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Coopération militaire et policière en Françafrique De l’héritage colonial au partenariat public-privé Mars 2018 Avec les études de cas du Cameroun, du Togo et de RDC

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  • Coopération militaire et policièreen Françafrique

    De l’héritage colonial au partenariat public-privé

    Mars 2018Avec les études de cas du Cameroun, du Togo et de RDC

  • La coopération militaire et policière en Afrique : de l’héritage colonial au partenariat public-privé

    Rapport de l’association Survie, coordonné par Thomas BorrelMontreuil, mars 2018 (version mise à jour et complétée. Première version : novembre 2017). Couverture : forces de l’ordre au Togo, octobre 2017. Crédit photo Kodjo Kodjo

    Créée il y a plus de 30 ans, l’association Survie décrypte l’actualité franco-africaine et se mobilise contre la Françafrique,qu’elle a fait connaître. Elle compte plus de 1300 adhérent.e.s etune vingtaine de groupes locaux partout en France.

    http://survie.org Twitter/facebook : @Survie (+33)1.44.61.03.25 - [email protected] av. Pasteur, 93100 Montreuil, France.

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 2

    http://survie.org/

  • Sommaire

    Résumé.............................................................................................................5

    Introduction......................................................................................................7

    Une continuité historique depuis 1960..........................................................9

    Organiser des armées et des polices, structurer des dépendances........................9L’héritage des missions militaires de coopération..........................................................9Coopération policière et concurrence des réseaux......................................................10

    1998 : une réforme en trompe-l’œil.........................................................................11

    Rénovation des accords, maintien des pratiques...................................................14

    Les « continuum » pour continuer...........................................................................18De 2008 à 2017, une continuité dans la théorisation...................................................18Sécurité & développement : le renouveau du dogme de la « stabilité ».......................19

    La coopération policière et militaire aujourd’hui : un cadre officiellement transparent, une réalité opaque....................................................................23

    Coopérations structurelle et opérationnelle, les deux mamelles de la complicité. .23La France continue de « conseiller » les plus hautes autorités françafricaines............25Coopération opérationnelle : conserver l’amitié des « frères d’armes ».......................28

    Matériel de répression : derrière le podium des ventes, les vieilles habitudes......31Un régime complexe d’autorisation des fournitures de matériel...................................32Un contrôle parlementaire très parcellaire...................................................................33

    Effets d’aubaine pour les prestations privées............................................35

    Prestations et diversification des sources de financement.....................................35Baisse du budget de la DCSD.....................................................................................35Maintenir l’influence.....................................................................................................36De la réserve parlementaire aux financements d’entreprises.......................................37

    Sous l’institutionnel, le privé....................................................................................38CIVI.POL Conseil, petite sœur de la Sofremi...............................................................38Défense Conseil International, l’autre DCI...................................................................40Expertise France, nouvelle émanation du « savoir-faire » français..............................41Les sociétés privées en embuscade............................................................................43

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  • Exemples d’actualité : Togo, Cameroun, République Démocratique du Congo..............................................................................................................45

    Au Cameroun, une nouvelle répression sanglante sans conséquence sur la coopération militaire et policière française..............................................................45

    Présence sur des lieux de torture................................................................................45Explosion de la « crise anglophone »..........................................................................46Répression féroce........................................................................................................49L’absence de condamnation diplomatique française....................................................50Coopération maintenue et « partenaires » décorés.....................................................51Guerre larvée et langue de bois...................................................................................52

    Au Togo, l’inutile hypocrisie de la « gestion démocratique des foules » à la française..................................................................................................................53

    Une armée face à son peuple......................................................................................54Fourniture de matériels................................................................................................56Hélicoptères d’attaque.................................................................................................59

    En République Démocratique du Congo, opacité et rôle du privé..........................61La rue conteste Kabila.................................................................................................61Condamnations internationales...................................................................................62Double langage de la France.......................................................................................62Coopération opaque et privatisée................................................................................63Le secteur privé a bon dos...........................................................................................65

    Conclusion et revendications.......................................................................69

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  • Résumé

    Ce rapport, initialement préparé à l’occasion du voyage d’EmmanuelMacron au Burkina Faso (où il se rendait pour prononcer le 28 novembre2017 son discours de politique africaine), entend mettre en lumière unaspect institutionnel trop méconnu de la Françafrique : la coopérationmilitaire et policière française avec des régimes autocratiques.

    Le rapport souligne tout d’abord la continuité de cette coopération mili-taire et policière, en dépit de réformes et d’évolutions institutionnelles.Aujourd’hui, l’argument du double continuum, entre sécurité et défensed’une part et entre sécurité et développement d’autre part, vient justifierune pratique indéfendable : le maintien d’un appui, à forte portée symbo-lique, à des armées ou polices coupables de graves violations des droitshumains. Une approche « technique », qui voudrait former ces forces del’ordre à réprimer moins brutalement, ne peut pas apporter de solution àun problème politique : les régimes en question sont illégitimes et nedevraient pas être soutenus.

    Ce rapport insiste en outre sur le grave manque de transparence quientoure la coopération militaire et policière française : absence d'informa-tion exhaustive sur les conseillers mis à disposition pays par pays, et àquel poste ; et opacité complète sur les fournitures de matériels dits « desécurité », c’est-à-dire utilisés par les appareils répressifs de ces régimes.

    Ce rapport met également en lumière une tendance inquiétante : la mon-tée en puissance d'opérateurs parapublics ou privés pour mener les projetsde coopération militaire ou policière, en lien avec les autorités françaises ;mais également une diversification des sources de financement de laDirection de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui va defonds relevant de la réserve parlementaire à des financements privés d'en-treprises. C’est cette tendance que le titre du rapport entend dénoncer, enévoquant un "partenariat public-privé".

    Enfin, le rapport revient sur les cas récents de répression féroce au Came-roun, au Togo et en République Démocratique du Congo (RDC), pourmontrer que l'absence de condamnation française claire des violations desdroits humains par les forces de l'ordre est d’autant plus inacceptable que

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  • la présence de conseillers français sur place permet au ministère de l’Eu-rope et des Affaires Étrangères d'avoir toutes les informations en tempsréel. En ne suspendant pas immédiatement sa coopération militaire etpolicière, le gouvernement français refuse ainsi de se désolidariser d’unappareil répressif brutal. Au Cameroun, l’Ambassadeur de France, lui-même militaire, a même remis des décorations françaises à des représen-tants des forces de l’ordre camerounaises à l’occasion des commémora-tions du 11 novembre, soit juste après qu’elles aient tué entre 40 et100 personnes lors de la répression des manifestations dans les régionsanglophones. Au Togo, des matériels produits par des entreprises fran-çaises ont été utilisés lors de la répression récente. Le gouvernementd’Édouard Philippe pourrait même valider la vente au forces armées togo-laises d'hélicoptères d'attaque de l'armée française, qui avait été bloquéepar le gouvernement précédent en arguant qu'ils pourraient être utiliséscontre des civils. Et en RDC, le Quai d’Orsay a fini par justifier le main-tien de sa coopération policière et militaire en évoquant une « adapta-tion » de son dispositif et en se défendant d’avoir du personnel à despostes opérationnels ou impliqué directement dans la répression des mani-festations – des arguments fallacieux auquel ce rapport répond.

    Les revendications de l’association Survie, présentées en conclusion,portent notamment sur la transparence sur la coopération militaire et poli-cière et sur son arrêt immédiat avec des régimes dictatoriaux.

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  • Introduction

    Depuis les indépendances africaines,la France a mis en place et main-tenu, malgré différentes adaptations,une coopération militaire et poli-cière avec des régimes criminels, aunom d’un prétendu renforcement del’état de droit. Pourtant, mêmeaprès des décennies d’un tel « ren-forcement », certains des régimesbénéficiaires comptent parmi lesdictatures les plus brutales du conti-nent africain.

    La réforme de la coopération de1998 n’y a pas mis fin, pas que lesalutaire – mais bien éphémère –scandale provoqué par les proposde Michèle Alliot-Marie à l’Assem-blée nationale en janvier 2011 ausujet de la Tunisie1. Celle-ci n’avaitfait qu’évoquer une pratique cou-rante, depuis cinq décennies,consistant à proposer « le savoir-faire français » à l’appareil répressifd’une dictature amie de la France.Cela lui coûta son portefeuilleministériel, mais ne changea rien àla coopération militaire et policièrefrançaise, dont Nicolas Sarkozy etFrançois Hollande s’accommodèrent

    1 « Tunisie : les propos "effrayants" d'Alliot-Marie suscitent la polémique », Le Monde, 13 janvier 2011

    fort aussi bien que leurs prédéces-seurs. Les autorités françaises n’ontjusqu’à présent fait aucune distinc-tion entre un régime plus démocra-tique et une dictature militaire oupolicière, témoignant d’une volontéde maintenir un canal d’influenceprivilégié, qui prime largement surles « valeurs » dont se targuent lesgouvernements et parlements suc-cessifs. Même en 2015 et 2016,alors que les forces de l’ordre onttué des manifestants au Congo-Braz-zaville, au Tchad, à Djibouti et auGabon2, ces exactions et lesdemandes d’enquête indépendantequi ont suivi n’ont que trop peu étél’occasion d’évoquer la permanencede ce soutien français.

