conduites à risque et jeux dangereux au sortir de l’enfance. · 2010. 10. 18. · ou son...

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Une organisation du Centre Pluraliste Familial de Marche et du Service Prévention Santé de la Province de Luxembourg Avec le soutien du Centre Local de Promotion de la Santé Actes du colloque du 20 mai 2010 - Marche-en-Famenne - C PF Marche (plann ng familial) Province de Luxembourg Ou "Quand la chenille peine à devenir papillon." Conduites à risque et jeux dangereux au sortir de l’enfance.

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  • Une organisation du Centre Pluraliste Familial de Marche

    et

    du Service Prévention Santé de la Province de Luxembourg

    Avec le soutien du Centre Local de Promotion de la Santé

    Actes du colloque

    du 20 mai 2010- Marche-en-Famenne -

    C PF Marche(plann ng familial)

    Province deLuxembourg

    Ou "Quand la chenille peine à devenir papillon."

    Conduites à risque et jeux dangereux au sortir de l’enfance.

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  • 2

    Table des matières

    I. Mot d’accueil ................................................................................................................................... 3

    II. Introduction..................................................................................................................................... 5

    III. Témoignage d’une pratique à l’accueil des enfants et des adolescents en situation d’urgence 6

    A. L’adolescence, comment le changement va-t-il se produire ? ................................................... 6

    1. Deuil du côté des parents........................................................................................................ 6

    2. Deuil du côté des jeunes. ........................................................................................................ 7

    B. Conduites à risque : quelles sont-elles ? ..................................................................................... 8

    C. Peut-on parler du suicide comme une conduite à risque ? ...................................................... 10

    IV. Temps de partage d’expériences alimenté par la pratique ...................................................... 12

    V. Ce que les jeunes en disent… ........................................................................................................ 21

    A. Animations en 2 temps.............................................................................................................. 21

    B. Cas dans une classe ................................................................................................................... 22

    C. Expérience sur les conduites à risque ....................................................................................... 23

    D. Animation par rapport au jeu du foulard.................................................................................. 23

    VI. Se positionner en tant qu’adulte au risque de se tromper ....................................................... 25

    A. Introduction............................................................................................................................... 25

    B. Pour l’enfant.............................................................................................................................. 25

    C. Pour l’adulte .............................................................................................................................. 25

    D. Qu’en est- il de la prévention ? ................................................................................................. 27

    VII. Vivre au risque de … .................................................................................................................. 33

    A. Mieux comprendre le phénomène............................................................................................ 33

    B. Mieux accompagner ces jeunes dans leur construction ........................................................... 39

  • 3

    I. Mot d’accueil Thérèse Mahy, Députée provinciale en charge du Service Prévention-Santé.

    Bienvenue à toutes et à tous, et merci de consacrer tout votre après-midi à un colloque. Quand

    Madame Maquet est venue me voir il y a deux ou trois mois pour m’exposer son projet, j’ai tout de

    suite dit oui ! Dans notre société, la prise de risque est courante chez les jeunes et elle fait partie de

    la construction de la personnalité.

    Françoise Dolto parle de l’adolescence comme d’un homard : on a une carapace et cette carapace

    elle doit changer, elle doit se métamorphoser. Ca prend du temps et ce n’est pas toujours facile.

    L’adolescence est une période charnière et une période difficile. En tant qu’éducateurs, en tant que

    parents, en tant qu’enseignants, on vit à côté d’adolescents, de jeunes, qui vivent des situations

    parfois difficiles et qui, au niveau de la prise de risque, basculent parfois dramatiquement.

    Comme vous le constatez, la notion de risque varie et sa compréhension est différente selon qu’on

    l’entrevoit comme une étape importante pour la construction du jeune ou comme la capacité de se

    mettre en danger, de jouer avec les limites.

    L’adolescent est souvent confronté à cette ambivalence. Etre adolescent, c’est prendre des risques.

    Ce n’est pas de rester à la maison dans un cocon. Cela fait partie, quelque part, du boulot de

    l’adolescent de s’exposer. La prise de risque à l’adolescence n’est donc pas une pathologie mais un

    mal nécessaire.

    Ceci dit, dans la prise de risque, il y a des risques dangereux et c’est là que la prévention a un rôle à

    jouer : que ce soit l’alcool, les dépendances, les drogues… et, dans une moindre mesure, le tabac car

    le comportement n’est pas sensiblement modifié. Le jeu du foulard, le jeu des canettes, le jeu de la

    tomate, les tentatives de suicide, le petit massacreur et toute une série d’autres choses que nous ne

    connaissons peut-être pas mais qui fait partie de la prise de risque du jeune.

    C’est vrai que le jeune a un grand besoin d’évasion, de liberté, de s’amuser et aussi un besoin de

    vivre des sensations fortes, parfois en faisant disparaître les limites de son corps, en perdant son soi

    ou son psychique. Les raisons de cette prise de risque sont multiples et cela constitue l’objet de ce

    colloque.

    Si j’ai tenu à soutenir le projet de Madame Maquet, c’est parce que la prévention des conduites à

    risque, c’est quelque chose d’extrêmement important. Les Centres de Santé, notamment, et toutes

    les personnes qui travaillent avec les jeunes ont besoin de discuter autour de cette prise de risque.

    L’adolescence est une superbe période mais c’est aussi une période de vulnérabilité où on apprend à

    se construire et aussi à se détruire. Je pense donc qu’on a toutes et tous un rôle important à jouer.

  • 4

    Je remercie, en tout cas, Madame Maquet et tous les orateurs présents cet après-midi et je vous

    souhaite un bon travail. Je servirai de fil conducteur et de modérateur entre les échanges et conclurai

    à la fin de l’après-midi.

  • 5

    II. Introduction Chantal Maquet, licenciée en psychologie clinique et thérapeute,

    coordinatrice des activités thérapeutiques et de prévention au CPF

    Les comportements à risque et les jeux dangereux interpellent et inquiètent les parents ainsi que les

    professionnels (enseignants, éducateurs, assistants sociaux, médecins, psychologues, …).

    L’adolescence est la période de tous les possibles. Le jeune quitte un état pour aller vers un autre, ce

    qui ne va pas sans prise de risque,… Cette période de transition doit mobiliser toute notre attention

    d’adulte afin que la chenille devienne un papillon le plus épanoui possible. Sans dramatiser la

    situation, il convient d’être vigilant et de pouvoir détecter à temps les comportements préoccupants.

    S’inscrire dans une démarche de prévention est donc essentiel.

    Tous les secteurs de la vie de l’enfant et du jeune sont concernés : l’école, les activités de loisirs ou

    les relations familiales,… C’est pourquoi le Service Prévention-Santé et le Centre Pluraliste Familial

    organisent un colloque suivi d’une soirée tout public. Des experts engagés dans cette problématique

    partageront avec nous leur expérience et nous proposeront des pistes de réflexion.

    Ce colloque est né d’un constat de terrain. Au sein du Centre Pluraliste Familial de Marche-en-

    Famenne, deux axes de travail sont développés. D’une part, des animations de prévention à la vie

    affective et sexuelle dans les écoles. D’autre part, des consultations thérapeutiques pour jeunes et

    adultes. Dans ce premier axe, la thématique des « conduites à risque et des jeux dangereux » a été à

    plusieurs reprises soulevée par les jeunes. C’est pourquoi la thématique a été choisie pour le

    colloque.

    Questions émergentes : Y a-t-il une modification des pratiques des jeunes ou ces pratiques arrivent-

    elles plus tôt chez les jeunes ? Est-ce la faute des parents, des médias, des jeunes, … ?

  • 6

    III. Témoignage d’une pratique à l’accueil des enfants et des adolescents en situation d’urgence

    Jacqueline Witvrouw, licenciée en psychologie clinique au CHC,

    site de l’Espérance à Montegnée.

    « L’hôpital est un lieu qui est allumé quand tout est éteint. ». Citation de Ségolène Royal.

    A. L’adolescence, comment le changement va-t-il se produire ?

    La définition du mot adolescence est le passage obligé entre l’enfance et l’âge adulte qui se

    caractérise par une « crise ». Etymologiquement, le mot « crise » en grec veut dire « changement ».

    La crise c’est un moment où le sujet se met en contact avec ce qui fait essence pour lui et, donc, qui

    va faire office de changement.

    Le colloque s’intitule « Conduites à risque et jeux dangereux au sortir de l’enfance ». Le sous-titre est

    « Quand la chenille peine à devenir papillon ». A l’image du colloque, le changement peut donc être

    perçu comme la transformation de la chenille en papillon. Le jeune est représenté par la chenille et

    l’adulte apparaît comme le papillon. Ainsi, nous pouvons nous poser la question : « Quel genre de

    papillons sommes-nous pour les adolescents ? » et « à quel moment repassons-nous par l’étape du

    cocon ? »

    Il y a un deuil à faire aussi bien du côté des jeunes que des parents.

    1. Deuil du côté des parents

    Les enfants sont devenus des adolescents, il n’y a plus de « petit » à la maison. Cela peut être

    émouvant, bouleversant et déstabilisant pour les parents.

    Exemples : A l’adolescence, on n’embrasse plus, on ne touche plus les enfants comme

    lorsqu’ils étaient petits. On ne leur raconte plus des histoires, on ne calme plus les

    « bobos ». De même, les enfants ne viennent plus emprunter des habits dans la garde-

    robe de leurs parents. Les filles ne chaussent plus du 37 comme la maman, elles ont pris

    deux pointures au-dessus et sont passées du 37 au 39.

    C’est le début de l’autonomie : « il y a une chambre au dessus du garage ».

    La vie de couple a changé aussi. La famille revient au noyau de base d’un homme et d’une femme,

    des familles sont recomposées, un enfant arrive par surprise au sein du couple, des grands-pères et

    grands-mères partent et disparaissent. Tout cela fait un choc. Cela n’est pas si facile à vivre.

    A moins d’être vraiment de très jeunes parents, ils arrivent à la moitié de la vie et pensent à la

    vieillesse et la mort. Cela réactive des comportements qui ne sont pas évidents. Il n’est pas rare de

    voir des parents d’adolescents adopter des comportements défensifs. En effet, la plupart des gens ne

    pensent pas comme les moines bouddhistes « bienvenue ma sœur la mort ! ».

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    Par exemple, un comportement défensif pour un homme, va être d’acheter une « BM »

    décapotable. Pour une femme, cela va être de vouloir être copine avec sa fille, de faire du

    fitness et de sortir avec elle.

