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  • i

  • 1923

  • Contribution

    la

    Thorie gnrale de l'tat

    ii

  • Contribution

    la

    Thorie gnraler

    de l'Etatspcialement d'aprs les donnes

    fournies par le Droit constitutionnel franais

    R. CARR de MALiBERGProfesseur l'Universit de Strasbourg

    TOME DEUXIEME

    no lULIBRAIRIE

    j H % 2DE LA SOCIT DU

    RECUEIL SIREYLon TENIN, Directeur

    Se, Rue Sauf/!;/. PARIS, 5 A m/1.

    1922

  • SOMMAIRE

    LES FONCTIONS DE L'TAT {Suite).

    CHAPITRE QUATRIEMEDE L SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES

    DISTINCTS

    I. La thorie de Montesquieu sur les trois pouvoirset leur sparation.

    Pages.

    270. Les prdcesseurs de Montesquieu 1271. Originalit de sa thorie sur la distinction et la rpartition

    des pouvoirs 3272. Le principe del sparation des pouvoirs selon Montesquieu :

    son but politique 5273. Constitution organique de trois grands pouvoirs dans l'Etat:

    le systme des freins et contrepoids 8274. Maintien de l'unit de la puissance tatique dans la doctrine

    de Rousseau 9275. Prestige dont a longtemps joui en France la thorie de Mon-

    tesquieu : son discrdit actuel 11276. Tentatives faites par certains auteurs allemands pour rha-

    biliter cette thorie 16277. Examen critique de la doctrine de Montesquieu 19278. A. La pluralit des pouvoirs.

    De la division de la puissance tatique en trois puissancesdistinctes et de la constitution organique dans l'Etat detrois pouvoirs diffrents 20

    279. Ce morcellement de l'Etat et de sa puissance en trois pou-voirs est-il compatible avec l'unit de l'Etat? 23

  • II SOMMAIRE.

    Pages.

    280. B. La sparation des fonctions.Point de vue de Montesquieu touchant la distinction mat-

    rielle des fonctions 28

    281 . Impossibilit de raliser organiquement cette sparation 30282. C. L'indpendance des organes.

    Ncessit d'une coordination entre les organes de l'Etat 34

    283. Constitutions de la fin du xviii e sicle qui, par application dela thorie de Montesquieu, ont prtendu exclure les rela-tions entre le Corps lgislatif et l'Excutif. 36

    284. Montesquieu parle bien des relations qui permettent auxorganes de s'arrter et de s'empcher mutuellement, il neparle pas de celles qui assureraient leur union et leurassociation 42

    285. La sparation des pouvoirs avec absence de relations entreles organes est impraticable 44

    286. D. L'galit des organes.

    Existe-t-elle en fait? est-elle possible en droit? 48

    287. La hirarchie des fonctions entrane celle des organes 50

    288. L'unit ncessaire de l'Etat exclut l'galit des organes 52

    289. Comment les Constitutions sparatistes de la fin du xviir3sicle rtablissent cette unit dans le pouvoir constituant. . 52

    290. De l'galit des organes dans l'ordre des pouvoirs constitus. 55291. En quel sens est-il vrai que l'Etat peut avoir des organes

    multiples? 56

    292. Ncessit d'un organe suprme 58293 Examen, ce point de vue, des diverses formes gouvernemen-

    tales d'tat 61294. E. Du rgime parlementaire envisag dans ses rapports avec

    la sparation des pouvoirs.Est-ce un rgime d'galit organique des pouvoirs lgislatif

    et excutif? , 68

    295. La position constitutionnelle du ministre dans le rgimeparlementaire. Doctrine qui caractrise le Cabinet minis-

    triel comme un comit gouvernemental du Parlement. ... 71296. Doctrine suivant laquelle le ministre sert d'intermdiaire

    entre le Parlement et le chef de l'Excutif, envisagscomme deux autorits distinctes et indpendantes, etrelve l fois de ces deux autorits 74

    297 . Dans le systme actuel du parlementarisme franais, y a-t-ilun vritable dualisme organique rsultant d'un quilibrede puissance entre les Chambres et l'Excutif?. 81

    298. Du dualisme originaire sur lequel s'est historiquement difile rgime parlementaire 87

    299. Manifestations persistantes de ce dualisme dans les textesconstitutionnels de 1875 92

  • SOMMAIRE. III

    Pages.

    300. Que reste-t-il aujourd'hui de ce dualisme primitif? 94301 . Caractre simplement nominal ou apparent du dualisme dans

    le rgime parlementaire actuel 99

    II. Le droit public franais consacre-t-il la sparationdes pouvoirs?

    302 . Rejet de la doctrine de Montesquieu 109303. L'unit de l'Etat et la notion d'organe suprme 110304. Le sj'stme du droit franais touchant les diverses puissances

    exerces respectivement par chaque sorte d'organes 111305. A. La sparation des pouvoirs remplace par la gradation

    des pouvoirs 112306. La Constitution franaise n'tablit pas de sparation des

    fonctions matrielles, mais seulement une sparation por-tant sur les degrs de puissance formelle 113

    307. Systme de la hirarchie des pouvoirs et des autorits 114308. Ce systme maintient l'unit de l'Etat : les divers organes

    exercent la mme puissance des degrs ingaux 121309. Les Chambres, organe suprme de la Rpublique franaise.. 122310. R. La sparation des pouvoirs remplace par la limitation

    des pouvoirs 128311. La limitation des pouvoirs de l'organe suprme dans la mo-

    narchie 132312. La limitation des pouvoirs de l'organe suprme, quand celui-ci

    est le Parlement 134313. De la division du Parlement en deux Chambres 137314. La sparation du pouvoir constituant et du pouvoir lgislatif. 137315. O se trouve actuellement la garantie de la libert publique

    que Montesquieu avait cherch assurer par son systmede sparation des pouvoirs? 140

    LES ORGANES DE L'ETAT

    PRELIMINAIRES.316. Problme qui domine cette tude : sa solution juridique 143317. La question de la lgitimit de la puissance exerce par les

    gouvernants : en qui rside primitivement la souverainet? 144

  • IV SOMMAIRE.

    Pages.

    318. Forme franaise de cette question : en qui rside le pouvoirconstituant ? 147

    CHAPITRE PREMIER

    THORIES CONTEMPORAINES TOUCHANT L SOURCEDE L PUISSANCE EXERCE PAR LES ORGANES D'TAT

    319 . La doctrine du droit divin 149

    I. Thorie de la souverainet du peuple.

    320. La thorie de la souverainet dans le systme du contratsocial 1 52

    321 . Nature de la volont gnrale selon Rousseau : prtendue con-ciliation entre la prpondrance de la volont gnrale et laparticipation individuelle des citoyens la souverainet.

    .. 155

    322. Critiques d'ordre politique et moral contre la thorie deRousseau. La doctrine de la souverainet de la justiceet de la raison 1 57

    323. Critiques d'ordre juridique. Impossibilit de concilier lasouverainet individuelle avec le systme de la soumissiondes citoyens la majorit 161

    324. Est-il vrai que la domination tatique repose sur l'acceptationconsensuelle des citoyens?. 163

    325. Le contrat social peut-il faire natre chez les citoyens un droit

    de souverainet?. . . 164

    326. Caractre essentiellement extra-individuel de la souverainet :elle ne peut se concevoir que dans l'Etat 166

    II. Thorie de la souverainet nationale.

    327. Principe franais de la souverainet nationale : quelle est lasignification de ce principe? 167

    328. A. Doctrine qui assimile la souverainet nationale la sou-verainet populaire 168

    329. Dtermination de la porte relle du principe de la souverai-net nationale d'aprs les origines historiques de ce principe. 169

    330. En 1789-91, le principe tait dirig contre la puissance per-sonnelle et absolue du roi 170

    331 . Signification purement ngative qu'avait ce principe dans lapense de ses fondateurs : exclusion de toute souverainetindividuelle . 172

  • SOMMAIRE. V

    Pages.

    332. Consquences de ce concept ngatif 177333. B. Doctrine qui ne voit dans la souverainet nationale qu'un

    principe nominal dnu d'effets juridiques 178334. Le principe de la souverainet nationale et les diverses formes

    gouvernementales d'Etat 180335. L'essence de la monarchie et de la dmocratie 184336 . Le principe de la souverainet nationale est fond sur l'iden-

    tification de la nation avec l'tat et a pour but essentiel deraliser au point de vue organique les consquences de cetteidentit 186

    337. Consquences juridiques effectives du principe ainsi dfini. . . 190338. Le principe de la souverainet nationale exclut la monarchie

    et la dmocratie proprement dites 103

    CHAPITRE DEUXIEMELE GOUVERNEMENT REPRSENTATIF

    I. Fondement et nature du gouvernement reprsentatif.

    339. Liens par lesquels le gouvernement reprsentatif se rattacheau principe de la souverainet nationale 199

    340. Notion politique courante du gouvernement reprsentatif. . . . 202341 . De l'existence de deux notions juridiques, l'une large, l'autre

    troite, touchant la reprsentation en droit public 203342. La doctrine de Rousseau touchant le rgime reprsentatif... 204343. Fondement de ce rgime selon Montesquieu 207344. Nature du rapport juridique qui nat de l'lection entre lec-

    teurs et lus. La thorie du mandat reprsentatif 209345. Diffrences essentielles entre la situation du dput lu et

    celle d'un mandataire 212346. Caractres de la fonction de dput 217347. Nature et porte vritables de l'lection du dput dans le

    rgime reprsentatif. 217348. De la rgle : les dputs reprsentent la nation 221349. Consquences dduire de cette rgle pour la dtermination

    de la nature du rgime reprsentatif 225350. Le rgime dit reprsentatif est-il vraiment un rgime de repr-

    sentation au sens juridique propre de ce mot? 227

  • VI SOMMAIRE.

    11. - Origines rvolutionnaires du SYStme franaisde la reprsentation nationale.

    l'ages.

