dastur - phénomenologie en questions

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  • 8/12/2019 Dastur - phnomenologie en questions

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    84 LE MOI ET L'AUTREtotalement nouvelle etc est pourquoi elle a besoin de points de dpartstotalement nouveaux et dune mthode totalement nouvelle, qui la distingue, parprincipe, de toute science naturelle La mthode des sciencespositives est essentiellement une mthode de vrification qui cherche laconfirmation de l'hypothse par un retour au donn , aux phnomnes, c'est--dire ce que toute science positive se donne par avancecomme son objet et qu'elle doit, pour se raliser, ncessairement prsupposer. Laphilosophie, par contre. ne peut rien prsupposer, elle ne peuts'appuyersur aucun donn pralable qu'ellen'aurait pas soumis examen.C'est ce que souligne Husserl dans le Nachwort que nous avions dj citen commenant: La philosophie est science de la fondation dernire, ouce qui est quivalent. elle est elle-mme sa justification dernire; aucunevidence allant de soi (keine Selbstverstiindlichkeit) [...] ne pourra donc yfigurer commebasede connaissance admise sans examen 2.

    La mthode de la philosophie ne peut donc s apparenter ni lamthode de vrification propre aux sciences de la nature, ni la mthodedmonstrative propre aux mathmatiques 3, car il ne s agitpas pourHusserlde rendre la philosophie scientifique en prenant modle sur les sciencesdj constitues (au sens du projet kantien de la rvolution copernicienne), mais bien de comprendre que la philosophie constitue par ellemme 1ide de science, qu 'elle st la science par excellence. Elle exigedonc une mthode nouvelle, foncirement nouvelle 4 par laquelle elle sedonne elle-mme son propre terrain et ses propres prmissess. Cettemthode c'est la mthode rductive qu'on trouve dj esquisse dans lesRecherches logiques de 1901 et qui se prsente de manire sys tmatiquesous le nom de rduction phnomnologique dans L ide de la phno-mnologie en 1907.

    Mais avant d'exposer en quoi consiste la rduction, l importede mettreen vidence l'identit que constitue, pourHusserl, mthode et phnomnologie, faute de quoi la rduction pourrait apparru tre comme un simpleprocd ou une simple technique d'accs aux phnomnes que Husserlnomme purs, lesquels une fois atteints nauraient plus besoin de la dmarche rductive pour devenir les objets d'une science nouvelle, la phnomnologie. Nous verrons au contraire que 1'epokh de Husserl se distingue dela dmarche cartsienne quelle prend cependant pour modle en ceci que,

    1. E. Husserl,L'idede la phnomnologie, Paris,P.U.F., 1985, p. 46.2. E. Husserl,Nachwort,op. cit., p. 139, trad. lgrement modifie p. 180 .3. Cf. E.Husserl, L Ide de la phnomnologie, op. cit., p.48: La plus rigoureusemathmatique et science mathmatique de la.nature n a pas, ici, la moindre supriorit parrappon une connaissance, reUe ousuppose teUe, de 1'expriencecommune .4./bid.5./bid. p. 51.

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    RDUCilON ET INTERSUBJECTIVIT 85 l inverse du doute mthodique et hyperbolique, elle est dfinitive.Descartes doute poursortir du doute et trouver ce qui seul rsiste au doute :l indubitabilit du cogito. Husserl pratique lui aussi l pokh, cest--direla suspension de la position du monde, l abstention de la croyance enl existence du monde, pour tablir du monde une science vritable, maiscette science ne s tablit pas , coDUl le chez Descartes, contre le doute etpour rfuter le scepticisme, ce qui, soulignons-le, exige la garantie de lavracit divine et lie donc indissolublement chez Descartes mtaphysiqueet thologie. La phnomnologie s tablit au contraire l intrieur del epokh, comme science de 1essence vritable de la conscience, laquelleessence demeure ferme 1attitude naturelle de croyance en lexistence dumonde - ce qui conduit Husserl chercher la solution du problme de laconnaissance non pas dans la thologie, mais uniquement dans l gologie ns agit donc de se maintenir dans l epokh, caren dehors delle i ln estpas de philosophie possible. Cest la raison pour laquelle la phnomnologie est, pour Husserl, essentiellement un concept de mthode et non pasunescience caractrise parson contenu : Phnomnologie dsigne avanttout une mthodeetune attitude de pense :1attitude de pensespcifiquementphilosophiqueet lamthode spcifiquementphilosophique dclaret-il dans L ide de la phnomnologie2 La phnomnologie nest nullement la science de nouveaux objets -les phnomnes - qui lui seraientpr-donns et auxquels i l sagirait de fournir le mode daccs adquat, maisla recherche de ce qui est vritablement phnomne, savoir ni lephnomne au sens courant, c est--dire la chose du monde telle quelle seprsente la conscience, ni le phnomne au sens philosophique traditionnel, cest -dire 1apparence que le chose offre au regard et qui se distinguede son essence cache, mais la pure donne absolue de la chose quine peut apparai"tre que si nous cessons d tre intresss son tre, de luidonner ou de lui refuser notre assentiment, que si donc nous pratiquons son gard lepokh, la suspension sceptique du jugement, et que, rompantnotre rapport de participation avec l.e monde, nous adoptons la positiondsintresse duspectateur3.Ainsi dfinie, comme science dece que Husserl nommedans L ide dela phnomnologie le phnomne pur4, le phnomne au sens de laphnomnologie, la phnomnologie non seulement passe ncessairementpar larduction maisna de sensqu lintrieur decetteconversion,de cette