    Juste avant son élection, le candi-dat Emmanuel Macron déclarait être« très attaché à la stabilité desÉtats, même quand nous sommesface à des dirigeants qui nedéfendent pas nos valeurs oupeuvent être critiqués. »3 Plus2 « Élections en Françafrique : Congo, Djibouti,

    Tchad, Gabon - La coopération militaire française au service des dictatures », rapport de l’association Survie, 4 avril 2016

    3 « Présidentielle française : à quoi ressemblerait la politique africaine d’Emmanuel Macron ? », interview par Marwane Ben Yahmed, Jeune Afrique, 5 mai 2017

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    http://www.jeuneafrique.com/mag/433802/politique/presidentielle-francaise-a-quoi-ressemblerait-politique-africaine-demmanuel-macron/http://www.jeuneafrique.com/mag/433802/politique/presidentielle-francaise-a-quoi-ressemblerait-politique-africaine-demmanuel-macron/http://survie.org/IMG/pdf/Dossier_elections_Version_finale_web.pdfhttp://survie.org/IMG/pdf/Dossier_elections_Version_finale_web.pdfhttp://survie.org/IMG/pdf/Dossier_elections_Version_finale_web.pdfhttp://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/13/tunisie-les-propos-effrayants-d-alliot-marie-suscitent-la-polemique_1465278_3212.html#SaruaSVcQPWZOJWc.99http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/13/tunisie-les-propos-effrayants-d-alliot-marie-suscitent-la-polemique_1465278_3212.html#SaruaSVcQPWZOJWc.99

  • récemment, critiqué pour avoir reçuà l’Élysée le dictateur égyptien Al-Sissi, il défendait cette relation enrappelant « le contexte » du pays.Comme toujours, le mélange descauses et des symptômes permet dejustifier à bon compte un soutien àdes régimes criminels : depuisl’élection d’Emmanuel Macron, leCameroun anglophone et le Togo sesont à nouveau embrasés, battanten brèche l’argument de la « stabi-lité », comme hier en Tunisie ouau Burkina Faso – même si les des-potes togolais et camerounais sontencore en place. La répression san-glante qui a été opposée pour seuleréponse à ces mouvements popu-laires, par des régimes qui bénéfi-cient largement de la coopérationmilitaire et policière française, nesemble pas avoir ému le nouveaulocataire de l’Elysée, et encoremoins son ministre Jean-Yves LeDrian, passé des armées auxAffaires étrangères… dont dépen-dent aujourd’hui les conseillersfrançais en poste au sein d’authen-tiques dictatures.

    Ce rapport, après avoir rappelé lacontinuité historique dans laquelleelle s’inscrit, présente l’architectureinstitutionnelle de la coopérationpolicière et militaire, pour soulignerle manque de transparence et decontrôle parlementaire de ces pra-tiques. Il souligne en outre uneévolution vers une forme de « par-tenariat public-privé », une pléiaded’acteurs privés se ruant sur lesmarchés Sécurité-Défense qu’ouvrele réseau diplomatique français, etla recherche tous azimuts de nou-veaux financements ouvrant unevoie royale aux entreprises prêtes àpayer des prestations à des acteurspublics dont le budget a connuquelques coups de rabot successifs.Enfin, pour éclairer la dimensioncriminelle de ce type de coopéra-tion, le rapport revient sur larépression récente au Cameroun etau Togo et détaille ce qu’on sait –et ce qu’on n’arrive pas à savoir –de la coopération militaire et poli-cière avec ces régimes, puisquecelle-ci n’a pas été suspendue etn’a fait l’objet d’aucune déclarationpublique.

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  • Une continuité historique depuis 1960Organiser des armées et des polices, structurer des dépendances

    A l’indépendance de chacune4 deses colonies5, la France a tissé desliens étroits avec la nouvelle admi-nistration, la police et les forcesarmées – toutes issues des institu-tions coloniales. L’objectif officielle-ment vertueux de cette « coopéra-tion », auxquels ont pu adhérersincèrement certains des coopérants,était d’aider les nouvelles institu-tions à se construire ou à se renfor-cer : il s’est avéré être le paraventutile d’une politique permettant degarder la main sur les ressources etles orientations des nouveaux Etats.La structuration et la prise en maindes appareils répressifs des régimesinstaurés sous le contrôle effectif del’Elysée releva de la même logique.

    L’héritage des missions militairesde coopération

    Créée lors des indépendances pourles pays dits « du champ », c’est-à-dire l’ancien pré carré colonial, la

    4 A l’exception de la Guinée Conakry, où le « oui » à l’indépendance obtenu par referendum a entraîné le départ brutal des militaires et autres fonctionnaires français (dans un objectif « punitif » : la désorganisation de l’administration locale, en réponse à la volonté émancipatrice du peuple guinéen, alors stimulée par Sékou Touré).

    5 C’est également le cas au Cameroun francophone et au Togo, même si ces anciennes colonies allemandes étaient administrées par la France en vertu d’une tutelle de l’ONU.

    Mission militaire de coopération(MMC) était officiellement rattachéeau ministère de la Coopération maisavait dans la pratique un lien étroitavec la cellule Afrique de l’Elysée.Hors « champ », la coopérationmilitaire dépendait officiellement dela sous-direction de l’Assistancemilitaire du ministère des Affairesétrangères – qui était de fait large-ment marginalisée. Lors de laréforme de la coopération et de ladisparition du ministère éponyme,fin 1998, ces deux institutions ontété remplacées par une structureunique relevant de la Directiongénérale des Affaires politiques etde sécurité du ministère des Affairesétrangères, la Direction de laCoopération Militaire et de Défense(DCMD)6. Dix ans plus tard, celle-cia finalement été transformée enDirection de la Coopération deSécurité et de Défense (DCSD)7 pourcoordonner l’ensemble de la coopé-ration policière et militaire « struc-turelle », c’est-à-dire menant uneaction de long terme sur les institu-

    6 Décret n° 98-1124 du 10 décembre 1998 portant organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères

    7 Décret n° 2009-291 du 16 mars 2009 portant organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères et européennes

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    https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020398386&dateTexte=&categorieLien=idhttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020398386&dateTexte=&categorieLien=idhttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020398386&dateTexte=&categorieLien=idhttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000378585&dateTexte=&categorieLien=idhttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000378585&dateTexte=&categorieLien=idhttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000378585&dateTexte=&categorieLien=id

  • tions des pays concernés. Jusqu’àmars 2009, la coopération policièreet celle de la gendarmerie rele-vaient d’instances de pilotage dis-tinctes.

    Coopération policière et concurrence des réseaux

    Créé en 1960 par Jacques Foccartet Michel Debré8, le Service desécurité de la Communauté devinten 1961 le Service de coopérationtechnique internationale de police(SCTIP), rattaché au ministère del’Intérieur qui pilota la coopérationpolicière pendant 48 ans. Relevantquant à elle du ministère de laDéfense, la gendarmerie française apris à partir des années 1980 uneplace croissante en matière decoopération, et entretenu « desliens particulièrement étroits avecles forces de police à statut mili-taire homologue »9 comme les gen-darmeries d’Afrique francophone.En 1985 est créé le Bureau de lacoopération et des relations exté-rieures de la gendarmerie (BUCO-REG), dédié à la l’assistance tech-nique avec les pays disposant d’uneforce de type « gendarmerie »,sous la houlette du Directeur géné-ral de la gendarmerie nationalefrançaise (DGGN). Ce Bureau devinten 1992 la Division des relations8 F.X. Verschave, Noir Silence, Les Arènes, 20009 Y. Chevrel et O. Masseret, « La gendarmerie,

    acteur paradoxal de la "sécurité intérieure-extérieure" », Revue internationale et stratégique, vol. 59, no. 3, 2005 (pp. 57-70), p.61.

    internationales (DRI, qui intégra descompétences liées à la constructioneuropéenne), elle-même transforméeen 2003 en Sous-direction de lacoopération internationale (SDCI) dela DGGN, qui relevait du ministèrede la Défense. Cela n’a pas empê-ché la gendarmerie d’intégrer àpartir de 2002 le réseau des Atta-chés de Sécurité Intérieure desambassades française, à l’époquecoordonné par le SCTIP10. La tutelleministérielle distincte fut suppriméelors du rattachement de la gendar-merie au ministère de l’Intérieur,en 2009, au moment où l’ensembledes programmes de coopération« structurelle » en matière d’arméeet de police furent confiés à laDCSD.

    10 Y. Chevrel et O. Masseret, op. cit.

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  • Mais parallèlement au pilotage parla DCSD de la coopération « struc-turelle », des actions plus ponc-tuelles – de coopération dite « opé-rationnelle » – sont toujoursmenées par des unités militaires(forces conventionnelles ou forcesspéciales), relevant des états-majorsdes armées, ou par la police ou lagendarmerie, relevant de la Direc-tion de la coopération internationale

    (DCI) du ministère de l’Intérieur,également créée en 2009.

    En dépit des changements interve-nus dans l’architecture institution-nelle, cette coopération militaire etpolicière est donc marquée par uneprofonde continuité, même si laréforme de la coopération de 1998est censée avoir mis fin à des pra-tiques devenues emblématiques dela Françafrique.

    1998 : une réforme en trompe-l’œil

    La réforme de la coopération de1998 a profondément modifié l’ar-chitecture institutionnelle de lacoopération militaire, pas les mau-vaises habitudes. Officiellement, ellea été l’occasion de renoncer à lacoopération « de substitution », quiconsiste à placer des coopérantsfrançais en position de commande-ment direct au sein des états-majorsdes armées africaines, pour se limi-ter à une coopération dite « departenariat », limitée à du conseil…et donc à une forte influence sur laprise de décision. Cela n’ad’ailleurs pas empêché, lors de l’of-fensive rebelle sur N’Djamena enfévrier 2008, de revenir momenta-nément à une pratique de comman-dement direct par des officiers fran-

    çais de la contre-offensive par l’ar-mée tchadienne11.