    351 . Aperu historique sur la reprsentation aux Etats gnrauxdans l'ancienne France 232

    352 . Caractre vritablement reprsentatif de la fonction du dputavant 1789 236

    353. Principes essentiels du nouveau rgime reprsentatif fondpar l'Assemble nationale de 1789 239

    A. Les dputs reprsentent la nation entire . 239354. Le citoyen, lment constitutif de la nation. Conception

    individualiste de la reprsentation 240355. Combinaison de ce concept individualiste avec celui de l'indi-

    visibilit, soit de la nation, soit de la reprsentation natio-nale 241

    356. Consquences respectives de ces deux concepts combins.. . 244357. B. Les dputs sont indpendants de leurs collges lectoraux. 247358 . La question des mandats impratifs devant l'Assemble natio-

    nale de 1789 247359. Nullit des mandats impratifs au regard de l'Assemble. . . . 249360. Nullit de ces mandats au regard des dputs eux-mmes. . . 253361

    . Le motif essentiel de cette double nullit se dduit, d'aprsSieys, de la nature mme du gouvernement reprsentatiftel qu'il tait conu en 1789-91 255

    362 . Opposition tablie cette poque entre le gouvernement repr-sentatif et la dmocratie proprement dite 260

    363. C. Le reprsentant veut pour la nation 262

    364. La distinction du reprsentant et du fonctionnaire. 263365. Quels taient les reprsentants d'aprs la conception de l'As-

    semble de 1789 touchant la reprsentation nationale? 267366 . La qualit de reprsentant reconnue au roi par la Constitu-

    tion de 1791 268367 Fondement du caractre reprsentatif du roi en 1791 269368 Pourquoi la Constitution de 1791 dniait-elle la qualit de

    reprsentants aux administrateurs? 274369 . La reprsentation, pouvoir objectif et non qualit subjective,

    est indpendante de toute condition d'lection 275370. Les juges pouvaient-ils tre considrs en 1791 comme des

    reprsentants? 277

    III. Porte juridique de la notion de reprsentationdans le droit public moderne. Thorie de l'organe d'tat.

    371 . Tous les lments indispensables pour la construction de

  • SOMMAIRE. VII

    Pages.

    l'ide juridique de reprsentation font dfaut dans le rgimedit reprsentatif 281

    372. Dans le rgime dit reprsentatif, la vraie qualification donneraux autorits charges de vouloir pour la nation est celle,non point de reprsentant, mais d'organe national 285

    373. A. La notion d'organe.Ses rapports avec la notion de personne collective 285

    374 Diffrences entre le reprsentant et l'organea) L'organe, condition essentielle de la personnalit de la

    collectivit, ne forme avec celle-ci qu'une seule et mmepersonne 286

    375 b) L'organe exprime par lui-mme la volont de la collecti-vit, qui ne peut juridiquement vouloir que par lui 289

    376. B. Les origines franaises de la thorie de l'organe d'Etat.Son dveloppement dans la littrature allemande contempo-

    raine 295377. Germe de cette thorie dans le concept admis par l'Assemble

    nationale de 1789 touchant la reprsentation de la nation. 297378. Critique et rejet de la terminologie constitutionnelle de 1791

    qui dsignait du nom de dlgation l'acte par lequel lanation, en s'organisant, cre sa puissance 300

    379. C. Justification de la thorie de l'organe d'Etat.

    a) Cette thorie a pour but de marquer que l'individu organe,quelle que soit l'importance de son rle personnel dans laformation de la volont tatique, n'a pas, comme organe,de personnalit distincte de celle de l'Etat 305

    380. L'organe exerce un pouvoir qui appartient exclusivement l'tat 308

    381 . Intrt pratique de la thorie de l'organe 310382. b) Le mot organe est destin marquer que l'organe ns

    confond pas avec les personnes momentanment investiesde la fonction organique 312

    383. D. De qui les autorits investies du pouvoir de vouloir pourla nation sont-elles les organes ?

    Thorie franaise de l'organe national 317384. Thorie allemande de l'organe d'Etat 319385. Thorie qui, pour caractriser le rgime reprsentatif, dfinit

    le Parlement un organe de volont du peuple, lequel estlui-mme organe primaire de l'Etat 322

    386. Distinction faite dans cette dernire thorie entre les organesreprsentatifs ou secondaires et les organes primaires nonreprsentatifs 325

    387. Thorie qui voit dans le rgime reprsentatif un rgime d'as-sociation particulire entre lus et lecteurs, destin

  • VIII SOMMAIRE.y

    Pages,

    assurer la conformit entre les volonts des uns et desautres 327

    388. Examen critique des thories qui prcdent 331389. Dans le rgime reprsentatif, le peuple peut-il tre considr

    comme un organe tatique? 334390. Le corps lectoral lui-mme est-il, dans ce rgime, un organe

    de volont de l'tat?. 336391

    .Le Parlement ne peut tre la fois organe et reprsentant du

    peuple, ces deux termes s'excluant rciproquement 338392. La thorie qui caractrise le Parlement comme l'organe repr-

    sentatif du peuple, aboutit confondre le gouvernementreprsentatif avec la dmocratie directe 346

    393. Le rgime reprsentatif franais, tant fond sur le principede la souverainet nationale, exclut la fois la monarchieet la dmocratie proprement dites, et implique que tous lesorganes tatiques sont indistinctement organes de lanation 349

    IV. L'volution du rgime reprsentatifdepuis la Rvolution.

    394. Dformation du concept originaire de la reprsentation natio-nale 361

    395. Influence croissante prise par les lecteurs sur leurs lus . . . 363396. Infiltration dans le gouvernement reprsentatif de tendances

    ou d'institutions qui rpondent l'esprit du gouvernementdirect. La question de la reprsentation proportionnelle. 367

    397. Combinaison du rgime reprsentatif et du rgime parlemen-taire : diffrences entre ces deux rgimes 371

    398. De la dissolution comme indice de la diffrence entre lergime reprsentatif de 1791 et le rgime parlementaireactuel 373

    399 . Le rgime reprsentatif devenu en partie un rgime de repr-sentation effective 377

    400 Le rgime semi-reprsentatif 381

    V. Organes actuels de la Rpublique franaised'aprs la Constitution de 1875.

    401 . Dsaccord entre les auteurs touchant la dtermination desautorits tatiques qui doit tre rserve la qualificationd'organes 386

    402. Liens entre la notion de l'organe d'Etat proprement dit etcelle de la personnalit juridique de l'tat 390

  • SOMMAIRE. IX

    Pages.

    403. Distinction des organes qui concourent constituer la per-sonne tatique et des fonctionnaires qui agissent pour cettepersonne dj constitue 393

    404. Ni les autorits administratives, ni les autorits juridiction-nelles, ne sont des organes proprement dits 395

    405. Le Prsident de la Rpublique doit-il tre considr, sous laConstitution de 1875, comme un organe ou comme un fonc-tionnaire? 399

    406. Raisons pour lesquelles les Chambres forment, dans le parle-mentarisme franais actuel, le seul organe de volont pri-mordiale de l'tat 401

    CHAPITRE TROISIMEDE L'LECTORAT

    I. Le corps lectoral. Son rle et son pouvoirselon le droit public actuel.

    407. Le corps lectoral doit-il tre considr comme un organed'tat? 411

    408. Le pouvoir de nomination qui appartient au corps lectoral,est-il un pouvoir d'organe? 414

    409. Dans quelle mesure le corps lectoral est-il aujourd'huiorgane de volont de l'Etat? 417

    410. Chaque collge d'lection est-il un organe lectoral? 420411. Questions multiples que soulve la dtermination de la con-

    dition individuelle de chaque lecteur dans 1 ensemble ducorps lectoral 422

    II. De l'leetorat en tant que fonction.

    412. La doctrine de Rousseau sur le fondement du droit de suf-frage 424

    413. Rfutation de la thorie qui base l'leetorat sur un droit desouverainet individuelle du citoyen 426

    414. L'leetorat, envisag dans son fondement, n'est pas un droitindividuel, mais une fonction tatique 429

    415. La question du fondement de l'leetorat dans ses rapportsavec le principe de la souverainet nationale : les deuxcourants d'ides qui se sont manifests cet gard dansl'Assemble nationale de 1789 431

    416. Distinction tablie parla Constituante entre la qualit de

  • X SOMMAIRE.

    Papes

    citoyen et la qualit d'lecteur 432417. Le concept rvolutionnaire de l'lectorat-fonction 434418. La distinction rvolutionnaire du citoyen actif et du citoyen

    passif 436419. Maintien dans le droit public actuel du concept sur lequel

    repose cette distinction 438

    III. En quel sens l'lecteur possde-t-ilun droit subjectif?

    420. Rserves pralables faire touchant cette question 440421. Doctrine qui dnie l'lecteur tout droit subjectif 442422 . Doctrine suivant laquelle l'lectorat est la fois un droit et

    une fonction 443423. Impossibilit de concevoir que l'lectorat soit simultanment

    droit et fonction 446424. Ncessit, pour faire apparatre le droit subjectif d'lectorat,

    de distinguer dans la situation de l'lecteur deux phasessuccessives 448

    425 . Thorie suivant laquelle l'lectorat, en tant que droit sub-jectif, a pour contenu, non le pouvoir de voter, mais ledroit faire reconnatre la qualit d'lecteur 451

    426. Objections contre la thorie qui prtend que le droit lectoraln'est pas un droit de voter 452

    427 Caractre subjectif du pouvoir qui appartient l'individuorgane 454

    428. Conciliation de ce caractre subjectif avec le caractre imper-sonnel de l'organe : l'acte tatique est successivement acted'individus quant son accomplissement et acte d'organed'Etat quant la puissance de ses effets 457

    IV. Nature et contenu du droit individuel de suffrage.

    429. L'lectorat est-il un droit d'lire ou seulement un droit devoter? '. 464

    430 . Thorie du droit individuel d'lire 465431 . Le systme de l'lection proportionnelle 466432

    .Quel est, dans l'tat actuel du droit public franais, le titulaire

    effectif du pouvoir d'lire? 468433. L'lection proportionnelle, pas plus que la reprsentation

    proportionnelle, n'est conforme aux principes du purrgime reprsentatif 470

    434. Le systme du droit individuel d'lire implique, au fond, ledroit de reprsentation individuelle 474

  • SOMMAIRE. XI

    Pages.

    435. De la maxime : La dcision la majorit, l'lection tous. . 478436. Dans le systme de l'lection majoritaire, le corps des lec-

    teurs est seul organe lectoral, les lecteurs pris individuel-

    lement ne le sont pas 480

    CHAPITRE QUATRIEMEDU POUVOIR CONSTITUANT

    PREMIRE SECTIONLA THORIE DE l'oRGANE d'TAT ET LA QUESTION

    DU POUVOIR CONSTITUANT.

    437. Rapports entre la question du pouvoir constituant et lathorie de l'organe d'Etat 483

    438. Objections leves contre la thorie de l'organe d'Etat propos de la cration de la Constitution 484

    439. Application la question du pouvoir constituant de la doc-trine du contrat social 485

    440. Doctrine de la souverainet constituante du peuple 487441. De la Constitution primitive qui a donn naissance l'Etat. 489442. La question de l'origine de cette premire Constitution n'est

    pas une question d'ordre juridique 490443. Justification de la thorie de l'organe d'Etat sur le terrain de

    la question du pouvoir constituant 492444. Cas dans lesquels les changements de Constitution cessent

    d'tre rgis par le droit 495445. Systme juridique de la revision de la Constitution par l'or-

    gane rgulirement dsign cet effet 497446. Du fondement de la mission constituante de l'Assemble

    nationale de 1789 500

    DEUXIME SECTIONLA QUESTION DU POUVOIR CONSTITUANT

    DANS SES RAPPORTS AVEC LE PRINCIPE DE LA SOUVERAINET NATIONALE.DE LA SPARATION DU POUVOIR CONSTITUANT

    ET DES POUVOIRS CONSTITUS.

    447 Position de la question 505448. Le systme de la spcialit de l'organe constituant dans les

    Constitutions franaises antrieures 1875 507

  • XII SOMMAIRE.

    Pages.

    449. Principe de la sparation du pouvoir constituant et des pou-voirs constitus : ses origines 509

    450. Y avait-il place pour ce principe dans la doctrine du contratsocial? 513

    451. La thorie de Sieys sur le pouvoir constituant : ses attachesavec la doctrine de Montesquieu sur la sparation des troispouvoirs constitus 515

    452 . Liens par lesquels la thorie de Sieys se relie, d'une faonprpondrante, aux doctrines de Rousseau 521

    453. La sparation du pouvoir constituant rattache l'ide desouverainet populaire 536

    454. Critique de cette sparation ainsi entendue 538455 . La sparation du pouvoir constituant rattache au principe

    de la souverainet nationale 545456. Consquences de cette sparation ainsi justifie 548

    TROISIEME SECTION

    LE SYSTME CONSTITUANT ACTUELLEMENT TABLI EN FRANCE.DANS QUELLE MESURE LA CONSTITUTION DE 1875

    ASSURE-T-ELLE LA SPARATION DU POUVOIR CONSTITUANT?

