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  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

    29 mars 2018

    Version créole disponible le 28 avril 2018

    UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    PENSEla

    Ce que

    NATION !

  • CHAMBRE DES DÉPUTÉSRÉPUBLIQUE D’HAÏTI

    Port-au-Prince, le 28 Mars 2018

    Mr Gary Bodeau Président de la Chambre des députés En ses bureaux

    Monsieur le Président : Au nom de la Commission Spéciale sur l’amendement de la constitution de la Chambre des Députés, Je vous présente nos compliments et prends plaisir à vous faire parvenir (pour distribution aux députés) « UN RAPPORT D’ETAPES» qui liste les secteurs et entités rencontrés par la commission dans le cadre de la consultation nationale qu’elle mène depuis un an. Ce rapport présente également les grandes lignes qui se dégagent de nos rencontres et discussions avec les secteurs de la vie nationale sur les amendements à apporter à notre loi-mère.

    Ce long travail de consultation a été laborieux et difficile. Il a requis des commissaires une disponibilité de tous les instants pour des rencontres dans le pays et souvent en diaspora. Fidèle à notre promesse faite à l’assemblée, la commission s’est acquittée de sa tâche avec patriotisme, sérieux et transparence. Personne n’a été laissé de coté. Aucun secteur n’a été négligé. Ce document mesure à sa juste valeur le « pouls » des acteurs de la vie nationale, eut égard à la constitution qui nous régit, ses faiblesses et carences, ses points forts et acquis.

    La commission se félicite que ces acteurs aient répondu avec empressement à nos invitations. Avec patriotisme et sens de responsabilités, ils nous ont accordé de leur temps pour débattre de la constitution en ateliers de travail et nous ont remis leurs positions à l’écrit à travers des documents, correspondances ou autres aide-mémoires que nous annexons en pièce-jointe. Durant les semaines à venir, il nous reste encore à voir certains secteurs qui ont déjà été contactés mais n’ont pas encore soumis leurs positions officiellement.

  • Monsieur le Président, la tâche que nous a confiée l’assemblée des députés demeure exaltante pour les neuf membres de la commission spéciale. Nous prenons l’engagement de continuer à travailler sans relâche afin de respecter notre prochaine échéance qui n’est autre que la remise du « RAPPORT DEFINITIF » contenant nos propositions finales d’amendement. Au titre de l’article 282.1, la Constitution autorise (entre juin et septembre 2019) à l’une ou l’autre des deux chambres législatives de proposer des amendements. La Chambre des députés sera prête et ne ratera pas ce grand rendez-vous de l’histoire.

    En vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie de recevoir, Monsieur le Président, les patriotiques salutations de la commission.

    _______________________________________________Député Jerry Tardieu, Président

  • TABLE DES MATIÈRES

    INTRODUCTION 9Le mandat de la Commission 13

    Objectifs spécifiques 13

    La composition de la Commission 14

    Le Comité exécutif 14

    I. APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE 151.1. Amendement ou révision constitutionnelle 15

    1.1.1. Les limites temporelles 15

    1.1.2. Les limites circonstancielles 16

    1.2. La problématique 17

    1.2.1. Une tension centrale 17

    1.2.2. Les questions centrales 18

    1.3. La stratégie de mise en œuvre 18

    1.3.1. La création d’un cadre de dialogue ouvert, inclusif et transparent 18

    1.3.2. L’élaboration d’un document de travail 19

    1.3.3. Le déroulement du dialogue 19

    1.3.4. Les secteurs/organisations/institutions/ personnalités consultés 20

    II. RÉGIME POLITIQUE 232.1. L’Exécutif bicéphale 23

    2.1.2. Un mélange du régime monarchique constitutionnel et du régime républicain 24

    2.1.3. Une source de contradictions 25

    2.1.4. L’instabilité politique 27

    2.1.5. Le dilemme 28

    2.1.5.1. Le retour au régime présidentialiste 28

  • 2.1.5.2. Le maintien du régime politique actuel 29

    2.1.6. Options d’amendement 30

    2.1.6.1. Le statu quo 30

    2.1.6.2. Instauration d’un régime présidentialiste, avec un Président et un Vice-président. 31

    2.2. Des partis politiques dysfonctionnels 31

    2.2.1. Rôle central des partis politiques 31

    2.2.2. Défaillance des partis politiques 31

    2.2.3. Options d’amendement 32

    2.3. Le Pouvoir législatif 32

    2.3.1. Un pouvoir très étendu 32

    2.3.2. Absence de mécanismes de contrôle 33

    2.3.3. Options d’amendement 34

    2.4. Le Pouvoir judiciaire 34

    2.4.1. Une indépendance hypothéquée 35

    2.4.2. Les dysfonctionnements 35

    2.4.3. Options d’amendement 36

    III. GOUVERNANCE ADMINISTRATIVE 373.1. La décentralisation 37

    3.1.1. Un acquis de la Constitution 37

    3.1.2. Bilan 38

    3.1.2.1. Le déficit de cultures administratives et politiques appropriées 38

    3.1.2.2. La prégnance des vieux réflexes 38

    3.1.2.3. Les conflits 39

    3.2. Gestion de l’espace national 40

    3.2.1. La traditionnelle dichotomie rurale-urbaine 40

    3.2.2. Le découpage Territorial 41

    3.2.3. Options d’amendement 41

    3.2.3.1. La décentralisation 41

    3.2.3.2. Gestion de l’espace national 41

  • 3.3. Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif 42

    3.3.1. Une construction par empilement d’attributions 42

    3.3.2. L’existence de deux institutions distinctes 43

    3.3.3. L’atrophie des deux institutions 43

    3.3.4. Options d’amendement 44

    3.4. Conseil Electoral Permanent 44

    3.4.1. Le provisoire : un concept permanent dans un contexte de crise de confiance 44

    3.4.2. La confusion des fonctions administrative et juridictionnelle 46

    3.4.3. Options d’amendement 47

    3.4.3.1. Changement de nom 47

    3.4.3.2. Séparation des fonctions administrative et juridictionnelle 47

    IV. QUESTIONS CRITIQUES 484.1. Amendement 48

    4.1.1. Les nouveaux défis 48

    4.1.2. La limitation du débat national 48

    4.1.3. Le verrouillage de la procédure d’amendement 48

    4.1.4. Options d’amendement 49

    4.2. Référendum 49

    4.2.1. L’exclusion du peuple 49

    4.2.2. Une source de corruption politique. 49

    4.2.3. Options d’amendement 50

    4.2.3.1. Restaurer le mécanisme de référendum. 50

    4.3. Certificat de décharge 50

    4.3.1. La manipulabilité des procédures à des fins politiciennes. 50

    4.3.2. La politisation des procédures 50

    4.3.3. La fragilisation des institutions 51

  • 4.3.4. Options d’amendement 51

    4.4. Constitution 52

    4.4.1. L’usage abusif du dialogue politique 52

    4.4.2. Le déphasage de la mentalité avec l’esprit constitutionnel 52

    4.4.3. Options d’amendement 53

    4.4.3.1. Dépouiller la constitution des détails 53

    4.4.3.2. Renforcement du domaine de la loi et du règlement 54

    4.4.3.3. Alléger et simplifier les mécanismes de vote de la loi. 54

    4.4.3.4. Arrimer le régime politique à la tradition 54

    4.5. Élections et mandat des élus 54

    4.5.1. Le non respect des échéances constitutionnelles 54

    4.5.2. Options d’amendement 55

    4.5.2.1. Simplifier la temporalité des élections 55

    4.6. La question de la nationalité 55

    4.6.1. La confusion possible de la qualité d’Haïtien 55

    4.6.2. Importance et rôle de la diaspora dans le développement du pays 55

    4.6.3. Options d’amendement 56

    4.7. La mer territoriale et la zone économique exclusive 56

    4.7.1. Entorses aux dispositions légales internationales 56

    4.7.2. Les limites des droits souverains de l’État côtier 56

    4.7.3. Options d’amendement 57

    4.8. Lutte Contre la Corruption 57

    4.8.1. Engagements nationaux et internationaux d’Haïti 57

    4.8.2. Les irritants 58

    4.8.3. Options d’amendement 60

    CONCLUSION 62

  • 11UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    INTRODUCTION

    Le présent document est un Rapport d’étape. Les détails techniques relatifs aux articles à amender, tels que proposés par les secteurs, seront traités dans le rapport final. L’objectif ici est de donner un premier aperçu global des grandes tendances ayant émergé du grand dialogue ouvert, inclusif et transparent impulsé par la Commission spéciale sur l’amendement de la Constitution de la Chambre des Députés – ci-après dénommé la Commission. L’emphase sera mise sur la compréhension qu’ont les acteurs impliqués directement ou indirectement dans la mise en œuvre de la Constitution de 1987 des problèmes qu’elle comporte. Il s’agira de tirer profit des leçons apprises – à tous les niveaux de conception et de mise en œuvre de cette Constitution – en vue d’élaborer des propositions pertinentes à l’attention de l’Assemblée à la fin de cet exercice. Ce sera à ce moment que les propositions d’amendement des secteurs seront exploitées.

