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LE COR BU SIER RONCHAMP entre ciel et terre DE LE CORBUSIER À RENZO PIANO LES 60 ANS DE NOTRE-DAME DU HAUT LE DÉPARTEMENT

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LECORBUSIER

RONCHAMPent re ciel et ter re

DE LE CORBUSIER À RENZO PIANO

LES 60 ANS DE NOTRE-DAME DU HAUT

LE DÉPARTEMENT

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50 ans après sa mort, Le Corbusier (1887-1965) divise toujours autant. Les uns adulent ce vrai touche-à-tout, à la fois architecte de génie et urbaniste visionnaire qui a bouleversé notre façon d’habiter. Ils rappellent qu’adepte d’une architecture organisée pour un corps libéré, « puriste de la forme » et précurseur de la modernité, Le Corbusier développait des principes qui s’appliquent toujours. C’est le cas du fameux Modulor (1944), silhouette masculine de 1,83 m, fondé sur une échelle logarithmique mâtinée du nombre d’or qui lui sert d’étalon pour ses constructions.Les autres rejettent ce forcené de la norme et de la « grandeur conforme » , ce « cynique en béton armé » qui voulut faire raser le centre de Paris sauf la place des Vosges (plan Voisin, 1925) pour y dresser à distance régulière des gratte-ciel desservis par des voies rapides sur pilotis et qui théorisa la froideur des cités dortoirs (Charte d’Athènes en 1943). D’autres l’accusent même d’être à l’origine de la tragédie des banlieues.. Le gigantisme de son œuvre, aussi multiforme que « terrii ante », est pour ceux-là d’autant plus dérangeant qu’ils n’oublient pas que l’artiste fut proche des mouvements fascistes et de leurs cultes de l’hygiène, du corps et du sport mais était aussi fasciné par les dictateurs - Staline un peu, Mussolini beaucoup, Pétain un temps. « Où l’ordre règne naît le bien-être » , disait-il. Air pur, murs blancs, « on fait propre chez soi, puis on fait propre en soi » .

MEUSE

HAUTE-MARNE

CÔTE-D’OR DOUBS

SUISSE

ALLEMAGNE

JURA

MOSELLE

BAS-RHIN

Br iey

Ronchamp

Doncour t- lès-Confl ans

Zur ich

Kembs-Nif fer

Stut tgar t

Corseaux

Br iey

La Cité radieuse (1959-1960) est une des fameuses unités d’habitat ion de Le Corbusier comme « La maison du fada » de Marsei l le. 339 logements sur 17 étages, 6 rues intér ieures. 110 m de long, 70 de haut .

Genève

Immeuble clartéSurnommé « maison de ver re », l ’immeuble Clar té de Genève (1930-1932) est un bât iment locat i f avant-gardiste de 45 appar tements, const rui t sur une ossature d’acier. Il a été rénové en 2007-2009.

Corseaux

La Villa Le Lac (1923-1924)Au bord du Léman, cet te maison t rès fonct ionnelle a été const rui te pour les parents de l ’architecte. Elle est , cer tes, de pet i te dimension mais elle fourmille d’ingéniosités.

Zurich

Le Centre Le Corbusier Env isagé en béton, const rui t en acier, inauguré après la mor t de l ’architecte en 1967, l ’étonnant Cent re Le Corbusier de Zur ich a été à l ’or igine commandé par une collect ionneuse d’ar t , Heidi Weber.

Doncour t-lès-Confl ans

Dortoir et gîte Face à l ’aéro-club de Doncour t-lès-Confl ans, un édifi ce signé Le Corbusier et Prouvé. Restauré par un pr ivé, cet te const ruct ion, à l ’or igine dor toir pour pi lotes et bar, est aujourd’hui un gîte.

Le Locle

La Villa Favre-JacotCet te v i l la a été const rui te au Locle en 1912 pour l ’indust r iel qui a fondé les mont res Zenith.

Kembs-Niffer

L’écluse (1961)Ent re Bâle et Mulhouse, l ’écluse de Kembs-Nif fer permet aux bateaux de passer du Rhin au Rhône. Le Corbusier a signé la tour de l ’éclusier et un bât iment abr i tant personnels administ rat i f s et techniques.

La Chaux-de-Fonds

Plusieurs réalisat ions :

La Villa Jeanneret-Perret dite Maison Blanche est la première réalisat ion comme architecte indépendant (1912), Le cinéma La Scala (1916) dont i l ne reste que la façade, La Villa Schwob (1916), Les villas Fallet (1905), Jaquemet (1907), Stotzer (1907).

Saint-Dié

La seule usineSaint-Dié, en ruines en 1945, rejet te en 1946 le projet cont roversé de reconst ruct ion de la v i l le signé Le Corbusier. L’architecte réalise néanmoins la bonneter ie Claude et Duval (1948-1951), seule usine au monde du maît re.

Genève

TERRITOIRE DE BELFORT

HAUT-RHIN

La Chaux-de-Fonds

Le Locle

St-Dié

Chemilly

MEURTHE- ET-MOSELLE

VOSGES

Chemilly

Gîte Maisonnier Sur une pet i te île pr ivée, ce gîte sur pi lot is n’a pas été réalisé par Le Corbusier mais, dans les années 60, par son élève André Maisonnier, dessinateur de Ronchamp. Les plans venaient de l ’atelier du maît re.

Infographie G. Utard - Emmanuelle Ancé

Au-delà de toute polémique et sentiment, reste une certitude : il est dii cile de nier que Charles-Édouard Jeanneret-Gris, de son vrai nom, est devenu, dans l’art de bâtir, un maître, voire un mythe. À une époque où les voyages sont dii ciles, l’artiste n’hésite jamais à sauter d’un continent à l’autre et à construire partout. En Suisse, en France et en Belgique bien sûr, mais aussi aux États-Unis, au Japon, en Argentine et au Brésil ! Et même une ville entière en Inde - Chandigarh -, un palais à Moscou ou un gymnase à Bagdad… Dans chaque édii ce, il met la même force, le même engagement, sans concession.La chapelle de Ronchamp, qu’on le croie ou non, emporte l’âme. La Villa Savoye à Poissy (1928-1931), qui aura une inl uence considérable dans l’histoire de l’architecture, prend peut-être l’eau, mais quelles lignes ! Cette « boîte en l’air » est l’aboutissement des recherches formelles de l’architecte et de la mise en œuvre des cinq points de l’architecture moderne formulés en 1927 : les pilotis, les toits-ter-rasses, le plan libre, la fenêtre en bandeaux et la façade libre. Et si, vue d’en bas, la Cité radieuse écrase le paysage, son toit-terrasse sous le ciel azuré de Marseille est un havre de sérénité. Vraiment moderne par son approche des formes, simples, orthogonales, mais très dessinées, et son utilisation des matériaux de son temps, le métal, et surtout le béton qu’il cof re à sa volonté, Le Corbusier fait de ses bâtiments de véritables sculptures.

