comptes et mecomptes de la mondialisation du crime

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COMPTES ET MÉCOMPTES DE LA MONDIALISATION DU CRIME Jean Cartier-Bresson Alternatives économiques | « L'Économie politique » 2002/3 n o 15 | pages 22 à 37 ISSN 1293-6146 DOI 10.3917/leco.015.0022 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2002-3-page-22.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Alternatives économiques. © Alternatives économiques. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Alternatives économiques | Téléchargé le 21/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Alternatives économiques | Téléchargé le 21/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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Page 1: Comptes et mecomptes de la mondialisation du crime

COMPTES ET MÉCOMPTES DE LA MONDIALISATION DU CRIME

Jean Cartier-Bresson

Alternatives économiques | « L'Économie politique »

2002/3 no 15 | pages 22 à 37 ISSN 1293-6146DOI 10.3917/leco.015.0022

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2002-3-page-22.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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L’Economie Politique n° 15

Jean Cartier-Bresson,

université de Reims, EDJ

L a grande criminalité internationale est, depuis la chute du

mur de Berlin, régulièrement présentée comme une menace

majeure susceptible de déstabiliser l’ordre économique, finan-

cier, politique et social aux niveaux national et international,

sans que des preuves solides, validant cette nouvelle percep-

tion, n’aient été fournies. Cependant, quels que soient les dom-

mages concrets occasionnés par la macrocriminalité, il existe

indéniablement un sentiment justifié d’impuissance au sein des

organes de contrôle.

Ce sentiment peut avoir, entre autres, trois origines. Il peut

germer à la suite de multiples blocages politico-administratifs,

tels que le manque de moyens matériels et humains, l’ab-

sence d’indépendance de la justice, la tolérance des élites vis-

à-vis de certaines infractions, ou encore la violence qu’exerce

un régime politique autoritaire (ou un groupe criminel) sur

les organismes de contrôle ou les victimes qui désirent se

révolter. Ce sentiment peut aussi se développer à la suite de

l’inadaptation du droit et des procédures vis-à-vis de ce type

de criminalité. En effet, les systèmes pénaux ont un caractère

ethnocentrique, et il existe des différences et des difficultés

dans la mise en relation des procédures pénales (1). L’inadap-

tation des mécanismes de coopération judiciaire est un exemple

symbolique des problèmes techniques. Enfin, l’inadéquation

des réponses peut aussi venir des politiques criminelles appli-

quées. Faut-il privilégier la prévention ou la répression ? Les

sanctions pénales ou les sanctions civiles ou administratives ?

Les réponses étatiques ou les réponses sociétales ? Les blocages

peuvent donc être politiques, techniques, ou bien provenir du

manque d’analyse des modes de réaction crédibles vis-à-vis de ces

phénomènes très divers.

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Face aux difficultés juridiques et judiciaires que soulève l’aspect trans-

national des opérations criminelles ou délictueuses, ou bien face au

manque d’incrimination de ces agissements dans le droit interne, la notion

de criminalité transnationale organisée (CTO) s’est imposée. Elle trouve

d’abord son origine parmi les criminologues et certains groupes de travail

de la police et de la magistrature en quête d’efficacité. Puis, par « capilla-

rité », elle est en voie d’être transposée dans le droit interne, à la suite de la

ratif ication par divers pays des

conventions internationales de nom-

breuses instances, en particulier

l’Union européenne et l’ONU (2).

Cette notion concerne les « formes

graves de la criminalité internatio-

nale », c’est-à-dire aussi bien les

agissements des organisations crimi-

nelles (au sens de mafias ou d’asso-

ciations de malfaiteurs) et les pra-

tiques des organisations terroristes, que les actes délictueux de certaines

grandes entreprises multinationales ou de certaines organisations poli-

tiques. C’est ainsi que s’est construit l’agenda de l’argent sale, concernant

de la même façon la Bank of Credit and Commerce International (BCCI),

le RPR, Elf, Enron, Ben Laden et les trafiquants colombiens. Il est justifié

par l’argument selon lequel, dans une économie globale et déréglementée,

le crime est global et implique une riposte globale. Dit autrement, il faut

mettre fin à une situation où le marchand circule librement en Europe,

mais pas le gendarme (Maillard, 1998 ; Cretin, 2000).

