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Page 1: CREAM Disraeli Gears - JUKEBOX · PDF fileIl veut seulement jouer du blues et, si possible, ... astuce séduit le batteur roux, Ginger Baker, qui a failli devenir champion cycliste

Au printemps 1965, Eric Clapton quitte lesYardbirds. Il trouve leur dernier 45 tours« For Your Love » trop commercial à son

goût. Il poursuit alors un idéal de puriste, vou-lant jouer du blues, à n’importe quel prix, il n’aque dédain pour la pop. Pourtant, il y a une réel-le innovation dans les premiers simples desYardbirds. L’utilisation du clavecin sur « ForYour Love » anticipe de plusieurs années« Green Circle » des Small Faces, « Lucy In TheSky With Diamonds » des Beatles et même« The Burning Of The Midnight Lamp », cetteperle noire du répertoire de Jimi Hendrix Expe-rience, ce conte des mille et une nuits psyché-déliques, auréolé d’une étrange atmosphèrefunèbre. Eric Clapton rejoint alors John Mayall,ancien publicitaire de Manchester, fervent dis-ciple de sa croisade pour le blues. Je me sou-viens de lui pour l’avoir vu, deux fois, sur lascène du Marquee, en 1969, à l’époque de sonalbum « The Turning Point ». Il avait encore cet

air de Faune anglais, un peu narcissique et arro-gant. Imbu de lui-même, très satisfait de sontalent, tel un Pan pianiste et harmoniciste. Iln’empêche que c’est un découvreur de musi-ciens hors pair, plus qu’un instrumentisteaccompli. Il sait tirer de tout-un-chacun le vraipotentiel qui y sommeille. Mais John Mayallpasse son temps à se lamenter sur son sortdans des textes élégiaques et autocomplai-sants. Ses formules sentencieuses, il les croitimpérissables : I was born for the trouble/ Andit’s a hard road till I die. Il appelle cela avoir leblues et se considère comme un nouveau croi-sé d’un genre musical qui a ses racines pour-tant loin de Manchester, dans le delta du Mis-sissippi, plus de quarante ans en amont. On luidoit cependant plusieurs bons disques. En par-ticulier les albums « A Hard Road » et « Crusa-de», en 1967, «Blues From Laurel Canyon» en1969, illuminés par les flamboyances et les ara-besques du jeu de guitare de Peter Green puis

Mick Taylor, les jeunes prodiges qui ont succé-dé à Eric Clapton.

BLUESBREAKERS

En 1965 Clapton est donc engagé par Mayall.Jamais ce dernier n’a entendu un guitariste son-ner ainsi, avec une telle technique, un tel feeling,une telle aisance. Le blues a trouvé son Mozart.On surnomme Eric Slowhand par antiphrase.Jamais un Blanc n’a joué si vite ni si juste. Il y ena même pour le diviniser et l’appeler God. Ericn’en espère pas tant. Il veut seulement jouer dublues et, si possible, celui de Chicago. JohnMayall recrute aussi comme bassiste un Ecossaisqui sort du conservatoire de Glasgow où il a étu-dié le violoncelle. Ce musicien classique, attirépar le jazz et le blues, se nomme Jack Bruce. Trèsvite sa complicité avec Eric Clapton est évidente.Les deux hommes trouvent un réel plaisir à jouerensemble. Mayall, au début, n’en prend pas om-

Disraeli GearsL’album aux paons rouges, «Disraeli

Gears», est aujourd’hui encore un

disque essentiel. Il est de bon ton

de vanter l’atmosphère de folie qui a

entouré son enregistrement en 1967,

les happenings des Cream, leurs paroles

délirantes. Mais qu’en est-il au juste ?

A part quelques remarques dada ou

farfelues, comme le fameux arc-en-ciel

à barbe de «Swlabr», tout cela n’est-il

pas, avant tout, très classique et

bluesy ? L’étiquette psychédélique,

en dehors de la pochette, est-elle

justifiée ? Éclaircissements au moment

de la sortie en DVD de l’incroyable

reformation de début mai 2005 au

Royal Albert Hall de Londres. Ou le

retour de Cream, soit Eric Clapton,

Jack Bruce et Ginger Baker, pour quatre

concerts exceptionnels. en attendant

leur passage au Madison Square

Garden de New York.

CREAM

Recto et verso de l’album «Disraeli Gears» paru en France sur Polydor-Privilège.