    1.Cf. sur tout ceci l excellent article de A. Lowit, Le pocha de Husserl et le doute deDescartes . Revue de mitaphysiquu t th Mor oe, 1957.2. L /die th laphinominologie,op. cit., p.45.3. E. Husserl, Mdiuuions cartsiennes, traduction de G. Peiffer et E.Uvinas, Paris,

    Vrin , 1953,p.30.4. L /die de la phinomnologie, op. cit.,p.68.

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    6 LB MOI ET L AUTREUmstellung qu es t la rductionquinous fait passer de 1attitude naturelle de croyanceau monde 1attitude philosophiqueen tant que telle.

    Mais si toute phnomnologie authentique passe par la rduction, fauti lencoreconsidrerles Recherches logiques de 1900-1901 commerelevantde la phnomnologie? Husserl ne parle explicitement en effetde rduction phnomnologique qu partir de 1907, dans L ide de la phnomnologie1. Nous savons mme, depuis que Rudolf Boehm a diten 1966les manuscrits des annes 1905-1920 relatifs la phnomnologie de laconscience interne du temps, que Husserl a pour la premire fois utilisr expression rduction phnomnologique en 1905. n a d ailleurs notlui-mme plus tard ( une date imprcisable) sur l enveloppe contenant cemanuscrit de 1905 : Note historique :dans le manuscritde Seefeld (1905)j ai dj trouv le concept et l usage correct de la rduction phnomnologique 2 Y a-t-il donc eu, antrieurement 1905, sous le nom, emprunt Brentano, de psychologie descriptive>>, une phnomnologie sansrduction? Husserl crit bien en effet en 1901, dans la premire dition desRecherches logiques: La phnomnologie est psychologie descriptive.Par consquent, la critique de la connaissance est pour l essentiel psychologieoudu moins ne doit-elle tre difie que sur le sol de la psychologie .n a beau ajouter que pour diffrencier l tude purement descriptive desvcus de la recherche proprement psychologique oriente sur l explicationempirique et gntique, i l vaut mieux employer le terme de phnomnologie que celui de psychologie descriptive, i l n en demeure pas moins queson projetsedfinit alors comme celuid une fondation psychologique de lalogique pure3 partir du moment o Husserl dveloppe la problmatiquede la rduction, l se propose au contraire, comme ille dit explicitementdans L Ide de laphnomnologie, de quitter dfinitivement le terrain dela psychologie, meme de la psychologie descriptive 4 afin de fonder cequi sera dsign dans les ldeen 1 de 1913 comme la phnomnologietranscendantale, ainsi nomme parce quelle pose les problmes transcendentaux , c est -dire les problmes qui relvent de ce qui estau-del (trans) de la conscience, partir de la seule immanence de la

    l LIde de laphinominologie,op. cit.2. Cf. E. Husserl, Zur Phiinomenologie des inneren Zeitbewusstseins (1893-1917 ,Husserliana Bd.X Nijhoff, Den Haag, 1966, p. 237. note 1.3. E. Husserl, RecMrches logiques, t 2, 1.. partie, Paris, P.U.F., 1969, p. 263(Introduction 6, Appendice 3 .4. L Idede la phinominologie, op. cit p. 108.

