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Page 1: CULTURE ET TRADITION MUSÉE ETHNOGRAPHIE · PDF fileSamdi, Ogou Feray, Ezili ou la Grande Brigitte et représentent les f o rces naturelles que sont la foudre , la mer, la maladie,

CULTURE ET TRADITION

MUSÉE ETHNOGRAPHIE GENËVE

Colette de Lucia

Photos : Johnathan Watts

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Le vaudou Magie noire, loups-garous, zombis, envoûtements, sang, transes : le vaudouest l’objet de mille fantasmes, de milleformes de diabolisation. Il est entouré demystères surtout. Ses rites demeurent vivaces en Haïti et la chance veut queGenève dévoile une extraordinaire collection apologétique d’objets inscritsau panthéisme du vaudou haïtien. Laplus importante au monde. Des piècesrassemblées par Marianne Lehmann,une femme fantastique. Incursion dansle monde secret du vodou au Muséed’ethnographie de Genève (MEG).

e n t re culte et art de vivre

Èzili Freda (Erzulie Freda)Poupée et robe en paillettes et pierreries. Hauteur 69 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH.

Photo Johnathan Watts, MEG

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P é n é t rer dans l’univers du vaudou,c’est un peu ouvrir la boîte de Pan-d o re de notre imaginaire d’où fusent unfatras de parfums étranges, de scènesde possession, de boue, de sang depoulet ou de chèvre, de barbarie et desauvagerie des peuples noirs haïtiens.Mais derr i è re ce panachage de magie,de sorcellerie et de croyances issues du

christianisme, se cache une véritablemine d’authentiques valeurs culture l-les et spirituelles, issues de leurs révol-tes de l’esclavage. Elles sont chères aucœur des Haïtiens qui nous re n v o i e n t ,du même coup, une image du monded i ff é rente et nous font nous interro g e rsur notre rapport à la nature, à la vie età la mort .

L’Afrique, continent mèreDe gauche à droite: Tanbou Asòtò (Tambour Asòtò), bois. Rèn Kongo (La Reine du Congo), béton.Skilti an bwa (Sculpture en bois). Estati ak ti miwa sou fontèntèt e sou kou (Statue avec petits miroirs sur front et cou), boisHauteur de la Rèn Kongo: 177 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

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Majisyen (Magicien)Terre cuite.Hauteur 88 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH.

Photo Johnathan Watts, MEG

Art et culture vaudouLe vaudou, que l’on peut écrireaussi vodû, voodoo, voodum, vô-doom, vudû - est initialement unculte rendu à toutes sortes « d’es-prits ». Cette religion puisée aux ra-cines de l’Afrique de l’Ouest, et enp a rticulier du polythéisme Fon, Eweet Yo rouba pratiqué dans le golfe duBénin, est édulcoré d’un peu de fol-k l o re chrétien. Vo d u n s i g n i-fie, dans la langue Fon par-lée au Bénin, une puis-sance visible, re d o u t a b l eet mystérieuse.

Comme toutes les re l i-gions animistes, le vau-dou pratiqué à Haïti re-pose sur une conceptionpolythéiste de l’univers.À ce panthéisme vaudou,sont inscrits les grandsesprits appelés ¡, ou en-c o re anges, diables oum y s t è res. Ce sont des divi-nités ancestrales et tutélaires. Ilss’appellent Papa Legba, Baro nSamdi, Ogou Feray, Ezili ou laGrande Brigitte et représentent lesf o rces naturelles que sont la foudre ,la mer, la maladie, et des interm é-d i a i res entre Dieu et les hommes. Lasociété de ces puissances invisiblesconstitue un exemple pour les hu-mains à qui ils dictent leurs actes àmoins qu’ils les récompensent oules punissent à leur gré. Mais le

culte vaudou concerne aussi les entités surn a t u relles, comme les a n c ê t res qui sont divinisés et lesm o n s t res mi-humains mi-animaux.

