cynthia durand collection prise 1 escale … · ne veulent plus louer le chalet. nous sommes deux...

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Cynthia Durand UN TABLEAU NOIR ET DES BOUTS DE CRAIE Collection PRISE 1 Amélie Abgral ROSE BONBON Collection PRISE 1 Coralie Laurendeau ESCALE HAVANAISE Collection PRISE 1

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Cynthia Durand

UN TABLEAU NOIR ET DES BOUTS DE CRAIE

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Amélie Abgral

ROSE BONBON

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Coralie Laurendeau

ESCALE HAVANAISE

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Coralie Laurendeau

ESCALE HAVANAISE

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SE 1

1

Coralie Laurendeau

Escale havanaise

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Escale havanaise est le soixante-dixième recueil de textes publié dans la collection Prise I. Cette collection a été créée afi n de permettre à des jeunes auteurs du cégep du Vieux Montréal de publier une première œuvre.

© Tous droits réservés Coralie Laurendeau et le CANIF,Centre d’animation de français du cégep du Vieux Montréal. Mai 2006.

Renseignements : 982-3437, poste 2164

Dépôt légal : Mai 2006Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale d Canada

Infographie et impression : Communications du CVM (28894) et Centre de reprographie du CVM

Cégep du Vieux Montréal255, rue Ontario EstMontréal (Québec)H2X 1X6

Photographies : Coralie LaurendeauConception graphique de la couverture : Dominic Prévost

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À Anne-Marie Cousineau, une femme de lumière. Merci de m’avoir poussée à écrire, tout au long de mon parcours.

Et, côtés délais, merci de m’avoir poussée tout court ! Merci aussi de m’avoir tant respectée.

Aux femmes cubaines, parce qu’elles dansent en faisant la lessive. Au peuple cubain, parce qu’il sait rire quand la vie est dure.

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Chère señora Migdalia,

Trois années se sont écoulées depuis notre rencontre chez vous, à La Havane. Déjà trois ans, mais je ne vous oublie pas. Chaque rire, chaque pas de danse sont ancrés dans ma mémoire pour toujours. Comment vous dire la douceur de vivre parmi vous ? Je m’y suis sentie si vivante. Vous avez pris soin de moi comme si j’étais votre fi lle.

Depuis mon retour, vous me manquez cruellement. Un jour, vous me reverrez franchir la porte de votre maison, ma valise à la main et le sourire aux lèvres.

En me remémorant les jours vécus à vos côtés, j’en suis venue à la conclusion que la culture et le pays importent peu : vous m’avez comprise et je vous ai compris, je vous ai aimés et vous m’avez aimée.

Souvent me viennent des souvenirs de vous, comme une subite envie de chanter…

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Le calme

Une pluie fi ne tombe sur La Havane. Du haut du balcon du troisième étage, comme toujours, je fi xe la rue. C’est étrange, il n’y a plus de voisins qui bavardent, plus de taxis, plus de motos, plus de piétons. L’air est bon et frais. Il y a une partie de baseball ce soir : la ville est calme.

Les haricots

Premier contact avec la cuisine locale. On me sert une énorme assiette. Je la trouve indigeste. Je tente péniblement de manger ma ration. Mal à l’aise, j’en laisse la moitié. Le lendemain, au souper : encore du riz et des haricots. Haricots par-ci, haricots par-là. Il y en a partout ! Cette fois-ci, après une première assiettée, j’en ai redemandé : on y prend goût.

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Le carnet de rationnement

Mois de mars :– 6 lb de riz– 2 lb de sucre– 1 lb de haricots– 8 œufs– ¼ lb de poulet– ½ litre d’huile– 1 petit sac de café– 1 savon– 1 paquet d’allumettes– 1 tube de dentifrice

Le matin

Le matin, elle ne déjeunait pas. Elle me servait un grand verre de lait au chocolat bien sucré. Puis je grignotais quelques galettes au pain pita achetées dans un de ces magasins-dépanneurs où l’on vend surtout des articles de toilette et des cigarettes. Le midi, elle ne mangeait pas non plus, mais, devinant ma faim, elle me préparait un œuf frit.

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Je vais mourir ici

La poussière de la ville me colle à la peau. La chaleur est suffocante. Je vais mourir ici, je le sens. Mourir dans ce caveau humide qu’est Centro-Habana. Le soir de mon arrivée, je me suis couchée et j’ai pleuré. Quel quartier ! Une persistante odeur d’ordures, des chiens errants rachitiques qui chient partout, le regard arrogant et macho des hommes et ce qu’ils me crient dans la rue. Et ces toilettes : sans papier, sans siège, elles empestent la pisse. Je trouve ça sale, je trouve ça gris. J’encaisse l’horizon des immeubles décrépis.

