dark of the sun manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-une idée du cinéma...

28
MANSON THE HIGH END OF LOW page 10 RENCONTRE AVEC AMÉLIE NOTHOMB page 16 AVATAR VS WINNIPEG CAMERON VS MADDIN - UNE IDÉE DU CINÉMA page 4 www.sortiedesecours.info N° 18–JANVIER FÉVRIER 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles : cinéma, musique, radio, littérature, société, nouvelles DARK OF THE SUN page 6 INVICTUS page 3 PLUS DE LENTILLES MAIS DES SOURCILS

Upload: others

Post on 23-Sep-2020

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

Manson

THE HIGH EnD oF LoW

page 10

RencontRe avecamélie nothomb

page 16

avatar vs winnipeg

cameron vs maddin

-unE IDéE Du cInéMa

page 4

www.sortiedesecours.info

n° 18–janvieR févRieR 2010

Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles : cinéma, musique, radio, littérature, société, nouvelles

daRk of the sunpage 6

InvIcTuspage 3

PLUS DE LENTILLES MAIS DES SOURCILS

Page 2: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

2

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

édito par David Roué

C’est avec un courage incommen-surable que toute la rédaction de SdS a bravé la neige, les intempéries, la reprise des cours, les chutes de résul-tats de partiels et les crises de foie du réveillon de Noël pour vous offrir ce nouvel exemplaire. A l’image de ce qu’est la culture, nous avons privilégié l’al-liance des contraires pour ce numéro : ici on lit Pascal Bruckner et on interviewe Amélie Nothomb, alors que Guy Maddin et James Cameron sont réunis dans un combat à mort, que Simone de Beauvoir est en tête à tête avec Assassin Creed, et que la poésie tranquille de Glenn, qui s’interroge sur la folie du monde, est précédé de la farce macabre de Laurent et sa mort qui ne dure...

Les surprises, comme le retour de Manson dans les pages de SdS deux ans après le dossier qu’Omar lui avait consa-cré (SdS n°9) ou l’évocation du méconnu et introuvable Dark of the sun, côtoient les passages obligés, comme la sortie d’Invictus ou la chronique de la suite de la carrière d’Alain Kan ; et la culture surf continue sa percée avec un article qui évoque son impact sur le cinéma et la photographie. Enfin, les délais ne nous ayant permis de voir Gainsbourg vie héroïque de Joann Sfar avant l’impres-sion du journal, on vous offre, histoire de vous mettre en bouche, la review du spectacle de Jean-Claude Gallota autour de L’Homme à tête de choux...

Et quand vous aurez fait le tour de ce numéro de janvier-février 2010, rien ne vous empêche d’aller faire un tour sur la version numérique du magazine : sortiedesecours.info. A noter que pour vous tenir au courant des mises à jours du site, ainsi que de l’actualité de la version papier, il existe une page facebook de Sortie de Secours ! Si vous êtes déjà fan, c’est le moment de l’afficher !

Sommairecinéma Invictus de Clint Eastwood ............................................. 3 James Cameron vs Guy Maddin ..................................4-5 Dark of the sun ..........................................................6-7 L’imaginarium du docteur Parnassus .............................. 8

musique Kool Shen : crise de conscience ...................................... 9 Marylin Manson : The high end of low ...................... 10-11 Alain Kan ..............................................................12-13

Littérature Le paradoxe amoureux ........................................... 14-15 Entretien avec Amélie Nothomb .............................. 16-17 Tous les hommes sont mortels ......................................18

Jeux viDéo Le jeu Assassin Creed ..................................................19

BD XIII Mystery ................................................................ 20 Le concombre masqué .................................................21

société Culture surf ........................................................... 22–23

nouveLLes La mort ne dure par Laurent Le Berre ..................... 24–25 Un monde fou par Glenn Nicole ............................... 26–27

vu à Brest L’homme à tête de chou .............................................. 28

rédacteur en chef David RouéDesign titre Jennifer Scouarnecmise en page Solen Thèzecorrection Uriell Daakir

rédacteurs Amélie Borgne, Charlotte Jacquard, KaeS,Anaïs Kerhuel, Laurent le Berre, Glenn Nicolle, émilien Nohaic, Ronan Marec,étienne Ravier, Côme Roblin, David Roué et Hugo T.

Sortie de secours n° 18Un magazine édité par le service culturel de l’UBO

sortie de secours/co. service culturel, 2 bis, av. Le Gorgeu, cs 93837, 29238 Brest cedex 3sds@univ–brest.fr/ sortiedesecours.info

Sortie de SecourS cinéma

Page 3: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

3

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

enterré Dirty Harry...Clint a définitivement troqué son personnage de réac pour

celui de réalisateur humaniste. Tel l’homme sans nom des films de Sergio Leone, il incarne un justicier mystérieux et inso-lite. Un temps considéré comme l’héritier spirituel de Ronald Reagan, il a laissé un éventuel chemin politique pour se consa-crer à son art.

Si la filmographie de Clint Eastwood était considérée comme hasardeuse, les cachets empochés grâce à son rôle de clown-flic Harry lui permettent maintenant de tourner sans contrainte. Ironie du sort, les critiques qui le taxaient de fasciste lui tres-sent maintenant des lauriers pour son œuvre.

Et voilà que dans sa lancée de morale sociale, l’homme au poncho s’attaque à une icône : Nelson Mandela... et passé sous l’angle du rugby. La difficulté est double pour un américain qui n’est logiquement pas instruit à ce sport. Mais à cœur vaillant, rien d’impossible et c’est aussi bien valable pour le grand Clint que pour le mythe auquel il s’attaque.

un sport honni dans la réconciliationDevenu président de l’Afrique du sud en 1994, Nelson

Mandela doit agir pour reconstituer une nation divisée par le racisme. Le chemin est long et rude car le symbole de son élection n’a pas suffi à détruire l’Apartheid qui continue à exis-

ter de fait. Grand homme d’état, il a alors une intuition géniale : la réconciliation par le rugby.

Par chance, la prochaine coupe de monde se déroule jus-tement en Afrique du sud. Mais deux obstacles majeurs s’opposent à Mandela. Premièrement, le rugby reste un sport globalement blanc et la communauté noire ne soutient pas les Springboks. Secondement, l’équipe nationale, depuis sa réin-troduction sur le circuit mondial, subit défaite sur défaite.

Mais Mandela a deux forces : sa détermination et son habilité. Il devient le premier supporter de l’équipe en se rapprochant de François Pienaar, capitaine bon teint de l’équipe. Et mal-gré les différences, ces deux-là font la paire. Car le postulat de Clint est là, la diversité est source de complémentarité. Mandela pour la tête, Pienaar pour les gros muscles, l’Afrique du sud peut déplacer toutes les montagnes, même le géant néo-zélandais Jonah Lomu.

oeuvre classique pour propos moderneClint Eastwood fait encore une fois du neuf avec du vieux

dans le bon sens du terme. Ses nombreuses vies cinématogra-phiques, y compris les plus critiquées, lui permettent d’avoir un propos universel et surtout intergénérationnel. Son art fait la synthèse du plus pur classicisme pour rendre un film profon-dément sage et beau.

Le premier de ses talents est de rendre à la perfection les sen-timents humains grâce à sa direction d’acteurs. Ainsi Morgan Freeman signe une prestation magistrale en héros de la diver-sité, terrassé physiquement par vingt-sept années de captivité mais plus que jamais déterminé. Matt Damon, volontairement plus en retrait, endosse la culpabilité de sa communauté avant de la faire repartir sur de nouvelles bases.

Plus que dans Gran Torino, il met le doigt sur l’importance d’une union dans la diversité certes complexe mais essentielle à qui veut faire d’un pays une grande nation. Le rugby apparaît à la fois comme une cause et une métaphore de la victoire finale de la tolérance. Malgré bons sentiments et grosses ficelles, Clint parvient pourtant toujours à nous arracher des larmes sincères sans doute autant que son film, beau sans être majeur.

Par étienne ravier

InvIctUs de clInt eastwOOdessaI transfOrmé

Sortie de SecourS cinéma

Page 4: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

4

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

cinéma cinéma

une industrie ou un artisanat ?Il suffit de comparer les chiffres pour

se rendre compte de la disparité : sans même parler du budget des films, Avatar est distribué dans un parc de plus de 800 salles alors que Winnipeg mon amour n’a droit qu’à une sortie dite « technique », soit à peine une dizaine de salles dans toute la France. Il y a là une proportion-nalité du budget à la distribution, assez fréquente dans les salles de cinéma. Peut-on en conclure qu’Avatar relèverait de l’industriel et Winnipeg mon amour de l’artisanal ? Ce serait trop facile.

Et ce serait oublier que derrière ces deux films, il y a avant tout une per-sonnalité très forte, un artiste véritable. James Cameron, depuis les années 80, entend révolutionner le cinéma à chaque film depuis Terminator, et force est de constater qu’il y parvient généralement : Aliens le retour à la fois réinvente une saga et offre un modèle de narration exemplaire pour les générations à venir, Abyss s’offre le luxe de créer une révo-lution dans les effets spéciaux sans pour autant négliger une histoire et des per-sonnages émouvants, Terminator 2 et True Lies réinventent le concept même de blockbuster d’action. Quant à Titanic, est-il nécessaire d’évoquer la réussite écrasante de ce Roméo et Juliette des mers ?

Guy Maddin quant à lui joue sur un tout autre terrain. Quoique... Depuis son pre-

mier long-métrage, Tales from the Gimli Hospital, il a imposé son style : histoire torturée, narration complexe, person-nages étranges, le tout emballé dans une image retravaillé à l’extrême pour cor-respondre à une esthétique des années 20-30. Un peu comme si les caméras du cinéma muet avaient continué de filmer, en alliant les techniques d’alors à une narration et un montage très moderne. Que ce soit par la suite dans Archangel (des soldats embrouillés par le gaz se bat-tent sur le front russe alors que la guerre de 14-18 est finie), Careful (variation incestueuse sur le mythe d’Œdipe), The Saddest music in the world ou encore Des Trous dans la tête, il n’a de cesse

de développer un univers éminemment personnel, fait de fantasmes et d’images folles, hanté par des images de femmes castratrices et de mères abusives. Surtout, il développe un art de la narra-tion complètement à rebours du cinéma hollywoodien, bien plus basé sur le mon-tage et l’association d’idées visuelles que sur un scénario « logique » : par exemple, au début de son film Et les lâches s’age-nouillent, un médecin qui examine son sperme au microscope voit en guise de spermatozoïdes des joueurs de hockey, et c’est ainsi que l’on rentre dans un film consacré à Guy Maddin, joueur de hoc-key à Winnipeg...

James camerOn vs GUY maddInPar David roué

Les hasards des sorties cinéma ont fait coïncider les sorties respectives d’Avatar,

le blockbuster-en-3D-révolution-naire-et-de-science-fiction de James Cameron, et de Winnipeg mon amour, le faux-documentaire-vrai-fi lm-subjectif-documen-taire-quand-même de Guy Maddin. Nous pensons pouvoir tirer de la comparaison entre ces deux films si dissemblables quelque chose de l’essence même du cinéma.

Page 5: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

5

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

cinéma cinéma

Deux révolutions ?Les deux derniers films de nos auteurs,

Avatar et Winnipeg mon amour donc, partagent une même ambition formelle de révolution, ou tout du moins, de pré-senter un spectacle inédit.

Avatar, on nous l’a dit et répété, uti-lise ainsi une technologie 3D pour nous immerger dans le monde de Pandora. La révolution, ce n’est donc pas la 3D en elle-même (qui existe depuis les années 70 où des films comme les Dents de la mer 3 ou Vendredi 13 : meurtres en 3D l’utilisaient déjà) mais bien son utilisation : nous ne sommes pas au Futuroscope, et le but n’est pas de vous balancer en pleine figure des projectiles virtuelles à longueur de péloche. Le but, c’est l’immersion totale sur une planète inconnue, et James Cameron utilise bien moins la 3D pour son effet choc que pour la profondeur de champ qu’elle permet de maximiser. Du premier à l’ar-rière plan, tout est ainsi filmé de sorte que l’on ressente la vie sur Pandora. La révolution n’est peut-être pas là où on l’a annoncée, mais elle est d’autant plus importante, puisque Cameron n’utilise pas la 3D comme un gadget mais comme le cœur même de son projet.

Dès lors, ce qui est encore plus sur-prenant, c’est à quel point la narration d’Avatar s’avère conventionnelle : le montage est purement illustratif, la réa-lisation ne s’éloigne pas des canons en vigueur depuis les années 2000 (même types de plans, même découpage de story-board) et surtout, ily a cette voix-off insupportable qui surexplique les enjeux du film au spectateur-bouf-feur-de-pop-corn. Quant au scénario, c’est un patchwork de plusieurs mythes (on retrouve le principe de l’histoire de Pocahontas, des allusions à la guerre du Vietnam, au génocide indien…) qui tient relativement bien la route pour peu que l’on passe outre une certaine naï-veté dans sa progression. Cependant, le scénario n’est pas un réel problème, puisqu’il se contente d’offrir une trame assez solide pour accueillir le monde de Pandora, qui pour le coup est le vrai

sujet du film. On n’est plus à ce niveau là dans des enjeux de cinéma, mais qua-siment dans des enjeux de jeu de rôle : c’est l’univers qui compte, non plus les personnages, l’histoire ou la façon dont on raconte cette histoire.

