d’ivoire à la fin du xixe siècle · 1 l’explorateur, le guide et l’interprète dans les...

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1 L’explorateur, le guide et l’interprète dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe siècle Cissé Chikouna 1 Introduction La fin du XIXe siècle fut riche en mission d’explorations françaises en Afrique de l’Ouest, dont la plus célèbre fut sans doute la grande randonnée de Binger (1787-1789) qui visait principalement à assurer la connexion entre la Boucle du Niger et le littoral ivoirien, si vitale pour l’expansion économique de la France dans la région. Moins que les motivations économiques et politiques de ces missions d’exploration suffisamment connues, le présent article examine les rapports entre colonisateurs et colonisés à travers les figures de l’explorateur, du guide et de l’interprète. L’objectif ici est de repenser les logiques de domination en situation coloniale. 2 Dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe siècle, la rationalité occidentale fut fortement dépendante, souvent éprouvée par les savoirs endogènes inversant parfois les rapports de force en faveur des populations africaines. Celles-ci, en effet, en fonction de leur volonté de coopération en termes de disponibilité des guides, des porteurs et des interprètes, assurèrent ou précipitèrent l’échec des missions d’exploration françaises chargées de réaliser la jonction de l’hinterland soudanais et du littoral ivoirien. Pour documenter cette histoire, je m’appuie sur les récits de trois missions d’exploration : les missions Blondiaux et Thomann (1897) et la mission Hostains-d’Ollone (1898-1900) qui connurent des fortunes diverses liées justement à leur capacité à faire coïncider l’agenda impérial avec les préoccupations des sociétés locales, pleinement 1 Maître-assistant au Département d’histoire de l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody-Abidjan. 2 Voir sur ce thème, les travaux de Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570, Paris, Gallimard, 2008, 395p, Michel Feith et Pilar Martinez- Vasseur (dir.), Paroles de vainqueurs, Paroles de vaincus. Réécritures et révisions, Nantes, CRINI, 2011, 425p. Romain Bertrand, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2011, 658p. Frederick Cooper, Le colonialisme en question. Théorie, connaissance, histoire, Paris, Payot, 2010, 426p, Laurent Testot, Histoire globale. Un autre regard sur le monde, Paris, Éditions Sciences Humaines, 2008, 261p

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Page 1: d’Ivoire à la fin du XIXe siècle · 1 L’explorateur, le guide et l’interprète dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe siècle Cissé Chikouna1 Introduction

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L’explorateur, le guide et l’interprète dans les forêts de la Basse Côte

d’Ivoire à la fin du XIXe siècle

Cissé Chikouna1

Introduction

La fin du XIXe siècle fut riche en mission d’explorations françaises en

Afrique de l’Ouest, dont la plus célèbre fut sans doute la grande randonnée de

Binger (1787-1789) qui visait principalement à assurer la connexion entre la

Boucle du Niger et le littoral ivoirien, si vitale pour l’expansion économique de la

France dans la région. Moins que les motivations économiques et politiques de

ces missions d’exploration suffisamment connues, le présent article examine les

rapports entre colonisateurs et colonisés à travers les figures de l’explorateur, du

guide et de l’interprète. L’objectif ici est de repenser les logiques de domination

en situation coloniale.2 Dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe

siècle, la rationalité occidentale fut fortement dépendante, souvent éprouvée par

les savoirs endogènes inversant parfois les rapports de force en faveur des

populations africaines.

Celles-ci, en effet, en fonction de leur volonté de coopération en termes de

disponibilité des guides, des porteurs et des interprètes, assurèrent ou

précipitèrent l’échec des missions d’exploration françaises chargées de réaliser la

jonction de l’hinterland soudanais et du littoral ivoirien. Pour documenter cette

histoire, je m’appuie sur les récits de trois missions d’exploration : les missions

Blondiaux et Thomann (1897) et la mission Hostains-d’Ollone (1898-1900) qui

connurent des fortunes diverses liées justement à leur capacité à faire coïncider

l’agenda impérial avec les préoccupations des sociétés locales, pleinement

1 Maître-assistant au Département d’histoire de l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody-Abidjan.

2 Voir sur ce thème, les travaux de Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la

Conquête espagnole 1530-1570, Paris, Gallimard, 2008, 395p, Michel Feith et Pilar Martinez- Vasseur (dir.),

Paroles de vainqueurs, Paroles de vaincus. Réécritures et révisions, Nantes, CRINI, 2011, 425p. Romain

Bertrand, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Éditions

du Seuil, 2011, 658p. Frederick Cooper, Le colonialisme en question. Théorie, connaissance, histoire, Paris,

Payot, 2010, 426p, Laurent Testot, Histoire globale. Un autre regard sur le monde, Paris, Éditions Sciences

Humaines, 2008, 261p

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conscientes des enjeux de ces missions d’exploration, prélude à la conquête

coloniale.