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Eric Clapton

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brage même si Jack Bruce laisse rapidement saplace à John McVie. Après le vigoureux simple« I’m Your Witchdoctor »/« Telephone Blues »chez Immediate, John Mayall est de retour, avecEric Capton, chez Decca, en 1966 où les ventesdu 33 tours « Bluesbreakers » commencent àdécoller. Après les Rolling Stones et les Animals,la mode gagne, enfin, le blues qui quitte les cam-pus pour un plus vaste public. De nombreusesformations se mettent à snober le rock et la poppour revenir à ce style plus authentique dont lesracines, cependant, n’appartiennent pas vraimentà la vieille Albion. L’idée des Cream revient au bat-teur Ginger Baker, un grand type hâve, pas faci-le, dont la forte personnalité en irrite plus d’un. Ila connu Jack Bruce au sein de Graham BondOrganization. Le trio se forme sous de mauvaisauspices. Il y a déjà tout un contentieux entre Gin-ger et Jack, des bagarres, des mésententes, unequerelle de préséance. Néanmoins, ils s’estimentcomme musiciens, se respectent. Cette nouvel-le formation, d’abord clandestine, en marge desBluesbreakers de John Mayall, réunit la crèmedes instrumentistes anglais. God d’un côté,Cream de l’autre, on nage en pleine mégaloma-nie. Mais il est de bon ton d’impressionner lesconcurrents et cela relève peut-être plus du fauxsemblant que de la réalité.

DISRAELI

Eric Clapton (guitare), Jack Bruce (basse, chant)et Ginger Baker (batterie) enregistrent donc, en1967, un premier album de blues, « FreshCream», où tous les trois posent en aviateurs surla pochette, et des 45 tours comme « I FeelFree», avant de s’attaquer, la même année, à laréalisation de «Disraeli Gear». Equipements Di-sraeli, le titre du LP, serait un jeu de mots hasar-deux sur le terme équipé d’un dérailleur. Le motfrançais dérailleur (qui se traduit également parthree speed gear) se prononce un peu commeDisraeli, Premier ministre et dandy du 19e siècle,des plus conservateurs et protectionnistes. Cetteastuce séduit le batteur roux, Ginger Baker, qui afailli devenir champion cycliste. Un groupe à troisvitesses donc. Un aigle tricéphale. L’un de cestrios légendaires qui émaillent la musique rock,avec l’Experience de Jimi Hendrix à la mêmeépoque, et, plus tard, Police. Disraeli était leministre préféré de la reine Victoria. C’est lui quila proclame impératrice des Indes. L’équivalentd’un Guizot ou d’un Thiers en France. Voire d’unLamartine réactionnaire, car Benjamin Disraelisemble avoir des prétentions littéraires. Imagi-nons un combo psychédélique français qui auraitconçu un album appelé Système Lamartine ouMes Dentitions Lamartiniennes au lieu des fa-meuses « Méditations » (pour trouver un jeu demots équivalent et aussi vaseux). Mais le rockpsyché français n’existe pas ou prou. En atten-dant, le résultat est là et «Disraeli Gears» est undisque de blues génial. Les compositions sontextraordinaires, épatantes. Tout est en place, par-fait. La grosse basse bourdonnante de JackBruce, la wah-wah d’Eric Clapton, les cymbalesde Ginger Baker. Les trois instrumentistes sontpassés maîtres dans leur art. Ce sont des experts.Ils forcent l’admiration. C’est sans doute lemeilleur disque de Clapton. D’ailleurs, cerise surle gâteau, on peut dire que cet album s’est boni-fié avec les années. Pourtant, à sa sortie, on a eul’impression d’entendre un disque respectable,interprété par des musiciens arrivés à maturité,d’habiles artisans plutôt que par des créateurs àpart entière, à cent lieues des délires du PinkFloyd de Syd Barrett ou des inventions desBeatles.

INADÉQUATION

D’abord, il y a l’emballage. La pochette de Mar-tin Sharp, bien que délirante, ne correspond pasvéritablement au contenu qui est un 33 toursmature, sous un enrobage insensé. Des paonsrouges dans un parc rouge. Les fleurs inconnuesd’un paradis oublié. Une pochette qui eût mieuxconvenu au joueur de flûte du Pink Floyd. Le pro-cédé est connu. Déjà, au 19e siècle, l’éditeur deGeorge Sand a vendu une histoire sentimentalesous une couleur fantastique, inappropriée, «La

