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Contes d’appartenance

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Contes d’appartenance Édition préparée et préfacée par Patrick Leroux

Manon Beaudoin Yvan Bienvenue Herménégilde Chiasson Patrick Leroux Jean Marc Dalpé Marc Prescott

Théâtre

Sudbury Prise de parole 1999

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Données de catalogage avant publication (Canada)Vedette principale au titre :

Contes d’appartenance

ISBN 2-89423-100-8

I. Théâtre canadien-français — 20e siècle. I. Beaudoin, Manon, 1995- .

PS8307.C66 1999 C842’.5408 C99-930759-2PQ3915.C66 1999

En distribution au Québec : Diffusion Prologue 1650, boul. Lionel-Bertrand Boisbriand (QC) J7H 1N7 450-434-0306

Prise de parole se veut animatrice des arts littéraires en Ontario français; elle se met donc au service des créatrices et créateurs littéraires franco-ontariens.

La maison d’édition bénéficie de l’appui du Conseil des Arts de l’Ontario, du Conseil des Arts du Canada, de Patrimoine Canada (Programme d’appui aux langues officielles et Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition) et de la Ville de Sudbury.

Photographies en page couverture : Jules VillemaireConception de la couverture : Max Gray, Gray Universe

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Copyright © Ottawa, 1999Éditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (On) CANADA P3E 4R2

ISBN 2-89423-100-8ISBN 978-2-89423-331-3 (Numérique)

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Préface

Patrick Leroux

Les Contes d’appartenance ont été inspirés du concept des Contes urbains tels que produits depuis quelques années à Montréal par le Théâtre Urbi et Orbi. Le concept a été repris à Ottawa par le Théâtre la Catapulte à l’hiver 1998 (l’édition outaouaise a d’ailleurs paru aux Éditions du Nordir) et a de-puis fait l’objet d’une production au Théâtre du Nouvel-Onta-rio à Sudbury, sous le titre de Contes sudburois. Le concept est bien simple : on commande un conte chacun à plusieurs auteurs locaux. Le conte est ensuite livré par un comédien ou, encore mieux, par l’auteur. On se limite à quinze minutes, on évite les accessoires, exception faite pour la proverbiale chaise de bois du conteur. Le cadre de la présente édition des Contes urbains étant le Forum sur la situation des arts au Canada français, nous avons donc commandé des contes à six auteurs de la francophonie canadienne. Vous (re)dé-couvrirez de nombreux milieux urbains dans lequel s’étend aujourd’hui la diaspora francophone au Canada : Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Ottawa/Vanier, Montréal, Moncton. Cha-que auteur y a décrit son chez-soi, les rues qu’on y arpente, les lieux qu’on y fréquente, les gens qu’on y rencontre...

Conter c’est prendre la parole, s’affirmer, s’afficher, prendre position. Si nous avons un jour pris la parole, c’était pour aus-sitôt la troquer contre le stylo, puis ensuite contre le clavier,

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question de donner une légitimité à notre projet artistique, à notre communauté. Une communauté lettrée est une communauté qui a le droit de Cité, Lord Durham nous a-t-il convaincu. Nos contes sont passés du salon à la scène au li-vre. Après tout, il est difficile aujourd’hui de conter par-dessus les vociférations du téléviseur.

Les Contes d’appartenance ont permis à des auteurs et gens de théâtre du pays de reprendre la parole, de renouer avec l’oralité... Mais nous avons, admettons-le, triché. Le point de départ était le texte et non le conte. Nous avons com-mandé des textes pour ensuite demander aux acteurs ou aux auteurs de « faire comme » les conteurs d’antan. Nous avons joué au conteur. Je me suis rendu compte de la duperie sur scène, alors que je livrais mon texte et qu’il m’empêchait d’aller au bout de cet échange avec le public... Le texte s’avé-rait nettement et curieusement insuffisant. Le souvenir de feu Camille Perron m’était on ne peut plus clair (je lui avais d’ailleurs dédié en secret la soirée). Pépère Cam, comme les conteurs avant lui, intériorisait le récit, il suivait une ligne directrice, veillant surtout à ce que chaque spectateur dans la salle le suive dans son aventure conteuse. Peut-on conter de cette façon aujourd’hui, en cette fin de millénaire ? Sans dou-te. Mais sans faire du folklore ? Nos cousins québécois Ferron et Beaulieu ont bu à la source folklorique pour ensuite litté-rariser le conte d’une voix tout à fait contemporaine. Yvan Bienvenue a fait de même pour les gens du milieu théâtral de Montréal, mais ses contes ont réussi à transcender ce public, attirant de plus en plus de gens à chaque édition.

