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97 Réfractions 24 Dans les organisations anarchistes L’exemple d’Alternative libertaire et de la Fédération anarchiste Simon Luck, Irène Pereira Dossier : des pratiques 1. Il s’agit de deux enquêtes de type ethnographique menées entre 2005 et 2008. Elles comprennent des observations (lors de réunions, d’activités militantes ou de moments de sociabilité), des entretiens et des études documentaires. 2. Cf. par exemple l’étude de Thierry Caire : « Militants à la Fédération Anarchiste », L’Homme et la société, n° 123-124, 1997, p. 91-103. 3. Boris Gobille et Aysen Uysal, «Cosmopolites et enracinés», in Agrikiolansky, E., Sommier, I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste, Paris, 2005, p. 107. L es organisations anarchistes se donnent généralement pour objectif de lutter contre toutes les formes d’oppression et de domination : exploitation économique, oppression politique et religieuse, normes sexuelles contraignantes, inégalités raciales ou sexistes… Actuellement en France, elles entendent s’inscrire dans le double héritage d’une tradition féministe spécifiquement anarchiste (qui recoupe en partie ce qu’on désigne sous le nom d’anarcha-féminisme) et du mouvement féministe des années 1970. Néanmoins, au-delà de ces intentions de principe, on peut constater que les organisations anarchistes se caractérisent par une faible présence numérique de militantes. Nous avons mené des enquêtes sociologiques 1 dans deux organisations françaises: la Fédération anarchiste (FA), qui est la plus ancienne organisation anarchiste en France, et Alternative Liber- taire (AL), qui est plus spécifiquement une organisation communiste libertaire. D’après nos propres observations et les différents chiffres que l’on peut croiser 2 , il y aurait environ 20 % de militantes à AL, et de 20 à 25 % à la FA, ce qui représente dans tous les cas moins d’un quart des membres. Il semble donc y avoir un décalage entre les discours des militants qui se déclarent bien souvent féministes et le faible nombre de femmes engagées dans ces organisations. La faiblesse de la présence féminine chez les anarchistes contraste avec les chiffres issus des études sur le mouvement altermondialiste. Par exemple, lors du Forum social européen de 2003 à Paris, femmes et hommes étaient à égalité 3 . La même

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Dans les organisations anarchistesL’exemple d’Alternative libertaire

et de la Fédération anarchiste

Simon Luck, Irène Pereira

Dossier : des pratiques

1. Il s’agit de deux enquêtes de type ethnographique menées entre 2005 et 2008. Ellescomprennent des observations (lors de réunions, d’activités militantes ou demoments de sociabilité), des entretiens et des études documentaires.

2. Cf. par exemple l’étude de Thierry Caire : «Militants à la Fédération Anarchiste»,L’Homme et la société, n° 123-124, 1997, p. 91-103.

3. Boris Gobille et Aysen Uysal, «Cosmopolites et enracinés», in Agrikiolansky, E.,Sommier, I. (dir.), Radiographie du mouvement altermondialiste, Paris, 2005, p. 107.

Les organisations anarchistes se donnent généralement pourobjectif de lutter contre toutes les formes d’oppression et dedomination : exploitation économique, oppression politique et

religieuse, normes sexuelles contraignantes, inégalités raciales ousexistes… Actuellement en France, elles entendent s’inscrire dans ledouble héritage d’une tradition féministe spécifiquement anarchiste (quirecoupe en partie ce qu’on désigne sous le nom d’anarcha-féminisme) etdu mouvement féministe des années 1970.

Néanmoins, au-delà de ces intentions de principe, on peut constaterque les organisations anarchistes se caractérisent par une faible présencenumérique de militantes. Nous avons mené des enquêtes sociologiques1

dans deux organisations françaises : la Fédération anarchiste (FA), qui estla plus ancienne organisation anarchiste en France, et Alternative Liber-taire (AL), qui est plus spécifiquement une organisation communistelibertaire. D’après nos propres observations et les différents chiffres quel’on peut croiser2, il y aurait environ 20 % de militantes à AL, et de 20 à25 % à la FA, ce qui représente dans tous les cas moins d’un quart desmembres. Il semble donc y avoir un décalage entre les discours desmilitants qui se déclarent bien souvent féministes et le faible nombre defemmes engagées dans ces organisations. La faiblesse de la présenceféminine chez les anarchistes contraste avec les chiffres issus des étudessur le mouvement altermondialiste. Par exemple, lors du Forum socialeuropéen de 2003 à Paris, femmes et hommes étaient à égalité3. La même

