commune
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la Commune de Paris, récit et notes(c)claude pérèshttp://film-commune.fr/TRANSCRIPT
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claude prs
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claude prs, 2015
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1. Proclamation de la Commune, premire partie.
Cest un mouvement inou de corps qui accourent, se pressent,
se serrent, se foulent ; les mains qui agrippent les tissus,
bousculent les muscles ; les souffles qui se mlent et qui collent
les peaux, les cheveux Et ce bruit sourd et enttant : une rumeur
qui a lair dtre faite pour ne jamais finir.
Deux cent mille misrables qui descendent par toutes les
rues sur la place de Grve, comme les affluents dun fleuve
gigantesque 1, qui dborde et lche les pavs, les murs, lhorizon.
Je veux dire : on ne sait plus reconnatre ici lHtel de Ville, l la
rue de Rivoli, les quais, les rues du Temple, des Deux-Portes-
Saint-Jean2, ou celle qui sappelait encore il y a trois ans peine
du Regnard qui pche Immeubles, fentres, toits, rues, jusquau
boulevard Sbastopol, plus loin encore, sont engloutis, immergs.
Ne restent que regards vifs et brillants, bouches qui dvorent les
visages Des clats, dans les yeux, dans les rires.
1 Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 141. 2 Devenue rue des Archives.
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Nous sommes le mardi 28 mars 1871. A ce moment-l, on ne sait
plus dire la date, le jour, lheure Ca na aucune importance. Il ny
a pas de lendemain de toute faon. Il y a maintenant et
maintenant, cest forcment pour toujours. Cest plus tard, dans
un mois, dans un an, que cette date, le 28 mars 1872, 1881,
1971 viendra faire se soulever encore un flot, cette fois de
souvenirs. La Commune est proclame. Et dans une journe de
fte rvolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, divresse
et de solennit, de grandeur et dallgresse 3.
Des visages se dtachent. On observe. On ne sait pas ce quils
font l. On ne sait pas ce qui fait que, dans les rares moments
importants de lHistoire, les gens sattirent et se coagulent, se
regardent, se touchent, rient ou pleurent, cest pareil, etc. Ils
viennent comme chaque fois quil se passe quelque chose, pour
que ce quelque chose passe aussi par leurs corps et leur donne
limpression de vivre un peu, oui. Ils viendraient pour une
excution publique, pour le couronnement dun roi, pour nimporte
quoi. Oui. Mais cette fois, on ne les voit pas ricaner, regarder de
loin, commenter. Parce que cette fois, cest deux dont il sagit : le
Peuple, la Commune, lAvenir.
3 In Le Cri du Peuple, 30 Mars 1871.
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On pourrait leur demander ces gens, distraits derrire leurs
immenses sourires : Quest-ce que cest la Commune ? Certains
se feraient timides ou ne trouveraient pas les mots. Quelquun
dirait, avec lassurance de quelque chose quon se rpte souvent
pour se donner du courage : le droit pour le peuple de Paris dlire
son conseil municipal, droit quon lui refuse depuis toujours
Quelquun ajouterait : une rfrence la Commune
insurrectionnelle de Paris de 1792, ce moment o le Peuple rsiste
la bourgeoisie qui accapare la rvolution de 1789. Et puis
quelquun viendrait dire : non, cest un projet anarchiste, une
fdration de communes lies par la rciprocit, des lus avec un
mandant impratif et rvocable Il naurait pas le temps de finir. Il
serait pouss par la foule. Forcment, on entendrait dire : cest
nous. La Commune, cest nous. Cest tout.
Dans le journal de centre gauche Le Rappel, on crit, quelques
temps avant, en esprant ces lections, que La Commune de
Paris qui sortirait de ces lections unanimes serait bien plus quun
conseil municipal, ce serait un conseil national. Une ville
investie, surtout quand cette ville sappelle Paris, peut se dire une
nation. 4 . Dans le journal de centre droit Le Sicle, on dcrit un
modle national dont on savoure les garanties rpublicaines quil
assurerait : la France, compose dun assemblage de
4 Paul Meurice in Le Rappel, n508, dat du 2 Novembre 1870.
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rpubliques runies et regroupes entre elles par la force du lien
national et au moyen dun grand contrat dalliance, ne pouvait plus
tre videmment quune vaste rpublique, accessible tous les
progrs et toutes les expansions de lesprit moderne 5 .
Tandis que, plus tard, le journal, pourtant communeux, le fils du
Pre Duchne, reprochera la Commune cette confusion entre le
national et le municipal : Commune de Paris, telle que tu es,
nous ne tapprouvons pas : Parce que tu as dpass ton mandat ;
Parce que tu avais t place l pour administrer Paris et non pas
pour lancer des dcrets qui pouvaient ntre apprcis par le
restant de la France ; Parce que nous voulions en toi nos
franchises municipales, et que tu tes rige en gouvernement. 6.
Alors, une ville ? une nation ? un peuple ?
Quest-ce que cest la Commune ? On insiste. Et si ceux qui
sont l, dgorgs des immeubles et des rues ne sont pas srs,
ceux lus nont pas lair de savoir se mettre daccord. Il se trouve
que la politique est mue par cette croyance ahurie et ftichiste en
la parole, la parole qui cre le monde, lors mme quelle ne sait
pas de quoi elle parle Je veux dire : lacte politique nest jamais
quune parole et pour que cette parole se fasse acte politique, il
faut quelle soit malentendue. Regardez cette runion contrarie
de jacobins romantiques et danarchistes cest dire de 5 Le Sicle, dat du 27 mars 1871. 6 In Le fils du Pre Duchne illustr, N5, 17 Floral an 79, p.5.
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dmocrates radicaux pour qui ce mot Commune vient
sinscrire en un point de prolifration de leurs discours qui nest
pas fait pour concider. Pour certains, aprs lmancipation de
la bourgeoisie , il y a plus de trois quarts de sicles , en 1789
donc, cest le tour de lmancipation du proltariat 7 qui arrive.
Ce nest pas tant quils sattachent critiquer ou subvertir les
modalits du pouvoir, mais plutt songent quil suffit de changer
les hommes qui le dtiennent Quand dautres nont pour cible
que ces modalits, entrent en guerre contre les vieilles
conceptions de lEtat unitaire, centralisateur, despotique et
rflchissent un principe de lautonomie des groupes librement
fdrs et du gouvernement le plus direct possible du peuple par
le peuple. 8. Mais on natteint jamais quelque chose comme un
point o on sy retrouverait tout fait et ce ne sera donc pas
fait pour nous tonner quun jacobin comme Delescluze, par
exemple, quon attendrait dfenseur dun pouvoir centralis,
concevait un projet dorganisation de la Nation dcentralise
lextrme 9 [Note : confus. Trop de dtails qui font que la chose
chappe]. Tous, en tout cas, ont un sentiment, une urgence,
dont ils savent dire le nom sans hsiter : Rpublique.
Dans ce bruit, dans cette rumeur on entend Avenir, Peuple,
Nous, Rpublique. Et ce quils savent dcidment, ceulles qui sont 7 Journal Officiel de la Commune, 20 Mars, p. 45. 8 Arthur Arnould, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, p. 137. 9 Pierre Levque, La commune de 1871, Presses de lUniversit de Saint-tienne, 2004, p. 38.
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l, ceulles qui font disparatre Paris sous leurs chants et leurs cris,
ce quils pourraient presque toucher, cest ce souffle vif et tenace
de la Rvolution. Une Rvolution contre la politique et les
prrogatives gouvernementales, les privilges parlementaires,
lgaux, financiers qu'elle institue 10 Une Rvolution
exprimentale, positive, scientifique 11 Un moment, la seule et
unique fois de lHistoire o, pendant deux mois, le Pouvoir sera
tenu et serr dans les mains du Peuple.
Les hommes agitent leurs chapeaux, les femmes leurs
mouchoirs. Les gardes nationaux dfilent, font battre tambour et
tirent des salves de canons depuis les quais. On chante : la
Marseillaise, le Chant du Dpart. Mme les plus hostiles la
Commune dcrivent un volcan de passions gnreuses 12.
Sur la place, on a dress une estrade et pos un buste de la
Rpublique. Lestrade est l pour ces hommes qui viennent dtre
lus les femmes sont toujours exclues du processus lectoral. Je
ne sais pas si on veut pouvoir mieux les voir ou si on simagine
quils ont vocation slever ou senvoler Les 15 lus des
quartiers bourgeois, les 1er, 2e , 9e et 16e arrondissements,
refusent de siger. Ce sont donc les lus des quartiers ouvriers,
10 Pierre Denis, cit par Maxime Jourdan, Le Cri du Peuple, ed. LHarmattan, p. 237. 11 Ibid., p. 117. 12 Catulle Mendes, cit par Arthur Arnould, op. cit., p. 132.
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qui ont donne une trs large majorit aux Communeux, qui se
prsentent au Peuple de Paris.
Et puis le silence se fait. La rumeur stouffe peu peu. Sans
doute entend-on Silence , plus fort ! pour ponctuer les
discours Et le Comit remet ses Pouvoirs la Commune : La
Commune est nomme. Ce rsultat obtenu, nous remplissons le
dernier terme de notre mandat en nous retirant 13. On entend mal
ce que ce membre du Comit vient de dire. Les premiers rangs se
retournent, rptent ; certains, quelques rangs plus loin, rptent
leur tour, propagent la parole pour les gens plus loin, etc. On croit
comprendre : Il nest pas dexemple dans lhistoire dun
gouvernement provisoire qui se soit plus empress de dposer
son mandat dans les mains des lus du suffrage universel. 14
ou quelque chose comme a
Les mines de ces lus sont graves, inquites. Leurs visages,
dans la profusion folle des couleurs de la foule, le rouge des
drapeaux brandis ; les jaunes, les verts, les violets des chiffons ; le
rose des pommettes ; et les bleus, les marrons humides des yeux,
paraissent dsolment ples. Sils ne savent pas, sils ne peuvent
pas savoir que dans deux mois le Gouvernement face eux
commettra un des plus grand massacre politique de lHistoire de 13 In Enqute parlementaire, sur l'insurrection du 18 mars, TIII, p. 49. 14 In Journal officiel de la Commune, 20 Mars 1871.