    Face à leurs adolescents, ces parents-là vont avoir envie de « ne pas accepter d’être un vieux con »,

    de « ne pas accepter de passer la relève », de « ne pas accepter de faire confiance et de se mettre

    peut-être entre parenthèse ». Ils vont avoir envie de se situer dans une relation égalitaire avec leurs

    adolescents. Et ils voudront se sentir beaux, regardés, aimés et se sentir toujours jeunes.

    Quel genre de papillons sommes-nous pour les adolescents ? Est-on trop brillants ? Trop pâles ? Est-

    ce qu’on arrive vraiment à voler ? Est-ce qu’on vole vraiment d’une branche à l’autre ? Est-ce qu’on a

    encore des rêves, des idées, des passions ? Qu’est-ce qu’on leur donne, qu’est-ce qu’on leur offre ?

    Quand on ne va pas bien, est-ce qu’on ne leur offre autre chose que des produits ? Beaucoup

    d’adultes prennent un cachet, un verre de vin, … pour aller mieux. Puis ils s’étonnent que leurs

    adolescents prennent une substance, un produit, un objet pour être en forme ! « Même l’ordinateur

    le plus puissant n’a jamais guéri personne d’un chagrin d’amour ». Est-ce qu’on les entend vraiment,

    est-ce qu’on les écoute ? Est-ce qu’on ne renchérit pas avec toujours les mêmes rengaines ?

    Exemples : « Est-ce que tu sais que je ne serai pas toujours là ? » ; « Est-ce que tu sais

    qu’un jour tu devras gagner ta vie ? » ; « Est-ce que tu vas arrêter ta musique de fou ? »

    Il faut les écouter, ils ont des choses à dire. « Pour entendre les oiseaux, il faut les écouter. ». Il y a

    une chanson de Souchon qui dit « Dis-moi d’où ma peine vient… ». Il y a un autre chanteur qui

    dit « Vient le temps de la récré, je vais prendre ta douleur. ». Il faut les écouter, les regarder,

    comprendre ce qu’ils vivent.

    Il y a aussi l’attitude du corps enseignant à l’égard des jeunes. Certains devraient développer des

    comportements plus humains et éviter l’humiliation.

    Par exemple, si un prof note sur la copie d’un étudiant « médiocre comme d’habitude »,

    cela ne va pas l’encourager à grandir, cela ne va pas lui faire aimer les math et cela ne va

    pas lui permettre d’évoluer avec confiance.

    2. Deuil du côté des jeunes.

    Il y a l’importance du narcissisme : un nouveau corps, une nouvelle image. Face à ce changement, les

    jeunes peuvent avoir des sentiments disharmonieux et difficiles. Et il est nécessaire d’être prudent

    afin de ne pas toucher à leur narcissisme. Un docteur disait « qu’il fallait toujours valoriser

    l’adolescent ».

    Par exemple, à un gamin dans un hôpital sans cheveux tout maigre ou bien tout bouffi

    par sa cortisone le docteur disait : « ah ! Tu as de nouvelles santiags ? Elles sont bien tes

    santiags ! ». Le docteur insistait sur quelque chose de vrai pour l’adolescent. Par ses

    santiags, il est encore un adolescent.

    Il y a aussi chez les adolescents la recrudescence de la vie pulsionnelle : la pulsion de vie et la pulsion

    de mort. Il faut accepter qu’un adolescent porte les deux : les envies, les envols, les rêves et un

    intérêt pour la mort.

  • 8

    Exemples : Un adolescent qui a des têtes de mort sur ses tee-shirts, c’est normal. Qu’il

    aille voir le musée de la terreur à Londres, cela fait partie de son âge.

    Les adolescents doivent aussi accepter les multiples renoncements de la vie d’adulte. Ils

    commencent à vivre des frustrations et cela est inévitable sur leur chemin de croissance. De même,

    les parents vivent aussi des renoncements et rabâchent parfois les oreilles de leurs adolescents. Dans

    ces cas-là, c’est important de parler aux adolescents, d’être aussi un adulte passionné par la vie.

    Les adolescents sont aussi à une étape où ils cherchent leur autonomie avec « essai et erreur » :

    partir et revenir. L’important dans une relation ado à adulte, c’est de garder un lien. Même si l’ado

    « n’est pas fini, n’est pas encore beau », il faut garder le projet qu’on a à longue distance sur ses

    enfants depuis qu’ils sont nés car la rupture du lien peut provoquer des angoisses d’abandon du côté

    des jeunes et du côté des adultes.

    Les adolescents aiment l’aspect grégaire. Ils aiment être entre eux et se plaisent à dire qu’ils sont

    jeunes, qu’ils sont beaux, que c’est agréable de s’asseoir sur un pont comme dans mai 68 !

    Par exemple, le phénomène récent des « apéros urbains sur facebook » rassemble

    beaucoup de jeunes.

    Les adolescents sont capables de passage à l’acte. Par exemple, si les jeunes veulent quitter la

    maison et si on les provoque ou les encourage à partir, ils vont le faire. S’ils le décident, ils passeront

    à l’acte.

    Tout ce qui va se jouer à l’adolescence n’est qu’une réminiscence de ce qui s’est passé à l’enfance.

    « Tu peux quitter l’enfance, ton enfance ne te quitte pas » de Julien Clerc. L’enfance est une partie

    essentielle de la construction d’un individu et les risques pris vont varier en fonction de la sécurité de

    base reçue dans l’enfance.

    B. Conduites à risque : quelles sont-elles ?

    Les conduites à risque font partie de la vie. Il n’y a pas de vie sans risque ! La vie est immense et

    pleine de dangers. Si nous n’avions pris aucun risque, nous ne serions rien ». Dans les meilleurs

    moments de votre vie, il y a eu cette petite touche de risque.

    Exemple : « J’ai descendu la côte du Sart-Tilman à 6 dans une superbe voiture dans ma

    jeunesse. Cela m’a procuré une sensation éternelle. »

    Qu’est-ce qu’une conduite à risque « psychopathologique » ?

    - un engagement délibéré dans une situation dangereuse ?

    - avoir envie de sensations fortes ?

    - des conduites à risque liées aux drogues ?

    - des jeux dangereux tels que le jeu du foulard et ou des canettes ?

  • 9

    Si celles-ci sont des conduites répétitives, systématiques, dans la durée, et si elles sont liées à

    d’autres causes plus conséquentes comme le décrochage scolaire, par exemple, elles ne peuvent pas

    être assimilées à des rites de passage.

    Dans les sociétés primitives, ce sont les sages et les personnes âgées qui aident à passer à une autre

    étape. Aujourd’hui, chez nous, ça ne fonctionne pas comme ça. Le rite de passage est plutôt signifié

    par l’obtention du permis de conduire, l’autorisation de sortir seul, etc.

    Pour prévenir les conduites à risque psychopathologique, il est donc important de donner aux

    enfants des limites : « je veux juste cela et je ne vais pas plus loin », « je m’arrête quand cela devient

    trop fou, trop dangereux, quand cela fait trop mal à l’autre, je m’arrête quand cela me fait trop mal à

    moi ». Comme dans un troupeau, dans les sociétés primitives, les jeunes sont protégés, ils sont

    entourés physiquement par les mâles à l’avant et les femelles à l’arrière. Il y a une délimitation

    autour d’eux qui leur permet de se situer face à des limites.

    Deux hypothèses sur les conduites à risque :

    - Les conduites à risque cèdent parfois à un comportement de toute puissance de l’ordre du défi, du tournoi, du duel, etc. Beaucoup de jeunes ont, ce qu’on appelle, des pensées

    magiques. Ils se croient au-dessus des lois, immortels. Ils ont l’impression d’avoir la

    baraqua et que rien ne peut leur arriver. Certains jeunes n’ont jamais pensé à mourir.

    Par exemple, un jeune qui fait du 160 en Porsche en revenant d’une soirée ne pense pas

    une seule seconde qu’il puisse se tuer.

    Les jeunes ont parfois un manque de repères, de ce qui est « normal ».

    Exemple : « Un jour, dans une consultation, j’ai reçu une adolescente et elle m’a dit : « je

    voudrais bien redevenir normale ».

    Les jeunes sont parfois dans des refus de frustrations, de contraintes et de réalités.

    Exemples : « Dans les services d’urgence, j’ai rencontré des jeunes en grande souffrance :

    en automutilation, qui s’arrachaient les cheveux, avec une pratique de la sexualité sans

    protection, les grossesses précoces, les bagarres, etc. »

    Ils adoptent ces comportements extrêmes pour répondre à un vide intérieur. Il n’y a

    que dans ces moments-là que les jeunes se sentent vivre. Ils vivent dans le « No passé,

    no présent, no futur ». Ils se sentent morts à l’intérieur et à l’extérieur d’eux-mêmes. Ils

    sont en grande dérive car ils ne sont pas ancrés à quelqu’un, quelque part sur la Terre qui

    leur dit, qui leur montre que finalement « la terre est bleue comme une orange, elle est

    magnifique ». Il n’est pas rare que des jeunes prennent des comportements à risque à

    cause de ce sentiment de vide, de dérive.

    - Les jeunes cherchent à changer la souffrance de place : du psychisme au corps, du psychisme à un temps éternel. Si je me fais mal, c’est pour soulager l’autre souffrance

    qui est diffuse et incompréhensible.

  • 10

    Par exemple, des jeunes filles qui se scarifient disent ceci : « quand le sang coule et que

    j’ai mal, à ce moment-là, j’oublie tous mes ennuis et la merde dans laquelle je suis ! »

    Ce mal provoque une forme de soulagement. C’est une manière de contrôler un échec,

    de traverser une souffrance insurmontable.

    « Si vous pensez à trop de choses à la fois, mettez des souliers trop petits et ne pensez

    plus qu’à ça ».

    C. Peut-on parler du suicide comme une conduite à risque ?

    Le suicide est un comportement extrême. C’est différent d’une conduite à risque. Aujourd’hui, il y a

    plus de cas de suicide pratiqués seul que collectivement. Les jeunes sont au courant que le jeu du

    foulard n’est pas un jeu et qu’il se pratique individuellement.

    De même, il est courant d’entendre que le suicide est héréditaire. C’est une tentative d’explication

    aux cas de suicides répétés dans une famille mais elle n’est pas vérifiée. « Si quelqu’un a ouvert la

    porte du suicide dans une famille, c’est plus facile d’y entrer ». Cela est vrai aussi pour d’autres cas.