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année, 40,5 % des protestataires contre leG8 d’Evian étaient des femmes4. Mais lasingularité de la faiblesse numérique desfemmes dans les organisations anar-chistes est à relativiser si on la compare àcelle des militantes des partis politiquesfrançais : en 1998, les femmes représen-taient certes 40 % des membres du PC,mais seulement 31 % des Verts et 26 % duPS5. Du côté de la LCR, en 2003, onrecensait 33 % de militantes6. A droite, leschiffres sont similaires, puisqu’en 2004l’UMP ne comptait que 32 % de femmes7.Bien que ces chiffres soient en progression,on est encore bien loin de l’égalité.

Ceci n’a rien de particulièrementsurprenant : les femmes sont structurelle-ment sous-représentées dans les organi-sations politiques, et pas uniquement enFrance8. Une première analyse de la faibleprésence des femmes dans les organisa-tions anarchistes pourrait donc se trouvertout simplement dans des causes déjà

4. Filleule, O., Blanchard, Ph., Agrikoliansky, E.,Bandler, M., Passy, Fl., Sommier, I., «L’alter-mondialisme en réseaux. Trajectoiresmilitantes, multipositionnalité et formes del’engagement : les participants du contre-sommet du G8 d’Evian», Politix, vol. 17, n° 68,2004, p. 13-48., p. 21.

5. Boy, D., Platone, F., Rey, H., Subileau, F., Ismal,C., C’était la gauche plurielle, Paris, 2003, p. 19.Les chiffres exposés dans cet ouvrage ont déjàplus de dix ans. Il y a toutefois lieu de penserque s’il y a eu féminisation depuis, elle estrestée modeste et aucun de ces partis neconnaît encore la parité hommes-femmes.

6. Joshua, Fl., « La dynamique militante à l’ex-trême gauche: le cas de la Ligue communisterévolutionnaire», Cahiers du CEVIPOF 37, 2004.

7. Haegel, Fl., « La mobilisation partisane dedroite : les logiques organisationnelles etsociales d’adhésion à l’UMP», Revue françaisede science politique, vol. 59, n° 1, 2009, p. 19.

8. Pour un état des lieux global, voir Achin, C.,Lévêque, S., Femmes en politique, Paris, 2006.

9. Fraisse, Geneviève, Les deux gouvernements : lafamille et la cité, Paris, 2000.

10. Barthélémy, Martine, Associations – le nouvelâge de la participation? Paris, 2000.

largement soulignées par l’histoire et lasociologie. La sous-représentation desfemmes dans les activités politiquess’explique par la relégation traditionnelledes femmes dans la sphère privée, le foyer,tandis qu’aux hommes est réservée lasphère publique9. Une telle explicationpermet de rendre compte de manièregénérale de la faible présence des femmesdans l’engagement militant et plusspécifiquement dans l’engagement parti-san. Les femmes apparaissent bien plusprésentes dans les engagements asso-ciatifs concrets dans lesquels elles peuventréinvestir des qualités intériorisées liées ausoin du foyer. L’engagement associatif ad’ailleurs été longtemps la seule formepossible d’engagement public pour lesfemmes qui étaient privées de droitsciviques et politiques10. Au contraire, lemilitantisme partisan, plus idéologique,est, plus encore que d’autres formesd’engagement public, une activité mas-culine. Ceci explique certainement enpartie la différence entre la forte présencedes femmes dans les rassemblementsaltermondialistes et leur retrait relatif d’unmilitantisme plus strictement partisan.

On peut néanmoins se demander, au-delà de ces analyses générales, s’il n’existepas des causes propres au mouvementanarchiste qui pourraient expliquerpourquoi des organisations qui prônentl’égalité et le refus des dominationsattirent (ou retiennent) si peu de femmes.Nous ne pouvons pour l’instant formulerque des hypothèses ne reposant pas surune étude systématique mais sur unensemble d’observations tirées de nosdeux terrains de recherche. L’imagespécifique des organisations anarchistes,qui tendrait potentiellement à découragerl’adhésion des militantes, peut constituerun facteur explicatif. Mais on peut aussiévoquer les réalités du fonctionnementdes organisations, qui laissent parfois peude place aux femmes et à leurs luttes.