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    88 LE MOI ET LAUTREconstituent une sphre d vidence absolue. Le domaine de la phnomnologie se limite aux vcus, aux cogitationes, et exclut donc leur contenuintentionnel, leur cogitatum. Ce qui est alors donn phnomnologiquement, selon la conception que les Recherches logiques se font de laphnomnologie, ce sont uniquement les contenus rels des vcus, ce queHusserl nommera plus tard dans les ldeen 1 les moments hyltiques etnotiques des vcus, et non pas les contenus intentionnels, les momentsnomatiques qui sont transcendants au sens rel, c est--dire qui neconstituent pas une partie intgrante des cogitationes. La sphre phnomnologique est donc rduite , c est--dire limite (beschriinkt), prcisment parce que Husserl ne pense pas cette poque que les contenus intentionnels puissent tre une donne phnomnologique. Seul ledomaine des vcus dans leurs contenus rels peut l tre. C es t ce quiexplique que la phnomnologie se confonde alors avec la psychologiedescriptive : la subjectivit nest pas connaissable dans sa totalit, elle nel est que comme subjectivit psy hologique, c est--dire comme subjectivit pouvant encore tre comprise comme mondaine - ce que nemanqueront d ailleurs pas de faire tous les lecteurs (les no-kantiens enparticulier) des echerches Logiques qui ne verront dans le second volumede celles-ciqu une retombe dans le psychologisme.

    Ce qui va changer dans les nnes 1905-1907 et qui sera 1origine dutournant transcendantal, c est1ide que le cogitatum fait lui aussi partie dela sphre phnomnologique, qu il est lui aussi une donne absolue. C estce qui est clairement indiqu par Husserl dans L ide e la phnomno-logie. On y trouve d abord la reprise du point de vue des Recherches: lacogitatio en tant que lle est rellement immanente la conscience sembletout d abord la seule donne absolue, ce que Descartes a bien montr dansses Mditations mtaphysiques travers la dmarche du doute. C estpourquoi, tantque la dmarche cartsienne est prise comme fil conducteur,la rduction ne peut qu avoir le sens d une exclusion et dune limitation:exclusion de tout le transcendant au sens rel et limitation de la phnomnologie aux seules cogitationes. Mais par la suite Husserl montre d abordque la cog tatio ne doit pas tre entendue comme 1 entend Descartes, c est-dire comme une cogitatio psychologique inhrente un espritmondain et donc transcendant1 et qu il faut donc distinguer le phnomnepsychologique du phnomne pur, puis que du transcendant au sens rel

    1.Descanes identifie dans ladeuxime Mditation son moi pensant son me (menssiveanimus : l pense donc Je cogito comme J acte dune conscience faisant partie du monde oucomme pouvan t en faire partie. Car une conscience reprsentative, ce quest la consciencecartsienne, se pose ncessairement comme extrieure aux choses et comme constituant parconsquent avec eUes lempire de lextriorir, Jemonde

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    90 LE MOI ET LAUTREau contraire, comme le dit Husserl dans les Jdeen J la totalit de l'treabsolu, lequel. si on1 entend correctement. recle en soi toutes les transcendances du monde, les constitue en son sein t.

    a rduction ainsi comprisen'est plus une limitation, mais au contrairela destruction des limites de la connaissance objective naturelle, laquelleest toujours unilatrale et abstraite. a rduction phnomnologiquetranscendantale en son sens authentique n'est rien donc rien d'autre que lepassage de la limitation inhrente l'attitude naturelle en tant qu'elle estrceptive, c'est--dire passive l'garddes choses du monde qui ont poureUe valeur d 'tre en soi, la pense philosophique qui voit dans le mondela production de la conscience. Husserl, lorsqu il pense explicitementla rduction comme conversion >> changement d'attitude - dans leNachwort, par exemple2 - ne fait en effet que thmatiser ce que Platon aexpos dans l 'Allgorie de la caverne,o i l identifie1 attitudenaturelle untat d' incarcration, d'alination dans un monde d'ombres, et que Hegel,rptant Platon, a explicit comme 1'tat de la conscience naturelle qui nevoit pas ce qui se passe derrire son dos, parcequ'eUe est fascine par laprsence de 1'objetqu'elle pose comme un en-soi sans s'apercevoir que ceten-soi n 'est que pour-elle et que loin de le recevoir comme un toujoursnouvel objet, elle en est au contraire l'origine3. Ce s.ens authentique dela rduction par lequel elle est non pas restrictive mais au contrairelibratrice est dj prsent dans L ide de la phnomnologie puisqueHusserl y parle d' une constitution de l 'objet dans la connaissance et d' unetonnante corrlation 4 entre la connaissance et son objet, corrlationdont la thorie traditionnelle (et cartsienne) de l'ide-image - et donc ducaractre reprsentatif de la connaissance - ne peut nullement rendre

