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Pratiques psychologiques 16 (2010) 337–357 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Psychologie du travail Étiopathogénie du crime en col blanc : une étude de cas exploratoire Etiopathogenia of white-collar crime: An exploratory case study G. Ouimet Service de l’enseignement du management, HEC Montréal, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec), H3T 2A7 Canada Rec ¸u le 4 aoˆ ut 2009 ; accepté le 4 septembre 2009 Résumé La présente analyse se veut une étude de cas exploratoire mettant en lumière de possibles prédispositions narcissiques au crime en col blanc. Plus spécifiquement, l’étude de cas réalisée auprès d’un ex-détenu ayant purgé une peine pour crime en col blanc permet de circonscrire la présence chez ce dernier d’un vif sentiment de vengeance s’étant possiblement formé au sein de la dynamique relationnelle vécue avec son père. Appelé complexe de Monte-Cristo, ce profond sentiment revanchard servirait en quelque sorte de carburant psychique à l’actualisation de l’impérieux besoin de réparation engendré par la lointaine blessure narcissique. Pour un cadre supérieur, pareille actualisation se solderait entre autres par la perpétration d’un délit financier dans l’exercice de ses fonctions. © 2009 Société franc ¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Crime en col blanc ; Facteurs dispositionnels ; Personnalité narcissique ; Complexe de Monte-Cristo Abstract The present analysis is an exploratory case study that sheds light on possible narcissistic predispositions for white-collar crime. Undertaken with a former inmate imprisoned for an economic crime, this case study permits an identification of the presence of a sharp feeling of vengeance. Probably emergent from the relational dynamic between this ex-prisoner and his father, this deep vindictive feeling, known as Monte- Cristo complex, serves as a psychic fuel to actualize the compensation for the distant narcissistic wound. Adresse e-mail : [email protected]. 1269-1763/$ – see front matter © 2009 Société franc ¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.prps.2009.09.001

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Pratiques psychologiques 16 (2010) 337–357

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Psychologie du travail

Étiopathogénie du crime en col blanc :une étude de cas exploratoire

Etiopathogenia of white-collar crime:An exploratory case study

G. OuimetService de l’enseignement du management, HEC Montréal,

3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine,Montréal (Québec), H3T 2A7 Canada

Recu le 4 aout 2009 ; accepté le 4 septembre 2009

Résumé

La présente analyse se veut une étude de cas exploratoire mettant en lumière de possibles prédispositionsnarcissiques au crime en col blanc. Plus spécifiquement, l’étude de cas réalisée auprès d’un ex-détenuayant purgé une peine pour crime en col blanc permet de circonscrire la présence chez ce dernier d’unvif sentiment de vengeance s’étant possiblement formé au sein de la dynamique relationnelle vécue avecson père. Appelé complexe de Monte-Cristo, ce profond sentiment revanchard servirait en quelque sorte decarburant psychique à l’actualisation de l’impérieux besoin de réparation engendré par la lointaine blessurenarcissique. Pour un cadre supérieur, pareille actualisation se solderait entre autres par la perpétration d’undélit financier dans l’exercice de ses fonctions.© 2009 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Crime en col blanc ; Facteurs dispositionnels ; Personnalité narcissique ; Complexe de Monte-Cristo

Abstract

The present analysis is an exploratory case study that sheds light on possible narcissistic predispositionsfor white-collar crime. Undertaken with a former inmate imprisoned for an economic crime, this case studypermits an identification of the presence of a sharp feeling of vengeance. Probably emergent from therelational dynamic between this ex-prisoner and his father, this deep vindictive feeling, known as Monte-Cristo complex, serves as a psychic fuel to actualize the compensation for the distant narcissistic wound.

Adresse e-mail : [email protected].

1269-1763/$ – see front matter © 2009 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.prps.2009.09.001

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For a high level manager, this compensatory actualization could take, among other possibilities, the form ofa white-collar crime.© 2009 Société francaise de psychologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: White-collar crime; Dispositional factors; Narcissistic personality; Monte-Cristo complex

1. Introduction

Coûtant annuellement, au début des années 1980, aux entreprises américaines quelques600 milliards de dollars, le délit financier commis par un cadre supérieur dans l’exercice de sesfonctions se révèle un véritable fléau pour toute économie nationale (Niehoff, 2003 ; Schnatterly,2003). Appelé « crime en col blanc » pour la première fois en 1939 par le sociologue américainSutherland, ce type de délit n’avait recu, jusqu’au milieu du xxe siècle, que très peu d’attention de lapart de la communauté scientifique (Sutherland, 1940). Pareille ténuité heuristique s’expliqueraiten partie par l’orientation axiologique socialement imprimée à la criminologie de l’époque. Atti-rée par l’étude de la criminalité sordidement spectaculaire de la pauvreté habitant les classessociales inférieures de la société, la criminologie a concurremment négligé l’analyse des délitsfinanciers des « criminels de la haute », nettement plus discrets dans leur perpétration et anodinsdans leur acception populaire (Normandeau, 1965 ; Quinney, 1964). Toutefois, depuis les deuxdernières décennies, le crime en col blanc suscite un intérêt croissant chez les chercheurs (Cullenet al., 2009 ; Holtfreter et al., 2008 ; Shichor, 2009).

L’actualisation du crime en col blanc repose essentiellement sur un procédé physiquementnon-violent : la tromperie. En regard du code pénal américain, les principales formes délictueusesgénérées par ce procédé sont : le détournement de fonds, la contrefacon de titres financiers, lafalsification des écritures comptables, le gonflement des frais de représentation, la faillite fraudu-leuse, le délit d’initié, le trafic d’influence, la conclusion antidatée d’une transaction boursière,la vente pyramidale de plus-values financières anticipées, l’évasion fiscale et la cyberdévianceorganisationnelle (Fleming et Zyglidopoulos, 2008 ; Friedrichs, 2007 ; Geis, 2007 ; Piquero etBenson, 2004 ; Pontell et Rosoff, 2009 ; Shover et Hochstetler, 2006).

Par ailleurs, il convient de préciser que l’intensification de l’intérêt de la communauté scienti-fique pour l’étude du crime en col blanc a généré deux types de production heuristique, à savoirles études descriptives et explicatives.

2. État de la problématique du crime en col blanc

2.1. Études descriptives

Essentiellement, les études descriptives consacrées au crime en col blanc ont tenté d’évaluerl’impact de ses incidences négatives tant au niveau organisationnel que sociétal. La nocivité dece type de crime fut examinée au moyen de la description détaillée des conséquences suivantes :

• la création de pertes financières colossales pour les entreprises de l’ordre de centaines demilliards de dollars par année (Pontell, 2004 ; Schnatterly, 2003) ;

• l’évanescence du sentiment de confiance des actionnaires, des créanciers et des employés àl’endroit de la haute direction des entreprises (Armstrong et Larcker, 2009 ; Bernile et Jarrell,2009) ;

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• la dégradation de la réputation et de la crédibilité des cadres supérieurs, des entreprises et dumonde des affaires auprès de l’opinion publique (Aguilera et Vadera, 2008 ; Clement, 2006).

Parallèlement aux études procédant à l’énumération des effets délétères de ce crime écono-mique, d’autres travaux descriptifs se sont fixés comme objectif de soit circonscrire l’ampleurdu renforcement des attitudes acrimonieuses de la population envers les criminels en col blanc(Cullen et al., 2009 ; Holtfreter et al., 2008 ; Schoepfer et al., 2007), soit évaluer l’intensificationde la sévérité des peines légales infligées à ce type de criminels (Ivancevich et al., 2008).

2.2. Études explicatives

Quant au second type de production heuristique, les études explicatives, celui-ci fut animépar le désir d’identifier les causes du crime en col blanc. Les études explicatives ainsi généréesportent sur soit la contingence causale, soit l’idiosyncrasie causale (Bennett et Robinson, 2000 ;Bordia et al., 2008 ; Colbert et al., 2004). Alors que la contingence désigne les facteurs situation-nels conditionnant l’individu à adopter une réaction comportementale socialement condamnable,l’idiosyncrasie fait référence aux facteurs dispositionnels incitant en quelque sorte naturellementl’individu à enfreindre les règles sociétales en vigueur. Qu’elles se proposent d’examiner la réac-tion ou la disposition d’un individu reconnu coupable de crime en col blanc, les études explicativesrecensées ont tenté de déceler la présence de facteurs causaux parmi les caractéristiques soit desentreprises affectées par le crime, soit des individus le commettant. Puisque nos préoccupationsde recherche porteront sur l’exploration de certains de ces facteurs et de leurs origines respec-tives, il nous apparaît des plus congrus de leur accorder un développement analytique davantagesubstantiel que celui consenti précédemment aux études descriptives.

