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Comptes rendus bibliographiques

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Comptes rendus bibliographiques

Cahiers de géographie du Québec Volume 56, numéro 157, avril 2012 Pages 245-263

BREUX, Sandra et BHERER, Laurence (2011) Les élections municipales au Québec : enjeux et perspectives. Québec, Presses de l’Université Laval, 351 p. (ISBN 978-2-7637-9272-9)

This important collection of essays provides us with more information about municipal elections in Quebec (or any other part of Ca-nada) than we have ever had before. Readers receive detailed analyses of the 2009 elections in Trois-Rivières, Sherbrooke, Montréal, Lévis, Québec, Longueuil, Saguenay, Laval, and Gatineau.

Quite rightly, much emphasis is placed on the role of municipal political parties. Although some contributors are quick to point out that many of the parties are not very stable and sometimes are merely the personal crea-tions of particular mayor candidates, no one emphasizes how unusual such parties are in western democracies, including Canada. We need more comprehensive explanations of how they came to be and why they survive.

Readers are similarly presented with the exis-tence of de-amalgamated municipalities and directly-elected mayors within amalgamated municipalities as though they too were per-fectly normal and understood by everybody. In fact, of course, these are phenomena that,

in North America at least, are quite unique to Québec. More explanation would have been welcome. Especially interesting would have been some comparison of voting behaviour in boroughs and de-amalgamated municipalities. Were citizens of de-amalgamated municipa-lities more likely to turn out to vote ? Were they anxious to continue to celebrate restored municipal autonomy or were they content to retreat to the more comfortable patterns of passivity that many displayed prior to the amalgamations?

Perhaps the greatest strength of this collection is that it includes Québec’s large suburban municipalities (“boomburbs” as they have been described in the United States).

Laval and Longueuil are the obvious examples; perhaps Lévis qualifies as well. We need much more understanding of what goes on in such places, but they receive little coverage in the metropolitan media, and many downtown university professors – even urbanists – know nothing about them. Bravo to the book’s editors ; not only did they decide to include the big suburbs, but they took on the task themselves, Sandra Breux for Longueuil and Lawrence Bherer for Laval.

Once again, however, the book could have benefited from some comparative context. Bherer marvels at the six consecutive man-dates of Mayor Gilles Vaillancourt in Laval. But in Toronto’s equivalent of Laval, Missis-sauga, Mayor Hazel McCallion (born in Gaspé in 1921) has been in office since 1978. In his 2009 biography (Her worship: Hazel McCallion and the development of Mississauga), Tom Urbaniak goes a long way to explain how this has been possible. A similar analysis likely applies to the electoral success of Mayor Vaillancourt.

This collection contains remarkable detail about hard-fought and close mayoral elec-tions (Sherbrooke) and runaway victories by a populist incumbent (Saguenay). Anyone wanting to better understand municipal elec-toral politics in Québec will learn a great deal

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from this well researched, well organized, and comprehensive collection. Unusually, the editors did not write the conclusion. They were fortunate indeed to prevail on Jean-Pierre Collin to provide a thoughtful summary which, among other things, questions the ongoing significance of Québec’s municipal political parties.

Andrew SanctonUniversity of Western Ontario

CARY, Paul et JOYAL, André (dir.) (2011) Penser les territoires. En hommage à Georges Benko. Québec, Presses de l’Université du Québec, 337 p. (ISBN 978-2-7605-2591-7)

Ce livre collectif, qui, outre la préface de Paul Claval, regroupe 17 contributions provenant essentiellement d’auteurs français, québécois et brésiliens, offre en quelque sorte un bilan de la contribution de Benko à la réflexion contemporaine sur les territoires. Chaque auteur effectue ce bilan à sa manière. Alors que certains chapitres sont des études de cas qui puisent dans les idées de Benko sur les capacités territoriales, d’autres décrivent l’influence de Benko sur un programme de

recherche particulier, et d’autres encore font référence de façon marginale à Benko pour ensuite développer des nouvelles idées sur les régions.

La première impression que laisse cet ou-vrage est donc celle d’une collection un peu hétérogène de contributions qui auraient pu bénéficier d’une ligne directrice un peu plus marquée. Cette collection est cependant d’un grand intérêt car, tout en rendant hommage aux idées de Georges Benko, elle en souligne aussi les limites – ou du moins les limites dans la manière dont ont été appropriées ses idées. En effet, ce qui est le plus souvent retenu des travaux de Benko est l’approche par le territoire, sa conceptualisation de régions non comme des éléments plus ou moins indiffé-renciés sur un échiquier géoéconomique régi par l’accessibilité, la distance et les facteurs d’agglomération, mais comme des acteurs à part entière capables de générer de façon endogène leur développement en puisant dans leurs propres ressources, institutions et savoir-faire.

Or, dans bon nombre de contributions – et je pense notamment à celles de Pecqueur, Fontan et al., Loinger, Silveira et Scott –, on sent que les auteurs ont du mal à réconcilier la région comme actrice de son propre dévelop-pement avec la réalité de son positionnement non seulement dans les flux globaux, mais aussi dans les champs d’influence plus locaux à l’échelle d’ensembles régionaux et de pays. Certains, comme Fontan et al. offrent des conceptualisations originales pour réconcilier ces facteurs de développement multiscalaires et parfois contradictoires : pour eux, le capital socioterritorial englobe à la fois les facteurs et réseaux locaux et la capacité des acteurs locaux à mobiliser les facteurs et réseaux à l’extérieur de la région.

C’est ici, à mon avis, qu’on atteint la limite de l’approche par le territoire et qu’il devient utile de faire appel aux tout premiers outils qu’a mobilisés Georges Benko, à savoir, comme le rappelle Paul Claval, les outils économiques

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des sciences régionales. En effet, il suffit de reconnaître que la capacité des acteurs locaux à mobiliser les ressources externes à la région est en partie dépendante de l’accessibilité de cette région aux autres régions, et de décom-poser cette accessibilité selon les coûts et les modes de communication, pour retomber sur certains préceptes fondamentaux de la théorie de la localisation – approche qui est presque évacuée de cet ouvrage, mais dont la présence se fait sentir dans la plupart des contributions.

En somme, ce livre démontre à la fois la grande influence de la pensée de Georges Benko et la manière dont un paradigme – quel qu’il soit – atteint ses limites. Je suis persuadé que Benko était bien conscient que le territoire et ses dynamiques internes n’expliquent pas tout, et que son œuvre faisait donc partie d’une rhétorique plus large visant à replacer les régions au cœur de l’analyse géographique et économique. En cela, il est parvenu à ses fins. Cependant, si nous, comme héritiers de Benko, voulons approfondir notre compréhen-sion des dynamiques de développement régio-nal, il s’agit aussi de nous détacher de cette rhétorique et revisiter (et remettre au goût du jour) certaines approches conceptuelles et analytiques contre les excès desquelles Benko s’est senti obligé d’argumenter.

Richard ShearmurCentre Urbanisation Culture et Société

Institut national de la recherche scientifique

CHARLOT-VALDIEU, Catherine et OUTREQUIN, Philippe (2011) L’urbanisme durable. Concevoir un écoquartier (2e édition). Paris, Éditions Le Moniteur, 312 p. (ISBN 978-2-281-19501-9)

Depuis la popularisation du concept de déve-loppement durable (DD), à la fin des années 1980 par le rapport Brundtland, le vocable « durable » a été appliqué à pratiquement tous les champs d’intervention, de l’agriculture au tourisme en passant par la ville et l’urbanisme durable. Aujourd’hui, la problématique des territoires durables constitue une approche paradigmatique distincte, comme en témoigne la revue électronique Développement durable et territoires. Le présent livre s’inscrit dans cette approche, tout en étant orienté vers la « mise en pratique du DD » à l’échelle des quartiers urbains. Il s’agit alors de fournir une boîte à outils, une méthodologie et un éventail de bonnes pratiques de développement urbain durable, dont les écoquartiers, basées sur la participation des populations et la triple inté-gration des besoins locaux, des contraintes environnementales et des enjeux de DD.