Winnipeg mon amour, c’est tout à fait autre chose. On pourrait le prendre comme un documentaire, ou comme un film d’autofiction, mais il n’en est rien, c’est un film qui relève de l’inédit, avec de multiples niveaux de lecture et un

principe de subjectivité bluffant dans sa conception. Le narrateur est dans un train qui quitte Winnipeg, cette ville où vit Guy Maddin depuis sa naissance. Le train quitte Winnipeg, mais sur la voie de chemin de fer, c’est un voyage à travers la mémoire de Guy Maddin, et à travers la mémoire de la ville, que la voix du narrateur propose. Omniprésente, cette voix n’a pas un but explicatif redondant comme dans Avatar, elle est le lien poé-tique entre les anecdotes sur Winnipeg (des choses superbes, comme les che-vaux morts qui se retrouvent coincés dans le fleuve gelé durant tout un hiver) et la tentative du personnage du film de reconstituer des scènes de sa vie de famille par le biais du cinéma. Un réseau de rues parallèles, de rues hors champ inscrites dans la mémoire collective de la ville nourrit cette narration. Il faut plu-sieurs visions pour saisir tous les enjeux

de ce superbe film, basés sur le mor-cellement et le collage à la fois dans sa narration même et dans son esthétique : des images en noir et blanc charbon-neux côtoient des images en couleurs au rendu numérique ou des séquences d’animations. Hypnotique, cette bande révolutionne les codes du documentaire et de l’autofiction auxquels elle s’appa-rente de prime abord, en ce qu’elle triture les codes narratifs de ces deux genres.

une conclusion ?Le plus amusant dans cette comparai-

son, c’est que Winnipeg mon amour est à la base une commande, que Guy Maddin s’est totalement approprié pour en faire une œuvre totalement en dehors des stéréotypes du documentaire ou du film d’auteur ou du film de divertissement, un ovni totalement beau dans son étrangeté et totalement étrange dans sa beauté ; alors que le projet de James Cameron, qui est mûri depuis quinze ans, qui lui est totalement personnel, n’arrive qu’à épa-ter par son esthétique et son usage de la technologie, sans jamais révolutionner ni la science-fiction, ni le blockbuster hollywoodien. Il n’est qu’un divertisse-ment, excellent certes, qu’une sorte de quintessence ce qui se fait en matière de cinéma populaire depuis une dizaine d’années. Avatar c’est seulement un ride géant dans un univers so-chic-so-toc de préoccupations écologiques naïves sou-tenues par des images de synthèses et des combats de méchas. Et quelque part, c’est un peu dommage...

« La révolution n’est peut‑être pas là où on l’a annoncée »

Page 6: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

6

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

cinéma cinéma

darK Of tHe sUnPar David roué

DArk of the sun, alias The Mercenaries, alias Le Dernier train du katanga, est un de ces films mythiques qui ont secoué leur époque (les années 60) : loin d’un spectacle hollywoodien, cette production britan-nique, réalisée par Jack Cardiff (le chef op’ des Vikings, de Fleicher), s’extraie vite du carcan du film de

guerre pour nous asséner une tripotée de scènes cultes assorties d’une réflexion profondément pessimiste sur le genre humain.

Dark of the sun navigue sur les eaux troubles et sanglantes de la décolonisation, à travers une adaptation d’un livre de Wilbur Smith. Nous sommes en 1960, au Congo Belge : un mercenaire, Bruce Curry (joué par Rod Taylor) est chargé par le nouveau président de secourir les habitants d’une ville iso-lée, menacée par les rebelles Simbas assoiffés de sang. Il va sans dire que le plus important est de récupérer les diamants stockés dans la banque de cette ville minière, le facteur humain n’étant qu’un prétexte. Curry engage une équipe composé des quarante meilleurs soldats du coin, avec à leur tête Heinlein, un ancien nazi arborant une svastika sur son uniforme, ain-si que d’un médecin alcoolique et de son meilleur ami noir, Ruffo (incarné par un Jim Brown qui sortait du tournage des Douze salopards). C’est en train qu’ils rejoindront le village, en espérant arriver avec les Simbas.

Bien sûr, tout va vite déraper : le train est attaqué par un avion, les Simbas se rapprochent du village, le coffre où se trouvent les diamants ne s’ouvrent qu’à une heure précise… Et Heinlein, qui a compris le but secret de cette mission huma-nitaire, n’attend que l’occasion d’embarquer le pactole. Au fil d’un récit riche en rebondissements, nous avons donc devant nous un film de mercenaires, un film avec des hommes, des

vrais, un film qui pue la sueur, la violence et le pêché. Le souffle du métrage est porté par une superbe BO de Jacques Loussier, la réalisation de Cardiff maintient une tension palpable, en sachant alterner plages d’affrontements et séquences plus calmes en apparences, mais riches en enjeux internes à l’équipe de mercenaires, le tout superbement emballé dans un cinémascope de toute beauté.

Mais Dark of the sun est surtout resté célèbre pour une vio-lence inhabituelle à l’époque : guère avare en affrontements, ce long-métrage nous donne à voir toute la brutalité d’une guerre intérieure qui ravage un pays en reconstruction. Le portrait des Simbas ainsi est tout sauf réaliste : ce sont des sauvages sadiques, des barbares issus d’une bd coloniales, avides de sang, de viols (une mission de nonnes y passera…) et presque démoniaques. De même le personnage d’Heinlein est un per-sonnage foncièrement amoral. Dans l’une des scènes les plus choquantes, il abat à bout portant deux enfants noirs, parce que les Simbas utilisent les enfants pour espionner...

Mais ce qui restera dans la mémoire du spectateur comme le passage le plus éprouvant du film, c’est cette séquence où, alors que le train a réussi à quitter le village sous le feu nourri des Simbas, l’un des wagons se détache dans la pente qui mène hors du village, et qu’il refait tranquillement le chemin inverse pour revenir en plein milieu des rebelles… Le carnage est hors champ, mais la séquence est glaçante dans son inéluctabilité.

à l’époque, critiques et spectateurs se sont posé la question: pourquoi tant de violence, pourquoi un tel sadisme ? Il faut savoir que le film a été tourné en 1968, 3 ans après le coup d’état de Mobutu, et que le Congo Belge, qui n’allait pas tarder à prendre le nom de Zaïre, est toujours plongé dans la violence. Cardiff lui-même l’explicite dans une interview:

«Although it was a very violent story, the actual violence happening in the Congo at that time was much more than I could show in my film; in my research I encountered evidence so revolting I was nauseated. The critics complained of the vio-lent content, but today it would hardly raise an eyebrow.»

« remettez votre svastika…

vous l’avez mérité. »

Un fIlm vIOlent

Un fIlm de mercenaIres

Page 7: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

7

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

On peut s’interroger, avec la représentation des Simbas qui relève du cliché colonialiste, sur la portée idéologique d’un tel film. Mais ce serait sans compter le personnage de Ruffo, et sa profonde amitié avec le héros. Aux motivations purement pécuniaires de celui-ci, Ruffo oppose un certain idéalisme, et il s’avère à de nombreuses reprises beaucoup plus sensé et humain que son ami et que l’ensemble des personnages. Il s’avère très vite que le personnage le plus important de Dark of the sun, la clé du propos de Cardiff, c’est lui. Un dialogue est très révélateur à ce sujet, lorsque Ruffo s’inquiète des motiva-tions de son ami, et lui rétorque :

Puis à l’idée qu’un jour ils pourraient peut-être se retrouver armés l’un en face de l’autre pendant une guerre d’indépen-dance, il se fend d’un laconique :

« Je le ferai.

mais je n’aimerai pas ça. »

C’est dans cette relation d’amitié entre un blanc et un noir que se joue le propos du film. Ruffo est le personnage le plus sensé du film. En effet, durant le récit, la tension entre Heinlein et Curry atteint son comble avant même l’arrivée au village, l’ancien nazi contestant l’autorité de son supérieur. Avec l’ar-rivée d’une jeune fille qu’ils secourent sur le chemin vers le village, l’affrontement entre les deux hommes devient inéluc-table : c’est à la tronçonneuse, au bord du chemin de fer, que se déroulera le duel, et c’est Ruffo qui empêche son ami de céder à son instinct et le convainc de donner une autre chance à l’officier nazi.

cinéma cinéma

Un fIlm sUr la saUvaGerIe de l’HOmmeMais vers la fin du récit, Heinlein en viendra à tuer Ruffo pour

mettre la main sur les diamants. Ce meurtre précipitera Curry dans une violence animale puisqu’il se lance dans une chasse à l’homme pour venger son ami. Il massacrera Heinlein au cours d’une séquence d’une rare sauvagerie. C’est à la frontière qui sépare l’homme de l’animal finalement que se conclue le film, et cette conclusion est extraordinaire : juste après le meurtre de Heinlein, un des mercenaire arrive près de la rivière où la scène a eu lieu. Il découvre Curry, à quatre pattes, en train de se laver le visage dans l’eau. Il a des mouvements brusques, des mouvements d’épaules qui tiennent plus du félin que de l’homme. Enfin, il relève la tête, et le colonisateur blanc qui se pensait supérieur, qui croyait « être descendu de l’arbre » prend conscience de la vanité de ses prétentions dans le regard accusateur et compassé du soldat noir : il ne vaut pas mieux que les Simbas.

« Vous avez tué, tué comme ça ! Tragédie. L’enfer. On vient de l’enfer. Je n’y retournerai pas.

Capitaine… Je ne marcherai pas à côté de vous. Je prendrai un chemin différent. »

Un fIlm IntrOUvaBleDark of the sun dégagerait-il encore un parfum de souffre, du

à sa violence ou à son propos ? Toujours est-il que le film n’est sorti en dvd nulle part, et que les dernières VHS se négocient entre 65 et 150 euros sur priceminister... Il reste trouvable de façon illégale (merci Internet !), mais on ne peut que souhaiter une édition DVD qui rende enfin justice à ce chef d’œuvre.

Un fIlm antIcOlOnIalIste

« Pour toi c’est juste un territoire

appelé le congo. Pour moi, c’est

notre guerre de sécession »

Page 8: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

8

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

cinéma muSique

Terry Gilliam, vous connaissez ? à part les incultes irrécupérables, vous l’avez tous déjà vu. Remontez dans les années 80, pensez à ce qui est culte dans le cinéma et vous tombez sur Monty Python Sacré Graal bien sûr ! Gilliam ? Mais c’est Gauvain bon sang ! Les brumes s’estompent, il vous semble avoir vu son nom sur le générique des Frères Grimm et de L’Armée des Douze Singes. Normal il a réalisé les deux ! Et figurez-vous que Gilliam revient avec L’Imaginarium du Docteur Parnassus. Ça promet !

L’Imaginarium est une merveille de graphisme coloré et loufoque, dans un décor entre Angleterre victorienne à la Dickens et XXe siècle glauque. Immortel grâce à un pari reporté contre Mr Nick (le Diable en personne), Parnassus anime depuis des siècles un spectacle : « L’Imaginarium ». Principe du show : un badaud a l’immense privilège de rentrer dans les rêves délirants du vieillard. Mais loin d’être bons publics, les spectateurs se font rares et Parnassus et son étrange troupe survivent à peine dans leur étroite - c’est le cas de le dire - caravane. Pire ! Trop joueur, il va être contraint de don-ner sa fille, Valentina, à Mr Nick. Mais la rencontre avec un mystérieux et char-mant pendu (le regretté Heath Ledger) va changer la donne.

Le film a été réalisé contre vents et marées pour notre grand plaisir. C’est la dernière apparition à l’écran de Heath Ledger, le cowboy gay du Secret de Brokeback Mountain et Joker inou-bliable dans The Dark Knight. Ce dernier étant tragiquement mort d’intoxication

médicamenteuse pendant le tournage, plusieurs séquences dans l’esprit de Parnassus n’avaient pas été tournées et Gilliam aurait pu abandonner son film. Mais il choisit de ne pas céder à l’abatte-ment et réunit un casting de remplaçants de rêves : Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell, sosies génétiquement modifiés de Ledger.

Le relai est ensuite pris par des seconds rôles savoureux. Mr Nick est incarné par le musicien multifonction, Tom Waits, excellent en Diable élégant. Lily Cole incarne la provocation atta-chante de l’adolescence. Christopher Plummer, le visage enfariné, assure un patriarche imaginatif en bout de course. Anton (Andrew Garfield) est le cheva-lier servant, à tendance jalouse, de Miss Valentina. Enfin Verne Troyer, l’excellen-tissime Mini-Moi dans Austin Power, est le sage d’une compagnie bien débraillée.

La patte monty pythonesque n’a pas disparu chez Gilliam. Les décors en car-ton-pâte ont seulement laissé place aux effets spéciaux kitchs. A l’heure de la précision numérique, on peut être assez déstabilisé par un usage très « per-sonnel » de la technologie. Ne vous attendez pas à être époustouflés par la

surenchère de moyens. Il n’en ressort pas moins une atmosphère qu’on a peu l’habitude de voir au cinéma. Le film est un fatras hors du commun de baroque ringard mis à la sauce contemporaine. Certains passages, tel le show des poli-ciers (je ne dirais rien de plus pour ne pas gâcher votre plaisir) apparaissent en ligne directe avec cet humour so british.

Gilliam gagne son pari contre le Diable : réussir à ne pas faire du sous Monty Python. Comme à la grande époque, la faiblesse et l’incohérence du scénario sont rattrapées par l’absurde de l’hu-mour et un monde unique. Il n’y pas grand chose à comprendre alors ouvrez juste les yeux et les oreilles et savourez !

Par etienne ravier

l’ImaGInarIUm dU dOcteUr ParnassUsde terrY GIllIam

Page 9: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

9

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

cinéma muSique

Le monde du rap va mal. Musique à la base revendicative, elle fut récupérée pour ne devenir qu’une caricature d’elle—même. Deux camps sont à distinguer, deux tribus à géométrie variable, à la frontière poreuse. Le premier groupe est nommé « rap bling-bling », et se résume à l’apologie de l’argent facile

qui permet de s’acheter plein de nanas nues posées sur de grosses cylindrées. et de l’autre côté, un rap qui se veut « conscient », qui garde un oeil sur ce qui se passe sur notre planète, et tente de le décrire au fil des textes.

Ces deux écoles s’affrontent assez vaillamment depuis quelques années, chacune revendiquant son ancrage et ses origines banlieusardes. Chacune s’opposant, mais sujette à des changements de camp aussi rapides que surprenants... Dans ces conditions de jeu, il est nécessaire que les pères fonda-teurs reviennent pour distribuer les points et les poings. C’est le cas de Kool Shen, l’ex-créateur de NTM, redevenu ami de Joey Starr, qui revient après cinq ans d’absence.

Son premier album signé en solo hésitait entre les deux mouvances, alternait entre des morceaux penchés sur l’état du monde, et d’autres plus festifs et égo-tripiques. De nom-breuses interrogations sillonnaient ses textes, au sujet de la double orientation que prenait le rap. La dernière chanson du disque, nommée « dernier round » ne tranchait pas, et c’est au bout de nombreuses années que Kool Shen revient avec la réponse aux questions qu’il s’était posées.

Le titre annonce déjà la couleur par rapport à l’actualité du milieu du rap. « Crise de conscience », référence non cachée à la mouvance de rap conscient à laquelle il décide de se ranger. On ne peut qu’espérer que les propos du chanteur soient suivis, au regard de son histoire personnelle et du fait qu’il fasse partie des fondateurs du rap français, bien que l’espoir soit minime.