    1. ltles directrices, op. cit.. 50, p. 166. Cf. E. Fink. De la phnomnologie, Paris,Minuit, 1974, p. 146: L epokh phnomnologique n'est pas, contrairement l epokhpsychologique, une mthode de limitation (Einschrlinlcung) intra-mondaine, mais unemthode de d-limitation (Entschrllnkung) excdant le monde. Lepokh a pour vertu nonpas de poser des limites mais au coniraire d'ouvrir ce qui ne connatt pas de limites : la vieintentionnelle Infinie.

    2 Posiface, op. cir p. 187 : echangement d'attitude (Die Einsrellungsiinderung)appel, dans cet ouvrage (ldeen 1 , rduction phnomnologique (nous disons maintenant,avecplus de prcision rduction phnomnologique iranscendantale ),je l'accomplis, dansla mesure o je f l h i s en philosophe, panirde l'attitude naturelle dans laquelle j 'acquiersl' exprience de moi-mme .

    3. G. W. F. Hegel, lA Phnomnologie de l Esprit, Introduction, trad. de J. Hyppolite.Parls, Aubier Montaigne, 1939, p.75: ll arrive donc la conscience que ce qui lui iaitprcdemm.ent l'en-soi n'est pas en soi, ou qu'il tait seulement en soi pour elle et p.76: enouvel objet se montre comme venu l'tre par le moyen d'une conversion de laconscience ell.e-mme(durch eine Urnkehrung des Bewusstseins selbst) .

    4. L ldedelaphnomtnologie ,op. cit., p. lOO.

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    RDUCTION ET INTERSUBJECTIVIT 91compte, car elle suppose justement l'extriorit absolue des choses par

    . rapport une conscience pense comme intriorit absolue.Mais qu'entend prcisment Husserl par constitution? Faut-il suivre icil'interprtation qu en donne Pink dans un article fan;teux contresign par

    Husserl lui-mme et o Konstitution quivaut Kreation ? Faut-il ainsireconnatre la connaissance humaine ce que l on n'accorde d'ordinairequ a pense divine, savoir une puissance crattjce et non pas seulementun pouvoir de dcouverte ou de dvoilement? En ralit l'alternativecration-dcouverte qui renvoie 1 opposition clairement dfinie par Kantentre un intuitus originarius (divin) et un intuitus derivativus (humain).estprcisment ce que le concept husserlien de constitution a pour but demettre en chec. De mme en effet que pour Husserl Dieu ne voit pas leschoses mieux que nous et ne possde pas par nature la perception de lachoseen soiqui nous est refuse nous, tres finis, car cela impliquerait quenotre perception humaine natteint pas la chose mme m is seulement sonapparence ou son image, ce qui serait faire violence au sens propre de laperception qui est saisiede la chose mme dans sa prsence corporelle, danssaLeibhaftigkeit2 ; de mme l'tredunechose pour nous ne peut renvoyer un en-soi qu ils agirait pour la conscience de recevoir passivement, maisuniquement une possibilit d'expriences concordantes 1 infini. Ltren'est donc et ne peut tre pour nous qu un tre-interprt3 c'est--direcorrlatif du concept que nous nous en formons et insparable de l'exprience que nous en faisons. Parler de constitution, cela renvoie alors audevenir-objet de tout chose pour nous: c est en effet en ob-jet, en corrlatde la conscience que se constitue toute chose pour nous dans la connaissance. Comprendre, comme le fait Husserl dans la premire ditiondes Recherches logiques la constitution comme une interprtation - ausens o toute perception d'objet se rduit l'interprtation d un contenu