Un des enjeux cruciaux, à l’échelle des territoires (quartier, ville, regroupement de municipalités, MRC, région, bassin versant), est celui de la capacité de l’ensemble des acteurs non seulement de réaliser des projets ponctuels, tels que le compostage ou la mobi-

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lité durable, mais d’adopter une démarche intégrée de DD ; intégrée de façon multidimen-sionnelle (de l’environnement à la culture), multitemporelle (d’hier à aujourd’hui), mul-tiscalaire (du local au global) et multiacteurs. Une des trois parties du livre est d’ailleurs consacrée à la démarche intégrée d’urbanisme durable et les deux autres au développement urbain et aux projets d’aménagement. Par contre, les questions de la concordance des temps de l’action, de l’intégration des échelles spatiales et des jeux d’acteurs autour d’un mode de gouvernance plus participatif (démo-cratie élective vs démocratie participative) n’ont pas été abordées explicitement.

Le sous-titre du livre Concevoir un écoquartier crée une attente de « comment ». Toutefois, le contenu reste davantage sur les plans de la démarche stratégique, des principes et des exemples. Certes, la conception d’un projet intégré d’aménagement urbain durable ne relève pas du livre de recettes ; mais il aurait été intéressant que les auteurs fassent état des embûches rencontrées, des limites de la démarche stratégique et des écarts entre les objectifs, les finalités et les résultats obtenus dans les cas présentés. Selon nous, il n’y a pas de ville durable dans le monde – bien que certaines s’en réclament : c’est un chantier en construction, en devenir, dont l’issue n’est pas encore connue. Car l’urbanisme durable renvoie plus largement à une transformation du mode de production et de consommation, bref des rapports sociospatiaux. La Chartre d’Aalborg, pour des villes durables, souligne d’ailleurs l’urgence d’une telle rupture.

Malgré les éléments de critique évoqués, ce livre constitue une référence obligée pour les collectivités territoriales, pour les formateurs et les praticiens de l’aménagement urbain et régional soucieux de traduire les principes et les objectifs de DD dans l’action et les territoires.

Christiane GagnonDépartement des sciences humaines et CRDT

Université du Québec à Chicoutimi

CHOUINARD, Omer, BASTAN, Juan et VANDER-LINDEN Jean-Paul (2011). Zones côtières et changement climatique. Le défi de la gestion intégrée. Québec, Presses de l’Université du Québec, 242 p. (ISBN 978-2-7605-3188-8)

Susciter une réflexion sur le développement durable des zones côtières à travers le prisme de la gestion intégrée et du changement clima-tique, telle est l’ambition de cet ouvrage. Les auteurs traitent, tout d’abord, de la nécessité d’une transition de l’approche disciplinaire sectorielle à l’approche interdisciplinaire écosystémique territorialisée, en s’appuyant sur l’exemple acadien. Puis, une contribution met en exergue la vulnérabilité et la fragilité du milieu de vie de la main-d’œuvre, celle des entreprises acadiennes de transformation du poisson, découlant de l’érosion et des inondations accélérées par les changements et les variations climatiques. Dans une partie centrale de l’ouvrage, l’accent est mis sur le flou juridique qui explique les difficultés de l’instauration d’une gestion intégrée, mais surtout une définition de la gestion intégrée illustrée par l’étude de la GIZC (gestion inté-grée de la zone côtière) de la baie de Caraquet dans un contexte aquacole est proposée : « […] un mécanisme de gestion multilatérale, basée sur le respect mutuel, ancré dans une action collective, qui permet tant la gestion des

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conflits d’usage que la mise en œuvre d’un plus grand respect de l’environnement natu-rel » ; c’est cette définition qui sert de trame à une étude sur les trois provinces maritimes du Canada pour révéler les différents objectifs des parties prenantes à la GIZC.

L’élargissement de l’aire d’étude à l’Uruguay, aux Antilles françaises, au sud de la Bretagne et au littoral ouest-africain (de la Mauritanie à la Guinée) montre l’importance et l’influence des contextes culturels et des savoirs écolo-giques locaux sur les demandes des commu-nautés pour des politiques environnementales de gestion participative et intégrée des zones littorales, dans un contexte de changement climatique.

L’ensemble de ces réflexions contribue à la reconnaissance de l’intérêt de la multidiscipli-narité, mais aussi de la difficulté de prendre en compte les différentes échelles d’intervention et d’établir des priorités pour la gestion inté-grée des zones côtières. On y pose la question de l’approfondissement de la méthodologie qualitative de la recherche-action participative et d’une coproduction, entre chercheurs et communautés, des modalités d’une justice socioenvironnementale.

Jean-Yves WeigelInstitut de recherche pour le développement

DESHAIES, Michel (2011) Atlas de l’Allemagne. Les contrastes d’une puissance en mutation. Paris, Autrement, 80 p. (ISBN 978-2-7467-1545-5)

Michel Deshaies (Université de Nancy II) réa-lise un ouvrage de qualité pour comprendre les forces et les mutations, les contrastes spatiaux et les problèmes de la puissance alle-mande. « L’Allemagne, écrit l’auteur, apparaît ainsi plus que jamais comme un pays aux multiples visages où l’unité politique retrou-vée est confrontée aux divisions de plus en plus profondes de la société. » Dans le contexte géopolitique actuel de l’Union européenne, la place pivot de cet État, sur les plans politique et économique, se révèle essentielle et l’ou-vrage nous en donne toutes les clefs. Celui-ci s’articule en sept parties majeures, déclinées chacune en plusieurs thèmes : le peuple et son territoire ; l’Allemagne multiple ; une société postmoderne rétrécissant ; Made in Germany ; villes, culture et aménagement du territoire ; les enjeux environnementaux ; une nouvelle place en Europe et dans le monde.

L’ouvrage nous présente un pays fortement urbanisé, un multiculturalisme croissant, surtout dans les grandes villes de l’Ouest et à Berlin, un système industriel toujours performant et une transition réussie vers les hautes technologies, une économie exporta-

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trice puissante. Le pays doit aussi faire face à de nouveaux défis comme la gestion des pro-blèmes environnementaux, le déclin démogra-phique et le vieillissement de sa population, les inégalités économiques et sociales qui font découvrir de nouveaux contrastes régionaux, entre l’Est et l’Ouest dont les écarts tendent à diminuer, entre un Nord industriel et un Sud plus dynamique en Allemagne de l’Ouest. Tous ces aspects sont clairement abordés à partir d’un texte dense et précis, de nom-breuses cartes à différentes échelles, une ap-proche de synthèse bien argumentée avec des exemples précis (les mutations des industries de la Ruhr, les changements urbains à Berlin, les conséquences de l’exploitation du lignite dans la région de Cologne, les entreprises allemandes en France, la capitale financière de Francfort-sur-le-Main, le polycentrisme des foyers culturels et universitaires qui sont à la base du rayonnement économique et Volk-swagen dans le monde, entre autres thèmes).

Au final, cet atlas de l’Allemagne constitue une somme d’informations mises à jour incontournable pour aborder les mutations et le rayonnement de cet État central de l’Europe.