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France pour touffer cette Rvolution et volera dans cette foule
hilare, dans ces mines manges par le rire, ces poitrines
soulages dun poids qui semblait ne jamais vouloir svanouir,
ces hommes et ces femmes, ces enfants, ces vieux, quelques 20
000, 30 000 corps ; ils mesurent lexigence, le dfi froce de la
tche. Lun des lus, Arthur Arnould, se souvient : Il fallait
maintenant sortir de la thorie pour entrer sur le terrain des faits,
passer de lopposition laction, appliquer ces principes si
longtemps proclams. Ctait un monde nouveau pour nous
tous. 15 . Dans deux mois, ce btiment devant lequel ils se
donnent en spectacle, ce btiment dont les portes souvrent enfin
au peuple, lHtel de Ville, ce btiment mme aura disparu sous
les flammes de la guerre civile. Non, ils ne peuvent pas savoir. Ou
peut-tre Ou peut-tre que, face la puissance de la
dflagration, le nuage gris et menaant lhorizon nest rien :
Quoi quil arrive, dussions-nous tre de nouveau vaincus et
mourir demain, notre gnration est console ! Nous sommes
pays de vingt ans de dfaite et dangoisses. 16.
Et puis, tandis que les lus, des crivains, des employs, des
opposants depuis toujours, qui ne savent rien du Pouvoir, mais qui
y ont tant rflchi, vont dcouvrir les lieux, se choisir un bureau
dans un Htel de Ville dsert par un Pouvoir qui a fui Paris pour 15 A. Arnould, op. cit., p. 122. 16 Jules Valls, Le Cri du Peuple, 28 Mars 1871.
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Versailles depuis linsurrection du 18 mars, la foule se disperse
peu peu. Certains fatiguent, dautres ont faim, et puis les pleurs
des enfants Les rues se vident. On reconnat nouveau lHtel
de Ville, la rue de Rivoli, la place, quon continue dappeler parfois
de Grve, les quais, qui ont lair dtre l pour lternit. Quelques
uns, excits par une joie quils ne savent pas reconnatre,
laquelle ils ne peuvent pas se faire tout fait, ne parviennent pas
se dcider partir, tardent, comme sils voulaient rester pour tre
srs Parmi eux, quelquun se dit que la dfaite est probable
Mais que si les hommes taient vaincus, lide pourrait triompher :
Il sagissait daffirmer la Rvolution sociale, lavnement des
classes dshrites, de telle sorte que ce premier jalon ne pt tre
arrach dsormais, et que la trace de pas de gant, empreinte sur
le sol, indiqut la voie aux gnrations venir. 17.
17 A. Arnould, op. cit., p. 121.
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2. Paysage et contexte notes.
Sans entrer dans le dtail des soulvements, des insurrections,
des rvolutions, mais aussi des intrigues, des coups dtat, des
rpressions qui leur ont rpondu, qui ont exerc leur pression tout
au long du 19e sicle, dessiner linsistance convaincue, farouche
des rpublicains et la difficult se dbarrasser de monarchistes
qui nen finissent pas daccaparer la France
Utiliser cette description que donne Jaurs pour introduire la
partie quil consacre la Commune dans son Historie socialiste :
La France sattarde dans une combinaison doligarchie
bourgeoise qui na ni la force des grandes aristocraties
traditionnelles, ni la force des grandes dmocraties. La
bourgeoisie sest constitue en un troit pays lgal. Elle a exclu le
peuple du droit et du pouvoir. Sur cette base trique elle se tient
immobile, en un quilibre laborieux et tremblant, et elle nose plus
risquer un geste par peur de tomber droite ou gauche. Au
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dehors, elle na ni la sympathie des gouvernements aristocrates, ni
la sympathie des peuples 18.
Dcrire une France du 19e sicle hante par les convulsions
monarchistes. Une France que sarrachent tantt la noblesse
dAncien Rgime, les propritaires fonciers, tantt les grands
industriels, la haute bourgeoisie qui a gagn la grande
Rvolution : Sous les Bourbons, ctait la grande proprit
foncire qui avait rgn, avec ses prtres et ses laquais. Sous les
Orlans, ctaient la haute finance, la grande industrie, le grand
commerce, cest--dire le capital, avec sa suite davocats, de
professeurs et de beaux parleurs. , crira Marx19. Une France qui
finit par se faire dvorer par des royalistes qui sentendent enfin,
dgagent un intrt commun sous la Deuxime Rpublique :
Leur domination [aux royalistes coaliss], en tant que parti de
lordre, sur les autres classes de la socit fut plus absolue et plus
dure quelle ne lavait t auparavant sous la Restauration ou sous
la monarchie de Juillet, et elle ntait possible que sous la forme
de la Rpublique parlementaire, car cest seulement sous cette
forme que les deux grandes fractions de la bourgeoisie franaise
pouvaient sunir et, par consquent, substituer la domination de
leur classe celle dune fraction privilgie de cette classe. 20.
18 Jean Jaurs, Histoire socialiste, T. XI, Paris, 1901-1908, p. 23. 19 Karl Marx, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p.16. 20 Ibid.
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Les conditions de vie sont rudes. Et si les conservateurs savent
dexprience la force intransigeante du peuple pour lavoir
prouver lors de nombreuses insurrections, ils sont loin de voir
lintrt quils pourraient trouver partager. Si certains dnoncent :
La misre, dans Paris, est plus grande quailleurs ; la lumire et
le soleil sy vendent plus cher si vous faisiez une enqute sur
ces logements do sont sortis ces soldats de linsurrection, vous
verriez que, dans certains quartiers ouvriers, ces populations
payent plus cher que nous relativement. Quand vous allez
acheter une maison dans un beau quartier, si elle rapporte 4 pour
100, vous tes content ; mais une mauvaise petite baraque
rapporte davantage, et les ouvriers payent plus relativement. 21
Leur mise en garde ne porte pas dans une bourgeoisie qui reste
sourde et ttue : Il faut, jen suis convaincu, que les classes
claires conservent le gouvernement de la socit ; que ce soit
sous le rgime censitaire, ou sous le rgime du suffrage universel,
cest aux classes leves diriger la socit. Mais pour quelles
aient le pouvoir, il faut quelles fassent attention aux besoins, aux
misres, aux faiblesses de cette classe, ct de laquelle elles
sont en minorit. 22 . [Inutile de souligner lintrt cynique de
lembourgeoisement des misrables , la citation est
amusante assez].
21 Dclaration de M. Herv la commission denqute sur le 18 mars, cit par Jules Favre, Gouvernement de la Dfense nationale, T. III, p. 564. 22 Ibid., p. 235.
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Noter cet extrait dune lettre de Flaubert Sand : La seule
chose raisonnable (jen reviens toujours l), cest un gouvernement
de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose
et mme quils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un
ternel mineur, et il sera toujours (dans la hirarchie des lments
sociaux) au dernier rang, puisquil est le nombre, la masse,
lillimit. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et
ncoutent plus leur cur ; mais il importe infiniment que beaucoup
dhommes, comme Renan ou Littr, puissent vivre et soient
couts. Notre salut nest maintenant que dans une aristocratie
lgitime, jentends par l une majorit qui se composera dautre
chose que de chiffres. 23. [La citation est savoureuse, qui permet
de pressentir un paradigme qui ne sexprimerait plus avec une
franchise aussi nave, mais on se perd Supprimer]
Sarrter sur la dfiance des rpublicains quant ceux quon
appellerait des conservateurs, que dautres appellent des
bourgeois, des ractionnaires, autre Il se trouve que les batailles
politiques se font par camps, tas, par mcanismes de
diffrenciations dlirants et caricaturaux, l o le mouvement
procde forcment par voisinages, degrs, propagation Bref ces
conservateurs sont vus comme ceux qui ont, chaque fois, par
des tours de passe-passe le recours la rpression, trahi les
23 G. Flaubert, lettre George Sand, 30 Avril 1871.
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pousses de libert, dgalit, de justice du Peuple Relever un
exemple, le plus proche, celui qui rsonne encore dans les ttes et
qui achve de confisquer le pouvoir au Peuple sous la Deuxime
Rpublique : Le suffrage universel stait, le 10 mars [1850],
prononc nettement contre la domination de la bourgeoisie. Celle-
ci rpondit en proscrivant le suffrage universel La loi du 31 mai
raya au moins 3 millions dlecteurs des listes lectorales, rduisit
le nombre des lecteurs 7 millions 24.
Relever aussi, videmment, la dfiance des conservateurs
lendroit des rpublicains, dont ils connaissent la tnacit
exigeante. Avant mme la Commune, on isole ceux qui protestent,
on touffe ceux qui parlent, on cassent ceux qui rsistent Pour
exemple, sarrter sur un discours lAssemble nationale du
Garde des Sceaux, plus dun an avant la pousse communeuse,
o lon parle dune horde gare pour dsigner les rpublicains
et o sy trouvent justifies les arrestations de centaines de gens et
linterdiction de runions, car il faut isoler pour mieux la contenir
et la vaincre cette partie, forcment minoritaire et condamne par
le reste de la population25.
Enfin en venir cette Troisime Rpublique qui sinstalle
Relever la faon dont les conservateurs pensent pouvoir se servir 24 K. Marx, op. cit., p. 25. 25 Cf discours dEmile Ollivier lAssemble nationale, sance du 8 fvrier 1870.
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de lide rpublicaine. Noter un extrait dune lettre que Thiers
reoit dun ami : Il faut se servir de la forme rpublicaine pour
achever de renouveler notre pays corrompu par lempire non de
cette rpublique haineuse des sectaires, - mais du gouvernement
de tous qui rende la France pendant un interrgne fcond et par
un accord intelligent des partis, un peu de cette force quen six
mois elle a si douloureusement et si hroquement dpense. []
Un gouvernement neutre capable de museler les violents, dexiger
des sacrifices sans soulever de trop ardentes rancunes, de porter
sans plier les fardeaux les plus lourds, parce que tout le monde
inclinera ses sentiments devant un drapeau qui ne sera celui de
personne. 26.
Noter que, plus tard, un journal bonapartiste, lOrdre de Paris,
exprimera plus ou moins une ide similaire : Lopinion de la
plupart des gens senss et expriments, cest que la Rpublique
abrite sous les plis de son drapeau tant de passions et de
systmes, quelle ne saurait marcher un mois sans ltat de sige
dans tous les centres importants du territoire, moins de donner
de nouveau le spectacle affligeant des grandes calamits .
Larticle poursuit en exprimant son souhait dune Rpublique
nominale , qui na de Rpublique que le nom donc : la
Rpublique nominale, gouverne, heureusement, lexclusion des
26 Lettre de Georges Picot au comte de Montalivet, in le courrier de M. Thiers, p. 426.
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vrais rpublicains, prserve la France des flaux invitables de la
Rpublique effective .27.