Tout au long de son CD, donc, Kool Shen s’applique à remettre sur le droit chemin les innombrables brebis égarées, notam-

ment dans des chansons comme « Rappelle-toi » dans laquelle il fustige les MC qui se prennent pour des gansters, et « Salope.com » qui s’en prend avec violence aux internautes qui s’amu-sent à balancer des insultes, bien cachés derrière leurs claviers. Le boulot est immense, aussi ne s’acharne-t-il pas durant ses quinze chansons à attaquer sans vergogne les mauvais MC.

Le flow sert parfaitement la cause du rap conscient, notam-ment, dans la chanson qui donne ses illustrations du livret : « grandeur et décadence », chanson qui, sur un rythme mili-taire nous projette dans un 2030 chaotique, conséquence de toutes les erreurs faites depuis ces dernières années. Le livret, lui, expose un Paris désert, avec Kool Shen comme seule âme qui vive. Le quartier de la défense semble avoir subit une sévère bataille, alors que la première page reprend une photo promo du film catastrophe 2012.

Le retour de la moitié de NTM était très attendu par les fans du groupe, et il répond à toutes ses promesses, exposant deux facettes du rappeur. L’une est consciente que le monde ne va pas des mieux, et la seconde est plus intime, faisant preuve d’espoir à travers l’évocation de son fils.

Par Hugo t.

KOOl sHen crIse de cOnscIence

Page 10: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

10

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

muSique muSique

Portrait de l’antéchrist mécanique à l’ombre du grotesque

Petit récapitulatif des albums précé-dents : au commencement, était Brian Warner, un gosse issu d’une famille amé-ricaine moyenne qui nourrit une seule ambition, devenir un star du rock. Ce rêve, il le crie dans son premier album, et s’attache à décrire et à critiquer l’univers dans lequel il évolue : un monde étrange, qui se rapproche selon un certain point de vue d’une version glauque des Simpsons. Seulement, le futur Marilyn Manson veut en sortir, ouvrir ses ailes pour voir de nouveaux horizons. Cette évasion aura lieu dans l’album suivant, qui est aussi celui de la consécration, celui qui posa à jamais l’image du roc-ker dans les esprits : Antichrist Superstar est l’album de la transformation. Pour

faire simple, le ver de terre Brian Warner devient ange du rock, adulé par des mil-liers de fan et conspué par toutes les ligues bien-pensantes du pays. Ayant atteint le but qu’il recherchait, Manson nous décrit ensuite, dans Mechanical animals , le monde du show-bizz, avec sa superficialité et ses hypocrisies.

Révolté de découvrir l’autre facette de HollyWood, Marilyn Manson cherche à monter une révolution, crache sur la société du spectacle, sur la religion, et sur l’Amérique en général, mais son coup d’éclat avorte vite et devient une marchandise et un spectacle comme les autres. Il ne lui reste plus qu’à endos-ser le costume de maître de cabaret, et à organiser une fête perpétuelle, en attendant que le monde s’écroule. C’est dans cette optique que naît The Golden

Age of Grotesque, très largement inspiré du Berlin d’entre-deux-guerres, dans lequel l’absinthe coulait à flot. Manson n’a pas pour autant perdu son esprit cri-tique, et si l’album a une surface de métal festif, le texte reste chargé d’acide sulfu-rique. Seulement, toutes les choses ont une fin, et après la fête vient la défaite, la gueule de bois et le réveil difficile. Après un silence de plusieurs années, et un mariage avorté, un nouvel album est pondu, suite directe du précédent, mais bien moins corrosif. Manson n’y parle que de son échec sentimental et de sa redécouverte de l’amour dans les bras d’une groupie de vingt ans. Beaucoup d’auditeurs du rocker fuient l’album Eat me, drink me car ils n’y reconnaissent plus leur révérend chéri.

marYlIn mansOn : tHe HIGH end Of lOwpar Hugo t.

iL y a deux ans, ce même journal vit dans ses pages un long dossier concernant le shock rocker marilyn manson, seulement, depuis cette publication, un album est sorti, ajoutant un nouvel épisode au mythe que construit le révérend.

Page 11: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

11

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

fallen frOm GraceMusicalement, The High end of low est une réussite, Marilyn Manson a retrouvé l’écriture qu’il avait pratiquement perdu

lors de Eat me, drink me. Cependant, tout au long de sa carrière, il nous avait habitué à créer de réels univers autour de ses albums, adoptant un look différent à chaque sortie. Or ici, point de mise en scène particulière, Manson reste lui-même et n’endosse pas le rôle d’un personnage métaphorique. Ce manque de créativité se retrouve dans le livret, qui expose des photos sans grand intérêt, ni recherche artistique. Le seul changement notable au niveau du look apparaît sur le visage bla-fard du personnage, la lentille blanche si reconnaissable est tombée, et les sourcils ne sont plus rasés. Ce faciès sans artifice rappelle les débuts du groupe, l’époque où Brian Warner cherchait à se faire un nom. Ce retour en arrière semble sympto-matique d’une fatigue croissante de la part du chanteur, qui se contente du minimum syndical pour pouvoir payer son loyer et remplir son armoire à pharmacie.

En outre, la piste bonus qu’il nous offre n’apporte rien d’innovant, il ne s’agit que d’un remix house du premier single de l’album, qui ressemble étrangement au remix introduit à la fin du disque précédent. Plus de pistes cachées, ni de paroles incompréhensibles à interpréter, Manson cherche la facilité et ne laisse plus de cadeaux à ses fans, cela expliquerait-il le dégoût de plus en plus prononcé de la part de certains d’eux?

The High end of low est la preuve que Marilyn Manson n’est pas mort, mais il n’est plus vivant non plus : il erre ainsi entre deux eaux, et perd peu à peu ce qui faisait partie de sa marque de fabrique. Son dernier album se clôt par une grande ques-tion à laquelle il ne donne aucune réponse, ainsi, la porte est ouverte pour la prochaine sortie qui, espérons-le, donnera une réponse au problème : « Qu’est devenu Marilyn Manson ? »

Le point suprême de la chuteDans ces circonstances, il est com-

préhensible que le disque suivant ait été attendu avec un mélange de crainte et d’impatience de la part de la commu-nauté de fans. Ils attendaient Manson au tournant, et un nouvel album de la même facture que Eat me... aurait signé la mort du chanteur, déjà annoncée par de très nombreux fans laissés à la dérive. Le retour du bassiste culte du groupe, Twiggy Ramirez, fut par conséquent vu comme une nouvelle bouffée d’oxygène, tout comme la seconde tournée, nom-mée Rape to the world tour, dans laquelle les chansons du dernier album en date laissent la place à d’autres, issues des disques passés. L’espoir revient dans le coeur des fans : ils ont le sentiment d’avoir enfin été entendus par leur idole.

En effet, le grand stratège commercial qu’il est a compris qu’il n’aurait pas le droit de sortir un nouvel album plein de bons sentiments, et l’ouverture de The High end of low fait un point sur le passé. Les trois premières chansons rappel-lent étrangement le précédent disque, dans leurs sonorités et leur texte, seu-lement, quelques modifications notables sont à saluer : le chant, présenté comme l’élément essentiel d’Eat me, drink me se ponctue de longs cris déchirants, et la provocation, marque de fabrique

de Manson, revient sous la forme d’un svastika. Provocation certes facile, mais qui prend de l’épaisseur quand la croix nazie se change en $ dans la censure du titre de la deuxième chanson. Les chan-sons suivantes marquent le rejet de The Golden age of grotesque, et indiquent qu’il n’est plus temps de penser à la fête car Marilyn Manson est bien vivant, et il compte bien le prouver. Au niveau des textes, il continue à parler de ses relations, mais il utilise cependant une écriture plus imagée et poétique que pour le CD précédent, dans lequel il était possible d’entendre des phrases comme : « J’ai su que notre amour était un acci-dent de voiture. »

L’album se compose de trois parties. La première qui rejette les deux der-niers albums et ce qui en découlait. La deuxième qui se penche plus en détail sur la fin de la relation entre Manson et l’actrice de 20 ans plus jeune que lui. Cette rupture n’est pas tendre, elle se fait dans la douleur pour les deux membres du couple. Elle est illustrée par le clip très dérangeant qui vient de sor-tir « Running to the edge of the world », qui expose un Manson désespéré, tor-turé face aux caméras, et une scène de violence conjugale se clôturant par le meurtre sanglant de la femme (meurtre qui rappelle la chanson tout aussi tortu-

rée : « I want to kill you like they do in the movies »). Cette deuxième provocation, à peine amoindrie par la référence au cinéma est la plus malsaine de l’album, car elle met l’auditeur dans une position difficile, de quel côté se ranger ? Celle de l’homme tourmenté à mort par ses démons, ou celle de la femme battue à mort par son homme ?

La question restera en suspens jusqu’à la fin du disque, mais Marilyn Manson n’en sortira pas indemne, et la troisième et dernière séquence s’attarde sur la question la plus importante qu’il puisse se poser à lui-même : « Suis-je ma propre ombre? » Depuis deux albums, de nombreux critiques s’interrogeaient à ce sujet. La première tentative de réponse renoue avec un morceau d’un anti-amé-ricanisme primaire, mais qui sonne faux, comme s’il n’était plus à sa place dans la bouche de Manson. Les trois dernières chansons dénotent une incroyable luci-dité sur sa personne et son identité, elles sont aussi les chansons les plus complexes de l’album car elles semblent s’adresser à Manson lui-même, présenté comme une personne contre laquelle il faut se battre, la schizophrénie n’est pas loin, et le dernier morceau laisse l’audi-teur sur sa faim, troublé, et ne sachant pas comment réagir face aux interroga-tions que se pose le rocker.

muSique muSique

Page 12: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

12

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

muSique muSique

Un an à peine après son premier album, Et Gary Cooper s’éloigna dans le désert, Alain Kan sort un second disque qui connaîtra un succès aussi inexistant que le premier. Le titre, hautement ironique, constitue une première provocation : profitant, en pleine époque hippie, de l’usage de plus en plus répandu des drogues en tout genre, Alain Kan feint de se faire l’écho de la France de Giscard, qui se rassure comme elle peut : Heureusement qu’en France, on ne se drogue pas ! La pochette de l’album est un portrait d’Alain Kan avec un lourd fard à paupière, influence directe de David Bowie. Infréquentable, moralement incorrect, c’est d’emblée ainsi qu’Alain se pré-sente. Et c’est sur ces mêmes thèmes, l’androgynie, la drogue et le rock’n’roll, que le rockeur décadent va s’exprimer. La

réponse ne tarde pas : l’album est censuré, interdit d’antenne, et encore une fois le jeune homme est condamné à rester dans l’ombre. Peu de temps après, l’album sera carrément retiré de la vente, à cause des paroles de Speed my speed. C’est par la scène qu’Alain va se faire connaître (enfin, relativement), et notamment en décrochant la mission d’assurer la première partie du groupe british Status Quo lors de leur tournée fran-çaise, dont le point culminant est une date à l’Olympia. C’est l’occasion pour Kan de rendre à l’Angleterre ce qu’il lui doit, et de se montrer à la hauteur de ses idoles Bowie et Jagger, lors d’une interprétation de la Marseillaise totalement sulfureuse et homosexuelle. Le groupe anglais n’en revient pas. La France bien-pensante non plus, d’ailleurs.

alaIn Kan HeUreUsement qU’en france, On ne se drOGUe Pas (1976)

par Kaes

Page 13: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

13

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

muSique muSique

l’alBUmC’est sur une musique orientalisante que s’ouvre le titre

Orphélie. Un côté folk, des guitares sèches, des tambourins et d’autres sons tendance indienne, qui accompagnent un texte plus qu’étrange. Il s’agit en fait d’un clin d’œil à un poème de Rimbaud, qu'Alain Kan réécrit, lui-même faisant écho à l’Ophélie d’Hamlet. Les trois personnages se croisent dans une aventure intemporelle sur fond d’opium dans le désert. On est en plein message hippie : drogue, volonté de fuir le monde moderne, de revenir à la nature, besoin de poésie, et de planer… La voix d’Alain s’est débarrassée de son entrain music-hall pour s’orienter vers un timbre plus rock’n’roll à proprement parler.

Vient ensuite le titre éponyme. Les accords de guitare sont en fait pompés sur Andy Warhol, chanson de Bowie parue sur Hunky Dory. Ils trouvent ici une nouvelle fraîcheur, sur un texte qui dépeint avec ironie une France conservatrice, fière de son vin rouge, mais qui voit d’un mauvais œil les drogues. Ma solitude, troisième titre, tranche radicalement. Un rythme hypnotique, des sons étranges et lents, et la voix d’Alain, majes-tueuse. Il s’agit d’un texte en spoken word, dans le même genre qu’Une espèce de lolita sur le premier album, ou que Hollywood Suicide. Alain raconte de manière poétique et romancée son enfance, et sa solitude existentielle, qui lui colle à la peau. On trouve des éclairs de génie dans les paroles de ce morceau, regorgeant d’une douleur vive. Alain Kan semble déjà s’orien-ter vers un thème qui lui est cher, celui de la folie. On l’entend d’ailleurs sur ce morceau rire comme un dément en récitant un texte qui n’a pas de sens immédiat. Un vrai morceau de poésie.

G.M.Blues est un titre lent lui aussi, en l’occurrence, comme l’indique son titre, c’est un blues. Les paroles, érotiques, évo-quent le travestissement et l’homosexualité, de manière assez explicite, puisqu’à la fin du morceau, Alain ne chante plus mais pousse des gémissements sans équivoque. Le titre se termine dans un concert de guitares qui crissent, après neuf minutes de débauche. On enchaîne alors sur un petit morceau bien plus léger, bien plus sympathique, le dynamique Monnaie Monnaie, rappelant un peu le Rebel Rebel de Bowie, et qui évoque en fait

une prostituée arnaquée par son mac. Un thème qui semble cher à Alain, puisqu’il écrira plus tard pour Christophe une chanson sur le même thème.

Au centre de l’album se trouve la chanson phare, Speed my speed, qui vaudra à l’album tant d’ennuis. Sur fond de balade amoureuse accompagnée par un piano langoureux, Alain Kan énumère avec une voix de lover tous les noms de drogues et de médicaments psychotropes qui lui sont probablement passés entre les mains. Chanter un amour immodéré pour les subs-tances illicites, voilà qui est pousser le bouchon un peu loin. Pourtant, la chanson, au-delà de la provocation évidente, est superbe. Dans sa deuxième moitié, elle évolue vers un rythme funk-groovy surprenant.