Les Haïtiens pensent que ces enti-tés sont venues avec les premiers esclaves noirs déportés vers le Nou-veau Monde, en emportant avec euxles croyances et pratiques africai-nes, sous les appellations de c a n-domblé pour le Brésil, de s a n t e r i apour le Cuba, o b e a y i s n e pour la Ja-maïque, shangocult pour la Tr i n i t éou Vo d o u pour Haïti. Ils assurent lelien entre la divine nature, les vi-vants et les morts, une interc e s s i o n

avec le monde invisible de la plushaute importance !

Au royaume du Bénin, lescérémonies ont lieu le plussouvent dans des couventsou dans des temples et don-nent cours à des danses exé-cutées au rythme transcen-dant des tambours. Là, on of-f re en sacrifice des animaux- bœufs, moutons ou poulets-

aux vodun afin de concilierleurs faveurs. Les prêtres, nom-

més voduno ou humo, guidentles fidèles dans leurs rapport saux voduns par l’interprétationde leurs messages qui se mani-festent le plus souvent dans le

corps même de l’initié. On ditalors que celui-ci re n t re en transe

et devient le « cheval » de l’entitéqui le possède.

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En Haïti - nom de baptême del ’ a rchipel des Antilles, donné parles Taino et Arawak, en ré-f é rence à son aspectmontagneux - lesconquistadors espa-gnols en 1492 ont déciméla population indigène qu’ilssoumettaient à des travaux for-cés dans les mines d’or. Sur 1,3million d’individus, seuls ont sur-vécu 60’000, quinze ans plus tard .Le trafic d’esclaves, arrivés enfond de cale et déportés d’Afri-que, commence en 1503. Il seralégalisé en 1517 par Charles-Quint qui autorise le trafic de15’000 esclaves noirs.

Dès 1629, un petit contingentde Français s’établit dans l’îlede la To rtue, au Nord d’Haïti.Ce sont des boucaniers, deschasseurs de bœufs sauvages,v o i re même des flibustiers et au-t res voleurs qui rançonnaient lesn a v i res espagnols en transit dansles Caraïbes. Peu à peu, au coursde leurs combats, ils parv i e n n e n tà la grande île où ils s’adonnentà la culture du cacao, du coton etde l’indigo et leur présence de-vient si importante que Louis XIVdécide de nommer, en 1665, ung o u v e rneur en la personne deB e rtrand d’Ogero n .

L’île est pourvue en esclaves noirspar la Compagnie des Indes, detriste mémoire créée par Colberten 1664. Le besoin en main d’œu-v re se fait sentir de plus en plussur l’île. Quelques Blancs infort u-nés, appelés les « engagés » fontégalement l’aff a i re et subiront lemême traitement que les Noirs

esclavagés. Enfin, en 1697, aucours du traité de Ryswick, l’Es-pagne se voit contrainte de céderà la France un bon tiers de l’îleque l’on baptise du nom de

S a i n t - D o m i n g u e .

La traite d’esclave est à sonapogée au 18e siècle, au mo-

ment où l’on fait fonctionner lesp re m i è res sucreries afin de pal-l i e r, selon le triste terme consacréà l’époque, toute « disette de n è g res ». En ce lieu, toutes lesethnies africaines à peu près sontreprésentées parmi lesquellest rois ethnies importantes que sontle Soudan, la Guinée et les Ban-tous. La boucle est bouclée :les

tribus Fon du Dahomey s’unis-sent aux Yo ruba du Nigéria etf o rment une unité identitairecommune, notamment liéepar des pratiques culture l l e scommunes qu’elles trans-plantent sur l’île.

