vouloir ? Oh non, mademoiselle ! assurale jeune homme, tout sourire. Comment en vouloir àune aussi jolie personne ?

— Vous êtes très gentil.La jeune fille était sincère. Il était gentil. Elle se sen-

tait un peu coupable de se servir de lui pour appliquerson plan. Mais il le fallait.

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— J'ai apporté de la citronnade et des biscuits préparés par Francesca, dit-elle en désignant sa sacoche.Si nous faisions un petit pique-nique ? J'aurais quelquesconseils à vous demander.— Des conseils ? balbutia-t-il. A moi ?— Voyez-vous, reprit-elle d'un air grave, je neconnais pas grand-chose à ce ranch, et je n'ose pasinterroger Wade. Il n'est pas très communicatif.— Vraiment? fit-il en levant les sourcils, étonné.Cela me surprend. En général, Wade n'hésite jamais àrépondre aux questions et à fournir des explications àchacun. Et c'est le meilleur cow-boy que je connaisse.Elle haussa les épaules.— Je suppose que nous sommes partis sur de mauvaises bases... Mais vous, vous êtes si gentil, et manifestement très efficace dans votre travail. Peut-êtrepourriez-vous me consacrer un peu de votre temps ? etde votre savoir ?— Eh bien, répondit le jeune homme, les jouesrouges, flatté. Ce sera avec plaisir, mademoiselle.Il mit pied à terre et alla aider Caitlin à descendre decheval. Ils trouvèrent une agréable clairière ombragée,et s'installèrent dans l'herbe verte.C'est là que, plus tard, Wade les trouva. Fasciné, Jakeécoutait la jeune fille agenouillée, un bouton-d'or glisséderrière l'oreille, déclamant un poème :

Combien je t'aime?Je t'aime de mille façonsDans chaque dimensionEt à toute occasion...

— Qu'est-ce qui se passe, ici ?Juché sur son cheval, Wade observait cette scènebucolique, la mâchoire crispée de colère.— Oh, monsieur Barclay! Seigneur Jésus, vousm'avez fait peur...Mais ses yeux pétillants et son sourire, trop innocentpour être honnête, suggéraient le contraire.

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— J'étais si absorbée par ce poème que je ne vous aimême pas entendu approcher. Vous le connaissez ? Jeparle du poème, bien sûr. Il a été écrit par ElizabethBarrett Browning. Il raconte les...

— Young, coupa-t-il sèchement. Où diable sont lesbêtes ? Tandis que le jeune homme se relevait, rougissant,Wade mit pied à terre.

— Patron... je... nous... — Tu ne respectes pas ton travail, fit Wade enposant un regard noir sur le biscuit que tenait toujoursson employé.

Puis il découvrit le panier posé dans l'herbe. — On ne te paie pas pour manger des biscuits ! — Je sais... Je suis désolé, patron, bredouilla Jakeen lâchant le biscuit comme s'il était empoisonné. Nousvoulions simplement nous asseoir quelques minutes.Mlle Summers avait quelques questions à me poser.

— Je n'en doute pas une seconde, railla Wade.— Et nous avons commencé à parler... poésie et...

Tout est de ma faute, patron, balbutia le jeune homme.— Non, Jake, protesta Caitlin en secouant la tête,

faisant tomber son bouton-d'or dans l'herbe. Vous êtestrès gentil, mais vous savez que c'est faux.

Elle se leva gracieusement et lissa sa robe, ôtant unbrin d'herbe imaginaire.

— Je crains que ce ne soit de ma faute, déclara-t-elle.C'est moi qui ai eu cette idée. Jake ne voulait pas se mon-trer impoli. Mais quand nous avons commencé à parlerpoésie, il s'est un peu laissé emporter. Nous avons perdutoute notion du temps. J'ai l'impression que notre dis-cussion n'a duré que quelques instants à peine...

— La poésie, répéta Wade avec mépris. Et si tu ras-semblais les bêtes égarées, avant de les ramener dansl'enclos? C'est la saison du marquage!

— J'ai oublié. C'est la première fois que cela m'ar-rive. Patron, je suis désolé. J'ignore ce qui m'est passépar la tête...

— Moi, je m'en doute.

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Jake rougit violemment, mais Caitlin se contentad'écarquiller les yeux d'un air candide.— En voyant que tu étais en retard pour le marquage,Miguel m'a expliqué que Mlle Summers te cherchait.Wade se tourna vers la blonde angélique, qu'il avaitenvie d'étrangler.—Tu devrais aller t'occuper des bêtes, maintenant,dit-il à Jake tout en la fusillant du regard.— Bien, patron, répondit Jake en lançant un coupd'œil à la jeune fille. Merci, mademoiselle Summers.J'ai beaucoup apprécié notre conversation. Et ce jolipoème, conclut-il avant de se précipiter vers son cheval.Quand le cow-boy se fut éloigné, Wade rejoignit àson tour sa monture.Étonnée, Caitlin lui emboîta le pas.— Où allez-vous ? demanda-t-elle.— A la maison.— Vous... vous n'avez rien d'autre à me dire?— Quoi, par exemple ?Elle ne pouvait admettre que ses efforts pour troublerle travail de Jake Young aient été vains. A part ce petitéclat contre le malheureux employé, Wade ne semblaitpas contrarié outre mesure.— Vous savez, c'est vraiment de ma faute si Jake n'apas fini son travail en temps et en heure. J'avais desquestions à lui poser sur le bétail. C'était passionnant.J'ignore comment nous en sommes arrivés à ElizabethBarrett Browning, mais ce fut très agréable. La stimu-lation intellectuelle me manque.— Très bien.— Et je parie que bien d'autres de vos hommesapprécieraient la possibilité d'avoir une discussionculturelle, fit-elle avec un large sourire. En échange,ils me feraient découvrir différents aspects du ranch.Elle tapa dans ses mains, comme si elle venaitd'avoir une idée lumineuse.— Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Je pourraisaccompagner chaque jour un cow-boy, pour le regar-der travailler! Vous savez, je pourrais même l'aider.Ainsi, j'apprendrais toutes les ficelles du métier.

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Si elle avait espéré rendre Wade furieux en pique-niquant avec un employé et en déclamant des poèmes,elle avait échoué.Il remonta en selle et saisit les rênes.— Allez-y, dit-il d'un ton posé. Faites comme bonvous semble, mademoiselle Summers.— Vous voulez dire... que cela vous est égal?— Je m'en moque éperdument.— P... pourquoi?Il esquissa un sourire froid.— Parce que je renverrai tout employé qui bavar-dera avec vous au lieu de travailler. Je compte d'ail-leurs en informer mon personnel dès ce soir.Son calme était agaçant, mais ses paroles firentmouche. Elle ne voulait pas être responsable du renvoid'un cow-boy.— Cela me paraît injuste, protesta-t-elle.— Rien n'est juste dans cette histoire, princesse.Il est injuste que je me retrouve affublé d'une jeunefille frivole et gâtée, qui est déterminée à me mettredes bâtons dans les roues. Il est injuste que Jake se soitfait réprimander parce que vous vous êtes servie de luipour me contrarier. Il est injuste que je doive vousécouter faire semblant de vous soucier de quelqu'und'autre que vous-même...L'air méprisant de Wade était aussi tranchant queses paroles. Abasourdie, elle ne put que le fixer.— Enfin, poursuivit le régisseur, il est injuste queReese soit mort avant d'avoir pu vous revoir, parceque c'est ce qu'il souhaitait le plus au monde.Il fit volter son cheval.— Malheureusement, il a fallu que ce soit moi quivous voie, marmonna-t-il.Chaque mot avait frappé la jeune fille de plein fouet.Elle se sentit pâlir.Wade talonna son cheval et s'éloigna sans seretourner.Caitlin demeura pétrifiée, la gorge nouée, ivre decolère, d'humiliation et d'amertume. Le sang lui battaitaux tempes. Elle monta en selle et partit à l'aventure,

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éprouvant un besoin irrépressible d'être seule face àses pensées. Pourquoi était-elle touchée à ce point parl'opinion que Wade se faisait d'elle ?

Je ne devrais pas y attacher d'importance, songeat-elle en ravalant un sanglot. Pas question de pleurer.Jamais !

La veille, déjà, elle avait failli laisser couler seslarmes sur la tombe de son père. Mais Wade Barclayne la ferait pas pleurer.

— Je ne pleure jamais, murmura-t-elle, désespérée,avant de talonner la jument.

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Elle ignorait exactement quand elle s'était renducompte qu'elle était perdue.

Le monde avait sombré dans le chaos. Il n'y avaitplus que le vent dans ses cheveux, le martèlement dessabots, les nuages de poussière, la douleur. Toutes cesémotions qui étaient montées en elle, tels des tourbil-lons, comme si un voile était tombé sur le paysage tan-dis qu'elle chevauchait à perdre haleine. Enfin, le voilese leva, le brouillard se dissipa, et elle revit le paysagealentour, retrouvant ses esprits... pour découvrir qu'elleétait perdue.

Elle était dans un canyon, sur un chemin caillou-teux. Une imposante paroi rocheuse se dressait à sadroite. A sa gauche, un précipice tombait à pic. Stargalopait à vive allure. Caitlin tira les rênes pour la frei-ner, impressionnée par les dangers qui l'entouraient.Au-delà du canyon se dressaient des collines. Maiscomment regagner le ranch ?

Un aigle planait haut dans le ciel, mais aucun son nese faisait entendre. Pas le moindre signe de vie. Ellelutta pour ne pas céder à la panique. Une fois sortie ducanyon, elle parviendrait à déterminer sa position. Elletrouverait certainement un lieu familier, une crête,une butte.

— Allez, ma belle, dit-elle à Star en lui flattant l'en-colure.

Alors que la jument avançait au pas, elle scruta lesalentours en quête d'un sentier qui pourrait l'éloignerdu canyon. Une heure plus tard, elle parvint enfin enbordure du canyon. Elle avait la gorge sèche, le ventre

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noué. Elle s'engagea sur un chemin envahi par lesherbes hautes et jalonné de pierres. Elle se trouvait aupied des collines, parmi les pins, d'où surgissait detemps à autre une biche ou un cerf.

En contrebas se déployait une plaine, envahie desauge, semblable à celle qu'elle avait déjà traversée,mais elle semblait s'étendre jusqu'à l'infini, du moinsjusqu'aux montagnes. La jeune fille ignorait par oùelle était arrivée.

Comment allait-elle regagner Cloud Ranch ?Comble de malheur, elle avait laissé son panier de

provisions à Cougar Canyon. Elle n'avait donc ni eauni vivres. Elle leva les yeux vers le soleil, boule debronze accrochée au ciel. Il se coucherait à l'ouest. Lesud devait donc se trouver... par là?

Il fallait qu'elle rentre avant que Wade Barclay neremarque son absence. Il serait trop content de semoquer d'elle. Il l'avait prévenue de ne pas s'aventurertrop loin.

Je serai à la maison pour le souper, se jura-t-elle, lesmains crispées sur les rênes.

Une demi-heure plus tard, elle commença à avoir desdoutes. Elle espérait avoir avancé vers le nord, mais nedistinguait toujours aucun signe de Cloud Ranch, dubétail, de la rivière ou de présence humaine. Le déses-poir l'envahit.

C'est alors qu'elle entendit un coup de feu. Elle sefigea sur sa selle. La jument dressa les oreilles et se milà ruer.

— Doucement, fit-elle en lui flattant l'encolure.Doucement...

Puis ce fut le silence. Caitlin attendit, le cœur bat-tant. Un cri retentit, suivi d'un écho de voix. Ces bruitssemblaient provenir de l'autre côté de la corniche.Devait-elle s'approcher, ou s'éloigner? Il s'agissaitpeut-être de cow-boys de Cloud Ranch, qui lui indi-queraient comment rentrer à la maison. Ou de voleursde bétail. Ou de bandits de grand chemin. Ou d'In-diens...

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Wade Barclay serait sans doute ravi de la retrouverensanglantée, scalpée, dévorée par les coyotes. Maisque deviendrait Becky ? — Tu ne vas pas mourir, se dit-elle à voix haute enchassant sa peur. Et tu vas faire preuve de courage.Mieux vaut... partir en reconnaissance.

Elle se remit en route. A l'approche de la corniche,elle remarqua que le chemin descendait dans la vallée,de plus en plus étroit. Prudemment, elle talonna lajument parmi les peupliers. C'est alors qu'elle les vit:quatre hommes, en train de discuter avec animationsous un vieux pin décharné. A terre gisait un corps,dans une mare de sang.

Il est mort, songea-t-elle avec effroi. Elle étouffa uncri d'horreur.

Ils étaient trop loin pour qu'elle distingue leurstraits, mais ils étaient vêtus de chemises à carreaux, depantalons de toile, et certains avaient des foulards.Tous étaient armés jusqu'aux dents. Le plus grand, àl'épaisse tignasse rousse, pointait son fusil sur un autrehomme au chapeau gris.

— Tu savais bien ce qu'il tramait! Tu l'as mêmeaidé à me doubler.

— Non... je te jure. J'en savais rien...— Quelqu'un était de mèche avec lui ! Combien de

bêtes as-tu mises de côté, pour ton propre troupeau?Le vent se leva, emportant les paroles des deux

hommes. Tout à coup, le plus grand fit feu, sous leregard épouvanté de Caitlin.

L'autre homme fut touché en pleine poitrine. Le sangjaillit, et il s'écroula dans la poussière.

Affolée par le bruit, Star rua et se mit à hennir. Lestrois bandits firent volte-face. Ils découvrirent la pré-sence de Caitlin qui s'efforçait de maîtriser sa monture.

L'espace d'un effroyable instant, elle croisa le regardde l'homme aux cheveux roux. Ses traits n'étaient pasdistincts, mais il émanait de lui une férocité particulière.Il sourit, révélant une dent en or étincelante. La jeunefille sentit sa gorge se nouer. Mais elle n'avait pas de

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temps à perdre. Galvanisée par la peur, elle tira sur lesrênes et fit volter la jument, puis la talonna avec vigueur.

— Allez!Le paysage se mit à défiler à toute allure, tandis que

la jument galopait, revenant sur ses pas. Le martèlement des sabots répondait aux battements du cœur dela jeune fille. Penchée sur la crinière, elle crispa lesmains sur les rênes.

Entendant le bruit d'une cavalcade, elle regarda par-dessus son épaule. Les trois hommes s'étaient lancés àsa poursuite, menant un train d'enfer. L'écart se resserrait à chaque seconde. Un coup de feu retentit. Ellecomprit qu'ils lui tiraient dessus. Désespérée, elletalonna sa monture.

Soudain, dans un virage, la jument trébucha sur unepierre, entraînant Caitlin dans sa chute. Par miracle, lajeune fille échappa aux sabots meurtriers de la pauvrebête. Elle heurta brutalement le sol. Déjà, la jument seredressait. Le souffle coupé, Caitlin s'efforça de remon-ter en selle. Ses poursuivants n'allaient pas tarder...

Jamais je ne m'en sortirai ! songea-t-elle amèrement.Il lui était impossible de repartir assez vite. Elledemeura pétrifiée, les mains moites, alors que les bri-gands fondaient sur elle. Le chef de la bande esquissaun sourire démoniaque. Sa dent en or étincela tandisqu'il brandissait son arme.

Une fusillade éclata, mais les coups de feu ne prove-naient pas des brigands. Ils semblaient venir du borddu canyon qu'ils venaient de quitter. Tournant vive-ment la tête, elle vit deux cavaliers, arme au poing, quitiraient en direction des bandits.

Ensuite, tout s'accéléra. Ses poursuivants firent volte-face et s'enfuirent sans demander leur reste, pour dis-paraître derrière une butte.

Tremblant de la tête aux pieds, Caitlin scruta lecanyon. Même de loin, elle reconnut la silhouette élan-cée et puissante de Wade Barclay. Derrière lui se tenaitMiguel.

Elle se sentit soudain étourdie, à bout de souffle. Elleécarta les cheveux de son visage. Pas question de défaillir,

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de fondre en larmes, de gémir, encore moins de s'éva-nouir ! Elle ferma les yeux. Aussitôt, l'image des hommesabattus lui apparut. Prise d'une soudaine nausée, elles'écroula.Combien de temps Wade et Miguel mirent-ils à larejoindre? Elle l'ignorait. En les voyant se précipitervers elle, elle rassembla ses dernières forces et se leva.Lorsque les deux hommes la rejoignirent enfin, elletenait à peine debout, les bras ballants, telle une pou-pée de chiffon.Dès qu'il l'aperçut, Wade sentit son cœur se serrer.La beauté blonde qui l'avait provoqué depuis son arri-vée au ranch, avait fait place à une créature vulnérableet tremblante, qui semblait aussi fragile qu'un brind'herbe sous le vent.Il mit pied à terre.— Vous recherchez vraiment les ennuis, mar-monna-t-il en la saisissant par le bras.Remarquant à quel point elle tremblait, il la prit parla taille, de peur qu'elle ne s'écroule.— Tout va bien. Je vous tiens.— L... lâchez-moi. Ça va. Je suis juste un peu... cho-quée.Il lui tendit une gourde. Elle se contenta de la regar-der fixement.— Caitlin...Soudain, ses yeux de jade plongèrent dans les siens.— Il s'agissait peut-être de voleurs de bétail. Je nesais pas. Je me suis perdue. Le canyon... (Elle secouala tête.) J'ai entendu un coup de feu, venant de la val-lée. Ils ont tué un homme. Il y avait du sang...— Du calme. Tout va bien. Vous me raconterez plustard, fit Wade en posant une main sur la sienne. Quandnous serons rentrés au ranch...— Ensuite, l'homme au fusil, le plus grand, a com-mencé à se disputer avec un autre et lui a tiré des-sus, poursuivit-elle vivement, comme si elle n'avait pasentendu les paroles de Wade.Elle avait les yeux écarquillés d'effroi, son angoisseétait palpable.

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— Alors la jument a pris peur et ces hommes m'ontvue... Ils... ils se sont lancés à mes trousses et...— Vous ont-ils fait du mal? s'enquit doucementWade.Pour la première fois, elle sembla se reprendre.— N... non. Je leur ai échappé.— C'est vrai, admit-il. Vous avez bien réagi.Elle avala sa salive et regarda la gourde.— J'ai la gorge sèche. C'est de l'eau?— Du whisky.— Je ne...— Je sais, vous ne buvez pas de whisky. Mais pourune fois, si vous avez la gorge sèche...— Très bien, murmura-t-elle en portant le flacon àses lèvres pour boire une gorgée.— Buvez encore, dit-il en la voyant grimacer.— C'est mauvais, protesta-t-elle.— Croyez-moi, ça vous fera du bien.A la surprise de Wade, la jeune fille poussa un sou-pir et avala cette fois une rasade généreuse.Il ressentit soudain une envie irrépressible de laprendre dans ses bras, d'écarter ses cheveux blonds deson visage, de caresser sa joue en lui répétant qu'ellene risquait plus rien. Au lieu de cela, il fronça les sour-cils. En songeant à ce qui avait failli lui arriver, il futsaisi d'effroi. Elle avait failli être tuée, sans doute pardes voleurs de bétail.Pourquoi diable l'avait-il laissée seule à CougarCanyon, livrée à elle-même ? Elle était totalement inex-périmentée et, pire que tout, fâchée. Il l'avait délibéré-ment mise en colère. Et voilà le résultat...Wade était si furieux contre lui-même, qu'il sentittous ses muscles se tendre. Reese lui avait confié safille sur son lit de mort, et elle avait failli se faire tuer !Il se tourna vers Miguel :— Tu vas suivre les traces de ces hommes. On seretrouvera plus tard au ranch.Miguel croisa brièvement son regard et hocha la têtesans un mot. Mieux valait ne pas préciser, devant la

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jeune fille, qu'il allait examiner les cadavres pour voirs'il les reconnaissait.Wade se leva et chercha la jument des yeux. Il n'envit aucun signe. Si elle ne trouvait pas seule le chemindu ranch, il enverrait un homme à sa recherche le len-demain. Entre-temps, il devait emmener Caitlin loinde cet endroit.— Venez, dit-il en lui tendant la main. On rentre.Elle respira profondément et ignora sa main pour serelever seule de la souche sur laquelle elle était assise.— Je n'ai pas besoin de votre aide, assura-t-elle.— Cela se voit.Elle le fusilla du regard.— Vous vous moquez de moi? demanda-t-elle enredressant fièrement la tête d'un air qu'il commençaità connaître, et peut-être à apprécier.Il sourit.— Pas en ce moment. Plus tard, peut-être.Ils se dirigèrent en silence vers le cheval de Wade.Soudain, la jeune fille fit volte-face.— Star...— Ne vous inquiétez pas. Elle rentrera sans doutetoute seule.— Retrouvera-t-elle son chemin jusqu'au ranch,même si elle est perdue ?— C'est vous qui étiez perdue, pas elle. De plus, toutle monde finit par retrouver le chemin de sa maison,un jour ou l'autre. Cela prend parfois du temps, maisce n'est pas grave.Elle eut la sensation étrange qu'il ne faisait pas allu-sion à la jument. Caitlin le dévisagea. Son visage n'expri-mait pas la moindre ironie ou moquerie. Elle ne décelachez lui qu'une légère tension, qu'elle ne s'expliquaitpas. Mais il y avait aussi autre chose : de la gentillesse.Son habituel air dur avait disparu. Il y avait dansson regard une chaleur qu'elle n'avait encore jamaisvue. Soudain, ce fut la confusion dans ses propres sen-timents. Elle eut très chaud, puis très froid. Son cœurmanqua un battement. Elle voulut s'écarter mais, en

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même temps, elle avait envie se blottir contre lui, sen-tir ses bras puissants autour d'elle.

Ne sois donc pas stupide ! se dit-elle.Il la souleva de terre pour l'aider à grimper en selle,

puis monta à son tour derrière elle et l'enlaça. La jeunefille fut traversée par une vague de chaleur.

Ce doit être le whisky, songea-t-elle, affolée.Du moins l'espérait-elle. Plus jamais elle ne se per-

mettrait d'éprouver des sentiments pour un homme.Certes, ses sentiments envers Alec Ballantree

n'avaient rien à voir avec ce qu'elle éprouvait à pré-sent. Il n'y avait en effet aucune comparaison entre latendresse qui la liait à Alec, et le feu qui la brûlait dèsqu'elle apercevait Wade.

Comme en ce moment.Il n'aurait pu être plus proche. La moindre partie de

son corps touchait le sien. Sa tête reposait sur son torsepuissant, ses cuisses étaient plaquées contre les siennes.Elle s'émerveilla des sensations nouvelles qui l'envahis-saient. Elle se sentait faible, mais revigorée en mêmetemps.

Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentieaussi vivante.

Sur le chemin du retour, elle tenta de mémoriserl'itinéraire. Mais elle était trop fatiguée, trop troubléepar le souvenir de ces hommes abattus comme deschiens, par sa course effrénée pour échapper aux ban-dits.

Malgré elle, elle s'appuya contre Wade. Ce n'étaitpas désagréable du tout. En fait, ce contact eut poureffet de l'apaiser, de la rassurer...

Bientôt, ils franchirent la grille de Cloud Ranch. Lechien se précipita à leur rencontre en jappant. Aucundes cow-boys n'était présent. N'étaient-ils pas censésmarquer les bêtes ?

Elle se tourna légèrement sur la selle pour interro-ger Wade, mais il la devança :

— Ils sont tous partis à votre recherche. Commevous ne reveniez pas de Cougar Canyon, je leur ai

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ordonné d'aller vous chercher. Dès que vous serez à lamaison, j'irai les avertir que vous êtes saine et sauve.

Elle ne dit rien, tandis qu'il l'aidait à mettre pied àterre. A sa grande surprise, les mains du régisseur s'at-tardèrent sur ses hanches, comme s'il ne voulait pas lalâcher. Elle trouva cette attitude étrange. Soudain, ellesouhaita qu'il ne la relâche pas. Elle leva la tête pourcroiser son regard pétillant.

— Je vous ai causé bien des ennuis, aujourd'hui...— Sans doute. Mais telle était votre intention, il me

semble.Elle se mordit la lèvre, songeant à son pique-nique

avec Jake, à la façon dont elle avait cherché à contra-rier Wade. Cela faisait partie de son plan. Toutefois,elle n'avait pas voulu se perdre ou aller au-devant dudanger. Elle regrettait d'avoir poussé Wade et ses hommes à interrompre leur travail, pour se lancer à sa recherche.

Naturellement, c'était avantageux pour son plan ini-tial. Elle n'avait pas vraiment souffert, et elle avaittroublé la bonne marche du ranch au-delà de ses espé-rances. Dans ce cas, pourquoi ne ressentait-elleaucune satisfaction?

— Je vous dois des remerciements, déclara-t-elle enavalant sa salive. Vous m'avez retrouvée à temps...

— Simple question de chance, fit-il en haussant lesépaules. Inutile de me remercier.

— Mais si vous n'étiez pas arrivé, à cet instantprécis...

Elle fut parcourue d'un frisson.— N'y pensez plus, murmura-t-il.Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, il l'enlaça.

Ce fut sa première erreur. Entre ses bras, il la sentaitfragile, délicieuse. Elle écarquilla les yeux. Seigneur,Wade n'avait jamais vu d'aussi beaux yeux. Dans cettecour poussiéreuse, tandis que le chien jappait autourd'eux, elle avait l'air d'un ange. Un ange apeuré, cou-rageux et superbe à la fois.

Il faut t'éloigner d'elle, songea-t-il. Et vite !

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Mais ces yeux verts l'avaient ensorcelé. Il ne parvintpas à la relâcher, ne put s'empêcher de l'attirer verslui...

Caitlin savait qu'elle devait s'éloigner. Mais elle avaittoutes les peines du monde à rompre la magie de cetinstant. Elle sentait le contact de ses cheveux de jaisfrôlant le col de sa chemise, de sa barbe naissante. Elleressentait la tension et le désir qui s'emparaient de lui.Son sang ne fit qu'un tour, ses lèvres s'entrouvrirent.

— Mon Dieu ! marmonna-t-il.Il se pencha pour l'embrasser.Comme elle avait envie de ce baiser... Ce fut la pre-

mière idée qui lui traversa l'esprit. Et la dernière.Ensuite, le vide se fit dans sa tête. Dès que la bouchede Wade effleura la sienne, elle oublia tout.

Ce fut un baiser chaud, merveilleux... effrayant.Effrayant parce que délicieux. Ses lèvres étaient à lafois dures et douces, exigeantes et généreuses. Il sem-blait la déguster comme si elle était ce qu'il y avait deplus savoureux au monde...

Il l'interrompit trop vite et s'écarta, la mine grave.Caitlin vit son désarroi.Il secoua la tête.

— C'est une erreur, fit-il d'une voix basse et rauque.Sans un mot de plus, il tourna les talons et s'éloigna.

Il monta en selle et partit sans un regard.

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La voix de Francesca filtra à travers la porte :— Senorita, il se fait tard...Caitlin tressaillit.— Le senor Wade aimerait savoir si vous vous ren-dez au dîner de la senorita Porter.— J'arrive, répondit la jeune fille.En fait, elle était prête depuis une demi-heure etattendait, assise sur son lit, cherchant à rassemblerassez de courage pour affronter Wade. Elle passa devantla gouvernante dans un tourbillon de soie verte et deparfum fleuri.Pourvu que ni Francesca, ni Wade, ni aucun autreinvité de cette maudite réception ne remarque sontrouble et les doutes qui la rongeaient...— Enfin... commença Wade, avant de s'inter-rompre aussitôt en la voyant entrer dans le bureau.Il la toisa de la tête aux pieds. A la façon dont samâchoire se crispa, la jeune fille comprit qu'il la trou-vait plus que présentable. Il déglutit péniblement. Cait-lin fut envahie de fierté à l'idée qu'elle lui plaisait.Mais sa satisfaction fut de courte durée.— Cinq minutes de plus, et je serais parti sans vous,ajouta-t-il, bourru.Derrière elle, Francesca grommela, sceptique, avantde disparaître dans la cuisine.Caitlin leva les sourcils.— Dommage que vous n'en ayez rien fait, répliqua-t-elle. Je n'ai aucune raison de me rendre à cette fichuesoirée. Je ne resterai pas ici assez longtemps pour me

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faire des amis, que ce soit Luanne Porter ou quelqu'und'autre.— N'en soyez pas si sûre.Il s'approcha d'un pas lent. Caitlin retint son souffleface à la beauté saisissante du jeune homme. Il portaitune chemise blanche et une cravate noire. Son visagebronzé était rasé de près. Comment pouvait-il être aussiséduisant? songea-t-elle.Il s'arrêta juste devant elle, presque aussi procheque la veille, lorsqu'il l'avait embrassée. Brusquement,elle eut la certitude que Wade pensait à la mêmechose. Il esquissa même l'ombre d'un sourire.— Il semblerait que vous n'arriviez pas à m'agacerautant que vous le souhaiteriez, princesse.Comment prendre cette remarque perfide ? Ellehaussa délicatement les épaules.— Je vais donc devoir redoubler d'efforts, répondit-elle.— A votre guise.— Vous faites toujours ce que vous voulez, quandvous le voulez, n'est-ce pas ?Elle faisait allusion au baiser qu'ils avaient échangéet savait qu'il avait compris. Dans la lumière dorée dubureau, les yeux pétillants, il la prit par le bras.— Partons. Il ne faut pas faire attendre Luanne.Ils demeurèrent silencieux durant la majeure partiedu trajet, menant au ranch de Circle P. C'était unesuperbe nuit étoilée, douce et claire. La pleine lune lui-sait dans le ciel, telle une perle géante dans un écrin desatin bleu. Des lucioles voletaient parmi les arbres,créant un décor magique.Toutefois, la splendeur du paysage ne parvenait pas àapaiser les tourments de la jeune fille. Assise près deWade, elle ne pouvait penser à autre chose qu'à leurbaiser.Pourquoi l'avait-il embrassée? Il n'avait aucunesympathie pour elle, et c'était réciproque. Pourquoi luiavait-elle rendu ce baiser ?— Miguel a emporté les deux cadavres en ville et aenvoyé un câble au marshal de Laramie. Il est arrivé

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aujourd'hui. Selon lui, ce sont bien nos voleurs debétail. Du moins, une partie de la bande. Tous deuxsont recherchés dans le Montana et le Dakota du Nord.

Les deux cadavres... Elle pensait au clair de lune etau baiser de Wade, tandis qu'il songeait aux voleursde bétail. Caitlin eut l'impression de recevoir un coup demassue sur la tête. Elle se ressaisit et se dit qu'elledevait se montrer raisonnable, pour une fois. Ce baiserne signifiait rien pour Wade Barclay. Manifestement, ilavait l'habitude de se comporter ainsi. Comme il avaitl'habitude d'être confronté à des cadavres...

Elle chassa l'impression de vide qu'elle ressentait aufond de son cœur, et lissa le bas de sa robe.

— Cela signifie que le reste de la bande se composedes trois hommes qui m'ont pourchassée ?

— J'ai l'impression que la situation est plus graveque nous ne l'imaginions.

— Que voulez-vous dire ?— Le marshal a identifié les deux bandits grâce à

des avis de recherche placardés dans le Dakota. Lepremier, celui qui a été abattu sous vos yeux, s'appelaitSkeeter Biggs, un cousin de Hurley Biggs.

— Qui est Hurley Biggs ?— Un redoutable hors-la-loi. On le surnomme le Roi.

Il dirige une bande qui sillonne tout le pays. Ils ne sefont jamais prendre. Personne ne l'a jamais vu de près.A part vous, désormais...

Wade fit tourner l'attelage dans un chemin qui mon-tait vers une crête.

— Il y a de grandes chances que Skeeter ait fait par-tie de cette expédition, mais qu'il ait décidé de doublerHurley et de garder quelques bêtes pour son propretroupeau. Vous voulez savoir qui est l'autre mort ?

Wade pinça les lèvres. Il fit ralentir les chevaux envoyant un écureuil traverser le sentier. L'animal par-vint à se réfugier dans les arbres sans être écrasé sousles sabots.

— Qui est-ce ?— Otter Jones.Caitlin sursauta.

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— Comment?— Vous m'avez bien entendu. Apparemment, Jones

ne passait pas toutes ses nuits à boire. Quand il étaitassez sobre, il opérait avec la bande de Biggs. Il volaitces mêmes bêtes qu'il voulait rassembler pour moi,moyennant trente dollars par jour.

— Si j'avais pu me douter... bredouilla la jeune filleen rougissant.

— Je ne l'aurais pas cru, moi non plus, avoua Wade.Si nous connaissions tous les membres de la bande, ilnous serait plus facile de les arrêter et de les enfermer.Le problème, c'est que tout le monde a pensé qu'ils'agissait d'un petit groupe, qui se ferait prendre tôt outard. Mais s'ils font partie de la bande de Biggs, quisévit à grande échelle, ils sont bien plus malins et orga-nisés que nous ne le soupçonnions. Nous allons devoirchanger de tactique.

— Laquelle choisirez-vous ?— Je vais organiser une réunion en ville, et proposer

qu'un chasseur de primes traque Biggs et nous le livre,mort ou vif. Ensuite, le reste de la bande se disloquera.Selon le marshal, c'est l'intelligence et l'autorité de Biggsqui leur ont permis de sévir un peu partout, et avec tantde succès.

— Vous allez engager un chasseur de primes ?Caitlin observa une luciole. Comment avait-elle pu

envisager une seconde de faire venir Becky à CloudRanch? Certes, les montagnes étaient magnifiques. Il yavait le ciel bleu, les grands espaces... mais aussi destueurs à gages et des voleurs de bétail, et toutes sortesd'individus peu recommandables.

Y compris l'homme qui était assis à son côté !— En fait, reprit Wade d'un ton posé, il y en a un,

très réputé, qui habite non loin de chez nous, à SageCreek Ranch. Il s'appelle Quinn Lassiter. Mais il aabandonné le métier. Il mène désormais une vie defamille paisible. Je suppose que nous devrons trouverquelqu'un d'autre...

— J'ai l'impression que vous avez un nom en tête.

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— C'est vrai, admit-il avec un regard de biais. Monfrère.— Clint?— Non. Je pensais à Nick, mon petit frère. C'est lui,la gâchette facile de la famille. Je lui ai déjà adressé uncâble. Dès qu'il aura réglé ce sur quoi il travaille en cemoment, je suppose qu'il viendra.— Formidable, jeta-t-elle avec ironie.Deux Barclay au lieu d'un. Deux fils de Reese...— Nous ne sommes pas aussi désagréables que vousle pensez, assura-t-il comme s'il lisait dans ses pen-sées. Il suffit d'apprendre à nous connaître, c'est tout.Il faisait de son mieux pour réprimer un sourire.— J'ai appris à vous connaître et, croyez-moi...Elle s'interrompit.— Ne me dites pas que vous me trouvez des défauts,mademoiselle Summers ?— Une bonne dizaine, répondit-elle le plus sérieuse-ment du monde.Il secoua la tête.— Vous me faites de la peine. Lorsque je vous aisauvé la vie...— Cela n'a aucun rapport. Cette fois-là, vous avezfait une bonne action. Mais...— Continuez. Soyez franche. Je crois que je suisprêt à tout entendre.Elle distinguait son sourire dans la pénombre.— Je suis trop polie pour exprimer ce que je pensevraiment.— Ou trop froussarde, lança-t-il.— Froussarde ? répéta Caitlin, abasourdie.— C'est bien ce que j'ai dit.— D'accord! Vous êtes une brute. Têtu comme unemule. Sans parler de votre étroitesse d'esprit, de votrecôté autoritaire insupportable... Ai-je parlé de votre arro-gance? Vous croyez tout savoir, et l'opinion d'autruin'a aucune importance à vos yeux. Vous êtes incapablede faire une addition sans vous tromper.— C'est tout?

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— Et vous ne savez pas vous y prendre avec unedame.— Vraiment? Moi qui croyais que vous ne m'aimiezpas, je suis rassuré, railla Wade avec un petit rire.Au bout de quelques secondes de silence, Caitlin neput s'empêcher de rire à son tour.— Vous êtes vraiment impossible !— Vous voulez savoir ce que je pense de vous ?— Non ! répondit-elle un peu trop vite.Elle se mordit la lèvre et s'esclaffa de plus belle.— Froussarde, se moqua-t-il.— Bon, allez-y, si vous y tenez, concéda-t-elle.— Non, c'est inutile. Je doute que vous soyez prêteà l'entendre...— Sachez, monsieur Barclay, que j'accepterai toutce que vous aurez à dire.— Vous en êtes certaine, mademoiselle Summers?demanda-t-il d'une voix emplie de défi.Songeant au baiser qu'ils avaient échangé, et à l'ef-fet que celui-ci avait produit sur elle, la jeune fille eutsoudain très chaud.— Essayez, pour voir, parvint-elle à énoncer, espé-rant faire illusion.Il se tourna vers elle, les yeux pétillants de malice auclair de lune.— Attention, je risque de vous prendre au mot...Wade regretta aussitôt ses paroles. Quelle mouchel'avait donc piqué ? Embrasser Caitlin Summers avaitété une erreur grossière. Et s'il n'y prenait pas garde,il risquait de recommencer.Il fut soulagé de voir le chemin plonger vers la valléeplantée de saules. Au loin, le ranch de Circle P se dres-sait au milieu des arbres imposants. Durant le trajet, ilavait essayé de se concentrer sur les voleurs de bétail,pour oublier la femme superbe qui était assise à côté delui, ou l'erreur qu'il avait commise. En vain. Elle étaitsi belle, dans cette robe, qu'il ne parvenait pas à pen-ser à autre chose.Caitlin Summers était sous sa responsabilité, serappela-t-il. Il était de son devoir de veiller sur elle. Il

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devait remplir la mission qui lui avait été confiée,comme s'il s'agissait de couper du bois ou de nettoyerles écuries.

Mais si c'était une tâche comme les autres, pourquoiavait-il fallu qu'il l'embrasse ?

Il arrêta la voiture devant l'enclos du ranch. Embras-ser Caitlin ne faisait pas partie de son travail. Partir àsa rescousse, oui. Il tiendrait la promesse faite à Reese.Mlle Summers n'était pas pour lui.

Faisant le tour du véhicule pour l'aider à descendre,il desserra son nœud de cravate. Il souleva la jeune filleavec aisance et la déposa à terre. Elle tremblait légère-ment.

— Nous sommes en retard, marmonna-t-il en recu-lant vivement.

Au moins, la présence de Luanne lui permettraitd'oublier Caitlin, ce soir. Il lui suffirait de regarderl'institutrice, si douce, si gentille, si gracieuse, et toutse déroulerait à merveille.

Le salon du ranch des Porter était bondé d'invités,parés de leurs plus beaux atours. Caitlin fut accueillieavec chaleur par Edna Weaver qui lui présenta Seth,son mari. Winifred s'extasia sur sa toilette. Très vite,Wade et Seth se mirent à discuter des voleurs de bétail.

Vêtue d'une robe en taffetas crème, Luanne Porterse précipita vers Caitlin. Les yeux pétillants de joie,elle la présenta à son oncle et à sa tante, un couple élé-gant originaire de Boston.

— Je suis ravie que vous soyez des nôtres, ce soir,mademoiselle Summers! s'exclama Luanne avec unsourire chaleureux.

Puis elle se tourna vers Wade, qui posait une questionà Seth. Il adressa un clin d'œil à Luanne. Celle-ci rou-git. Caitlin fut saisie d'un malaise étrange.

— Je vous en prie, appelez-moi Caitlin. Je suisenchantée d'être là.

Comment pouvait-elle s'exprimer normalement, alorsqu'elle se sentait glacée à l'intérieur? Même ses lèvressemblaient gelées.

Amelia Porter, la tante de Luanne, se mit à rire.

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— Eh bien, on peut dire que c'est une soirée trèscourue, n'est-ce pas? Enfin, pas selon les critères deBoston ou de Philadelphie, mais pour la région, oui.C'est drôle, car tout a commencé par un petit dînerintime en famille, avec Wade - mais il fait presque par-tie de la famille, précisa-t-elle. Lui et Luanne sont...vous voyez...

Elle s'interrompit comme sa nièce lui lançait unregard exaspéré.

Caitlin sentit une boule se former dans sa gorge.— Vraiment, tante Amelia? protesta Luanne, qui

paraissait toutefois aussi ravie que gênée.— C'est la vérité, non? insista sa tante en souriant

à Caitlin. Bref, ce dîner s'est transformé en une belleréception, ce qui est une excellente chose, car je croisque Luanne regrette la vie sociale qu'elle connaissaitdans l'Est. Vous aussi, sans doute, mademoiselle Sum-mers ?

Caitlin pencha la tête, abasourdie par ce que sous-entendait Mme Porter à propos de Luanne et de Wade.

— Oui... bien sûr, murmura-t-elle.Elle ne pouvait avouer que rien ne lui manquait de

son ancienne vie. Les événements qui avaient émailléces dernières semaines à Philadelphie, n'avaient faitque révéler trop clairement la nature superficielle deses fréquentations. A part deux ou trois amis qui luiavaient présenté leurs sincères condoléances après lamort de Lydia et de Gillis, les autres s'étaient contentésde quelques platitudes, tout en colportant des ragotsderrière son dos. Lorsque les dettes de Gillis avaientété révélées - il devait de l'argent à la moitié de sesassociés et relations -, toute la ville s'était retournéecontre elle. Caitlin était devenue l'objet du méprisgénéral.