Philippe Boulanger UFR, Géographie et aménagement

Université Paris-Sorbonne

DIONET-GRIVET, Suzanne (2011) Géopolitique de l’eau. Paris, Éditions Ellipses, 253 p. (ISBN 978-2-7298-6404-0)

Ce livre se propose d’aborder de façon syn-thétique (en 253 pages et avec une police assez grosse, il le faudra bien) les différentes facettes de la géopolitique de la gestion de l’eau, un enjeu majeur au XXIe siècle avec l’augmentation rapide d’une demande pour une ressource stratégique. Le thème n’est certes pas novateur, mais le sujet est loin d’être épuisé, d’une part ; d’autre part, la complexité même du sujet rend la diversité des points de vue a priori intéressante pour souligner les interactions entre les acteurs et les dimensions politiques de la gestion de l’eau.

Ambitieux, bien illustré et accompagné de nombreux documents en encadré, cet ouvrage se divise en quatre parties, elles-mêmes arti-culées en quatre sous-parties. La première, La pression sur les ressources en eau : la raréfac-tion de l’eau et la croissance des inégalités, se propose de jeter les bases de l’hydrologie, avec l’étude du cycle de l’eau, des usages anthro-piques et de l’accès à l’eau puis une étude de cas avec une présentation rapide de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (curieusement sous son nom anglais de Middle East and

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Northern Africa). Une seconde partie revient sur les usages de l’eau, en agriculture et dans les villes, en développant également les thèmes de la gestion institutionnelle de l’eau, de l’ingénierie et des grands travaux, puis du prix de l’eau. La troisième partie aborde directement les questions de géopolitique de l’eau, avec des études de cas déjà très connues, le Moyen-Orient, la Chine, l’Asie centrale, le Sénégal, et des exemples de coopération. Enfin, une quatrième partie évoque les enjeux environnementaux de la gestion de l’eau : impacts du changement climatique ; méthodes d’augmentation de l’offre et de gestion de la demande et, enfin, approches organisation-nelles de la gouvernance de l’eau.

Le souci de brosser un tableau le plus complet possible en si peu de pages conduit l’auteur à user de raccourcis alors que, parfois, de longs développements ne semblent pas fon-damentaux. Ainsi, dans la première partie, on aurait sans doute pu faire l’économie du développement sur le cycle naturel de l’eau, puisque ces informations ne sont pas mobili-sées plus tard et que ces connaissances sont déjà largement diffusées.

A contrario, l’auteure évoque en une demi-page (p. 8) l’idée que l’eau « renouvelable ne veut pas dire non épuisable », sans que l’on comprenne bien pourquoi : en citant dans une seule et même phrase l’exemple californien et l’exemple libyen, comment distinguer ensuite l’épuisement, réel, de ressources fossiles (cas libyen) et un exemple typique de tension pro-voquée par la surutilisation d’une ressource par ailleurs pas si rare que cela (cas califor-nien) ? Le texte affirme le caractère épuisable de la ressource tout en précisant que l’eau se renouvelle : une certaine ambiguïté subsiste ainsi quant à l’origine des tensions sur la ressource en eau, qui ne viennent pas, en réalité, d’un épuisement de la ressource mais d’une mobilisation et d’une consommation excessives.

L’auteure s’efforce aussi de distinguer pré-lèvement et consommation en une seule page (p. 20), mais ses explications répètent

le terme de consommation sans le définir et sans que, par la suite, ces concepts majeurs ne soient remobilisés pour venir éclairer des dimensions de la géopolitique de l’eau. La sous-partie suivante, traitant de l’accès à l’eau, évoque de façon parfois lapidaire des concepts fondamentaux, comme la responsabilité des divers gouvernements dans la gouvernance de l’eau ou encore les fortes inégalités dans l’accès à une ressource de bonne qualité. La question du droit à l’eau, qui est l’objet d’un vif débat politique sur la scène internationale, n’est abordée qu’en une demi-page. De fait, l’étude de cas sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient semble un peu incongrue dans ce contexte de passage en revue de nombreux concepts qui, pour être louable, n’est pas moins inefficace pour le lecteur non averti. La carte 5, qui cherche à présenter plusieurs aspects de la gestion de l’eau dans la région, fait un peu assemblage de données diverses et semble émaillée d’erreurs : on y apprend que la faim est un grave problème en Égypte (pas à ma connaissance) et que le barrage Atatürk se trouve sur le Tigre (sur l’Euphrate en réalité).

La deuxième partie sur les usages de l’eau, entre la révolution hydraulique, l’eau des champs, l’eau des villes et la gestion de l’eau, ignore la question des usages industriels qui, précisément, peuvent alimenter le débat sur l’amélioration de l’efficacité des usages dès lors qu’une pression économique s’exerce par la tarification. Les principales techniques d’irrigation (gravitaire, aspersion, goutte à goutte) ne sont évoquées que sur une demi-page (p. 79), malgré le caractère fondamental de ces technologies, compte tenu du poids des usages agricoles, pour comprendre les enjeux de gestion de l’eau, tant il est vrai que la crise de l’eau est avant tout un problème de l’eau dans l’agriculture. Une erreur vient émailler le propos : non, il n’est pas nécessaire de surirriguer pour éviter la salinisation, au contraire, car c’est précisément cette irrigation excessive qui fait monter le niveau des aqui-fères et engendre la salinisation secondaire par capillarité. Plus loin, un long développement évoque les sociétés hydrauliques de l’Asie

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des moussons, avec la répétition, là encore, d’éléments souvent d’une grande banalité par rapport à la littérature scientifique, sans exploitation pour développer la dimension géopolitique, pourtant le thème de l’ouvrage. Bref, l’auteure a fait des choix éditoriaux par-fois étonnants, compte tenu de la contrainte majeure du peu de pages pour traiter de façon encyclopédique un aussi vaste sujet.

Cette dimension géopolitique n’est abordée qu’avec la troisième partie : un bon chapitre, bien mené, bien illustré avec des documents pertinents. L’enseignant y trouvera de nom-breux exemples, malgré le caractère très classique des exemples abordés. Certaines régions sont largement ignorées, comme les bassins du Colorado et du Rio Grande : un quart de page seulement pour évoquer « la domination du Nord sur le Sud » (p. 183) qui plus est en introduisant une erreur, à savoir que les transferts massifs d’eau à partir du Canada constituent des solutions envisagées dans le cadre de l’ALENA.

Dès la quatrième partie, l’auteure s’éloigne de nouveau des questions géopolitiques ou, du moins, n’explique pas en quoi les développements qu’elle présente peuvent être pertinents. Le premier sous-chapitre traite de l’ensemble du phénomène des changements climatiques en une dizaine de pages, mais l’analyse de l’impact de ces changements sur la géopolitique de l’eau n’occupe que trois pages. Le second, qui aborde la question de l’augmentation des volumes, notamment par des transferts massifs, aurait certainement pu faire l’objet d’une attention accrue, même si les exemples retenus (Nordeste brésilien, PHN espagnol) sont pertinents. Le passage sur l’Amérique du Nord pèche encore une fois par approximation : le Canada, contrairement à ce qu’affirme l’auteure (p. 216), n’a pas refusé de vendre son eau, car aucune demande en ce sens n’a jamais été formulée par les États-Unis. La cartographie de la figure 21 est déficiente : il manque de nombreux transferts existants au Canada et aux États-Unis ; il n’existe aucun canal entre les bassins du Columbia et du

Colorado ; la représentation du projet GRAND est plus que sommaire… Dans la sous-partie sur la gouvernance mondiale de l’eau, la question du droit international, notamment de la portée de la Convention de New York de 1997 (Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation), n’est même pas abordée.

Les références bibliographiques tiennent en deux pages bien aérées. Outre le caractère révélateur de ce point quant à la diversité des sources consultées par l’auteure, le lecteur avide d’en savoir davantage en restera aussi sur sa faim.

