Contes du Soleil Noir

Au diAble vAuvert

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Mon nom n’a pas d’importance. Appelez-moi simplement Geek – le voyageur immobile.

Je vis dans une tour d’une de vos banlieues d’Europe, peu importe laquelle – peut-être près de chez vous. Je ne sors jamais. Je mange des pizzas, je bois du soda, je demeure, nuit et jour, devant mes écrans – télévision, internet, cctv, webcams, smartphones… Je vous ai vus chez vous – sur les réseaux sociaux – je vous connais. Je connais tout le monde.

Aujourd’hui j’aimerais vous narrer quelques- unes des bonnes histoires que j’ai récemment découvertes, enregistrées et documentées sur la toile de l’information – dans l’océan de vos fantasmes.

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Une figure voyez-vous émerge – un motif, un mème. L’ombre d’un Soleil Noir, éclipse de la raison, s’étend au-dessus des déserts et des villes, et vous ne voyez rien. Tout cela est caché bien sûr, occulte ! Pourtant il y a ceux qui savent – ceux que le Soleil Noir a touchés. Qu’ils l’aient voulu ou pas, que ça leur plaise ou pas – votre voisin, votre collègue de bureau, un zonard dans la rue – votre mari, votre enfant, votre chef d’État – peut-être ont-ils eux aussi le « Soleil Noir dans la bouche ». Mais vous ne le voyiez pas.

Voici donc quelques-unes de ces histoires, mesdames et messieurs – quelques témoignages sur l’envers du décor. Le Soleil Noir est un prisme mes amis – un outil optique, servant à révéler ce que le déni vous aurait fait manquer.

Nécromancie, cybermagie, envoûtements, pouvoirs psychiques – toutes ces choses sont bien réelles, pour peu qu’on sache voir. Vous les trouverez au coin de la rue, au travail, au supermarché – dans les jeux vidéo de vos enfants ou les rubriques coquines des tabloïds. Le Soleil Noir est partout mes amis, il touche n’importe qui. Certains seront détruits. D’autres découvriront les Arcanes, et de tortueux chemins de puissance.

Priez pour ne pas vous reconnaître dans l’une de ces histoires – ou alors au contraire espérez être touchés. Cela ne dépend que de vous. Pour ma part je m’en moque, je ne suis pas un sentimental.

Ah, dernière chose : à l’instar de l’opium le Soleil Noir a pour vertu notoire d’exacerber les sens, troubler les passions et refléter les fantasmes – c’est un enivrant. Tout ça pour dire : rangez les gosses au lit hein.

Alex Jestaire

Contes du Soleil Noir Invisible Illustrations de Pablo Melchor

Du même auteur

Tourville, roman, Au diable vauvert, 2007ÉlysÉe Noire 666, roman, La Tengo, 2010CoNTes du soleil Noir :

Crash, roman, Au diable vauvert, 2017 arbre, roman, Au diable vauvert, 2017

ISBN : 979-10-307-0112-8

© Éditions Au diable vauvert, 2017

Au diable vauvertLa Laune 30600 Vauvert

www.audiable.comcontact@audiable.com

Prends une pincée de trou de serrure, mets-toi en pli, Découpe le long des pointillés, pense au dehors, Fais trois tours bondissants, saute dans le miroir,

Et tu seras invisible.

Kate Bush, « How to Be Invisible »

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Ce type n’a pas bougé depuis plus d’une heure. Pas du tout. J’imagine que si vous passiez là vous jetteriez un œil, vous vous diriez : « Ah tiens, un sdf. Du genre punk à chien. » Vous serez peut-être attendri par le petit teckel à poil ras enroulé devant lui, un knacki rouquin court sur pattes avec la tête d’un détective dans un Walt Disney – trop chou. Vous ne verrez peut-être rien d’autre si vous n’avez pas le temps, que vous ne faites que passer. Au deuxième coup d’œil quand même vous allez vous dire que ce type a l’air stone, genre défoncé – ça saute aux yeux si tu t’y attardes. Déjà il est vachement pâle – c’est quand même le mois d’août, les gens ont plutôt des couleurs, même pour la Belgique. Lui est de la teinte de quelqu’un qui sortirait pour la première fois

