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claude pérès

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la Commune de Paris, récit et notes(c)claude pérèshttp://film-commune.fr/

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  • claude prs

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  • 3

    claude prs, 2015

  • 4

  • 5

    1. Proclamation de la Commune, premire partie.

    Cest un mouvement inou de corps qui accourent, se pressent,

    se serrent, se foulent ; les mains qui agrippent les tissus,

    bousculent les muscles ; les souffles qui se mlent et qui collent

    les peaux, les cheveux Et ce bruit sourd et enttant : une rumeur

    qui a lair dtre faite pour ne jamais finir.

    Deux cent mille misrables qui descendent par toutes les

    rues sur la place de Grve, comme les affluents dun fleuve

    gigantesque 1, qui dborde et lche les pavs, les murs, lhorizon.

    Je veux dire : on ne sait plus reconnatre ici lHtel de Ville, l la

    rue de Rivoli, les quais, les rues du Temple, des Deux-Portes-

    Saint-Jean2, ou celle qui sappelait encore il y a trois ans peine

    du Regnard qui pche Immeubles, fentres, toits, rues, jusquau

    boulevard Sbastopol, plus loin encore, sont engloutis, immergs.

    Ne restent que regards vifs et brillants, bouches qui dvorent les

    visages Des clats, dans les yeux, dans les rires.

    1 Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 141. 2 Devenue rue des Archives.

  • 6

    Nous sommes le mardi 28 mars 1871. A ce moment-l, on ne sait

    plus dire la date, le jour, lheure Ca na aucune importance. Il ny

    a pas de lendemain de toute faon. Il y a maintenant et

    maintenant, cest forcment pour toujours. Cest plus tard, dans

    un mois, dans un an, que cette date, le 28 mars 1872, 1881,

    1971 viendra faire se soulever encore un flot, cette fois de

    souvenirs. La Commune est proclame. Et dans une journe de

    fte rvolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, divresse

    et de solennit, de grandeur et dallgresse 3.

    Des visages se dtachent. On observe. On ne sait pas ce quils

    font l. On ne sait pas ce qui fait que, dans les rares moments

    importants de lHistoire, les gens sattirent et se coagulent, se

    regardent, se touchent, rient ou pleurent, cest pareil, etc. Ils

    viennent comme chaque fois quil se passe quelque chose, pour

    que ce quelque chose passe aussi par leurs corps et leur donne

    limpression de vivre un peu, oui. Ils viendraient pour une

    excution publique, pour le couronnement dun roi, pour nimporte

    quoi. Oui. Mais cette fois, on ne les voit pas ricaner, regarder de

    loin, commenter. Parce que cette fois, cest deux dont il sagit : le

    Peuple, la Commune, lAvenir.

    3 In Le Cri du Peuple, 30 Mars 1871.

  • 7

    On pourrait leur demander ces gens, distraits derrire leurs

    immenses sourires : Quest-ce que cest la Commune ? Certains

    se feraient timides ou ne trouveraient pas les mots. Quelquun

    dirait, avec lassurance de quelque chose quon se rpte souvent

    pour se donner du courage : le droit pour le peuple de Paris dlire

    son conseil municipal, droit quon lui refuse depuis toujours

    Quelquun ajouterait : une rfrence la Commune

    insurrectionnelle de Paris de 1792, ce moment o le Peuple rsiste

    la bourgeoisie qui accapare la rvolution de 1789. Et puis

    quelquun viendrait dire : non, cest un projet anarchiste, une

    fdration de communes lies par la rciprocit, des lus avec un

    mandant impratif et rvocable Il naurait pas le temps de finir. Il

    serait pouss par la foule. Forcment, on entendrait dire : cest

    nous. La Commune, cest nous. Cest tout.

    Dans le journal de centre gauche Le Rappel, on crit, quelques

    temps avant, en esprant ces lections, que La Commune de

    Paris qui sortirait de ces lections unanimes serait bien plus quun

    conseil municipal, ce serait un conseil national. Une ville

    investie, surtout quand cette ville sappelle Paris, peut se dire une

    nation. 4 . Dans le journal de centre droit Le Sicle, on dcrit un

    modle national dont on savoure les garanties rpublicaines quil

    assurerait : la France, compose dun assemblage de

    4 Paul Meurice in Le Rappel, n508, dat du 2 Novembre 1870.

  • 8

    rpubliques runies et regroupes entre elles par la force du lien

    national et au moyen dun grand contrat dalliance, ne pouvait plus

    tre videmment quune vaste rpublique, accessible tous les

    progrs et toutes les expansions de lesprit moderne 5 .

    Tandis que, plus tard, le journal, pourtant communeux, le fils du

    Pre Duchne, reprochera la Commune cette confusion entre le

    national et le municipal : Commune de Paris, telle que tu es,

    nous ne tapprouvons pas : Parce que tu as dpass ton mandat ;

    Parce que tu avais t place l pour administrer Paris et non pas

    pour lancer des dcrets qui pouvaient ntre apprcis par le

    restant de la France ; Parce que nous voulions en toi nos

    franchises municipales, et que tu tes rige en gouvernement. 6.

    Alors, une ville ? une nation ? un peuple ?

    Quest-ce que cest la Commune ? On insiste. Et si ceux qui

    sont l, dgorgs des immeubles et des rues ne sont pas srs,

    ceux lus nont pas lair de savoir se mettre daccord. Il se trouve

    que la politique est mue par cette croyance ahurie et ftichiste en

    la parole, la parole qui cre le monde, lors mme quelle ne sait

    pas de quoi elle parle Je veux dire : lacte politique nest jamais

    quune parole et pour que cette parole se fasse acte politique, il

    faut quelle soit malentendue. Regardez cette runion contrarie

    de jacobins romantiques et danarchistes cest dire de 5 Le Sicle, dat du 27 mars 1871. 6 In Le fils du Pre Duchne illustr, N5, 17 Floral an 79, p.5.

  • 9

    dmocrates radicaux pour qui ce mot Commune vient

    sinscrire en un point de prolifration de leurs discours qui nest

    pas fait pour concider. Pour certains, aprs lmancipation de

    la bourgeoisie , il y a plus de trois quarts de sicles , en 1789

    donc, cest le tour de lmancipation du proltariat 7 qui arrive.

    Ce nest pas tant quils sattachent critiquer ou subvertir les

    modalits du pouvoir, mais plutt songent quil suffit de changer

    les hommes qui le dtiennent Quand dautres nont pour cible

    que ces modalits, entrent en guerre contre les vieilles

    conceptions de lEtat unitaire, centralisateur, despotique et

    rflchissent un principe de lautonomie des groupes librement

    fdrs et du gouvernement le plus direct possible du peuple par

    le peuple. 8. Mais on natteint jamais quelque chose comme un

    point o on sy retrouverait tout fait et ce ne sera donc pas

    fait pour nous tonner quun jacobin comme Delescluze, par

    exemple, quon attendrait dfenseur dun pouvoir centralis,

    concevait un projet dorganisation de la Nation dcentralise

    lextrme 9 [Note : confus. Trop de dtails qui font que la chose

    chappe]. Tous, en tout cas, ont un sentiment, une urgence,

    dont ils savent dire le nom sans hsiter : Rpublique.

    Dans ce bruit, dans cette rumeur on entend Avenir, Peuple,

    Nous, Rpublique. Et ce quils savent dcidment, ceulles qui sont 7 Journal Officiel de la Commune, 20 Mars, p. 45. 8 Arthur Arnould, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, p. 137. 9 Pierre Levque, La commune de 1871, Presses de lUniversit de Saint-tienne, 2004, p. 38.

  • 10

    l, ceulles qui font disparatre Paris sous leurs chants et leurs cris,

    ce quils pourraient presque toucher, cest ce souffle vif et tenace

    de la Rvolution. Une Rvolution contre la politique et les

    prrogatives gouvernementales, les privilges parlementaires,

    lgaux, financiers qu'elle institue 10 Une Rvolution

    exprimentale, positive, scientifique 11 Un moment, la seule et

    unique fois de lHistoire o, pendant deux mois, le Pouvoir sera

    tenu et serr dans les mains du Peuple.

    Les hommes agitent leurs chapeaux, les femmes leurs

    mouchoirs. Les gardes nationaux dfilent, font battre tambour et

    tirent des salves de canons depuis les quais. On chante : la

    Marseillaise, le Chant du Dpart. Mme les plus hostiles la

    Commune dcrivent un volcan de passions gnreuses 12.

    Sur la place, on a dress une estrade et pos un buste de la

    Rpublique. Lestrade est l pour ces hommes qui viennent dtre

    lus les femmes sont toujours exclues du processus lectoral. Je

    ne sais pas si on veut pouvoir mieux les voir ou si on simagine

    quils ont vocation slever ou senvoler Les 15 lus des

    quartiers bourgeois, les 1er, 2e , 9e et 16e arrondissements,

    refusent de siger. Ce sont donc les lus des quartiers ouvriers,

    10 Pierre Denis, cit par Maxime Jourdan, Le Cri du Peuple, ed. LHarmattan, p. 237. 11 Ibid., p. 117. 12 Catulle Mendes, cit par Arthur Arnould, op. cit., p. 132.

  • 11

    qui ont donne une trs large majorit aux Communeux, qui se

    prsentent au Peuple de Paris.

    Et puis le silence se fait. La rumeur stouffe peu peu. Sans

    doute entend-on Silence , plus fort ! pour ponctuer les

    discours Et le Comit remet ses Pouvoirs la Commune : La

    Commune est nomme. Ce rsultat obtenu, nous remplissons le

    dernier terme de notre mandat en nous retirant 13. On entend mal

    ce que ce membre du Comit vient de dire. Les premiers rangs se

    retournent, rptent ; certains, quelques rangs plus loin, rptent

    leur tour, propagent la parole pour les gens plus loin, etc. On croit

    comprendre : Il nest pas dexemple dans lhistoire dun

    gouvernement provisoire qui se soit plus empress de dposer

    son mandat dans les mains des lus du suffrage universel. 14

    ou quelque chose comme a

    Les mines de ces lus sont graves, inquites. Leurs visages,

    dans la profusion folle des couleurs de la foule, le rouge des

    drapeaux brandis ; les jaunes, les verts, les violets des chiffons ; le

    rose des pommettes ; et les bleus, les marrons humides des yeux,

    paraissent dsolment ples. Sils ne savent pas, sils ne peuvent

    pas savoir que dans deux mois le Gouvernement face eux

    commettra un des plus grand massacre politique de lHistoire de 13 In Enqute parlementaire, sur l'insurrection du 18 mars, TIII, p. 49. 14 In Journal officiel de la Commune, 20 Mars 1871.