— Jouez-vous du piano? s'enquit Amelia. Luannejoue merveilleusement bien, et elle chante aussi.

— Enfin, un peu, corrigea Luanne. Suffisammentpour amuser mes élèves. Mais, croyez-moi, je n'ai guèrede talent.

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— Et vous, mademoiselle Summers, chantez-vous ?demanda Frederick Porter, l'oncle de Luanne, avec unregard admiratif.— Un peu, répondit Caitlin, s'efforçant de sourire.À l'image de Winifred et Edna, Luanne Porter, sononcle et sa tante se montraient chaleureux.— En revanche, Becky, ma jeune sœur, a une voixsuperbe, d'une douceur exquise. Peut-être aurez-vousl'occasion de l'entendre chanter, un jour...Elle s'interrompit. Quelle mouche l'avait doncpiquée ? Jamais une telle chose ne se produirait. Il étaithors de question que Becky prenne la diligence pourvenir jusqu'à Hope ! De toute façon, sa petite sœur étaitbien trop timide pour chanter devant des inconnus.Cependant, cette proposition fut accueillie avecenthousiasme.— Sans doute viendra-t-elle vous rendre visite, sug-géra Winifred.— Dans ce cas, Seth et moi donnerons une granderéception et elle chantera pour les invités, renchéritEdna.— Je crains qu'elle ne soit un peu réservée, s'em-pressa de préciser Caitlin.Edna esquissa un geste désinvolte.— Nous lui ferons comprendre que nous sommesentre amis. Il suffira de la rassurer... À propos, quelâge a-t-elle ?— Onze ans.— Elle sera ravie de faire la connaissance desjumelles Morgensen, Katie et Bridget. Elles ont onzeans, elles aussi. Il faut vraiment inviter votre sœur,ajouta-t-elle d'un ton enjoué.Caitlin se sentit enveloppée de chaleur et d'amitié.Ce petit salon meublé avec goût, ces gens sympathiqueset bienveillants, ce délicieux fumet de poulet rôti etde tarte aux pommes qui emplissait la maison, toutcela lui donnait l'impression d'avoir retrouvé unfoyer. Tandis que ses voisines gagnaient la cuisinepour préparer le repas, elle demeura sur le canapé en

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compagnie de Luanne, à parler du club de couture deHope.

—- Je n'en fais partie que depuis un mois, mais c'estun groupe très agréable. Peut-être aimeriez-vous assis-ter à la prochaine réunion...

Quelqu'un frappait à la porte. Luanne s'interrompit.—- Oh, ce doit être M. Raleigh ! Veuillez m'excuser.Elle se précipita pour ouvrir.— Entrez donc, monsieur Raleigh, je vais vous pré-

senter les autres invités.Un homme élancé, large d'épaules et tiré à quatre

épingles, apparut. Caitlin reconnut aussitôt sa façon debalayer la pièce des yeux. Elle avait maintes fois croiséde tels regards dans les salons huppés de Philadelphie.Cet homme n'était qu'un arrogant, en train de jaugerl'assemblée pour voir qui pouvait lui être utile ou l'amu-ser quelque temps. Il lui rappelait quelqu'un... mais elleignorait dans quelles circonstances elle aurait pu lecroiser. Cependant, elle ressentit un léger malaise.

— Chers amis, je vous présente Drew Raleigh,annonça Luanne au moment où Winifred, Edna etAmelia Porter revenaient de la cuisine.

Elle adressa un large sourire à l'élégant inconnu etcontinua :

— M. Raleigh nous arrive de New York, il est envoyage d'affaires à Hope. C'est Edna qui me l'a pré-senté, hier après-midi.

— Oui, renchérit le nouvel arrivant avec un sourireétincelant. Quelle chance ! Mile Porter a eu pitié de moi.Je ne connais pas grand monde en ville, et elle a eu lagentillesse de m'inviter pour me présenter quelquesamis.

Sa voix suave, grave, presque mielleuse, contrastaitavec ses traits taillés à la serpe et ses yeux noisette àl'éclat perçant. Ses cheveux châtain clair étaient pei-gnés avec soin. Il avait le teint légèrement hâlé, commes'il avait chevauché dans les plaines du Wyoming.

Il serra la main des hommes. Les dames murmu-rèrent «enchantée». Caitlin se leva. L'espace d'un ins-tant, son regard quitta le nouveau venu pour se poser

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sur Wade. Elle avait remarqué que Luanne ne cessaitde lui lancer des œillades, et avait désormais la certi-tude qu'il existait entre le régisseur et l'institutricebien plus que de l'amitié. D'ailleurs, les remarques deMme Porter le confirmaient.

Son cœur se serra. Quel genre d'homme était-il pourembrasser une femme tout en courtisant une autre?Assurément un homme peu recommandable.

Se rappelant les mises en garde de Mme Casper, sacompagne de voyage dans la diligence, elle sentit ledégoût l'envahir. Un être tel que Dominic Trent étaitcapable d'une telle bassesse. En fait, il avait voulu faireencore pire. Mais jamais elle n'aurait cru que WadeBarclay puisse tomber aussi bas.

Levant les yeux, il croisa son regard. Caitlindétourna vite la tête, furieuse contre elle-même. Quelleimbécile elle avait été d'espérer que, derrière son arro-gance et son entêtement, se cachait un homme intègre.A présent, elle savait à quoi s'en tenir. Elle regretta dene pouvoir effacer ce baiser de sa mémoire.

Elle fut interrompue dans ses pensées par la voix deLuanne, qui venait lui présenter Drew Raleigh.

— Voici Mlle Summers, déclara-t-elle.— Je vous en prie, appelez-moi Caitlin.— Très bien. Caitlin vient d'arriver à Hope, expli-

qua Luanne. Elle possède en partie Cloud Ranch, avecWade Barclay.

— Ah, Cloud Ranch! s'exclama Drew Raleigh avecchaleur. J'en ai beaucoup entendu parler.

— Laissez tomber, lança Wade par-dessus l'épaulede Caitlin. Cloud Ranch n'est pas à vendre, ni mainte-nant ni à l'avenir.

Raleigh haussa les sourcils.— Monsieur Barclay, répliqua-t-il en esquissant un

sourire moqueur, qu'est-ce qui vous fait croire que jeserais acheteur?

Caitlin vit les deux hommes se toiser. Le visage deWade ne trahissait aucun sentiment.

— En fait, Raleigh, intervint Seth Weaver, je viensjuste d'expliquer à Wade la raison de votre venue à Hope.

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Il se tourna vers Caitlin en poursuivant :— Drew représente une entreprise de l'Est, vive-

ment intéressée par l'acquisition d'un ranch de bonnesuperficie dans la région. Cette société possède déjàdes intérêts dans des élevages de l'Arizona et du Mon-tana. Mais, comme je le lui ai expliqué lors de notreentrevue cet après-midi à la banque, de tous les éle-veurs de Silver Valley, les Barclay, les Tyler et les Lassiter sont les moins susceptibles de vendre. En fait,je l'ai averti que Wade et ses frères ne vendraientjamais.

— Effectivement, admit Drew en hochant la tête.C'est exactement ce que vous m'avez dit. Mais vousn'avez pas précisé que Mlle Barclay - enfin, je veuxdire Mlle Summers - possédait une partie du ranch.Vous devez être parents ? s'enquit-il en adressant à lajeune fille un sourire désarmant.

— Non, rétorqua-t-elle avec véhémence. En aucunefaçon.

Les autres invités la fixèrent, étonnés par la vivacitéde sa réaction. Wade affichait sa nonchalance coutu-mière.

— De plus, ajouta-t-elle plus calmement, je nedemande qu'à vendre ma part de Cloud Ranch. Malheu-reusement, c'est impossible.

— En d'autres termes, inutile de perdre votre tempsà jouer les beaux parleurs, conclut Wade en prenantCaitlin par le bras.

Mais elle se dégagea de son emprise. Les yeux noi-sette de Drew Raleigh étaient rivés sur elle.

— Si je devais jouer les beaux parleurs auprès d'une sicharmante créature, ce ne serait pas à propos d'uneparcelle de terrain, déclara-t-il d'une voix suave.

Caitlin décela une lueur admirative dans son regard,mais ne s'en émut pas pour autant. Elle avait déjà ren-contré des dizaines de séducteurs de cet acabit.

— Vous êtes trop gentil, monsieur Raleigh, déclara-t-elle, non parce qu'elle cédait à son charme, maispour contrarier Wade.

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— Appelez-moi Drew, répondit-il en souriant de plusbelle. D'où êtes-vous originaire, mademoiselle Sum-mers?

— Je me prénomme Caitlin... Mais si nous parlionsplutôt de vous ?

Ils se mirent à bavarder de choses et d'autres. Lajeune fille sentit le regard intense de Wade posé sur elle.Pendant tout le repas, et pendant les jeux de cartes quisuivirent, il l'ignora, préférant plaisanter avec SethWeaver, parler élevage avec Frederick Porter, ou féli-citer Luanne et sa tante pour leurs talents de cordons-bleus.

Vers la fin de la soirée, Caitlin remarqua qu'elle avait égaré son réticule. Elle se rappela être allée dans le petitsalon, en compagnie d'Ameîia, pour regarder le patrond'une robe selon elle très en vogue dans l'Est. Persua-dée d'y avoir oublié son réticule, elle longea le couloir.Effectivement, elle le découvrit sur le divan, parmi lescoussins.

Mais en voulant regagner le salon, elle entendit unson étrange à sa droite. Elle se trouvait devant la portede la cuisine. S'approchant d'un pas, elle distinguaWade et Luanne, tendrement enlacés.

Sous le regard abasourdi de Caitlin, ils s'embras-sèrent.

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Le réticule glissa des mains de Caitlin et heurta lesol avec un bruit sourd. Wade s'écarta vivement del'institutrice.

Plissant les yeux, il se tourna vers Caitlin, livide etpétrifiée. Pendant un long moment, elle ne parvint pasà arracher son regard du sien. Elle avait l'impressionque la foudre était tombée sur elle. Puis elle entenditLuanne murmurer quelques mots et s'écarter à sontour. Wade resta les bras ballants. Ivre de douleur et decolère, Caitlin ramassa son réticule et s'enfuit dans lecouloir.

— Caitlin, attendez ! fit la voix de Wade.Hâtant le pas en direction du salon, elle bouscula

Winifred.— Oh, excusez-moi! bredouilla cette dernière en

observant le visage livide de la jeune fille. Seigneur,mon enfant, que vous arrive-t-il ? On jurerait que vousêtes sur le point de défaillir.

— Non, non. Je... je ne m'évanouis jamais. C'estque... j'ai mal à la tête et je... je pense que Wade aime-rait s'attarder plus longtemps. Je me demandais si lesWeaver auraient la gentillesse de me raccompagner...tout de suite.

— Bien sûr, ma chère. Je vais leur demander, répon-dit Winifred, alarmée. Je suis désolée que vous ne voussentiez pas bien. Le temps de trouver Edna et...

— Si j'avais une voiture, je serais honoré de vousemmener, Caitlin, intervint Drew Raleigh en surgis-sant derrière Winifred. Malheureusement, je suis venuà cheval. Laissez-moi vous accompagner vers un fau-

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teuil, le temps que les Weaver soient prêts à partir.Puis-je vous apporter un verre de cognac ?— Ce ne sera pas nécessaire, trancha la voix deWade.La jeune fille fit volte-face. La mine sombre, Wades'approcha et la saisit par le bras.— Désolé de vous avoir fait attendre, dit-il. Nouspartons.— Je vous demande pardon, répliqua-t-elle en déga-geant son bras pour le fusiller du regard. Je n'aiencore salué personne.— Alors allez-y.— Je le ferai quand bon me semblera.— Je suggère que vous preniez congé dès mainte-nant.Entre eux, la tension était palpable. Stupéfaite,Winifred observait tour à tour les deux jeunes gens.Drew Raleigh garda un silence prudent.Caitlin fulminait. Elle soutint le regard glacial deWade. Pas question de céder la première ! Elle n'avaitrien fait de mal, après tout.Ce fut Winifred qui rompit la glace. Elle entraîna lajeune fille vers les Weaver, afin qu'elle leur dise bon-soir.Ensuite, Caitlin se retrouva dehors, à côté del'homme qu'elle détestait le plus au monde, enveloppéede l'odeur des pins et des fleurs sauvages. Nul ne pro-nonça un mot avant d'arriver à proximité de CloudRanch.— Je suppose que je vous dois des explications.Ce ton désinvolte faillit la faire hurler de colère.— Vraiment? fit-elle avec tout le mépris dont elleétait capable. Je me demande bien lesquelles.— En aucun cas, vous ne devez avoir à faire avecDrew Raleigh.— Vous vouliez me parler de Drew Raleigh ! lança-t-elle, sidérée.— Bien sûr que non. Il est certainement le dernierdont j'ai envie de discuter. Je vous dis simplement derester à distance de cet homme.

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— Vous n'avez pas à me dire ce que je dois faire ounon, monsieur Barclay. Rien du tout. Et le seul hommedont je compte rester à distance, c'est vous !— Pourquoi donc ? Est-ce à cause de cette... erreur...entre nous ?— Naturellement. Et il semblerait que vous ayezcommis une autre erreur, ce soir. Avec Luanne Porter.— Cela n'avait rien d'une erreur. Je voulais l'em-brasser, déclara Wade d'un ton détaché.Caitlin se tourna vers lui, ivre de jalousie. Il affichaitune expression neutre, regardant droit devant lui,mais ses grandes mains étaient crispées sur les rênes.— Alors je plains cette pauvre femme ! s'exclama-t-elle.— J'ai l'impression qu'elle a plutôt apprécié... Vousaussi, m'a-t-il semblé, ajouta-t-il avec un regard debiais.Ignorant si elle devait le gifler ou se mettre à hurler,Caitlin se contenta de serrer rageusement les poings.— Vraiment ? Je n'en ai pas souvenir.— Je ne vous crois pas.— C'est pourtant la vérité. Voyez-vous, j'ai tendanceà effacer toute expérience désagréable de ma mémoire.C'est mieux que de ressasser les mauvais souvenirs. Cequi a pu se passer entre vous et moi... quelle que soitl'erreur que vous ayez commise... Bref, il ne s'est rienpassé du tout, en ce qui me concerne.Il arrêta les chevaux si brutalement qu'elle futsecouée sur son siège. La nuit noire les enveloppa. Ilsétaient seuls parmi les arbres, sous les étoiles.— Qu'est-ce que vous faites ?— Je vais vous rafraîchir la mémoire, gronda-t-il enprenant la jeune fille dans ses bras.Surprise, elle retint son souffle, les yeux écarquillés.Il l'attira plus près encore. Caitlin voulut se dégager,mais il posa sa bouche sur la sienne. Enfin, il savouraces lèvres roses qui le hantaient jour et nuit.Wade n'avait pas eu l'intention de l'embrasser. Lafois précédente non plus. Mais cet ange blond, à la foisexquis et irascible, avait le don de l'enflammer.

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— Ainsi, vous avez oublié l'effet de mon baiser?murmura-t-il, la faisant frissonner entre ses bras.— O... oui.— Et rien de ceci ne vous rappelle quoi que ce soit ?— N... non... Pas du t...Il l'embrassa à nouveau. Elle voulut résister, maiselle céda dans un gémissement dès que ses lèvres s'em-parèrent des siennes, pour l'emporter dans un tour-billon de sensations.— Vous ne vous rappelez pas ceci ? insista-t-il d'unevoix rauque, brisée par le désir.— Euh... non... Peut-être...— Moi si.Il l'embrassa plus ardemment encore. Elle se fonditcontre lui, répondant à son baiser avec fièvre.Rien n'aurait pu retenir Wade de continuer. Ilsétaient seuls au monde. Un baiser en appelant un autre,puis un autre, ses mains se firent plus audacieuses.Il caressa ses courbes, sans cesser de l'embrasser. Lajeune fille montrait un abandon insoupçonné. Trèsvite, il se mit à trembler de désir.— Caitlin, qu'est-ce que vous me faites ? gémit-il enl'embrassant dans le cou.Ses doigts fébriles s'attardèrent sur son chignon,voulurent ôter les épingles de sa chevelure.— N... non. Wade, non!En l'entendant prononcer son prénom, il sentit sonventre se nouer. Son cœur battait à tout rompre.Jamais il n'avait rien éprouvé d'aussi intense.— Je n'y peux rien, souffla-t-il, un bras autour de sataille, tandis que ses doigts saisissaient une épingle à che-veux. Cela fait si longtemps que j'attends ce moment...Avec une douceur infinie, il ôta une à une quelquesépingles, puis les jeta à terre. Les boucles blondes de lajeune fille cascadèrent sur ses épaules, rayonnant tel unsoleil au clair de lune. Wade enfouit les doigts dans lachevelure soyeuse et l'embrassa avec une ardeur décu-plée.Caitlin réprima un gémissement, se blottissant contresa chaleur. Il se sentit enveloppé d'un nuage sensuel

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qui éveilla chaque parcelle de sa peau. Lorsque leslèvres de la jeune fille s'entrouvrirent pour accueillir unbaiser plus profond, il crut mourir de plaisir. Il n'avaitplus qu'une envie, lui arracher sa robe et la fairesienne.

Ensuite, la vie reprendrait son cours et cette petitesorcière cesserait de le hanter. Il glissa les doigts dansses cheveux et caressa les boucles soyeuses, puis s'aven-tura sur son épaule. En effleurant un sein, il fut tra-versé d'un frisson.

Elle retint son souffle, cédant un instant au plaisir decette caresse. Mais soudain, elle se raidit et s'écartabrusquement.

— Non! murmura-t-elle.La magie de l'instant était rompue. Rougissante, elle

recula en tremblant et le dévisagea.— Non!Dans son regard, Wade décela une lueur de panique.

Il éprouva le besoin de la rassurer.— Très bien, princesse! J'arrête... pour l'instant, si

tel est votre désir.— Mon désir ? rétorqua-t-elle, livide. Depuis quand

vous souciez-vous de mon désir ? Vous êtes comme tousles autres. Alec, Dominic Trent, et maintenant vous !Vous m'obligez à rester à Cloud Ranch contre mavolonté. Vous vous moquez de mes désirs !

Il leva les mains, dans un geste d'apaisement. Lajeune fille faisait de son mieux pour ne pas fondre enlarmes.

— Doucement, fit-il, comme s'il s'adressait à unejeune pouliche rebelle qu'il voudrait apprivoiser. Quiest Alec ? Et qui est Dominic Trent ?

— Cela ne vous regarde pas, mais vous ne valez pasmieux qu'eux.

Wade la considéra, la mine grave.— J'ai l'impression qu'ils vous ont fait souffrir, Cait-

lin. Moi, je ne vous veux aucun mal.— Pourtant vous m'en avez déjà fait, rétorqua-

t-elle en effleurant ses lèvres, encore frémissantes deses baisers.

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Aussitôt, elle regretta ses paroles.— Comment cela ? demanda-t-il vivement.— Vous m'empêchez de retourner auprès de Becky.Elle a besoin de moi, je dois l'emmener très loin avantque...Elle s'interrompit, comprenant qu'elle en avait tropdit.— Et vous m'avez embrassée, poursuivit-elle d'unton accusateur.— Cela vous a fait mal ? railla-t-il.— Vous n'étiez pas sincère. Vous ne m'avez pasembrassée par... tendresse, ou tout autre sentiment.Vous et Luanne... je vous ai vus... Alors, pourquoi?Wade crispa la mâchoire.— C'est aussi la question que je me pose, mais j'enai envie depuis le soir où je vous ai retrouvée au bordde la rivière.— Pourquoi? insista-t-elle.— Sans doute pour les raisons qui vous ont pousséeà accepter ce baiser.— C'est faux... Je n'ai jamais...Rapide comme l'éclair, il la saisit par les poignets etl'attira vers lui.— Vous voulez que je vous le prouve à nouveau?Mais si nous commençons, j'ignore si nous pourronsnous arrêter...Leurs regards se croisèrent. Caitlin n'osait mêmepas envisager la raison pour laquelle elle avait acceptéson baiser.— Allez au diable ! cria-t-elle.Elle se dégagea de son emprise, les yeux embués delarmes. Mais elle se garda de laisser libre cours à sessanglots. Avant que Wade ait le temps de réagir, ellesauta de la voiture et s'enfuit dans les herbes hautes.Les reflets de la lune dansaient sur sa robe et ses che-veux épars. Elle courut en direction de Cloud Ranch,tel un animal nocturne, sans se retourner.Wade la regarda s'éloigner, la gorge nouée. À contre-cœur, il dut admettre qu'il brûlait d'envie de lareprendre dans ses bras.

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Quelle mouche l'avait donc piqué ?Il ne pouvait lui révéler qu'il avait embrassé Luanne

uniquement pour cesser de penser à elle. Qu'il espéraiteffacer ainsi le souvenir de leur premier baiser. Mais iln'avait rien oublié. Il s'en voulait d'avoir utilisé Luannede façon aussi vile. Néanmoins, en l'embrassant, iln'avait songé qu'à Caitlin.

Enfer et damnation ! D'un geste rageur, il fit redé-marrer les chevaux. Reese lui avait confié sa fille, et ilavait promis de s'occuper d'elle. Cependant, il ne s'at-tendait pas à ressentir pour elle des émotions aussitroublantes. Tout le monde voyait en lui un jeunehomme intègre et responsable. Or, ces derniers temps,il se conduisait comme un goujat, doublé d'un imbécile.

Elle avait affirmé qu'elle et sa sœur devaient s'en-fuir. .. Pour quelle raison ? A cause de ces deux hommesdont elle avait cité les noms ?

Wade avait l'impression qu'il y avait autre chose...En dépit de sa beauté et de son courage, c'était elle-même que fuyait Caitlin Summers.

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Durant une semaine entière, Caitlin évita le régisseur.Elle prenait son petit déjeuner bien après qu'il eut ter-miné le sien. Lorsqu'il rentrait pour déjeuner ou dîner,elle montait dans sa chambre, et passait ses soirées àlire ou à écrire à Becky.

C'était l'époque du marquage du bétail. Wade avaitbeaucoup de travail. Aussi ne faisait-il aucun effort pourla croiser. Elle s'en réjouissait.

Ce jour-là, elle regardait par la fenêtre, vers lesenclos déserts. Le marquage terminé, les hommes s'oc-cupaient à diverses tâches. Le chien pourchassait unécureuil, près de la rivière, en aboyant gaiement. Lajeune fille était nerveuse.

Elle n'était plus partie se promener à cheval depuissa mésaventure avec les voleurs de bétail. CommeWade l'avait prévu, Star avait retrouvé d'elle-même lechemin du ranch. Elle se dit soudain qu'il était grandtemps qu'elle cesse de se terrer dans la maison.

Elle prit la dernière lettre qu'elle avait écrite à Beckyet la contempla d'un air songeur. Elle lui écrivaitchaque jour, mais n'avait encore reçu aucune réponse.Se mordant la lèvre, elle décida de se rendre en ville,pour poster son courrier et voir si une lettre de sasœur l'attendait.

Apparemment, les voleurs de bétail avaient quittéla région. Ils n'avaient plus donné signe de vie, depuiscette journée funeste où elle les avait croisés. Elle neferait aucune mauvaise rencontre. A part les loups, lesserpents et les ours, songea-t-elle en nouant le cordon

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de son chapeau. Elle sortit, son ensemble en cotonprune lui frôlant les chevilles.Elle gagna la cuisine, où elle avait remarqué laprésence d'un fusil, près de la porte. En ce milieud'après-midi, Francesca était en train de sortir unetarte aux pommes du four. Elle vit Caitlin prendre lefusil.— Senorita?Son regard interrogateur agaça la jeune fille. Ellen'était pas d'humeur à se justifier. Elle n'avait qu'uneenvie: chevaucher dans la plaine, être seule, oublierWade, Cloud Ranch et tous ses ennuis. Et surtout, l'ef-fet que les baisers de Wade produisaient sur elle.— Je vais en ville. Avez-vous besoin de ce fusil, oupuis-je le prendre ?— J'en ai un autre dans le cellier, au besoin. Maissavez-vous manier une telle arme ?— Ce ne doit pas être bien compliqué, réponditCaitlin en haussant les épaules. Puis-je vous rapporterquelque chose de la ville ?— Non, merci. Mais, senorita... si vous n'avezjamais utilisé d'arme à feu, le senor Wade préféreraitcertainement que vous sachiez...— Je fais ce que je veux, coupa la jeune fille enregardant la gouvernante droit dans les yeux. Je n'ainullement besoin de sa permission pour quoi que cesoit.A sa grande surprise, Francesca lui sourit. Son beauvisage s'illumina.— Votre père, il était obstiné, lui aussi. Le senorWade est plus patient. Mais tout de même...— Patient, moi ? A quel propos ?En entendant la voix grave de Wade, les deuxfemmes se retournèrent vivement. Il était appuyé contrele chambranle de la porte du couloir, son Stetsonenfoncé sur les yeux.— Peu importe, répondit Caitlin en crispant lesdoigts sur la crosse.Elle voulut quitter la pièce, mais Wade demanda :— Qu'est-ce que vous comptez faire avec ce fusil?

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— Cela ne vous regarde pas ! lança-t-elle par-dessusson épaule, avant de claquer la porte de la cuisine der-rière elle.

Elle l'entendit lui emboîter le pas, mais ne ralentitpas. Au contraire, elle se hâta. Il la rattrapa devantla grange et lui barra le passage. Caitlin voulut lecontourner pour ouvrir la porte, mais il se montra plusprompt. Son corps puissant formait une barrièreinfranchissable.

— Écartez-vous tout de suite et laissez-moi tran-quille, ordonna-t-elle.

— Pas tant que vous ne m'aurez pas expliqué ce quevous comptez faire de ce fusil.

— Je vais faire un tour en ville, puisque vous teneztant à le savoir! J'ai une lettre à envoyer à ma sœur.Vous savez, cette enfant qui attend patiemment monretour à Philadelphie ? Je veux lui envoyer cette lettre,si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

— Et le fusil ? Vous le lui envoyez aussi ?— Il se trouve que je possède ce ranch au même titre

que vous, lui rappela-t-elle froidement. Cela signifie quece fusil m'appartient autant qu'à vous. Je n'ai nul besoinde vous demander la permission pour m'en servir.

— Mais vous ne pouvez l'utiliser sans connaître sonmaniement à la perfection, rétorqua-t-il en lui prenantl'arme des mains. Je parie que vous n'avez jamais tiréun coup de feu de votre vie. Je me trompe ?

— Quelle différence cela fait...— Savez-vous s'il est chargé ?Chargé ? Caitlin se mordit la lèvre.— Je n'ai pas vérifié... enfin, pas encore. Mais

j'avais l'intention de...— Écoutez, jeune demoiselle sans expérience, coupa-

t-il en secouant la tête. Vous pourriez vous faire trèsmal, car vous ignorez tout de l'art du tir. Cette arme ases particularités. Il faut la tenir d'une certaine façon,si vous voulez faire mouche.

— Très bien, concéda-t-elle. Je n'emporterai pas cemaudit fusil en ville. Vous êtes satisfait? A présent,écartez-vous, que je puisse aller prendre mon cheval.

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— Laissez tomber. Je vais atteler la charrette elvous conduire en ville moi-même.— Votre compagnie est bien la dernière chose dontj'ai envie !— Pourquoi? demanda-t-il en s'approchant d'elle.Je vous fais peur ?— Ne soyez pas ridicule, rétorqua-t-elle en secouantla tête. Vous vous surestimez, monsieur Barclay, sivous croyez que votre simple présence m'effraie. Jene souhaite tout simplement pas m'ennuyer à mourirpendant le trajet.Sur ces mots, elle tenta une nouvelle fois de lecontourner pour entrer dans la grange. Étouffant unjuron, Wade la saisit par la taille.— Vous êtes décidément la femme la plus entêtéeque je connaisse. J'ai dit que je vous emmène en ville,et je le ferai !Caitlin tentait de se dégager de son emprise, quandune autre voix, plus grave, mais douce et amusée,s'éleva :— Eh bien... j'arrive en pleine bataille !C'était un homme aussi grand et musclé que Wade,dont il avait les cheveux noirs. Mais ses yeux étaientgris, et non bleus. Il s'approcha, un sourire radieux surles lèvres.— D'où sors-tu donc, toi? grommela Wade quitenait toujours la jeune fille par la taille, avant de croi-ser le regard narquois de son frère.Nick Barclay haussa les épaules.— Je suis allé me rafraîchir à la rivière. Il fallaitbien que je sois présentable, avant de faire la connais-sance de la fille de Reese. Et je suppose que c'estvous-même, mademoiselle? ajouta-t-il en s'inclinantgalamment.Caitlin le dévisagea un instant, déconcertée.— Vous devez être Clint... ou Nick, murmura-t-elleen se débattant de plus belle.— Nick Barclay, pour vous servir, mademoiselleSummers. Surtout, ne croyez pas un mot de ce que monfrère a pu vous raconter sur moi. Ce sont des men-

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songes. À présent, grand frère, explique-moi pourquoitu t'accroches ainsi à cette jeune personne ?

Ses yeux gris, ourlés de longs cils, pétillaient demalice. Wade libéra Caitlin, sans chercher à dissimu-ler son sourire. Il posa le fusil à terre et se précipitavers son frère.

Ils s'étreignirent en se tapant dans le dos, ravis de seretrouver. La colère de Wade s'était envolée.

— Combien de temps peux-tu rester? demanda-t-ilà son cadet.

— Quelques jours. Le temps que tu m'expliquescette histoire de voleurs de bétail. Ensuite, je me lan-cerai à leur poursuite. Reese détestait les voleurs plusque tout au monde.

Reese. Encore Reese, songea la jeune fille avec amer-tume. Les frères Barclay l'idolâtraient. Ils l'aimaientcomme un père. Il les avait élevés dans cette grandedemeure, où elle-même était une intruse...

Une douleur familière lui noua les entrailles.—- Je vous laisse, déclara-t-elle aux deux frères en

leur adressant un regard glacial, avant de regagner lamaison.

Plus question d'aller en ville, désormais.Lorsqu'elle annonça l'arrivée de Nick à la gouver-

nante, celle-ci s'illumina de bonheur et s'affaira à lapréparation d'un repas de fête pour cet invité demarque.

Caitlin disposa sur la table une nappe blanche endentelle et de jolies assiettes blanc et bleu, tandis queFrancesca courait en tous sens du cellier à ses four-neaux.

Quand les deux frères entrèrent, Caitlin était en trainde découper des parts de tarte aux pommes. Francescasurgit de sa cuisine, radieuse. Elle portait un platregorgeant d'épaisses tranches de jambon, accompa-gnées de haricots et de pain frais.

— Joignez-vous à nous, mademoiselle, proposaNick en la voyant s'éloigner vers l'escalier.

Le jeune homme possédait le même charisme et lamême autorité désinvolte que son aîné. Elle ne parvint

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pas à décliner l'invitation. En s'attablant, elle sentit leregard de Wade rivé sur elle, mais l'évita de son mieux.Elle ne dit pas grand-chose au cours de la collation,préférant écouter les propos des deux hommes qui serégalaient. Ils partageaient une complicité chaleureuse,comme Caitlin et Becky. Toutefois, les Barclay, tousdeux adultes, étaient sur un pied d'égalité. Becky, elle,n'était qu'une enfant. Elle émit un soupir lourd de cha-grin en songeant combien la fillette avait besoin d'êtreprotégée.— Alors, Caitlin, fit Nick en se tournant vers elleavec un sourire charmeur. Vous vous plaisez à CloudRanch ?— Il y a de bons côtés, sans doute, admit-elle enposant sa tasse de café.— De bons côtés ? Lesquels, par exemple ?— Eh bien... fit-elle en prenant une profonde inspi-ration. La maison est somptueuse, spacieuse, confor-table. Et le paysage... est joli.— Joli? C'est tout?Malgré elle, la jeune fille se mit à rire.— Bon, d'accord, il est à couper le souffle... surtoutles montagnes. Au coucher du soleil, les couleurs sontmagnifiques. Le ciel devient rose ou violet, et il règneune lumière dorée et claire...Elle s'interrompit, désemparée par son propreenthousiasme, et adressa à Wade un regard tendu.— Cependant, conclut-elle, je préfère de loin l'Est.— Je vois, fit Nick en hochant gravement la tête.Ses yeux gris passèrent de la jeune fille à Wade, quine parvenait pas à quitter Caitlin des yeux.— Et mon grand frère ? Il s'est bien occupé de vous ?L'espace d'un instant, elle fut tentée de répondrequ'il avait été odieux. Mais elle préféra avouer la vérité.— Il m'a sauvé la vie, dit-elle en baissant la tête.— Voilà qui ne m'étonne pas. Il n'a pas son égalpour vous tirer d'un mauvais pas.— Il semblerait que Caitlin recherche les ennuis,intervint Wade en s'adossant plus confortablement àson siège.

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Elle redressa vivement la tête. Ses yeux verts pétil-laient de rage.— Si je vous procure autant d'ennuis, répliqua-t-elle d'un ton mielleux, vous devriez vous épargnerd'autres soucis et me racheter ma part, pour que jepuisse enfin retourner à Philadelphie.— Reese m'a appris à ne jamais céder à la facilité,répondit-il en se levant. Venez. Vous vouliez vous rendreen ville.— Votre frère est là. Vous ne voulez pas passer dutemps en sa compagnie ?— Je le verrai plus tard, fit Wade en faisant le tourde la table. De plus, vous avez une lettre à poster pourvotre sœur.Il la considérait avec calme et un soupçon de gen-tillesse qui lui alla droit au cœur. C'était décidément unhomme plein de contradictions. Dur comme la pierreen apparence, il dissimulait une tendresse insoupçon-née. Pas étonnant qu'il suscite en elle des sentimentsaussi contradictoires.Son regard passa de l'un à l'autre. Nick ne pipaitmot.— Cela peut attendre demain, assura-t-elle ense levant à son tour. Nick et vous avez du temps à rat-traper.Avant qu'ils puissent protester, elle quitta précipi-tamment la salle à manger.Quand le bruit de ses pas dans l'escalier s'estompa,Nick scruta attentivement son aîné.— C'est donc elle, la fille de Reese... celle qu'il avaitperdue ?— Et alors ? fit Wade en buvant une gorgée de café.— Elle est très belle, commenta Nick.— Et alors ?— Mais elle semble un peu nerveuse. Comme si ellene tenait pas en place en ta présence, insista Nick, lesyeux rivés aux siens.— Si tu le dis, fit Wade en haussant les épaules.— Et j'ai aussi remarqué la façon dont tu laregardes.

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— Ah oui? Et je la regarde comment?— Comme si tu venais de découvrir une mine d'or,et que tu mourais d'envie de glisser les mains dans lespépites. En même temps, tu sembles croire qu'elle vadisparaître, si tu la touches.Sans un mot, Wade gagna la fenêtre et contemplales montagnes.— Pourquoi vous battiez-vous près de la grange,tout à l'heure? En général, tu te montres plus douxenvers les femmes.— Eh bien, c'est la première fois que j'en rencontreune comme Caitlin Summers, répliqua Wade en seretournant, les sourcils froncés. Elle veut s'en aller etme vendre sa part. Mais je ne peux la laisser faire. Pourune raison que j'ignore, Reese tenait à sa présence ici.— Je connais les termes du testament, dit Nick enhochant la tête. Alors, que comptes-tu faire ?— Je vais continuer à lui mener la vie dure, jusqu'àce qu'elle cède, grommela Wade.— Tu devrais peut-être y réfléchir à deux fois. Certes,je ne prétends pas être plus expert que toi en ce quiconcerne les femmes, grand frère. Mais... je t'ai ditque je la trouvais un peu nerveuse...— Et alors ?Nick posa les mains sur la table.— Elle me rappelle ces chevaux sauvages que tumaîtrises à merveille. Elle a peur, et elle est rebelle à lafois. Mais lorsqu'elle t'accordera sa confiance, elle seradouce comme le miel.Wade revint lentement vers le centre de la pièce.— Elle ne m'apprécie guère, déclara-t-il.— Oh si!— Tu te trompes.Nick haussa un sourcil.— Pourtant, aucun de ces chevaux sauvages quenous avons capturés à Hope Canyon, il y a quelquesannées, ne t'appréciait. Pas au début. Mais tu as réussià les apprivoiser.— Caitlin n'est pas un cheval, Nick. C'est une femme.Nick sourit.

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— Oui, je l'avais remarqué...— Elle a brisé le cœur de Reese, ajouta Wade, la

mâchoire crispée. Tu le sais bien.— Je sais. Pendant toutes ces années, elle n'a

répondu à aucune de ses lettres, elle n'a jamais mis lespieds au ranch. Tu lui as demandé pourquoi ?

— Non. Elle m'a expliqué pourquoi elle n'est pasvenue, juste avant sa mort. Je crois comprendre. Maisje ne l'ai pas interrogée sur les années précédentes.

— Peut-être le devrais-tu.— Et toi, tu devrais te mêler de tes affaires.— Tu as sans doute raison, admit Nick. Je ne vou-

lais pas...— Cette fille est exactement le contraire de l'épouse

idéale ! gronda Wade, avec un tel désespoir que son frèrele dévisagea, consterné. Elle a le don de m'embraser, etelle est bien trop belle, trop sophistiquée. Elle ne songequ'à vivre dans une grande ville... Et puis, il y a la nou-velle institutrice, celle que tu as rencontrée aux funé-railles de Reese. Luanne Porter.

— Jolie fille, commenta Nick. Je parie qu'elle cor-respond à ce que tu recherches, non ?

Wade fut incapable de répondre. Il sentait sa poi-trine se serrer, chaque fois qu'il voyait le visage déli-cat de Caitlin, même en pensée, et qu'il revivait leurbaiser passionné. Chaque fois qu'ils se trouvaient dansla même pièce, des étincelles jaillissaient entre eux.Chaque fois qu'il s'approchait de son corps de rêve, ilcroyait perdre la raison.

— Luanne est celle que je voudrais désirer... avoua-t-il enfin, si bas que Nick l'entendit à peine.

Son frère l'observa un moment, puis s'éclaircit lagorge.

— Je ne connais pas grand-chose à ces histoires-là,concéda-t-il en se levant. Mais j'ai l'impression que tuoublies une chose : tout ne se déroule pas toujourscomme on le souhaite. Dans la vie, on ne peut pas toutprévoir. Surtout ses relations avec les femmes.

Il posa une main sur l'épaule de son aîné, puis s'éloi-gna pour aller chercher ses affaires.

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Wade s'écroula sur une chaise et ferma les yeux.— Nom de Dieu ! gémit-il en prenant conscience de

la réalité.Le visage, le baiser de Caitlin le hantaient depuis des

jours, sans parler des nuits. Cette beauté blonde auxyeux d'émeraude était sur le point de faire quelquechose qu'aucune autre femme n'avait réussi à faire : ellerisquait de lui voler son cœur, pourtant bien à l'abriderrière une épaisse carapace.

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La rivière scintillait comme de la soie verte, tandisque Caitlin ôtait ses vêtements à l'abri d'une clairière.Le chien l'avait suivie dans sa promenade matinalejusqu'à la rivière. Ensuite, il s'était lancé aux troussesd'un lapin surgi d'un buisson. Tant mieux. La jeunefille appréciait sa solitude. Elle s'était aventurée assezloin pour ne plus voir la maison, et n'entendait rien del'animation qui y régnait.

C'était exactement ce qu'elle recherchait.Il n'y avait que le pâle soleil matinal, trace ambrée

dans le ciel paisible, et l'eau qui coulait sous les peu-pliers.

Elle n'avait pas très bien dormi. Trop de soucis lahantaient. Depuis le premier baiser de Wade, ses nuitsétaient agitées. Et elle s'inquiétait aussi pour Becky.

Elle avait décidé de se rendre en ville dans l'après-midi pour poster sa lettre, et espérait ardemment avoirenfin de ses nouvelles. Elle espérait de tout cœur quesa sœur ne lui en voulait pas de tarder à rentrer. Siseulement les railleries et les ragots qui la visaient aupensionnat pouvaient cesser !

Dès l'aube, elle s'était levée, parmi les chants desoiseaux, dans la lueur dorée du soleil. Elle avait che-vauché dans les hautes herbes, sur les crêtes, longeantdes ravines, prenant soin de ne pas se perdre. Au loin,sur une colline, elle avait aperçu une biche. Un aiglevolait au-dessus de sa tête. Un bonheur étrange s'étaitemparé d'elle, face à toutes les beautés naturelles quil'entouraient. Mais à mesure que le soleil montait dansle ciel, elle avait eu de plus en plus chaud, avait été de

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plus en plus mal à l'aise dans ses vêtements ajustés.Soudain, elle avait songé à la fraîcheur de la rivière.

L'eau coulait doucement, fraîche et tentante. Lesfleurs sauvages poussaient à profusion, et les branchesdu saule se balançaient dans la brise. C'était l'en-droit idéal pour une baignade. Elle déposa sa jupe etson corsage pliés avec soin sur une souche. Elle étaitsuffisamment loin de tout pour que nul ne vienne ladéranger.