    Par exemple, si on a eu des parents qui ont été à l’Université, cela est une porte ouverte

    pour les enfants. Il leur sera plus facile de s’y rendre.

    Il y a plus de suicides réels chez les hommes, mais plus de tentatives chez les femmes. Chez les

    hommes, s’il y a plus de suicides réels, cela est sûrement dû au fait qu’ils utilisent des moyens

    radicaux, comme, par exemple, les armes à feu. Ils veulent tirer un trait rageur et désespéré sur leur

    existence en s’affirmant tout-puissants ! Or, ils sont évidemment dans une impuissance ressentie.

    Chez les femmes, culturellement soumises aux hommes, il y a plus de tentatives de suicide que de

    suicides réels. Elles ont été délaissées. On les a laissé pleurer et elles se sont effacées. Les suicides de

    femme renvoient à un imaginaire liée à une forme d’intégrité corporelle : « des images de fantômes,

    de princesses dans de l’eau froide, des envies de ne plus exister, etc. »

    Le taux de suicide est élevé aujourd’hui chez les jeunes. La première tentative de suicide est

    souvent banale. Il est faux de dire que ceux qui parlent du suicide ne le font pas ! La plus grande

    majorité des suicidaires ont consulté leur généraliste pour dire qu’ils se sentaient mal, qu’ils n’étaient

    pas bien. Ils en ont parlé à leurs proches en laissant des mots sur les GSM, par exemple. Donc, le fait

    de parler du suicide et même de le prévenir ne veut pas dire qu’on ne passera pas à l’acte.

    Quand les jeunes viennent en urgence dans les services d’un hôpital pour une tentative de suicide, il

    leur est proposé de s’arrêter et de rester minimum 15 jours en repos. L’équipe éducative cherche

    alors à donner un sens à la tentative de suicide et elle rencontre les parents du jeune en détresse.

    Il est important de donner une place à la souffrance psychique. La réalité du jeune au réveil de sa

    tentative de suicide c’est « Merde ! Je suis encore vivant. J’avais pourtant décidé de mourir. Je n’ai

    plus envie de vivre ». Dans les hôpitaux, on donne une place à la souffrance physique et ce serait

    bien de donner aussi une place à la souffrance psychique.

    De même, c’est important de ne pas culpabiliser les parents de suicidaires, même si les parents de

    suicidaires peuvent avoir des comportements désarçonnants.

  • 11

    Par exemple, si un enfant fait une tentative de suicide le matin, il y a des parents qui

    arrivent à 18h00 après leur boulot. Or, ils ont été prévenus à l’heure sonnante du suicide

    de leur enfant. Pour ces parents, c’est une honte d’avoir un jeune suicidant.

    Dans un autre contexte, il est évidemment plus difficile pour un parent d’aller rencontrer

    le prof chez qui son fils traîne la patte depuis 4 ans que le prof chez qui son fils fait 18/20.

    Pour conclure, l’événement déclencheur du suicide n’est pas révélateur. « Il a eu un 9/20 et, donc, il

    s’est suicidé ». Non ! Ce n’est pas la raison que les adolescents vont évoquer si on les écoute

    vraiment.

  • 12

    IV. Temps de partage d’expériences alimenté par la pratique Docteur Nicole Einaudi, pédo-psychiatre au CHC, site Espérance

    et membre de l’équipe SOS Famille au CHC à Montegnée et en privé.

    Je suis pédo-psychiatre au CHC de Montegnée et je suis venue à ce colloque pour réfléchir avec vous

    sur les conduites à risque et les jeux dangereux au sortir de l’enfance. Aujourd’hui, je ne travaille plus

    sur cette thématique en hôpital dans les services d’urgence et de soins intensifs mais je reçois en

    consultations. C’est donc dans ce cadre que je vous parlerai des conduites à risque.

    En préparant mon intervention à ce colloque, je me suis demandé :

    - « Est-ce qu’on peut essayer de dépister, d’avoir des sonnettes d’alarme concernant la prise de risque ? » car c’est vraiment au début de l’adolescence que ces jeux se font le

    plus souvent.

    - Les jeux dangereux sont des jeux en groupe qui commencent à la maternelle. Et cela m’étonne que ça commence si tôt. Ce qui m’a frappé, quand j’ai regardé sur Internet

    pour avoir des informations sur ces jeux, c’est qu’on y parlait de l’excitation sexuelle que

    cela pouvait avoir sur les enfants de voir un de leurs pairs sous pression. J’ai déjà

    entendu ces informations chez les adultes. Il y a des jeux d’étranglement pour ressentir

    sur le plan sexuel des choses extraordinaires mais, en ce qui concerne les enfants, cela

    n’a pas été relevé. Dès lors, je me pose la question : « avez-vous déjà éprouvé une

    situation de ce genre-là dans votre travail? » Je me permets donc d’attirer votre

    attention sur cette chose-là : « on peut avoir des sensations étranges lors de ces jeux

    dangereux mais aussi de l’excitation sexuelle ». Cela renvoie évidemment à d’autres

    paramètres, au fait de jouer avec le feu, avec les limites, de jouer avec ce qu’on a peut-

    être entendu qui était dangereux, mais en groupe, on fait plus de choses que tout seul.

    En groupe, on dépasse plus facilement les limites personnelles, y compris les limites du

    respect de soi et du respect vital.

    Dans l’intervention précédente, Jacqueline Witvrouw a parlé du suicide chez l’adolescent. Dans

    l’enfance, il y a aussi des équivalents suicidaires, dans la tranche de 6 à 12 ans par exemple. Dans le

    cadre de mon travail de terrain, je peux vous parler de cas de suicide en primaire :

    - En ce qui concerne les jeux dangereux, je peux vous parler d’un jeu où l’enfant joue à basculer de sa chaise avec un nœud serré autour de soi, jusqu’au moment où il tombe et

    où le nœud se referme. Cet enfant a fait de multiples fois ce jeu en présence de ses

    familiers. Même s’il a été suivi et pris en charge à plusieurs reprises antérieurement par

    le service, cela n’a rien changé.

    - D’autres enfants jouent à se mettre des sacs en plastiques sur la tête. Je connais un enfant qui a réagi à une situation de surcharge familiale comme cela. Il avait un papa

  • 13

    dans la restauration avec des heures d’ouverture extensibles, une petite sœur de deux

    ans et demi qui demandait beaucoup d’attention, une maman qui reprenait une

    formation. Tout cela ne lui laissait plus de place à la maison. Il a donc trouvé le moyen

    d’attirer l’attention de ses parents et de transformer cette situation délicate. L’incident

    du sac en plastique a fait réagir les parents. Ils ont consulté et se sont posé des

    questions. La maman a laissé tomber sa formation et a repris son rôle de mère. Aussi, ils

    ont trouvé des endroits où l’enfant pouvait être accueilli pour lui-même. Il a fallu que ce

    soit le gamin qui donne le signal pour réfléchir à une autre organisation de vie.

    Je voudrais également attirer votre attention sur les médications.

    Dr Einaudi :

    « On prescrit, à mon sens, un peu trop vite des anti-dépresseurs à un jeune âge dans des situations de

    dépression effectives. On a la main un peu trop légère. Il est important de savoir que les anti-

    dépresseurs augmentent le tonus. Donc, des enfants ou des ados qui n’auraient pas le tonus de passer

    à l’acte, avec l’effet du médicament, risqueront de passer à l’acte plus facilement que les enfants sans

    médication. »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Les médicaments, c’est une réponse symbolique. Si l’enfant ne va pas bien, on lui donne un

    médicament. Il faut faire attention à cela. Plutôt que de lui donner des anti-dépresseurs, est-ce que

    cela ne serait pas intéressant de dialoguer avec lui ? Certaines mamans réagissent aussi comme cela :

    « mon enfant est déprimé, il faut aller voir le psychologue et prendre des anti-dépresseurs ».

    Public :

    « Je voudrais rebondir sur ce que vous êtes en train de dire. Un adolescent à qui on prescrit un anti-

    dépresseur peut se sentir dans un premier temps soulagé. Il se dit que puisqu’on lui a prescrit un

    truc, il a quelque chose de sérieux. Les gens vont arrêter de penser que c’est du cinéma ou de la

    comédie, etc. »

    Jacqueline Witvrouw :

    « C’est malheureux qu’il faille un médicament pour croire en lui et le prendre au sérieux ! »

    Dr Einaudi :

    « Quand je reçois un jeune en consultation pour une médication, je prends le temps de dialoguer avec

    lui sur les raisons de la médication. Je lui explique ma position. Je le fais réfléchir sur cette réalité-là !

    Je lui donne les armes. J’ai, par exemple, expliqué à une jeune fille qui a fait une petite tentative de

    suicide que, prendre 10 comprimés d’aspirine, cela pouvait provoquer des problèmes cardiaques. Je

    leur parle de ça, parce que quelqu’un d’averti en vaut deux. »

  • 14

    Public :

    « De la mort à la réalité. Est-ce que la mort est vraiment concevable ? »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Les jeunes ont une idée de la mort déréalisée. Je me rappelle d’une jeune fille, Aurélie, aux soins

    intensifs. Un jour, elle me dit : « Madame Witvrouw, je ne sais pas ce que j’ai, je ne sais pas ce que je

    vais devenir mais, enfin, je ne veux plus mourir. Ce n’est pas beau la mort. Tout le monde crie, tout le

    monde pleure, tout le monde s’excite. » Les jeunes ont parfois des représentations erronées de la vie

    et de la mort. Les espaces infinis, la vie éternelle, c’est une autre conception ! Et on mélange

    toujours. ».

    « On ne peut pas imaginer sa propre mort. Il y a une partie en nous qui dit : « ce n’est pas possible ».