Une œuv re en béton

Le Corbusier autour de Ronchamp

A voir dans un rayon de 220 km

Ai n de se dissocier de Pierre Jeanneret, un de ses cousins avec lequel il était associé pour ses premiers travaux, l’architecte a décidé d’utiliser (vers 1920) le nom - un peu modii é - d’une branche de sa famille maternelle, Le Corbusier. © Photo AFP

Stuttgart

La cité de WeißenhoffElle regroupe des maisons de t ravai l leurs, modernes et innovantes, const rui tes en 1927 avec le concours de grands architectes dont Le Corbusier. Cer taines ont été dét rui tes, d’aut res conservées. Musée dans la Maison Le Corbusier.

Jérôme ESTRADA

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MISE EN PERSPECTIVE Lucien Ledeur - Le Corbusier : la divine rencontre

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CONSTRUCTION Au cœur du chantier avec Jean-Jacques Virot L’écolier des années 50

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L’HARMONIE DU BÉTON BRUT Les années Bolle-ReddatJoseph Abram décrypte le génie de Ronchamp

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NOËL RONCET, président de l’Association Œuvre Notre-Dame du Haut Accueillir le monde entierUN MONASTÈRE OUVERT SUR LE MONDE

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HISTOIRE Un passé riche et mouvementé

CARTE Tourisme en Haute-Saône

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edito

som

mai

re

ent re ciel et ter re

LECORBUSIER

RONCHAMP

Un supplément proposé par L’Est Républicain et Vosges Mat inDirecteur de la publication : Christophe MAHIEU

Rédacteur en chef : Jean-Marc LAUERCoordination : Ghislain UTARD, Jérôme ESTRADA

et Bert rand SACHET Ont participé à ce numéro : Alain DUSART, Jérôme ESTRADA,

Didier FOHR, Ghislain UTARD.Couverture : photo Jérôme ESTRADA,

croquis Emmanuelle AncéPhotos :

AFP ; Archives de L’Est Républicain ; L’Est Républicain/ Jérôme ESTRADA/ Didier FOHR

Ghislain UTARD/ Guillaume CHAILLANGuillaume MINAUX/ Dominique ROQUELET

Alexandre MARCHI ; Marc PAYGNARD ; Œuvre Notre-Dame du Haut ; ADAGP ; Jean-Jacques VIROT ;

Char les BUEB ; Renzo PIANO Building Workshop ; Dest inat ion 70 ; Département 70 ; Kar ine ALTMEYER

Vidéo : sur not re site w w w.est republicain.f r la v idéo d’Yvan GAUDEFROY

Conception graphique : Emmanuelle ANCÉImpr imé par les DNA - Juin 2015

Soixante ans après sa const ruc-t ion, la chapelle Not re-Dame du Haut à Ronchamp nous interroge encore. Const ruite par l ’un des

architectes majeurs du XXe siècle, cet OVNI n’a pas i ni de susciter la curiosité et l’émot ion. À l’occasion de cet anniversaire, il semblait pert inent de s’of rir un zoom sur ce temps écoulé, mais néanmoins suspendu au cœur de l’édii ce tant le maît re réputé athée ou a minima agnost ique, a su créer une œuvre empreinte de spiritualit é. Not re rédact ion, t émoin de ces fulgu-rances, des incompréhensions des premières années, de l’audace du procédé const ruct if, s’est immergée dans le contexte de l’époque pour nous donner à comprendre. Ce supplément «entre ciel et terre» confère de la pro-fondeur et de la perspect ive à ce monument , l’un des plus visités en Franche-Comté. Beaucoup en sont i ers. L’architecte contemporain Renzo Piano, auteur du Cent re Pompidou ou du siège du New-York Times à Manhat tan, a lui-même déposé son of frande à son prédécesseur vénéré par des générat ions d’esthètes et d’amateurs de modernité. Si Le Corbusier a laissé une œuvre magist rale, épurée et austère pour le profane, ce génie, aujourd’hui contesté pour ses posit ions pendant l’Occupat ion, est aussi souvent caricaturé en créateur froid à la produc-t ion déshumanisée. La lecture de son héritage doit se faire à t ravers une appréhension de sa subt ile t ranscen-dance, celle des prodiges qui marquent leur époque et y survivent. De nos jours, un autre architecte contemporain, le Japonais Tadao Ando, maît rise lui aussi le béton avec la même quête d’architecture du silence. Dans l’œuvre dé-pouillée mais protéiforme de Le Corbu, on perçoit parfois une ét incelle de folie, plus allégorique et aérienne, moins linéaire. C’est typiquement le cas de sa chaise longue et de cet te suprême chapelle OVNI at terrie à Ronchamp pour convert ir les hommes à sa sacro-sainte écriture architec-turale, enjambant le siècle avec une fraîcheur intacte.

Alain DUSART

1819

VISITELumière sur une œuvre uniqueLes photos oubliées de Ronchamp

20 REGARDS CROISÉSLa chapelle en images

14 LE PROJET RENZO PIANODans les plis de la colline

60e ANNIVERSAIRELe programme, les grands rendez-vous Le Corbusier

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HAUTE-SAÔNE, terre d’itinérance Interview du président du Conseil départemental

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15 ALBIZZATI, du monastère à la Porterie

21 UNESCO, le dii cile pari

Un OVNIfamilier

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Un passé riche et mouvementé

avant RONCHAMPRONCHAMP

À se pencher sur l’histoire de Notre-Dame de Ron-champ, diffic ile de ne pas se souvenir d’une anec-dote . C’é tait, il y a tro is ans. Un vie il homme de Dieu, après avo ir prié à haute vo ix, avait regardé intensément, un rai de lumière transpercer un vitrail et illuminer é trangement le chœ ur. Puis, il s ’é tait levé , avait fait un ample signe de la cro ix.No us ape rc e vant, il avait hé s ité puis s ’ é tait dirigé ve rs no us, d’un pas dé c idé , te nant sans do ute à jus tifie r s o n a ttitude que lque pe u mystique : « Que l’on so it croyant ou pas, on pe ut lé gitime -me nt s ’inte rroge r : finale me nt n’e st-ce pas Die u qui a imposé l’œ uvre de Le Corbusie r. »Ses propos étaient apparus d’autant plus abscons qu’ils n’avaient été suivis d’aucun autre commen-taire . Aujourd’hui, ils s ’éc lairent sous une lumière nouvelle : il suffisait d’étudier le passé mouvemen-té du site pour comprendre ce qu’avait voulu dire ce mystérieux visiteur. En effet, même si d’aucuns, plutôt que d’invoquer la malédiction ou la bénédic-tion divine , pré fèreront parler d’un concours de c irconstances, il n’en reste pas moins que Notre -Dame de Ronchamp plonge ses racines dans une histo ire si troublante qu’il e st diffic ile de ne pas faire galoper son imagination. L’église n’a cessé de mourir pour renaître de ses cendres jusqu’à son ultime résurrection, ce lle imaginée par l’architecte suisse , aujourd’hui figée dans l’é ternité…Passons sur l’hypothè se se lo n laque lle , le s Ro -mains auraient érigé un temple sur la co lline de Bourlémont après la bataille qui opposa Jules Cé -sar à Arioviste dans la plaine entre Ronchamp et Champagney. Cet ancien sanctuaire païen aurait été ensuite christianisé . C’est possible mais rien n’est prouvé. Faisons un bon de plus de mille ans ; nous vo ilà vers 10 8 0 . L’archevêque Hugues fonde l’abbaye bénédictine Saint-Vincent (église Notre -Dame de Besançon). 1 2 ans plus tard, il lui donne l’église de Bourlé -mont , « e cc le sia Bole ranni montis ». Ce texte est le pre mie r qui pro uve so n existe nce . En 1 2 6 9 , Tho mas , s e igne ur de Ro nc hamp, qui tro uve l’église trop é lo ignée e t diffic ile d’accès surtout en hiver, demande à Eudes de Rougemont, arche -vêque de Besançon, s ‘ il peut en construire une dans son château. La chape lle Saint-Hubert, e st alors érigée .