Elle déroula ses bas et les posa près des bottines enagneau. Puis elle entra dans l'eau sur la pointe despieds, vêtue de sa seule chemise.

— Oh! fit-elle, étonnée.Malgré la chaleur, l'eau était presque glaciale. Cepen-

dant, elle inspira profondément et s'aventura plus loin,laissant l'eau lui monter jusqu'aux hanches. Elle sepencha, immergeant sa poitrine, ses épaules, laissantses cheveux flotter librement. Ils sécheraient rapide-ment au soleil. Le contact de l'eau froide était exquissur sa peau.

Elle en oublia tous ses problèmes, même WadeBarclay.

Malheureusement, son répit fut de courte durée.Tandis qu'elle s'ébattait, l'image du régisseur surgit àson esprit. Elle sentit ses bras se refermer autourd'elle, la chaleur brûlante de ses lèvres sur les siennes.

Puis elle le vit eh train d'embrasser Luanne.Tu n'as pas besoin de lui, songea-t-elle. Tu n'as pas

envie de lui. Il se moque de toi, tout comme Alec semoquait de toi. C'est une crapule qui court deux lièvresà la fois. Un arrogant. Il ne vaut pas mieux que lesautres. Rappelle-toi les mises en garde de Mme Cas-per: «Ne tombez jamais amoureuse d'un cow-boy.»Wade Barclay n'en est-il pas un ?

Certes, il lui avait sauvé la vie. Il l'avait tirée desgriffes des voleurs de bétail. Mais il n'en était pasmoins entêté, irritant, sans parler de son tempéramentvolage. Elle eut soudain pitié de Luanne. Si la mal-heureuse savait combien les baisers de Wade étaienthypocrites...

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Ayant soudain trop froid, elle gagna la rive, secognant le pied contre une pierre. Elle perdit l'équi-libre et lâcha une bordée de jurons. Seigneur, commeil faisait froid ! Haletante, elle courut dans l'herbe endirection de la souche pour récupérer ses vêtements,et la fixa avec stupeur.Ses effets avaient disparu.Caitlin se retrouvait vêtue d'une simple chemisetrempée, qui moulait les moindres courbes de soncorps. Bouche bée, elle scruta les alentours et vit sesbottines. Mais aucun signe de sa jupe, de son corsageou de ses bas. Ils s'étaient envolés comme par enchan-tement.

— Dis donc, le chien! Qu'est-ce que tu nous rap-portes là ?Wade vit Dawg trottiner vers l'enclos, les oreillesdressées, agitant gaiement la queue. Près de lui, Nicks'esclaffa.— Bon sang, mais ce sont des vêtements de femme !s'exclama Jake Young.Le chien déposa son butin aux pieds de son maître.— Qu'est-ce que...? Où as-tu trouvé ça, fripouille?Mais Wade connaissait déjà la réponse. Il avait vu lechien arriver de la rivière. Réprimant un sourire, ilramassa la jupe en coton bleu et le corsage bordé dedentelle, sans oublier les bas.— Là pauvre ! Elle va mourir de froid, si tu ne luirapportes pas ses affaires immédiatement, déclara sonfrère avec le plus grand sérieux.— Je m'en charge, patron, proposa Jake. Nick etvous alliez partir, et ça ne me dérange pas...— C'est toi qui vas partir, coupa Wade. Vérifie lepâturage ouest, puis tu rejoindras Miguel. Si je t'envoierendre ceci à Mlle Summers, tu risques de traîner lereste de la journée, à réciter des poèmes en mangeantdes biscuits !Jake rougit violemment.— Mais non, je... enfin...

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Nick éclata de rire.— Au travail, ordonna Wade en glissant les vête-

ments sous son bras, ignorant l'air déconfit de sonemployé.

— Tu auras besoin d'un coup de main pour réchauf-fer la demoiselle ? lança Nick dans son dos tandis qu'ils'éloignait.

— Ce n'est pas demain la veille, petit frère ! répon-dit-il par-dessus son épaule.

Il hâta le pas sous les arbres, bordant le cours d'eau.Ses bottes foulèrent les herbes hautes. Enfin, au détourd'un buisson, il parvint sur la rive.

Aucune trace de Caitlin. Il tourna à droite et pour-suivit son chemin. Le chien apparut soudain, jappant àson côté.

— Tu as déjà fait assez de bêtises, lui dit Wade enfeignant la colère.

Pourtant, il était impatient de trouver Caitlin enpetite tenue !

Il la repéra avant qu'elle ne se rende compte de saprésence. Vêtue d'une chemise de fin coton ivoire our-lée de dentelle, elle tendait le bras pour détacher sajument, dans une clairière parsemée de fleurs. Ses che-veux pendaient en boucles humides dans son dos. Elletenait à la main ses bottines d'agneau. Ses seins étaientfermes et hauts, ses jambes fuselées scintillaient degouttelettes.

Wade en fut si troublé qu'il s'arrêta net. Caitlin res-semblait à quelque déesse des mers, avec ses cheveuxblonds et sa peau nacrée, ses traits finement ciselés. Ilsentit ses abdominaux se contracter de désir.

En l'apercevant, elle hurla si fort qu'on aurait pul'entendre à Laramie ! Lâchant ses bottines, elle courutse réfugier dans la rivière, plongeant de façon à nelaisser dépasser que sa tête.

— Rendez-les-moi! exigea-t-elle en désignant sesvêtements d'un index rageur. Comment avez-vous oséme les dérober ?

— Pourquoi diable vous les aurais-je pris ?

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Il s'avança nonchalamment, en dépit du désir ardentqui brûlait en lui - désir qui s'intensifia dès qu'il vit sesjoues empourprées et ses yeux verts étincelants.— Pour plaisanter, je suppose ! Parce que vous trou-vez ça drôle !— J'ai l'air de plaisanter?— O... oui!Ses yeux s'assombrirent davantage. Elle était furieuse.— A présent, posez-les par terre et allez-vous-en. Jesuis en train de geler, et vous vous en moquez éperdu-ment!En constatant qu'elle claquait des dents, il n'eut plusenvie de rire.— Sortez de l'eau, Caitlin, fit-il d'un ton sec et auto-ritaire, qui faisait habituellement sursauter ses cow-boys. Tout de suite !— Pas tant que vous serez là, rétorqua-t-elle en fris-sonnant. Posez mes affaires sur cette souche, et éloi-gnez-vous.— Croyez-le ou pas, princesse, j'ai déjà vu desfemmes à demi nues.— Eh bien moi, vous ne me verrez pas !L'exaspération l'emporta chez Wade.— Je n'ai aucune intention de discuter plus long-temps avec vous.Jetant les effets à terre, il entra à son tour dans l'eau.La jeune fille se mit à crier et tenta de s'enfuir, mais illa saisit par le bras et l'attira vers lui. Sans effort, il lasouleva.— L... lâchez-moi!En quelques enjambées, il regagna la rive et ladéposa sur le sol.— Nous sommes encore au printemps, petite écer-velée! Il faut être folle pour se baigner si tôt dansl'année !— Seul un goujat dérobe les vêtements d'unefemme pendant qu'elle se baigne !— Ce n'est pas moi, c'est le chien.— R... retournez-vous !

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Serrant les dents, Wade obéit. Caitlin était assuré-ment la femme la plus entêtée du monde. Mais un seulregard sur sa chemise, qui la moulait comme uneseconde peau, avait suffi à fouetter son désir.

Il lança un bâton au chien, qui ne cessait de sauterautour de la jeune fille alors qu'elle se rhabillait. Waderésista à la tentation d'admirer le spectacle.

Le chien courut chercher le bâton en aboyant gaie-ment. En se retournant, Wade remarqua que Caitlinn'arrivait pas à boutonner sa robe de ses doigts gourds.

— Attendez, laissez-moi faire, bougonna-t-il, impa-tient.

Il agrafa le premier bouton, puis le suivant. Il était sitroublé que sa, main effleura le creux de ses seins. Ilavait l'impression d'être un écolier n'ayant jamais tou-ché une fille.

— Je... je peux le faire moi-même, assura-t-elle, lesouffle court.

— Mais non, dit-il en repoussant ses mains trem-blantes.

Caitlin demeura immobile tandis qu'il reboutonnaitsa robe. Jamais elle n'aurait imaginé que le chien déro-berait ses affaires ! De plus, l'eau était bien plus froideque prévu. Quand Wade ôta son épaisse chemise enflanelle pour la glisser sur ses épaules, elle poussa unsoupir de soulagement.

Puis, sans prévenir, il l'attira contre lui, la réchauf-fant de son corps. Elle se fondit entre ses bras puissantset se blottit contre son torse. Une vague de chaleurl'envahit. Soudain, elle éprouva une sensation deréconfort... et autre chose, aussi.

Une étincelle de désir l'embrasa. Cet homme sédui-sant arrivait toujours au moment où elle avait besoinde lui. Un homme dont le regard pouvait être d'acier,mais qui savait faire preuve d'une grande douceur...

Malgré elle, elle s'agrippa à lui, savourant sonétreinte, même si elle savait qu'elle aurait dû s'écarter.

Wade caressait lentement son dos, lui ôtant touteenvie de s'éloigner. Le cœur de la jeune fille battait àtout rompre. Elle était trop bien. C'était dangereux.

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Elle prit une profonde inspiration.— Nous devrions... rentrer à la maison.— Vraiment ? dit-il en la serrant plus fort, sans ces-ser de lui caresser le dos. Pourquoi ?— Vous savez bien... qu'il le faut. Tout de suite.Elle s'efforçait d'être convaincante. En vain.Wade savait qu'elle avait raison, mais il s'en moquait.La tenir ainsi dans ses bras était la chose la plus déli-cieuse au monde.— Si je ne vous connaissais pas aussi bien, je pen-serais que vous avez peur de moi. Je ne vais pas vousmordre, Caitlin.L'espace d'un instant, la jeune fille fut heureuse del'entendre prononcer son prénom avec une telle dou-ceur. Puis une pensée désagréable lui vint. Parlait-ilainsi à Luanne ?— Rentrons, déclara-t-elle en se dégageant de sonétreinte.Le voyant froncer les sourcils, elle crut qu'il allait dis-cuter, voire la reprendre dans ses bras pour l'embras-ser. Le regard de Wade s'attarda sur ses lèvres pâles ettremblantes. Elle perçut une tension en lui, et une dou-leur au fond d'elle-même. Quelle folie !Finalement, il secoua la tête.— A votre guise, mademoiselle Summers. Venez.

De retour dans le petit salon du ranch, devant lacheminée, vêtue d'une robe sèche, une couverture surles épaules et une tasse de café fumant à la main, Cait-lin eut les idées plus claires. Wade la rejoignit, portantune chemise à carreaux, un pantalon sec et des bottes.Elle parvint à sourire et à le remercier de lui avoirrapporté ses effets.— Je dois m'excuser de vous avoir accusé de me lesavoir volés, ajouta-t-elle.— Inutile de vous excuser, répondit-il, d'humeurégale.Mais il semblait la regarder différemment. Sa colère,son ressentiment avaient disparu. En fait, il lui sou-

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riait. Seigneur, ce simple sourire la faisait frémir de latête aux pieds !— Je suis en retard à une réunion chez les Tyler, àpropos des patrouilles de notre association d'éleveurs,en cas de retour des voleurs de bétail. Je vous en par-lerai plus tard, pendant votre leçon de tir.— Quelle leçon de tir ?Ses yeux bleus se mirent à pétiller.— Celle que je vais vous donner cet après-midi. Rienque vous et moi. Après le déjeuner. Ensuite, je vousemmènerai en ville.D'un doigt, il effleura son chapeau en guise de salutet se dirigea vers la porte.— Rendez-vous à l'enclos, Caitlin, et soyez prête àmonter.Avant qu'elle puisse refuser ou protester, il sortit.Au moment de le retrouver, Caitlin était persuadéequ'il mijotait un mauvais coup. Wade se montrait bientrop gentil. Il ne lui avait pas reproché de s'être baignéedans la rivière, il ne l'appelait plus «princesse» et, àprésent, il voulait lui donner des cours particuliers detir? Bizarre.En le rejoignant sous le soleil brûlant, dans une robegris pâle aux manches bouffantes, elle affichait un airméfiant.— Attendez une minute, dit-elle quand il s'appro-cha, à cheval.Il mit pied à terre et voulut l'aider à monter en selle.Caitlin repoussa sa main.— D'abord, vous allez me dire pourquoi vous vousêtes mis en tête de m'apprendre à tirer.— Parce que j'ai bien réfléchi. Si vous restez ici uncertain temps, vous devez savoir vous défendre.C'est contre vous que je dois savoir me défendre, son-gea-t-elle, mais elle se contenta de hausser les épaules.— Je ne resterai pas assez longtemps pour cela.— Si.— Mais... je ne comprends pas. Si les voleurs debétail ont été chassés, et si votre frère est sur le pointd'arrêter leur chef, où est le danger ?

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Wade s'exprima comme s'il s'adressait à une enfant :— Ce pays est encore sauvage. Il faut être prêt àtout. Vous pouvez croiser des serpents, des ours... etde la vermine humaine, aussi.Wade se réjouissait de la mort d'Otter Jones, qui nerisquait plus de menacer Caitlin. Mais il savait qu'ellen'était pas à l'abri de mauvaises rencontres.— Bien sûr, des leçons de tir ne seront pas néces-saires si vous faites en sorte d'être accompagnée parmoi ou l'un de mes employés dans vos déplacements...— Ce n'est pas ce que je souhaite.Il repoussa son chapeau en arrière. Le soleil illu-mina sa chevelure de jais tandis que leurs regards secroisaient.— Alors vous allez devoir apprendre à manier cor-rectement un fusil et à atteindre votre cible.— Très bien, fit Caitlin en flattant l'encolure deStar. J'apprendrai. Mais vous ne serez pas mon pro-fesseur.— Pourquoi pas ?— Parce que nous ne nous entendons pas, répliqua-t-elle d'un air de défi.Comme il ne réagissait pas, elle reprit :— Nick est un spécialiste. Il doit tout savoir sur lesarmes à feu. Il fera un excellent professeur.— Nick est occupé à ses retrouvailles avec ces damesdu saloon.— Oh...Wade sourit en la voyant rougir.— Eh bien, demain...— Demain, il s'en va à l'aube.— Dans ce cas, Miguel, Jake ou Dirk...Il lui prit le menton et riva ses yeux bleus dans lessiens.— Faut-il vraiment que vous discutiez tout ce queje dis ?— Je ne discute pas tout.— Vous voyez ! fit Wade en riant.Sa main était ferme, mais pas brutale. Si elle n'avaitpas été sur ses gardes, Caitlin aurait succombé. Si elle

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ne l'avait pas vu embrasser Luanne Porter, elle auraiteu du mal à résister à son charme viril. Si...— D'accord. Vous m'apprendrez à tirer, dit-ellevivement, le souffle court. Mais à partir de demain,j'irai seule en ville pour poster mes lettres à Becky.— Voyons d'abord comment vous vous en sortezaujourd'hui.— Vous me croyez incapable d'apprendre à tirer enun après-midi ?— Oh, je suis persuadé que vous apprendrez à tirer,répliqua-t-il en reculant, tout sourire. La question estde savoir si vous ferez mouche.Le regard de Caitlin s'assombrit comme un cield'orage. Cet homme était décidément odieux.— Vous verrez bien, lança-t-elle, les dents serrées.Sur ces mots, elle fit volte-face dans un frou-frou dejupons et mena Star vers la barrière de l'enclos. Elles'en servit pour monter en selle, sans l'aide de Wade.Soudain, elle regrettait de ne pas avoir un grandportrait du régisseur. Pour s'en servir de cible.

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Wade choisit une clairière parsemée de boutons-d'or, au pied des collines. Un vieux pin, dont les feuillesbruissaient dans la brise, se dressait à une extrémité.— Ce sera votre cible, déclara-t-il à la jeune fille.Il lui montra comment charger un fusil, l'épauler etactionner le cran de sûreté. Caitlin devait admettrequ'il avait de la patience. Aussi s'efforça-t-elle d'êtrebonne élève.Toutefois, il ne lui était pas facile de se concentrer.Wade la tenait par la taille, guidant ses mains sur lefusil. Il était trop proche, trop... envoûtant.Il ne cessait de la distraire.Elle apprit à ajuster son tir, à éviter le recul, à viser,à appuyer sur la détente. Elle réussit même à toucherl'arbre, une seule fois.C'était frustrant, non seulement parce qu'elle étaitincapable de mieux viser, mais parce que les bras puis-sants de Wade lui rappelaient le soir où ils s'étaientembrassés, au clair de lune. Et cette matinée où ill'avait réchauffée sous le soleil...Arrête d'y penser! s'intima-t-elle. Tu n'as donc plusaucune volonté ?Furieuse contre elle-même, elle appuya trop brutale-ment sur la détente et toucha un autre arbre que celuiqu'elle visait.— J'ai l'impression que vous avez besoin d'unepause, déclara Wade en lui prenant le fusil des mains.Un peu d'eau?Il sortit une gourde de sa sacoche et la lui tendit.

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La jeune fille avait la gorge sèche. Elle but une longuerasade. Puis ils s'installèrent dans l'herbe. Wade cueil-lit un brin d'herbe, puis un autre.— Vous avez l'œil, le geste ferme, admit-il en plis-sant les yeux sous le soleil, mais...— Mais quoi?— Vous n'êtes pas assez concentrée sur la cible. Autir, la distraction n'a pas sa place. On ne peut se laissersubmerger par ses pensées ou ses émotions. Auriez-vous l'esprit tourmenté ? demanda-t-il en la fixant.Et comment! songea-t-elle. Par lui, par Becky, parson retour à Philadelphie, les menaces de DominicTrent...— J'ai quelques soucis, avoua-t-elle dans un mur-mure.Elle aurait dû se douter qu'il ne se contenterait pasd'une réponse aussi vague.— Lesquels?Cet homme était aussi obstiné qu'un moustique, ettout aussi agaçant.— Ma sœur, balbutia Caitlin. Elle n'a pas encorerépondu à ma première lettre. Cela fait deux semaines !Enfin, j'espère qu'elle va bien...— Y a-t-il des raisons de s'inquiéter?Elle glissa les doigts dans l'herbe, les yeux baissés.— La mort de nos parents l'a terriblement choquée.Moi aussi, d'ailleurs, dit-elle doucement.Un silence s'installa entre eux. Seul le léger bruisse-ment des feuilles se faisait entendre.— Oui, fit Wade en étudiant son profil. Je com-prends. (Il s'éclaircit la gorge.) Nous savions queReese était mourant. Son cœur était faible. Pourtant,cela ne nous a pas soulagés de notre chagrin quand ilest mort. En fait, ce fut un enfer.Le chagrin qu'elle lut dans ses yeux la frappacomme un coup de poignard. Elle hocha la tête, la poi-trine serrée, ne sachant plus si elle souffrait pour luiou pour elle-même. A moins que ce fût pour tous lesdeux.

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— Reese était prêt, reprit Wade. Il attendait la mort.Il avait dit adieu à tout le monde. Ses papiers étaienten ordre.Elle esquissa une grimace.— Je l'ai remarqué.Pourtant, la jeune fille ne ressentait aucune amer-tume, en cet instant. Chaque jour passé dans ce paysmerveilleux, dans cette propriété que Wade menaitd'une main de fer, l'empêchait de détester CloudRanch.— Mais vos parents, eux, n'ont rien vu venir, dit-ilen la regardant intensément. Outre la surprise et ladouleur de leur disparition, vous avez dû avoir de grosproblèmes pour régler leurs affaires.Caitlin songea à son malaise lorsque le notaire luiavait révélé la vérité. Elle s'était écroulée sur unechaise, en proie à la nausée.— On peut le dire, soupira-t-elle.— Vous avez envie d'en parler ?— Il n'y a pas grand-chose à dire.— Ce léger tremblement de vos lèvres suggère lecontraire...Le regard bleu et intense du régisseur semblait péné-trer son âme, pour toucher le moindre de ses secrets.— Ce fut... difficile, avoua-t-elle enfin.— Parce que...?— Cela ne vous regarde pas.— Vous avez dit un jour que j'ignorais tout de votrevie. C'est l'occasion idéale de m'en parler.Brusquement, elle eut envie de lui raconter tout cequ'elle avait enduré à Philadelphie. Une envie irrépres-sible.— Gillis, mon père adoptif, avait perdu toute sa for-tune au jeu, bredouilla-t-elle à voix basse. Cela a dû luiprendre du temps, car il était très riche. Personne ne lesavait. Enfin, je crois que ma mère n'était pas au cou-rant.Le regard de la jeune fille se posa sur un élan, apparuau sommet d'une crête, au loin.

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— Quand leur navire a fait naufrage, toute la ville aappris la vérité. Gillis devait de l'argent à pratiquementtout le monde. Ce fut... un scandale.Elle voulait s'exprimer d'un ton léger, détaché, maiselle se sentait misérable.— Cela semble grave.— Oh oui, très grave, murmura-t-elle.— Un scandale, dites-vous ? Vous et votre sœur avezdû souffrir.— Nous voulions nous en sortir, répliqua vivementCaitlin en reprenant son souffle. Perdre nos parentsétait déjà un grand choc. A présent... tout est réglé.Wade observa son visage, plein d'élégance et de cou-rage. Il ne put s'empêcher de l'admirer.— Ainsi... vous n'êtes pas... (Il fronça les sourcils.)Il ne vous a rien laissé, si j'ai bien compris?Elle redressa fièrement le menton et soutint sonregard.— Cela résume la situation, effectivement. Maisil me reste ce ranch. (Elle désigna d'un geste ample lepaysage environnant.) Dès que je pourrai vendre ma part,Becky et moi serons tirées d'affaire.Nouveau silence.— Où iriez-vous, si vous vendiez? s'enquit Wade.— Quand je vendrai, corrigea-t-elle, Becky et moivoyagerons vers Boston ou Chicago, peut-être. Nousrepartirons de zéro, toutes les deux. J'aurai assez d'ar-gent pour redémarrer, et je trouverai un emploi respec-table.Wade lut sa détermination dans ses yeux. Il nedoutait pas qu'elle se débrouillerait. Elle ne mettraitpas longtemps à séduire un homme qui l'épouserait etlui procurerait un toit. Dans une grande ville, la moitiédes hommes tomberait amoureux d'elle, songea-t-iltristement. Non seulement elle était belle, mais elleavait du courage, elle savait tenir des comptes et affi-chait une parfaite dignité. Sans parler de sa bouchesensuelle, de ses seins hauts et fermes...Soudain, la perspective d'un autre homme en traind'embrasser ces lèvres, de caresser ces seins, l'emplit

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d'une douleur intense. La rage lui enserra la poi-trine.

— Je ne comprends pas, dit-il sèchement, s'effor-çant de garder son calme malgré sa jalousie. Pour-quoi vendre votre part pour partir dans une grandeville?

Il jeta les brins d'herbe qu'il avait cueillis et plongeadans son regard pour ajouter :

— Pourquoi ne pas vous installer à Cloud Ranch?Vous feriez venir Becky. C'est un endroit féerique.Votre petite sœur n'a pas besoin de ces écoles chics del'Est, si c'est ce qui vous inquiète. Luanne est uneexcellente enseignante, et Hope dispose d'une biblio-thèque, désormais...

Il s'interrompit en la voyant pâlir. Était-ce la men-tion de Luanne qui la mettait dans un tel état ?

Caitlin se releva. Il l'imita et retint sa main.— Attendez. Qu'est-ce que j'ai dit pour vous rendre

aussi... nerveuse?— Ce ranch était peut-être un endroit idéal pour

vous et vos frères, mais mon propre père ne voulaitpas de moi ici.

— Bien sûr que si! protesta-t-il en la fixant, incré-dule. Il vous a légué quarante pour cent du plus beauranch de la région, et a fait en sorte que vous restiez unan, à titre d'essai. Cela prouve qu'il souhaitait quevous viviez ici.

— Mais il ne voulait pas de moi auparavant, quandil était vivant! Vous et vos frères lui suffisiez. Il semoquait bien de moi. Je lui ai écrit, et il n'a pasrépondu à une seule de mes lettres !

Elle s'en voulait de laisser ainsi trembler sa voix,mais elle n'y pouvait rien.

— J'aurais tellement aimé venir à Cloud Ranch!s'exclama-t-elle. J'en rêvais! Je lui ai demandé dem'envoyer un portrait de lui, mais...

Elle s'arrêta pour dévisager Wade. Il semblait pétri-fié, comme s'il venait de recevoir un coup de massuesur la tête.

— Vous lui avez écrit? s'enquit-il.

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— Plusieurs fois. D'abord, à l'âge de huit ans,ensuite... Qu'avez-vous ?Il la saisit par les épaules.— Caitlin, il n'a jamais reçu aucune de ces lettres.— Mais si ! fit-elle, les yeux pétillants. C'est ma mèrequi m'a fourni son adresse. Je l'ai recopiée avec soin,traçant chaque lettre aussi bien que possible...— Caitlin! répéta-t-il en la secouant, le visagetendu. Il n'a jamais reçu aucune de ces lettres !Ces paroles frappèrent la jeune fille de plein fouet. S'ilne l'avait pas retenue, elle serait tombée à la renverse.— Je... je ne comprends pas, bredouilla-t-elle.— Il y a autre chose, fit Wade d'un ton dur, leregard noir. Reese vous a écrit. J'ai moi-même portéses lettres à la poste.— Vraiment? Il m'a... ?Elle n'en revenait pas. Comment se faisait-il qu'au-cun des deux n'ait reçu le courrier de l'autre ?— Quand m'a-t-il écrit?— Avant chacun de vos anniversaires, depuis votredépart jusqu'à vos douze ans. Et à Noël. Il vous a invi-tée à Cloud Ranch. Je le sais car il m'a dit, ainsi qu'àNick et Clint, que sa petite fille allait peut-être veniren visite. En l'absence de réponse, il restait silencieuxquelque temps. Il était triste. Vous lui manquiez... Jeme sentais impuissant face à son chagrin.Il se garda de préciser qu'il avait également étéeffrayé par la douleur que pouvait provoquer l'amourchez un homme.— Il avait beau nous aimer tous les trois - et il nousaimait beaucoup -, nous n'avons jamais réussi à com-bler ce gouffre au fond de son cœur.Elle avait la tête qui tournait. Avait-elle vraimentcompté aux yeux de son père? Avait-elle gardé uneplace dans son cœur, après toutes ces années ?— Qu'a-t-il pu se passer? demanda-t-elle, abasour-die. Que sont devenues mes lettres ? et les siennes ?— J'aimerais bien le savoir. Mais je ne veux plusque vous pensiez que Reese ne se souciait pas de vous.C'est ridicule !

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Caitlin s'efforça d'assimiler ces révélations. Pendantlongtemps, elle avait cru que son père lui tournait le dos.Certes, il y avait sa mère et Gillis - souvent absents - ettous leurs amis, ainsi que Becky, bien sûr. Mais elles'était toujours interrogée sur l'attitude de son père àson égard.

Voilà qui venait tout bouleverser. Le testament luiapparut soudain sous un nouveau jour.

— Je me demande... Croyez-vous qu'il était au cou-rant de notre... ruine financière? Serait-ce la raisonpour laquelle il tenait à mon séjour ici ? Ainsi, Becky etmoi aurions un toit ?

— Cela ne m'étonnerait pas. Je sais qu'il a chargé lenotaire d'effectuer quelques recherches dans l'Est. J'enparlerai à McCain. Et...

Brusquement, Wade comprit autre chose.— Quoi?— Sur son lit de mort, il m'a demandé de faire

quelque chose pour lui. (Il prit une profonde inspira-tion.) Il m'a chargé de m'occuper de vous.

Face aux émotions qui transparaissaient sur le beauvisage de la jeune fille, Wade se sentit troublé. La souf-france se mêlait à la joie et à l'espoir. Incapable de s'enempêcher, il la prit entre ses bras. Il la serra si fort qu'ilsentait les battements de son cœur contre le sien.

— Il devait savoir que vous aviez des ennuis,conclut-il, les lèvres contre ses cheveux. Mais il nem'en a rien dit. Il voulait que je lui donne ma parole.

Caitlin ferma les paupières, s'efforçant d'imaginerce père qui avait parlé d'elle avant de rendre son der-nier soupir.

— Il y a une chose qu'il faut que vous sachiez,reprit-il. Je tiendrai cette promesse, quoi qu'il arrive.Vous pourrez toujours compter sur moi. Sur Nick etClint, aussi. Nous veillerons sur vous, dans toutes vosépreuves.

Mais Caitlin songeait à d'autres promesses que deshommes lui avaient faites. Le visage d'Alec Ballantreelui revint en mémoire. Elle se dégagea de l'étreinte deWade.

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— Ce ne sera pas nécessaire. Je peux m'occuper demoi-même.— Mais ce n'est pas... ce n'est pas le problème...— Je suis heureuse de savoir que Reese se souciaitde moi. Je ne saurais vous dire combien cela me faitplaisir, déclara-t-elle d'une voix un peu tremblante.Mais j'ai appris, à mes dépens, qu'il ne faut jamaiscompter que sur soi-même.Wade se demanda qui avait pu la faire souffrir à cepoint.— Dommage, dit-il, car je suis là quand même. Et jetiendrai parole.Il lui adressa un sourire qui lui donna envie de se blot-tir à nouveau dans ses bras. Pourtant, elle se détournaen direction des chevaux.— Nous devons aller en ville... s'il vous plaît.Il la suivit sans un mot.Caitlin était incapable de se concentrer sur le tir.Trop de pensées se bousculaient dans sa tête. Elle necomprenait pas pourquoi toutes ces lettres n'étaientpas arrivées à destination.Et la présence de Wade l'empêchait de raisonner.Elle se sentait trop vulnérable. Il lui fallait remettre del'ordre dans ses idées, et envisager en quoi ces révéla-tions modifiaient ses projets.Dès que son compagnon l'eut aidé à monter en selle,elle demanda :— Dans quelle direction se trouve Hope ?Il désigna l'est.— Une dernière chose, dit-il en posant une main surles siennes, afin de l'empêcher d'actionner les rênes.Qui est Dominic Trent ?Caitlin se sentit blêmir. Elle s'en voulut d'avoir pro-noncé ce nom.— C'est quelqu'un dont je refuse de parler, mar-monna-t-elle en dégageant ses mains.Elle fit volter Star et la talonna. Regardant par-dessus son épaule, elle vit Wade qui l'observait, si grandet séduisant. Son cœur s'emballa.

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Pourtant, il n'hésitait pas à embrasser deux femmesdans la même soirée...Ne sois pas stupide, se dit-elle. Toute femme sensées'enfuirait en courant.Elle serra plus fort les rênes et partit au galop.

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À Hope, la première personne que Caitlin aperçutfut Jake Young. Il était en train de charger de gros sacssur la charrette, devant l'épicerie.— Bonjour, mademoiselle Summers!— Jake! fit-elle avec un large sourire. Si j'avais suque vous veniez en ville aujourd'hui, je vous auraisaccompagné.Lorsqu'elle s'arrêta près de lui, il rougit et s'épongeale front à l'aide de son foulard.— Cela aurait été avec plaisir. Vous êtes venue seule ?— Non. Avec Wade.Elle fit un signe en direction de la forge. Waden'avait eu aucun mal à la rattraper, mais ils n'avaientéchangé que quelques mots durant le trajet. Il avaitattaché leurs montures devant la forge, puis chacunétait parti de son côté. Il discutait avec Jethro Plum,tandis qu'elle se rendait chez Hicks.— Pour le retour, si vous êtes fatiguée, nous pour-rons attacher Star à la charrette et je vous ramènerai,proposa Jake avec enthousiasme.— C'est très gentil, mais je ne suis pas fatiguée.J'adore monter à cheval. Merci quand même.Au moment où elle s'éloignait, une autre voix mas-culine s'éleva :— Caitlin!Drew Raleigh venait de surgir du saloon, tiré àquatre épingles, plus fringant que jamais. Son costumeétait aussi impeccable que sa coiffure. Il s'approcha dela jeune fille qui lui sourit, avec toutefois moins de cha-leur que face à Jake.

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— Bonjour, monsieur Raleigh.— Drew, corrigea-t-il.Ce sourire charmeur rappelait décidément quelquechose à Caitlin...— Je comptais vous rendre visite, reprit-il, mais jesuis fort occupé.— Vraiment? Vous avez donc trouvé une propriétéà acheter ?— Pas encore, mais je suis un optimiste-né. Je suispersuadé qu'une bonne occasion se présentera, et j'aitout mon temps. Justement, je voulais vous parler.Puis-je vous offrir un verre de citronnade et une partde tourte aux cerises ?Il sourit de plus belle, affichant une assurance sanspareille. À cet instant, une idée vint à l'esprit de lajeune fille. Ce sourire charmeur... oui, elle avait déjàrencontré Drew. Elle songea à l'opéra...— Caitlin?Elle cligna les yeux, réalisant qu'elle n'avait pasrépondu à sa question.— Je suis désolée, mais je n'ai pas le temps. Je doisaller chez Hicks, voyez-vous, et...Sa voix s'éteignit quand elle aperçut Luanne Porterà l'entrée de la bibliothèque, juste en face de la pen-sion de famille des Walsh. L'institutrice avait les braschargés de livres. Elle venait de bousculer Wade, parinadvertance. Les ouvrages tombèrent par terre. Tousdeux se baissèrent pour les ramasser, riant d'un aircomplice. Wade empila les livres. Manifestement, il seproposait de les porter jusqu'à la charrette de la jeunefemme. La gorge de Caitlin se noua.— Ah, la jolie institutrice et le régisseur bourru !Beau couple, vous ne trouvez pas? fit Drew Raleighd'un ton moqueur.— Absolument, répliqua Caitlin malgré son trouble.Ils me semblent... fort bien assortis.— Vous, en revanche, vous ne trouverez jamaischaussure à votre pied, dans ce trou perdu.— Drew, si c'est Cloud Ranch qui vous intéresse...Il l'arrêta d'un geste.

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— Il s'agit de vous, Caitlin. Vous êtes belle, cultivée,sophistiquée. N'importe quel imbécile s'en rendraitcompte, même les paysans de Hope. Vous n'êtes pasdans votre élément. Rien ne vous oblige à endurer lesdangers de ces contrées sauvages, ou à vivre dans unemaison aussi isolée que Cloud Ranch. Vous avez enviede retourner dans l'Est, n'est-ce pas ?

Caitlin arracha son regard de Luanne et Wade pourse concentrer sur son interlocuteur, cherchant à igno-rer la douleur qui lui étreignait la poitrine. En dépit deson charme, de ses bonnes manières, Drew Raleigh neparvenait pas à l'abuser une seconde.

— Si vous espérez que je vais vous vendre ma partet que vous parviendrez à convaincre Wade et ses frèresde vous céder le reste, vous vous bercez d'illusions,rétorqua-t-elle d'un ton sec. Je ne puis rien faire avantun an, et Wade ne vendra jamais. Il préférerait mourir,plutôt que de céder Cloud Ranch à un étranger. Carc'est ce que vous êtes, je le crains, Drew, et vous leserez toujours. Un intrus.

Il la saisit par le bras au moment où elle passaitdevant lui.

— Certes, mais un intrus entêté. Si j'en suis arrivéoù je suis, c'est à force d'insister. (Sa voix était teintéed'une note glaciale qui intrigua la jeune fille.) J'ai ledon de trouver une solution à chaque problème, et jesuis disposé à vous en faire profiter. Plusieurs per-sonnes en ville m'ont raconté que vous détestiez CloudRanch, et que vous ne demanderiez pas mieux que devendre votre part. Moi, j'ai envie de l'acheter. Ce ranchest exactement ce que mes associés et moi recherchonsdepuis longtemps. Si nous pouvions nous concerterpour imaginer un moyen...

— Il n'y a pas de moyen. A présent, excusez-moi...— Il y a toujours un moyen, Caitlin, ma chère.Un frisson la parcourut.— Excusez-moi, Drew. J'ai une lettre à poster pour

ma sœur. Bonne journée.Il s'écarta, levant son chapeau, non sans avoir posé

sur elle son regard noisette teinté de colère. La jeune

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fille s'en moquait. Quelques semaines plus tôt, elle auraittout fait pour vendre Cloud Ranch, empocher l'argentet s'en aller. Mais les choses avaient changé. VoirLuanne et Wade deviser gaiement côte à côte lui déchi-rait le cœur. Pourtant, elle n'avait nulle envie de se ven-ger de Wade. Il n'était pas question que Drew Raleighs'empare de Cloud Ranch.Que lui arrivait-il donc ? Envisageait-elle vraiment derester un an dans le Wyoming ? De faire venir Becky ?Ce serait pratique, si Wade et Luanne se mariaient,songea-t-elle tristement. Tout le monde vivrait sous lemême toit...Son cœur se serra. Non, cette situation serait intolé-rable. Il fallait qu'elle parte, qu'elle rejoigne Becky...Dans la boutique, elle parvint à sourire et à bavardertranquillement avec Nell Hicks. Puis elle se rendit aubureau de poste, où Winifred Dale lui parla du pro-chain bal donné chez les Tyler.En posant sa lettre sur le comptoir, près des sacspostaux, Caitlin l'interrompit :— Aurais-je par hasard reçu une lettre de ma sœur?J'attends de ses nouvelles depuis un certain temps, déjà.— Mais oui! Maintenant que vous m'en parlez... jecrois que vous avez du courrier, ma chère.Affichant un large sourire, Winifred fouilla les pilesde courrier derrière elle.— Elle est arrivée hier, du pensionnat de jeunesfilles de Davenport... Tenez, la voici.Elle remonta ses lunettes sur son nez délicat et luitendit une enveloppe crème de qualité.— Quel papier superbe, murmura-t-elle, admirative.L'espace d'un instant, le cœur de Caitlin bondit dejoie. Mais en voyant l'écriture à l'encre noire, ellecomprit que ce n'était pas sa sœur qui lui avait écrit.Elle décacheta l'enveloppe, un peu fébrile.— Caitlin ? Quelque chose ne va pas ?Face à l'expression atterrée de la jeune fille, Wini-fred contourna rapidement le comptoir.— Non! Ce n'est pas possible! murmura Caitlind'un ton angoissé.

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— Que se passe-t-il? Votre sœur n'est pas souf-frante, au moins ?Caitlin secoua la tête. Wade. Il fallait qu'elle trouveWade au plus vite. Il saurait quoi faire. Lui seul pou-vait l'aider.— Je suis désolée, Winifred. Je vous expliquerai plustard ! lança-t-elle en sortant.Elle courut vers Wade et Luanne, qui bavardaienttoujours près de la voiture de l'institutrice. Le régis-seur avait posé les livres à l'arrière et s'apprêtait àaider la jeune femme à s'installer sur le siège, quandil vit Caitlin se précipiter vers lui, pâle et désemparée.Il lâcha aussitôt la main de Luanne pour se ruer verselle, et l'attrapa par les épaules au moment où elle allaitle heurter.— Qu'est-ce qui ne va pas ? s'enquit-il.— C'est Becky ! Elle a disparu !— Oh, mon Dieu ! souffla Luanne.— Doucement, Caitlin. Racontez-moi. (La voixcalme de Wade la rassura, même si elle était folle d'an-goisse.) Becky a disparu du pensionnat? Aurait-ellefait une fugue ?— C'est probable. Cette lettre vient de Mlle Culp, ladirectrice. Elle dit que Becky est absente depuis unesemaine. Une semaine, Wade ! Et ils viennent seulementde me le signaler! Où peut-elle bien être? Elle n'aque onze ans. (Ses yeux étaient embués de larmes.)Comment a-t-elle pu vivre toute seule pendant unesemaine? Sans personne pour s'occuper d'elle? Elleest si timide... Il faut la retrouver!Wade affichait une mine grave.— Nous la retrouverons, je vous le promets, Caitlin.Becky s'en sortira.Oubliant tout le reste, il la prit dans ses bras et luicaressa les cheveux, tandis qu'elle tremblait contre lui.Il l'entendit réprimer un sanglot, elle qui ne pleuraitjamais... Il ressentit une vive douleur au fond du cœur.— Allons, mon ange, ne vous inquiétez pas trop...Il resserra son étreinte, ignorant le regard de Luanne,son visage livide, son air abasourdi, et celui de Jake

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Young, totalement déçu et désespéré. Drew Raleigh,quant à lui, observait la scène avec intérêt.Mais Wade ne voyait plus que Caitlin qui pleurait ensilence, agrippée à lui, perdue.— Je vous promets de la retrouver, murmura-t-il endéposant un baiser sur sa tempe.

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La nuit enveloppait la ville de Beaver Junction, dansle Wyoming. Dans une grange située derrière la forge,une frêle silhouette émergea de sous une botte de foin.Elle prit soin de ne pas faire de bruit, de peur d'attirerl'attention.

Mais il n'y avait que des chevaux.Becky Tamarlane ôta le foin de ses cheveux châtains

et secoua sa robe bleue froissée. Puis elle ramassa sonpetit cartable en cuir et se dirigea vers l'échelle.