    Il est certes indéniable que lenombre de coopérants militaires àconsidérablement baissé suite àcette réforme. Comme le notaitrécemment la chercheuse de l’IFRIAline Leboeuf, « alors qu’il y aquelques années, 300 coopérantsmilitaires travaillaient en Côted’Ivoire, ayant tous des fonctionsde substitution, ils ne sont plusqu’une dizaine de conseillers »12.En 2014, les députés Yves Fromionet Gwendal Rouillard faisaient unconstat similaire pour un autre payscentral dans le dispositif militairefrançais en Afrique : « la France

    11 Lire à ce sujet R. Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique, Agone, 2009 (notamment pp.316-317)

    12 A. Leboeuf/IFRI, « Coopérer avec les armées africaines », Focus stratégique, n° 76, octobre 2017, p.42

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    http://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/cooperer-armees-africaines#sthash.KD2hft4X.vznEncPV.dpbshttp://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/cooperer-armees-africaines#sthash.KD2hft4X.vznEncPV.dpbs

  • entretenait il y a une vingtained’années 200 coopérants militairesau Tchad, qui assuraient jusqu’àl’instruction élémentaire des recrues; aujourd’hui, cette présence a puêtre réduite à un effectif de 14coopérants, chargés de fonctionsd’expertise dans des domaines quel’armée nationale tchadienne aidentifiés comme recelant encoredes marges de progression. »13 Maispour l’amiral Marin Gillier, àl’époque à la tête de la DCSD etauditionné par ces mêmes députés,le changement allait bien plus loin :« la Françafrique, c’était de lacoopération de substitution, quiarrangeait tout le monde ; lalogique a totalement changé »14.Dans la pratique, cela reste à nuan-cer.

    Si la fonction formelle de comman-dement a disparu, la présence au

    13 Yves Fromion et Gwendal Rouillard, Rapport d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours, Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale, 9 juillet 2014, p.149

    14 Yves Fromion et Gwendal Rouillard, op.cit., p.147

    sein de l’armée du pays « bénéfi-ciaire », sous uniforme local, conti-nue néanmoins de brouiller lescartes, et la position officiellementtechnique de conseiller prend néces-sairement une dimension politiquedès lors qu’elle permet d’influencerles plus hautes autorités du pays,surtout lorsque le régime est defacto aux mains de militaires(Tchad, Congo, Togo,Mauritanie…). Le même Marin Gil-lier résumait d’ailleurs ainsi, fin2013, la coopération structurellemenée sous sa responsabilité : « LaDCSD travaille beaucoup sur leconseil aux hautes autorités, enmettant des coopérants auprès dechefs d’État, de ministres ou dechefs d’état-major d’armées et faitde la formation soit des élites soitde formateurs qui formeront ensuiteeux-mêmes le personnel de leurpays. »15

    15 Olivier Fourt, « Quelle coopération militaire française vers l’Afrique? », RFI, 1er décembre 2013

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  • Dans leur rapport d’information dejuillet 2014 sur l’évolution du dis-positif militaire français en Afrique,Yves Fromion et Gwendal Rouillardse sont même félicités que desconseillers militaires français soienttoujours mis à disposition des plushautes autorités politiques et mili-taires africaines, et que cela offraità la fois une opportunité d’in-fluence et une source d’informa-tions :

    « Ce dispositif (...) permet à laFrance : – d’apporter aux États concernés un appui d’autant plus efficace que les coopérantssont insérés directement dans les cabinets, états-majors et services où ils sont affectés, sous l’uniforme du pays hôte ;– de conserver ainsi des leviersd’influence à un coût très modéré ;

    – de bénéficier d’un accès privilégié à la connaissance despays concernés, tant pour ce qui concerne leurs dirigeants civils et militaires que pour cequi est des caractéristiques de ces théâtres, et de « capitaliser» ainsi une connaissance de l’Afrique »16

    Comme avant 1998 avec la Missionmilitaire de coopération ou leSCTIP, lorsque des médias ou desONG accusent l’armée ou la policed’une dictature d’avoir violé lesdroits de manifestants ou d’oppo-sants (comme très récemment auCameroun et au Togo), la DCSD estdéjà parfaitement informée de laréalité de la situation sur place –tout comme ses autorités politiquesde tutelle, qui ont donc la capacitéd’agir en connaissance de cause.

    16 Yves Fromion et Gwendal Rouillard, op.cit., p.148. Au passage, l’évocation de « cabinets » renvoie bien à des autorités politiques civiles.

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    L’amiral Marin Gillier, patron de la DCSD, reçu par le dictateur burkinabè Blaise Compaoré le 15 janvier 2014 – soit quelques mois avant le renversement de ce dernier par la rue.

  • Rénovation des accords, maintien des pratiques

    En France, le débat public sur lacoopération militaire a souvent étéréduit aux seuls accords de défenseou d’assistance militaire. La « réno-vation » d’une partie de cesaccords, à partir de 2009, a ainsiété l’occasion de dresser un écrande prétendue modernité sur despratiques pourtant toujours trèsopaques.

    Aujourd’hui, de « nouveaux »accords fixent un cadre à la coopé-ration militaire française avec diffé-rents pays clés de l’aire d’influencede la France en Afrique :

    • les anciens « accords dedéfense » ont été révisés sousNicolas Sarkozy : nombred’entre eux comprenaient desclauses secrètes sur le maintiende l'ordre contre un approvi-sionnement préférentiel enmatières stratégiques, et justi-fiaient une possible opérationmilitaire française contre uneagression extérieure… voireune menace interne au paystelle qu’une rébellion ou unmouvement populaire. Ceuxsignés avec la Centrafrique, lesComores, la Côte d’Ivoire, Dji-bouti, le Gabon et le Togodataient de l’indépendance dechacun de ces pays, tandis queceux avec le Cameroun et le

    Sénégal n’avaient été signésqu’en 1974. Le Tchad, leCongo-B, le Niger et le Bénin(ex Dahomey) avaient signélors de leur indépendance desaccords similaires, mais quifurent dénoncés ensuite17. Lenom des nouveaux accordsévoque désormais un « parte-nariat de défense » (Cameroun,Centrafrique, Côte d’Ivoire,Comores, Gabon, Togo), un« partenariat en matière decoopération militaire » (Séné-gal) ou encore une « coopéra-tion en matière de défense »(Djibouti) et ne contiennentplus de clause d'assistance dedéfense (sauf Djibouti) ni declauses secrètes. Mais le cadrequ’ils fixent est relativementlarge, stipulant notammentqu’est ainsi autorisée « touteautre activité convenue d’uncommun accord entre les Par-ties en fonction de leurs inté-rêts communs. »

    17 Jean-François Guilhaudis, « Les accords de "défense" de deuxième génération, entre la Franceet divers pays africains (Inf.8/1-7) », PSEI, Numéro 4, Chronique sécurité et insécurité internationale en 2016.

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    http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132

  • • les accords liés à l’opérationBarkhane, déployée sur cinqpays du Sahel : le Mali, suite àl’opération Serval et avant ledéclenchement de Barkhane, aainsi signé en juillet 2014 un« traité de coopération enmatière de défense »18. Selondes sources parlementaires oude presse, le Tchad pourraitsigner prochainement19 unaccord similaire, ou mêmel’avoir signé avant le Mali, demême que le Niger20. Selon la

    18 Décret n° 2016-1565 du 21 novembre 2016 portant publication du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali, signé à Bamako le 16 juillet 2014

    19 Dans son rapport sur le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République du Mali, déposé le 3 février 2016 au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Claude Nougein indique que « la signature d'un nouvel accord de défense du même type est envisagée avec le Tchad ».

    20 Le journaliste spécialisé Défense Olivier Four écrivait en janvier 2014 que les accords avec le Tchad et le Niger avaient précédé celui du Mali : « Deux accords ont été signés discrètement en décembre entre la France et le Niger d’une part,

    même logique, la Mauritanie etle Burkina Faso, qui font partiede la zone géographique offi-ciellement couverte par Bar-khane, pourraient voiredevraient être concernés pardes accords similaires.

    • les accords d'assistance mili-taire technique, qui ne per-mettent pas officiellement uneopération des forces arméesfrançaises, mais qui fixent uncadre juridique pour la coopé-ration militaire : formation,audits, conseils, cessions gra-tuites de matériel militaire, etc.Ils ont été signés parfois encomplément des accords dedéfense, parfois à leur placequand ceux-ci furent renégociés(Tchad, Niger…). Selon lejuriste Jean-François Guilhau-dis,« la France avait desaccords de ce type avec uneliste beaucoup plus longue depays : Algérie, Bénin, Burundi,Libye, Madagascar, Mali,Maroc, Maurice, Mauritanie,Niger, Rwanda, Seychelles,Tchad, Tunisie, Zaïre. »21

    et entre la France et le Tchad d’autre part. Le prochain le sera le 20 janvier prochain au Mali. "Ces accords nous permettent d’intervenir de manière autonome, tout en informant les autoritésdes pays concernés », indique une source au ministère de la Défense, sans donner plus de détails. » (RFI, « Infographie : la France «réarticule» son dispositif militaire au Sahel », 8 janvier 2014)

    21 Jean-François Guilhaudis, « Les accords de "défense" de deuxième génération, entre la France

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 15

    http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132http://www.rfi.fr/afrique/20140108-france-reorganisation-forces-militaires-armee-zone-sahel-sahara/http://www.rfi.fr/afrique/20140108-france-reorganisation-forces-militaires-armee-zone-sahel-sahara/https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2016/11/21/MAEJ1632438D/johttps://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2016/11/21/MAEJ1632438D/johttps://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2016/11/21/MAEJ1632438D/jo

  • • les accords sur le statut desforces, ou SOFA (Status offorces Agreements), qui défi-nissent le statut des forces àl’étranger, et notamment lestatut hiérarchique, fiscal etjuridique des militaires déta-chés.