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11. Selon Larry Portis, « la presse bourgeoise dudébut des années 1890 dresse une imageessentiellement caricaturale des anarchistes,assimilés au chaos. […] Considérés commeune menace irrationnelle contre la société, lesanarchistes sont dépeints comme des maladesmentaux aux pulsions primitives. Cette idée dela folie des anarchistes est alors rarementremise en question. Déments, névrosés oufourvoyés dans des actes révolutionnaires, lesanarchistes sont, selon la presse, des monstresissus d’une société saine. Cette descriptionprédomine dans la majorité des journaux,comme d’ailleurs celle du complot travaillant àla désintégration du corps politique. La terreuranarchiste précipitant les événements etmontrant l’urgence d’une situation déjàdégradée par l’émergence du mouvementouvrier et par la diffusion des théoriessocialistes.» («La sociologie consensuelle et leterrorisme. De la propagande par le fait àUnabomber», L’homme et la société, n° 123-124,1997, p. 61-62).

12. Coulouarn, T., Jossin, A., «Représentations etprésentations de soi des militants altermon-dialistes», in Agrikoliansky et al., op. cit., p. 145.

Dans les organisations anarchistes

Les organisations anarchistes,victimes de leur image?

C’est sans doute d’abord la façon dont lesorganisations sont perçues qui va faciliterou au contraire freiner le recrutement.L’image violente et virile qui tend à êtreattachée aux anarchistes semble pouvoirdécourager l’adhésion de nouvellesmilitantes.

La violence anarchisteL’histoire a contribué à associer l’anar-chisme au terrorisme et à la violence, voireà la folie meurtrière11. Aujourd’hui encorelargement méconnu, le mouvementanarchiste est souvent perçu à travers lesmédias qui ne mentionnent généralementles anarchistes que lorsqu’ils font le récitd’émeutes ou de manifestations parse-mées d’actes de violence contre les biensou les personnes. Cette image violente ducourant libertaire n’est pas étrangère aufaible nombre de militantes à la FA ou à AL.

On sait que le genre est un facteur dedifférenciation dans l’usage de certainsmodes d’action : les femmes altermon-dialistes, par exemple, tendent à moinsrecourir à la violence et se disent moinsdisposées à l’exercer que les hommes12.Peu importe alors que les modes d’actionviolents ne fassent pas réellement partiedu répertoire des organisations étudiées(même si parfois certains de leurs mili-tants peuvent y recourir à titre individueldans des mobilisations spécifiques,comme par exemple les rassemblementsantifascistes) ; l’image que renvoient lesanarchistes, voire leur simple réputation,tendent à détourner du mouvement lesindividus les plus rétifs à l’usage de laviolence et donc en majorité les femmes.Ceci se constate dans les propos demilitantes de la gauche radicale :

Je ne les connais pas bien, donc c’est peut-être un peu des a priori, mais le peu que

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j’en ai vu, ça ne m’a pas donné envie,enfin… […] Ce côté un peu chercherl’affrontement pour l’affrontement, ça nem’intéresse pas, je trouve ça un peu con…[…] Je pense que… on n’a quand mêmepas la même façon de voir les choses,profondément, même s’ils parlent peut-être de décroissance et nous aussi, c’est pasla même culture. Je ne sais pas. C’est peut-être pas vrai, mais j’ai du mal à les voircomme des gens qui prônent la convi-vialité. Enfin j’ai l’impression qu’il y a uneespèce de rigidité dans ce côté… C’estpeut-être pas vrai et c’est des gens trèssympa les anars… (Anne, militante auCrep, Collectif de réappropriation del’espace public, groupe écolo-radicalstrasbourgeois.)

Même s’il y a des idées anarchistes quisont belles, vraiment je ne me verrais pasdans un cadre comme ça. Je les trouvejustement trop… Enfin, il y a l’actionviolente que je ne partage pas du tout, c’est

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clair… Qu’on retrouve dans leur façon des’exprimer et puis la façon d’agir… Jeserais plutôt dans une thématique de non-violence, donc c’est sûr que là ça divergebeaucoup. Même si on peut avoir la mêmeutopie, on n’a pas les mêmes moyens poury arriver. Et puis je trouve que c’est un peusectaire, des fois, et puis ça me gêne.— Dans quel sens ?Ben, des gens qui pensent détenir la véritéou la juste vision des choses et puis lesautres c’est des cons. […] La CNT, ils sonttous habillés en noir, tous avec leursdrapeaux, leurs machins, ça me fiche latrouille, je sais pas comment dire… Il y a uncôté embrigadement, enfin une impression,je ne dis pas que c’est ça, j’ai jamais vuvraiment de l’intérieur, je connais juste descopains assez proches avec qui j’aime biendiscuter. Mais ce côté «on ne se mélangepas avec les autres», je ne comprends pas.C’est pour ça que je parle de sectaire… Onfait vraiment une distinction, entre lesbourgeois et je ne sais pas quoi. Je les trouvetrès communautaristes, finalement.(Juliette, militante au Crep.)

