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Commentaires des chefs-d’oeuvre du XXe siècle du Musée de Grenoble Ces notices sont extraites des commentaires des oeuvres de la collection enregistrés dans l’audioguide du musée. Associées à la reproduction des oeuvres, elles offriront aux enseignants la possibilité de mieux préparer une visite libre avec leurs élèves dans les salles du XXe siècle.

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Commentaires des chefs-d’oeuvre

du XXe siècle du Musée de Grenoble

Ces notices sont extraites des commentaires des oeuvres de la collection enregistrés dans l’audioguide du musée. Associées à la reproduction des oeuvres, elles offriront aux enseignants la possibilité de mieux préparer une visite libre avec leurs élèves dans les salles du XXe siècle.

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Henri-Edmond Cross Le Cap Layet,1904

Henri Edmond Delacroix expose pour la première fois au salon de 1881 ; pour éviter toute confusion avec Eugène Delacroix, il traduit son nom en anglais et devient ainsi Henri Edmond Cross.

Proche de Signac, de Maximilien Luce et de Théo van Rysselberghe, dont quelques œuvres sont présentes dans cette salle, Cross adopte très vite la technique du divisionnisme. Afin d’étudier au plus près les effets de la lumière sur la nature, il s’installe dans le Var, où il peint des paysages à l’aide de petites touches nettes aux couleurs flamboyantes. L’usage de ces couleurs pures place Cross parmi les précurseurs du Fauvisme dont Matisse est le principal représentant.

Situé sur la route de Saint-Tropez entre le Lavandou et Cavalaire, la pointe du Layet offre à l’artiste un site privilégié. Le tableau s’organise selon deux espaces, proche et lointain, auxquels correspondent deux gammes de couleurs distinctes, froides et chaudes. Au premier plan, les pins maritimes aux formes sinueuses sont peints dans une palette de vert, de bleu et de violet. Dans le fond, la nature ensoleillée est traduite dans des tons lumineux et transparents. À cette époque, Cross travaille les teintes en rapports harmonieux, tout en s’attachant à leur faire exprimer une émotion.

Exécutée en atelier à l’aide de quelques études d’après nature, Le cap Layet, comme toutes les toiles de cette période, a nécessité une longue maturation. En vous approchant du tableau vous pourrez apercevoir le dessin préparatoire, délicates arabesques bleues cachées sous les touches de couleur recouvrant les branches.

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Néo-impressionnisme et divisionnisme

Le néo-impressionnisme est un prolongement de l’impressionnisme. Il consiste pour le peintre à juxtaposer sur la toile de façon systématique des petites touches de couleurs pures. Le mélange des couleurs, qui doit se faire dans l’œil du spectateur et à distance, est appelé "mélange optique". Au début des années 1880, Georges Seurat met au point cette technique qu’il appelle la "division des tons". Ce principe est plus connu sous le terme "divisionnisme" ou encore "pointillisme".

Tour à tour, Pissarro, Signac, Cross et même Matisse emprunteront cette nouvelle technique.

Fauvisme Lors du 3e Salon d’Automne de 1905, Henri Matisse, André Derain et Maurice de Vlaminck sont réunis pour la première fois dans la même salle : ils sont à l’origine du mouvement appelé Fauvisme.

Le nom donné à ce groupe vient d’un critique, Louis Vauxcelles, qui, de façon ironique, compare cette salle à une cage aux fauves. L’usage de couleurs pures, la simplification des formes, la mise à plat de l’espace et l’utilisation d’une touche visible désignent ces artistes comme des provocateurs. Le fauvisme, dira Matisse, est venu du fait que nous nous placions tout à fait loin des couleurs d’imitation et qu’avec les couleurs pures nous obtenions des réactions plus fortes.

Le fauvisme ne repose ni sur une théorie, ni sur un style unitaire. Ce mouvement est né de plusieurs influences. L’impressionnisme et le néo-impressionnisme en constituent la première source. L’univers de Gauguin ainsi que le style de Van Gogh sont également des références importantes. Enfin, l’inspiration des arts océanien et africain a également enrichi ce mouvement.

