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24 heures | Samedi-dimanche 28-29 janvier 2017 26 Escapades Contrôle qualité VC6 24 heures | Samedi-dimanche 28-29 janvier 2017 27 Escapades Contrôle qualité VC6 lavilla Malitchenko, sur un flanc de colline à Frotey-lès-Vesoul, ne se visite pas non plus. A Chemilly, Maisonnier a construit une résidence secondaire sur un pilot de béton dans les bras de la Saône. Dans une zone inondable. Dont les plans proviennent de l’atelier même de Le Corbusier. Et là, cerise sur le gâteau, on peut dormir dans ce gîte classé quatre épis, à partir de 120 euros la nuit (www.saonevalley.com). Ne pas oublier ses bottes. Pour ceux qui aimeraient être encore plus près de Notre-Dame-du- Haut, sachez qu’il est possible de passer quelques jours de retraite au sein de la communauté des sœurs du monastère des clarisses dans une des «cellules» dessinées par Renzo Piano (www.clarisses-a-ronchamp.fr). Caz de reprises. L’architecte qui a assuré le suivi de tous les travaux d’exécution, c’est lui.» Comme beaucoup d’autres collaborateurs qui réclamaient leur part de notoriété ou de reconnaissance, Le Corbusier a fini par le remercier. Pour la petite histoire, André Maisonnier est mort trois jours avant l’inscription du site au Patrimoine mondial par l’Unesco. A deux pas de Ronchamp, on trouve quelques bâtiments dessinés par André Maisonnier et qui bénéficient du label «Patrimoine du XXe siècle». Dont celui que lui commande Henri Kielwasser, patron de l’Hôtel du Nord à Vesoul, où dormaient les cadres du chantier de Notre-Dame-du-Haut. Une villa qui lui a servi de travail de fin de diplôme et que l’on peut voir, de l’extérieur, rue du Docteur-Championnet. L’intérieur de U Derrière l’immense architecte et son besoin d’aura se cachent souvent des hommes dont la discrétion égale l’efficacité. Le projet de Notre-Dame-du- Haut ne fait pas exception. Le chef de chantier, par exemple, est un compagnon charpentier savoyard de 22 ans, François Bona, qui devra faire travailler son équipe sans grue, sans électricité et sans eau courante. Dans l’ombre aussi, André Maisonnier. Ce natif de Dijon faisait partie du bureau de Le Corbusier. Collaborant à la Cité radieuse de Marseille, notamment pour son mobilier et l’adaptation du concept du Modulor pour la gent féminine. «C’était un dessinateur hors pair, désintéressé de sa personne, qui avait le sens de l’œuvre juste, raconte Jean- Jacques Virot. Sur le chantier, Le Corbusier n’est venu qu’à une poignée U «L’architecture ne doit pas s’arrêter à la construction de nouveaux bâtiments. 70% des mandats des futurs diplômés concerneront la restructuration et l’intervention sur l’existant. Et, pour une large part, sur le bâti du XXe siècle. Avec des enjeux patrimoniaux, thermiques et économiques.» Franz Graf est professeur associé à l’EPFL et y dirige le Laboratoire des techniques et de la sauvegarde de l’architecture moderne (TSAM). Avec ses élèves, il propose des solutions «éthiques» pour les rénovations de ces objets. «Le meilleur projet est souvent proche de l’invisible, du non immédiatement perceptible, loin d’une gesticulation formelle exaspérée», écrit le spécialiste dans la revue Tracés de septembre, qui leur consacre un dossier. Ainsi, le TSAM a donc participé à la rénovation des cités Carl-Vogt ou du Lignon à Genève. Ou de l’Amphipôle de l’Université de Lausanne (UNIL). C’est dans cet esprit qu’ils ont proposé leurs services à Ronchamp, où une polémique est née suite à la construction par Renzo Piano d’un couvent et d’un accueil sur le site. Que d’aucuns jugent dénaturants. Avec, au pied des œuvres, un grand parking. «Il faut travailler à un parcours moins balisé, plus sauvage. Une alterna- tive qui renoue avec le chemin de croix