    Quand on sera retourné là-bas, on ne sera plus là ! Et puis les adolescents ont parfois certaines

    représentations étranges. Moi, je me rappelle qu’une fois un adolescent m’a dit : « mes parents et ma

    sœur sont vraiment beaucoup mieux sans moi, j’en suis sûre ! » Il y a parfois une hypothèse de la mort

    dans une inconscience. Une autre jeune fille qui s’est jetée d’un pont de l’autoroute a pensé à son

    corps et à l’image du corps de la femme qui peut-être pourrait encore servir pour quelqu’un. Cette

    jeune fille a eu de la chance. Elle est tombée un peu sur le côté. Elle n’est pas morte. Elle s’est juste

    cassé les chevilles, le bassin mais elle est restée en vie ! Donc, ne croyez pas que les jeunes ne savent

    pas ce qu’ils font, sauf s’ils sont sous l’emprise de la drogue. Dans une émission que j’ai entendu ce

    matin, Mick Jaeger disait, en 1979, « nous étions jeunes, beaux et stupides, et maintenant nous ne

    sommes plus que stupides. Finalement, la chance ne m’a jamais lâché ». Il ne faut pas croire que les

    adolescents ne pensent pas. Le fait de dire qu’ils ne savent pas ce qu’ils font, ce n’est pas juste. »

    Dr Einaudi :

    « Pour continuer par rapport à la conscience de la mort, un enfant à partir de 10 ans est clair avec le

    côté irréversible de la mort. Avant cet âge, pour les petits, l’absence ou la mort c’est un peu pareil. »

    « Je vais vous parler d’une adolescente suicidaire. C’est cette jeune fille qui a sauté du pont de

    l’autoroute et dont Jacqueline Witvrouw vient de vous parler. Cette jeune fille avait une maman très

    effacée, vraiment pas à l’aise dans la vie. Elle avait un père qui avait beaucoup d’ambition pour ses

    filles, elle et sa sœur cadette. Ce papa avait proposé à ses filles de faire de la natation en compétition.

    Dieu sait si c’est astreignant. Les filles avaient accepté et réussissaient bien dans la natation. Presque

    toutes leurs soirées étaient prises par la natation. Il y avait aussi des stages pendant les grandes

    vacances. Et en pleine adolescence, l’aînée avait demandé d’arrêter. Elle n’avait pas osé demander

    d’arrêter à son père mais c’était dans sa tête. Pour le père, si sa fille arrêtait la piscine, c’était terminé

    pour elle. Elle allait s’ennuyer, tourner à rien, rouler en ville, boire au café, etc. Et donc, pour que cette

    fille soit entendue par son père et qu’il lui fasse enfin confiance, elle avait trouvé ce stratagème :

    sauter du pont de l’autoroute. La raison pour sauter, c’était changer la trajectoire de vie ! Tout un

    travail thérapeutique a commencé ensuite. La famille a redoré son blason et lui a permis de

  • 15

    comprendre qu’elle pouvait être autre chose qu’une championne de natation. La maman a pris une

    plus grande place dans la famille et a permis à sa fille de s’appuyer sur elle, sur sa part féminine. »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Le cas de la jeune fille avec la natation, il faut voir les montagnes que ça a soulevé. Parce que le

    papa était, entre autres, responsable d’un club de natation. Ils partaient en vacances avec le club de

    natation, leurs amis faisaient de la natation, tout tournait autour de la natation. Le père, un immigré

    de la première génération, s’est intégré grâce au sport. La maman restait à la maison. Quand la fille

    disait qu’elle ne saurait plus rentrer dans une piscine, il faut comprendre tout ce que ça représente.

    L’importance du symptôme qui est de décider de mettre fin à la vie ou à cette vie-là, c’est parfois une

    réponse. Plus je fais de la psycho, plus je comprends en psychologie la théorie des leviers. Vous savez

    on en parle en physique. On va lever un levier d’un côté parce qu’on sait aussi qu’il y a une grande

    force de l’autre côté. Il y avait quelque part quelqu’un qui avait déjà fait ça dans la famille. C’est

    simpliste mais en général correct. Le grand-père de la maman s’était quelque part suicidé en Sicile.

    Quelque part quelqu’un avait déjà fait ça. »

    Public :

    « Dans le cas clinique que vous venez d’exposer, est-ce que vous seriez d’accord de dire que cette

    jeune fille essayait d’échapper à un collage trop grand du moule du désir du père ? Et qu’elle

    rejouait avec son corps quelque chose de l’ordre de la séparation ? Il y a quelque chose de l’ordre

    symbolique entre la perte et la récupération d’objet.»

    Dr Einaudi :

    « Je ne sais pas. Je ne sais pas voir les choses comme ça. Par rapport au désir que le père avait pour

    elle : oui. Mais plus que ça, je n’irai pas plus loin. »

    Public :

    « Est-ce que ce n’est pas quand même positif cet acte suicidaire ? »

    Jacqueline Witvrouw :

    « C’est l’expression d’une détresse insoutenable. La seule façon à ce moment-là de l’arrêter, c’est

    d’arrêter la vie. Pour les parents qui reçoivent ce coup-là, c’est très violent : « ce cadeau que tu m’as

    fait, je te le rends ! ». Qu’est-ce qui a de plus cinglant, de plus scandaleux pour les parents qui mettent

    un enfant au monde qu’on leur renvoie comme ça : « tu peux la reprendre la vie ». Je les écoute

    beaucoup les jeunes et quand, par contre, ils me disent ceci : « je ne veux plus de cette vie-là ». Là, ça

    va. Là, c’est rassurant. On peut trouver une autre vie. »

    « J’ai eu des cas réussis de suicide et de vraies pendaisons. Par exemple, la maman d’un petit garçon

    de 12 ans pleurait le suicide de son garçon alors qu’en classe on avait bien expliqué les dangers du jeu

  • 16

    du foulard. Elle induisait peut-être qu’un travail de prévention avait été fait et qu’il était forcément au

    courant des dangers de ce jeu dangereux! Mais même informé, cela ne l’avait pas empêché de se

    donner la mort. Son meilleur ami l’avait confirmé en disant : « Vous savez, il n’était pas con. Il savait

    bien que ce n’était pas un jeu. ». Quand un enfant arrive en soins intensifs, il est entre la vie et la mort

    pendant une semaine, c’est dur. On donne toutes sortes de raisons : son parrain s’était déjà suicidé,

    ses parents étaient divorcés, c’était un enfant catalogué « hyper-kinétique » et, donc, qui réfléchissait

    après avoir agi. Les parents n’écoutent pas ! Qu’est-ce qu’il y a encore comme partage ? Alors oui, les

    jeunes font des apéros géants grâce à Facebook. Ce n’est pas suffisant de se voir uniquement sur

    internet. Ils ont besoin d’exister, d’être ensemble, etc. »

    Public :

    « Dans notre société contemporaine, il y a moins de contact. Ca veut dire que, dans les statistiques,

    il y a plus de suicides d’adolescents maintenant que précédemment ? Qu’il y a cinquante ans par

    exemple ?»

    Jacqueline Witvrouw :

    « Les âges diminuent, ça c’est prouvé. Est-ce que c’est parce qu’on en parle ? Il y a beaucoup plus de

    suicides dans les pays scandinaves qu’en Italie. Est-ce qu’on manque de soleil ? En tout cas,

    statistiquement, il y a plus de suicides aujourd’hui qu’hier. Attention, c’est aussi la façon dont on

    prend les données. Si, pour tous les adolescents qui se pendent aujourd’hui, c’est un jeu, alors, vous

    aurez un taux de suicides qui va diminuer. Ou, si je reprends l’exemple de tout à l’heure, de l’ado qui

    se dit : « mes parents seraient mieux sans moi », c’est carrément l’image de non-valeur vraiment

    ancrée au fond d’elle-même. « Je serais mieux morte que vivante. Et j’irais retrouver une grand-mère

    qui est décédée pas longtemps avant. »

    Public :

    « J’ai un garçon Léon qui a 11 ans et demi et qui va changer d’école et aller en humanité. Il est

    grand de taille, un peu enveloppé et a toujours été un peu plus gros que les autres. Je trouve qu’il

    travaille bien à l’école mais, au niveau du comportement, ce n’est pas tout à fait ça et les profs ne

    sont pas là pour l’aider. Alors qu’est-ce qu’il va faire après ? Est-ce que ça va être encore le même

    genre ? Est-ce qu’il va vraiment être bien accepté dans la classe ? Il a des idées noires et il a parfois

    envie de quitter la classe. J’ai parfois l’impression que peu de profs écoutent lorsque des enfants

    ont des problèmes. »

    Dr Einaudi :

    « C’est vrai qu’il y a une question de chance de tomber sur une bonne prof, c’est un fait ! Il y a des

    profs qui enfoncent. »

  • 17

    Public :

    « Ici, il va changer d’école, et j’espère que ça va aller. Comment savoir s’il est dans cet engrenage

    là ? Parce qu’il n’a pas vraiment confiance en lui et moi j’essaie de faire ce qu’il faut. »

    Dr Einaudi :

    « Je crois que les adultes sont bien convaincus que les enfants se respectent dès le berceau. Si l’adulte,

    le prof dans ce cas-ci, entretient le peu d’estime ou la mésestime de l’élève, c’est sûr qu’on appuie un

    peu plus là où cela fait mal. Peut-être, c’est l’occasion d’en discuter ? »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Et puis, je crois que ça peut donner une mosaïque de l’enseignant au pluriel. Même quand il aura dix

    profs en humanité, il n’en aura pas dix bons. Trois bons ? Ca sera déjà le bonheur. Et puis mis à part

    les profs, il ira voir les copains, attendre que ça passe, faire du sport. A la maison, ses parents croiront

    en lui. Puis après le temps de l’école, c’est le temps des loisirs, comme celui de taper dans une balle de

    tennis. Ou enfin, rêver d’histoires d’amour. On ne peut pas demander à des profs d’être tout le temps

    parfaits non plus ! »

    Public :

    « Vous avez parlé des interventions dans les classes. Quand il y a un cas du jeu du foulard,

    comment intervenez-vous ? Est-ce qu’il n’y a pas un danger à parler de cela en stimulant et parler

    de choses morbides ? »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Parler de choses morbides, non, ça, ça ne stimule pas. Demander aux jeunes ce qu’ils pensent du

    jeu du foulard. Là c’est intéressant. Le discours « symétrique », je crois que ça ne fonctionne pas. Pour

    prendre l’exemple du préservatif, quand il s’agit d’en mettre un, tout le monde le sait mais personne

    ne le fait. Or, l’information est là. Quand un enfant revient en classe avec un handicap, quand un

    enfant revient d’un suicide, soit il y a eu l’intervention du service de l’aide aux victimes, soit les

    personnes qui ont été en première ligne pour aider l’enfant à l’hôpital sont là. Il y a toujours

    quelqu’un qui y va. Et cela se fait en duo. On y va courageusement et on soigne surtout avec de

    l’écoute ! De l’écoute et on essaie d’être vrai, sans tricher car tricher cela ne sert vraiment à rien.