    I. L'Assemble nationale en tant qu'organe constituant.

    457. Composition de l'Assemble nationale 552458. L'Assemble nationale est-elle une runion des Chambres ou

    seulement de leurs membres? 554459. L'Assemble nationale et le systme des deux Chambres. . . . 557460. Rapports de l'Assemble nationale avec les Chambres au

    point de vue de sa structure et de ses lments constitutifs. 560461 . De la qualit en laquelle les membres des deux Chambres, une

    fois entrs l'Assemble nationale, y sigent 563462. La formation de l'Assemble nationale fait-elle disparatre les

    deux Chambres ?. . . 566

    IL Etendue du domaine rserv la comptenceconstituante de 1 Assemble nationale.

    463. Du contenu possible des Constitutions. Matires qui rel-vent du pouvoir constituant l'exclusion du pouvoir lgis-latif 568

    464. Doctrine qui tend la notion de Constitution la distinctiondes points de vue matriel et formel

    , . . .570

  • SOMMAIRE.

    465. Signification purement formelle de la notion juridique deConstitution 572

    466. Brivet de la Constitution de 1875 576467 . Peut-on complter la Constitution de 1875 par la Dclaration

    de 1789 considre comme tant toujours en vigueur?. . . . 578

    III. Question de la revision limite ou illimite.

    468. Comment se pose cette question? 583469. Doctrine qui reconnat l'Assemble nationale un pouvoir de

    revision illimit 585470. Distinction entre la question de l'tendue possible de la revi-

    sion et la question de ses conditions d'ouverture 586471. La revision, totale ou partielle, subordonne par la Constitu-

    tion de 1875 aux rsolutions pralables des deux Chambres. . 587472. La limitation de la puissance rvisionniste de l'Assemble

    nationale et le systme de l'galit des deux Chambres. . . . 589473. Autres arguments qui peuvent tre invoqus en faveur de la

    thorie de la puissance limite de l'Assemble nationale. . . 592474. Consquences dcoulant de ce rgime dlimitation quaut la

    question de la sparation du pouvoir constituant 594475 . La facult pour les Chambres de fixer limitativement l'tendue

    de la revision implique-t-elle pour elles une participation

    au pouvoir constituant? 595476. Rle prcis des Chambres quant la dtermination du pro-

    gramme de la revision 598

    IV. Apprciation du systme constituanttabli par la Constitution de 1875au point de vue de sa conciliation

    avec le principe de la souverainet nationale.

    477. La Constitution de 1875 a-t-elle suffisamment limit la puis-sance de l'Assemble nationale et des Chambres? 60U

    478. Dfaut de sanction et inefficacit des limitations apportespar la Constitution la puissance rvisionniste de l'Assem-

    ble nationale 601

    479. La puissance des Chambres n'est pas davantage limite 604480. La Constitution de 1875 n'a pas assign de bornes prcises

    au pouvoir lgislatif des Chambres 607481 . Application la rglementation des droits et liberts indivi-

    duels 608482. Les Chambres sont, au fond, matresses du pouvoir consti-

    tuant lui-mme 611

  • Xiv SOMMAIRE.Pages.

    483 L'introduction en France de l'institution amricaine du con-

    trle de la constitutionnalit des lois par les tribunaux

    demeurerait inefficace 614

    484. Dans quelle mesure cependant le principe de la souverainet

    nationale se trouve-t-il sauvegard en ce qui concerne le

    Parlement franais actuel? 616

  • LES

    FONCTIONS DE L'ETAT(Suite)

    CHAPITRE IV

    DE LA SPARATION DES FONCTIONSENTRE DES ORGANES DISTINCTS

    l

    La Thorie de Montesquieusur les trois pouvoirs et leur sparation.

    270. La distinction et la dfinition des fonctions de l'Etat,qui ont t prsentes dans, le tome I de cet ouvrage, reposentsur une conception politique qui fait dpendre le degr de puis-sance et l'nergie d'effets des actes accomplis par les diversesautorits tatiques de l'origine de ces dernires, de leur rgimed'organisation, des conditions clans lesquelles elles exercent leuractivit. La distinction positive des fonctions rpond, en effet, onl'a vu, cette ide que les organes tatiques ne possdent pastous un degr gal la puissance d'Etat. Elle implique donc, endroit constitutionnel franais, l'existence, en ce sens, d'une cer-taine rpartition ou sparation des pouvoirs.De fait, la sparation des pouvoirs passe, depuis 1789, pour l'un

    des principes essentiels du droit public franais. C'est cependantun principe d'origine toute moderne. Consacr pour la premire

    Carr de Mai.bf.rg. T. IF. 1

  • LES FONCTIONS DE L ETAT.

    fois en France par l'Assemble nationale de 1789 comme une desbases de son uvre de rgnration politique, il n'avait fait sonapparition que peu de temps, relativement, avant les vnementsrvolutionnaires.Ds l'antiquit, il est vrai, la science politique s'est applique

    dnombrer et classer les diverses manifestations de la puissancetatique. C'est ainsi qu'Aristote distinguait en elle trois opra-tions principales: la dlibration, le commandement, la justice;et cette distinction tripartite correspondait directement l'orga-nisation alors en vigueur, laquelle comprenait l'assemble gn-rale ou conseil charg de dlibrer sur les affaires les plus im-portantes, les magistrats investis du pouvoir de commander et decontraindre, les tribunaux. Mais ce serait une erreur de vouloirfaire remonter jusqu' Aristote les origines de la thorie de la s-paration des pouvoirs. Aristote, comme tous les anciens, s'atta-che uniquement discerner les diverses formes d'activit desorganes : il ne songe pas tablir une rpartition des fonctionsfonde sur la distinction des objets propres chacune d'elles(Saint Girons, Essai sur la sparation des pouvoirs, p. 17;E. d'Eichtal, Souverainet du peuple, p. 105 et s.; Jellinek, L'Etatmoderne, d. franc., t. II, p. 298); et d'ailleurs, il ne voit pas d'obs-tacle ce que, dans le mme temps, la mme personne fassepartie de rassemble dlibrante, exerce une magistrature etsige au tribunal.

    Dans les temps modernes, Locke, qui, le premier, semble avoiraperu l'utilit d'une sparation des pouvoirs, n'est pas par-venu dgager sur ce point une thorie suffisamment nette. Dansson Trait du gouvernement civil, crit au lendemain de la rvolu-tion de 1688 (ch. vi, xi et s ), Locke distingue quatre puis-sances : le pouvoir lgislatif, qu'il prsente comme le pouvoirprpondrant; le pouvoir excutif, qui est subordonn au lgis-latif; et, en outre, le pouvoir fdratif, ou facult de diriger lesrelations avec l'tranger, et la prrogative, qui est l'ensemble despouvoirs discrtionnaires conservs encore cette poquepar le monarque anglais. S'inspirant de l'tat de choses qui setrouvait alors ralis en Angleterre, Locke approuve et recom-mande, dans une certaine mesure, la sparation, entre des organesdiffrents, des puissances lgislative et executive. Mais, de mmequ'il ne traite pas ces deux puissances comme gales et indpen-dantes entre elles, de mme aussi il ne va pas, en dfinitive, jusqu'affirmer la ncessit absolue de leur sparation organique. Ce qui

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 3

    le prouve, c'est qu'il ne se montre nullement choqu de ce que lemonarque de son temps cumule toutes les fonctions : non seule-ment, en effet, le roi d'Angleterre possde en propre, outre laprrogative, les pouvoirs excutif et fdratif, qui, d'aprs Locke,ne sauraient, bien que distincts, tre attribus des personnesdiffrentes, mais encore il prend part la puissance lgislative,en tant notamment qu'aucune loi ne peut se faire sans son con-sentement. Locke constate ce cumul sans le rprouver : bien aucontraire, il en tire argument, et en particulier il s'appuie sur lapuissance lgislative du roi, pour soutenir que celui-ci doit treconsidr comme demeurant le souverain , c'est--dire l'or-gane suprme de l'Etat. Au fond, la doctrine de Locke se ra-mne donc une simple thorie de distinction des fonctions :sous la rserve que le roi ne peut lui seul faire la loi et est sou-mis cette dernire, ce n'est pas encore une doctrine de franchesparation des pouvoirs (Cf. Esmein, Elments de droit constitu-tionnel, 7 e d., t. I, p. 458 et s. ; Jellinek, loc. cit., t. II, p. 307).

    271. Il faut arriver Montesquieu pour trouver la vritableformule de la thorie moderne de la sparation des pouvoirs, etc'est pourquoi le nom de Montesquieu demeure troitement li cette thorie. Entre lui et ses prdcesseurs, il 3T a cette diffrencecapitale qu'il ne se borne plus discerner les pouvoirs au moyend'une distinction abstraite ou rationnelle des fonctions. Mme, sadoctrine touchant la nature intrinsque et le nombre des fonc-tions est peu approfondie (D, et elle demeure parfois assez ind-cise^, supr, t. I, p. 720, etinfr, p. 28-29). Ce dont Montesquieuse proccupe surtout, c'est de sparer l'exercice de certaines fonc-tions entre des titulaires diffrents : bien dire mme, il ne dis-tingue les fonctions qu'au point de vue de cette sparation prati-que, qui doit, selon lui, rgner entre elles. Sa thorie est doncfranchement, peut-tre mme exclusivement, une thorie de spa-ration organique des pouvoirs : et ce point de vue, elle ne laissrien dsirer, quant sa prcision.Ce qui en fait encore l'originalit, c'est qu'elle est nonce en

    (1) C'est ainsi qu'on a reproch Montesquieu de n'avoir point fourni les l-ments dtaills d'une dfinition de la fonction administrative (V. cependantn u 280, infr). La puissance excutrice des choses qui dpendent du droitdes gens , dont il fait l'un des trois grands pouvoirs, correspond simplementau pouvoir fdratif de Locke (Esmein, loc. cit.. p. 461; Jellinek, loc. cit.,t. II, p. 308 .

  • 4 LES FONCTIONS DE L ETAT.

    la forme d'un principe gnral, principe que Montesquieu formulecomme l'une des conditions fondamentales de la bonne organisa-tion des pouvoirs dans tout Etat sagement ordonn (2j. Et c'estl une nouvelle diffrence entre lui et ses devanciers. Ceux-ciavaient bien pu relever quelque trait caractristique d'une cer- ,taine sparation des pouvoirs dans le systme d'organisation ta-tique existant dans leur pays et sous leurs yeux : c'est ainsi queLocke, en parlant de la sparation des pouvoirs lgislatif et ex-cutif, n'avait fait que dpeindre l'tat de choses qu'il trouvaittabli dans la Constitution anglaise de son temps. Montesquieun'envisage aucun Etat en particulier, il a en vue l'Etat idal : etce qu'il prsente, c'est un systme de sparation des pouvoirs des-tin s'appliquer, en principe mme, dans chaque Etat , ainsiqu'il le dit lui-mme au dbut de l'exposition de sa doctrine (Es-prit des lois, liv. XI, ch. vi).