    La Commission a été lancée le 29 mars 2017 à l’occasion du 30e anniversaire de la Constitution ratifiée par le référendum populaire du 29 mars 1987. Cette démarche s’inscrit dans le cadre du déclenchement éventuel du processus d’amendement de ladite Constitution. Elle est motivée par les multiples interrogations que suscite cette Constitution depuis son adoption. En effet, elle n’a jamais été d’application institutionnelle pertinente en tant que document de référence de l’organisation de l’État. Cela se traduit par des anomalies dans le fonctionnement tant des montages institutionnels que des mécanismes de participation prévus par ladite Constitution. Les principales sont : 1. le dysfonctionnement des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. 2. la défaillance des mécanismes de transfert de pouvoir de

    l’administration centrale vers les collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation ;

    3. la faiblesse de volonté quant à l’impératif de mise en place des institutions telles que le Conseil électoral permanent (CEP), le

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.12

    Conseil constitutionnel d’une part et, d’autre part, de respect des échéances électorales ;

    4. des crises constitutionnelles chroniques, dont la solution est souvent recherchée dans le dialogue politique ;

    5. l’incapacité des partis politiques à remplir effectivement leur fonction d’agrégation, d’articulation et de représentation des intérêts de la société d’une part et, d’autre part, de définition de la politique de la nation dans la perspective de la prise de pouvoir.

    Ces constats ont suscité de nombreuses initiatives orientées vers des solutions. Les principales sont : 1. La mise en place par le Président René Préval, en mars 2007, et

    à l’occasion du 20ème anniversaire de la Constitution, d’une Commission chargée de réfléchir sur la Constitution en s’appuyant sur les débats dans la société en cette occasion ;

    2. L’implantation de la Chaire Louis Joseph Janvier à l’Université Quisqueya, regroupant un certain nombre de professeurs et de chercheurs spécialisés en matière de Constitution ;

    3. la multiplication des publications scientifiques, dont il convient de souligner deux contributions majeures ; l’une Les Cahiers 1 et 2 de la Chaire Louis-Joseph-Janvier sur le constitutionnalisme en Haïti (Université Quisqueya); l’autre, Les amendements dans l’histoire constitutionnelle d’Haïti de Mme Mirlande Manigat qui apporte des éclaircissements sur les différentes tentatives d’amendement de la Constitution ;

    4. les émissions de radio, les débats publics organisés par le Barreau de Port-au-Prince et certaines universités des régions et les articles journalistiques réguliers sur le fait constitutionnel haïtien.

    Les nombreuses réflexions résultant de cette mobilisation pourraient être réparties entre deux grandes thèses centrales.

  • 13UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    La première thèse part de la prémisse que la Constitution de 1987 est mauvaise. Cette position s’inscrit dans le courant de pensée positiviste tel que développé par Kelsen. Le propre de ce courant est de considérer toute Constitution comme une « norme fondamentale » dont la force se situe dans la cohérence de ses principes internes. Les incohérences et les manquements propres à la Constitution de 1987 sont alors postulés comme la cause de sa faiblesse, et donc de son inapplicabilité. Les tenants de ce courant insistent sur une double contradiction : d’une part, celle entre les buts et les montages institutionnels ; d’autre part, celle entre ces montages institutionnels et les moyens pour les rendre fonctionnels. Le régime politique devient ainsi la cible de leur critique. Plus spécifiquement, l’accent est mis sur les déséquilibres internes et externes à chacun des trois pouvoirs de l’État (l’exécutif, le législatif et le judicaire). Ces déséquilibres se manifestent par un double paradoxe en termes de contrôle réciproque dont dépend la stabilité du régime : celui d’un pouvoir exécutif très faible face à un Parlement tout-puissant ; celui d’un président de la République qui détient une légitimité nationale face à un Premier Ministre nommé, chef d’un gouvernement doté de toutes les prérogatives en matière de la conduite de la politique de la nation et responsable devant le Parlement élu.

    D’autres arguments sont également convoqués à l’appui de cette position, notamment : l’inadéquation du coût de fonctionnement de nombreuses institutions créées et le budget d’un pays pauvre comme Haïti : il serait impossible pour un pays pauvre comme Haïti de supporter le coût relativement « élevé » d’application de cette Constitution. Tout cela crée une zone d’incertitude qui a une double incidence négative. La première est l’affaiblissement de la capacité de la Constitution à orienter et à organiser l’action publique au niveau individuel et collectif. La seconde concerne la confusion induite par les incohérences et les manquements susmentionnés, aboutissant à l’effondrement de la Constitution en tant qu’instance de référence pour tout ce qui a trait aux interactions des pouvoirs entre eux,

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.14

    et ces derniers avec la société. C’est ainsi qu’une nouvelle Constitution est préconisée. Et ici la Constitution est perçue comme un ensemble de commandements qui font autorité. Le problème constitutionnel semble réduit à une simple question de techniques rédactionnelles axées sur la maîtrise des principes constitutionnels, la légistique ou la science de la législation, la logique, la lisibilité de la production écrite. Ce qui serait l’apanage des spécialistes constitutionnels.

    Il va de soi que la prise en compte d’une telle position est problématique en l’état actuel des choses. Elle est invalidée par les procédures d’amendement instituées par la Constitution elle-même. Ces procédures se manifestent comme une nécessité à laquelle on ne peut se soustraire.

    La deuxième thèse, dite historico-politique, considère que la Constitution de 1987 est convenable relativement à sa double dimension organisationnelle et symbolique. D’un côté, la dimension organisationnelle définit le rôle et le statut des citoyens, énonce les droits et libertés publics, fixe les pouvoirs, leurs attributions et leurs rapports, prescrivent les conduites légitimes dans le cadre du fonctionnement de la société et de l’État. De l’autre côté, la dimension symbolique comporte un certain nombre de principes qui traduisent les aspirations souverainistes et démocratiques du peuple haïtien ; aspirations qui ont été exprimées autant dans l’acte de l’indépendance de 1804 qu’à la faveur de la grande mobilisation sociale des années 1970-1980. Parmi ces principes, les principaux sont : la souveraineté politique, l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire, l’unité nationale, l’ordre et la sécurité publics, la séparation des pouvoirs, le pluralisme politique, la décentralisation, la propriété privée. Ces principes expriment une volonté de vivre ensemble dans la liberté, l’égalité et la fraternité, c’est-à-dire sous un régime républicain. Par voie de conséquence, les failles, les irritants, les contradictions et les questions critiques que comporte la Constitution apparaissent comme de simples imperfections que l’amendement devrait permettre de corriger : ceci dans les conditions temporelles et selon la forme imposée à une telle initiative par la Constitution elle-même.

  • 15UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    Ce sont ces considérations qui fondent la démarche de la Chambre des députés consistant à mettre en place une Commission spéciale sur l’amendement de la Constitution.

    Le mandat de la CommissionUn mandat de deux ans est octroyé à la Commission spéciale pour : • conduire une réflexion et animer des débats sur la Constitution en

    vue de faire des recommandations d’amendements à l’assemblée en tenant compte des :

    • précédents travaux d’experts • propositions qui émaneront des différentes institutions publiques. • propositions des différents secteurs de la société invités à participer

    à cette réflexion collective. • conclusions des ateliers de restitution, impliquant un large public

    reparti sur l’ensemble du territoire national.

    Objectifs spécifiquesIl s’agit plus spécifiquement de recueillir les réactions, suggestions et propositions des secteurs vitaux de la société qui constitueront les matériaux à partir desquels des recommandations d’amendement seront rédigées à l’adresse de la Chambre des Députés. La Commission spéciale, dont le mandat est de deux ans s’efforce de travailler avec l’exigence de rigueur et de vérité que lui impose l’importance de la mission qui lui est confiée.

    En créant cette Commission dès la deuxième année législative, la Chambre des députés se donne le temps d’une réflexion approfondie et rigoureuse, collective et inclusive, en vue de la mise en évidence non seulement des failles, des faiblesses, des contradictions, des formulations approximatives ou défectueuses de la Charte, mais également de l’inadéquation dans l’articulation des pouvoirs ; inadéquation responsable de dysfonctionnements majeurs dans le régime politique.

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.16

    La composition de la CommissionLa Commission se compose de neuf (9) membres qui occuperont les positions suivantes durant son mandat deux ans (2017 à 2019): 1- Député Jerry Tardieu, président 2- Député Louis Marie Bonhomme, vice-président 3- Député Ronald Etienne, Secrétaire-rapporteur 4- Députée Raymonde Rival 5- Député Myriam Amilcar 6- Député Jacob Latortue 7- Député Jacques Michel Saint-Louis 8- Député Price Cyprien 9- Député Daniel Letang

    Le Comité exécutifLa Commission s’est adjointe le support d’un Comité exécutif composé de deux experts seniors : Monsieur Claude Moïse et Monsieur Louis Naud Pierre. Ce Comité a pour tâches de : • Travailler en étroite collaboration avec les membres de la Commission

    pour tout ce qui est de la production de contenu : documents, agenda, etc. ;

    • Préparer la documentation des rencontres ; • S’assurer de la disponibilité des documents de travail ou de promotion,

    dans les deux langues : Créole et français ; • S’assurer de la disponibilité des matériels de présentation pour les

    rencontres : rétroprojecteurs, écran et autres ; • Élaborer les comptes rendus des séances de travail ; • Valider les notes de presse ; • Collaborer à la rédaction des déclarations (s’il y a lieu) ; • Collaborer à la préparation du rapport final de la Commission ; • Pour les besoins de son mandat, faire appel éventuellement à des

    experts.