    Mettre des mots, c’est toujours mieux que de rien mettre du tout ! Ca se répand comme une traînée

    de poudre une maladie grave, un suicide, ou quelque chose comme ça. De toute façon, il faut en

    parler. Alors, nous sommes là pour les aider à mettre les mots sur les choses et être le plus vrai

    possible. Mais souvent, on écoute. Et quand on a une stagiaire, c’est bien, c’est une oreille en plus.

    Car souvent on écoute 4, 5, 6 personnes. Faut pas croire que c’est marrant, il y a le papa qui pleure, la

    meilleure amie qui fait un malaise, ce sont des journées infernales. Mais une fois qu’il y a de l’écoute,

    c’est gagné. Vous savez, un enfant, c’est intelligent. Je me souviens d’une maman qui avait un cancer.

    Elle ne savait plus parler. Et l’enfant disait qu’elle allait rester très longtemps dans la maison. En

  • 18

    parlant avec la psychologue, cet enfant a eu l’idée de mettre un petit mot tous les jours dans la boite

    aux lettres de la maman. C’était mignon, et je n’y aurais jamais songé. Il faut faire confiance aux

    enfants. »

    Dr Einaudi :

    « Pour compléter la réponse de Jacqueline Witvrouw, je pense quand même qu’il faut dire que le jeu

    du foulard, c’est dangereux. Il y a des dangers que les enfants ne connaissent pas, et il faut les

    informer. Il y a des choses qu’il faut dire simplement et sans s’appesantir. Moi, je serais plutôt d’avis

    d’informer. Maintenant, il ne faut pas en remettre une couche. »

    Public :

    « Est-ce que vous pouvez contraindre les parents à un travail lors d’une tentative de suicide chez un

    jeune ? »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Que penser d’un adolescent de 15 ans qui a essayé de se pendre, ou qui s’est tiré une balle, ou qui

    s’est ouvert une veine ? Et bien, ça c’est une demande. Je ne me demande pas : « est-ce que je vais

    travailler ? ». Non, ça pour moi, c’est une demande. Ce passage à l’acte-là, c’est une demande. Et cela

    ne concerne ni la famille, ni le partenaire. »

    Dr Einaudi :

    « En général, on les bouscule et on les appelle. »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Qu’est-ce qu’il y a de pire dans la vie ? Un suicide, ça bouscule des parents. »

    Dr Einaudi :

    « Des fois, des jeunes reprennent contact avec nous, et cela permet de renouer grâce aussi à la

    culture de ce qu’il y avait avant, alors parfois des parents reviennent dans un deuxième temps. »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Et ce qu’il faut avoir, c’est un accord important entre le médical et le psychologique. Heureusement,

    on se fait confiance entre la prise en charge médicale et psychologique. On ne travaille pas dans un

    milieu où il faut se battre « contre » les autres. Le psychologue est envoyé par le médical, et lui-même

    fait appel à des techniques méditatives ou à un musicologue par exemple. On ne travaille pas tout

    seul face à tout ça. »

  • 19

    Public :

    « Vous avez dit tout à l’heure que le taux de récidive est de 1,2 % si on ne fait rien. Faire quelque

    chose, c’est quoi ? »

    Jacqueline Witvrouw :

    « C’est faire n’importe quoi, mais déjà quelque chose. C’est déjà quelqu’un qui s’arrête, et qui écoute.

    J’avais été très encouragée par une stagiaire l’année passée. Elle m’avait demandé : A quoi sert une

    seule consultation psy ? Premièrement, ils viendront une fois, et ils reviendront ailleurs.

    Deuxièmement, ils viendront juste une fois en consultation pour être conformés dans leurs idées, ils se

    diront : « tiens, je ne me trompe pas ! ». Troisièmement, ils se diront : « ah, c’est ça un psy ? Alors ça

    va encore. Ça m’a fait du bien de parler. ». On est étonné, c’est assez encourageant. Donc, le travail,

    c’est s’arrêter, écouter. Et on propose 15 jours d’hospitalisation. »

    Public :

    « Et après une tentative de suicide, qu’est-ce qu’on peut faire ? »

    Dr Einaudi :

    « C’est au cas par cas. C’est vrai qu’en tant qu’enseignant, il faut l’accompagner à l’école. « Je suis au

    courant de ta tentative de suicide ». Ouvrir et refermer le sujet en quelque sorte. Si on ne sait pas que

    cet enfant s’est suicidé, on peut imaginer plein de choses. Ou si on imagine que c’est ça qui s’est

    passé, on peut lui dire : « tu as peut-être vécu des choses difficiles dans la vie. Je suis à ta disposition

    pour en parler ». Je réponds large. Mais il y a des enfants qui ne veulent pas que ça se sache à l’école.

    Donc, c’est difficile d’aller en parler si on l’a appris par la bande. »

    Jacqueline Witvrouw :

    « Je crois qu’il faut essayer de faire ce que vous faites d’habitude si vous avez envie de réconforter

    quelqu’un. Quelque part dans votre tête, vous vous dites : « celui-là, il avait difficile ». Et vous faites

    ce que vous pouvez ! Si c’est l’aider à se remettre en ordre, si c’est le toucher gentiment, si c’est dire

    deux mots à part, si c’est ne rien dire du tout, si c’est dire « bravo pour votre réussite », tout ça il faut

    le faire ! Attention, si vous faites des choses tout à fait exceptionnelles que vous ne faites jamais, il va

    se dire : « qu’est-ce qu’il lui prend celle-là ? ». Ils aiment bien avoir un contenant, c’est ça qui leur

    manquait. Si vous êtes d’habitude comme ça, faites comme ça. Mais ils ne sont pas bêtes, ils

    comprennent que vous avez compris qu’il s’est passé quelque chose. Un adulte, c’est être là ! Avant

    d’avoir de l’expérience avec les adolescents, je croyais qu’aimer quelqu’un, c’était faire quelque

    chose. Et puis quand j’ai eu des adolescents, je me suis rendue compte que aimer quelqu’un, c’était

    aussi apprendre à ne rien faire. Rien du tout. Attendre quand ils rentrent de leurs soirées le samedi

    soir. Leur dire : « tu m’appelles si il t’arrive la moindre chose ». Et non faire de réflexions méchantes

    sur certains trucs, par exemple si ils ont un chagrin d’amour : « Qu’est-ce que je peux faire pour

    toi ? ». « Lâche-moi » répondent-ils. Puis après ils reviennent et ils disent : « Est-ce que tu veux

  • 20

    toujours faire quelque chose pour moi ? ». « Oui ». « Prends-moi un abonnement au Standard : ils ont

    gagné ! ». Mais vous pouvez avoir une gamine qui vous tombe dans les mains et vous saute dans les

    bras aussi. C’est étonnant. On ne sait jamais exactement comment l’autre, l’ado va réagir. C’est ça le

    côté passionnant de la psycho : toujours être surpris. »

    Dr Einaudi :

    « Il ne faut jamais promettre à des adolescents des choses qu’on ne tiendra pas. Si jamais on a promis

    quelque chose et qu’on ne donne pas, il faut vraiment s’excuser. Je me souviens d’une adolescente au

    SAJ avec la visite de son avocate. L’avocate vient à la clinique. Et puis il y a eu audience au SAJ, et

    l’avocate n’est pas là. A 14 ans, pour une jeune fille, c’est grave. L’avocate n’a pas tenu sa promesse.

    Peut-être qu’elle n’a pas pu tenir sa promesse parce que dans son bureau d’avocat elle a été envoyée

    ailleurs par le boss ? Je ne sais pas. Mais au moins qu’elle répare, qu’elle écrive, qu’elle demande à

    parler à l’adolescente. Elle n’est pas bête la fille. Ce genre d’attitude rajoute une couche de problèmes

    par rapport aux difficultés intrafamiliales. Et donc le père, quand il était encore en contact avec sa

    fille, lui avait promis de partir en voyage en Inde. Et cela, malgré la rupture de contact, la jeune fille

    ne l’avait pas oublié. La mère disait clairement que le père avait des attitudes incestueuses avec la

    fille, donc on allait un petit peu sur la pointe des pieds, et il avait eu l’une ou l’autre remarques

    déplacées mais sans plus. Si bien qu’elle a redemandé à son père son voyage en Inde. Et son père a

    acquiescé à sa demande et ils sont partis. Quand la fille est revenue de ce voyage, elle était bien dans

    sa peau. Je ne sais pas si c’étaient ses racines ou la promesse tenue qui l’a remontée. Mais les deux

    éléments ont contribué à faire de ce voyage un temps profitable pour la fille. Ça c’est clair, la

    promesse, elle doit être tenue. »

  • 21

    V. Ce que les jeunes en disent… Pierre Charles, psychologue, thérapeute

    et animateur de prévention auprès d’enfants et d’adolescents.

    Dans le cadre du planning familial au CPF de Marche, 30 % de mon travail consiste en animation en

    vie affective et sexuelle en milieu scolaire secondaire (de la 2ème

    à la 4ème

    secondaire). L’objectif de

    l’animation est de pouvoir aborder tous les sujets que les jeunes ont envie de traiter.

    Je travaille également au sein de l’AMO Dinamo à Dinant, où je fais de l’animation aussi. Les

    thématiques sont diversifiées : assuétudes en 6ème

    primaire, citoyenneté fin secondaire (4 - 5 - 6 -

    7èmes

    secondaire), problèmes de violence, manque de respect, problématique dans la classe,…

    Cela fait 10 ans que je fais du travail d’animation, où je rencontre 25 à 30 classes par an, tous types

    d’enseignements et réseaux confondus, de la 6ème

    primaire à la fin de secondaire. Les thématiques de

    l’alcool et de la drogue sont amenées par les jeunes sous forme de questions. Ils ont leur idée, mais

    dès qu’il y a dialogue, ils ont beaucoup de choses à dire. Il n’y a pas de différences au niveau des

    thématiques, dans la manière de les aborder, ni de poser les questions depuis 10 ans.

    A. Animations en 2 temps

    - Débat semi-actif :

    Le sujet est abordé par un débat semi-actif, au libre choix, par rapport à une thématique, une

    question amenée par les jeunes. En ce qui concerne les conduites à risque, les jeunes se posent plus

    de questions par rapport à tout ce qui concerne la drogue, l’alcool, le phénomène de violence. Il y a

    moins de questions par rapport à l’automutilation ou au suicide.

    Chaque classe pense que c’est leur année la pire par rapport à la violence. Quels types de violence ?