    Cependant, ce n'est point la spculation abstraite qui a amenMontesquieu dcouvrir ce principe gnral. Bien avant d'trenonce en France l'tat de principe, la sparation des pouvoirsavait commenc tre pratique, dans une certaine mesure, enAngleterre. L, la pratique s'en tait tablie, non en vertu d'unprincipe prconu analogue celui que dveloppe Montesquieu,mais par l'effet d'une lente volution historique et sous l'influencedes circonstances. Elle y fut le produit de la lutte sculaire sou-tenue par le Parlement anglais contre la puissance royale, dansle but de limiter les droits de la Couronne par ceux des assembles,envisages comme reprsentant le peuple anglais. Le rsultat decette lutte a t, surtout aprs la rvolution de 1688, l'tablisse-ment, entre la royaut et les Chambres, d'un certain quilibre depuissance, qui a t obtenu, notamment, au moyen d'une distri-bution, entre ces organes, des pouvoirs lgislatif et gouverne-mental. Ce partage et cet quilibre taient dj largement raliss^lorsque Montesquieu vint, pendant deux annes (1729-1731), tu-dier surplace les institutions anglaises. De ses observations il futamen extraire une thorie gnrale, qu'il rapporta en France etqu'il expose dans le plus fameux des chapitres de YEsprit des lois,le chapitre vi du livre XI, intitul De la Constitution d'Angle-terre . Sous ce titre, Montesquieu traite, en ralit, d'une Consti-

    (2) C'est, sans doute, cette sorte d'tats que conviennent les qualificationsd' tat modr et de gouvernement tempr , qu'on rencontre parfoisdans YEsprit des lois (V. liv. XI, ch. iv et vin).

  • SEPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 5

    tution idale, il gnralise (3) : et d'ailleurs, la sparation des pou-voirs, telle qu'il la professe, dpasse sensiblement ce qu'il a puobserver chez les Anglais.

    272. Le point de dpart de la doctrine de Montesquieu estnonc en un chapitre antrieur (liv. XI, ch. iv), dont il convientde dtacher les propositions suivantes, devenues clbres : C'estune exprience ternelle que tout homme qui a du pouvoir, estport en abuser : il va jusqu' ce qu'il trouve des limites Pourqu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la dispositiondes choses, le pouvoir arrte le pouvoir. Dans ce passage, Mon-tesquieu dnonce le vice et prononce la condamnation du rgimeautocratique ou rgime du pouvoir absolu. Lorsque, dans unEtat, tous les pouvoirs sont runis aux mains d'un titulaire unique,que ce soit un homme ou une assemble, la libert publique esten pril. 11 est manifeste, en effet, que le personnage ou le corpspolitique qui est matre de tous les pouvoirs la fois, dtient unepuissance indfinie, puisqu'il n'existe, en dehors de lui, aucunepuissance venant limiter la sienne. Or, le danger de toute puis-sance sans limites, c'est l'oppression possible des citoyens :ceux-ci, en face dune telle puissance, sont livrs l'arbitraire.Pour prvenir ce danger, il faut, au dbut et la base de touteorganisation des pouvoirs, trouver une combinaison qui, en mul-tipliant les autorits publiques et en partageant entre elles lesdivers attributs de la souverainet, ait pour effet de limiter res-pectivement la puissance de chacune d'elles par la puissance desautorits voisines, de telle sorte qu'aucune ne puisse jamais par-venir une puissance excessive. Tel est le problme rsoudre.La solution de ce problme consiste, selon Montesquieu, s-

    parer trois fonctions tatiques, les fonctions lgislative, executiveet judiciaire, pour les remettre divisment trois ordres dis-tincts de dtenteurs. Tout serait perdu dit Montesquieu(liv. XI, ch. vi) si le mme homme ou le mme corps exeraitces trois pouvoirs, celui de faire les lois, celui d'excuter et celuidjuger. Et Montesquieu dveloppe le principe ainsi pos, enle justifiant par la triple considration suivante :

    (3) Lui-mme dclare, la fin du chapitre en question, qu'il ne s'est pas born prsenter un tableau de la Constitution anglaise, et qu'il ne prtend pas nonplus en avoir trac le tableau fidle : Ce n'est point moi examiner si lesAnglais jouissent actuellement de cette libert, u non. Il me suffit de direqu'elle est tablie par leurs lois, et je n'en cherche pas davantage.

  • 6 LES FONCTIONS DE L'TAT.

    En premier lieu, il faut que les pouvoirs lgislatif et excutifsoient spars. Il y en a deux raisons. La premire se rattache l'ide mme que Montesquieu se fait de la loi. Dans le rgime del'Etat lgal, c'est--dire dans le rgime qui tend assurer aux ci-toyens la garantie de la lgalit, ce qui fait, aux yeux de Montes-quieu, la vajeur protectrice de cette garantie, c'est que la loi estune rgle gnrale, abstraite, conue non en vue d'un cas isol,mais prexistante aux faits particuliers auxquels elle sera appli-que. La loi est juste, parce qu'elle est gale pour tous ( Elledoit tre la mme pour tous. Dclaration des droits de l'hommeet du citoyen de 1789, art. 6), et parce que ses prceptes, tantposs pour l'avenir, ne sont pas inspirs au lgislateur par desproccupations actuelles de personnes ou d'espces (Esmein, El-ments, 7 e d., t. I, p. 23; Duguit, L'tat, t. I, p. 470 et s.). Mais,pour que la loi soit ainsi conue d'une faon dsintresse, il fautqu'elle ne puisse tre dicte par l'autorit gouvernementale ouadministrative, c'est--dire par celle-l mme qui, tant appele l'excuter et aussi s'en servir, peut avoir intrt ce qu'elle soitoriente dans tel ou tel sens. A la diffrence du lgislateur, eneffet, l'autorit executive est accoutume agir et adopter desmesures opportunes, l'occasion des cas particuliers et en consi-dration des vnements ou besoins journaliers. Si donc elle dte-nait en mme temps la puissance lgislative, il serait fort tentantpour elle de porter des lois de circonstance, rpondant sa poli-tique, ses prfrences, peut-tre ses passions, du momentactuel. En un mot, et comme le dit Montesquieu (loc. cit.), il se-rait fort craindre que le mme monarque ou le mme snat nefasse des lois tyranniques pour les excuter tyranniquement .Dans ces conditions, il n'y a point de libert . Car, le mmecorps de magistrature a, comme excuteur des lois, toute la puis-sance qu'il s'est donne comme lgislateur ; et ainsi, il peut ra-vager l'Etat par ses volonts gnrales . D'autre part, si les pou-voirs lgislatif et excutif taient assembls dans les mme mains,il en rsulterait que l'autorit charge d'excuter ne se consid-rerait pas comme lie par les lois en vigueur, puisqu'elle seraitmatresse de les abroger; ou encore, elle pourrait, en vertu de sapuissance lgislative, les modifier au moment mme de l'excu-tion ; et ainsi, les citoyens, surpris par cette lgislation ne de l'ar-bitraire du moment, verraient s'vanouir toute la garantie du rgi-me de la lgalit.Pour les mmes raisons, Montesquieu soutient qu'il faut pareil-

  • SEPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. /

    lement sparer les puissances lgislative et judiciaire. Sinon, lejuge, tant en mme temps lgislateur, pourrait, lui aussi, soits'carter de la loi, soit la changer, selon son caprice, et cela l'instant mme o il a l'appliquer. Entre les mains d'un tel juge,dclare Montesquieu, le pouvoir sur la vie et la libert des ci-toyens serait arbitraire .

    Enfin, Montesquieu dit qu'il est ncessaire que le pouvoir judi-ciaire soit dtach de l'excutif, encore qu' certains gards lajustice semble avoir t traite par lui comme une dpendancede l'excution des lois (V. supr, t. I, p. 720 et s.). Si, en effet, cesdeux puissances appartenaient un mme dtenteur, celui-ci pourrait avoir la force d'un oppresseur . L'oppression rsulte-rait de ce que l'agent excutif, qui serait par surcrot juge, pour-rait, au cours de l'excution, dnaturer la porte d'application deslois par des jugements tendancieux et iniques, selon qu'il seraitintress ce que cette excution se fasse dans un sens dterminou produise certains effets voulus d'avance. Au fond, la spara-tion des fonctions djuger et d'excuter n'est donc encore qu'undes moyens destins assurer le maintien de la lgalit.

    Et d'ailleurs, toute la dmonstration de Montesquieu tourneautour de cette ide principale : assurer la libert des citoyens,en leur fournissant par la sparation des pouvoirs la garantie quechacun de ceux-ci seraexerclgalement(Esmein, lments, 7 e d.,1. 1, p. 461 et s. ; Saint Girons, op. cit., p. 95 ; Orlando, Principes dedroit public et constitutionnel, d. franc., p. 95-96; Jellinek, loc.cit., t. II, p. 325; Rehm, Allg. Staalslehre, p. 234) (i). Seule, eneffet, la sparation des pouvoirs peut fournir aux gouverns unegarantie srieuse et une protection efficace. Par exemple, si l'onveut limiter la puissance de l'autorit administrative, il ne suffitpas de poser en principe que celle-ci ne pourra agir qu'en vertude pouvoirs lgaux, il faut encore qu'elle ne puisse, par elle-mme, ni crer une loi, ni modifier la lgislation en vigueur. Sielle tait capable d'apporter des modifications aux lois, elle n'au-

    (4) Montesquieu a parfaitement dfini le rapport entre la libert et la lga-lit. La libert dit-il (liv. XI, ch. ni) est le droit de faire tout ce que leslois permettent. Et un peu plus loin (ch. iv), il ajoute : Une Constitutionpeut tre telle que personne ne sera contraint de faire les choses aux-quelles la loi ne l'oblige pas, et ne point faire celles que la loi lui per-met. Les citoyens de l'tat qui possde une telle Constitution, ont la libert,c'est savoir cette tranquillit d'esprit, qui provient de l'opinion que chacuna de sa sret (ch. vi).

  • S LES FONCTIONS DE l'TAT.

    rait qu'une simple formalit lgislative remplir, toutes les foisqu'elle voudrait accrotre ses pouvoirs, et le principe de l'admi-nistration lgale n'aurait ainsi d'autre valeur que celle d'un vainformalisme. Pour que ce principe prenne de l'efficacit, il fautque la modification des lois dpende, non point de la volont decelui qui doit s'en servir en les excutant, mais d'un autre or-gane. Ainsi, dans une monarchie o il appartient au roi d'admi-nistrer et en mme temps de faire la loi (sous forme de sanction),le monarque ne pourra mettre de dcret lgislatif que moyen-nant l'assentiment du Parlement! De cette manire, la loi a songardien , comme le dit O. Mayer (Droit administratif allemand,d. franc., t. i, p. 85), et les droits du Parlement limitent utile-ment ceux du prince, qui, ds lors, est mis dans l'impossibilit dese donner ou d'tendre, de sa seule volont, sa puissanceexcutive.