Nous, nous écrivions pour un public tout aussi spécifique : des délégués venus d’une mer à l’autre pour discuter, échanger, faire des constats, dresser un bilan. Les délégués étaient impliqués dans leurs communautés : des leaders, des bénévoles assidus, des mordus de la culture; ils y étaient tous, sauf les jeunes. C’est justement un élément qui a désolé bien des gens de la communauté et qui m’a inspiré mon texte

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« Alain Lalonde, barbier ». Dommage qu’on ait donné comme épigraphe au forum le titre d’un film d’Herménégilde Chias-son, « Toutes les photos finissent par se ressembler ». Or, ceux qui ont vu ce film savent qu’il s’agit du bilan des activités artistiques et revendicatrices du père, un bilan dressé pour sa fille qui aura à prendre le flambeau à sa façon. Elle peut apprendre du père tout en y mettant du sien, généreux acte de générativité de la part du cinéaste ! Le choix de l’épigra-phe s’avérait d’autant plus douteux pour un forum auquel la relève n’avait pas été conviée (ne nous méprenons point : la relève est malgré tout articulée, suffit de lire, pour s’en convaincre, le dossier « Des jeunes aux commandes » dans le numéro 99 de Liaison). Je n’invente rien, Herménégilde Chiasson, lui-même, aurait déploré l’absence de la relève à la conférence (propos d’ailleurs cités dans Infomag, été 1998).

La critique des siens est toujours une chose délicate. On peut critiquer l’ennemi, l’Autre, l’Anglais, l’Américain, mais pas ceux de notre communauté. Ou du moins, c’est ce que j’en déduis après les commentaires qui m’ont été prodigués à ce sujet. « Alain Lalonde, barbier » visait à être la contre-partie d’un Forum où les gens se félicitaient et s’attablaient pour les grandes discussions, mais où ils oubliaient (ou ne se rendaient pas compte) que plusieurs créateurs de la jeune génération s’exilent par manque d’ouverture, de place ou par désillusionnement. Pourquoi ne pas inviter à la discussion ceux qui choisissent de rester, de contribuer, ceux-là même qui ont besoin de se nourrir des histoires et des acquis de la génération précédente ? Comme pour un conte, les grands et les petits, les gentils et les tannants devraient tous se retrouver captifs devant le conteur; vivant une expérience commune, communale, communautaire. Ce sera peut-être pour la prochaine fois...

Le conte traditionnel avait son Ti-Jean, mais le conte urbain a son anti-héros qui, lui, n’arrive pas toujours à duper le roi. Nos contes sont empreints d’invraisemblable tout comme

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l’étaient ceux de nos aïeux, à la différence que nous n’arri-vons plus à mettre de l’ordre dans ce chaos de nos vies. L’ab-surde l’emporte sur le vraisemblable. Au moins avons-nous le mérite de le reconnaître. Au moins avons-nous le mérite aussi de rêver malgré ce cul-de-sac existentiel. Une lueur d’es-poir se fait voir dans tous les contes qui suivent malgré leur intrigante « étrangeté ». Les auteurs trempent dans le mythe urbain, le surréel, l’ésotérique, évoquant parfois des images droites sorties d’un film de David Lynch, d’un poème de Poe ou d’un film policier de série B. Tantôt un ange descend du ciel afin de réconforter un pauvre type, tantôt un trou s’élargit dans le ventre d’un conteur aux prises avec la réalité des souvenirs et la réalité sensorielle, tantôt des jeunes plongent dans l’abîme du dé-sespoir et ne voient qu’une seule issue, aussi terrible soit-elle, tantôt le diable lui-même descend sur terre (ou est-ce un de ses suppôts ?) afin d’alléger le mal de vivre... L’étrangeté même de ces contes urbains pancanadiens leur confère une certaine vérité plus que vraie. Il s’agit d’un condensé de la réalité; une réalité où ce n’est plus le roi qu’il faille duper, ni le dragon tuer. Le noir est parfois blanc tout comme le contraire est vrai aussi. Nous baignons dans le gris et nos histoires seules nous rappellent le caractère essentiel des couleurs.