    Qu’est-ce qui se passe ? Les modalités et le(s) type(s) de violence évoluent… Cela les rassure

    d’entendre cela. La violence est différente et varie selon les médias actuels.

    Face aux débats autour de l’alcool et la drogue, il n’y a pas de polémiques en classe. Pour l’alcool, il y

    a un discours récurrent dans les classes qui est de « boire un verre de temps en temps,… ».

    Il faut faire attention à ce que le leader de la classe dit, il n’est jamais contredit. Si le leader reste sur

    une approche, il interpelle, est dans la vantardise, la surenchère,… Aucun autre avis dans la classe va

    contredire ce que le(s) leader(s) dit(disent). En tant que leader, j’entends des personnalités plus

    fortes. Tout cela détermine un état d’esprit dans lequel se positionner.

    Comment le jeune s’exprime ou pose des questions ? Il peut s’exprimer par sous- entendus, être

    franc, tester,…

    Durant les animations, on parle de tout, librement, avec des exemples, des témoignages, des vécus

    personnels dans un cadre de confidentialité. C'est-à-dire que ce qui est dit en classe reste en classe,

    que ce qu’on veut dire (par rapport aux vécus personnels) on fait le choix de le dire.

  • 22

    - Questions anonymes :

    Il y a une partie de l’animation, après le débat semi-actif, où les jeunes posent des questions

    anonymes sur papier.

    Certains jeunes parlent facilement, d’autres n’osent pas s’exprimer. Cette façon de faire permet de

    poser les questions qu’ils ont. Des questions sur n’importe quels sujets, qu’ils n’osent pas dire devant

    les autres, une question bête,….

    L’animateur lit les questions à voix haute. Les élèves y répondent chacun à leur tour, les animateurs

    complètent, cadrent, ….

    Exemples de questions posées fréquemment en animations : Pourquoi les ados fument-ils

    et boivent-ils pour plaire ? Que faire quand quelqu’un se mutile, se drogue et qu’on

    s’inquiète pour eux ? Pourquoi se battre en groupe ? Comment ne pas tomber dans la

    drogue ? Quelles sont les conséquences de l’adolescence ? Pourquoi les jeunes

    deviennent-ils de plus en plus violents ? Début d’anorexie, que faire ? Pourquoi de plus en

    plus de jeunes boivent de l’alcool, pourquoi boire ? Quand on est violé, on peut en parler

    à qui ? Si on ne sait pas aborder cela avec les parents ? Comment arrêter de fumer des

    pétards ?, ….

    B. Cas dans une classe

    Présentation d’une animation en 1ère

    secondaire sur l’usage d’alcool et de drogue, témoignages

    d’expériences :

    Un jeune prend plaisir au fait qu’il sniffait du gaz. Il est très à l’aise, exhibitionniste. Il

    explique qu’il a vraiment été mal pendant 2 jours, qu’il a eu des flashs,….

    L’animateur demande de préciser le contexte, où çà se passait. Il prend une position, ni

    choquée, ni complaisante, et donc une position neutre. Il apprend que l’expérience

    circule dans la classe, qu’une jeune fille a essayé et dit « on l’a tous fait Monsieur ». Le

    jeune amène un état d’esprit global de fonctionnement de la classe car personne ne

    contredit.

    Après, l’animateur dit qu’il n’est pas là pour dire si c’est bien ou pas bien. Cependant, en

    fonction des conduites exprimées par les jeunes, l’animateur parle des troubles qu’on

    peut avoir selon ce qu’on fait, des troubles neurologiques et des troubles psychomoteurs.

    Que l’usage fréquent tend vers ces troubles et surtout vers un état irréversible.

    L’observatrice de l’animation rapporte ensuite à l’animateur les propos du jeune : « Je ne

    savais pas que ça faisait tout ça, je ferais bien d’arrêter ». C’est chouette qu’il le dise,

    mais entre le dire et le faire…

  • 23

    Cette expérience montre :

    - La pertinence d’une animation de prévention où les animateurs viennent plusieurs fois en classe, notamment 3x50 minutes d’affilées.

    - A court terme, une évaluation positive, les jeunes disent avoir appris plein de choses, avoir été écoutés, …

    C. Expérience sur les conduites à risque

    Présentation d’une situation expérimentale d’animation sur les conduites à risque auprès de 1000

    jeunes entre 14 et 16 ans, à Rotterdam, au Pays-Bas :

    - 1er groupe : animation avec intimidation

    - 2ème groupe : prévention, information neutre.

    - 3ème groupe : pas d’animation.

    - 4ème groupe : animation de prévention, avec écoute et partage.

    Après 6 mois, comment se comportent les jeunes par rapport à leur consommation ?

    Les résultats sont encore pires pour les groupes qui ont eu de la prévention neutre ou par la peur,

    que pour ceux qui n’ont pas eu d’animation du tout.

    Il y a un effet plus pervers dans la consommation si la prévention se fait par l’intimidation.

    L’animation, proposée dans l’échange, l’écoute et le partage, est celle qui obtient le plus de résultats

    positifs.

    Il y a intérêt à intervenir en groupe et en classe, mais il y a la manière de le faire.

    D. Animation par rapport au jeu du foulard

    Présentation d’une animation de base proposée sur la dépendance :

    - Demander aux jeunes de quoi on peut être dépendant. Citer des exemples.

    - La dépendance des jeunes est expliquée scientifiquement.

    - Un groupe amène une affiche sur le jeu du foulard. L’animateur demande pourquoi jeu du foulard ? Et le lien avec la dépendance ? Une jeune fille du groupe commence à

    décrire de façon détaillée et scientifique le jeu. L’animateur demande comment elle en a

    entendu parler ? Réponse : via les médias, avec le professeur l’an passé,…. Un autre élève

    demande quelle sensation ça fait et la jeune fille répond qu’il n’a qu’à essayer ! Les

    enfants rient … et le professeur intervient.

  • 24

    Il faut parler de ce thème si les jeunes ou les enfants l’amènent au cours de l’animation.

    La prévention, c’est travailler sur le matériel amené, faire sens et lien, écouter ce qu’ils racontent

    et puis intervenir.

    Les jeunes renvoient des impressions positives par rapport aux interventions où l’écoute est

    présente.

  • 25

    VI. Se positionner en tant qu’adulte au risque de se tromper Chantal Maquet, licenciée en psychologie clinique et thérapeute,

    coordinatrice des activités thérapeutiques et de prévention au CPF.

    A. Introduction

    La métaphore de la chenille et du papillon est très poétique, sympathique, on pourrait même dire un

    peu mièvre. Elle évoque cependant assez bien notre propos. En effet si on y réfléchit bien, elle est

    aussi fort cruelle. Pour qu’advienne le papillon, la chenille doit disparaître, doit mourir et après cette

    transformation rien ne sera jamais plus pareil. Pour devenir adulte, « grand » l’enfant doit subir une

    double métamorphose :

    - Une métamorphose physique : Il doit quitter ses rondeurs enfantines pour faire connaissance avec ce corps qui évolue, change, est parfois disgracieux. Découvrir le

    fonctionnement de ce corps et ses nouvelles possibilités, c’est un corps qui est

    maintenant capable de donner la vie.

    - Une métamorphose psychique : Questionner le sens de la vie

    B. Pour l’enfant

    Il y a des deuils à faire :

    - Deuil d’un rapport simple et tranquille au monde.

    - Deuil de la toute puissance infantile. « Non Saint Nicolas c’était pas pour du vrai ».

    - Deuil d’un rapport simple et tranquille à la Loi des grands (ce qui est permis ou interdit).

    - Deuil aussi d’une certaine indulgence dont bénéficie le petit. « Tu es grand maintenant, tu dois comprendre ».

    C. Pour l’adulte

    Il doit passer par un certain nombre de renoncements :

    - Renoncer à un rapport simple et gratifiant avec le petit (savoir toujours ce qui est bon pour lui, ce qu’il va aimer,..).

    - Renoncer à la place de seul modèle identificatoire.

  • 26

    Pour devenir grand, l’enfant doit devenir autre et le chemin est ponctué de mises à mort

    symboliques. Le papillon n’a plus grand-chose à voir avec la chenille.

    Pour les parents, il s’agit de faire connaissance et d’accueillir cet inconnu dans la maison.

    Cette métamorphose lente et progressive n’est pas une belle ligne droite mais une sorte

    d’accouchement dans les soubresauts sinon dans la douleur de l’ado par lui-même.

    Quand l’enfant est mis au monde par ses parents, ils désirent pour lui : une belle vie, un bel avenir,

    de bonnes choses,…

    A l’adolescence, l’enfant doit apprendre à désirer par lui-même et pour lui-même. Il doit seul donner

    forme à ses rêves (pas seulement rêver d’être pilote mais étudier les maths).

    Le jeune, n’a pas le choix, la vie le pousse et il n’y a pas de marche arrière. Toutes les questions

    existentielles de la petite enfance sont revisitées (pourquoi on vit, à quoi ça sert,…) et plus question

    de les balayer d’un « tu verras plus tard ». Il veut voir et il doit voir par lui-même. Le sens de la vie

    est posé. A quoi ça sert ? Pourquoi la poursuivre ? Pour qui ?

    Pour les parents, il s’agit aussi de réquisitionner le sens de la vie. Jusqu’alors, pour eux aussi les

    choses pouvaient paraître simples ; ils avaient trouvé du sens à l’existence; former une famille,

    mettre au monde un ou des enfants, les élever, les faire grandir. En accédant à l’adolescence,

    l’enfant devient désirant pour lui-même, un jour il n’aura plus besoin de ses parents, le

    questionnement sur le sens de la vie se profile à nouveau pour eux avec la perspective de l’étape du

    « nid vide ».

    Le jeune s’est construit en partie sur la solidité et la fiabilité des attachements à sa famille et à son

    entourage. Pour évoluer, il va devoir éprouver cette solidité en cherchant à la briser (ce qu’il résume

    dans une phrase si souvent utilisée « arrête de me chercher » alors qu’il est en train de se chercher).

    Notre tranquillité d’adulte est aussi fortement ébranlée par la puissance de la sexualité naissante de

    l’ado et ses formes d’expression et c’est parfois la force de nos propres réactions qui nous en fait

    prendre conscience.

    En s’affirmant au monde, le jeune le transforme et y porte sa marque. En refusant les règles des

    adultes, il apporte ses propres règles et transforme le monde.