Grotesque en revanche, le morceau intitulé Dracula. Il s’agit d’un titre, parodie ou hommage, qui nous entraine dans un bal des vampires très polanskien. Pendant six minutes, sur un rythme redondant, ponctué par des petites voix qui répètent « Dracu-Dracu-Dracula, non tu ne me mangeras pas ! », on voit défiler les créatures les plus bizarres, les clichés les plus lourdingues du cinéma d’horreur, le tout enrobé de trivia-lité. Dracula est représenté comme une espèce de dragueur raté, qui n’arrivera même pas à faire ses dents sur la petite Lucette qui n’a pourtant pas l’air très finaude. La chanson sui-vante, Ange ou démon, ressemble encore à ces titres un peu trop variété que l’on trouve au début de la carrière d’Alain, le texte lui-même nous laisse un peu perplexe, cédant parfois à quelques facilités... L’album s’achève cette fois encore sur une reprise : il s’agit ici d’un titre d’édith Piaf, assez peu connu : Les Blouses blanches. Alain Kan transcende la version pour en faire, au moyen de sons bizarres et d’un rire digne de Jack Nicholson, un éloge de la folie bouleversant.

Heureusement qu’en France on ne se drogue pas, à cause de son prosélytisme homosexuel, de sa pochette criarde, et de son incitation aux drogues en tout genre, restera lui aussi hors de portée de son public. Pourtant, l’album a peu de faiblesses. Les titres sont magistraux, orchestrés de manière savante et efficace. Malheureusement, la provocation sans concession d’Alain l’aura condamné à être ignoré du grand public.

1 Orphélie(Alain Kan/Laurent Thibault)2 Heureusement qu’en France on ne se

drogue pas (Alain Kan)3 Ma solitude (Alain Kan/Laurent

Thibault)4 GM Blues (Alain Kan)5 Monnaie Monnaie (Alain Kan/Laurent

Thibault)

6 Speed my speed (Alain Kan)7 Dracula (Alain Kan/Laurent Thibault)8 Ange ou démon (Alain Kan/Laurent

Thibault)9 Les blouses blanches (M.Monot/M.

Rivgauche)10 Pauv’Pomme (G.Thibaut/J.Renard) –

bonus réédition 2007

Heureusement qu’en France on ne se drogue pas

Page 14: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

14

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

L’AMour est un sujet dont on ne se lasse pas ; il continue et continuera à faire couler de l’encre et des larmes durant des siècles et des siècles.

Mais en fait, qu’est-ce que l’amour ? C’est cette chose qui lie deux êtres pour un temps, pour leur bonheur comme pour leur malheur. L’amour est un sentiment qui vient du cœur : ce sentiment nous construit, nous détruit, nous fait plaisir, nous fait souffrir. L’amour peut donner un sens à notre existence, l’amour c’est tout, l’amour c’est n’importe quoi, l’amour est une foi, l’amour est une quête, l’amour c’est la vie, la vie c’est l’amour.

Trêve de plaisanteries ! Pascal Bruckner, dans son nouvel essai Le Paradoxe amoureux, vient nous parler, comme vous vous en doutez, d’amour, mais non d’une façon mielleuse, romanesque, ou idéale. L’auteur constate que : « L’on parle trop de l’amour tel qu’il devrait être et pas assez tel qu’il est. » Dans ce livre, il évoque l’évolution de ce sentiment, et de la sexualité qui com-mença à se libérer vers le XVIIIe siècle en France. Cependant, malgré la libération des mœurs depuis les années 70, Pascal Bruckner pose cette question : « Comment l’amour qui attache peut-il s’accommoder de la liberté qui sépare ? » C’est le pro-blème qui s’initie dans beaucoup de couples de nos jours : « S’il y a un rêve moderne (...), il tient tout entier dans cette double aspiration : jouir de la symbiose avec l’autre tout en restant maître de sa vie. » En effet, l’on veut être soi, libre et indépendant bien que nous sachions pertinemment que nous dépendons de l’autre. Il a cette phrase sublime : « L’amour est une aventure dont nous ne voulons pas nous priver à condition qu’elle ne nous prive d’aucune autre aventure. »

Ainsi, dans nos sociétés, le couple aboutit le plus souvent au mariage, au mariage d’amour qui devrait durer pour tou-jours… Michel Serres, dans son ouvrage Hominescence évoque ce problème : autrefois, l’on se mariait pour cinquante ans au moins, mais désormais on assiste à des mariages qui ne durent que cinq ans tout au plus, nous assistons à une institution qui ne tient plus debout, c’est ce que l’on constate vu le nombre de divorces... Vous imaginez-vous vivre avec la même personne pendant 50 ans ? Ce n’est plus pensable !

Or, il n’est pas toujours facile de quitter une personne avec qui on a partagé tant de souvenirs. Certains continuent de faire « comme si » devant les autres : « Horreur de ces couples usés qui s’accrochent l’un à l’autre comme deux ténias et s’amenui-sent faute d’avoir osé prendre le large. » Et plus loin il écrit ce constat très touchant : « Devenir familier d’un couple ami, c’est souvent tomber de haut, découvrir des détails d’une mesqui-nerie insondable tant est vaste l’intervalle entre l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes et ce qu’ils sont en réalité. »

Ah ! Mais pourquoi encore croire à l’amour éternel, cette uto-pie commence à être usante ! Il faut être lucide : on ne peut pas

aimer une seule personne toute sa vie ; certes, cela est plaisant de croire en cette fable, on aimerait y croire, et au début on y croit tous ! Mais voilà ce qui arrive bien souvent : « Voir deux tourtereaux, jadis langoureux, se transformer en guerriers furieux, se prendre à la gorge lors d’un jugement de divorce, est une des leçons les plus troublantes de la nature humaine. »

Pascal Bruckner cite, à juste titre, un extrait d’une nou-velle de Maupassant Jadis qui résume assez bien l’idée que le mariage n’est qu’une institution et n’est en aucun cas une preuve d’amour : « Le mariage et l’amour n’ont rien à faire ensemble. On se marie pour fonder une famille et on forme une famille pour constituer la société. La société ne peut se passer du mariage (...) On ne se marie qu’une fois fillette, parce que le monde l’exige mais on peut aimer vingt fois dans la vie parce que la nature nous a fait ainsi. Le mariage, c’est une loi, vois-tu, et l’amour, c’est un instinct qui nous pousse tantôt à gauche, tantôt à droite. On a fait des lois qui combattent les instincts, il le fallait, mais les instincts sont toujours plus forts et on ne devrait pas trop leur résister parce qu’ils viennent de

littérature littérature/radio

Pascal BrUcKner le ParadOxe amOUreUx

Par Glenn nicoLLe

Page 15: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

15

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

littérature littérature/radio

Dieu tandis que les lois ne viennent que des hommes ». Tout est dit.

Le mariage n’empêche pas l’adultère, loin de là, « La vio-lence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité » disait La Rochefoucauld. Nous sommes tiraillés entre l’idée de liberté amoureuse et l’idéal de fidélité, hérité de la religion chrétienne. Il arrive de désirer une autre personne que la « légitime », et l’auteur cite au début d’un chapitre cette merveilleuse phrase de Marcel Proust : « On trouve innocent de désirer et atroce que l’autre désire. » Nous sommes tous un jour ou l’autre confrontés à cette situation où nous, ou notre partenaire, désire quelqu’un d’autre. Pourquoi a-t-on ce désir d’ailleurs ? « Notre rival en amour, homme ou femme, qu’a-t-il de plus que nous ? Ceci d’irréfutable : il est nouveau. C’est ce qui le rend irrésistible, non sa beauté ou son esprit. » Qu’y pouvons-nous ?

Enfin, l’amour, n’est pas un joug ou une chaîne qui nous emprisonne, il nous permet d’« Oser à deux ce qu’on n’ose faire seul. » L’amour libère et nous attache, et sans lui la vie aurait

moins de saveur. Certes, « La passion est peut-être vouée à l’infortune, (mais c’est) une infortune plus grande encore de n’être jamais passionné. »

Il est évident que je vous conseille la lecture de cet ouvrage qui est passionnant, et très instructif ; il peut nous aider à mieux comprendre ce sentiment inexplicable qu’est l’amour, qu’on a tendance parfois à trop idéaliser. Il nous permet de mieux comprendre le cœur humain qui est loin d’être raisonnable. Il nous aide aussi dans notre façon d’envisager le couple et les situations parfois pénibles qu’il peut traverser. Ce livre est un véritable échange d’idées qui, malheureusement, n’a pas tout le temps lieu dans les couples...

Si vous n’en avez pas eu assez avec ce livre de Pascal Bruckner, je vous conseille d’autres ouvrages déjà connus comme Le discours amoureux de Rolland Barthes, ou encore De l’amour de Stendhal... Bonne lecture à toutes et à tous et n’oubliez pas ceci : nous n’écoutons jamais assez la délicieuse voix de notre cœur...

Oh non ! Pas France Musique ! C’est bon, Beethoven on connaît tous ! La dernière fois que tu as branché ton autoradio sur la fréquence, c’était perdu sous le blizzard en cherchant les infos routières. Ta peur de finir conge-lé dans l’habitacle s’est prolongée dans une profonde haine des « Quatre Saisons » de Vivaldi et de tout ce qui s’en approche.

Eh bien lecteur à l’oreille hostile au classique, sache que France Musique programme aussi du jazz, du blues et du rock. Et oui, les auditeurs ont droit à une programmation rock avec Subjectif 21, tous les dimanches soirs de 22 h à 23 h. Si cet épisode peut paraître assez bref,

il est grandement rattrapé par la qua-lité de l’émission présentée par Michka Assayas.

Ancien rédacteur de Rock and Folk et des Inrocks, Assayas est le sage du rock’n’roll. Sa voix étonnamment douce tranche avec des goûts très prononcés pour le post-punk. Il ne présente pas avec l’autosatisfaction et la prétention au bon goût trop souvent communes à ses collègues. Fait non négligeable quand on subit les transitions lour-daudes des animateurs radios, Assayas sait s’effacer derrière la musique tout en plaçant des anecdotes qui rendent l’écoute infiniment agréable.

Quels que soient vos goûts, Subjectif 21 propose une programma-tion musicale thématique extrêmement éclectique. Certains numéros vous plon-gent dans l’univers hippie et d’autres trouent les tympans des habituels adeptes de Berlioz à grand coup du métal le plus brutal. Aussi, le programme proposé ne vous conviendra-t-il pas forcément à chaque fois. Vous aimerez généralement, vous apprendrez souvent et parfois... vous couperez.

Dans tous les cas, Assayas agrandit le spectre culturel de France Musique. La station fait d’ailleurs visiblement des efforts pour élargir son public, succès garanti si Subjectif 21 se maintient à son niveau de qualité actuel.

Par étienne ravier

sUBJectIf 21

« L’amour est une aventure dont nous ne voulons pas nous priver

à condition qu’elle ne nous prive d’aucune autre aventure. »

Page 16: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

16

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

littérature littérature

Zoïle, astrolabe et aliénorsds : à la lecture de Voyage d’hiver, votre dernier roman, on

a l’impression que chacun des trois personnages principaux, Zoïle, Astrolabe et Aliénor, représente en réalité une part de vous …

a. n. : Je pense qu’on peut y voir trois modes de création : la première pulsion de création est « animale », elle correspond à Aliénor, (et c’est un peu mon socle). Mais je suis instruite, j’ai appris un minimum de choses, la philologie entre autres, et cela correspond à Zoïle. Pour le 3e stade, la création sup-pose que l’on doit aussi composer avec l’autre quand on fait une œuvre, donc comme Astrolabe, qui est plus présentable vis-à-vis d’autrui.

sds : Aliénor, en hébreu, signifie « lumière divine » cela rejoint l’idée de l’image du baobab, lors de la scène des champignons hallucinogènes. Est-ce prémédité ou venu naturellement ?

a. n. : Je ne savais pas que ce nom voulait dire « lumière divine ». Aliénor était pour moi Aliénor d’Aquitaine, une femme importante pour la naissance de la littérature, car elle a lancé le mouvement des troubadours. Ce qui est paradoxal, car en fait mon personnage n’a rien pour inspirer les troubadours ! Ce que vous me dites sur le sens étymologique de ce prénom, que je ne connaissais pas, je veux croire que dans mon inconscient, ce prénom voulait dire cela.

sds : On le voit, vous avez l’habitude de donner des prénoms étranges à vos personnages de romans. Est-ce pour mieux les distinguer des autres personnages ?

amélie nothomb: Dans mes livres, il y a toutes sortes de prénoms : Pierre, Paul, Jacques, mais aussi Zoïle, Astrolabe. Je ne les ai pas inventés, ils existent vraiment. Ce n’est pas seulement pour les distinguer des autres... Chaque fois que je tombe sur ces prénoms dans mon encyclopédie du XIXe siècle, je déplore que ces prénoms ne servent pas parce que je les trouve beaux et extraordinaires, mais parce que je trouve qu’ils sont pleins de sens, auquel j’essaie de m’attacher le plus possible, soit pour leur sens historique ou étymologique, et j’essaie de donner à mes personnages un nom qui leur cor-responde. Zoïle, le sophiste Astrolabe, personnage frustrant et castrateur, je trouvais que cela correspondait. Mais ce qui m’intéresse le plus est de leur donner un beau nom. Je ne don-nerais pas un prénom que je trouve vilain.

Des champignons hallucinogènes au sens de la vie…sds : Dans Voyage d’hiver, il existe un passage où les prota-

gonistes avalent des champignons hallucinogènes. Comment avez-vous eu l’idée de ceci

a. n. : Nous passerons sur les détails biographiques de l’affaire... Quand cette idée de roman m’est apparue, cela a commencé par le crash en avion... Pourquoi veut-il faire cela... La cause était pour moi évidente, mais je me suis ren-due compte que, pour les autres gens, il en manquait une : comment passer d’un dépit amoureux à un crash en avion ? Le chaînon manquant était en fait le trip, c’est-à-dire le récit d’un voyage, donc cette scène de trip.

sds : Le repas est un point essentiel dans votre roman. Peut-on savoir quel aurait été le dernier repas de Zoïle avant son crash d’avion ?

a. n. : Zoïle n’a pas l’air d’un très grand goinfre… (réflexion) Surtout pas d’alcool, car il faut garder sa lucidité. Disons un tartare de viande rouge, car cela préfigurerait les cadavres.

entretIen avec amélIe nOtHOmB

AMéLie Nothomb publie plus vite que son ombre. un livre par an, c'est le minimum: son dernier opus, Voyage d'hiver, nous entraîne sur les traces Zoïle, Astrolabe et Aliénor, autour d'un fantasme d'attentat en avion...