Les rpublicains, jusquaux plus modrs, sinquitent et
souponnent les conservateurs de vouloir perdre lide
rpublicaine : Les ennemis de la Rpublique sont habiles et
patients. Ils sauront attendre. Ce quils veulent de la Rpublique,
cest quelle endosse la responsabilit de la paix quils souhaitent.
Le calcul est simple : cest la Rpublique qui portera le poids de
nos dsastres et de notre dchance 28. La mfiance court et
contamine : Les Orlanistes veulent une rpublique intrimaire
pour conclure une paix dshonorante, de sorte que la
responsabilit nen retombe pas sur les Orlans qui seront
restaurs dans un second temps. 29
Sans spculer sur les intentions des uns et des autres, noter
simplement que Thiers tout autant que lAssemble lue en fvrier
1871 ne fermera pas la possibilit dun retour de la monarchie30.
Cela ne prouve rien sur leur motivation, mais cela ne sera pas fait
pour rassurer les rpublicains Les modalits du rgime
rpublicain restent aussi ouvertes. Si on a vu que les rpublicains 27 Lordre de Paris, 5 Novembre 1873. 28 In le Rappel, 23 Fvrier 1871. 29 Lettre dEngels Marx, 7 Septembre 1870, in Marx, Engels, la Commune 1871, pp. 54-55. 30 Cf le Temps du 23 Fvrier 1871 : le passage [] qui semble laisser la question indcise entre la rpublique et la monarchie [a] t tout fait du got des dputs ruraux ou encore le Figaro du 22 Fvrier 1871 : je crois quil y aurait une prudence extrme et une droiture de conduite ncessaire laisser la France se recueillir ; laisser la paix se signer ; laisser nos blessures les plus graves se cicatriser. Aprs cela, on pourra poser au pays ces questions : monarchie ou rpublique. On peut tre tranquille, le pays rpondra : Monarchie
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du centre droit ne sopposent pas une fdration de petites
Rpubliques31, dautres plus droite expriment leur got pour une
Rpublique calque sur la monarchie parlementaire de Grande
Bretagne32
[Notes : voquer quelques pistes de lecture que nous verrons ce
dployer au fur et mesure. Sattarder sur cette Rpublique
nominale. Le nom qui dsigne est une approximation de la chose
dsigne. Regarder un systme politique sorganiser sur
lapproximation et le malentendu.
Reprendre quelque part ce point que Foucault pingle dans une
de ses confrences, pour lavoir en tte : Il ny a pas de
rationalit gouvernementale du socialisme. Le socialisme, en fait,
et lhistoire la montr, ne peut tre mis en uvre que branch sur
des types de gouvernementalit divers 33.
La rpublique nominale, cest dsigner des ides approximatives
sur lesquelles se rassemblent des malentendus. Ca fait une
rationalit gouvernementale, mais non pas tant de compromis et
de ngociations, que de croyances et de dceptions. Le
rationalisme qui nomme et modlise, qui tend mettre au pas de
la parole le monde est irrationnel et dlirant Inutile dinsister sur
ce point. 31 Cf note 5. 32 In Le Journal des Dbats, 25 Fvrier 1871 : LAngleterre na-t-elle pas fait une monarchie qui ressemble une Rpublique ? Pourquoi ne ferait-on pas une Rpublique qui aurait les avantages dune monarchie reprsentative ? . 33 Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, p. 93.
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Mettre en parallle la piste communeuse. La Commune est une
rationalit socialiste, qui aura chappe Foucault. On peut
distinguer deux mouvements : un dploiement dune dsignation
qui se fera de plus en plus prcise, et nous verrons les limites
organisationnelles dune telle prcision, segmentation, division ; un
mouvement qui refuse de dsigner les choses, parce quil refuse
les approximations]
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3. De la guerre de 1870 notes.
Revenir brivement, par touches, sur la guerre franco-prussienne
qui court du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871. On prte
Bismarck lintention du prtexte dune guerre pour runir
lAllemagne34, ne pas sy attarder viter les spculations sur des
intentions Sarrter plutt sur les consquences de cette guerre
qui accusent le clivage entre les forces, les camps politiques quon
a esquiss prcdemment
Noter les chiffres : On compte 265 000 soldats franais face
prs dun million dAllemands 35 . Cette estimation prend
curieusement lchelle basse pour le ct franais et haute pour
celui allemand Grossirement, au dbut de la guerre on aurait
quelque chose comme 265 000 soldats franais et 500 000 soldats
prussiens, puis aprs la mobilisation et le rassemblement des tats
allemands, on aurait 900 000 franais contre 1 200 000 allemands
34 Cf par ex. Alain Favaletto, Allemagne : la rupture ?, ed. LHarmattan, 2013, p. 18. 35 Ibid., p. 19.
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et prussiens36. Bref Noter que Les Allemands lemportaient en
outre sur leurs adversaires par la supriorit de leur artillerie 37
Avant de poursuivre, sattarder sur ces descriptions de Zola dans
la Dbcle dune organisation ahurie de larme franaise : une
attente nen plus finir, o les gnraux ne savent plus quoi faire
pour occuper les hommes38 ; des troupes qui savancent jusqu
lAisne pour reculer vers la valle de la Marne lapproche de
lennemi ; des jours, des semaines attendre et tourner et
tourner encore Et des corps puiss, affams, plus mme
capables de se tenir debout au moment o il sagit finalement de
se battre Il ny avait donc ni direction, ni talent militaire, ni bon
sens ? 39 fait-il se demander un soldat qui nen peut mais de
reculer encore Et de sinterroger : Ctait donc vrai que cette
France, aux victoires lgendaires, et qui stait promene,
tambours battants, au travers de lEurope, venait dtre culbute
du premier coup par un petit peuple ddaign ? 40.
Noter encore une phrase de ce roman pointant un soupon qui
va venir tracasser la France : Oui, oui ! on les avait amens l
pour les vendre, pour les livrer aux Prussiens. Dans lacharnement
de la malchance et dans lexcs des fautes commises, il ny avait 36 Ibid. 37 Marc Debrit, La guerre de 1870, Genve, 1871, p. 74. 38 mile Zola, la Dbcle, bibliothque lectronique du Qubec, p. 82. 39 Ibid., p. 197. 40 Ibid., p. 119.
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plus, au fond de ces cerveaux borns, que lide de la trahison qui
pt expliquer une telle srie de dsastres 41. Ne pas se prononcer
sur la question de savoir si ces soupons de trahison sont le fait de
cerveaux borns ou un got que lon retrouve souvent qui veut
quon ne sache pas sexpliquer laccident, limpuissance,
autrement que par le complot, cest--dire que lvnement
accidentel doit forcment tre contrl par quelquun quelque
part, un dieu, une malice, autre. Le corps humain ne connat pas la
passion, nen revient pas de subir ce qui se prsente lui comme
vnements. Peu importe Toujours est-il que le soupon est
pos
[Note pour moi : Sur lvnement. Il y a des cours prolifrants
deffectuations et la perception qu un moment ces cours se
fracassent. La perception nous dit quil y a vnement, forcment,
mais lintelligence ne se rsout pas trancher et dcouper
arbitrairement On pourrait penser par intensits : il y a des
protestations dont lintensit franchit le seuil de la rvolte, et
dterminer les seuils Mais ce serait encore accommoder, tordre,
corrompre, plier le cours prolifrant lusage de la langue et de la
pense. Jinsiste : le point de passage nest quaffaire de
perception et de parole. Sil ne sagissait que de praticit et de
commodit Mais cest que le mot est vou se faire axiome et
41 Ibid., p. 267.
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dogme. Poser le mot, cest dj ne plus pouvoir sen dptrer. Et
nous voici avals, ravis par un dlire de paroles qui vient poser ici
le mot rvolte, l son diffrentiel, puis le diffrentiel du diffrentiel
et ce qui semblait fait pour flatter notre perception en se pliant
sa faon, dj nous bouche la vue Je veux dire : mme le corps
rvolt, travaill par ses perceptions et ses paroles, ne saurait plus
sy retrouver La parole ne doit pas tre faite pour dsigner mais
pour pressentir ; on ne pose pas des certitudes, on esquisse des
intuitions, on dgage des incertitudes inaperues Des mains
ngatives, des mots-choses ngatifs La parole suggre quil y a
l quelque chose quon ne sait pas, quon ne sait pas tenir dans
ses mains]
Poursuivre la rcolte dlments qui dessinent une impression de
cette guerre Le 2 septembre, Napolon III capitule et est arrt
Sedan. Le 4, des mouvements du Peuple nen plus finir, on y
reviendra, proclament la dchance de lEmpereur et la Troisime
Rpublique. Un gouvernement provisoire, le gouvernement de la
dfense nationale, est nomm.
Relever ce passage, issu dun livre disons discutable, qui rsume
les vnements qui suivent : Trois temps, fort ingaux, vont alors
se succder : celui de leuphorie rpublicaine qui se brisera sur la
volont de Bismarck, celui de la guerre outrance men par
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29
Gambetta dans un style plus politique que militaire, puis, devant la
famine qui menace Paris, la signature, mais aux conditions de
Bismarck, de larmistice 42. Mais on est loin den tre l
Sarrter sur la perception de la chose Dabord la composition
de ce gouvernement, les gnraux de son arme, ses
administration, qui ne sont pas faits pour inspirer confiance aux
rpublicains. Par exemple, la date du 28 janvier 1871, on peut lire
dans le Rappel : Rpublique franaise. Je vois bien ce nom sur
les murs, sur les affiches, au fronton des monuments et au dbut
des proclamations. Mais je cherche vainement la chose. Le mot
Rpublique est partout; les actes rpublicains ne sont nulle part.
tant donne la situation, qu'est-ce que le gouvernement de la
dfense a fait, que l'empire n'et pas fait comme lui ? 43
Mais surtout les accusations de connivence ou de trahison
enflent
Dans son tude sur le journal communard le Cri du Peuple,
Maxime Jourdan note : Du 22 fvrier au 12 mars, on relve 12
occurrences du verbe vendre et 20 occurrences du verbe
livrer 44. Une dernire bataille, le 18 janvier 1871, lance par
Trochu, celle de Buzenval, perdue davance, les convainc quon
mne le peuple la mort, sciemment, pour sen dbarrasser : 42 Odile Rudelle, la Rpublique absolue, publications de la Sorbonne, p. 15. 43 Henry Maret, le Rappel, dat du 28 Janvier 1871. 44 Maxime Jourdan, Le Cri du Peuple, ed. LHarmattan, p. 67.