Cette notion a immédiatement suscité, chez les juristes, insatisfaction,

inquiétude et controverses. En effet, la façon dont est définie la criminalité

organisée transnationale, par & de multiples délits transnationaux (trafic

(1) Il arrive que le rattachement à l’ordre juridique dont relève la norme d’incrimination soit partiel, en raison deséléments d’extranéité qui apparaissent dans l’infraction. Trois éléments d’extranéité peuvent être identifiés : le terri-toire (le délit s’est déroulé sur plusieurs territoires), la nature de l’intérêt protégé (par exemple, la victime est une ins-titution étrangère ou internationale), et enfin l’auteur de l’infraction (exemple, un agent public étranger).(2) A Palerme, le 15 décembre 2000, 124 des 148 pays représentés (sur 189 Etats membres de l’Onu) ont signé uneconvention contre la CTO. Ils s’engagent à renforcer la coopération et à harmoniser leur législation, à faciliter lesprocédures d’extradition, à faciliter la levée du secret bancaire. Pour que la convention commence à s’appliquer, ilfaut qu’au moins quarante Parlements la ratifient. De nombreuses négociations continuent sur des protocoles addi-tionnels, en particulier concernant le trafic de migrants. Sur ce sujet, la division Nord-Sud resurgit, les pays en déve-loppement soupçonnant les pays développés d’utiliser la lutte contre la CTO (l’exploitation du trafic des migrants)pour fermer leurs frontières. L’Union européenne, de son côté, a adopté en 1997 un plan d’action contre la criminalitéorganisée débouchant sur la création d’Europol (police) et de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), ainsi que surle projet d’Eurojust (justice).

Il faut mettre fin

à une situation

où le marchand circule

librement en Europe,

mais pas le gendarme

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de drogue, d’armes, d’art, de personnes, de migrants, contrefaçon, corrup-

tion, blanchiment), est actuellement le point de départ d’une politique cri-

minelle qui ouvre la porte à un droit d’exception fragilisant les droits de la

défense, voire les droits de l’homme. Remarquons toutefois que cette agré-

gation a été confortée par l’interpénétration des sphères politiques et cri-

minelles dans certains pays et par le recours aux mêmes circuits de blan-

chiment des fonds d’origine délictueuse.

Une multiplication des initiatives

En 1989, au moment du sommet de la Grande Arche, l’agenda interna-

tional ne concernait que la lutte contre le blanchiment issu du trafic de

drogue. A cette époque, la stratégie de la guerre à la drogue des Etats-Unis

donne le ton des politiques publiques en privilégiant la lutte contre l’offre

(les trafiquants colombiens et les revendeurs sur le sol américain), et non

contre la demande dans un esprit de santé publique. Un constat sur le

caractère coûteux et inefficace de la répression pénale directe du crime

organisé (au sens d’association de malfaiteurs) a abouti à une proposition

d’actions indirectes fondées sur la répression des délits et crimes induits par

l’activité des délinquants professionnels. La lutte contre le blanchiment de

l’argent de la drogue allait prendre dans la décennie 90 un aspect préventif

et répressif. Sur le plan préventif, les instruments mobilisés impliquent la

moralisation, la surveillance, la détection (les codes de conduite et les obli-

gations de déclaration de soupçons des institutions financières) et la créa-

tion du Gafi à l’initiative du G7 (3). Sur le plan répressif, l’alourdissement

des sanctions, la possibilité de poursuivre une personne morale, la confis-

cation des biens et du patrimoine sans avoir à démontrer leur origine

criminelle (en Italie), la prolongation de la garde à vue, la rapidité des

extraditions font partie des instruments adoptés par certains pays. Le rai-

sonnement est le suivant : une forte augmentation des coûts du blanchi-

ment baisse la profitabilité du trafic ou entraîne une augmentation des prix

de la drogue, deux phénomènes qui réduiront le trafic. Par ailleurs, les

autorités publiques veulent empêcher la contagion de l’économie « saine »

par les capitaux criminels.

Ce n’est que progressivement, au fur et à mesure des divers « saisons

de rounds » de conférences internationales (et de concurrences entre orga-

nisations internationales), que la prévention et la répression allaient concer-

ner le blanchiment d’argent issu de nouveaux délits – tels que la corrup-

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tion, le terrorisme… – et intégrer des préoccupations relatives à la concur-

rence fiscale dommageable (4), à la sécurisation du système financier (5)

ou à la lutte contre la corruption dans les contrats internationaux (6). Le

secteur bancaire, à contrecœur, a rejoint le mouvement (7). Ce faisant, cette

évolution a rompu la frontière méthodologique qui existait traditionnelle-

ment entre les approches de la délinquance en col blanc (astucieuse) et

celles des mafias (violente), ou, dit autrement, entre les délinquants entre-

preneurs et les entrepreneurs délinquants (Queloz, 1999). Cette pénalisa-

tion de la vie économique et l’aspect vague et élastique de la notion de

CTO, son ambiguïté sémantique construite sur la récupération du terme de

criminalité organisée, précédemment réservée aux mafias, pour des délits

économiques, inquiètent, naturellement, non seulement les patrons et les

avocats, mais aussi bon nombre de juristes.