  • 12

    France pour touffer cette Rvolution et volera dans cette foule

    hilare, dans ces mines manges par le rire, ces poitrines

    soulages dun poids qui semblait ne jamais vouloir svanouir,

    ces hommes et ces femmes, ces enfants, ces vieux, quelques 20

    000, 30 000 corps ; ils mesurent lexigence, le dfi froce de la

    tche. Lun des lus, Arthur Arnould, se souvient : Il fallait

    maintenant sortir de la thorie pour entrer sur le terrain des faits,

    passer de lopposition laction, appliquer ces principes si

    longtemps proclams. Ctait un monde nouveau pour nous

    tous. 15 . Dans deux mois, ce btiment devant lequel ils se

    donnent en spectacle, ce btiment dont les portes souvrent enfin

    au peuple, lHtel de Ville, ce btiment mme aura disparu sous

    les flammes de la guerre civile. Non, ils ne peuvent pas savoir. Ou

    peut-tre Ou peut-tre que, face la puissance de la

    dflagration, le nuage gris et menaant lhorizon nest rien :

    Quoi quil arrive, dussions-nous tre de nouveau vaincus et

    mourir demain, notre gnration est console ! Nous sommes

    pays de vingt ans de dfaite et dangoisses. 16.

    Et puis, tandis que les lus, des crivains, des employs, des

    opposants depuis toujours, qui ne savent rien du Pouvoir, mais qui

    y ont tant rflchi, vont dcouvrir les lieux, se choisir un bureau

    dans un Htel de Ville dsert par un Pouvoir qui a fui Paris pour 15 A. Arnould, op. cit., p. 122. 16 Jules Valls, Le Cri du Peuple, 28 Mars 1871.

  • 13

    Versailles depuis linsurrection du 18 mars, la foule se disperse

    peu peu. Certains fatiguent, dautres ont faim, et puis les pleurs

    des enfants Les rues se vident. On reconnat nouveau lHtel

    de Ville, la rue de Rivoli, la place, quon continue dappeler parfois

    de Grve, les quais, qui ont lair dtre l pour lternit. Quelques

    uns, excits par une joie quils ne savent pas reconnatre,

    laquelle ils ne peuvent pas se faire tout fait, ne parviennent pas

    se dcider partir, tardent, comme sils voulaient rester pour tre

    srs Parmi eux, quelquun se dit que la dfaite est probable

    Mais que si les hommes taient vaincus, lide pourrait triompher :

    Il sagissait daffirmer la Rvolution sociale, lavnement des

    classes dshrites, de telle sorte que ce premier jalon ne pt tre

    arrach dsormais, et que la trace de pas de gant, empreinte sur

    le sol, indiqut la voie aux gnrations venir. 17.

    17 A. Arnould, op. cit., p. 121.

  • 14

  • 15

    2. Paysage et contexte notes.

    Sans entrer dans le dtail des soulvements, des insurrections,

    des rvolutions, mais aussi des intrigues, des coups dtat, des

    rpressions qui leur ont rpondu, qui ont exerc leur pression tout

    au long du 19e sicle, dessiner linsistance convaincue, farouche

    des rpublicains et la difficult se dbarrasser de monarchistes

    qui nen finissent pas daccaparer la France

    Utiliser cette description que donne Jaurs pour introduire la

    partie quil consacre la Commune dans son Historie socialiste :

    La France sattarde dans une combinaison doligarchie

    bourgeoise qui na ni la force des grandes aristocraties

    traditionnelles, ni la force des grandes dmocraties. La

    bourgeoisie sest constitue en un troit pays lgal. Elle a exclu le

    peuple du droit et du pouvoir. Sur cette base trique elle se tient

    immobile, en un quilibre laborieux et tremblant, et elle nose plus

    risquer un geste par peur de tomber droite ou gauche. Au

  • 16

    dehors, elle na ni la sympathie des gouvernements aristocrates, ni

    la sympathie des peuples 18.

    Dcrire une France du 19e sicle hante par les convulsions

    monarchistes. Une France que sarrachent tantt la noblesse

    dAncien Rgime, les propritaires fonciers, tantt les grands

    industriels, la haute bourgeoisie qui a gagn la grande

    Rvolution : Sous les Bourbons, ctait la grande proprit

    foncire qui avait rgn, avec ses prtres et ses laquais. Sous les

    Orlans, ctaient la haute finance, la grande industrie, le grand

    commerce, cest--dire le capital, avec sa suite davocats, de

    professeurs et de beaux parleurs. , crira Marx19. Une France qui

    finit par se faire dvorer par des royalistes qui sentendent enfin,

    dgagent un intrt commun sous la Deuxime Rpublique :

    Leur domination [aux royalistes coaliss], en tant que parti de

    lordre, sur les autres classes de la socit fut plus absolue et plus

    dure quelle ne lavait t auparavant sous la Restauration ou sous

    la monarchie de Juillet, et elle ntait possible que sous la forme

    de la Rpublique parlementaire, car cest seulement sous cette

    forme que les deux grandes fractions de la bourgeoisie franaise

    pouvaient sunir et, par consquent, substituer la domination de

    leur classe celle dune fraction privilgie de cette classe. 20.

    18 Jean Jaurs, Histoire socialiste, T. XI, Paris, 1901-1908, p. 23. 19 Karl Marx, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p.16. 20 Ibid.

  • 17

    Les conditions de vie sont rudes. Et si les conservateurs savent

    dexprience la force intransigeante du peuple pour lavoir

    prouver lors de nombreuses insurrections, ils sont loin de voir

    lintrt quils pourraient trouver partager. Si certains dnoncent :

    La misre, dans Paris, est plus grande quailleurs ; la lumire et

    le soleil sy vendent plus cher si vous faisiez une enqute sur

    ces logements do sont sortis ces soldats de linsurrection, vous

    verriez que, dans certains quartiers ouvriers, ces populations

    payent plus cher que nous relativement. Quand vous allez

    acheter une maison dans un beau quartier, si elle rapporte 4 pour

    100, vous tes content ; mais une mauvaise petite baraque

    rapporte davantage, et les ouvriers payent plus relativement. 21

    Leur mise en garde ne porte pas dans une bourgeoisie qui reste

    sourde et ttue : Il faut, jen suis convaincu, que les classes

    claires conservent le gouvernement de la socit ; que ce soit

    sous le rgime censitaire, ou sous le rgime du suffrage universel,

    cest aux classes leves diriger la socit. Mais pour quelles

    aient le pouvoir, il faut quelles fassent attention aux besoins, aux

    misres, aux faiblesses de cette classe, ct de laquelle elles

    sont en minorit. 22 . [Inutile de souligner lintrt cynique de

    lembourgeoisement des misrables , la citation est

    amusante assez].

    21 Dclaration de M. Herv la commission denqute sur le 18 mars, cit par Jules Favre, Gouvernement de la Dfense nationale, T. III, p. 564. 22 Ibid., p. 235.

  • 18

    Noter cet extrait dune lettre de Flaubert Sand : La seule

    chose raisonnable (jen reviens toujours l), cest un gouvernement

    de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose

    et mme quils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un

    ternel mineur, et il sera toujours (dans la hirarchie des lments

    sociaux) au dernier rang, puisquil est le nombre, la masse,

    lillimit. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et

    ncoutent plus leur cur ; mais il importe infiniment que beaucoup

    dhommes, comme Renan ou Littr, puissent vivre et soient

    couts. Notre salut nest maintenant que dans une aristocratie

    lgitime, jentends par l une majorit qui se composera dautre

    chose que de chiffres. 23. [La citation est savoureuse, qui permet

    de pressentir un paradigme qui ne sexprimerait plus avec une

    franchise aussi nave, mais on se perd Supprimer]

    Sarrter sur la dfiance des rpublicains quant ceux quon

    appellerait des conservateurs, que dautres appellent des

    bourgeois, des ractionnaires, autre Il se trouve que les batailles

    politiques se font par camps, tas, par mcanismes de

    diffrenciations dlirants et caricaturaux, l o le mouvement

    procde forcment par voisinages, degrs, propagation Bref ces

    conservateurs sont vus comme ceux qui ont, chaque fois, par

    des tours de passe-passe le recours la rpression, trahi les

    23 G. Flaubert, lettre George Sand, 30 Avril 1871.

  • 19

    pousses de libert, dgalit, de justice du Peuple Relever un

    exemple, le plus proche, celui qui rsonne encore dans les ttes et

    qui achve de confisquer le pouvoir au Peuple sous la Deuxime

    Rpublique : Le suffrage universel stait, le 10 mars [1850],

    prononc nettement contre la domination de la bourgeoisie. Celle-

    ci rpondit en proscrivant le suffrage universel La loi du 31 mai

    raya au moins 3 millions dlecteurs des listes lectorales, rduisit

    le nombre des lecteurs 7 millions 24.

    Relever aussi, videmment, la dfiance des conservateurs

    lendroit des rpublicains, dont ils connaissent la tnacit

    exigeante. Avant mme la Commune, on isole ceux qui protestent,

    on touffe ceux qui parlent, on cassent ceux qui rsistent Pour

    exemple, sarrter sur un discours lAssemble nationale du

    Garde des Sceaux, plus dun an avant la pousse communeuse,

    o lon parle dune horde gare pour dsigner les rpublicains

    et o sy trouvent justifies les arrestations de centaines de gens et

    linterdiction de runions, car il faut isoler pour mieux la contenir

    et la vaincre cette partie, forcment minoritaire et condamne par

    le reste de la population25.

    Enfin en venir cette Troisime Rpublique qui sinstalle

    Relever la faon dont les conservateurs pensent pouvoir se servir 24 K. Marx, op. cit., p. 25. 25 Cf discours dEmile Ollivier lAssemble nationale, sance du 8 fvrier 1870.

  • 20

    de lide rpublicaine. Noter un extrait dune lettre que Thiers

    reoit dun ami : Il faut se servir de la forme rpublicaine pour

    achever de renouveler notre pays corrompu par lempire non de

    cette rpublique haineuse des sectaires, - mais du gouvernement

    de tous qui rende la France pendant un interrgne fcond et par

    un accord intelligent des partis, un peu de cette force quen six

    mois elle a si douloureusement et si hroquement dpense. []

    Un gouvernement neutre capable de museler les violents, dexiger

    des sacrifices sans soulever de trop ardentes rancunes, de porter

    sans plier les fardeaux les plus lourds, parce que tout le monde

    inclinera ses sentiments devant un drapeau qui ne sera celui de

    personne. 26.

    Noter que, plus tard, un journal bonapartiste, lOrdre de Paris,

    exprimera plus ou moins une ide similaire : Lopinion de la

    plupart des gens senss et expriments, cest que la Rpublique

    abrite sous les plis de son drapeau tant de passions et de

    systmes, quelle ne saurait marcher un mois sans ltat de sige

    dans tous les centres importants du territoire, moins de donner

    de nouveau le spectacle affligeant des grandes calamits .