Les principales caractéristiques organisationnelles associées au crime en col blanc et examinéesjusqu’à présent sont :

• la taille ;• la culture ;• la santé financière ;• les mécanismes de contrôle interne.

Selon Holtfreter (2005), aucune étude n’est parvenue à établir clairement l’existence d’unerelation linéaire entre la taille de l’entreprise et l’importance des délits financiers commis par descadres supérieurs.

Relativement à la seconde caractéristique, la culture organisationnelle, certaines donnéespermettent de supputer que la culture bureaucratique, faussement apparentée à l’incurie et aulaxisme, serait le creuset approprié de la production déculpabilisée de la déviance organisationnelle(Holtfreter, 2005).

En ce qui a trait à la santé financière de l’entreprise, Pearce (2001) mentionne que le crimeen col blanc se manifeste davantage dans les organisations en proie à des difficultés financières.L’auteur précise toutefois que cette corrélation positive entre les deux phénomènes peut se révélerfoncièrement illusoire : les entreprises financièrement moribondes faisant, comparativement auxentreprises économiquement saines, davantage l’objet d’audits comptables minutieux.

Enfin, l’absence de mécanismes de contrôle interne est nettement associée à la dévianceorganisationnelle en col blanc (Beasley et al., 2000 ; Dunn, 2004 ; Simpson, 2002).

Par ailleurs, les principales caractéristiques individuelles attribuées aux criminels en col blancsont :

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• l’âge ;• le sexe ;• le niveau d’instruction ;• la position hiérarchique ;• l’état de préparation à la déviance.

Examinons maintenant leur teneur respective.Selon Holtfreter (2005), les criminels en col blanc seraient en moyenne plus âgés que les cri-

minels évoluant à l’extérieur des murs de l’entreprise. Cette différence s’expliquerait par l’obligépassage du temps consubstantiel à l’ascension hiérarchique. Par ailleurs, Shover et Hochstetler(2002) et Zahra et al. (2007) estiment qu’au sein de la population des cadres supérieurs, lesdirigeants plus seniors – âgés de plus de 50 ans – seraient globalement moins enclins que leursconfrères moins âgés à s’engager sur la voie du crime économique.

Bien que traditionnellement les cadres supérieurs de sexe masculin étaient davantage que leursconsœurs impliqués dans des manœuvres frauduleuses (Whan, 2003), l’écart à ce chapitre entreles deux sexes tend à s’amenuiser (Heimer, 2000).

Comparativement au criminel commun – délinquant s’adonnant au crime de la rue –, le cri-minel en col blanc possède un niveau d’instruction nettement plus élevé : la détention d’unimportant poste hiérarchique nécessitant, dans la grande majorité des cas, l’obtention préa-lable d’un diplôme d’études universitaires (Holtfreter, 2005). Par ailleurs, certains auteurssoutiennent que l’activité criminelle corporative est associée à la réalisation d’études univer-sitaires en sciences de la gestion (Feldman, 2005 ; Ferraro et al., 2005 ; Ghoshal, 2005). Eneffet, pour ces auteurs, les enseignements dans les écoles de commerce se révèlent fonciè-rement étayés sur des théories économiques et managériales dépourvues de considérationséthiques.

En égard à la position hiérarchique, Friedrichs (2007) et Piquero et Piquero (2001) mentionnentque les fonctions occupant le sommet de l’organigramme confèrent à leur détenteur d’une partune plus grande facilité à inspirer la confiance chez autrui – attribut fort utile pour quiconquecherche à abuser d’une personne – et, d’autre part, un accès à un nombre plus élevé d’occasionsde commettre des fraudes d’envergure.

Finalement, bon nombre de chercheurs se sont interrogés sur l’existence probable d’unétat situationnel – réaction plus ou moins prégnante à une pression externe – ou dispositionnel– propension idiosyncrasique structurée en trait ou en type de personnalité – de la préparation àla déviance au travail.

Selon certains auteurs, la déviance organisationnelle s’avère le résultat d’une réactiond’adaptation aux pressantes sollicitations du milieu. Pareilles sollicitations peuvent prendre laforme soit d’un conditionnement anomique managérial (Schoepfer et Piquero, 2006), soit d’unemise sous tension mercantile (Langton et Piquero, 2007).

Pour leur part, Schoepfer et Piquero (2006) formulent l’hypothèse que les criminels en col blancseraient l’objet d’un conditionnement anomique managérial. Pareil conditionnement se révèleune ramification du rêve sociétal américain faisant de la réussite matérielle la valeur cardinaleorientant les choix de vie des individus. Selon Schoepfer et Piquero (2006), l’impérative incitationà la réussite matérielle, dont la pierre d’assise s’avère forcément le succès monétaire, serait undes facteurs causaux du crime en col blanc.

Également associée à la mise en exergue d’un état de préparation situationnel, l’hypothèsede la mise sous tension mercantile fut avancée par Langton et Piquero (2007). Selon ces deuxchercheurs, les hauts dirigeants, victimes de vives frustrations professionnelles – plafonnement

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de carrière, rétrogradation, abolition des bonis de performance –, chercheraient dans la dévianceorganisationnelle un exutoire à leurs affligeantes contrariétés.

En ce qui a trait maintenant à l’état dispositionnel de préparation à la déviance organisationnelledes cadres supérieurs, l’attention des chercheurs a principalement porté sur l’identification destraits de personnalité prédisposant à la perpétration d’actes criminels.

La maîtrise de soi – self-control – est, de tous les traits de personnalité étudiés, celui qui est leplus associé au crime en col blanc. Selon bon nombre de chercheurs, un faible niveau de maîtrisede soi est associé à la perpétration de fraudes financières par des cadres supérieurs (Blickle etal., 2006 ; Collins et Schmidt, 1993 ; Langton et al., 2006). Il convient toutefois de mentionnerque Piquero et al. (2005) et Simpson et Piquero (2002) n’ont pu confirmer la teneur causale dece facteur idiosyncrasique.

Constituée de l’ordonnancement, la minutie et la fiabilité, la conscience – conscientiousness –est un trait de personnalité ayant une valeur prédictive non clairement démontrée de la criminalitéfinancière des cols blancs. En effet, les résultats émanant des travaux de Blickle et al. (2006)contredisent les conclusions de l’étude de Collins et Schmidt (1993) statuant qu’un faible niveaude conscience est positivement corrélé avec la fréquence de crimes des cadres supérieurs. SelonBlickle et al. (2006), un individu ne peut espérer gravir les échelons hiérarchiques conduisantà une fonction de cadre supérieur et subséquemment concocter la mise sur pied d’une fraudefinancière sans pour autant être doté d’un niveau élevé de conscience.

Le désir d’exercer du contrôle – desire-for-control – est un trait de personnalité incitant lescadres supérieurs à commettre des délits financiers (Piquero et al., 2005). Selon ces auteurs, lesindividus animés d’un besoin compulsif d’ascendant sont enclins à recourir à tous les moyensleur garantissant un contrôle sur les événements les affectant.

Finalement, deux autres facteurs sous-jacents à l’état dispositionnel de préparation à la dévianceorganisationnelle, soit l’hédonisme (un trait de personnalité) et le narcissisme (un type de person-nalité), s’avèrent positivement corrélés avec le crime en col blanc. En effet, Blickle et al. (2006)ont décelé un niveau élevé d’hédonisme (recherche du plaisir et valorisation de la jouissancedes biens matériels) et de narcissisme (sens grandiose de son importance, besoin d’admiration etmanque d’empathie) chez de hauts dirigeants reconnus coupables de délits financiers.

2.3. Problématique de la présente étude explicative exploratoire

Suite aux dernières constatations empiriques, nous nous proposons d’explorer davantage lateneur du registre des caractéristiques personnelles du criminel en col blanc. Outre l’éventuelledétection d’autres formes d’état dispositionnel de préparation à la déviance au travail, nous ten-terons de fournir certaines hypothèses de travail relativement à leurs possibles étiopathogéniesrespectives.