  • 17UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    I. APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE

    1.1. Amendement ou révision constitutionnelleLe terme amendement est un anglicisme qui est synonyme de révision constitutionnelle dans la langue française. L’amendement ou révision constitutionnelle est un droit dont il est fait un usage extrêmement contrôlé. Le contrôle est institué dans les constitutions elles-mêmes. Ce contrôle consiste en des principes partagés par les acteurs concernés, une autodiscipline, une norme concrétisée par une adhésion et un engagement général, imposant des limites et des conditions relatives à toute intervention pour y apporter des modifications : les limites temporelles et les limites circonstancielles.

    1.1.1. Les limites temporelles Les limites temporelles apparaissent de deux façons : la constitution interdit sa révision avant l’écoulement d’un certain délai à partir de sa mise en vigueur. Par exemple, la constitution des États-Unis adoptée par la Convention le 17 septembre 1787, en son article 5, interdisait d’y apporter tout amendement, de quelque nature que ce soit, avant 1808, soit 21 ans. On trouve la même limite dans la Constitution française de 1791 qui interdisait toute proposition de révision aux deux premières législatures.

    La Constitution haïtienne de 1987 institue un mécanisme d’amendement en trois temps : introduction, adoption et mise en vigueur. Ce processus s’étend sur trois législatures, soit 15 ans.

    Dans un premier temps, la proposition d’amendement est introduite par l’une des deux (2) Chambres, ou par le Pouvoir Exécutif, au cours de la dernière Session Ordinaire d’une Législature et est publiée immédiatement sur toute l’étendue du Territoire, au Pouvoir Législatif. Ce Pouvoir a le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la Constitution, avec motifs à l’appui » (article 282), et ceci par une majorité « des deux (2/3) de chacune des deux (2) Chambres » (282.1).

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.18

    Dans un second temps, la proposition est analysée et adoptée par « la première Session de la Législature suivante, les Chambres se réunissent en Assemblée Nationale et statuent sur l’amendement proposé » à « la majorité des deux (2/3) tiers des suffrages exprimés » (article 284.1). Laquelle majorité est calculée sur la base de la présence des deux (2/3) tiers au moins des Membres de chacune des deux (2) Chambres (article 284).

    Dans un troisième temps, l’amendement obtenu est mis en vigueur après l’installation du prochain Président élu. Et la Constitution prescrit qu’« en aucun cas, le Président sous le gouvernement de qui l’amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent » (article 284.2).

    Le but des limitations dans le temps est de permettre au régime nouvellement institué de se mettre en place et de s’affermir pour assurer une certaine stabilité aux institutions nouvellement créées. Ainsi, la Constitution de 1987, en limitant le pouvoir de révision constitutionnelle dans le temps, favorise son enracinement. L’introduction de ce mécanisme de délai sert à éviter les révisions trop brusques. Il s’agit de faire en sorte que les modifications qui seront apportées à la Constitution le soient après mure réflexion.

    1.1.2. Les limites circonstanciellesLes limites circonstancielles font référence aux périodes particulièrement délicates de la vie de l’État. Le but de ces limitations est d’interdire la révision à certaines époques en raison des circonstances, afin d’éviter toute révision sous la pression des événements. Ces circonstances sont de trois ordres. Le premier concerne l’occupation ou la suspension de la souveraineté politique et vise à protéger l’intégrité du territoire. Le second est propre aux constitutions monarchiques et a trait à la période de régence. Le troisième porte plus spécifiquement sur les constitutions républicaines et met en exergue l’intérim de la présidence de la République.

  • 19UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    1.2. La problématique1.2.1. Une tension centraleLa problématique de l’actuelle démarche d’amendement est celle d’une tension centrale : une inadéquation entre buts constitutionnels, montages institutionnels et moyens opérationnels :1. Les buts constitutionnels concernent notamment : la sauvegarde de la

    souveraineté et de l’indépendance nationale, la défense de l’intégrité du territoire, le maintien de l’ordre et de la sécurité publics, la garantie de l’unité nationale ainsi que des libertés et des droits fondamentaux des citoyens, le respect du principe de la séparation des pouvoirs, la promotion de la décentralisation.

    2. Les montages institutionnels portent sur l’aménagement des rapports politiques, du cadre de mise en œuvre de l’action publique, ainsi que des mécanismes de coordination, de contrôle et de régulation appropriés.

    3. Les moyens opérationnels portent sur les ressources (humaines, matérielles et financières) à mobiliser pour appliquer la Constitution.

    Cette inadéquation révèle des failles, des irritants, des contradictions et des questions critiques que comportent la Constitution. Il en découle chez les acteurs de la mise en œuvre deux types de réactions, aboutissant à une application tumultueuse de la Constitution.

    Le premier type de réactions est d’ordre émotionnel. Ces réactions consistent en des sentiments d’impuissance, et donc de frustration, éprouvés par les acteurs face à cette tension. La difficulté de maîtriser ces sentiments se traduit par une prédisposition au conflit plutôt qu’à la coopération et à la collaboration dont dépend l’application de la Constitution.

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.20

    Le deuxième type de réactions, dit comportemental, constitue la véritable source de non-application de la Constitution. Ces réactions prennent en effet le trait d’une forme de désengagement des acteurs relativement à leur double obligation. La première est celle d’agir dans le sens de la poursuite des buts constitutionnels prescrits. La seconde obligation est, pour chacun, dans le cadre de cette poursuite, de se référer à la Constitution à la fois pour en faire le point d’appui et le fondement de ses activités.

    1.2.2. Les questions centralesTrois grandes questions sous-tendent la présente démarche :1. Comment identifier et analyser les failles, les irritants, les contradictions

    et les questions critiques que comporte la Constitution ?2. En quels termes se posent ces problèmes ?3. Quelles leçons peut-on tirer de la mise en application tumultueuse de

    ladite Constitution au cours de ces trente années ?

    1.3. La stratégie de mise en œuvre 1.3.1. La création d’un cadre de dialogue ouvert, inclusif et transparentAussitôt investie de ses pouvoirs, la Commission spéciale a pris des dispositions pour initier un dialogue ouvert et inclusif autour de l’amendement de la Constitution. Il s’agit de couper court à toute suspicion, en créant des conditions de rigueur et de sérénité. Pour cela, la Commission a adopté une méthode de travail, une pédagogie, afin d’entretenir un état d’esprit positif, bref, créer des conditions permettant à tous et à toutes de s’exprimer comme citoyens et citoyennes à part entière.

    Le dialogue se déroule dans le cadre d’ateliers de travail à Port-au-Prince et dans la diaspora avec les différents secteurs de la vie nationale. Ces derniers ont été invités à formuler leurs recommandations d’amendement, sur la base d’un document de travail.

  • 21UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    1.3.2. L’élaboration d’un document de travailLes discussions ont été déroulées à partir d’un document de travail. Ce document a été produit par la Commission spéciale sur l’amendement de la constitution de la Chambre des Députés, intitulé Constitution de 1987 : failles, irritants et questions criques. Ce document structure le débat sur la Constitution autour de trois grands axes fondamentaux : 1. Régime politique s’articule autour de l’aménagement des rapports

    politiques ;2. Gouvernance administrative met en exergue les défis liés à l’existence

    et au fonctionnement de l’administration centrale, des institutions indépendantes, des organismes autonomes, des collectivités territoriales ;

    3. Questions critiques prennent en compte, notamment : système électoral, partis politiques, rapport de la Loi et de la Constitution, assiduité et majorités au Parlement, double nationalité, représentation de la diaspora au Parlement, Armée, droits et devoirs du citoyen, usage du référendum, coût de fonctionnement des institutions, la liberté de la presse, l’orientation idéologique de la Constitution, nomination des magistrats, ordres juridictionnels, décharge, laïcité, conflits d’attribution.

    1.3.3. Le déroulement du dialogueLe dialogue s’est déroulé entre octobre 2017 et mars 2018. Le document de travail est envoyé aux institutions publiques et organisations de la société civile au préalable. Les rencontres débutent généralement par une mise en contexte suivi des discussions semi-directives. Car les interventions doivent s’inscrire dans la problématique définie et acceptée au préalable par tous.

    Tous les secteurs rencontrés ont été invités à produire et à faire parvenir à la Commission un aide-mémoire contenant leurs réflexions et propositions relatives à l’amendement.

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.22

    Les propositions d’amendement seront tirées de la synthèse des contributions des secteurs et consignées dans un deuxième rapport qui sera ensuite soumis à la discussion publique dans le cadre des ateliers à travers les dix départements du pays et dans la diaspora. La Commission espère ainsi soumettre, d’ici la fin de l’année 2018, ses recommandations d’amendements à la Chambre des Députés.

