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Coup de théâtre en Afrique du Sud

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Pascal Deloche

Philippe Granjon

Médecins de l'Impossible

Coup de théâtre en Afrique du Sud

Sous la direction médicale du docteur Alain Deloche

H

HACHETTE

Jeunesse

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SÉRIE MÉDECINS DE L IMPOSSIBLE DANS LA BIBLIOTHÈQUE VERTE

Zone interdite en Bosnie

Clandestins chez les Touaregs S.O.S. Guatemala

Eaux troubles à Bangkok Piège mortel au Vietnam

Coup de théâtre en Afrique du Sud

© Hachette Livre, 1995. 24, boulevard Saint-Michel, 75006 Paris

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Préface

Il n'est plus possible de l'ignorer. Le malheur — famine, guerre, épidémie — fait chaque jour des milliers de victimes innocentes. Leur seul tort : être nées dans des contrées moins favorisées que la nôtre, à seulement quel- ques heures d'avion. Cette injustice du lieu de naissance, je la connais bien pour l'avoir combattue depuis plus de vingt ans, d'abord à Médecins Sans Frontières, puis à Médecins du Monde. Parmi les premiers, j'ai accepté de partir bénévolement, renonçant à mes vacances, pour aller soulager ceux qui souffrent : enfants, adultes, vieil- lards... Ceux que l'on appelle désormais les « French doc- tors » sont des milliers à parcourir la planète en tous sens pour porter secours à ceux qui ont faim, qui ont mal, et dont la vie est en danger. Médecins, infirmiers, logisti- ciens ou reporters, ils partent pour soigner, mais aussi pour dénoncer l'inacceptable. Dans les médias, ils incarnent les aventuriers d'aujourd'hui.

Ludovic et Prune, les héros de la série « Médecins de l'Impossible », sont à l'image de ces femmes et de ces hommes, souvent jeunes, qui acceptent de quitter leur confort, leur famille, leurs amis, leur métier... pour un

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mois, deux mois ou parfois plus. Leur vie et leur carac- tère ont été construits à partir de personnages réels. Car les deux auteurs, Pascal Deloche et Philippe Granjon, connaissent bien le milieu humanitaire. Reporters tra- vaillant bénévolement pour le magazine de Médecins du Monde, ils nous ont suivis sur la plupart de nos mis- sions, pour témoigner de nos actions et du malheur qui frappe aux quatre coins du monde. A la fois journalistes et humanitaires, ils étaient les mieux placés pour entre- prendre « Médecins de l'Impossible ». Chaque roman se nourrit d une réalité qu 'ils ont côtoyée.

De la jungle du Guatemala au désert touareg, des bas- fonds de Bangkok aux oubliés du Vietnam, « Médecins de l'Impossible » va vous faire voyager, découvrir d'autres peuples, comprendre d'autres cultures, mais aussi prendre conscience de nombreuses injustices...

Peut-être même cette série suscitera-t-elle des vocations chez certains d'entre vous qui viendront, dans quelques années, prendre le relais des « French doctors » d'aujourd 'hui.

Bonne lecture!

Professeur Alain Deloche

Chirurgien cardio-vasculaire Président d ' h o n n e u r

de Médecins du Monde

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1

En route pour le Transkei

« Banania , calme-toi s inon P r u n e va te t ransformer en pâté pour chat ! » lança Ludo- vic Delcours, essoufflé par l 'escalier qu ' i l venait de mon te r quatre à quatre.

Sans tenir compte de la menace, son fidèle labrador aboya joyeusement.

« Privé de biscuits p e n d a n t une semaine si tu continues, et plus de... »

Le j e u n e h o m m e s 'arrêta net, surpris. La porte d ' en t rée venait de s'ouvrir. Gaby, la grand-mère de Prune, contemplai t le j e u n e pédia t re en g rande conversat ion avec son chien.

« Ludovic, que fais-tu? Tu veux ameute r tous les voisins?

— Heuh.. . Oh, bonjour , madame Loiret », m u r m u r a le j e u n e homme, confus.