Elle avait chaud, très chaud, les joues rouges, le frontmoite. Elle descendit l'échelle en s'agrippant aux bar-reaux. Elle avait dormi toute la journée, épuisée par letravail qu'elle avait trouvé la veille, en arrivant à Bea-ver Junction sur la charrette d'un fermier. Elle étaitdevenue une spécialiste des trajets en charrette, à l'insude leurs propriétaires. C'est ainsi qu'elle avait traverséune bonne partie du Wyoming. Naturellement, c'étaitmoins confortable que le train ou la diligence avec lafamille Kelly, mais elle n'y pouvait rien.

Becky était plutôt fière d'elle. Elle qui n'osait pasregarder les gens dans les yeux, ou demander uneseconde portion de pommes de terre à table... Aujour-d'hui, elle n'était plus qu'à soixante-quinze kilomètresde Cloud Ranch.

Si elle ne mourait pas de faim d'ici là, elle pourraitfaire la surprise à Caitlin et la mettre en garde contrecet homme odieux.

Son estomac se mit à gargouiller. Becky se sentaitfaible et savait qu'elle était sale, mais mieux valait nepas y penser. Elle n'avait rien avalé depuis la veille au

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soir. Pourtant, elle se sentait si mal qu'elle ne s'imagi-nait pas en train de manger ne serait-ce qu'une bou-chée de pain. La veille en arrivant, elle avait contempléles plats savoureux servis dans la salle à manger de l'hô-tel. Cependant, elle avait dû attendre d'avoir terminétoute la vaisselle pour goûter les mets dont regorgeaitla cuisine. Elle n'avait pas regretté sa peine. Elle avaittouché un dollar cinquante, et dégusté une assiette depoulet.

Si elle faisait à nouveau la vaisselle ce soir, elle gagne-rait la même chose. Peut-être pourrait-elle acheter unbillet de diligence pour effectuer la dernière partie dutrajet?

Naturellement, elle devrait inventer un mensonge àraconter au cocher, qui ne manquerait pas de s'inter-roger en voyant une fillette voyager seule. Mais cela neposerait aucun problème. Elle avait appris à inventerdes histoires.

L'enfant se dirigea vers la porte de la grange, grima-çant à cause de l'odeur des chèvaux. Puis elle se glissahors de son refuge, dans la fraîcheur de la nuit.

La malheureuse avait les jambes en coton. Peut-êtredevrait-elle se forcer à manger, avant de se mettre autravail ? A Philadelphie, sa femme de chambre lui avaittoujours affirmé qu'une enfant qui ne mange pas dépé-rit. Or un bol de soupe lui coûterait une partie de cetargent chèrement gagné. Pouvait-elle se permettre unetelle dépense ?

Elle réfléchit. Il fallait qu'elle soit forte, qu'elle travaille,qu'elle reste debout devant l'évier, qu'elle soit alerte etsoigneuse. Le monde était peuplé de gens mal inten-tionnés. Et de personnes généreuses, aussi, songea-t-elleen se rappelant la famille qui l'avait invitée à voyageren sa compagnie depuis Philadelphie. Elle devait éviterles embûches, et atteindre Cloud Ranch avant que cethomme horrible ne fasse du mal à sa sœur.

Caitlin ignorait qu'il était à ses trousses. Becky avaittoujours compté sur son aînée, si intelligente, si jolie,si mûre. Et elle lui avait promis que tout s'arrangerait.

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Mais il ne fallait pas que cet homme puisse lui fairedu mal - ou qu'il la fasse arrêter et mettre en prisonparce qu'elle l'avait frappé sur la tête pour se protéger.

Cette pensée lui fit monter les larmes aux yeux. Mal-gré la fraîcheur de la soirée, elle avait l'impressiond'être en plein mois d'août. Elle hâta le pas vers le res-taurant, mais ses jambes étaient lourdes. Elle décidade se passer de soupe, de proposer ses services, balayerle sol, de faire de son mieux. Il fallait qu'elle se rendeà Cloud Ranch, qu'elle prévienne Caitlin...

Elle se trouvait dans une rue étroite, éclairée par uncroissant de lune, quand ses jambes se dérobèrent sou-dain. Elle poussa un cri, mais personne ne l'entendit.Elle s'écroula à terre.

Les lumières de l'hôtel de Beaver Junction se mirentà tourner devant ses yeux, avant de s'éteindre.

A soixante kilomètres au sud, dans la ville de DeadMan's Bluff, connue pour être un repaire de hors-la-loi, un homme poussa la porte de chez Whip Muldoon.Tout de noir vêtu, il était coiffé d'un Stetson noir etchaussé de bottes étincelantes.

Dans la salle enfumée flottait une odeur fétide. Ilscruta le saloon, grouillant de mouches et de mous-tiques. Quelques types traînaient au bar ou jouaient aupoker. Plusieurs se tournèrent vers lui. Mais chez Mul-doon, chacun se mêlait de ses affaires, pour ne pas sefrotter à plus fort que lui.

Dominic Trent s'assit dans un coin et observa ungéant barbu qui fumait un gros cigare, à la table voisine.

Il commanda un whisky. Lorsque le barman luiapporta une bouteille et un verre, le géant se leva ets'approcha de la table de Trent.

—- Smoke Jackson ?Le géant souffla un anneau de fumée et hocha la

tête.— Asseyez-vous.Jackson s'exécuta et glissa son cigare entre ses dents

jaunies. Ses petits yeux noirs pétillaient.

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— Eh bien, vous me semblez assez effrayant, com-menta froidement Trent. Mais chasseur de primes oupas, êtes-vous aussi habile avec une arme à feu qu'onle prétend ?Jackson cracha, puis saisit la bouteille de whiskydont il avala une bonne rasade.— Je suis encore meilleur qu'on le dit.— Espérons-le. Je vous verserai une grosse somme,si vous réussissez.— Je réussis toujours.Cet homme lui faisait penser à un ours doté de laparole. Trent se réjouissait de l'apparence peu avenantede Jackson. Il ferait peur à sa proie. Et Trent voulaitqu'elle ait peur.Le mal de tête dont il souffrait lui rappela ce qu'ildevait à Caitlin Summers.— Vous connaissez des hommes de loi? s'enquit-ilen faisant signe au barman d'apporter un autre verre.— J'ai tendance à les éviter, railla Jackson. A partles pourris, bien sûr.— C'est à eux que je pensais.— Il fallait le dire plus tôt !Jackson avala une nouvelle rasade d'alcool et soufflaun nuage de fumée.— C'est une mission compliquée, on dirait. Maismoyennant finance, je peux vous trouver un homme deloi qui m'obéira à la lettre.— Excellent, fit Trent avec un sourire.Le moment espéré approchait enfin. Il en rêvaitdepuis longtemps. Il sentait presque la peur de Caitlin,la terreur s'emparer de son corps superbe...Pauvre Caitlin. Néanmoins, elle méritait le sortqui l'attendait. Il lui avait accordé un peu de réconfort,durant les difficultés qu'elle traversait, il lui avaitoffert le luxe, la richesse, une vie rêvée dans laquelleelle n'aurait eu qu'à le satisfaire. Et elle l'avait remer-cié en lui arrachant presque les yeux, et en lui assenantun coup de bougeoir qui aurait pu lui être fatal ! Il luiarrivait encore d'avoir des vertiges et de terribles dou-leurs.

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Des douleurs qui ne s'effaceraient sans doute jamais.Dès qu'il aurait Caitlin à sa merci, quand elle auraitcompris qu'elle n'avait d'autre solution que d'accepterla place qu'il lui proposait dans son lit, à sa disposi-tion, elle comprendrait la gravité de sa faute.— Je vous offre cinq cents dollars, déclara-t-il auchasseur de primes, dont les yeux brillèrent. Et cinqcents de plus pour l'homme de loi qui se ralliera ànotre cause.— Et quelle est donc cette cause, monsieur Trent?Dominic s'agita sur son siège et sentit la présence dela bague en émeraude dans sa poche.— Vous et l'homme de loi devrez m'aider à appré-hender une dangereuse criminelle, une meurtrière enpuissance, doublée d'une voleuse.— Qu'est-ce qu'elle a volé ?— Une émeraude. Un bijou de famille de grandevaleur.Le chasseur de primes grommela.— Je veux qu'elle soit arrêtée, traînée en justice etemprisonnée, continua Trent. Quand je vous le dirai,et pas avant, elle sera libérée grâce à ma caution, pourêtre jugée dans l'Est.— On peut la pendre ici, si vous voulez, suggéraSmoke Jackson. Pourquoi l'emmener dans l'Est?— Ne posez pas de questions, murmura Dominic,ravi d'énoncer son plan pour la première fois. Je veuxqu'elle ait peur, qu'elle soit désespérée, prise au piègecomme un rat. Mais il ne faut pas la briser, surtout pas.Je m'en chargerai moi-même, conclut-il d'un air cruel.

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— C'est encore loin ?Caitlin s'efforçait d'ignorer la douleur qui tenaillait

ses cuisses et son séant. Cela faisait deux jours qu'ilschevauchaient, deux jours interminables à traversertoutes les villes de la région. Et ils continueraient, jus-qu'à ce qu'ils reçoivent des informations du détectivede l'agence Pinkerton qu'ils avaient engagé, ou bienqu'ils retrouvent Becky eux-mêmes.

— À mon avis, nous ne sommes pas à plus de quinzekilomètres de Beaver Junction, répondit Wade enremontant son chapeau. Vous voulez vous reposer unpeu?

— Non, ça va. Continuons, fit la jeune fille ensecouant la tête.

La vague de panique qui s'était emparée d'elle, enapprenant la disparition de Becky, s'était apaisée, fai-sant place à une peur intense. Sa sœur était petite pourson âge et timide. Elle avait besoin d'être protégée. Lasavoir aussi vulnérable faisait frissonner Caitlin.

Wade avait tout de suite su quoi faire. Il avait réagiavec sang-froid et efficacité.

D'abord, il avait adressé un message à l'agencePinkerton. Le détective avait trouvé une première pisteà la gare ferroviaire de Philadelphie. Le jour de la dis-parition de Becky, une fillette correspondant à sonsignalement avait acheté un billet pour partir versl'Ouest.

Le chef de gare l'avait remarquée au sein d'unefamille, car les autres enfants avaient les cheveux rouxet bouclés, et ils étaient très turbulents. La sage Becky,

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avec ses cheveux châtains et raides, avait attiré sonattention.

— Il semblerait que votre sœur ait trouvé une gen-tille famille avec qui voyager, avait annoncé Wade àCaitlin. Elle a dû leur raconter un mensonge sur lesraisons de son voyage. Mais c'est une bonne nouvelle,car il nous suffit de retrouver cette famille.

Caitlin avait pu s'accrocher à cet espoir. Mais le len-demain matin, un nouveau message leur était parvenu,confirmant que ladite famille avait pris le train jusqu'auNebraska, avant de monter à bord d'une diligence. Letroisième jour, M. et Mme Patrick Kelly avaient ameutéla population en constatant que la fillette qui les accom-pagnait avait disparu. Ils avaient insisté pour que lecocher retarde son départ, pendant qu'ils passaient laville au peigne fin, mais elle s'était évaporée sans direau revoir. La famille avait dû partir sans elle. La mèreet les deux enfants pleuraient à chaudes larmes parcequ'ils s'étaient attachés à Becky.

En apprenant la nouvelle, Caitlin sentit son cœurs'arrêter de battre. Elle blêmit, imaginant les pires mal-heurs. Mais Wade lui fournit une explication différente :

— On dirait que quelque chose lui a fait peur etqu'elle est partie toute seule, hasarda-t-il. J'ai dans l'idéeque cette jeune personne possède la même volonté queson aînée. Et elle vient manifestement vous rejoindre.Elle doit se trouver à cent cinquante kilomètres deCloud Ranch.

Ils s'étaient donc déployés, Nick dans certainesvilles de la région, Caitlin et Wade dans d'autres. Wadeaurait préféré que la jeune fille reste au ranch, pourrecueillir un message éventuel, mais elle avait refusécatégoriquement.

— Je ne vous ralentirai pas. Je suis capable de che-vaucher aussi longtemps que nécessaire.

Elle semblait si déterminée qu'il n'avait pu refuser.Tandis qu'ils effectuaient les derniers kilomètres les

séparant de Beaver Junction, Caitlin luttait contre undésespoir grandissant. Et s'ils n'avaient plus jamais denouvelles de Becky? Et si elle avait disparu dans les

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vastes plaines de l'Ouest, comme ses parents avaientdisparu en mer ?

Mais, en voyant se profiler les premières maisons dela ville, elle reprit courage.

— Je vais voir s'il y a un shérif ou le maire, une per-sonne responsable. Ensuite, je vous retrouverai à l'hô-tel et nous nous renseignerons auprès des clients.

Elle hocha la tête, pleine de gratitude, incapable deprononcer un mot. Wade avait tout mis en œuvre pourretrouver Becky. Dans les moments de doute, il l'avaitrassurée, soutenue.

— Ça ne va pas? Préférez-vous manger un mor-ceau, d'abord? Peut-être devrions-nous commencerpar le restaurant ?

— Non, fit-elle en humectant ses lèvres. C'est...Enfin, je ne sais comment vous remercier...

— Vous me remercierez quand nous aurons retrouvéBecky, dit-il en secouant la tête.

Caitlin se hâta en direction de l'épicerie générale,le cœur de toute ville. En entrant, elle vit deux enfantsdévorer des yeux des friandises dans un bocal. Elleleur sourit et se tourna vers l'employée. Parlant assezfort pour être entendue de tous, elle lui demanda si ellen'avait pas vu une fillette de onze ans, avec des tachesde rousseur sur le nez et des cheveux raides et châ-tains.

Pendant ce temps, Wade venait d'apprendre qu'iln'y avait pas de shérif à Beaver Junction, mais que lemaire vivait à la sortie de la ville. En chemin, il vit uneporte s'ouvrir, sur le trottoir d'en face. Une fillette sor-tit sous le porche, clignant les yeux sous le soleil.

La pancarte indiquait qu'il s'agissait du cabinet duDr Henry Franklin. L'enfant semblait pâle, chancelante.

Wade se figea. Elle devait avoir environ onze ans,avait des taches de rousseur et de longs cheveux châ-tains...— Becky?

En entendant son nom, elle écarquilla les yeux. Puiselle fit volte-face et rentra dans le cabinet.— Attends!

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De peur de l'effrayer davantage, Wade ne bougeapas, mais il continua à lui parler d'une voix douce :— Becky! Je suis venu avec Caitlin. Nous te cher-chons partout. Tu ne veux donc pas voir ta grandesœur?La fillette réapparut aussitôt. Déchirée entre la peuret l'espoir, elle se contenta d'abord de fixer Wade. Ilcrut reconnaître sur son visage certains traits de Caitlin.— Vous... vous me dites la vérité? Parce que sinon...— Tu es comme elle, Becky, fit-il en riant. Elle n'ac-corde pas facilement sa confiance, elle non plus.La fillette le dévisagea, se mordant la lèvre.— A quoi ressemble-t-elle ?Elle le mettait à l'épreuve. Elle se montrait prudenteet intelligente.— A un ange, répondit-il. Un bel ange blond.Il entendit quelqu'un retenir son souffle derrière lui.Puis la voix tremblante de Caitlin :— Mon Dieu, Becky! C'est bien toi!Le cœur serré, il la vit se précipiter vers la fillette etla prendre dans ses bras. Les deux sœurs s'écroulèrentsur les planches en pleurant.Sous le regard curieux des passants, elles restèrentenlacées, se berçant doucement.

— Tu es sûre que tu ne veux manger qu'une soupe ?demanda Caitlin à Becky qui venait de terminer unbouillon de poule aux légumes.— Certaine. C'était très bon. a fillette sourit à sa sœur, puis adressa un sourireplus timide à Wade.— Le Dr Franklin m'a dit que je risquais de ne pasavoir très faim pendant un jour ou deux, leur rappela-t-elle.— C'est vrai, admit son aînée en soupirant. Tu avaisbeaucoup de fièvre. C'est une chance que le médecint'ait emmenée chez lui pour te soigner.— Mais il ne s'attendait pas à te voir debout dèsaujourd'hui, renchérit Wade.

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Le docteur leur avait expliqué que lorsqu'il avaitquitté son cabinet, ce matin-là, pour rendre visite à unautre patient, Becky dormait profondément, les cou-vertures jusqu'au menton, les volets fermés.

— Vous auriez vu sa tête quand il vous a trouvéestoutes les deux sous son porche, en train de pleurer dejoie!

Becky se mit à rire, au grand bonheur de Caitlin.— A mon réveil, je me sentais bien mieux. Pour la

première fois depuis mon malaise, je me rappelais oùj'étais. Et où je voulais aller. A Cloud Ranch. Il fallaitque je te trouve rapidement pour te prévenir, ajouta-t-elle en dévisageant sa sœur.

Face à la mine grave de l'enfant, Caitlin se penchaen avant.

— Me prévenir de quoi? Est-ce la raison qui t'apoussée à t'enfuir?

— Oui, et aussi parce qu'ils étaient méchants avecmoi à l'école, répondit Becky en crispant les poings.

— Que veux-tu dire? s'enquit Wade, les sourcilsfroncés.

— Oh, je n'ai pas été battue, mais c'était toujoursmoi qui étais punie pour les bêtises des autres. Notam-ment à cause d'Alicia Peabody. Je sais bien que son pèreest directeur d'usine et qu'il est riche comme Crésus,alors que le mien était... (Elle s'interrompit.) Je détestecette école! Mlle Culp m'a confinée dans ma chambrejusqu'à nouvel ordre. Je n'ai pas pu assister à la fête desfamilles, à cause d'une histoire de boulettes de papierlancées en classe, et parce que... je n'avais pas... demaman... et que ma sœur... était partie...

Elle fondit en sanglots. Caitlin s'agenouilla près d'elleet lui prit la main.

— Je suis vraiment désolée, mais... c'est une his-toire compliquée, plus encore que je ne m'y attendais.Avant que je t'explique tout, tu dois me dire pourquoitu t'es enfuie. Ce ne peut être à cause de cette puni-tion !

— C'est à cause de cet homme. Celui dont tu m'asparlé.

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L'espace d'un instant, Caitlin fut incapable de pro-noncer un mot, tant elle était choquée. Puis elle se res-saisit.— Tu veux dire Alec Ballantree ?— Non, pas lui, répliqua Becky en plongeant sonregard dans le sien. L'autre. Le méchant !Caitlin s'efforça de respirer normalement. La tête luitournait soudain.— Dominic Trent! Qu'a-t-il fait? demanda-t-elle,saisie d'effroi. Il est venu te voir? Il t'a menacée ?Le regard de Wade se fit glacial.— Non, il n'est pas venu me voir, expliqua vive-ment la fillette. Mais il est passé à l'école. Je l'ai vuarriver dans sa voiture, une belle voiture tirée par deuxsuperbes chevaux blancs. Il est très riche, n'est-cepas ? Comme papa, autrefois.— Oui, il est très riche. Becky, dis-moi ce qui s'estpassé.— Mlle Culp l'a salué et l'a invité dans son bureau.Moi, je l'ai vite reconnu. Je l'avais vu le jour où il estvenu chez nous, quand tu lui as demandé de partir etqu'il t'a suivie dans le jardin. Ensuite, tu as appelé Per-kins à l'aide.Elle se tourna vers Wade :— Cet homme est très méchant. Il a importuné masœur et a voulu lui faire du mal...— Dis-nous ce qui s'est passé à l'école, coupa vive-ment Caitlin. Inutile d'ennuyer Wade avec des détails.— Cela ne m'ennuie pas, affirma ce dernier enregardant la jeune fille dans les yeux.D'un geste discret, elle l'implora de ne pas insister.Il avait écouté avec attention les propos de Becky.La réaction brutale de Caitlin à l'évocation de DominicTrent ne lui avait pas échappé. Ce n'était pas la pre-mière fois qu'il entendait ce nom. Dominic Trent... Etce ne serait pas la dernière. Caitlin rechignait à parlerde son passé, mais son instinct lui disait que Trent yavait joué un rôle important, qu'il lui avait fait du mal.Soudain, Wade eut envie d'avoir ce type en face delui. Cinq minutes lui suffiraient. Il aurait voulu effacer

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à jamais l'inquiétude du visage de Caitlin, la protégerdes hommes tels que Dominic Trent ou Alec Ballan-tree. Il ignorait ce que ces salopards lui avaient fait,mais il n'aurait pas hésité à se battre contre eux.

— Pourquoi cet homme est-il venu à l'école?demanda-t-il d'une voix calme à la fillette. Était-cepour poser des questions sur ta sœur ?

— Comment le savez-vous? fit l'enfant en hochantla tête. C'est en effet pour ça. J'ai écouté derrière laporte du bureau de la directrice. Il lui a affirmé queCaitlin était méchante, et que Mlle Culp devait en êtreinformée. Il a ajouté que si elle ne lui disait pas où tuétais, il lui enverrait la police, ce qui serait mal vu parles parents d'élèves.

Les mains de Caitlin se mirent à trembler.— C'est alors qu'elle lui a révélé que je t'avais envoyé

des lettres et de l'argent de Cloud Ranch? devina-t-elle.

— Oui. Elle lui a dit que les lettres provenaient d'uneville nommée Hope, dans le Wyoming. Il est parti toutde suite. J'ai compris qu'il était à tes trousses, qu'il t'en-verrait peut-être le shérif. Alors je me suis enfuie. Jevoulais arriver avant lui et te prévenir...

En entendant parler de shérif, Wade riva les yeuxsur Caitlin, mais elle refusa de le regarder. L'enfantpoursuivit :

— J'ai rencontré une gentille famille, les Kelly, et jeleur ai dit que ma sœur était une grande actrice entournée dans l'Ouest, et que j'allais rejoindre la troupe.Qu'elle viendrait me chercher à l'arrêt de la diligenceà Hope.— Quoi?

La jeune fille était si abasourdie par l'imaginationdont Becky avait fait preuve, qu'elle en oublia un ins-tant Dominic Trent.— Comment as-tu eu cette idée ?

Le sourire de l'enfant s'élargit.— Ça m'est venu comme ça, admit-elle fièrement.

Je ne voulais pas dire la vérité, au cas où l'école auraitlancé un avis de recherche. J'ai pris un faux nom.

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J'étais Lauralee Jones, et toi Lily Jones. Nous venionsd'une famille d'acteurs, notre maman était une chan-teuse de talent... (Sa voix s'éteignit.) Mais en arrivantà Diamond Springs, dans le Nebraska, tu ne devinerasjamais ce qui s'est passé.

— Dis-moi, mon ange, fit Caitlin en adressant unregard furtif à Wade.

Il était installé confortablement sur sa chaise, lesjambes étendues devant lui, mais elle percevait chez luiune certaine tension. Si seulement il pouvait s'en aller,pour ne plus entendre un mot sur Dominic Trent...Trent était son problème à elle. Elle avait déjà eu affaireà lui, et elle était prête à se battre. Elle n'allait pas com-mencer à compter sur les autres pour résoudre sesproblèmes. Et elle ne voulait pas dépendre de Wade.

Elle s'en chargerait seule, décida-t-elle. Et elle s'oc-cuperait de Becky. Elle ferait des efforts pour apprendreà tirer. La prochaine fois que Trent s'attaquerait à elle,il risquerait davantage qu'un coup de bougeoir sur latête.

— Je l'ai vu... Dominic Trent, reprit Becky, fébrile. ÀDiamond Springs! Au moment où les Kelly et moiallions prendre la diligence, je l'ai vu dans la rue. S'ilm'avait remarquée... Il ne fallait surtout pas qu'il mereconnaisse. J'ai pris peur, je ne savais pas quoi faire,alors j'ai dit à Mme Kelly que j'avais oublié ma sucette àl'épicerie. Je me suis cachée derrière une charrette. Aumoment où la charrette a démarré, je suis sortie de macachette. Dominic Trent était parti. Mais les Kelly aussi.

Une larme coula sur la joue de l'enfant. Ses petitesépaules s'affaissèrent.

— Ensuite, j'ai voyagé seule. Et je m'en suis biensortie. Jusqu'à ce que je tombe malade.

Caitlin la prit dans ses bras, ravalant ses larmes et lapeur qui la rongeait.

— Tu as très bien agi, Becky. Je suis fière de toi. Tuas fait preuve de clairvoyance.

— Et comment! renchérit Wade en souriant à lafillette. Tu as la trempe d'un vrai cow-boy, Becky. Tuas eu du courage. Nous t'admirons.

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— C'est vrai ? Vous croyez vraiment que je pourraisfaire comme les cow-boys ?Pour une raison qui échappait à Caitlin, Becky trou-vait cette idée merveilleuse.— Quand verrai-je Cloud Ranch? Aujourd'hui?— Non, pas aujourd'hui, répondit vivement Caitlinen se levant. Il est tard, et Cloud Ranch est loin. Nousirons demain.— Bon, je suppose que je ne suis pas à un jour près,concéda Becky.En montant dans la chambre qu'elle partageraitavec sa sœur, elle continua à bavarder avec animation.— Je serai de l'autre côté du couloir, annonça Wadeavec un regard rassurant.— Merci, Wade. Tout ira bien.— Je l'espère, répondit-il d'une voix douce.Désormais, qu'elle le veuille ou non, il était là pourla protéger, ainsi que Becky. Du moins, c'était ce qu'ilsouhaitait lui faire croire. C'était peut-être vrai pource soir, mais pourrait-elle compter sur lui en perma-nence ?— Bonne nuit, monsieur Barclay, fit la petite voixde l'enfant. Merci de m'avoir retrouvée. Et merci pourla soupe.— Bonne nuit, petite, répliqua-t-il avec un sourire.Demain, nous serons à Cloud Ranch. Je te ferai visiterle domaine.— J'ai hâte !Il se pencha pour l'embrasser sur la joue, puis rivales yeux sur Caitlin. Aucun des deux ne détourna leregard. Elle sentait la main de Becky dans la sienne.Wade paraissait hypnotisé.— B... bonne nuit, murmura-t-elle enfin.L'enfant les observa avec curiosité.— Faites de beaux rêves, princesse.En entrant dans la chambre, Caitlin avait le tournis.Elle parvint tout de même à refermer la porte à clé,tout en écoutant le babillage de sa sœur.En fermant les yeux, quelques minutes plus tard, elleeut peur de rêver de Dominic Trent. Mais ce fut Wade

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qui vint hanter son sommeil. Son sourire doux et ras-surant, ses yeux bleus semblaient imprimés dans sonesprit...Ne tombez jamais amoureuse d'un cow-boy.Trop tard, madame Casper, pensa-t-elle. Je crois queje le suis déjà.

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Durant les jours suivants, Caitlin chercha à éviterWade. Elle se doutait qu'il allait l'interroger sur Domi-nic Trent, et n'avait aucune intention d'évoquer cesujet douloureux avec lui. De plus, elle ne tenait pas àaffronter ses propres sentiments. Elle s'affaira donc àmontrer le ranch à Becky.

Elle fut agréablement surprise du nombre de visi-teurs qui vinrent souhaiter la bienvenue à la fillette.Edna et Winifred, ainsi que plusieurs dames du clubde couture, passèrent avec des paniers chargés de bis-cuits. Luanne vint en compagnie des jumelles Morgen-sen. Alice Tyler, du ranch voisin, apporta à toute lamaisonnée une invitation pour le bal qu'elle et sonmari organisaient chaque année au mois de mai.

Tenant sa promesse, Edna Weaver prépara même undîner en l'honneur de la fillette. Après le dessert, elleinvita Becky à chanter une chanson, pour le plaisir detous. Au grand étonnement de Caitlin, l'enfant fut raviede s'asseoir près de sa sœur au piano, et d'interpréterquelques airs classiques.

Même Francesca, qui avait toujours traité Caitlinavec une réserve teintée de froideur, était tout sourireen présence de la nouvelle venue. Elle passait ses après-midi à confectionner des gâteaux, pour redonner del'appétit à la «petite».

En dépit de cette atmosphère chaleureuse, Caitlin nepouvait s'empêcher de scruter l'horizon, «'attendantà voir apparaître une silhouette imposante aux yeuxcruels... Trent était passé à Diamond Springs. Pour-quoi n'était-il pas encore arrivé à Cloud Ranch ?

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Par deux fois, elle alla s'entraîner au tir. D'abordavec Jake Young, qui semblait toujours sur le point delui dire quelque chose, puis avec Dirk, qui lui montracomment utiliser un petit Derringer, que Wade luiavait remis à leur retour de Beaver Junction.

— Gardez-le sur vous à tout moment de la journée,et même la nuit, lui avait-il recommandé.

Nick étant parti à la poursuite des voleurs de bétail,ils se retrouvaient tous les trois à table chaque soir.Pour épargner Becky, Wade évitait de parler de Domi-nic Trent. Il passait la majeure partie des repas àraconter des histoires sur le ranch, son enfance avecses frères.

La jeune fille était fascinée par son aisance en pré-sence de l'enfant. Elle aurait voulu prévenir sa sœur dene pas trop s'attacher à Wade, ni au chien, ni à qui-conque, car elles ne resteraient pas à Cloud Ranch, maiselle ne trouvait pas les mots. La fillette, qui avait tou-jours eu peur de son ombre, était sortie de sa coquille.

Le troisième soir, Caitlin se retrouva seule dans lacuisine, après avoir dit bonsoir à Becky. Drapée dansson peignoir en soie pêche, elle fixait sa tasse de thésans la boire.

Dehors, la nuit était douce et noire. Pas une étoile nescintillait dans le ciel. Elle entendit une chouette, uncoyote, au loin.

La maison était silencieuse. Francesca avait regagnésa chambre, qui donnait sur le potager. Wade étaitrentré depuis longtemps de sa partie de cartes avec lesouvriers. Il devait être couché, lui aussi.

Même le chien dormait dans le bureau de sonmaître, sur le tapis. C'était son endroit favori, avait ditWade à son arrivée au ranch. Autrefois, en se levant dubureau, Reese devait toujours prendre garde à ne paslui marcher dessus! Mais le chien dormait tranquil-lement, certain que Reese ne troublerait pas sonsommeil.

En toute confiance.

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Le chien faisait confiance à son maître. Reese faisaitconfiance à Wade.Or elle ne faisait confiance à personne, à part Becky.A moins que...Elle soupira, se rappelant comment elle s'était préci-pitée vers Wade en apprenant la disparition de sasœur. Face aux voleurs de bétail, elle avait su qu'elleétait sauvée en le voyant arriver. Elle l'avait laissél'embrasser, la caresser, la serrer dans ses bras, mêmesi sa raison lui criait de s'en aller.Son thé refroidissait depuis un quart d'heure, et ellen'en avait toujours pas bu une gorgée.Entendant des pas derrière elle, Caitlin ne se retournapas. Elle savait qui était là.— Vous n'arrivez pas à dormir?La voix de Wade était douce, comme toujours... Lajeune fille en eut la chair de poule.— En quelque sorte, fit-elle d'une voix plus rauquequ'elle ne l'aurait voulu. Et vous ?— J'ai trop de choses en tête.Elle se tourna enfin. Ses cheveux détachés cascadaientsur ses épaules. Wade s'approcha dans la pénombre.Elle vit qu'il était pratiquement torse nu. Sa chemiseétait largement ouverte. Il portait un pantalon en toileet était pieds nus. Ses muscles luisaient comme dubronze, à la faible lueur de la lampe. Caitlin ne puts'empêcher de l'admirer.Pour trouver une contenance, elle saisit sa tasse etbut une gorgée de thé. Il était froid, amer. Elle avaitoublié d'ajouter du sucre. Mais elle préférait boire,plutôt que de regarder Wade.Il s'installa en face d'elle. Ses traits fins étaient indé-chiffrables.— Qui est Alec Ballantree ?Par chance, elle ne buvait plus, car elle se seraitétouffée.— Pourquoi me parlez-vous de... d'Alec Ballantree?demanda-t-elle, les joues empourprées.— Vous avez cité son prénom l'autre jour, sansavouer de qui il s'agissait. Et quand Becky a dit qu'un

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homme était venu au pensionnat, c'est d'abord à luique vous avez pensé.

Effectivement.— Il n'a aucune importance. Du moins, il n'en a plus.Elle priait pour qu'il se contente de cette explication

concise, mais il continua à la regarder fixement, jus-qu'à ce qu'elle ne puisse plus le supporter.

Elle soupira.— Très bien ! Si vous tenez à le savoir, c'était mon

fiancé.Wade avait décidément le don de lui tirer les vers du

nez, de la pousser à confier ses sentiments, des senti-ments qu'elle aurait préféré garder pour elle. Elle levafièrement la tête.

— Un homme que je croyais aimer... quand jecroyais encore à l'amour, précisa-t-elle avec un souriresans joie.

Elle se leva et alla rincer sa tasse dans l'évier.— Il disait m'aimer, il avait promis de m'aimer tou-

jours. Cela a duré jusqu'à la mort de mon beau-père,lorsqu'on a découvert que Gillis devait plus d'un demi-million de dollars, dont une grande partie aux person-nages les plus en vue de Philadelphie, y compris le pèred'Alec. Tout à coup... (Elle prit une profonde inspira-tion.) Il ne voulait plus de moi.

Elle baissa les paupières, espérant masquer sa dou-leur, mais elle aurait dû se douter qu'elle ne pourraitrien cacher à Wade.

— En d'autres termes, cet homme est un imbécile,grommela-t-il.

Elle posa enfin les yeux sur lui. Son regard n'exprimaitaucune pitié, pas même de la sympathie, simplementune colère rentrée.

— Je crains que la plupart des habitants de Philadel-phie ne soient persuadés du contraire, déclara-t-elled'un ton qui se voulait enjoué. Tout le monde a jugéqu'il a échappé de justesse à la catastrophe. Quelquesmois de plus, et il aurait été trop tard! Nous aurionsété mariés, il aurait dû subir ma...

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Wade bougea si vite qu'elle s'interrompit, hésitante.Il la prit par les épaules.— Cet homme n'est pas seulement un imbécile,c'est un lâche. Vous l'aimez encore ?La question la prit au dépourvu. Elle le dévisagea.Naguère, elle aurait répondu par l'affirmative, le cœurbrisé. Puis elle aurait affirmé le détester.Mais à présent...Elle se remémora le visage d'Alec. Étrangement, ellen'en ressentit aucun chagrin.— Je... je ne sais pas.— Pensez-vous à lui nuit et jour? Voyez-vous sonvisage au coin du feu, entendez-vous sa voix le soir,dans votre lit ? Pensez-vous à lui quand vous montez àcheval, ou quand vous gravissez les marches vers votrechambre ?Elle le fixa. Son expression était tendue. Ses yeuxbrûlaient d'un sentiment puissant.— N... non. Bien sûr que non... Qu'est-ce que vousracontez ?— C'est ce que je ressens pour vous. Et plus encore.Abasourdie, elle ne put que le contempler. Puis ellesongea à Luanne et se dégagea de son emprise.— Vous feriez mieux de garder vos belles parolespour Mlle Porter! dit-elle en faisant volte-face pourse diriger vers la porte. Vous perdez votre salive avecmoi... Oh!Il la saisit par-derrière, glissant les bras autour d'elleafin de la serrer contre lui. Elle ne pouvait lui échap-per. Elle sentit son souffle dans son oreille tandis qu'ilmurmurait :— Mlle Porter est jolie...Une douleur fulgurante transperça la jeune fille.— Oui, c'est vrai. Lâchez-moi !Il la serra plus fort. Sa voix se fit dure, au pointqu'elle se mit à trembler.— Elle est douce et gentille, facile à vivre...— Eh bien, ne vous gênez pas ! Rien ne vous empêchede vivre avec elle !

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— Ce soir-là, si je l'ai embrassée, c'était uniquementpour vous oublier. Pour essayer de vous oublier.Les lèvres de Wade touchaient son oreille, la faisantfrissonner de plus belle.— Mais cela n'a pas fonctionné, Caitlin. Au contraire,je pense à vous de plus en plus.Il la fit pivoter sur elle-même, un bras enrouleautour de sa taille. C'était une chance, songea la jeunefille, un peu étourdie, car sinon elle serait tombée. Lesjambes en coton, elle chercha son regard.— Vous espérez... que je vais vous croire?— Je vais vous le prouver.— Je... je ne vois pas comment, balbutia-t-elle, hésitante.— Vous allez voir, dit-il d'un ton rauque.Il la dévorait des yeux. Elle se débattit.— Je vais me coucher... Lâchez-moi immédiate-ment!— Ce n'est pas possible, Caitlin, souffla-t-il contresa joue. Pas encore. D'abord, j'ai quelque chose à vousprouver.Il la serra plus fort. Prise de panique, elle compritqu'il allait l'embrasser.Wade lut la peur dans ses yeux. Elle évoquait unejument affolée, luttant pour sa liberté.Une vague de colère le submergea. Cette ordure deTrent l'avait meurtrie plus gravement encore que sonpoltron de fiancé ! Il avait envie de l'embrasser pourchasser sa douleur et sa crainte. Mais en plongeant ànouveau dans son regard, il se demanda si Caitlin avaitpeur d'un homme, de tous les hommes, ou d'elle-même.Il se plaqua contre elle, le visage plus doux, un sou-rire tendre au coin des lèvres.— Voilà ce que je vous propose. Laissez-moi vousembrasser une fois. Une seule fois. Un baiser ne sau-rait mentir...Elle parut abasourdie, terrifiée, mais ne lutta pas, nedit pas non. Lentement, il se pencha pour effleurer seslèvres. Elles avaient la douceur du satin. Un désir puis-sant l'envahit. Cet ange aux reparties grinçantes et au

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cœur brisé, cette femme qu'il avait juré de protéger,l'avait conquis.Mais comment la protéger d'elle-même ?À mesure que le désir montait, leur baiser se fit plusprofond. Wade glissa une main dans ses cheveux, jus-qu'à sa nuque. La passion le consumait de la tête auxpieds. Il la sentit frémir, ce qui ne fit qu'attiser sondésir. Elle se lova contre lui, réclamant ses caresses.— Caitlin...Il l'embrassa encore, plus fort, cette fois.— Mon Dieu, Caitlin...Elle tremblait entre ses bras. Comment une sensationqui lui faisait aussi peur pouvait-elle se révéler si déli-cieuse? se dit-elle. Elle savait qu'elle devait s'enfuir,résister à l'appel de ses sens. Même s'il disait la vérité,Wade Barclay était plus dangereux qu'Alec ou Dominic.Il la caressait plus sensuellement qu'ils ne l'avaientjamais fait. Ce qui signifiait qu'il avait le pouvoir de lafaire souffrir davantage.Elle se sentit transpercée d'une onde de chaleur, sousses lèvres exigeantes et caressantes à la fois.Sa bouche la trahit. Ses lèvres s'entrouvrirent pourl'accueillir en elle. Leurs langues se trouvèrent enfin.Ivre de plaisir, Caitlin enroula les bras autour de soncou et se fondit contre lui, s'engageant sur un cheminpérilleux et inconnu.Wade la souleva de terre pour l'emmener à l'étage,dans le couloir, jusqu'à sa chambre. Il n'était pas mêmeessoufflé par l'effort qu'il venait de fournir.A l'intérieur, il faisait sombre. Seule la lune éclairaitla pièce spacieuse et masculine, avec son bureau enchêne, ses épais rideaux bordeaux et son tapis bleufoncé. Dès qu'il la déposa sur le grand lit à baldaquin,il dénoua le cordon de son peignoir.— Je veux te voir, Caitlin. Tout entière.Il se pencha vers elle, inhalant son parfum.— Tu es si belle... gémit-il face à ses yeux verts etpétillants. Tu ne devrais pas être là, marmonna-t-il,l'esprit en émoi.— N... non. Je sais, répondit-elle dans un souffle.

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Mais quand elle voulut se lever, Wade la repoussagentiment. Au bord de la panique, elle se figea, le cœurbattant, la gorge nouée.

— Il est trop tard pour revenir en arrière, mur-mura-t-il d'une voix brisée.

Il avait raison. Il était trop tard pour tous les deux.Caitlin ne voulait pas reculer, ne voulait pas quittercette chambre. Elle était incapable de réfléchir.

Wade ouvrit le peignoir. Aussitôt, une lueur de plai-sir brilla dans son regard. Il fit glisser la soie délicatele long de ses bras.

Ravie qu'il la trouve belle, Caitlin mourait d'enviequ'il la caresse.

En découvrant ses seins pâles au clair de lune,ses mamelons tels des boutons de rose, il eut le soufflecoupé. Elle était nue, offerte. Il jeta le peignoir,oubliant tout le reste. Il n'y avait plus sur terre que cettefemme à la peau laiteuse, aux courbes généreuses, dontles yeux étincelaient comme des pierres précieuses.

Il la couvrit de son corps et s'empara de ses lèvres,dans un baiser plus intense encore que le précédent.

Mais ce n'était que le début. Il la caressa, doucementd'abord, puis fébrilement, explorant la moindre par-celle de son corps, ses bras, ses cuisses.