    Différents types d'accords peuventparfois être réunis dans le mêmetexte. Ils sont en outre complétéspar des « arrangements administra-tifs » plus souples et moins contrô-lés22.

    Suite au malaise (hélas pas un scan-dale) provoqué par l’interventionmilitaire française pour sauver unenouvelle fois Idriss Déby en février2008, le président Nicolas Sarkozyavait prétendu jouer la carte de latransparence en annonçant que lesaccords de défense allaient êtrerenégociés et publiés. Cela a effecti-vement été le cas, entre 2009 et2011, en focalisant notamment ledébat sur les bases militaires fran-çaises et leur évolution. Maiscomme le rappelle Jean-FrançoisGuilhaudis :

    « Le dispositif pré-positionnése compose aussi de pré-posi-tionnements "de fait", c'est-à-dire réalisés ad hoc sans le

    et divers pays africains (Inf.8/1-7) », op. cit.22 Voir le rapport d’information de Bernard

    Cazeneuve sur la réforme de la coopération militaire, commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale, novembre 2001 (notamment pp.111-113)

    support d’un accord formel etmaintenus ensuite dans ladurée. Le pays phare est cer-tainement à cet égard leTchad. S’il ne figure pas sur laliste de nos partenaires dedéfense en Afrique, il s’agitd’un pays où la France estintervenue presque constam-ment depuis l’indépendance,avec des opérations lourdes(…) La présence française enAfrique tient en partie à desaccords qui ne sont pas juridi-quement repérés. »

    Le travail parlementaire préalable àla loi autorisant la ratification deces 8 traités (Cameroun, Centra-frique, Comores, Côte d’Ivoire, Dji-bouti, Gabon, Sénégal, Togo) a étél’occasion de collecter et de publierdes informations pays par pays :nombre de coopérants militaires(mais pas la liste des autorités poli-tiques ou militaires auprès des-quelles ils étaient détachés), mon-tant annuel agrégé des coûts23…Depuis, aucune information exhaus-tive n’a été publiée.

    Quant aux accords d'assistance etde coopération militaire technique,

    23 Voir par exemple le rapport fait par le député Michel Terrot, le 5 avril 2011, au nom de la Commission des affaires étrangères sur les projetsde loi autorisant l’approbation des accords instituant un partenariat de défense entre la Franceet le Cameroun, entre la France et le Togo, et entrela France et la Centrafrique (http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r3310.asp)

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 16

    http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r3310.asphttp://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r3310.asphttp://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i3394.asp#P1225_252863http://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i3394.asp#P1225_252863http://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i3394.asp#P1225_252863http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1132

  • ils n’ont pas été rediscutés dans lecadre parlementaire.

    Surtout, quelque soit le type d’ac-cord, il s’agit d’un cadre général,régulièrement complété par desconventions entre la France et le

    pays « bénéficiaire », qui échap-pent à tout contrôle parlementaireet à tout débat public : on apprendparfois la signature de l’une d’elles,au détour d’un article de presse24

    ou d’une communication officielle25,mais sans disposer d’informationexhaustive.

    24 Voir par exemple « Coopération militaire : le Congo et la France signent deux nouvelles conventions », ADIAC-Congo, 24 janvier 2015, cf. infra.

    25 Voir par exemple « Signature de la convention de gendarmerie », dernière modification 16/07/2015, site internet de l’ambassade de France au Congo (consulté en novembre 2017), cf. infra.

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 17

    Extrait du site internet de l’ambassade de France à Brazzaville : signature d’une « convention de coopération bilatérale entre la France et le Congo relative à l’action de la gendarmerie nationale », le 24 juin 2015, par l’ambassadeur de France Jean-Pierre Vidon et le ministre à la présidence de la République chargé de la Défense Nationale, Charles Richard Mondjo. Quatre mois plus tard, le dictateur Denis Sassou Nguesso, en photo au mur, faisait modifier la Constitution, et la gendarmerie tirait à balles réelles sur la foule de manifestants qui s’y opposaient.

    https://cg.ambafrance.org/Signature-de-la-convention-de-gendarmeriehttps://cg.ambafrance.org/Signature-de-la-convention-de-gendarmeriehttp://www.adiac-congo.com/content/cooperation-militaire-le-congo-et-la-france-signent-deux-nouvelles-conventions-26727http://www.adiac-congo.com/content/cooperation-militaire-le-congo-et-la-france-signent-deux-nouvelles-conventions-26727http://www.adiac-congo.com/content/cooperation-militaire-le-congo-et-la-france-signent-deux-nouvelles-conventions-26727https://cg.ambafrance.org/Signature-de-la-convention-de-gendarmerie

  • Les « continuum » pour continuer

    De 2008 à 2017, une continuitédans la théorisation

    En 2008, le Livre blanc de laDéfense affirme que « la distinctionentre sécurité intérieure et sécuritéextérieure n’est plus pertinente ».Celui de 2013 enfonce le clou, enévoquant « la continuité qui existeentre sécurité intérieure et sécuritéextérieure ». Comprenez : il ne fautplus distinguer le rôle de« défense » d’une armée et celuide « sécurité intérieure » d’uneforce de police, car la menaceserait de plus en plus diffuse. Entretemps, l’armée française s’est large-ment déployée au Sahel, d’abord àl’occasion de l’opération Sabre, quidésigne l’installation de forces spé-ciales dans l’arc sahélien26, puis del’opération Serval au Mali – quisera bientôt suivie de Barkhane, surcinq pays. En quelques années, laclasse politique française s’est ran-gée derrière l’idée absurde d’une« guerre contre le terrorisme », al’instar de celle que l’administrationBush a voulu mener de par lemonde, avec les résultats qu’onconnaît. Largement dénoncée tantpar des associations et syndicatsque par des chercheurs27, la théori-

    26 Voir « Cinq guerres pour un empire : L’interventionnisme militaire français en Afrique », rapport de l’association Survie, janvier 2017

    27 Par exemple Yvan Guichaoua ou Denia Chebli

    sation de cette « guerre » structurede plus en plus l’architecture orga-nisationnelle et le fonctionnementdes armées, de la gendarmerie etde la police, tant en France quedans certains pays dans lesquelsl’influence de la coopération fran-çaise est la plus forte.

    La revue stratégique de défense etde sécurité nationale publiée enoctobre 2017 vient consacrer offi-ciellement la théorie de ce « conti-nuum sécurité-défense », revendi-qué depuis plusieurs années dans lemicrocosme militaire et diploma-tique. Les attentats menés ces der-nières années sont évoqués pourjustifier a posteriori la pertinencede cette grille de lecture, qui seraitnouvelle en cela qu’elle tiendraitcompte de la nature « non-conven-tionnelle » de la menace28 et de sacontinuité entre les théâtres d’opé-rations extérieures où intervientnotre armée et la société françaiseque notre police a pour missionofficielle de protéger. La Revuestratégique 2017 affirme ainsi que« ceux du 13 novembre, exécutéspar des commandos équipés et

    28 Cette « nouvelle » grille de lecture a évidemment une parenté évidente avec la « guerre contre-révolutionnaire » théorisée au sein de l’armée française après la débâcle de l’Indochine, et visantà traquer par tous les moyens un « ennemi intérieur » sur le territoire métropolitain et dans les colonies.

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 18

    https://survie.org/publications/brochures/article/cinq-guerres-pour-un-empire-5207https://survie.org/publications/brochures/article/cinq-guerres-pour-un-empire-5207https://survie.org/publications/brochures/article/cinq-guerres-pour-un-empire-5207

  • entraînés, marquent une rupturedans la nature même de cettemenace et justifient la continuitéentre les notions de sécurité et dedéfense. »

    En gommant progressivement toutefrontière entre les fonctions de« défense » (ou donc d’attaque àl’extérieur) d’une armée et celles de« sécurité intérieure » d’une forcede police, l’hystérie du continuumsécurité-défense amène à ne plusinterroger les différences entre cesdeux missions. Les théoriciensparlent de policiarisation des opéra-tions militaires et de militarisationdes opérations de police : si enFrance, on trouve encore desdétracteurs de l’opération Sentinellepour critiquer un mélange desgenres, dans bien des pays on parleindifféremment de « forces de sécu-rité » sans s’interroger sur l’origineou le sens de ce glissement séman-tique.

    Sécurité & développement : le renouveau du dogme de la « stabilité »

    Pendant des décennies, la politiqueétrangère française a été marquée,notamment en Afrique et auMoyen-Orient, par le dogme de la« stabilité » : tout était bon pourcontrer le « péril communiste »puis, après la fin de la Guerrefroide, pour faire barrage à la mon-

    tée du fondamentalisme islamique.C’est d’ailleurs ce que Nicolas Sar-kozy, alors président de la Répu-blique, avait reconnu dans deuxinterventions inspirées du renverse-ment de Moubarak en Egypte et deBen Ali en Tunisie.