3. Méthodologie

3.1. Stratégie de recherche

Notre investigation de la spécificité idiosyncrasique du criminel en col blanc procédera parune étude de cas unique réalisée au moyen de l’entretien semi-dirigé1. La justification du choix

1 Les questions des entretiens semi-dirigés réalisés avec les trois participants à l’étude sont présentées à l’annexe 1située à la fin de la présente analyse.

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de cet instrument de cueillette de l’information est double. Premièrement, empruntant un modeheuristique exploratoire, notre stratégie de recherche gagne en adéquation en exploitant un instru-ment de cueillette de l’information, en l’occurrence l’entretien semi-dirigé, facilitant l’expression– non viciée par les attentes aprioristes du chercheur – de propensions idiosyncrasiques autresque celles déjà mises à jour par les recherches scientifiques (King et Horrocks, 2009 ; Wolcott,2008). Deuxièmement, l’étude de l’état dispositionnel de préparation à la déviance au travailsous l’angle de l’étiopathogénie nous invite à adopter un instrument de cueillette de l’information– l’entretien semi-dirigé – permettant de sonder la réalité psychologique des participants à l’étudetant dans une perspective temporelle d’immédiateté que d’antériorité (Creswell, 2008). L’étatdispositionnel de préparation faisant essentiellement référence à des dimensions (tempéramentet caractère) idiosyncrasiques se constituant sur de longues périodes de temps, son examen aumoyen d’un devis de recherche transversal exige un instrument de cueillette de l’informationoffrant la flexibilité nécessaire à l’itération des tentatives de captation des données fournies parla personne questionnée (Stake, 2007 ; Yardley, 2008).

Par ailleurs, la maximisation de la validité interne – ou crédibilité – des données colligées aumoyen de l’entretien semi-dirigé est établie en faisant appel à deux techniques de validation infor-mationnelle très répandues en recherche qualitative : la triangulation des sources d’information etla corroboration de l’information par les sources mêmes l’ayant fournie (Denzin, 1988 ; Leech etOnwuegbuzie, 2007 ; Merriam, 2009 ; Simons, 2009). En effet, trois personnes sont invitées, d’unepart, à participer à un entretien semi-dirigé traitant des mêmes problématiques (triangulation dessources d’information visant la conservation uniquement des données sémiologiquement conver-gentes) et, d’autre part, à confirmer l’exactitude de la transcription de leurs propres réponses. Cesdeux techniques de validation font partie de la nomenclature classique proposée par Guba (1981)et Lincoln et Guba (1985). Selon ces auteurs, sept techniques permettent au chercheur d’accroîtrela crédibilité – rapport d’adéquation entre ce qui est défini et ce qui est observé – des donnéesqualitatives colligées. Ces techniques sont :

• l’immersion prolongée du chercheur dans le milieu d’accueil de la recherche ;• l’observation minutieuse et perspicace des phénomènes ;• la triangulation des sources, investigateurs, perspectives ou méthodes ;• le regard critique des pairs ;• la majoration itérative de la véracité des hypothèses ;• la concordance avec d’autres constatations scientifiques ;• la corroboration par les participants à l’étude de l’exactitude de la teneur de l’information qu’ils

ont fournie.

Or, Lincoln et Guba (1985) précisent que la corroboration de la teneur des informations parleurs sources se révèle la technique la plus cruciale pour établir la crédibilité des données.

Qui plus est, puisqu’il y est clairement démontré que les criminels en col blanc recourentfréquemment à des mécanismes de rationalisation afin de justifier leurs comportements répréhen-sibles (Dhami, 2007), la production d’une étude étayée sur la collecte de données à la fois trian-gulées au chapitre des sources et corroborées par celles-ci s’est révélée particulièrement indiquée.

3.2. Sélection des participants à l’étude et modalités du protocole de recherche

Le principal participant à l’étude est un ex-détenu incarcéré, en fonction du code criminelcanadien, pour fraude, fabrication de faux documents et entrave à la justice. Désigné par le

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vocable anonymisé « Monsieur K. », notre principal participant à l’étude fut un cadre supérieurœuvrant au Canada dans le domaine des fiducies de placement et reconnu coupable, dans l’exercicede ses fonctions, de détournement de fonds de plusieurs millions de dollars, de falsification dedocuments et de destruction de pièces incriminantes. Ayant été mis au courant par un de sesproches de nos préoccupations de recherche, cet ex-détenu communiqua avec nous pour nousfaire part de ses intérêts envers celles-ci. La première rencontre préterrain eut lieu à nos bureaux17 mois après sa libération. Informé de notre problématique de recherche, à savoir l’exploration,d’une part, des différents types de facteurs personnels prédisposant à la déviance au travail et,d’autre part, de la nature de leurs origines respectives, Monsieur K. se dit tout disposé à participerà l’étude. Après avoir vérifié la teneur du verdict de culpabilité prononcé contre lui ainsi quede ses activités professionnelles au moment de sa condamnation, nous avons été en mesure declasser les agissements criminels de Monsieur K. dans la catégorie de crime économique commispar un col blanc. Par la suite, Monsieur K. fut informé par écrit et verbalement des modalités duprotocole de recherche. Celles-ci contenaient essentiellement les informations suivantes :

• le recours systématique à l’anonymisation des identités de toutes les personnes participant àl’étude ;

• la suppression conséquente de toute information – lieu et époque associés à la problématiqueanalysée, renseignements afférents à l’état civil du participant (âge, nationalité et apparte-nance ethnique), raison sociale de l’entreprise concernée – permettant la reconstitution de cesidentitiés ;

• la possibilité pour le participant de mettre un terme en tout temps à sa participation à l’étude ;• le type de stratégie de recherche utilisée, à savoir un entretien semi-dirigé ;• le libellé des questions de l’entretien ;• l’éventualité que des sous-questions d’approfondissement non prévues initialement puissent se

greffer, lors de la rencontre, aux questions de départ de l’entretien ;• le nombre de rencontres prévues, soit deux ;• la durée de chacune des rencontres, soit environ 60 minutes ;• le recours à l’enregistrement audio des entretiens subséquemment détruit une fois la transcrip-

tion écrite de ceux-ci terminée ;• l’approbation par le participant à l’étude du contenu du verbatim de ses propos ;• la possibilité pour ce dernier d’apporter toutes les modifications qu’il juge nécessaire au contenu

de ce verbatim ;• la désignation par le participant des noms et des coordonnées de personnes le connaissant bien

et pouvant participer au processus de validation des informations le concernant ;• l’acceptation par le participant que la teneur de certains thèmes élaborés lors des entretiens soit

éventuellement sondée en faisant appel au concours de certaines des personnes sélectionnéespour participer au processus de validation des informations le concernant ;

• la rédaction par le chercheur d’une analyse des données colligées éventuellement soumise pourfins de publication à une revue scientifique avec comité de lecture.

Une fois dûment instruit de ces modalités de participation à la recherche, le participant à l’étudesignait le formulaire de consentement.

Quant aux deux autres personnes participant à l’étude, leur sélection – motivée par la validationde données au moyen du procédé de triangulation – fut rendue possible grâce à la liste de nomsfournis par Monsieur K. Les neuf personnes identifiées par ce dernier furent contactées partéléphone. Seulement deux de celles-ci – des membres de sa famille – acceptèrent de participer

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à l’étude. Le protocole de recherche qui leur fut présenté comportait sensiblement les mêmesmodalités que celles du protocole soumis à Monsieur K. Les noms de code Alpha et Oméga leurfurent attribués.

4. Résultats

Les questions formulées lors des deux rencontres avec Monsieur K. portant sur la conceptionqu’il a de lui-même ont permis de dégager l’existence d’une croyance pour le moins très assuréede sa propre valeur. D’ailleurs, les extraits suivants de ses réponses s’avèrent, à ce sujet, fortrévélateurs.

« Toute ma vie, j’ai dû payer pour avoir du succès. Je peux dire aujourd’hui que c’est mon talentqui m’a causé le plus de tort. En fait, si j’avais été comme tout le monde, je n’aurai pas eu tantde troubles dans la vie. [. . .] Je suis aujourd’hui convaincu qu’il est impossible pour quelqu’uncomme moi de se réaliser dans ce pays de merdre ».