    273. La doctrine de Montesquieu se rattache donc essentiel-lement au systme del' Etat de droit . Cependant, parla force deschoses, cette doctrine, bien que visant principalement sauvegarderla libert civile, implique aussi certaines dispositions prendre,en vue d'assurer la libert des autorits publiques elles-mmes,dans leurs rapports les unes avec les autres, en tant qu'il s'agit, pourchacune d'elles, de l'exercice du pouvoir qui lui est spcialementattribu. C'est l un nouvel aspect, fort important, du sujet. Eneffet, la division des comptences et la spcialisation des fonctionsne sauraient, elles seules, suffire raliser la limitation des pou-voirs : pour que cette limitation se trouve assure, il faut, en outre,qu'aucun des trois ordres de titulaires des pouvoirs ne possdeou ne puisse acqurir de supriorit, qui lui permettrait de domi-ner les deux autres et qui, par l mme, pourrait peu peu dg-nrer en omnipotence. Et pour cela, il est indispensable que lestitulaires des trois pouvoirs soient, non seulement investis decomptences distinctes et spares, mais encore rendus, par leurconstitution organique, indpendants et Comme gaux les uns vis--vis des autres. Ce n'est qu' cette condition qu'ils pourronteffectivement se limiter et s'arrter entre eux. quoi servirait-il,par exemple, d'avoir spar la fonction executive de la fonctionlgislative, si la personne du titulaire de l'Excutif devait se trou-ver dans la dpendance du Corps lgislatif' 5 )? Comment la spa-

    (5) C'est une des raisons pour lesquelles Montesquieu (liv. XI, ch. vi) dclareque dans un tat libre, la puissance lgislative (c'est--dire le Corps lgislatif)ne doit pas avoir le droit d'arrter la puissance excutrice . Il lui reconnat

  • SEPAKATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 9

    ration de la justice pourrait-elle tre efficace, si les juges dpen-daient personnellement de l'autorit executive? Ainsi, la thoriede Montesquieu sur les trois pouvoirs et leur sparation ne sauraitse rduire un systme de rpartition objective des fonctionsentre des titulaires diffrents : mais elle appelle ncessairement sa suite l'indpendance subjective des organes C 1 )? Et alors, on peutprciser la complte et profonde porte de cette thorie, en disantqu'elle tend essentiellement constituer trois grandes puissances,qui soient mises en tat, par les conditions mmes de leur organi-sation, de se dfendre chacune contre tout empitement des deuxautres, c'est--dire de maintenir leur indpendance dans l'exercicedes attributions qui leur appartiennent en propre en vertu de lasparation des pouvoirs. C'est ce point de vue surtout que lathorie de Montesquieu a mrit d'tre qualifie de systme desfreins et des contre-poids, ou encore thorie de la balance et del'quilibre des pouvoirs. Lui-mme a provoqu cette dnomina-tion par la description qu'il donne de cet quilibre : Pourformer un gouvernement modr, il faut combiner les puissances,les rgler, les temprer, les faire agir; donner, pour ainsi dire,un lest l'une pour la mettre en tat de rsister une autre : c'estun chef-d'uvre de lgislation, que le hasard fait rarement et querarement on laisse faire la prudence (Esprit des lois, liv. V,ch. xiv).

    274. A ce dernier gard, en particulier, la doctrine de Montes-quieu est bien diffrente de celle professe en cette mme matire parRousseau. En un certain sens, on a pu dire, il est vrai, que Rous-seau admet une sparation des pouvoirs, notamment des pouvoirslgislatif et excutif (Esmein, Elments,!" d., t. I, p. 404 et s.). Si,en effet, d'aprs le Contrat social, tous les pouvoirs sont, en prin-

    cipe, contenus et runis dans le peuple, d'autre part cependant le

    seulement la facult d'examiner de quelle manire les lois qu'elle a faites, ontt excutes . Mais ajoute-t-il aussitt quel que soit cet examen, le

    Corps lgislatif ne doit point avoir le pouvoir djuger la personne, et par con-squent la conduite de celui qui excute. Sa personne doit tre sacre, parce

    qu'tant ncessaire l'tat pour que le Corps lgislatif n'y devienne pas tyran-

    nique, ds le moment qu'il serait accus ou jug, il n'y aurait plus de Libert.

    (6) En ce sens, il y a lieu de considrer comme fonde, malgr les critiquesde M. Duguit (Manuel de droit constitutionnel, 1" d., p. 333), cette affirma-tion de M. Artur (Sparation des pouvoirs et sparation des fonctions, Reuedu droit public, t. XIV, p. 43) : Le premier lment constitutif de tout pou-voir, c'est la sparation des fonctions. Le second, c'est une indpendance suf-fisante des dpositaires de chaque fonction.

  • 10 LES FONCTIONS DE l'TAT.

    peuple, qui, en sa qualit de souverain, fait la loi, c'est--dire quidict les rgles gnrales, ne doit point pourvoir par lui-mme leur excution, c'est--dire leur mise en uvre dans chaquecas particulier. La raison qu'en donne Rousseau, c'est d'abordque cette sorte de dmocratie serait impraticable (Contrat social,liv. III, ch. iv), et ensuite, qu' il n'est pas bon que le corps dupeuple dtourne son attention des vues gnrales pour les donneraux objets particuliers (ibid.). D'o cette conclusion : La puis-sance executive ne peut appartenir la gnralit, parce que cettepuissance ne consiste qu'en des actes particuliers (liv. III,ch. i). C'est pourquoi Rousseau place ct du peuple, lgisla-teur ou souverain, le gouvernement ou corps charg del'excution des lois ; et par l, il semble que la puissance lgis-lative et la puissance executive se trouvent disjointes et spares.Mais ce n'est l qu'une sparation apparente. En ralit, Rous-seau n'admet qu'un pouvoir unique, le pouvoir lgislatif, qu'ilconfond avec la souverainet; et surtout, il n'admet pas que le gouvernement ou Excutif puisse contre-balancer le Corpslgislatif. Sa doctrine sur ce point est prcise de la faon la plusclaire au dbut du liv. III, ch. i. Le rapport entre la puissancelgislative et la puissance executive est, dit-il, identique celuiqui existe entre la volont ou puissance morale, qui dtermineun acte, et la force ou puissance physique, qui l'excute. La puis-sance lgislative est la volont dterminante, la puissance excu-trice n'est que la force mise au service de cette volont. En d'au-tres termes, le gouvernement est strictement subordonn ausouverain, dont il n'est que le ministre . Aussi, Rousseau dfi-nit-il le gouvernement un corps intermdiaire tabli entre lessujets et le souverain , intermdiaire en ce sens qu' il reoit dusouverain les ordres qu'il donne aux sujets . Tout ceci revient dire qu'il n'y a dans l'Etat qu'un seul pouvoir digne de ce nom, lepouvoir lgislatif ou souverainet, et c'est bien ainsi que la doc-trine de Rousseau sera comprise et applique par la Convention : Le Conseil excutif dit Condorcet dans son rapport sur laConst. de 1793 ne doit pas tre considr comme un vritablepouvoir. Il ne doit pas vouloir. Il est la main avec laquelle les l-gislateurs agissent, l'il avec lequel ils observent les dtails del'excution de leurs dcrets (7).

    (7) La doctrine du Contrat social implique pareillement que le pouvoir judi-ciaire ne peut consister qu'en excution des lois ou volonts du souverain et

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 11

    Ainsi, tandis que Montesquieu ne semble mme pas se proc-cuper de concilier sa thorie sparatiste avec le principe del'unit, soit de l'Etat, soit de sa puissance, Rousseau rejette l'idequ'il puisse coexister plusieurs pouvoirs gaux et autonomes.Bien loin d'admettre la pluralit des pouvoirs, il affirme et s'ap-plique dmontrer l'unit du pouvoir. A cette dmonstration estconsacr en particulier le second chapitre du livre II du Contraisocial, o il est expos que la souverainet est indivisible : Nos politiques dit-il cette place ne pouvant diviser lasouverainet dans son principe, la divisent dans son objet : ils ladivisent en force et en volont, en puissance lgislative et en puis-sance executive; en droits d'impt, de justice et de guerre; en ad-ministration intrieure et en pouvoir de traiter avec l'trangerCette erreur vient de ne s'tre pas fait des notions exactes de l'au-torit souveraine, et d'avoir pris pour des parties de cette auto-rit ce qui n'en tait que des manations Toutes les fois qu'oncroit voir la souverainet partage, on se trompe : les droits qu'onprend pour des parties de cette souverainet, lui sont tous subor-donns, et supposent toujours des volonts suprmes dont cesdroits ne donnent que l'excution. Tout ce passage constitue, dela part de Rousseau, une ngation directe de l'ide premire, surlaquelle repose la thorie de la sparation des pouvoirs (Duguit,Irail, t. I, p. 119 et 355).

    275. La thorie de Montesquieu a eu, ds son apparition,un retentissement considrable. Elle arrivait fort propos, en untemps o le systme de la monarchie absolue avait dpass sonapoge en France et tait dj vou une prochaine destruction.L'un des traits principaux de la Constitution franaise des dernierssicles avant 1789, c'tait, en effet, la concentration de tous lesattributs de la puissance tatique en la personne du roi, qui incar-nait en lui tous les pouvoirs ou, du moins, de qui manaient tous lespouvoirs. Par raction contre cet absolutisme, la sparation despouvoirs tait appele devenir l'un des dogmes politiques fonda-mentaux des hommes qui ont prpar et dirig la Rvolution :ds le dbut de celle-ci, elle est consacre, en la forme solennelled'un principe absolu, par l'art. 16 de la Dclaration des droits

    qu'il rentre, par consquent, dans le pouvoir excutif. Rousseau reconnatcependant que l'exercice de la justice doit appartenir des juges distincts desmagistrats chargs de l'administration (Esmein, lments, 7" d., t. I, p. 465).

  • 12 LES FONCTIONS DE L'TAT.

    de l'homme et du citoyen : Toute socit dans laquelle la spa-ration des pouvoirs n'est pas dtermine, n'a point de Constitu-tion. On verra plus loin l'influence extrme que ce dogme aexerce sur les Constitutions de l'poque rvolutionnaire.

    Depuis cette poque, la doctrine de Montesquieu a continu detrouver en France un terrain particulirement favorable sondveloppement. Au cours du xix e sicle, la sparation des pou-voirs a t constamment rappele et invoque par les publicistesfranais. Cela tient, en bonne partie, l'instabilit constitutionnelledont a souffert la France durant la priode de 1789 1875 : en rai-son des frquents changements de rgime qui se sont succd cette poque, il n'a pu s'tablir de traditions fermes, dterminantavec prcision et certitude les droits respectifs des grandes auto-rits constitues : il en est rsult que celles-ci ont trop souventvcu , en dfiance les unes l'gard des autres, redoutant d'trevictimes de quelque empitement de la part de celle d'entre ellesqui paraissait plus puissante. Et de fait, il a t bien souvent n-cessaire d'invoquer la sparation des pouvoirs, en vue de fairerentrer ou de maintenir telle ou telle de ces autorits dans les li-mites de sa lgitime comptence. (Cf. E. d'Eichtal, op. cit., p. 144et s.).