La lessive

J’ai lavé tout mon linge moi-même. Dans la grande bassine de métal, j’ai savonné, frotté, essoré longuement. Puis j’ai tout suspendu sur la corde, au-dessus de la cour intérieure, et je suis partie, fi ère de moi. Lorsque je suis revenue, les épingles avaient été replacées. L’ordre était parfait, les vêtements bien tirés. La vieille dame me regardait en souriant.

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Le chalet

Nous sommes partis tôt ce matin. Nous avons transporté nos bagages en marchant jusqu’à cet endroit, tout près de la mer : une coquette maison remplie de bibelots et d’objets religieux. Dans la cour, ça discute vivement. Les propriétaires ne veulent plus louer le chalet. Nous sommes deux étrangères parmi le groupe de Cubains.

La moquerie

La maigrichonne. C’est comme cela qu’ils me surnomment, affectueusement. Il n’est pas mal vu de se moquer des gens ici. L’autre jour, sur la plage, une femme grassouillette a posé pour moi en maillot de bain dans une pose suggestive. En voyant le cliché, une de ses amies s’est exclamée : « Ana ! Comme tu es grosse ! » Elles ont ri.

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Cuba libre

Casa de la Musica, la discothèque la plus courue en ville. J’ai frayé avec de riches étrangers et même avec Madame la Ministre de la Culture. J’ai bu du rhum’n coke comme de l’eau. Ici on dit un Cuba libre. J’aime ce nom : sensuel, il coule dans la bouche. Un charmant Cubain m’a fait fondre : il m’a fait tournoyer toute la nuit sur la piste de danse et lorsqu’il me serrait contre lui, j’adorais la fraîcheur de sa guayabera de coton.

La plage

Soirée de salsa dans une discothèque du village. Sur la scène, les danseuses étaient très peu vêtues et juchées sur d’immenses talons aiguilles. Je suis im-pressionnée par le costume moulant et la coupe de cheveux ringarde du chanteur chromé. Sur le chemin du retour, mon « cavalier » insiste pour prendre par la plage. D’abord réticente, j’accepte fi nalement. Une fois là, il m’entraîne dans une petite cabane, me renverse sur le dos, m’embrasse. Je suis une poupée de chiffon. Je suis nue, il passe aux actes. Ses paroles et son mépris me frappent en plein cœur, comme une gifl e au visage. « Arrête ! » Je ne veux plus. Je n’ai jamais voulu.

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Coppelia Ice Cream Parlor

Nous avons fait la fi le une heure pour pouvoir entrer dans le Coppelia, mythique temple de la crème glacée situé juste devant le ciné Yara. C’est le coin de rue de prédilection des homosexuels et des travestis. Le restaurant s’érige au beau milieu d’un parc aux allures de jardin zoologique. Les gens font la queue, car ici on peut payer en pesos. À l’intérieur, les serveuses portent des jupes tout droit sorties des années cinquante. Il ne leur manque que les patins à roulettes. La crème glacée est divine.

Les ongles

Les femmes sont coquettes jusqu’au bout de leurs ongles vernis. Mes ongles courts, un peu sales et rongés ont d’ailleurs suscité l’étonnement général à mon arrivée : « Tu ne mets pas de vernis à ongles ? », m’a demandé un garçon.

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Yo soy cubana

Arrivée depuis à peine deux semaines, je suis cubaine, j’en suis convaincue. Les gens que je côtoie deviennent peu à peu ma famille. Mayra est ma tante, Danyel, mon petit frère, Raùl, mon oncle et Migdalia, une vraie mère pour moi. D’ailleurs, sous ses airs distants, je crois qu’elle m’a adoptée. Elle se fait du mauvais sang pour moi lorsque je sors danser, faire la fi esta, et que je rentre tard…

Oups !

Cette fois-ci, Migdalia m’attendait de pied ferme : « Corrrrrrra ! Je t’avais dit de ne pas verrouiller la porte en partant ! J’ai dû poireauter une demi-heure en attendant que la voisine vienne m’apporter la clé… »Parfois, je ne comprends pas tout ce que dit mon hôtesse. Croyant saisir à peu près ses paroles, et pour ne pas la faire encore répéter, je fais semblant d’avoir compris.

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Le petit-fi ls

À la fi n du souper, il se levait pompeusement de table et entamait ses remer-ciements à la señora Migdalia, sa grand-mère, qui avait préparé le repas. Ces sempiternels discours me faisaient crouler de rire tandis que Migdalia regardait au ciel. Danyel, grand jeune homme de treize ans, vivait seul avec sa mémé. Il l’appelait d’un Abuela empreint de tendresse et de respect.