    Larticle poursuit en exprimant son souhait dune Rpublique

    nominale , qui na de Rpublique que le nom donc : la

    Rpublique nominale, gouverne, heureusement, lexclusion des

    26 Lettre de Georges Picot au comte de Montalivet, in le courrier de M. Thiers, p. 426.

  • 21

    vrais rpublicains, prserve la France des flaux invitables de la

    Rpublique effective .27.

    Les rpublicains, jusquaux plus modrs, sinquitent et

    souponnent les conservateurs de vouloir perdre lide

    rpublicaine : Les ennemis de la Rpublique sont habiles et

    patients. Ils sauront attendre. Ce quils veulent de la Rpublique,

    cest quelle endosse la responsabilit de la paix quils souhaitent.

    Le calcul est simple : cest la Rpublique qui portera le poids de

    nos dsastres et de notre dchance 28. La mfiance court et

    contamine : Les Orlanistes veulent une rpublique intrimaire

    pour conclure une paix dshonorante, de sorte que la

    responsabilit nen retombe pas sur les Orlans qui seront

    restaurs dans un second temps. 29

    Sans spculer sur les intentions des uns et des autres, noter

    simplement que Thiers tout autant que lAssemble lue en fvrier

    1871 ne fermera pas la possibilit dun retour de la monarchie30.

    Cela ne prouve rien sur leur motivation, mais cela ne sera pas fait

    pour rassurer les rpublicains Les modalits du rgime

    rpublicain restent aussi ouvertes. Si on a vu que les rpublicains 27 Lordre de Paris, 5 Novembre 1873. 28 In le Rappel, 23 Fvrier 1871. 29 Lettre dEngels Marx, 7 Septembre 1870, in Marx, Engels, la Commune 1871, pp. 54-55. 30 Cf le Temps du 23 Fvrier 1871 : le passage [] qui semble laisser la question indcise entre la rpublique et la monarchie [a] t tout fait du got des dputs ruraux ou encore le Figaro du 22 Fvrier 1871 : je crois quil y aurait une prudence extrme et une droiture de conduite ncessaire laisser la France se recueillir ; laisser la paix se signer ; laisser nos blessures les plus graves se cicatriser. Aprs cela, on pourra poser au pays ces questions : monarchie ou rpublique. On peut tre tranquille, le pays rpondra : Monarchie

  • 22

    du centre droit ne sopposent pas une fdration de petites

    Rpubliques31, dautres plus droite expriment leur got pour une

    Rpublique calque sur la monarchie parlementaire de Grande

    Bretagne32

    [Notes : voquer quelques pistes de lecture que nous verrons ce

    dployer au fur et mesure. Sattarder sur cette Rpublique

    nominale. Le nom qui dsigne est une approximation de la chose

    dsigne. Regarder un systme politique sorganiser sur

    lapproximation et le malentendu.

    Reprendre quelque part ce point que Foucault pingle dans une

    de ses confrences, pour lavoir en tte : Il ny a pas de

    rationalit gouvernementale du socialisme. Le socialisme, en fait,

    et lhistoire la montr, ne peut tre mis en uvre que branch sur

    des types de gouvernementalit divers 33.

    La rpublique nominale, cest dsigner des ides approximatives

    sur lesquelles se rassemblent des malentendus. Ca fait une

    rationalit gouvernementale, mais non pas tant de compromis et

    de ngociations, que de croyances et de dceptions. Le

    rationalisme qui nomme et modlise, qui tend mettre au pas de

    la parole le monde est irrationnel et dlirant Inutile dinsister sur

    ce point. 31 Cf note 5. 32 In Le Journal des Dbats, 25 Fvrier 1871 : LAngleterre na-t-elle pas fait une monarchie qui ressemble une Rpublique ? Pourquoi ne ferait-on pas une Rpublique qui aurait les avantages dune monarchie reprsentative ? . 33 Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, p. 93.

  • 23

    Mettre en parallle la piste communeuse. La Commune est une

    rationalit socialiste, qui aura chappe Foucault. On peut

    distinguer deux mouvements : un dploiement dune dsignation

    qui se fera de plus en plus prcise, et nous verrons les limites

    organisationnelles dune telle prcision, segmentation, division ; un

    mouvement qui refuse de dsigner les choses, parce quil refuse

    les approximations]

  • 24

  • 25

    3. De la guerre de 1870 notes.

    Revenir brivement, par touches, sur la guerre franco-prussienne

    qui court du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871. On prte

    Bismarck lintention du prtexte dune guerre pour runir

    lAllemagne34, ne pas sy attarder viter les spculations sur des

    intentions Sarrter plutt sur les consquences de cette guerre

    qui accusent le clivage entre les forces, les camps politiques quon

    a esquiss prcdemment

    Noter les chiffres : On compte 265 000 soldats franais face

    prs dun million dAllemands 35 . Cette estimation prend

    curieusement lchelle basse pour le ct franais et haute pour

    celui allemand Grossirement, au dbut de la guerre on aurait

    quelque chose comme 265 000 soldats franais et 500 000 soldats

    prussiens, puis aprs la mobilisation et le rassemblement des tats

    allemands, on aurait 900 000 franais contre 1 200 000 allemands

    34 Cf par ex. Alain Favaletto, Allemagne : la rupture ?, ed. LHarmattan, 2013, p. 18. 35 Ibid., p. 19.

  • 26

    et prussiens36. Bref Noter que Les Allemands lemportaient en

    outre sur leurs adversaires par la supriorit de leur artillerie 37

    Avant de poursuivre, sattarder sur ces descriptions de Zola dans

    la Dbcle dune organisation ahurie de larme franaise : une

    attente nen plus finir, o les gnraux ne savent plus quoi faire

    pour occuper les hommes38 ; des troupes qui savancent jusqu

    lAisne pour reculer vers la valle de la Marne lapproche de

    lennemi ; des jours, des semaines attendre et tourner et

    tourner encore Et des corps puiss, affams, plus mme

    capables de se tenir debout au moment o il sagit finalement de

    se battre Il ny avait donc ni direction, ni talent militaire, ni bon

    sens ? 39 fait-il se demander un soldat qui nen peut mais de

    reculer encore Et de sinterroger : Ctait donc vrai que cette

    France, aux victoires lgendaires, et qui stait promene,

    tambours battants, au travers de lEurope, venait dtre culbute

    du premier coup par un petit peuple ddaign ? 40.

    Noter encore une phrase de ce roman pointant un soupon qui

    va venir tracasser la France : Oui, oui ! on les avait amens l

    pour les vendre, pour les livrer aux Prussiens. Dans lacharnement

    de la malchance et dans lexcs des fautes commises, il ny avait 36 Ibid. 37 Marc Debrit, La guerre de 1870, Genve, 1871, p. 74. 38 mile Zola, la Dbcle, bibliothque lectronique du Qubec, p. 82. 39 Ibid., p. 197. 40 Ibid., p. 119.

  • 27

    plus, au fond de ces cerveaux borns, que lide de la trahison qui

    pt expliquer une telle srie de dsastres 41. Ne pas se prononcer

    sur la question de savoir si ces soupons de trahison sont le fait de

    cerveaux borns ou un got que lon retrouve souvent qui veut

    quon ne sache pas sexpliquer laccident, limpuissance,

    autrement que par le complot, cest--dire que lvnement

    accidentel doit forcment tre contrl par quelquun quelque

    part, un dieu, une malice, autre. Le corps humain ne connat pas la

    passion, nen revient pas de subir ce qui se prsente lui comme

    vnements. Peu importe Toujours est-il que le soupon est

    pos

    [Note pour moi : Sur lvnement. Il y a des cours prolifrants

    deffectuations et la perception qu un moment ces cours se

    fracassent. La perception nous dit quil y a vnement, forcment,

    mais lintelligence ne se rsout pas trancher et dcouper

    arbitrairement On pourrait penser par intensits : il y a des

    protestations dont lintensit franchit le seuil de la rvolte, et

    dterminer les seuils Mais ce serait encore accommoder, tordre,

    corrompre, plier le cours prolifrant lusage de la langue et de la

    pense. Jinsiste : le point de passage nest quaffaire de

    perception et de parole. Sil ne sagissait que de praticit et de

    commodit Mais cest que le mot est vou se faire axiome et

    41 Ibid., p. 267.

  • 28

    dogme. Poser le mot, cest dj ne plus pouvoir sen dptrer. Et

    nous voici avals, ravis par un dlire de paroles qui vient poser ici

    le mot rvolte, l son diffrentiel, puis le diffrentiel du diffrentiel

    et ce qui semblait fait pour flatter notre perception en se pliant

    sa faon, dj nous bouche la vue Je veux dire : mme le corps

    rvolt, travaill par ses perceptions et ses paroles, ne saurait plus

    sy retrouver La parole ne doit pas tre faite pour dsigner mais

    pour pressentir ; on ne pose pas des certitudes, on esquisse des

    intuitions, on dgage des incertitudes inaperues Des mains

    ngatives, des mots-choses ngatifs La parole suggre quil y a

    l quelque chose quon ne sait pas, quon ne sait pas tenir dans

    ses mains]

    Poursuivre la rcolte dlments qui dessinent une impression de

    cette guerre Le 2 septembre, Napolon III capitule et est arrt

    Sedan. Le 4, des mouvements du Peuple nen plus finir, on y

    reviendra, proclament la dchance de lEmpereur et la Troisime

    Rpublique. Un gouvernement provisoire, le gouvernement de la

    dfense nationale, est nomm.

    Relever ce passage, issu dun livre disons discutable, qui rsume

    les vnements qui suivent : Trois temps, fort ingaux, vont alors

    se succder : celui de leuphorie rpublicaine qui se brisera sur la

    volont de Bismarck, celui de la guerre outrance men par

  • 29

    Gambetta dans un style plus politique que militaire, puis, devant la

    famine qui menace Paris, la signature, mais aux conditions de

    Bismarck, de larmistice 42. Mais on est loin den tre l

    Sarrter sur la perception de la chose Dabord la composition

    de ce gouvernement, les gnraux de son arme, ses

    administration, qui ne sont pas faits pour inspirer confiance aux

    rpublicains. Par exemple, la date du 28 janvier 1871, on peut lire

    dans le Rappel : Rpublique franaise. Je vois bien ce nom sur

    les murs, sur les affiches, au fronton des monuments et au dbut

    des proclamations. Mais je cherche vainement la chose. Le mot

    Rpublique est partout; les actes rpublicains ne sont nulle part.

    tant donne la situation, qu'est-ce que le gouvernement de la

    dfense a fait, que l'empire n'et pas fait comme lui ? 43

    Mais surtout les accusations de connivence ou de trahison

    enflent

    Dans son tude sur le journal communard le Cri du Peuple,

    Maxime Jourdan note : Du 22 fvrier au 12 mars, on relve 12

    occurrences du verbe vendre et 20 occurrences du verbe

    livrer 44. Une dernire bataille, le 18 janvier 1871, lance par

    Trochu, celle de Buzenval, perdue davance, les convainc quon

    mne le peuple la mort, sciemment, pour sen dbarrasser : 42 Odile Rudelle, la Rpublique absolue, publications de la Sorbonne, p. 15. 43 Henry Maret, le Rappel, dat du 28 Janvier 1871. 44 Maxime Jourdan, Le Cri du Peuple, ed. LHarmattan, p. 67.