« Partout, mais vraiment partout où je suis passé, j’ai connu du succès. En fait, tout ce que j’aitouché s’est transformé en or. J’ai toujours été un numéro un. Il m’est même arrivé de gagner sansle vouloir. C’est naturel chez moi. Je suis un winner2 et ca personne ne pourra me l’enlever. [. . .]Je peux vous dire que mon talent naturel a fait chier bien du monde dans la vie : vous savez, tousles jaloux sans talent qui se mettent à plusieurs pour te frapper dans le dos ».

« Dans mon dernier emploi, j’ai fracassé tous les records [. . .]. J’accumulais succès par-dessussuccès. Même mon boss n’en revenait pas. [...] J’ai été celui qui a apporté le plus à l’organisation.Mais. . . que voulez-vous, il y a toujours un prix à payer pour réussir dans la vie. Et moi, je peuxvous dire que j’ai payé ».

Même lorsque confronté à des passages moins glorieux de sa vie, Monsieur K. maintient saconception grandiose de sa propre personne. C’est ainsi que la réponse de Monsieur K. à lasous-question « Qu’est-ce qui vous a amené en prison ? » contenait les extraits suivants :

« Mon pauvre monsieur, la jalousie des gens. Toute ma vie, j’ai été victime de la jalousie demon entourage. J’ai eu le malheur de trop bien réussir. Et pour me remercier, on m’a crissé3 enprison. [. . .] Je leur faisais faire des millions par année et ces mangeurs de merdre n’étaient mêmepas foutus de s’en apercevoir. Non, au contraire, ils s’en apercevaient mais pour eux j’étais devenuune menace. [. . .] Sincèrement, je pense que le directeur du département avait peur que je prennesa place. Mes succès lui faisaient peur. Je n’en rendais bien compte. Ca crevait les yeux. Il m’avaitenlevé tous les dossiers importants pour les refiler à ses brown-noses4 ».

La présence chez Monsieur K. d’une telle conception de l’importance de sa personne estconfirmée par les propos d’Alpha et Oméga.

Alpha : « Mon frère en a toujours mis épais sur la tartine. À l’entendre parler, c’est lui qui auraitcréé l’univers. [. . .] Il a toujours eu ce besoin, que je dirais maladif, de se vanter ; d’être mieux quetout le monde. Aussi loin que je me souvienne, il a toujours fallu qu’il paraisse plus fin que toutle monde. [. . .] Vous comprendrez qu’avec une tête grosse comme un ballon de plage, il n’avaitpas beaucoup d’amis. D’ailleurs, dès qu’il s’en faisait un nouveau, ca ne durait pas longtemps. Iltrouvait toujours le moyen de lui trouver des défauts ; de le critiquer. [. . .] Plus j’y pense et plusje me rends compte qu’il a toujours passé son temps à dénigrer les autres. Même nous, les gens

2 Anglicisme désignant « gagnant ».3 Barbarisme tiré d’un juron vulgaire et désignant, dans le présent contexte, le verbe « mettre ».4 Anglicisme désignant « flagorneur ».

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de sa famille, il nous a souvent dénigrés. [. . .] Ses problèmes de grosse tête étaient présents trèstôt chez lui. Même au primaire, il n’étudiait presque pas et ses devoirs étaient toujours bâclés. Ildisait à ma mère qu’il en savait plus que l’institutrice et qu’il n’apprenait rien à l’école. [. . .] Il sesentait profondément supérieur aux autres et il le disait. Il m’avait déjà dit que lorsque les gensdécouvriront vraiment son immense talent, ils comprendront enfin qui il est ».

Oméga : « Ca été l’histoire de sa vie de se croire plus smart5 que tout le monde. Mon frères’est toujours cru plus fin que tout le monde. [. . .] Et pourtant, il a été renvoyé du collège troisfois et il n’a même pas été en mesure de terminer son premier trimestre au CÉGEP6. Monsieursavait tout. [. . .] Dans les réunions de famille, c’était avec lui toujours la même chose. On avaitdroit à sa séance de « je, me, moi » et lorsqu’il avait terminé de parler de lui, il s’en allait. [. . .] Ilprenait le centre de la place en arrivant et lorsqu’il avait fini de chanter ses louanges, il s’en allaittout simplement ».

Par ailleurs, les questions, posées à Monsieur K. lors des deux rencontres d’entretien semi-dirigé, traitant de sa conception des autres nous livrent un tableau fort peu flatteur de la valeur deses congénères. Examinons à ce sujet les extraits suivants de ses réponses.

« Nous sommes littéralement entourés de crétins. C’est fou le nombre d’idiots qu’on peutrencontrer dans une journée. Peu importe où tu te trouves, il y a toujours un tonton7 qui est làpour te faire chier. [. . .] À la longue, c’est déprimant de vivre avec des minables qui passent leurtemps à s’accrocher à toi pour te faire du mal. [. . .] On m’a fait suffisamment de mal dans mavie. [. . .] J’ai été plus d’une fois abandonné et trahi par des gens que j’avais aidés. Ma femme,mes enfants ; toute ma famille m’a abandonné. [. . .] Les gens sont ingrats et opportunistes. Enplus, ils sont jaloux de toi. Ils sont incapables d’accepter que tu aies du succès dans la vie. S’ilspeuvent te faire du mal pour t’enlever ton succès, ils le feront. [. . .] Prenez lors de mon procès.C’était réellement dégueulasse tout ce qui s’est dit à mon sujet. Vous auriez dû entendre tousles faux témoignages. Des gens qui m’étaient la main droite sur la bible et qui juraient de diretoute la vérité et rien que la vérité. Je n’ai jamais entendu autant de mensonges de toute ma vie.[. . .] Ils ont dû s’y mettre à plusieurs pour m’abattre. Et le juge qui dormait. . . le câlice8 ! On seserait cru au cirque. J’étais entouré d’une bande de clowns, de putains et de crosseurs9. [. . .] Monavocat ! Nul, nul, nul sur toute la ligne. Un incompétent et un voleur en plus. S’il pense que jevais le payer pour ses services de merde. Il n’a même pas été capable de faire casser les chefsd’accusation. Toutes les charges, je dis bien toutes, retenues contre moi étaient sans fondements.Ca été un règlement de compte ».

Les échanges avec Alpha et Oméga nous ont permis de confirmer la conception foncièrementnégative que se fait Monsieur K. des autres. Les extraits suivants nous apparaissent, à ce sujet,significatifs.

Alpha : « Mon frère n’a jamais eu d’amis. En fait, il ne peut pas en avoir. Connaissez-vousquelqu’un qui passe son temps à bitcher10 tout le monde et qui parvient en même temps à se fairedes amis ? Moi, je n’en connais pas. [. . .] Bien honnêtement, je ne connais personne qui ait suse mériter, ne serait-ce que pendant un certain temps, l’estime de mon frère. S’il vous offrait desfleurs en compliments, vous pouviez être sûr de recevoir rapidement le pot derrière la tête. [. . .]

5 Anglicisme désignant, dans le présent contexte, « malin ; futé ».6 Acronyme désignant au Québec « Collège d’enseignement général et professionnel ».7 Barbarisme signifiant « imbécile ».8 Juron religieux très vulgaire désignant « salopard ».9 Terme injurieux signifiant au Québec une personne foncièrement malhonnête.

10 Emprunt de l’anglais « to bitch » qui veut dire « râler contre ; médire avec méchanceté ».

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Lorsqu’il voulait avoir quelque chose, soudainement, il devenait gentil avec vous. Vous deveniezsoudainement le plus fin, le plus beau. Mais aussitôt qu’il l’avait obtenu, vous n’existiez plus.C’était standard chez lui de flusher11 les gens après les avoir utilisés. [. . .] Lorsque j’ai refusé unjour de lui prêter encore de l’argent, il faut dire qu’il me devait déjà plus de $100 000, j’ai eu droità toutes les insultes possibles. Pourtant, la veille, j’étais selon ses dires la plus merveilleuse sœurdu monde ».