I -Entre la boussole de l’explorateur et l’empirisme du guide ou

comment trouver son chemin dans la forêt ivoirienne

Le milieu naturel ivoirien a constitué pour les pionniers de la conquête coloniale, à

la fois un objet de fascination et de répulsion. Dans l’une de ses relations de

voyage, Pierre d’Espagnat laissa libre cours à son inspiration devant la splendeur

de ce manteau vert :

Ce sol, perpétuellement humide et chaud, est à n’en pas douter, un milieu de

prédilection pour le végétal. On n’a, si l’on veut s’en rendre compte, qu’à

considérer un instant cette magnifique forêt de Guinée, auprès de laquelle nos

futaies du Bas-Bréau ne sembleraient guère que de maigres taillis, sans énergie et

sans sève3

Pour le capitaine d’Ollone, en revanche, cette forêt d’une densité de

végétation extraordinaire, fouillis inextricable d’arbres immenses, de buissons de

lianes enchevêtrées, est un obstacle absolu à la marche ; les fleuves qui la

traversent n’étant pas navigables, poursuit-il, on ne peut y pénétrer qu’en

utilisant les sentiers déjà tracés par les indigènes. Lucide, le capitaine d’Ollone en

tire la conclusion qu’il faut compter avec ceux-ci. Puis d’ajouter : « Ils ont pour

eux la force : à quoi servent nos armes perfectionnées dans ces fourrés

impénétrables ? Il faut donc leur agrément. »4 Chargée par le ministre des

Colonies d’établir d’une part la jonction de la Côte d’Ivoire avec le Soudan ;

d’étudier d’autre part les régions où devrait passer la frontière entre ces deux

possessions françaises et la république de Libéria, la mission Hostains-d’Ollone

dut multiplier les transactions avec les populations locales afin d’obtenir leur

agrément pour assurer le succès de cette double mission.

3 Pierre d’Espagnat, « La Côte d’Ivoire, ce qu’elle est, ce qu’elle doit devenir », in Revue des deux mondes,

Paris, 1896, p.173 4 « La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°17, 27 avril 1901, p.193

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Ce qu’Isabelle Surun appelle la double dépendance logistique et politique

envers les sociétés hôtes, dans laquelle les voyageurs en Afrique occidentale

étaient pris,5 amène nécessairement à repenser les rapports de domination en

situation coloniale, le but étant autres d’aboutir a un dépassement des modèles

articulés sur la dyade centre/ périphérie.6 S’intéressant au communisme au

quotidien dans l’ex-RDA7, Sandrine Kott fait remarquer pour sa part que la

domination (Herrschaft) doit être analysée comme une relation d’échange, même

déséquilibrée, entre ceux qui exercent le pouvoir(Macht) et détiennent les

moyens de répression et de propagande et ceux qui le subissent mais ne sont pas

dénués de ressources.8 Sous ce rapport, l’intuition et l’empirisme des autochtones

furent d’un appoint considérable pour orienter les explorateurs dans les forêts de

la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe siècle. L’explorateur Thomann en situe

l’importance dans le modus operandi qu’il dut inventer pour assurer le succès de

sa mission : l’itinéraire fut levé à l’aide de la boussole Peigné sans se servir de

l’alidade, l’horizon en forêt étant très borné ; deux podomètres donnaient les

distances. La direction d’une portion de route n’était reportée sur le carnet

qu’après avoir été parcourue ; comme la boussole était tenue constamment à la

main, note Thomann, ses moindres oscillations étaient notées. La déclinaison

adoptée était de 18° ouest. Pour assurer l’efficace de ce dispositif technique, la

mission choisie de s’en remettre aux « indigènes » pour la suite de ses efforts

d’orientation dans la forêt. C’est ainsi qu’arrivée à l’étape, l’explorateur français

demandait aux populations de lui indiquer aussi exactement que possible la

direction du village que la mission venait de quitter ; avant de repartir, elle se

faisait montrer de même la direction générale qu’elle allait suivre. Grâce à

l’instinct merveilleux dont sont doués les Noirs, souligne Thomann, ceux du

départ et ceux de l’arrivée étaient presque toujours d’accord et la direction qu’ils