Fou d'impatience, il s'efforça de ne pas la brusquer,de lui donner du plaisir, de savourer chaque secondede leur étreinte. Chaque petit coup de langue sur unmamelon, chaque passage de ses doigts entre sescuisses déclenchait chez Caitlin un gémissement quiattisait son propre désir. Il parvint à se retenir et l'em-brassa avec ardeur, le souffle court.

Pantelante, la jeune fille lui arracha sa chemise ets'attaqua aux boutons de son pantalon.

Laissant échapper un petit rire, il finit de se dévêtir.Autour du lit, la pièce se mit à tourner.

C'est de la folie, murmurait la petite voix de laconscience à l'oreille de Caitlin. Elle ne sentait plusque les mains et la bouche de cet homme irrésistible.

Wade Barclay l'emmenait au-delà de la raison, etelle s'en moquait. Elle aussi l'ensorcelait. Elle le lisait

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dans son regard, dans les réactions de ses muscles ten-dus contre sa peau. Elle s'épanouissait comme une fleurau soleil, s'éveillant après un long sommeil, revitaliséeet vibrante. Haletante, elle s'agrippa à lui. Elle se cam-bra, les doigts dans ses cheveux, brûlant de quelquechose de plus fort...Elle ne savait pas exactement ce qu'elle attendait,mais elle en voulait davantage. Et Wade allait le luidonner, elle en était certaine.Quand il eut exploré son corps à loisir, Caitlin se fitaudacieuse et entreprit d'explorer le sien. Lorsqu'elleeffleura sa virilité gonflée, il ne put réprimer un gro-gnement. Effrayée, elle ôta sa main.Il se mit à rire doucement.— Ne t'arrête pas maintenant, mon amour. Le plai-sir ne fait que commencer... pour nous deux.Elle lui sourit et plongea dans son regard bleu nuit.— Je n'ai aucune intention d'arrêter, Wade, assura-t-elle, ravie de l'effet magique que ses mains produi-saient sur lui, de ce pouvoir qu'elle détenait.Elle savait désormais le rendre fou de plaisir, l'em-braser comme il l'embrasait. Elle se remit donc à lecaresser, à le titiller, explorant les mystères de ce corpspuissant, jusqu'à ce qu'il roule à nouveau sur elle,l'emprisonnant de son poids.— A mon tour, murmura-t-il.Soudain, il prit entre ses lèvres un mamelon durci,tout en caressant les replis humides de son intimité,avant de s'y insinuer.Une chaleur délicieuse envahit la jeune fille, qui futemportée dans un tourbillon de sensations nouvelles.Fébrile, elle se cambra davantage.Le visage de son compagnon s'illumina.— Plus moyen de s'arrêter, princesse, chuchota-t-ilcontre sa bouche.Elle l'attira vers elle.— Si tu oses t'arrêter, je te tue, répondit-elle, pante-lante.En voyant le sourire de Wade s'élargir, elle sentit soncœur s'emballer. Il se pencha vers elle. Les lèvres

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entrouvertes, elle accueillit ses baisers tandis qu'il glis-sait en elle son membre gonflé.

Il se força à rester immobile un instant, et observason visage radieux.

— Caitlin, souffla-t-il d'une voix rauque, une maindans ses boucles blondes. Attends, attends...

Elle s'agrippa à lui, impressionnée, impatiente, avidede le garder en elle. Émerveillée, elle écarta les cuisses.Plus rien n'existait. Il l'embrassa avec tendresse, touten s'enfonçant plus profondément.

Une douleur intense, mais furtive, la transperça. Ellepoussa un cri, que Wade étouffa d'un baiser. Très vite,la souffrance fit place à un plaisir nouveau, qui enfla àmesure que son compagnon allait et venait en elle, len-tement d'abord, puis plus vite. Caitlin ne put ravalerun nouveau cri - de bonheur, cette fois. Parcourued'un long frisson, elle le serra plus fort contre elle,caressant son dos musclé de ses mains fébriles.

Bientôt, elle perdit tout contrôle. Leurs corps ne fai-saient plus qu'un, tandis qu'ils tourbillonnaient versl'extase. Puis ce fut une explosion de sensations, qui fitmonter la jeune fille vers des cieux étincelants.— Wade...! hurla-t-elle.

Elle l'entendit prononcer son prénom, mais de trèsloin.

Désormais, elle lui appartenait, comme si Wadevenait de la marquer de son empreinte.

Dans le grand lit en chêne, alors que la lune luisaittel un diamant dans le ciel, ils s'écroulèrent dans lesbras l'un de l'autre, repus. Après la tourmente, ils trou-vèrent enfin la paix.

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Bien plus tard, Caitlin se réveilla blottie contre le corps bronzé et nu de Wade, qui l'embrassa avec ten-dresse. Elle lui rendit ses baisers et se lova contre lui.Ses baisers étaient doux, ses caresses sensuelles... Elles'écarta en souriant pour reprendre son souffle etplongea dans son regard.

Mais ce n'étaient pas les yeux de Wade.Ces yeux étaient ceux de Dominic Trent !Elle poussa un cri d'effroi, qui résonna dans la

chambre, et chercha à se dégager. Mais Trent la serraitcontre lui. Son regard était froid comme la glace.

— Tu croyais que je ne te retrouverais pas, Caitlin ? Toi et moi sommes faits l'un pour l'autre...

— Non ! hurla-t-elle en se libérant.Entendant les sabots d'un cheval sous sa fenêtre, elle

alla écarter les rideaux. Wade partait au grand galop,talonnant sa monture. Sa silhouette imposante se fit deplus en plus petite, à mesure qu'il disparaissait au loin.

— Wade! appela-t-elle encore et encore, pour qu'ilvienne à son secours.

Mais il ne ralentit pas, ne se retourna pas.— Wade!La terreur monta en elle. Elle fit volte-face et vit

Trent se lever du lit pour la rejoindre. Se ruant vers lebureau, elle voulut saisir un bougeoir en bronze. C'étaitle même qu'à Philadelphie. Il était lourd, superbementsculpté. Mais ses doigts tremblants se refermèrent surle vide.

Le bougeoir s'était volatilisé.

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— Nous sommes faits l'un pour l'autre, ma belle,répéta Trent en s'avançant vers elle, affichant un rictuscruel. Personne ne viendra à ton secours. Tu es seule...Caitlin secoua vigoureusement la tête.Puis elle le vit: le fusil, posé au pied du lit. Elle seprécipita mais, une fois encore, elle ne saisit que duvide. Le fusil avait disparu.Elle se retourna pour balayer désespérément la piècedu regard, en quête d'une arme. Les visages de samère et de Gillis lui apparurent, un peu flous, dans unmiroir. Puis le miroir s'évapora à son tour, emportantl'image du couple.Un nuage de fumée grise remplaça soudain le mur.Tout avait disparu. Tout...— Non!— Caitlin...— Non!— Chut... Caitlin, tout va bien, fit la voix calme deWade, tandis qu'il la caressait doucement.Elle ouvrit vivement les yeux.— Qu... quoi?— Tu as fait un cauchemar, chérie. Un très mauvaiscauchemar, j'imagine.L'espace d'un instant, elle fixa la pénombre et croisases yeux bleus, emplis de tendresse. Elle tremblait detous ses membres. Sa peau était moite.Gentiment, il la prit dans ses bras.— Tu veux m'en parler? dit-il en l'embrassant.Elle secoua la tête. Wade lui caressa les cheveux.Rassurée par son souffle régulier, elle se calma un peu.Il faisait encore nuit. Le silence régnait. Pas de vent,pas de nuage gris, personne ne partait à cheval...— Alors, parle-moi de Dominic Trent.Elle tressaillit.— Wade...— Raconte-moi, insista-t-il en l'allongeant sur l'oreil-ler pour se pencher vers elle. Tu as prononcé son nom,dans ton sommeil. Et ce n'est pas la première foisque je l'entends. Dans ton intérêt, et celui de Becky, il

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est temps que tu m'éclaires sur cette ordure qui tetraque.

Caitlin passa une main tremblante dans ses cheveux.— C'est... un ancien soupirant. Enfin, il se voulait

mon soupirant, corrigea-t-elle.— Et alors ?Elle lut la colère dans son regard bleu.— Nous nous sommes rencontrés à l'opéra, et il a

commencé à me courtiser. Dominic Trent est un hommepuissant à Philadelphie. L'un des plus riches de larégion. Il a grandi dans un luxe inimaginable et, appa-remment, personne ne lui a jamais résisté. Jusqu'à ceque je refuse ses attentions. (Elle s'humecta les lèvres.)Quand j'ai rencontré Dominic, je fréquentais Alec. Pour-tant, cela ne l'a pas empêché de se montrer pressant.

En songeant à sa façon de ne pas la quitter d'unesemelle, la jeune femme frissonna et remonta les drapssur son corps.

— Un jour, il s'est présenté chez moi. C'était le len-demain de Thanksgiving, l'an dernier, juste avant queBecky ne revienne de la pension. Maman et Gillisétaient absents, et je me promenais dans le jardin.

Elle s'interrompit et se mordit les lèvres.— Continue, fit Wade, la mine grave.— II... il m'a abordée. C'est le seul terme qui

convienne. Il a affirmé que nous étions faits l'un pourl'autre. Qu'Alec n'était pas pour moi. Que lui seul pou-vait me rendre heureuse. Il m'a demandé de l'épouseret a essayé de m'embrasser et de... Je lui ai dit non, j'airefusé de l'épouser. Et je lui ai dit de partir. Mais ilinsistait pour m'embrasser, alors je l'ai giflé. Quandj'ai voulu rentrer dans la maison, il m'en a empêchée.Il me faisait mal au bras. J'ai même déchiré ma cape,mais comme je ne parvenais pas à me dégager, je mesuis mise à hurler. Perkins, notre valet, est arrivé encourant et a projeté Trent dans une haie. D'autresdomestiques ont accouru et... il a filé.

— Mais tu n'étais pas totalement débarrassée de lui,marmonna Wade.

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— Non, fit-elle en secouant la tête. Après la mort dema mère et de Gillis, Alec a rompu nos fiançailles. Unjour, Trent m'a suivie alors que je rentrais de chez lenotaire. C'était en fin de journée. La nuit commençaità tomber. Je m'étais arrêtée dans le parc, non loin dechez moi, et j'avais renvoyé le cocher à la maison. Jevoulais marcher un peu, réfléchir à ma situation. Sou-dain, une voiture s'est arrêtée à ma hauteur et, sans melaisser le temps de réagir, il m'a attirée à l'intérieur.

Le regard de Wade devint glacial, comme à BeaverJunction, pendant que Becky leur racontait ses mésa-ventures avec Dominic Trent. Son expression lui fit unpeu peur, mais il prit ses mains dans les siennes.

— Ce n'est rien, assura-t-il.Ses mains chaudes et rassurantes contrastaient avec

la dureté de son expression.— Que s'est-il passé ?Caitlin avala sa salive.— Il m'a conduite dans son hôtel particulier. La rue

était déserte. J'ai crié, mais personne ne m'a entendue.Il m'a entraînée à l'intérieur. Les domestiques étaientabsents. Il n'y avait pas âme qui vive. Trent m'a expli-qué qu'il les avait congédiés parce qu'il tenait à resterseul avec moi.

Elle ferma les yeux.— Il m'a emmenée au salon et a refermé la porte à

clé. Puis il m'a offert du cognac, en me disant qu'ilavait une proposition à me faire.

Elle rouvrit vivement les yeux, pour croiser le regardangoissé de Wade.

— Il insistait, affirmant que nous étions faits l'unpour l'autre, que tout le monde m'avait laissé tomber.Il ne restait plus que lui. Il prétendait que j'avaisbesoin de lui, et qu'il avait besoin de moi.

Elle secoua lentement la tête.— Mais je lisais le mal dans son expression, je le

sentais à sa façon de s'exprimer. C'était comme si rienne pouvait le faire changer d'avis... Jamais je n'ai euaussi peur, ajouta-t-elle en serrant plus fort les doigtsde Wade. Je lui ai ordonné de me laisser partir. Je l'ai

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même supplié. Mais il a ri et a répondu que j'appren-drais à l'aimer. Cette fois, ce n'était pas le mariage qu'ilme proposait. Il voulait que je devienne sa maîtresse.Je vivrais sous son toit, je serais entretenue. Il m'offraitde financer les études de Becky, ses vêtements, sa pen-sion, tout ce dont elle aurait besoin... tant que je reste-rais avec lui.

Sa voix se mit à trembler.— J'avais... entendu des rumeurs à son propos. On

racontait qu'il avait de sombres habitudes, surtout avecles femmes. En me retrouvant à sa merci, dans cesalon fermé à clé, j'ai compris que c'était vrai. Quandj'ai essayé de partir, il m'a giflée. Il a dit que je le méri-tais car je l'avais frappé, ce jour-là, dans mon jardin. Ila tenté de m'arracher mes vêtements, mais je me suisdéfendue. J'ai saisi un bougeoir sur la table, il étaitgros et lourd, et... et je l'ai frappé à la tête.

Elle avait les yeux embués de larmes.— II... est tombé. Il saignait abondamment. J'ai

couru jusqu'à la porte, sans me retourner... Ensuite,j'ai simplement pris le temps d'adresser un message àM. McCain, lui annonçant que je venais à Cloud Ranch.J'ai expliqué à Becky que je partais. Puis j'ai pris lepeu d'argent qui me restait, et j'ai quitté la ville.

— Caitlin... fit Wade d'une voix rauque.Il était très ému par son récit. Ce n'est que de la

compassion, se jura-t-il. De la sollicitude. Mais en scru-tant son visage, il fut envahi de panique face à l'inten-sité de sa propre réaction.

Elle pressa ses mains.— J'ignorais s'il se lancerait à ma poursuite,

murmura-t-elle. Tout ce que je savais, c'était quej'avais besoin d'argent pour emmener Becky loin dePhiladelphie, pour recommencer ma vie ailleurs etoublier Dominic Trent.

— Et les autorités? Tu n'as pas songé à porterplainte ?

— Cela n'aurait servi à rien. C'était ma parole contrela sienne. Or qui étais-je ? La fille ruinée d'un hommeendetté, dit-elle avec un rire amer. Dominic Trent avait

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tout: le pouvoir, les relations, l'argent... Et je l'avaisabandonné baignant dans son sang. Je n'avais aucunechance.Wade savait qu'elle avait raison. Mais il savait aussique si cette ordure osait s'approcher de Caitlin ou deBecky, ni son pouvoir ni ses relations ne pourraientsauver sa peau.— Ne t'inquiète plus, dit-il.Il avait envie de la prendre dans ses bras, de chasserces souvenirs douloureux, de lui promettre qu'il veille-rait sur elle pour toujours.Mais l'éternité n'existait pas. Dès que cette annéeserait écoulée, Caitlin quitterait Cloud Ranch, commel'avait fait sa mère.Cette perspective lui fit l'effet d'un coup de poi-gnard. La peur l'étreignit.Tu es bien trop impliqué, Barclay, se dit-il. Tu vas teretrouver seul, comme Reese...Il lâcha ses mains et s'écarta, observant la jeunefemme au clair de lune.— Si Dominic Trent est assez stupide pour venir ici,je lui réglerai son compte, déclara-t-il froidement.— Ce n'est pas ton problème, Wade, répliqua Cait-lin en résistant à l'envie de caresser son visage. C'est lemien.Elle respira profondément, le cœur lourd, car ellene lisait plus dans son regard ni chaleur ni douceur,mais une sorte de méfiance. Il prenait ses distances.Elle venait de se confier à lui, et il s'éloignait. Quelquechose se brisa en elle. L'espoir, peut-être.Elle enroula le drap autour de son corps et voulut selever pour regagner sa propre chambre.Wade la retint.— Où vas-tu ?— Au lit.— Tu es au lit.— Je voulais dire mon lit, répondit-elle. Ne croispas que, parce que nous avons... fait ça ensemble, tu medoives quoi que ce soit. Que tu doives essayer de meprotéger de Dominic Trent.

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— Qui a parlé d'« essayer » ? grommela-t-il. Je comptebien te protéger.— Pourquoi ? demanda-t-elle, les lèvres tremblantes.Parce que tu as fait cette promesse stupide à Reese ?— Bon sang, Caitlin, je lui ai donné ma parole !— Eh bien moi, je t'en dégage, murmura-t-elle. Tun'as plus aucune obligation.Elle voulut se lever, mais Wade saisit le drap et l'at-tira vers lui. Sans lui laisser le temps de réagir, il seplaça à califourchon sur elle.— Mais j'ai des obligations, dit-il tandis qu'elle ten-tait de s'asseoir, les yeux écarquillés. Pas seulementenvers Reese, mais envers moi-même. Après cette nuit,je suppose que nous ne sommes plus ennemis. Noussommes... amis. Or je soutiens toujours mes amis.Amis. Ils étaient seulement amis.Elle déglutit et s'exprima avec tout le calme dont elleétait capable, malgré la douleur qui la tenaillait :— Je ne veux aucune faveur de ta part. Je n'en ai pasbesoin. S'il y a une chose que j'ai apprise dans l'adver-sité, c'est que je ne peux compter que sur moi-même.— Tu es vraiment la femme la plus entêtée que jeconnaisse !— Merci. A présent, lâche-moi.— Certainement, fit-il, les dents serrées. Va-t'en.Dès qu'il s'écarta, la jeune femme se leva d'un bond.Dans sa hâte, elle se prit les pieds dans le drap et trébu-cha, tombant contre le torse de Wade. Aussitôt, il lacaptura.Elle se retrouva allongée sur le dos. Il la dominait desa silhouette, les yeux étincelant de colère.Caitlin sentit une onde de chaleur l'envahir. Amusée,elle songea que le drap avait glissé, et que ses seinsétaient dénudés.Wade l'avait remarqué, lui aussi. Elle perçut, contreson ventre, l'intensité vibrante de son désir.— Wade...— Tu ne veux pas vraiment partir, n'est-ce pas?demanda-t-il en se penchant pour embrasser ses pau-pières, avec un sourire qui la fit chavirer.

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— Et si... c'était le cas?Mais ses sens étaient déjà en émoi, son cœur battaitla chamade. Les lèvres de Wade tracèrent un sillonbrûlant le long de son cou.— Alors vérifions.— Comment? Tu... n'as pas l'air de me croire quandje te dis...— Il n'existe qu'un seul moyen de vérifier, coupa-t-il, les yeux pétillants.— Le... lequel? murmura-t-elle, fascinée.— Un baiser, princesse, fit Wade avec un petit rire.Rappelle-toi : un baiser ne saurait mentir.Elle mourait d'envie de le caresser. Son corps toutentier s'embrasait peu à peu, à mesure que sa bouches'approchait. Puis, lentement, il s'empara de ses lèvres,et Caitlin oublia tout pour céder aux délices de l'ins-tant.La nuit les enveloppa.Tout comme la passion.

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Drew Raleigh était d'humeur morose.Près de lui, une jeune prostituée étira son corps nu et

voluptueux sous le drap froissé. Elle était généreuse,quoiqu'un peu stupide, et superbe avec son visage rond,ses lèvres écarlates et ses longs cheveux d'un noir dejais. Pourtant, il n'avait plus envie d'elle. Après une nuitde débauche, Raleigh n'était toujours pas satisfait.

Ce n'étaient pas un excellent repas, un bon cigare etune pensionnaire peu farouche dans la maison closede la ville, qui allaient résoudre le problème qui le pré-occupait. Rien ne pourrait peut-être le résoudre...

Enfer et damnation ! songea-t-il.Il se leva et s'habilla rapidement dans la pénombre.

Seule la lueur blafarde de la lune filtrait par la fenêtre.La prostituée se contenta de se retourner, enroulant ledrap autour de ses jambes. Sans un mot, il quitta lachambre.

Il avait besoin de marcher, de réfléchir. Or c'étaittoujours au cœur de la nuit qu'il réfléchissait le mieux.

Drew Raleigh était comme à son habitude tiré àquatre épingles, avec son costume impeccable. Uncigare au coin des lèvres, il remonta la rue principalede Hope.

Il devait absolument trouver un moyen de pousserles frères Barclay et Caitlin Summers à vendre CloudRanch. Sinon, il ne lui resterait plus qu'à partir dansles plaines infinies, infestées de serpents et de loups,pour ne jamais revenir. Cette impasse mettait en périlsa position au sein d'une des plus puissantes entreprisesde la côte Est. Il risquait de perdre ce qu'il avait mis

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toute une vie à construire : sa réputation, sa richesse,son pouvoir et le respect de tous les magnats de WallStreet. Ses associés ne manqueraient pas de répandrela nouvelle de son échec, et son univers protégé parti-rait en fumée.

Si seulement il s'était montré plus prudent, si seule-ment il n'avait pas assuré à ses associés qu'il allait leurapporter Cloud Ranch sur un plateau d'argent...

A présent, Edward Piémont et les autres ne vou-draient pas d'un autre ranch. Plusieurs mois aupara-vant, lors du conseil d'administration, ils n'avaientsélectionné que deux élevages suffisamment prospèresà leurs yeux. Un autre syndicat venait de leur damer lepion en achetant le ranch Wallach, dans le Montana. Ilne restait donc que Cloud Ranch. En apprenant queReese Summers venait de mourir, ils avaient acquisla certitude de pouvoir acheter la propriété sans diffi-culté. Drew avait promis de conclure rapidement l'af-faire.

Dans le cas contraire...Piémont se débarrasserait de lui comme on élimine

une brebis galeuse. Et sa réputation dans le monde desaffaires ne vaudrait plus un clou.

Il s'arrêta à la lisière de la ville, jeta le mégot de soncigare et leva les yeux vers le ciel.

— Qui aurait cru que ce serait si compliqué? mar-monna-t-il pour lui-même.

Caitlin Summers ne pouvait céder sa part, et les frèresBarclay refusaient de vendre les leurs. Mais, à force deposer des questions dans toute la ville, Raleigh avaitfini par obtenir les détails du testament. Il savait queWade Barclay était quasiment majoritaire. Si celui-cisouhaitait vendre le ranch, il ferait en sorte que lesautres le suivent.

Le problème était d'inciter Wade Barclay à vendre.Le régisseur ne jouait guère de l'argent au saloon. Etquand il jouait, il ne perdait pas. Il ne se saoulait pas,n'avait pas d'ennemis. Toute la ville le respectait etvoyait en lui le prochain président de l'Association deséleveurs. Comment influencer un tel personnage ?

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Réfléchis, nom de Dieu! songea Raleigh, furieuxcontre lui-même. Tu sais très bien que, dans certainescirconstances, n'importe qui cède à la pression. Il tesuffit de trouver son point faible, d'attendre les cir-constances propices... ou de les créer.

Il revint sur ses pas. Perdu dans ses pensées, il neremarqua pas une ombre assise sur un banc, sous leporche du Glory Hôtel. Il ignorait qu'une autre personneétait éveillée, dans cette rue apparemment déserte, jus-qu'à ce qu'une voix s'élève dans la pénombre :

— Cher Raleigh! Qu'est-ce que tu manigances,encore ?

— Qui diable... ?Il sursauta, portant machinalement la main vers le

pistolet dissimulé sous sa veste, mais reconnut soudainson interlocuteur.

— Trent! Qu'est-ce que tu fabriques ici? Cela faitlongtemps que tu es arrivé ?

— Je suis là pour les mêmes raisons que toi, je sup-pose. Je viens chercher quelque chose.

Raleigh fixa la haute silhouette qui se profilait sousle porche.

— Ici ? À Hope ?Dominic Trent opina du chef. Malgré la pénombre,

Raleigh distinguait la lueur glaciale qui brillait dansson regard. Il en eut la chair de poule.

Parmi toutes ses connaissances de New York, Chi-cago, Philadelphie, villes industrielles prospères où ilavait de nombreuses relations, Trent était le plus redou-table. Il était capable de ruiner un homme pour unesimple dispute ou une injure, même imaginaire. Quantaux femmes, on racontait qu'il se montrait intraitableenvers celles qui osaient lui résister.

Mille histoires scabreuses circulaient à son propos.Mais qu'importe. Raleigh n'avait pas peur de Trent. Lesdeux hommes avaient conclu de nombreuses affairesen bonne intelligence. Il était simplement étonné decroiser Dominic dans ce trou perdu.

— Un cigare ? proposa-t-il en le rejoignant.— Avec plaisir.

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Quelques instants plus tard, ils fumaient ensemble,Trent installé sur le banc et Drew appuyé contre unecolonne, l'esprit en ébullition.

— Quelle est donc cette chose que tu convoites?Est-ce pour les affaires ou le plaisir? demanda enfinRaleigh.

— Le plaisir, assurément.— Je vois, fit-il, songeant à une femme.— Inutile de te poser la même question, dit Trent en

souriant dans le noir. Je suis arrivé en ville aujourd'huiet j'ai passé une heure au saloon. J'ai appris que tut'intéressais vivement à l'une des plus vastes proprié-tés de la région...

— Cloud Ranch.— Dans ce cas, reprit Dominic, tu as dû rencontrer

la dame qui vient d'en hériter en partie.— Bien sûr. Une certaine Caitlin Summers, de Phi-

ladelphie.Raleigh se redressa soudain, comprenant la situation.— Je présume que tu la connais, étant toi-même de

Philadelphie ?Le silence qui s'installa entre eux dura si longtemps,

que Raleigh se demanda s'il l'avait entendu. Il allaitréitérer sa question quand Trent parla enfin, d'une voixde velours, mais teintée d'une note menaçante :

— Je crois que nous pourrions peut-être collaborersur cette affaire, Raleigh. Il semble que cette demoi-selle soit au cœur de nos convoitises respectives.

— C'est possible. Malheureusement, cette jeunefemme n'est pas en mesure de me donner ce que jesouhaite. (Il cracha dans la rue.) Je suis disposé àpayer une fortune pour ce maudit ranch, mais il appar-tient en majorité aux frères Barclay. Wade, le régis-seur, est le seul qui puisse convaincre les autres. Leproblème, c'est qu'il refuse.

— Allons, fit Trent avec un soupçon de dédain. Tusais très bien que tout le monde finit par céder à cer-tains arguments. Il suffit de trouver les bons.

— Eh bien, à part le chasser ou le ruiner - et ils ontdéjà résisté à des voleurs de bétail sans trop de pro-

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blêmes -, je ne vois pas. Barclay est un coriace. Il semoque de l'argent, et il est attaché à ses terres plus quetout au monde. Rien d'autre ne compte, à part peut-être...

— Oui?— Ses frères, paraît-il. Ils sont très unis, même si

les deux autres ne vivent pas ici. Mais je ne pensais pasà cela.

Dominic scruta le bout incandescent de son cigare.— Je t'écoute, mon cher Raleigh.— La fille, Caitlin Summers. Je l'ai vue avec Barclay,

il y a quelques jours, en ville. Elle venait d'apprendreune mauvaise nouvelle à propos de sa sœur, et j'auraisjuré...

Il respira profondément. Trent n'avait pas bronché,mais un sourire cruel était apparu au coin de ses lèvres.Face à son regard glacial, Raleigh fut parcouru d'unfrisson. Peut-être était-ce dû à la lumière, à l'heure tar-dive ou à la fumée de son cigare, mais il semblait...presque fou.

— Continue.— Eh bien, fit Raleigh en s'éclaircissant la gorge,

j'ai été frappé par sa sollicitude envers elle... C'étaitinhabituel, si tu vois ce que je veux dire. Et réciproque.D'autres personnes l'ont remarqué et ont commencé àparler mariage, ajouta-t-il prudemment.

— En effet... commenta Trent d'un ton menaçant.— Bien sûr, j'ai pu me méprendre. Tu sais combien

les ragots vont bon train dans une petite ville commecelle-ci.

— Crois-tu que Barclay tienne suffisamment àMlle Summers pour que cela devienne un... argumentde poids ?

Il ne dissimulait plus sa haine. C'était troublant.Toutefois, ses paroles l'emportèrent sur le malaise deRaleigh.

Un argument de poids. Bien sûr. Barclay refusait devendre par recherche du profit. Mais s'il tenait à cettefille et si elle voulait absolument qu'il vende... ou sielle avait besoin qu'il vende...

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— Je crois que cette rencontre impromptue va serévéler fructueuse, déclara Dominic Trent en se levant.

Il mesurait dix centimètres de plus que Drew, maisil n'était pas seulement imposant par la taille. Outreses traits finement ciselés, très nobles, et ses cheveuxchâtain clair, son esprit froid semblait figer tout ce quil'entourait.

Raleigh sentit l'espoir renaître. Pour la première foisdepuis longtemps, il crut en sa bonne fortune.

— Ainsi, tu penses avoir un moyen de m'aider?Naturellement, en retour, je serai ravi de te rendreservice...

C'était le moins qu'il puisse dire. Drew était prêt àtout. Sinon, il pouvait dire adieu à son avenir.

— Je pense que tu vas pouvoir me fournir la pièce laplus importante du puzzle, mon cher Raleigh. La piècemaîtresse.

Trent se mit à rire à gorge déployée, brisant lesilence de la nuit.

Drew souhaitait que Dominic ait vraiment un moyende convaincre Barclay de vendre Cloud Ranch. Il sen-tait que ce ne serait pas une méthode honorable, maistant pis.

— Je suis très intéressé par ta proposition, conclut-il en tendant la main.

Dominic la serra si fort qu'il lui fit mal. En lisant ladouleur dans le regard de Raleigh, il cessa.

— Bien sûr que tu es intéressé, fit-il en riant encore.Je vais t'accorder ta seule chance de gagner à ce petitjeu. Je ne garantis rien, naturellement, mais tout demême... Quant à moi...

Ses yeux pétillèrent de plus belle dans la nuit.— ... si tout se passe bien, ta participation me per-

mettra de remporter une victoire totale, parfaite... etexquise.

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— Caitlin ? Pourquoi es-tu en train de plier le linge ?Becky entra dans la chambre de Caitlin en glous-sant, le chien sur les talons. Sa sœur lui sourit et posaun drap propre sur la pile de linge, sur son lit.— Il est vrai que je n'ai guère d'expérience dans cedomaine, mais toi non plus, tu n'avais jamais fait lavaisselle ou dormi dans une grange jusqu'à récem-ment, fit-elle remarquer à la fillette.De peur que Francesca ne remarque les taches desang, elle lui avait proposé de s'occuper de la lessive,ce jour-là. Elle avait passé des heures à frotter lestaches, tout en revivant chaque seconde de sa nuitd'amour avec Wade...Poussant un soupir, elle ajouta :— Notre vie a bien changé depuis la mort de papaet maman, n'est-ce pas ?Installée dans un fauteuil, Becky hocha la tête, lamine sombre.— Ils me manquent, murmura-t-elle.Soudain, Caitlin entendit un sanglot.— Oh, ils me manquent aussi, tu sais, assura-t-elleen se précipitant pour la consoler. Pleure, cela te feradu bien, dit-elle en la prenant dans ses bras.— Toi... tu ne pleures jamais...— Cela ne signifie pas que tu n'en as pas le droit.Elle étreignit la fillette qui laissa libre cours à seslarmes. Mais il ne s'agissait plus des hoquets inconso-lables et déchirants d'autrefois. La petite Becky s'étaitendurcie.

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Bientôt, ses frêles épaules cessèrent de trembler.Caitlin la serra contre elle.— Nos parents seraient fiers de nous, tu sais. Noussommes unies et solidaires, comme toutes les sœurs.Et nous nous en sortons très bien.— Tu crois ?— J'en suis certaine, assura la jeune femme en luitendant un mouchoir. Et si nous descendions à la cui-sine, pour chiper une part de tarte aux myrtilles ?— Oh oui! répondit Becky, avant d'esquisser unsourire hésitant. Tu sais, j'aime bien certains des chan-gements qui sont intervenus. Quitter la pension, parexemple. Je ne veux plus jamais y remettre les pieds.— Ce ne sera pas nécessaire.— Et j'adore Cloud Ranch. Qui aurait cru que j'ai-merais vivre dans un ranch, au fin fond du Wyoming ?Soudain, elle éclata de rire. Au soleil, ses taches derousseur ressortaient sur son beau visage.— Pourtant, c'est vrai, reprit-elle. J'aime beaucoupDawg, aussi. Et les cow-boys sont très gentils. Lesjumelles Morgensen sont mes amies. Et je veux queMlle Porter soit mon institutrice. Et Wade me rassure.Quand je suis avec lui, j'ai l'impression... enfin...Elle pinça les lèvres, cherchant ses mots :— J'ai l'impression que je suis en sécurité. Que plusrien de mal ne peut m'arriver, parce qu'il est là. Tun'as jamais cette sensation, toi?— Parfois, avoua son aînée du bout des lèvres.Elle se détourna et alla chercher la pile de draps surle lit.— Mais il ne faut pas trop t'attacher aux habitantsde cette maison, poursuivit-elle à contrecœur. Je ne saispas combien de temps nous allons rester...— A cause de M. Trent, tu veux dire ? Nous devronspeut-être nous enfuir à nouveau ?Elle semblait au bord de la panique. Caitlin s'em-pressa de secouer la tête, l'air déterminé.— Non. Nous ne fuirons plus devant cet homme.S'il vient ici, je me chargerai de lui. Je ferai en sortequ'il ne nous ennuie plus. C'est promis.

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— Mais alors... pourquoi ne pouvons-nous pas res-ter ? Ton père t'a légué Cloud Ranch, n'est-ce pas ? Tune te plais pas, ici ?

— Si, fit Caitlin, hésitante.— Alors pourquoi ne veux-tu pas rester ?Parce que je m'y plais trop, songea la jeune femme.

Je suis tombée amoureuse d'un homme qui ne m'ajamais dit qu'il m'aimait, un homme qui se sent sim-plement responsable de moi.

Elle savait que Wade était attiré par elle, qu'il la vou-lait dans son lit. Leurs ébats passionnés en étaient lapreuve. Et elle savait qu'il se souciait d'elle. Mais était-ce de l'amour?

Non. Wade se sentait tenu par son engagement.N'avait-il pas passé son enfance à veiller sur ses jeunesfrères? Il avait toujours vécu dans l'idée qu'il devaitprotéger les siens. Grâce à Reese, Caitlin faisait désor-mais partie de ce cercle fermé.

Loin de la rassurer, cette idée l'emplit de tristesse.Elle refusait de se sentir sous la responsabilité deWade. Elle voulait qu'il l'aime. Elle voulait davantageque la passion, le désir, davantage que l'amitié et ledevoir.

Elle recherchait la confiance, la tendresse venue dufond de l'âme. Elle souhaitait vivre un amour partagé,généreux, profond, un amour aussi solide que les mon-tagnes et le ciel.

Elle ne se contenterait pas de moins.— Je, dois rester à Cloud Ranch un certain temps,

expliqua-t-elle doucement, cherchant à rassurer lafillette qui l'observait d'un air inquiet. A cause du testa-ment de mon père. Mais je ne suis pas certaine que cesoit le meilleur des refuges pour nous, Becky. Je veuxêtre sûre que nous serons heureuses, là où nous nousinstallerons.

— Pourquoi ne pourrions-nous pas être heureusesici ?

Dawg se dressa sur les pattes arrière et se mit àlécher la joue de l'enfant, qui rit de bon cœur.

— Tu vois, même le chien a envie que nous restions !

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Caitlin gagna la porte, les bras chargés des draps.— Allons plutôt manger cette tarte aux myrtilles.

Plus tard, en faisant la vaisselle, Caitlin regardaitpar la fenêtre tandis que Becky se promenait avec lechien. Elle s'efforçait de mettre de l'ordre dans sesidées et la myriade de sentiments qui l'habitaient. Il luiétait de plus en plus difficile de paraître enjouée face àBecky, alors qu'elle bouillonnait intérieurement.Ce matin, à son réveil, Wade était déjà parti. Sans leréconfort de ses bras, elle se sentait seule.Depuis, elle ne l'avait pas vu. Elle s'était demandé cequ'il ressentait, après ce qui s'était passé entre euxdurant la nuit. Cette pensée lui noua les entrailles.Si Wade avait considéré leur premier baiser commeune erreur, que pensait-il de cette nuit ?Cette nuit...Comment avait-elle pu se fourvoyer à ce point ? son-gea-t-elle, désespérée. Pourtant, si c'était à refaire, ellerecommencerait. Ces heures passées dans ses bras,dans son lit, avaient été les plus belles de sa vie. Etpeut-être les plus folles.Par quel pouvoir parvenait-il à percer ainsi toutes sesdéfenses, à faire tomber son masque, à atteindre soncœur si fragile? Elle croyait être devenue plus forte,mais son amour pour Wade la rendait vulnérable...Un bruit, près de la porte, la fit sursauter. L'assiettequ'elle était en train de laver glissa de sa main ettomba à terre.— Senorita, ce n'est que moi, fit Francesca, unenote d'impatience dans la voix.Secouant la tête, elle traversa la cuisine et saisit unbalai.— Je vais le faire, Francesca.— Non, non. Vous en avez assez fait.Caitlin s'agenouilla et se mit à ramasser les plus grosdébris de porcelaine.— Je suis désolée. Vous m'avez fait peur et...

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— Ce n'est pas la question, senorita. Une assiettepeut se remplacer.La gouvernante avait les joues rouges, les yeux bril-lants de colère. Elle semblait nerveuse. Caitlin se relevadoucement.— Si vous avez quelque chose à me dire, Francesca,dites-le.L'espace d'un instant, la gouvernante la regardafixement, les mains crispées sur le manche du balai.Puis elle secoua à nouveau la tête.— Senorita, je n'ai rien à dire.— Je crois que si, insista Caitlin en respirant pro-fondément. Depuis mon arrivée, vous ne m'aimez pas.Je vous remercie d'être aussi prévenante envers Becky,de la mettre à l'aise. Mais vous n'en avez jamais faitautant pour moi.La gouvernante pinça les lèvres.— Ici, c'est la maison de senor Wade, senor Nick etsenor Clint. Ils y ont grandi. Vous n'avez pas le droit...— Mon père voulait que je vienne. C'est pourquoi ilm'a légué une partie du ranch.— C'était un homme généreux. Un homme bien.Trop gentil, peut-être.— Vous insinuez que je ne mérite pas une tellegénérosité ?Soudain, Caitlin pensa à toutes les lettres que Reeselui avait écrites - et aux siennes, celles qu'il n'avaitjamais reçues.Elle considéra la gouvernante, qui semblait toutrégenter dans le foyer de son père. Tout le monde fai-sait confiance à Francesca. Elle faisait pratiquementpartie de la famille.— Francesca, est-ce vous qui avez gardé meslettres? lança-t-elle. Celles que mon père m'écrivait?Et que je n'ai jamais reçues ?— Comment?Francesca écarquilla les yeux, d'abord étonnée, puisla colère la submergea.— Je ne sais rien de ces lettres !

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— En êtes-vous certaine ? insista Caitlin en s'avan-çant vers elle. Et les lettres que j'ai envoyées à monpère? Les avez-vous...

Elle prit une profonde inspiration et se força à expri-mer les soupçons qui la taraudaient :

— Les avez-vous interceptées? Quelqu'un a dû lefaire. Peut-être alliez-vous les chercher à la poste, sansjamais les remettre à mon père ?

— Qh, non! Pourquoi aurais-je fait une chosepareille ?

— J'aimerais bien le savoir. Parce que quelqu'un l'afait. Wade m'a appris que mon père m'avait écrit denombreuses fois. Or je n'ai jamais reçu la moindrelettre. Pas avant qu'il ne soit mourant. Et moi aussi, jelui ai écrit. Ma mère m'avait donné son adresse et...

— Votre mère, grommela la gouvernante, elle vous apeut-être indiqué une fausse adresse. Peut-être voulait-elle vous empêcher de revoir le senor Reese? Aprèstout, elle est partie et n'est jamais revenue. Le pauvresenor... Je ne suis arrivée ici qu'après l'installation destrois garçons. Mais les gens m'ont raconté que votremère... elle aurait aussi bien fait de lui tirer une balleen plein cœur. Cela ne lui suffisait pas de l'avoir aban-donné. Elle ne voulait pas que vous reveniez, vous nonplus...

La jeune femme tressaillit.— Francesca, je ne vous permets pas de parler de

ma mère en ces termes ! Jamais elle ne m'aurait menti.Jamais elle n'aurait volé mes lettres. Elle souhaitaitsimplement une autre vie que celle que Reese lui impo-sait. Mais elle n'était pas méchante. Elle ne m'auraitjamais empêchée de voir mon père... Vous la détestez,n'est-ce pas ? C'est sans doute pour cela que vous medétestez aussi.

Francesca se pencha pour ramasser un débris deporcelaine, les doigts crispés.