    1.3.4. Les secteurs/organisations/institutions/personnalités consultés Dans le cadre de ce dialogue sur la constitution lancé par la Chambre des députés et dont la portée n’a pas échappé aux interlocuteurs, la Commission spéciale a déjà rencontré des représentants des secteurs suivants : 1. Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif

    (CSCCA) 2. Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) 3. Association Nationale des magistrats haïtiens (ANAMAH) 4. Association professionnelle des magistrats (APM) 5. Syndicat des Greffiers d’Haïti (SYGH) 6. Conseil électoral provisoire (CEP) 7. Unité de lutte contre la corruption (ULCC)] 8. Collectivités à travers la Fédération nationale des maires haïtiens

    (FENAMH) 9. Fédération nationale des CASEC 10. Fédération nationale des ASEC 11. La Police nationale d’Haïti (PNH) 12. Akademi kreyol Ayisyen (AKA) 13. Forum Économique du secteur privé CAD : • Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti • Chambre de commerce et d’Industrie de l’Ouest • Chambre de commerce franco Haïtienne • Chambre de commerce haïtiano- américaine • Association professionnelle des banques • Association touristique d’Haïti • Chambres de Commerce des femmes entrepreneurs

  • 23UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    14. Conférence des Recteurs et Présidents d’Université d’Haïti (CORPUHA)]

    15. Nationale des Médias haïtiens (ANMH) 16. Association des journalistes haïtiens (AJH)] 17. Chapitre haïtien de l’association internationale des femmes juges

    (CHAIFEJ)] 18. Organisations de défense des droits humains (ROONH et RNDDH,

    Commission Nationale justice et paix (CE - JILAP) 19. Centre œcuménique des droits de l’homme 20. L’église épiscopale d’Haïti 21. Initiative de la société civile (ISC) 22. Secteur vodou 23. Association des économistes haïtiens 24. Les partis politiques représentés au parlement 25. Le front Uni de la diaspora 26. Haitian american grassroot coalition, Floride 27. Fédération de la diaspora Haïtienne d’Europe 28. Consortium National des partis politiques 29. Kontrapèpla 30. Koalisyon pou defans dwa diaspora Ayiti (KODDA) 31. Observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie

    (OCID) 32. Asosiyasyon Lakou otantik vodou inifye pou yon lot edikasyon 33. Confédération nationale des vodouisants haïtiens (KNVA) 34. Collectif 4 décembre 35. Konbit pou ranje Nord Ouest 36. Centre d’analyse et de recherche en droit de l’homme (CARDH) 37. Plateforme des organisations des droits humains 38. Association professionnelle des magistrats 39. Fédération protestante d’Haïti 40. Anciens Premiers ministres :

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.24

    • Rosny Smarth • Jean Marie Chérestal • Yvon Neptune • Jaques Edouard Alexis • Jean Max Bellerive • Laurent Lamothe • Evans Paul • Enex Jean-Charles

    41. Correspondances reçues de certaines personnalités

    N.B. Il est à noter que la consultation n’est pas complètement terminée. Nous comptons rencontrer certains autres secteurs et diverses entités dans les semaines qui suivent. En effet, pour des contraintes diverses, notamment liées à la disponibilité des responsables, à des conflits d’agenda ou autres, certaines rencontres n’ont pu avoir lieu dans le délai imparti. Toutefois les contacts ont déjà été établis pour les rencontres qui auront lieu sous peu avec entre autres la Conférence épiscopale, l’Union nationale des normaliens haïtiens, l’amicale des juristes, ODEP-Haiti, SOS journalistes, la Fédération des barreaux d’Haïti, la Confédération Nationale des éducateurs haïtiens, l’OPC, le rassemblement d’organisations nationales de défense des droits humains, les partis politiques non représentés au parlement, des organisations d’artistes, certaines organisations syndicales, l’UEH (deuxième rencontre prévue), le bureau du sénat de la république, des organisations d’Haïtiens vivant à l’étranger (République Dominicaine, Chili, Montréal, Boston, Paris..). D’autres importantes organisations paysannes seront consultées lors de la tournée nationale prévue dans les mois à venir.

  • 25UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    LES RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES

    II. RÉGIME POLITIQUELa notion de régime politique est ici utilisée dans le sens formel, c’est-à-dire l’organisation des pouvoirs publics saisis sous l’angle du droit constitutionnel. Ce formalisme s’explique par l’objet de la présente démarche : l’animation d’une réflexion et d’un débat en vue de l’élaboration de propositions d’amendement de la Constitution à l’attention de l’Assemblée de la Chambre des députés. Toutefois, les autres éléments apparaissent dans l’approche du problème d’application de la Constitution par les acteurs eux-mêmes : les composantes géographiques, historiques, démographiques, socio-économiques de notre système politique, mais aussi les concepts de culture, de socialisation et de mentalité politiques. Par exemple, la question de la mentalité a été au cœur des préoccupations.

    Dans cette rubrique les principales questions abordées concernent : l’Exécutif bicéphale ; les partis politiques ; le Pouvoir législatif ; le Pouvoir judiciaire.

    2.1. L’Exécutif bicéphale2.1.1. Un montage institutionnel problématiqueL’Exécutif bicéphale est un montage introduit par l’article 133 de la Constitution stipulant que « Le pouvoir exécutif est exercé par : a) le Président de la République, Chef de l’État; b) le Gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre ».

    L’article 134 offre au Président de la République une base de légitimité nationale : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants, établie à partir des votes valides conformément à la loi électorale ».

    L’article 137 crée les conditions d’une tension entre le Président de la République et le Premier Ministre d’une part et, d’autre part, une confusion entre le Pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.26

    Le Président de la République choisit un Premier Ministre parmi les membres du parti ayant la majorité absolue au Parlement. La majorité est établie sur la base des résultats électoraux des élus dans chacune des deux Chambres. A défaut de cette majorité, le Président de la République choisit le Premier Ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des Députés.

    En effet, le pouvoir gouvernemental du Président de la République s’arrête aussitôt qu’il a fait choix du Premier Ministre qui doit être validé, en tant que chef de Gouvernement, chargé de conduire la politique de la nation, par le Parlement au terme d’un vote de confiance. (Article 158)

    Le Gouvernement conduit la politique de la Nation. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions prévues par la Constitution. (Article 156)Le problème se situe dans la désarticulation des diverses logiques constitutionnelles : • un Président élu sur la base d’un programme, privé de pouvoir

    gouvernemental ; • un Premier Ministre choisi au sein du parti majoritaire au Parlement,

    donc n’est pas lié par le programme du Président ; • un Premier Ministre qui, pour être chef de Gouvernement, doit

    obtenir le vote de confiance de sa Déclaration de politique générale par le Parlement devant lequel il est responsable.

    2.1.2. Un mélange du régime monarchique constitutionnel et du régime républicainLe montage institutionnel relatif à l’Exécutif apparaît comme un mélange du régime monarchique constitutionnel du Royaume-Uni et des pays du Commonwealth d’un côté, du régime républicain de l’autre côté.

    Comme le monarque, le Président de la République d’Haïti, chef de l’État, n’a aucun pouvoir gouvernemental. Son rôle est réduit à la représentation symbolique. Par conséquent, le pays est gouverné par un Premier Ministre

  • 27UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    qui dépend du Parlement. Il en résulte une confusion de facto entre l’Exécutif et le Législatif, qui est un des principaux traits du régime monarchique constitutionnel à l’anglaise.

    La séparation des pouvoirs n’est nullement un principe cardinal du régime monarchique constitutionnel. Certes, les magistrats y jouissent d’un haut degré d’indépendance ; mais, c’est plus par tradition que par des garanties constitutionnelles. De même, le Parlement a la compétence en matière de vote des lois auxquelles Exécutif et administration se soumettent. Mais, ces pouvoirs se confondent ou se recoupent. Le Pouvoir exécutif émane du Pouvoir législatif : ceci se trouve quasiment dépossédé de l’initiative des lois au profit de celui-là. Le Pouvoir législatif se borne le plus souvent à enregistrer, après quelques retouches consenties en commissions parlementaires, les lois présentées par l’Exécutif.

    Par ailleurs, la même Constitution opte pour le républicanisme. Dans une République la séparation des pouvoirs est un principe cardinal. C’est ainsi que la Constitution fait des citoyens les véritables détenteurs de la souveraineté nationale dont ils délèguent l’exercice aux « trois (3) pouvoirs : a) le pouvoir législatif; b) le pouvoir exécutif ; c) le pouvoir judiciaire ». Et elle consacre « le principe de séparation des trois (3) pouvoirs » (article 59). Ce principe veut que ces trois pouvoirs soient séparés et arrêtés l’un par l’autre, par un jeu de poids et contrepoids.

    2.1.3. Une source de contradictionsUn certain nombre d’intervenants voient dans l’Exécutif bicéphale le principal facteur de la crise gouvernementale chronique que connaît le pays. À ce propos, ils mettent en exergue une série de contradictions : le peuple vote un Président de la République de qui il attend des résultats ; mais, c’est le Gouvernement qui a la compétence pour conduire la politique de la nation. Ce Gouvernement, lui-même, se trouve sous la coupe d’un Parlement tout puissant. Et, de leur côté, les parlementaires sont assez peu intéressés à soutenir la mise en œuvre de la Déclaration de la politique qu’ils ont votée ; ils

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.28

    sont davantage préoccupés à obtenir du Premier Ministre et des ministres le financement des projets pour leur circonscription. Cette attitude, elle-même, ne relève nullement d’une corruption ; c’est une réaction à des contraintes qui pèsent sur leurs épaules : le député ou le sénateur est perçu par les populations locales comme leur agent de liaison auprès de l’administration centrale qui est totalement absente sur le terrain des services et de développement local ; et non pas comme un législateur ayant la tâche de voter la loi et de contrôler l’action du Gouvernement. Ces notions demeurent incomprises par la grande majorité de citoyens qui sont pourtant détenteurs de la souveraineté nationale. La réélection d’un parlementaire dépend donc de ses réalisations au sein de sa communauté, et non pas de sa performance dans le travail législatif.