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La leçon

Chacun leur tour, ils ont essayé de me faire danser à leur manière. Malgré leurs bonnes intentions, ils m’égaraient dans le tourbillon de leurs jeux de pieds, de mains, demi-tours et salto arrière. Mes pieds partaient dans tous les sens et je perdais le rythme à coup sûr. Mais par un bel après-midi, le jeune Danyel m’a enseigné les pas, calmement, tout doucement. Lentement, il les a décomposés jusqu’à ce que je puisse me laisser porter par la musique. Moi, je lui appris à jouer de la guitare.

La voiture

Je suis passagère dans une voiture qui nous amène en périphérie de La Havane. Nous sommes coincés sur la banquette arrière avec deux valises, un sac à dos, une guitare. Je constate soudain que la portière ne s’ouvre pas. Crise d’hyperventilation. Sur le point de perdre conscience, je vois défi ler les immeubles de La Havane, aux contours de plus en plus incertains. Je suis claustrophobe.

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Le syndrome du caméléon

Passer inaperçue est devenu mon obsession. Pour leur ressembler, j’enfi le short et gilet moulants, ou encore un t-shirt rouge. « Défendons le socialisme ! » Mais avec mes cheveux blonds, rien à faire ! Je n’ai jamais l’air assez cubaine. Partout où je vais, je suis repérée illico par tous les hommes à la ronde. Je suis la Blanche, la Nord-Américaine, celle qui a du fric. Mon seul billet d’avion équivaut, ici, au salaire d’une année.

Le ciné

La salle de cinéma est immense. La foule bruyante s’esclaffe à tout moment.Lui, en espagnol : « As-tu compris la blague ? »Moi : « Non. »

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Nuit torride

L’appartement de ses grands-parents, rue Obispo : murs défraîchis, canapés d’une autre époque, un vieux tableau au mur. La nuit est humide et douce. Il a 17 ans et un charme irrésistible. Je craque quand il joue La Malageña sur sa guitare. Il n’a pas la prétention ni l’arrogance des séducteurs qui m’abordent dans la rue. Plus tard, une légère brise entre par la fenêtre, rafraîchit nos corps trempés de sueur. Là, en pleine nuit, une phrase naïve sort de ma bouche : « Je crois que je t’aime… ». J’ai 18 ans.

Le hamburger

J’ai faim, comme d’habitude. C’est l’après-midi, et je n’ai pas mangé depuis la veille, au souper. Je n’en peux plus. Je me dirige vers la vieille Havane. Au détour d’une rue, je tombe face à face avec un hamburger. Je suis devant un de ces minis casse-croûtes aménagés dans la fenêtre d’un appartement. Je marche tenant bien en main mon hamburger. Sans plus attendre, je prends une grosse bouchée. La viande est crue ! J’ai faim ; j’avale le sandwich au complet.

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Despacio, mas despacio

Il n’est que midi, et elle rentre déjà à la maison. Son ex-fi ancé est venu la voir au bureau ce matin. Elle a prétexté un rendez-vous chez le médecin pour se sauver avec Alberto. Ils ont fi lé à l’Hôtel Sévilla, où ses amis travaillent. Ils leur ont laissé la suite nuptiale pendant trois heures. Elle s’est bien amusée, mais elle le regrette un peu : Alberto ne veut plus la lâcher et il la suit partout maintenant !

***

« Tu n’es pas au travail ? », lui lançai-je. Il est dix heures du matin. Je suis quand même heureuse de le voir arriver. C’est assez drôle comme Raùl a toujours l’air de surgir de nulle part. Il ne semble travailler que lorsque ça lui sied, ce qui fait mon bonheur, car j’adore nos longues discussions et nos balades dans la ville. Raùlito travaille à la relojeria, il y répare des reloj, des montres. J’aime ce mot, reloj, il ressemble à horloge.

***

Pourquoi n’es-tu pas venu, Yordan ? Nous t’avons attendu une heure dans le barrio Chino, au gros soleil et dans la poussière. Pourquoi n’es-tu pas venu ? Tu avais fait la fête la veille ? D’accord, j’ai compris : c’est comme ça. L’heure des rendez-vous est aléatoire. Dommage. Je suis de passage. Je t’aimais bien, Yordan.