Oméga : « Il n’y a pas grand monde qui ne soit pas passé dans le « moulin à viande »12. [. . .]Toutes ses femmes sont devenues un jour ou l’autre des épaisses ou des salopes. [. . .] Tous sesdivorces ou séparations donnaient lieu à de véritables séances de défoulement où il les traitaitde tous les noms. [. . .] Avec ses nombreuses faillites et ses multiples démêlés avec la justice,ses associés en affaires sont passés d’amis à bandits en quelques semaines. [. . .] Même nosparents, surtout mon père, ont été très critiqués par lui. [. . .] On aurait dit que c’était dans sesgènes de critiquer constamment tout le monde. Dès qu’il ouvrait la bouche, tu pouvais être sûrd’entendre qu’un tel était un plein de merde et qu’un autre était un enfant de chienne. [. . .] Unjour, je me souviens, j’ai tenté de lui dire quelque chose de vraiment important pour moi. Onm’avait diagnostiqué un cancer de la prostate et je devais débuter sous peu mes traitements dechimiothérapie. Je n’avais même pas terminé de lui faire part de mon état de santé qu’il medemandait si je pouvais lui avancer encore de l’argent pour finir le mois ! [. . .] Ca, c’était monfrère tout craché. Il n’y avait d’important pour lui que lui ».

Enfin, les questions formulées lors de deux rencontres avec Monsieur K. et tentant de circons-crire sa conception de la vie en générale ont permis d’isoler chez lui la présence d’une profondecroyance existentielle en la justice réparatrice. Les extraits suivants nous livrent la teneur d’unetelle croyance.

« Moi, je suis quelqu’un de tout ce qu’il y a de plus normal. Un gars bien ordinaire commedirait la chanson. Oui, dans le fond, je suis quelqu’un de pas compliqué du tout. J’ai toujours faitmes choses sans embêter personne. Tout ce que je veux, c’est qu’on me fiche la paix. [. . .] Moi,ma devise dans la vie est « vivre et laisser-vivre ». Le problème, c’est que les gens ne me laissentpas vivre ma vie en paix. Avez-vous remarqué qu’il faut toujours qu’il y ait quelqu’un quelquepart qui te dise ce que tu as à faire. [. . .] Quand j’étais petit, c’était mon père qui passait sontemps à nous faire la lecon. Il faut faire comme ceci, il faut faire comme cela et patati et patata. Ilnous disait de faire des choses qu’il n’était même pas capable de faire lui-même. Si vous saviezà quel point il aimait nous faire des sermons. Si encore, il avait été à la hauteur, le pauvre. [. . .]C’était quelqu’un qui aimait nous écraser. Et moi, contrairement aux autres, je ne me suis paslaissé écraser par lui. [. . .] Et puis, il y avait tout le monde qui nous cassait les oreilles avec sesréussites. Mais quelles réussites ? Il avait hérité du business de son père. Toute sa vie, il a surfé surles succès passés de son père. Je ne veux pas être méchant mais avouez que n’importe qui en auraitfait autant. Mais, il n’y en avait que pour lui. On entendait parler de lui du matin jusqu’au soir,sept jours par semaine. Hey, come on ! Give me a brake!13 [. . .] Toute sa réputation était surfaite.Il s’est en fait approprié des mérites qu’il n’a jamais eus. Il était enfant unique et il a hérité detout. Voulez-vous bien me dire quel est le mérite de venir au monde avec une cuillère en or dansla bouche ? Moi, contrairement à mon père, je me suis fabriqué tout seul et je l’ai dépassé. [. . .] Je

11 Emprunt de l’anglais « to flush » qui veut dire, dans le présent contexte, « se débarrasser brutalement ».12 Régionalisme signifiant « hachoir ».13 Expression anglaise désignant chez le locuteur un état profond d’exaspération.

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suis ce que l’on appelle un self-made-man14. Du talent et de la détermination : voilà tout ce quej’ai eu besoin pour réussir. Mon père l’a eu facile, moi j’ai dû me battre pour gagner et j’ai gagné.J’ai fait mon chemin tout seul dans la vie. [. . .] On a dit des cochonneries sur moi lors de monprocès. [. . .] Je n’ai jamais eu droit à une défense pleine et entière. Le juge avait déjà son idée defaite. Ca prenait un coupable et c’était moi. N’oubliez jamais que les vrais coupables sont toujoursen haut de l’échelle et ne se font jamais prendre. C’est toujours les autres qui sont sacrifiés. Lesgens protègent leur cul et n’hésitent pas à vous liquider lorsque la situation se morpionne15. [. . .]Dans le fond, ce que j’ai fait serait passé complètement inapercu dans presque tous les pays de laplanète. Il ne faut quand même pas jouer aux vierges offensées. Pratiquement tout le monde dansle business fait ce que j’ai fait, surtout au sommet de la pyramide. Là, laissez-moi vous dire quece sont les ligues majeures. Il y a de grosses affaires qui se brassent en haut. Et les big shots16,eux, ne se font jamais écœurés par le système. [. . .] On a fait une grosse tempête dans un verred’eau avec mon cas. C’est normal, j’étais dans le milieu de l’échelle. La morale de l’histoire estde toujours se placer au-dessus de tout le monde. Comme ca, tu ne te fais pas écœuré. [. . .] Moi,j’ai compris. J’ai suffisamment payé. Eux aussi doivent payer. [. . .] Leur tour viendra bien assezvite. Vous savez, la justice, c’est une roue qui tourne. [. . .] J’ai bien l’intention de me refaire,comme au poker. Il peut arriver de tomber sur de mauvaises cartes mais un grand joueur se refaittoujours. Moi, je sais comment gagner. Ils n’ont encore rien vu. Je refais mes forces présentementcar je peux vous dire que j’ai traversé une épreuve que très peu de personnes aurait été capablesde traverser. [. . .] J’ai toujours su rebondir dans la vie et ce n’est pas vrai qu’ils m’ont eu. J’aibien l’intention de revenir plus fort qu’avant. Ce sera le retour du Jedi17 ».

Les entretiens réalisés auprès d’Alpha et d’Oméga fournissent la possibilité de corroborer laprésence chez Monsieur K. d’une inclination à la vengeance. Relativement à une telle propension,les extraits suivants se révèlent éclairants.

Alpha : « Mon frère est un gambler18. Tout un malade de cartes. Il joue très gros. Il aimejouer et surtout gagner. Le problème, c’est qu’il a surtout perdu. De grosses sommes d’argent,croyez-moi. [. . .] Depuis qu’il est petit, il a toujours utilisé la même expression : « je vais mettreles pendules à l’heure ». Je lui ai déjà demandé ce que cela voulait dire. Il m’a répondu : « ca veutdire qu’il y a prix à payer si tu veux m’écœurer et que c’est moi qui le fixe. » [. . .] Rancuniercomme un vieil ours blessé. Oh oui ! Il a l’épiderme sensible et la vengeance facile. [. . .] Monfrère est incapable de passer l’éponge. Si tu as le malheur de lui écraser le petit orteil, tu va lesavoir toute ta vie ».

Oméga : « Je ne sais pas d’où provient cette obligation de flasher19. Pourtant, on a tous étéélevés de la même facon par nos parents mais lui, il devait absolument en mettre plein la vueaux gens. Il avait constamment besoin d’impressionner ; de se montrer plus fort que les autres :surtout plus fort que mon père. [. . .] Ca toujours été le feu et l’eau, lui et mon père. On a eu droità la maison à des disputes mémorables. C’était vraiment la guerre entre les deux. [. . .] Pourtant,il me semble que papa ne l’a jamais traité injustement. Bien au contraire, il cédait à tous sescaprices. [. . .] Vous n’avez pas idée de l’argent que mon père lui a passé ; en fait, donné car on

14 Anglicisme désignant, selon Le Nouveau Petit Robert (2008), « Homme qui ne doit sa réussite matérielle et socialequ’à lui-même ».15 Barbarisme signifiant « se détériorer ; se gâter ».16 Termes anglais signifiant « huile ; grosse légume ; gros bonnet ».17 Personnage – moine-chevalier – de la saga « La guerre des étoiles » du réalisateur américain George Lucas.18 Terme anglais signifiant « joueur s’adonnant compulsivement aux jeux d’argent ».19 Emprunt de l’anglais « to flash » qui veut dire, dans le présent contexte, « s’exhiber ».