Les difficultés du droit

Dans une optique juridique et judiciaire, les problèmes soulevés par les

conventions internationales concernant la CTO, sont de deux ordres. Pre-

mièrement, face aux difficultés de la preuve judiciaire que rencontrent les

organes de contrôle en présence de simples indices, il existe indéniablement

un risque que, en ouvrant la porte à la banalisation des mesures déroga-

toires, une définition élastique de la CTO aboutisse à la remise en cause de

la protection des libertés fondamentales. Deuxièmement, sur le plan tech-

nique, face aux problèmes que pose l’extranéité, faut-il continuer le mou-

vement de créations ou de changements des textes, avec des risques d’em-

pilement d’articles de loi et de conventions sans grande efficacité ? Faut-il

engager de grands chantiers institutionnels, tels, en Europe, les projets de

(3) Le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (Gafi) étudie depuis 1989 les tendances mondialesen matière de blanchiment et évalue les politiques nationales mises en œuvre par ses membres sur la base de ses qua-rante recommandations. Ces recommandations servent à identifier les Etats non coopératifs et à lister les bons et mau-vais élèves. Le Gafi encourage la création de services de renseignement financier devant recevoir les déclarations desoupçons (en France, Tracfin).(4) L’OCDE vise à faire reculer les pratiques fiscales dommageables définies par plusieurs critères : l’absence devéritable échange de renseignements, le manque de transparence, et le fait d’attirer des entreprises sans activités natio-nales substantielles lorsque cela va de pair avec un taux d’imposition faible. Des mesures défensives coordonnéespourraient être adoptées contre les paradis fiscaux qui ne collaboreraient pas à une réforme de leur système financier.(5) Le Forum de la stabilité financière est un groupe informel impulsé par le G7 en 1999 à la suite de la crise asiatique.Il regroupe les représentants des banques centrales des douze principaux pays développés et est domicilié à la Banquedes règlements internationaux (BRI), à Bâle. Il gère les risques financiers systémiques en proposant de nouvellesnormes prudentielles. Il a créé un groupe de travail chargé d’analyser l’impact des centres financiers offshore sur la sta-bilité du système et de faire des recommandations au regard des problèmes identifiés (principalement la coopérationentre les autorités de surveillance des off-shore et des on-shore). Le FMI, pour les mêmes raisons, s’est préoccupédepuis 1998 des normes prudentielles, de la gouvernance et des centres financiers offshore.(6) A l’initiative des Américains, l’OCDE a accueilli la négociation qui a abouti à une convention visant à criminali-ser la corruption des agents publics étrangers (juillet 2000). (7) Dix grandes banques internationales (en France, la Société générale) ont adopté en octobre 2000 un code deconduite en matière de blanchiment d’argent d’origine délictuelle (les principes de Wolfsberg).

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corpus juris (de ministère public et de procureur européens), avec les dan-

gers que présente la faiblesse de l’assise démocratique d’un tel

processus relativement technocratique ? Faut-il privilégier des approches

fondées sur de petites transformations organisationnelles, comme la création

et le renforcement d’organes spécialisés (parquet financier, magistrat de

liaison facilitant la coopération, simplification des commissions roga-

toires…) ? Les « partenariats » entre le secteur bancaire et les autorités de

tutelle publiques, dans les procédures de déclaration de soupçons, doivent-

ils être élargis à tous les métiers du droit et du chiffre (avocats, notaires,

experts-comptables) ? Les réponses à ces multiples questions, qui ne sont

pas à l’heure actuelle fournies par les organisations internationales, ne peu-

vent être identiques pour des pays ou des zones géographiques aux régimes

politiques très divers (Delmas-Marty, 1998). En effet, pour ne prendre qu’un

exemple, un mouvement de forte pénalisation de la vie économique dans

des régimes politiques non démocratiques ouvre la porte à tous les abus.

Dans une optique d’économie politique internationale (centrée sur les

asymétries internationales et les rapports de pouvoir), l’analyse de la repré-

sentation des grandes menaces, de la CTO et de la nécessité de la transpa-

rence, permet de saisir comment l’agenda international sur ces questions

(qui ouvre la porte au droit d’ingérence) ne s’est pas construit sur des prin-

cipes universels contraignants pour tous, mais sur des intérêts étatiques

particuliers favorisant les pays les

plus puissants. Dans l’optique des

organisations internationales, les

thèmes de la gouvernance d’entre-

prise, de la gouvernance publique

et de la gouvernance globale se

rejoignent pour offrir le cadre de la

nouvelle conception de la régulation

mondiale. L’ordre international serait

issu des négociations et des partena-

riats entre des acteurs hypothétique-

ment de même puissance : les Etats, les organisations internationales et les

acteurs privés que sont les multinationales et les ONG. La limite de cette

vision idyllique de la progression d’un droit international concernant les

biens publics mondiaux dans leurs définitions élargies (Gabas et Hugon,

2001) s’observe dans le refus des Etats-Unis de ratifier le traité de Rome

de 1998 sur la constitution d’une Cour pénale internationale, ou de signer

Il est séduisant

de tenter une analyse

du coût du crime

pour en déduire le niveau

optimal de la réponse

nationale et internationale

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le protocole de Kyoto sur le réchauffement de la planète. De même, l’am-

biguïté des Etats et des firmes multinationales vis-à-vis de la lutte contre

les places offshore est pour le moins troublante, à l’heure de l’idéologie de

la transparence (Chavagneux et Palan, 2000).

A la recherche d’une définition de la dangerosité

C’est dans ce contexte fortement juridique, judiciaire et politique que

l’analyse économique devrait apporter un éclairage à une situation confuse.