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en six mois des couloirs du métro. Bon ok, là vous seriez déjà repartis – pourquoi se taper des frissons glauques comme ça – c’est la vie, c’est le monde, on voit de tout. Mais quand même, on va jeter un coup d’œil de plus, dans l’idée de dire : ce type n’a pas bougé depuis plus d’une heure. Pas du tout. Si vous vous arrêtiez et que vous observiez vraiment, assez vite vous vous demanderiez si le bonhomme n’est pas en train de faire un malaise, ou s’il n’en a pas déjà fait un, et même carrément : est-ce qu’il serait pas déjà mort ? Je sais pas vous – moi je crois que je lâcherais là. Je veux dire : un rendez-vous c’est important, il faut arriver à l’heure, tout ça – alors franchement, appeler une ambulance, la police, tout ce cirque – quelqu’un d’autre s’en apercevra et fera ce qu’il faut – après tout je ne suis pas docteur ; moi là je bouge. Sauf qu’on va rester quand même. Pour un coup d’œil de plus. On va dire que vous vous mettez devant, disons à trois ou quatre mètres en face – on est à l’arrière de la gare du Midi, y a de la place, des gens qui passent. Disons que vous êtes comme lui, un sans-abri, que vous posez votre sac là et que vous vous mettez à l’observer. Une chose frappante, qui fait peut-être illusion

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pour ceux qui passent vite, c’est qu’il a les yeux ouverts, braqués droit devant – ça donne une impression d’éveil. En même temps c’est une impression superficielle, parce que quelqu’un d’éveillé qui ne bouge pas d’un iota, pas d’un millimètre pendant près d’une heure – là vous allez commencer à vous dire que vous voyez quelque chose de ouf. Autre détail qui donne le change : le chien. Forcément il attire le regard tellement il a une tronche marrante, et puis il bouge, lui. Pas des masses ok – il est allongé à même la dalle, il a l’air d’avoir chaud, ses gros yeux mouillés et intelligents suivent le défilé des jambes qui passent – par intermittence seulement, mais lui au moins a l’air vivant. Le type, on ne peut même pas être sûr qu’il respire. Évidemment avec son blouson gris pas du tout de saison (il fait plutôt chaud en ce moment) tu peux difficilement voir si sa poitrine se soulève – mais ses épaules – elles sont tellement fixes que là tu vas commencer à tiquer. Tiquer pourquoi ? Ben parce que d’un coup ça donne l’impression de voir une image vidéo freezée (ou une photo 3d) intégrée va savoir comment dans le décor réel – une sorte d’installation d’artiste (peut-être un truc financé par vos impôts), un

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trompe-l’œil « pour dénoncer l’exclusion » et putain qu’y font chier tous ces donneurs de morale. Oui d’accord y a des sdf, qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Ou alors non, ne perdons pas les pédales, c’est tout simple : c’est un mec qui fait la statue. Il fait un spectacle. Juste il n’a ni costume de science-fiction, ni masque. Il fait la statue d’un sdf. C’est concept.

Le carton blanc devant avec l’inscription au feutre pour manger svp est à l’envers. Le type est économe de mots – après tout pour quoi faire, la littérature ne paie pas. Il a un sac décati posé derrière, contre le mur pisseux de la gare, un duvet dedans. Il fait jeune, ou pas trop vieux – disons un jeune qui se serait abîmé vite. Il a la bouche juste assez ouverte pour qu’on voie bien qu’il a les dents en vrac. De là à se dire qu’il a dû gober trop de trips, que là il est défoncé – d’ailleurs n’y a-il pas une bouteille de Valstar qui dépasse de la poche de sa doudoune ? Ce type n’est pas un artiste, seulement un junkie qui scotche. Si vous étiez en face et au même niveau (à genoux ou en tailleur) vous pourriez essayer de vous placer dans l’axe de son regard, pour voir s’il vous remarque, ou si

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ça le fait réagir. Après, si ça ne marche pas vous pourrez toujours secouer une main ou claquer des doigts – avant d’en venir finalement au point où vous allez faire « Hé ho », préliminaire à la suite logique : « Vous allez bien monsieur ? » Seulement là vous ne capterez pas son regard. Même si vous vous mettez bien dans l’axe, vous allez sentir qu’il regarde derrière vous, ou à travers vous – seulement derrière vous il n’y a rien d’autre que la rue et le rez-de-chaussée du building Zuidertoren, quelques fanions paneu-ropéens à l’entrée. Ça ou que dalle – ce type ne voit rien. Ce qu’il regarde est à l’intérieur de lui-même.

Ensuite vous allez commencer à voir autre chose. Il faut que vous ayez été ici pendant au moins dix minutes (à moins c’est encore comme si vous passiez). Il faut que vous ayez eu le temps de vous fondre dans le décor avec lui, dans l’autre monde, à un point où tous les passants, et les bruits diffus autour, et le bus qui passe derrière – tout ça fasse partie de la même soupe ambiante. Là tu commences à voir la bulle (ce qui signifie que tu es capable de voir certaines choses). Au début tu te dis : c’est clair,

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ce type n’est pas seulement pâle, il est en noir et blanc. Son blouson n’est pas juste gris, il est aussi en noir et blanc. Et même le mur derrière lui, et l’air autour de lui – mais pas le chien, qui est pourtant juste devant. Donc ce n’est pas une bulle, c’est une ombre, un disque – il est dans une auréole noir et blanc – Bouddha agenouillé en caméo monochrome – trop zen le type. D’ailleurs si tu regardes bien : il n’a pas l’air mal, il n’a pas l’air de bad triper. Il tripe, ça c’est sûr, il est ailleurs, et loin – mais calme. Tout seul oui, mais peinard.