Visant probablement le lectorat des élèves et des enseignants du secondaire, l’ouvrage se veut synthétique sur une thématique politique particulièrement pertinente pour le XXIe siècle. On y trouve de nombreuses infor-mations et le livre a le mérite de s’efforcer de brosser un large portrait, sans être exhaustif. Mais à vouloir embrasser trop large, on en devient parfois trop succinct dans les déve-loppements, ce qui nuit certainement à la compréhension pour le lecteur peu au fait de ces questions. Quelle peut être alors la valeur d’un ouvrage de vulgarisation de base dont les subtilités ne peuvent être appréhendées que si l’on connaît les thématiques abordées ? Des choix éditoriaux ont été faits, mais le tour d’horizon, demeuré trop ambitieux, nous livre un portrait lacunaire et peu satisfaisant.

Frédéric LasserreDépartement de géographie

Université Laval

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FODOUOP, Kengne et TAPE BIDI, Jean (2010) L’armature du développement en Afrique. Industries, transports et communication (vol. 6). Paris, Éditions Karthala, 258 p. (ISBN 978-2-8111-0370-5)

L’ouvrage de Fodouop et Tape Bidi est le sixième d’une collection intitulée Maîtrise de l’espace et développement. Comme les autres volumes, celui-ci réunit des géographes afri-cains et porte sur un theme-clé pour l’avenir du continent, ici les questions d’industries, de transports et de communications.

Cette livraison, qui traite avant tout de l’Afrique de l’Ouest, est parée d’un optimisme de bon aloi. Sur tous les sujets retenus (trans-port inter-États, transport routier, transport urbain par deux-roues ou par voie maritime, technologies de la communication, dévelop-pement industriel), le texte montre combien les équipements, les techniques de dépla-cement et de communication, les dessertes, les échanges, les opérateurs, les politiques publiques ont évolué dans chacun des pays étudiés. De ce point de vue, l’exercice est utile, car il renseigne sur des changements fondamentaux réalisés en Afrique, faisant de ce continent l’égal d’autres dans le monde.

Le choix de rassembler dans un même ouvrage industries, transports et communications pose cependant question dans la mesure où le lecteur ne comprend pas pourquoi seul un petit texte d’une dizaine de pages parle de l’industrie africaine et des difficultés aux-quelles elle est confrontée. Veut-on dire par là que l’industrie, si elle reste l’élément de base du développement économique conti-nental, doit aussi être pensée en fonction des dynamiques d’échanges, de circulation et de transport à l’œuvre ? Mais aucun lien n’est fait entre l’équipement industriel et les marchés nationaux et internationaux indispensables pour pérenniser les industries du continent. Cette vieille antienne du développement économique africain se heurte aux logiques commerciales des grands importateurs qui, dans chaque pays et depuis des décennies, font circuler les biens d’équipement, les pro-duits de consommation courante, jusqu’au fin fond des campagnes, s’appuyant pour cela sur les infrastructures de transport, sur les places-marchés principales et secondaires, et contribuant à accentuer le pouvoir de polari-sation des villes portuaires.

Si la richesse de chaque article est incontes-table, même si parfois elle est desservie par la mauvaise reproduction des cartes, il reste une interrogation majeure sur le réel apport de l’ouvrage : pourquoi autant d’études nationales, sinon locales alors même que le géographe béninois Igue, dès le début, évoque les questions d’intégration régionale, de perte de rigidité des frontières nationales (p. 31), consécutives notamment au développement sans précédent des transports routiers inter-nationaux ? Les textes sur les transports entre Mali et Côte d’Ivoire et sur le port « sec » de Bouaké (nécessaire à la desserte du nord de la Côte d’Ivoire et du sud du Mali et du Burkina Faso) laissent comprendre que les circula-tions en Afrique de l’Ouest ne peuvent ainsi plus être envisagées à l’aune des découpages nationaux. Mais les autres contributions, en particulier celle sur les technologies de la communication, valorisent peu cette dimen-sion transnationale. Celle-ci se traduit par la

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consolidation des processus de différenciation spatiale, eux-mêmes accentués par le déve-loppement des transports : peu mentionnés, ces processus se traduisent pourtant par l’apparition d’espaces lacunaires et striés (p. 17) et de zones périphériques oubliées (p. 33), défavorables à l’intégration territoriale nationale et continentale.

En définitive, l’ouvrage, certes indispensable mais incomplet, laisse le lecteur sur sa faim.

Jérôme LombardInstitut de recherche pour le développement

KLEIN, Juan-Luis et LASSERRE, Frédéric (dir.) (2011) Le monde dans tous ses États. Une approche géographique, (2e édition). Québec, Presses de l’Université du Québec, 635 p. (ISBN 978-2-7605-3206)

Si son titre pèche par manque d’originalité, cet ouvrage n’en demeure pas moins passionnant. Bien sûr, comme on le devine, autant de pages sur un sujet aussi vaste et varié ne se lisent pas comme un roman. Les 38 collaborateurs, tous dûment choisis en fonction de leur expérience et spécialité, offrent ici une deuxième édition qui se veut, suivant l’usage : augmentée et

entièrement remise à jour (revisitée). On com-prendra qu’on se trouve en présence d’un peu l’équivalent d’un État du monde, non daté, que l’on consulte suivant ses priorités et intérêts ou encore sous l’incitation de l’actualité.

Les deux responsables, qui ont dû faire preuve d’une main de maître pour mener à bien un projet aussi imposant, sont des familiers des Cahiers. Juan-Luis Klein, professeur de géographie à l’UQAM, dirige le Centre de re-cherche sur les innovations sociales alors que Frédéric Lasserre, en plus d’être professeur de géographie à l’Université Laval, est, entre autres, chercheur à l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société. Devant faire des choix parmi un ensemble de contributions aussi intéressantes les unes que les autres, à tout seigneur tout honneur, je ré-serve ici la priorité aux responsables, en com-mençant par leur présentation de l’ouvrage. Pour porter un regard géographique sur ce qu’ils considèrent un nouvel espace-monde, Klein et Lasserre annoncent le recours à trois outils méthodologiques : le territoire, l’échelle (locale, régionale, nationale, supranationale) et la carte. À leurs yeux, ces outils permettent de déceler comment le monde contemporain traverse une restructuration dans la réparti-tion du pouvoir entre les différentes instances qui composent la société moderne.

L’ouvrage comprend deux parties inégales en nombre de pages. La première, avec ses 154 pages, s’intitule Les enjeux et les défis de la construction de l’espace-monde. C’est Lasserre qui ouvre le bal avec une perspective histo-rique se rapportant à la contrainte physique du développement humain. En montrant que le milieu n’explique pas tout, l’auteur signale l’importance de prendre en compte la valeur accordée par les sociétés au milieu qu’elles habitent tout en portant attention à leurs capacités d’adaptation à ce même milieu. Mise à part une intéressante capsule sur le cyberspace, on ne retrouvera Lasserre qu’au chapitre IX de la volumineuse deuxième par-tie, Les continents de l’espace-monde. Écrit en collaboration avec Jules Lamarre, cofondateur

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de la Maison de la géographie de Montréal, ce chapitre présente un portrait de l’ensemble de l’Asie du Nord-Est assorti d’un intéressant historique qui, hélas, occulte le phénomène démographique de la Chine (pourtant si bien expliqué par Malthus dans son célèbre essai de 1803). Des géographes qui n’ont pas voulu se frotter à la démographie.