    Dans une allocution télévisée, le 27février 201129, il reconnaissait :« Ces régimes, tous les États occi-dentaux et tous les gouvernementsfrançais qui se sont succédé depuisla fin des colonies ont entretenuavec eux des relations économiques,diplomatiques et politiques, malgréleur caractère autoritaire parcequ’ils apparaissaient aux yeux detous comme des remparts contrel’extrémisme religieux, le fonda-mentalisme et le terrorisme. » Le31 août 2011, dans son discours declôture de la XIXème Conférence desAmbassadeurs30, Nicolas Sarkozyaffirmait franchement : « Pendantdes années, notre diplomatie — etj’en prends ma part — a été orga-nisée autour du mot "stabilité". Etautour du mot "stabilité", la Francea eu des rapports avec des régimesqui n’étaient pas des exemples dedémocratie. Le réveil des peuplesarabes, leur aspiration à la libertépermet de s’appuyer sur cette aspi-

    29 Discours complet sur http://discours.vie-publique.fr/notices/117000524.html (consulté en novembre 2017)

    30 Discours complet sur https://lb.ambafrance.org/XIXeme-conference-des-ambassadeurs (consulté en novembre 2017)

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 19

    https://lb.ambafrance.org/XIXeme-conference-des-ambassadeurshttps://lb.ambafrance.org/XIXeme-conference-des-ambassadeurshttp://discours.vie-publique.fr/notices/117000524.htmlhttp://discours.vie-publique.fr/notices/117000524.html

  • ration pour couper définitivementavec cette stabilité qui nous mettaiten permanence en contradictionentre les valeurs que nous devionsdéfendre et la réalité que nousdevions assumer. Aujourd’hui, il ya une opportunité de faire concilierla réalité et les valeurs. » Les actesn’ont évidemment pas suivi, et ceprétexte de la lutte contre le terro-risme continue d’être brandie, àl’instar d’un Emmanuel Macron jus-tifiant le « contexte » égyptienpour ne pas évoquer les droitshumains lors de la réception dudictateur Al-Sissi, cinq mois aprèsson arrivée à l’Elysée31.

    Mais la théorie du continuum, ouplutôt des continuum, permet auxidéologues de la coopération mili-taire et policière française de recy-cler de façon encore plus perni-cieuse ce dogme de la stabilité, enventant la cohérence de la politiquefrançaise entre les continuum« sécurité-défense » et « sécurité-développement »32.

    S’est d’abord imposée, au début desannées 2000, l’idée d’un continuum

    31 « Macron "ne donne pas de leçons" sur les droits de l'homme au président égyptien Al-Sissi », France Info, 24 octobre 2017.

    32 Voir par exemple la page de présentation de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) sur le site internet du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/ (consulté en novembre 2017)

    « humanitaire-développement »33,au sein duquel les acteurs de l’hu-manitaire et du développementcherchent à se positionner et à secoordonner, notamment lorsqu’ilss’évertuent à alimenter le moinspossible les conflits armés par leurintervention au profit des popula-tions victimes. Mais en partant duprincipe – simplissime – que lasécurité des citoyens d’un pays estnécessaire pour que ce dernier sedéveloppe, et que le renforcementdes institutions auquel renvoie entreautres le concept flou de « dévelop-pement » améliorera à son tourcette sécurité, l’idée d’un autrecontinuum a à son tour émergé.Cela a des implications sur lesacteurs de terrain, comme le résu-mait en 2006 la chercheuse AlineLeboeuf : « Deux champs d’actionjusque-là strictement séparés, celuidu développement et de la sécuritésont de plus en plus amenés àinteragir/travailler ensemble sansque cette "coopération" voire "com-pétition" soit encore suffisammentroutinière/normée pour que larépartition des rôles aille de soi. »34

    Onze ans plus tard, on constate, àl’instar de l’agence de coopérationtechnique internationale Expertise

    33 Harmer, A. et J. Macrae (2004), “Beyond the continuum. The changing role of aid policy in protracted crises”, HPG Research Report, ODI, n°18.

    34 Aline Leboeuf, « Sécurité et développement : acteurs et consensus », Afrique contemporaine, vol. 218, no. 2, 2006, pp. 69-83.

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    https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/http://www.francetvinfo.fr/monde/egypte/video-macron-ne-donne-pas-de-lecons-sur-les-droits-de-l-homme-au-president-egyptien-al-sissi_2435165.htmlhttp://www.francetvinfo.fr/monde/egypte/video-macron-ne-donne-pas-de-lecons-sur-les-droits-de-l-homme-au-president-egyptien-al-sissi_2435165.htmlhttp://www.francetvinfo.fr/monde/egypte/video-macron-ne-donne-pas-de-lecons-sur-les-droits-de-l-homme-au-president-egyptien-al-sissi_2435165.html

  • France, « une évolution de la com-munauté internationale et desbailleurs de l’aide au développe-ment, de plus en plus ouverts àl’idée de financer les acteurs dusecteur de la sécurité, y compris lesforces armées des pays tiers quandla sécurité apparaît comme un élé-ment indispensable au développe-ment. »35

    Et au passage, soutenir les « forcesde sécurité » d’un pays africain,fut-il une féroce dictature, passedésormais pour une contribution audéveloppement de la part des auto-rités françaises (qui utilisent le

    35 « Continuum sécurité-développement, nouveau défi de la coopération internationale », Expertise France, présentation du « Rendez-vous de l'Expertise » du 11 octobre 2017, https://www.expertisefrance.fr/actualite?id=628078 (consulté en novembre 2017)

    même argument pour tenter decomptabiliser officiellement commeaide publique au développementune partie des coûts liés aux opéra-tions extérieures36). Ainsi, en « opé-rant au cœur des continuum"défense-sécurité" et "sécurité-déve-loppement" », comme l’expliquel’actuel patron de la DCSD37, lescoopérants policiers et militairesfrançais prétendent aider les dicta-tures à s’améliorer de l’intérieur,pour le plus grand bien de leurpopulation.

    36 Voir Raphaël Granvaud, « Aide militaire au développement », Billets d’Afrique n°247, juin 2015

    37 « entretien avec le général de corps d’armée Didier Brousse, à la tête de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) », Cols Bleus, 15 septembre 2017

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    http://www.colsbleus.fr/articles/9924http://www.colsbleus.fr/articles/9924http://www.colsbleus.fr/articles/9924http://survie.org/billets-d-afrique/2015/247-juin-2015/article/aide-militaire-au-developpement-4974http://survie.org/billets-d-afrique/2015/247-juin-2015/article/aide-militaire-au-developpement-4974https://www.expertisefrance.fr/actualite?id=628078https://www.expertisefrance.fr/actualite?id=628078

  • Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 22

  • La coopération policière et militaire aujourd’hui : un cadre officiellement transparent, une réalité opaqueCoopérations structurelle et opérationnelle, les deux mamelles de la complicité

    Dans le prolongement des recom-mandations du Livre blanc de laDéfense de 2008, l’architecture decoopération policière et militaire estarticulée selon deux approches :

    • la coopération « structurelle »,qui relève depuis 2009 de laDirection de la Coopération deSécurité et de Défense (DCSD),rattachée au ministère desAffaires étrangères mais pilotéeen lien étroit avec les ministèresde la Défense et de l’Intérieur.Elle a pour objectif, selon l’an-cien directeur de la DCSD MarinGillier, « de mettre en place, derenforcer et de pérenniser lescapacités régaliennes des payspartenaires, afin de les aider àfaire face aux menaces et à pré-venir les crises et, plus générale-ment, afin d’accroître leur stabi-lité »38. Officiellement, un nobleobjectif, donc... mais qui a

    38 Audition du DCSD par la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, 5 février 2014.

    comme un air de déjà-vu. Parexemple, pour ne remonter quevingt ans en arrière, le gouverne-ment Jospin avait défini en 1997,parmi les six axes stratégiques desa politique de développementsur trois ans, « le parachèvementde l'Etat de droit »39. Ce qui apu changer, ce sont les prioritésgéographiques, puisque pour laDCSD ce sont désormais : « pre-mière priorité : la bande sahélo-saharienne avec la Mauritanie,le Sénégal, le Mali, le BurkinaFaso, Niger et le Tchad ; 2e prio-rité : l'Afrique francophone bor-dant le golfe de Guinée ; 3e prio-rité : Djibouti, l'Afrique nonfrancophone, la RCA. »40 Sans

    39 « Rapport Général n° 85 Tome III Annexe 2 - projet de loi de finances pour 1998 - affaires étrangères et coopération : coopération ». Rapportde M. Michel Charasse, sénateur, pour la Commission des finances du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

    40 Christian Cambon et Leila Aïchi,« Budget 2017 - Action extérieure de l'État : action de la France enEurope et dans le monde ( avis - première lecture ) », Avis n° 142 (2016-2017) fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la

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    http://www.senat.fr/rap/a16-142-1/a16-142-1.htmlhttp://www.senat.fr/rap/a16-142-1/a16-142-1.htmlhttp://www.senat.fr/rap/a16-142-1/a16-142-1.htmlhttps://www.senat.fr/rap/l97-085-3-a2/l97-085-3-a2_toc.htmlhttps://www.senat.fr/rap/l97-085-3-a2/l97-085-3-a2_toc.htmlhttps://www.senat.fr/rap/l97-085-3-a2/l97-085-3-a2_toc.html

  • surprise, la priorité sectorielle estla « lutte contre le terrorisme ».Viennent ensuite la sécurité mari-time (lutte contre la piraterie) et« l'architecture africaine de paixet de sécurité » avec notammentle G5 Sahel.