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n’en reverra jamais la couleur, croyez-moi. Même pas un soupcon de reconnaissance de sa part.[. . .] Lorsqu’on était adolescent, il a passait son temps à mépriser l’entreprise familiale. Il disaitque lui, il ne passerait pas sa vie dans une binerie20. [. . .] Mon frère m’avait déjà dit à l’époquequ’il dépasserait, un jour ou l’autre, papa en succès ; que ce n’était qu’une question de temps avantqu’il ne prenne sa revanche. C’est comme s’il s’était senti persécuté par papa et qu’il se devait deredresser les torts qu’il lui avait faits. [. . .] Je pense que mon frère a toujours été en compétitionavec mon père. Je pense qu’il avait besoin de montrer à tout le monde qu’il était plus fort que lui.Je ne sais pas d’où cela provient, cette maudite tendance à vouloir impressionner tout le mondeet à se montrer plus fort que notre père ».

5. Discussion

Les extraits du verbatim des entretiens réalisés avec les trois personnes participant à l’étuderévèlent la présence chez Monsieur K. d’intéressantes analogies idiosyncrasiques avec la person-nalité narcissique de type grandiose, à savoir le type de narcissisme pathologique décrit dans leManuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV, 1996). Selon ce guide noso-logique, la formulation du diagnostique de la personnalité narcissique exige minimalement laprésence chez l’individu examiné de cinq des neuf manifestations symptomatiques suivantes :

• un sens grandiose de sa personne (surestimation de ses réalisations, de ses capacités et de sarenommée même en l’absence d’accomplissements) ;

• une fantasmatisation récurrente portant sur les thématiques de succès illimités, de pouvoir, desplendeur, de beauté ou d’amour idéal ;

• une conviction d’être spécial et unique et, conséquemment, de ne pouvoir être véritablementcompris et apprécié que par des gens et des institutions de haut calibre ;

• un besoin excessif d’être admiré ;• une certitude de mériter un traitement particulier permettant la satisfaction immédiate de ses

désirs ;• une inclination à l’exploitation des autres à des fins toutes personnelles ;• un manque d’empathie envers les autres (insensibilité aux sentiments et aux besoins des autres) ;• une profonde envie envers autrui accompagnée du sentiment d’être soi-même l’objet de l’envie

des autres ;• une arrogance et une condescendance dans ses relations interpersonnelles.

Or certains passages des propos tenus par les trois participants à l’étude nous laissent sérieu-sement croire en la présence chez Monsieur K. de trois – critères diagnostiques no 1, 2 et 7 – desmanifestations symptomatiques ci-haut présentées. Effectivement, plusieurs extraits du discourstenu par ces trois personnes, ayant trait à la conception que se fait de lui-même Monsieur K.,présentent des relations d’appartenance aux critères no 1 (sens grandiose de sa personne) et 2(fantasmatisation récurrente portant sur les thématiques de succès illimité, de pouvoir, de splen-deur, de beauté ou d’amour idéal). Par exemple, les propos suivants de Monsieur K. présentésentre parenthèses (« J’ai toujours été un numéro un. Il m’est même arrivé de gagner sans le vou-loir. C’est naturel chez moi. Je suis un winner [. . .] ») et (« Partout, mais vraiment partout où

20 Barbarisme dérivé du mot anglais « bean » et désignant un endroit quelconque (un casse-croute où l’on mijote et sertdes fèves au lard).

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je suis passé, j’ai connu du succès. En fait, tout ce que j’ai touché s’est transformé en or ») fontrespectivement référence à ces deux premiers critères. De plus, les propos d’Alpha (« À l’entendreparler, c’est lui qui aurait créé l’univers. [. . .] Il a toujours eu ce besoin, que je dirais maladif, de sevanter ; d’être mieux que tout le monde. [. . .] Il m’avait déjà dit que lorsque les gens découvrirontvraiment son immense talent, ils comprendront enfin qui il est ») et d’Oméga (« On avait droit àsa séance de « je, me, moi » et lorsqu’il avait terminé de parler de lui, il s’en allait. [. . .] Il prenaitle centre de la place en arrivant et lorsqu’il avait fini de chanter ses louanges, il s’en allait toutsimplement ») semblent fortement confirmer la présence chez Monsieur K. d’une infatuation, àsavoir la synthèse entre autres des critères diagnostiques no 1 et 2.

Enfin, eu égard à la thématique de la conception que Monsieur K. se fait des autres, bonnombreux d’extraits tirés des entretiens avec les trois participants nous permettent de circonscrirela présence chez ce dernier des manifestations symptomatiques propres au critère no 7 (manqued’empathie envers les autres). À titre exemplatif, alors que Monsieur K. formule les remarquessuivantes citées entre parenthèses (« Nous sommes littéralement entourés de crétins. C’est foule nombre d’idiots qu’on peut rencontrer dans une journée. Peu importe où tu te trouves, il y atoujours un tonton qui est là pour te faire chier »), Alpha et Oméga corroborent la présence chezleur frère d’un manque flagrant d’empathie pour autrui. En effet, leurs commentaires respectifssuivants s’avèrent, à ce sujet, révélateurs : Alpha : (« Mon frère n’a jamais eu d’amis. En fait, il nepeut pas en avoir. Connaissez-vous quelqu’un qui passe son temps à bitcher tout le monde et quiparvient en même temps à se faire des amis ? ») ; et Oméga : (« Un jour, je me souviens, j’ai tentéde lui dire quelque chose de vraiment important pour moi. On m’avait diagnostiqué un cancer dela prostate et je devais débuter sous peu mes traitements de chimiothérapie. Je n’avais même pasterminé de lui faire part de mon état de santé qu’il me demandait si je pouvais lui avancer encorede l’argent pour finir le mois ! »).

Par ailleurs, même s’il ne fut pas possible de valider entièrement par triangulation – convergencesubstantielle du sens des évaluations subjectives des trois participants à l’étude – la présence chezMonsieur K. d’autres manifestations symptomatiques composant les autres critères diagnostiquesde la personnalité narcissique présentés au DSM-IV, l’examen du contenu du verbatim des diffé-rents entretiens permet de déceler la présence des manifestations symptomatiques suivantes : uneconviction d’être spécial et unique (critère no 3) ; un besoin excessif d’être admiré (critère no 4) ;une inclination à l’exploitation des autres (critère no 6) ; un profond sentiment d’être victime del’envie des autres (critère no 8) ; et une arrogance et une condescendance envers les autres (critèreno 9). Afin d’expliciter notre constatation dans une perspective synthétique, certaines des donnéesempiriques particulièrement saillantes sont présentées au tableau synoptique 1 (Tableau 1).

De plus, bien qu’elle ne soit pas répertoriée dans le DSM-IV, une autre manifestationsymptomatique propre à la personnalité narcissique est également présente chez Monsieur K.Effectivement, la comparaison des discours tenus par les trois participants à l’étude nous permetde dégager la présence chez Monsieur K. d’un désir de vengeance et de réparation, par ailleurs,mis en lumière par les travaux de Brown (2004), Eaton et al. (2006), Exline et al. (2004) et Strelan(2007). Tant certains extraits des propos de Monsieur K. (« Eux aussi doivent payer. [. . .] Leurtour viendra bien assez vite. [. . .] J’ai bien l’intention de me refaire, comme au poker ») queceux d’Alpha (« Rancunier comme un vieil ours blessé. Oh oui ! Il a l’épiderme sensible et lavengeance facile ») et d’Oméga (« C’est comme s’il s’était senti persécuté par papa et qu’il sedevait de redresser les torts qu’il lui avait faits. ») permettent de repérer une telle propension à lavengeance.

Les attitudes vindicatives décelées chez la personnalité narcissique pourraient, selon Ketsde Vries (2002), puiser leurs origines d’un affligeant sentiment d’humiliation introjecté lors

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Tableau 1Confirmation non-triangulée de la présence chez Monsieur K. de certaines manifestations symptomatiques de la personnalité narcissique.