    Notre rôle d’adulte est de poser les bases avant de nous effacer. L’ado nous renvoie à nos propres

    doutes, nos propres peurs.

    « Nous sommes professionnels par choix, nous avons acquis au fur et à mesure de notre histoire

    personnelle et professionnelle des savoirs, des savoirs faire et des références qui nous servent de

    guide, de balises pour faire notre métier le moins mal possible », Freud. Mais la créativité de l’enfant

    et de l’adolescent nous surprendra toujours. Et tant mieux ! C’est la créativité du monde de demain.

  • 27

    Il doit se confronter à la LOI, aux règles, à ce qui est institué pour en prendre la mesure et devenir

    acteur de cette LOI. En critiquant les règles, il les modifie et devient sujet du monde.

    Pour les parents et les adultes que nous sommes, accompagner ce passage est un ajustement délicat

    et toujours recommencé. Comment accompagner, étayer, limiter tout en laissant un espace de

    créativité ? Il s’agit de tenir, le pire pour l’enfant serait qu’il n’y ait personne au rendez vous.

    C’est chaque fois une nouvelle aventure, un espace de confiance et d’évolution à inventer, les

    certitudes sont peu nombreuses et le risque de se tromper fait partie du chemin.

    Winnicott disait que le rôle des parents à l’adolescence est de survivre. Ruffo ajoute, résister sans se

    sentir attaqué.

    D. Qu’en est- il de la prévention ?

    Nous l’avons dit, la prise de risque est essentielle pour grandir. Attention, il s’agit ici d’un processus

    que l’on pourrait qualifier d’expérimental, pas d’un processus morbide. Madame Witvrouw et

    Madame Einaudi ont témoigné des extrêmes qui peuvent tenter l’enfant. Monsieur Charles a évoqué

    la complexité, la richesse, mais il faut aussi souligner la gravité, la réflexion des adolescents.

    On peut exprimer la prévention en deux idées : la notion d’aller au devant et celle d’empêcher un

    dommage.

    Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Forts de notre expérience d’adulte, nous aimerions baliser le terrain

    pour nos jeunes, leur éviter les erreurs, les blessures, les errances, les regrets. Mais l’enfant a besoin

    de vivre ses propres frissons, ses propres peurs, de se confronter à ses propres limites pour grandir.

    Alors la prévention est elle destinée par nature à être inutile du fait qu’elle nous échappe ? Devrait-

    on s’en passer ?

    C’est là peut être que la place d’adulte accompagnant de jeunes (prof, éducateur, médecin, psy,

    AS,..) prend toute sa difficulté. C’est qu’il ne faut justement pas nous départir de notre mission de

    guide, de « traceur de route » (Dire : « attention, il y a un virage dangereux, il y a une côte, etc. »).

    Tout en sachant que le chemin final nous échappera plus ou moins suivant la créativité ou le besoin

    d’éloignement du jeune pour exister par lui-même.

    L’important étant moins la trace préventive que le sens, l’émotion, le désir que nous y mettons.

    Exemple : « Tu es à titre individuel et en partie représentant de l’avenir du monde de demain,

    tu es important pour moi et je souhaite ta survie et ton bon équilibre ».

    Pour que ce message soit « juste », il doit s’appuyer sur une forme de confiance et d’encouragement

    dans les capacités et non sur les peurs. En effet, un message basé sur les peurs renforce l’attrait.

    Aussi bien, nous croyons-nous préparés, nous serons toujours étonnés, séduits ou choqués par les

    capacités d’innovation des adolescents. Tant mieux, si on pouvait tout prévoir ou prévenir, le monde

    n’évoluerait plus. Quelle que soit notre formation, notre expérience ou notre détermination, nous

    serons toujours surpris, et nous ferons de notre mieux au risque de nous tromper.

  • 28

    Sachant que le pire serait de ne rien faire, d’éviter de prendre position ou d’éviter de s’opposer pour

    ne pas prendre de risque. L’enfant a besoin d’interlocuteurs solides sur lesquels s’appuyer.

    L’indifférence correspond à la mort affective.

    Alors oui, un professionnel sérieux doute, hésite, se trompe, ne fait pas toujours le meilleur choix, ne

    prend pas toujours la meilleure décision. Faut-il accepter ou refuser ? Ce que l’on donne à l’un est-il

    juste pour l’autre ? La réponse fluctue, s’échappe, l’essentiel n’est sans doute pas la réponse en elle-

    même mais ce qu’elle sous-tend de chaleur humaine (y compris dans le refus) d’attention, de

    projection positive. L’adolescent ne s’y trompe pas qui, à l’instar du tout petit, capte l’émotion qui

    est derrière nos phrases.

    L’adolescent teste, expérimente. Nous l’avons dit, cette expérimentation est nécessaire, essentielle

    à créer le sentiment d’exister, d’habiter son propre corps d’avoir un minimum prise sur son

    environnement. Pour que le test fonctionne, pour qu’il ait du sens, il faut qu’il ait une intensité

    suffisante, que le frisson soit sensible. La nature de l’expérimentation va dépendre de l’enfant, de

    son histoire, de son caractère et du contexte :

    - Certains enfants vivront mille vies, mille morts dans l’imaginaire ou à travers des expériences virtuelles.

    - D’autres vivront des émotions intenses à travers l’expérience de copains de classe ou d’un meilleur ami qui prend tous les risques.

    - D’autres auront besoin de sensations plus physiques à travers des pratiques intenses dans le sport ou dans la recherche de sports plus extrêmes. (Ce n’est pas pour rien que

    les stages style rafting ont tant de succès).

    - Certains seront fiers des cicatrices ou marques sur ce corps qu’ils cherchent à asservir, quand ce ne sont pas des marques qu’ils s’infligent délibérément.

    - D’autres encore seront tentés par les jeux dangereux qu’ils connaissent ou dont on parle autour d’eux.

    Ce qui est certain, c’est que les jeux dangereux font partie de l’univers de l’enfant. Font-ils

    davantage partie de leur univers actuellement, ou sont ils plus précoces ? La question est ouverte. S’il

    ne va pas lui-même à la rencontre de ces jeux, l’enfant en a connaissance à travers la pratique d’un

    copain, à travers l’angoisse des parents ou à travers les médias. Le fait que ce soit dangereux et

    interdit les rend particulièrement attractifs.

    Que va-t-il faire de cette connaissance ?

    - Parfois vivre l’émotion, le frisson, la peur, à travers l’expérience des autres lui suffira.

    - Pour certains, il s’agira de tester par eux-même, seuls ou en groupe, mais une seule expérience leur suffira pour se rassurer sur leur audace, ou se mesurer aux autres.

    - Parfois la nature du frisson ou son souvenir, la manière dont il lie le groupe peut pousser l’enfant à la répétition. Dans ce cas, la répétition peut devenir problématique parce que,

    chez certains enfants, elle peut s’apparenter à une forme de dépendance avec le besoin

  • 29

    de recommencer pour revivre l’émotion. L’enfant devenant alors dépendant du jeu par le

    frisson qu’il procure. Olivenschtein disait « La dépendance, c’est la rencontre d’un

    individu, d’une substance et d’un moment de son histoire ».

    J’aimerais faire le parallèle avec ce qui est en jeu ici. A mon sens, il faut couper court aux idées

    reçues. La très grande majorité des jeunes qui participent à des jeux dangereux ou qui prennent des

    risques ne sont pas pathologiques. Simplement, ils ont rencontré, à un moment particulier de leur

    histoire, une situation et des circonstances qui les y ont amenés.

    Pour illustrer mon propos, je vous propose 2 rencontres :

    - ANNA :

    Anna a 12 ans, une petite sœur Elise de 9 ans, un papa et une maman aimants, une

    famille unie, une trajectoire scolaire sans soucis particulier. Elle est en première

    secondaire, élève tranquille. Anna est une jeune ado bien intégrée, elle a des amies, elle

    fait du sport. La naissance d’Anna a été ardemment désirée et est intervenue après une

    longue attente et des traitements. La naissance d’Elise est arrivée plus spontanément.

    Les deux sœurs s’entendent assez bien.

    Il y a quelques mois, sans signe avant coureur, la maman trouve Anna inconsciente dans

    sa chambre. SAMU, hôpital, elle sera sauvée de justesse.

    Au retour à la maison, Anna ne veut pas parler de ce qui s’est passé. Après quelques

    rendez-vous chez un psychologue auxquels elle se plie de mauvaise grâce, elle ne veut

    plus consulter.

    Ce sont les parents qui vont consulter, surtout la maman soutenue par son mari. La

    maman va faire en thérapie le difficile travail de ce deuxième accouchement. « Devenir

    une maman papillon ». Cette maman a eu tellement de plaisir de gratification avec son

    bébé chenille d’amour. C’était une relation idyllique, elle savait ce dont Anna avait

    besoin elle ne se trompait jamais. Si elle rapportait un vêtement à sa fille, elle savait qu’il

    lui irait et qu’elle serait contente, que du bonheur, une maman tellement rassurée.

    Cette maman, avec beaucoup de douleur, va accepter une coupe de cheveux qu’elle

    n’aime pas et une mèche de cheveux trop noire, trop longue qui « balafre » comme elle

    dit le visage encore poupin de l’adolescente. Elle va accepter les faux ongles, trop longs,

    trop faux, trop chers, qui lui donnent comme elle dit « un mauvais genre ». Elle va

    accepter aussi les copines qu’elle n’aime pas et qui ont un look de lolita provoquant.

    Mais, elle saura rester une maman « repère » qui sait refuser les sorties vraiment

    dangereuses.

    Quelles sont les bonnes décisions, quelles sont les mauvaises ? Ces parents avaient une

    relation tranquille avec leur fille. Maintenant plus rien n’est sûr, chaque choix se fait

    avec des hésitations et un risque d’erreur (exemple : « au fond, d’autres parents

    acceptent ce que je refuse à Anna »).

  • 30

    Et ce n’est pas par hasard qu’Anna qui est très fine cogne là où ça fait mal, marque ce

    corps tellement chéri et veut exhiber des signes d’une sexualité agressive. Elle fait

    craquer la carapace.

    - CLARA :

    Clara a 13 ans. Elle est la cadette de 2 sœurs. Elle a grandi sans souci, petite dernière

    choyée par tous. La famille est unie et les parents sont soucieux d’une entente

    harmonieuse. Ils souhaitent que Clara soit heureuse. Clara n’aime pas l’école et est une

    élève passive et un peu à la traîne.