5 Isabelle Surun, Mémoire de synthèse. Tome. I. Dossier présenté en vue de l’Habilitation à diriger des

recherches. Soutenu le 12 décembre 2012, Paris, Institut d’Études politiques de Paris, p.21 6 Isabelle Surun, « Du texte au terrain : reconstituer les pratiques des voyageurs (Afrique occidentale, 1790-

1880) », in S.& R., n°21, avril 2006, p.120. 7 République Démocratique Allemande

8 Sandrine Kott, Le communisme au quotidien. Les entreprises d’Etat dans la société est-allemande, Paris, Belin,

2001, p.16

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indiquaient conforme à l’azimut donné par la boussole, en dégageant tous les

petits détours du sentier.9

Dans d’autres circonstances, c’étaient les défaillances techniques des

missions d’exploration qui furent suppléé par l’empirisme des autochtones.

Partie de Marseille le 25 novembre 1898, la mission Hostains-d’Ollone arriva le

16 décembre de la même année à Grand-Bassam, point de départ de la remontée

vers le nord. Après une marche de 150 kilomètres, la missions arriva à Paoulo et

ne sachant rien des pays situés au-delà, fut obligée de stationner. Les multiples

changements d’orientation inattendus qu’imposèrent les chemins, obligèrent plus

d’une fois, la mission à rebrousser chemin, d’autant que les levés d’itinéraire

rendus difficiles par la densité de la forêt furent souvent erronés.

Partis de fort-Binger en voulant marcher vers le nord-ouest, les

explorateurs français étaient en réalité allés vers l’ouest croyant avoir laissé loin

dans l’est, les contrées de Douo, du Douobé et toutes les tribus riveraines. Ils

furent surpris par la suite d’apprendre que le Douo et le Douobé passaient au

nord de Paoulo, venant de l’ouest. Le théodolite qui pouvait en de pareilles

circonstances apporter l’éclaircie ne fut d’aucune utilité. Complètement détraqué

par les changements de température et par les chocs que les porteurs lui avaient

infligés, note le capitaine d’Ollone, il fut réexpédié de Fort-Binger à la côte.10 Cette

énigme géographique fut finalement débrouillée par l’empirisme du nommé

Tooulou dont d’Ollonne certainement sous l’emprise de l’euphorie du chemin

retrouvé salua la grande intelligence. Laissons la parole à l’explorateur français à

cette phase de sa mission :

A l’étape de Paoulo, malgré nos efforts, nous n’arrivions pas à éclaircir l’énigme

géographique, et notre embarras pour choisir une route était grand. Un des étrangers, un

Parébo nommé Tooulou, était particulièrement intelligent. Un jour nous lui demandons

de représenter sur le sol avec du charbon la position des différents peuples : nous avons

alors la surprise profonde de voir cet homme nous tracer après réflexion, une véritable

carte, sur laquelle il porte tout ce que nous voulons connaître, rivières, montagnes, tribus,

villages, et tout cela est si logique, tout s’accorde si bien avec les distances indiquées, les

9 « De la Côte d’Ivoire au Soudan français. La mission Thomann », in Supplément au Bulletin du Comité de

l’Afrique française de Janvier 1903 », p.131 10

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°20, 18 mai 1901, p.239

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routes signalées d’un point à un autre, etc., que l’exactitude en est évidente. Les jours

suivants, nous lui faisons refaire cette carte en essayant de l’embarrasser : peine perdue,

toujours il recommence le même croquis, identique, et réfute toutes les objections. Or

cette carte était pour nous un trait de lumière : le Youbou et le Douobé au lieu de couler

du Nord au Sud, comme nous l’avions cru, venaient en réalité de l’Ouest, où le Douobé

avait sa source ; le Youbou se recourbait ensuite de nouveau vers l’Est, et finalement vers

le Nord, il traçait donc une sorte d’S et décrivait une boucle considérable vers l’Ouest.