Ce la explique-t-il que Bourlémont ait é té sinon re -construite tout au moins profondément réaména-gée en 13 0 8 ? Diffic ile à dire . Une certitude , seule église paro issiale de Ronchamp et des hameaux qui l’entourent de part et d’autre de la co lline , e lle souffre de sa situation, au po int qu’e lle est mal entre tenue e t surtout jugée inappropriée par le doyen. Les paro issiens entreprennent alors des travaux de réparation qui visent essentie llement à mettre le bâtiment hors d’eau (1719 ). Mais l’arche -vêque de Besançon estimant que cette rénovation est inutile , s ’exc lame : « Vous n’e n fe re z jamais rie n », avant de décider la construction immédiate d’une no uve lle é glise au ce ntre de Ro nchamp, peut-être à l’emplacement de l’ancienne chapelle Saint-Hubert (1741 ). Déchue de son titre d’église paro issiale , devenue simple chape lle dédiée au c ulte de la Vie rge , No tre -Dame e st ve ndue e n tant que b ie n natio nal pe ndant la Ré vo lutio n (17 8 9 ). Elle changera encore une fo is de mains. Un négociant luxovien, Claude-Franço is Billy, finit par l’acheter pour 87 5 livres (17 97 ), vraisembla-blement pour en monnayer les pierres. Cette fin peu glorieuse est évitée grâce à un co llectif d’une quarantaine de famille s ro nchampo ise s qui se cotisent pour racheter « leur » précieuse chapelle (3 5 0 F). Cet achat marque le po int de départ d’un parcours atypique de l’édifice . Car ce lieu de culte , censé ê tre public , devient proprié té privée . Le 2 3 juin 1 8 3 4 , l’abbé Césaire Mathieu, évêque de Langre s, e st pro mu au siè ge archié pisco pal

Abandonnée, rachetée, restaurée, foudroyée, reconst ruite, bombardée, la chapelle de Ronchamp avant Le Corbusier, a été ballot tée par les soubresauts de l’histoire.

La chapelle pendant l’entre-deux-guerres.© As s ociation Œ uvre de Notre -Dame du Haut

La chapelle avant l’incendie d’août 1913 et après.

© As s ociation Œ uvre de Notre -Dame du Haut

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de Besançon. 5 mo is plus tard, il s ’y installe e t commence ses premières tournées. L’épiscopat de ce pré lat, dynamique e t re marquable admi-nistrateur, se ra marqué par un ac tivisme bâtis -se ur – 3 2 0 é glise s c o nstruite s , re c o nstruite s o u re stauré e s dans le dio cè se . Quand il vis ite Ronchamp, il constate « que lque s dé sordre s e t abus à la chape lle ». Il condamne aussi un certain « conflit d’ inté rê ts », les proprié taires nommant eux-mêmes le sacristain en charge de la chapelle , ce qui e st « illé gal dans l’application de s te xte s e cc lé siastique s ». Autre souci : la double compta-bilité entre Notre -Dame du Bas, l’o ffic ie lle unité paroissiale , et la chapelle où les oboles des pèle-rins ne sont pas utilisées comme le dicte la lo i du Concordat qui ne reconnaît qu’une « fabrique ». Si ses prédécesseurs s ’é taient que lque peu désin-téressés de la chape lle e t de son flou juridique , Césaire Mathieu, lui, menace d’interdire le culte . Le co llectif s ’ inc line et l’activité de la chapelle est « re prise e n main » par l’autorité ecc lésiastique .

Ve rs 176 0 , le s fame use s carte s de Cassini donne nt à la colline le nom de « Notre Dame de Bourg le s Monts ». « Burgus » e n latin dé signe de s fortifications ou de s tours fortifié e s e t « burg » e n ge rmanique , une ville fortifié e . Dans le s te xte s français du Moye n Âge , le mot « bourg » a un se ns plus large : il s ’agit d’une agglomé ration ce inturé e ou pas de muraille s qui s ‘e st formé e à proximité d’une pe tite ville ou de ce rtains monastè re s. Ce la pe ut ê tre aussi un village où se tie nt un marché . En 1 271 , la position de Ronchamp à la limite du comté de Bourgogne e t du Saint-Empire -Ge rmanique a donné une grande importance à se s fo ire s e t marché s, à te l point que Othon IV, comte de Bourgogne , pre ndra sous sa prote c tion tous ce ux qui s ’y re ndraie nt ou e n re vie ndraie nt « le ve ndre di prochain aprè s notre dame de se pte mbre ». Pour cé lé bre r la nativité de la Vie rge Marie ,il y avait vraise mblable me nt, dè s ce tte é poque de s rasse mble me nts sur la co lline . Le 8 se pte mbre 187 3 a lie u le plus grand pè le rinage de tous le s te mps. Y partic ipe nt 3 0 .0 0 0 pe rsonne s, ve nue s de Franche -Comté , Alsace e t Lorraine .

BOURG LES MONTS

Même si la gestion conjointe n’est pas la panacée, ce la permet de s ’atte ler à la rénovation de la cha-pelle dans un état déplorable . Un nouveau sanc -tuaire en forme de cro ix grecque (2 0 m de long sur 15 de large ) est construit à côté . Une œ uvre titanesque menée de 1 8 4 4 à 1 8 57 , par un seul ho mme , l’abbé Vauchot, ré alisant là un re mar-quable « acte de fo i ».Notre -Dame du Haut re ste ra dre ssé e , intè gre , près de 3 0 ans. Seul problème mais explosif, la chapelle posée sur sa co lline , avec ses 6 flèches po intant ve rs le s c ie ux, e st ré guliè re me nt to u-chée par la foudre . Le 31 août 1 91 3 , un orage , plus puissant que le s autres, é c late . Le c lo cher constitué de zinc e t dépourvu de paratonnerre , est frappé par un éclair qui déclenche un incendie . Le sanctuaire est ravagé, seuls les murs résistent. En revanche , la chapelle est sauvée grâce à l’ in-te rvention rapide des villageo is qui ont déployé une po mpe à e au e t co nstruit un mur de te rre pour iso ler les deux bâtiments. Une souscription

régionale est organisée . L’archevêque approuve le pro jet de l’architecte Broutchoux, mais il est sus-pendu en raison de la Grande Guerre avant d’ê tre dé finitivement abandonné à cause de son coût trop é levé . Plutôt qu’un édifice imposant de style similaire à ce lui de la basilique du Sacré Cœ ur de Montmartre , il est décidé d’un bâtiment plus modeste et en harmonie avec ce lui qui est conser-vé . Les travaux durent de 19 2 2 à 19 2 5 . Cinq ans plus tard, le petit c locher comtois est démoli pour laisser place à un nouveau de style néogothique (3 4 m de haut) ; les murs de l’ancienne chapelle sont, parallè lement, rehaussés et modifiés pour s ’adapter à l’architecture . Sa vie sera éphémère . La co lline de Bo urlé mo nt se re tro uve , e n e ffe t, à l’auto mne 1 9 4 4 , litté rale me nt prise e n é tau entre les forces du général de Lattre de Tassigny et celles allemandes. Les obus pleuvent abondam-ment sur la malheureuse chapelle et son clocher, les détruisant. L’heure de Le Corbusier a sonné .