  • 30

    Le plan de M. Trochu, crit Jean-Baptiste Clment, tait une

    srie de dsastres et de capitulations prvus et mdits par les

    hommes de lHtel de Ville, revus et corrigs par de Moltke et

    Bismarck (Le Cri du Peuple, J.-B. Clment, 5 contre 1, 5 mars

    1871). De cette assertion nat une ide-force, rpte par le journal

    comme une antienne : la France na pas t dfaite, Paris na pas

    capitul, ils ont tous deux t livrs, vendus par des hommes

    qui pouvaient vaincre mais qui ne lont point voulu. 45.

    Sur le soupon dentente avec lennemi

    Passer sur le compte-rendu des entrevue entre J. Favre et

    Bismarck, dont la publication est dirige par celui-l, qui a quelque

    chose qui tient plus dune mise en scne o il tente de se justifier

    et daccuser les autres Nations46.

    Sattarder sur laccusation qui aura t la plus fracassante, celle

    qui concerne la dfaite de Bazaine Metz. Gambetta lui mme

    parle de trahison47 Remarquer que le ressentiment de cette

    dfaite est forcment la mesure de lespoir, le dernier, qui

    seffondre On ne comprend pas quon ait perdu Metz autrement

    que par malice. Et voil quon dcouvre une note que le Marchal

    adressait au quartier gnral prussien : La question militaire est

    juge et Sa Majest le roi de Prusse ne saurait attacher un grand

    prix au strile triomphe quil obtiendrait en dissolvant la seule force 45 Ibid. 46 Cf G. dHeylli, Jules Favre et le comte de Bismarck, Entrevue de Ferrires, Paris, 1870. 47 Cf la proclamation de Tours du 30 Septembre 1870.

  • 31

    qui puisse aujourdhui matriser lanarchie dans notre malheureux

    pays. Elle rtablirait lordre et donnerait la Prusse une garantie

    des gages quelle pourrait avoir rclamer. 48. La question est

    pose : les gnraux, le gouvernement, prfrent-ils sentendre

    avec lennemi pour craser les rpublicains ?

    On stouffe. Un type effarouch, qui doit sennuyer assez

    pendant le sige pour consigner tout ce qui lui passe par la tte,

    note dans ses carnets des propos qui seraient tenus au cours

    sances de Clubs parisiens o on prononce lunanimit la

    condamnation mort par contumace contre le tratre Bazaine 49.

    Bazaine sera traduit devant le conseil de guerre Rcapituler.

    Regarder ce qui lui est reproch. Les rpublicains laccusent

    davoir livr Metz aux Prussiens par peur du Peuple. Le

    gouvernement, le corps militaire, ne comprennent pas la

    capitulation, qui parat prcoce, de Metz alors que des pourparlers

    sont en cours. Insister sur la distinction.

    Noter que la note dcouverte ne prouve pas la trahison. Bazaine a

    pu utiliser un argument quil imaginait pouvoir tre entendu par les

    Prussiens pour les convaincre dpargner ses troupes, censes

    tre mme de rtablir ou maintenir lordre. Ce qui tonne, cest la

    capitulation avant mme de stre battu tout fait et les contacts

    avec lennemi lors mme que le gouvernement ngocie de son

    ct 48 Cit par exemple par J. Jaurs in Histoire socialiste, T. XI, la Guerre Franco-allemande, p. 11. 49 Francisque Sarcey, le Sige de Paris, p. 168.

  • 32

    Dans un extrait du conseil de guerre devant lequel il est traduit,

    on peut lire le Prsident sinterroger : En somme, vous aviez les

    indications de tentatives faites sous des formes diverses de

    ngociations dont la paix aurait pu tre la consquence. Vous ne

    deviez pas ignorer que le plus sr moyen dassurer les

    ngociations tait de prolonger la rsistance et que ctait aussi le

    moyen le plus sr de les faire russir 50

    Ce prsident examine ses motivations et revient sur cette

    question dordre social. La rponse de Bazaine est piquante : P. :

    Dans la proclamation que vous avez adresse larme, je lis les

    lignes suivantes : Continuons servir la patrie avec le mme

    dvouement et la mme nergie, en dfendant son territoire contre

    ltranger, lordre social contre les mauvaises passions. Ne

    pensez-vous pas que la seule proccupation dun commandant en

    chef devait tre la dfense du territoire ? Lordre social ntait pas

    menac ce moment et il y avait 400 trangers sur le sol national.

    B. : Je considrais lordre social comme menac, par la rvolution

    seule du 4 septembre. 51. Prciser que le prsident fait rfrence

    une proclamation faite par Bazaine aprs quil a runi les

    commandants de corps le 12 septembre 1870

    Laisser le lecteur conclure. Noter simplement qu il sera

    condamn mort avec dgradation militaire pour avoir capitul en

    rase campagne, trait avec l'ennemi et rendu la place de Metz 50 In Franois-Christian Semur, lAffaire Bazaine, ed. Cheminements, p. 100. 51 Ibid., p. 97.

  • 33

    avant d'avoir puis tous les moyens de dfense dont il disposait52.

    Prciser que la peine sera commue en vingt ans de prison, avant

    quil ne parvienne svader et trouve refuge Madrid.

    Rcapituler : la paix ou lanarchie.

    Relever, dans les paramtres qui encadrent laction du

    gouvernement et des gnraux, ces proccupations : la

    ngociation de paix, la peur de linsurrection du Peuple

    Noter cette dclaration du gnral Ducrot au cours de son

    audition par une commission parlementaire : Il faut le dire : il y

    avait l deux ides qui dominaient tout. Lune, ctait lespoir de la

    paix pour beaucoup. Du moment que M. Thiers tait en

    pourparlers avec M. de Bismarck, on esprait, quen confirmant les

    pouvoirs du Gouvernement de la dfense nationale et surtout du

    gnral Trochu, qui pour beaucoup tait larbitre de la situation, on

    avait des chances dobtenir la paix ; puis la seconde ide, ctait

    lespoir que le Gouvernement puiserait dans ce vote assez

    dnergie pour dominer compltement le parti insurrectionnel. 53.

    Et plus loin, on peut voir quil mesure la mfiance que la dfaite va

    provoquer : Les gens de Belleville [] peuvent donner leur

    soulvement un prtexte auquel les uns se laisseront prendre, et

    que les autres exploiteront. Ils diront, comme ils le disent dj, que

    52 Cf par ex. Henry Willette, lvasion du marchal Bazaine de lle Sainte-Marguerite, Perrin, 1973, p. 33. 53 Enqute parlementaire sur linsurrection du 18 mars, T. III, Versailles, 1872, p. XII.

  • 34

    la paix, au prix quelle a cot, est une lchet, un crime contre la

    nation, et ils trouveront des hommes rsolus. 54.

    Remarquer que ce prix que cote cette guerre est pingl par

    Trochu, prsident du gouvernement provisoire, qui raconte dans

    ses mmoires qu ses collgues qui insistent pour parler de

    ngociations pour un armistice il dit rpondre : Oui, ce sera

    notre euphmisme gouvernemental vis- -vis des Parisiens ; mais

    soyez srs que lorsquune cit renfermant deux millions et demi

    dhabitants, qui vont notoirement mourir de faim, entre en

    ngociations pour un armistice, elle capitule, et capitule merci.

    C'est une cruelle ralit dont il faut que nous sachions envisager

    les effets. 55

    Noter pour lanecdote que dans une lettre Flaubert affirme que

    les bourgeois se rassurent de lapproche des Prussiens : Ah !

    Dieu merci, les Prussiens sont l ! est le cri universel des

    bourgeois 56.

    Se demander, sils avaient si peur dun Peuple auquel Napolon

    III avait donn des armes en lui ouvrant la garde nationale en 1868,

    pourquoi ne pas tenter de rcuprer les fusils en les rachetant

    54 Ibid., p. XXVI. 55 Gnral Trochu, uvres posthumes, Tome 1, Tours, 1896, p. 543. 56 G. Flaubert, lettre George Sand, 30 Avril 1871.

  • 35

    comme en 1789 par exemple 57 Jusquen Allemagne, on

    stonnera de limprudence58.

    Se dessine donc quelque chose qui oppose la dfiance des

    rpublicains quant la trahison suppose du gouvernement et de

    son arme et la peur des conservateurs lendroit des rpublicains

    qui perdent patience et nourrit les soupons de ceux-ci en

    rduisant les marges de manuvres de ceux-l face aux

    prussiens [reprendre cette phrase dont la construction est

    bizarre].

    57 cf la confrence dHenri Guillemin sur Robespierre du 12 fvrier 1970. 58 Aprs la fin du sige, la premire prudence pour tout gouvernement eut t de dsarmer ces pouvoirs douteux; car il tait prvisible qu'ils ne reprendraient le travail qu contrecur, rticents abandonner leur pouvoir, et quils viendraient rapidement exercer leur tyrannie sur la capitale Provinzial Correspondenz, 22 Mars 1871.

  • 36

  • 37

    4. Le Sige de Paris la vie quotidienne.

    On sinquite. On est en Septembre 1870. Les troupes

    prussiennes marchent vers nous. La Rpublique, proclame le 4

    Septembre, ny peut mais. Elle ne peut pas plus que lEmpire. On

    croit suivre le parcours. On estime, on calcule, on mesure. Dans

    combien de temps gagneront-ils Paris ? Par o ? Est-ce une

    question de semaines ? De jours ? Un corps passe par la route de

    Soissons ; un autre par celle de Meaux ; un dernier par Melun59. Melun, Meaux, cest tellement proche. Ne peut-on vraiment rien

    faire ? Attendre ? Rien dautre ?

    Le 18 Septembre, les troupes prussiennes passent la Seine

    Villeneuve-Saint-Georges 60 et arrivent aux environs de Chtillon

    en se massant dans les bois de Verrires. Villeneuve, on connat.

    On y est n. Cest des images prcises qui viennent en tte la

    lecture de ce nom : les champs partout et puis larrive du chemin

    de fer, dans les annes 40 quand tait-ce donc ?61 ; le confluent

    de lYerres avec la Seine quon regarde toujours avec une 59 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, Paris, 1872, p. 2. 60 Ibid., p. 15. 61 Cf Jean-Marie Castel, Villeneuve-St-Georges de 1840 nos jours, ed. Desbouis Grsil.