Gaby était échevelée comme à son habi-

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tude, malgré le chignon qui maintenai t tant bien que mal ses épais cheveux blancs.

« Entre vite ! J 'a i hâte de te mont re r ma der- n i è r e t rouva i l l e : la p e i n t u r e "avec les mains" », fit-elle en agitant ses paumes comme deux marionnet tes f ra îchement peintes.

Ludo suivit Gaby don t le pas alerte marte- lait le pa rque t rose fluo. Il adorai t cet atelier de pein ture tout aussi farfelu que sa proprié- taire. Le désordre apparen t cachait un soin méticuleux. Sous la lumière de la verrière, Gaby avait disposé ses derniers chefs-d'œuvre : collage de noui l les p r o v e n a n t d u m o n d e entier, rapportées par sa petite-fille, compila- tion d 'objets en tout genre et peinture abs- traite, « à la pointe de l 'avant-garde ».

Le j e u n e h o m m e zigzagua entre les pots de peinture en suivant la frêle silhouette, vêtue de son éternelle blouse mouchetée de pein- ture comme un tableau impressionniste.

« Finis les pinceaux ! Vive les doigts ! Révo- lutionnaire, n'est-ce pas? » s 'exclama Gaby.

Elle pointa un doigt vert en direction d ' u n e gigantesque tache colorée, qui ressemblait fort à de la bouillie de martien.

« C 'es t . . . c o m m e n t d i re . . . s u r p r e n a n t ! répondi t pol iment Ludo, partagé entre le fou rire et l 'admirat ion pour cette grand-mère de choc.

— Prochaine étape, les pattes de ton chien.

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Ce sera du plus bel effet. Le succès assuré à la F I A C hein Banania! »

Heureusement , le fougueux labrador j a u n e ne permit pas à Gaby de laisser libre cours à son insp i ra t ion . En e n t e n d a n t le pas de Prune, il traversa l 'atelier comme une fusée. Il renversa au passage un vieux pot de pein ture et sauta sur la j e u n e fille, qui arrivait du salon en brandissant un magazine.

Déséquilibrée, Prune tomba à la renverse, empor tan t dans sa chute un vieux chevalet. Ludo, qui courait derr ière son chien pou r limiter les dégâts, eut juste le temps de sauver la toile préférée de Gaby. Cette création s'inti- tulait Rien ne sert de courir en hommage à ses assistants, une dizaine d'escargots qu'el le avait fait « courir » sur une toile couverte de pein- ture bleu-blanc-rouge.

« B a n a n i a , ça suffit! o r d o n n a L u d o en aidant son amie à se relever.

— C'es t ce que l ' on appe l le d é b o r d e r d 'affect ion ! dit la j e u n e pho tog raphe , en essuyant sa jolie frimousse sur son tee-shirt.

— B a n a n i a , fais i m m é d i a t e m e n t tes excuses à la reine de la photo !

— Tu peux parler, Ludovic Delcours, la nouvelle coqueluche de Cosmopolitan.

— Qu'est-ce que tu me racontes? — Regarde toi-même, si tu ne me crois

pas ! Page 175... » 1. Grand salon d'Art contemporain qui se tient à Paris.

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Ludo feuilleta fébrilement le magazine que lui tendait Prune. Sa photo au chevet d'une petite Vietnamienne atteinte de paludisme s'étalait sur toute la page.

« Mon reportage sur les minorités eth- niques vietnamiennes a beaucoup plu à la rédaction.

— Tes photos sont superbes ! — Et tu ne sais pas le plus important?

ajouta Prune. — Non?

— Eh bien, les lectrices envoient spontané- ment leurs dons pour soutenir le programme de dispensaires de l'UMI. »

Ludo sourit à cette bonne nouvelle. Des

dizaines d'enfants défavorisés pourront être soignés.

« C'est sûrement grâce à ton look ! Avec tes cheveux dorés en bataille et ton teint légère- ment hâlé, tout le monde te trouve irrésis- tible. Un vrai ba roudeur mais aussi un

excellent médecin ! » le taquina Prune. Ludo leva les yeux et haussa les épaules. « Tu ne changeras donc jamais. Dommage !