Page 17: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

17

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

littérature littérature

sds : On remarque aussi dans vos livres la part importante des amours et des haines, et ces antagonismes viennent parfois des mêmes personnages, par exemple dans Voyage d’hiver, où Zoïle aime Astrolabe, mais ne peut s’empêcher de la haïr pour ce qu’elle lui fait. Comment avez-vous réussi à concilier cela ?

a. n. : C’est proche de la vie réelle, n’avons-nous pas tous vécu cela ? Je ne parle pas ici des sentiments tièdes, mais l’amour paroxystique crée un champ de violence, c’est comme cela tout le temps, non ?

sds : Toujours dans Voyage d’ hiver, à la page 21, Zoïle raconte son adolescence avec ses camarades Fred Warnus et Steve Caravan, en disant qu’il subissait leur séduction. Qu’entendez-vous par là ?

a. n. : Je parle ici de l’adolescence, j’ai vécu cela, je sen-tais que j’étais dépourvue de séduction, je voyais que d’autres étaient séduisants, cela m’énervait mais j’étais quand même séduite. J’essayais de comprendre pourquoi ils étaient sédui-sants. Je pense qu’on a tous vécu cela. Il y avait ce mélange de jalousie et d’admiration. Je me demandais « Est-ce que je devrais faire comme eux ? », mais cela n’aurait aucun sens car je n’ai pas ce qu’ils ont. C’est un paradoxe.

sds : Dans votre dernier livre, vous vous exprimez aussi sur le sens de la vie (cf. page 29). Quel sens donnez-vous donc à la vie sur terre, en tant qu’Amélie Nothomb et en tant qu’écrivain ?

a. n. : Cela me fait penser à une histoire que j’ai vécue, du temps où je recevais encore les journalistes chez moi, à Bruxelles. Je reçois un jour un coup de téléphone d’une dame originaire de Zurich. Je la reçois, elle s’installe dans le salon et se tait. Quelle étrange façon d’interviewer ! Je lui demande pour quel journal elle travaille, elle me répond qu’elle n’est pas du tout journaliste, mais qu’elle voulait juste me rencontrer parce qu’elle savait que j’étais écrivain. Elle voulait juste savoir quel était, pour moi, le sens de la vie ! Je lui ai dit que je n’étais pas plus renseignée qu’elle sur la question, et elle me demande alors pourquoi j’écris des livres ! Je lui dit que j’écris des livres pour peut-être trouver le sens de ma vie justement...

L’écriture et le rapport aux livressds : Vos titres de romans sont assez originaux. Est-ce que

vous avez besoin de réfléchir longtemps à l’avance pour les choisir, ou est-ce qu’ils vous viennent d’un seul coup, pendant ou après l’écriture du roman ?

a. n. : C’est toujours le même processus. Je les trouve vers la fin de l’écriture, mais ils ne sont jamais le résultat d’une réflexion consciente. Ils sortent toujours d’une longue rumi-nation inconsciente. Si j’essaie de réfléchir à un titre, je ne trouve rien, et quand une illumination arrive, il n’y a aucune hésitation. Sauf pour Hygiène de l’assassin, où je suis tombée enceinte du livre par le titre. Je devais ensuite trouver l’histoire qui collait à ce titre.

sds : Parmi vos livres, y en a-t-il un dont vous êtes particu-lièrement fière ?

a. n. : Non. Mes livres ont eu un succès divers, mais cela n’a pas d’altération sur ma relation avec eux. Je suis comme une mère qui prend conscience de la nécessité de chacun de ses enfants.

sds : Vous dites, dans votre dernier roman, page 48, « Tout lecteur devrait recopier les textes qu’il aime : rien de tel pour

comprendre en quoi ils sont admirables. » Quels textes avez-vous donc déjà recopié, et qu’est-ce que cela vous a apporté ?

a. n. : J’ai recopié énormément, notamment en tradui-sant certains livres. Le passage où Zoïle traduit Homère, je l’ai vécu. J’ai aussi recopié du Proust, beaucoup de Nerval, de Bernanos. J’écris aussi beaucoup de correspondance. Il peut arriver que si un lecteur me pose une question et que je sens que je ne suis pas inspirée, je recopie un passage, parce que je sens que ce sera une meilleure réponse.

sds : Quel livre auriez- vous rêvé d’écrire ? Quelles sont vos références littéraires ?

a. n. : J’aurai aimé écrire la Bible. Mes références sont la Bible, Tintin, et Victor Hugo, le premier écrivain « sérieux » que j’ai découvert. J’ai lu Les Misérables à neuf ans, et cela m’avait fait une très grande impression.

sds : Vous publiez un livre par an. Comment trouvez-vous le temps d’écrire aussi vite ?

a. n. : La vérité est que je suis en train d’écrire mon soixante-septième roman. Je n’ai trouvé qu’une solution : écrire tous les jours, sans exception, de 4 h à 8 h du matin. Le restant de mon temps est très occupé aussi, mais ce temps est de toute façon imparti à la création littéraire.

sds : Donc ce matin, vous vous êtes levée, vous avez bu un litre de thé et vous avez écrit ?

a. n. : Un demi-litre de thé plutôt, ces chiffres ont été faussés, parce que sinon je passerais ma vie aux toilettes ! L’important est que cela soit au saut du lit, cela peut-être à 3h du matin par exemple. Mais pas à minuit, sinon il faudrait que je me couche à 20h et que j’aie une vie complètement à part.

sds : Même si vous avez écrit plusieurs romans en une année, vous n’en publiez qu’un seul. Que faites-vous des autres livres ? Comment sélectionnez-vous celui qui sera publié ?

a. n. : Je sélectionne seule. L’éditeur aimerait le faire à ma place, mais il n’en est pas question ! La procédure est toujours la même : l’hiver, je relis tout ce que j’ai écris durant l’année, jamais ce que j’appelle les antiquités. Le choix est évident, j’ai un critère instinctif, il n’y a pas de critère scientifique ou marketing pour les sélectionner. C’est comme lorsque l’on va au restaurant, pour choisir un menu, on se dit « aujourd’hui il n’y a pas de doute, je vais prendre telle chose ».

sds : Que répondez-vous aux détracteurs qui critiquent votre succès ?

a. n. : J’ai l’habitude de ne pas leur répondre. Il est inévi-table qu’un succès entraîne des détracteurs. Si j’écrivais des longs romans, et si personne ne connaissait mon visage, les critiques seraient aussi différentes. Mais il ne faut rien leur répondre, c’est comme ça, il n’y a rien à faire.

sds : Que pensez-vous de la numérisation des livres ?a. n. : Je sais que mes livres sont numérisés, mais vous avez

devant vous le plus grand néant en informatique ! Donc je ne sais pas si c’est mal ou si c’est bien.

entretien réalisé par amélie, anaïs et émilien

Page 18: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

18

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

littérature jeux vidéo

Ce livre confronte deux person-nages : une jeune comédienne, Régine, aux yeux pétillants, qui a goût à la vie et veut en profiter à fond ; et un homme taciturne, Fosca, qui n’attend rien de son passage sur Terre. Le contraste saisissant entre les deux prota-gonistes s’explique par leur écart d’âge relativement important : alors que l’actrice a à peine vingt ans, son interlocuteur est né au XIIIe siècle, et malgré toutes les expériences qu’il a vécues, il est fatigué de vivre. C’est bien là que réside l’intérêt de leur relation, et celui du livre : dans cette confron-tation d’une gamine à peine adulte et d’un être immortel qui n’est plus vraiment vivant parce qu’il l’a été trop longtemps.

Pourtant, il fut par le passé aus-si vivant que Régine, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a accepté de boire la potion d’immortalité qui lui a été proposée. Il rêvait d’un grand avenir à la tête de sa patrie. à ses débuts, il remporta de grandes victoires, mais celles-ci se changeaient, par le passage implacable du temps, en défaites. La chute d’une cité concurrente renforçait un ennemi plus grand encore. La première leçon que les innombrables années apprendront à Fosca est qu’il n’y a jamais de victoire définitive, et que l’étroi-tesse d’une vie d’homme a ceci d’intéressant qu’elle permet de s’arrêter avant que la roue ne tourne.

Son parcours le laisse de plus en plus insatisfait, blasé d’avoir trop vu et de ne pouvoir agir. Au fil du temps, il réalise que son expérience ne lui sert à rien, car il est en définitive seul à s’enrichir des expériences de sa vie sans fin. L’enchaînement des diverses périodes de sa vie est aussi très intéressant, puisqu’après avoir personnellement guerroyé, il devient conseiller de guerre de Charles Quint. Son parcours suit l’histoire du monde, et après l’engouement des grandes découvertes, il s’attarde sur la « science de salon » des encyclopédistes. Ici encore, le lecteur

constate le détachement progres-sif de Fosca à l'égard de tout ce qui fait l’intérêt de son monde ; de commandant, il passe à conseiller ; d’explorateur, il devient mondain. La dernière période dans laquelle l’immortel s’implique est la révo-lution de 1848, qui fut un échec cuisant pour les révoltés, et un coup de grâce dans la foi en la vie de Fosca.

Outre la grande Histoire, Simone de Beauvoir nous dépeint l’histoire amoureuse de son personnage surprenant. La malédiction de l’immortalité condamne la victime à ne connaître que des histoires d’amour épisodiques, le mariage, union jusqu’à la fin ne veut plus rien dire quand l’un des conjoints ne connaîtra jamais cette fin. Le veuvage éternel est sans doute la

pire des malédictions, et face à cette réalité, les femmes sont à la fois angoissées et attirées. Fosca, qui a connu de nom-breuses femmes, et en connaîtra d’autres au cours des siècles, a en effet de quoi s’inquiéter : peut-il aimer véritablement ? Pour répondre à ce problème, Fosca décide vite de se fermer à l’amour, pour éviter de souffrir et de faire souffrir.

Tous les hommes sont mortels est une très fine analyse de ce que pourrait être l’immortalité, et de la malédiction qu’elle constitue, tarissant progressivement les aspirations de l’homme, annihilant ses désirs les uns après les autres, et détruisant ce qui fait de lui un homme véritable pour n’en faire qu’un fantôme désabusé. Malgré cet état de fait, la clôture de l’ouvrage nous laisse face à notre mortalité, et les dernières pages nous décrivent Fosca qui reprend son interminable che-min à travers les siècles, que rien ne pourra arrêter, mais que nous, pauvres mortels, ne pourrons jamais connaître. Le point final est une ultime affirmation : tout les lecteurs sont mortels.

par Hugo t

tOUs les HOmmes sOnt mOrtelsde sImOne de BeaUvOIr

L’hoMMe est un éternel insatisfait : les blonds préféreraient être bruns, les petits préféreraient être grands, les mortels préféreraient être immortels. Ce souhait est d’ailleurs le plus présent dans l’incons-cient collectif, divisant la population en deux catégories : ceux qui se laisseraient tenter, et ceux, plus

philosophes, qui en parlent comme s’il s’agissait d’une malédiction. Le débat reste cependant vain, car, comme l’affirme Simone de Beauvoir dans l’un de ses romans, Tous les hommes sont mortels.

« Sans la crainte de la mort, il n’y a plus aucune raison de vivre. »

Page 19: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

19

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

littérature jeux vidéo

MêMe si vous n’avez aucune idée de ce qu’est Assassin Creed, une bête recherche

vous indiquerait une chose simple : tout le monde aussi bien dans la presse (pas seulement spécialisée) que parmis les joueurs PC console, occasionnels ou non, est unanime pour dire qu’Assassin Creed est un super jeu, l’un des meilleurs de l’an-née sans doute. Comme d’habitude, lorsque tout le monde s’accorde sur un fait, il faut que ce soit dans le mauvais sens. Pourquoi une telle critique ? Jugez plutôt.

tranchons directement dans le vif du sujet

Premièrement et, au delà même du simple fait que ce titre vidéoludique est dangereux (chose que j’expliquerai plus tard), j’ai tout de suite considéré ce jeu comme une incommensurable bouse. Je crois que graphiquement il n’y a rien à dire : telle une belle blonde Suédoise, Assassin Creed a ce qu’il faut, ou il faut. Les modèles sont fidèles, les cités sont grandioses ; tout est là pour vous gâter les mirettes et vous faire oublier que, à l’instar de la belle suédoise, le jeu est creux. Les personnages (surtout le prin-cipal) sont fadasses, ont peu de répartie. Le coté «badboy» qui ne respecte pas les règles parce qu’il est un génie est cliché à mort. Si les villes sont immenses, elles sont au final très creuses : rien à y faire en dehors de la mission… Vous vous ren-drez compte très vite que la meilleure façon de procéder est de foncer jusqu’à l’objectif et de le zigouiller (méthode du hit and run) ; l’enquête préliminaire, tou-jours basique, ne sert pas à grand chose. Au delà de ça, rien ne vous retient dans la ville.