    S’agissant du Président de la République, Chef de l’Etat, il faut noter une autre contradiction spécifique : cette fonction consiste à veiller « au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions » aussi bien qu’à assurer « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (article 136) ; mais, une telle fonction n’est assortie d’aucun pouvoir. Le Président de la République n’a aucun moyen d’influer sur les politiques publiques qui lui échappent totalement. Cela n’est pas arrivé par hasard : « on a édenté le Président ; on a fait de lui un mineur », répètent souvent certains intervenants pour s’en réjouir ou le déplorer. C’est ainsi que les présidents de la République sont conduits à entrer en conflit avec la Constitution. Parce qu’elle s’attaque à un modèle culturel dont ils sont imprégnés : celui du chef de l’État, tout puissant, maître des vies et des biens, dispensateur de bienfaits et de privilèges aux « fidèles » et de terribles châtiments aux « ennemis » ; image qui cristallise les expériences de pouvoir autoritaire et despotique continuellement répétées au cours des générations. Ce montage institutionnel apparaît comme une réaction démocratique à ce modèle. Le conflit des présidents avec la Constitution se mue en conflit avec les premiers ministres.

  • 29UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    Ce modèle imprègne fortement la culture politique haïtienne : c’est le Président qui décide et fait exécuter. Au point où même dans les milieux médiatiques apparemment les mieux informés, on parle et on écrit : l’administration X-Y pour désigner le tandem exécutif dans l’ordre de préséance Président/Premier ministre. C’est ainsi que, après trente ans, l’image du Premier Ministre ne s’est jamais réellement ancrée dans les esprits. D’où la fragilisation des premiers ministres qui ne restent en fonction qu’entre 12 à 18 mois en moyenne. Et c’est tout naturellement que même les anti-autoritaristes les plus convaincus plébiscitent le retour au régime présidentiel.

    2.1.4. L’instabilité politiqueLes intervenants portent, de façon unanime, un regard extrêmement critique sur le montage institutionnel relatif au Pouvoir exécutif bicéphale. D’un côté, le peuple élit un Président de la République sur la base de promesses électorales. De l’autre côté, la Constitution lui impose de choisir un Premier Ministre au sein du parti majoritaire au Parlement, ou, à défaut, en concertation avec les présidents des deux Chambres. À ce Premier ministre est dévolution la responsabilité de diriger le Gouvernement habilité à conduire la politique de la nation : ce dont il doit rendre compte devant le Parlementaire. C’en est là une source de conflit, avec des conséquences dramatiques pour l’Exécutif.On est là face à une Constitution qui commande l’élection au suffrage universel comme mode de sélection des candidats à la fonction de Président de la République ; et la même Constitution prive l’élu ayant obtenu le vote populaire contre des promesses électorales de tous moyens d’honorer ses promesses, et ceci au profit d’un Premier Ministre qui est nommé. Il en résulte automatiquement un conflit au sommet de l’État, avec en corollaire une instabilité politique qui est l’un des problèmes les plus importants du pays.

    D’où vient cette instabilité ? Elle procède directement de l’incohérence qu’il y a justement dans la Constitution. Cette incohérence elle-même en crée une autre dans la gestion de l’État lui-même. En fin de compte, la

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.30

    Constitution constitue de cette façon une source d’instabilité permanente. Telle est la préoccupation exprimée par plusieurs acteurs politiques dont la plupart des Premiers ministres pour avoir été au premier du processus d’expérimentation de ce régime.

    2.1.5. Le dilemmeLes contradictions évoquées plus haut révèlent un phénomène fondamental : une crise de sens de la démocratie qui a inspiré la Constitution de 1987. Cette crise n’est pas toujours saisie par les acteurs eux-mêmes ; et encore moins ses effets sur la difficulté d’application de ladite Constitution. C’est ainsi que, trente ans après l’adoption de cette Constitution, la société haïtienne se trouve face à un dilemme quant au régime politique à adopter. Tout se passe comme si le choix doit se faire entre deux maux infinis : le retour au régime présidentialiste ou le maintien du régime actuel.

    2.1.5.1. Le retour au régime présidentialisteLe retour au régime présidentialiste présuppose un président qui concentre toute la puissance exécutive de l’État. Mais, la faiblesse des deux autres pouvoirs constitue un risque de dérive autoritariste et despotique ; situation qui a provoqué la réaction démocratique des années 1970-1980.

    Au cours de ces trente dernières années, le Pouvoir législatif et le Pouvoir judiciaire n’ont pas su s’autonomiser, c’est-à-dire exercer leurs prérogatives en toute indépendance ; et ce, en dépit des garanties constitutionnelles qu’ils bénéficient. Comme l’a souligné plusieurs intervenants, le problème n’est pas forcément lié au Pouvoir exécutif qui se trouve confronté à ses propres problèmes internes. En témoigne le conflit à répétition entre le Président de la République et le Premier Ministre. C’est l’attitude des acteurs qui sont épinglés. Ces derniers ne paraissent pas faire de l’autonomie et de l’indépendance les principes de leurs expériences professionnelles. Ils semblent davantage préoccupés à se procurer les moyens de satisfaction personnelle qu’à défendre un idéal professionnel constitutionnellement

  • 31UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    défini. C’est ce qui amène nombre d’intervenants à conclure que le problème d’application de la Constitution est avant tout un problème de déficit d’hommes vertueux capables de faire fonctionner les institutions. (Voir le rapport de la rencontre avec les premiers ministres)

    En effet, dans le présidentialisme américain, l’efficacité de la séparation étanche des pouvoirs réside dans l’attachement à la liberté dont chaque acteur du système devient le défenseur. Tous sont convaincus que cette valeur primordiale ne peut être garantie que par une distribution et une répartition de diverses puissances entre des organes différents qui se contraignent les uns les autres. Associée à un jeu de freins multiples, cet aménagement politique est vécu comme le meilleur moyen d’assurer à la République une assise stable et le règne des libertés. C’est sur la base de cette intime conviction que chaque acteur joue son rôle, lequel s’inscrit dans un montage institutionnel où chaque organe contraint les autres et en même temps qu’il est contraint par tous les autres.

    2.1.5.2. Le maintien du régime politique actuelLe maintien du régime politique actuel enferme le pays dans une crise gouvernementale chronique. Avec en conséquence, l’instauration d’une méthode de gouvernement par consensus permanent entre des petits groupes qui, selon intervenants, usurpent la souveraineté populaire. Ce qui ouvre la voie à un jeu de deal politique, conduisant à l’oubli des buts constitutionnels à poursuivre.

    La plus étrange - pour ne pas dire la plus cocasse – des contradictions est que, souligne un intervenant, « on a le sentiment qu’il n’y a aucune issue possible en dehors des deals politiques, impliquant de donner tous les ministères aux représentants d’un autre pouvoir qui n’a aucune responsabilité vis-à-vis de la population en terme d’intervention directe pour répondre à ses demandes ». C’est le Président qui est mandaté par le peuple pour apporter ces réponses. Et c’est bien là toute l’ironie de l’histoire : il s’agit en réalité d’un Président

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.32

    affaibli, qui n’est même pas en mesure de choisir en toute responsabilité et en toute autonomie celles et ceux qui sont appelés à l’appuyer dans l’exécution de ses tâches.

    L’efficacité d’un tel régime dépend, chez les acteurs du système politique, d’une combinaison du sens de l’honneur et du sens de la vertu. La dimension monarchique du régime convoque le modèle faisant du dévouement aux affaires publiques un devoir, un honneur ; valeurs cultivées dans l’Ancien régime par la noblesse de robe au sein de laquelle étaient recrutés les grands commis de l’État monarchique. La dimension républicaine présuppose le modèle qui fait de la soumission à la loi une vertu : un courage qui permet de subordonner ses intérêts particuliers à l’intérêt général, pratiquer la solidarité et la justice. Montesquieu montre comment chez les membres de l’aristocratie antique, le sens de l’honneur amène non seulement à la modération des ambitions personnelles mais encore conduit au bien commun. De même, il fait remarquer que c’est la vertu qui prédispose tant à la reconnaissance d’autrui comme sujet égal, qu’au respect de ses droits, favorisant la paix et la tranquillité publiques. Ce sont ces valeurs qui structurent la rationalisation de l’État moderne à travers l’organisation bureaucratique.

    2.1.6. Options d’amendementForts de ces analyses, les intervenants ont esquissé des pistes de solutions. Une infime minorité opte pour le statu quo, tout en recommandant l’amendement de certains éléments du montage institutionnel relatif à l’Exécutif. Mais la grande majorité fait un plaidoyer pour passer à un régime présidentialiste articulé autour d’un Président et d’un Vice-président. (Voir les aide-mémoires compilés qui seront rendus publics)

    2.1.6.1. Le statu quoL’option pour la conservation de la fonction du Premier Ministre recommande une redéfinition de la règle de la désignation de ce dernier défini à l’article 137 : le cas de figure où un parti a la majorité absolue dans chacune des

  • 33UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    deux Chambres ne s’est produite qu’une fois en trente ans. Les partis ayant la majorité dans l’une des deux chambres devraient participer au Gouvernement.