    Le principe de la sparation des pouvoirs a donc d des cau-ses politiques l'importance qu'il a prise pendant longtemps enFrance. A l'heure prsente, au contraire, grce la cessation deces causes, le prestige de la thorie de Montesquieu semble enbaisse, tout au moins dans la littrature juridique. Sans doute,cette thorie possde encore, parmi les juristes franais, d'mi-nents dfenseurs. Au premier rang de ceux-ci, il convient de citerEsmein (Elments, 7 e d., t. I, p. 467 et s.), qui soutient que les atta-ques diriges contre elle ne sont fondes que dans la mesure oelles visent, non point la sparation des pouvoirs elle-mme, maisles consquences exagres qui en ont parfois t dduites. M. Mi-choud (Thorie de la personnalit morale, t. I, p. 281 et s.) exposela mme thse. Saint Girons, dans son Essai sur la sparation despouvoirs, p. 138 et s., s'est appliqu justifier le principe deMontesquieu, en rfutant les critiques dont il a t l'objet. EtM. Aucoc, dans son rapport l'Acadmie des sciences moraleset politiques sur l'ouvrage de Saint Girons (op. cit., p. XVij),dclare, son tour, que la plupart de ces critiques reposent sur

    des malentendus .Mais, ct de ces dfenseurs, la thorie de la sparation des

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 13

    pouvoirs compte aujourd'hui de nombreux adversaires, dont lenombre semble aller sans cesse en croissant. Elle a t attaque,d'abord, au point de vue de sa valeur politique. Le principe deMontesquieu, a-t-on dit, est, avant tout, un principe restrictif etcrateur d'empchements, qui divise, en effet, le pouvoir entreses titulaires de telle sorte que chacun d'eux, enferm dans uncercle d'attributions spciales, est condamn vgter dans untat de gne, qui quivaut une sorte d'impuissance : supposerque la libert publique y trouve son compte, la puissance d'actionde l'Etat s'en trouve singulirement diminue, et l'on a fait remar-quer qu'en temps de crise ce morcellement du pouvoir pourraitbien avoir pour effet de frapper les gouvernements des Etats d'uneparalysie dsastreuse pour le pays. On a exprim une ide analo-gue, lorsqu'on a dit que l'quilibre parfait des pouvoirs engendre-rait leur immobilit, qui rendrait la vie de l'Etat impossible W.D'autre part, on a observ qu'en sectionnant et en miettant le pou-voir entre des autorits qui ne peuvent rien l'une sans l'autre, lesystme de la sparation miette du mme coup les responsabi-lits; si bien qu'en cas de faute commise, le pays ne saura plusreconnatre qui est responsable. Ces diverses critiques ont tformules notamment par M. Woodrow Wilson, qui, dans sonGouvernement congressionnel, dresse un vritable rquisitoire

    contre le rgime sparatiste tabli aux Etats-Unis. La Consti-tution anglaise dit cet auteur, qui rappelle, cet gard, un motde Bagehot a pour principe de choisir une seule autorit sou-veraine et de la rendre bonne : le principe de la Constitutionamricaine, c'est d'avoir plusieurs autorits souveraines, dansl'espoir que leur nombre compensera leur infriorit (op. cit.,d. franc., p. 331). Voici quel est, selon M. W. Wilson, le r-sultat pratique du morcellement que l'on a imagin dans notresystme politique. Chaque branche du gouvernement a reu unepetite parcelle de responsabilit, laquelle laconscience de chaquefonctionnaire peut se soustraire facilement. Tout coupable peut

    (8) Cette objection avait t prvue par Montesquieu lui-mme, qui n'y opposequ'une rponse bien faible : Voici donc la constitution fondamentale du gou-vernement dont nous parlons. Le Corps lgislatif y tant compos de deux par-ties, l'une encbainera l'autre par sa facult mutuelle d'empcher. Toutes lesdeux seront lies par la puissance excutrice, qui le sera elle-mme par la lgis-lative. Ces trois puissances devraient (ainsi) former un repos ou une inaction.Mais, comme par le mouvement ncessaire des choses elles sont contraintesd'aller, elles seront forces d'aller de concert (Esprit des lois, liv. XI, ch. vi)

  • 14 LES FONCTIONS DE l'TAT.

    faire retomber sa responsabilit sur ses camarades. Comment lematre d'cole, je veux dire la nation, peut-il savoir quel est l'lvequ'il faut fouetter? On ne peut nier que l'autorit ainsi morcele,la responsabilit ainsi dissimule, ne soient de nature paralysergrandement le gouvernement en cas de danger (ibid., p. 302-303). D'o cette conclusion : Tel qu'il est constitu, le gouver-nement fdral manque de force, parce que ses pouvoirs sont di-viss; il manque de promptitude, parce que les pouvoirs chargsd'agir sont trop nombreux; il est difficile manier, parce qu'il neprocde pas directement; il manque d'efficacit, parce que saresponsabilit est vague Voil le dfaut auquel je reviens sanscesse (ibid., p. 340-341).Ce sont l des critiques d'ordre principalement politique. Au

    point de vue strictement juridique, c'est surtout d'Allemagne quesont venues d'abord les attaques. Les auteurs allemands ont com-battu l'ide franaise de sparation des pouvoirs, non seulementen la dclarant inconciliable avec le systme monarchique de leurdroit national, mais encore en s'attachant prouver qu'elle est,d'une faon gnrale, inapplicable, et cela par ce motif que sa miseen application dtruirait l'unit de l'Etat. Aussi, Laband, qui a tl'un des principaux reprsentants de la doctrine tablie dans l'Alle-magne monarchique touchantla question de la sparation des pou-voirs, dclare-t-il (Droit public de l'Empire allemand, d. franc.,t. II, p. 268) quele principe de cette sparation est unanimement re-jet dans la science allemande, et il ajoute mme qu'il serait superflude recommencer rfuter ce principe, qui se trouve aujourd'huidfinitivement condamn et abandonn. Jellinek (op. cit., d.franc., t. II, p. 161 et s. ,314 s.) montre pareillement quela thorie deMontesquieu sur les trois pouvoirs et leur sparation n'est, ni lo-giquement acceptable, ni pratiquement ralisable (V. dans lemme sens : v. Mohl, Geschichte und Literatur der Staatsiuissen-schaft, t. I, p. 280 et s.; Stein, Verivaltungslehre, t. I, p. 18;G.Meyer, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 6e d., p. 28 et 135).Sous l'influence, soit des critiques thoriques formules par

    l'cole allemande, soit des constatations de fait fondes sur lesdonnes de l'exprience, il s'est form, de mme, en France, unecole qui dnie au principe de Montesquieu toute valeur juridiquecomme aussi toute possibilit de ralisation positive. A la ttede ce mouvement s'est plac M. Duguit, qui, dj dans son tudesur la Sparation des pouvoirs et FAssemble nationale de 17SU(p. 116 et s.), qualifiait la thorie des trois pouvoirs spars

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 15

    de thorie artificielle , faite pour fausser les ressorts de la viesociale et politique , contraire l'observation scientifique desfaits , et qui montrait aussi qu'elle a t irrmdiablementcondamne par des expriences concluantes , par celles faitessous la Rvolution. Dans son grand ouvrage sur l'Etat (t. II,p. 281 et s.), M. Duguit rpte ces attaques : partant de l'ide quel'organisation des pouvoirs doit avoir pour but d'assurer lacopar-ticipation des gouvernants, il dclare que toute thorie serattachant de prs ou de loin la sparation des pouvoirs man-que ce but et se trouve, par l mme, condamne l'impuissance ;il ajoute que, non seulement la sparation des pouvoirs se trouveen contradiction avec la ralit sociale ,mais encore qu' on s'esttrangement tromp lorsqu'on a eu la pense qu'il y avait lun systme protecteur de l'individu contre l'arbitraire gouverne-mental . Actuellement, cet auteur maintient dans son Trait (t. I,p. 346 et s., 360) ses apprciations antrieures sur la sparationdes pouvoirs, et il les rsume en disant (p. 361) que la concep-tion d'un pouvoir souverain, un en trois pouvoirs, est une con-ception inadmissible dans une construction positive du droitpublic . De nombreux crivains franais se sont associs cesapprciations. Parlant de la sparation des pouvoirs, M. Moreau(Le rglement administratif, p. 263) dit : Ce prtendu principe,qui n'est, au fond, qu'une notion obscure, encombre fcheusementnotre droit public, embrouille beaucoup de questions, fausse ungrand nombre de solutions. Cet auteur dclare aussi (Pour lergime parlementaire, p. 183) que le principe de la sparation despouvoirs estime chimre, une vue imaginaire : il n'est susceptible,ni d'une dfinition prcise, ni d'une application raisonnable .M. Cahen (La loi et le rglement, p. 27 et s.) constate la faillitedu principe . dans lequel il ne faut plus voir qu' un dogmevieilli ou une vaine formule , et il affirme qu' en fait, il n'y a, nipouvoirs, ni sparation . Selon M. E. d'Eichtal (op. cit., p. 89-90), l'antique adage de la sparation des pouvoirs, soi-disant gageet garantie de la libert et de l'ordre, reste bien inscrit au frontondes difices politiques ; mais, dans la pratique, on sent qued'axiome ou de dogme, par suite de la pression des faits, elle apass l'tat de simple formule (9). En somme, conclut un auteur,

    (9) Une formule : telle est aussi l'apprciation de M. Larnaude (La spara-tion des pouvoirs et la justice en France et aux Etats-Unis, Revue des ides,L905, ]>. 339) : La sparation des pouvoirs n'est qu'une formule, et on ne gou-verne pas avec des formules. Montesquieu par cette formule a surtout indiqu

  • 46 LES FONCTIONS DE l'TAT.

    qui, bien que n'tant pas juriste, a parfaitement aperu et dvoilles faiblesses juridiques de la sparation des pouvoirs, l'ideque le meilleur moyen d'assurer le fonctionnement rgulier d'ungouvernement libre serait de sparer les pouvoirs entre des corpsindpendants, cette ide-l est bien morte, et l'on peut lire sonoraison funbre dans tous les traits de droit public fonds surl'exprience d'un Etat centralis (Seignobos, La sparation despouvoirs, Revue de Paris, 1895. t. I, p. 727) (10).

    276. Cbose remarquable pourtant, tandis que la doctrinede Montesquieu tombait ainsi en discrdit dans une bonne partiede la littrature franaise, un revirement s'est dessin en faveur

    les desiderata de son temps et de son pays. Il n'a pu 1ii voulu trancher, d'unemanire dfinitive et jamais, toutes les questions que peut faire naitre le gou-vernement des hommes.

    (lO)Tandis queles thories de Rousseau sur la souverainet populaire faite desouverainets individuelles ont soulev dans la littrature du droit public une r-probation qui est devenue presque gnrale, les vues de Montesquieu sur l'organi-sation des pouvoirs continuent jouir d'une rputation de libralisme, de mesure etde sagacit, qui leur assure, prsentement encore, une large faveur. En ralit,sous leurs dehors de sage libralisme, les ides exposes clans le chapitre surla Constitution d'Angleterre ont t, peut-tre, plus nuisibles que les sophismes

    du Contrat social. Car, ceux-ci n'ont pu se faire accepter que par des espritsfaciles sduire : les doctrines sparatistes de Montesquieu ont exerc leurinfluence jusque dans les milieux les plus clairs. Or, cette influence est cer-tainement dissolvante, puisque la sparation des pouvoirs, en dcomposant lapuissance tatique en trois pouvoirs qui n'ont chacun qu'une capacit d'actioninsuffisante, ne tend rien moins qu' dtruire dans l'tat l'unit qui est leprincipe mme de sa force. Rousseau, du moins, avait respect cette unit n-cessaire. A un autre point de vue, Montesquieu a fait uvre fcheuse, lors-qu'il a (Esprit des lois, liv. XI, ch. vu) oppos l'une l'autre la libert descitoyens et la gloire de l'Etat, donnant entendre qu'une Constitution nesaurait prtendre raliser la seconde qu' la condition de sacrifier la premire :comme si, dans l'incessante lutte entre les peuples, les citoyens pouvaient

    esprer conserver une libert vritable au milieu d'un Etat amoindri en gloire .c'est--dire, au fond, en puissance d'action et, par consquent aussi, en capacitde se dfendre ou de maintenir son rang. Sur ce dernier point, les ides deMontesquieu offrent avec les thories de Rousseau sur la souverainet populairececi de commun qu'elles ne peuvent convenir qu' un petit Etat, dont l'existence

    se trouve garantie par les conditions de l'quilibre gnral entre les grandespuissances : l, en effet, il se peut qu' dfaut de gloire, les citoyens parvien-nent goter, dans l'panouissement d'institutions visant uniquement accro-tre leur libert, les bienfaits d'une vie facile. Mais, quant aux grands tats, larude tche laquelle ils ont eu, jusqu' prsent, faire face, ne leur a paslaiss la possibilit de s'abandonner cette quitude bourgeoise.