« Oh putain ! » Il a dit ça comme ça, d’un coup, comme si quelque chose l’avait surpris ou effrayé. S’il était un peu moins à l’ouest il se dirait qu’il a eu une absence, qu’il a décroché – seulement ce genre de trou fait tellement partie du quotidien, c’est tellement dans la texture de tout le reste – le bordel, les embrouilles, la vie quoi. Il s’est passé quelque chose ? Il ne sait pas, ce n’est pas très important. Le chien le regarde, genre content ouais copain ! « C’est ça, va niquer ta mère pov’ truffe. » Le chien semble encore plus content, il se dresse sur ses petites pattes et commence à s’étirer,

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l’œil vif. « T’es trop bon trop con, moi je te dis, un de ces quatre tu te feras ramasser, ils vont te retirer les couilles tu feras moins le malin. » Langue pendante du roquet alors on fait un truc ? « Fais voir ça ? Putain, ah ouais, un euro… vingt… vingt-trois. Y en a un qui a carrément mis un centime, juste un ! Putain t’y crois toi à ça ? » Le chien ne croit rien, le chien ne s’intéresse pas aux pièces – il le regarde lui, façon de dire alors tu te décides on fait quoi ? Il fait « ouais », il regarde autour. C’est quelque chose comme la fin de l’après-midi, cinq heures – pas mal de monde qui passe, par grappes, pas mal de touristes avec des sacs – il fait « bon ». Et là aussi sec il se lève, le chien jappe – « Ouais, ça va, ça va ! C’est pas non plus la fête au village ! » Il se dit : j’irais bien me recaler à la campagne, dans une petite baraque, dans un village à retaper, avec une alloc, ou alors un réseau de gens autour qui s’entraident, on s’échangerait de la bouffe contre de la beuh, lui ferait pousser sa beuh dans un champ il aurait un champ de beuh derrière chez lui « Ooh là, pardon monsieur dites, excusez-moi, je sais que là vous êtes pressé mais euh, vous pourriez pas me dépanner d’un euro, ou deux ?

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C’est pour manger. » Enfin bon le gars qui passe fait le faux, genre il l’a pas vu pas entendu, il est déjà loin. Ah ouais d’accord. Alors bon : « C’est ça le chien, fais le charmant, fais-leur tes yeux mouillés là – un de ces jours je poserai le carton je te laisserai là toute la journée, chuis sûr que t’en ramasseras plus que moi même endroit même heure. » Le chien a bien compris le message, il pose son cul par terre et prend la pose du toutou miséreux qui aurait pu faire de la figuration dans Sans famille. Ouais la famille – la famille – tu parles d’une embrouille, à chaque fois ça l’énerve de penser à ça. Il dit à la meuf : « Hé pardon madame, une p’tite pièce ? Une clope au moins ? » Mais non, ça la défri-serait la fille de lui tendre ne serait-ce qu’un joli regard – rien que ça elle veut pas, elle hâte le pas. « Et putain merde attends là, d’accord. » Il se rassoit, comme ça, aussi sec. Il a assez essayé pour l’instant, ça le soûle – les gens sont des connards, lui aussi est un connard – en fait tout le monde est un connard, c’est comme ça. Il sort la bouteille de Valstar de sa poche, c’est une nouvelle série, nouveau goût, après la rouge et la verte voilà la noire – avec des côtés bière brune dans la mousse, la Guinness du très

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très pauvre. « Eh tiens, t’en veux le chien, t’as soif ? » Il se bidonne – en même temps le chien fait ok rigole, mais c’est vrai que j’ai soif – enfin il le lui fait comprendre dans le regard. Depuis combien de temps ils sont là ? « Depuis combien de temps on est là ? » Le chien est con, il n’en sait rien, il le regarde, croise ses petites pattes et se rallonge en travers, genre t’es pas drôle je vais roupiller un coup. « Ah ben d’accord ! »

Il se fait une micro roulée avec des restes de tabac récupérés sur des mégots – ça a un goût de chiotte mais ça reste un clope. Là maintenant il aimerait bien que quelqu’un le dépanne d’une vraie cigarette tirée du paquet, ou alors royal : qu’on lui file assez de thune pour acheter un sachet de Samson avec marqué fumer tue dessus – ça fait longtemps qu’il n’a pas eu de paquet à lui. Les gens passent, toujours pressés, ça le soûle que personne fasse attention à lui. Ils ont tous un programme, des trucs super impor-tants à faire, genre manger des gaufres, diriger le monde, faut comprendre, ils ont des soucis. Tiens pour une fois ça le fait sourire – il en voit un qui s’arrête, avec un de ces super téléphones qui font tout, internet la télé ta copine à poil