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30
Le plan de M. Trochu, crit Jean-Baptiste Clment, tait une
srie de dsastres et de capitulations prvus et mdits par les
hommes de lHtel de Ville, revus et corrigs par de Moltke et
Bismarck (Le Cri du Peuple, J.-B. Clment, 5 contre 1, 5 mars
1871). De cette assertion nat une ide-force, rpte par le journal
comme une antienne : la France na pas t dfaite, Paris na pas
capitul, ils ont tous deux t livrs, vendus par des hommes
qui pouvaient vaincre mais qui ne lont point voulu. 45.
Sur le soupon dentente avec lennemi
Passer sur le compte-rendu des entrevue entre J. Favre et
Bismarck, dont la publication est dirige par celui-l, qui a quelque
chose qui tient plus dune mise en scne o il tente de se justifier
et daccuser les autres Nations46.
Sattarder sur laccusation qui aura t la plus fracassante, celle
qui concerne la dfaite de Bazaine Metz. Gambetta lui mme
parle de trahison47 Remarquer que le ressentiment de cette
dfaite est forcment la mesure de lespoir, le dernier, qui
seffondre On ne comprend pas quon ait perdu Metz autrement
que par malice. Et voil quon dcouvre une note que le Marchal
adressait au quartier gnral prussien : La question militaire est
juge et Sa Majest le roi de Prusse ne saurait attacher un grand
prix au strile triomphe quil obtiendrait en dissolvant la seule force 45 Ibid. 46 Cf G. dHeylli, Jules Favre et le comte de Bismarck, Entrevue de Ferrires, Paris, 1870. 47 Cf la proclamation de Tours du 30 Septembre 1870.
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qui puisse aujourdhui matriser lanarchie dans notre malheureux
pays. Elle rtablirait lordre et donnerait la Prusse une garantie
des gages quelle pourrait avoir rclamer. 48. La question est
pose : les gnraux, le gouvernement, prfrent-ils sentendre
avec lennemi pour craser les rpublicains ?
On stouffe. Un type effarouch, qui doit sennuyer assez
pendant le sige pour consigner tout ce qui lui passe par la tte,
note dans ses carnets des propos qui seraient tenus au cours
sances de Clubs parisiens o on prononce lunanimit la
condamnation mort par contumace contre le tratre Bazaine 49.
Bazaine sera traduit devant le conseil de guerre Rcapituler.
Regarder ce qui lui est reproch. Les rpublicains laccusent
davoir livr Metz aux Prussiens par peur du Peuple. Le
gouvernement, le corps militaire, ne comprennent pas la
capitulation, qui parat prcoce, de Metz alors que des pourparlers
sont en cours. Insister sur la distinction.
Noter que la note dcouverte ne prouve pas la trahison. Bazaine a
pu utiliser un argument quil imaginait pouvoir tre entendu par les
Prussiens pour les convaincre dpargner ses troupes, censes
tre mme de rtablir ou maintenir lordre. Ce qui tonne, cest la
capitulation avant mme de stre battu tout fait et les contacts
avec lennemi lors mme que le gouvernement ngocie de son
ct 48 Cit par exemple par J. Jaurs in Histoire socialiste, T. XI, la Guerre Franco-allemande, p. 11. 49 Francisque Sarcey, le Sige de Paris, p. 168.
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32
Dans un extrait du conseil de guerre devant lequel il est traduit,
on peut lire le Prsident sinterroger : En somme, vous aviez les
indications de tentatives faites sous des formes diverses de
ngociations dont la paix aurait pu tre la consquence. Vous ne
deviez pas ignorer que le plus sr moyen dassurer les
ngociations tait de prolonger la rsistance et que ctait aussi le
moyen le plus sr de les faire russir 50
Ce prsident examine ses motivations et revient sur cette
question dordre social. La rponse de Bazaine est piquante : P. :
Dans la proclamation que vous avez adresse larme, je lis les
lignes suivantes : Continuons servir la patrie avec le mme
dvouement et la mme nergie, en dfendant son territoire contre
ltranger, lordre social contre les mauvaises passions. Ne
pensez-vous pas que la seule proccupation dun commandant en
chef devait tre la dfense du territoire ? Lordre social ntait pas
menac ce moment et il y avait 400 trangers sur le sol national.
B. : Je considrais lordre social comme menac, par la rvolution
seule du 4 septembre. 51. Prciser que le prsident fait rfrence
une proclamation faite par Bazaine aprs quil a runi les
commandants de corps le 12 septembre 1870
Laisser le lecteur conclure. Noter simplement qu il sera
condamn mort avec dgradation militaire pour avoir capitul en
rase campagne, trait avec l'ennemi et rendu la place de Metz 50 In Franois-Christian Semur, lAffaire Bazaine, ed. Cheminements, p. 100. 51 Ibid., p. 97.
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avant d'avoir puis tous les moyens de dfense dont il disposait52.
Prciser que la peine sera commue en vingt ans de prison, avant
quil ne parvienne svader et trouve refuge Madrid.
Rcapituler : la paix ou lanarchie.
Relever, dans les paramtres qui encadrent laction du
gouvernement et des gnraux, ces proccupations : la
ngociation de paix, la peur de linsurrection du Peuple
Noter cette dclaration du gnral Ducrot au cours de son
audition par une commission parlementaire : Il faut le dire : il y
avait l deux ides qui dominaient tout. Lune, ctait lespoir de la
paix pour beaucoup. Du moment que M. Thiers tait en
pourparlers avec M. de Bismarck, on esprait, quen confirmant les
pouvoirs du Gouvernement de la dfense nationale et surtout du
gnral Trochu, qui pour beaucoup tait larbitre de la situation, on
avait des chances dobtenir la paix ; puis la seconde ide, ctait
lespoir que le Gouvernement puiserait dans ce vote assez
dnergie pour dominer compltement le parti insurrectionnel. 53.
Et plus loin, on peut voir quil mesure la mfiance que la dfaite va
provoquer : Les gens de Belleville [] peuvent donner leur
soulvement un prtexte auquel les uns se laisseront prendre, et
que les autres exploiteront. Ils diront, comme ils le disent dj, que
52 Cf par ex. Henry Willette, lvasion du marchal Bazaine de lle Sainte-Marguerite, Perrin, 1973, p. 33. 53 Enqute parlementaire sur linsurrection du 18 mars, T. III, Versailles, 1872, p. XII.
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la paix, au prix quelle a cot, est une lchet, un crime contre la
nation, et ils trouveront des hommes rsolus. 54.
Remarquer que ce prix que cote cette guerre est pingl par
Trochu, prsident du gouvernement provisoire, qui raconte dans
ses mmoires qu ses collgues qui insistent pour parler de
ngociations pour un armistice il dit rpondre : Oui, ce sera
notre euphmisme gouvernemental vis- -vis des Parisiens ; mais
soyez srs que lorsquune cit renfermant deux millions et demi
dhabitants, qui vont notoirement mourir de faim, entre en
ngociations pour un armistice, elle capitule, et capitule merci.
C'est une cruelle ralit dont il faut que nous sachions envisager
les effets. 55
Noter pour lanecdote que dans une lettre Flaubert affirme que
les bourgeois se rassurent de lapproche des Prussiens : Ah !
Dieu merci, les Prussiens sont l ! est le cri universel des
bourgeois 56.
Se demander, sils avaient si peur dun Peuple auquel Napolon
III avait donn des armes en lui ouvrant la garde nationale en 1868,
pourquoi ne pas tenter de rcuprer les fusils en les rachetant
54 Ibid., p. XXVI. 55 Gnral Trochu, uvres posthumes, Tome 1, Tours, 1896, p. 543. 56 G. Flaubert, lettre George Sand, 30 Avril 1871.
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comme en 1789 par exemple 57 Jusquen Allemagne, on
stonnera de limprudence58.
Se dessine donc quelque chose qui oppose la dfiance des
rpublicains quant la trahison suppose du gouvernement et de
son arme et la peur des conservateurs lendroit des rpublicains
qui perdent patience et nourrit les soupons de ceux-ci en
rduisant les marges de manuvres de ceux-l face aux
prussiens [reprendre cette phrase dont la construction est
bizarre].
57 cf la confrence dHenri Guillemin sur Robespierre du 12 fvrier 1970. 58 Aprs la fin du sige, la premire prudence pour tout gouvernement eut t de dsarmer ces pouvoirs douteux; car il tait prvisible qu'ils ne reprendraient le travail qu contrecur, rticents abandonner leur pouvoir, et quils viendraient rapidement exercer leur tyrannie sur la capitale Provinzial Correspondenz, 22 Mars 1871.
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4. Le Sige de Paris la vie quotidienne.
On sinquite. On est en Septembre 1870. Les troupes
prussiennes marchent vers nous. La Rpublique, proclame le 4
Septembre, ny peut mais. Elle ne peut pas plus que lEmpire. On
croit suivre le parcours. On estime, on calcule, on mesure. Dans
combien de temps gagneront-ils Paris ? Par o ? Est-ce une
question de semaines ? De jours ? Un corps passe par la route de
Soissons ; un autre par celle de Meaux ; un dernier par Melun59. Melun, Meaux, cest tellement proche. Ne peut-on vraiment rien
faire ? Attendre ? Rien dautre ?
Le 18 Septembre, les troupes prussiennes passent la Seine
Villeneuve-Saint-Georges 60 et arrivent aux environs de Chtillon
en se massant dans les bois de Verrires. Villeneuve, on connat.
On y est n. Cest des images prcises qui viennent en tte la
lecture de ce nom : les champs partout et puis larrive du chemin
de fer, dans les annes 40 quand tait-ce donc ?61 ; le confluent
de lYerres avec la Seine quon regarde toujours avec une 59 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, Paris, 1872, p. 2. 60 Ibid., p. 15. 61 Cf Jean-Marie Castel, Villeneuve-St-Georges de 1840 nos jours, ed. Desbouis Grsil.