historique qui monte depuis le village. Le parcours est essentiel dans l’esprit de Le Corbusier. L’architecture, pour lui, ne s’arrête pas à la construction du bâti- ment. La visite du site doit être initiati- que. Et puis il y a la question de comment faire mieux fonctionner une ville qui se meurt économiquement et industrielle- ment avec un bijou patrimonial sur sa colline. On a parfois l’impression que la ville passe à côté de ce potentiel touristi- que.» Quelque vingt-cinq étudiants du TSAM se sont donc rendus à Ronchamp. Deux séjours de quatre jours chacun. «Le Corbusier fait partie des mythes qui font envie. Les étudiants s’y investissent donc facilement. Sans préjugé et sans défé- rence. Et comme la chapelle est l’un des dix objets les plus intéressants de l’architecture du XXe siècle. En l’occur- rence, nous n’avons pas de mandat, mais nos conclusions servent souvent de base de réflexion.» Elles devraient bientôt être formalisées. Claude Ansermoz De retour de Ronchamp «Q uand on ar- rive ici, on est un peu désemparé. Parce que cela ne res- semble à rien de ce que l’on connaît déjà.» Pourtant, s’il y a un homme qui peut met- tre des mots sur la chapelle de Ronchamp (située dans le Doubs, à 19 kilomètres de Belfort), c’est bien Jean-Jacques Virot. L’ar- chitecte est le président de l’association qui gère le site. Le soleil de novembre joue avec la face d’un édifice qui semble posé en équilibre précaire sur un maigre pré en pente. «Les ombres portées et les ombres propres se succèdent. Elles glissent au fur et à mesure du temps qui passe sur ce crépi épais, qui accroche la lumière. Ce n’est jamais le même objet. Il est vivant. Il y a une absence de repères sur ses vraies dimensions.» Comment et pourquoi Le Corbusier a construit, entre 1950 et 1955, Notre-Dame- du-Haut, désormais inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco? Petit et grand retours en arrière. Cette colline est un lieu de culte depuis des siècles. Païen, romain, puis chrétien. Un lieu de pèlerinage à la Vierge qui attire familles ouvrières et paysannes, en septembre, juste après les travaux des champs. La cha- pelle, incendiée en 1913, est reconstruite dans un style néogothique assez anachro- nique. Avant d’être bombardée par les Al- liés lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans le sillage de quelques pionniers qui souhaitent vivifier l’art religieux, deux hommes – le chanoine Lucien Ledeur et l’inspecteur des Monuments historiques François Mathey – finissent par convaincre Charles-Edouard Jeanneret de recons- truire l’édifice. «C’est la première fois qu’on lui donne carte blanche, explique Franz Graf, professeur associé à l’EPFL. Il n’est pas croyant, mais c’est un peintre du matin et un architecte du soir. Il exalte le jeu des lumières pour en faire ce qui n’est finalement rien d’autre qu’une sculpture.» Les anciens de l’atelier disent que «le vieux a perdu la boule». Les détracteurs traitent à l’époque l’œuvre de «garage ecclésiasti- que», de «pantoufle», de «tas de béton». Avant que cette «grande dame en habit de soirée», cette «chose toute simple», cette «maison de pierre donnée à la mère de Dieu» ne soit sanctifiée de tous. «Le Corbu- sier était un agnostique de culture protes- tante, poursuit Jean-Jacques Virot. Pour qu’il puisse comprendre toute cette dévo- tion, le chanoine Ledeur lui rappelait la foi de sa maman, à laquelle il était très atta- ché.» Un «problème de robinet» Retour à la visite. A l’est toujours. Où l’architecte né dans la ville horlogère a posé cette coque que lui aurait inspirée une carapace de crabe, «un objet à réac- tion poétique» ramassé sur une plage de Long Island. En projetant des voiles min- ces de ciment sur du métal déployé. Cer- tains y voient un