Moi qui étais venu pour t'inviter au théâtre. Je ne sais pas si tu le mérites !

— Bien sûr que je le mérite... N'est-ce pas, Banania? » murmura-t-elle à l'oreille du labra- dor, qui remua la queue en signe de soutien.

1. Voir Piège mortel au Vietnam, dans la même série.

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« T u v o i s , m ê m e t o n c h i e n e s t d ' a c c o r d .

A l o r s , o ù m ' e m m è n e s - t u ?

— C r e u s e - t o i u n p e u l a t ê t e .

— J e p a r i e q u ' o n v a v o i r l a d e r n i è r e p i è c e

d e F r a n c i s H u s t e r . . . J e m e t r o m p e ? »

L u d o d i r i g e a s o n p o u c e v e r s l e b a s c o m m e

l e s R o m a i n s .

« A h o u i , c o m p l è t e m e n t !

— A l o r s , c ' e s t l e n o u v e a u s p e c t a c l e

é q u e s t r e d e Z i n g a r o . I l p a r a î t q u e c ' e s t

s u p e r b e » , f i t G a b y .

T o u t e n b a r b o u i l l a n t s a t o i l e d e s e s m a i n s ,

l a g r a n d - m è r e d e P r u n e n e p e r d a i t p a s u n e

m i e t t e d e l a c o n v e r s a t i o n .

« E n c o r e m o i n s . . . D e t o u t e f a ç o n , v o u s n e

t r o u v e r e z j a m a i s . »

P r u n e l e d a r d a d e s e s y e u x v a i r o n s , l ' u n

b l e u , l ' a u t r e v e r t , c o m m e D a v i d B o w i e .

« A h , t u c r o i s ç a ! J e n e d o n n e p a s s i f a c i l e -

m e n t m a l a n g u e a u c h a t . . . C ' e s t u n e p i è c e d e

c a f é - t h é â t r e ? r e n c h é r i t - e l l e .

— T u m e f a i s d e l a p e i n e , P r u n e t t e . J e v a i s

t e d o n n e r u n i n d i c e . N o u s a l l o n s v o i r d u

" T h é â t r e U t i l e " . »

L a j e u n e f i l l e a f f i c h a u n e m o u e d é s a b u s é e :

« B e u h . . . E n c o r e u n e p i è c e d ' i n t e l l o s . . .

— R a t é . P o u r t ' a i d e r , l e " T h é â t r e U t i l e " s e

p r o d u i r a p r o c h a i n e m e n t d a n s l e T r a n s k e i , e n

A f r i q u e d u S u d . »

P r u n e é c a r q u i l l a l e s y e u x c o m m e u n h i b o u

m a l r é v e i l l é :

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« J e n e c o m p r e n d s s t r i c t e m e n t r i e n à c e q u e

t u m e r a c o n t e s .

— A s s i e d s - t o i e t é c o u t e . . . »

L u d o s ' a s s i t à c ô t é d e s o n a m i e s u r u n p e t i t

c a n a p é r o c o c o , b o r d é d e d o r u r e s .

« L e " T h é â t r e U t i l e " e s t u n e p e t i t e t r o u p e

d e c o m é d i e n s q u i s i l l o n n e n t l e s v i l l a g e s l e s

p l u s d é s h é r i t é s d ' A f r i q u e d u S u d . L e u r o b j e c -

t i f : f a i r e p a s s e r p a r l e t h é â t r e d e s m e s s a g e s

s u r l a p r é v e n t i o n m é d i c a l e e t l ' h y g i è n e d e v i e

a u p r è s d e s p o p u l a t i o n s r u r a l e s .

— Q u e l p r o j e t é p a t a n t ! s ' e x c l a m a G a b y .

S ' i l s o n t b e s o i n d ' u n e g r a n d - m è r e , j e m ' i n s -

c r i s .

— S i j ' a i t o u t s a i s i , l a t r o u p e d u " T h é â t r e

U t i l e " e s t e n t o u r n é e à P a r i s e t n o u s a l l o n s l e s

v o i r c e s o i r , l a n ç a P r u n e .