  • 38

    immense curiosit, ces rseaux comme a, ces cours Elle est

    magnifique la Seine ce niveau-l, elle parat immense ; on

    repense aussi ce pont suspendu62, quon aura jamais emprunt,

    tant il est troit Cest curieux le vertige, quand mme, de ne pas

    savoir si on a peur de tomber parce quon a envie de se jeter ou si

    on a envie de se jeter pour faire cesser la peur de tomber ou

    Dautres corps passent par couen, Pontoise63

    On est dimanche. Les thtres et concerts ouvrent comme

    dhabitude 64, les femmes sont en grandes toilettes , on rit, on

    chante, on danse On sera all dambuler aux Tuileries, aux

    bois Certains auront pouss jusqu Saint-Ouen pour leur tour

    de promenade rgulier le dimanche 65 Et pourtant. Il y a cette

    pense qui tracasse lesprit, taquine le corps. Cest peut-tre la

    dernire fois quon samuse avant On ne termine pas la phrase.

    Les penses, la diffrence des opinions, ne sont pas faites pour

    tre arrtes de toutes faons. On regarde Paris encore, son

    fleuve ; ses immeubles trop rcents pour quon sy habitue tout

    fait ; et ces foules, ces gens, lgants toujours, mais qui noublient

    jamais de ngliger quelque chose dans leur faon, assez pour

    avoir lair dtre beaux par accident, sans effort aucun. Cest un

    secret parisien quil ne faut ni rpter, ni mme mentionner,

    62 Voir photos : http://www.yerres-nostalgie.com/img/Alentours/PntSuspenduVSG.htm 63 Cf. la fiche Wikipedia Sige de Paris (1870), version en date du 24 juillet 2013. 64 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 14. 65 In mile Zola, lAssommoir.

  • 39

    jamais Si quelquun y fait allusion, feignez de ne pas

    comprendre du tout. On coute leurs rires, leurs rumeurs, leurs

    clats. On entend une dame esclaffer quelque chose qui sonne

    comme de lironie en observant les passants : heureux pays, qui

    passe si allgrement du grave au doux, du noir sinistre au rose

    tendre ! 66. On se retourne. Elle rit, elle aussi, comme les autres.

    On se promne encore sur les quais. Sur le pont des Arts, on

    sarrte. On ne lemprunte pas, bien sr, mais on regarde. On voit

    le soir disperser, touffer la lumire du jour. Les nuages avancent,

    eux aussi, comme autant de menaces. On marche encore. Les

    cafs sont combles 67 . On sourit. Le lendemain, lundi, les

    nouvelles tombent et affaissent leur poids sur Paris : de tous

    cts le cercle allemand nous treint. Le sige commence. 68.

    Noter que la progression des troupes prussiennes voisine et

    quon ne sait pas arrter un jour comme dbut du sige, cest--

    dire un vnement prcis qui marquerait un dbut Jacques-

    Henry Paradis, attentif lecteur de presse, dans ces carnets sur

    lesquels on sappuie pour ce chapitre, le fait courir entre le 15 et le

    20 On saccorde sur le 18 septembre 1870

    Le poids des nouvelles, on peut le sentir frapper le diaphragme,

    la gorge, le ventre. On ne sait pas sen dbarrasser. On se dit : le 66 Augustine M. Blanchecotte, Tablettes dune femme pendant la Commune, Paris, 1872, p. 55. 67 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit.. 68 Ibid., p. 16.

  • 40

    Sige pourrait tre court. Certains ne croient pas que la rsistance

    des parisiens puisse durer. On parle darmistice. On ne sait rien.

    La Ville placarde des affiches invitant faire des provisions69. On les lit. On se dit queux non plus ne savent rien. Les gens quon

    croise partagent leurs prvisions. Les gens aiment bien faire

    comme sils savaient, de tous temps, cest le pouvoir magique de

    la parole On fait des sorcelleries, des politiques et des sciences

    avec a. Certains disent quon tiendra quinze jours, dautres trois

    mois70. On les coute comme on ferait sils parlaient du temps, avec cet air quon a quand la parole na pas dimportance, quon

    la prononce simplement comme on sourit, par politesse. Personne

    ne sait dire que le Sige courra jusquaux cessez-le-feu du 26

    Janvier 1871 ; la poursuite des ngociations de Paix en Fvrier ; et

    le dfil des troupes prussiennes sur les Champs-lyses, le 1er

    Mars Et mme si on devine que lisolement va sembler long,

    rude, froce, personne ne sait tout fait comme le froid, la faim, la

    colre viendront changer la figure de Paris.

    Sattarder sur cette vie au jour le jour, trop nglige, alors quelle

    permet de pressentir concrtement les tensions entre les forces

    politiques Paris

    69 Ibid., p. 11. 70 Ibid., p. 2.

  • 41

    Commencer par dessiner la vie quotidienne du sige le folklore

    de la chose par exemple ds la fin septembre on ne se promne

    plus71 ; le bois de Boulogne est ferm72 ; le jardin du Luxembourg

    est interdit aux promeneurs, on y parque moutons et canons73 ; les

    cafetiers et les marchands de vin ferment, par ordonnance, dix

    heures et demie du soir74 ; des thtres (de la Porte Saint Martin, le

    Franais, lOdon, le Thtre lyrique) se transforment en

    ambulances75 ; on rquisitionne les chevaux, les voitures76 ; pour

    le courrier, on lance dans les airs des ballons emportant 300

    kilogrammes de dpches et trente pigeons 77 afin de

    contourner le blocus des Prussiens ; on tente de jeter des

    bouteilles la rivire pour correspondre, mais la tentative est peu

    concluante : Cette bouteille, suivant la date de la lettre, a mis un

    mois et un jour pour arriver destination. 78 ; on fait le tour de

    Paris, le seul voyage qui nous soit permis 79 en guise de

    promenade ou on va jusqu Saint-Cloud, notre extrme

    frontire 80 ; on admire, le 25 octobre, une aurore borale

    envelopper le ciel de Paris : Beaucoup de personnes crurent un

    immense incendie. 81 ; on mange les poissons pchs dans la

    71 Ibid., p. 49. 72 Ibid., p. 56. 73 Ibid., p. 155. 74 Ibid., p. 51. 75 Ibid., p. 63. 76 Ibid., p. 516. 77 Ibid., p. 136. 78 Ibid., p. 526. 79 Ibid., p. 108. 80 Ibid., p. 173. 81 Ibid., p. 252.

  • 42

    Marne et dans les lacs des Bois de Vincennes et de Boulogne :

    Les prix sont des plus raisonnables. 82 ; on coupe des arbres

    dans les bois de Boulogne et de Vincennes mais les bois sont

    naturellement verts et ne peuvent brler 83

    Au dbut du Sige, on ne doute pas quon aura assez de vivres

    pour tenir84, il ny a qu voir ces immenses troupeaux aller, en un

    mouvement qui fait plaisir voir, boire aux abreuvoirs de la

    Seine85. On regarde les btes. On vrifie comme elles se portent.

    On se rassure. Certains quartiers semblent transforms en une

    immense ferme o les poules errent dans les rues86 On mange

    plus de cheval quavant ; les voisins ont vendu le leur la

    boucherie 87 , leur voiture avait t rquisitionne de toutes

    faons On mange aussi les poissons de la Seine88, des lacs des

    bois de Vincennes et de Boulogne89.

    Mais dj, on commence avoir du mal trouver du lait, du

    beurre 90 ; les marchands nont presque plus de sucre 91 ; les

    pommes de terre ont compltement disparu92 Comme cest

    82 Ibid., p. 321. 83 Ibid., p. 580. 84 Ibid., p. 11. 85 Ibid., p. 11. 86 Ibid., p. 224. 87 Ibid., p. 218. 88 Ibid., p. 121. 89 Ibid., p. 321. 90 Ibid., p. 243. 91 Ibid., p. 425. 92 Ibid., p. 425.

  • 43

    trange de voir les marchs au trois quart dserts, la

    poissonnire vendre des nfles ou la fruitire du saucisson93

    On a trouv une petite bote qui servira rassembler les bons

    dalimentation et les bons de pain Et le rationnement est svre,

    les portions de pain sont peu copieuses94, au point quil faille venir

    avec son pain au restaurant ou chez les amis qui invitent dner

    On le trouve gris bleutre , jaune terreux , gris , selon les

    farines dont il est fait95, chez des boulangers dvaliss, obligs de

    fermer midi96. On lit dans le journal un avis : la Commission

    centrale dhygine et de salubrit rappelle la population que le

    pain bis, loin davoir, comme le pensent les personnes qui ny sont

    pas habitues, des proprits nuisibles, est la fois bien plus sain

    et plus nourrissant que le pain blanc. Les personnes que

    rebuteraient la couleur de ce pain et la prsence de quelques

    parcelles de son cderaient donc un prjug que rien ne

    justifie 97. On rit. Quils aient besoin de rassurer sur les qualits

    de ce pain bis, cest bien quil a quand mme une mine bizarre

    Tous les animaux de Paris y passent , mme les moineaux, les

    pigeons98 On livre les animaux du Jardin dAcclimatation

    93 Ibid., p. 425. 94 Ibid., p. 834. 95 Ibid., p. 872. 96 Ibid., p. 496. 97 Le Figaro, 10 Dcembre 1870. 98 Ibid., p. 582.

  • 44

    lalimentation, sauf les chameaux et les lphants 99. Noter que

    Pollux et Castor, les deux lphants du Jardin des Plantes, ont t

    tus, daprs Frank Schloesser100. Les bons morceaux se vendaient

    45 francs le demi-kilo

    Notes : sarrter sur la question de savoir si on mangeait ou non

    du rat, du chien, du chat. Jacques-Henry Paradis, qui tient bon

    nombre de ses informations de la lecture de la presse de droite,

    crit le 11 novembre : Les rats, commencent, parat-il, tre fort

    apprcis. La chasse est ouverte, et, hier matin, un vritable

    march aux rongeurs se tenait sur la place de lHtel de ville. 101.

    Puis, deux jours plus tard : Je signale louverture, cette semaine,

    des boucheries de viande de chien et de viande de chat et de rats.

    Ces derniers se mangent de prfrence en pt. 102.

    Francis Wey samuse recopier un menu qui a fait le tour des

    salons : Consomm de cheval au millet. RELEVS : Brochettes

    de foies de chien la matre d'htel. mincs de rble de chat

    sauce mayonnaise. ENTRES : paule et filet de chien brais

    sauce tomates. Civet de chat aux champignons. Ctelettes de

    chien aux petits pois. Salmis de rats la Robert. ROTS : Gigot de

    chien flanqu de ratons. Salade d'escarolles. LGUMES : Bgonia

    au jus. Plum-pudding au jus et la moelle de cheval. Dessert et 99 Ibid., p. 389. 100 In Frank Schloesser, les Menus du sige 1870-1871, numris par la mdiathque de Lisieux, www.bmlisieux.com/curiosa/schloe01.htm. 101 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 350. 102 Ibid., p. 355.