Manifestations symptomatiques afférentesaux critères diagnostiques du DSM-IV

Extraits significatifs des entretiens semi-dirigés

Monsieur K. Alpha Oméga

Critère 3 : conviction d’être spécial etunique

« Je peux dire aujourd’hui que c’est montalent qui m’a causé le plus de tort. En fait,si j’avais été comme tout le monde, jen’aurai pas eu tant de troubles dans la vie.[. . .] Je suis aujourd’hui convaincu qu’ilest impossible pour quelqu’un comme moide se réaliser dans ce pays de merdre »

Critère 4 : besoin excessif d’être admiré « Je ne sais pas d’où provient cetteobligation de flasher. [. . .] Mais, lui, ildevait absolument en mettre plein la vueaux gens. Il avait constamment besoind’impressionner [. . .] »

Critère 6 : inclination à l’exploitation desautres

« C’était standard chez lui de flusher lesgens après les avoir utilisés. [. . .] Lorsquej’ai refusé un jour de lui prêter encore del’argent, il faut dire qu’il me devait déjàplus de $100 000, j’ai eu droit à toutes lesinsultes possibles. Pourtant, la veille,j’étais selon ses dires la plus merveilleusesœur du monde »

Critère 8 : profond sentiment d’êtrevictime de l’envie des autres

« Mon pauvre monsieur, la jalousie desgens. Toute ma vie, j’ai été victime de lajalousie de mon entourage. J’ai eu lemalheur de trop bien réussir. [. . .] Messuccès lui faisaient peur. [. . .] Il m’avaitenlevé tous les dossiers importants pourles refiler à ses brown-noses »

Critère 9 : arrogance et condescendanceenvers les autres

« Il nous disait de faire des choses qu’iln’était même pas capable de fairelui-même. [. . .] Si encore, il avait été à lahauteur, le pauvre. [. . .] Je ne veux pas êtreméchant mais avouez que n’importe qui enaurait fait autant »

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de l’enfance. Profondément convaincu – à tort ou à raison – d’avoir été humilié par une figured’autorité significative, l’enfant s’investira résolument dans une construction compensatoire desa réalité psychique afin que justice lui soit rendue. Nommée « complexe de Monte-Cristo » enréférence à la résurgence vengeresse du héros du célèbre roman d’Alexandre Dumas, pareillerecherche exacerbée de réparation pour dommages moraux semble manifestement présente chezMonsieur K. En effet, les rapports qu’entretient Monsieur K. avec son père se révèlent foncière-ment imprégnés d’un esprit revanchard l’invitant à prendre la place qui lui revenait de plein droit.D’ailleurs à ce sujet, certains extraits provenant des entretiens réalisés avec Monsieur K. (« Moi,contrairement à mon père, je me suis fabriqué tout seul et je l’ai dépassé. [. . .] Je suis ce que l’onappelle un self-made-man. Du talent et de la détermination : voilà tout ce que j’ai eu besoin pourréussir. Mon père l’a eu facile, moi j’ai dû me battre pour gagner et j’ai gagné ») et Oméga (« Monfrère m’avait déjà dit à l’époque qu’il dépasserait, un jour ou l’autre, papa en succès ; que cen’était qu’une question de temps avant qu’il ne prenne sa revanche ») se révèlent fort instructifs.

Il importe, par ailleurs, de préciser que la construction psychique compensatoire à la basede la notion du « complexe de Monte-Cristo » trahit possiblement la présence chez Monsieur K.d’un profond sentiment d’infériorité laborieusement maquillé en sentiment de supériorité. Pareilmaquillage de la réalité psychique constitue la stratégie défensive centrale inconsciemment miseen œuvre par la personnalité narcissique, qu’elle soit de type grandiose ou vulnérable (Cottraux,2001 ; Johnson, 1994). Équipés d’un moi puéril au chapitre de la maturité psychodéveloppe-mentale (Ronningstam, 2009), la personnalité narcissique s’efforce désespérément de compenserson affligeant sentiment d’infériorité par un lénifiant sentiment de supériorité en recourant àl’activation de mécanismes de défense archaïques (Robinson, 1999) dont, dans le cas présent, ladévalorisation et la projection. Par la dévalorisation d’autrui (« Nous sommes littéralement entou-rés de crétins. »), Monsieur K. consacre concomitamment sa sécurisante magnificence (« J’aitoujours été un numéro un »). De plus, le recours à la projection (« Moi, je suis quelqu’un detout ce qu’il y a de plus normal. Un gars bien ordinaire comme dirait la chanson. Oui, dans lefond, je suis quelqu’un de pas compliqué du tout. J’ai toujours fait mes choses sans embêterpersonne. Tout ce que je veux, c’est qu’on me fiche la paix. [. . .] Moi, ma devise dans la vieest « vivre et laisser-vivre ». Le problème, c’est que les gens ne me laissent pas vivre ma vie enpaix ») permet à Monsieur K. de se débarrasser d’intentions et de sentiments inavouables en lesimputant aux autres. La littérature scientifique nous informe en outre que les défenses narcis-siques sont fortement imprégnées d’idéation paranoïde (Kantrowitz, 2008). Convaincue que leuressence exceptionnelle soit constamment l’objet de l’envie pernicieuse des autres, la personnaliténarcissique demeure toujours sur ses gardes. Il importe pour elle de ne jamais afficher en publicdes signes de défaillance invitant par le fait même les arrivistes, évoluant dans son environnementimmédiat, à fomenter une conspiration contre elle (Debray et Nollet, 2009). Plusieurs passagesdes entretiens réalisés avec Monsieur K. font référence à la manifestation d’idéation paranoïdeen l’occurrence d’origine narcissique. À titre d’exemple, mentionnons les extraits suivants : « Lesgens sont ingrats et opportunistes. En plus, ils sont jaloux de toi. Ils sont incapables d’accepter quetu aies du succès dans la vie. S’ils peuvent te faire du mal pour t’enlever ton succès, ils le feront » ;« Ils ont dû s’y mettre à plusieurs pour m’abattre. [. . .] Ca a été un règlement de compte » ; et « Jen’ai jamais eu droit à une défense pleine et entière ».

Viennent se greffer à l’idéation paranoïde de la personnalité narcissique, des prédispositions àl’immoralité (Glad, 2002 ; Rosenthal et Pittinsky, 2006) et aux jeux d’argent (Lakey et al., 2008).Or ces deux attributs semblent nettement présents chez Monsieur K. En effet, relativement à lanotion d’immoralité, Monsieur K. nous révèle son laxisme moral en déclarant que « [. . .] ce quej’ai fait serait passé complètement inapercu dans presque tous les pays de la planète. Il ne faut

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quand même pas jouer aux vierges offensées. Pratiquement tout le monde dans le business fait ceque j’ai fait [. . .] ». Quant à son inclination aux jeux d’argent, celle-ci nous est entre autres dévoiléepar Alpha dans le passage suivant : « Mon frère est un gambler. Tout un malade de cartes. Il jouetrès gros. Il aime jouer et surtout gagner. Le problème, c’est qu’il a surtout perdu. De grossessommes d’argent, croyez-moi ». En fait, la personnalité narcissique se révèle bien souvent ungros joueur car elle estime qu’aucun système ne peut rivaliser avec son immense talent (Debrayet Nollet, 2009 ; Kay, 2008). Elle est résolument convaincue qu’elle triomphera tôt au tard et ce,nonobstant l’adversaire lui faisant face (King, 2007).

Finalement, certaines études empiriques corrélationnelles confirment l’existence d’une rela-tion positive significative entre la personnalité narcissique et la propension actualisée ou non àla déviance au travail. C’est ainsi que Blickle et al. (2006) ont décelé chez des cadres supérieursreconnus coupables de crime économique la présence d’un fort hédonisme (recherche du plaisiret valorisation de la jouissance des biens matériels) et d’un narcissisme élevé (sens grandiose deson importance, besoin d’admiration et manque d’empathie). S’inscrivant dans la même perspec-tive heuristique idiosyncrasique, Ouimet (2009) établit l’existence d’une contestation morbidede l’autorité chez quatre types de personnalité pathologique, dont la personnalité narcissique.S’estimant au-dessus de l’autorité, cette dernière affiche une nette inclination à faire fi des inter-dits régissant ses conduites en société. Sans brosser l’anamnèse exhaustive des comportementstransgressifs de Monsieur K., il est possible d’isoler, au sein de certains passages des différentsentretiens réalisés, la présence récurrente chez celui-ci d’une contestation d’au moins cinq figuresd’autorité. En effet, selon Alpha, Monsieur K. contestait dès son enfance l’autorité didactiquede son institutrice (« Même au primaire, il n’étudiait presque pas et ses devoirs étaient toujoursbâclés. Il disait à ma mère qu’il en savait plus que l’institutrice et qu’il n’apprenait rien à l’école »)Toujours en relation avec son enfance, Monsieur K. lui-même nous fait part de sa contestationd’une autre figure d’autorité : son père. Il s’exprime à ce sujet dans les termes suivants : « Quandj’étais petit, c’était mon père qui passait son temps à nous faire la lecon. Il faut faire comme ceci,il faut faire comme cela et patati et patata. Il nous disait de faire des choses qu’il n’était mêmepas capable de faire lui-même. Si vous saviez à quel point il aimait nous faire des sermons. Siencore, il avait été à la hauteur, le pauvre. [. . .] C’était quelqu’un qui aimait nous écraser. Et moi,contrairement aux autres, je ne me suis pas laissé écraser par lui ».