Ces témoignages montrent que l’imageviolente des anarchistes – même si ellecorrespond souvent davantage à unpréjugé qu’à une connaissance réelle dumouvement, ou quelle procède d’unegénéralisation à partir d’observationspartielles (ici, certaines mobilisations de laCNT) – est parfois associée à une accu-sation de sectarisme. Celle-ci n’est pas liéeuniquement au refus de l’idéologieanarchiste – comme d’ailleurs de touteidéologie explicite – exprimé par denombreux militants radicaux. Elle a aussi

13. Cf. Sommier, Isabelle, « Virilité et cultureouvrière : pour une lecture des actionsspectaculaires de la CGT», Cultures et Conflits,n° 9-10, 1993, p. 341-366.

14. Duriez Hélène, « Des féministes chez leslibertaires», in Fillieule, O., Roux, P. (dir.), Lesexe du militantisme, Paris, 2009, p. 167-186.

très probablement trait à une culturespécifique qui s’exprime dans lesorganisations anarchistes, matérialisantl’héritage historique du mouvement.

Culture anarchiste et virilismeCette culture, emprunte d’ouvriérisme,tend dans une certaine mesure à exalterl’image du travailleur, opposé aubourgeois exploiteur. Et il s’agit trèslargement d’une image masculine, pourne pas dire virile13. Ce virilisme estégalement associé à la culture de l’anti-fascisme radical, qui constitue un courantactif du militantisme libertaire etanarchiste14. Or c’est justement ce stylepolitique marqué, cette affirmationpublique de postures viriles – par exempledans les défilés réunissant des hommesanarchistes vêtus de noir et brandissant lepoing, semblant prêts à en découdre – quipeut déplaire aux militantes potentielles.Le machisme, ou un certain côté « pri-maire » qu’on attribue aux anarchistes,joue alors un rôle de repoussoir, commeen témoignent ces militantes alter-mondialistes :

Quand j’étais sur la LSI [mobilisationcontre la Loi sur la sécurité intérieure], çam’insupportait, parce qu’il y avait le côté :pour être une femme émancipée il fautavoir une paire de couilles. C’était un peucette image-là. Pour montrer que je suisune femme libérée, il faut que je sois lacaricature du mec viril, que je prenne desattributs de virilité pour être une filleémancipée. Et ça, ça me rendait folle, c’estd’une connerie, genre le truc «moi je peuxêtre bourrin, je peux boire de la bière»…[…] Il y avait plein de groupes anars, deloin, et j’avais un peu cette impression que,quand tu étais une fille, tu avais intérêt àmontrer que tu étais un bon homme, engros, pour être acceptée. […] Après, jetombais peut-être particulièrement sur desgros cons… mais les gars que j’avais vus,c’était pas forcément des organisations,

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15. Au-delà de la valorisation de la masculinité,on peut faire l’hypothèse que la cultureouvriériste constitue en elle-même un obstacleà l’identification des femmes au mouvementanarchiste: peut-être le monde ouvrier trouve-t-il en effet moins de résonance chez la plupartd’entre elles que celui du prolétariat employéauquel elles appartiennent plus massivement.Cette hypothèse mérite d’être creusée, tout ensachant que les femmes qui rejoignent la FA etAL n’appartiennent pas nécessairement aumonde ouvrier et n’entretiennent souvent pasavec lui de lien familial ou affectif.

16. Roux, Patricia, Perrin, Céline, Pannatier, Gaël,Cossy,Valérie, «Le militantisme n’échappe pasau patriarcat », Nouvelles questions féministes,vol. 24, n° 3, 2005, p. 11.

Dans les organisations anarchistes

c’était juste des gars qui étaient un peucons.» (Clarisse, militante à Vamos !, Vivel’action pour une mondialisation des soli-darités, collectif altermondialiste parisien.)