— E n c o r e p e r d u ! E n f a i t , p o u r t o u t

t ' a v o u e r , U r g e n c e M é d i c a l e I n t e r n a t i o n a l e

s o u h a i t e f i n a n c e r c e p r o j e t o r i g i n a l . N o t r e

c h e r p r é s i d e n t , J e a n - P a u l D a v r a n c h e ,

m ' e n v o i e c o m m e c o n s e i l l e r m é d i c a l s u r

p l a c e . . . »

L u d o m a r q u a u n e p a u s e , s c r u t a n t l a r é a c -

t i o n d e s o n a m i e , e t p o u r s u i v i t :

« É c o u t e b i e n . . . J e t ' e m m è n e à l ' a v a n t - p r e -

m i è r e d e l a t r o u p e d u " T h é â t r e U t i l e " d a n s l e

T r a n s k e i . »

P r u n e n e p a r v i n t p a s à r e t e n i r s a j o i e .

« F o r m i d a b l e ! T u m ' o f f r e s u n r e p o r t a g e e n

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or. Et pour une fois pas de problème de billet d'avion. »

Elle se tourna vers sa grand-mère avec fierté.

« Tu n'auras pas besoin de m'aider. Je viens de toucher un chèque de mon agence- photo. »

Gaby se leva d'un bond, essuya ses mains couvertes de peinture sur un vieux chiffon et courut jusqu'à la bibliothèque où régnait un désordre très artistique.

« Ah, le voilà ! » fit-elle en sortant un vieil atlas.

Prune et Ludo écartèrent les gouaches et les pinceaux qui encombraient la table basse en laque de Chine. Puis les trois têtes se pen- chèrent sur la carte de l'Afrique du Sud, jusqu'à se toucher.

« Vous voyez, le Transkei est juste là, mon- tra Ludo en pointant le doigt vers le bas de la carte. Au nord, c'est la province du Natal. Au sud et à l'ouest, la province du Cap. Et à l'est, l'océan Indien. »

Prune fixait les couleurs bleues et vertes du

planisphère, pensive : «Je n'arrive pas encore à y croire. L'Afrique

du Sud... J 'en rêvais. Surtout depuis l'élection de Nelson Mandela à la présidence de la République. Vous vous rendez compte, le pre- mier président noir! Quel bouleversement

Page 17: Coup de théâtre - Numilog · limiter les dégâts, eut juste le temps de sauver la toile préférée de Gaby. Cette création s'inti- tulait Rien ne sert de courir en hommage à

pour ce pays où les Noirs ont toujours été opprimés par les Blancs !

— Tu en sais des choses! fit Ludo, mi- admiratif, mi-moqueur.

— Tu ne crois pas si bien dire, ajouta-t-elle, mystérieuse. Quand j'étais en Bosnie, j'ai fait la connaissance d'un photographe blanc sud- africain. Il habite à Durban dans le Natal...

Mais oui, Greg. Je t'en ai déjà parlé? — Non, absolument pas, lui répondit-il,

vexé par cet oubli qu'il jugeait inqualifiable. Encore un prétendant hypnotisé par tes yeux vairons...

— Comme ça, tu n'es pas le seul, taquina Prune que la jalousie de son ami amusait plus que tout... Enfin, ce reportage me donnera une excellente occasion de te le présenter.

— Tu seras prudente au moins », fit Gaby. Bien qu'originale, elle n 'en restait pas

moins grand-mère. « Avec mon héros préféré, tu sais bien que

je ne risque jamais rien. — Rassurez-vous, renchérit le jeune méde-

cin. Pour une fois, il s'agit seulement d'aller conseiller une troupe de théâtre. C'est une mission on ne peut plus tranquille. Je vous enlève votre petite-fille seulement pour une dizaine de jours.

— Si je veux ! » conclut Prune en lui asse- nant un coup de coude dans les côtes.