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immense curiosit, ces rseaux comme a, ces cours Elle est
magnifique la Seine ce niveau-l, elle parat immense ; on
repense aussi ce pont suspendu62, quon aura jamais emprunt,
tant il est troit Cest curieux le vertige, quand mme, de ne pas
savoir si on a peur de tomber parce quon a envie de se jeter ou si
on a envie de se jeter pour faire cesser la peur de tomber ou
Dautres corps passent par couen, Pontoise63
On est dimanche. Les thtres et concerts ouvrent comme
dhabitude 64, les femmes sont en grandes toilettes , on rit, on
chante, on danse On sera all dambuler aux Tuileries, aux
bois Certains auront pouss jusqu Saint-Ouen pour leur tour
de promenade rgulier le dimanche 65 Et pourtant. Il y a cette
pense qui tracasse lesprit, taquine le corps. Cest peut-tre la
dernire fois quon samuse avant On ne termine pas la phrase.
Les penses, la diffrence des opinions, ne sont pas faites pour
tre arrtes de toutes faons. On regarde Paris encore, son
fleuve ; ses immeubles trop rcents pour quon sy habitue tout
fait ; et ces foules, ces gens, lgants toujours, mais qui noublient
jamais de ngliger quelque chose dans leur faon, assez pour
avoir lair dtre beaux par accident, sans effort aucun. Cest un
secret parisien quil ne faut ni rpter, ni mme mentionner,
62 Voir photos : http://www.yerres-nostalgie.com/img/Alentours/PntSuspenduVSG.htm 63 Cf. la fiche Wikipedia Sige de Paris (1870), version en date du 24 juillet 2013. 64 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 14. 65 In mile Zola, lAssommoir.
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jamais Si quelquun y fait allusion, feignez de ne pas
comprendre du tout. On coute leurs rires, leurs rumeurs, leurs
clats. On entend une dame esclaffer quelque chose qui sonne
comme de lironie en observant les passants : heureux pays, qui
passe si allgrement du grave au doux, du noir sinistre au rose
tendre ! 66. On se retourne. Elle rit, elle aussi, comme les autres.
On se promne encore sur les quais. Sur le pont des Arts, on
sarrte. On ne lemprunte pas, bien sr, mais on regarde. On voit
le soir disperser, touffer la lumire du jour. Les nuages avancent,
eux aussi, comme autant de menaces. On marche encore. Les
cafs sont combles 67 . On sourit. Le lendemain, lundi, les
nouvelles tombent et affaissent leur poids sur Paris : de tous
cts le cercle allemand nous treint. Le sige commence. 68.
Noter que la progression des troupes prussiennes voisine et
quon ne sait pas arrter un jour comme dbut du sige, cest--
dire un vnement prcis qui marquerait un dbut Jacques-
Henry Paradis, attentif lecteur de presse, dans ces carnets sur
lesquels on sappuie pour ce chapitre, le fait courir entre le 15 et le
20 On saccorde sur le 18 septembre 1870
Le poids des nouvelles, on peut le sentir frapper le diaphragme,
la gorge, le ventre. On ne sait pas sen dbarrasser. On se dit : le 66 Augustine M. Blanchecotte, Tablettes dune femme pendant la Commune, Paris, 1872, p. 55. 67 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit.. 68 Ibid., p. 16.
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Sige pourrait tre court. Certains ne croient pas que la rsistance
des parisiens puisse durer. On parle darmistice. On ne sait rien.
La Ville placarde des affiches invitant faire des provisions69. On les lit. On se dit queux non plus ne savent rien. Les gens quon
croise partagent leurs prvisions. Les gens aiment bien faire
comme sils savaient, de tous temps, cest le pouvoir magique de
la parole On fait des sorcelleries, des politiques et des sciences
avec a. Certains disent quon tiendra quinze jours, dautres trois
mois70. On les coute comme on ferait sils parlaient du temps, avec cet air quon a quand la parole na pas dimportance, quon
la prononce simplement comme on sourit, par politesse. Personne
ne sait dire que le Sige courra jusquaux cessez-le-feu du 26
Janvier 1871 ; la poursuite des ngociations de Paix en Fvrier ; et
le dfil des troupes prussiennes sur les Champs-lyses, le 1er
Mars Et mme si on devine que lisolement va sembler long,
rude, froce, personne ne sait tout fait comme le froid, la faim, la
colre viendront changer la figure de Paris.
Sattarder sur cette vie au jour le jour, trop nglige, alors quelle
permet de pressentir concrtement les tensions entre les forces
politiques Paris
69 Ibid., p. 11. 70 Ibid., p. 2.
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41
Commencer par dessiner la vie quotidienne du sige le folklore
de la chose par exemple ds la fin septembre on ne se promne
plus71 ; le bois de Boulogne est ferm72 ; le jardin du Luxembourg
est interdit aux promeneurs, on y parque moutons et canons73 ; les
cafetiers et les marchands de vin ferment, par ordonnance, dix
heures et demie du soir74 ; des thtres (de la Porte Saint Martin, le
Franais, lOdon, le Thtre lyrique) se transforment en
ambulances75 ; on rquisitionne les chevaux, les voitures76 ; pour
le courrier, on lance dans les airs des ballons emportant 300
kilogrammes de dpches et trente pigeons 77 afin de
contourner le blocus des Prussiens ; on tente de jeter des
bouteilles la rivire pour correspondre, mais la tentative est peu
concluante : Cette bouteille, suivant la date de la lettre, a mis un
mois et un jour pour arriver destination. 78 ; on fait le tour de
Paris, le seul voyage qui nous soit permis 79 en guise de
promenade ou on va jusqu Saint-Cloud, notre extrme
frontire 80 ; on admire, le 25 octobre, une aurore borale
envelopper le ciel de Paris : Beaucoup de personnes crurent un
immense incendie. 81 ; on mange les poissons pchs dans la
71 Ibid., p. 49. 72 Ibid., p. 56. 73 Ibid., p. 155. 74 Ibid., p. 51. 75 Ibid., p. 63. 76 Ibid., p. 516. 77 Ibid., p. 136. 78 Ibid., p. 526. 79 Ibid., p. 108. 80 Ibid., p. 173. 81 Ibid., p. 252.
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42
Marne et dans les lacs des Bois de Vincennes et de Boulogne :
Les prix sont des plus raisonnables. 82 ; on coupe des arbres
dans les bois de Boulogne et de Vincennes mais les bois sont
naturellement verts et ne peuvent brler 83
Au dbut du Sige, on ne doute pas quon aura assez de vivres
pour tenir84, il ny a qu voir ces immenses troupeaux aller, en un
mouvement qui fait plaisir voir, boire aux abreuvoirs de la
Seine85. On regarde les btes. On vrifie comme elles se portent.
On se rassure. Certains quartiers semblent transforms en une
immense ferme o les poules errent dans les rues86 On mange
plus de cheval quavant ; les voisins ont vendu le leur la
boucherie 87 , leur voiture avait t rquisitionne de toutes
faons On mange aussi les poissons de la Seine88, des lacs des
bois de Vincennes et de Boulogne89.
Mais dj, on commence avoir du mal trouver du lait, du
beurre 90 ; les marchands nont presque plus de sucre 91 ; les
pommes de terre ont compltement disparu92 Comme cest
82 Ibid., p. 321. 83 Ibid., p. 580. 84 Ibid., p. 11. 85 Ibid., p. 11. 86 Ibid., p. 224. 87 Ibid., p. 218. 88 Ibid., p. 121. 89 Ibid., p. 321. 90 Ibid., p. 243. 91 Ibid., p. 425. 92 Ibid., p. 425.
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43
trange de voir les marchs au trois quart dserts, la
poissonnire vendre des nfles ou la fruitire du saucisson93
On a trouv une petite bote qui servira rassembler les bons
dalimentation et les bons de pain Et le rationnement est svre,
les portions de pain sont peu copieuses94, au point quil faille venir
avec son pain au restaurant ou chez les amis qui invitent dner
On le trouve gris bleutre , jaune terreux , gris , selon les
farines dont il est fait95, chez des boulangers dvaliss, obligs de
fermer midi96. On lit dans le journal un avis : la Commission
centrale dhygine et de salubrit rappelle la population que le
pain bis, loin davoir, comme le pensent les personnes qui ny sont
pas habitues, des proprits nuisibles, est la fois bien plus sain
et plus nourrissant que le pain blanc. Les personnes que
rebuteraient la couleur de ce pain et la prsence de quelques
parcelles de son cderaient donc un prjug que rien ne
justifie 97. On rit. Quils aient besoin de rassurer sur les qualits
de ce pain bis, cest bien quil a quand mme une mine bizarre
Tous les animaux de Paris y passent , mme les moineaux, les
pigeons98 On livre les animaux du Jardin dAcclimatation
93 Ibid., p. 425. 94 Ibid., p. 834. 95 Ibid., p. 872. 96 Ibid., p. 496. 97 Le Figaro, 10 Dcembre 1870. 98 Ibid., p. 582.
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44
lalimentation, sauf les chameaux et les lphants 99. Noter que
Pollux et Castor, les deux lphants du Jardin des Plantes, ont t
tus, daprs Frank Schloesser100. Les bons morceaux se vendaient
45 francs le demi-kilo
Notes : sarrter sur la question de savoir si on mangeait ou non
du rat, du chien, du chat. Jacques-Henry Paradis, qui tient bon
nombre de ses informations de la lecture de la presse de droite,
crit le 11 novembre : Les rats, commencent, parat-il, tre fort
apprcis. La chasse est ouverte, et, hier matin, un vritable
march aux rongeurs se tenait sur la place de lHtel de ville. 101.
Puis, deux jours plus tard : Je signale louverture, cette semaine,
des boucheries de viande de chien et de viande de chat et de rats.
Ces derniers se mangent de prfrence en pt. 102.
Francis Wey samuse recopier un menu qui a fait le tour des
salons : Consomm de cheval au millet. RELEVS : Brochettes
de foies de chien la matre d'htel. mincs de rble de chat
sauce mayonnaise. ENTRES : paule et filet de chien brais
sauce tomates. Civet de chat aux champignons. Ctelettes de
chien aux petits pois. Salmis de rats la Robert. ROTS : Gigot de
chien flanqu de ratons. Salade d'escarolles. LGUMES : Bgonia
au jus. Plum-pudding au jus et la moelle de cheval. Dessert et 99 Ibid., p. 389. 100 In Frank Schloesser, les Menus du sige 1870-1871, numris par la mdiathque de Lisieux, www.bmlisieux.com/curiosa/schloe01.htm. 101 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 350. 102 Ibid., p. 355.