— Quand elle est partie en vous emmenant avecelle, votre père a eu le cœur brisé. Puis les garçonssont arrivés. C'était comme s'il avait essayé de recollerles morceaux. Mais il manquait toujours une pièce. Il

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avait des ambitions pour Cloud Ranch. Ce sont cesambitions qui l'ont aidé à survivre - et les garçons,aussi. Ils avaient besoin de lui. Mais vous et votremère... Pendant des années, chaque nuit, il se rendaitdans son bureau et contemplait votre portrait, commes'il pouvait lui donner vie. Comme s'il pouvait vousfaire revenir, gagner votre amour...Sa voix se brisa. Elle posa le débris de porcelaine etse tourna vers la jeune femme.— Jamais je n'aurais fait quoi que ce soit pour vousempêcher de le revoir, senorita. Si vous lui aviez écrit,si vous étiez venue lui rendre visite, j'aurais sauté dejoie. J'aurais été folle de gratitude. Mais vous n'êtes pasvenue. Même lorsque le senor était sur son lit de mort.Il ne vous a plus revue. Son cœur...Son regard s'assombrit, puis s'embua de larmes.Elle secoua la tête.Ce n'était donc pas Francesca, songea la jeunefemme. Il est évident qu'elle dit la vérité... Alors qui?Avant qu'elle puisse réfléchir à la question, on frappaà la porte d'entrée. Les deux femmes sursautèrent.Caitlin se précipita pour ouvrir. Drew Raleigh, toutsourire, se tenait sous le porche.— Bonjour, Caitlin.— Drew! Je... je ne vous ai pas entendu arriver.Elle vit un superbe étalon gris, attaché à un poteau.Toujours troublée par les révélations de Francesca,elle rassembla son courage pour afficher un air convi-vial.— Pardonnez-moi. Désirez-vous entrer?— Avec plaisir. Ne vous inquiétez pas, je ne resteraipas longtemps.Il pénétra dans le vestibule et suivit la jeune femmeau salon. Quand elle lui proposa un rafraîchissement,il déclina poliment son offre.— Non merci. Je suis simplement venu vous poserune question. Et, bien sûr, prendre des nouvelles devotre jeune sœur. J'ai entendu dire en ville qu'elle étaitsaine et sauve.— Oui. Dieu merci, elle va bien !

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Ses paroles furent ponctuées par le rire enfantin deBecky qui jouait avec le chien sur la pelouse.— Elle s'habitue à la vie du ranch, ajouta-t-elle.Caitlin s'installa dans un fauteuil et fit signe à soninvité de s'asseoir. Mais Drew resta debout. Il allaregarder par la fenêtre - sans doute Becky et Dawg, oule paysage verdoyant qui s'étendait au loin.— Oui, elle semble très bien s'adapter. Vous aussi,j'ai l'impression.Il se retourna pour l'observer. Des reflets dorés par-semaient ses cheveux. Ses larges épaules masquaientpresque totalement la vue depuis la fenêtre.— Je veux dire, vous semblez à l'aise, dans cette mai-son, reprit-il. Et en ville. Je vous ai observée. Vous êtesà l'aise partout. Que ce soit lorsque vous papotez avecEdna Weaver, ou lorsque vous achetez de la farine chezHicks. Ou quand vous bavardez avec cette petite sourisde Mlle Dale. (Ses yeux pétillaient d'admiration.) Magrand-mère disait toujours qu'une vraie dame se doitd'être naturelle avec un garçon d'écurie comme avec leroi en personne. Vous êtes une vraie dame, Caitlin.— Vous me flattez, répondit-elle d'un ton enjoué. Jene sais que dire.Elle se demandait où il voulait en venir. Elle netarda pas à le découvrir.— Ce n'est pas de la flatterie, ce sont des compli-ments mérités. Et c'est parce que je vous admire tantque j'aimerais vous accompagner au bal des Tyler.Abasourdie, la jeune femme demeura immobile.— C'est... très aimable, parvint-elle à bredouiller.Mais... je...— Ne me dites pas que vous avez déjà accepté l'in-vitation d'un autre, s'empressa de déclarer Drew.— Eh bien, non. Mais...— Parfait. Alors c'est réglé, fit-il avec un large sou-rire. Je suis ravi d'apprendre que personne d'autre nem'a... coiffé au poteau, comme on dit dans la région.— Vous cherchez les ennuis, Raleigh ?La voix de Wade fit sursauter Caitlin. Drew fit volte-face.

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— J'ignorais que vous étiez présent, Barclay, répli-qua-t-il en levant ses élégants sourcils. Vous n'avezdonc pas quelque bête à attraper au lasso ?Wade entra dans la pièce, ôta son chapeau et le jetasur la table. Maculé de poussière, il avait le visage moitede sueur et les bottes pleines de boue. Il semblait l'op-posé de Drew, fort élégant dans son gilet en soie brodée.— Je ne me rappelle pas vous avoir convié sousmon toit. Cela a dû me sortir de la tête.— Je suis venu voir Caitlin.— Pas possible? fit Wade en se tournant vers lajeune femme. Vous l'avez invité ?— Non, mais... les visiteurs sont toujours les bien-venus à Cloud Ranch.Oh, Wade, pourquoi n'es-tu pas arrivé quelquesminutes plus tôt? songea-t-elle. Cela m'aurait évité dedevoir aller au bal avec cet homme.— Il plaisante, Drew, assura-t-elie avec un rireforcé. Je vous en prie, ne vous méprenez pas en letrouvant impoli.— Elle a raison. Quand je serai impoli, Raleigh, iln'y aura pas le moindre doute dans votre esprit.Wade prit une carafe sur la cheminée et se servit unwhisky, qu'il but d'une rasade. Puis il alla se planterface à l'intrus.— Vous avez terminé? demanda-t-il d'un ton sansréplique. Je vous raccompagne.Caitlin se mordit les lèvres.— Wade... fit-elle, déchirée entre ses obligationsd'hôtesse et son désir de se débarrasser de cet indési-rable. Drew aimerait peut-être boire un verre ?Elle s'en voulait d'avoir accepté son invitation au bal,et espérait qu'il n'en dirait mot à Wade. Elle préféraitlui annoncer la nouvelle elle-même. Wade détestaitDrew Raleigh, et elle savait qu'il allait exploser decolère.— Il n'a pas l'air d'avoir soif. Caitlin est occupée,décréta-t-il froidement.— Vraiment? fit l'intéressée.— Oui.

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Il la toisa brièvement, de son chignon impeccable àsa jupe bleue. Sa mâchoire se crispa. Puis il reportason attention sur Raleigh :— Elle doit examiner nos livres de comptes. Je croisavoir commis une erreur de calcul en janvier. Et peut-être une autre en juin. Vingt cents sont en jeu. Vousconnaissez les femmes : elles ne sont satisfaites quelorsqu'elles peuvent souligner les erreurs des hommeset leurs moindres défauts.— Vous n'en manquez certainement pas, assura-t-elle en lui souriant, sachant qu'il plaisantait.Drew les observa du coin de l'œil et vit le sourireque le régisseur de Cloud Ranch lui adressa en retour.Contournant Wade, il prit la main de la jeune femme.— A bientôt pour le bal. Je serai le plus heureux deshommes.Caitlin sentit Wade se crisper. Drew lui lâcha lamain et sourit à son rival d'un air triomphant.— Il se trouve que Mlle Summers a accepté que jesois son cavalier au bal des Tyler.— Vraiment?Raleigh le regarda avec une expression faussementamicale.— Irez-vous à ce bal, Barclay ?— Peut-être. Je ne sais pas.— Le grand jour approche. Si vous voulez trouverune jolie cavalière, mieux vaut vous décider rapide-ment, avant que les plus belles ne soient prises.L'espace d'un instant, Caitlin crut que Wade allait lefrapper. Elle reconnut cette lueur froide et mortelledans ses yeux.Mais il s'exprima d'un ton posé :— Merci du conseil, Raleigh. Je m'en souviendrai.— Je vous raccompagne, Drew, déclara Caitlin.À son grand désespoir, Wade les suivit dans le vesti-bule, puis sous le porche jusqu'à la barrière.Assis sur un banc devant la grange, Jake Young, quiréparait une selle endommagée, aperçut le trio. Bonsang, songea-t-il, ils ont tous les deux le béguin pourelle !

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Son moral était au plus bas. Il avait déjà souffert envoyant comment Caitlin et Wade s'étaient regardésl'autre jour, en ville. Il avait tenté de se convaincre quecette tendresse était due à l'émotion suscitée par la dis-parition de Becky. Cependant, il soupçonnait forte-ment qu'il y avait autre chose entre eux. S'il ne prenaitpas son courage à deux mains pour avouer ses senti-ments à la jeune femme, il risquait de se manifestertrop tard.

Chaque fois qu'il la voyait, qu'il l'emmenait en ville,qu'il lui donnait une leçon de tir, il brûlait d'envie delui révéler sa passion. Il rêvait de lui réciter un poème,celui qu'elle lui avait dit le jour de leur pique-nique àCougar Canyon.

Je t'aime de mille façons...C'est le seul vers dont il se rappelait, mais il devait se

jeter à l'eau. Ce serait plus facile que de chercher sespropres mots. Dès qu'elle posait les yeux sur lui, il per-dait tous ses moyens.

Quand Raleigh s'éloigna, Caitlin et Wade regagnè-rent la maison. Le régisseur avait-il déjà invité la jeunefemme au bal ? se demandait fébrilement Jake. A moinsque cette ordure de Raleigh ne l'ait précédé.

J'ai attendu trop longtemps, se dit-il.Sous le soleil éclatant, le désespoir envahit le jeune

homme. Mais ses sentiments étaient trop intenses. Ilne pouvait baisser les bras maintenant.

Dans la maison, Caitlin se retrouva face à Wade ausalon.

La dernière fois qu'ils s'étaient vus, elle se pâmaitdans ses bras. Le jour se levait à peine, et ses lèvresétaient encore brûlantes de ses baisers.

A présent, il n'avait plus rien de tendre. Son beauvisage était tendu, sombre. Il avait les pouces glissésdans son ceinturon, le regard glacial.

— Tu as vraiment l'intention d'aller au bal avec cetype? — Wade...

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— Réponds-moi. Oui ou non ?— Ce n'est pas aussi simple. Il m'a invitée très poli-ment. Je ne pouvais tout de même pas...— Mais si !Elle s'efforça de ne pas perdre son calme. Pensait-ilque, comme elle avait passé une nuit avec lui, il pou-vait régenter sa vie ?— Je n'avais reçu aucune autre invitation, déclara-t-elle. Dans ces circonstances, je...— Comme tu voudras. Va au bal avec lui, faiscomme bon te semble.Wade se mit à arpenter la pièce.— Ainsi, ajouta-t-il, vous aurez toute la soirée pouréchafauder un plan et me persuader de te laisser quitterCloud Ranch, pour aller Dieu sait où. Tu pourras aiderRaleigh à mettre le grappin sur une part du domaine,qu'il pourra utiliser contre la volonté de Reese.— Tu sais parfaitement que je ne ferais jamais unechose pareille !Caitlin voulait bien admettre que, à un momentdonné, elle aurait fait n'importe quoi pour s'en aller.Mais la situation avait changé. Wade ne le comprenaitdonc pas ? Elle porta les mains à sa gorge. Les idées sebousculaient dans sa tête. Sa vie était trop compliquée.Y compris ses sentiments pour cet homme, qui lafusillait du regard.— Bon, je vais me rafraîchir avant le dîner, grom-mela-t-il. Oh, et puis non, corrigea-t-il en ramassantson chapeau, je crois que je dînerai en ville. Cela faitlongtemps que je ne suis pas sorti.— En ville? Que veux-tu dire? s'enquit Caitlin, lecœur brisé, en le regardant s'éloigner.— J'ai envie de prendre un peu de bon temps. Nem'attends pas avant demain matin.— En ce qui me concerne, tu peux aussi bien nejamais revenir !Furieuse, la jeune femme chercha des yeux un objetà lui lancer, mais Wade avait déjà disparu quand ellesaisit un coussin brodé. Le voyant talonner son chevalen direction de Hope, elle serra le coussin contre elle.

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— C'est charmant, railla-t-elle.Elle aurait dû être flattée de susciter la jalousie deWade, mais sa réaction avait surtout pour origine sonmépris pour l'homme qui l'avait invitée à danser.A quoi t'attendais-tu donc ? se gronda-t-elle. A ce qu'ils'agenouille devant toi pour te déclarer sa flamme?N'oublie pas que tu ne crois pas en l'amour. Et mani-festement, lui non plus.— Tu vas voir, Wade Barclay, marmonna-t-elle pourelle-même.Mais la tristesse l'envahit. Elle s'écroula sur lecanapé, se demandant ce qu'il entendait par «prendredu bon temps».

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Jake Young attendait sous le porche des Porter, sonchapeau à la main.— Luanne, chérie, un jeune homme te demande!appela Mme Porter d'un ton enjoué.L'institutrice surgit du petit salon de couture, pleined'espoir, lissant sa jupe à carreaux.— Bonsoir, Wa... Oh, Jake!Elle rougit. Elle esquissa un sourire poli et parvint àmasquer sa déception.— Quelle bonne surprise ! Voulez-vous entrer ?Jake se dandinait nerveusement.— Désolé de vous déranger, mademoiselle Porter.J'aimerais vous parler de quelque chose. Enfin... c'est...c'est important.Il semblait si désemparé qu'elle oublia sa déceptionde ne pas voir Wade, et invita le cow-boy dans le salon.Curieuse, elle considéra ses joues rouges, bienrasées. Il ne cessait de s'éclaircir la gorge. Derrière lui,Amelia Porter referma discrètement la porte du salon.— Asseyez-vous donc, Jake, suggéra Luanne endésignant le coussin qui se trouvait à côté d'elle, sur ledivan. De quoi s'agit-il ? Quelque chose ne va pas ?— Non, mademoiselle. Enfin... si.Avec la patience d'une institutrice, elle sourit etattendit.— J'ai un problème.— Oui ? fit-elle pour l'encourager.— Il s'agit d'une dame. En fait... je viens pour unpoème. Et une lettre, balbutia-t-il en rougissant davan-

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tage. Je ne suis pas très doué pour les explications, jesuis désolé...— Je vous aiderai avec plaisir, mais j'avoue ne pas

comprendre ce que vous attendez de moi.Sa timidité et son sérieux étaient touchants. Grand

et fort, il avait un beau visage et devait avoir son âge,vingt-deux ans. Pourtant, il était aussi gauche que cer-tains de ses élèves. Elle ressentit de la compassionpour lui.

Chaque fois qu'elle avait rencontré Jake auparavant,il était en train d'effectuer quelque tâche pour le ranch.Elle ne lui avait jamais prêté grande attention. En yrepensant, il lui avait toujours paru timide - ce quisemblait contradictoire avec son charme. Luanne l'au-rait plutôt imaginé entouré de jolies femmes. Ellen'avait jamais vraiment discuté avec lui, à part lesbanalités d'usage.

Il plongea dans son regard, la mine grave :— Peut-être devrais-je commencer par le début.

C'est ce que ma mère me disait toujours.— C'est un excellent conseil.— Oui... (Il déglutit.) Voyez-vous, il y a une dame...

qui me plaît. Enfin, disons que j'aimerais... lui faire lacour, comme on dit. (Jake s'épongea le front.) Maisje crois qu'elle s'intéresse à un autre homme.

Revoyant Caitlin dans les bras de Wade, il fronça lessourcils.

— En réalité, je suis sûr qu'elle s'intéresse à cethomme. Mais je ne baisse pas facilement les bras, sur-tout quand je tiens à quelqu'un...

Sa voix s'éteignit.Le sourire de Luanne s'était envolé. Elle avait l'im-

pression de savoir à quelle dame il faisait référence.Aussitôt, elle revit ce jour, à Hope, où Jake et elleavaient vu Wade réconforter Caitlin. Elle avait remar-qué l'expression de Wade tandis qu'il rassurait la jeunefemme.

Depuis, elle n'avait pu chasser ces images de sonesprit. Aucun homme ne l'avait jamais regardée ainsi...

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— Vous faites allusion à Caitlin Summers, n'est-ce pas, Jake? demanda-t-elle doucement. Et à WadeBarclay.

Le jeune homme ne put dissimuler sa surprise. Puisil sourit.

— Vous êtes enseignante. Il est normal que vousayez l'esprit vif.

Malgré sa souffrance, elle parvint à rire.— Que puis-je faire pour vous ?— Eh bien, je brûle d'envie d'avouer mes senti-

ments à Caitlin, déclara-t-il en rougissant de plus belle.Peut-être s'en moquera-t-elle, peut-être me dira-t-elled'aller me faire pendre... mais j'en doute. Elle est tropgentille. Et si je ne me jette pas à l'eau, je risque de mela faire prendre par Wade ou un autre. Cela fait dessemaines que j'ai envie de l'inviter au bal, mais je n'aijamais osé. Cet après-midi, Drew Raleigh est venu auranch et l'a invitée. Elle a accepté !

— Je vois.Luanne se demanda ce que Wade en pensait. Ce

jour-là, en ville, elle avait compris qu'elle l'avait perdu.Il était évident, à sa façon de l'enlacer et de la regar-der, que ses sentiments pour la fille de Reese étaientplus profonds que ceux qu'il éprouvait pour elle. De plus,elle le voyait moins souvent, depuis l'arrivée de Caitlinà Cloud Ranch.

Elle s'était résignée : Wade et elle ne se marieraientpas.

A présent, Caitlin Summers semblait avoir non plusun, mais trois prétendants ! Tous transis d'amour. Elleregrettait de la trouver sympathique. Cette déceptionaurait été plus facile à surmonter, si elle avait détestéla jeune blonde. Mais ce n'était pas de sa faute si elleavait tous les bons partis de Hope à ses pieds.

Luanne respira profondément.— Je suis désolée que vous n'ayez pas eu l'occasion

d'inviter Caitlin au bal. Mais je ne vois toujours pas ceque je peux faire pour vous.

— Mon problème, c'est que je perds les pédalesquand il s'agit de lui adresser la parole. Je ne trouve

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plus mes mots. Tout s'embrouille dans ma tête. Alorsj'ai pensé lui écrire une lettre, expliqua-t-il, les yeuxpétillants. Pour lui exprimer mes sentiments. Enfin,pour lui demander la permission de la courtiser...Vous croyez que cela pourrait marcher, mademoisellePorter ?— Mais oui, c'est une excellente idée, fit Luanne enhochant la tête. Il est souvent plus facile d'exprimer sespensées par écrit. Et on peut énoncer exactement ceque l'on ressent, sans risque d'erreur ou de malen-tendu.— C'est vrai, admit Jake, ravi.Luanne l'observa, pensive.— J'approuve votre initiative, Jake. Mais en quoisuis-je concernée?Il se pencha vers elle.— J'ai besoin de vous pour rédiger cette lettre. Etpour ajouter le poème.— Quel poème ?— Oh, j'ai oublié de vous en parler! fit-il en sou-riant, soudain libéré par la réaction de Luanne. Un jour,elle m'a récité un poème. Il était très beau. Je voudraisle glisser dans ma lettre, pour lui faire comprendre ceque je ressens pour elle. C'est fou comme la dame quil'a écrit...— Vous parlez du poète ?— Oui. Elle exprimait exactement ce que je ressens.— Comment s'intitule ce poème ?— Tout ce que je sais, c'est qu'il commence ainsi :« Combien je t'aime ? Je t'aime de mille façons... »— Elizabeth Barrett Browning ! s'exclama Luanne.Attendez, je possède ce recueil. Il est dans ma chambre.Elle quitta le salon, et Jake s'épongea le visage. Parchance, Mlle Porter était très gentille, bien plus que lalugubre Mlle Ellis, l'ancienne institutrice de Hope.Elle était jolie, aussi. Pas aussi époustouflante queCaitlin, certes, mais jolie et rassurante. Avec elle, Jakese sentait à l'aise.Il imaginait la réaction de sa dulcinée en lisant salettre, la façon dont ses yeux pétilleraient de bonheur,

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son sourire, quand Luanne revint. Elle s'assit près delui et se mit à feuilleter vivement un ouvrage.— Tenez, le voilà.Jake observa la page qu'elle désignait et hochavaguement la tête.— Hmm...— Voulez-vous le recopier? Il y a des feuilles surmon secrétaire...— Euh, non, mademoiselle. J'espérais que vous lecopieriez à ma place. Je pourrais vous dire ce queje veux exprimer, et vous écririez. Sans oublier lepoème...— Mais, Jake, il vaudrait mieux que cette lettre soitécrite de votre main. Ce serait plus personnel.— Eh bien...Il se leva d'un bond, gagna la fenêtre, fit volte-face etregarda la jeune femme dans les yeux.— Ce n'est pas ce que je souhaite. Je vous demandede l'écrire, mademoiselle.— Je vous en prie, appelez-moi Luanne. Vous medonnez l'impression d'être une vieille fille guindée !Elle inclina la tête et observa le jeune homme, intri-guée. Il semblait très gêné. Pourquoi refusait-il d'écrirecette lettre lui-même ?— Tant pis. Si vous ne voulez pas m'aider, jecomprends, dit-il un peu sèchement. Vous êtes occu-pée. Vous n'avez sans doute pas le temps...— Jake...Luanne alla le rejoindre près de la fenêtre. Elle luiarrivait à peine à l'épaule.— Vous ne savez pas écrire, n'est-ce pas ? demanda-t-elle d'une voix douce.Le vent sifflait dans les arbres. Jake avala pénible-ment sa salive.— Je parie que vous ne savez pas lire non plus,poursuivit-elle. Sauriez-vous lire ce poème ?Il hésita, puis secoua négativement la tête. Sansréfléchir, elle posa une main sur son bras.— Vous n'avez pas à avoir honte. Bien des gens nesavent ni lire ni...

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— Je suis l'aîné de sept enfants. Mon père disait queje n'avais pas de temps à perdre sur les bancs del'école. Mes sœurs y sont allées, puis mes petits frères.Mais moi, je devais aider à la ferme. Et je n'avaisjamais de temps pour étudier seul, à la maison.

— Je comprends, Jake. Ce n'est pas grave.— Vraiment ?Il ne lut aucune pitié, aucun mépris dans le regard

noisette de la jeune femme. Uniquement cette mêmechaleur, cette générosité qu'il avait déjà remarquées...Aussitôt, il se détendit et reprit espoir.

— Alors... vous voulez bien rédiger cette lettre pourmoi ? Mademoiselle Porter, jamais je ne vous remer-cierai assez !

— Je vous ai dit de m'appeler Luanne, corrigea-t-elleen secouant la tête, faisant danser ses boucles rousses.Non, je n'écrirai pas cette lettre à votre place, Jake. Jevais faire mieux: je vais vous apprendre à lire cepoème et à écrire une lettre tout seul.

— Wade chéri, gloussa Tessie. Tu ne crois pas queça suffit ?

Assis à une table dans un coin du saloon, Wade ignoral'entraîneuse aux cheveux de cuivre. Il se servit unautre verre de whisky et garda la bouteille. Puis il le butd'une traite.

— Allons, mon chou... qu'est-ce que tu as ? Tu peuxme parler, tu sais.

Avec une aisance travaillée, Tessie s'installa sur sesgenoux, comme elle l'avait fait des centaines de fois.Elle enroula ses bras fins et parfumés autour de soncou et lui mordilla l'oreille.

— Raconte à Tessie. Tu ne bois jamais autant, saufquand tu as de gros ennuis. Comme le lendemain de lamort de Reese, par exemple...

— Laisse tomber, Tessie.— Mais non, chéri. Tu ne le veux pas vraiment...Si, je le veux, songea Wade tandis qu'elle continuait

de lui titiller l'oreille. Il avait envie de se battre. Une

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bonne bagarre, une vraie, avec des fenêtres brisées,des miroirs fracassés, des chaises. Mais en balayant lesaloon des yeux, il sut qu'il n'obtiendrait pas satisfac-tion. Wesley Beadle jouait aux cartes avec de vieuxmineurs. Quelques jeunes cow-boys jouaient au poker,sans se mêler de ce qui se passait autour d'eux. Per-sonne ne semblait avoir envie de se battre.Poussant un lourd soupir, il tendit la main vers labouteille. Il avait besoin d'oublier Caitlin.— Je voudrais lui casser la figure, marmonna-t-il ense resservant.— Qui cela, chéri ?— Drew Raleigh.— Lui ? Pourquoi tu te laisses énerver par ce snobi-nard ? Ce n'est pas ton genre, Wade.— Tu l'as vu, ce soir?— Non, mais j'ai une idée, répondit Tessie, un sou-rire sur ses lèvres maquillées. Monte avec moi, et je teferai oublier Drew Raleigh et tout ce qui te tracasse.Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, tous les deux.Trop longtemps.Il la regarda fixement. Tessie était jolie, avec sesboucles cuivrées et ses grands yeux bleus. Elle avait uncorps de rêve, un décolleté plongeant, que sa robepourpre ne faisait que souligner. Naguère, il suffisaitd'un sourire pour qu'il s'enflamme de désir. Mais pascette fois.Il ne ressentait que du vide.— Allez, chéri, qu'est-ce que tu attends? insista-t-elle d'une voix rauque.Qu'attendait-il, en effet? Un ange blond lui revint enmémoire.— Wade. Viens...— Non. Je ne peux pas, Tessie.— Qu'est-ce que tu veux dire? minauda-t-elle avecun sourire enjôleur. La soirée ne fait que commencer...— Tu te trompes, répliqua-t-il en secouant la têteavant d'écarter la jeune femme. Ne le prends pas mal,Tessie, mais je viens de me rappeler que je devais allerquelque part.

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— C'est la fille Summers, hein? fit-elle avec un sou-pir. Tu la trouves plus jolie que moi ? A moins qu'elleait simplement plus de classe ?

— Cela n'a rien à voir avec toi, assura-t-il. Je n'au-rais jamais dû venir ici. Reese m'a appris qu'on nepouvait fuir ses problèmes...

Il considéra la bouteille de whisky, puis l'entraî-neuse. Deux échappatoires. Mais aucune ne serait effi-cace. Entre-temps, il avait laissé Caitlin seule auranch, avec Francesca et Becky.

Et si cette ordure de Dominic Trent choisissait cesoir-là pour agir ?

La panique s'empara de lui. Il quitta le saloon sansse retourner, ignorant les supplications de Tessie.

Il courut vers son cheval, se maudissant d'avoir étéaussi imprudent. Tandis qu'il partait au grand galop,l'air frais le fit émerger de la torpeur de l'alcool. A l'ap-proche du ranch, il sentit sa peur s'intensifier. Et sielle était blessée ? Enlevée ? Et si Trent était venu enson absence pour...

Il se précipita à l'intérieur et gravit les marchesquatre à quatre. La porte de Caitlin n'était pas ferméeà clé. Il l'ouvrit vivement. La jeune femme dormait,sensuelle, paisible, superbe. Ses boucles blondes s'éta-laient sur l'oreiller, luisant au clair de lune. Une finedentelle ourlait sa chemise de nuit lavande.

Elle allait bien.Ce spectacle lui serra le cœur.Ce devait être ce que Reese éprouvait pour Lydia,

songea-t-il, en proie au désespoir. Je m'étais juré de nejamais rien ressentir de tel. Si elle part d'ici... quandelle partira...

Il mourait d'envie de s'approcher, de la prendre dansses bras, de la réveiller de ses baisers. Puis il passeraitla nuit avec elle, lui montrerait combien il la désirait.

Pourtant, il referma la porte et longea le couloir jus-qu'à sa propre chambre, où il attendit l'aube, désespé-rément seul.

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— Combien de fois es-tu allée à un bal, Caitlin ?Assise sur le lit de son aînée, vêtue d'une robe enmousseline blanche, Becky avait les yeux pétillantsd'admiration.— Au moins dix fois, n'est-ce pas? demanda-t-elleen se brossant les cheveux.— Oh, davantage sans doute! répondit Caitlin enenfilant sa robe en soie rose.Fronçant les sourcils, elle secoua le tissu et seretourna devant le miroir.— Alors, pourquoi es-tu aussi nerveuse? repritBecky. Tu as déjà changé trois fois de robe !Son angoisse était donc visible, songea la jeunefemme. Elle lança un regard désemparé à sa sœur. SiBecky décelait son anxiété, tous les autres invités s'enrendraient compte. Y compris Drew Raleigh et Wade.Ne sois pas stupide, se dit-elle. Tu n'espères tout demême pas que Wade va tomber follement amoureux detoi, uniquement parce que tu es jolie et que tu danses àmerveille ?Elle s'efforça de sourire.— Je tiens à être belle, car c'est mon premier baldans le Wyoming, c'est tout.— Moi aussi. Mais je ne suis pas aussi nerveuse quetoi, déclara Becky.Elle posa sa brosse et se leva pour s'installer à côtéde sa sœur, devant le miroir.— J'adore cette robe ! s'exclama-t-elle en faisant unepirouette. C'est la plus belle du monde... après la

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tienne, concéda-t-elle, magnanime. Wade est vraimentgentil de me l'avoir achetée, non?

— Oui, c'est vrai.A l'insu de Caitlin, Wade avait emmené la fillette chez

Hicks, en ville, et lui avait offert non seulement une toi-lette pour le bal, mais plusieurs robes du dimanche. Ill'avait confiée à Nell Hicks pour le choix des tissus, desrubans et des nouveaux patrons afin de compléter sagarde-robe. Becky était arrivée dans le Wyoming avecpour tout bagage la robe qu'elle portait, et quelqueseffets glissés dans son cartable.

Lorsque Caitlin avait proposé à Wade de le rem-bourser le mois suivant, il avait haussé les épaules.

— Tu crois rester assez longtemps pour toucher tonallocation ? avait-il demandé d'un ton détaché.

— Tout porte à le croire. Après tout, je te suis main-tenant redevable...

— Tu ne me dois rien du tout, Caitlin, avait-il dit enla fusillant du regard. Surtout, ne reste pas unique-ment dans le but de me rembourser. Si tu restes, fais-le parce que tu en as envie, pas pour d'autres raisons.

D'autres raisons. Il s'était éloigné sans lui laisser letemps de répondre, mais ses paroles résonnaient à lamémoire de la jeune femme. D'autres raisons.

S'il lui disait qu'il l'aimait, elle aurait une raison derester. Mais il ne le dirait pas, car il ne l'aimait pas...

Becky effleura la robe de sa sœur.— Quand je serai grande, je veux une robe comme

celle-ci. D'accord?— Bien sûr, chérie, répliqua Caitlin avec un sourire.Elle était encore si candide, si enthousiaste, en dépit

des épreuves qu'elle avait traversées. Dans un an oudeux, Becky serait une jeune fille. Si seulement elle pou-vait la protéger contre la souffrance, les déceptions de lavie. Si seulement elle pouvait lui éviter les écueilsqu'elle avait elle-même rencontrés. Naturellement, ilserait impossible de lui épargner toutes les embûches,mais elle pouvait lui assurer un foyer stable, entourée depersonnes qui l'aimaient. Elle pouvait lui éviter d'être

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seule, face au mensonge et à la trahison. Ou face à unhomme prêt à toutes les ignominies pour la faire sienne.Ou face à un homme qui l'embraserait de désir, laferait fondre d'amour...A cet instant précis, Caitlin avait l'impression d'êtredénuée de volonté. Wade lui manquait de toute sonâme. Depuis quelques jours, il l'évitait.Les aboiements furieux de Dawg et le son des sabotsdes chevaux la firent émerger de ses pensées. Becky seprécipita vers la fenêtre et écarta les rideaux.— C'est M. Raleigh !— Il est en avance, se plaignit Caitlin, l'estomacnoué.Elle aurait tellement préféré aller danser au bras deWade... Si seulement la situation était différente...Une partie d'elle-même espérait qu'il l'inviterait à dan-ser, et que la magie opérerait de nouveau entre eux.La magie ?Elle n'avait rien d'une fée, et Wade n'était pas leprince charmant. La magie, l'amour, tout cela n'étaitque de la poudre aux yeux.— Dis à M. Raleigh que je descends tout de-suite,déclara-t-elle en saisissant la brosse à cheveux.— D'accord.L'enfant se dirigea vers la porte. Au moment de sor-tir, elle se retourna et déclara d'un ton piteux :— Je préférerais que tu ailles avec Wade...Caitlin s'interrompit.— Pourquoi, chérie ?— Parce que je l'aime bien. Beaucoup, même. Etnous pourrions aller là-bas ensemble... Tu ne l'aimespas, toi ?— Il est très gentil.— Alors pourquoi n'as-tu pas voulu aller avec lui ?— Il ne m'a pas invitée.— Je parie qu'il le voulait, assura Becky. Tu auraispeut-être dû le lui proposer.— Becky! s'exclama Caitlin en s'esclaffant malgréelle. M. Raleigh m'attend. Je dois encore me coiffer.

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Elle avait les mains moites, à tel point qu'elle parvintà peine à glisser les épingles dans son chignon. Elle pritenfin son réticule, un châle noir posé sur les épaules.Elle était si nerveuse qu'elle ne cessait de se répéter quece n'était qu'un bal. Et qu'elle se moquait que Wadel'invite ou non à danser.

En l'entendant arriver, Becky, Wade et Drew Raleighlevèrent les yeux vers elle.

— Caitlin, tu es magnifique ! s'extasia Becky, lesouffle coupé.

— Absolument, renchérit Raleigh avec un large sou-rire.

Ses yeux noisette se mirent à pétiller en la regardantdescendre les dernières marches, la main gracieuse-ment posée sur la rampe.

Wade l'observait en silence, la mâchoire crispée.— Veuillez m'excuser de vous avoir fait attendre,

déclara-t-elle tandis que Drew portait sa main à seslèvres.

— Elle était en train de faire son chignon, expliquaBecky avec une candeur qui amusa Raleigh.

D'un coup d'œil, Caitlin constata que Wade ne riaitpas. Il considéra l'élégante robe en soie qui soulignaitses formes, puis regarda le collier en améthyste quirehaussait son teint de porcelaine et attirait l'attentionsur son cou gracile. Enfin, il s'attarda sur sa bouche.

La jeune femme rougit.— Nous... nous y allons?Elle sentit avec embarras que sa voix tremblait. Ce

ne pouvait être à cause du regard de Wade, ni parcequ'il était d'une élégance époustouflante, tout de noirvêtu, ses joues bronzées rasées de frais. Elle mouraitd'envie de lui prendre la main et de lui dire combienelle le trouvait beau, de le provoquer un peu, de luipromettre une danse... Mais son cavalier était DrewRaleigh.

Elle afficha donc un sourire poli et prit le bras deDrew. Puis elle envoya un baiser à sa sœur, lui pro-mettant de la retrouver plus tard.

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— À tout à l'heure, ajouta-t-elle d'un ton enjoué àl'adresse de Wade, en s'éloignant.— Tu peux y compter.En sortant dans la nuit, elle sentit le regard brûlantde Wade rivé sur elle.

Le ranch des Tyler brillait de mille feux. Un air de vio-lon emplissait la nuit. Des lampions multicoloreségayaient le vaste salon bondé d'invités, de sorte queDrew et Caitlin durent se frayer un chemin dans la foule.— Vous êtes superbe! s'exclama Edna Weaver enapparaissant comme par enchantement près d'elle, encompagnie de Winifred Dale et Alice Tyler, la maî-tresse de maison.— Caitlin, Drew, soyez les bienvenus, déclara Aliceavec un sourire.— Charmante soirée, répondit Drew en lui baisantla main. Je n'avais pas vu autant de monde depuisNew York.— J'ai toujours peur de ne pouvoir saluer tous lesinvités, fit Alice en riant. Ah, voici mes amis Maura etQuinn Lassiter. Veuillez m'excuser.Elle replongea dans la foule.— Votre petite sœur ne viendra pas, ce soir? s'en-quit Winifred.— Si, elle arrive. Elle vient en compagnie de Wade.— Vraiment ? fit Edna, les lèvres pincées, observantCaitlin et Drew tour à tour.A cet instant, Jim, le mari d'Alice, entraîna Drewvers un groupe d'hommes qui discutaient chemin defer et cours de la bourse.Edna lissa la dentelle de son décolleté.— D'ordinaire, Wade vient au bal avec une cava-lière un peu plus... de son âge, si vous voyez ce que jeveux dire, lança-t-elle en riant. La moitié de la ville sedemande pourquoi il n'a pas invité Luanne. Il y a unmois, tout le monde les voyait déjà la bague au doigt.Mais quelque chose a changé. Elle est avec Jake Young,ce soir.

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— Ah bon ?Caitlin suivit le regard d'Edna. Dans un coin,

Luanne était en grande conversation avec Jake.— Ils forment un très beau couple, murmura-t-elle.Pourquoi diable Wade n'avait-il pas invité l'institu-

trice ? Peut-être l'avait-il invitée, songea-t-elle, le cœurserré. Peut-être Jake était-il arrivé le premier.

— En effet. Comme vous et Drew, commenta Edna.Mais j'aimerais bien que Wade trouve une gentille fille,qu'il tombe fou amoureux et s'installe enfin.

— Moi aussi, renchérit Winifred en adressant uneœillade complice à Caitlin.

— On dit que le mariage ne sied pas à tout le monde,répondit-elle, la tête haute. A mon avis, Wade Barclayn'est pas fait pour le mariage. Il est trop... arrogant.

— Wade? Arrogant? répéta Edna. Seigneur, c'est leplus gentil et le plus honnête des hommes ! Il fera unexcellent mari. Et bel homme, en plus, ajouta-t-elle, lesyeux pétillants. Pendant un moment, j'ai vraiment cruqu'il en pinçait pour Luanne. Mais il ne devait pas êtreaussi intéressé que cela. A moins qu'il redoute lemariage...

Elle fit un clin d'œil à Winifred, qui reprit la parole.— Nous ne voulons pas nous mêler de vos affaires,

Caitlin, mais bien des gens en ville souhaitent que lafille de Reese et le garçon qu'il a élevé se...

— Winifred ! coupa Caitlin, les joues en feu. J'ignorecomment quelqu'un a pu avoir une idée aussi saugre-nue. Sachez que j'épouserai Wade quand les poulesauront des dents.

— Vraiment? Hum... fit Edna, sceptique. Voussemblez sûre de vous, ma chère, mais...

— Croyez-moi, insista Caitlin sans pouvoir maîtri-ser le tremblement de sa voix. Wade est le dernierhomme sur terre que je voudrais...

Elle s'interrompit en voyant l'intéressé apparaîtresur le pas de la porte. Très imposant dans son costumenoir, il tenait Becky par la main.

Caitlin déglutit. Tous les autres hommes n'existaientplus. Wade les éclipsait de sa prestance. Troublée, elle

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vit son regard bleu balayer la salle, transperçant lafoule, avant de s'arrêter sur elle.Leurs regards se croisèrent, se nouèrent. Puis elleentendit la voix lointaine d'Edna :— Que disiez-vous, ma chère ?Avant de pouvoir répondre, Caitlin sentit une mainse fermer sur son bras.— Je suis désolé de vous avoir abandonnée. Voulez-vous danser?Drew l'entraîna vers la piste et la prit dans ses braspour une valse effrénée.Elle repéra Edna et Winifred qui les observaient.Quelles commères! Si elle ne les aimait pas autant,Caitlin leur aurait dit leurs quatre vérités.Drew Raleigh lui parlait, aimable, tout en valsant.Mais elle ne pensait qu'à un homme vêtu de noir, dontelle croisa à nouveau le regard.

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Caitlin vit Becky se précipiter vers la cuisine encompagnie des jumelles Morgensen. Wade lui lança undernier regard, puis se détourna. Il s'approcha d'unegrande brune, portant une robe à carreaux.— Charmante soirée, déclara-t-elle à Drew avec unsourire ravageur.— Elle l'est, maintenant, répondit-il en l'attirantvers lui.— C'est mon premier bal dans le Wyoming, pour-suivit-elle pour entretenir la conversation.— Avec un peu de chance, ma chère, ce sera égale-ment le dernier. Pour moi aussi.— Que voulez-vous dire? C'est très réussi.— Pour une bourgade perdue au milieu des champs,d'accord. Mais cette soirée ne se compare pas aux fas-tueuses réceptions de Philadelphie, avouez-le.— Eh bien, pas exactement, mais...Elle regarda autour d'elle. La salle richement parée,les toilettes multicolores, ces gens qu'elle commençaità connaître... Soudain, elle se sentit chez elle. Elle s'étaithabituée à la langue bien pendue d'Edna, à la douceurde Winifred, à la bonne chère, à l'hospitalité des gensde la région, à leur franchise et leur solidarité. Les habi-tants de Hope, quelle que soit leur condition, du ban-quier au simple cow-boy, avaient su gagner son cœur.Elle en voulait à Drew de les mépriser, tout commeelle n'appréciait pas qu'il la serrât d'aussi près.— Drew, je vous en prie... j'étouffe, gémit-elle ens'écartant.— Désolé, Caitlin, mais vous avez tant de charme...

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Il relâcha son emprise et poursuivit :— Ce coin perdu est pittoresque et le paysage

superbe, mais il ne me manquera pas, quand je seraide retour dans l'Est. A vous non plus, j'espère ?

— Je l'ignore. Ces derniers temps, je ne pense plustellement à retourner dans l'Est.

— Vous m'étonnez. Je vous imagine davantage dansun salon huppé, couverte de bijoux, avec un bataillonde domestiques, un service à thé en argent et du Cham-pagne à tous les repas. Or que va nous servir cettebrave Mme Tyler? Du poulet, des steaks...

Malgré la colère qui s'emparait d'elle, la jeunefemme parvint à ravaler une réplique cinglante. Wadel'observait. Il était avec la petite brune.

Le cœur serré, elle parvint à afficher un sourire.— En fait, Drew, je vous remercie de me le rappe-

ler. Je crois que je vais aller voir si je peux me rendreutile à la cuisine...