Vanier, le 20 janvier 1999.

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Les Contes d’appartenance, une production de l’Institut franco-ontarien et du Théâtre du Nou-vel-Ontario, ont été créés le jeudi 4 juin 1998 au Théâtre du Nouvel-Ontario, Sudbury, dans le cadre du Forum sur la situation des arts au Canada français.Selon le concept original des Contes urbains du Théâtre Urbi et Orbi (Montréal).

Productrice déléguée : Sylvie Mainville

Direction artistique : Patrick Leroux et Anne-Marie White

Direction technique : Claude Faucon

Musiciens : Yves Doyon et Pandora Topp

• Marcia Babineau a conté « L’homme de la Place Champlain ».

• Manon Beaudoin a conté son propre texte, « La valise ».

• Jean Marc Dalpé a conté son propre texte, « Red voit rouge ».

• Robert Gagné a conté « Big ! ».

• Louis Lefebvre a conté « L’Ange exterminateur ».

• Patrick Leroux a conté son propre texte, « Alain Lalonde, barbier ».

Photos : Jules Villemaire

NOTA :« Red voit rouge » de Jean Marc Dalpé a d’abord été créé par le Théâtre la Catapulte à Ottawa en janvier 1998. Le conte a paru dans Contes urbains, Ottawa, publié aux Éditions du Nordir, Ottawa.« L’Ange exterminateur » d’Yvan Bienvenue a d’abord été créé par le Théâtre Urbi et Orbi à Montréal en juin 1997. Le conte a paru dans Dits et inédits, publié chez Dramaturges Éditeurs, Montréal.

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Big !

Marc Prescott (Manitoba/Québec)

Rock’n’Roll, estie ! Eille, Big ! Alright, man ! Je suis content que t’es là, Big ! Cool ! Fais comme chez toé, Big — à moins que chez toé, tu chies su’é tapis ! C’t’une joke, Big ! Eille, as-tu l’argent, Big ? Dix piasses. (Un temps.) Che-ching ! Thank you very much ! (Un temps.) O.K., Big. (Le conteur déplace la chaise.) Là, c’est pas compliqué, man — là, ce qu’y faut que tu fasses, c’est licher le tapis. Enwoyes, Big , liche ! Come on ! Mets ta langue su’ le tapis, Big ! Enwoyes ! Attaboy ! Viens voir pôpa. Dis allô à pôpa. Harley fuckin’ Davidson ! Rock’n’Roll, estie ! Eille, je te jure, Big, dans une heure, tu sauras même pus comment te crosser !

Le conteur décroche de son personnage. Il parle avec sa propre voix.

Ça — ce que vous venez de voir, c’est une imitation d’un de mes amis. Un ami d’enfance. Mon meilleur ami, Jos. Ce que je viens de jouer, c’est vraiment arrivé. Moé, j’étais celui qui lichait le tapis. C’est moé, Big. Y’avait plein de monde qui m’ont vu faire, en plusse. Toutes stoned. Des gros bikers en cuir, des petites pitounes avec des gros balcons — si vous me comprenez à mesure que je parle — des tétons tellement gros, là, je sais pas comment y faisaient pour garder leur équilibre. Des tétons, soit dit en passant, que t’oses jamais regarder — c’t’une loi, ça — mais tu les sens, y sont jusse là — je te jure, tu développes un sixième sens pour ça. Sans

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compter les drogués, les burn-out pis les rednecks avec des belt-buckles plus gros que ma tête. These are the people in my neighbourhood. « Come on, man ! Lick the carpet ! » J’ai liché le tapis pis après je suis allé licher le chat. Tant qu’à y être.