  • 45

    vins. 103 Et livre son opinion : Remarquons toutefois que les

    nourritures bizarres, empruntes aux animaux domestiques ou

    immondes, taient encore des curiosits gastronomiques plutt

    que des ressources ncessaires. Paris se fait de tout une

    amusette, et le beau monde tenait se flatter un jour d'avoir

    mang des caniches et des rats. Quant au bon peuple, il

    mourrait 104.

    Plus couramment, Lisagaray crit : La faim piquait plus dur

    dheure en heure. La viande de cheval devenait une dlicatesse.

    On dvorait les chiens, les chats et les rats. 105.

    Au 9 octobre, J. H. Paradis relve le prix des filets de buf et

    jambon : de 3 6 francs et du rosbif : 3francs 106. Au 5

    dcembre, il note ces prix : Gigot de chien, 2 fr la livre ; rognons,

    25 centimes la pice ; un chat dpouill de sa peau vaut 5 fr. 107.

    Au 25 dcembre, il consigne : poulet 35 fr ; chat : 20 fr 108.

    Si on peut estimer le salaire moyen dun ouvrier Paris 5 francs

    par jour109 et celui de louvrire 2,25 francs110, pendant le Sige le

    travail manque, beaucoup ne vivent que de la solde de garde

    national, ou de la pension de veuve, quils reoivent. Cette solde

    103 Francis Wey, Chronique du Sige de Paris, ed Hachette, p. 219. 104 Ibid., p. 218. 105 Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 60. 106 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 121. 107 Ibid., p. 464. 108 Ibid., p. 550. 109 Cf. Paul Louis, Histoire de la classe ouvrire en France de la Rvolution nos Jours. 110 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), d. LHarmattan, 1997, p. 294.

  • 46

    est de 30 sous111, soit 1 franc 50112. Se permettaient-ils dacheter

    des viandes ce prix ?

    Mais, surtout, cest ce froid, ds dbut Dcembre113, qui rend les

    choses douloureuses Fin Dcembre, le bois se fait si rare,

    qu on ne fait plus de feu que dans une seule chambre, qui

    devient la chambre commune. 114. Mi-Janvier, voil vingt jours

    quil gle sans discontinuer ; ce qui ne sest presque jamais vu

    Paris. 115 . On ouvre des chauffoirs publics, o les pauvres

    peuvent venir manger et les femmes coudre 116 Avec la malnutrition, le froid fait ces deux mois, Dcembre et Janvier,

    assassins. Le taux de mortalit double117. On meurt de variole, de scarlatine, de rougeole, de fivre typhode, de bronchite ou de

    pneumonie118.

    Noter que la population participe aux souscriptions nationales

    pour acheter des canons. Plusieurs appels paraissent dans la

    111 Cf. par ex le journal des Goncourt, T. II, vendredi 7 octobre : le pauvre diable sollicite son admission dans la garde nationale, pour gagner 30 sous par jour . 112 la solde dun garde national se monte 1,50 francs par jour (2 francs pour les sous-officiers et 2,50 francs pour les officiers) in Eric Cavaterra, la Banque de France et la Commune de Paris, ed. LHarmattan, p. 42. 113 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 480. 114 Ibid., p. 563. 115 Ibid., p. 766. 116 Ibid., p. 824. 117 Cf. la fiche Wikipedia Sige de Paris (1870), version en date du 24 juillet 2013. 118 Cf Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 684 ou encore un bulletin de la mortalit Paris paru dans La Presse, 20 dcembre 1870.

  • 47

    presse119 Au 10 novembre, par exemple, la somme atteint un

    million cinq cent mille cinquante francs120.

    Dbut Janvier, Paris est bombard. Les canons Krupp, muets si

    longtemps, se mettent aboyer et essayer de nous mordre 121.

    On se rfugie dans les caves122. Le 10 janvier, Paris na pas ferm lil un seul instant cette nuit 123 , effray par le bruit

    dchirant des bombes. Cette sensation-l que, chez soi, dans sa

    tranquillit, le feu puisse venir vous trouver et vous abattre, tout

    instant, dans sa soudainet et son imprvisibilit injustes, cruelles,

    je crois quon ne saurait pas la dcrire.

    Et puis, la fin Janvier, le froid a disparu 124 Quelques jours plus tard, larmistice est sign. Le 27 Janvier, cest la premire fois

    depuis un mois, lternit quon passe la journe sans

    entendre le bruit terrible du canon 125. La rigueur va se faire plus

    lche ; les vivres vont circuler ; et les gens, les amis, la famille

    rests loin de Paris Oh, on va pouvoir leur crire, les revoir,

    retrouver ce qui fait quon les reconnat toujours, lclat de leurs

    yeux, la caresse de leurs voix, la chaleur de leurs corps quand on

    les serre assez longtemps pour quelle perce nos propres chairs et 119 Cf par ex. Le Sicle, 14 Octobre 1870. 120 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 348. 121 Le Rappel, 5 Janvier 1871. 122 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 694. 123 Ibid., p. 707. 124 Ibid., p. 775. 125 Ibid., p. 878.

  • 48

    nous ensuque Quand mme, on nen revient pas, Paris a tenu

    ce peuple parisien, dcidment, quand mme !

  • 49

    5. Interruptions, incises des conditions de vie la fin du XIXe

    sicle.

    Revenir sur la pnurie de vivres pendant le Sige.

    Sur ce soupon : les marchands manquaient-ils de denres ou

    spculaient-ils ?

    Citer cet article du journal lIllustration126 : A peine avait-on lev

    le dcret qui rquisitionnait les pommes de terre, que des sacs de

    ce prcieux tubercule affluaient aux halles. A peine avait-on publi

    la premire note relative larmistice, que les pavillons se

    garnissaient de marchandises de toutes sortes, et la veille de voir

    arriver les vivres on osait demander un franc pour un uf, 30 fr.

    pour un lapin, et ainsi de suite. Honte ces peseurs dor qui,

    devant une population affame, nont pas senti remuer leurs

    entrailles ! Et dinsister : ils taient grandement coupables,

    ces marchands sans vergogne, ces vendeurs honts qui, nayant

    dautre dieu que lor, nont pas craint de spculer sur la misre

    publique et la faim du pauvre .

    126 Note : retrouver la date de publication ou supprimer la citation

  • 50

    Est-ce dire que les vivres restaient stockes dans les greniers

    pour organiser la pnurie et faire monter les prix ? On peut penser

    aussi quon tentait de rpartir les denres pour une dure du sige

    qui restait cruellement indtermine Sentant la fin du sige

    approcher, on pouvait ouvrir les rserves

    Relever le tmoignage de Jacques-Henry Paradis qui, au 17

    septembre 1870, ds les premires affiches de la Ville invitant

    faire des provisions, remarque qu A peine cet avis est-il donn

    que, dans certains quartiers, tout augmente de cinquante pour

    cent ; les marchands, profitant de la panique gnrale, spculent

    honteusement 127.

    Sur lapprovisionnement.

    Citer une circulaire de Bismarck adresse aux agents

    diplomatiques de la Confdration du Nord, dans laquelle il est

    crit : Comme nous avions entirement cern la ville, nous ne

    pouvions permettre lentre de nouveaux approvisionnements qu

    la condition quils naffaibliraient pas notre position militaire et ne

    prolongeraient pas le temps ncessaire pour rduire la ville par la

    famine 128 . Les Prussiens ont, pour des raisons videntes,

    intrt affaiblir Paris Pour autant, mettre en parallle avec cette

    citation du journal le Rappel, dat du 5 fvrier : Un marchand 127 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, Paris, 1872, p. 11. 128 G. Heylli, Jules Favre et le comte de Bismarck : entrevue de Ferrires, Paris, 1870, p. 43.

  • 51

    ambulant qui voiturait des pommes de terre, hier matin, rue

    dArgout, a t pill par la foule et maltrait. Ce ntait pas, cette

    fois, lnormit du prix qui avait ameut les passants ; car il offrait

    le boisseau pour la somme invraisemblable de deux francs ! Mais

    on a suppos quil avait obtenu ces pommes de terres des

    Prussiens, qui, comme on sait, en vendent aux avant-postes. 129.

    Noter cette curieuse phrase dans un bouquin sur le

    gouvernement du 4 septembre et la Commune : Et cependant,

    sil faut en croire un document publi sans tre dmenti, et qui

    manerait de sa chancellerie, elle [la Prusse] ose accuser le

    gouvernement de la dfense nationale de livrer Paris une famine

    certaine ! Elle se plaint dtre force par lui de nous investir et de

    nous affamer ! 130. Remarquer que la citation ne prouve pas que la

    famine est organise : les Prussiens peuvent faire montre de

    cynisme en accusant des Franais qui ne capitulent pas assez vite

    pour lever le sige.

    Le Cri du Peuple va plus loin et accuse les membres du

    Gouvernement, Favre, Garnier-Pags, de stre enrichis en

    spculant sur les vivres, pendant que Ferry (membre du

    129 Le Rappel, 5 Fvrier 1871, p. 2. 130 mile Androli, Le gouvernement du 4 septembre et la Commune de Paris, 1870-1871, Paris, 1871, p. 92.

  • 52

    gouvernement et maire de Paris) entravait lapprovisionnement

    et rpandait la famine 131.

    Marx prolonge laccusation et sen prend Ferry : Jules Ferry,

    avocat sans le sou avant le 4 septembre, russit comme maire de

    Paris pendant le sige, tirer par escroquerie une fortune de la

    famine. 132.

    Vrifier si Ferry tait sans le sou Dans un portrait de Ferry, on

    trouve ce point quant ses ressources dues la gestion de la

    fortune de son pre : laffection de son frre Charles qui se voue

    la gestion de la fortune familiale et nhsite pas subvenir aux

    besoins de son illustre frre, lui teront tout souci de caractre

    matriel 133. Ne pas conclure Poursuivre les recherches

    Sattarder sur Ferry, qui se charge dorganiser la collecte et la

    distribution de lalimentation, achte aux cultivateurs de la

    banlieue, fait distribuer la viande par le ministre du Commerce,

    qui charge les mairies de les rpartir, et la farine par la Caisse de la

    boulangerie134. partir de janvier, il met au point le rationnement,

    et le rationnement ne peut tre que privation de toutes faons,

    30 grammes de viande par jour et par personne et 300 grammes

    131 Le Cri du Peuple, 27 Fvrier 1871. 132 Karl Marx, La Guerre civile en France, p. 35. 133 S. Bernstein in Les opportunistes : les dbuts de la Rpublique aux rpublicains, dir. : Lo Hamon, d. De la maison des sciences de lhomme, 1991, pp. 260-261. 134 Jean-Michel Gaillard, Jules Ferry, d. Fayard, 1989.