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Ton oncle

Raùl et moi nous baladons dans le quartier des touristes, face à la cathédrale San Cristobal. C’est la première fois qu’il fait référence à Lui. Il est pourtant partout : à la radio, sur les ondes de Télé Rebelde, dans les journaux du Parti, sur les panneaux qui bordent les routes. Raùl m’apprend que pour discuter d’El Commandante-Presidente, les gens l’appellent « ton oncle » ou encore caressent une barbiche imaginaire sur leur menton. C’est le code. Raùl me dit de ne pas croire ce que prétend « mon oncle ».

La délégation étrangère

Je les ai vus descendre de leur minibus. Je ne pouvais pas les manquer : bedon-nants, les cheveux grisonnants, portant bermudas et lunettes soleil, ils étaient armés de cellulaires, d’appareils photo numériques et de caméras vidéo. Mes amis ne peuvent s’empêcher de sourire en les regardant débarquer. Une délégation syndicale belge. Ils sont logés dans un quatre étoiles loin du centre-ville et ils seront trimballés dans les quartiers touristiques, au Palais des Congrès, à la plage de l’hôtel Tropicoco et dans la bucolique province de Piñar del Rio. De temps à autre, ces messieurs paieront la traite à de jolies étudiantes cubaines. Dans une semaine, ils repartiront ; ils auront vu Cuba.

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Il dansait à la fenêtre

Nous sommes attablés, Cubains, Québécois et Italiens, tous ensemble dans un restaurant. Un vieil homme apparaît à la fenêtre : maigre, un veston trop grand pour lui, une cravate, un chapeau de paille de paysan, une moustache, et un cigare au bec. Il tient un long bâton de bois et il nous fi xe à travers le treillis de la fenêtre. Soudain, il redresse son bâton et se met à agiter tout son petit corps : il danse. Je me rappelle encore son sourire désemparé. Des clients retiennent un fou rire en regardant le « petit monsieur » s’exécuter. Et moi, timide, je sors à sa rencontre. Je prends une photo, je lui donne un dollar, puis je retourne m’asseoir.

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Le café

Migdalia m’a emmenée en visite chez une de ses copines. Elle nous a servi du café. Cela doit bien faire trois heures que je les écoute bavarder. Je ne saisis pas un traître mot de leur conversation depuis mon arrivée. Je fi xe le plafond. Je n’en peux plus. Je meurs d’ennui. Je ne veux plus rien savoir de cette langue. N’y a-t-il personne qui parle français ?

Caridad

Dans la chambre, une chandelle éclaire une femme en transe. Elle dodeline de la tête et marmonne. On dirait qu’elle chante sans cesse les mêmes phrases, comme des supplications. La nervosité me gagne. Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Pourquoi m’a-t-on traînée jusqu’ici ? Raùl dépose 20 pesos aux pieds de la femme. « C’est pour elle », dit-il. Je n’en reviens pas. Mes amis m’ont payé une séance chez une voyante. Dans ses mots se dessinent les contours parfois sombres de ma vie. Mes souvenirs défi lent alors qu’elle décline mon passé : la famille, les amants, les tourments, avec une précision à glacer le sang. À la fi n, Caridad prophétise : « Ta vie sera longue et tumultueuse, ma fi lle, mais elle vaut la peine d’être vécue. La vie est la plus belle des choses ». L’oracle a parlé.

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Une douce mélodie

C’est le grand jour. Migdalia se laisse fi nalement convaincre de m’accompagner : il reste une place dans le Jeep. Sur la route qui nous mène à l’aéroport, le soleil plombe. J’ai le vent dans les cheveux, je suis en safari. J’ai rencontré un bon samaritain, un Québécois en exil. Il m’offre de payer ma taxe de départ : 25 $. Les adieux se passent assez vite, mais Migdalia demeure longtemps fi gée de l’autre côté de la vitre, à m’envoyer la main. Dans la grisaille de ma ville, je saurai faire danser le soleil de l’île dans ma mémoire. Je recréerai les mélodies pour que coulent sur mes lèvres les mots de leur langue. Dans la froidure et les rues désertes de janvier, je n’aurai qu’à penser à eux pour sentir leur chaleur me réchauffer.

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Con cariño, para Cora

Miro el cielo en tùs ojos.Azùles ojos que revelàn rebeldìa

Contenida por tus parpados.Miro tu rostro de princesa

Medieval y te imagino paseandoPor un jardin de asendencia gotica

Sonriendole a la lluvia que intenta recorrer todo tù cuerpoY formar parte de ti.

Miro tus manos que intentanAtrapar sueños y fantasias

Y recogen solo el aire que respirasY exhalas

Miro la pequeñes de tus piesQue desean dar grandes pasos

En busca de un dìa diferenteMiro despues de todo a tù cuerpo

Como se marcha llevandose lo mejor de mi. Amistad

Raùl Pérez Gonzalez, avril 2003