Jérôme ESTRADA

Le projet (annulé) d’une nouvelle chapelle en 1914.

© As s ociation Œ uvre de Notre -Dame du Haut

...et Le Corbusier arriva.Photo Jérôme Estrada-L’Est Républicain © ADAGP

Ronchamp a terriblement souffert des combats de 1944© As s ociation Œ uvre

de Notre -Dame du Haut

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ENMISE

toutes les bonnes volontés avec comme seul critère la qualité et non leur religion, « aux grands homme s, le s grande s œ uvre s ».Ce re no uve au s ’exprime dans que lque s grands chantiers exemplaires, comme celui de la chapelle des dominicaines à Vence (1951 ), que Matisse pré-sente comme le couronnement de son œ uvre , ou celui de Notre-Dame de Toute-Grâce sur le plateau d’Assy (achevée en 1957 ), église dessinée par Mau-rice Novarina et décorée par Rouault, Matisse , Bon-nard et Marc Chagall (de confession juive). Fernand Léger, communiste et athée, se prend aussi au jeu. Il récidive dans l’église du Sacré-Coeur d’Audincourt, construite là encore sous la houlette de Maurice Novarina (1949 -1951 ), proposant un ensemble de vitraux d’une force éclatante.À Besançon, la commission diocésaine d’art sa-cré partage cette préoccupation. En particulier le chanoine Lucien Ledeur, secrétaire de la commis-sion e t supérieur du petit séminaire , e t Franço is Mathey, alo rs inspe cte ur de s monume nts histo -riques. Or, ces deux-là ont conçu une idée insensée : convaincre Le Corbusier, star de l’architecture mo-derne du XXe siècle , de ressusciter une misérable chape lle au fin fond de la Haute -Saône , mais à laquelle ils tiennent beaucoup. L’un est originaire de Plancher-les-Mines, à moins de 15 km du site , et l’autre de Ronchamp même.Le projet paraît d’autant plus saugrenu que Le Corbu-sier n’avait, à son actif, aucune réalisation religieuse. Surtout, il semblait inconcevable de s’immiscer dans son agenda surchargé : non seulement l’architecte me ttait to ute so n é ne rgie dans la c o nstruc tio n de son « unité d’habitation » de Marse ille (19 47 -1952 ), plus connue sous le nom de Cité radieuse, mais il s’occupait aussi à Saint-Dié, de l’usine Duval (1948 -1951 ) et à Buenos-Aires de la villa Curutchet (1949 -1953 ). Et à l’horizon se profilait un chantier d’envergure : Chandigarh en Inde. L’opportunité pour cet urbaniste passionné d’expérimenter bientôt ses principes à l’échelle d’une ville entière ! Malgré tout, la fo i chevillée au corps, Lucien Ledeur et François Mathey prirent leur bâton de pèlerin pour porter leur apostolat dans l’antre du maître, rue de

PERSPECTIVE

Le chanoine Lucien Ledeur, secrétaire de la commission et supérieur du petit sémi-

naire, avec André Maisonnier, architecte de l’atelier de Le Corbusier et dessinateur des

plans de Ronchamp.© As s oc iation Œ uvre Notre -Dame du Haut.

Divine rencontre

LA RÉUSSITE ARCHITECTURALE

DE NOTRE-DAME DU HAUT TIENT À LA RENCONTRE

ENTRE LE CORBUSIER ET UN PRÊTRE DE BESANÇON,

DANS UN CONTEXTE DE RENOUVEAU DE L’ART SACRÉ.

« VOUS N’Y PENSEZ PAS ! »Futur iste la chapelle de Ronchamp ? Elle l ’étai t assurément pour les contemporains de sa const ruct ion. À tel point d’ai l leurs que L’Est Républicain de l ’époque rappor tai t ce propos tenu par ceux qui en v irent la première maquet te et « fai l l i rent tomber à la renverse » : « ça une chapelle ? Mais vous n’y pensez pas ! ». Le journal L’Aurore, dans son édit ion du 28 septembre 1954 évoque, de son côté, un « garage ecclésias-

t ique » auquel « on pourrait ajouter un pet it moulin ». Le toi t étant « incurvé

pour ramasser l’eau de pluie », l ’auteur lance cet te apost rophe : « Sainte

Cuvet te, pr iez pour nous ! ». Alf red Canet , indust r iel qui forma la société civ i le immobil ière pour la reconst ruct ion, fut , quant à lui , aussitôt conquis.

DA

NS

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ET

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S DE L’HISTOIRE

Comment une colline du rude pays de Haute-Saône, plantée entre Vesoul et Belfort, loin des cénacles artistiques parisiens, a-t-elle pu voir naître une des œuvres archi tecturales les plus étonnantes du XXe siècle ? Par quelle mystérieuse conjonction de facteurs Le Corbusier, architecte aussi controve rsé qu’adulé pour sa mode rnité , n’ayant jamais construit la moindre église , qui plus est agnostique de tradition protestante, s’est-il vu confier la conception de ce sanctuaire marial ? On pourrait croire au miracle . Il s’agit en fait d’un incroyable enchaînement de faits et de rencontres.Tout commence vraiment au lendemain de la Deu-xième Guerre mondiale , même si le renouveau de l’art catholique a démarré dès l’entre-deux-guerres. De nombreux lieux de culte sont à reconstruire ou même, tout simplement, à construire, urbanisation galopante oblige ! Quelques pionniers saisissent cette occasion pour tenter de vivifier l’art religieux catholique jugé « moribond ». À leur tête , le père dominicain Mariel-Alain Couturier qui, depuis 1937 , assure avec le père Régamey la direction de la revue L’Art Sacré . Très critique à l’égard de l’art catholique de son époque qu’il juge académique, médiocre , mièvre , il affirme qu’il faut parier sur le génie plutôt que sur l’académisme des Prix de Rome ; se fonder sur la tradition dans ce qu’e lle a de plus authentique e t vivant, pour re fuser le passé isme ; en finir avec tous les courants néo -médiévaux ou néo-primitifs ; et enfin faire appel à