Elle faillit grimacer en le voyant secouer la tête. Il laretint sans douceur.

— Cela peut attendre, non? Nous sommes en trainde danser, que diable ! Je ne tiens pas à me séparer devous. Pas encore.

— Cela ne fonctionnera jamais. Je suis trop lent,trop stupide. Le temps que je puisse écrire cette mau-dite lettre, Caitlin sera déjà mariée avec Wade ou DrewRaleigh, et elle attendra un enfant !

Jake s'appuya contre le mur, atterré, en regardantCaitlin et Drew valser parmi les autres danseurs.

— Arrêtez de vous sous-estimer ! gronda Luanne.Vous n'êtes rien de tout cela. Vous vous en sortez trèsbien. Vous faites de gros progrès. Si vous vous condui-sez comme un lâche, je ne peux rien faire pour vous !Regardez, moi : Wade n'est même pas venu me saluerde la soirée. (Sa voix trembla.) Je n'ai pas l'intention defaire la tête au monde entier pour autant. Je comptebien... m'amuser.

Jake lui adressa un regard piteux.

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— Désolé, pour Wade. Mais si vous ne lui en voulezpas de ne pas vous avoir invitée ou vous avoir dit bon-jour, c'est que vous ne tenez pas tant que cela à lui.— Je croyais tenir à lui, naguère. Mais il ne memanque pas autant que je ne m'y attendais, réponditLuanne en lissant sa robe. Il m'a rendu visite, l'autresoir, vous savez. Juste après notre leçon, dix minutesaprès votre départ.— Vraiment ? Que vous a-t-il dit ?Elle observait les danseurs, suivant des yeux Wade etSally Hanks, la petite brune.— Qu'il était heureux que nous soyons amis. Que jepourrais toujours compter sur lui, en cas de problème.— Eh bien, voilà qui en dit long ! commenta Jake.Peut-être a-t-il rompu avec Caitlin. A moins qu'elle aitrompu avec lui.— Non, fit Luanne en secouant la tête, agitant sesboucles rousses. J'ai compris que nous ne serons jamaisplus que des amis. Il s'est montré très gentil. Il voulaitsans doute m'épargner de faux espoirs.— Vous en êtes sûre ?— Certaine, répliqua-t-elle avec un sourire triste.Une femme sait toujours quand un homme ne s'inté-resse pas vraiment à elle. (Elle lui adressa un regardfurtif.) Peut-être devriez-vous renoncer à cette lettre etinviter Caitlin à danser, tout simplement ? Vous pour-riez lui réciter votre poème en valsant. Lui expliquerqu'il exprime vos propres sentiments...— Je ne le connais pas en entier.— Ce n'est pas grave, jetez-vous à l'eau.— Vous avez sans doute raison, admit-il, les yeuxpétillants. C'est ce que vous me conseillez ?Luanne opina du chef, un peu pâle.— Bien sûr. Si vous tenez vraiment à Caitlin...— Évidemment! Pourquoi croyez-vous que je tra-vaille avec vous, depuis tant de jours ?— Eh bien, le moment est venu de vous déclarer.Vous êtes très séduisant, ajouta-t-elle d'une voix unpeu hésitante.— Vous trouvez ?

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Luanne redressa sa cravate noire. Sa chemise rougeaccentuait la largeur de ses épaules.— Oui.— Merci. Vous aussi, mademoiselle Porter, vousêtes très en beauté.Pour la première fois, il parut regarder vraiment sarobe en mousseline vert amande, son pendentif en perleet ses boucles d'oreilles assorties qui captaient lalumière.— Très en beauté, répéta-t-il en s'attardant sur sondécolleté, qui laissait deviner des seins généreux.— Vous deviez m'appeler Luanne.— C'est vrai. Je ne cesse de l'oublier...Il sourit et tendit la main pour écarter une mèche duvisage de la jeune femme. Ses doigts s'attardèrent uninstant sur sa joue.— Vous avez eu une bonne idée en me suggérant devous inviter au bal. Chacune de mes visites chez vous,pour apprendre à lire, a dû susciter des ragots. Lesgens doivent croire que je vous courtise...— Oui, c'était une bonne idée.Elle chercha son regard et respira profondément.— J'espère que vous continuerez vos leçons, Jake.Vous êtes doué. C'est merveilleux de savoir lire etécrire. Quelques leçons supplémentaires vous feraientle plus grand bien.— Je dois admettre que j'aime apprendre avec vous.(Il fronça les sourcils.) D'ailleurs, je ne songeais pas àarrêter.— Si vous séduisez Caitlin, vous préférerez peut-être apprendre avec elle...— Peut-être. Mais j'ai tellement pris l'habitudede travailler avec vous que j'aurais du mal à m'enpasser.Elle lui sourit, les yeux pétillants de joie. Jake futétonné de la beauté de son regard.— Voulez-vous me réciter ce poème, Jake ?— Pas ici, dit-il en lui prenant le bras. Il y a trop demonde. Sortons.

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Wade valsait avec la petite brune. C'était la deuxièmefois. Il avait invité toutes les demoiselles de la salle. Ilavait même dansé avec Edna, Winifred, Becky. Maispas une fois avec Caitlin.Certes, elle ne manquait pas de cavaliers. Jake laconduisit au buffet après une valse endiablée, et luitendit un verre de vin. Pourtant, la jeune femme étaitmorose.— Tenez, mademoiselle Summers.Elle accepta le verre qu'elle vida d'une traite, avantd'en demander un autre.Jake s'exécuta.Wade dansait désormais avec Hannah Wickes, lafille d'un riche éleveur de la région.Caitlin voulut boire encore, mais son verre était déjàvide.— Mademoiselle Summers, j'ai à vous parler...commença Jake.Mais aussitôt, la jeune femme prit une décision.— Veuillez m'excuser un instant, Jake.— Bien sûr, mais...— J'ai quelque chose à faire, murmura-t-elle avantde se diriger vers la piste de danse.Grâce au vin, elle se sentait soudain légère, et avaitles yeux rivés sur le grand brun qui dansait avec Han-nah Wickes.— Pardon, fit-elle en tapant sur l'épaule de la jeunefille, affichant un sourire pincé. Puis-je vous inter-rompre ?— Mais... je suppose que oui...— Merci.Caitlin saisit Wade par le bras et l'attira vers elle, aumoment où l'orchestre entonnait une nouvelle valse. Illa dévisagea avec stupeur.— Qu'est-ce que vous faites ?— Vous voulez danser avec moi ou pas ?Il la prit par la taille.— Eh bien, puisque vous m'y contraignez...

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— C'est manifestement le seul moyen, répliqua-t-elle tandis qu'ils s'élançaient.Wade dansait avec son assurance et son aisance cou-tumières.— La soirée n'est pas terminée. Je vous aurais peut-être invitée...— Peut-être ? fit-elle en se raidissant. Vous êtes bienaimable.Elle leva vers lui un regard inquisiteur, cherchantquelque chose qu'elle n'osait espérer trouver.— Alors pourquoi ? demanda-t-elle.Il ne répondit pas, mais la serra plus fort.— Wade, depuis cette nuit où nous avons...— Oui?— Depuis, nous n'avons pas eu l'occasion dediscuter.— Et alors ?Le courage de Caitlin s'envola. Il était si froid, si dis-tant. Elle mourait d'envie de cueillir son beau visageentre ses mains et de l'embrasser sur les lèvres. Mais àquoi bon ? Wade lui fermait son cœur. Il lui avait offertsa passion, sa patience et sa compréhension, mais riende plus. A part la pitié, peut-être.Elle regretta de s'être confiée à lui. Elle ne voulaitpas qu'il s'occupe d'elle pour tenir sa promesse enversReese. Depuis le départ, elle se méprenait sur sesattentions, sur le désir qui brûlait entre eux.Comme elle avait été stupide de croire à l'amour !— Je suis désolée, dit-elle en s'arrêtant au milieu dela piste.Edna et Seth Weaver les bousculèrent et s'excusè-rent. Wade tenait toujours la jeune femme par la taille.— De quoi ?— D'avoir interrompu ta danse avec Hannah. Vadonc la chercher.— Vraiment? J'ai ta permission?— En fait, je dois rejoindre Drew et...Il l'entraîna hors de la piste. Elle le suivit. Elle nepouvait résister sans créer un scandale, ce qu'il fallaità tout prix éviter. Elle voulait demander à Drew de la

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raccompagner. Malgré la réussite de la soirée, elle sesentait triste et lasse.— Je t'en prie, lâche-moi. Je veux simplement...— Quand j'en aurai terminé avec toi.— Wade!Ignorant ses protestations, il l'entraîna le long d'uncouloir, puis dans une antichambre éclairée par unelampe à pétrole. Il referma la porte d'un coup de pied etplaqua Caitlin contre le mur, la tenant par les épaules.— Qu'est-ce que tu... ?Les lèvres de Wade se posèrent sur les siennes pourun long baiser plein de tendresse, un baiser quiembrasa la jeune femme, tout en la faisant souffrir.Il releva la tête, la laissant pantelante, étourdie.— Alors, on discute ?Elle brûlait d'envie de l'embrasser encore, maisrefusait de le lui avouer. Car ce n'était que du désir, riende plus. L'amour n'avait pas de place dans le cœur deWade.— Tu es jaloux de Drew Raleigh? C'est cela? Turedoutes que je ne l'embrasse et que je ne trouve sesbaisers plus agréables que les tiens...Il l'interrompit d'un autre baiser, plus profond, plusardent que le premier. Elle en resta tremblante, lecœur battant, et chancela entre ses bras.Wade la serra contre lui.— Oui, je suis jaloux de Raleigh, avoua-t-il. Jalouxchaque fois qu'il danse avec toi, qu'il te touche, que tului souris. Ce qui arrive trop souvent, à mon goût.— Ah, les hommes... fit-elle en s'humectant les lèvres.Vous vous battez pour des terres, pour de l'or, pourune femme. Comme des chiffonniers. Mais cela nesignifie rien. Tu te moques bien de moi...— Tu ne m'écoutes pas, dit-il en la plaquant si fortcontre lui qu'elle en eut le souffle coupé. Ecoute-moi !Sa bouche s'empara à nouveau de la sienne, doucecomme une brise d'été, tendre comme l'aube. Wade enexplora les moindres replis.— Du vin, murmura-t-il enfin. Pour une jeune fillesage qui ne boit pas d'alcool...

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— Je... ne suis pas ivre, gémit-elle.En tout cas, pas à cause de l'alcool. Elle était ivred'amour, mais préférait mourir que de l'admettre. Elles'efforça de retrouver un semblant de fierté.— Il faut... que tu me lâches. On ne... peut pas res-ter ici toute la soirée.— Dommage. J'ignore combien de temps tu vasmettre à comprendre à quel point je tiens à toi. En fait,je tiens à toi bien plus que je ne le devrais, ajouta-t-il,la mine sombre.— Qu'est-ce que cela signifie ?Il lui caressa doucement la joue, puis descendit versson cou. Caitlin tremblait de la tête aux pieds, luttantcontre l'espoir qui renaissait en elle.— J'ai compris que tu t'attires des ennuis avec leshommes, reprit Wade. Et je ne vois qu'une solution.Nous allons devoir nous marier pour que je puisse...Il s'interrompit en la voyant pâlir.— Quoi ? fit-il. Qu'est-ce que tu as ?— Pas un mot de plus, souffla-t-elle. Si tu dis que tuvas t'occuper de moi, je me mets à hurler.— Où est le problème? Tu as besoin qu'on s'occupede toi. Regarde les ennuis que tu as accumulés depuiston arrivée. Otter Jones, Hurley Biggs et les voleurs,sans parler de ces ordures que tu as fréquentées par lepassé. Et Raleigh. Je vais m'occuper de toi, Caitlin.Point final. Reese l'aurait voulu...— Lâche-moi! cria-t-elle en le repoussant. Ne metouche plus jamais !Par chance, le bruit des conversations et la musiqueavaient couvert son cri. Il la rattrapa sur le seuil de lapièce.— Caitlin, attends...Il l'attira vers lui et l'enlaça. Son chignon effleuraitson menton.— Tu cherches encore à fuir? murmura-t-il. C'estdonc ainsi que tu réagis face aux difficultés? Tu neluttes jamais pour t'en sortir?— Il n'y a aucune raison de lutter. Je ne t'épouseraipas.

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— Pourquoi pas ? Cela résoudrait nos... Aïe !Sans crier gare, elle lui assena un coup de genoudans le bas-ventre. Wade la fusilla du regard, mais secontenta de la saisir par le poignet.— Pourquoi as-tu fait cela ?— Je t'ai demandé de te taire, gronda-t-elle, lagorge nouée. Mais tu continues et tu ne fais qu'empirerles choses.— Comment te demander en mariage, si tu ne melaisses pas parler ?L'espace d'un instant, Caitlin eut des envies demeurtre. Malgré sa souffrance, elle parvint à masquerson désarroi.— Dis-moi exactement pourquoi tu veux m'épouser,fit-elle, livide. Est-ce parce que tu as promis à monpère de t'occuper de moi ?— C'est cela.— Et parce que tu tiens toujours tes promesses ?— Oui.— Et parce que nous devons passer un certaintemps à Cloud Ranch, de toute façon ?— Oui, et...— Parce que tu ne vois aucun inconvénient àm'avoir dans ton lit ?— Je crois que tu connais la réponse à cette ques-tion. Tout cela est parfaitement logique.Il voulut lui prendre le menton, mais elle détournala tête.— La logique ! railla-t-elle d'une voix altérée. C'estune bonne raison pour se marier, n'est-ce pas ?— Bien sûr, fit-il, la mâchoire crispée. (Qu'attendait-elle donc de lui ?) Réfléchis un peu. En toute logique,tu verras...— Plutôt épouser un vieux crapaud ! lança-t-elle, sesyeux verts brûlant de rage.— Et pourquoi ?— Vois-tu, je ne connais qu'une seule raison de semarier: l'amour. Tu m'entends? L'amour! Si nous nousaimions, je t'épouserais sans la moindre hésitation. Jedonnerais tout pour cela. Mais je ne t'épouserai pas

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parce que tu as pitié de moi, ou parce que tu as fait unepromesse à mon père! Je t'aime trop pour te laisser...Elle s'interrompit, horrifiée, et ne put que le fixer,muette de stupeur. Pourquoi avait-elle perdu son sang-froid ?Si seulement elle pouvait ravaler ses paroles...Wade semblait abasourdi par ce qu'il venait d'en-tendre.— Tu... tu m'aimes?Sentant les larmes lui monter aux yeux, elle crispales poings.— Quelle idiote je suis, marmonna-t-elle d'un tonamer. A présent, laisse-moi partir...Au moment où elle ouvrait la porte, trois petites sil-houettes surgirent dans la pièce.— Cachons-nous ! Vite ! disait Becky.Elle s'arrêta net, suivie des jumelles Morgensen.— Caitlin! Wade! s'exclama-t-elle en riant. Nousjouons à cache-cache.— Nous devons nous cacher! renchérit Kate Mor-gensen.— Sinon, Jimmy Potter va nous trouver! s'exclamaBridget.— Becky, dit Caitlin en se penchant vers sa sœur,tandis que les jumelles étudiaient les lieux. J'ai mal àla tête, chérie. Je vais demander à M. Raleigh de mereconduire à la maison tout de suite.— Oh non! Mais... nous n'avons pas encore soupé!— Je sais. Tu peux rester, si tu veux. Wade te rac-compagnera plus tard.— Qu'est-ce qui ne va pas? s'enquit l'enfant. Ondirait que tu as envie de pleurer...— Mais non, voyons. Je vais bien. Je suis simple-ment fatiguée. À plus tard.Elle l'embrassa et quitta précipitamment la pièce, aubord des larmes. Toujours pétrifié, Wade laissa les troisfillettes se jeter sur lui en le suppliant de les cacher.

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Alice et Jim Tyler venaient d'annoncer le souper. Lafoule des invités se dirigea vers la salle à manger dansun brouhaha de rires et de conversations, attirée parun délicieux fumet de poulet grillé.Caitlin entra dans la chambre qui servait de vestiaire,près de la cuisine, ignorant où se trouvait Drew. Aumoment où elle prenait son châle, elle vit un objet tom-ber à terre.C'était un petit paquet entouré d'un ruban rose, unpaquet de lettres qui avait été glissé dans les plis deson châle. Le cœur battant, elle le ramassa, s'approchad'une lampe et sortit la première missive.Elle était adressée à Mlle Caitlin Summers, au pen-sionnat pour jeunes filles de Davenport. C'était uneécriture virile, tracée à l'encre noire.Elle examina la pile de lettres et trouva ce qu'ellecherchait: une enveloppe portant sa propre écritureenfantine, adressée à Reese Summers, Hope, Wyo-ming. Puis une autre, et une autre encore...— Mon Dieu ! fit-elle, tremblant de tous ses membres.Les lettres de son père, et les siennes... Que s'était-ilpassé ? Qui les avait placées dans son châle ?Elle devait quitter cette maison, rentrer chez ellepour réfléchir. Et lire les lettres.Elle fourra le paquet dans son réticule et sortit pré-cipitamment. Elle croisa Drew Raleigh dans le couloir.— Ça ne va pas? s'inquiéta-t-il. On dirait que vousvenez de voir un fantôme.— Pouvez-vous me raccompagner à la maison, jevous prie? Je ne me sens pas bien...— Bien sûr. Laissez-moi passer ce châle sur vosépaules...— Non, ce n'est pas grave. Laissez cela.— Comme vous voudrez, dit Drew en lui offrant sonbras. Par ici.

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Pas un souffle de vent ne venait caresser les arbres,tandis que la voiture de Drew roulait sur le cheminde terre jalonné d'ornières. La fraîcheur de la soiréene semblait pas troubler Caitlin, qui tenait tou-jours son châle sur le bras. À la lueur de la lune, elleregarda son réticule, imaginant le contenu des lettresde Reese. Qui les avait placées là? Certainement lapersonne qui avait voulu la séparer de son père, autre-fois...

Un invité du bal. Quelqu'un qu'elle connaissait, sansdoute.

Caitlin avait le cœur gros, mais cela lui permet-tait au moins de ne plus penser à son entrevue avecWade, dans l'antichambre, et à sa stupeur quand ellelui avait avoué qu'elle l'aimait. Comme elle s'était ridi-culisée...

Elle réprima un sanglot de colère. Drew, qui n'avaitpas prononcé un mot durant le trajet, prit enfin laparole :

— Tout va bien, Caitlin ?— J'ai un peu mal à la tête. Ce n'est rien.— Ne vous inquiétez pas. Cela ne me dérange pas

de partir de bonne heure.Dans la pénombre, elle eut l'impression qu'il sou-

riait. Pour la première fois, elle se tourna vers lui etl'observa.

— Vous n'avez même pas pu déguster le souper...— Croyez-moi, je ne me régalerai vraiment que

lorsque je serai de retour à New York, répliqua-t-il enriant. Et j'espère que ce jour viendra vite.

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Caitlin fit de son mieux pour entretenir une conver-sation polie. Elle mourait d'envie de se retrouver seule,de lire les lettres, de ne plus penser à Wade.— Vos affaires sont donc presque réglées ?— Je le crois.— Je suis désolée que vous n'ayez pas eu davantagede succès dans vos recherches.— Cela reste à prouver, répondit-il, non sans satis-faction.— Ah bon ? Auriez-vous acquis un ranch pour votresociété ?— Je suis sur le point de conclure. Mais je ne vou-drais pas vous ennuyer avec les détails de l'affaire. Vousavez mal à la tête, après tout.Caitlin le fixa. Sa voix avait pris une intonationétrange. Soudain, elle remarqua que le paysage étaitvallonné.— Drew, ce n'est pas le chemin qui mène à CloudRanch ! s'exclama-t-elle. Sommes-nous perdus ?— Non, Caitlin. Mon sens de l'orientation est presqueaussi développé que mon sens des affaires.— Alors que faisons-nous ici? demanda-t-elle, deplus en plus mal à l'aise.— Vous le découvrirez assez vite.— J'exige de retourner à Cloud Ranch sur-le-champ !Gardant le silence, Drew fit accélérer les chevauxsur le terrain accidenté.— Dans ce cas, ramenez-moi au bal. Faites demi-tour tout de suite ! insista-t-elle.— Vous n'allez pas être contente, ma chère. Cela neme plaît pas non plus. Dans le monde des affaires, toutadversaire a ses points faibles. Et l'homme avisé doitles exploiter à son. avantage.— De quoi parlez-vous donc ?— Vous n'êtes pas innocente. Autrefois, vous avezcommis des crimes. Vous ne pensiez tout de même pasvous en tirer à si bon compte ?La peur envahit la jeune femme. Elle envisagea desauter du véhicule et de s'enfuir en courant. Mais ilroulait trop vite.

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— J'ignore de quoi vous parlez, parvint-elle à direen dissimulant sa panique.

— Allons, Caitlin, fit-il avec un soupir. Il ne sert à riende nier. Il est temps de régler vos dettes envers la société.Mais vous allez bientôt comprendre que je vous offreune chance d'échapper à la sanction de la loi. Quandtout sera terminé, vous me remercierez.

— Je vous remercierai si vous me raccompagnez àla maison ! J'ignore tout de ce que vous racontez. Maiscela peut certainement attendre demain. Nous en dis-cuterons...

Les mots lui restèrent dans la gorge lorsqu'elle vitdevant elle, au détour d'un virage, une clairière où cré-pitait un feu de bois. Deux silhouettes se dessinaientdans l'ombre.

La voiture s'arrêta près du campement. L'un deshommes s'avança dans la lueur orangée des flammes.Elle reconnut alors le visage à la fois élégant eteffrayant qui hantait ses cauchemars.

Dominic Trent.— Caitlin, quel plaisir de vous revoir !Son sourire forcé n'atteignit toutefois pas ses yeux.La jeune femme parvint à demeurer immobile et à

croiser son regard.— Je ne peux pas en dire autant. Je regrette de ne

pas vous avoir tué.Son sourire s'effaça aussitôt, pour faire place à un

rictus cruel qui coupa le souffle même à Drew Raleigh.Caitlin fit de son mieux pour masquer sa terreur.

Dominic Trent aimait susciter la peur. Elle refusait delui donner cette satisfaction.

— C'est un aveu. Merci. Je n'en espérais pas moinsde votre part. Cet aveu va sceller votre destin. Vousêtes très en avance, et le shérif Piltson n'est pas encorearrivé. Mais je crois que M. Jackson et moi parvien-drons à vous garder, avant que vous soyez placée enétat d'arrestation.

Il se tourna vers l'autre homme, toujours plongédans la pénombre.

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— Approchez, avec vos menottes. Elle a l'air fragile,mais cette femme est dangereuse. Mieux vaut ne pas laquitter des yeux une seconde.L'homme avait de petits yeux noirs et méchants, unedémarche arrogante. Il était immense, crasseux, etempestait le fumier.— Voici Smoke Jackson, le célèbre chasseur deprimes. Il n'échoue jamais, expliqua Trent.La peur de la jeune femme devait commencer à se liresur son visage, car le sourire cruel de Trent s'élargit.— En général, il ramène les brigands plus mortsque vifs. Cette fois, si je lui en donne l'ordre, vous avezdes chances de regagner Philadelphie vivante. Je veuxque vous soyez jugée au tribunal.— Un procès ? Mais c'est vous qui devriez être jugé !Elle s'adressa au chasseur de primes :— C'est cet homme qu'il faut arrêter! Enfin, cesdeux hommes, fit-elle en désignant Drew Raleigh. Usm'ont amenée ici contre mon gré.— Vraiment? Ce n'est pas ce qu'on m'a dit, rétorquaSmoke Jackson. Vous avez tenté de tuer M. Trent, vousl'avez volé. Et cet autre monsieur n'a fait que m'aider àvous arrêter. Par ici, on appelle cela la justice.— Je l'ai volé ?Livide, elle dévisagea Dominic Trent.— Sale menteur ! cria-t-elle. Vous êtes méprisable !Je vous ai frappé à l'aide d'un bougeoir pour me proté-ger. Ce n'est pas un crime ! Quant au vol, jamais je ne...— Et ça ? coupa Trent en sortant une bague en éme-raude de sa poche. La bague de ma tante Hilda, fit-ild'une voix mielleuse. Vous me l'avez dérobée quandj'ai voulu vous demander en mariage. Vous m'avezlaissé pour mort, avant de vous enfuir avec la bague !Il se tourna vers les deux hommes et ajouta :— Vous avez bien vu. Je viens de retrouver cettebague dans le réticule de Mlle Summers, n'est-ce pas?— Bien sûr, répondit Smoke Jackson en crachantpar terre.— Euh... oui, marmonna Raleigh.

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— Quel genre d'homme êtes-vous donc? demandaCaitlin en le saisissant par le bras. Comment pouvez-vous participer à un tel complot ?Drew garda le silence.— Combien vous paie-t-il pour m'incriminer? mur-mura-t-elle. Vous ne voyez donc pas que c'est unmonstre ?— C'est inutile, Caitlin, répondit-il d'un ton grave,sans croiser son regard. Vous niez l'avoir frappé etlaissé pour mort ?— Il essayait de me violer! Il voulait me forcer àdevenir sa maîtresse !— On m'a raconté qu'il vous a fait une propositiontout à fait honnête, et que vous avez réagi... de façonexcessive. Tout comme en ce moment.Drew soupira et posa une main sur son bras.— Cependant, il y a peut-être un moyen pour vousd'éviter la prison, reprit-il. C'est d'ailleurs la raison dema présence. Le shérif et le chasseur de primes peu-vent accepter de vous relâcher.— Je n'ai pas d'argent, répliqua-t-elle avec mépris.Je n'ai pas les moyens de vous corrompre.— Ce n'est pas votre argent que je veux, Caitlin,rétorqua Drew, les sourcils froncés.En voyant Smoke Jackson faire descendre sansménagement la jeune femme de la voiture, il se raidit.— Inutile de vous montrer brutal, dit-il, le frontmoite, tandis que le chasseur de primes passait lesmenottes à sa prisonnière.— Les méthodes de M. Jackson ne sont pas de tonressort, intervint Trent d'un ton sans réplique.Mlle Summers ne reçoit que ce qu'elle mérite.Sur ces mots, il toisa ostensiblement Caitlin, s'attar-dant sur ses lèvres sensuelles. Il sentit son sang bouil-lonner dans ses veines, son cœur s'emballer. Celafaisait longtemps qu'il attendait cette vengeance... Lavictoire était enfin à portée de main.— Nous partirons dès l'arrivée du shérif Piltson, machère. Vous avez froid? Vous tremblez, et vous sem-blez avoir perdu votre châle...

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Il prit le châle en satin noir près de son réticule et lelui tendit, mais elle le laissa glisser sur le siège.

— Tant pis. Vous viendrez avec moi au lieu du ren-dez-vous, là où votre destin sera scellé. N'ayez crainte,je me ferai un plaisir de vous réchauffer.

Caitlin ne tremblait pas seulement de froid. Sa hainepour cet homme était viscérale.

— La dernière fois que vous avez voulu me prendreau piège, vous vous en êtes mordu les doigts, dit-elle.Ce sera encore pire, cette fois. Vous devriez me laisserpartir avant qu'il ne soit trop tard. Je ne suis plusseule. De nombreuses personnes vont s'inquiéter etvenir me chercher.

— Ah oui ? Wade Barclay, sans doute ?Son ton mielleux lui glaça les sangs.— Oui.— Vous croyez qu'il viendra à votre secours? se

moqua-t-il. Un vulgaire régisseur ?Caitlin songea aux baisers de Wade, à son sens de

l'honneur, aux recherches qu'il avait menées pourretrouver Becky.

— Oui, répéta-t-elle.Mais elle avait peur. Elle ne voulait pas mettre Wade

en danger. Il risquait de se retrouver seul contre trois.Cet immonde Smoke Jackson paraissait redoutable.Drew se disait bon tireur, et Dominic excellait dans lesactivités destructrices de toute sorte.

Si seulement elle avait apporté son Derringer. Maisqui se munissait d'une arme pour aller danser?

— Je crois savoir qu'il vaut mieux ne pas se frotteraux frères Barclay, reprit-elle, la gorge nouée. Vouspouvez l'éviter en me libérant.

— Mais je ne souhaite pas m'arrêter là. Nous n'ensommes qu'au début. Les réjouissances n'ont mêmepas encore commencé, dit Trent en attirant la jeunefemme contre lui.

Il glissa les doigts dans ses cheveux et lui tira la têteen arrière.

— Nous verrons bien si ce Wade Barclay viendravous sauver, ou s'il vous trahira.

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Il posa ses lèvres sur les siennes. Comme elle résis-tait, il lui imposa un baiser brutal.Témoin de la scène, Drew Raleigh semblait mal àl'aise. Smoke Jackson, lui, était vivement intéressé.Puis Trent sourit à la jeune femme qui se débattaitdans ses bras.— C'est Wade Barclay qui va décider de votre sort,ma douce. Reste à savoir ce qu'il vous réserve. Et nousle saurons bientôt.

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— Dites-moi, Winifred, auriez-vous vu Caitlin? OuRaleigh ?Wade avait cherché dans toute la maison, inspectétoutes les tables, parmi les convives qui dégustaient lesmets de choix préparés par les Tyler. Aucune trace dela jeune femme.— Non, répondit la postière en regardant autourd'elle, les lèvres pincées. Pourquoi ? Quelque chose neva pas ?— Je dois absolument la trouver, marmonna Wadeen se dirigeant vers Edna. Auriez-vous vu Caitlin ?— Oui. Je l'ai vue avec Drew, au moment où ils s'enallaient.— Merci.Il tourna les talons sans lui laisser le temps de poserla moindre question. Dehors, il croisa Becky et lessœurs Morgensen.Très vite, il trouva quelqu'un pour raccompagnerl'enfant après le souper. Quand il expliqua à Beckyqu'il partait, elle lui sourit.— Tu vas voir si Caitlin va bien, c'est ça?— Oui.— Bonne idée, répondit la fillette. Caitlin s'inquiètetoujours pour moi. Elle a besoin qu'on s'occupe unpeu d'elle.— Elle ne serait pas d'accord, si elle t'entendait.— Non, je sais! s'exclama Becky en riant. Maisc'est uniquement parce que personne ne s'est vrai-ment occupé d'elle. Papa et maman l'aimaient, biensûr, mais ils étaient toujours partis. Ils n'avaient guère

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de temps à nous consacrer. Le jour où cet homme luia fait du mal, papa et maman étaient absents. Sansnotre valet, j'ignore ce qui serait arrivé. (Elle se morditles lèvres.) Tu veilleras bien sur elle, n'est-ce pas,Wade?

— C'est promis, mon ange.En se dirigeant vers la voiture, Wade avait le cœur

gros. Caitlin, si forte, si volontaire... Lui avait toujourseu Reese, Clint et Nick. La jeune femme n'avait jamaiseu personne.

Ce soir, lorsqu'elle lui avait avoué qu'elle l'aimait, iln'avait pas réagi. Incapable de prononcer un mot, depenser, il était resté pétrifié.

Et il l'avait laissée s'enfuir. Le temps qu'il se remettedu choc, elle avait disparu. Le moment était venu pourlui d'affronter la réalité. A quoi bon fuir ses senti-ments? Refuser l'amour...

L'amour. Ce simple mot le faisait frémir.Aimait-il Caitlin? Il savait que la réponse était oui.

Pourquoi ne l'avait-il pas admis plus tôt? Lui qui avaittoujours su gérer les obstacles, il avait reculé devantl'amour.

Caitlin n'était pas Lydia, se dit-il. Et lui n'était pasReese.

Il allait se ruer vers la voiture qu'il avait laissée prèsdes saules, quand il entendit un bruit étrange dans lesfourrés, à sa gauche. Il s'immobilisa et glissa la mainvers son revolver. D'un buisson surgirent alors deuxsilhouettes, qui se mirent à ôter des brins d'herbe deleurs vêtements.

— Oh... salut, patron... bredouilla Jake Young enremettant vivement son chapeau.

Près de lui, Luanne étouffa un rire nerveux. Wadeobserva la jeune femme. Sa robe était froissée, ses che-veux en désordre.

Jake et Luanne ? songea-t-il, abasourdi.— Nous étions... euh... en train de chercher...La voix de la jeune femme s'éteignit. Elle se tourna

vers Jake, ne sachant que dire.

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— Votre... boucle d'oreille, mademoiselle Porter,balbutia-t-il. Elle l'a perdue.— Perdue, fit Wade en hochant la tête. Dans unbuisson ?— Oui, dans un buisson, alors qu'elle...Jake déglutit, pivota vers sa compagne :— Que faisiez-vous donc dans ce buisson, mademoi-selle Porter ?— Je... je jouais à cache-cache avec les enfants!lança-t-elle, triomphante.Jake sourit, soulagé, et ôta délicatement une brin-dille des cheveux de Luanne.— C'est ça, patron. Rien de plus normal pour uneinstitutrice. Dommage, nous n'avons pas retrouvé laboucle d'oreille de Luanne... enfin, de Mlle Porter.— Elle est à votre oreille, déclara gentiment Wade.Il y en a même deux. Une à chaque oreille.— Oh, Seigneur! Comment est-ce possible? fit-elleen réprimant un rire.Wade sourit. Puis il songea à Caitlin, seule avecRaleigh. Il hâta le pas.— Vous partez de bonne heure ! lança Jake.— Caitlin ne se sentait pas bien. Je vais voir com-ment elle va.— Je l'ai vue s'en aller avec Raleigh. Pendantque... nous cherchions la boucle d'oreille. Mais je necrois pas qu'ils soient partis vers la maison. C'estbizarre, ils ont pris la direction de l'ouest. Je medemande où ils...Wade se sentit parcouru d'un frisson d'effroi.— L'ouest, dis-tu? Tu es sûr?— Oui, j'en suis certain. Ils sont partis vers l'ouest.En direction des collines. Que mijotait Raleigh?— Vous croyez qu'il y a un problème, patron? Sivous avez besoin d'aide...Mais Wade ne l'écoutait pas. L'esprit en ébullition,il regagna sa voiture.Son mauvais pressentiment se confirma, quand ildécouvrit le message cloué dans le bois du véhicule.

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Il saisit la feuille de papier et, à la lueur d'une allu-mette, déchiffra avec stupeur les lettres élégantes.

Barclay,Si tu veux revoir la charmante demoiselle Summers,sois à Wolf Cave à l'aube. Viens seul, sinon la damemourra. Et apporte l'acte de propriété de Cloud Ranch.

Le souffle coupé, il sentit la rage l'envahir. Puis cefut la peur. Il ne pouvait perdre Caitlin, comme il avaitperdu ses parents ! Et Reese !La mine sombre, il lança les chevaux au galop versCloud Ranch.

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La fraîcheur de la nuit transperçait Caitlin, à mesureque l'aube approchait. Les mains menottées, elle étaitappuyée contre un rocher, sentant la présence de Trentà son côté, et celle de Smoke Jackson, allongé face àelle, près du feu. Ses petits yeux noirs étaient rivés surelle, au-dessus des flammes.

Quelques mètres plus loin, Drew Raleigh s'étaitassoupi, enveloppé dans une couverture qu'il avaittrouvée dans la voiture. Lorsqu'il avait voulu l'offrir àla jeune femme, Dominic Trent était intervenu, fron-çant les sourcils :

— Ce ne sera pas nécessaire. Je suis désormais leseul responsable de la protection de Mlle Summers.— Mais elle est frigorifiée...

— Qui commande ici, Raleigh? Quand nous noussommes mis d'accord, il était clair que je serais le chef.Tu contestes les termes de notre accord ?

— Non, bien sûr que non, avait assuré Drew en ava-lant sa salive. Mais il ne sert à rien qu'elle meure defroid en attendant Piltson.

— Ne t'en mêle pas, Raleigh, avait dit Trent d'unevoix mielleuse. Sinon, je vais devoir reconsidérer taparticipation.— Très bien, Trent. Comme tu voudras.

Raleigh avait adressé à la jeune femme un regardchargé de regret et s'était retiré, la couverture en main.C'est à cet instant précis que Caitlin s'était rappelé oùelle l'avait déjà rencontré.

Elle ne s'était pas trompée. C'était bien à l'opéra, lesoir où elle avait fait la connaissance de Trent. Celui-ci

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était en grande conversation avec un autre homme,quand il avait aperçu Caitlin. Cet homme était DrewRaleigh.

Trent et lui se connaissaient donc depuis long-temps...

Ce soir-là, Dominic ne l'avait pas quittée des yeux.Enfin, il avait trouvé un ami commun qui la lui avaitprésentée. Ainsi avait débuté le cauchemar.

Il n'était pas étonnant qu'elle n'ait jamais appréciéDrew. Elle l'associait à cette soirée funeste. Mais c'étaitune autre nuit funeste qui était sur le point de s'ache-ver...

Trent glissa un bras sur ses épaules.— Ne me touchez pas, sinon je vais être malade.— Allons, allons, ma chère. Toujours aussi entêtée

et fière, hein ?Il ôta son bras, mais la prit par le menton et la força

à croiser son regard :— Si seulement vous aviez accepté ma proposition,

nous n'en serions pas là.— Si seulement je vous avais tué...Le sourire cruel de Trent l'emplit d'effroi, mais elle

soutint son regard sans flancher.— Vous allez avoir beaucoup de temps pour vous

repentir de votre geste, murmura-t-il.Il était fou. Tout Philadelphie voyait en lui un homme

d'affaires brillant, un magnat impitoyable, un beauparti. Mais on savait également qu'il avait une maî-tresse dans chaque port et des goûts un peu pervers, desombres secrets. Caitlin avait eu vent de ces rumeurssordides. Ce qu'elle redoutait le plus, c'était son côtédémoniaque.

Elle réfléchit à ce qui risquait de lui arriver. Quelsort réserverait-il à Wade? Elle ne pouvait le laisserl'attirer dans un piège. Il fallait qu'elle s'échappe coûteque coûte, qu'elle prévienne Wade avant l'aube.

Les menottes allaient la ralentir, mais elles ne l'arrê-teraient pas. Il lui suffisait d'atteindre un cheval et des'enfuir.

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Elle scruta la clairière, notant l'emplacement desmonturës, la voiture de Raleigh, le chemin. Combiende temps lui restait-il avant l'aube ?

Si seulement Trent et Jackson pouvaient s'endor-mir ! Mais le chasseur de primes était en alerte. Quantà Trent... il buvait du café, collé à elle.

— Dès que le shérif Piltson sera là, nous partironspour Wolf Cave, où Wade doit nous rejoindre. Enfin,s'il tient suffisamment à vous...

Elle savait qu'il cherchait à la blesser mais, loin dela déstabiliser, cette ironie ne fit que renforcer sadétermination. Elle savait que Wade viendrait. Il étaitprêt à risquer sa vie pour elle, et pour quiconque auraitbesoin de son aide. Il était aussi bon et généreux queTrent était égoïste et malfaisant.

— Qu'allez-vous faire quand il sera là? demanda-t-elle posément, espérant qu'il se vanterait et lui révé-lerait des informations.

Trent ne fut pas dupe.— Vous aimeriez bien le savoir, n'est-ce pas ? Mais

vous allez devoir patienter. Je compte vous convaincreque je suis votre seul espoir. Alec Ballantree n'était qu'unpetit imbécile intéressé, qui vous a abandonnée dansl'adversité. Et vous allez voir : Wade Barclay fera lamême chose.

C'est faux, songea Caitlin. Wade ne m'aime peut-êtrepas, mais il ne m'abandonnera jamais.

Trent parut lire ses pensées.— Je vais vous le prouver. Vous constaterez quelle

importance vous avez aux yeux de Barclay. Vous allezassister à sa trahison...

— Pourquoi ? coupa-t-elle, les yeux brillants de colère.Pourquoi me voulez-vous, moi qui vous méprise ? Vousn'auriez aucun mal à trouver une petite idiote quivous accepterait et...

Il la gifla si violemment qu'elle fut projetée contre lerocher et vit trente-six chandelles.

— Ne remettez jamais en question mon amour pourvous, Caitlin ! Je ne le tolérerai pas. Vous comprendrezmieux quand j'aurai fait affaire avec Wade. Je vais

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vous prouver que je suis le seul sur qui vous puissiezcompter. Même si je dois mettre des mois à vous l'en-foncer dans le crâne. Voire des années.

— Pourquoi? murmura-t-elle, malgré sa mâchoiremeurtrie. Je ne comprends pas... Pourquoi ne me lais-sez-vous pas tranquille ?

— Parce que j'obtiens toujours ce que je veux. Et jevous veux. Je vous aime, je vous l'ai dit. Vous allez voirjusqu'où je suis capable d'aller pour vous prouver monamour. Je suis le seul, Caitlin. Bientôt, vous ne pourrezplus vous passer de moi... et de mon corps, ajouta-t-il,les yeux scintillants.

Elle secoua la tête, sentant la brise des montagnessur sa nuque. Trent plissa les yeux.

— A moins que vous ne préfériez aller en prison, fit-il en haussant les épaules. Mais, quand vous aurezcroupi des mois au fond d'une cellule, vous reconsidé-rerez ma proposition.