Tout étant éclairci, nous pouvions choisir notre route.11

La mission Thomann dont le but était de remonter vers Séguéla partant du

Haut-Sassandra, eut recours au même procédé pour trouver sa route entre

Sassandra et Soubré. Ici dans le pays Bété, c’est Anohi dit Docrui, chef du village

de Brizobouo, dans le pays de Guidéko qui traça sur le sable la carte

approximative des pays voisins du sien et donna à Thomann les indications

demandées sur la route qu’il aura à suivre. Mais à Daloa, Thomann refusa de se

fier à la connaissance empirique des « indigènes » en contestant les indications

géographiques du chef Zokou Gbeuli. L’échange entre les deux hommes est

révélateur du décalage culturel entre colonisateurs et colonisés :

Tu veux aller chez les Kwiyo (Mandé), [dit Zokou à l’intention de son hôte.] Il y a trois

routes, [poursuit Zokou] : la première vers l’Est, par le pays des Mouin ; la deuxième au

nord-est. Tu ne peux espérer passer par là. Un de tes frères a franchi le You (Bandama

rouge) pour porter la guerre bien loin à l’est. Il paraît qu’en revenant il passera par

Sokolo, le grand marché de kolas, pour attaquer les Lo. Ceux-ci l’attendent en grand

nombre sur les bords du fleuve et, si vous alliez pr là, vous seriez massacrés. Tu ne peux

songer à passer par Djorolé ni par Buonsira, où les Blancs ont déjà eu des palabres avec

les Lo. La seule route qui te reste donc,[ conclut-il] est celle du nord-ouest.12

Sceptique, l’explorateur français répliqua en tirant sa boussole de sa poche :

Il y a plusieurs routes, dis-tu Gbeuli, eh bien ! Moi je n’en connais qu’une seule,

celle que m’indique cette aiguille bleue. Tu es mon ami, je le sais, je n’en ai jamais

douté. Eh bien, voilà mon chemin.13

Quelques mois plus tard de retour à Sassandra par le Koyaradougou et le

Baoulé, Thomann fut bien obligé de reconnaître que le chef bété de Daloa, Zokou

11

Ibid., pp. 242-243 12

« De la Côte d’Ivoire au Soudan français. La mission Thomann », in Supplément au Bulletin du Comité de

l’Afrique française de Janvier 1903 », p.103 13

Ibid

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Gbeuli avait évité une catastrophe à la mission qu’il dirigeait. Il apprit en effet que

les Lo s’étaient après l’évacuation du poste de Bimbalo, groupés à Sakasso pour y

attendre le retour de la colonne du capitaine Moreau, qui, fort heureusement,

avait pris une autre direction. La colonne malgré tout fut éprouvée, le lieutenant

Larçou et le sergent Maria furent tués, quatre autres officiers ou sous-officiers

blessés, trente tirailleurs blessés ou tués, selon le décompte communiqué à

Thomann.14

Dans un autre contexte, Romain Bertrand qui s’est intéressé aux savoirs

cartographiques en milieu marin, dans sa somme sur l’histoire des contacts entre

Européens, Malais et Javanais au tournant du XVIIe siècle montre comment les

premiers durent s’appuyer sur l’expertise des seconds pour mener à bon port

leurs expéditions en mer. Dans un monde de commerce intra-archipélagique, où

l’on se déplaçait le plus souvent par cabotage, sans jamais perdre de vue les côtes,

et où la mémoire visuelle des reliefs montagneux et des récifs remplaçait les

cartes, les compétences de déchiffrement des vents et des courants étaient

strictement locales.15 Les « Cartes Marines » de Van Noort « ne sont point

correctes » manière de dire que les Hollandais n’ont strictement aucune idée de la

façon de rallier Java depuis Bornéo.16 L’alternative pour sortir de cette impasse

géographique fut de s’appuyer sur l’expertise étrangère. Les Hollandais, fait

remarquer Romain Bertrand kidnappèrent alors le pilote malais d’une jonque et

son enfant, et le forcèrent à les conduire vers Java-ce que l’homme fit, les

amenant en quelques jours à Ciberon.17

Ce recours au savoir de l’autre protagoniste, dans cette histoire des

contacts entre colonisateurs et autochtones, ne fut pas à sens unique. Dans le cas

qui nous occupe, ce fut la boussole qui, dans certaines circonstances permit de

rattraper certaines erreurs d’indication des guides. Ce fut par exemple le cas avec

la mission Hostains-d’Ollone à Paoulo. Plusieurs fois en effet, désorienté, car le

soleil était invisible, Tooulou guidait la mission vers le sud qui cherchait plutôt à

se diriger vers les contrées septentrionales. Ce fut la boussole qui indiqua

14

Ibid, p.129 15

Romain Bertrand, op.cit, p.73 16

Ibid, p.72 17

Ibid, p.73

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l’erreur, permettant ainsi à la mission de progresser dans la bonne direction à la

grande satisfaction du capitane d’Ollone certainement ravi de voir la rationalité

occidentale prendre le dessus sur les savoirs endogènes.