  • \SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 17

    de cette doctrine parmi les auteurs allemands, si unanimementhostiles nagure toute ide de sparation des pouvoirs. Lepremier juriste allemand qui ait nettement pris position dansce nouveau sens, a t O. Mayer (op. cit., d. franc., t. I,p. 84 et s.), qui disait ce sujet : Nous avons adopt le prin-cipe de la sparation des pouvoirs d'aprs le modle franais, etil est, chez nous, en pleine activit et en pleine vigueur. SelonO. Mayer, c'est tort que la science allemande a ni la possibilitde la sparation et qu'elle s'est fait un pouvantail de cettedernire : non seulement la sparation est ralisable, mais encoreelle a t ralise en Allemagne; il y a l un fait, qui l'emportesur toutes les affirmations ou apprciations diriges en sens con-traire. En fait, le droit public des monarchies allemandes a vouluque, derrire les pouvoirs lgislatif et excutif, il n'y ait pas uneseule et mme volont : la volont du prince, qui est matresse dupouvoir excutif, ne doit pas l'tre du pouvoir lgislatif; le roine peut faire la loi que moyennant le consentement de l'assem-ble lue. C'est donc une erreur, conclut O. Mayer, de croireque la sparation des pouvoirs est incompatible avec le prin-cipe de la monarchie : elle s'est trouve consacre par le droitmonarchique des Etats allemands.

    Cette thse a t reprise par Anschtz (Begriff der gesetzge-benden Geivalt, 2 e d., p. 9 et s.), qui a soutenu, quant au droitprussien en particulier, que la sparation des pouvoirs s'y trouvaittablie et clairement formule par les trois textes suivants de laConst. de 1850 : Art. 45. Au roi seul appartient la puissanceexecutive. Art. 62. La puissance lgislative est exerce encommun par le roi et par deux Chambres. Art. 86. La puis-sance judiciaire est exerce au nom du roi par des tribunaux in-dpendants, qui ne sont soumis aucune autorit autre que cellede la loi. Ces textes, fait observer Anschtz, marquent trs cor-rectement que les limitations apportes par la Constitution lapuissance du roi, en ce qui concerne la lgislation et la justice,ne visent que l'exercice de ces fonctions. En principe, le monar-que prussien est le titulaire nominal des trois pouvoirs. Il exercepleinement par lui-mme ou par les autorits qui lui sont subor-donnes, l'un d'eux, le pouvoir excutif. Mais il ne peut aucunementexercer par lui-mme le pouvoir judiciaire ; et quant au pouvoirlgislatif, il ne peut l'exercer qu'avec le concours des Chambres.En cela prcisment consiste la sparation des pouvoirs. EtAnschtz loue hautement O. Mayer d'avoir su discerner dans le

    Carr de Malberg. T. II. 2

  • 18 LES FONCTIONS DE l'TAT.

    droit monarchique allemand l'existence de cette sparation, qui yavait t si longtemps mconnue avant lui (H).Mais ces auteurs se font illusion, lorsqu'ils croient avoir ainsi

    rhabilit l'ide de sparation des pouvoirs. Entre cette dernireet le systme de partage des comptences, ou plus exactement delimitation de la puissance du monarque, que dcrivent O. Mayeret Anschtz d'aprs le droit qui tait alors en vigueur dans lesEtats allemands, il y a une diffrence profonde. Pour rendre cettediffrence vidente, il suffit de rappeler que, dans la doctrine deMontesquieu, la lgislation et l'excution sont envisages commedeux puissances autonomes devant appartenir des titulairesentirement distincts, d'o cette consquence que le monarque,chef de l'Excutif, devrait tre exclu du pouvoir lgislatif i 1 -) : selon

    (11) Un autre auteur a, il est vrai, revendiqu le mrite de cette dcouverte.C'est Arndt, qui fait valoir, dans VArchiv fur ffentl. Recht, t. XV, p. 346, qu'ila t le premier affirmer, dans son Kommentar sur Reichsverfassung, p. 101,la conscration de la sparation des pouvoirs par le droit allemand. Mais An-schiitz (loc. cit., p. 10 en note) indique les raisons pour lesquelles cette prioritdoit lui tre dnie. V. aussi Arndt, Archiv fur ffentl. Recht, t. XVIII, p. 166et s.

    (12) Montesquieu parle cependant d'une certaine part que prend le monarque la lgislation : 11 faut dit-il qu'il y prenne part par la facult d'em-pcher , c'est--dire par le droit d'opposer son veto. Mais, d'un autre ct,Montesquieu prend soin de faire observer que cette facult d'empcher est tout fait diffrente de la facult de statuer . Cette dernire implique que le roiconcourt la confection de la loi : la facult d'empcher n'est donne au mo-narque que pour lui permettre de se dfendre , et elle n'est que le droitde rendre nulle la dcision adopte par le lgislateur [Esprit des lois, liv. XI,ch. vi). En opposant ainsi ces deux facults, Montesquieu veut tablir, endfinitive, que, par son droit d'empcher, le roi ne prend aucune part positive la lgislation et que, par consquent, ce droit ne porte nullement atteinte auprincipe de la sparation des pouvoirs. En vain a-t-on fait valoir que l'exercicedu veto ne peut pourtant pas tre considr comme un acte de puissance exe-cutive et que, par l mme, cette prrogative apparat comme contraire lasparation des pouvoirs (Jellinek, loc. cit., t. II, p. 309 en note). C'est l lathse que soutenait Sieys, dans son discours du 7 septembre 1789 [Archives par-lementaires, !' srie, t. VIII, p. 592 et s.), et il concluait, cet gard, en disant : Le droit d'empcher n'est point, suivant moi, diffrent du droit de faire. Mais, s'il est exact que le veto n'est point de sa nature un pouvoir d'excu-tion, d'autre part cependant il demeure certain aussi que, par la possession decette facult, le chef de l'Excutif ne devient point partie intgrante du Corpslgislatif; car ainsi qu'on l'a justement remarqu (Duguit, Trait, t. II,p. 47-448) le veto suppose que la loi est faite, il n'est pas un acte de con-fection de la loi, mais un empchement oppos l'excution d'une loi djadopte (V. supr, t. I, p. 400). Et quant la sparation les pouvoirs, bien loind'exclure ce droit d'empchement, elle exige, au contraire, qu'il soit reconnu au

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. H)

    le droit public allemand, au contraire, le roi tait appel jouerun rle essentiel dans la lgislation. L'assertion de O. Mayer etd'Anschtz, savoir que les deux pouvoirs lgislatif et excutifse trouvaient, avant 1918, spars en Allemagne, tait directe-ment contredite par le texte des Constitutions allemandes, et, parexemple, par l'art. 62 de la Const. prussienne, qui spcifiait que la puissance lgislative est exerce en commun (gemeinschaftlich)par le roi et par deux Chambres (Cf. les Chartes de 1814, art. 15,et de 1830, art. 14, qui disaient : La puissance lgislative s'exercecollectivement par le roi, la Chambre des pairs et la Chambre desdputs ). Dans ce systme, le monarque ne peut, il est vrai, fairela loi lui seul : il ne peut donner ses volonts la force de loiqu'autant que la disposition lgislative voulue par lui a t pra-lablement adopte par les Chambres. Mais, sous cette rserve, ilconcourt directement l'exercice de la puissance lgislative,notamment par la sanction : celle-ci est ncessaire pour l'adop-tion dfinitive de la loi. 11 n'y a l, en somme, qu'une limitationde la puissance du monarque quant la confection des lois.

    Ainsi, la sparation des pouvoirs, telle que l'entendent et ladfendent les deux auteurs prcits, ne ressemble plus du tout celle qu'avait conue Montesquieu. Elle est mme tout le contraired'une vraie spaiation des pouvoirs. Car, tandis que la doctrinede Montesquieu tend tablir la division ab initio de trois pouvoirsentre trois sortes d'autorits distinctes, la caractristique de lathorie dgage parO. Mayer et Anschtz d'aprs le droit cons-titutionnel allemand, c'est que le roi est, en principe, le titulairede tous les pouvoirs, et demeure seulement soumis des condi-tions restrictives spciales, quant l'exercice de deux d'entre eux.

    277. Pour apprcier la valeur relle du principe de lasparation des pouvoirs, il ne faut donc point le juger d'aprsles variantes qui en ont t proposes aprs coup ou d'aprs

    chef de l'Excutif, ainsi que l'a montr Montesquieu lui-mme (loc. cit.) : Sila puissance executive n'a pas le droit d'arrter les entreprises du Corps lgislatif,celui-ci sera despotique; car, comme il pourra se donner tout le pouvoir qu'ilpeut imaginer, il anantira toutes les autres puissances. Sans la facultd'empcher, la puissance executive sera bientt dpouille de ses prrogatives. Il y a, dans ces observations de l'Esprit des l-jis, un aperu trs profond ,dit Esmein (Elments, 7* d., t. I, p. 479) : elles mettent en vidence que, sans leveto, l'indpendance des pouvoirs, qui est un des lments essentiels du systme desparation de Montesquieu, se trouve compromise au dtriment de l'Excutif.

  • 20 LES FONCTIONS DE l'TAT.

    l'image dforme que peuvent en prsenter aujourd'hui certainspublicistes; mais il faut examiner ce principe dans sa puret pre-mire, dans sa signification intgrale : en d'autres termes, il faut,pour porter un jugement sur le concept de sparation, s'en tenir la doctrine de Montesquieu lui-mme, auteur de ce concept.Or, le trait essentiel de cette doctrine, celui qui en caractrise leplus spcialement la porte, consiste en ce que Montesquieudcompose et sectionne la puissance de l'Etat en trois pouvoirsprincipaux, susceptibles d'tre attribus sparment trois sortesde titulaires constituant eux-mmes, dans l'Etat, trois autoritsprimordiales et indpendantes : la notion de l'unit de puissancetatique et de l'unit de son titulaire primitif Montesquieu opposeun systme de pluralit des autorits tatiques, fond directementsur la pluralit des pouvoirs. C'est sous cet aspect qu'il faut envi-sager le principe de sparation et les consquences qui en dcou-lent, pour peser sa valeur et pour rechercher s'il est ralisableen fait et en droit.