Dans une optique d’analyse économique du droit, le sentiment légitime

d’impuissance des organes de contrôle face au crime organisé transnational

n’est pas en lui-même un signe de dangerosité du phénomène. La notion de

dangerosité restant d’ailleurs particulièrement floue dans la littérature exis-

tante, il est séduisant de tenter une analyse du coût du crime pour en

déduire le niveau optimal de la réponse nationale et internationale. Partant

de l’hypothèse qu’une politique criminelle rationnelle doit se fonder, entre

autres, sur une analyse des dommages occasionnés par les agissements

délictueux, la question de l’efficacité des politiques criminelles envisagées

ou suivies est double et recoupe à la fois : premièrement, la vérification

de l’adéquation des moyens mis en œuvre aux fins souhaitées – en effet,

dans la logique des analyses coût/bénéfice, le coût marginal de la politique

publique engagée doit être égal au bénéfice marginal pour la société d’une

réduction de la délinquance –, et deuxièmement, la vérification que ce

montant global de dépenses est rationnellement distribué entre les divers

postes de dépenses envisageables. Il faut alors être capable d’opérer, par

exemple, un choix de répartition des dépenses entre les instruments pré-

ventifs et répressifs, entre les régulations publiques ou privées. Il faut de

même analyser les coûts des divers processus juridiques et judiciaires allant

de la punition (y compris la privation de liberté) à la réparation (les dom-

mages et intérêts).

Dit autrement, de la même façon que la connaissance du montant de l’ex-

ternalité négative qu’imposent les gaz à effet de serre sur l’environnement

mondial est nécessaire à une régulation rationnelle des émissions, la

connaissance du montant de l’externalité négative qu’impose la CTO au

plan mondial est indispensable pour éviter que cet agenda sécuritaire ne soit

dévoyé. Par ailleurs, une évaluation de l’impact des mesures préventives

et répressives adoptées depuis déjà dix ans dans la lutte contre le blanchi-

ment faciliterait la sélection des instruments crédibles de politique crimi-

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nelle. Enfin, les rapports de causalité doivent êtres questionnés. La CTO

est-elle vraiment à l’origine des crises systémiques en Russie ou en Asie ?

Ou bien, de manière plus classique, les mauvaises politiques macroécono-

miques (taux de change), la faiblesse institutionnelle du système financier

(règles prudentielles) et l’épuisement d’un régime d’accumulation du capi-

tal ne demeurent-ils pas les facteurs explicatifs essentiels de ces crises ?

Les difficultés de la quantification et ses abus

Les chiffres recherchés dépendent de la question posée. Trois grandes

questions concernent les économistes et les criminologues : les causes de la

CTO, les conséquences de celle-ci, et les moyens d’un contrôle optimal.

Ces trois questions et leurs réponses fonctionnent comme un triptyque,

dans le sens où elles sont séparées sans être indépendantes. En effet, pour

ne prendre qu’un exemple, si la CTO trouve son origine dans la mondiali-

sation et que les crises financières systémiques lui sont imputables, les

moyens de contrôle devront êtres supérieurs et différents de ceux qui

seraient mis en œuvre si ce n’était pas le cas.

Les diff icultés de la quantif ication viennent du fait que les délits

peuvent être : observables (attaques à main armée, coups et blessures, vols

d’automobile, surfaces cultivées de pavot ou de coca, escroqueries) ; obser-

vables, mais non dénoncés par les victimes (viols, extorsions) ; non obser-

vables (consommation de drogue, travail au noir, corruption, fraudes). La

première catégorie est en général bien prise en compte par les statistiques

officielles des pays développés, grâce aux plaintes des victimes. Les deux

autres catégories peuvent donner lieu, dans certains cas, à des observations

indirectes, par exemple via la fréquentation par les victimes de certaines

institutions (les services médicaux d’aide aux toxicomanes, les services

d’aide aux victimes de violences sexuelles). Ainsi, les statistiques offi-

cielles concernant les actes de délinquance d’affaires, dont les consé-

quences sont, pour beaucoup d’entre elles, inconnues des victimes et des

organes de contrôle, ne présentent que les infractions portées à la connais-

sance de ces organismes et qui sont instruites ou sanctionnées. En consé-

quence, ces statistiques ne peuvent pas servir à une analyse économique

des phénomènes concernés et demeurent, au mieux, une simple évaluation

de l’évolution de l’efficacité des organes de contrôle. Il est donc normal

que les économistes aient cherché des méthodes de quantification permet-

tant une évaluation directe des activités illégales.

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Le crime économique mondial

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Lorsqu’il s’agit de fournir une évaluation chiffrée du blanchiment ou,

de façon plus générale, de l’ensemble des activités délictueuses au niveau

mondial, il est très fréquent que le chiffre de 1000 milliards de dollars, ini-

tialement lancé par le FMI au milieu des années 90, soit cité. Ce chiffre

est souvent complété par la présentation d’une fourchette de 2 à 5 % du

PIB mondial, soit entre 590 et 1500 milliards de dollars d’argent blanchi.