Je pensais que… on avait à peu près lesmêmes idées [avec la CNT et le milieulibertaire]… C’est vrai que j’allais auxconcerts [punk] du 21 ter rue Voltaire aussià l’époque […] Je m’étais dit « pourquoipas ? ». Bien sûr c’est des questions depersonnes, mais sur Lille, il avait descopains de la CNT qui étaient sympas ettout. À Paris, j’ai pas l’impression quec’était la même chose, enfin les types quej’ai vus… Je me souviens, outre l’attitudeviriliste disant «on va se battre, ouais, onva se battre»… Quand le rassemblementest parti, tu avais des monceaux decanettes et de papiers partout. C’est destrucs qui me choquent aussi, ça necorrespond pas du tout avec le fait demiliter… Enfin pour moi c’est un tout, lerespect des gens qui vont balayer la rue, lerespect de la nature, l’écologie, tout ça, çava ensemble. Et de dire « je vais niquer lesfachos», non, moi ça ne me correspondaitpas. (Ninon, militante à Vamos !)

La vision englobante qu’ont certainesmilitantes de la mouvance libertaireignore largement la diversité des stylesmilitants qu’on peut y rencontrer enfonction des organisations et descollectifs. Cependant, bien qu’abusives,ces généralisations produisent des effetsconcrets. Des organisations identifiéescomme exaltant les valeurs de virilité ontpeu de chance d’attirer spontanément desmilitantes, qui craignent d’y subir desdiscriminations, de perdre leur identité outout simplement de ne pas trouver leurplace15. Et il faut admettre que ces craintesne sont pas totalement sans fondement :les adhérentes des organisations anar-chistes peuvent effectivement éprouverdes difficultés pour s’y épanouir.

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Prise en compte des femmeset des pratiques féministes

La faible place des femmes dans AL ou laFA signifie-t-elle que ces organisationsfont partie des «mouvements et collectifsmilitants [qui] peuvent se profiler comme‘défenseurs des femmes ‘, ‘de l’égalité’,voire ‘du féminisme’ sans pour autanttransformer radicalement les rapportssociaux de sexe en leur sein»16 ?

Le ressenti des militantesLes femmes militantes à Alternativelibertaire évoquent, à la différence desmilitants hommes de cette organisation,la question de la peur face à des actionsviolentes. L’un des témoignages les plusintéressants est à cet égard celui deCoraline, militante à Paris. Elle évoquedans son entretien la pression morale quepeut faire subir aux femmes, la culturemilitante masculine :

Il y avait autre chose avec lequel j’étais pasd’accord, c’était le rapport à la violenceavec lequel j’étais pas sûre d’être très auclair. Maintenant, je sais, pendantlongtemps j’ai oscillé… Un rapport à laviolence théorique et un rapport à laviolence pratique. Qui par ailleurs neposait pas de problèmes à tous les copainsd’AL, tous les copains de ma génération

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par ailleurs, qui étaient arrivés à l’AL unpeu avant moi ou en même temps quemoi, étaient des gens qui partaient aucarton hyper facilement… Moi, j’aimaispas ça. D’abord, j’ai peur de la violence. Jecrois que ça a été une ligne de fracture. J’aipeur quand les flics chargent, j’ai peur desfafs, j’ai peur de tout… Et pourtant j’ai faitdes SO [service d’ordre], j’ai flippé dans lesSO… Qu’est ce que je suis contenteaujourd’hui de pouvoir dire que j’ai peur.Et les SO, quand ça craint, j’y vais pas, jereste derrière. Qu’est ce que j’ai eu peurvraiment… Je pense aussi que ça a étéaussi une raison pour laquelle avec NoPasaran, j’étais en difficulté. J’avais aussiune fascination, et ça c’était une discussionavec mes bons copains de l’AL, que j’aiperdus de vue maintenant… Par exemple,qu’est ce qu’on faisait sur les marchés, àun moment, à attendre les fafs. Ils étaienten général plus armés, plus nombreux quenous. Je pense que j’étais dans un truc queje ne pouvais pas suivre… Jamais lescopains d’AL, ils vont te dire « je suisfasciné par la violence», mais je crois quesi. Je ne peux le dire que maintenant, parcequ’à l’époque je n’avais pas ces outils deréflexion, il y avait quelque chose deviriliste là-dedans dans lequel je ne meretrouvais pas.

Outre la peur de la violence physique,certaines militantes se plaignent de laculture viriliste qui peut parfois être pré-sente dans les organisations anarchistes,tant dans l’attitude des militants que dansl’image qu’ils donnent de leur organi-sation vers l’extérieur. Marina, du groupeIdées noires de la FA, avec qui nousdiscutions hors entretien de la questiondu faible nombre de femmes à lafédération, estimait que l’image del’organisation pouvait parfois être un peu«difficile», avec un côté «macho» et «unpeu viriliste », qu’elle retrouvait, parexemple, dans le projet d’Hervé, militant

du même groupe, de participer à unrassemblement antimilitariste dans laCreuse où l’on pourrait « se bourrer lagueule entre mecs».