    2.1.6.2. Instauration d’un régime présidentialiste, avec un Président et un Vice-président.L’instauration d’un régime présidentialiste, avec un Président et un Vice-président est une recommandation qui revient constamment dans les discussions. Néanmoins, il est recommandé de bien définir leur rôle respectif.Il faudrait alors établir des provisions constitutionnelles et légales allant du dépôt de candidature à ce poste, du déroulement de sa campagne conjointement avec le candidat à la Présidence pour aboutir à ses élections et à la durée de son mandat.

    Cependant, dans un tel cas, ce Vice-président remplace le Chef de l’État, en situation de vacance provisoire ou pour le temps restant à pourvoir.Il convient de noter l’insistance concernant le fait de rendre le Président responsable de sa gestion devant la loi.

    2.2. Des partis politiques dysfonctionnels2.2.1. Rôle central des partis politiquesLa Constitution de 1987 a fait le choix de la démocratie comme régime politique. Dans ce cadre, les partis politiques prennent une importance capitale. D’autant plus que le chef du gouvernement est censé être choisi au sein du parti majoritaire au Parlement. Cela dit, les partis politiques sont censés porter un programme politique correspondant aux attentes de leurs électeurs. Ils doivent se donner les moyens de concrétiser un tel programme, en se dotant des ressources adéquates.

    2.2.2. Défaillance des partis politiquesLe constat est unanime : les partis politiques sont dysfonctionnels. Les carences en ressources humaines, matérielles et financières constituent un obstacle majeur à leur développement. C’est ainsi qu’on se trouve face à une

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.34

    multitude de micro-partis qui, à chaque élection, se fusionnent dans des plateformes qui se défont systématiquement avec la fin des élections. Il faut noter la tendance des élus à fonctionner en dehors des orientations de leur parti d’affiliation. Ce qui produit un impact très négatif sur le fonctionnement de notre système politique. 2.2.3. Options d’amendementLes intervenants sont unanimes à reconnaître l’importance des partis politiques. Ils préconisent globalement leur renforcement par des moyens constitutionnels. Par ailleurs, ils attirent l’attention sur la nécessité de rechercher une bonne formule permettant d’empêcher la prolifération des partis politiques.

    2.3. Le Pouvoir législatifDans leur grande majorité, les intervenants insistent sur le pouvoir exorbitant du Parlement. Cela se caractérise par des moyens de contrôle constitutionnels dont dispose ce Pouvoir sur l’Exécutif sans n’être nullement inquiété par celui-ci, le droit de dissolution du Parlement étant inexistant.

    2.3.1. Un pouvoir très étenduLa Chambre des députés exerce conjointement avec le Sénat de la République le pouvoir législatif et contrôle l’action du Gouvernement. Ce contrôle s’opère a priori et a postériori.

    Le contrôle a priori est double. Le premier s’inscrit dans le cadre de l’article 158 de la Constitution relatif au vote de confiance de la Déclaration de politique générale du Premier Ministre. Le second concerne l’examen du projet de Loi budgétaire, conformément à l’article 111.2. Le but de ce type de contrôle est de chercher à savoir si les recettes prévues sont à même de financer les activités programmées sur l’exercice. Le gouvernement est interrogé sur les possibilités de recouvrement desdites recettes, la justification des prévisions.

  • 35UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    Le contrôle a posteriori consiste à s’assurer que les actes du gouvernement sont conformes à la fois aux objectifs énoncés dans la Déclaration de politique générale du Premier Ministre, à la loi budgétaires et à d’autres procédures administratives comptables et financières.

    L’un des moyens de ce second type de contrôle est défini par l’article 98.3 de la Constitution qui dispose que l’Assemblée Nationale se réunit au début de chaque session pour recevoir le bilan des activités du gouvernement. Disposition qui est reprise dans le décret du 17 mai 2005 portant Organisation de l’Administration Centrale de l’État qui stipule en son article 25 : « Le Premier Ministre adresse au Parlement, à l’ouverture de chaque session législative, le bilan des activités du gouvernement. »

    Par ailleurs, il convient de noter d’autres instruments et procédés de contrôle des activités du gouvernement mis à la disposition du Parlement par la Constitution. Le principal est le contrôle « information », prenant des formes telles que : interpellations (article 161), résolutions (article 102), commissions d’enquête (article 118).

    Le Parlement est aussi un acteur de premier plan de l’action gouvernementale. Il en assure la régularité, s’assure que toutes les formalités nécessaires à son efficacité sont respectées, prévient les conflits opérationnels qui augmentent les frictions dans le travail gouvernemental.

    Une majorité des intervenants voit dans ces prérogatives l’élément d’une « trop grande implication du Pouvoir Législatif dans la construction de l’État-nation. Ce qui laisse, d’après lui, une marge de manœuvre très mince à l’Exécutif et annihile en tout ou en partie les actions du Judiciaire ».

    2.3.2. Absence de mécanismes de contrôleLe constat fondamental est que le Parlement, tel que conçu par la Constitution, échappe à un principe fondamental de la théorie générale de la séparation des pouvoirs de Montesquieu exposée dans L’esprit des lois. Il s’agit du contrôle

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.36

    réciproque des pouvoirs : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». L’inexistence de mécanismes de contrôle réciproque du Pouvoir exécutif et du Pouvoir législatif constitue une anomalie.

    En effet, le sentiment général est que la Constitution crée un déséquilibre entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif au profit de celui-ci. Cette situation conduit à une impasse institutionnelle. Si bien qu’il n’y a, pense-t-on, aucune issue possible en dehors des deals politiques. Ces transactions impliquent d’accorder des ministères, y compris la direction des organismes autonomes, sur un jeu de forces politiques, à des représentants d’un autre Pouvoir qui n’a aucune responsabilité vis-à-vis de la population en terme d’intervention directe pour répondre à ses demandes.

    2.3.3. Options d’amendementDe l’avis général, il est nécessaire de mettre des garde-fous pour le Parlement. Cela concerne, notamment : 1. Le rééquilibrage du rapport Exécutif-Parlement ; 2. Le délai pour voter les textes inscrit dans l’agenda législatif ; 3. La règle de quorum ; 4. Les mécanismes de résolution de conflit Exécutif-Législatif.

    2.4. Le Pouvoir judiciaireComme les pouvoirs exécutif et législatif, le Pouvoir judiciaire est dépositaire de la souveraineté nationale. Ainsi que le dispose l’article 59 de la Constitution : « Les citoyens délèguent l’exercice de la souveraineté nationale à trois (3) pouvoirs : a) le pouvoir législatif ; b) le pouvoir exécutif ; c) le pouvoir judiciaire. Le principe de séparation des trois (3) pouvoirs est consacré par la constitution ». Dans le même ordre d’idée, l’article 59-1 précise que « L’ensemble de ces trois (3) pouvoirs constitue le fondement essentiel de l’organisation de l’Etat qui est civil ». Et « Chaque pouvoir est indépendant des deux (2) autres dans ses attributions qu’il exerce séparément » (article 60).

  • 37UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    2.4.1. Une indépendance hypothéquée Pour la grande majorité des intervenants, notamment ceux appartenant au monde judiciaire, la Constitution comporte une contradiction qui hypothèque l’indépendance du Pouvoir judiciaire. Cette contradiction est énoncée dans l’article 175 relatif aux modalités de la nomination de ces magistrats :Les juges de la Cour de Cassation sont nommés par le Président de la République sur une liste de trois (3) personnes par siège soumise par le Sénat. Ceux des cours d’appel et des Tribunaux de Première Instance le sont sur une liste soumise par l’Assemblée départementale concernée ; les juges de paix sur une liste préparée par les Assemblées communales.

    Le cas des commissaires du Gouvernement est encore plus problématique, puisqu’ils ne bénéficient d’aucune protection institutionnelle. Ils sont placés sous l’autorité directe de l’Exécutif.

    Outre la question de la nomination des magistrats, un autre problème est évoqué comme une source de perte d’indépendance du Pouvoir judiciaire : l’insuffisance des moyens matériels et financiers.

    2.4.2. Les dysfonctionnementsL’article 176 limite théoriquement les choix des politiques dans les nominations des magistrats en stipulant que : « La Loi règle les conditions exigibles pour être juge à tous les degrés. Une École de la Magistrature est créée ». La Constitution consacre pour ainsi dire l’idée de la définition d’un statut pour les magistrats et l’exigence d’une formation spécialisée pour l’accès aux offices de judicature.

    Par ailleurs, l’article 177 de la Constitution stipule que : « Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d’Appel et des tribunaux de première instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent être l’objet d’affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat

  • COMMISSION SPÉCIALE SUR L’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.38

    qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée. » Cette disposition n’est qu’une application d’un principe général constitutif de l’indépendance judiciaire : l’inamovibilité. Dans ce même ordre d’idée, elle assure aux magistrats des garanties disciplinaires. Le Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire (CSPJ) exerce le pouvoir disciplinaire parmi les magistrats.Pour la grande majorité des membres du corps judiciaire, ces garanties sont supplantées par des mauvaises pratiques. Parce que la Constitution n’est pas respectée à la lettre.

    2.4.3. Options d’amendementLes options d’amendement portent en priorité sur :• La règle de nomination des juges.

    Revoir en profondeur ou supprimer l’Article 175 prévoyant la nomination par des Assemblées d’élus, donc de novices ou même d’étrangers en matière de fonctionnement de la Justice, de tous les Juges des Tribunaux et Cours, à l’exception de ceux de la Cour de Cassation.

    • Le statut des commissaires du Gouvernement.