Ces chiffres, venant d’une simple conférence de presse de Michel Cam-

dessus, alors président du FMI, et

non d’un service de la recherche de

cette institution, ont connu un succès

notable (8). Dans un livre qui fait

référence, Jean de Maillard (1998)

égraine des dizaines de chiffres pro-

venant de sources très diverses et

explique que « le produit criminel

brut (PCB) n’est pas inférieur au

double de celui des stupéfiants,

c’est-à-dire à 800 milliards de dol-

lars ». Plus loin, il écrit que 40 % du

PIB de la Russie sont contrôlés par

les mafias (source Interpol), puis que la contrefaçon de médicament repré-

sente 7 % du marché mondial, soit 80 milliards de francs (source OMS),

que le chiffre d’affaires de la criminalité organisée aux Etats-Unis est de

300 milliards de francs, soit 1,1 % du PNB (source Wharton Econometric

Forcasting Associates), ou encore que la traite des humains représente

84 milliards de francs (source Interpol), et celle des animaux, 100 milliards

de francs (source WWF), etc. Nous retrouvons la même méthode de cita-

tion dans Le Monde diplomatique (9), dans L’Expansion (10), etc.

Les statistiques officielles

concernant les actes

de délinquance d’affaires

demeurent, au mieux,

une simple évaluation

de l’efficacité

des organes de contrôle

(8) Il semble bien que cette estimation provienne de la simple application (dans un article du Financial Times de 1994)d’un coefficient multiplicateur aux estimations d’alors du Gafi sur le trafic de drogue (125 milliards de dollars), sanssource ni justification théorique ou méthodologique.(9) Numéro 553, avril 2000. Selon Christian de Brie, le produit criminel mondial brut dépasse largement les 1000 mil-liards de dollars annuels. Cette somme se répartit ainsi : 300 à 500 milliards de dollars de drogue, 200 milliards de dol-lars de piratage informatique, 10 à 15 milliards de dollars de fraude au budget communautaire européen, une vingtainede milliards pour le trafic d’animaux, etc. L’auteur évalue que sur les 1000 milliards de dollars de chiffre d’affaires, lamoitié permet de couvrir les charges. Sur les 500 milliards de profit, 150 servent à s’acquitter du prix des servicesfinanciers permettant de blanchir les 350 milliards restants.(10) Voir le dossier intitulé « Les nouveaux milliardaires » publié dans L’Expansion du 24 juillet 1997. « L’industrie du

crime est encore le meilleur moyen pour s’enrichir : elle génère un chiffre d’affaires annuel estimé à 6 000 milliards

de francs, soit l’équivalent du PIB du Royaume-Uni » (article de Thierry Fabre). De même, dans « La nouvelle éco-nomie du crime, comment l’Europe est devenue la plaque tournante de la criminalité économique » (L’Expansion,

9 novembre 2000, p. 50-100, par Th. Fabre et al.), on peut lire entre autres que « 10 % de l’argent des organisations

criminelles serait investi en France », qu’« entre 600 000 et 650 000 [voitures volées] ne sont jamais retrouvées », que« 431 tonnes de haschisch et 17 tonnes de cocaïne » ont été saisies en Espagne, où que « le 3 octobre au petit matin,

445 immigrés clandestins (…) ont débarqué sur la plage de Tarifa en Espagne », etc.

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L’Economie Politique n° 15

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Notons également que ces estimations peuvent parfois donner lieu à des

interprétations abusives : « Le FMI évalue entre 2 et 5 % du PIB mondial

le montant de l’argent sale blanchi chaque année dans le monde. Ses esti-

mations de la croissance mondiale pour l’an 2000 sont de 3,5 %. Exacte-

ment dans la fourchette du blanchiment. Conclusion : l’économie mondiale

devra sa croissance en l’an 2000 à l’argent sale qu’elle permettra de blan-

chir » (11). Ou à des comparaisons lourdes de sous-entendus : les pertes

des banques européennes dans la crise asiatique représentent 120 milliards

de dollars, soit le même montant que le blanchiment annuel de l’argent de

la drogue (Maillard, 1998). Enfin, pour certains, l’accumulation du capital

d’origine criminelle est le processus qui permet que 300 des 500 milliards

de dollars de profit brut annuel soient blanchis et investis avec un taux

annuel de rendement de 3 %. Si, chaque année, nous avons une nouvelle

dotation de 300 milliards et un taux de rendement identique, le résultat

obtenu sur dix ans est de 3 800 milliards (Broyer, 2000).

Que mesure-t-on ?

Les chiffres fournis par la presse sont en général issus d’anecdotes,

d’extrapolations sur les rares procès ou bien collectés auprès des douanes,

des services de police, des appareils judiciaires, des services de rensei-

gnement et des organisations internationales. Ils présentent de nombreux

biais. Ils ne sont jamais homogénéisés, comparés ou « décortiqués » et

servent d’illustration à un propos général sur les grandes menaces. De

plus, la méthode type des organes de contrôle pour ce qui relève de la

contrebande (cigarettes, contrefaçon) est d’appliquer un coefficient mul-

tiplicateur (peu explicité) aux données de saisies. Cette méthode d’extra-

polation est aussi utilisée en multipliant les données sur les fraudes issues

des contrôles fiscaux.