monocoque géant posé sur une mer de béton blanc. Jean-Jacques Virot décrit «un corps creux soutenu par des pilotis. Eux-mêmes emprisonnés dans des murs ondulés qui les envelop- pent, les emprisonnent et les stabilisent. Murs que l’on a comblé avec les débris des anciennes églises. Qui ont aussi servi à construire, derrière, la pyramide de la paix en mémoire des morts sur le champ de bataille.» C’est de ce côté aussi que l’architecte a résolu le fameux «problème de robinet», «une jauge qui doit varier de l’intime au festif», qui permettra à ce même lieu de culte d’accueillir 200 fidè- les ou 3000 pèlerins. Pour ces derniers, le dispositif liturgique – autels, bancs, croix – est donc installé à l’extérieur. «Géologi- quement, la colline de Bourlémont est un monticule détaché du massif des Vosges. L’horizon, c’est le Jura et La Chaux-de- Fonds.» C’est d’ici aussi que l’on sur- plombe la maison du chapelain et l’abri du pèlerin, qui accueillait les ouvriers du chantier. Deux constructions de type «murondin», où l’on retrouve les lignes pures et les angles droits si typiques de Le Corbusier. Il est temps d’entrer dans Notre-Dame- du-Haut. A l’intérieur, tout passe aussi par la lumière. Le visiteur est d’abord enve- loppé par le froid et cette pénombre un peu glauque. L’œil doit s’habituer pour découvrir les astuces. Comme cette lu- mière qui, depuis la tour – cette cheminée balafrée de fentes verticales et de grilles horizontales –, plonge dans la chapelle sud. «Mais pas n’importe comment. Elle ruis- selle sur le mur. Elle est flottante et non pas zénithale. Comme suspendue. C’est ici que les architectes viennent immédiatement, attirés comme des aimants.» Côté est, une constellation de trous autour de cette vierge à l’enfant du XVIIe siècle qui pivote sur son socle au gré des besoins liturgiques. «Vous vouliez des étoiles, vous en avez», s’était exclamé, ma- licieux, Le Corbusier, lorsque les ouvriers avaient retiré les boulins, ces pièces de bois qui supportent les échafaudages du mur. Enivrant aussi, sur la façade sud, le jeu des ébrasements et des vitraux. Tous différents en taille, en angle, en profondeur, formant ce «mur de lumière». «Ils éclairent le sens et l’espace, remplacent les mots et l’icono- graphie.» Tout cela évoque un peu l’art des moucharabiehs. Enfin, ce grand portail qu’il convien- drait de ne pas ouvrir avant la fin de la visite. Parce qu’une orgie d’extérieur-jour gâcherait le jeu intimiste intérieur. Deux faces peintes à l’émail dans un langage cosmique par Le Corbusier. Et qui réson- nent avec la vocation du lieu: «J’ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure.» Inscrite par l’Unesco au Patrimoine mondial, Notre-Dame-du-Haut est l’œuvre la plus libre de Le Corbusier. Une véritable ode à la lumière et au temps André Maisonnier, un héros si discret dans l’ombre de Le Corbu André Maisonnier, le maître d’œuvre, l’un des disciples de Le Corbusier, a construit cette résidence secondaire à Chemilly. CLAUDE ANSERMOZ Les conseils de l’EPFL pour retrouver l’esprit originel Ronchamp remet la chapelle au sommet du village «Le Corbusier était un agnostique de culture protestante. Pour qu’il puisse comprendre toute cette dévotion, le chanoine Ledeur lui rappelait la foi de sa maman, à laquelle il était très attaché» D’extérieur, les jeux d’ombre sur la chapelle de Ronchamp. D’avion, on voit bien le monastère et la porterie dessinée par Renzo Piano. A l’intérieur, la lumière «ruisselant» sur l’autel et «le mur de lumières». PATRICK MOSER/CLAUDE ANSERMOZ/G. ENGEL/G.VIEILLE, LA COLLINE NOTRE-DAME DU HAUT, 1955 , RONCHAMP©ADAGP, 2017, PARIS/FLC/2016 PRO LITTERIS ZURICH «Le Corbusier fait partie des mythes qui font envie. Les étudiants s’y investissent donc facilement»