    • la coopération « opération-nelle », qui inclut la participa-tion à des opérations conjointeset les formations spécifiquementdédiées à la préparation desengagements en opérations. Ellerelève de l’état-major des arméespour le volet « défense » et dela Direction de la coopérationinternationale (DCI), du ministèrede l’Intérieur pour ce quiconcerne la police et la gendar-merie (rattachée à ce ministèredepuis 2009).

    Sur le terrain, comme l’expliquait lepatron de la DCSD en 2014, maiscela est valable pour la coopérationopérationnelle également, « [les]échanges avec les coopérants tran-sitent, selon le projet, soit par l’at-taché de défense, soit par l’attachéde sécurité intérieure, et lesgrandes décisions sont prises enaccord avec les chefs de poste quesont les ambassadeurs. »41

    défense et des forces armées, déposé le 24 novembre 2016, p.33

    41 Audition du DCSD par la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, 5 février 2014.

    Les Attachés de défense des ambas-sades dirigent l’une des 88 missionsde défense existant dans le réseaudiplomatique français (dont unetrentaine en Afrique), et couvrant166 pays. Cette mission vise, selonle ministère des Armées, « à lapréservation, au développement età la promotion des intérêts françaisdu domaine de la défense, tantauprès des autorités locales que desreprésentations des pays tiers ouorganisations agissant locale-ment »42. Elle coordonne notam-ment la coopération militaire et lesrelations en matière d’armement.

    Moins connus bien que déployés« dans 93 ambassades et couvrant157 pays »43, les 280 policiers etgendarmes du réseau des Attachésde Sécurité Intérieure (ASI) desambassades, sont selon l’expressionde l’ancien ministre Bernard Caze-neuve « le visage du Ministère del’intérieur à l’étranger »44. Ils sontsurtout les courroies de transmissionde la DCI et de la DCSD, en sus de

    42 « Le réseau diplomatique de défense », http://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/le-reseau-diplomatique-de-defense/le-reseau-diplomatique-de-defense (consulté en novembre 2017)

    43 « Attachés de Sécurité Intérieure : un réseau unique de coopération policière internationale », communiqué du ministère de l’Intérieur, 6 septembre 2016 (consulté en novembre 2017)

    44 Intervention de Bernard Cazeneuve au 26ème colloque des Attachés de Sécurité Intérieure, https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministre-de-l-interieur/Archives-Bernard-Cazeneuve-avril-2014-decembre-2016/Interventions-du-ministre/26eme-colloque-des-Attaches-de-Securite-interieure

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 24

    https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministre-de-l-interieur/Archives-Bernard-Cazeneuve-avril-2014-decembre-2016/Interventions-du-ministre/26eme-colloque-des-Attaches-de-Securite-interieurehttps://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministre-de-l-interieur/Archives-Bernard-Cazeneuve-avril-2014-decembre-2016/Interventions-du-ministre/26eme-colloque-des-Attaches-de-Securite-interieurehttps://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministre-de-l-interieur/Archives-Bernard-Cazeneuve-avril-2014-decembre-2016/Interventions-du-ministre/26eme-colloque-des-Attaches-de-Securite-interieurehttp://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/le-reseau-diplomatique-de-defense/le-reseau-diplomatique-de-defensehttp://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/le-reseau-diplomatique-de-defense/le-reseau-diplomatique-de-defensehttp://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/le-reseau-diplomatique-de-defense/le-reseau-diplomatique-de-defense

  • remplir des fonctions de renseigne-ment. La DCSD ne se limitant pasau volet militaire, l’une de ses mis-sions est en effet dédiée à la« coopération de sécurité inté-rieure », qui vise officiellement le« rétablissement de l’Etat de droit :Cette démarche vise à améliorer lescapacités effectives des forces desécurité des pays partenaires parune coopération structurelle (forma-tion en France comme l’étranger,conseil en organisation et en ges-tion) et logistique (aide en matérielsspécifiques et entretien). L’objectifest de favoriser la progression del’Etat de droit. »45 C’est parexemple ainsi que la France forme,y compris sur des crédits d’aide audéveloppement relevant du Fondsde Solidarité Prioritaire (FSP), lesservices de police et de gendarmeriedu Tchad46… une dictature où laFrance prétend aider à la progres-sion de l’État de droit depuis l’in-dépendance, tout en soutenant lesdespotes successifs.

    Sur le plan militaire, la formationrelevant de la coopération structu-relle passe de plus en plus par lesEcoles Nationales à Vocation Régio-

    45 Page « Missions et partenaires » de la DCSD sur le site internet France Diplomatie (consultée en novembre 2017)

    46 Survie, « Élections en Françafrique : Congo, Djibouti, Tchad, Gabon - La coopération militaire française au service des dictatures », op.cit. La DCSD communiquait sur l’une de ces formations le 6 novembre 2017 sur Twitter : https://twitter.com/CoopSecuDefense/status/927568845736378369

    nale (ENVR), et de moins en moinspar l’accueil de stagiaires africainsdans les centres de formation mili-taire en France. Selon les députésY. Fromion et G. Rouillart, « cetteformule permet à la France deconserver un levier d’influenceappréciable et à moindre coût, àl’heure où elle n’a plus les moyensde former en masse les officiersafricains dans ses propresécoles. »47

    La France continue de « conseiller » les plus hautes autorités françafricaines

    Comme le rappelle la chercheuseAline Leboeuf dans une noterécente de l’IFRI, la coopérationmilitaire passe toujours par la miseà disposition de coopérants et deconseillers techniques ou opération-nels :

    « La différence entre ces troiscatégories est parfois difficile àétablir sauf dans le cas fran-çais, puisque les conseillerstechniques et opérationnelssont déployés par l’État-majordes armées, directement ou viales Forces françaises en Afrique(Gabon, Djibouti, Côte d’Ivoireet Sénégal) pour des forma-tions courtes axées sur dessavoir-faire opérationnels(conseillers techniques) ou dans

    47 Y. Fromion et G. Rouillard, op.cit., p.152

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 25

    https://twitter.com/CoopSecuDefense/status/927568845736378369https://twitter.com/CoopSecuDefense/status/927568845736378369http://survie.org/IMG/pdf/Dossier_elections_Version_finale_web.pdfhttp://survie.org/IMG/pdf/Dossier_elections_Version_finale_web.pdfhttp://survie.org/IMG/pdf/Dossier_elections_Version_finale_web.pdfhttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaireshttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaireshttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaires

  • le cadre de détachementsd’instruction opérationnelle(DIO) aux côtés des armées,sur le terrain (conseillers opé-rationnels). A contrario, lescoopérants sont déployés par ladirection de la coopération desécurité et de défense (DCSD)et peuvent notamment servirde conseiller auprès d’unministre de la Défense, d’unchef d’état-major ou d’uneécole de formation. »48

    Début 2014, policiers et militairesconfondus, la DCSD avait selon sonpatron « envoyé, dans vingt-troispays africains, soixante conseillersauprès des plus hautes autoritéspolitiques et militaires »49. Unretour en arrière, par rapport à laréforme de 1998, lors de laquelletous les postes de coopérationauprès des autorités politiques(chefs d’État, Premiers ministres)avaient en principe été supprimés,pour ne conserver que desconseillers auprès des hautes autori-tés militaires (à l’exception despostes au sein des gardes préto-riennes, eux aussi supprimés). Lesite internet du MEAE français

    48 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.2649 Audition de l’amiral Marin Gillier par la

    Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, 5 février 2014. Deux mois plus tôt, il avait également évoqué dans la presse le conseil aux autorité « le conseil aux hautes autorités, en mettant des coopérants auprès de chefs d’Etat, de ministres » (voir « Les nouveaux habits de la vieille coopération militaire », Billets d’Afrique n°231, janvier 2014)

    explique d’ailleurs toujours que« l’audit et le conseil forment unélément de plus en plus représenta-tif de l’action de la DCSD dans lemonde. Il se concrétise par l’affec-tation ponctuelle ou prolongée decoopérants militaires, gendarmes oupoliciers auprès de hautes autorités(primature, ministère de la Défense,état-major, ministère de l’Inté-rieur...). »50

    Que leur action relève d’une coopé-ration ponctuelle ou d’un travail delong terme s’inscrivant dans la« réforme du secteur de la sécu-rité » (RSS)51, les coopérants poli-ciers et militaires français sont defait toujours présents au côté desautorités hiérarchiques les plus éle-vées, donc les plus responsables dela répression sanglante que ces der-nières ordonnent ou laissent com-mettre. Ces coopérants ont doncnon seulement un accès à uneinformation de premier ordre surles exactions commises par lesappareils répressifs au sein desquelsils sont placés, mais leur propreresponsabilité juridique mériterait,

    50 Page de présentation des « Missions et partenaires » de la DCSD du site internet du MEAE (consulté en novembre 2017)

    51 Initiées à la fin des années 1990, au moment où la coopération de substitution a été officiellement supprimée, les réformes du secteur de la sécurité cherchent à s’inscrire dans une logique globale : « elles ne concernent pas seulement l’armée, maisaussi la police, la gendarmerie, la justice, les douanes, etc. (…) Elles ne visent pas seulement à renforcer l’efficacité, mais aussi la gouvernance du secteur de sécurité » (A. Leboeuf/IFRI, op. cit., p.47)

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 26

    https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaireshttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaireshttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaireshttps://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/defense-et-securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la-direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de-defense/article/missions-et-partenaireshttp://survie.org/billets-d-afrique/2014/231-janvier-2014/article/les-nouveaux-habits-de-la-vieille-4601http://survie.org/billets-d-afrique/2014/231-janvier-2014/article/les-nouveaux-habits-de-la-vieille-4601http://survie.org/billets-d-afrique/2014/231-janvier-2014/article/les-nouveaux-habits-de-la-vieille-4601

  • au titre de la complicité, d’être étu-diée.