  • 53

    dun pain qui na plus que 25% de farine 135, puisquil oblige les

    boulangers procder des mlanges136. Il dira : La population

    ne me pardonnera jamais ce pain-l. [] Cest le pain noir, le pain

    de sige, le pain Ferry comme on lappelle. Jen porte le fardeau.

    Le rle que nous avons rempli tait un rle sacrifi davance, nous

    ne lignorions pas. Ce pays naime pas les vaincus. 137. Remarquer

    quil sera la cible des colres dun peuple qui laffuble du surnom

    Ferry-famine .

    Enfin relever cette anecdote dans le journal de Francis Wey qui, si

    elle ne prouve pas la malignit des membres du gouvernement,

    dnonce leur comment dire ? imprparation, incomptence ? ou

    limmense difficult de leur tche ?... : Le 22 novembre, le

    gouvernement s'empara de toutes les pommes de terre et se

    chargea de les vendre la halle aux dtaillants. Il les dposa donc

    dans les caves, afin de les mnager, et quand, plus tard, on voulut

    les distribuer, l'ensemble du stock tait pourri. 138.

    INTERROMPRE LE COURS DE LTUDE POUR FAIRE UN

    POINT SUR LES CONDITIONS DE VIE LPOQUE :

    135 Jean-Michel Gaillard, Jules Ferry, 136 Antoine Nguidjol, Repenser lhritage de Jules Ferry en Afrique Noire, d. LHarmattan, 2008, p. 12 137 Cit par Franois Roth, La Guerre de 70, d. Fayard, 1990. 138 Francis Wey, Chronique du sige de Paris, 1870-1871, Paris, 1871, p. 219.

  • 54

    Le salaire des ouvriers va de 5 F en moyenne 3,50 F 139. En

    1862, dans la confection, exemple qui parat reprsentatif, le

    salaire fminin est pass de 1,70 F 2,25 F140.

    25 mai 1864 : abrogation du dlit de coalition et instauration du

    droit de grve par la loi Ollivier 141. Pour autant on a vu le mme

    mile Ollivier disperser des runions et procder des

    arrestations142.

    Les syndicats seront autoriss en 1884143.

    Noter que les ouvriers travaillent surtout dans les ateliers :

    Seulement 10% des ouvriers travaillent, en 1906, dans des

    usines de plus de 500 employs, contre environ 50% dans des

    entreprises de 1 5 employs 144.

    Souligner limportance des corporations et la prgnance dun

    socialisme corporatif : Tout au long du sicle, de nombreux

    ouvriers conclurent quils nobtiendraient jamais le produit intgral

    de leur travail avant dtre parvenus lappropriation collective du

    capital par la corporation ouvrire 145.

    Les femmes. 139 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), d. LHarmattan, 1997, p. 293. 140 Ibid. p. 294. 141 Fiche Wikipedia, Droit de grve en France, en date du 3 juin 2013. 142 Cf par ex les Annales du Snat et du corps lgislatif, sance du 8 fvrier 1870. 143 Wikipedia, Droit de grve en France, op. cit.. 144 Jean-Michel Gourden, Le Peuple des ateliers, d. Craphis, 1992, p. 53. 145 citant B. Moss, Aux origines du movement ouvrier franais, ibid., p. 122.

  • 55

    Alors que lenseignement des garons comporte fort peu de

    rudiments professionnels, les filles reoivent dans les coles-

    ouvroirs des religieuses une ducation professionnelle au premier

    chef. Dresses aux travaux daiguille ds leur plus jeune ge, les

    colires se destinent normalement aux travaux de la couture. 146.

    Relever les types de mtiers des femmes : la fin du XIXe

    sicle, les mtiers de la mode et du vtement sont excuts par

    87% de femmes, la domesticit est fminise plus de 81%. Ne

    pas oublier cette prcision, pour la saveur de la chose : Et nul ne

    critique que ces tches soient dlgues essentiellement des

    femmes ; au contraire, toute mnagre les excute

    quotidiennement dans le domicile conjugal. 147. Noter que sur une

    anne les priodes de chmage (pouvant aller jusqu 4 mois pour

    certaines), de faible travail (4 ou 6 heures par jour) alternent avec

    des journes lourdes (13, 15h)148 Ajouter que les ouvrires sont

    payes lheure dans ces ateliers

    Sur le travail des enfants, noter ces phrases :

    les entrepreneurs recourent aux enfants exactement comme ils

    font appel la main-duvre fminine : pour faire baisser les

    salaires. 149. 146 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville, op. cit., p. 293 147 Roger Colombier, Le travail des femmes autrefois, ed. LHarmattan, 2012, p. 91. 148 Ibid., p. 92. 149 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), d. LHarmattan, 1997, p. 300

  • 56

    La bourgeoisie industrielle du XIXe sicle considre aussi que

    lemploi denfants est un facteur de paix sociale (elle vite la

    dlinquance et l oisivet) et une manire daider les familles d

    indigents survivre. 150

    vote de la loi de 1841, qui interdit lembauche avant 8 ans dans

    lindustrie, limite le travail huit heures entre 8 et 12 ans et douze

    heures entre 12 et 16 ans Et dajouter : Cette loi a toutefois

    peu dimpact. 151.

    Les enfants sont employs par exemple dans les filatures

    dballer et plucher les balles de coton, carder la laine, dvider les

    cheveaux, bobiner 152. Mais ils sont aussi embauchs dans les

    mines de charbon o en surface, les enfants trient, criblent et

    lavent le minerai, et, au fond , manipulent les chariots, les portes

    et les arateurs 153. Noter quils ne peuvent pas avoir la force de

    retenir un chariot bien trop lourd pour eux.

    Pointer que Jeanne Gaillard remarque un changement

    important Paris, acquis au cours de lEmpire : le recours la

    main-duvre trs jeune, savoir les enfants de moins de 12 ans,

    devient exceptionnel 154. Remarquer que Zola fait envoyer lenfant

    du personnage de lAssommoir en Province pour travailler

    150 Bnedicte Manier, Le travail des enfants dans le monde, d. La Dcouverte, 2011, p. 9. 151 Ibid., p. 10. 152 Ibid., p. 8. 153 Ibid., p. 9. 154 Jeanne Gaillard, op. cit., p 296.

  • 57

    Notes parses sur les conditions de vie.

    un arrt du 20 avril 1853 institue un service mdical gratuit

    lchelon de la capitale , intgr aux organismes locaux (conseils

    dhygine, commissions des logements insalubres) 155.

    La journe de travail est de 12 14 heures. En prvision des

    priodes de chmage, louvrier doit amasser des conomies156, si

    tant est quil le puisse Le chmage peut tre du la fluctuation

    des demandes : pour les couturires, il peut atteindre 70 jours

    lt157 Sans assurance maladie, retraite, assurance chmage,

    etc. louvrier ne trouve crdit quen gageant ses quelques objets

    prcieux au Mont-de-Pit158.

    Au sujet des vacances, prendre appui par exemple sur les

    mmoires de Louise Michel, institutrice donc, qui raconte quelle

    ne pouvait pas rendre visite sa mre : on na que huit jours,

    dans les externats, sous peine de perdre ses lves . Et

    dajouter : Et puis, comment ferait-on pour le terrible loyer sil se

    trouvait un mois sans recette ? 159.

    Relever une autre anecdote quant la place des femmes y

    compris dans les milieux de gauche : Javais eu plusieurs fois 155 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville, op. cit., p. 249. 156 Cf par ex Daniel Vasseur, Les Dbuts du mouvement ouvrier dans la rgion Belfort-Montbliard, Institut dtudes comtoises et jurassiennes, p. 36. 157 Roger Colombier, op. cit., p. 92. 158 Cf par ex lextrait dun texte de lInternationale cit par Jules Claretie, Histoire de la rvolution de 1870, Paris, 1872, p. 94. 159 Louise Michel, Mmoires de Louise Michel crits par elle-mme, Paris, 1886, p. 85.

  • 58

    loccasion de remarquer quen jetant dans la bote dun journal

    quelconque des feuillets signs Louise Michel, il y avait cent

    parier contre un que ce ne serait pas insr ; en signant au

    contraire Louis Michel ou Enjolras, la chance tait meilleure. 160.

    On sait que pour les mmes raisons Victoire Bra pris les noms de

    ses deux fils et se fit appeler Andr Lo pour crire161

    Sur les actions concrtes menes par les comment dire ?

    rsistants rpublicains ? noter ce passage : Nous avions, les

    dernires annes de lEmpire, une cole professionnelle gratuite

    rue Thvenot ; chacune de nous y donnant quelques heures, trois

    fois par semaine, et la Socit pour linstruction lmentaire se

    chargeant du loyer 162

    Aborder la cooprative alimentaire La Mnagre fonde en

    1866, par Varlin, Nathalie Lemel et quelques autres, o celui-l,

    prsident, supervise les achats et, de concert avec dautres

    socits coopratives, il se bat pour obtenir des rductions, aussi

    minimes soient-elles 163 . A noter, pour lanecdote, que son

    successeur tapera dans la caisse lobligeant reprendre la

    direction Puis la cration de La Marmite , par la mme quipe,

    une cuisine cooprative, sorte de pension de famille o les

    160 Ibid., p. 99. 161 Fiche Wikipedia Andr Lo, en date du 12 Juillet 2013. 162 Louise Michel, op. cit., pp. 147-148. 163 Michel Cordillot, Eugne Varlin : Chronique dun espoir assassin, les ditions Ouvrires, 1991, p. 46.

  • 59

    ouvriers clibataires pourront prendre leurs repas un prix

    abordable et se retrouver entre eux 164.

    Noter que la rudesse des conditions nempche pas une certaine

    gait. Relever par exemple les nombreuses farces auxquelles se

    livrent Louise Michel qui un jour colle une affiche rpublicaine sur

    le dos dun sergent de ville165 ou les histoires loufoques quelle

    raconte un bureau de placement pour moquer les bourgeois166

    164 Ibid., p. 47. 165 Louise Michel, op. cit., p. 155. 166 Ibid., p. 149.

  • 60

  • 61

    6. Subduction et collusion politiques, premire partie.

    Les troupes franaises perdent Sedan, le 1er Septembre 1870.

    Paris sagite.

    Note : Jai beaucoup hsit faire partir cette tude de la

    proclamation de la Rpublique. On sarrte si peu sur cet

    vnement, dordinaire, pour commencer les recherches sur la

    Commune son clat, le 18 Mars, quil y avait quelque chose de

    suspect tre le seul aller bien plus avant Cest aprs des

    mois de lectures que ce pressentiment mest venu, que ce

    changement de rgime tait forcment un souffle despoir ou de

    craintes fracassant. Et la question de la lgitimit mme de cette

    Rpublique nest pas sans consquence sur lenchanement des

    faits et laccentuation des tensions et des mfiances de part et

    dautre, au point que jai fini par tre convaincu tout fait de ce

    choix

    La Rpublique.