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24 heures | Samedi-dimanche 28-29 janvier 201726

Escapades

Contrôle qualitéVC6

24 heures | Samedi-dimanche 28-29 janvier 2017 27

Escapades

Contrôle qualitéVC6

lavilla Malitchenko, sur un flanc de colline à Frotey-lès-Vesoul, ne se visite pas non plus.

A Chemilly, Maisonnier a construitune résidence secondaire sur un pilot de béton dans les bras de la Saône. Dans une zone inondable. Dont les plans proviennent de l’atelier même de Le Corbusier. Et là, cerise sur le gâteau, on peut dormir dans ce gîte classé quatre épis, à partir de 120 euros la nuit (www.saonevalley.com). Ne pas oublier ses bottes.

Pour ceux qui aimeraient être encore plus près de Notre-Dame-du-Haut, sachez qu’il est possible de passer quelques jours de retraite au sein de la communauté des sœurs du monastère des clarisses dans une des «cellules» dessinées par Renzo Piano (www.clarisses-a-ronchamp.fr). Caz

de reprises. L’architecte qui a assuré le suivi de tous les travaux d’exécution, c’est lui.» Comme beaucoup d’autres collaborateurs qui réclamaient leur part de notoriété ou de reconnaissance, Le Corbusier a fini par le remercier. Pour la petite histoire, André Maisonnier est mort trois jours avant l’inscription du site au Patrimoine mondial par l’Unesco.

A deux pas de Ronchamp, on trouvequelques bâtiments dessinés par André Maisonnier et qui bénéficient du label «Patrimoine du XXe siècle». Dont celui que lui commande Henri Kielwasser, patron de l’Hôtel du Nord à Vesoul, où dormaient les cadres du chantier de Notre-Dame-du-Haut. Une villa qui lui a servi de travail de fin de diplôme et que l’on peut voir, de l’extérieur, rue du Docteur-Championnet. L’intérieur de

U Derrière l’immense architecte et son besoin d’aura se cachent souvent des hommes dont la discrétion égale l’efficacité. Le projet de Notre-Dame-du-Haut ne fait pas exception. Le chef de chantier, par exemple, est un compagnon charpentier savoyard de 22 ans, François Bona, qui devra faire travailler son équipe sans grue, sans électricité et sans eau courante. Dans l’ombre aussi, André Maisonnier. Ce natif de Dijon faisait partie du bureau de Le Corbusier. Collaborant à la Cité radieuse de Marseille, notamment pour son mobilier et l’adaptation du concept du Modulor pour la gent féminine. «C’était un dessinateur hors pair, désintéressé de sa personne, qui avait le sens de l’œuvre juste, raconte Jean-Jacques Virot. Sur le chantier, Le Corbusier n’est venu qu’à une poignée

U «L’architecture ne doit pas s’arrêter à la construction de nouveaux bâtiments. 70% des mandats des futurs diplômés concerneront la restructuration et l’intervention sur l’existant. Et, pour une large part, sur le bâti du XXe siècle. Avec des enjeux patrimoniaux, thermiques et économiques.» Franz Graf est professeur associé à l’EPFL et y dirige le Laboratoire des techniques et de la sauvegarde de l’architecture moderne (TSAM). Avec ses élèves, il propose des solutions «éthiques» pour les rénovations de ces objets. «Le meilleur projet est souvent proche de l’invisible, du non immédiatement perceptible, loin d’une gesticulation formelle exaspérée», écrit le spécialiste dans la revue Tracés de septembre, qui leur consacre un dossier.

Ainsi, le TSAM a donc participé à la rénovation des cités Carl-Vogt ou du

Lignon à Genève. Ou de l’Amphipôle de l’Université de Lausanne (UNIL). C’est dans cet esprit qu’ils ont proposé leurs services à Ronchamp, où une polémique est née suite à la construction par Renzo Piano d’un couvent et d’un accueil sur le site. Que d’aucuns jugent dénaturants. Avec, au pied des œuvres, un grand parking. «Il faut travailler à un parcours moins balisé, plus sauvage. Une alterna-tive qui renoue avec le chemin de croix historique qui monte depuis le village. Le parcours est essentiel dans l’esprit de Le Corbusier. L’architecture, pour lui, ne