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2

Le « Théâtre Utile »

La terre rouge des plateaux du Transkei s'enflammait sous les rayons déclinants du soleil. Au loin, à flanc de colline, les habitants avaient inscrit le nom de leur village avec des centaines de pierres blanches : Baziya. Dans ce paysage lunaire, seules quelques cases esseulées rappela ient la présence de l'homme. Rondes, surmontées d'un toit de chaume, elles étaient peintes en blanc ou bleu ciel jusqu'à mi-hauteur, uniquement du côté du soleil levant.

Cet après-midi-là, Baziya avait pris des airs de fête. Une scène bricolée avec de vieilles planches avait été construite sur le sol rouge, juste devant les bâtiments délabrés de la seule école de la région.

« On dirait que la première du "Théâtre Utile" affiche complet! » s'exclama Prune.

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Les deux amis, encadrés par Thembusofu, le chef du village, et Albertus, le metteur en scène, avaient pris place sur un vieux banc en bois placé juste devant la scène. Derrière eux, tous les villageois, hommes, femmes, enfants attendaient dans un joyeux brouhaha le début du spectacle.

« Personne ne veut manquer cet événe- ment. C'est la première fois qu'une troupe de théâtre vient jouer chez nous », répondit en anglais Thembusofu

Pour l'occasion, il avait revêtu sa plus belle veste en velours côtelé. Entre ses genoux, il tenait d ignement une magnifique canne sculptée dont le pommeau représentait un poisson. Avec sa peau aussi noire que l'ébène, son épaisse chevelure grise, sa fine moustache blanche et son ventre rebondi, il avait tout d'un vieux sage.

« C'est un grand jour pour nous tous. Cela fait des mois que nous préparons cette pièce. J'espère que tout se passera bien », fit Alber- tus.

Le jeune metteur en scène n'arrivait pas à dissimuler son anxiété. Derrière ses petites lunettes ovales d'intellectuel, il surveillait d'un œil inquiet les derniers préparatifs.

« Prune, fais moins de bruit, ça va bientôt

1. Dans cette histoire, lors de leurs échanges avec les Sud-Africains, Ludo et Prune parlent en anglais.

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c o m m e n c e r , l a n ç a L u d o q u i , l u i a u s s i , n e p e r -

d a i t p a s u n e m i e t t e d e l ' o r g a n i s a t i o n d u s p e c -

t a c l e .

— T u p e r m e t s , j e c h a r g e m e s a p p a r e i l s . N e

s o i s p a s a u s s i n e r v e u x q u ' A l b e r t u s . »

A v i n g t - h u i t a n s , A l b e r t u s é t a i t u n m e t t e u r

e n s c è n e p l e i n d e p r o m e s s e s . N é d a n s l e

T o w n s h i p d e S o w e t o i l a v a i t f r a n c h i l e s b a r -

r i è r e s d e l ' A p a r t h e i d g r â c e à s a p a s s i o n d u

t h é â t r e . T r è s j e u n e , i l é t a i t e n t r é c o m m e

a c c e s s o i r i s t e a u M a r k e t T h e a t e r d e J o h a n n e s -

b u r g , u n t h é â t r e a v a n t - g a r d i s t e o ù N o i r s e t

B l a n c s j o u a i e n t c ô t e à c ô t e . C o n s c i e n t d e s o n

r ô l e d a n s c e t t e s o c i é t é e n p l e i n e m u t a t i o n , i l

a v a i t v o u l u m e t t r e s o n t a l e n t a u s e r v i c e d e s

a u t r e s .

L e s p r e m i e r s r o u l e m e n t s d e t a m - t a m i m p o -

s è r e n t s o u d a i n l e s i l e n c e . L e r i d e a u , c o n f e c -

t i o n n é d a n s d e v i e u x s a c s p o s t a u x e n t o i l e d e

j u t e , s ' o u v r i t s o u s l e s a p p l a u d i s s e m e n t s d e s v i l -

l a g e o i s .

A u c e n t r e d e l a s c è n e , a g e n o u i l l é e , u n s e a u

b o s s e l é à l a m a i n , u n e p e t i t e f i l l e p u i s a i t d e

l ' e a u d a n s u n r u i s s e a u i m a g i n a i r e . I n s o u -

c i a n t e , e l l e c h a n t o n n a i t u n e v i e i l l e c o m p t i n e

p o p u l a i r e .