— Jamais je ne tomberai aussi bas, rétorqua-t-elle.Si Wade ne vous tue pas, je le ferai de mes mains à lapremière occasion. Vous ne gagnerez pas.

Elle se prépara à recevoir une nouvelle gifle, mais ilentendit le bruit d'un cheval au galop.

— C'est le shérif Piltson. Le jour va bientôt se lever.Le moment est venu de procéder à notre petite arres-tation.

Il la mit debout sans ménagement. Drew Raleigh seréveilla et se leva à son tour, tandis que Jackson jetaitle reste de café dans les flammes.

Le cavalier mit pied à terre.— Salut, Smoke! Monsieur Trent... (Il se tourna

vers Caitlin et sourit.) Voilà donc notre prisonnière.Eh bien, il ne faut pas se fier aux apparences. Ellesemble inoffensive...

Il s'interrompit et la dévisagea. Très vite, son sourires'évanouit. Mais Caitlin avait déjà reconnu la dent enor et les cheveux roux du nouvel arrivant.

— Vous êtes le voleur de bétail, souffla-t-elle. L'as-sassin. Vous avez abattu de sang-froid Skeeter Biggs et

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Otter Jones. Et vous avez essayé de me tuer. Vous n'êtespas plus shérif que moi !

— Vous vous trompez, ma petite dame. Regardez!dit-il en tapotant fièrement son étoile de shérif d'undoigt crasseux. Le bon peuple de Squirrel Gulch m'aélu. Vous devez me confondre avec un autre.

Il sourit de nouveau, exhibant ses dents en or. Leshérif Piltson n'était autre que Hurley Biggs, le malfai-teur recherché !

Elle fut envahie de colère et de peur, en songeant àces quatre hommes sans pitié qu'allait affronter Wade.Il ne méritait pas d'être entraîné dans ce guet-apens.Après tout, c'était elle que Trent voulait...

Soudain, une idée lui vint. Elle se tourna vers lui :— J'accepte de vous suivre, à condition que

nous partions tout de suite. Nous irons où bon voussemblera. Je ne résisterai pas. Mais renvoyez ceshommes. Nous retournerons ensemble à Philadelphie.Je ne veux impliquer personne d'autre dans cetteaffaire.

— Wade Barclay est pourtant impliqué, répliquaTrent.

— Ce n'est pas nécessaire.— Vous oubliez votre sœur. Vous n'allez pas l'aban-

donner, tout de même ?À l'agonie, Caitlin parvint toutefois à se ressaisir.— Wade s'occupera d'elle. Nous n'aurons à nous

soucier que de nous deux, Dom... Dominic.Elle dut se forcer à prononcer son prénom, malgré

son dégoût. Elle demeura haletante, priant pour qu'ilaccepte. Elle croisa son regard, implorante, prête às'humilier afin de sauver Wade.

Soudain, Trent s'approcha et la secoua par lesépaules.

— C'est moi qui décide, pas vous. C'est moi quisouffre de terribles maux de tête depuis que vous m'avezfrappé. C'est moi qui veux vous faire payer, et qui vaisdécider comment. Ma vengeance commence par WadeBarclay.

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Il la repoussa si brutalement qu'elle s'écroula dansla poussière. Le coude et la joue égratignés, elle ravalases larmes de désespoir.

Dominic donna des ordres à ses complices, maisCaitlin les entendit à peine.

Frigorifiée et terrorisée, elle savait désormais que lamort serait au rendez-vous, et qu'elle ne pourrait rienfaire pour l'empêcher.

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Sous un ciel teinté de mauve annonçant l'aube, uncavalier solitaire se dirigeait vers Wolf Cave.

Les hommes le regardaient approcher. Obéissant àun signe de Trent, Smoke Jackson tira un coup de feuen l'air. Le cavalier fit halte et scruta l'horizon. Puis ilrepartit au galop vers le piton rocheux d'où provenaitle tir.

Caitlin sentit son cœur s'emballer. Furieuse, elle tirasur les menottes qui l'entravaient.

Trent la saisit par les cheveux, dont les bouclesblondes pendaient sur ses épaules.

— Nul ne vous aime autant que moi, souffla-t-il àson oreille. Nul ne risquera sa vie pour vous. Vousallez voir...

Elle ne répondit pas. De toute façon, elle était inca-pable de prononcer un mot, tant le danger encourupar Wade lui brisait le cœur. Trent lâcha ses cheveuxet enroula un bras autour de son cou, tel un serpent,pour la plaquer contre lui. Elle sentit le contact froidd'un canon de fusil contre sa tempe...

Scrutant le petit groupe sous le bord de son cha-peau, Wade évalua la situation. Quatre hommes, etCaitlin. Son pouls résonna furieusement dans sesoreilles. Il brûlait d'envie de dégainer et d'appuyer surla gâchette, mais son adversaire tenait la jeune femmeen joue.

Doucement, se dit-il. Patience. La voix de la raisonl'emporta. Caitlin semblait si pâle, si fragile. Wadeaurait tout donné pour chasser la peur de son regard.Il dut lutter contre l'envie de se précipiter vers elle et

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la libérer de cette ordure. Il prit une profonde inspira-tion. Parmi les trois autres, il reconnut Smoke Jack-son, le chasseur de primes. En revanche, le shérif auxcheveux roux lui était inconnu. Il plissa les yeux. Sasilhouette lui était toutefois familière...Wade ne vit personne derrière les rochers ou dans lagrotte, mais il devait rester vigilant.— Par ici, on réserve un traitement spécial auxhommes qui maltraitent les femmes, dit-il à Trent.Celui-ci eut l'air surpris, puis il se ressaisit :— C'est bien, ça, Barclay. Pour un pauvre régis-seur du Wyoming, tu as de la jugeote. N'est-ce pas,Caitlin ?Il appuya plus fort le canon de son arme sur latempe de la jeune femme qui retint son souffle, lesyeux rivés sur Wade.— Tu devrais la lâcher, reprit posément Wade.Pourquoi te cacher derrière une femme? Je t'écoute-rai, même si Caitlin ne te sert pas de bouclier.— Jette tes armes à terre, Barclay ! Ensuite, on dis-cutera.— Non ! cria la jeune femme au moment où il allaitobéir.— Doucement! intervint Jackson en braquant soncolt sur Wade.Tandis que celui-ci posait les mains sur ses revol-vers, Caitlin se mit à l'implorer :— Ne fais pas ça, Wade ! Il va te tuer de sang-froid.Il est capable de tout !— Calme-toi, chérie, répondit-il d'une voix douce.Écoutons ce que notre citadin a à déclarer.— Jette tes armes par ici, reprit Trent. Très bien.— A présent, lâche-la, ordonna froidement Wade.Mais Dominic se contenta de rire et garda le brasenroulé autour du cou de sa captive.— C'est moi qui commande, Barclay. Pas toi.Le roux émit un rire gras.— Tu as apporté l'acte ?Quel acte ? se demanda Caitlin. L'acte de propriétéde Cloud Ranch ! Soudain, la terre s'écroula sous ses

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pieds. Son sang se figea dans ses veines, les battementsde son cœur devinrent assourdissants.Trent voulait mettre Wade face à un cruel dilemme :la sauver ou garder Cloud Ranch. C'était un planmachiavélique. Mais quel était le rôle de Drew Raleigh?Il était évident. Si Wade renonçait à l'acte, Raleigh rece-vrait en récompense ce qu'il convoitait pour son entre-prise. Mais si Wade refusait... Elle fut saisie d'unenausée. S'il refusait, elle saurait sans l'ombre d'undoute que Cloud Ranch comptait plus qu'elle-même àses yeux.Incrédule, elle vit Wade sortir le document de sapoche.— Viens le chercher, Trent.— Non, fit-il avec un sourire. Shérif?Piltson prit vivement le document, puis recula dequelques pas pour l'examiner. Il hocha la tête.— On dirait qu'il est authentique...Dominic acquiesça.— Tu es un homme intelligent, Barclay. Je supposeque tu tiens à notre ravissante amie, finalement. Leproblème est de savoir jusqu'à quel point. Que vaut-elle, à tes yeux? D'après ce que je sais, vous... avez lebéguin l'un pour l'autre, comme on dit.— Je ne te laisserai pas la tuer.— Allons, allons, je suis sûr que tu peux exprimerplus d'affection encore, railla Trent. Ce n'est pas unefaçon de gagner le cœur d'une dame.— Vous imposer à elle en est donc une? rétorquaCaitlin.Dominic resserra son emprise.— Lâche-la, Trent ! lança Wade.— La lâcher? fit Dominic avec un rire cruel. Non,Barclay. Elle va rester avec moi. En fait, je l'emmène.Nous rentrons à Philadelphie, où elle sera jugée.— Jugée ? Qu'est-ce que tu racontes ?— Ah, tu ne savais pas? Elle m'a agressé. Elle m'avolé une bague, un héritage familial hors de prix. Pourl'obtenir, elle a failli me tuer. J'ai des témoins et despreuves. La loi est de mon côté, ajouta-t-il en désignant

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Piltson. La justice l'attend dans l'Est. Elle sera enfer-mée pour longtemps. Si je décide de la poursuivre.

— Pourquoi as-tu besoin de lui ? demanda Wade endésignant le chasseur de primes.

— Un peu plus de protection ne fait pas de mal. Jevais traverser une région sauvage, avec une prison-nière dangereuse. Je tiens à ce que nous arrivions tousdeux sans encombre au tribunal.

Drew Raleigh fit un pas en avant. Après une nuit à labelle étoile, il avait perdu de sa superbe.

— Les choses peuvent se dérouler autrement, Bar-clay, déclara-t-il. Je suis là pour conclure un accord.M. Trent m'a garanti que si vous cédiez votre part duranch à la société que je représente, et si vous vousengagez à persuader vos frères et Mlle Summers d'enfaire autant, il relâchera Caitlin et renoncera auxpoursuites.

Le silence s'installa sur Wolf Cave. La jeune femmedévisagea Wade. Cloud Ranch était toute sa vie. Il enaimait chaque parcelle, chaque arbre, chaque pierre.En signant cet accord, il aurait l'impression de perdreune partie de lui-même. C'était impensable. Mais ellele connaissait. Il avait le sens de l'honneur et des res-ponsabilités. Il allait sacrifier Cloud Ranch pour elle.

— Non, Wade, implora-t-elle. Ne fais pas ça. Je memoque de passer en jugement. Trent ne peut rien prou-ver. De toute façon, je ne lui ai rien volé...

— Silence ! C'est à Barclay de décider, coupa Trenten appuyant l'arme sur sa tempe. Manifestement, Cait-lin ne sait pas ce qu'elle dit. J'ai des témoins qui confir-meront les faits. J'ai un homme de loi qui a entenduses aveux...

— Il ment, Wade ! Je n'ai jamais avoué. C'est uncoup monté !

— Non, petite demoiselle, je vous ai entendue, inter-vint l'homme aux cheveux roux.

— Il n'est même pas shérif! s'écria Caitlin. Wade,c'est Hurley Biggs. Je le reconnais !

Dominic la fit pivoter et la frappa violemment auvisage. Elle s'écroula.

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Wade fit un pas en avant, mais Smoke Jackson et leroux braquèrent leurs armes sur lui.— Ne bouge pas ! ordonna le chasseur de primes.Wade avait les yeux rivés sur la jeune femme. Elle seredressa et porta ses mains menottées à son menton.— Le prochain qui lève la main sur elle ira grilleren enfer ! gronda-t-il.— Tu n'es pas en mesure de proférer des menaces,répliqua Trent. Tu as jeté tes armes. Comment vou-drais-tu tuer qui que ce soit ?— Tu as envie de le découvrir, Trent? lança Waded'un ton menaçant.Même sans arme et seul contre quatre, il étaitimpressionnant.— Je signerai le document, reprit-il. Je signerai toutce que tu voudras. Mais laisse Caitlin me rejoindre.Encore étourdie par la violence du coup, celle-citressaillit.— Non, Wade... il ne faut pas...— Caitlin, viens. Viens par ici.— Pas question ! hurla Dominic.Il était furieux de constater que le régisseur n'avaitpas eu la réaction escomptée. Et à mesure que le jourse levait dans le ciel limpide, il perdait de sa morgue.La lumière du jour lui faisait mal à la tête. Tout celapar la faute de Caitlin. Et de Barclay.Barclay avait tout gâché. Loin d'être anéantie, Cait-lin savait désormais que Wade était prêt à tout sacri-fier pour elle.En proie à la rage et la douleur, il perçut la voix loin-taine de Raleigh :— Écoutez, Barclay, signez l'accord et donnez-le-moi. Je vous amènerai Caitlin.— Tu ne crois tout de même pas que je vais la relâ-cher, Raleigh ? demanda Dominic d'un air cruel. Quelleque soit la décision de Barclay, son destin est scellé. Situ ne l'as pas compris, c'est que tu es encore plus stu-pide que je ne le pensais. Elle reste avec moi, mainte-nant et à jamais. Tu n'as été qu'un instrument, rien deplus. Je n'ai plus besoin de toi.

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Consterné, Raleigh le dévisagea.— Nous avions conclu un accord, Trent, bredouilla-t-il. Si tu ne tiens pas parole, je... je n'aurai d'autresolution que de me retirer immédiatement de l'affaire.— Pas de problème, Raleigh. Tu n'en fais plus partie.Drew Raleigh fit la grimace, rouge de colère.— Si tu mènes Caitlin au tribunal, je te jure que jejouerai de mon influence pour te discréditer...Dominic braqua son arme sur Raleigh et fit feu. Envoyant Drew s'écrouler, Caitlin se mit à hurler.Puis tout bascula. En un éclair, Wade sortit un revol-ver de sa botte. Jackson et lui firent feu en même temps.Touché d'une balle dans le ventre, le chasseur de primesbascula en arrière.Saisie d'effroi, Caitlin vit Wade chuter à son tour,la chemise tachée de sang.Sans réfléchir, elle se rua sur Trent et parvint àdétourner son pistolet au moment où il appuyait surla gâchette. Tous deux tombèrent à terre. Dominic cher-cha à l'immobiliser sous son poids. Mue par le déses-poir, l'amour, la rage, elle se dégagea et crispa lespoings pour le frapper.Abasourdi, il mit une seconde à réagir.— Tu vas me le payer, gronda-t-il entre ses dents.Ça, et tout le reste !Son masque d'assurance s'effritait, pour laisserplace à une folie meurtrière.— Toi et ton régisseur, vous allez me le payer !De nouveaux coups de feu retentirent. Quelqu'untirait sur Piltson depuis le sommet d'un rocher. Levoleur de bétail riposta. Caitlin leva les yeux, mais lesoleil l'aveuglait. Elle ne distingua qu'une imposantesilhouette, qu'elle aurait juré être celle de Wade. Orcelui-ci était en train de se vider de son sang, à quelquesmètres de là... Nick! C'était Nick!Piltson et Nick s'affrontèrent. Puis Trent se mit àtirer sur Nick également.Ensuite, tout se déroula si vite que Caitlin n'en gardaqu'un souvenir flou. Sans réfléchir, elle alla ramasserl'un des revolvers de Wade, restés à terre, et le saisit à

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deux mains. Tandis que Trent cherchait à localiserNick, elle leva les bras et l'abattit de toutes ses forcessur son crâne. Il y eut un craquement sinistre. Domi-nic s'écroula.Une nouvelle fusillade éclata. Le voleur de bétailpoussa un cri et tomba à son tour avec un bruit sourd.Oubliant ses propres blessures, Caitlin se précipitavers Wade, qui gisait dans une mare de sang.— Wade! Oh, non! Non! Tu n'as pas le droit demourir !Luttant pour ne pas s'évanouir à la vue de tout cesang, elle chercha autour d'elle de quoi endiguer l'hé-morragie. Son châle était toujours sur le siège de lavoiture. Elle s'en servit pour compresser la plaie.— Wade, écoute-moi. Tu ne peux pas mourir. Je neveux pas !— Toujours aussi... autoritaire, murmura le blesséd'une voix à peine perceptible.Il ouvrit lentement les yeux. La jeune femmes'agrippa à lui.— Oui, c'est moi, fit-elle. Avec tous mes défauts. Jet'ordonne de rester avec moi, mon amour.— Je... ne compte aller nulle part.— C'est ça.Il fallait qu'elle l'empêche de se vider de son sang,qu'elle le porte jusqu'à la voiture pour le conduire enville. Il lui fallait un médecin, et vite! Le sang com-mençait à traverser le châle.Elle en eut les larmes aux yeux.— Tu... tu pleures...— Ce n'est pas grave.— Tu... ne pleures jamais. II... t'a fait du mal?— Non, ça va. Je vais chercher la voiture deRaleigh. Il faut regagner Hope...— Non, ne pars pas... il faut que je te dise...— Je reviens tout de suite, c'est promis, assura-t-elle, au bord des larmes.— Non, écoute. Je... je t'aime.Elle se mordit la lèvre.— Moi aussi, je t'aime, mais je dois aller chercher...

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— Écoute-moi.Elle demeura pétrifiée, le cœur brisé, et plongeadans son regard.— D'accord, fit-elle d'une voix tremblante.— Je... Si tu ne veux pas rester à Cloud Ranch, nousirons ailleurs... n'importe où. Là où tu voudras. Je neferai pas comme... Reese. Je te suivrai, Caitlin. Car jet'aime plus que tout au monde. Ne... ne me quitte pas...Elle fondit en larmes.— Jamais je ne te quitterai, Wade. Jamais. Je reste-rai à Cloud Ranch. Tu vas guérir et nous formerons unefamille, mon amour. Toi, moi et Becky. Nous auronsdes enfants. Autant que tu voudras. Mais je dois abso-lument te conduire auprès d'un médecin...— Auprès d'un croque-mort, tu veux dire! fit unevoix dure dans son dos.Caitlin fit volte-face. Dominic Trent était debout,chancelant. Un filet de sang coulait de sa tête, macu-lant ses vêtements. Ses yeux scintillaient d'une ragemeurtrière. Il leva son arme et visa Wade.— Non ! cria la jeune femme en entendant la déto-nation.Aussitôt, Trent s'écroula dans la poussière. Elle crutpercevoir la voix de Nick, au loin. Comme dans unrêve, elle se tourna vers Wade.— Qui... va avoir besoin d'un croque-mort, mainte-nant? murmura-t-il en esquissant un sourire doulou-reux.Puis il ferma les yeux.

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Les jours et les nuits s'enchaînèrent. Les heuresinterminables s'égrenaient dans la peur.Caitlin perdit vite toute notion du temps. Elle ne vivaitplus que pour Wade. Elle le veillait dans son sommeilfébrile. Lors de ses rares moments de lucidité, il nesemblait pas la reconnaître. Elle lui faisait avaler dubouillon à la cuillère, lui épongeait le visage, tout en luiparlant d'une voix douce.Durant la nuit, elle priait avec ferveur. Il n'y avaitrien qu'elle puisse faire de plus.Assise dans un fauteuil à bascule, elle l'observait sousle soleil. Elle songeait aux paroles d'amour qu'il avaitprononcées, aux sacrifices qu'il avait été prêt à fairepour elle. Wade lui avait prouvé son amour et lui avaitsauvé la vie, au risque de perdre la sienne. Elle s'envoulait d'avoir douté, d'avoir été si faible.Reviens, Wade. Je t'aime. Plus jamais je ne tairaimon amour...Mais il était peut-être trop tard.Pourvu que nous ayons une deuxième chance...Elle ne se retourna pas, en entendant la porte s'ouvrir.— Fait-il des progrès, senorita ?Caitlin secoua la tête. La gouvernante posa unemain sur son épaule.— Vous avez passé la nuit dans ce fauteuil, n'est-cepas?— Cela n'a pas d'importance.— Descendez manger un vrai repas. Senor Nick etsenor Clint ont bu leur café. Ils vont monter veillerleur frère, pendant que vous...

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— Non. Je tiens à rester encore.Nick avait envoyé un télégramme à Clint dans leColorado. Celui-ci était arrivé la veille en fin de jour-née, épuisé, couvert de poussière, et fou d'inquiétude.Il était aussi séduisant que son aîné. Caitlin était ras-surée par la présence des frères Barclay. Ils étaientrobustes, pleins d'énergie, et possédaient une volonté àtoute épreuve, qu'ils tenaient de Reese. Grâce à cettevolonté de fer, Wade ne baisserait pas les bras et seremettrait de ses blessures.— Vous êtes sûre, senorita ? Senor Wade n'aimeraitpas que vous tombiez malade.— Je vais bien, Francesca. Je descendrai tout àl'heure.La gouvernante poussa un soupir. Cela faisait desjours que la jeune femme répétait la même chose.— Il y a les biscuits de Mme Weaver. La senoritaPorter a apporté une tarte aux pêches.Caitlin hocha la tête et sourit tristement.— Tout le monde est très gentil. Vous aussi, Fran-cesca. Merci.— Votre sœur se fait du souci pour vous, commenous tous.— C'est pour Wade qu'il faut vous inquiéter.— Il est très fort. Le docteur a peut-être des doutes,mais moi, je le connais. Il s'en remettra.— Oui... Merci, Francesca. Il s'en sortira.La gouvernante s'éclipsa.Elle prit la grande main inerte de Wade dans lasienne. Malgré ses paroles, elle avait un terrible pres-sentiment. Pour l'heure, elle devait se montrer coura-geuse et ne pas perdre espoir.— Wade, je sais que tu m'entends, murmura-t-elle.Je suis là, près de toi. Nous allons passer le reste denotre vie ensemble. Nous nous aimerons toujours.Le blessé avait le sommeil agité, le front moite,le souffle court. Caitlin lui caressa la main, priant detoute son âme.

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— Elie refuse de le quitter, déclara la gouvernanteen secouant la tête. Elle reste à son chevet jour et nuit.Bientôt, c'est elle qui aura besoin du médecin.

— Ne t'en fais pas, Francesca, assura Clint en selevant de table. Nous la porterons jusque dans la cui-sine, s'il le faut.

Elle opina du chef et s'éloigna.— On dirait que notre cher frère a trouvé une

femme aussi têtue que lui, déclara Clint.— Cela ne fait aucun doute, répliqua Nick. Pour

l'heure, il faudrait qu'il utilise ce trait de caractèrepour guérir.

Il se frotta les yeux. Depuis la fusillade, il avait àpeine dormi.

— Si seulement j'étais arrivé quelques minutes plustôt... soupira-t-il. Cela faisait des jours que je traquaisBiggs. Je me doutais qu'il se faisait passer pour le shérifPiltson. Si...

— Heureusement que tu es arrivé, coupa Clint. Cequi est fait est fait. Il ne sert à rien d'avoir des regrets.Nous ferions mieux de forcer Caitlin à manger.

— Tu as raison. Si elle tombait malade, Wade nousen voudrait. Si tu voyais comment il la regarde...

— Alors occupons-nous d'elle, décréta Clint enentraînant son frère. Fais-la venir à la cuisine. Pendantce temps, je veillerai sur Wade. Peut-être se réveillera-t-il si je lui chante une chanson ? suggéra Clint d'un tonenjoué, malgré la gravité de son expression. Il a tou-jours trouvé que je chantais faux.

Nick cherchait lui aussi à sauver les apparences,mais aucun des deux n'imaginait la vie sans leur aîné.Ils avaient déjà perdu Reese. Or le médecin estimaitque s'il ne reprenait pas bientôt connaissance, Wadene se réveillerait sans doute jamais.

La maison était silencieuse, sinistre. A la fenêtre dubureau, Caitlin regardait Becky et le chien, installéssous un arbre. La fillette était en train de fabriquer un

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bracelet en boutons-d'or. La tête de l'animal reposaitsur ses genoux.La veille, Caitlin avait entendu sa sœur pleurer.— Je ne veux pas que Wade meure! avait-elledéclaré.— Il ne va pas mourir. Il est fort. Il va se remettre.— C'est promis ?— Je... je ne peux pâs te le promettre, avait réponduson aînée en l'enlaçant. Mais j'ai la foi. Il faut y croire,toi aussi.— Nous avons déjà perdu papa et maman. Et toi, tuas perdu Reese. Ce n'est pas juste.— C'est vrai, la vie est parfois injuste. Il faut s'yfaire et garder l'espoir.— Wade est le meilleur, le plus beau... S'il guérit, tuseras plus gentille avec lui, n'est-ce pas ?— Et comment! avait assuré Caitlin en l'embras-sant. Je compte même l'épouser.À présent, assise dans le fauteuil en cuir de son père,la jeune femme se disait que sa vie avait totalementchangé, depuis son arrivée à Cloud Ranch. Devantelle étaient posées les lettres de Reese. Elle les avaitpresque oubliées, mais elle s'était enfin décidée à leslire.Ses propres missives ravivèrent des souvenirs dou-loureux, mais elle eut encore plus de peine en prenantconnaissance de celles de son père.

Ma chère enfant,Tu ne te souviens sans doute pas de moi, mais moi, jene t'ai jamais oubliée. Quand tu étais toute petite, je teberçais dans mes bras chaque soir, je te chantais deschansons en regardant les étoiles. Tu me souriais, avantde t'endormir paisiblement.Je sais que tu es une grande fille de sept ans, main-tenant. J'aimerais tant te voir, t'inviter à Cloud Ranch!C'est un endroit superbe. Tu l'aimerais. Nous poumonsaller nous promener au bord de la rivière, faire du che-val en montagne. Je choisirais pour toi le plus beaucheval.

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Cela te plairait? Dans ce cas, écris-moi, et je m'arran-gerai avec ta maman. Je t'aime, ma fille chérie. Tu es mapetite fille et tu le seras toujours.

Tendrement, ton papa.

Il y en avait d'autres, une par an, des lettres empliesd'amour. Caitlin en eut le cœur transpercé. Elle avaitla preuve que son père l'aimait, qu'il ne l'avait jamaisabandonnée. À sa mort, il l'avait confiée à Wade,l'homme le plus courageux, le plus honnête qui soit.L'homme qu'elle avait appris à aimer de toute sonâme. Si seulement Reese l'avait su...Qui donc l'avait séparée de son père, pendant toutesces années ? Qui avait caché ces lettres ?Elle se frotta les yeux, entendant des pas dans lecouloir.— Caitlin ? fit Winifred Dale en passant la tête dansl'entrebâillement de la porte. Francesca m'a dit que jevous trouverais ici... Puis-je entrer?— Bien sûr.— Comment va Wade? s'enquit Winifred, l'air sou-cieux.— Pas de changement, soupira la jeune femme.Mais il se réveillera peut-être aujourd'hui. J'allais jus-tement monter...— Je ne vous retiendrai pas longtemps. Je vous aiapporté du ragoût. Je me souviens, quand il était petit,c'était le plat favori de... (Sa voix s'éteignit.) Qu'avez-vous ?— Vous veniez souvent déjeuner ici, du temps demon père ? demanda Caitlin en réprimant un frisson.— De temps à autre. Je vous l'ai dit, nous étionsbons amis.— Seulement amis... durant toutes ces années?— Oui, amis.— C'était un homme séduisant, gentil, généreux. Ilne devait pas être difficile de tomber amoureuse de lui.— Eh bien, je le suppose, bredouilla Winifred en rou-gissant. Reese et moi aimions partager des momentsd'amitié. Nous nous entendions bien. Dans la région,

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tout le monde savait qu'il aimait toujours votre mère. Jele savais aussi, alors je n'ai jamais...

— Vous ne vous êtes jamais permis de tomberamoureuse? fit Caitlin en la regardant dans les yeux.Mais l'amour, cela ne se commande pas. Vous n'avezpas succombé ?

Winifred resta bouche bée. Puis, soudain, elle baissala tête.

— Oui... oui, je l'aimais, murmura-t-elle. Commentne pas l'aimer?

La pièce se mit à tourner. Caitlin dut se retenir aubureau.

— C'est pour cela que vous avez intercepté notrecourrier ?

— Votre... courrier? J'ignore de quoi vous parlez.Mais en voyant le ruban rose et les lettres sur le

bureau, elle blêmit.— Dites-moi la vérité, Winifred. Il est temps. Quel-

qu'un m'a remis ce paquet de lettres, pendant le bal.Est-ce vous ?

Winifred parut sur le point de prendre ses jambes àson cou. Son visage exprimait la peur et la honte. Dansun gémissement de douleur, elle porta les mains à sonvisage.

— Oui, avoua-t-elle. Je voulais vous en parler dès ledépart, mais... j'ai eu peur que vous ne me détestiez enapprenant la vérité. Je m'en veux terriblement.

Caitlin dut lutter pour ne pas se laisser attendrir parces larmes. Une sourde colère l'envahit.

— Comment avez-vous pu penser qu'une enfantvous menacerait ?

— Vous ne comprenez pas, sanglota Winifred, ten-dant désespérément les mains vers la jeune femme, quirecula. Il voulait que Lydia revienne! Il en rêvait. Ilespérait que la prospérité grandissante de son exploi-tation ferait revenir sa femme. Et sa fille. Il souhaitaitrecréer une grande famille avec les garçons. Je savaisqu'il vous écrivait, car il venait au bureau de poste. Ilfaut me comprendre. J'avais tant d'espoir qu'il m'aimeun jour.:. Vous me comprenez?

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La gorge nouée, Caitlin s'exprima avec peine :— Non, je ne comprends pas. Mais je vous écoute.— J'avais peur que, si vous veniez, Lydia ne vienne

aussi, et qu'elle décide de rester. Mais elle ne méri-tait pas Reese ! Elle l'a abandonné alors qu'il traversaitdes moments difficiles. Je ne voulais pas qu'ellerevienne...

— Elle s'était remariée, coupa froidement Caitlin.Et elle était heureuse en ménage. Elle adorait la vieque lui offrait Gillis.

— Je l'ignorais. D'ailleurs, comment a-t-elle puaimer un autre homme que Reese ? Elle était belle. Ilsuffisait qu'elle revienne et...

Winifred sortit un mouchoir de son réticule et setamponna les yeux.

'— J'ai donc gardé la première lettre de Reese... Jem'en voulais, bien sûr. Je savais que c'était mal... Il étaitdévasté de ne recevoir aucune réponse. (Elle rouvrit lesyeux et poussa un long soupir.) Puis, quand votre lettreest arrivée, j'ai pris peur. J'ai dû la conserver pour nepas éveiller les soupçons. Prise dans l'engrenage, j'aicontinué ce petit manège. J'espérais toujours... Il auraitsuffi qu'il m'aime un peu... et nous nous serions mariés.Alors, je vous aurais accueillie, je vous le jure...

— Vous rendez-vous compte de ce que vous avezfait, Winifred? A cause de vous, je l'ai détesté. J'ai cruqu'il ne voulait pas de moi. A cause de vous, il a souf-fert de mon absence.

— Oui, murmura Winifred avant de fondre enlarmes. Si vous saviez comme j'ai regretté... Et tout cemal pour rien, car Reese ne m'a jamais regardéeautrement que comme une amie.

Caitlin fixa cette femme en qui elle avait eu confiance.La nature humaine était décidément complexe.

— Finalement, rongée par la culpabilité, j'ai apportéles lettres au bal, poursuivit la postière, les doigts cris-pés sur son mouchoir. Je voulais que vous sachiez,mais j'avais peur que vous me soupçonniez. J'ai quandmême pris le risque. J'espère que cela comptera, à vosyeux.

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— Oui, je le suppose, répondit Caitlin, trop abasour-die pour en dire davantage. Mais si vous recherchezmon pardon...

— Non, je n'en demande pas tant. Je vous demandeseulement un peu de compréhension. Je souhaite quevous trouviez la paix, et que vous pardonniez à Reese.

Sur ces mots, Winifred tourna les talons et s'enfuiten courant.

Caitlin demeura pétrifiée un long moment. Puis ellegagna la porte d'entrée et quitta la maison, marchantdroit devant elle.

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Le soleil dardait ses rayons brûlants sur la jeunefemme, devant la tombe de son père. Elle s'était juré dene plus revenir, mais c'était avant qu'elle ne découvrela vérité.— Je t'ai trahie, papa, avoua-t-elle, la gorge serrée.Certes, ce n'était pas entièrement de ma faute, maisj'aurais dû sentir, au plus profond de moi, que tu nem'avais pas abandonnée... Maintenant, il est trop tard.Comme j'aimerais revenir en arrière et te voir une der-nière fois... Mon cœur s'était endurci.Elle s'agenouilla sur la pierre.— Il faut me pardonner.Elle laissa libre cours à ses larmes, bercée par levague souvenir d'un homme grand et fort, à la voixchaleureuse, qui sentait le cigare...Soudain, elle se redressa. Une odeur de cigare l'en-veloppait.— Papa?Elle sut que Reese était avec elle, qu'il lui pardon-nait ses erreurs, qu'il l'aimait.— Je t'aime, souffla-t-elle, ivre de bonheur.Va voir Wade. Tout de suite. Il a besoin de toi...Sentant ces paroles dans son cœur, elle regagnala maison en courant. Sous le porche, elle bousculaNick.— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, les yeux écar-quillés.— Wade est réveillé. Il vous réclame. Je venais jus-tement vous...

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Sans le laisser finir, elle gravit les marches quatre àquatre. Nick lui emboîta le pas.Clint était au chevet de son frère, affichant un largesourire. Wade était assis, pâle, les traits tirés. Maisjamais Caitlin ne l'avait trouvé aussi beau.— Eh bien, tu as pris ton temps, Wade. J'ai crudevenir folle !Elle se précipita et pressa ses mains dans les siennes.— Tu t'es inquiétée pour moi, princesse ? s'enquit-il,le regard clair.— Bien sûr que non, répliqua-t-elle en riant. Pour-quoi m'inquiéterais-je pour un arrogant?— Elle a simplement failli mourir de faim, à forcede te veiller depuis une semaine, grommela Clint.— Une semaine ? répéta Wade sans quitter la jeunefemme des yeux.Elle était rouge de plaisir, mais il distinguait encoreune ecchymose sur sa joue.— Je viens de passer une semaine au lit? s'étonna-t-il.— Exactement, espèce de paresseux ! plaisanta Nicken s'avançant à son tour. Les autres ont dû effectuertout le travail, en veillant sur ta dulcinée qui refusaitde te quitter.— A propos de travail, les garçons... fit Wade, unsourire aux lèvres. Vous n'avez pas des choses à faireailleurs? J'aimerais rester seul avec... ma dulcinée.— Tu es sûr que tu ne préfères pas que je te chanteune autre chanson ? plaisanta Clint.— Il y avait de quoi réveiller un mort... et je tiens àla vie.— Allons annoncer la bonne nouvelle à Becky, sug-géra Nick. Elle était folle d'inquiétude. Quant à Fran-cesca, elle va te mitonner de bons petits plats, pourque tu reprennes des forces.— Je suis encore assez fort pour vous frapper tousles deux, si vous ne déguerpissez pas tout de suite ! pré-vint Wade.Nick et Clint prirent congé et refermèrent la porte.

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Immensément soulagée, Caitlin se sentait renaître.Wade lui caressa les cheveux.— Je ne rêve pas, princesse ? Tu es trop belle pourêtre vraie...— J'ai une tête de déterrée, je le sais bien.Elle se pencha vers lui et l'embrassa tendrement.Wade l'enlaça.— J'ai eu si peur, avoua la jeune femme. Si peur dete perdre...— Il faudrait plus d'une balle pour m'abattre, fit-ild'une voix assurée, les yeux pétillants. Et je ne voulaispas te laisser partir.— Cela n'arrivera pas, promit-elle. Je reste. D'ail-leurs, si je partais, qui corrigerait tes erreurs de calcul?Il la serra contre lui.— Seigneur, se moqua-t-elle, tu es bien vigoureuxpour un blessé. Je vais te laisser te reposer...— J'irai bien, tant que tu seras près de moi. Pro-mets-moi de ne pas partir.— Seulement si tu promets de m'épouser, dès quetu seras remis.— Je t'épouse demain, si tu veux.— Pas question, répliqua-t-elle en pinçant les lèvres.Je veux un vrai mariage, et un marié en pleine santé.— Je le suis.— On verra, murmura-t-elle d'un air rêveur. D'iciquelques jours, je déciderai si tu es en état de suppor-ter un mariage... et une lune de miel.— Si j'avais su que je tomberais amoureux d'unefemme aussi autoritaire...Caitlin se sentit à nouveau enveloppée d'amour.— Wade...Elle s'interrompit. Il semblait fatigué. Ce n'était pasle moment de lui parler des lettres et de Winifred. Ilsavaient toute la vie pour s'expliquer.— Je t'ordonne de te reposer, chuchota-t-elle enl'embrassant. C'est mon tour de m'occuper de toi.— Attention, je risque d'y prendre goût, répondit-ilavec un sourire qui fit naître en elle un intense bon-heur. Parce que je t'aime.

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— Je serai là, près de toi, fit-elle tandis qu'il fermaitles yeux. Parce que je t'aime aussi.Soudain, l'avenir leur paraissait lumineux sous leciel du Wyoming.

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Épilogue

Le mariage se déroula à merveille.Un beau jour de juin, Caitlin Summers et Wade Bar-

clay s'unirent dans le grand salon de Cloud Ranch,entourés de leurs amis et de la famille. La jeune femmeavait l'impression de vivre un rêve, mais elle se sentaitplus vivante que jamais.

Avec sa robe de satin blanc, parsemée de boutons deroses, et son petit bouquet assorti, elle avait tout d'unange. Écoutant à peine les paroles du pasteur, Wadeeut l'impression de la voir scintiller sous le soleil quifiltrait par les fenêtres.

Les boucles blondes de Caitlin étaient relevées enchignon et ornées d'un diadème en perles, sous unevoilette de dentelle.

Ils échangèrent leurs vœux sous le regard attendri del'assistance. Edna et Francesca ne purent retenir leurslarmes. Tous les cow-boys du ranch étaient présents,chapeau à la main, ainsi que le notaire. Le club de cou-ture de Hope remit aux jeunes mariés un édredon dansles tons bleus.

Winifred Dale avait quitté la ville depuis deuxsemaines pour s'installer chez sa sœur, dans l'Iowa.Avant son départ, Caitlin était allée lui rendre une der-nière visite, afin d'annoncer qu'elle lui pardonnait. Ellene voulait pas passer le reste de sa vie dans l'amertume.Elle ne souhaitait que la paix, l'amour et le bonheur.

Becky se réjouissait de vivre à Cloud Ranch. Ellevoyait en Wade le meilleur des grands frères. Lorsquele pasteur déclara que les mariés pouvaient s'embras-ser, l'enfant sourit d'un air malicieux.

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Dès que les lèvres de Wade effleurèrent les siennes,Caitlin oublia tout, pour se laisser emporter dans untourbillon de joie. Leurs cœurs battaient à l'unisson.

Attendrie et souriante, Luanne Porter assista à lascène au bras de Jake Young. Celui-ci venait de lademander en mariage. Jamais un homme ne l'avaitregardée ainsi. Leur amour, né de deux déceptionssentimentales, n'en était que plus magique. Ils savaientqu'ils seraient aussi heureux que Caitlin et Wade.

Au moment où l'assistance se mettait à rire devantce baiser qui s'éternisait, Wade s'écarta enfin. La jeunefemme ressentit alors la présence de son père. Uneodeur de cigare flotta dans l'air, avant de disparaître.Reese aurait été heureux de la voir épouser un hommequ'il considérait comme son fils. Elle le remercia ensilence de l'avoir fait venir à Cloud Ranch.

Ensuite vinrent les réjouissances, le gâteau, le Cham-pagne, les félicitations des invités. Quand le jeunecouple regagna enfin sa chambre, Caitlin trouva uneboîte posée sur le lit.

— Ton cadeau de mariage, expliqua Wade.Elle découvrit un somptueux chapeau, orné de

petites roses jaunes et blanches, avec des rubans roseset lavande et des perles.

— Il est superbe ! s'exclama-t-elle, le souffle coupé.Où donc l'as-tu trouvé?

— Il vient de Paris, répondit-il avec un sourire irré-sistible. Nell Hicks a réussi à obtenir un catalogue...enfin, qu'importe ! Il remplacera celui que tu as perdu,le jour de notre rencontre.

— Le jour où tu m'as abandonnée en pleine rue, luirappela-t-elle.

— J'ai failli commettre la plus grosse erreur de mavie, admit-il en la soulevant dans ses bras pour la fairetournoyer. Cela ne se reproduira pas.

— C'est promis ?— Parole d'honneur.— Si j'essayais mon nouveau chapeau? suggéra-

t-elle en posant une main sur sa joue.

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Il la déposa sur le lit, avant d'étaler sa chevelure surl'oreiller.— Nous avons mieux à faire, dans l'immédiat.Les yeux brûlant de désir, il l'embrassa. Caitlin futparcourue d'un frisson d'impatience. Aussitôt, il entre-prit de dégrafer les boutons de sa robe.— Si tu insistes... susurra-t-elle en lui ôtant sa che-mise.Ils s'aimèrent toute la nuit avec douceur et passion,s'abandonnant à l'intensité de leur amour.Aux premières lueurs de l'aube, repus, ils s'endormi-rent dans les bras l'un de l'autre.À leur réveil, Dawg aboyait furieusement. Beckyriait près de la grange, parmi les chevaux.Je suis enfin chez moi, songea la jeune femme enembrassant Wade.