s’arrête pas à la construction du bâti-ment. La visite du site doit être initiati-que. Et puis il y a la question de comment faire mieux fonctionner une ville qui se meurt économiquement et industrielle-ment avec un bijou patrimonial sur sa colline. On a parfois l’impression que la ville passe à côté de ce potentiel touristi-que.» Quelque vingt-cinq étudiants du TSAM se sont donc rendus à Ronchamp. Deux séjours de quatre jours chacun. «Le Corbusier fait partie des mythes qui font envie. Les étudiants s’y investissent donc facilement. Sans préjugé et sans défé-rence. Et comme la chapelle est l’un des dix objets les plus intéressants de l’architecture du XXe siècle. En l’occur-rence, nous n’avons pas de mandat, mais nos conclusions servent souvent de base de réflexion.» Elles devraient bientôt être formalisées.

Claude AnsermozDe retour de Ronchamp

«Quand on ar-rive ici, onest un peudésemparé.Parce quecela ne res-

semble à rien de ce que l’on connaît déjà.»Pourtant, s’il y a un homme qui peut met-tre des mots sur la chapelle de Ronchamp(située dans le Doubs, à 19 kilomètres de Belfort), c’est bien Jean-Jacques Virot. L’ar-chitecte est le président de l’association qui gère le site. Le soleil de novembre joueavec la face d’un édifice qui semble posé en équilibre précaire sur un maigre pré enpente. «Les ombres portées et les ombrespropres se succèdent. Elles glissent au furet à mesure du temps qui passe sur ce crépi épais, qui accroche la lumière. Ce n’est jamais le même objet. Il est vivant. Ily a une absence de repères sur ses vraies dimensions.»

Comment et pourquoi Le Corbusier aconstruit, entre 1950 et 1955, Notre-Dame-du-Haut, désormais inscrite au Patrimoinemondial de l’humanité par l’Unesco? Petitet grand retours en arrière. Cette colline est un lieu de culte depuis des siècles. Païen, romain, puis chrétien. Un lieu de pèlerinage à la Vierge qui attire familles ouvrières et paysannes, en septembre, juste après les travaux des champs. La cha-pelle, incendiée en 1913, est reconstruite dans un style néogothique assez anachro-nique. Avant d’être bombardée par les Al-liés lors de la Seconde Guerre mondiale.

Dans le sillage de quelques pionniersqui souhaitent vivifier l’art religieux, deuxhommes – le chanoine Lucien Ledeur et l’inspecteur des Monuments historiques François Mathey – finissent par convaincreCharles-Edouard Jeanneret de recons-

truire l’édifice. «C’est la première fois qu’on lui donne carte blanche, explique Franz Graf, professeur associé à l’EPFL. Iln’est pas croyant, mais c’est un peintre dumatin et un architecte du soir. Il exalte le jeu des lumières pour en faire ce qui n’estfinalement rien d’autre qu’une sculpture.»Les anciens de l’atelier disent que «le vieuxa perdu la boule». Les détracteurs traitentà l’époque l’œuvre de «garage ecclésiasti-que», de «pantoufle», de «tas de béton». Avant que cette «grande dame en habit desoirée», cette «chose toute simple», cette «maison de pierre donnée à la mère deDieu» ne soit sanctifiée de tous. «Le Corbu-sier était un agnostique de culture protes-

tante, poursuit Jean-Jacques Virot. Pour qu’il puisse comprendre toute cette dévo-tion, le chanoine Ledeur lui rappelait la foide sa maman, à laquelle il était très atta-ché.»