Mare Au Diable». S’il y a bien une mare, le diableest juste un paysan, un veuf, amoureux d’unepetite bergère ! John Mayall, avec son LP «BareWires», en juillet 68, est tombé dans le même tra-vers, ne révélant nulle trace des plaintes d’unécorché vif, avec ce fond rouge et ce lettrage psy-chédélique, esthétisant, de ce bluesman un peuMéphisto dont la pochette, sulfureuse, eût mieuxconvenu au crazy world d’Arthur Brown de «Fire»qu’à John Mayall. Mais revenons à « DisraeliGears » qui est un disque extrêmement réussi,

mais où il manque la folie annoncée sur le visuel.C’est pourquoi « Sergeant Pepper’s LonelyHearts Club Band» des Beatles, «Their SatanicMajesties Request» des Rolling Stones et «ThePiper At The Gates Of Dawn » de Pink Floydsemblent plus en phase avec leur époque que«Disraeli Gears» des Cream. A sa décharge, lapochette, plus qu’une concession, relève peut-être du code de son temps. En 1967-68, tout estpsychédélique, peu ou prou. Même le blues portedes habits neufs, quitte les guenilles de l’escla-vage et s’habille chez Grammy takes a trip. Toutse pare des couleurs rouge, orange, jaune, vert,

bleu. Sky of blue and sea of green. Le sous-marinjaune évolue sous un ciel bleu, dans une merverte. Le Swinging London aussi.

REVUE DE DÉTAILS

L’énergique « Strange Brew » est merveilleuse-ment résumé par ces quatre vers : C’est une sor-cière d’ennui en bleu électrique/ Dans son espritmalade elle est amoureuse de toi/ C’est une sortede démone embourbée dans la glu/ Si tu ne lasurveilles pas, cela s’accrochera à toi. A peine letemps de souffler, voici « Sunshine Of YourLove» qui révèle du Cream solaire (évidemment,sans mauvais jeu de mots). Mais les paroles, sivantées, alignent les clichés. Le parolier PeteBrown, qui se permet de critiquer Marc Bolan,dénonçant son absence de lyrisme, n’est pastoujours exempt de paraboles simplistes. Ainsison allusion à une éventuelle fin du monde : Jeserai avec toi quand les étoiles commenceront àtomber. «World Of Pain» est une belle composi-tion, intimiste, un peu triste, mais bien chantée.C’est une sorte d’élégie, de poème plaintif, sur unarbre qui n’a pas poussé à la bonne place. Lawah-wah, la mélodie et la voix profonde de JackBruce, ses inflexions pénétrantes, sauvent letexte : Il y a un monde de souffrance, dans la pluiequi tombe, tout autour de moi/ Je peux entendretous les pleurs de la ville/ Pas le temps d’avoirpitié d’un arbre qui pousse (au mauvais endroit).La personnification de la malheureuse ville sentle cliché. On a parlé ici de conte hippie mais latrame narrative est trop mince pour qu’on puisseavoir recours à ce terme. « Dance The NightAway » a droit à un texte de Pete Brown, poèteautoproclamé : Je vais me construire un château/Tout en haut des nuages/ Là je verrai les cieux parma fenêtre/ Loin des rues et des foules/ Je trou-verai tout seul un océan/ Voguerai dans le bleu/Vivrai avec les espadons/ J’oublierai le temps oùje t’ai connu/ Danserai toute la nuit/ Disparaîtraide cet endroit/ Me tournerai vers l’ombre/ Ainsi jene verrai plus ton visage. On dirait l’évocationd’un de ces posters d’île volante ou flottante,comme on en trouvait alors dans les boutiquesde Carnaby Street, pour illustrer un concert desWho. «Blue Condition» résonne d’une lourdeursympathique, alliant langueur et décontraction.Une sorte de lazy blues avec une ambiance à laSmall Faces. Le titre est signé Ginger Baker quiutilise beaucoup de termes abstraits : direction,réflection, combination, jugements, relaxation,conversation, condition... Bizarrement, cettepesanteur n’a pas vieilli et a même gagné enauthenticité.