Dans la présentation du chapitre XIII portant sur le Moyen-Orient, suivant la définition qu’on en retient, Lasserre signale, contrai-rement aux idées reçues, que les Arabes ne représentent que 49% de la population. Et on le retrouve au chapitre XIV dont le titre L’Afrique : un continent mal parti ? s’inspire du classique de René Dumont (L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962). L’auteur ne répond pas vraiment à la question sur laquelle il revient en conclusion après avoir brossé un tableau d’ensemble assez complet, mais qui masque peut-être une réalité. En effet, à en croire certains observateurs chevronnés, entre autres ceux de l’OCDE, l’Afrique subsa-harienne serait appelée durant les prochaines décennies à devenir ce que la Chine représente depuis 10 ans : la future usine du monde. Rien à voir avec les problèmes mis en évidence que le lecteur peut retenir de ce chapitre.

Pour sa part, Klein assume la responsabilité des chapitres II, III et VI. En traitant de l’État-nation à l’espace-monde à l’intérieur de la mondialisation, l’auteur attire l’attention sur la perte de pouvoir des gouvernements cen-traux dans la régulation du développement économique et de la gestion du social. De plus en plus, les États sont conduits à rendre leurs politiques économiques tributaires des forces du marché. Vient ensuite un chapitre sur le tiers-monde où l’auteur évite de s’enga-ger dans un résumé des principales théories du développement ayant émergé au sortir du second conflit mondial. On lui sait gré de s’en tenir à une présentation critique de la fallacieuse théorie des étapes de la croissance de Rostow. Un tableau clair et concis offre au lecteur les objectifs de développement pour le millénaire, pour les pays en développement.

L’auteur étant d’origine chilienne, on ne se surprendra pas de le voir prendre la respon-sabilité, dans la deuxième partie, du chapitre sur l’Amérique latine. De la crise institution-nelle à la reconstruction sociopolitique ? Telle est l’interrogation servant de sous-titre à un intéressant historique d’un sous-continent ici partagé en six Amériques. Dans cet ensemble, pour des raisons évidentes, le Brésil occupe la place qui lui revient. Mais on regrette que l’auteur n’ait pas fait allusion à tout ce qui permet au pays de Pelé d’être vraiment une nation en émergence à l’intérieur de ce qui est devenu un acronyme consacré : le BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).

Indépendamment de l’intérêt de chacun des 14 chapitres, un des éléments forts de ce type d’ouvrage se présente sous la forme de cap-sules de trois à quatre pages tout au plus. Pour sa part, Lasserre, en plus de celle mentionnée plus haut, en présente une sur la mer d’Aral en voie de disparition et une autre sur l’eau au Moyen-Orient. Son compagnon d’armes en fait autant sur la Catalogne. Ici, l’économiste que je suis ne peut que rendre hommage au sociologue Jean-Marc Fontan pour sa cap-sule portant sur le plus pertinent que jamais débat sur la croissance. Sans tomber dans un vain dogmatisme, il présente une synthèse des principales contributions qui se veulent de plus en plus incontournables. Je m’en voudrais également de ne pas mentionner la capsule d’Édith Mukakayumba qui, sous le titre Les leçons du Rwanda, n’hésite pas, contrairement à d’autres, à parler de génocide, en relation avec le drame survenu en 1994.

Enfin, un ouvrage où les trois outils annoncés en introduction sont utilisés de façon à en rendre la lecture agréable au grand public tout en répondant aux exigences ou aux attentes des lecteurs spécialisés.

André JoyalDépartement des sciences de la gestion et de

l’économie, Université du Québec à Trois-Rivières

256 Cahiers de géographie du Québec Volume 56, numéro 157, avril 2012

LASSERRE, Frédéric (dir.) (2010) Passages et mers arctiques. Géopolitique d’une région en mutation. Presses de l’Université du Québec, 489 p. (ISBN 978-2-7695-2561-0)

Passages et mers arctiques. Géopolitique d’une région en mutation, ouvrage collectif publié en 2010 sous la direction de Frédéric Las-serre, intéressera un large public désireux de mieux comprendre les réalités des paysages politiques et des enjeux stratégiques et socio-économiques du temps présent polaire.

En 18 chapitres répartis en 4 grandes parties (le cadre climatique polaire ; les controverses actuelles sur l’état des relations des nations « possessionnées » ; la nouvelle frontière maritime arctique et ses cadres juridiques ; le diagnostic économique associé aux grands questionnements sur les mobilités mari-times polaires et la captation des ressources naturelles), cet ouvrage didactique permet d’appréhender l’imbrication des principaux enjeux polaires grâce à des analyses détaillées jouant sur des jeux d’échelles indispensables (du local au mondial).

Un nouvel état des lieux de la région arc-tique apparaît ainsi construit d’héritages, de représentations contradictoires, de stratégies

nationales intégrant désormais la souveraineté polaire dans des desseins politiques redéfinis par l’ouverture des opportunités arctiques lar-gement modélisées et fortement médiatisées depuis plusieurs années.

L’une des grandes forces de cet ouvrage est de proposer une médiation scientifique exigeante qui répond aux approximations construites par ce puissant retour d’intérêt géopolitique de la grande région Nord, alimenté par des scénarios d’évolution du bassin circumpolaire intimement liés aux effets du réchauffement global.

La cartographie produite et la variation des projections de l’espace polaire insistent sur l’importance des jeux d’échelles nécessaires à une lecture objective des enjeux proposés.

S’il reste davantage centré sur l’espace cana-do-étasunien dans l’analyse géopolitique et géostratégique polaire, l’ouvrage propose plusieurs chapitres dédiés aux probléma-tiques des routes maritimes et du partage de l’océan Arctique permettant d’accéder au « versant polaire russe » et à l’ensemble de la région. Frédéric Lasserre poursuit ici son travail d’inventaire engagé depuis plusieurs années sur les réalités de l’insertion des mobilités polaires dans des stratégies de fret mondialisées, en précisant une nouvelle fois les termes exacts des débats juridiques autour du statut des voies maritimes et des enjeux de souveraineté. Le chapitre XIII consacré à la problématique des fonds marins, « Entre convoitises et confusions », apporte une ana-lyse pénétrante sur un enjeu majeur fort peu détaillé en géographie polaire.

Le séquençage de l’ouvrage en 18 chapitres qui offrent chacun leur propre cadre biblio-graphique permet une grande diversité des thèmes abordés. La nordicité autochtone, la question du développement durable ou du tourisme polaire accompagnent en cohérence les questions de gouvernance, de représenta-tions idéologiques de l’Arctique ou des éva-luations économiques des ressources.

257Comptes rendus bibliographiques

Cet ouvrage collectif arrive à un moment-clé dans la reconstruction de nouvelles représen-tations géopolitiques et économiques polaires. L’analyse proposée nous éclaire sur cet espace en mutation qui doit affronter des vulnéra-bilités inédites, et composer des stratégies régionales en termes d’adaptabilité et dans la formalisation de réponses adaptées aux nou-veaux défis politiques, économiques, iden-titaires, sociaux et écologiques d’un espace en voie d’intégration à la mondialisation. Passages et mers arctiques. Géopolitique d’une région en mutation apporte une contribution essentielle à une compréhension nécessaire des contextes polaires, dans un débat élargi qui transforme une vieille marge géogra-phique en un nouvel acteur géopolitique de premier ordre.

Eric CanobbioDépartement de géographie

Université Paris 8

LORTIC, Bernard et COUET, Dominique (2011) Manuel de cartographie rapide. De l’échelle de la région à celle du mobilier urbain. Marseille, IRD, 97 p.

L’ouvrage de Bernard Lortic publié par l’IRD s’intitule Manuel de cartographie rapide. De l’échelle de la région à celle du mobilier urbain.