    1.E.Fink,De la phinomnologie op. citq p. 163 : Seulel' interprtation constitutive decette vie l'identifie commecralion. ,. faut nanmoins prciser que Fink tempre la portede ce mot norme (cf. Prface de Ricur aux Ides p. xxx) en ajoutant immdiatementprs : Peu impone l'apparente sche.resse et le caractredoctrinaired'une dterminationdel'essence de la constitution comme cration productive, ellea au moins le mrite de soulignerson opposition au caractre rceptif (exigeant un tre en soi) de la vie d'exprience onticomondaine (psychique). (Nous ne pouvons ici montrer distinctement que constituer dsigneune relation, qui n'est ni rceptive ni productive, que ne sauraient atteindre des conceptsonti.ques,e.tque seuil'accomplissement de recherches constitutives peut indiquer.).2./desdirectrices op. cit. 43, p. 138-139.3. Cf. l'anicle extrmement suggestif deR. Boehm: Deux points de vue: Husserl etNietzsche, Archivio di Filosophia 1962, fasc. 3, p.l67-181, qui rapproche les deuxpenseurs pr6:isment panirde leurconceptiondel'interprtation.

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    92 LE MOI E T LAUTREsensoriel 1 - cest ne voir dans la constitution ni une dcouverte, car l objetne prexiste pas, mais est le rsultat de l interprtation, ni une cration,car la constitution ne fait pas surgir l objet ex nihilo mais lui donneseulement un sens.

    Le tournant transcendantal par lequel la conscience se reconnaten tantque constituante comme origine du monde et non plus comme consciencemondaine, comme partie intgrante du monde, a donc lieu en 1907 dansL ide e la phnomnologie. Dans ce texte, comme dans celui qui nouslivre l expos le plus articul que Husserl nous ait donn de la rductiontranscendantale phnomnologique et que l on trouve dans les Ideen de1913, dans le premier chapitre de la deuxime section qui porte le titresignificatif de Mditation phnomnologique fondamentale 2, Husserlprend comme point de dpart le doute cartsien. Il ne s agit ce.rtes pas derpter la dmarche cartsienne, mais de l utiliser comme methodischerBehelf, comme auxiliaire mthodique, pour faire apparatre ce qui constitue en propre l epokh3, laquelle en tant qu epokh universelle se distingueradicalement du doute. Husserl montre bien en effet dans le 31 qui

    1 Recherches logiques, op. cit., t 3, Appendice, p. 280-281 :

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    RDUcriON ET INTERSUBJECTIVIT 93expose le sens de 1 epokh husserlienne comme mise hors circuit(Ausschaltung) de la thse du monde que l'epokh est compatible avec lacertitude de l'existence du monde, contrairement au doute qui en est langation. Non point que la thse se convertisseen antithse, la positionenngation, crit Husserl, ou qu elle se change en conjecture, supputation,indcision, doute (quel que soit le sens du mot); rien de tout cela n'est aupouvoir de notre libre arbitre. C'est plutt quelque chose d'cibsolumentoriginal. Nousn cibandonnons pas la thse que nousavonsopre,nousnechangeons rien notre conviction qui en soi-mme demeurecequ' elle est.( ..] Et pourtant la thse subitune modification : tandis qu'elle demeure enelle-mme ce qu'elle est. nous la mettons pour ainsi dire hors de jeu(ausser Aktion), hors circuit , entreparenthses Bien que Husserl voie dans les Mditations mtaphysiques deDescartes le prototype des mditations qui donnent naissance la philosophiez, i l serait erron de considrer la phnomnologie transcendantaleconnue une simple reprise du cartsianisme. Car le problme de Husserln est nullement celui de Descartes : i l ne se demande pas en effet si leschoses extrieures au moi existent vritablement - aucun moment i l nedoute du monde extrieur- mais comment dans l'immanence on peutconnatre le transcendant. Pour Husserl l'existence du monde n est pasincertaine-ce qu'elle est pour Descartes -, mais incomprhensible. C estpourquoi i l ne s agit nullement pour lui de garantir la certitude de1 existence du monde face ausceptique, mais uniquementde comprendre lesens d'tre du monde. Le rapprochement opr par Husserl entre sa propredmarche de la rduction et le doute cartsien est donc tous gardsmalheureux car il donne l'impression que la conscience pure (lecogito) estce qui chappe l epokh, ce qui en est le rsidu- selon le titre significatif du 33 des ldeen : Premier aperu de la conscience pure outranscendantale entendue comme rsidu phnomnologique- etqu'ainsila rduction se limite au monde pour faire apparatre la conscience commergion ontologique absolue.Pense en ce sens, la rduction, en tant qu'elle fait apparatre un reste,un rsidu, n a qu un caractre restrictif, limitatif, et ne peut donc prtendre l'universalit, puisqu'elle se borne l'exclusion de la rgion natureet laisse intouche la rgion conscience : la conscience absolue apparatalors comme ce qui nous reste aprs l'anantissement du monde. C est