Un «problème de robinet»Retour à la visite. A l’est toujours. Oùl’architecte né dans la ville horlogère aposé cette coque que lui aurait inspiréeune carapace de crabe, «un objet à réac-tion poétique» ramassé sur une plage deLong Island. En projetant des voiles min-ces de ciment sur du métal déployé. Cer-tains y voient un monocoque géant posésur une mer de béton blanc. Jean-Jacques

Virot décrit «un corps creux soutenu pardes pilotis. Eux-mêmes emprisonnés dans des murs ondulés qui les envelop-pent, les emprisonnent et les stabilisent.Murs que l’on a comblé avec les débris desanciennes églises. Qui ont aussi servi àconstruire, derrière, la pyramide de lapaix en mémoire des morts sur le champde bataille.» C’est de ce côté aussi quel’architecte a résolu le fameux «problèmede robinet», «une jauge qui doit varier del’intime au festif», qui permettra à cemême lieu de culte d’accueillir 200 fidè-les ou 3000 pèlerins. Pour ces derniers, ledispositif liturgique – autels, bancs, croix– est donc installé à l’extérieur. «Géologi-

quement, la colline de Bourlémont est unmonticule détaché du massif des Vosges.L’horizon, c’est le Jura et La Chaux-de-Fonds.» C’est d’ici aussi que l’on sur-plombe la maison du chapelain et l’abridu pèlerin, qui accueillait les ouvriers duchantier. Deux constructions de type«murondin», où l’on retrouve les lignespures et les angles droits si typiques de LeCorbusier.

Il est temps d’entrer dans Notre-Dame-du-Haut. A l’intérieur, tout passe aussi parla lumière. Le visiteur est d’abord enve-loppé par le froid et cette pénombre un peu glauque. L’œil doit s’habituer pour découvrir les astuces. Comme cette lu-

mière qui, depuis la tour – cette cheminéebalafrée de fentes verticales et de grilles horizontales –, plonge dans la chapelle sud.«Mais pas n’importe comment. Elle ruis-selle sur le mur. Elle est flottante et non paszénithale. Comme suspendue. C’est ici queles architectes viennent immédiatement, attirés comme des aimants.»

Côté est, une constellation de trousautour de cette vierge à l’enfant duXVIIe siècle qui pivote sur son socle au grédes besoins liturgiques. «Vous vouliez desétoiles, vous en avez», s’était exclamé, ma-licieux, Le Corbusier, lorsque les ouvriersavaient retiré les boulins, ces pièces de boisqui supportent les échafaudages du mur.

Enivrant aussi, sur la façade sud, le jeu desébrasements et des vitraux. Tous différentsen taille, en angle, en profondeur, formantce «mur de lumière». «Ils éclairent le senset l’espace, remplacent les mots et l’icono-graphie.» Tout cela évoque un peu l’art desmoucharabiehs.

Enfin, ce grand portail qu’il convien-drait de ne pas ouvrir avant la fin de la visite. Parce qu’une orgie d’extérieur-jourgâcherait le jeu intimiste intérieur. Deux faces peintes à l’émail dans un langage cosmique par Le Corbusier. Et qui réson-nent avec la vocation du lieu: «J’ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de paix,de joie intérieure.»

Inscrite par l’Unesco au Patrimoine mondial, Notre-Dame-du-Haut est l’œuvre la plus libre de Le Corbusier. Une véritable ode à la lumière et au temps

André Maisonnier, un héros si discret dans l’ombre de Le Corbu

André Maisonnier, le maître d’œuvre, l’un des disciples de Le Corbusier, a construit cette résidence secondaire à Chemilly. CLAUDE ANSERMOZ

Les conseils de l’EPFL pour retrouver l’esprit originel

Ronchamp remet la chapelle au sommet du village«Le Corbusier était un agnostique de culture protestante. Pour qu’il puisse comprendre toute cette dévotion, le chanoine Ledeur lui rappelait la foi de sa maman, à laquelle il était très attaché»

D’extérieur, les jeux d’ombre sur la chapelle de Ronchamp. D’avion, on voit bien le monastère et la porterie dessinée par Renzo Piano. A l’intérieur, la lumière «ruisselant» sur l’autel et «le mur de lumières». PATRICK MOSER/CLAUDE ANSERMOZ/G.

ENGEL/G.VIEILLE, LA COLLINE NOTRE-DAME DU HAUT, 1955 , RONCHAMP©ADAGP, 2017,

PARIS/FLC/2016 PRO LITTERIS ZURICH

«Le Corbusier fait partie desmythes qui font envie. Les étudiants s’y investissent donc facilement»