Il faut dire qu’à la fin du 17e

et au début du 18e siècle, leroyaume du Dahomey exerc e

sa souveraineté en alimentant latraite des esclaves, source de leuréconomie florissante. Parmi lescaptifs, des sorciers, quelquescriminels et parfois des dignitai-res du culte vaudou... Enchaînésdeux par deux, constamment bat-tus, affamés, les esclaves n’ontpas la force de se révolter. Et, unefois sur l’île, ils prennent pournom de baptême un nom tiré dela mythologie grecque ou ro-maine. Pour qu’ils perdent défi-nitivement la trace de leurs origi-nes et de leurs pro p res lignées, onmélange systématiquement dansles cases, sur les plantations oudans les ateliers, les diff é re n t e se t h n i e s .

Bosou Twa Kòn ak pip (Petit Bossou Trois Cornes avec pipe)Béton.Hauteur 78 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH.

Photo Johnathan Watts, MEG

Une page d’histoire... noire

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Personnages Bizango. GroupeTissu rembourré, os, bois, miroirs et métalCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

Salle BizangoAutel du Roi Bizango, autel de la Reine Bizango, dames-jeannes, tambour et objets de services diversCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

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L’inhumanité au dernier degré sévit.On leur inflige une soumission to-tale. Tout leur est proscrit. Ils sontsous l’œil vigilant du maître. La re l i-gion catholique, laquelle justifie ôcombien la traite des esclaves, est der i g u e u r. Les esclaves, à la demande deLouis XIII, sont baptisés de force eti n s t ruits selon les rites chrétiens.L’évangélisation - quelle perfidie - de-vient le but de ce trafic immonde. « Tous les esclaves qui seront dansnos îles seront baptisés et instru i t sdans la religion catholique, apostoli-que et romaine » dit l’article 2 duCode noir, insistant par l’article 3 sur l’interdiction de « tout exerc i c epublic d’autres religions que de laCatholique »...

Le « vodou, un art de vivre »

Religion des esclaves donc, leVaudou témoigne de la ré-silience de la nation haï-tienne. Il a été un élé-ment fondateurdans leurs révolteset dans leurémancipation. Illeur a permis delever les barr i è-res sociales et estdevenu un réelphénomène de so-ciété en Haïti. Et àcet égard, la fabu-leuse collection depièces du culte vau-dou de Marianne Leh-mann vient rappeler quecelui-ci, en tant que phéno-mène culturel, cimente l’iden-tité haïtienne, tant au niveau socialqu’intellectuelle entre diverses com-munautés issues de l’esclavage et en-c o re aujourd’hui confrontées à dessituations d’extrême adversité dans ladiaspora haïtienne et africaine. Malè Bizango (Malheur Bizango)

Tissu rembourré, os, bois, miroirs et métal. Hauteur 73 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH.

Photo Johnathan Watts, MEG

Moteur d’une résistance toujours d’ac-tualité, le vaudou constitue donc unem a rque identitaire. Toujours aussi vi-vace en Haïti, il est présent dans tousles domaines de la vie quotidienne. LaSuissesse Marianne Lehmann qui està l’origine de cette exposition livre aure g a rd du visiteur plus de 300 piècesà l’occasion de l’exposition « le vo-dou, un art de vivre » qui en témoi-gnent. Les entretiens avec houngan, lep r ê t re vodou Max Beauvoir et la collec-tionneuse Marianne Lehmann, lors del’inauguration, a donné un éclairagesur le contexte de la collection et nousa fait franchir les arcanes de la cosmo-gonie vaudou, au fil d’une visite toutede complexité et - ô combien - capti-vante. Les objets, quant à eux, jouentavec nos sentiments. Inquiétude, per-plexité, intérêt, passion morbide, curio-sité, enthousiasme... En tout cas, ils nelaissent pas indiff é re n t s .