Dans le même registre, Lucie, militanteau groupe La Rue de la Fédérationanarchiste, déclarait :

Il y a des choses qui me déplaisent dans[la FA]… avec les autres militants, parexemple sur la question du féminisme, jetrouve qu’il y a des réactions qui sontcomplètement injustifiables pour moi.Enfin il y a un manque de prise en comptedu féminisme, par exemple. […] Et leMonde Libertaire, pareil, je le trouvesouvent chiant. Les illustrations, je trouveça absolument phallocrate.

La prise en compte de la questionféministe peut en effet engendrer descontroverses au sein des organisationsque nous avons étudiées. À AL, nousavons pu constater qu’il existait desdisputes qui portaient sur les rapportsentre antipatriarcat et anticapitalisme.Tous les militants se déclarent féministes,mais tous n’ont pas la même analyse de laplace respective de l’anticapitalisme et del’antipatriarcat. En pratique, deuxsensibilités s’expriment. Un militantparisien déclare ainsi dans un entretien :

Je pense que le point nodal de larégression sociale depuis 1975, c’est ladéliquescence du mouvement ouvrier, del’organisation des travailleurs, du syndi-calisme, des luttes ouvrières. Le mouve-ment ouvrier, c’est un peu le « navireamiral» du mouvement social au sens pluslarge. Quand il s’affaiblit, ça affaiblit toutesles luttes qui se sont agrégées à lui, parstrates, depuis le XIXe siècle : le féminisme,l’anticolonialisme, l’antiracisme, l’anti-fascisme, l’écologie… […] En conclusion,de mon point de vue il n’y a pas de « luttesprioritaires » – par exemple les luttessalariales qui surclasseraient toutes lesautres – mais il y a bien un « lieu priori-

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17. Collectif pour une alternative libertaire(Groupe local d’AL), situé au nord-est de Paris.

18. Le Collectif fédéral d’Alternative Libertaire estcomposé du Secrétariat fédéral et dessecrétariats. Il se réunit une fois par mois, enalternance avec le Secrétariat fédéral, et a pourfonction de veiller à l’application des décisionsde congrès et des décisions de la Coordinationnationale. Celle-ci réunit trois fois par an desdélégués de tous les collectifs locaux.

Dans les organisations anarchistes

taire » pour mener ces luttes, et ce lieu,c’est le prolétariat.

Pour sa part, une militante membre dela commission antipatriarcat d’AL faitl’analyse suivante :

Il y a des débats de fond et des débats deforme qui sont liés en fait. Des débats defond : est-ce que c’est la lutte des classesqui prime ou d’autres systèmes qui sonttout aussi importants et qu’il faut prendreen compte.Tout le monde est d’accord surle fait qu’il y a plusieurs types d’oppressionet qu’il faut les prendre en compte sur lepapier. Après, concrètement, il y a quandmême une partie des militants d’AL quisont très lutte des classes, très militantsclassiques, et d’autres qui voient les chosesdifféremment. C’est vrai qu’au CAL PNE17,on n’a pas ce débat. On est tous d’accordsur le fait qu’il y a différents systèmesd’oppression. C’est très important de lesconjuguer.

Les pratiques des militant-esLes organisations dans lesquelles nousavons mené nos deux études respectivesmettent-elles en place des dispositifsvisent à prendre en compte la dimensionféministe?

Au sein d’AL, selon le texte fondateurde l’organisation, Le manifeste pour unealternative libertaire, mais aussi les textesde congrès de cette organisation, l’anti-patriarcat est un axe de lutte principal aumême titre que l’anticapitalisme parexemple. L’organisation possède unecommission antipatriarcat mixte, mais oùde fait ce sont plus majoritairement desfemmes qui s’investissent, à la différencedes autres instances de l’organisation.Cependant, la commission antipatriarcat,malgré plusieurs tentatives, n’a pasobtenu le statut de secrétariat fédéral. Lechangement de statut revêt à la fois unedimension symbolique et des consé-quences juridiques. En effet, à la différence

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d’une commission, un secrétariat possèdepar exemple un représentant mandatéofficiellement au Collectif fédéral18 del’organisation.