Voyez-vous, Jos avait fait de l’acide en liquide. (Avec la voix de Jos.) ...De la vraie acide, man. Le genre où t’oublies que t’as une graine ent’ les jambes ! (Avec sa voix.) Après avoir concocté sa batch, Jos avait renversé l’acide su’ son tapis shaggy orange-fluo-années-soixante-dix. Là, fouille-moé pour-quoi, y’a décidé de licher son tapis pis y’a buzzé comme un malade. Encore, fouille-moé pourquoi, y’a décidé de faire un « acid-lick-party ». Pis fouille-moé pourquoi une dernière fois, y’a quarante personnes qui sont venues licher le tapis pis buzzer comme des malades, comme moé. Pis c’était le trip du siècle. Eille, j’ai même parlé avec Dieu. Oui, monsieur, Di-yeu. Le grand boss lui-même. Y nous a parlé, à moi pis à Jos. Pis ç’a changé ma vie.

Vous, vos partys ressemblent à quoi ?

(Comme les témoignages à la A.A.) Bonsoir. Mon nom c’est... (Nom du conteur en question.) ...pis je suis un licheur de tapis. Mais rassurez-vous, mesdames et messieurs, maintenant, je liche pus les tapis. Je suis un gars mellow. Un gars straight. Un gars platte.

J’ai pas une petite maison rose avec une clôture blanche, une fille, un garçon, un chien pis un gazon. Je me dis qu’y’a pas personne qui est mort pour avoir rêvé à ça pour autant. À un moment donné, y faut que tu mettes tes trips de jeunesse de côté pis que tu passes à autre chose. Grow up, estie ! (Un temps.) Excusez-moé. Je suis en train de me justifier pis je devrais pas. Je suis venu vous raconter mon histoire pas pour faire mon procès.

So, here we go. (Un temps.) J’ai l’impression que quelqu’un va me tuer. Je sais que ç’a l’air fou quand je le dis de même

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mais je serais pas surpris si quelqu’un me surprenait un soir, en marchant, en prenant une pose d’écriture, en me crissant un gun dans face. Pis le pire, c’est que mon assassin — assas-sin que je connais bien — se dira, en tirant sur la gachette, qu’y m’aura rendu un sacré service pis qu’y aura tenu sa pa-role. Je le sais ce que vous pensez. Non, c’est pas une histoire de mafia ou de Hell’s Angels ou d’argent volé, de double-cross, ni même de vengeance. C’est ben plus simple que ça.

Un jour, comme ça, par hasard, je décide de faire un tour chez Jos. Jos, au cas où vous l’auriez pas compris, c’est un pusher pis y t’as une estie de business. Une vraie phar-macie. Y’a tout’. You name it : du pot, du hasch, des zoomers, des bennies, de la P.C.P., de la mescaline pis de l’acide en liquide. Je rentre chez Jos; Mona est là. Mona, c’est un regular. C’est le genre de femme qui grafigne les yeux tellement qu’est belle. Une espèce de grande blonde mince aux yeux bleus. Pis des grandes jambes, là — tellement grandes qu’y touchent à terre. Toujours est-il que je rentre chez Jos pis la chicane est pognée là, ç’a pas de bon sens.

Avez-vous entendu parler de l’histoire d’une autochtone à Winnipeg qui était enceinte pis qui sniffait de la colle ? Ç’a fait les manchettes. C’était genre sa troisième grossesse. Child and Family Services en avait plein le cul pis y’avaient décidé de s’en mêler. Y voulaient qu’a’ fasse une désintox pour empêcher que l’enfant naisse avec une dépendance ou pire — ses deux autres sont nés avec toutes sortes de problèmes. Y’ont réussi à avoir une injonction; ç’a passé devant les tribu-naux... Finalement, y l’ont laissée partir parce qu’y pouvaient pas la forcer à faire une désintox ou avoir un avortement, je m’en souviens pus trop.

Ça fait que moé, quand je rentre dans cabane, la chicane avait ben pogné parce que Jos était ben fier du fait qu’y avait déjà été le pusher de « la squaw », comme y l’appelait. (Avec la voix de Jos.) « Je sais pas c’est qui qui la fourres, Big ! Est tellement laite que je la fourrerais même pas avec ta graine.

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Rock’n’Roll, estie ! »

(Avec sa voix.) Mona était en crisse contre Jos parce qu’y lui avait vendu de la coke, sachant très ben qu’était enceinte. Lui, y se défendait en disant que c’était pas de sa faute si la « squaw » était cokée pis, de toute façon, avec des cokés, y’ avait rien à faire.