    l.ldiesdirectrices, 3l, p. 98-99.2. Mditations cansiennes, op. cit , 1, p. 2 : Lesmditations de Descartes ne veulentdonc pas tre une affaire purement prive du seul philosophe Descartes, encore moins unesimple forme i t ~ r i r e dont i l userait pour exposer ses vues philosophiques. Au contraiJ:e, cesmditations dessinent le prototype du genre de mditations ncessaires tout philosophe quicommence son uvre, mditationsqui seulespeuventdonner naissance une philosophie.

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    Mais le dfaut fondamental du chemin cartsien le dfaut qui exigeque dans les annes 20, Husserl se mette en qute d'autres chemins vers larduction transcendantale - c'est qu'il ne permet pas d'accder ce quipour Husserl constitue le sens plein de la subjectivit, savoir l intersubjectivit. Les autres sujets ne sont en effet donns, selon Husserl. que defaon donc non originaire, par apprsentation partir de leurs corpsvivants2 qui font ncessairement partie des choses du monde, des rea/enDingen : Je ne puis avoir l'exprience de la subjectivittrangre, qui deson ct n'existe quen tant que s'e-xprimentant directement elle-mme,que sur le mode mdiat de l indication, qui me la rend donc consciente parl'intermdiaire de la prsentification (Vergegenwiirtigung) de sa perception de soi, deson souvenir de soi, etc. 3. Commencer, comme Husserl lefait dans les Ideen 1 par mettre le monde hors jeu ou poser par hypothseson anantissement ne permetdonc pasde dcouvrirdans laconsciencetranscendantale qui en est le rsidu la moindre trace d'une subjectivittrangre. Autrui se voit alors au contraire rejet du ct de la pure phnomnalit avec ce qui constitue la totalitdu mondain. Or,dans les cours desannes 1923-24, consacrs la Philosophie premire, Husserl stigmatiselui-mme ce dfaut fondamental du chemin cartsien et se propose explicitement une extension (Erweiterung) de l epokh qui la rende vritablement universelle sans reste) et qui conduise une rduction d'uneporte encore plus grande [ . .] que celle laquelle nous tions d' abord

    1. Cf. Postface, op. cil., p. l93: Pendant de longues ann6es de m ~ t a t i o n , je me suisengag6 sur des chemins divers, tous 6galement poss ibles, afin de d6gager d une faonabsolument transparente et contraignante une telle motivation qui nous fait d6passer lapositivit6 naturelle de la vie et de lascience et rendn.6cessaires la conversion transcendantale,la rducti.on pMnom6nologique .

    Voir6gal.ement la premire version d'un:passage de Philosophie premire, Paris, P.U.F.,1972, t.ll, p .241. note 1: Pourmoi-m@me,Je le reconnais, la premlmintuiti.onquej aieuede la rduction h 6 n o m ~ n o l o g i q u e fut d ' une port6e limit6e et telleque je l'ai d6crite plus baut[c est--dire comme rduction l ego transcendantal propre]. Pendant des ann6es, je nevoyais aucune possibilit6 de la transformer en rduction intersubjective. Mais finalement, jevis s ouvrir un chemin quidevait tred' une importance d6cisive pourla possibilit6der&l.iserune b ~ n o m 6 n o l o g i e pleinement transcendantalee t un niveau sup6rieur- ; ephilosophietransc.endantale ,.

    Sur la multiplicit6 des chemins vers a rduction voir l' introduction de l ~ t e u rR.Boehm, Husserliana, Bd. Vill, Erste Philosophie, Zweite.r Teil, p. xt XUI et l'excellentarticle de Iso Kem, Die drei Wege zur transzendantal-phlnomeno.ogiscben Reduktion lnder PhilosophieEdmundHusserls ,. in Tijdschriftvoor Filosofie, 1962.2. Mditations cartsiennes, op. cit., 54.