    Il y a quelques semaines, alors qu’elle est sensée être à l’école, Clara va disparaître tout

    une après-midi et une partie de la nuit. Branle bas de combat : recherche, police,… Clara

    était avec 2 « grands » presque majeurs déscolarisés et consommateurs.

    Clara est une ado jolie, très, trop … comme dit sa maman. Elle a pris 17 cm en un an. Elle

    a davantage le physique d’un mannequin que d’une petite écolière. Elle risque de fuguer

    à nouveau et de se mettre en danger.

    Elle accepte de consulter du bout des lèvres mais ne fait rien pour s’impliquer, le tout,

    avec un petit sourire canaille. Clara dit qu’elle veut changer d’école faisant entendre que

    c’est la seule façon pour elle d’être heureuse et de reprendre intérêt pour les études.

    Son choix d’école est inapproprié, elle choisit une école qui lui laisserait une liberté pour

    laquelle elle n’est pas prête. Les enseignants tiennent bon, suggèrent le maintien, le

    renforcement, l’encouragement dans l’effort. Le PMS, encourage au maintien, le

    médecin consulté pour de vagues maux de ventre du lundi matin encourage les parents

    à ne pas céder.

    Les parents sont très hésitants. Ils voudraient que la petite soit bien, soit heureuse …. Ils

    sont très inquiets du danger qu’elle pourrait prendre. Elle assure qu’elle serait bien s’ils

    cèdent et ne se mettrait plus en danger, les professionnels disent le contraire. Que faut-

    il faire ??

    J’ai choisi ces deux histoires parce qu’elles ne correspondent pas à des stéréotypes d’enfances

    difficiles ou de foyer désunis. Il s’agit d’adolescentes raisonnablement bien entourées et qui l’une et

    l’autre prennent des risques graves avec leur intégrité. Ces deux histoires donnent à réfléchir, l’une

    parce qu’il s’agit bien du jeu du foulard, l’autre parce qu’elle questionne un autre aspect de la vie qui

    est la prise de risque avec la vie, l’amour et la sexualité.

    Il est sûr qu’il n’y a pas de certitude, rien qui nous permette de dire que tel enfant ou telles

    conditions d’environnement empêcheraient une prise de risque trop grave. Ces ados ont eu besoin

    de se confronter à elles mêmes et toute la bienveillance des adultes n’a pas pu l’éviter. Notre volonté

    d’adulte, d’accompagnant est de faire le mieux possible, d’être adéquat, à l’écoute, compréhensif,

    raisonnablement cadrant.

    Mais, les certitudes nous échappent, tout au plus doit on veiller à limiter les dégâts et être prêts à

    panser les plaies, à être des contenants attentifs mais sans complaisance pour le danger.

  • 31

    L’ado a besoin de s’appuyer et pour cela il doit trouver une certaine résistance. Notre place me

    semble à la fois simple et compliquée. Prévenir, c’est peut être simplement être là et bien là avec nos

    idées, nos croyances, nos valeurs, nos certitudes et nos imperfections.

    Avoir le courage de dessiner la route, de prévenir des dangers, sans « faire à la place » et sans

    chercher à séduire (et tant pis/tant mieux si, au final, on est traité de « vieux croûton… » ).

    Faut-il renoncer à faire de la prévention du fait qu’elle restera insuffisante ? Certainement pas, c’est

    non seulement notre rôle mais notre devoir. Tracer la route, c’est prévenir des dangers.

    D’où l’intérêt des outils de prévention. Construire des outils qui parlent des dangers sans les

    minimiser mais sans en rajouter sur la peur (dont on a pu voir l’effet attractif), qui mettent les jeunes

    en réflexion et au travail par rapport aux risques. Quand on souhaite pratiquer un sport qui présente

    des risques, on prend des précautions, on s’assure, il en est de même ici.

    S’intéresser aux jeunes pas seulement dans ce qu’ils font mais ce qu’ils sont : les amener à parler

    d’eux, ce qui les intéresse, leurs espoirs et leurs craintes, les écouter, suggérer. Braquer tous les

    projecteurs de la prévention sur les dangers, sur le factuel et sur les conséquences est certes

    intéressant et nécessaire pour autant que ce soit fait avec précaution. De même, il est utile et

    nécessaire de se munir pour cela d’outils bien adaptés.

    Mais pour que les jeunes s’approprient cette réflexion, elle doit être portée non seulement par des

    acteurs de prévention spécialement formés sur lesquels on peut se reposer et des outils adéquats,

    mais elle doit être aussi l’affaire de tous les adultes amenés à encadrer les jeunes.

    Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous défausser de ce travail essentiel de mise en sens en

    nous disant que c’est l’affaire de quelques spécialistes qui doivent se débrouiller avec. Nous sommes

    tous concernés (psychologues, assistants sociaux, éducateurs, ...).

    Ce que questionnent les jeunes, c’est avant tout le sens que nous donnons à la vie et à l’avenir.

    Idéalement, chacun des adultes devrait avoir un regard attentif, positif mais sans complaisance. Se

    tenir prêt à écouter, prévenir, recadrer, attirer l’attention des collègues et éventuellement faire

    relais, s’il y a lieu.

    Ce dont le jeune a besoin, en première ligne, c’est d’être dans le regard d’un adulte, qu’il soutienne

    vraiment son attention, pas d’avoir le sentiment que l’adulte se débarrasse du problème en

    l’envoyant chez le psy ( cette étape là sera peut être nécessaire mais après).

    Faire de la prévention, c’est aussi laisser des espaces de parole sur le sens et sur les valeurs que

    nous adultes nous accordons à la vie et pas uniquement dans les espaces prévus pour. C’est laisser

    du temps à la parole et à l’écoute.

    La prévention suppose l’attention bienveillante (bienveillant ne signifiant pas tout permettre bien

    au contraire).

    Mais la prévention passe d’abord par des adultes qui ont pu se poser et réfléchir sereinement. Cela

    nécessite une bonne et complète information tout d’abord de l’ensemble des adultes qui encadrent

    les jeunes. Cela suppose des espaces de bonne collaboration entre adultes où ces sujets peuvent être

    abordés, à l’école, au PMS, etc. Pour permettre aux professeurs, éducateurs de pouvoir être et rester

  • 32

    à l’écoute des jeunes avec tout ce que ça comporte de difficulté, il faut tout d’abord qu’ils soient eux

    même bien informés, soutenus et encouragés.

    Cette bienveillance doit être attentive et sans complaisance, envers les jeunes, exercée par des

    adultes eux-mêmes bien informés et soutenus pour leur permettre d’avoir le courage ou l’audace de

    tenir leur place avant de s’effacer.

    Il n’y a pas de mode d’emploi parfait, pas de préparation ou de prévention idéale, mais peut être

    une ouverture à la découverte, une disponibilité. Peut-être qu’au final, une bonne prévention, c’est

    la manière dont notre société laisse entrevoir au jeune la valeur qu’elle lui donne ; à quel point, il est

    précieux à nos yeux, à quel point on aimerait le préserver. Une prévention imparfaite mais qui porte

    sens.

    « L’enfant ne choisit pas de naître, ce sont les parents qui décident de le mettre au monde et rêvent,

    pour lui, sa place dans le monde ; à l’adolescence, le jeune doit se dégager des espoirs que ses

    parents ont construits pour lui pour se créer ses propres rêves et pouvoir, un jour, rêver pour un

    autre qui le prolongera et prolongera le monde ».

  • 33

    VII. Vivre au risque de … Jean–Paul Bernard, psychanalyste, thérapeute,

    et ancien directeur du Centre d’Aide thérapeutique et Educative de Liège.

    « Il n’y a de progrès que marqué par la mort » (Jacques Lacan)

    La communauté éducative est aujourd’hui, plus souvent qu’hier, concernée par des phénomènes de

    violence et de prise de risques chez les jeunes. La presse relate en effet périodiquement des

    pratiques à caractère ludique présentant de grands risques pour la santé et pour la vie-même de

    leurs participants. Des associations de parents se constituent par ailleurs autour de cette

    problématique. Ces jeux portent le nom de « jeu du foulard », « rêve indien », « torrero », « petit

    massacreur ».

    Toutefois, ces pratiques ne constituent pas un fait nouveau. Ce qui semble l’être, par contre, c’est

    d’une part, l’abaissement de l’âge des jeunes touchés par ce phénomène et d’autre part,

    l’augmentation de sa fréquence.

    Entrons dans le vif du sujet par ce qu’en dit un enfant. Romain Gary a écrit ce passage en 1960 dans

    un ouvrage autobiographique, « La promesse de l’aube ». Il y relate un jeu de « trompe-la-mort »

    qu’il a pratiqué avec un compagnon/rival, Jan, dans les années 1920. Il avait alors 10 ans. Enfant

    élevé par sa mère seule, celle-ci le destinait à un avenir fabuleux : il devait être (pour elle) tour à

    tour, violoniste virtuose (un nouveau Menuhin), danseur-étoile renommé (un nouveau Nijinski),

    physicien de renom (comme Einstein), as de l’aviation (comme Guynemer), géant de la littérature (tel

    un Goethe, un Victor Hugo ou encore un d’Annunzio). Réaliser le vœu maternel et en même temps se

    séparer d’une sorte de jouissance qui les englue l’un à l’autre est le double défi qu’il tiendra toute sa

    vie. C’est ce qu’il relate dans cette autobiographie et le comportement à risques, auquel il se livre,

    fait partie de ce travail.

    Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est dans un premier temps, une réflexion pour mieux

    comprendre le phénomène en tant qu’expression subjective pour, dans un second temps, mieux

    accompagner ces jeunes dans leur construction.

    A. Mieux comprendre le phénomène

    Afin de mieux comprendre, penchons-nous un instant sur les conduites à risques et précisons ce qui

    les caractérise. Je relève neufs caractères communs aux conduites à risques, on les retrouve

    d’ailleurs dans le récit de Romain Gary :

    - elles se présentent sous un aspect ludique (cfr « le jeu consistait …. »)

    - elles se déroulent essentiellement au seuil de l’adolescence (Romain Gary avait 10 ans à l’époque)

  • 34

    - elles se pratiquent généralement en groupe : l’aspect référence aux pairs (aux égaux) y est en effet essentiel (cfr. « sous le regard de nos camarades éblouis »)

    - elles représentent de graves dangers pour la santé des « joueurs » et parfois pour leur vie elle-même (cfr « se fracasser, une mort certaine »)

    - les jeun