Mais la réalité fut la discordance entre les données fournies par les cartes

du ministère des Colonies et les levés d’itinéraire de la mission Hostains-d’Ollone,

tout au long du périple de cette dernière. Sur l’une de ses cartes, N’zo est porté

selon le capitaine d’Ollone à 7° 22’, et les dépêches sur le combat de Tiefesso

indiquaient ce dernier point comme à 60 kilomètres plus au sud, alors qu’il est à

20 kilomètres au maximum. Résultat, pensant trouver N’zo à 300 kilomètres de

Bereby et Tiefesso à 240, la mission fut surprise à mesure de sa progression de ne

pas entendre parler de ces villages. Une fois le Cavally franchi après moult

péripéties, la mission devant l’impasse fut obligée de s’en remettre une nouvelle

fois aux populations locales pour trouver le chemin de N’zo que d’Ollone qualifia

de « pôle magnétique de notre marche incertaine et aveugle. »18

Ces interactions entre explorateurs et populations locales dans la forêt

ivoirienne donnent sens à ce qu’Isabelle Surun appelle la co-construction des

savoirs.19 Celle-ci attire l’attention sur la part des acteurs locaux, guides,

interprètes, compagnons de voyages, habitants, souvent masquée dans les récits

de voyage.20 Mais en refusant d’indiquer le chemin de N’zo à la mission Hostains-

d’Ollone, les habitants du Houné fixèrent les limites de la coopération avec les

Français. La peur de voir les colonnes françaises revenir par le Soudan pour la

conquête militaire, explique sans doute cette attitude de refus. La même posture

fut observée par la mission Thomann chez les Lô de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ici,

les guides sous prétexte d’éviter des embuscades à la mission lui firent faire de

grands détours à travers la savane non défrichée, afin de cacher à la mission le

véritable chemin de crainte qu’il ne serve plus tard à une expédition militaire.21

De la ruse, les populations autochtones passèrent bien souvent à l’opposition

18

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°23, 8 juin 1901, p.273. 19

Op.cit, p.22 20

Ibid, p.21 21

« De la Côte d’Ivoire au Soudan français. La mission Thomann », in Supplément au Bulletin du Comité de

l’Afrique française de Janvier 1903 », p.127

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ouverte aux missions d’exploration, obligeant les explorateurs entre riposte et

assaut d’amabilité, à s’engager dans des transactions politiques et politiques.

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II- Logiques impériales, agendas endogènes : échanges et

affrontements en situation coloniale

En 1897, 7 missions d’exploration furent organisées : plusieurs furent

massacrées, toutes durent battre en retraite. Parmi celles-ci, la mission Blondiaux

dont le but était de chercher par le Cavally ou ses affluents, une voie de

communication entre la région sud du Soudan et la côte et déterminer les limites

des possessions françaises de ce côté. Partie de Beyla, dernier poste du Soudan, le

6 février 1897 cette mission fut arrêtée à Man par l’opposition des populations

locales. Le manque de vivres et surtout de munitions, l’hostilité de toute la

population des pays que nous devions traverser, note Blondiaux, ne me

permettaient pas de continuer cette reconnaissance.22 Sur la Sassandra et le San

Pedro, ce sont les administrateurs Thomann et Gendre qui ont été arrêtés par les

habitants. La voie du Cavally fut fermée par l’hostilité des Tépos.

La mission Hostains-d’Ollone fut pour sa part prise à partie par les Vayas

et harcelés continuellement par les populations des contrées traversées tout au

long de la mission. Cette sourde hostilité des populations locales s’explique sans

doute par le fait que celles-ci avaient parfaitement compris les enjeux de ces

missions d’exploration qui menaçaient à terme leur autonomie politique et

économique. Les habitants de la forêt, producteurs de la kola, tant recherchée sur

les marchés soudanais s’opposèrent à toute pénétration pour conserver leur

emprise sur le commerce avec le Sahel et garantir la pérennité de leurs séculaires

réseaux commerciaux. Ils ne pouvaient voir d’un bon œil l’Européen qui note

Thomann ouvrira les routes et sera suivi selon toutes probabilités par beaucoup

d’autres.23 Pour contourner ces oppositions, les missions d’exploration tentèrent

parfois de ruser avec les sociétés hôtes. De passage chez les Lô du village de Nati

et face aux réponses évasives des populations peu désireuses de communiquer le

nom de leur chef et de leur localité à Thomann, ce dernier offrit au dignitaire

africain de lui délivrer un certificat, constatant les relations d’amitié que la

22

« Du Soudan à la Côte d’Ivoire. La mission Blondiaux », in Bulletin du Comité de l’Afrique française, 8e

année, n°10- octobre 1898, p.341 23

« De la Côte d’Ivoire au Soudan français. La mission Thomann », in Supplément au Bulletin du Comité de

l’Afrique française de Janvier 1903 », p.2

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mission avait avec lui. Ce dernier accepta et sous sa dictée, l’explorateur français

lui fit répéter plusieurs fois les noms et réussit ainsi à parvenir à ses fins.