L’attention portée aux questionsféministes dans AL est marquéeégalement par le fait que tous les mois lemensuel Alternative Libertaire publie desarticles consacrés à ce sujet. En outre, sousl’impulsion de la commission anti-patriarcat, des initiatives féministes,comme les manifestations pour une loi-cadre contre la violence faite aux femmesou le 8 mars, sont élevées au rang depriorité fédérale. Cela signifie alors qu’unappel est fait à l’ensemble des militantsd’essayer de se mobiliser prioritairementpour cette initiative de manière parexemple à pouvoir coordonner un cortègedans une manifestation.

Des pratiques internes visent en outreà faciliter la prise de parole des femmes etleur activité militante. Un système de listequébécoise a été mis en place. Celaconsiste, lors d’une réunion, à donner laparole en priorité à une femme lorsquec’est la première fois qu’elle la demande.Cependant, cette pratique volontaristen’empêche pas les militants de fairerégulièrement le constat que les femmess’expriment moins en réunion et quel’espace collectif de parole reste dominépar les mêmes militants. De même, lorsdu congrès de l’organisation chaquesession est co-présidée par une femme etun homme. Néanmoins, la parité, parexemple du Secrétariat fédéral, même sielle a été discutée, n’a jamais été adoptée.

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En effet, une majorité de militantscraignent que les postes ne soient paspourvus. De manière effective, nous avonspu constater que seule une femme occupeun poste au sein du Secrétariat fédéralcomposé de cinq membres. Nous avonsnéanmoins observé qu’au moins danscertains CAL, les militants étaient attachésau fait que le poste de trésorier et celui desecrétaire soient répartis de manièreparitaire.

A la FA, il existe une commissionfemmes, non mixte, mais sans statutparticulier ni secrétariat qui lui seraitattaché. Aucun dispositif spécifique n’estmis en place pour favoriser l’investis-sement des femmes. Bien qu’on ne repèrepas de discriminations aboutissant, parexemple, à une sous-représentation desfemmes dans les secrétariats (même si lenombre de femmes mandatées varie selonles années), l’organisation anarchistehistorique est pensée comme sourced’émancipation alors qu’elle ne remet pasfondamentalement en cause les phéno-mènes d’auto-exclusion des femmes et nepermet donc pas nécessairement àchacune d’entre elles d’oser intervenirdans les débats dominés par leshommes19. Contrairement à d’autrescollectifs, il n’y a pas systématiquement ausein des groupes de tours de parole, etencore moins de modération deséchanges visant à favoriser la prise deparole des militantes. En ce qui concerneles Principes de base de l’organisation, ilsne mentionnent pas la lutte contre le

19. Pour s’en convaincre, on citera par exemple leschiffres de l’utilisation de la liste de diffusionélectronique de la FA sur laquelle chacun-epeut théoriquement intervenir librement :entre le 1er janvier et le 30 juin 2007, 1300messages environ ont été envoyés sur la listede la FA. 37 seulement (soit moins de 3 %)l’ont été par des femmes, qui représententpourtant environ 16% des abonnés.

20. Buscatto, Marie, «Syndicaliste en entreprise,une activité si ‘masculine’ », in Le sexe dumilitantisme, op. cit., p. 75-91.

patriarcat, celle-ci étant implicitementcontenue dans l’objectif d’«égalité sociale,économique de tous les individus».

Y a-t-il une spécificité du militantisme des femmes anarchistes ?Au-delà de la réalité des pratiquesactuelles, le militantisme des femmes peutêtre perçu par certains hommes commepouvant amener des changements dansles pratiques militantes. C’est ce quedéclare Bernard de Toulouse :

Force est de constater que l’actioncollective de femmes se traduit plus dansdes démarches innovantes et sans traduc-tion de violence. L’action des femmes dela Place de Mai en Argentine est l’exemplephare d’une démarche spécifiquement liéeà la réflexion d’un groupe de femmes. Lepoids historique de domination virilistequ’a fait peser le genre masculin sur lesfemmes les a tout simplement obligées àréagir différemment et ce n’est pas parcequ’elles sont mères que cela vientnaturellement.

Il est possible d’analyser une telledéclaration de manière non essentialisteen supposant que cette transformationdes pratiques militantes par les femmesserait liée au fait qu’elles auraientintériorisé un habitus qui les porteraitvers des pratiques différentes de cellesdes hommes. Pourtant, on peut sedemander si, dans le cadre d’orga-nisations construites par des hommespour des hommes, une telle trans-formation est possible. En effet, lesfemmes qui rejoignent l’organisation etplus encore celles qui réussissent àoccuper des fonctions d’animation en sonsein ne seraient-elles pas en définitivecelles qui ont le mieux intégré l’habitusmilitant masculin20?