Illus tration Emmanue lle Ancé

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L’élan réformateur qui touche après 1945 l’art catho-lique n’est pas sans susciter des polémiques. La cha-pelle Notre-Dame-de-Toute-Grâce, à Assy en Haute-Sa-voie (consacrée 4 août 1950) suscite, par exemple, une vio lente controverse , en raison de son modernisme, controverse exacerbée par des intégristes traditionna-listes. L’objet principal du blasphème est le Christ sculp-té par Germaine Richier qui est retiré huit mois plus tard, sur décision de Mgr Cesbron, l’évêque d’Annecy. Le père Régamey écrit, dépité : « Faute de compre ndre ce (nouve au) langage plastique , on n’y vo it qu’une dé formation sacrilè ge ». Cette quere lle entraîne des réactions autoritaires de l’Église , tant en France qu’à Rome. Ainsi lit-on dans les Directives de la Commission épiscopale des évêques de France du 28 avril 1952 , qui sonne le terme français de la querelle d’Assy : « On n’a pas le droit dans l’e xé cution de pré se nte r de s dé for-

mations qui risque raie nt de c ho que r le pe uple fidè le e t d’ apparaître aux pro fane s c o mme

indigne s de s pe rsonne s ou de s mystè re s re pré se nté s ou mê me injurie use s pour e ux ». Rome est encore plus sévère qui, dans l’Instruction du Saint Office , publié le 30 juin 1952 , affirme qu’il ne faut confier les créations artistiques dans l’Église « qu’à de s homme s qui soie nt capable s d’e xprime r une fo i e t une pié té sincè re s ». Tout cela brisera durablement l’é lan du renouveau de l’Art Sacré en France, affaibli aussi par la mort en 1954 du père Couturier, et la relégation du Père Régamey sur ordre de Rome qui profite de l’occasion pour fustiger le modernisme français, les jésuites et les dominicains toujours trop turbulents e t trop proches du monde contemporain. Conséquence : l’Église , suite à une pétition réalisée à Rome, refusera sa consécration à Ronchamp, à l’issue des travaux. Celle-ci n’aura lieu qu’en 2005 , avec l’ar-chevêque André Lacrampe. Le temps nécessaire afin d’apaiser les polémiques…et d’établir une certitude. La chapelle est bel et bien un chef-d’œ uvre architectural. J.E

Sèvres à Paris. Le Corbusier commença par re fuser la commande car il gardait un souvenir cuisant du véto de l’épiscopat français au pro jet de basilique souterraine qu’il avait conçu pour le site provençal de la Sainte-Baume. Loin de s’en o ffusquer les deux compères s’entêtèrent. Maurice Jardot, un Belfortain qui connaissait le maître , plaida en leur faveur. Les pères Couturier et Régamey, qui dirigeaient le Centre national d’art sacré, également. Contre toute attente, l’architecte ne se fit plus prier…Dè s sa pre miè re ve nue , la co lline de Bo urlé mo nt l’ impressionne . Il est saisi par la beauté d’un lieu o uve rt sur « le s quatre ho rizo ns » e t té mo in de l’ambivalence des hommes. Entre paix et guerres, spiritue l et animalité . Un jour abreuvé de prières, le lendemain embourbé dans le sang et la souffrance . Touché à l’âme, l’architecte du béton a aussitôt vou-lu sanctifier ces drames d’hier et d’aujourd’hui qui e nde uille nt l’humanité . Le Co rbusie r aimait aussi l’ idé e que le site so it pro che de son pays natal. Il aurait, dit-on, accepté ce pro jet de sanctuaire marial en pensant à sa mère. La « proue » du bâtiment n’est-e lle pas orientée vers La Chaux-de -Fonds, la ville où il est né en 18 87 ?Il y a eu surtout la force de conviction du père Ledeur qui n’hésite pas à se porter caution de sa liberté de création. L’engagement sera respecté . Il est vrai que l’architecte fera preuve d’inte lligence et d’ouverture d’esprit, consultant tout au long du pro jet ce lui qui est devenu son ami pour ê tre sûr de bien répondre aux beso ins liturgiques. Toute fo is, l’audace et la sensibilité artistique de Lu-c ien Ledeur et Franço is Mathey n’auraient pas pesé lourd face à une autorité ecc lésiastique complète -ment conservatrice mais ils ont la confiance de l’ar-chevêque de Besançon, Mgr Dubourg qui approuve la maquette proposée par Le Corbusier (19 5 0 ). Ce tte co nfiance ré c ipro que , ce tte e nte nte harmo -nieuse ont permis la naissance d’une œ uvre à la fo is singulière dans la longue carrière de Le Corbusier et originale dans l’histo ire du sacré . Un chef-d’œ uvre de l’architecture, tout simplement. Un sanctuaire où il n‘est pas beso in de cro ire pour toucher à la pléni-tude. Jérôme ESTRADA

Controverse

La colline est un lieu de pèlerinage marial multiséculaire dont les deux plus importants se tiennent le 15 août et le 8 septembre, jour de l’Assomption et de la naissance de la Vierge. © Photo Marc Paygnard (1 9 8 2 ) / Archives de L’ Es t Républicain

Quelques « murs disparates » : c’est ce que découv re un mill ier de personnes venues méditer en av r i l 1954 sur les « caractères

de l’Ar t Sacré moderne » lors de la pose de la pre-mière pier re dans laquelle est scellé un parchemin. « Ils fi nissent par y croire pet i t à pet i t à leurs archi-tectures d’avant-garde les bonnes gens du bassin minier », écr i t un journaliste. « La plupart semblent

d’ailleurs s’êt re fait une philosophie » : même si la chapelle « n’est pas de leur goût , elle aura au moins

l’avantage de rendre Ronchamp célèbre, d’en faire

par ler dans les journaux et d’y at t irer la foule. Pour-

t ant , comme on les comprendrait d’êt re effarouchés

par cet t e pet it e hosteller ie en forme de blockhaus d’un

côté, aux couleurs de stand de t ir forain

de l’aut re. Dénommé Abr i du pèler in, cet édifice,

voisin d’une maison du même st yle réservé

au gardien est achevé ». Heureusement , la chapelle suscitera une aut re émot ion !

ENTRE « BLOCKHAUS

ET STAND DE TIR

FORAIN »…

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89 Pèlerinage

au cœur du chantier

« CE QUI DÉSTABILISE, C’EST QUE LES SOLS NE SONT JAMAIS HORIZONTAUX, LES MURS JAMAIS DES SURFACES PLANES ! ».

Ph

oto

DR

JEAN-JACQUES VIROTProfesseur à l’Institut national des Sciences appliquées de Strasbourg, Jean-Jacques Virot explore depuis des années les secrets de la construction de la chapelle.

CONSTRUC-TION

Chantier ou pas, les pélerins et visiteurs arpentaient la colline,

au milieu des pierres et échafaudages !

© Photo Charles BUEB

Jeunesse et rapiditéSur cette colline de Bourlémont, sans eau, desservie par un chemin forestier, Le Corbusier a vite compris qu’il faudrait « faire le bé ton sur place e t profite r de s re ssource s à disposition ». A commencer par les « cailloux » des ruines, de piètre qualité… C’est pourquoi Notre-Dame du Haut est une « construction structure lle me nt sur pilotis », explique Jean-Jacques Virot. L’édifice est constitué d’une ossature béton de poutres et piliers, lesquels soutiennent la coiffe , constituée de deux membranes séparées par un vide de 2 ,26 m, construite en partie inférieure avec un coffrage en bois dont on voit toujours les empreintes. Le tout était soutenu pendant les travaux par des centaines de perches de sapin. « Le s ouvrie rs avaie nt amé nagé e n haute ur un che mine me nt e n planche s e t y circulaie nt ave c le s broue tte s pour ve rse r le cime nt ! ». La structure interne de cette toiture s’inspire de celle des ailes d’avion avec des membranes que viennent pincer les poteaux de soutien. Les murs emprisonnent ces poteaux, sans être porteurs et sans toucher la toiture, laissant la lumière se glisser dans l’interstice de quelques centimètres.