Le gameplay est simplement atroce, le personnage extrêmement dur à faire bouger. Parfois même on se surprend à rire tellement les développeurs ont forcé le ridicule : votre personnage, destitué de son statut au tout début du jeu perd son titre, ses armes et ... sa capacité de cou-

rir ou de s’accrocher à un mur. Capacités que vous retrouverez plus tard. Non décidément, même d’un point de vue vidéoludique, Assassin Creed ne vaut pas le temps que l’on peut passer dessus. Bien entendu, voyez là les considérations de quelqu’un qui n’a pas pu le tester sur un écran HD et sa PS3 (et qui n’a donc pas été hypnotisé). Le jeu camoufle donc (à mon humble avis) sa nullité derrière une certaine facilité, camouflée elle même derrière un coté artificiellement compliqué et une interface graphique qui vous ôtera immédiatement toute idée de critique : vous restez scotché, la bave aux lèvre. De la poudre aux yeux, un leurre. Il est perdu le temps des musique qua-lité 8bits qui vous faisait quand même pleurer…

tranchons plus profond, et remuons la plaie dans le couteau

Pour autant, et ce sera le deuxième menhir que je jetterai sur le jeu, c’est surtout le scénario qui m’a choqué, et ce qu’il implique dans son aspect sociolo-gique. Remettons nous dans le contexte (surtout pour ceux qui n’y on pas joué) : le personnage principal est séquestré dans un laboratoire pharmaceutique, à notre époque. Il lui est ordonné de se connec-ter à une machine très spéciale : l’animus, censée lui faire revivre des souvenirs provenant de sa mémoire génétique, la théorie étant la suivante : nous avons tous en nous, des données mémorielles de nos ancêtres, ces donnés influençant notre destin. Notre personnage est issu d’une lignée d’assassin et est lui même un meurtrier, c’est dans ses gènes. Par extension, on pourrait considérer qu’un père alcoolique donnera forcément des enfants alcooliques, c’est dans les gènes (n’y a il pas un gène de l’alcoolisme en Bretagne ?). Ce travers des progéni-tures est facilement vérifiable tout près de chez vous. Regardez votre voisin de palier là ... en face. Il est ouvrier (donc bête et peu diplômé ?), sa femme (grosse et moche ?) ne glande rien et ses enfants sont de piètres élèves. A l’inverse, votre

voisin du dessous est prof, comme sa femme (super sexy), et leurs enfants ont les meilleurs résultats de la classe. «On ne fait pas des chevaux de course avec des chevaux de labour» comme on dit. D’ailleurs, il est presque stupide de vouloir éduquer les enfants de l’ouvrier puisqu’ils ne sont pas du tout fait pour. Je dirais même plus : de part leurs pré-dispositions, ils seront à leur place plus qu’un autre à l’usine, donc pourquoi les écarter de ce parcours en les faisant aller a l’école ? (et en plus ils sont mau-vais, et ça les fait chier, et ça coûte cher pour rien). De plus, dans le cas peu pro-bable où “l’enfant ouvrier” réussirait, la machine outil pour laquelle il est fait lui manquera inconsciemment et il finira par devenir un mauvais prof déprimé. De même, un “enfant prof” devenant ouvrier ne ferait pas un ouvrier épanoui.

Je cherche peut-être la «petite bête» mais est-il normal qu’un scénario de jeu vidéo (et à priori un jeu incontes-table et largement diffusé) puisse faire part belle à une théorie eugéniste ? Plus grave encore, pourquoi cela n’engendre-t-il aucune réaction ? Les propos que j’ai tenu plus haut sont-ils à ce point rentré dans les mœurs et totalement intégrés? Certes, le fameux «on s’en fout, ce n’est qu’un jeu» prime, mais ces vieux pré-ceptes d’un autre age ont la peau dure pour la simple et bonne raison qu’ils sont, comme je vous l’ai démontré, vérifiables autour de vous pour peu que vous partiez du principe que l’échec ou la réussite se situe dans les gènes. Pourtant, il ne faut pas confondre la composante génétique d’un héritage (votre physique et quelques malformations ou problèmes de santé tout au plus) à la composante sociale qui fait de nous ce que nous sommes. Le résul-tat est le même me direz vous, mais il est dangereux de partir du principe qu’une personne est prédisposé physiquement et de naissance à une voie, et ce quoi qu’on y fasse. Sachant que tout le monde croit que c’est vrai, le confirmer par le biais de certains médias n’arrange rien.

POUrqUOI le JeU assassIn creed est-Il sImPlement nUl et danGereUx ? PassaGe aU scalPel (sOcIO)lOGIqUe dU dOcteUr m

Page 20: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

20

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

la manGOUste Par xavIer dOrIsOn et ralPH meYer

Sorti en 2008, le premier album retrace l’histoire de la Mangouste, le tueur qui tient à assassiner notre amnésique tatoué jusqu’au Jugement (tome douze au cours duquel la Mangouste meurt). Une fois passée la déception d’avoir affaire à un nouveau dessinateur (Ralph Meyer), on se plaît à décou-vrir la vie de ce personnage mystérieux. Si la justification des tentatives d’assassinat du héros semble trop facile, on se laisse aisément convaincre.

Rendu familier au cours des tomes précédents, on croit bien connaître la Mangouste : froid, professionnel, il est le stéréo-type du méchant. Mais dans ce nouvel ouvrage, le personnage acquiert un passé, une âme ou pour reprendre les mots de Van Hamme, la BD en fait « un être de sang, de pudeur, de désirs refoulés et, osons le mot, de morale. Eh oui, de morale ».

L’enquête fixait une part de la vie des personnages secon-daires, par conséquent, dessinateurs et scénaristes ont été obligés de garder une cohérence avec la série d’origine. Le per-sonnage de la Mangouste, entouré de mystère, laisse le champ

libre au scénariste (Xavier Dorison) et lui permet d’aller là où on ne l’attend pas forcé-ment. On peut tout de même critiquer le fait que le mystère est inhérent au personnage et qu’en le dévoilant, on le défi-gure en partie. Pour autant, le résultat n’est pas décevant.

Coté dessin là aussi le résul-tat est convaincant et ne dénote pas par rapport aux originaux. Au final ce premier tome est plutôt prometteur.

bd bd

Le Dernier round marquait la fin de la célèbre série de bande dessinée belge, XIII, de William Vance (aux dessins) et Jean Van Hamme (au scénario). On y découvrait (enfin !) la véritable identité de l’amnésique que nous avons accompagné pendant vingt-cinq ans. Une page tour-née ? Pas tout à fait, parallèlement à la fin de la série, une opportunité est donnée à des auteurs nouveaux de poursuivre cette histoire mythique d’une façon dif-férente. Un scénariste et un dessinateur qui ne se connaissent pas, doivent écrire ensemble un album unique racontant la vie d’un personnage secondaire rencon-tré aux cours des dix-neuf tomes de XIII.

Cette nouvelle série est appelée XIII mystery reprenant le titre du treizième album de la série originelle (appelé aussi L’Enquête). En effet ce tome se présentait comme une enquête menée par deux journalistes sur l’affaire XIII et sur les personnages gravitant autour du héros. Plus romancée que dessinée, l’histoire de chaque protagoniste était en partie dévoilée. L’idée est donc venue à Van Hamme et à l’éditeur d’appro-fondir l’aventure de ce tome particulier. Deux tomes sont aujourd’hui parus, ils détaillent la vie de deux méchants de XIII : la Mangouste et Irina.

IrIna Par PHIlIPPe BertHet et erIc cOrBeYran

Le deuxième volume sorti en novembre dernier se situe dans la même veine. On y retrouve la même ambiance et un schéma identique, le personnage s’hu-manisant au cours du récit. Par ce processus, on se dit que les méchants de XIII sont tous traumatisés ! Comme dans la Mangouste, l’histoire débute par le récit d’une enfance malheureuse dans l’ex-URSS (Berlin-Est pour la mangouste et la Biélorussie pour Irina). Puis on découvre le traumatisme infligé aux deux personnages par des militaires de ce régime (sales rouges !) ce qui les excuse presque, les rendant attachants et humains même si cette explication des fondements de leur nature malveillante s’avère peut- être trop naïve. Pour Irina, L’Enquête définissait déjà une grande partie de sa vie. Les auteurs brodent donc autour du scénario de Van Hamme de façon plus ou moins heureuse (cer-taines planches de l’enquête ont même été redessinées telles quelles par Corbeyran).

Le dessin de ce tome est nettement plus décevant. Il reste réaliste quoique le coup de crayon soit nettement moins détaillé, plus simpliste que celui de Vance et on perd un peu du charme de la série originale. Ce tome aboutit à un bilan plus négatif et on attend la suite, Le Général W, sans grandes convictions.

En résumé même si les fans apprécieront, la nouvelle série Mystery XIII exploite le filon mais est loin d’être aussi bonne que XIII.

par côme roblin

xIII mYsterY

Page 21: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

21

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

le cOncOmBre masqUé

VoiLA un personnage de bande dessinée bien singu-lier. Trop peu de personnes

ont déjà entendu parler de ce légume justicier et c’est fort dom-mage. il fait aujourd’hui partie du patrimoine de la bande dessinée (il a d’ailleurs reçu en 2005 le prix du patrimoine d'Angoulême).

Créé par Mandrika en 1965, le concombre masqué apparaît pour la première fois dans le journal Vaillant (plus tard Pif gadget) puis dans Pilote. Mandrika devient vite un acteur important de la bande dessinée fran-çaise. Il crée notamment avec deux autres auteurs incontournables, Claire Bretécher et Marcel Gotlib, L’Echo des savanes, le célèbre et impertinent men-suel. Il fut aussi le rédacteur en chef des non moins connus magazines Charlie mensuel et Pilote.

Le concombre vit ses premières aven-tures par Les Aventures potagères du concombre masqué en 1971 puis il revient avec Le Retour du concombre masqué en 1975 et rencontre ainsi d’autres personnages dont le broutchlag dans à la poursuite du broutchlag mor-doré (1982) et son ennemi juré le grand patatoseur dans Le Concombre contre le grand patatoseur (1983). Il côtoie à nou-veau ces personnages dans différents ouvrages jusque dans les années 90 ou paraît entre autre La Dimension poz-nave, et Le Concombre masqué dépasse les bornes. Après plus de dix ans d’ab-sence, Mandrika reprend les aventures du concombre en 2006 et nous livre Le Bain de minuit, puis en septembre der-nier, Le Monde fascinant deas problèmes.

Le concombre masqué est un repré-sentant majeur de ce qu’on appelle l’humour non-sens. Si vous ne connais-sez pas ce type d’humour en bande dessinée, voilà avec ce dernier album une bonne manière de l’aborder. Il met en scène des situations où l’absurdité et l’excentricité catalysent le rire. Inventé en Angleterre, c’est l’humour des Monty Python ou celui de Ionesco (à lire notam-

ment La Leçon ou encore La Cantatrice chauve).

Chez Mandrika, cet humour se traduit par des situations burlesques, des dis-cours « philosophiques », des jeux de mots à ne plus savoir qu’en faire, sans compter les inoubliables expressions du concombre masqué : les fameux « protz » et « chniaque », « podgorny », « bret-zel liquide » et autres « tartes molles ». La blague du fou qui repeint son plafond détournée dans l’univers du Concombre (La Vie quotidienne de Concombre Masqué) ne fait pas rire par la fameuse réplique absurde : « Accroche toi au pinceau j’enlève l’échelle » mais par sa suite : « c’est malin comment je descends moi maintenant ? » Comme l’humour, le scénario est sou-vent absurde et on se trouve plongé dans des aventures sans queue ni tête. Pour les amateurs de non-sens, ce désordre apparent ne fait qu’enrichir les trésors que contient ce monument de la bande dessi-née. Donc attention, que les indéfectibles cartésiens s’abstiennent, l’expérience pourrait rapidement devenir pénible !

Le monde fascinant des problèmesCe nouvel album fait suite au Bain

de minuit, paru après quatorze ans d’absence. On retrouve le cucurbitacé toujours dissimulé sous un masque, en désaccord avec son rédacteur en chef Chourave (personnage récurrent de la série) pour une histoire de droit des rivets (ou dérivé ?). Sur ce, débarque une armée de rivets luttant pour leurs droits. Le concombre débute alors une aventure qui ne mènera nulle part (au sens propre

d’ailleurs, c’est sur sa carte de visite) à laquelle se joindront, Raymond le rivet et Pénélope la patate en slip, future adepte de la pensée inique en robe de chambre.

Le dessin reste sensiblement le même depuis ses premières aventures, quoiqu’un peu moins détaillé que dans la dimension « poznave » des années 90 : il est plus proche des premières BD. Le trait est plutôt simple mais il est très expressif, les personnages reflétant par-faitement les émotions qui les assaillent, un peu à la façon d’un cartoon. Loin d’infantiliser ses lecteurs, Mandrika nous plonge avec encore plus de plaisir dans l’ambiance particulière de la série.

L’auteur n’hésite pas à réutiliser ses personnages favoris, Chourave, le Mornave ou encore Archimède (le cer-veau du légume). On retrouve aussi les décors des BD précédentes : la dimension poznave ou le bateau des marchands de sables. Ces retrouvailles trahissent peut-être un essoufflement, mais l’uni-vers du concombre est bien là et au final on n’est pas déçu.

Dans le même genre, on peut aussi lire Le Génie des alpages, nettement plus accessible, écrit par un auteur aussi génial, F’murrr, et qui aura comme avantage d’être plus facilement disponible en librairie.

Quant à cet excentrique légume mas-qué, il est à découvrir de toute urgence !

Mais d’ailleurs pourquoi est-il mas-qué ? Pour pas qu’on le reconnaisse, quelle question !

Par côme roblin

bd bd

Page 22: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

22

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

Société Société

APrès le surf breton, je vous propose de décou-vrir la naissance de la

culture surf. C’est donc parti pour un flash back en Californie durant les années 50 et 60, et ceci grâce à plusieurs œuvres : un film, devenu culte, puis trois recueils de photo-graphies. Leurs auteurs ont marqué leur temps et leur sport et nous ont surtout laissé de magnifiques témoignages sur la genèse de cette culture singulière.

the endless summer, the search of the perfect wave

Comment vouloir faire une chro-nique sur la culture surf sans parler de son incarnation ! Film de 1966, réalisé par Bruce Brown, The Endless summer retranscrit parfaitement l’esprit de cette culture. étant l’un des premiers films du genre, il va jusqu’à en fixer certains codes. Son impact est encore bien visible aujourd’hui sur la façon de voir le surf et de le représenter.

On y suit deux surfeurs Californiens qui parcourent le monde à la recherche, comme son titre nous l’indique, de la vague parfaite et de l’été éternel. En effet, l’idée première du film est qu’il est possible, avec assez d’argent et assez de temps, de suivre l’été sur la planète en allant de spot en spot. En hiver, la Californie est bien peu hospitalière à la

pratique du surf, ce que va changer par la suite Jack O’neill fondateur de la marque du même nom et inventeur de la combi-naison néoprène qui se développe dans les années 60. Aussi, cette recherche de la vague parfaite, ou en d’autres termes, cet « été sans fin » a existé pendant les deux ans (huit étés !) qu’a duré le tour-nage à travers toute la planète.

De Hawaii à Tahiti en passant par la nouvelle Zélande, l’Australie et l’Afrique, Mike Hynson et Robert August chevau-chent des longboards sur les plus beaux spots des pays visités. Certains surfeurs connus de l’époque apparaissent éga-lement : Miki Dora, Phil Edwards où Nat Young.