COURAGEUX ULYSSE

«Tales Of The Brave Ulysses» est très réussi etouvre la deuxième face, sur le 33 tours d’origine.Le jeu d’Eric Clapton est étincelant. Le texte estintéressant mais il n’est pas assez dément pourêtre totalement taxé de psychédélique, malgré lespetits poissons violacés qui frétillent en riant entreles doigts. On retrouvera ce type de paroles chezAndy Partridge de XTC dans « Jason And TheArgonauts » sur le LP « English Settlement ».Cette poésie est très néo-classique. Certainesimages sont éclatantes, quand d’autres parais-sent parfois un peu banales. Il s’agit d’un poèmemythologique, dans le goût parnassien. Pourtrouver des équivalents français, c’est plusproche de Leconte de Lisle que de Rimbaud : Tupensais que l’hiver plombé te ferait à jamais tou-cher le fond/ Mais tu conduisais un vapeur vers laviolence du soleil/ Et les couleurs de la mer aveu-glent tes yeux avec ses sirènes tremblantes/ Et tuabordes des rivages lointains grâce aux récits ducourageux Ulysse/ Comme ses oreilles sans bou-chon de cire ont souffert des doux chants dessirènes !/ Car les vagues étincelantes t’appellentpour embrasser leurs blanches lèvres de dentel-le/ Et tu vois une fille, son corps bronzé danse surun fond turquoise/ Et tu suis ses empreintes là oùle ciel se mêle à la mer/ Et quand tes doigts latrouvent, elle te noie dans son corps/ Ciselant desrides d’un bleu intense dans les tissus de tonesprit/ Les petits poissons violets frétillent en sou-riant dans tes doigts/ Et tu veux emmener cettefille vers le dur pays de l’hiver/ Son nom est

EP français tiré de «Disraeli Gears» en 1967.

Simple français «Sunshine Of Your Love» en 1967.

Simple japonais «White Room».

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Aphrodite, elle chevauche un coquillage pourpre/Et tu sais que tu ne peux pas la quitter car tu asatteint des sables lointains/ Grâce aux récits ducourageux Ulysse/ Comme ses oreilles sans bou-chon de cire durent souffrir des chants desdouces sirènes !Brave Ulysse est un épithète homérique, commeAthéna, la déesse aux yeux pers, dans «L’Iliade».En anglais, crimson et purple désignent le mêmegenre de couleur : un rouge violacé, celui du psy-chédélisme par excellence. Donovan l’emploieégalement dans «Wear Your Love Like Heaven»où on assiste à la tombée du soir, à toutes lesteintes du crépuscule dans le sens de l’extinctionde la lumière : Colour of sky prussian blue, Co-loursky Havana Lake. Un ciel bleu prussien, brun,carmin et pourpre. Le violet est une couleur bla-farde, étrange, incertaine, qui a été ainsi définie :Amour contenu, mystérieux, voilé, couleur dechanoinesse. Jack Bruce joue d’ailleurs sur cetalbum de Donovan.

SWLABR

Le fulgurant «Swlabr», qui ressemble à une ono-matopée ou à un sigle, correspond aux initialesd’une phrase dada : She walks like a bearded rain-bow (elle marche comme un arc-en-ciel à barbe).Cette phrase est un cadavre exquis. La guitared’Eric Clapton est très chantante, lyrique, encontrepoint à la voix de Jack Bruce. Ce blues-rocksonne à la rigueur blues-psyché, bien que l’éti-quette semble un peu usurpée sur l’ensemble del’album. Elle conviendrait mieux à ce que fait MickTaylor chez John Mayall dans «Blues From Lau-rel Canyon», surtout, le morceau d’ouverture.Dans «Swlabr», non seulement l’arc-en-ciel a unebarbe, mais le dessin a une moustache : Tu viensvers moi avec ce regard chargé d’humanité/ Tuviens comme si tu n’avais jamais commis une seulemauvaise action/ Tant de couleurs fantastiques/J’ai l’impression d’être au pays des merveilles.Pete Brown pratique l’écriture automatique. Cen’est pas nouveau. Marc Bolan lui répondra en1969 avec «A Beard Of Stars». Sur «We’re GoingWrong», signé du seul Jack Bruce, le ton desCream se fait grave. On pense aux Byrds de «Eve-rybody’s Been Burned» de David Crosby. Cethème est interprété en accords mineurs, et la voixinsiste lyriquement et langoureusement sur cer-taines notes. «Ouside Woman Blues», ou le bluesde la maîtresse, est la reprise d’un titre ancien, attri-bué à un vieux bluesman aveugle, Arthur BlindWillie Reynolds. Si tu perds ton fric, ne va pasperdre la tête/ Et si tu perds ta femme, ne meprends pas la tête ! Il est inutile de te plaindre. Cetteune chanson misogyne sur le thème les femmesd’aujourd’hui sont tellement malhonnêtes. Ceblues ressemble assez à «Spoonful» sur leur pre-mier album, «Fresh Cream». «Take It Back» estun blues plus rapide, plus enlevé, plus gai, avec del’harmonica, des cris à l’arrière-plan, comme si onfaisait la fête dans le studio.