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tout en un – le mec regarde un truc sur son écran, juste là, deux mètres devant, coupe brushing nickel et sale peau. Il lui fait « Hé ! Hé Tranxène ! » Le gars plisse les yeux et appuie sur des touches. Ah ben tiens. « Hé Lexo ! » Il trouve ça super drôle, il se poile – seulement le type ne calcule rien et repart. Trop bouché le mec, trop dans son monde – rien que des gens à la ramasse qui verraient pas même une météorite leur tomber sur la tronche. Il se lève : « Hé Nuctalon ! » à l’attention d’un japonais qui arrive avec sa femme, mais bon ils ont les yeux rivés sur un guide et ne sont pas sensibles à la drôlerie de sa blague – pourtant Nuctalon ça fait bien super vilain japonais non ? Ils sont passés, ils s’éloignent déjà, mais lui n’a pas fini – et même : il ne fait que commencer, il le sent – il se marre. Le grand zigue bien sapé qui arrive là, ne serait-y pas approprié de lui faire une belle révérence genre : « Hé salut, Messire Lexotan ! » Il s’en tape ? Bon, d’accord. Autre posture de film de Mickey ; maintenant il talonne une nana black, imite sa démarche et sa mine sévère : « Hé Xanax, Xanax ! » Ça y est, cette fois-ci il est en roue libre, il fait le comique – à une autre époque des gens auraient

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pu lui donner une pièce pour ça. « Oh mais ce serait-y pas Mam’zelle Valium ? » la petite nana mignonne, rondelette presque naine, des écouteurs dans les oreilles – mais que dalle, elle calcule que dalle, elle va vers la gare. Lui fait des cabrioles dans tous les sens, c’est tout juste s’il leur postillonne pas dans les oreilles – mais en fait tout le monde s’en fout. Personne n’a envie de rire, ou même de s’énerver pour ça. Le pire c’est qu’y a même pas un flic pour venir lui dire de se calmer. Quand t’y penses c’est insultant et pas rassurant pour l’avenir de la société – c’est ce qu’il se dit, quand même un peu surpris par toute cette béance. Il aurait raté un épisode ?

« Hé dis donc Pfizer… » Cette fois-ci le ton est caustique, c’est plus le clown gentil, plutôt un Dupontel – le mec que tu voudrais pas croiser dans une ruelle, ou derrière la gare. « J’te cause là. » Le type, bien habillé, en train de s’allumer une clope, a une gueule qui ne lui revient pas – à une autre époque il lui en aurait collé une rien que pour ça. Là il s’est mis bien devant, il lui parle à vingt centimètres, grave dans sa zone de sécurité, et pourtant crois-le ou pas le

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mec allume sa blonde comme de rien, relève la tête et se la joue vraiment genre non, je te vois pas, t’es pas là, je regarde un truc derrière et je démarre comme si personne m’avait parlé – un maître martial de l’art du déni. Le plus fou c’est comment il a trouvé moyen de le frôler, de pratiquement le bousculer – mais sans le faire, comme si vraiment y avait personne. Cette fois-ci il en reste con, les bras pendants sur les côtés, à se demander s’il viendrait pas de croiser un de ces fameux reptiliens qui soi-disant contrôlent le monde – ces trucs à sang froid, pas humains – comment peut-on faire semblant à ce point-là, et aussi bien ? Ça le dépasse.

Le meuf lui rentre dedans, et pas qu’un peu – dans son 36 fillette, avec shoot de café et sacs de courses – c’est comme se prendre une locomotive. Vous auriez été assis en face vous l’auriez vue arriver face à lui, bien raide, bien pressée, le regard droit devant. Lui n’a rien vu. Elle non plus manifestement. Elle se vautre à moitié la gueule. Lui s’est mangé la tête dans la mâchoire il fait : « Ah putain la conne ! » La meuf se réajuste en panique, s’accroche à ses

sacs, sa tête tourne dans tous les sens – elle essaie de comprendre ce qui vient de se passer. Lui la regarde genre « allô quoi », qu’est-ce qu’ils ont aujourd’hui, ils sont tous perchés ou quoi ? Sauf que la meuf cherche vraiment – la meuf ne comprend pas. Plusieurs fois il la voit regarder vers lui, mais jamais directement au visage – son regard passe sur lui comme s’il n’y avait rien. Bien énervé il fait : « Hé mais oui, chuis là ma belle ». Il lève les bras comme l’épou-vantail, mais non, rien – pas de contact avec les yeux, pas un signe qu’elle ait entendu – juste la peur sur son visage, et finalement elle s’en va.

C’est là qu’il comprend, finalement, non sans quelque surprise, qu’il est devenu…