    Attribuer la dénomination de Procureur aux Officiers du Parquet libérant ainsi les Commissaires du Gouvernement dont l’appellation en elle-même suscite une sorte de mainmise exclusive de l’Exécutif.

    • La garantie d’un montant minimal dans le budget de la République.

  • 39UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    III. GOUVERNANCE ADMINISTRATIVE

    3.1. La décentralisationLa Constitution fait de la décentralisation le vecteur d’instauration d’« un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale ». C’est, outre la consécration des libertés et des droits fondamentaux, le principal acquis de la Constitution de 1987.

    3.1.1. Un acquis de la ConstitutionL’ensemble des intervenants reconnaît la pertinence du principe de décentralisation : la plupart des problèmes quotidiens et essentiels qui touchent la vie des territoires, qu’il s’agisse des quartiers, des agglomérations, dépendent de décisions et de politiques qui peuvent être prises au niveau des collectivités territoriales que constituent la section communale, la commune et le département (article 61).

    La grande majorité des intervenants considère la décentralisation territoriale comme une nécessité impérieuse. D’autant plus que l’administration centrale se révèle incapable de mettre en œuvre des politiques publiques susceptibles de répondre aux besoins des populations locales. Cela va de l’urbanisme et habitat (permis de construire, infrastructures, zonage, etc.) à la gestion du cadastre communal, en passant par la prévention et gestion des risques et désastres ainsi que la fourniture de services de base (éducation, santé, énergie, etc.).

    La décentralisation constitue, selon les intervenants, le mode de gestion le mieux indiqué pour les entités locales au regard des objectifs de la stratégie de développement national définie dans le Plan stratégique de développement d’Haïti (PSDH), adopté en 2012 par le Gouvernement d’Haïti. Le propre de ce Plan est justement d’ériger le territoire en clé de lecture des différents modes

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    d’intervention : économique, sociale et institutionnelle. Le PSDH fait d’une part, « le choix de pôles régionaux de développement, et donc le choix des régions, pour structurer et équilibrer le développement socioéconomique et l’aménagement du territoire national » ; d’autre part, « le choix des Chefs-lieux d’Arrondissement comme pôles locaux de développement, et donc le choix des Arrondissements pour structurer le développement et l’aménagement local du territoire » (PSDH : 2012, p. 11).

    Mais, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

    3.1.2. Bilan3.1.2.1. Le déficit de cultures administratives et politiques appropriéesIl apparaît dans les débats un déficit de cultures administratives et politiques appropriées à la décentralisation. Ce montage institutionnel ne se réduit pas à de simples mécanismes de transferts de pouvoir de l’administration centrale vers les collectivités territoriales. C’est une façon d’aborder les problèmes de gestion en termes de « partage des compétences » entre les différents niveaux de territoires. Derrière cette démarche, il y a le présupposé selon lequel il existe pour chaque type de politique un « territoire pertinent » pour la définir et la mettre en œuvre. C’est aussi une façon de penser en termes de partenariat et de responsabilité partagée des différents niveaux pour la conduite d’une politique. Ce changement radical implique des changements dans les cultures administratives et politiques, dans les procédures administratives et même dans leurs fondements conceptuels.

    3.1.2.2. La prégnance des vieux réflexesL’apprentissage institutionnel est perturbé en raison de la prégnance des vieux réflexes. En effet, dans son apprentissage, la décentralisation comprend des aspects pratiques (politique, économique, juridique ou administratif et managérial). Ceux-ci renferment une certaine dynamique de changement capable de transformer la société tout entière. Pour leur réalisation, les

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    objectifs requièrent la présence des acteurs opérationnels, tant au niveau central que local, ayant « la culture de décentralisation » et pouvant agir en véritables agents de développement. À ce propos, les intervenants ont fait remarquer que malgré le partage des compétences établi par les textes constitutionnels et légaux dans le domaine de la conduite de l’action publique à tous les niveaux, les pratiques vont plutôt dans le sens de la mise sous tutelle des élus locaux par le pouvoir central par le biais du Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales. Les fonds collectés pour ces entités sont détournés vers d’autres choses. Plus précisément, les ressources pour ces entités sont captées par l’administration centrale qui en redistribue une partie aux parlementaires en fonction de leur influence politique. Ce qui a empêché, empêche et empêchera encore pendant longtemps les entités décentralisées de prendre un élan nouveau pour leur auto-développement.

    Dès lors, l’administration locale, étouffée dans son rôle d’initiateur des projets autofinancés et d’investisseur public, ne peut se contenter que de son rôle d’animateur et d’encadreur, rôle qu’elle peut jouer correctement. La mobilisation des masses laborieuses ou l’investissement-travail s’avère une nécessité impérieuse pour enrayer la pauvreté qui sévit dans les entités locales haïtiennes.

    3.1.2.3. Les conflitsLe manque d’apprentissage s’accompagne du blocage du processus d’institutionnalisation des structures des collectivités territoriales. On en trouve une bonne illustration dans le cas des conflits minant le fonctionnement des cartels de magistrats en charge d’administrer les communes. Ce format de cartel devient même une source de crise. Si bien qu’on en arrive à l’équation suivante : « partout où il y a cartel, il y a division et conflit ». Les maires, les CASEC, les ASEC et les Délégués de ville, chacun se prend pour un super-chef. Ainsi, s’éloigne la perspective de la coopération, de la collaboration et du partenariat qui devraient donner une réalité à la décentralisation.

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    Pour l’instant, la décentralisation n’est qu’un mot. Les aspirations des populations locales ne sont pas prises en compte. Les collectivités territoriales apparaissent en réalité plutôt comme un problème que comme une solution aux problèmes locaux.

    3.2. Gestion de l’espace national3.2.1. La traditionnelle dichotomie rurale-urbaineEn ce qui concerne l’administration de l’espace national, certains intervenants font remarquer que la Constitution s’inscrit dans la traditionnelle dichotomie rurale-urbaine. On en trouve une illustration dans le mode de traitement qui y est fait de la section communale, où cette représentation dichotomique semble aller de soi. Dans les esprits, la section communale est un territoire rural rattaché à une commune qui est l’archétype de l’urbain. Avec tout ce que cela charrie comme préjugés défavorables ou favorables.

    La principale innovation introduite par la Constitution de 1987 réside dans le fait d’élever la section communale au rang de collectivité territoriale, et ceci au même titre que « la commune et le département ». Le critère discriminant se limite à la grandeur : « La section communale est la plus petite entité territoriale administrative de la République » (article 62). L’espace rural, constituant ce que Gérard Barthélemy appelle Le Pays en dehors, demeure a priori séparé de l’espace urbain. Aucun lien administratif explicite n’est établi entre la section communale et la commune. Ainsi, paraît incompréhensible la disposition de l’article 67 stipulant que : « Le Conseil Municipal est assisté dans sa tâche d’une Assemblée municipale formée notamment d’un représentant de chacune de ses Sections communales ».

    Selon l’une des entités intervenantes, cette dichotomie « est préjudiciable au développement harmonieux de l’espace urbain et de l’espace rural. De plus, elle est incompatible avec la structure territoriale et le schéma électoral établie par la Constitution ».

  • 43UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    3.2.2. Le découpage TerritorialUne certaine tendance plaide pour la redéfinition de la section communale, à partir d’une image moderne de l’espace national. Il convient de la considérer comme l’unité de base du territoire politico-administratif. Par voie de conséquence, la section communale peut se situer dans un espace urbain aussi bien que dans un espace rural, ou se chevaucher entre les deux. L’intérêt de cette nouvelle approche est de favoriser une meilleure gestion de l’espace national, sur la base d’un découpage ou d’une subdivision par sections communales du territoire : qu’il s’agisse de l’espace urbain, ou de l’espace rural.

    Sur le plan politique, la nouvelle approche entraînera une « reconfiguration des postes électifs au niveau de la Section Communale et de la Commune ». C’est dans cette configuration que l’article 67 de la Constitution prendrait tout son sens politico-administratif. De l’avis des intervenants, il est indispensable de mettre l’emphase sur cet aspect dans le futur amendement de la Constitution.

    3.2.3. Options d’amendement3.2.3.1. La décentralisationLes options d’amendement sont axées sur : • l’ajout dans la Constitution des dispositifs devant renforcer les

    mécanismes de transfert de pouvoir de l’administration centrale ver les collectivités territoriales ;

    • le renforcement des mécanismes de financement des collectivités territoriales.

    3.2.3.2. Gestion de l’espace national • Une redéfinition de la section communale dans l’article 62 dans une

    Constitution. • Une reconfiguration des postes électifs au niveau de la Section

    Communale et de la Commune

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    3.3. Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif3.3.1. Une construction par empilement d’attributionsLa Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif est issue de la Chambre des Comptes. Créée en 1823, cette Chambre avait initialement pour mission de vérifier tous les comptes administratifs indiqués par le Président d’Haïti ou par le Secrétaire d’Etat chargé des finances. En 1834, cette institution a vu son champ de compétence s’élargir pour prendre en compte le règlement de tous les comptes relatifs aux opérations de l’administration des finances en recettes et en dépenses. Il faut également noter la tâche d’effectuer un résumé général de la situation des finances de la République à l’attention du Président d’Haïti.