    Ainsi, lors du mouvement populairevisant à s’opposer au pseudo-refe-rendum de modification constitu-tionnelle au Congo Brazzaville, enoctobre 2015, l’armée est interve-nue et la police et la gendarmerieont tiré à balles réelles, faisant desdizaines de morts. Quelques moisplus tôt, en vertu de l’accord decoopération militaire signé en 1974entre le Congo et la France et tou-jours en vigueur52, les deux paysont signé des conventions à mettreen perspective de cette violenterépression :

    • l’une, signée en janvier 2015,concernait notamment la forma-tion, l’entraînement et l’organisa-tion du commandement opéra-tionnel des Forces armées congo-laises53 ;

    • une autre, à peine quatre moisavant que la gendarmerie congo-laise tire à balles réelles sur lafoule, concernait justement la« coopération bilatérale entre laFrance et le Congo relative àl’action de la gendarmerie natio-nale » et formalisait « le soutien

    52 « Accord de coopération technique en matière de formation de cadres et d’équipement de l’armée populaire nationale entre la République française et la République populaire du Congo », signé en 1974 et entré en vigueur en 1981.

    53 « Coopération militaire : le Congo et la France signent deux nouvelles conventions », ADIAC-Congo, 24 janvier 2015

    humain, logistique et pédago-gique de la France à travers par-ticulièrement l’emploi du Lieute-nant-colonel Eric Misserey enqualité de conseiller du Comman-dant de la Gendarmerie »54.

    Cette proximité entre conseillersmilitaires et policiers français etautorités africaines est fréquemmenthonorée de remises de décorationsnationales par des dictatures auxcoopérants envoyés par Paris, enquelque sorte pour bons et loyauxservices. La diplomatie françaises’en vante même parfois :

    « le colonel Bertrand de Reboul,attaché de défense auprès del’ambassade de France, a étéélevé par le président de laRépublique du Congo au graded’officier dans l’ordre du Méritecongolais.A ses côtés, six coopérants mili-taires français ont été distin-gués. Le commandant Coursin aété fait chevalier dans l’Ordredu Mérite congolais, les cinqautres coopérants ayant éténommés échelons or dansl’Ordre de la Fraternité d’armes.

    54 « Signature de la convention de gendarmerie », dernière modification 16/07/2015, site internet de l’ambassade de France au Congo (consulté en novembre 2017). Interrogé à ce sujet par le journal en ligne The Dissident (2/11/15) le Quai d’Orsay n’avait « pas souhaité donné les raisons qui justifiaient de maintenir ces accords militairesavec le Congo, estimant que "les autorités françaises se sont [déjà] exprimées sur ce scrutin" »

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 27

    http://the-dissident.eu/8723/la-france-doit-suspendre-sa-cooperation-militaire-avec-le-congo-brazzaville/http://the-dissident.eu/8723/la-france-doit-suspendre-sa-cooperation-militaire-avec-le-congo-brazzaville/http://the-dissident.eu/8723/la-france-doit-suspendre-sa-cooperation-militaire-avec-le-congo-brazzaville/https://cg.ambafrance.org/Signature-de-la-convention-de-gendarmeriehttp://www.adiac-congo.com/content/cooperation-militaire-le-congo-et-la-france-signent-deux-nouvelles-conventions-26727http://www.adiac-congo.com/content/cooperation-militaire-le-congo-et-la-france-signent-deux-nouvelles-conventions-26727http://www.diplomatie.gouv.fr/traites/affichetraite.do?accord=TRA19740037http://www.diplomatie.gouv.fr/traites/affichetraite.do?accord=TRA19740037http://www.diplomatie.gouv.fr/traites/affichetraite.do?accord=TRA19740037

  • La cérémonie de remise desdécorations par le Ministrecongolais de la Défense natio-nale s’est tenue le lundi 22juillet [2013], au Cercle Messdes officiers, en présence del’Ambassadeur de France auCongo, M. Jean-François Valette,du chef d’état-major des Forcesarmées congolaises, le généralde division Guy Blanchard Okoï,et des officiers généraux du hautcommandement. »55

    Cette proximité entre militairesfrançais et africains se traduitd’ailleurs dans les représentationsdiplomatiques : en Afrique franco-phone, des militaires sont fréquem-ment nommés ambassadeurs deFrance et peuvent ainsi assurer dansleurs fonctions diplomatiques unrôle de VRP de l'armée française etpour le moins fluidifier les relationsde coopération militaire. Récem-ment, c’est notamment le cas dugénéral Emmanuel Beth, qui aprèsavoir été à la tête de la Directionde la coopération de sécurité et dedéfense de 2009 à 2010 (date de satransformation effective en DCSD),

    55 « Le Congo récompense sept militaires français », site internet de l’ambassade de France au Congo Brazzaville, 2 août 2013 (consulté en novembre 2017), https://cg.ambafrance.org/Le-Congo-recompense-sept Il est vrai qu’en sens inverse, la France n’hésite pas à remettre la Légion d’honneur à des sécurocrates « amis » : dans le cas du Congo, le général de division Guy Blanchard Okoï avait ainsi été décoré en 2011.

    fut nommé ambassadeur au BurkinaFaso de 2010 à 2013. Mais c’estégalement le cas de son successeurà Ouagadougou, Gilles Thibault,officier d’active dans l’armée deterre de 1980 à 1999, qui a quittél’ambassade de France au BurkinaFaso pour celle au Cameroun en2016. On peut également citer l’of-ficier Gilles Huberson, bombardéambassadeur au Mali pendant l’opé-ration Serval, en 2013, et désormaisen poste en Côte d’Ivoire...

    Coopération opérationnelle : conserver l’amitié des « frères d’armes »

    Mais l’amitié et la proximité entre« frères d’armes » s’entretiennentaussi à l’occasion de formations etd’opérations plus ponctuelles, quirelèvent de la coopération « opéra-tionnelle ». Sont ainsi régulièrementmobilisées, pour des formationscourtes ou des exercices conjoints,les troupes françaises préposition-nées en Afrique : Éléments françaisau Sénégal (EFS, 350 militaires),Éléments français au Gabon (EFG,350 militaires), Forces françaises enCôte d’Ivoire (FFCI, 950 militaires),Forces françaises à Djibouti (FFDJ,1450 militaires). Les EFS ont ainsiformé en 2016 10 000 militaires de16 pays africains (mais principale-ment issus des pays du G5 Sahel :Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso et

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 28

    https://cg.ambafrance.org/Le-Congo-recompense-septhttps://cg.ambafrance.org/Le-Congo-recompense-sept

  • Mauritanie)56, tandis que les EFGrevendiquent de former chaqueannée 8 400 « militaires des payspartenaires de la communauté éco-nomique des États d’Afrique cen-trale (CEEAC) durant leur mise encondition avant engagement dansdes opérations intérieures ou exté-rieures », en dispensant parexemple début 2017 une « forma-tion à l’exercice de l’autorité auprofit de cadres de l’armée natio-nale tchadienne »57.

    56 Blog du journaliste spécialisé Défense Jean-Marc Tanguy, « Aux EFS, Parly mesure la coopération régionale », 14 novembre 2017

    57 « EFG : participer à la formation des officiers tchadiens », ministère de la Défense, 13 avril 2017(http://www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/gabon/actualites/efg-participer-a-la-formation-des-officiers-tchadiens )

    Quant aux exercices menés en com-mun entre des militaires français etde pays africains, ils entretiennent« l’habitude du travail conjoint surle terrain »58 et permettent d’amé-liorer l’interopérabilité entrearmées. Cela contribue certes à ren-forcer l’efficacité d’une futureaction commune, mais renforce éga-lement une interpénétration desarmées, enjeu d’influence et demaintien de la position françaiseauprès des régimes en place.