Cette tendance contestataire est également présente à l’âge adulte chez Monsieur K. Elles’exprime maintenant à l’endroit de trois autres figures d’autorité : la direction de l’entrepriseflouée par les actes délictueux de Monsieur K., le juge et l’avocat de Monsieur K. C’est ainsi queles propos de Monsieur K. prononcés envers les membres de la direction de l’entreprise remettenttotalement en question leur autorité morale. Les extraits suivants sont, à ce sujet, fort révélateurs :« N’oubliez jamais que les vrais coupables sont toujours en haut de l’échelle et ne se font jamaisprendre. C’est toujours les autres qui sont sacrifiés. Les gens protègent leur cul et n’hésitent pasà vous liquider lorsque la situation se morpionne21. [. . .] Pratiquement tout le monde dans lebusiness fait ce que j’ai fait, surtout au sommet de la pyramide. Là, laissez-moi vous dire quece sont les ligues majeures. Il y a de grosses affaires qui se brassent en haut. Et les big shots22,eux, ne se font jamais écœurés par le système ». Par ailleurs, alors que certaines révélations deMonsieur K. critiquent vertement l’autorité déontologique du juge (« Et le juge qui dormait. . .le câlice ! [. . .] Le juge avait déjà son idée de faite. Ca prenait un coupable et c’était moi »),

21 Barbarisme signifiant « se détériorer ; se gâter ».22 Termes anglais signifiant « huile ; grosse légume ; gros bonnet ».

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d’autres, concernant son avocat, se révèlent particulièrement sévères relativement à son autoritéprofessionnelle (« Mon avocat ! Nul, nul, nul sur toute la ligne. Un incompétent et un voleur enplus. S’il pense que je vais le payer pour ses services de merde. Il n’a même pas été capablede faire casser les chefs d’accusation. Toutes les charges, je dis bien toutes, retenues contre moiétaient sans fondements »).

En somme, bon nombre de composantes idiosyncrasiques de la personnalité narcissique men-tionnées précédemment, à savoir :

• le sens grandiose de sa personne ;• la fantasmatisation relative à la jouissance de succès illimités, de pouvoir et de splendeur ;• l’inclination à l’exploitation des autres ;• la prédisposition à l’immoralité ;• le désir de vengeance et de réparation ;• la contestation systématique de l’autorité,

invitent fortement celle-ci à concrétiser pleinement et ce, nonobstant les prescriptions légales envigueur, sa profonde conviction d’omnipotence là où il convient naturellement pour elle d’évoluer :au sommet des structures hiérarchiques.

Force est d’admettre que la recherche débridée de l’actualisation de sa magnificence par lajouissance entre autres d’un statut professionnel élevé, favorisant, par ailleurs, l’accès aux prélè-vements illicites d’importantes ressources financières de l’organisation, prédispose sérieusementla personnalité narcissique au crime en col blanc, notamment d’envergure. Aussi, n’est-il pasconséquent de constater l’habituelle ampleur financière des crimes en col blanc. Dans le cas pré-sent, il importe de rappeler que la fraude commise par Monsieur K. est de plusieurs millions dedollars.

6. Conclusion

Certes exploratoire, la présente étude de cas pave néanmoins la voie à l’approfondissementde futures réflexions ayant trait à l’existence d’un état dispositionnel de préparation au crimeen col blanc. Qui plus est, cette étude de cas propose certaines hypothèses étiopathogéniquessusceptibles de peaufiner notre compréhension d’une telle déviance au travail. En effet, plu-tôt que d’appréhender cette forme de déviance uniquement dans une perspective explicativeconjoncturelle, par exemple, une réaction répréhensible d’un cadre supérieur suite à la perceptiond’un bris du contrat psychologique le liant à l’entreprise, il peut se révéler fort utile de saisircette dernière dans une perspective explicative structurelle, à savoir l’existence d’une prédisposi-tion idiosyncrasique à l’assujettissement des codes moraux de conduite à ses propres impératifsexistentiels.

Encore que l’accessibilité des criminels en col blanc s’avère, la plupart du temps, ardue à obtenir– présence de multiples contrôles restrictifs propres au milieu carcéral ou absence d’indicationspermettant la localisation des ex-détenus dans la population –, l’exploration des origines possiblesdu crime en col blanc n’en demeure pas moins une problématique de recherche foncièrementféconde. Aussi, la réalisation d’autres études de cas auprès de criminels en col blanc permettraitde sonder la solidité de l’hypothèse du narcissisme revanchard et, le cas échéant, d’examiner lateneur de la dynamique familiale lors de l’enfance de ceux-ci afin d’en extraire les différentesformes possibles d’expérience subjective d’humiliation.

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Annexe 1. Grilles des entretiens semi-dirigés initialement concus et réalisés avec lestrois participants à l’étude.

Thématiques explorées Questions posées lors de la premièrerencontre (91 minutes) avec Monsieur K.

Questions posées lors de la seconderencontre (66 minutes) avec Monsieur K.

Conception de lui-mêmeélaborée par Monsieur K.

Comment vous percevez-vous ?Quelles sont vos forces ?Quelles sont vos faiblesses ?

Décrivez-moi vos réalisations ?Décrivez-moi vos échecs ?

Conception des autresélaborée par Monsieur K.

Comment percevez-vous les autres ?Parlez-moi des gens de votre entourage ?Parlez-moi de votre enfance ?Décrivez-moi votre relation avec votrepère ?Décrivez-moi votre relation avec votremère ?Décrivez-moi votre relation avec vos sœurset frères ?

Parlez-moi de votre vie conjugale ?Décrivez-moi votre relation avec votreou vos conjointe(s) ?Avez-vous des enfants ? Si oui,décrivez-moi votre relation avecceux-ci ?Parlez-moi de vos amis ?Parlez-moi de vos relations au travail ?

Conception de la vieélaborée par Monsieur K.

Quelle est votre conception de la vie ?Que valorisez-vous dans la vie ?Qu’est-ce qui vous a amené en prison ?Décrivez-moi votre expérience en prison ?Quelle est votre conception de la vie suite àvotre séjour en prison ?

Quelle est votre conception du travail ?Quelles lecons tirées de votre expérienced’emprisonnement ?Quels sont vos plans d’avenir ?

Thématiques explorées Procédé de triangulation des sources

Questions posées lors de la rencontre(54 minutes) avec Alpha

Questions posées lors de la rencontre(72 minutes) avec Oméga

Conception de lui-mêmeélaborée par Monsieur K.

Comment votre frère se percoit-il ?Quelles sont les forces de votre frère ?Quelles sont les faiblesses de votre frère ?

Comment votre frère se percoit-il ?Quelles sont les forces de votre frère ?Quelles sont les faiblesses de votre frère ?

Conception des autresélaborée par Monsieur K.

Comment votre frère percoit-il les autres ?Décrivez-moi la dynamique familialedepuis son enfance ?Décrivez-moi de votre relation avec lui ?Parlez-moi de sa vie conjugale ?Parlez-moi de ses amis ?Parlez-moi de sa vie professionnelle ?

Comment votre frère percoit-il lesautres ?Décrivez-moi la dynamique familialedepuis son enfance ?Décrivez-moi de votre relation avec lui ?Parlez-moi de sa vie conjugale ?Parlez-moi de ses amis ?Parlez-moi de sa vie professionnelle ?

Conception de la vieélaborée par Monsieur K.

Décrivez-moi son expérience en prison ?Quelle est la philosophie de vie de votrefrère ?Que valorise-t-il dans la vie ?

Décrivez-moi son expérience en prison ?Quelle est la philosophie de vie de votrefrère ?Que valorise-t-il dans la vie ?

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