Si à la notion de manuel on peut associer la définition « petit livre qui contient l’essentiel de ce qu’on a besoin de savoir sur une ques-tion déterminée », par contre la notion de car-tographie rapide ne trouve de définition que dans l’ouvrage de l’auteur, c’est-à-dire « réali-sable dans un délai raisonnable », visiblement dans un contexte de manque d’information géographique numérique, mais où les moyens du projet sont suffisants pour avoir recours à l’acquisition d’images à très haute résolution spatiale. La notion de cartographie rapide n’est pas associée ici, comme on aurait pu s’y attendre, à un contexte de crise où une pro-duction rapide d’information est nécessaire. L’ouvrage est réalisé à partir d’une expérience de cours dans une formation universitaire en urbanisme en Éthiopie. Organisé en 28 fiches techniques illustrées, il vise à donner des fondements théoriques et surtout des trucs et astuces pour des néophytes dans le domaine de la géomatique devant dresser des plans de villes ou analyser un contexte urbain. Associé à l’ouvrage : un DVD comprenant 34 séquences vidéo liées aux fiches, une version pdf du manuel et une documentation sur le logiciel SavGIS de l’IRD.

Cet ouvrage est difficile à classer et à quali-fier, car il ne répond pas aux règles érigées en excellence dans le monde scientifique, ni dans celui de l’ingénieur. Il laisse donc le scientifique perplexe sur l’intérêt d’une telle publication sous forme d’ouvrage. L’utilisa-tion erronée de certains concepts, la présence de coquilles dans le texte, les légendes de figures et les problèmes de bibliographie ainsi que de la qualité de reproduction de certaines illustrations posent la question de la précipitation dans laquelle a pu être édité cet ouvrage. Le livre, qui repose essentiellement sur une expérience « de terrain », propose des méthodes dont la généricité n’est pas toujours évaluée. Ainsi, l’extraction de la canopée en contexte urbain par simple seuillage d’image est-elle réalisable dans d’autres contextes que l’Éthiopie ? A-t-on besoin de citer une thèse en informatique lorsqu’on parle de géodésie ? Pourquoi parler du Géoportail de l’IGN dans un ouvrage qui semble destiné

258 Cahiers de géographie du Québec Volume 56, numéro 157, avril 2012

aux pays faiblement avancés dans le domaine de la géomatique ? Ces problèmes de forme desservent cet ouvrage, qui n’est pas sans intérêt pratique à l’échelle de la numérisation des infrastructures urbaines, où il dénote une vraie pratique et une connaissance des écueils à éviter. Les séquences vidéo associées et commentées par l’auteur sont de facture artisanale. Elles sont réalisées parfois dans un parti pris très descriptif et destiné à un public averti de certains concepts. Il manque souvent aux spectateurs des informations explicatives sur les cheminements et l’intérêt de telle ou telle pratique.

Si le principe de la valorisation d’expériences d’enseignement en pays en voie de dévelop-pement est intéressant, cette valorisation est de traitement trop « rapide » pour être vérita-blement pertinente.

Gwenaëlle PennoberUniversité de la Réunion

PASSALACQUA, Arnaud (2011) L’autobus et Paris. Histoire de mobilités. Paris, Economica 268 p. (ISBN 978 2 7178 5989 8)

Dans son livre, l’auteur reprend les éléments majeurs de sa thèse de doctorat en histoire contemporaine, soutenue en juin 2009 à l’Université de Paris VII.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première s’attaque à l’histoire de l’autobus à Paris des années 1900 aux années 1970, depuis l’omnibus monoligne jusqu’au système d’autobus intégré moderne. Les périodes-clés s’organisent en quatre chapitres propres à une thématique historique et au rôle joué par ce mode de transport ou à la place qu’il a prise. La seconde partie de l’ouvrage se présente en deux temps : l’autobus se cherchant d’abord une identité, et la trouvant enfin en s’incor-porant à la mobilité des Parisiens pour alors constituer un corpus identitaire. Ainsi fait-on, en finale, un parallèle évocateur avec les double deckers londoniens.

Cet ouvrage s’inscrit dans un vaste mouve-ment d’étude et d’examen des mobilités ur-baines dans les villes européennes. Abordant son sujet, qui apparaît être une monographie si l’on se fie uniquement au titre de l’ouvrage, l’auteur fait école en offrant un travail érudit qu’on pourrait qualifier d’holistique, car dé-passant largement un cadre conceptuel histo-rique traditionnel. En effet, si le déroulement des faits constitue le fil d’Ariane de la première partie, la seconde partie échappe totalement à cette façon de faire. L’analyse qu’on y fait est large et généreuse et s’inscrit dans un essai d’explication de la mobilité urbaine et de son évolution. L’auteur démontre que l’autobus parisien a profondément marqué des éléments du mode de vie des Parisiens qui l’ont adopté dans leurs déplacements réguliers. Ils se sont en fait approprié l’autobus, autant que celui-ci les a apprivoisés.

La thèse développée par Passalacqua est intéressante et novatrice ; au-delà des aspects techniques, organisationnels, économiques et politiques, l’auteur offre une vision globale du sujet, expliquant la survie de ce type de service public à travers le temps. Sa réflexion s’appuie sur une documentation de premier plan, sur une argumentation bien menée et soutenue, tout cela à travers un texte d’une forte densité qui, à l’occasion, peut exiger une seconde lecture.

259Comptes rendus bibliographiques

Le livre reste particulièrement dédié aux historiens, mais il s’ouvre également aux sociologues, aux spécialistes du comporte-ment, aux aménagistes et aux urbanistes, principalement dans la seconde partie. Le constat qui se dégage est que, par sa flexibilité, son individualité, sa fiabilité, l’autobus a fort bien tiré son épingle du jeu au prix d’efforts et d’ajustements, dans le bon fonctionnement de la mobilité urbaine d’hier et d’aujourd’hui. Cette évidence peut également rejoindre les gestionnaires des systèmes publics de trans-port et les responsables de la gouvernance urbaine dans leur volonté de poursuivre le travail, de pair, avec les autres modes de transport urbain.

Pour le géographe, l’ouvrage mérite une cer-taine attention par sa largeur de vue et par le fait qu’il s’inscrit dans le processus de struc-turation et de fonctionnement d’un espace urbain. Si cet élément se lit dans l’ouvrage de Passalacqua, malheureusement on ne l’a pas rendu visualisable pour un lecteur féru de géographie urbaine ou des transports. Il s’agit ici de la critique majeure qu’on peut faire de l’ouvrage, c’est à dire l’absence totale d’une représentation cartographique, graphique ou photographique en appui, tant pour amener le sujet que pour effectuer l’analyse des faits et développer la preuve. Si cartes et graphiques valent « mille mots », le produit final aurait pu, dans sa forme, s’avérer plus allégé et assimi-lable, et l’argumentation en serait ressortie encore plus éclatante.

Marcel PouliotDépartement de géomatique appliquée

Université de Sherbrooke

PETIT, Jacques-Guy, BONNIER VIGER, Yv, AATAMI, Pita et ISERHOFF, Ashley (dir.) (2011) Les Inuit et les Cris du Nord du Québec. Territoire, gouver-nance, société et culture. Presses universitaires de Rennes /Presses de l’Université du Québec, 431 p. (ISBN 978-2-7605-2689-1)

Les Inuit et les Cris du Nord du Québec découle d’un colloque tenu à l’Université d’Angers en octobre 2009, lequel prend les 35 ans d’his-toire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois comme prétexte à réflexion. Cet ouvrage s’attaque à un défi peu banal, soit celui de faire place à une multitude de voix (scientifiques, administratives, allochtones ou autochtones) qui, sans être entièrement exclusives, apparaissent parfois divergentes. Dans l’ensemble, l’ouvrage relève le défi.

Ces différentes voix se rencontrent à l’intérieur de chacune des trois principales parties : la première se penche sur la gouvernance ter-ritoriale et le régime légal qui la supporte ; la deuxième aborde les enjeux sociaux, envi-ronnementaux et de santé touchant le Nord québécois ; la troisième traite de la dimension culturelle, soit précisément les rapports à la langue et au patrimoine.