Blondiaux, le capitaine d’infanterie de la marine ne connut pas la même

fortune. De Tounkaradougou, il essaya de rallier Kôla dans sa descente vers la

côte. Gargaraoulé, le chef de la localité fut incapable de décider les autres chefs à

ouvrir un passage à la mission pour gagner la brousse. Pour contourner cet écueil,

Blondiaux demanda à Fomandié Dembili, un de ses tirailleurs réguliers de se

déguiser en jula, pour connaître la route qui longe le Dionou. Le tirailleur devait

pousser jusqu’à quatre ou cinq jours au sud de Toungaradougou et renseigner

Blondiaux sur la direction de la rivière (Dionou) et sur l’état d’esprit de la

population. Fomandi contre toute attente, rejoignit Blondiaux, le passage lui

ayant été refusé car aucun jula malinké n’avait encore été vu dans les parages.24

Face à cette opposition qui prit souvent les allures de rébellion ouverte, la

réponse française mobilisa divers répertoires. L’un d’eux consista à présenter

Samory Touré, en procès de construction d’une hégémonie impériale en Côte

d’Ivoire soudanaise, comme une figure d’épouvante pour mettre en exergue le

rôle protecteur de la France dont l’action a permis de freiner l’extension de

l’entreprise du conquérant malinké à la zone forestière. Le but de la manœuvre

qui visait sans doute à se concilier ainsi les faveurs des habitants de la région fut

toutefois gros d’une manipulation idéologique dans le cas de la mission Hostains-

d’Ollone. Pour dissiper en effet toute prévention hostile lors de la traversée des

pays Tabétouos, Hostains expliqua ainsi le but de la mission aux habitants de la

contrée : « Nos frères blancs, qui ont capturé Samory pour le punir d’avoir tué

tant de monde dans la forêt, ne sont pas très loin au nord ; nous allons les

rejoindre. »25 Les colonnes françaises étaient bien présentes au nord pour brider

la marche de la révolution jula. Les nombreux morts dans la forêt attribués à

Samory relève en revanche de la manipulation, ce dernier n’ayant pas franchi la

zone de courtage entre la savane, sa base d’opérations et la zone forestière qui

était encore à la fin du XIXe siècle un véritable no man’s land.

24

« Du Soudan à la Côte d’Ivoire. La mission Blondiaux », in Bulletin du Comité de l’Afrique française, 8e

année, n°10- octobre 1898, p.344. 25

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°18, 4 mai 1901, p.206.

Page 12: d’Ivoire à la fin du XIXe siècle · 1 L’explorateur, le guide et l’interprète dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe siècle Cissé Chikouna1 Introduction

12

Le manque d’enthousiasme et le grand étonnement des interlocuteurs

d’Hostains et d’Ollone à l’annonce de la capture de Samory prouvent nettement

que ceux-ci, comme le reconnut d’ailleurs le capitaine d’Ollone n’avaient jamais

entendu parler de Samory ni de ses guerres, et même on ignore absolument

poursuit-il, qu’il y a des Blancs au Nord.26 Il fallait regarder vers d’autres horizons

pour obtenir la collaboration des sociétés hôtes. Ici, l’approche adoptée peut se

résumer aux conseils de Binger à la mission Thomann à son départ :

Soyez calme, prudent et persévérant. Restez s’il le faut, deux fois dans le même village

sans vous découragez. Le chef qui vous refuse un guide et vous fait attendre a peut-être

des raisons majeures dictées par la crainte ou par vos propres intérêts. Il importe de

pénétrer le secret de sa résistance et d’en connaître les raisons pour les combattre au

besoin pour le rassurer.