LAMENTATIONS

«Mother’s Lament» est un traditionnel très court(1’47) qui évoque l’atmosphère d’un pub anglaisà trois heures du matin. Voix avinées et accom-pagnement minimaliste au piano transforment lamélodie en une valse parodique. Do you want todo it again ? demande une voix, après l’accordfinal. C’est une horrible comptine loufoque etcruelle, sur un accident domestique : Une mèrelavait son bébé une nuit/ Le plus jeune des dix, unmioche délicat/ La mère était pauvre, le bébé toutmenu/ Ce n’était qu’un squelette, la peau sur lesos/ La mère se retourna pour prendre du savonsur l’étagère/ Cela ne dura qu’un instant, maisquand elle se retourna/ Son bébé avait disparu.Angoissée, elle cria : Oh, où est passé monbébé?/ Les anges répondirent : Oh, ton bébé esttombé dans le trou de l’évier, le tuyau d’écoule-ment/ Oh, ton bébé est passé par l’évacuation/Le pauvre petit chou était si maigrichon, si menu/On aurait dû le laver dans une chope/ Ton bébéest parfaitement heureux/ Il n’aura plus jamaisbesoin de bain/ Il traînaille avec les anges, sur lesnuages/ Point perdu, mais parti avant son heure.»Il y a un côté absurde dans ce morceau. Une mèrene lave pas son enfant la nuit. Cela serait le soir,

cela serait plausible, mais la nuit...! Les parolesdes anges sont féroces : ils reprochent à la mèresa négligence. La traduction utilise le mot chopepour garder l’ambiance bistrot, pub en anglais,mais le terme jug désigne toutes sortes de petitsrécipients : chope de bière, broc ou pot au lait.Cette cruelle nursery rime bascule dans l’étrangecomme certaines compositions du Pink Floydavec Syd Barrett (« Arnold Layne », « JugbandBlues»), mais son traitement musical n’a lui riende psychédélique. C’est plutôt un thème debuveurs de bière, comme le signalent les voixpâteuses. Un clin d’œil en fin de parcours. Undernier pour la route pour clôturer le LP «Disrae-li Gears ». Mais, après un troisième album, ledouble et excellent « Wheels Of Fire », en août1968, le trio se sépare. Dessus, on a encore droitau fabuleux «White Room» et à la sublime inter-prétation live de «Crossroads».

ROYAL ALBERT HALL 2005

Puis, début 1969, sur le 33 tours posthume«Goodbye», il y a «Badge», composé par Geor-ge Harrison, une mélodie digne des Beatles duLP « Abbey Road », avec le gimmick de « YouNever Give Me Your Money». Le temps s’arrê-te là, pour de longues années. Quand, 37 ansaprès la séparation, Eric Clapton, Jack Bruce et

Ginger Baker reforment Cream, du 2 au 6 mai2005, pour une série de quatre concerts à gui-chets fermés au Royal Albert Hall de Londres,avec un DVD à la clef chez Warner Vidéo. «I’m SoGlad» ouvre le feu, suivi de «Spoonful». Les troishommes sont en forme. Sur « Outside WomanLove», Eric relaie Jack au chant. On repart avec« Pressed Rat And Warthog », « Sleepy TimeTime ». La double batterie de Ginger crépite, labasse-violon de Jack ronronne efficacement et laStratocaster d’Eric envoie «NSU», puis «Badge»,«Politician» et «Sweet Wine». Un répertoire enbéton qui annonce les classiques du blues «Rol-lin’ And Tumblin’ », avec Jack à l’harmonica, et« Stormy Monday », avec Eric au chant. Lamachine Cream tourne à plein régime, envoyant«Deserted Cities Of The Heart», «Born UnderA Bad Sign », « We’re Going Wrong ». Un sonénorme explose dès le début de «Crossroads».« Sitting Of The Top Of The World » laisse laplace à un éblouissant «White Room». Commeà la grande époque, Ginger se déchaîne sur«Toad» durant plus de huit minutes. Le show seclôture sur un mémorable « Sunshine Of YourLove», matiné de «Steppin’ Out». Leur manièreà eux de faire revivre le summer of love de 1967en un peu moins de vingt titres. Bel exploit pourse souvenir à jamais de «Disreali Gears».

Jérôme PINTOUX

Eric Clapton, Jack Bruce etGinger Baker.