Enfin, le gonflement des chiffres (et de la menace qu’ils sont censés

représenter) permet aux organes de contrôle de justifier la demande d’un

effort budgétaire supérieur en leur faveur ou la création de nouveaux ser-

vices. C’est ainsi, par exemple, que pour trouver le chiffre d’affaires des

organisations criminelles, le Programme des Nations unies pour le contrôle

international des drogues (Pnucid) multiplie le prix de vente au détail des

drogues à New York par la production mondiale, alors qu’il est clair que les

petits revendeurs de rue ne sont pas des « entrepreneurs criminels » et que

le prix de vente à Karachi est nettement plus faible qu’à New York (Reuter,

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Le crime économique mondial

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1996). De plus, les données de production utilisées ne prennent pas en

compte les nombreux facteurs qui réduisent l’offre (destructions de plan-

tations, saisies, stockage). Par ailleurs, les 1 000 milliards de dollars de

l’argent sale dans le monde sont, selon les auteurs, présentés comme un

chiffre d’affaires, un profit, un montant blanchi, ou un montant blanchi par

l’intermédiaire de moyens sophistiqués dans les centres offshore. Ce chiffre

est souvent utilisé, aussi, pour expliquer comment l’argent sale serait à

l’origine des crises financières, des distorsions de concurrence, ou de la

contamination de l’économie saine.

Des estimations diverses et hétérogènes sont censées servir une évalua-

tion des dommages que fait subir la criminalité transnationale. Or, la notion

même de dommage devrait être détaillée. En effet, pour prendre quelques

exemples, les conséquences de la corruption (ou du travail clandestin, ou

de la fraude fiscale) peuvent être définies et évaluées comme :

– le montant du pot-de-vin (ou du nombre de travailleurs clandestins,

ou des revenus non déclarés) ;

– le pourcentage de ce montant sur le chiffre d’affaires de l’entreprise

(ou le pourcentage du travail clandestin dans le secteur, ou le pourcen-

tage de la fraude sur l’ensemble des revenus) ;

– le déficit ou le profit qu’entraîne ce pot-de-vin pour l’entreprise (ou le

gain pour l’entreprise de la non-déclaration des travailleurs ou des reve-

nus) ;

– la concurrence déloyale, et donc les distorsions occasionnées par l’acte

pour les concurrents dans le secteur concerné (idem) ;

– la baisse de la qualité des biens et services, et donc de la satisfaction

des consommateurs (ou des clients, ou des citoyens contribuables) ;

– le manque à gagner pour le fisc (idem) ;

– le coût politique du clientélisme et de la corruption pour la démocratie

(ou celui des clandestins, ou de la fraude pour la construction de la

citoyenneté) ;

– le coût social de l’acte, c’est-à-dire la somme des gains et des pertes de

l’ensemble des agents concernés par l’acte et qui englobe, outre les

dommages occasionnés, les coûts publics et privés de la prévention et

de la répression (idem). Seul ce dernier chiffre permet une analyse

coût/bénéfice traditionnel pouvant servir de base à une réflexion concer-

nant la mise en œuvre d’une politique criminelle optimale.

(11) Jean de Maillard, La Lettre du blanchiment n° 1, décembre 1999.

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Calculer ces données devient impossible dès lors que l’on s’attache à la

CTO, car, à partir des grandeurs nationales de ces divers chiffres intégrées

dans la CTO, il faudrait, pour chaque type d’infraction, pouvoir extraire la

fraction transnationale. Rappelons que c’est seulement la présence d’élé-

ments d’extranéité dans les délits qui justifie la nécessité d’une incrimina-

tion spécifique et la mise en œuvre des conventions internationales. Etant

donné qu’il est impossible de réaliser rigoureusement ces calculs, il

convient de rester très précautionneux dans l’utilisation des chiffres, et de

ne pas oublier que l’agenda est avant tout issu de décisions politiques et

non d’analyses économiques.

Les tentatives scientifiques

Les méthodes utilisées varient selon la nature des infractions participant

à la définition de la CTO et dépendent de leur visibilité ou de la question

posée. Cherche-t-on le chiffre d’affaires ? Le profit réalisé ? Le montant

blanchi ? Les distorsions économiques (l’impact direct et indirect) occa-

sionnées ? Le coût politique ? Quatre méthodes sont utilisées (Cartier-

Bresson et al., 2001).