    58 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.28

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    Extrait du site internet du ministère de la Défense/des Armées sur la formation au tir de combat de militaires camerounais par un détachement d’instruction opérationnelle des Eléments français au Gabon (EFG), en mars 2015.

    http://www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/gabon/actualites/efg-participer-a-la-formation-des-officiers-tchadienshttp://www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/gabon/actualites/efg-participer-a-la-formation-des-officiers-tchadienshttp://www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/gabon/actualites/efg-participer-a-la-formation-des-officiers-tchadienshttp://lemamouth.blogspot.fr/2017/11/aux-efs-parly-mesure-la-cooperation.htmlhttp://lemamouth.blogspot.fr/2017/11/aux-efs-parly-mesure-la-cooperation.htmlhttp://www.defense.gouv.fr/content/download/365914/5312388/20150314_dio_tir_combat_fs_cameroun_3_.jpg

  • Mais la coopération opérationnelleprend aussi la forme de participa-tion à des combats au côté voire ausein des armées africaines parte-naires. On parle alors pudiquementde « conseillers opérationnels »,pour désigner des « militaires déta-chés auprès d’une unité de combatou d’un État-major opératif ou tac-tique pour soutenir ces forces »59,comme on l’a vu lors de la pre-mière opération menée par la nou-velle force du G5 Sahel, où 180Français ont accompagné 750 sol-dats burkinabè, nigériens etmaliens60. Un soutien qui se maté-rialise par une « coopération entrefrères d’armes, sur le front »61, sansporter le même uniforme (contraire-ment aux coopérants militaires rele-vant de la DCSD. Impliqués entreautres dans le soutien français au

    59 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.13 60 Claude Angéli, « Mauvaise pub pour la "force

    africaine"chère à Macron », Le Canard enchaîné, 15 novembre 2017

    61 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.47

    camp génocidaire au Rwanda, lesDétachements d'assistance militaireet d'instruction (DAMI) ont depuisdisparu, mais des détachementsd’instruction opérationnelle (DIO) etdes Détachements de liaison etd’assistance opérationnelle (DLAO)continuent d’être dépêchés auprèsdes armées partenaires62. Officielle-ment, il ne s’agit toujours pas decommander directement des soldatsafricains : tout est dans la nuance,puisque comme l’admet l’IFRI, cetappui « peut également se position-ner au niveau des états-majors pourles renforcer et servir de liaisonavec les autres acteurs occidentauxou même entre acteurs africains.On pense ici notamment à l’état-major de la force multinationalemixte (FMM) contre BokoHaram »63.

    62 Voir par exemple Laurent Lagneau, « La France renforce son soutien militaire au Niger », blog Zone militaire, 26 février 2017

    63 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.51

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 30

    http://www.opex360.com/2017/02/26/la-france-renforce-son-soutien-militaire-au-niger/#hxrTFwlzqxbWWQRi.99http://www.opex360.com/2017/02/26/la-france-renforce-son-soutien-militaire-au-niger/#hxrTFwlzqxbWWQRi.99

  • Matériel de répression : derrière le podium des ventes, les vieilles habitudes

    La coopération militaire et policièrepeut également passer par de lafourniture directe d’équipements –ou une politique de prêts destinée àfaciliter l’acquisition de matériel.

    Charles Pasqua avait profité de sonretour au ministère de l'Intérieur,de 1993 à 1995, pour rendre éli-gibles les achats d’armes et d’équi-pements des forces de sécurité inté-rieure aux crédits du Fonds d'aideet de coopération (FAC)64 : l’achatde ces matériels répressifs, souventd’occasion (à partir des stocks fran-çais), a dès lors pu être comptabi-lisé en aide publique au développe-ment, au nom du renforcement del’État de droit65. Le FAC n’existeplus depuis 1999, mais la fourniturede certains matériels de police peutencore être financée par l’aidepublique au développement, au titrede la « sécurisation des cycles élec-toraux » : en 2010, à la veille dela mascarade d’élection présiden-

    64 Créé à la veille des indépendances africaines et géré par la Caisse centrale de coopération économique (CCCE), qui deviendra la Caisse de développement en 1992, les subventions du FAC étaient destinées à financer les pays « du champ »,sous forme d’aide liée (c’est-à-dire conditionnée àl’octroi du marché à des entreprises françaises). Ce fonds lié au ministère de la Coopération sera remplacé, lors de la réforme de la coopération de 1998, par le Fonds de solidarité prioritaire (FSP), dédié aux pays de pays de la zone de solidarité prioritaire (ZSP).

    65 F.-X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998.

    tielle au Togo, la France et l’Unioneuropéenne avaient ainsi co-financéà hauteur de 500 000 € l’achatd’équipement sécuritaire pour lapolice et la gendarmerie togo-laises66.

    Concernant les fournitures de maté-riel militaire, la percée de la Chinepeut inquiéter les industriels fran-çais, même si l’Afrique n’est pas, àl’exception de l’Egypte, un eldoradode l’industrie de l’armement trico-lore : « entre 2011 et 2015 le prin-cipal pays exportateur a été la Rus-sie (34 %), suivi par la Chine(13 %), la France (13 %) et lesÉtats-Unis (11 %) »67. Les exporta-tions d’armes françaises vers lespays d’Afrique subsaharienne repré-sentent un montant assez faible :282 millions d’euros sur un total de24 milliards d’armes livrées sur lapériode 2012-2016. Les montantsvers l’Afrique du Nord sont plussignificatifs (900 millions), maisprincipalement en raison des livrai-sons au Maroc qui représentent àelles seules 655 millions sur cettepériode (l’Algérie s’approvisionneplutôt auprès de la Russie). Celainclut un satellite de renseignementmilitaire Airbus-Thales qui a été

    66 La Lettre du Continent, 7/01/201067 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.30

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 31

  • également vendu à d’autres régimespoliciers : Emirats arabes unis etEgypte68.

    Les cessions gratuites de matérielmilitaire, même usagé, sont moinsimportantes que par le passé, « carses parcs d’équipements sontaujourd’hui beaucoup plus réduitsqu’au temps de la création deRECAMP en 1997, quand elle pou-vait se défaire d’importants stocksdans le cadre de la professionnali-sation des armées [françaises] »69.

    Mais même moins nombreuses oupour des volumes financiers faibles,ces livraisons de matériel répressifrestent scandaleuses dès lors qu’ils’agit de dictatures – qui plus estau titre de la « coopération ». Or,les régimes actuels d’autorisation etsurtout le manque de transparencesur ces transferts de matériel sontpropices au maintien des vieillespratiques de soutien des régimesautocratiques « amis de laFrance ».

    Un régime complexe d’autorisation des fournitures de matériel

    Il existe quatre régimes distincts decontrôle des fournitures d’arme-ments ou d’équipements répressifsselon les types de matériel.

    68 Tony Fortin, Observatoire des Armements, communication personnelle.

    69 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.30

    Les exportations d’armes de guerrerelèvent de la commission intermi-nistérielle sur l’étude des exporta-tions de matériel de guerre(CIEEMG), qui réunit le ministèrede l’Europe et des Affaires étran-gères (MEAE), le ministère desArmées, le ministère de l’Economieet des Finances et les services duPremier Ministre. C’est ce dernierqui arbitre, sur avis de la Commis-sion – même si le Président de laRépublique est souvent associé pourles gros contrats. Selon le ministèredes Armées, l’avis de la CIEEMGtient compte « notamment desconséquences de l’exportation enquestion pour la paix et la sécuritérégionales, de la situation intérieuredu pays de destination finale et deses pratiques en matière de respectdes droits de l’homme, du risquede détournement au profit d’utilisa-teurs finaux non autorisés »70. Il nes’agit toutefois pas uniquement dematériel létal : les blindés légers(de type véhicules avant blindés,VAB) en font par exemple partie,de même que certaines pièces etcomposants spécifiquement réaliséspour le matériel militaire (parexemple les pneus résistant du pointde vue balistique). Il existe au

    70 « Contrôle des exportations de matériels de guerreet assimilés : le dispositif français », site internet du ministère des Armées (consulté en novembre 2017), http://www.defense.gouv.fr/dgris/enjeux-transverses/lutte-contre-la-proliferation/controle-des-exportations-de-materiels-de-guerre-et-assimiles-le-dispositif-francais

    Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 32

    http://www.defense.gouv.fr/dgris/enjeux-transverses/lutte-contre-la-proliferation/controle-des-exportations-de-materiels-de-guerre-et-assimiles-le-dispositif-francaishttp://www.defense.gouv.fr/dgris/enjeux-transverses/lutte-contre-la-proliferation/controle-des-exportations-de-materiels-de-guerre-et-assimiles-le-dispositif-francaishttp://www.defense.gouv.fr/dgris/enjeux-transverses/lutte-contre-la-proliferation/controle-des-exportations-de-materiels-de-guerre-et-assimiles-le-dispositif-francais

  • niveau européen une liste communedes équipements militaires71, régu-lièrement mise à jour par le Conseilde l’UE, mais la liste française debiens militaires soumise à ce typed’autorisation inclut aussi d’autresmatériels : elle est fixée par arrêtédu ministère des Armées72.

    Certains matériels ne sont pas spéci-fiquement militaires et relèvent desbiens à double usage (civil etmilitaire). C’est alors le Service desbiens à double usage (SBDU) duministère de l’Économie et desFinances qui doit délivrer l’autorisa-tion, sur avis de la Commissioninterministérielle des biens à doubleusage (CIBDU) présidée par leMEAE lorsqu’il s’agit de « dossierssensibles »73. C’est par exemple lecas de certains matériels de sur-veillance électronique et d’intercep-tion massive des communicationsvendus par la firme française Ame-sys, sous Sarkozy, au régimeKadhafi, qui ont permis à ce der-

    71 « équipements couverts par la position commune 2008/944/PESC du Conseil définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires », consultable sur www.grip.org

    72 Arrêté du 27 juin 2012, modifié, relatif à la liste des matériels de guerre et matériels assimilés soumis à une autorisation préalable d'exportation et des produits liés à la défense soumis à une autorisation préalable de transfert,

    73 « Mini-guide sur le contrôle des exportations d’armements », DICoD, juin 2016, http://www.ixarm.com/IMG/pdf/fiches_guide_CTRL_export_armt_31_05_2016_en_p_a_p_HD.pdf

    nier d’arrêter et torturer des oppo-sants74.

    L’exportation d’explosifs relèved’une autorisation d’exportation depoudres et substances explosives(AEPE), délivrée par le ministère detutelle des douanes – actuellementle ministère de l’Action et desComptes publics. Elle implique éga-lement une consultation interminis-térielle (MEAE, ministère de l’In