Le longboard est la planche utili-sée à l’époque. Elle dépasse au moins les 2.74 m soit 9 pieds (1 pied = 30 cm, le pied est la mesure du surf, culture américaine oblige). Cette planche volu-mineuse est bien différente de ce qu’on utilise principalement aujourd’hui, à savoir le shortboard, beaucoup plus court. La glisse pratiquée dans le film est donc plus douce, apaisée. La figure principale consiste à se tenir bien droit, les deux pieds à l’avant de la planche (le Hang ten). On est bien loin des figures radicales et de plus en plus aériennes que l’on voit maintenant. C’est le retour aux racines du surf et cette glisse épurée

évoque cet état d’esprit zen, indisso-ciable du surf.

Le film est baigné dans une ambiance particulière, celle des sixties. Elle est tout d’abord remarquable à travers la couleur de l’affiche du film : rose fluo. Maintes fois détournée, elle orne encore aujourd’hui nombre de supports (vête-ment, posters...). La bande son des Sandals, terriblement désuète y parti-cipe aussi activement. Elle constitue une référence dans les films du genre. Il ne faut pas oublier le « décor » et les « cos-tumes » : les deux acolytes se promenant en costard cravate ce que l’on n’imagine pas voir aujourd’hui chez des surfeurs en voyage ; ou encore, l’apparition dans les années 50 des premiers board short (maillots de bains) au style reconnais-sable (le Hang Ten de Greg Noll), mais aussi les coupes de cheveux gominés et les voitures associées au surfeur d’alors comme la Ford Woody.

Rompant avec les codes assez stricts de l’époque, le film est raconté à la façon d’un documentaire, en voix off, par un Bruce Brown décontracté. S’adressant pour la première fois à un public de non surfeurs, le film y explique en détail la discipline : personnalités, figures, lieux... J’invite à découvrir ou à redécouvrir le surf grâce à lui, car, même si ce sport a bien évolué, le film montre l’héritage lais-sé par cette génération. L’humour niais

cUltUre sUrf : Part 2par côme roblin

Page 23: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

23

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

Société Société

et décalé qui imprègne tout le film nous évite l’ennui et va même jusqu’à rendre ce premier surf movie irrésistible.

Le film alterne scènes de surf et ren-contres le tout filmé au sein de paysages magnifiques. Les rencontres avec les surfeurs locaux ou les autochtones (qui n’ont souvent jamais vu de surfeurs) donnent des scènes cocasses mais offrent aussi des instants de partage à l’image de l’esprit du surf.

Ce film est l’instigateur d’un mouve-ment qui ne s’est jamais éteint : le surf trip, c’est-à-dire partir sur les routes à la recherche de la vague idéale et déserte (aussi antithétique que cela puisse paraître, ces voyages, organisés dans un pur esprit de surf, sont aussi des invitations à la rencontre et au partage).

Le style nouveau pour l’époque nous semble un peu dépassé, certes, mais il faut voir ce film en tant qu’œuvre fon-datrice de la culture surf moderne. Ce décalage fait le charme de ce film drôle et original. Son influence est énorme dans ce genre cinématographique. Il suffit de regarder le nombre incalculable de films qui se réfèrent à lui directement ou par de simples clins d’œil (ou à l’opposé, les pâles copies de films se voulant « roots » et qui le prennent comme modèle).

naissance d’une culture illustrée par 4 photographes

Le surf, probablement apparu à Hawaii il y a bien longtemps, est d’abord inter-dit lors de sa découverte, les Hawaïens pratiquant ce sport pratiquement nus. C’est Duke Kahanamoku (par ailleurs champion olympique du 100 m nage libre en 1912 et 1920) qui remet le surf au goût du jour au début du XXe siècle. Il reste marginal jusque dans les années 50 et 60 où il explose véritablement et se diffuse partout dans le monde avec notamment l’apparition de nouveaux matériaux (la mousse polyuréthane et la fibre de verre). En effet, pendant cette période de boom économique, une com-munauté de jeunes s’accapare le modèle du surf et les idées qui lui sont ratta-chées. Cet idéal se transforme alors en un véritable style de vie. Mais ces jeunes ne sont encore que des garçons sages, phénomène bien illustré par les beach boys qui véhiculent dans leurs chansons ce mode de vie idyllique.

Le surf prend à partir de cet ins-tant une vraie dimension culturelle qui se développe et envahit le cinéma, la musique et la télévision. Issue des sur-feurs eux-mêmes, la plupart étant des artistes autodidactes, elle conserve ainsi sa naïveté, son idéologie, son « âme ».

De cette période nous sont parvenus différents témoignages mais les plus aboutis sont probablement des ouvrages récemment parus, qui recueillent les images des grands photographes de l’époque. Quatre de ces beaux livres sont absolument à consulter : celui de Leroy Grannis Surf photography of the 1960's and 1970's, celui de John Severson Surf Fever, celui de Ron Stoner Photo / Stoner : The Rise, Fall, And Mysterious Disappearance of Surfing’s Greatest Photographer et celui de Ron Church California to Hawaii 60 to 65.

Pionniers dans leurs domaines, ils ont marqué l’image de leur sport par leurs différents travaux. En effet, Grannis a été cofondateur du Surfin magazine, deuxième plus vieux magazine de surf au monde, quant à Severson, en plus de ses grands surf movies comme Surf fever ou Big Wednesday (devenus des classiques) il a fondé Surfer, un des plus grands magazines de surf encore aujourd’hui.

Chaque photographe a son style ; Church est spécialiste de la photogra-phie aquatique, Severson possède une vraie vision artistique de son sport (il est aussi peintre et il expose partout dans le monde), Stoner met en scène des situa-tions plus classiques avec beaucoup de talent, quant à Grannis, il a su représen-ter mieux que personne le style de vie qui se mit en place pendant cette période.

C’est d’ailleurs ce dernier photographe qui est le plus marquant. Comme le dit Steve Barilotti, auteur de la rétrospec-tive : « il a su saisir l’esprit d’un sport qui, à cette époque charnière, est passé d’une simple discipline culte à un mode de culture à part entière ». Témoin des changements de cette époque, il les a fixés sur la pellicule avec un réa-lisme saisissant. Ses photos, parfaites à tout point de vue (technique ou artis-tique) sont des bijoux esthétiques. Elles montrent l’évolution du surf, notam-ment vers des vagues de plus en plus grosses mais aussi le quotidien sur les côtes hawaiienne et californienne à

cette époque (les voitures, la côte et ses magasins, ses personnalités). Elles res-pirent la mentalité et la liberté de ces années particulières.

Mais la deuxième moitié des années 60 c’est aussi l’expansion des drogues, la guerre du Vietnam et les mouvements contestataires qui verront leur apogée lors de l’été 1969. Le surf évolue lui aussi avec l’Histoire. La victoire de Nat Young au championnat du monde de 1966 (où l’on voit apparaître des figures de plus en plus radicales), marque le début du changement qui aboutira sur l’avène-ment du short board en 1969 et la fin de ce mode de vie. Les surfeurs deviendront par la suite beaucoup moins « sages » et ne s’affranchiront de l’image de beatniks rebelles, que récemment.

Tous ces livres sont parus depuis peu (2006), illustrant une prise de conscience tardive du magnifique legs que nous ont fait ces artistes. Ils sont représentatifs d’une certaine nostalgie de ces années qui se traduit par une volonté de retour aux sources. Cette volonté tend à se généraliser dans la culture surf actuelle. On la retrouve dans bon nombre de films récents (ceux de Jack Johnson par exemple) et leur succès la confirme. Mais rien de tel pour replonger dans cette époque que surfer journal, maga-zine mensuel, qui à travers de très beaux portraits et des rétrospectives magnifi-quement illustrées nous replonge dans cette « belle époque » du surf tout en gardant un lien avec le surf moderne.

N’oubliez donc pas ces œuvres qui ont codifié la culture surf actuelle et n’ou-bliez pas non plus l’état d’esprit originel façonné pendant cette période qui fait partie de la beauté de ce sport.

Page 24: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

24

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

nouvelle nouvelle

la mOrt ne dUre...par laUrent le Berre

InsPIré dUne HIstOIre vraIe

Le véritable moment à partir duquel on avait vraisemblablement commencé à se croire au cœur d’un film d’épouvante, fut celui où quelqu’un, vaguement averti de la situation - ou venant de percevoir ce glacial courant de surprise mêlée de terreur parcourir l’air en contaminant tout un chacun d’un silence écœuré et interdit - interrompit la musique pour laisser s’installer une rumeur inquiète, laissant deviner à ceux qui se complaisaient encore dans l’ignorance de ce qui venait de se passer : quelque chose allait mal.

La situation était d’autant plus épouvantable que j’en étais le responsable et que désormais, le regard de chacun des invités était tourné vers moi avec toute la légitimité du monde. Tous - du moins ceux qui avaient encore assez de clairvoyance pour me fixer- me dévisageaient d’un air hagard et interrogateur, comme si j’avais eu une plus grande idée qu’eux de ce qu’il y avait de mieux à faire. J’avais clairement envie de hur-ler, de battre tous ces joyeux imbéciles sur-le-champ puis de rentrer chez moi afin de prendre une douche fraîche et d’oublier cette soirée qui aurait été la plus longue de l’année, non pas à cause des festivités qui la prolongeaient inutilement pour quelques heures d’ébriété, mais bien parce que le lendemain je me serais réveillé dans une nouvelle année où je n’aurais plus à supporter le poids de cette culpabilité que je sentais peser sur moi de toute son horreur.

Comme ce soir-là Mathilde avait été invitée à fêter la Saint-Sylvestre de son côté, chez des amies que je ne connaissais pas, je m’étais bêtement surpris à penser qu’il n’aurait pas été convenable de laisser Sue, notre bouledogue, une femelle vieillissante et un peu gâteuse, toute seule à la maison alors que la nuit était aux réjouissances, à la gaieté gratuite, et aux vœux. Je l‘avais donc faite monter dans la voiture, puis nous étions tous deux allés chez mon frère, qui habitait dans ce petit pavillon parfaitement tranquille, dans les dernières périphéries de la ville. Alerté par la proximité de la route et des bois, j’avais insisté auprès de tous les invités pour que personne ne laissât la porte d’entrée ouverte, et ce dès le début de la soirée et bien avant que tout le monde ne fût trop grisé pour m’entendre. Il faisait cependant une chaleur étouffante dans la maison et j’étais conscient que personne n‘aurait été contre la liberté de pouvoir prendre un bol d‘air frais à sa guise mais je connaissait la facilité qu’avait Sue pour se soustraire à la surveillance de qui que ce fût, et disparaître opportunément. D’abord, j’avais dû quitter la table des convives à plusieurs reprises pour refermer moi-même la porte dont Sue, qui avait eu le droit de s’allonger dans le sofa de mon frère, regardait le maladroit entrebâillement avec trop d’intérêt à mon goût, puis j’avais dû lancer une nouvelle réprimande à l’égard de tous les convives qui étaient alors déjà trop avinés pour se rendre compte de la bassesse de leur conduite, mais finalement l’irréparable s’était produit au moment où personne n’avait été là pour y faire attention ; Sue s’était sauvée.

Immédiatement après que j’eus remarqué l’absence de Sue et l’entrebâillement de la porte, je m’étais lancé dans la nuit pour arpenter le trottoir et appeler ma chienne, mais rapidement je m’étais rendu compte qu’elle était bel et bien perdue, car je savais que dans ce genre de situation, plus les minutes s’écoulaient, plus les chances de la retrouver s’amenuisaient. La bonne nouvelle que nous tirâmes de nos vaines recherches lorsque nous revînmes chez mon frère après deux heures à quadriller le quartier, fut que nous n’avions pas trouvé son corps écrasé par une voiture, et que Sue était donc toujours en vie, quelque part ; il était en fait peu probable qu’elle eût disparu à jamais, ce qui n’était cependant pas parvenu à me retirer cette inquiétude avec laquelle j’étais longuement resté posté devant la fenêtre du salon à scruter l’obscurité au dehors, espé-rant voir passer la silhouette de Sue dans le halo doré de l’un des lampadaires aux couleurs des réveillons.

Ce fut vers trois heures du matin que se produisit ce que nous avions cessé d’espérer ; des coups de griffe se firent entendre contre la porte d’entrée que l’on avait étrangement laissée fermée. De la joie, du soulage-ment, de l’indifférence accueillirent le retour de Sue, mais aussitôt qu’on la vit rentrer dans la maison, l’effroi, la panique, et même l’indifférence de ceux qui avaient continué à danser, se bousculèrent unanimement ; mon bouledogue avait dans la gueule, entre ses crocs écumant de bave, la carcasse d’un yorkshire désarti-culé, et qui avait visiblement été traîné dans la boue avec une grande violence.

Nous en étions donc là, avec juste ce qu’il fallait d’alcool dans le sang pour nous laisser croire au délire, et de restes de musique dans les oreilles pour ne pas nous entendre tout à fait, pratiquement tous réunis autour de Sue qui nous regardait avec ses yeux lançant encore des éclairs de rage, et battant de la queue pour nous signifier sa fierté dans la victoire. La boule de poils et de chairs sanguinolentes qu’elle tenait entre ses mâchoires ne ressemblait que de loin à un chien ; il révélait à lui seul la bestialité et la brutalité avec laquelle Sue avait dû massacrer le pauvre yorkshire, et nous nous tûmes tous pendant quelques instants, juste le temps d’imaginer le bouledogue croquant le malheureux petit chien de toutes ses forces, l’agitant en l’air, le

Page 25: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

25

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

nouvelle nouvelle

démantibulant comme une vulgaire poupée de chiffon, l’étranglant, le déchiquetant, le traînant dans la boue sans lui laisser le temps de gémir, puis le ramenant jusqu‘à nous en mâchouillant tendrement ses fébriles muscles atrophiés par l‘injuste bataille qui les avait à peine opposés. Sue avait quatorze ans, jamais je ne l’avais connue comme cela, et désormais je craignais même qu’elle ne fût revenue que dans le but de nous faire subir le même sort que son infortuné congénère.

« Attendez, s’exclama soudainement mon frère, je reconnais ce chien, c’est Framboise, le yorkshire de Monsieur Truffot, mon voisin !