    En 1870, d’autres attributions s’ajoutent au champ de compétence de la Chambre des Comptes, notamment : celle d’examiner et de liquider les comptes de l’administration générale et de tous les comptables envers le Trésor public. En 1871, une nouvelle tâche lui est confiée. Il s’agit de la surveillance et de la vérification des opérations des douanes de la République.Après la suppression en 1915, la Chambre des Comptes est recréée par la Constitution de novembre 1946, avec de nouvelles attributions qui s’ajoutent aux anciennes. Les principales sont : d’une part, le contrôle du bilan annuel et des opérations de la Banque nationale de la République d´Haïti, de la Société haïtiano-américaine de développement agricole, de la Loterie de l´Etat haïtien ; d’autre part, l´étude de tous projets de contrats soumis par l´Exécutif et devant lier l´Etat haïtien ou relever de son contrôle.

    En 1957, la Chambre des Comptes est transformée en Cour Supérieure des Comptes. Trois faits méritent d’être soulignés dans la foulée de cette transformation. Le premier est le renforcement du contrôle des dépenses de l´Etat. Le second concerne l’introduction de la fonction de contentieux administratif. Ce qui fait de la nouvelle institution le juge de droit commun en matière de contrats administratifs. L’apparition du dualisme du système juridique haïtien constitue le troisième fait majeur associé à cette transformation : d’un côté, l’ordre juridictionnel administratif coiffé par la

  • 45UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    Cour supérieure des Comptes ; de l’autre côté, l´ordre juridictionnel judiciaire coiffé par la Cour de Cassation.

    En 1983, la « Cour supérieure des Comptes » devient la « Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif » (CSCCA). Son champ de compétence connaît de nouveau un nouvel élargissement : les litiges mettant en cause l´Etat et Collectivités territoriales, l´administration et les fonctionnaires publics, les services publics et les administrés.

    La Constitution du 29 mars 1987, élève la CSCCA au rang d’institution indépendante. Son organisation et son fonctionnement actuels sont définis par le décret du 23 novembre 2005.

    3.3.2. L’existence de deux institutions distinctesLa Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif réunit en son sein deux institutions dont la direction est confié à un collège de dix membres appelés conseillers ou juges : 1. la Cour Supérieure des Comptes, chargée de contrôler la gestion

    financière de l’Etat ; 2. le Contentieux Administratif, chargé de trancher les litiges opposant

    l’Administration publique à ses employés et aux tiers, lesquelles institutions n’ont en commun que le fait qu’elles relèvent de l’ordre administratif.

    Or, chacune de ces institutions exerce une fonction hautement spécialisée et hautement technique

    3.3.3. L’atrophie des deux institutionsLa principale conséquence de l’approche dualiste ayant émergé par la force des choses est l’atrophie des deux institutions. Celles-ci sont ainsi rendues incapables de se développer dans le sens d’une plus grande efficience, d’une plus grande efficacité et d’une plus grande performance dans l’accomplissement de leurs missions et attributions constitutionnelles et

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    légales. À cela s’ajoute une autre anomalie : la cassation de leurs décisions juridictionnelles confiée à la Cour de Cassation qui n’est nullement outillée pour assurer le traitement adéquat de tels recours concernant des affaires relevant du droit public. La procédure pour introduire ces recours eux-mêmes demeure légalement indéfinie.

    3.3.4. Options d’amendementIl convient de : 1. Créer un ordre de juridictions administratives comprenant une

    Cour Supérieure des Comptes comme juridiction administrative spéciale ;

    2. Séparer le jugement des comptes publics de la distribution de la justice administrative ;

    3. Faire relever clairement les décisions des juridictions administratives de premier et de second degré ainsi que celles de la Cour Supérieure des Comptes d’une Cassation administrative.

    Cela suppose de : 1. Enlever de la mission des nouvelles institutions les avis préalables

    sur les contrats publics prévus à l’article 200.4 de la Constitution de 1987 ;

    2. Confier le contrôle de l’aliénation du patrimoine public à une institution publique autre que la Cour Supérieure des Comptes et les juridictions administratives.

    3.4. Conseil Electoral Permanent3.4.1. Le provisoire : un concept permanent dans un contexte de crise de confianceLe Conseil Électoral Permanente est une institution indépendance créée par la Constitution de 1987. Le but de cette innovation a été de rompre avec les traditionnelles pratiques d’élections officielles au profit des candidats choisis par les détenteurs du pouvoir exécutif. On trouve la trace de ces inquiétudes archaïques dans le discours résumé par une formule célèbre :

  • 47UN RAPPORT D’ÉTAPES APRÈS CONSULTATIONDES DIFFÉRENTS SECTEURS DE LA VIE NATIONALE

    « des élections libres, honnêtes et démocratiques ». Dans ces conditions, l’indépendance dudit Conseil devient un enjeu majeur. Ce souci transpire dans le mode initial de désignation des membres.

    Dans la Constitution de 1987, le mode désignation est défini à l’article 192 de la manière suivante :Le Conseil Electoral comprend (9) neuf membres choisis sur une liste de (3) trois noms proposés par chacune des Assemblées départementales :3 sont choisis par le Pouvoir exécutif;3 sont choisis par la Cour de Cassation;3 sont choisis par l’Assemblée Nationale.

    Les organes sus-cités veillent, autant que possible, à ce que chacun des départements soit représenté.Finalement, selon l’esprit de la Constitution de 1987, la mise en place du Conseil Électoral Permanente dépend de trois conditions. La première est l’existence des Assemblées départementales. La seconde concerne le consensus entre les Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Enfin, la confiance de la classe politique et des secteurs organisés de la société civile dans la procédure est un élément déterminant. Depuis 1987, les diverses tentatives d’appliquer la Constitution dans ce domaine butte sur ces problèmes d’ordre à la fois institutionnel et politique qui demeurent insolubles.

    L’amendement de 2011 tente de contourner ces problèmes. Il simplifie le processus de désignation des membres du Conseil Electoral Permanent, en ne faisant intervenir dans ce processus que les représentants des trois pouvoirs : Exécutif, Législatif et Judiciaire. L’article 192 se lit alors comme suit :Le Conseil Electoral comprend (9) neuf Membres choisis comme suit : Trois (3) par le Pouvoir Exécutif ;Trois (3) par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire ;Trois (3) par l’Assemblée Nationale avec une majorité de deux tiers (2/3) de chacune des deux chambres.

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    Les dernières tentatives d’application de la Constitution en la matière échouent à la même impasse d’une crise de confiance politique.

    Le Conseil Électoral Provisoire devient alors un concept permanent de référence dans un contexte de crise de confiance politique général. La plus étrange – pour ne pas dire la plus cocasse – la Constitution de 1987 n’avait prévu qu’un Conseil Electoral Provisoire qui devait organiser les premières élections (voir : article 289). Et « La mission de ce Conseil Electoral Provisoire prend fin dès l’entrée en fonction du Président élu » (article 289.3). Ainsi, se pose, outre la question de la stabilité de cette institution, le problème de sa légalité.

    3.4.2. La confusion des fonctions administrative et juridictionnelleLe Conseil Électoral Permanente s’est vu confier deux fonctions qui, dans la logique républicaine, sont d’ordinaire repartis entre des organes différents.La première fonction est d’ordre administratif. Elle consiste à organiser et à contrôler « en toute indépendance, toutes les opérations électorales sur tout le territoire de la République jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin » (article 191). Cela implique, outre la garantie du respect de la législation électorale sur l’ensemble du territoire national, l’intervention dans la mobilisation et la coordination des activités liées à l’information électorale et au civisme en rapport avec la sensibilisation de la population.La seconde, dite juridictionnelle, concerne les activités de jugement relatif à « toutes les contestations soulevées à l’occasion soit des élections, soit de l’application ou de la violation de la loi électorale » (article 197). Cette fonction s’exerce à travers des structures contentieuses, telles que : le BCEC (Bureau du Contentieux électoral communal) ; le BCED (Bureau du Contentieux électoral départemental) ; le BCEN (Bureau du Contentieux électoral national) prévues dans la Loi électorale.

    La confusion de ces deux fonctions est un facteur de malaise. Le CEP se trouve ici dans une situation où il est à la fois juge et partie.

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    3.4.3. Options d’amendement3.4.3.1. Changement de nomUne proposition concerne le changement de nom du Conseil Électoral Permanent (CEP) en Conseil Electoral National (CEN). Dans ce cas, l’article 191, se lirait ainsi : « le Conseil Electoral National (CEN) est une institution permanente, indépendante jouissant de l’autonomie administrative et financière. II est charge d’organiser et de contrôler toutes les opérations électorales sur tout le territoire de la République jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin »

    3.4.3.2. Séparation des fonctions administrative et juridictionnelle • L’organe administratif connait de toutes les questions administratives

    ct financières liées aux opérations électorales ; • L’organe juridictionnel traite, de façon indépendante, à travers les

    différents tribunaux électoraux toutes les contestations soulevées soit à l’occasion des élections, soit de l’application ou de la violation de la loi électorale.

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    IV. QUESTIONS CRITIQUES 4.1. Amendement4.1.1. Les nouveaux défisLe principal constat, selon la grande majorité des intervenants, est le désarrimage de la Constitution avec les grands défis liés au développement politique, économique et social actuel.

    Pour ces intervenants, la Constitution de 1987 a parfaitement a rempli le rôle qui lui a été dévolu dans le contexte post-dictature : instituer un régime de séparation de pouvoir ; créer un cadre du jeu démocratique ;