« L a . . . L a p r e m i è r e s c è n e p o r t e s u r l e

1. Township : cité dortoir à la périphérie des villes, habitée uniquement par des Noirs. Situé près de Johannesburg, Soweto est le plus grand Township d'Afrique du Sud.

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« Qu'est-ce que c'est? demandèrent-ils en chœur.

— Regarde, page 2. » Greg tendit le Star à Prune. Sur le haut de la

page, elle vit un grand titre en caractères gras : Mariage de rêve pour Olivier et Catherine, les nouvelles stars du petit écran.

«Je ne comprends rien. Tu te moques de nous?

— Non. C'est l'article juste en dessous. » Prune toussota pour s'éclaircir la voix et

prit l'air concentré d'une présentatrice de journal télévisé.

« Van Houten, membre actif de l'AWB, a été retrouvé "neckless dans la région des Mille Collines. Cette mort mystérieuse met fin de manière spectaculaire à la sinistre carrière de ce dangereux fanatique d'extrême droite. Selon les premiers éléments de l'enquête, la police estime qu'il était le commanditaire d'une série de meurtres dans plusieurs pro- vinces du pays. »

La nouvelle tomba comme un couperet. Tous avaient retrouvé leur sérieux.

« C'est signé Sonamuzi, conclut Ludo. — Il a tenu sa parole ! fit Prune que la mort

de Van Houten ne semblait pas affecter. — Il a peut-être été au-delà de ce qu'on lui

1. Supplice consistant à mettre un pneu enflammé autour du cou de sa vic- time. « Collier de feu » en français.

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d e m a n d a i t . J e t e r a p p e l l e q u e S o n a m u z i

d e v a i t j u s t e l e r e t r o u v e r . . .

— Q u i s è m e l e v e n t , r é c o l t e l a t e m p ê t e . »

P o u r L u d o , l a m o r t d e V a n H o u t e n r e s t a i t

a v a n t t o u t l a m o r t d ' u n h o m m e . I l a u r a i t p r é -

f é r é q u e c e f a n a t i q u e c o m p a r a i s s e d e v a n t l e s

t r i b u n a u x p o u r s e s c r i m e s . O n n e s e f a i t p a s

j u s t i c e s o i - m ê m e .

« V o u s a v e z e u d e s n o u v e l l e s d e S o n a m u z i ?

d e m a n d a - t - i l .

— J ' a i e u l ' i n s p e c t e u r S i m p s o n a u t é l é -

p h o n e c e m a t i n . I l s ' e s t l i v r é à l a p o l i c e

c o m m e c o n v e n u , r é p o n d i t G r e g . J a c k l u i a

p r o m i s q u ' i l n e f e r a i t p a s é t a t d e l e u r p a c t e

d a n s s o n r a p p o r t .

— D o n c S o n a m u z i n e s e r a p a s i n c u l p é d u

m e u r t r e d e V a n H o u t e n ?

— N o n . J e c r o i s q u ' i l y a s u f f i s a m m e n t d e

c h a r g e s c o n t r e l u i . . . I l v a e n p r e n d r e a u m o i n s

p o u r q u i n z e a n s .

— J ' e s p è r e q u e l e t r i b u n a l a c c o r d e r a q u e l -

q u e s c i r c o n s t a n c e s a t t é n u a n t e s à c e c r i m i n e l ,

p o u r s u i v i t P r u n e . I l a q u a n d m ê m e t e n u s a

p r o m e s s e . . .

— J e v o u s t i e n d r a i a u c o u r a n t p a r f a x » ,

p r o m i t G r e g .

L u d o r e p l i a s o i g n e u s e m e n t l e j o u r n a l e t

j e t a u n c o u p d ' œ i l à s a m o n t r e .

« O h ! l à l à ! d é j à t r o i s h e u r e s ! J e s u i s

d é s o l é , m a i s i l f a u t q u ' o n f i l e à B a s i y a . L e

« T h é â t r e U t i l e » m ' a t t e n d .