- Mon pauvre, j’espère qu’il n’y était pas trop attaché.- J’espère aussi que ton chien avait une bonne assurance. - Je n’y suis pour rien enfin, Sue n’a jamais été comme cela. Je me demande bien ce qui a pu lui passer par

la tête, ce n’est pas comme cela que nous l’avons élevée. - Tu vas être obligé de la faire piquer. - Personne ne va piquer qui que ce soit ! C’est un accident, c’est tout ! Et puis Mathilde va m’en vouloir à

mort si je fais ça !- Un accident avec toute cette terre, ce n’est pas trop crédible. - Bon sang, mais comment est-ce que je vais expliquer ça à Monsieur Truffot…- Ne t’en fais pas, s’il le faut je viendrai avec Sue, et nous lui raconterons ce qui s’est passé en lui faisant

des excuses tous les trois. - Je ne vois pas pourquoi est-ce qu’il s’excuserait, tu as un chien dangereux, c’est tout. - Ce qui est d’autant plus moche c’est que son yorkshire ne méritait pas une mort comme cela. - Attendez, intervint alors un cousin, nous ne sommes pas obligés de dire la vérité à ton voisin. Son chien

avait l’air assez vieux, il a pu mourir de sa belle mort aussi. - Où est-ce que tu veux en venir ? - Eh bien, on peut lui refaire une beauté, le remettre à dormir dans sa niche, et tout à l’heure en se levant,

Monsieur Truffot sera inondé d’une douce et joyeuse tristesse en découvrant que son pauvre petit chien ne le suivra pas dans cette nouvelle année.

- Ce n’est pas très honnête, protestai-je en caressant froidement la tête de Sue qui venait de déposer à mes pieds le cadavre encore fumant de Framboise.

- Attend mon vieux, raisonna alors mon frère en s’appuyant sur mon épaule, qu’y a-t-il de plus moche entre un petit mensonge qui sauvera Sue et l’idée que s’en fait Mathilde, et offrir au chien d’un vieillard sénile, la mort qu’il a toujours méritée ? »

Vu comme cela, on n’hésita pas davantage, et dans la demi-heure qui suivit, tous les convives qui étaient encore assez éveillés pour se tenir droits et faire quelque chose de leurs mains promenèrent Framboise d’un bout à l’autre de la maison ; on lui remboîta ses pattes, on lui enleva ses croûtes de terre, on la lava, on l’es-suya, on l’astiqua, on la savonna, on la baigna, on lui nettoya les griffes, les oreilles, les yeux, la truffe, si bien qu’une fois terminée son ultime ablution elle était plus propre et plus vive, mais un peu plus froide cependant, qu’elle avait l’air de ne l’avoir jamais été de son vivant, mais surtout je me sentais infiniment soulagé de ne plus porter le poids de sa mort et de la bêtise de Sue sur ma conscience. Le jour était sur le point de se lever lorsque je remontais dans la voiture avec mon bouledogue souriant de la palpitante nuit qu’il avait passée, tandis que mon frère et mon cousin s’étaient mis en marche pour le jardin de Monsieur Truffot, où ils allaient replacer le petit corps de Framboise sous la niche où elle reposerait réellement. La scène était si émouvante qu’il paraissait impossible que la réalité fût autre que celle que nous avions montée de toute pièce ; chacun de nous était désormais intimement convaincu que Framboise avait véritablement cessé de vivre pendant cette douce nuit d‘allégresse et d’insouciance, et que même Sue s‘associait à la pénible épreuve que s‘apprêtait à traverser Monsieur Truffot. Avant de retourner à la maison où je retrouverais Mathilde comme si rien ne s’était passé, et avant d’enterrer ce secret qui scellerait ma complicité avec mon adorable chienne, je serrais celle-ci dans mes bras, finalement fier d’elle et de ce que nous avions fait pour l’honneur d’un vieillard et son petit chien.

Le 2 janvier, nous apprenions dans la rubrique nécrologique que Monsieur Truffot avait été foudroyé d’une attaque cardiaque ; mon frère ne tarda pas à m‘apprendre quelle avait été la surprise de son voisin lorsque celui-ci avait trop subitement découvert au matin du jour de l’an, que Framboise, aussi étincelante que si elle était descendue du paradis canin, s‘était réveillée durant la nuit du réveillon pour aller se coucher dans sa niche, alors qu‘elle avait été enterrée dans le jardin, la veille, par les soins de son propre maître...

Page 26: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

26

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

nouvelle nouvelle

Un mOnde fOU ?par Glenn nicolle

« C’est lorsqu’ils se firent arracher les dents de Sagesse qu’ils commencèrent à devenir fous ! Nous sommes tous fous grâce aux

arracheurs de dents. Bénissons-les mes frères, bénissons- les tous ! » Ainsi parlait un sage sans raison.

« J’ai mis ton linge dans le frigo, il est sec désormais ; tu iras le ranger dans ton bureau s’il te plait. » « Ok » répondit Edgar à sa mère. Après avoir établi sa tâche ménagère, Edgar reçut un coup de téléphone sur la tête, c’était son ami Allan, qui lui proposait d’aller se baigner au lac de Cana, situé dans la ville même de Perpète les Oies. Il le rejoignit vers 14h14 devant la boulangerie du coin. Ils firent la route ensemble. Ils descendirent La Rue avec leurs revolvers, ils la mirent dans un bain de sang blanc...

Sur le chemin, ils croisèrent des hommes en costume bleu : ils avaient des voitures blanches et ils tournaient en rond sans arrêt. On ne savait pas trop à quoi ils jouaient, mais ce qui était sûr, c’est qu’il y en avait de plus en plus. Le père d’Allan racontait que c’était des gens qui ne pensaient à rien, qui ne servaient à rien et qui faisaient cela parce qu’ils ne savaient pas quoi faire de leur vie... En réalité, ces personnes étaient très amusantes ; elles n’étaient jamais sérieuses puisqu’elles ne réfléchissaient pas beaucoup. Edgar et Allan allaient souvent s’amuser avec elles : il fallait bien occuper ces étranges personnages, après tout.

Suite à ce divertissement social, nos deux amis arrivèrent au lac de Cana. C’était un lac assez différent des autres qui environnaient la région. On raconte qu’ici, il y a près de deux mille ans, un homme (un magicien sans doute) était venu et avait changé l’eau en vin. De cette manière, les poissons étaient tous cuits, et si on avait un petit creux, on n’avait plus qu’à se servir, c’était pratique ; il fallait juste penser à apporter des couverts et un peu de sel.

Sous le soleil bleu de l’été, nos amis décidèrent donc d’aller se baigner. Ils s’amusaient à boire la tasse, et au bout d’une vingtaine de minutes, ils sortirent complètement ivres. Ils passèrent la fin de l’après-midi à raconter des conneries et à draguer des sirènes (Il est à noter qu’il est difficile de faire l’amour avec ce genre de fille, leur queue est si grande, ce n’est pas toujours évident !).

En fin de journée, le Froid descendit de son échelle et rafraîchit l’air. Edgar et Allan rentrèrent donc chez eux. Mais avant de retrouver leurs maisons respectives, ils s’arrêtèrent à la bibliothèque. C’était peut-être le lieu le plus bizarre de la ville. Dès qu’on y mettait les pieds, le Silence vous entourait de ses bras comme le feraient ceux d'une femme, et savez-vous ce que faisaient les gens là-dedans ? Ils travaillaient, ils lisaient des livres, ils réfléchissaient, ils se concentraient, ils pensaient, ils pensaient ! Rendez-vous compte ! Mais quelle perte de temps ! Enfin, laissons cela de côté... Néanmoins, Edgar emprunta un livre, histoire de voir ce que c’était.

Page 27: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

27

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

nouvelle nouvelle

Le Soleil, étant fatigué de sa journée, alla se coucher dans son lit de nuage. Il était grand temps de rentrer à la maison. Nos amis se dirent au revoir puis se séparèrent.

Edgar fila dans sa chambre avant de passer à table. Il mit sa robe de chambre. Ensuite il alla dans le salon. Il mit sa robe de salon. Puis il alla dans la cuisine. Il mit sa robe de cuisine.

L’heure du dîner arriva. Edgar alla se laver les dents avant de passer à table pour mieux sentir le goût des aliments. Comme chaque vendredi soir, rituel familial oblige, la famille mangeait une fondue de lieus jaunes au chocolat blanc, accompagnée de haricots bleus ; idéal alimentaire pour la santé de tous. Puis, ils buvaient tous comme il était dit dans la publicité : Consommez au moins sept verres de vin par jour, attention : la modération est dangereuse pour votre santé.

À table, ils parlaient de tout et de n’importe quoi, surtout de n’importe quoi. Le père disait souvent : « J’en ai marre de mes magnifiques gosses et de mon merveilleux travail », la mère répétait continuellement : « Il a fait beau aujourd’hui, il a fait beau aujourd’hui... », le petit frère d’Edgar chantait : « Ainsi font, font, font les petites marionnettes », Edgar, quant à lui, avait cette question qui lui trottait dans la tête : « Pourquoi les oiseaux ne portent-ils pas de lunettes ? »

Bref, après ce tohu-bohu philosophique, il était l’heure de se coucher. Edgar lisait le livre qu’il venait d’emprunter dans la maison de fou, dont le titre était Où est Charlie ? C’était l’histoire d’un gars tout petit ayant pour habitude de se paumer sans cesse. Edgar s’identifiait parfaitement au personnage. Ce n’était pas si mal de lire finalement. Sur son lit bateau, notre ami s’endormit facilement et partit ainsi à travers les mers enchantées, à travers les tempêtes déchaînées, pour arriver enfin au monde merveilleux des rêves absurdes...

Enfin, pour conclure cette histoire dérisoire, n’oublions pas cette fameuse phrase du philosophe Brun Sot qui disait : L’homme naît fou, c’est la société qui le corrompt.

Fin

Ps : cette nouvelle a été écrite avec un crayon bleu, ayant appartenu à mon cher ami Boris Vian.

Page 28: daRk of the sun Manson - univ-brest.fr · avatar vs winnipeg cameron vs maddin-unE IDéE Du cInéMa page 4 n° 18–janvieR févRieR 2010 Et retrouvez toutes nos rubriques habituelles

28

Sortie de secours n° 18 - janv-fév 2010 - sortiedesecours.info

vu à breSt

S’attaquer à cette montagne du rock, c’est gravir le mont Everest, s’attaquer à lui c’est tendre l’autre joue: ça casse for-cément. Car: « C’est une affaire sérieuse que l’amour.L’amour, comme les lettres qui ont du corps, se fait avec des pleins et des déliés. il implique les caresses et les coups. La langue et la cravache. on frappe, l’on vous résiste, on se fait griffer.Je crois personnellement qu’il faut soumettre ou se soumettre. »

Me suis-je faite soumettre ou me suis-je soumise? Soumise, définitive-ment soumise. Dans Gainsbourg, je suis tombée il y a bien des années, dans Gainsbourg, je me plais et me com-plais, dans Gainsbourg, je m’abandonne comme avec un cacheton de Valium, la résistance est inutile, vaine et impro-ductive. Sa musique est abandon, transe et… violence. Se soumettre ou être sou-mis. Ce vendredi soir au Quartz, il était illusoire de résister.

Et bien que la voix de Gainsbourg ne résonnât point dans ce théâtre repro-duit à l’image de son dernier intérieur tout recouvert de plancher noir plaqué, le metteur en scène frôlât la mimesis : scène nue, noire, atmosphère d’astre mort, et une chaise, vide. Cette chaise pour le trône du grand Gainsbourg, cette chaise pour le non moins Grand Bashung, de qui la voix résonnait ce soir, et la seule voix capable de vous prendre aux tripes comme celle de ce monstre sacré. Cette

chaise pour l’immense vide laissé à leur mort. Cette chaise pour l’objet fatal de la rencontre dans un salon de coiffure. « oh ma Lou, oh ma Lou, oh Marilou, petite gueuse shampouineuse de mes rêves »

Gueuse affolante de sensualité et d’égarements, gueuse qui joue avec le zip de sa paire de Levi’s. « Dans son regard absent et son iris absinthe » , on se perd et s’abandonne, forcément, on se laisse absorber par son coma dont les pratiques obscures éveillent en nous des envies irrépressibles « d’extases sous-jacente ». Que n’ai-je pas voulu être Marilou? Que n’ai-je jamais voulu fran-chir le seuil du miroir de Caroll et laisser l’« exil physique et cérébral » prendre possession de moi?

Sur scène, 14 personnes, 7 femmes, 7 hommes, autant de personnages que Serge a pu incarner. Et ce metteur en scène qui a divinement su nous trans-mettre ces visages. 7 couples, comme autant de couples Gainsbourg-Marilou. 12 tableaux, 12 chansons contant l’his-toire fulgurante d’une rencontre fortuite qui causera la perte du personnage chanteur. « Amour, hélas ne prend jamais qu’un seul m, faute de frappe, on écrit haine pour aime. »

Tout est dit, toute l’œuvre de Gainsbourg-Gainsbarre est là, dans cet aphorisme. Je m’incline devant Jean-Claude Gallota, metteur en scène et chorégraphe qui signe ce soir un chef

d’œuvre artistique. Ces 14 corps en mouvement dégagent une charisma-tique énergie qui oscille entre passion, haine, violence et amour: c’est à un véri-table tango auquel nous avons assisté, un tango d’un nouveau genre, celui de Gainsbourg-Bashung, enfin réunis sous le firmament d’un public éclectique et littéralement scotché à son siège.

1h15 de chansons mise en scène tels des tableaux de grands maîtres. Il y avait là, ce soir, mes lecteurs, du Raphaël et du Dali.

Maintenant, je peux l’avouer. Dans les toutes premières secondes du lever de rideau, après les trois coups, la peur, celle du fan inconditionnel, s’est empa-rée de moi. Hérésie! que d’essayer de reprendre le Meilleur, le seul qui osa l’album concept. Maintenant, je peux l’avouer, Monsieur Gallota a fait dans l’anticipation, comme si chaque inter-mède musical nous susurrait qu’il avait su capté l’essence de sa musique, l’essence de son œuvre, l’essence de l’amour.et « sur fond de rock-and-roll s’égare mon Alice au pays des malices de Lewis Caroll ».

Je me suis égarée my friends, comme l’on peut s’égarer ces soirs de lune déga-gée, en écoutant, encore et toujours les variations de Marilou, « fou, que j’étais de toi, Marilou ».

Par Charlotte Jacquard

l’HOmme à tête de cHOUde Jean-claUde GallOtaqUartz, 20/11/2009, Une revIew extatIqUe

rePrenDre Gainsbourg, se la jouer Gainsbarre, se barrer avec lui, s’envoler et convoler dans les volutes de marilou, se confondre dans les profondeurs de ses aphorismes, s’immerger dans ce monde folâtré empli de clopes, d’héro, d’absinthe et de femmes: qui, mais qui dans le paysage de la variétoche fran‑

çaise peut se targuer de pouvoir rivaliser avec lui?