260 Cahiers de géographie du Québec Volume 56, numéro 157, avril 2012

Le principal point fort de Les Inuit et les Cris du Nord du Québec repose sur la place accor-dée aux regards autochtones sur la question. La chose peut sembler naturelle, mais elle ne l’est pas. Peu d’auteurs s’aventurent sur un tel terrain, tant il est peu commode de concilier la vision autochtone des réalités étudiées et le regard souvent hégémonique de l’approche scientifique occidentale. À cet égard, plusieurs des textes à proprement dit scientifiques de l’ouvrage offrent un regard critique sur la science et restent suffisamment ouverts aux perspectives autochtones et, de surcroît, montrent bien les rapports de force sur lesquels s’articule la relation historique et contemporaine entre les autochtones et l’État québécois (ou, plus largement, les Québécois non autochtones) : c’est particulièrement le cas de ceux signés par Morantz, Oblin, Rodon, Martin et Cournoyer, Lajoie, Bonnier Viger et Visart de Bocamé, pour n’en nommer que quelques-uns.

Cet effort d’ouverture aux particularités autochtones reste toutefois inégal. Plusieurs autres textes ne font pas montre d’un esprit critique aussi aiguisé, ce qui est particuliè-rement vrai de ceux qui mettent l’accent sur les dimensions plus administratives des relations entre autochtones et allochtones où est souvent dépeinte, d’une seule couleur, la gouvernance des territoires autochtones du Nord québécois. Il en va de même de certains textes de chercheurs qui mettent la vision scientifique au-dessus de toute autre forme de savoir ou de rapport au territoire et à l’environnement (ontologique, spirituel et ainsi de suite).

Ces aléas auraient pu être évités moyennant quelques efforts éditoriaux supplémentaires de la part des directeurs de l’ouvrage. Il en va de même de la cohésion générale de l’œuvre, qui est relativement déficiente et qui nuit quelque peu à la lecture globale ; d’un texte à l’autre, le lecteur doit souffrir de nombreuses répétitions d’ordre contextuel (effets combi-nés dans le temps de la Révolution tranquille, des travaux d’aménagement hydroélectrique, de la signature de la Convention, etc.). C’est

sans doute le prix à payer pour un ouvrage dont la source des intervenants est aussi variée et, plus largement, pour la lecture d’actes de colloque. Cela étant dit, de courtes introduc-tions de sections auraient sans doute permis d’harmoniser les différents regards exposés ici et d’en révéler ainsi encore davantage toute la richesse.

Malgré ces quelques bémols et même s’ils ne sont pas explicitement cités comme faisant partie du lectorat potentiel, bon nombre de géographes sociaux, culturels et historiques – du Québec, du Canada ou d’ailleurs dans la francophonie – sauront trouver leur compte à la lecture de cet ouvrage collectif.

Étienne RivardCentre interuniversitaires d’études québécoises

Université Laval

ROBIC, Marie-Claire, TISSIER, Jean-Louis et PINCHEMEL, Philippe (2011) Deux siècles de géographie française. Une anthologie. Paris, CTSH, 560 p. (ISBN 978-2-7355-0735-1)

Cet ouvrage est la réédition de l’anthologie publiée en 1984 chez le même éditeur par les mêmes auteurs, même si le décès du regretté

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Philippe Pinchemel l’a empêché de voir le produit final. Cette réédition a été enrichie d’un chapitre couvrant la production des 20 dernières années.

L’ouvrage se fonde sur une périodisation classique. L’ère prévidalienne (avant 1890) est représentée par des réhabilités comme Reclus ou le classique Malte-Brun accompa-gnés d’auteurs plus obscurs ou voisins (Jules Vernes !) mais pertinents. L’entourage du maître Vidal (1890-1926) et de ses disciples est évidemment bien représenté, mais on a su y admettre des oubliés comme Vallaux et Jean Brunhes. La période de maturité (1927-1960) fait place tant aux institutionnels centraux (Demangeon, Gallois, Baulig, etc.) et périphé-riques (Desfontainnes, Gourou, Blanchard) qu’aux francs-tireurs comme Siegrfied, Dardel ou Gottmann.

Suivent ensuite le renouvellement et les contestations des années 1960-1983. On trou-vera là des bonzes comme Beaujeu-Garnier ou Pierre George, mais également des courants émergents autour des revues nouvelles que sont Hérodote (Lacoste), L’Espace géogra-phique (Brunet, Bertrand) ou Espaces-Temps (Lévy, Grataloup) et aussi quelques inclas-sables comme Chamussy, Pumain, Claval ou Frémont. On aime le clin d’oeil littéraire à Gracq, Serres et Perec, paragéographes connus.

La nouveauté de cet ouvrage est dans le bilan de la période contemporaine. On y retrouve les agités de la période précédente devenus insti-tutionnels, les courants nouveaux issus de la géographie culturelle (Berque, Bonnemaison, Stazack, Pitte), des technologies nouvelles (Verger, Dupuy, Pumain) et l’angle environne-mental représenté ici par Pinchemel, Mathieu ou Bravard. On fait évidemment place aussi aux questions de genre et de représentation.

D’emblée, les auteurs l’admettent : il faut y voir un florilège plus qu’un exact portrait. On est ici plus impressionniste que photographique. Quiconque s’est intéressé à l’histoire de la géographie s’en ferait un tableau un peu dif-

férent ; inutile donc de chipoter sur le choix de tel ou tel texte. L’exercice commande un certain œcuménisme qui me semble respecté.

Cet imposant volume est précieux. Par le recul qu’il permet, les éternels angoissés existen-tiels que sont les géographes seront rassurés : leur discipline existe. Mieux, elle a un passé inspirant qui féconde encore aujourd’hui son avenir. En ce sens, les jeunes géographes gagneront à se perdre dans cette anthologie. Ils y trouveront des réflexions anciennes par-faitement réutilisables dans le contexte actuel, comme les considérations de Demangeon sur la crise économique des années 1930 ou les réflexions toujours heureuses de Gottmann sur l’organisation économique du monde.

De même, l’extrême spécialisation propre aux cursus universitaires contemporains ne peut que gagner à la fréquentation des champs voisins confrontés à des questions méthodolo-giques souvent analogues. Ainsi, le traitement des questions environnementales ne peut que s’enrichir des considérations quasi mystiques de Reclus ou plus terre à terre de Gourou.

Cet ouvrage ouvre donc de larges perspectives sur la géographie française que les lecteurs pourront enrichir par les nombreuses pistes bibliographiques proposées pour chacun des auteurs présents, ainsi qu’en fin de livre.

Les réserves que j’aurais sur ce livre portent plus sur la forme que sur le fond. Pourquoi limiter les biographies aux auteurs décédés ? On aurait aimé aussi un trombinoscope des auteurs. Enfin, si le choix d’une couverture rigide donne autorité au livre, il en augmente le coût ; une version numérique moins chère pourrait peut-être rejoindre les éternels désar-gentés que sont les étudiants. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’un livre essentiel aux collections des universités, mais aussi des cégeps et des lycées.

Existe-t-il encore quelque chose comme une école française de géographie ? Il existe en tout cas une ou des géographies qui s’écrivent en français. Cette géographie a su s’ouvrir aux

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courants dominants de la géographie anglo-saxonne. Est-ce réciproque ? Aussi, c’est sans crainte du paradoxe que je souhaiterais que cette anthologie soit traduite en anglais. Ne serait-ce que pour reposer nos collègues des abus de french theory.