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45
vins. 103 Et livre son opinion : Remarquons toutefois que les
nourritures bizarres, empruntes aux animaux domestiques ou
immondes, taient encore des curiosits gastronomiques plutt
que des ressources ncessaires. Paris se fait de tout une
amusette, et le beau monde tenait se flatter un jour d'avoir
mang des caniches et des rats. Quant au bon peuple, il
mourrait 104.
Plus couramment, Lisagaray crit : La faim piquait plus dur
dheure en heure. La viande de cheval devenait une dlicatesse.
On dvorait les chiens, les chats et les rats. 105.
Au 9 octobre, J. H. Paradis relve le prix des filets de buf et
jambon : de 3 6 francs et du rosbif : 3francs 106. Au 5
dcembre, il note ces prix : Gigot de chien, 2 fr la livre ; rognons,
25 centimes la pice ; un chat dpouill de sa peau vaut 5 fr. 107.
Au 25 dcembre, il consigne : poulet 35 fr ; chat : 20 fr 108.
Si on peut estimer le salaire moyen dun ouvrier Paris 5 francs
par jour109 et celui de louvrire 2,25 francs110, pendant le Sige le
travail manque, beaucoup ne vivent que de la solde de garde
national, ou de la pension de veuve, quils reoivent. Cette solde
103 Francis Wey, Chronique du Sige de Paris, ed Hachette, p. 219. 104 Ibid., p. 218. 105 Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1929, p. 60. 106 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 121. 107 Ibid., p. 464. 108 Ibid., p. 550. 109 Cf. Paul Louis, Histoire de la classe ouvrire en France de la Rvolution nos Jours. 110 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), d. LHarmattan, 1997, p. 294.
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46
est de 30 sous111, soit 1 franc 50112. Se permettaient-ils dacheter
des viandes ce prix ?
Mais, surtout, cest ce froid, ds dbut Dcembre113, qui rend les
choses douloureuses Fin Dcembre, le bois se fait si rare,
qu on ne fait plus de feu que dans une seule chambre, qui
devient la chambre commune. 114. Mi-Janvier, voil vingt jours
quil gle sans discontinuer ; ce qui ne sest presque jamais vu
Paris. 115 . On ouvre des chauffoirs publics, o les pauvres
peuvent venir manger et les femmes coudre 116 Avec la malnutrition, le froid fait ces deux mois, Dcembre et Janvier,
assassins. Le taux de mortalit double117. On meurt de variole, de scarlatine, de rougeole, de fivre typhode, de bronchite ou de
pneumonie118.
Noter que la population participe aux souscriptions nationales
pour acheter des canons. Plusieurs appels paraissent dans la
111 Cf. par ex le journal des Goncourt, T. II, vendredi 7 octobre : le pauvre diable sollicite son admission dans la garde nationale, pour gagner 30 sous par jour . 112 la solde dun garde national se monte 1,50 francs par jour (2 francs pour les sous-officiers et 2,50 francs pour les officiers) in Eric Cavaterra, la Banque de France et la Commune de Paris, ed. LHarmattan, p. 42. 113 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 480. 114 Ibid., p. 563. 115 Ibid., p. 766. 116 Ibid., p. 824. 117 Cf. la fiche Wikipedia Sige de Paris (1870), version en date du 24 juillet 2013. 118 Cf Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, op. cit., p. 684 ou encore un bulletin de la mortalit Paris paru dans La Presse, 20 dcembre 1870.
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presse119 Au 10 novembre, par exemple, la somme atteint un
million cinq cent mille cinquante francs120.
Dbut Janvier, Paris est bombard. Les canons Krupp, muets si
longtemps, se mettent aboyer et essayer de nous mordre 121.
On se rfugie dans les caves122. Le 10 janvier, Paris na pas ferm lil un seul instant cette nuit 123 , effray par le bruit
dchirant des bombes. Cette sensation-l que, chez soi, dans sa
tranquillit, le feu puisse venir vous trouver et vous abattre, tout
instant, dans sa soudainet et son imprvisibilit injustes, cruelles,
je crois quon ne saurait pas la dcrire.
Et puis, la fin Janvier, le froid a disparu 124 Quelques jours plus tard, larmistice est sign. Le 27 Janvier, cest la premire fois
depuis un mois, lternit quon passe la journe sans
entendre le bruit terrible du canon 125. La rigueur va se faire plus
lche ; les vivres vont circuler ; et les gens, les amis, la famille
rests loin de Paris Oh, on va pouvoir leur crire, les revoir,
retrouver ce qui fait quon les reconnat toujours, lclat de leurs
yeux, la caresse de leurs voix, la chaleur de leurs corps quand on
les serre assez longtemps pour quelle perce nos propres chairs et 119 Cf par ex. Le Sicle, 14 Octobre 1870. 120 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 348. 121 Le Rappel, 5 Janvier 1871. 122 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 694. 123 Ibid., p. 707. 124 Ibid., p. 775. 125 Ibid., p. 878.
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nous ensuque Quand mme, on nen revient pas, Paris a tenu
ce peuple parisien, dcidment, quand mme !
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5. Interruptions, incises des conditions de vie la fin du XIXe
sicle.
Revenir sur la pnurie de vivres pendant le Sige.
Sur ce soupon : les marchands manquaient-ils de denres ou
spculaient-ils ?
Citer cet article du journal lIllustration126 : A peine avait-on lev
le dcret qui rquisitionnait les pommes de terre, que des sacs de
ce prcieux tubercule affluaient aux halles. A peine avait-on publi
la premire note relative larmistice, que les pavillons se
garnissaient de marchandises de toutes sortes, et la veille de voir
arriver les vivres on osait demander un franc pour un uf, 30 fr.
pour un lapin, et ainsi de suite. Honte ces peseurs dor qui,
devant une population affame, nont pas senti remuer leurs
entrailles ! Et dinsister : ils taient grandement coupables,
ces marchands sans vergogne, ces vendeurs honts qui, nayant
dautre dieu que lor, nont pas craint de spculer sur la misre
publique et la faim du pauvre .
126 Note : retrouver la date de publication ou supprimer la citation
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Est-ce dire que les vivres restaient stockes dans les greniers
pour organiser la pnurie et faire monter les prix ? On peut penser
aussi quon tentait de rpartir les denres pour une dure du sige
qui restait cruellement indtermine Sentant la fin du sige
approcher, on pouvait ouvrir les rserves
Relever le tmoignage de Jacques-Henry Paradis qui, au 17
septembre 1870, ds les premires affiches de la Ville invitant
faire des provisions, remarque qu A peine cet avis est-il donn
que, dans certains quartiers, tout augmente de cinquante pour
cent ; les marchands, profitant de la panique gnrale, spculent
honteusement 127.
Sur lapprovisionnement.
Citer une circulaire de Bismarck adresse aux agents
diplomatiques de la Confdration du Nord, dans laquelle il est
crit : Comme nous avions entirement cern la ville, nous ne
pouvions permettre lentre de nouveaux approvisionnements qu
la condition quils naffaibliraient pas notre position militaire et ne
prolongeraient pas le temps ncessaire pour rduire la ville par la
famine 128 . Les Prussiens ont, pour des raisons videntes,
intrt affaiblir Paris Pour autant, mettre en parallle avec cette
citation du journal le Rappel, dat du 5 fvrier : Un marchand 127 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, Paris, 1872, p. 11. 128 G. Heylli, Jules Favre et le comte de Bismarck : entrevue de Ferrires, Paris, 1870, p. 43.
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ambulant qui voiturait des pommes de terre, hier matin, rue
dArgout, a t pill par la foule et maltrait. Ce ntait pas, cette
fois, lnormit du prix qui avait ameut les passants ; car il offrait
le boisseau pour la somme invraisemblable de deux francs ! Mais
on a suppos quil avait obtenu ces pommes de terres des
Prussiens, qui, comme on sait, en vendent aux avant-postes. 129.
Noter cette curieuse phrase dans un bouquin sur le
gouvernement du 4 septembre et la Commune : Et cependant,
sil faut en croire un document publi sans tre dmenti, et qui
manerait de sa chancellerie, elle [la Prusse] ose accuser le
gouvernement de la dfense nationale de livrer Paris une famine
certaine ! Elle se plaint dtre force par lui de nous investir et de
nous affamer ! 130. Remarquer que la citation ne prouve pas que la
famine est organise : les Prussiens peuvent faire montre de
cynisme en accusant des Franais qui ne capitulent pas assez vite
pour lever le sige.
Le Cri du Peuple va plus loin et accuse les membres du
Gouvernement, Favre, Garnier-Pags, de stre enrichis en
spculant sur les vivres, pendant que Ferry (membre du
129 Le Rappel, 5 Fvrier 1871, p. 2. 130 mile Androli, Le gouvernement du 4 septembre et la Commune de Paris, 1870-1871, Paris, 1871, p. 92.
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gouvernement et maire de Paris) entravait lapprovisionnement
et rpandait la famine 131.
Marx prolonge laccusation et sen prend Ferry : Jules Ferry,
avocat sans le sou avant le 4 septembre, russit comme maire de
Paris pendant le sige, tirer par escroquerie une fortune de la
famine. 132.
Vrifier si Ferry tait sans le sou Dans un portrait de Ferry, on
trouve ce point quant ses ressources dues la gestion de la
fortune de son pre : laffection de son frre Charles qui se voue
la gestion de la fortune familiale et nhsite pas subvenir aux
besoins de son illustre frre, lui teront tout souci de caractre
matriel 133. Ne pas conclure Poursuivre les recherches
Sattarder sur Ferry, qui se charge dorganiser la collecte et la
distribution de lalimentation, achte aux cultivateurs de la
banlieue, fait distribuer la viande par le ministre du Commerce,
qui charge les mairies de les rpartir, et la farine par la Caisse de la
boulangerie134. partir de janvier, il met au point le rationnement,
et le rationnement ne peut tre que privation de toutes faons,
30 grammes de viande par jour et par personne et 300 grammes
131 Le Cri du Peuple, 27 Fvrier 1871. 132 Karl Marx, La Guerre civile en France, p. 35. 133 S. Bernstein in Les opportunistes : les dbuts de la Rpublique aux rpublicains, dir. : Lo Hamon, d. De la maison des sciences de lhomme, 1991, pp. 260-261. 134 Jean-Michel Gaillard, Jules Ferry, d. Fayard, 1989.