CANON À CIMENTCes murs sont constitués, à l’exception de celui du sud composé de métal déployé habillé avec un canon à ciment (gunite), d’une maçonnerie en pierres (les blocs de l’ancienne chapelle).S’ils n’avaient été recouverts de mortier et blanchis à la chaux, la chapelle « aurait l’appare nce de la Pyramide de la Paix », également édifiée tout à côté avec les anciennes pierres. Ces murs ont la particularité , grâce à leurs formes en courbe, d’assurer une bonne assise , un peu comme quand on roule une feuille de papier pour mieux la faire tenir debout. La chapelle est de dimension modeste mais impressionne. « Ce qui dé stabilise , c ’e st que le s sols ne sont jamais hori-zontaux, que le s murs ne sont jamais de s surface s plane s mais constamme nt gauche s. On a le se ntime nt d’une grande comple xité alors que c ‘e st “re lative me nt” simple ». Le chantier a été rapide (septembre 1953 - inauguration le 25 juin 1955 ). Pas facile avec les rigueurs de l’hiver 54 . Le Corbusier voulait une équipe soudée de 7 ou 8 personnes, « que de s maçons ». Ces rudes gaillards étaient un peu « brut de dé coffrage » dirait-on aujourd’hui. Avec des moyens un peu rudimentaires. Mais ils se sont diablement montrés à la hauteur.

« LES OUVRIERS N’Y COMPRENAIENT RIEN »Le Corbusier a eu la chance de trouver André Maisonnier pour réaliser les plans. Ce jeune membre de son équipe d’architec -ture s’est révélé être un grand dessinateur. Avec une « vraie patte dans la pré cision e t la juste sse », il a produit une masse de documents d’exception. Problème : « le s ouvrie rs n’y compre naie nt rie n ». L’entreprise trouve alors François Bona, jeune également, à la formation de compagnon charpentier. « Il s ’e st ré galé . Il a su dirige r e t accompagne r une é quipe d’homme s ague rris sur un chantie r difficile , fait ré alise r le s coffrage s »… Avec le duo Maisonnier-Bona, la naissance du chef-d’œ uvre est pilotée par des hommes de 30 et 22 ans ! Qui ont dû trouver des solutions techniques car Le Corbusier « n’avait pas tout ré solu ». « Le s fe nê tre s du mur sud sont ré alisé e s ave c de s boîte s de grillage qu’il a fallu fabrique r e t me ttre e n place dans le sque le tte du mur. Je suis admiratif de vant le travail de s ouvrie rs », confie Jean-Jacques Virot qui continue ses investigations sur la construction, notamment grâce aux clichés récemment retrouvés du photographe Charles Bueb. On y découvre ainsi que les calottes des tours que l’on pouvait penser en béton coulé sont constituées d’arceaux et de métal étiré recouverts sans doute de gunite . Plus léger… Cette chapelle que le professeur qualifie « d’insu-laire » car « unique dans l’œ uvre de Le Corbusie r », cache sans doute encore quelques secrets…

Ghislain UTARD

AVENTURE HUMAINE ET TECHNIQUE.Avec sa toiture à la fo is massive et é lancée, suspendueavec légèreté au-dessus des murs, Notre-Dame du Haut reste pour les visiteurs d’aujourd’hui un choc de modernité . Si ce public avait embrassé du regard le chantier amorcé en 1953 , il aurait été tout aussi étonné… Pendant la construction, « le s pè le rinage s sur la colline , consacré s à la Vie rge Marie , ont continué comme si de rie n n’é tait ! On montait ave c le cabas,le poule t roulé dans le torchon. Il y avait la me sse e t le pique -nique , au milie u de s madrie rs e t de s cailloux, ave c de s famille s se prome nant au milie u du chantie r », sourit le Haut-Saônoisd’origine Jean-Jacques Virot, professeur à l’Institut des Sciences appliquées de Strasbourg.

« UNE FENÊTRE DE TIR TRÈS RÉDUITE »Dans cette région de paysans et d’ouvriers, on é tait déconcerté par l’émergence de cette drô le de chapelle .« Mais c ’é tait une é poque où le s usage rs s ’inte rdisaie nt de juge r. Mon propre grand-pè re , surpris, ne se pe rme ttait pas de critique r l’archite c ture . On sortait aussi de la gue rre e t be aucoup de famille s é taie nt broyé e s, ave c d’autre s pré occupations. Il y avait e nfin l’é lan de la re construction e t une commission diocé saine d’art sacré asse z audacie use ». Ces facteurs font dire à Jean-Jacques Virot que Notre -Dame du Haut a bénéfic ié d’une « fe nê tre de tir trè s trè s ré duite » ! L’œ uvre de Le Corbusier ne serait peut-ê tre pas née en d’autres c irconstances. Elle a é té une aventure façonnée par des hommes au fait de l’art contemporain parmi lesquels Maurice Jardot et Franço is Mathey.

CARAPACE DE CRABEL’abbé, également du pays,

« avait é té fasciné par le Pavillon de L’Esprit Nouve au »,

un prototype (bien différent de Ronchamp ) élaboré

par l’architecte pour l’Exposition des Arts Décoratifs de 1925 .

« Il a fait la prome sse à Le Corbusie r qu’il se rait

totale me nt libre ». La confiance s’est installée .

Le « choc ave c le site , isolé e t ouve rt à 360° »,

« l’é motion du lie u e t la gravité de s ruine s » ont fait le reste.

Le Corbusier se lance.

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Il avait 9 ans, il était « é me rve illé ». « La construc-tion a comme ncé ave c de s dé molitions ! Le jour du dynamitage du cloche r de l’ancie nne chape lle , mon pè re , institute ur, a monté toute la classe sur la colline . Imagine z la tê te du che f de chantie r ! Imagine z aussi toute une bande de gamins, à plat ve ntre dans une tranché e pe ndant l’e xplosion, ave c de s pe tits cailloux qui tombe nt »… Souvenir surréaliste et aujourd’hui impensable . Dont rit Jean-Marie Maire . Il avait à peine neuf ans. Mais cette expérience « l’a e nrichi », dit-il.Pas sûr que tout le monde aurait apprécié , un autre jour, le voir jouer là-haut, avec son copain, le fils du gardien, à se « lance r de s tibias ». Parce que les ouvriers du chantier avaient mis au jour des ossements… Autre temps, autres préoccupations. Ce qui est sûr, c ’est que la naissance de l’œ uvre de Le Corbusier, a marqué la vie de ce Haut-Saônois. « Mon pre mie r contact ave c la chape lle a é té la maque tte pré se nté e à une ke rme sse parois-siale . Alors que j’e nte ndais de s ge ns dire “c ’e st une mosqué e , ce n’e st pas une é glise , c ’e st moche e tc”, j’é tais asse z é me rve illé . C’é tait aussi nouve au que ma propre vie ! ». Les pèlerinages sur la colline n’étaient pas la « tasse de thé » de son père, sorte de « hussard noir » que les fonctions d’é lu orientaient plutôt vers l’e ffort de reconstruction des écoles, dans un bassin minier plutôt « rouge ». Mais Jean-Marie en était souvent avec sa mère et sa grand-mère.