À ne pas s’y tromper : MarianneLehmann est de la tre m p e

des pionnières. Malgréune vie jalonnée de

moments diff i c i l e s ,elle a dépensé son

é n e rgie sanscompter à pour-s u i v re sa pas-sion : collec-tionner des piè-ces issues dessociétés lesplus secrètes,comme cellesdes Bizango.Avec une déter-mination fa-rouche, elle a,durant tre n t eans, constituél’une des plusgrandes col-lections de

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Kaptèn Bizango (Capitaine Bizango) et Jal Twa Letan (Général Trois Etangs) De gauche à droiteTissu rembourré, os, bois, miroirs et métal. Hauteur 116 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

Mèt Minui (Maître Minuit)Tissu rembourré. Hauteur 222 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

Renn Mari-Lwiz (Reine Marie-Louise)Tissu rembourré et paillettes.Hauteur 125 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

Personaj Bizango (Personnage Bizango)Tissu rembourré, os, bois, miroirs et métal. Hauteur 152 cmCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan Watts, MEG

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pièces vodous au monde. Spécialiséedans ce qu’elle aime à appeler le vodoude nuit, elle ne cesse d’accumuler, avecles membres de la fondation qu’elle acréée (FPVPOCH), des objets vaudousr a res, sans jamais succomber une seuleseconde à une quelconque fascinationpour la sorcellerie ou les zombies quel’on pouvait voir au cinéma. Avec pourbut d’illustrer le lien ténu qui unit l’his-t o i re prestigieuse d’Haïti, devenue lap re m i è re république noire et à cettereligion de combat et d’harm o n i e .

Quand Marianne Lehmann a foulépour la pre m i è re fois le tarmac de l’aé-ro p o rt de Port-au-Prince en 1957, ellene se doutait pas que sa vie pre n d r a i tvraiment sens au travers du vodou.Elle avait vingt ans. Venue du villageb e rnois de Kirc h b e rg, elle s’était éprised’un Haïtien qu’elle a voulu suivre .Que reste-t-il d’une vie sans passion ?Rien ou presque. Mais, au contraire, sicelle-ci est tout imprégnée, alors là,elle prend une réelle dimension. C’estle cas de cette digne et jolie vieilledame.

« Dans la cour de sa maison, dans les

c h a m b res et le jardin s’accumulentplus de 3000 pièces d’une culture ma-térielle peu connue et pourtant éton-namment vivante. Des personnage àtaille humaine issus des sociétés secrè-tes côtoient des représentations d’es-prits, des drapeaux de nations vodou,des figures oniriques, d’immenses mi-roirs, des paquets-congo, des autelssur lesquels se serrent bouteilles vi-des, tasses à café, pierres arc h é o l o g i-ques des cultures taino et arawak... »

Ce gigantesque méli-mélo d’objets misau service des esprits nous interpelle.C e rtaines formes ou certains aspects dezombis nous laissent bouche bée. Lese ffigies de zombis nous donnent desfrissons... Sauvés de la dispersion parla collectionneuse, ils seront, aprèscette pre m i è re à Genève, présentés aupublic haïtien sous l’égide de la Fon-dation pour la préservation, la valori-sation et la production des œuvres cul-t u relles haïtiennes (FPVPOCH).

À voir absolument :

« Le vodou, un art de vivre »

au Musée d’ethnographie de

Genève (MEG), 65 bd Carl-Vogt,

jusqu’au 31 août 2008.

Marianne Lehmann parmi ses objets à Port-au-PrinceMai 2006Photo Arnaud Robert, MEG

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Spiritualité vaudouSur l’autel Vaudou, des dons, des hommages et tout un carambolage d’objets issus dec u l t u res diff é rentes : photos, icônes, vases, bouteilles, colliers, bougies, statuette de laVi e rge, pierres sacrées, pots, paquets magiques, poupées, ficelles de toutes couleurs .Des gris-gris de toutes sortes, petits objets en cuirs, ficelles, petits étuis dans lesquelssont mis toutes sortes d’éléments : poivre de Cayenne, brique en poudre, cheveux, on-gles, peau de serpent...

Autel radaCollection Marianne Lehmann, FPVPOCH. Photo Johnathan -, MEG