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dun pain qui na plus que 25% de farine 135, puisquil oblige les
boulangers procder des mlanges136. Il dira : La population
ne me pardonnera jamais ce pain-l. [] Cest le pain noir, le pain
de sige, le pain Ferry comme on lappelle. Jen porte le fardeau.
Le rle que nous avons rempli tait un rle sacrifi davance, nous
ne lignorions pas. Ce pays naime pas les vaincus. 137. Remarquer
quil sera la cible des colres dun peuple qui laffuble du surnom
Ferry-famine .
Enfin relever cette anecdote dans le journal de Francis Wey qui, si
elle ne prouve pas la malignit des membres du gouvernement,
dnonce leur comment dire ? imprparation, incomptence ? ou
limmense difficult de leur tche ?... : Le 22 novembre, le
gouvernement s'empara de toutes les pommes de terre et se
chargea de les vendre la halle aux dtaillants. Il les dposa donc
dans les caves, afin de les mnager, et quand, plus tard, on voulut
les distribuer, l'ensemble du stock tait pourri. 138.
INTERROMPRE LE COURS DE LTUDE POUR FAIRE UN
POINT SUR LES CONDITIONS DE VIE LPOQUE :
135 Jean-Michel Gaillard, Jules Ferry, 136 Antoine Nguidjol, Repenser lhritage de Jules Ferry en Afrique Noire, d. LHarmattan, 2008, p. 12 137 Cit par Franois Roth, La Guerre de 70, d. Fayard, 1990. 138 Francis Wey, Chronique du sige de Paris, 1870-1871, Paris, 1871, p. 219.
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Le salaire des ouvriers va de 5 F en moyenne 3,50 F 139. En
1862, dans la confection, exemple qui parat reprsentatif, le
salaire fminin est pass de 1,70 F 2,25 F140.
25 mai 1864 : abrogation du dlit de coalition et instauration du
droit de grve par la loi Ollivier 141. Pour autant on a vu le mme
mile Ollivier disperser des runions et procder des
arrestations142.
Les syndicats seront autoriss en 1884143.
Noter que les ouvriers travaillent surtout dans les ateliers :
Seulement 10% des ouvriers travaillent, en 1906, dans des
usines de plus de 500 employs, contre environ 50% dans des
entreprises de 1 5 employs 144.
Souligner limportance des corporations et la prgnance dun
socialisme corporatif : Tout au long du sicle, de nombreux
ouvriers conclurent quils nobtiendraient jamais le produit intgral
de leur travail avant dtre parvenus lappropriation collective du
capital par la corporation ouvrire 145.
Les femmes. 139 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), d. LHarmattan, 1997, p. 293. 140 Ibid. p. 294. 141 Fiche Wikipedia, Droit de grve en France, en date du 3 juin 2013. 142 Cf par ex les Annales du Snat et du corps lgislatif, sance du 8 fvrier 1870. 143 Wikipedia, Droit de grve en France, op. cit.. 144 Jean-Michel Gourden, Le Peuple des ateliers, d. Craphis, 1992, p. 53. 145 citant B. Moss, Aux origines du movement ouvrier franais, ibid., p. 122.
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Alors que lenseignement des garons comporte fort peu de
rudiments professionnels, les filles reoivent dans les coles-
ouvroirs des religieuses une ducation professionnelle au premier
chef. Dresses aux travaux daiguille ds leur plus jeune ge, les
colires se destinent normalement aux travaux de la couture. 146.
Relever les types de mtiers des femmes : la fin du XIXe
sicle, les mtiers de la mode et du vtement sont excuts par
87% de femmes, la domesticit est fminise plus de 81%. Ne
pas oublier cette prcision, pour la saveur de la chose : Et nul ne
critique que ces tches soient dlgues essentiellement des
femmes ; au contraire, toute mnagre les excute
quotidiennement dans le domicile conjugal. 147. Noter que sur une
anne les priodes de chmage (pouvant aller jusqu 4 mois pour
certaines), de faible travail (4 ou 6 heures par jour) alternent avec
des journes lourdes (13, 15h)148 Ajouter que les ouvrires sont
payes lheure dans ces ateliers
Sur le travail des enfants, noter ces phrases :
les entrepreneurs recourent aux enfants exactement comme ils
font appel la main-duvre fminine : pour faire baisser les
salaires. 149. 146 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville, op. cit., p. 293 147 Roger Colombier, Le travail des femmes autrefois, ed. LHarmattan, 2012, p. 91. 148 Ibid., p. 92. 149 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville (1852-1870), d. LHarmattan, 1997, p. 300
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La bourgeoisie industrielle du XIXe sicle considre aussi que
lemploi denfants est un facteur de paix sociale (elle vite la
dlinquance et l oisivet) et une manire daider les familles d
indigents survivre. 150
vote de la loi de 1841, qui interdit lembauche avant 8 ans dans
lindustrie, limite le travail huit heures entre 8 et 12 ans et douze
heures entre 12 et 16 ans Et dajouter : Cette loi a toutefois
peu dimpact. 151.
Les enfants sont employs par exemple dans les filatures
dballer et plucher les balles de coton, carder la laine, dvider les
cheveaux, bobiner 152. Mais ils sont aussi embauchs dans les
mines de charbon o en surface, les enfants trient, criblent et
lavent le minerai, et, au fond , manipulent les chariots, les portes
et les arateurs 153. Noter quils ne peuvent pas avoir la force de
retenir un chariot bien trop lourd pour eux.
Pointer que Jeanne Gaillard remarque un changement
important Paris, acquis au cours de lEmpire : le recours la
main-duvre trs jeune, savoir les enfants de moins de 12 ans,
devient exceptionnel 154. Remarquer que Zola fait envoyer lenfant
du personnage de lAssommoir en Province pour travailler
150 Bnedicte Manier, Le travail des enfants dans le monde, d. La Dcouverte, 2011, p. 9. 151 Ibid., p. 10. 152 Ibid., p. 8. 153 Ibid., p. 9. 154 Jeanne Gaillard, op. cit., p 296.
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Notes parses sur les conditions de vie.
un arrt du 20 avril 1853 institue un service mdical gratuit
lchelon de la capitale , intgr aux organismes locaux (conseils
dhygine, commissions des logements insalubres) 155.
La journe de travail est de 12 14 heures. En prvision des
priodes de chmage, louvrier doit amasser des conomies156, si
tant est quil le puisse Le chmage peut tre du la fluctuation
des demandes : pour les couturires, il peut atteindre 70 jours
lt157 Sans assurance maladie, retraite, assurance chmage,
etc. louvrier ne trouve crdit quen gageant ses quelques objets
prcieux au Mont-de-Pit158.
Au sujet des vacances, prendre appui par exemple sur les
mmoires de Louise Michel, institutrice donc, qui raconte quelle
ne pouvait pas rendre visite sa mre : on na que huit jours,
dans les externats, sous peine de perdre ses lves . Et
dajouter : Et puis, comment ferait-on pour le terrible loyer sil se
trouvait un mois sans recette ? 159.
Relever une autre anecdote quant la place des femmes y
compris dans les milieux de gauche : Javais eu plusieurs fois 155 Jeanne Gaillard, Paris, la Ville, op. cit., p. 249. 156 Cf par ex Daniel Vasseur, Les Dbuts du mouvement ouvrier dans la rgion Belfort-Montbliard, Institut dtudes comtoises et jurassiennes, p. 36. 157 Roger Colombier, op. cit., p. 92. 158 Cf par ex lextrait dun texte de lInternationale cit par Jules Claretie, Histoire de la rvolution de 1870, Paris, 1872, p. 94. 159 Louise Michel, Mmoires de Louise Michel crits par elle-mme, Paris, 1886, p. 85.
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loccasion de remarquer quen jetant dans la bote dun journal
quelconque des feuillets signs Louise Michel, il y avait cent
parier contre un que ce ne serait pas insr ; en signant au
contraire Louis Michel ou Enjolras, la chance tait meilleure. 160.
On sait que pour les mmes raisons Victoire Bra pris les noms de
ses deux fils et se fit appeler Andr Lo pour crire161
Sur les actions concrtes menes par les comment dire ?
rsistants rpublicains ? noter ce passage : Nous avions, les
dernires annes de lEmpire, une cole professionnelle gratuite
rue Thvenot ; chacune de nous y donnant quelques heures, trois
fois par semaine, et la Socit pour linstruction lmentaire se
chargeant du loyer 162
Aborder la cooprative alimentaire La Mnagre fonde en
1866, par Varlin, Nathalie Lemel et quelques autres, o celui-l,
prsident, supervise les achats et, de concert avec dautres
socits coopratives, il se bat pour obtenir des rductions, aussi
minimes soient-elles 163 . A noter, pour lanecdote, que son
successeur tapera dans la caisse lobligeant reprendre la
direction Puis la cration de La Marmite , par la mme quipe,
une cuisine cooprative, sorte de pension de famille o les
160 Ibid., p. 99. 161 Fiche Wikipedia Andr Lo, en date du 12 Juillet 2013. 162 Louise Michel, op. cit., pp. 147-148. 163 Michel Cordillot, Eugne Varlin : Chronique dun espoir assassin, les ditions Ouvrires, 1991, p. 46.
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ouvriers clibataires pourront prendre leurs repas un prix
abordable et se retrouver entre eux 164.
Noter que la rudesse des conditions nempche pas une certaine
gait. Relever par exemple les nombreuses farces auxquelles se
livrent Louise Michel qui un jour colle une affiche rpublicaine sur
le dos dun sergent de ville165 ou les histoires loufoques quelle
raconte un bureau de placement pour moquer les bourgeois166
164 Ibid., p. 47. 165 Louise Michel, op. cit., p. 155. 166 Ibid., p. 149.
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6. Subduction et collusion politiques, premire partie.
Les troupes franaises perdent Sedan, le 1er Septembre 1870.
Paris sagite.
Note : Jai beaucoup hsit faire partir cette tude de la
proclamation de la Rpublique. On sarrte si peu sur cet
vnement, dordinaire, pour commencer les recherches sur la
Commune son clat, le 18 Mars, quil y avait quelque chose de
suspect tre le seul aller bien plus avant Cest aprs des
mois de lectures que ce pressentiment mest venu, que ce
changement de rgime tait forcment un souffle despoir ou de
craintes fracassant. Et la question de la lgitimit mme de cette
Rpublique nest pas sans consquence sur lenchanement des
faits et laccentuation des tensions et des mfiances de part et
dautre, au point que jai fini par tre convaincu tout fait de ce
choix
La Rpublique.