La première concerne des délits partiellement observables, comme le

trafic et la consommation de drogue. Les estimations recoupent les don-

nées relatives à la production, à la consommation et aux saisies. Cepen-

dant, Reuter (1996) explique que, même si l’estimation du Gafi (1990) sur

le chiffre d’affaires de la drogue ven-

due au détail (125 milliards de dol-

lars) était juste, le commerce inter-

national de drogue ne dépasserait

pas 20 ou 25 milliards de dollars, car

on peut considérer que le prix au

détail est six fois plus élevé que le

prix de gros. Dans cette logique, les

montants disponibles pour un blan-

chiment par les exportateurs dans les centres offshore ne peuvent être,

comme l’avance le Gafi, de l’ordre de 50 à 70 % du chiffre d’affaires (soit

85 milliards de dollars), mais une fraction de ces 20 à 25 milliards de dol-

lars, après les dépenses de consommation et les achats de patrimoine réa-

lisés au niveau national par ces grossistes (Kopp, 2001). En effet, les can-

didats au blanchiment sophistiqué se trouvent seulement parmi les

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Les approches indirectes

sont très sensibles

aux hypothèses adoptées

et donnent des résultats

extrêmement divergents

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quelques milliers de grossistes (12), et seul cet argent possède potentielle-

ment une « puissance stratégique » et un effet potentiel de contamination et

de déstabilisation de l’économie « saine ».

Trois autres méthodes sont utilisées pour essayer de quantifier certains

des délits inobservables rattachés à la CTO ou leurs effets de distorsion.

Nous les présentons brièvement.

Les approches indirectes déduisent l’ampleur des infractions écono-

miques et financières à partir des données macroéconomiques agrégées de

la comptabilité nationale (revenus, balance des paiements, masse moné-

taire). Ces méthodes ont été appliquées pour évaluer la taille de l’économie

souterraine, la fraude fiscale ou encore le poids financier des places off-

shore. Elles consistent soit à calculer l’écart entre les revenus déclarés et

les dépenses enregistrées, soit à évaluer le déséquilibre (le trou noir) entre

les importations et les exportations de capitaux dans le monde à partir des

balances de paiement. Le problème est que ces écarts peuvent tout autant

venir des erreurs statistiques ou des différences de méthode d’enregistre-

ment. Ces approches sont donc très sensibles aux hypothèses adoptées et

donnent des résultats extrêmement divergents, qui ne permettent aucune

aide à la décision publique (Tanzi, 1999, sur l’économie souterraine). En

effet, les estimations de la taille de l’économie souterraine varient, selon

les auteurs, de 4 % à 33 % du PIB pour les Etats-Unis, de 10 % à 33 %

pour l’Italie, de 2 % à 11 % pour l’Allemagne… Pourtant, ces données

sont régulièrement utilisées pour calculer le montant du blanchiment, selon

le principe qu’un certain pourcentage de l’argent de l’économie souter-

raine est blanchi.

Les modèles économétriques comparatifs (à la mode à la Banque mon-

diale) tentent de mesurer les distorsions induites par certains délits ou les

facteurs à l’origine de ceux-ci. Ils se fondent, pour analyser les consé-

quences des délits (dans la logique des travaux de Barro sur la croissance

endogène), sur la mise en relation de proxy (13) concernant la délinquance

(taux de crime, perception de corruption ou de risque de terrorisme) avec

[33]

Le crime économique mondial

(

(12) Les grossistes peuvent être des exportateurs (par exemple des Mexicains ou des Pakistanais) ou des importateurs(par exemple des Mexicains ou des Italiens de Miami). Ceux-ci ne forment pas, comme on le lit souvent, « la firme

transnationale la plus performante du monde, si l’on se réfère à ses marges de profit et à ses bénéfices cumulés », car,justement, il n’existe pas de monopole du crime, mais de multiples petites organisations (Cartier-Bresson, 1997).(13) Les proxy sont des variables qui permettent une approximation d’un phénomène. Par exemple, la proxy de l’in-tervention publique peut être le montant du budget, le nombre d’entreprises publiques, le niveau de réglementation,l’aide à la recherche et développement, les dépenses militaires… Le choix des proxy détermine ainsi fortement lesrésultats.

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L’Economie Politique n° 15

des données sur la croissance et l’investissement. L’analyse de l’origine

des délits met en relation des proxy sur les causes des délits (le niveau d’in-

tervention publique, de pauvreté, l’indépendance de la justice, la stabilité

politique…) avec des proxy sur le nombre de délits. Nous illustrons la

méthode et ses limites dans le cas de la corruption. Les indices de percep-

tion (de la corruption, de la violence urbaine, du terrorisme, des libertés

civiles…) sont produits par des sociétés spécialisées en étude de risque-

pays selon un système de notation permettant de classer les pays depuis

les bons jusqu’aux mauvais élèves.

La mise en relation de ces indices avec des données sur la croissance,

l’investissement, l’indépendance de la justice ou les politiques industrielles

menées, permet aux auteurs de proposer de multiples corrélations. Pour ne

prendre qu’un exemple, ces travaux trouvent en général que la présence de

politiques industrielles interventionnistes favorise la corruption, et que

l’absence de corruption soutient l’investissement et la croissance.