Moé, j’essayais de lui faire comprendre qu’y’ avait sa part de responsabilité. « Comment tu fais pour t’endormir, sachant que c’est un peu de ta faute qu’y sont nés de même ? (Avec la voix de Jos.) — C’est pas de ma faute, Big, si a’ peut pas se contrôler. (Avec sa voix.) — C’est justement pour c’te raison-là que tu devrais l’aider en refusant de lui vendre de la coke. » Pis Mona qui ajoute: « Moé, j’aurais tellement honte à sa place. Si jamais je suis dans c’te position-là, s’il te plaît les boys, faites de quoi. Crissez-moé en prison, en désintox, je le sais pas. Je préférerais mourir que de vivre avec ça su’ ma conscience. »

Je pense qu’y’ a compris. Un peu trop, même. Jos est ben influençable pis y’a tendance à prendre les choses un peu trop au pied de la lettre. C’est ça qui me fait peur.

En tout cas, je saute dans le temps, to make a long story short. J’allais de moins en moins chez Jos. C’était pus aussi drôle. Jos était dans une drôle de passe. Y faisait de l’acide à tou’és jours. Pis ben franchement, Jos commençait à me faire peur.

J’avais des nouvelles de Mona de temps en temps. Y paraît qu’a’ faisait ben gros de la coke. Y paraît même qu’a’ se le shootait mais personne l’avait vu faire pis elle avait pas de needle tracks. A’ devait se le shooter entre les orteils. On m’a dit qu’elle avait fait un petit cours de secrétaire pis qu’était allée travailler pour la « Great Waste of Life ». Pis c’est là qu’elle a rencontré son chum. Apparemment, y fait un estie de gros salaire pis y paraît que c’est un beau gars pis y’ est ben fin pis tout’ pis tout’. Moé, je sais pas, je l’ai jamais

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rencontré. Jos non plus. Évidemment Mona allait jamais chez Jos avec son chum. Elle allait chercher son stuff pis « Merci ! Bonsoir ! ». En tout cas, elle a emménagé avec son chum « and yadayadaya »...

Je vas faire une rare visite chez Jos. Y’est ben weird. J’y de-mande comment ça va. « Same old, same old, Big. » Pas de nou-velles de Mona. Ça faisait presqu’un mois qu’était pas venue faire son shopping. Whatever. Je suis pas resté longtemps. Jos feelait pas.

Une couple de jours plus tard, j’ai une rage de dent du tabar-nac. Je vas à la pharmacie pour acheter du Anbesol. Y’ en a pas. Je vas de l’autre bord de la rue au Safeway — qui je vois ? — Mona. « Hé ! » A’ me regarde pis — hiiiii... Ça l’air à aller ben mal à shop. A’ tremble. Est blême. Est tout trempe. Ses yeux sont creux. Crisse ! J’ai flashé tu-suite ! Ça se sent ces affaires-là. Ça se voit dins yeux. Est en manque. « Comment ça va ? » que j’y demande. Pis a’ se met à brailler, mon gars, drette là dans le Safeway, dans rangée des céréales, entre les Fruit Loops pis les Cocos Puffs. « Je suis ben malade, qu’a me dit. — T’as arrêté. C’est normal. — Je suis enceinte. » Okidou. « Je suis pus capable. » Je regarde dans son panier pis je vois des Tylénols, du Benadryl pis du Vicks DM. « Ben la première chose qu’on va faire, que j’y dis, c’est de remettre tout ça su’ les rayons pis on va aller prendre un café. »

Ça fait qu’on est allés au Robin’s pis a’ m’a tout’ raconté l’histoire — qu’avait jamais pensé qu’était addict jusqu’à ce qu’elle essaye d’arrêter. Pour le bébé. Mais là, a’ en pouvait pus pis est allé chez Jos mais y voulait pas lui en donner. « Je l’ai supplié. Le tabarnac ! J’ai eu tellement honte. Je l’haïs tel-lement pour m’avoir fait sentir cheap de même ! Quand y’est revenu, j’ai pris le stock pis j’ai pitché l’argent su’a table pis j’ai crissé mon camp. »

Je me disais que Jos avait quand même fait son possible. Je me souviens même d’avoir éprouvé, à ce moment-là, un cer-

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tain sentiment de fierté et d’admiration pour lui. Pis là, Mona, a pitch le sachet de coke su’a table. Drette-là dans le Robin’s. « Tiens. Je le veux pas. Prends-le. Fais ce que tu veux avec. » Je l’ai pris. Je lui ai donné mon numéro de téléphone pis je lui ai dit qu’a’ pouvait m’appeler n’importe quand. Comme les A.A.