TÉM OIGN-AGE

JEAN-MARIE MAIRE

« COMME SI ON

ALLAIT BÂTIR

UNE CATHÉ-

DRALE »

Alors ça l’intéressait. Cette aïeule était d’ailleurs sûre qu’e lle ne la verrait jamais cette nouvelle chapelle. « Pour e lle , c ’é tait comme si on allait bâtir une cathé drale ! ». Dans ses souvenirs d’enfant, le projet de chapelle était celui des é lites, de la bourgeoisie industrielle. « La grande masse de la population atte ndait de voir, é tait un pe u partagé e car c ’é tait l’é poque où la mine fe rmait e t ce rtains auraie nt pré fé ré qu’on y consacre l’arge nt. Mais au fond, je crois que le s ge ns ont é té plutôt conte nts de l’avoir ce tte chape lle ». D’emblée, le petit Jean-Marie a senti qu’il se passait là « que lque chose d’e xce ptionne l ». « Au dé but, on montait ave c mon copain sur le chantie r pour voir du maté rie l auque l on n’é tait pas habitué . Le che min n’é tait pas amé nagé . Le s maté riaux é taie nt apporté s ave c l’aide d’animaux ou de s e ntre prise s de BTP qui utilisaie nt de s vé hicule s militaire s amé ricains. La forê t de pe rche s dre ssé e pour construire la toiture é tait impre ssionnante ». Très vite , quand la chapelle esquisse ses formes, les deux gamins s’intéressent à l’architecture. « On voulait faire Be aux-Arts ou archite cture ! ». Et à l’école , tous les é lèves dessinaient soit la mine, soit l’édifice de Le Corbusier.La chapelle n’a plus jamais quitté Jean-Marie . « Quand je suis parti au collè ge e n inte rnat, à 11 ans, Notre -Dame du Haut, c ’é tait mon phare . Plus tard, e n tant qu’ado, j’ai compris que ce tte chape lle n’é tait pas se ule me nt la nôtre mais suscitait l’inté rê t au-de là de s frontiè re s », même si dans le bassin de Ronchamp certains « n’ont pas vraime nt conscie nce de sa vale ur ».Jean-Marie est finalement devenu professeur de sciences naturelles. Et même maire de Ronchamp de 1989 à 1995 . Et de se ré jouir : « Là-haut, nous avons dé sormais trois grands

archite cte s : Le Corbusie r, Prouvé , Piano ! ».

Ghislain UTARD

Le coffrage de la toiture comme on l’a rarement vu.

© Photo Charles Bueb

Les pélerinages n’ont pas cessé pendant les travaux. On voit ici les murs construits avec les pierres de l’ancienne église.

Les tours de la chapelle et le Modulor.

© Photo AONDH/ ADAGP

DES CHAMBRES POUR UNE NUITUn mois avant l ’inaugurat ion, en juin 1955, les organisateurs s’apprêtent à recevoir « des mill iers » de personnes et les préparat i fs s’accélèrent (avec un repas pour 400 personnes) . Des moyens fer rov iaires et rout iers spéciaux sont mis en place pour faire face à l ’affl uence. Des demandes de chambres ar r ivent chaque jour « de t ous les coins de France et même de l’ét ranger ». Les hôteliers sont mis à cont r ibut ion mais aussi, en raison de capacités l imitées, « les par t icu-

liers disposant de chambres vacantes pour une nuit ». Même les scouts sont de la par t ie : le soir de l ’inaugurat ion, i ls organiseront un grand feu de camp !

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S DE L’HISTOIRE

© Photo Charles Bueb

© Photo G.Utard/ L’Es t Républicain

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CONSTRUC- TION

LES ANNÉES BOLLE-REDDATNommé chapelain en 19 5 8 , l’abbé Bolle -Reddat est resté plus de quarante ans un étonnant « gardien du temple ».L’abbé Bolle -Reddat n’est pas arrivé par hasard sur la co lline Notre -Dame du Haut. Jeune prêtre à Vesoul, il avait suivi de très près l’aventure ron-champoise de Le Corbusier. Il l’a même rencontré à Paris, comme il l’é crit en septembre 19 5 0 dans son ate lier de la rue de Sèvres. Il a nature llement é té nommé chapelain au printemps 5 8 . Il n’y est pas non plus resté quarante -deux ans par le fait du hasard. Cet intellectuel puissant, parfois déroutant, toujours truculent, é tait d’abord un amoureux de la chapelle . C’é tait son ministère , son engagement total, le support de sa fo i. Chaque année pendant plus de trente ans, le « journal de Notre -Dame du Haut », entièrement écrit par l’abbé, prenait des allures de journal intime. Il s ’y raconte avec ce verbe inouï, ces fulgurances, ses exaltations, ses colères, son immense tendresse pour sa « Dame du Haut », dont on ne sait plus très bien s’ il s ’agit de la Chapelle ou de la Vierge .Le chapelain a tout donné à la chapelle qui le lui a bien rendu. Il lui a voué sa vie entière , a gardé bien des secrets qu’il n’a jamais voulu trahir. Une sorte d’amitié profonde, toute de fascination et de respect mutuel, l’a lié à Le Corbusier. Il lui arrivait d’imaginer leurs dialogues dans ses écrits. Il l’appe -lait « Corbu », l’architecte lui répondait « L’Abbé ». Le chapelain Bolle -Reddat, seul gardien du temple , très lourdement handicapé à la suite d’un acc ident de vo iture , est resté jusqu’au bout de sa vie à dé fendre la chapelle , chasser les importuns à coups de cannes tripodes – ce qui lui valut que lques débo ires. Il est mort le 14 mars 2 0 0 0 et repose

tout près de sa chapelle .

« GARDIEN DU TEMPLE »

L’HARMONIE DU BÉTON BRUT

Personnage truculent et déroutant, le chapelain Bolle-Redat racontait son amour pour Notre-Dame du Haut dans un journal.

LA PIERRE DE TAILLE ? « HORRIBLEMENT CHER »En 1954, le chantier de Ronchamp attire les curieux. En juillet, c’est «  l’af l uence  ». Français et étrangers gravissent le raidillon menant à Notre-Dame. «  La cité est en passe de devenir centre touristique  » écrit-on. «  Encore faudrait-il un panneau pour guider les touristes  ». Le site est aussi un incontournable lors des événements of i ciels  : pour l’anniversaire de la Libération, les cérémonies se poursuivent par une visite à Notre-Dame du Haut. Explications en prime  : «  Pourquoi avoir choisi Le Corbusier  ? Parce que les architectes consultés trou-vaient la chapelle en ruines inrestaurable. Il en fallait une neuve  ». Mais n’importe quel projet en pierre de taille aurait coûté «  horrible-ment cher  ». Le premier architecte auquel on s’adressa élabora «  un beau projet, pas choquant pour deux sous, mais qui se chiffrait par un devis d’au moins cent millions ». Le béton semblait un «  matériau plus commode  »…

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Si Le Corbusier n’est pas à proprement

parler un théoricien du « brutalisme »,

il en est sûrement l’un des inspirateurs.