Les biais de ces études économétriques sont de quatre ordres :

– i) les indices de corruption servant de base aux régressions sont forte-

ment corrélés avec d’autres mesures de l’efficacité administrative,

comme le niveau de bureaucratisation, l’ambiguïté des structures de

droits de propriété ou la qualité du système judiciaire. Ainsi ces

recherches ne peuvent mesurer l’effet marginal de chacune de ces

variables sur l’investissement et la croissance ;

– ii) les pays ayant de bonnes performances économiques et une forte

corruption sont mieux notés que ceux ayant le même niveau de corrup-

tion mais une faible croissance ;

– iii) la causalité entre corruption et faible croissance peut être renversée

en montrant que la faible croissance, la pauvreté et l’inégalité ne sont

pas seulement la conséquence, mais aussi la cause de la corruption. Les

phénomènes se renforcent alors mutuellement ;

– iv) la corruption interne subie par les citoyens ou les firmes locales

n’est pas perçue, car les études de risque-pays se fondent sur des

enquêtes menées auprès des hommes d’affaire et des fonctionnaires des

pays développés.

En fait, la signification d’une mauvaise note dans l’indice n’est pas très

claire. Est-ce que cela signifie que les pots-de-vin représentent un pour-

centage important de la valeur des contrats ou des transactions avec les

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services publics ? Est-ce que cela signifie qu’un pourcentage important

des transactions est influencé par les pots-de-vin ? Est-ce que cela signifie

que les pots-de-vin ont un effet de distorsion allocative supérieur au vue

de l’environnement national ? De même, la corrélation entre fort niveau

de corruption et performance n’est pas absolue, car un même niveau de

corruption aura un impact très différent selon les secteurs touchés, les

motifs du pot-de-vin, etc.

Face aux limites des études économétriques, la troisième méthode pri-

vilégie les approches directes. Elles se développent à l’heure actuelle, y

compris à la Banque mondiale. Ces travaux procèdent par enquêtes admi-

nistratives ou grâce à des collectes de données de terrain, mesurant direc-

tement ces infractions selon la

logique des enquêtes de victimisa-

tion ou de l’anthropologie. Ces

enquêtes ne traitent en général qu’un

ou deux types de délits, mais ont

l’avantage de donner des informa-

tions précises, à la condition que les

personnes interrogées soient prêtes à

collaborer. Cette collaboration est

aisée dans les cas de petits délits de

rue (petite corruption, petit racket,

petit vol, petit trafic de drogue…),

mais n’existe en général pas pour les

grands délits (grande corruption, détournement de fonds, grand trafic…).

Une autre limite des enquêtes de terrain tient au fait qu’elles ne permettent

pas les comparaisons internationales. Enfin, concernant les activités des

organisations criminelles sans victime directe, les enquêtes étant impos-

sibles, on s’appuie sur les repentis, dont les témoignages sont pourtant rare-

ment exempts d’arrière-pensées.

Si l’amélioration des connaissances concernant les petits délits est sûre-

ment possible par des enquêtes de terrain, les problèmes de méthode res-

tent entiers à propos des grands délits, qui sont par ailleurs les plus sus-

ceptibles de présenter des éléments d’extranéité. Le manque de fiabilité

actuel des grands chiffres agrégeant des infractions de natures très diverses,

ainsi que les divergences selon les sources, les auteurs et les hypothèses

de calculs, montrent que la quête du nombre magique est vouée à l’échec.

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Le crime économique mondial

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Le manque de fiabilité

actuel des grands chiffres

agrégeant des infractions

de natures très diverses

montre que la quête

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Des chiffres aussi variés et incertains ne peuvent pas fournir les bases

d’une aide aux choix de politique publique en matière de crime transna-

tional. Une voie possible serait la possibilité, dans les pays démocratiques,

de mener des enquêtes de terrain en collaboration avec les grands corps

d’inspection. Les pouvoirs publics ne semblent à l’heure actuelle pas prêts

à suivre cette piste.

Retour du politique

En conclusion, la criminalité transnationale organisée est encore en

grande partie un agenda juridique et judiciaire des organisations interna-

tionales, sans grand soutien politique des citoyens ou des élites. Un débat

plus vif sur ce thème devrait permettre de préciser ce que l’on entend par

dangerosité et améliorer la connaissance de la perception de celle-ci par

les acteurs concernés (des banques aux services de police en passant par

les ONG). Ainsi, on progresserait pour savoir si les politiques préconisées

sont adaptées à la situation. Dire, comme nous avons essayé de le démon-

trer dans cet article, qu’il faut se méfier de la construction politico-sociale

des grandes menaces, ne signifie pas, loin s’en faut, qu’il n’y a pas de

dommages (14) ; c’est simplement militer dans le sens d’une réaction plus

rationnelle, en évitant la scandalisation et les boucs émissaires, c’est éva-

luer les dangers de l’amalgame juridique et judiciaire des organisations

criminelles et des crimes organisés (par exemple, délits d’affaires). En l’ab-

sence de données fiables, et pour éviter que l’agenda de la moralisation de

la vie économique ne se transforme en agenda sécuritaire, il faut que la

criminalité transnationale organisée devienne l’enjeu d’un large débat

démocratique.

(14) Les magistrats assassinés, les overdoses, la déforestation, la contrebande, les attentats, l’utilisation des armesdans les guerres civiles, la faillite de fonds de pensions, la concurrence déloyale, les vols, le trafic d’animaux… sontévidemment des réalités.

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Le crime économique mondial

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