So, je suis retourné chez nous pis quand j’ouvre la porte — c’était comme si un cheval s’était rué sur moé pis que j’avais mangé un coup de sabot dans tête. Ma rage de dent, câlice ! J’avais rien acheté pour. Shit ! Cossé je vas faire, estie ? At-tends. Mona m’avait donné sa coke. Je pourrais en mettre su’ ma dent pis tout allait être tigidou ! Alright, cool ! Je sors le sa-chet, je liche le bout de mon doigt pis j’en mets su’ ma dent. Ah ! Le soulagement ! Mais là, la coke se met à faire des bulles dans bouche — comme si je venais de croquer dans un Alka-Seltzer. Fuck ! Cossé ça ? Pwwft ! Je le recrache. Fuck ! Cossé ça ? Je le regarde de plus près. Je le sens. Câlice... C’est du Draino, tabarnac ! Y lui avait donné du Draino. J’en suis sûr ! Fuck d’estie ! Je comprenais pus rien. Rien pantoute ! J’étais en câlice, ma tête a’ spinait. Pourquoi y’a fait ça, l’estie de malade ? (Un temps.) Fuck. Ça m’est revenu. « Je préférerais mourir que de nuire à mon bébé. Promettez-moé que vous ferez de quoi si je perds le contrôle. » Ah ben. Y savait que si elle en prenait, a’ serait morte raide. Y le savait, le tabarnac !

Pis là, je me suis souvenu du soir où j’avais liché le tapis chez Jos. Pis j’ai eu peur.

Comme je vous disais tantôt, moé pis Jos, on était ben fuckés su’ l’acide. Fuckés au max. On riait comme des malades. Comme dans le bon vieux temps. J’étais à l’aise, j’étais avec mon best-bud pis le mur respirait... but what the fuck, han ? Pis tout à coup, on a eu une drôle de sensation. C’était comme si Dieu était là avec nous. Je sais ben, mais... Au début, on y croyait pas. « Tu sens-tu ça, toé ? » C’était comme une pré-sence bienfaisante. Chaleureuse. Comme du satin. Du miel. Comme... Ben crisse, comme Dieu. Pis y s’est mis à nous par-ler. À propos de toutes sortes d’affaires. Je sais pas comment

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longtemps. Un long bout’. En tout cas, juste avant de partir, Dieu nous a dit: « La vie, c’est un cadeau que Je vous fais. Vous ne vivrez qu’une seule fois. Alors, vivez pleinement. » Pis Y’est disparu.

Pas besoin de vous dire qu’on est restés su’ le cul pour un long bout’. On en revenait pas. C’était trop hot. C’était too much. On comprenait pus rien. Après un très long silence, Jos y se tourne vers moé pis y dit: « Eille, Big ! si jamais je vis pas ma vie à fond, mets-moé un shotgun dans bouche pis shoot, estie. Promets-le, Big ! Parce que je le ferais pour toé, Big ! Parce que t’es mon meilleur chum au monde, Big ! »

J’ai promis.

Ça fait que, soyez pas surpris si vous lisez dans le jour-nal qu’on m’a tué. Moé, je serai pas surpris. Pis dites-vous qu’y’aura fait ça parce qu’y l’avait promis pis parce qu’y m’aimait.

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Du même auteur

Manon Beaudoin

Étude

Jeux éducatifs et apprentissage du français, PPMF élémentaire, Projet no 37, avec Christiane Dalpé, sous la direction de Diane Allard et Christophe Hopper, Université de Montréal, 1978.

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Table des matières

Préface Patrick Leroux .......................................................7

Big ! Marc Prescott .......................................................13

La valise Manon Beaudoin .................................................21

L’Ange exterminateur Yvan Bienvenue ...................................................31

L’homme de la Place Champlain Herménégilde Chiasson .......................................41

Alain Lalonde, barbier Patrick Leroux .....................................................49

Red voit rouge Jean Marc Dalpé........................................................... 61

Notes biographiques ............................................................. 68

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