Cet effort de patience recommandé par Binger fut soutenu par une

véritable pratique du don. Ce que Marcel Mauss a désigné comme étant un

constant give and take (donner et recevoir)27 dans le contexte de la Mélanésie

ancienne, jouait une double fonction dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la

fin du XIXe siècle : destiné à gagner à la cause des explorateurs, ceux que

Frederick Cooper et Jane Burbank appellent les intermédiaires impériaux28,en

réalité des légitimités traditionnelles africaines, pourvoyeuses de la logistique

nécessaire aux missions, le don visait également à faciliter la traversée des

différentes contrées. Confronté à une forte opposition tout au long de son périple,

Blondiaux dut se montrer généreux à l’égard des chefs locaux et de leurs sujets

pour des résultats bien souvent mitigés. A Dootou, il envoya quelques cadeaux au

chef de Bibita, un village wobé tout en l’engageant à venir le voir le lendemain. A

Dahontogo, toujours dans l’ouest du territoire, il fit remettre à des habitants

rencontrés au marché, des cadeaux pour le chef du village du Buonsira tout en

prévenant qu’il comptait s’y rendre avec ses hommes le lendemain.

L’accueil fut au départ amical avant de tourner à la chasse à l’homme à la

tombée du jour. Les cadeaux faits à Beitomba Diomandé, chef du village de

26

Ibid 27

Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in l’Année

sociologique, 2e série, 1923-1924, p.44

28 Jane Burbank et Frederick Cooper, Empires. De la Chine ancienne à nos jours, Paris, Payot, 2011, p.30

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Séguéla en vue de lui arracher des renseignements sur les conditions de

l’assassinat du capitaine Ménard, n’eurent pas non plus les résultats escomptés.29

Le don à un chef de village ou à un membre de son entourage visait en

général l’obtention d’un sauf-conduit pour faciliter le reste du périple. La mission

Hostains-d’Ollone s’appuya ainsi sur le fils de Kapé Yékiré, chef de la

confédération des Tabétouos dans le Cavally, en obtenant de lui contre

récompense, la promesse de décider son père non seulement pour recevoir la

mission, mais à lui « ouvrir les routes », c’est-à dire d’abord à les laisser passer,

ensuite à leur fournir tout ce qui leur sera nécessaire, guides, porteurs, vivres, et

surtout à envoyer en avant de la mission des hommes chargés de la recommander

aux populations.30

En cherchant l’adhésion des chefs locaux, la stratégie des explorateurs

visait à obtenir de facto celle de l’ensemble de leurs sujets. Si contre des pièces

d’étoffe, de la poudre, des fusils, des chapeaux d’amiral, des couteaux, et bien

d’autres objets de pacotille, les explorateurs bénéficièrent de la logistique

nécessaire à leurs missions : des cases d’hébergement et des vivres (riz, igname,

manioc, moutons, poulets, cabris bœufs, etc.) ; il en alla autrement de la

coopération des guides, interprètes et porteurs qui ne fut pas toujours évidente.

L’interprète François chargé par le capitaine d’Ollone d’insister pour obtenir

quelque chose chez les Graoros répondit, « moi fatigué de parler »31 Plus loin

dans le village de Douébli, la mission Hostains-d’Ollone réussit bien à recruter 24

porteurs sapos après des cadeaux généreux. Au bout d’une heure de marche, à la

suite d’un signal donné, plusieurs porteurs jetèrent leurs charges et disparurent

dans la brousse.32

Mais l’attitude des guides, interprètes et porteurs alla bien au-delà de la

ruse avec les explorateurs. Sans doute conscients du rôle crucial qui était le leur

29

« Du Soudan à la Côte d’Ivoire. La mission Blondiaux », in Bulletin du Comité de l’Afrique française, 8e

année, n°11- novembre 1897, p.373 30

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°23, 8 juin 1901, p.200 31

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°20, 18 mai 1901, p.236 32

32

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone »,

in Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°21, 25 mai 1901, p.245.

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dans les missions d’exploration, ces intermédiaires choisirent de plus en plus de

monnayer leur prestation, engageant les explorateurs dans d’interminables

transactions pour s’offrir leurs services. Engagé dès les premières heures de la

mission Thomann, le guide Toulou se rétracta en cours de route, reprochant à la

mission de n’avoir pas payé ses services. S’il eut partiellement gain de cause suite

à la méditation des notables de sa tribu, ce fut pour exiger plus loin les trois fusils

qui lui avaient été promis par la mission. A Gueizouobli, dans le Cavally, ce fut le

nommé Gueizouo qui contre un fusil, un grand couteau et quelques menus objets,

suscita une rencontre entre la mission Hostains-d’Ollone et le fils du chez des

Vayas, la première tribu Gon, étape cruciale sur la route du Soudan. Le capitaine