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On est le 4 Septembre. On entend les corps courir, les voix
slever. On regarde par la fentre, on descend : Quest-ce quil y
a ? On suit les gens ; on lit les placards167. On se retrouve aux
Tuileries, la Concorde, sur la Seine, devant lAssemble
nationale, nombreux, si nombreux. Derrire quelquun dit que
Napolon III sest constitu prisonnier. On nentend pas ce quil
explique. Les cris, les exclamations distraient la parole. La dame
ct nous pousse, manque tomber. Elle sexcuse. On rit. On ne
sait pas que dans la salle des sances le Comte de Palikao tente
de sauver lEmpire, tandis quun groupe de dputs rpublicains
men par Jules Favre rclame la dchance, je veux dire de
lEmpire.
Le Corps lgislatif suspend sa sance. On en profite pour entrer
dans la cour et dans les tribunes de lAssemble. On crie : La
Dchance ! ; Vive la France ! Vive la Rpublique ! . Gambetta
monte la tribune et lit un manifeste : Nous dclarons que Louis
Napolon Bonaparte et sa dynastie ont jamais cess dexercer
les pouvoirs qui lui avaient t confrs. .
La foule marche. On suit Gambetta et Favre lHtel de Ville.
Blanqui, Delescluze, Flourens, Flix Pyat sont dj l. Le monsieur
devant les reconnat : ce sont de vrais rpublicains. Il dit a avec 167 Cf pour ce passage le texte 4 septembre 1870 : la Rpublique proclame sur le site de lAssemble nationale, prenant appui sur les comptes rendus de sances, www.assemblee-nationale.fr/histoire/4_septembre_1870.
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une confiance que lon devine gre scrupuleusement. Ils
proposent des noms de ministres, organisent un gouvernement
Mais Favre les repousse et propose la foule son gouvernement
provisoire compos de dputs de Paris et sa tte Trochu, le
gouverneur de la ville. On entend mal ce quil se dit. On crie :
Plus fort ! . On entend Gambetta lire ces mots : La Rpublique
est proclame. Un gouvernement a t nomm dacclamation. .
Favre, Gambetta retournent lAssemble. Tandis que les
dputs se runissent dans la Salle manger de la Prsidence, un
dput rpublicain, Glais-Bizoin, fait vacuer la Salle des
sances168. La foule est l, qui attend, mange, fume. A sept heures
et quart, il pose les scells. Des dputs lapprennent et se
choquent. Thiers, hsitant depuis la veille, finit par estimer que le
moment nest pas venu de rcriminer contre la violence subie par
lAssemble ; en prsence de lennemi qui menace Paris, il ny a
quune chose faire : se retirer avec dignit . Les dputs
lcoutent : le Corps lgislatif se dissout de facto.
Les rpublicains, pas ceux du gouvernement ou de lAssemble
qui ont lair, quelquun dit opportuniste , non, les rpublicains
[ajouter un adjectif] stonnent de cette acclamation. Quelle
garantie apporte-t-elle ? Le gnral Trochu, le prsident donc,
168 Ibid. citant le journal Le Sicle en date du 12 Janvier 1871.
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appartenait lide monarchique 169 ; Jules Favre, Gambetta,
reprsentaient la Rpublique autoritaire ; Jule Simon, Crmieux
avaient, depuis longtemps dj, donn des gages aux
orlanistes 170 ; Picard semblait proche de lEmpire Et puis, les
maires darrondissements de Paris nomms sous le second
Empire restent en place. Et on nentend pas parler dlections, de
constituante On a pourtant chang de rgime Non, il y a
quelque chose qui ne va pas
Les Rpublicains sorganisent.
Le Comit central.
La Chambre fdrale des socits ouvrires sorganise en
comits. Entre 400 et 500 dlgus ouvriers dcident de dlguer
2 membres [on trouve dans dautres textes 4 membres171 : vrifier]
des comits rpublicains ou des comits de vigilance et de
dfense dans chaque arrondissement pour composer un Comit
central172. On se runit, on discute, on exerce cette vigilance, cette
critique qui fait quon sait dire quon a affaire quelque chose
quon appellerait une condition dmocratique : lintelligence
exigeante, aige, vive, des gens. Et les propositions sont
ambitieuses : on pense tout A des mesures de scurit
publique (supprimer cette police constitue sous les monarchies 169 Gustave Lefranais, tude sur le mouvement communaliste Paris, Neuchatel, 1871, p. 61. 170 Ibid. 171 Cf Philippe Riviale, Sur la Commune : cerises de sang, d. LHarmattan, p. 57. 172 Fiche Wikipedia Comit central rpublicain des Vingt arrondissements version du 22 mai 2013, citant Jacques Rougerie, La Commune de 1871, PUF, coll. Que sais-je ? , 2009, p. 24.
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qui ne sert qu asservir les citoyens ; en prfrer une dirige par
des magistrats lus ; garantir la libert dcrire, de parler, de se
runir, de sassocier) ; des questions de subsistances et de
logements (on veut rcuprer les denres emmagasines chez les
marchands, mais avec la promesse de les payer aprs la guerre ;
organiser un rationnement juste ; assurer tout citoyen un
logement) ; ou aux questions de dfense de Paris (on demande
llection des chefs de la garde mobiles qui sont imposs jusque-
l et la distribution de munitions)173.
On porte ces revendications lHtel de Ville. Gambetta les
reoit une heure du matin. Il discute : pour ceci, cest inutile ;
pour cela, on est en train de sen occuper ; pour cela encore, le
gouvernement ny peut rien Il parle avec cette mticulosit des
hommes de pouvoir dont on ne sait jamais si elle est faite pour
gagner du temps ou simplement due une tche qui ne parvient
jamais tenir dans ses mains tous les paramtres des choses
dont elle est cense soccuper, parce que lide mme de pouvoir
est impuissante Mais le mot pouvoir est pos, il faut bien que
quelque chose ou quelquun rponde quand on le prononce il
faut bien en faire quelque chose, le remplir et le perler comme les
huitres perlent les grains de sable quelles ne savent pas rejeter.
On repart en se disant que dcidment ces gouvernants se
173 Philippe Riviale, op. cit., pp. 57-58.
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montrent puissants pour crer les forces destines les
protger et trop respectueux de la loi ds quil sagit dabroger
deux-mmes les restrictions qui entravent les citoyens 174. On
ne se dit pas que cest le mot, lide pouvoir qui est mascarade.
Le 14 septembre, le Comit placarde une affiche rose qui
reprend ces principales proccupations. Quelques jours plus tard,
on manifeste : on demande des lections municipales : on ne se
contentera dcidment pas dacclamation. Mais rien ny fait. On lit
dans la presse cette adresse : convaincu que les lections
porteraient une dangereuse atteinte la dfense, le gouvernement
a dcid leur ajournement jusqu' la leve du sige. 175. Certains
trouvent la dcision sage : comme si nous avions le temps de
penser discuter les ides de ces messieurs 176 Dautres
chiffonnent le journal : On se moque de nous. On ne sait mme
pas quand ce sige sera lev
Les clubs.
A ct du Comit, les clubs snervent. Celui de Blanqui, la Patrie
en danger, rue dArras, celui de Belleville ou de la Cour des
Miracles, de llyse-Montmartre ou des Mille-et-un-jeux177. Et puis
mme, sajoutant aux maux de la guerre , les maux de la
174 G Lefranais, op. cit., p. 65. 175 Journal Le Rappel, 10 Octobre 1870. 176 Jacques-Henry Paradis, Le sige de Paris, Paris, 1872, p. 81. 177 Cf une liste de clubs in Francisque Sarcey, le Sige de Paris, p. 165.
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Rpublique : louverture du club des femmes 178 . Le 30
septembre, le Journal des dbats publie un article enrag qui
commence ainsi : Les clubs, ou, pour parler plus justement, les
meneurs des clubs et les journaux qui leur servent d'organes, ne
s'accommodent point de l'ajournement des lections municipales,
quelque bien justifi qu'il soit par les empchements matriels du
sige. Cet ajournement, en effet, leur te le moyen de profiter d'un
moment o la population parisienne a mieux faire que d'avoir
des bulletins de vote, pour ressusciter par un coup de main
lectoral l'ancienne Commune de Paris, et engager srieusement
la lutte contre le gouvernement provisoire avant de passer aux
insultes et de les accuser de faire perdre la France179.
Manifestation du 31 octobre.
Le ton monte. La nouvelle de la capitulation de Metz est
confirme le 31 octobre180. Un mouvement pugnace, dtermin se
coagule place de Grve. On vient voir dabord. Ce nest pas
possible. Et puis quelquun crie. On entend quelque chose comme
une rumeur, des voix : Vive la Commune ! . On tourne la tte.
On lit sur des pancartes en carton : La leve en masse ! Pas
darmistice ! 181. Quelquun assure que les vingt maires de Paris
discutent lintrieur de lHtel de Ville avec Trochu. Ils rclament
178 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 173. 179 Journal des dbats, 30 Septembre 1870. 180 Paul Baquiast, La Troisime Rpublique : 1870-1940, d. LHarmattan, 2002, p. 7. 181 Jacques-Henry Paradis, op. cit., p. 287.
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lunanimit les lections municipales182. On nest pas sr. On ne
le connat pas celui qui dit a, aprs tout. Mais quelquun lit une
adresse183. Les lections sont annonces pour le 1er novembre.
On aperoit Trochu qui dj retourne se rfugier dans un salon.
Des gens sinquitent. Ils pensent que les membres du
gouvernement provisoire sont gards vue184. [Notes : revenir sur
les dpositions des gards vue au Conseil de Guerre185 :
Garnier-Pags parle de menaces mais voit bientt quelles ne
sont pas srieuses. Le Fl affirme que Flourens a rpt la
consigne de fusiller les membres du gouvernement et les autres
prisonniers si un coup de feu tait tir . Tandis que Favre, lui,
entend autre chose selon lui Flourens aurait dit : Nous ne
devons pas nous faire tuer ni tuer nos concitoyens et considre
que ses tirailleurs navaient pas lintention de se servir de leurs
armes.] De la place, on ne sait rien. On croit pouvoir deviner que la
situation nest pas comment dire ? Un voisin suggre : hors
contrle ? Oui, pas un coup de feu na t tir ! Par une fentre,
quelquun lance des petits papiers pour informer la foule. Les
rpublicains rclament la dchance du gouvernement. Des noms
sont griffonns comme membres de la Commune186. Derrire, on