  • 62

    On est le 4 Septembre. On entend les corps courir, les voix

    slever. On regarde par la fentre, on descend : Quest-ce quil y

    a ? On suit les gens ; on lit les placards167. On se retrouve aux

    Tuileries, la Concorde, sur la Seine, devant lAssemble

    nationale, nombreux, si nombreux. Derrire quelquun dit que

    Napolon III sest constitu prisonnier. On nentend pas ce quil

    explique. Les cris, les exclamations distraient la parole. La dame

    ct nous pousse, manque tomber. Elle sexcuse. On rit. On ne

    sait pas que dans la salle des sances le Comte de Palikao tente

    de sauver lEmpire, tandis quun groupe de dputs rpublicains

    men par Jules Favre rclame la dchance, je veux dire de

    lEmpire.

    Le Corps lgislatif suspend sa sance. On en profite pour entrer

    dans la cour et dans les tribunes de lAssemble. On crie : La

    Dchance ! ; Vive la France ! Vive la Rpublique ! . Gambetta

    monte la tribune et lit un manifeste : Nous dclarons que Louis

    Napolon Bonaparte et sa dynastie ont jamais cess dexercer

    les pouvoirs qui lui avaient t confrs. .

    La foule marche. On suit Gambetta et Favre lHtel de Ville.

    Blanqui, Delescluze, Flourens, Flix Pyat sont dj l. Le monsieur

    devant les reconnat : ce sont de vrais rpublicains. Il dit a avec 167 Cf pour ce passage le texte 4 septembre 1870 : la Rpublique proclame sur le site de lAssemble nationale, prenant appui sur les comptes rendus de sances, www.assemblee-nationale.fr/histoire/4_septembre_1870.

  • 63

    une confiance que lon devine gre scrupuleusement. Ils

    proposent des noms de ministres, organisent un gouvernement

    Mais Favre les repousse et propose la foule son gouvernement

    provisoire compos de dputs de Paris et sa tte Trochu, le

    gouverneur de la ville. On entend mal ce quil se dit. On crie :

    Plus fort ! . On entend Gambetta lire ces mots : La Rpublique

    est proclame. Un gouvernement a t nomm dacclamation. .

    Favre, Gambetta retournent lAssemble. Tandis que les

    dputs se runissent dans la Salle manger de la Prsidence, un

    dput rpublicain, Glais-Bizoin, fait vacuer la Salle des

    sances168. La foule est l, qui attend, mange, fume. A sept heures

    et quart, il pose les scells. Des dputs lapprennent et se

    choquent. Thiers, hsitant depuis la veille, finit par estimer que le

    moment nest pas venu de rcriminer contre la violence subie par

    lAssemble ; en prsence de lennemi qui menace Paris, il ny a

    quune chose faire : se retirer avec dignit . Les dputs

    lcoutent : le Corps lgislatif se dissout de facto.

    Les rpublicains, pas ceux du gouvernement ou de lAssemble

    qui ont lair, quelquun dit opportuniste , non, les rpublicains

    [ajouter un adjectif] stonnent de cette acclamation. Quelle

    garantie apporte-t-elle ? Le gnral Trochu, le prsident donc,

    168 Ibid. citant le journal Le Sicle en date du 12 Janvier 1871.

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    appartenait lide monarchique 169 ; Jules Favre, Gambetta,

    reprsentaient la Rpublique autoritaire ; Jule Simon, Crmieux

    avaient, depuis longtemps dj, donn des gages aux

    orlanistes 170 ; Picard semblait proche de lEmpire Et puis, les

    maires darrondissements de Paris nomms sous le second

    Empire restent en place. Et on nentend pas parler dlections, de

    constituante On a pourtant chang de rgime Non, il y a

    quelque chose qui ne va pas

    Les Rpublicains sorganisent.

    Le Comit central.

    La Chambre fdrale des socits ouvrires sorganise en

    comits. Entre 400 et 500 dlgus ouvriers dcident de dlguer

    2 membres [on trouve dans dautres textes 4 membres171 : vrifier]

    des comits rpublicains ou des comits de vigilance et de

    dfense dans chaque arrondissement pour composer un Comit

    central172. On se runit, on discute, on exerce cette vigilance, cette

    critique qui fait quon sait dire quon a affaire quelque chose

    quon appellerait une condition dmocratique : lintelligence

    exigeante, aige, vive, des gens. Et les propositions sont

    ambitieuses : on pense tout A des mesures de scurit

    publique (supprimer cette police constitue sous les monarchies 169 Gustave Lefranais, tude sur le mouvement communaliste Paris, Neuchatel, 1871, p. 61. 170 Ibid. 171 Cf Philippe Riviale, Sur la Commune : cerises de sang, d. LHarmattan, p. 57. 172 Fiche Wikipedia Comit central rpublicain des Vingt arrondissements version du 22 mai 2013, citant Jacques Rougerie, La Commune de 1871, PUF, coll. Que sais-je ? , 2009, p. 24.

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    qui ne sert qu asservir les citoyens ; en prfrer une dirige par

    des magistrats lus ; garantir la libert dcrire, de parler, de se

    runir, de sassocier) ; des questions de subsistances et de

    logements (on veut rcuprer les denres emmagasines chez les

    marchands, mais avec la promesse de les payer aprs la guerre ;

    organiser un rationnement juste ; assurer tout citoyen un

    logement) ; ou aux questions de dfense de Paris (on demande

    llection des chefs de la garde mobiles qui sont imposs jusque-

    l et la distribution de munitions)173.

    On porte ces revendications lHtel de Ville. Gambetta les

    reoit une heure du matin. Il discute : pour ceci, cest inutile ;

    pour cela, on est en train de sen occuper ; pour cela encore, le

    gouvernement ny peut rien Il parle avec cette mticulosit des

    hommes de pouvoir dont on ne sait jamais si elle est faite pour

    gagner du temps ou simplement due une tche qui ne parvient

    jamais tenir dans ses mains tous les paramtres des choses

    dont elle est cense soccuper, parce que lide mme de pouvoir

    est impuissante Mais le mot pouvoir est pos, il faut bien que

    quelque chose ou quelquun rponde quand on le prononce il

    faut bien en faire quelque chose, le remplir et le perler comme les

    huitres perlent les grains de sable quelles ne savent pas rejeter.

    On repart en se disant que dcidment ces gouvernants se

    173 Philippe Riviale, op. cit., pp. 57-58.

  • 66

    montrent puissants pour crer les forces destines les

    protger et trop respectueux de la loi ds quil sagit dabroger

    deux-mmes les restrictions qui entravent les citoyens 174. On

    ne se dit pas que cest le mot, lide pouvoir qui est mascarade.

    Le 14 septembre, le Comit placarde une affiche rose qui

    reprend ces principales proccupations. Quelques jours plus tard,

    on manifeste : on demande des lections municipales : on ne se

    contentera dcidment pas dacclamation. Mais rien ny fait. On lit

    dans la presse cette adresse : convaincu que les lections

    porteraient une dangereuse atteinte la dfense, le gouvernement

    a dcid leur ajournement jusqu' la leve du sige. 175. Certains

    trouvent la dcision sage : comme si nous avions le temps de

    penser discuter les ides de ces messieurs 176 Dautres

    chiffonnent le journal : On se moque de nous. On ne sait mme

    pas quand ce sige sera lev

    Les clubs.

    A ct du Comit, les clubs snervent. Celui de Blanqui, la Patrie

    en danger, rue dArras, celui de Belleville ou de la Cour des

    Miracles, de llyse-Montmartre ou des Mille-et-un-jeux177. Et puis

    mme, sajoutant aux maux de la guerre , les maux de la

    174 G Lefranais, op. cit., p. 65. 175 Journal Le Rappel, 10 Octobre 1870. 176 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, Paris, 1872, p. 81. 177 Cf une liste de clubs in Francisque Sarcey, le Sige de Paris, p. 165.

  • 67

    Rpublique : louverture du club des femmes 178 . Le 30

    septembre, le Journal des dbats publie un article enrag qui

    commence ainsi : Les clubs, ou, pour parler plus justement, les

    meneurs des clubs et les journaux qui leur servent d'organes, ne

    s'accommodent point de l'ajournement des lections municipales,

    quelque bien justifi qu'il soit par les empchements matriels du

    sige. Cet ajournement, en effet, leur te le moyen de profiter d'un

    moment o la population parisienne a mieux faire que d'avoir

    des bulletins de vote, pour ressusciter par un coup de main

    lectoral l'ancienne Commune de Paris, et engager srieusement

    la lutte contre le gouvernement provisoire avant de passer aux

    insultes et de les accuser de faire perdre la France179.

    Manifestation du 31 octobre.

    Le ton monte. La nouvelle de la capitulation de Metz est

    confirme le 31 octobre180. Un mouvement pugnace, dtermin se

    coagule place de Grve. On vient voir dabord. Ce nest pas

    possible. Et puis quelquun crie. On entend quelque chose comme

    une rumeur, des voix : Vive la Commune ! . On tourne la tte.

    On lit sur des pancartes en carton : La leve en masse ! Pas

    darmistice ! 181. Quelquun assure que les vingt maires de Paris

    discutent lintrieur de lHtel de Ville avec Trochu. Ils rclament

    178 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 173. 179 Journal des dbats, 30 Septembre 1870. 180 Paul Baquiast, La Troisime Rpublique : 1870-1940, d. LHarmattan, 2002, p. 7. 181 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 287.

  • 68

    lunanimit les lections municipales182. On nest pas sr. On ne

    le connat pas celui qui dit a, aprs tout. Mais quelquun lit une

    adresse183. Les lections sont annonces pour le 1er novembre.

    On aperoit Trochu qui dj retourne se rfugier dans un salon.

    Des gens sinquitent. Ils pensent que les membres du

    gouvernement provisoire sont gards vue184. [Notes : revenir sur

    les dpositions des gards vue au Conseil de Guerre185 :

    Garnier-Pags parle de menaces mais voit bientt quelles ne

    sont pas srieuses. Le Fl affirme que Flourens a rpt la

    consigne de fusiller les membres du gouvernement et les autres

    prisonniers si un coup de feu tait tir . Tandis que Favre, lui,

    entend autre chose selon lui Flourens aurait dit : Nous ne

    devons pas nous faire tuer ni tuer nos concitoyens et considre

    que ses tirailleurs navaient pas lintention de se servir de leurs

    armes.] De la place, on ne sait rien. On croit pouvoir deviner que la

    situation nest pas comment dire ? Un voisin suggre : hors

    contrle ? Oui, pas un coup de feu na t tir ! Par une fentre,

    quelquun lance des petits papiers pour informer la foule. Les

    rpublicains rclament la dchance du gouvernement. Des noms

    sont griffonns comme membres de la Commune186. Derrire, on