Binger raconte sa mésaventure avec le nommé Idriss qui consentit à

l’accompagner dans le Dagomba en pays Mossi moyennant la valeur de trois

captifs, moitié payable à Bouganiéna, moitié à leur arrivée à Oual-Oualé. Mais une

fois l’arrangement terminé, il se ravisa, quelques peureux, selon Binger, l’ayant

dissuadé en lui faisant entrevoir le voyage comme assez périlleux.33

Ce genre de transactions entre étrangers et intermédiaires locaux, n’est

pas exceptionnel. Romain Bertrand à propos de l’histoire du contact entre

Hollandais, Javanais et Malais, cite le cas d’un mualim gujérati de Banten qui en

1599 fit ainsi une offre de service aux capitaines des vaisseaux de la Deuxième

navigation, se disant prêt à leur montrer le chemin des Moluques moyennant 200

réaux.34 Revenons au cas de la Côte d’Ivoire où ruses, transactions déséquilibrées

et surenchères se sont mêlées pour nouer les fils d’une histoire de duplicité entre

explorateurs et autochtones. Le capitaine d’Ollone qualifia de déshonnête, et de

recherche de pot-de-vin, la proposition du frère du chef du village de Niepa dans

le bassin du Cavally, qui contre la promesse de la soumission de la contrée aux

Français, réclama un fort cadeau.35 La pacotille distribuée aux intermédiaires

africains en échange de leur collaboration posait tout aussi les termes de

l’échange inégal qui compromit durablement le développement économique des

contrées soumises par la violence, même après la parenthèse coloniale. 33

Louis Gustave Binger, Du Niger au Golfe de Guinée par le pays de Kong et le Mossi (1887-1889), Paris,

Hachette, 1892, tome I, p.477 34

Romain Bertrand, op.cit, p.74 35

« La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in

Le tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°17, 27 avril 1901, p.212

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Conclusion

La perspective d’une relecture des logiques de domination en situation

coloniale que cette étude a cherché à mettre en exergue emprunte largement à

une histoire sociale de la domination prisée dans les années 1990 par

l’historiographie allemande de la RDA utilisant le couple notionnel de

« domination » (Herrschaft) et de « quant-à-soi » (Eigen-Sinn) pour analyser les

rapports dans les sociétés sous domination communiste[…] afin de rendre

attentif à la manière dont les groupes et les individus s’adaptaient ou

s’appropriaient à leur manière (notion de quant-à-soi) un rapport de domination

imposé par le régime (notion de domination.36 Sa pertinence comme modèle

théorique pour notre cadre d’analyse reste à étayer par d’autres histoires « au ras

du sol »37, de rapports de domination/ résilience en situation coloniale en Côte

d’Ivoire, voire en Afrique de façon générale.

Mais l’histoire du contact entre explorateurs et intermédiaires locaux

dans les forêts de la Basse Côte d’Ivoire à la fin du XIXe siècle, permet sans doute

de rompre avec les poncifs des siècles précédents glosant sur l’incapacité

ontologique du monde noir à produire des cathédrales de pensée, de la rationalité

tout court. Les savoirs endogènes ont contribué ainsi à façonner dans une

certaine mesure, le regard impérial sur les sociétés hôtes au point d’amener le

capitaine d’Ollone à espérer que son récit de voyage contribue à « détruire cette

opinion presque universelle que le nègre privé de nos lumières est un être borné et

voisin de l’animal, un préjugé ridicule, dû à notre vanité. »38

Mais cette histoire met surtout en scène deux visions du monde, certes aux

canons discordants, mais qui entre affrontements et accommodation ont produit

au quotidien une histoire sociale dont les épanchements humains qui peut parfois

surprendre au regard du contexte de domination/ résistance, offre de la matière

36

Michel Chrisitian, « Le camarade J. ne veut pas reconnaître qu’il a fait une erreur et qu’il doit se corriger » : la

domination comme pratique sociale dans le parti communiste est-allemand », in Revue d’Histoire moderne et

contemporaine, n°47-2, 2002, p. 37

L’expression est de Jacques Revel, « L’histoire au ras du sol », préface à Giovanni Levi, Le Pouvoir au

village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1989, p. 1-XXXIII. 38

La mission Hostains-d’Ollone. De la Côte d’Ivoire au Soudan et à la Guinée, par le capitaine d’Ollone », in Le

tour du monde, tome VII, nouvelle série, n°21, 25 mal 1901, p.243.

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à l’historien de la colonisation française en Afrique, pour documenter une histoire

de la domination et des représentations en situation de coloniale.

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