Bernard ChabotDépartement d’histoire et de géographie

Cégep de Sherbrooke

TREMBLAY, Rémy et TREMBLAY, Diane-Gabrielle (dir.) (2010) La classe créative selon Richard Florida. Un paradigme urbain plausible ? Québec, Presses de l’Université du Québec/Rennes, Presses universitaires de Rennes, 258 p. (ISBN 978-2-7605-2509-5/978-2-7535-1143-9))

De toute évidence, la thèse et l’homme ne laissent personne indifférent. Néanmoins, l’ouvrage collectif proposé par Rémy Tremblay et Diane-Gabrielle Tremblay aborde la thèse de la classe créative et le personnage (Richard Florida) dans un propos nuancé qui, tout en étant manifestement critique, ne succombe pas pour autant à la tentation de la diatribe ouverte. Par le fait même, l’ouvrage se dis-tingue – avantageusement – des écrits anglo-saxons portant sur la question, qui expriment le plus souvent l’antagonisme de positions

biens tranchées entre les tenants et détracteurs de la thèse de la classe créative. Ses directeurs ont par ailleurs raison d’affirmer qu’il existe bien peu d’ouvrages francophones portant sur la question. Il va sans dire que l’ouvrage présente la thèse de la classe créative et les développements subséquents du programme de recherche de Richard Florida, et ce, en ne faisant pas l’économie d’un examen sociolo-gique du personnage, ni d’un retour sur les principales critiques ou failles de la thèse de la classe créative (chapitre 1). La véritable contribution de cet ouvrage tient au fait qu’il rassemble des propos qui s’intéressent à une autre facette de la classe créative, soit son influence incontestable sur l’univers du déve-loppement local. Autrement dit, il ne s’agit pas ici de s’appesantir sur les failles méthodolo-giques, voire sur les simplifications de phéno-mènes sociaux proposées par l’analyste, mais il est question plutôt d’explorer les influences d’une logique (ou d’une formule) dont la toile de fond est la nouvelle économie et où prospé-rité rime avec travailleurs du savoir. Que l’on soit d’accord ou non avec Richard Florida, il demeure que ces idées ont une vie et circulent bel et bien dans les sphères décisionnelles et dans les milieux de la recherche. Les textes signés par Myrtille Roy-Valex (chapitre II) et par Thomas Pilati et Diane-Gabrielle Tremblay (chapitre IV) mettent en relief l’influence de cette pensée sur les politiques culturelles et les stratégies de développement local. D’autres textes s’interrogent plutôt quant à l’influence de la ville créative sur la manière de penser le territoire, la ville et la société. Le texte de Marc Levine notamment (chapitre III) met en évidence les imaginaires du développement et du territoire, alors que les textes d’Elsa Vivant (chapitre VI) et de Marianna d’Ovidio (chapitre VII) portent, respectivement, sur les influences conceptuelles et institutionnelles de la classe créative et son empreinte sur les disciplines et pratiques du territoire. Cette réflexion se prolonge dans la synthèse propo-sée par Jean-Pierre Augustin. Enfin, les textes sous la plume de Richard Shearmur (chapitre IV) et de Jean-Luis Klein et Diane-Gabrielle Tremblay (Chapitre VIII) insistent, pour leur

263Comptes rendus bibliographiques

part, sur les dimensions sociales d’une appli-cation des thèses de la classe créative aux stratégies de développement local. En somme, l’ouvrage est une des rares synthèses critiques convaincantes (et francophone, de surcroît) traitant de la question.

Jonathan PaquetteÉcole d’études politiques

Université d’Ottawa

VANDERMOTTEN, Christian et VANDBURIE, Julien (2011) Territorialités et politique. 2e édi-tion. Bruxelles, les Éditions de l’Université de Bruxelles, 473 p. (ISBN 978-2-8004-1498-0)

Cet ouvrage atteint sa deuxième édition, inchangée dans sa forme et dans son esprit par rapport à l’édition précédente (2005). Mise à jour oblige, le lecteur trouvera, dans cette nouvelle mouture revue et augmentée de 78 pages, des ajouts visibles dans la plupart des chapitres.

Au fil des huit parties que rassemble l’ouvrage, les auteurs se proposent d’examiner les « rap-ports dialectiques entre pouvoirs, espaces et la production de ces derniers », en d’autres termes, d’étudier une géohistoire mondiale de

la territorialité, c’est-à-dire de l’organisation territoriale du pouvoir politique. Ils inscri-vent d’emblée leurs travaux dans la perspec-tive de la géographie politique et rejettent le terme de géopolitique, qui leur semble autant « galvaudé » que « fourre-tout ». Les auteurs rappellent à juste titre que la géopolitique est aujourd’hui très – trop – souvent sollicitée. En effet, depuis une quinzaine d’années, les ouvrages se multiplient, de nombreux titres comportent le terme géopolitique, alors que, pour la plupart, ils réduisent les sources des conflits à la somme des facteurs géographi-ques, explication bien simpliste quand on analyse les rapports conflictuels sur un terri-toire et les populations qui y vivent.

Comme il se doit, la première partie est une relecture critique des géopolitiques clas-siques, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, relecture qui met en relief le rôle que tiennent dans la production politique et culturelle des territoires les rapports entre pouvoir et espace. Le deuxième chapitre examine l’évolution des formes et de contrôle de l’espace par les différentes sociétés anté-rieures à la mise en place du système monde, tout en faisant le lien entre la conception du pouvoir de la politique et une conception spatiale envisageant un territoire avant tout comme un objet d’étude ayant une structure spatiale. Malheureusement, de l’aveu même des auteurs, « les historiens ou anthropologues spécialisés trouveront […] ce chapitre fort sommaire ». Ce survol des caractéristiques spatiales de quelques sociétés anciennes et contemporaines en seulement 30 pages décevra également de nombreux géographes et géopolitologues. Le chapitre III se concentre sur la formation de l’État moderne, la mise en place du système monde et la première colonisation, c’est-à-dire le passage de l’État féodal à l’État mercantiliste, puis l’expansion mondiale du « centre » européen en direction des « périphéries » en marge sous la forme de la colonisation. Le chapitre IV poursuit avec la question de la territorialité de l’État-nation dans le centre et la semi-périphérie euro-péenne. Après avoir décrit les différents types

264 Cahiers de géographie du Québec Volume 56, numéro 157, avril 2012

de construction et d’organisation de l’État-nation dans les pays du centre, les auteurs analysent selon une approche très classique les spécificités de la formation de l’État-nation dans la semi-périphérie européenne. Un long paragraphe d’une trentaine de pages, consa-cré aux constructions politiques balkaniques tardives, conclut cette partie.

Après le chapitre V sur les systèmes électo-raux qui légitiment les États démocratiques, et le chapitre VI sur la formation de l’espace de la Belgique et son incapacité à devenir un État-nation, le chapitre VII tente une typologie des États dans le système monde. Enfin, le chapitre VIII conclut l’ouvrage sur les ordres et désordres mondiaux et par une réflexion sur la contestation contemporaine de l’État-nation.

À la lecture de ce livre, le lecteur critique pourra regretter les raccourcis pris par les auteurs à la fois sur le fond et la forme reflétant finalement un contenu très classique. D’une part, pour un ouvrage qui se veut en rupture avec l’approche géopolitique « abusivement englobante », on peut être surpris que l’État reste l’acteur central, voire unique, tout au long de l’ouvrage, au détriment d’autres géopolitiques, tout aussi savantes, qui s’ins-crivent dans une démarche multi-acteurs et pluriscalaire. D’autre part, les transitions entre chapitres ne sont pas toujours très explicites, ce qui donne parfois l’impression d’un collage de tableaux disparates, pour intéressants et érudit qu’ils puissent être.

Éric MottetDépartement de géographie

Université du Québec à Montréal