Le brutalisme est apparu dans les an-

nées 5 0 et laissait justement au béton

comme aux formes architecturales tout

leur aspect primitif, authentique , nature l

et intact. Pour la chapelle de Ronchamp,

Le Corbusier a souhaité laisser s ’expri-

mer la matière brute du béton ; le « brut

de dé coffrage » a du sens dans l’œ uvre

architecturale , jusqu’à sa capacité à

jouer avec la lumière . Les motifs du

bois imprimés dans le béton sont aussi

importants à lire comme un témoignage

de la construction et des matériaux

nobles utilisés pendant les travaux.

Dans tout son travail et peut-être parti-

culièrement à Ronchamp, Renzo Piano

a transformé cet héritage en hommage

au « maître » en apportant un soin très

particulier dans le cho ix des bétons,

dans la minutie et la maîtrise du « ban-

chage », du coulage du béton dans son

co ffrage , et de l’e ffet de lumière obtenu

grâce aux te intes du matériau.

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© Photos J.J. Viro t/ AONDH

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ANA-LYSE

Peut-on considérer la chapelle Notre-Dame du Haut comme un l euron mondial de l’art sacré, sachant d’ailleurs que Le Corbusier se disait athée  ?La chapelle de Ronchamp est une icône de l’art sacré du XXe sièc le . Son étrangeté lui a conféré , dès sa création, une aura particulière dans l’ ima-ginaire co llectif. Le Corbusier, athée , a su trouver en lui les ressources poétiques pour traiter ce pro jet avec subtilité . On connaît le précédent de l’église du Raincy. Auguste Perret n’é tait pas plus croyant que Le Corbusier. Il a pourtant créé en 19 2 3 la première architecture re ligieuse moderne . Le père Couturier, initiateur du renouveau de l’art sacré en France , a bien formulé le pro -blème. Se lon lui, il é tait pré férable , pour l’Église , de « s ’adre sse r à de s gé nie s sans la fo i, plutôt qu’à de s croyants sans tale nt ». Il admirait Rouault dont il avait découvert l’œ uvre en 19 3 9 . Après la guerre , il s ’adressa à Picasso pour décorer l’église du Plateau d’Assy. Ce lui-c i re fusa, par conviction antire ligieuse , mais l’orienta vers son ami Matisse qui intervint à Assy en 19 47 , suivi de Braque , Léger, Chagall, Lipchitz, Lurçat, Bazaine , Richier... C’est le père Couturier qui a convaincu Le Corbusier de s ’ investir ple inement dans ce mouvement novateur en faveur de l’art sacré…

Comment expliquer que le projet ait d’emblée suscité des controverses parmi le public  ? Il faut s ’ imaginer l’ irruption d’une te lle œ uvre dans le contexte de l’après-guerre . La chapelle de Ronchamp ne ressemble à rien d’autre . Le public n’avait pas les ré férences dont il dispose aujourd’hui. En outre , l’œ uvre de maturité de Le Corbusier, malgré son pouvoir de séduction, est probablement l’une des plus complexes de la période . Même les critiques les plus avisées s ’y sont trompés. Certains y ont vu un tournant radical dans le parcours de l’architecte , qui aurait abandonné ic i tout rationalisme au pro fit d’une approche romantique . Cette analyse repose sur une vision réductrice de l’apport antérieur de Le Corbusier et sous-estime la richesse de sa culture visue lle . On trouve les prémices de Ronchamp dans son œ uvre d’avant-guerre… Il y eut aussi des controverses au se in de l’ institution ecc lésiastique . On construisait alors des centaines d’églises en France . Le mouvement engagé

Professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Nancy, chercheur au Laboratoire d’histoire de l’architecture contemporaine, Joseph Abram décrypte le génie de Ronchamp.

« ELLE NE RESSEMBLE À RIEN D’AUTRE ! »

« L’une des œuvres les plus abouties de Le Corbusier ». Photo DR

par le père Couturier (qui annonçait Vatican II) eut ses détracteurs. Certains regrettèrent que l’on ne s ’en so it pas tenu aux réticences de l’architecte qui « n’ayant pas la fo i » se sentait incapable de bâtir un lieu de culte…

Qu’a apporté Le Corbusier à travers la Chapelle de Ronchamp  ? Pourquoi cette œuvre peut toucher autant de croyants que de non croyants, des néophytes que des spécialistes, ou encore des touristes de cultures radicalement différentes  ?

La chapelle de Ronchamp est l’une des œ uvres les plus abouties de Le Corbusier. Elle rivalise , par sa cohérence plastique et par la densité de ses significations, avec les créations artistiques les plus puissantes de la période, ce lles de Matisse , Giacometti, Léger ou Picasso… Elle trouve sa place dans une époustouflante série corbuséenne aux côtés des réalisations indiennes d’Ahmedabad et de Chandigarh, du couvent de la Tourette , des unités d’habitation de Marse ille , Nantes… L’architecte atte int ic i une sorte de plénitude poétique qui confine à l’univer-salité… Lorsqu’il découvre au printemps 19 5 0 le site de Ronchamp, il est subjugué par le paysage . Dès ses premières esquisses apparaissent les courbes qui feront l’originalité de la chapelle . L’espace intérieur est dépouillé , mais sculpté par la lumière qui y pénètre , modelée , co lorée par les blocs de verre ... Sous le plafond filtre un trait lumineux qui soulève la masse de la to iture ... En juin 19 5 5 , Le Corbusier a trouvé les mots justes. Il parle d’un « lie u de sile nce , de priè re , de paix, de jo ie inté -rie ure », et du « se ntime nt du sacré » qui, par-de là toute re ligiosité , a animé sa recherche . C’est ce la qui nous touche…

Quel regard portez-vous sur la réalisation de Renzo Piano ? L’exercice qui consiste à rapprocher une nouvelle œuvre de celle d’un maître est-il forcément sujet à polé-mique ?Renzo Piano a valorisé l’environnement de la chapelle . Son travail est respectueux… L’architecture est un métier diffic ile , davantage encore aux abords d’un chef-d’œ uvre . Les po lémiques sont alors inévitables.

Ghislain UTARD

Notre-Dame du Haut :une rupture avec les lignes droites

© Photo AONDH/ ADAGP

Interview

JOSEPH ABRAM

Le chantier mené à Notre-Damedu Haut s’accompagne d’une certaine amertume. Pour cause  : tandis que s’investissent des fonds dans l’édii ce de Le Corbusier, le bassin houiller de Ronchamp, en déclin continu depuis plusieurs décennies, vit ses derniers soubresauts. L’appauvrissement du gisement,  son éloignement, la concur-rence, ses dif i cultés d’exploitation … auront déi nitivement raison en 1958 d’une longue tradition minière. Dès la pose de la première pierre de la chapelle en avril 1954, l’avenir de la mine est évoqué dans les discours. Mais les pieuses paroles resteront vaines. Aujourd’hui, c’est au pied-même de la colline de Bourlémont que subsiste le puits Sainte-Marie, ultime vestige d’une activité minière passée avec un bassin houiller qui a employé jusqu’à 1500 personnes.

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Au pied de la colline

de Bourlémont, le puits

Sainte-Marie, dernier vestige

d’une activité minière

qui était en crise lors de la

construction de la chapelle.

© Photo

Ghislain UTARD

L’Est Républicain.

À LA MINE