En dépit de ces réserves, dans plusieursentretiens on peut constater chez lesmilitantes d’AL, à la différence de la

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plupart des militants hommes interrogés,l’intérêt pour des formes d’actions plusoriginales, et en particulier faisantintervenir l’humour. C’est le cas parexemple de Céline, militante à Paris :

Les moyens d’action « traditionnels » telsque les manifs, diffusion de tracts,discussions avec les personnes de sonentourage, AG, grèves, etc., sont toujoursefficaces. […] Malheureusement peut-être,la médiatisation est aujourd’hui incon-tournable pour qu’une lutte soit entendue.Il faut donc bien souvent trouver desmoyens d’action innovants, « ingénieux »pour se faire entendre.

Ce point apparaît aussi dans l’entretienavec Christelle, militante à Alençon, quidéfend « l’humour parce que c’estagréable de l’intérieur et pour les spec-tateurs et spectatrices, et que ça peut êtresubversif ».

Cette différence d’approche en ce quiconcerne les modes d’action entremilitantes et militants ne nous semblerecouper ni une différence de capitalculturel, ni une différence socio-éco-nomique qui pourraient correspondre àdes disparités en termes de classe socialeou de génération militante. Il s’agit bienavant tout d’une différence tenantprincipalement au genre. Une secondevariable semble néanmoins jouer un rôle,il s’agit de la socialisation militantesecondaire. Si certains hommes peuventeux aussi être partisans de modes d’actioninnovants, il nous semble que dans ce cascela tient, par exemple, à un passageantérieur par le mouvement alter-mondialiste. Au contraire, d’autres jeunesmilitants hommes tout aussi diplôméspeuvent, pour des raisons liées à uneculture militante attachée aux reven-dications plus strictement matérialistes,être des défenseurs avant tout de modesd’action issus du mouvement ouvrier telsque la grève.

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Conclusion

Nous avons évoqué tout au long de cetarticle plusieurs hypothèses qui visent àrendre compte des raisons qui pourraientexpliquer la faible présence féminine dansles organisations anarchistes, au-delà dela sous-représentation structurelle desfemmes dans les organisations politiques.

La première raison tiendrait dansl’image extérieure – imaginée ou réelle –des organisations anarchistes, qui seraitcelle d’un militantisme emprunt devirilisme et valorisant l’affrontementphysique. Cette image pourrait renvoyer àcertains éléments de la culture anarchistetel que l’ouvriérisme et l’antifascismeradical.

Après les raisons qui peuvent expliquerpourquoi si peu de femmes font ladémarche de se rapprocher d’une orga-nisation anarchiste et d’y adhérer, nousavons évoqué les facteurs qui peuventamener les femmes à se sentir mal à l’aisedans leur organisation, au point éven-tuellement de la quitter. Les militantesévoquent à la fois leur peur de la violencephysique, mais aussi leur difficulté àsupporter une culture militante qui peuts’avérer parfois relativement «machiste».Enfin le désinvestissement des femmesmilitantes anarchistes pourrait s’expliquerpar des modes de fonctionnement qui neleur laissent pas assez de place ou qui nesont pas assez volontaristes dans l’espacequ’ils accordent aux femmes et auxproblématiques féministes.

Au terme de ces réflexions, on peutévoquer de nouvelles pistes de recherche.Il serait intéressant de chercher à vérifier siles femmes dans leur ensemble aspirenteffectivement à un type de militantismeautre que celui que proposent les orga-nisations anarchistes. Ceci impliqueraitnotamment de rencontrer les militantesqui ont choisi de s’engager dans d’autresmouvements proches de la mouvance

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libertaire (groupes altermondialistes,écolo-radicaux, etc.) et d’interroger leurrapport au militantisme. Il faudrait égale-ment comparer leur parcours à celui deshommes et des femmes d’AL et de la FAafin de saisir ce qui fait la spécificité decelles qui, malgré les préjugés et lesdéceptions, ont fait le choix de militer ausein d’une organisation anarchiste. C’est àce prix qu’on pourra se faire une idée surla capacité des organisations actuelles àélargir leur audience en se posant defaçon crédible comme outil d’émanci-pation individuelle et collective.

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«L’avortement neconcerne pasque les femmes.» Mur de BuenosAires, mars2010. PhotoSolange Bidault.