    3. E. Husserl, Phlwsophie premire, t. Il, Th6orie de la r6duction h 6 n o m ~ n o 1 o g r q u e ,Paris,P.U.F.,l972,p. 241 (traductionl.gmm.entmodifi6e).

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    98 LE MOI ET LAUTREdes vcus dans larduction phnomnologique Lorsqu on accomplit eneffet cette rduction au subjectif pur qui est seul pris pour thme, ce quiapparat comme suprmement tonnant hiichst merkwurdig)2, c estque chaque exprience permet une double rduction phnomnologique:celledu vcu actuel lui-mme etcelle de son contenu etobjet intentionnel3Le champ de 1 exprience phnomnologique comprend donc non seulement les vcus actuels, accessibles.par rflexion, mais aussi les prsentifications Vergegenwartigungen) et parmi celles-ci les vcus qui sont lisaux vcus actuels par un rapport de motivation : Quand une perceptionmotived autres perceptions,quand dans lacontinuitde la conscience ellemme une conscience (et non pas la chose pose par elle) laisse attendreune nouvelle conscience, une conscience non donne elle-mme, c est lmonchamp- c est--dire mon champ d exprience phnomnologique4C est ainsi que le vcu perceptif du corps vivant tranger des fremdenLeibes)est li par un rapport de motivation la position d une conscienceetd une vie de conscience trangre qui ne fait pas partiede ma propre vie deconscience mais qui est pose en celle-ci par intropatbie Einfhlung ), cequi a poureffet d tendre le champ de 1 exprience phnomnologique ladimension de la sphre dune multiplicit de flux de conscience fermssur soi qui sont rattachs mon propre flux de conscience par les rapportsde motivation de l intropatbies. Ce qui s imposait ainsi, dj en 1910,c tait, pour remplacer la subjectivit solipsiste cartsienne, le modleleibnizien d une monadologie, savoir une thorie transcendantale de lacommunication des consciences spares6.n s agirait maintenant de montrer par une lecture attentive de ladeuxime partie du cours de 1923-24 intitul Philosophie premire quiporte sur la thorie de la rduction phnomnologique comment lesecond chemin vers la rduction transcendantale qu y propose Husserlet qui est celui de la psychologie intentionnelle7, reprend la mmedmarche de pense. C est en effet par la mme critique de la limitation del exprience phnomnologique au donn actuel indubitable que larduction va s y voir tendue lin tersubjectivit. Car c est prcisment

    1.E.Husserl, Grundprobleme der Phitnomenologie, op. cit., p. 73, trad., p. 174.2. /bid. p.lO(textede 1910,non traduit).3. Ibid., p. 82, trad., p. 189.4. lbid., p. 11. n faudrait rappeler ici li mportance du concept phnomnologique demotivation (cf. Jdeeni, op. cit. 47 , p. 112,note 1)queHusserl utilisaitdj dans la premireRecherche logique( 2 et 3) pour caractriser le rapport d indication A.nzeige) qui relie demanire nonvidenteuneconnaissance actuelle une conn.aissanceinactuelleS. Ibid., p. 12.6. Ibid.7. Philosophie premire, t. Il, op. cit p. 203, chap. o: e second chemin verslouverturede la sphre d exprience transcendantale.

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  • 8/12/2019 Dastur - phnomenologie en questions

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    RDUCTION ET INTERSUBJECTMT 99parce que la subjectivit trangre nentre pas dans la sphre de mespossibilitsde perception originale [qu ]elle ne se dissout pas en corrlatsintentionnels de ma vie propre 1. eestparcequ antroinestpasetnepeutjamais tre donn a ~ s o l u m e n t originairement, qu il ne e v i e n t j ~ s oncorrlat objectif et qu une communaut transcendantale est possible. arduction phnomnologique universelle livre ainsi, en communaut avecma vie propre avec laquelle elle ne se confondrajamais, nonseulementuneseconde vie transcendantale, mais une multiplicit de vies transcen-dantales. Ainsi , conclut Hussed, la phnomnologie conduit laMonadologie anticipeparLeibniz d ans un aperu n i a l z.

    Les chemins de la rduction nauront donc fait que reconduire Husserlde la subjectivit solipsiste abstraite la communaut concrte desmonades :deDescartes Leibniz.

    1. Philosophie premiret ,op. cit. p.260./bid. p. 261