    /278t A. La faon dont Montesquieu prsente sa thorie s-

    paratiste, implique qu'il croit trouver dans l'Etat trois puissancesdistinctes, dont la runion ou le faisceau constitue la puissancetatique totale, mais qui ont un contenu diffrent et qui, par lmme, lui apparaissent comme gales, indpendantes, autonomes,dans leurs rapports les unes avec les autres. A leur tour, les troissortes d'autorits qui correspondent cette division tripartite de lapuissance d'Etat, forment organiquement trois grands pouvoirs,juxtaposs et gaux, en ce sens que chacune d'elles possde uneportion spciale et diffrente de la puissance tatique, commeaussi chacune a sa sphre d'action propre, l'intrieur de laquelleelle est indpendante et matresse : d'o cette consquence que,dans la sphre de chacun des trois pouvoirs, le titulaire le pluslev a vraiment le caractre d'un organe suprme.On a contest que la doctrine de Montesquieu et cette porte

    absolue, et l'on a fait remarquer notamment qu'il ne prononcemme pas le mot de Sparation des pouvoirs (Duguit, Trait,t. I, p. 348), dont se sont servis les partisans de sa thorie pourdsigner cette dernire. La pense de Montesquieu, dit-gn, n'a ja-mais t que les trois pouvoirs dussent tre spars au sens pro-pre de ce terme, c'est--dire rpartis organiquement entre des au-torits qui reprsenteraient et exprimeraient trois volonts tati-ques distinctes : son ide, c'est simplement ainsi qu'il l'expli-

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 21

    que lui-mme que la libert serait anantie et remplace parle despotisme, si l'exercice de la puissance d'Etat dpendait, en-tirement et sans partage, de la volont d'un seul homme ou d'uneseule assemble (Duguit, loc. cit.; Michoud, op. cit., t. 1.p. 283).Mais il convient de rpliquer que, si le mot de sparation ne

    se trouve pas dans le chapitre De la Constitution d'Angleterre,l'ide de sparation ressort certainement de l'ensemble de la doc-trine qui s'}r trouve expose. Elle ressort dj de la propositionfondamentale par laquelle ce chapitre dbute : Il y a dans cha-que Etat trois pouvoirs , proposition qui prsente la puissancetatique sous un aspect plural et qui n'est suivie, dans le reste duchapitre, d'aucun essai de dmonstration de l'unit ncessaire etessentielle de l'Etat, de sa puissance, de sa volont : d'o il sembleque la vue de cette unit ait compltement chapp l'auteur deYEsprit des lois. Elle ressort encore de ce fait que, nulle part, Mon-tesquieu ne met en vidence et ne semble mme apercevoir la n-cessit suprieure, pour les titulaires des pouvoirs spars, decoordonner leurs activits respectives en les associant et en lesfondant dans une action commune, de faon assurer par cettecoopration l'unit de buts et de rsultats que commande l'unitmme de l'Etat. Montesquieu ne se proccupe pas de rapprocherles puissances qu'il a commenc par dissocier; il se borne, cetgard, revendiquer pour elles de mutuelles facults de s' em-pcher , de se lier , de s' enchaner , ce qui est bien diff-rent d'une collaboration ou entente commune (V. n 284, infr); etpour le surplus, il se fie ce mouvement ncessaire deschoses , par lequel, prtend-il elles seront forcesd'allerde con-cert, mais qui, en vrit, n'offre, pour la ralisation, toujours d-licate et difficile, d'un tel concert, qu'une garantie bien vague et in-suffisante. Enfin, cette mission mme de s' arrter l'un l'autre,que Montesquieu assigne aux divers pouvoirs, contribue forti-fier l'ide de leur sparation : elle implique, en effet, que chacund'eux a un domaine spcial d'action, qui est constitu au moyend'un dcoupage de la puissance publique et qui forme, pour cha-que titulaire d'une fraction de cette puissance, un terrain clos dansles limites duquel ses droits et facults s'opposent ceux des titu-laires d' ct; au lieu donc d'unir les pouvoirs dans une indi-vision conforme l'unit des fins tatiques, Montesquieu lesdresse les uns contre les autres, sinon comme des rivaux, dumoins comme des voisins destins se limiter et se contre-

  • '22 LES FONCTIONS DE L ETAT.

    balancer mutuellement (13). Peu importe, aprs cela, que le motde sparation ne figure pas dans le chapitre De la Constitutiond'Angleterre. C'est bien un systme de sparation que dcrit etque fonde ce chapitre. Et c'est en ce sens aussi que les interprtesde la pense de Montesquieu l'ont, sans hsitation, comprise etapplique, au cours du xviir' sicle et durant une bonne partiedu xix c . Les tentatives qui sont actuellement faites pour attribuerau principe de Montesquieu une signification excluant toute spa-ration vritable, datent seulement de l'poque o ce principe a treconnu erron. Jusque-l, le principe avait t entendu commeimpliquant naturellement la coexistence, dans l'tat, de troispouvoirs distincts, et cela en un double sens:En premier lieu, on considrait les fonctions lgislative, execu-

    tive et judiciaire, comme autant de puissances souveraines ou, dumoins, comme des parties, divises et indpendantes, de la souve-rainet. Cette conception a t, en particulier, celle de la Consti-tuante, ainsi que l'a clairement montr M. Duguit (Trait, t. I,p. 119, 350 et s.). En partant de l'affirmation du ch. vi, liv. XI deYEsprit des lois : Il y a, dans chaque Etat, trois sortes de pou-vons... , les constituants de 1791 ont t amens traiter les pou-voirs qu'ils attribuaient respectivement aux organes lgislatif,executif et judiciaire, non pas comme des comptences fonction-nelles particulires, c'est--dire comme des modes varis d'exer-

    (13) C'est surtout aux Etats-Unis que ce concept de Montesquieu a trouv sonapplication. La sparation des pouvoirs y a t entendue en ce sens que chacunedes trois grandes autorits tatiques doit tre pourvue de facults qui lui per-mettent d' arrter le pouvoir de l'autorit voisine. D'aprs la Constitutionfdrale, le Prsident peut opposer son veto aux lois rgulirement adoptespar le Congrs. A leur tour, les assembles ont contre l'Excutif le pouvoir demise en accusation et de jugement; et le Snat peut s'opposer l'usage queprtend faire le Prsident de son droit de conclure les traits ou de nommercertains fonctionnaires. L'autorit judiciaire arrte le pouvoir lgislatif par lafacult qu'elle a de refuser l'application des lois entaches d'inconstitutionnalit(W. Wilson, op. cit., d. franc., p. 17). De ce systme gnral d'empchementsil rsulte assurment pour le pouvoir fdral une cause de faiblesse, ainsi qu'ila t remarqu plus haut (p. 13). Mais, dit Boutmy (Etudes de droit constitu-tionnel, 2 e d., p. 162), les Amricains n'ont presque pas l'occasion de souffrirde cette faiblesse : tout le train ordinaire de la politique intrieure est menparles gouvernements d'Etats; ceux-ci suffisent la tche. Les Amricainsaiment mieux se rsigner certaines dfaillances des pouvoirs fdraux etn'avoir rien craindre pour cette autonomie des Etats, qui est, leurs yeux,le premier des biens. Seulement, ajoute cet auteur, cette faiblesse, qui est,en partie, un bien dans un Etat fdral, serait le pire des maux dans un Etat

    unitaire.

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 23

    cice d'une seule et mme puissance reconnue en soi indivisible,mais selon la juste expression de M. Duguit comme dos portions dmembres et des lments fractionns de lapuissance souveraine, celle-ci tant envisage comme constitueet compose de trois pouvoirs distincts. Cette conception se faitjour notamment dans le prambule du tit. III de la Const. de1791, qui la formule avec une nettet saisissante en prsentant

    dans trois textes successifs (art. 3 5) les pouvoirs lgislatif,

    excutif et judiciaire, comme trois puissances essentiellement dif-frentes, dlgues sparment trois sortes distinctes d'autorits.D'aprs ces textes, chacune de ces puissances apparat, tout lafois, comme un fragment de la souverainet et comme un pouvoirqui est par lui-mme complet, qui se suffit lui-mme, qui est, ence sens, autonome : la runion de ces pouvoirs forme la souve-rainet.

    En second lieu, tant donn que les trois pouvoirs ainsi dfinissont attribus sparment trois autorits spciales et distinctes,on a logiquement dduit de la doctrine de Montesquieu que cha-cune de ces autorits incarne et figure un pouvoir dtermin, une

    partie divise de la souverainet ; et par suite, on a t amen envisager ces autorits comme constituant elles-mmes, chacune,

    un pouvoir (M). Ou ce qui revient au mme on s'est habi-tu voir en elles les sujets de trois volonts distinctes, de troissortes de volonts, qui sont pareillement des parties, indpen-dantes entre elles, de la volont tatique et qui concourent, elles trois, former cette dernire. De l admettre qu' ces troisvolonts correspond, dans l'Etat, l'existence de trois personnessouveraines, la distance n'est pas longue: et telle a t, en effet, la

    doctrine de Kant {Metaphysische Anfangsgriinde der Rechtslehre,

    45-48), qui caractrise les trois pouvoirs comme autant de per-

    sonnes morales se compltant l'une l'autre et qui fonde ainsi lathorie de l'Etat un en trois personnes.

    279. La double srie d'ides qui vient d'tre indiquecomme contenue dans la doctrine de Montesquieu, doit tre re-pousse : ces ides sont inconciliables avec le principe de l'unitde l'Etat et de sa puissance.

    (14) C'est l une des causes principales de cette terminologie si fcheuse,mais si habituelle, qui consiste appliquer le nom de pouvoirs tout ensembleaux fonctions de puissance et aux organes exerant ces fonctions (V. supr,t. I, p. 259, note 1).

  • 24 LES FONCTIONS DE l'TT.

    Dj, il faut prendre position contre l'affirmation fameuse paro dbute le chapitre De la Constitution d'Angleterre : Il y a,dans chaque Etat, trois sortes de pouvoirs. Cette formule n'estpas exacte. Il n'y a pas, dans l'Etat, trois pouvoirs, mais bien unepuissance unique, qui est sa puissance de domination. Cette puis-sance se manifeste sous des formes multiples : son exercice passepar des phases diverses, initiative, dlibration, dcision, excu-tion; les divers modes d'activit qu'elle comporte, peuvent nces-siter l'intervention d'organes pluraux et distincts. Mais, au fond,tous ces modes, formes ou phases, concourent une fin unique :assurer dans l'Etat la suprmatie d'une volont dominante, la-quelle ne peut tre qu'une volont unique et indivisible. Le motmme de domination exclut la possibilit d'une pluralit de pou-voirs proprement dits : car, si la puissance d'tat se divisait enplusieurs pouvoirs juxtaposs et gaux, aucun d'eux ne pourraitpossder le caractre dominateur, et, par suite, la puissance totaledont ils sont les lments constitutifs et partiels, demeureraitelle-mme dpourvue de ce caractre.De mme, le concept suivant lequel la personne tatique com-

    prendrait en soi, en corrlation avec les trois pouvoirs, trois su-jets ou personnes exprimant chacune pour le compte de l'Etat unevolont propre et distincte, est inacceptable. On a souvent repro-ch Kant d'avoir, par l'adoption d'un tel concept, pouss l'ex-trme et jusqu' l'absurde les consquences, logiques d'ailleurs(Jellinek, op. cit., d. franc., t. II, p. 161; Duguit, Trait, t. I,p. 119), de la thorie de Montesquieu. Mais l'ide de Kant se re-trouve dans bien des traits de droit public. Par exemple, elle seretrouve ainsi que l'a montr Laband (op. cit., d. franc., t. II,p. 268 et 291) au fond de cette doctrine, demeure si longtempssans contradicteurs, qui consistait dire que, dans les Etats oest pratique l'institution monarchique de la sanction des lois, laformation de la loi dpend et dcoule d'un accord de volontsncessaire entre le monarque et les Chambres, c'est--dire d'uneopration analogue celle qui intervient entre deux personnescontractant ensemble ( i5 . Comme si ces deux organes de l'Etat, le

    (15) M. Hauriou dfinissait nagure la loi, au point de vue de sa forme, unergle obligatoire crite, dont la rdaction et la promulgation sont le rsultatd'un pacte statutaire entre des pouvoirs constitutionnels , pacte qui s'ta-blit entre le Gouvernement et le Parlement (Prcis de droit administratif.66 d., p. 292 et s.); la formule de cette dfinition est sujette critique, entant qu'elle veille l'ide d'une origine contractuelle de la loi. Aujourd'hui,

  • SPARATION DES FONCTIONS ENTRE DES ORGANES DISTINCTS. 25

    roi et le Parlement, pouvaient tre regards comme correspondant deux volonts distinctes, capables de contracter entre elles (16).Aujourd'hui encore, parmi les auteurs qui se dfendent le plusd'admettre la conception trinitaire reproche Kant, il en est plusd'un dont la pense voisine avec celle de ce philosophe. Quand,par exemple, M. Esmein (Elments, 6e d., p. 669) prsente lancessit de la promulgation des lois comme une consquencelogique du principe de la sparation des pouvoirs , il exprime parl, en ralit, une ide qui se rapproche singulirement de la tho-rie de