Legs Agutte Sembat

En 1922, à la mort de Marcel Sembat, député socialiste à Paris, son épouse Georgette Agutte, peintre et sculpteur, prend la décision de léguer leur collection à un musée de province. Étant lui-même très concerné par l’art de son temps, le conservateur du musée de Grenoble, Andry Farcy, accepte d’accueillir les œuvres de ce legs.

Ainsi, en 1923, entre au musée de Grenoble le legs Agutte-Sembat, comportant des œuvres de Matisse, Marquet, Derain, Vlaminck, Van Dongen, Rouault, Signac, Gauguin,… soit 64 peintures, 64 œuvres sur papier, 22 céramiques et 12 sculptures. Depuis cette date les œuvres de la collection sont exposées de façon permanente et en totalité dans les salles du musée, conformément au souhait des donateurs.

Cet ensemble a considérablement enrichi le patrimoine grenoblois et placé le musée au rang de premier musée d’art moderne de France.

En 1995 le legs Pierre Collart, neveu de Georgette Agutte a complété cette collection d’œuvres néo-impressionnistes et fauves, notamment avec deux peintures majeures d’Henri-Edmond Cross.

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Henri Matisse Intérieur aux aubergines, 1911

Ce tableau est le joyau de la collection du musée de Grenoble pour le XXe siècle. Il a été offert par la famille de l’artiste en 1922. Peint en 1911, il représente l’atelier que Matisse occupait alors à Collioure. L’espace est saturé de motifs décoratifs : des fleurs à cinq pétales couvrent le sol et le mur, des arabesques se déploient sur le paravent et la nappe. Des objets sont représentés sans volume en raison de l’absence d’effets lumineux. Ce sont les couleurs qui, par leurs contrastes, engendrent la lumière, répartie de façon égale dans tout l’espace. Matisse a utilisé la détrempe à la colle. Son aspect mat et sans épaisseur ôte toute matérialité aux éléments représentés. La fenêtre qui ouvre sur un paysage sans profondeur fait penser à un tableau placé au mur. Sur la table, l’assiette de poires, la petite sculpture et le vase apparaissent dans une position stable, tandis que les aubergines semblent glisser vers le sol. Le miroir sur la gauche reflète des objets transformés, simplifiés, réduits à l’état de signes plastiques. Certains ont même disparu !

Tous ces facteurs contribuent à faire de cet intérieur une surface plane, comparable à un tapis. Seule la cheminée offre une ébauche de profondeur, mais, placée contre le bord gauche du tableau, elle n’est pas montrée en entier.

Des objets ont été habilement fondus dans ce décor : ils rappellent que Matisse était peintre, sculpteur et qu’il pratiquait également le dessin. Des cadres vides en attente de leur tableau sont ainsi accrochés au-dessus de la cheminée ; une petite sculpture dont le modèle a été exécuté par Matisse lui-même, repose sur la table, tandis qu’un carton à dessins vert patiente sagement contre le miroir.

Salle Matisse Les œuvres d’Henri Matisse entrées dans les collections du Musée depuis 1920 sont nombreuses : 8 peintures, 28 dessins et deux gravures, une gouache, 2 céramiques ainsi que 3 sculptures et 9 ouvrages illustrés. Les tableaux proviennent du legs Agutte-Sembat, à trois exceptions près : Allée dans le bois de Clamart, offert au Musée par l’artiste en 1920 ; Intérieur aux aubergines donné par la famille de Matisse en 1922 ; et Jeune femme à la pelisse blanche mise en dépôt en 2004 par le Musée National d’Art Moderne. À ces toiles réalisées entre 1906 et 1944 s’ajoutent trois sculptures parmi les 69 exécutées par l’artiste tout au long de sa carrière. Tête de Jeannette IV a été acquise en 1954 tandis que Tête de fillette et Etude de pied ont été mises en dépôt par le MNAM en 1993.

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Pablo Picasso Femme lisant, 1920

En 1917, Picasso est à Rome afin de réaliser les décors du ballet "Parade" pour Diaghilev. Il y fait une rencontre : Olga Kokhlova, danseuse aux Ballets russes, et une redécouverte : l’art du passé, avec la sculpture antique et la peinture de la Renaissance. De retour à Paris, cette nouvelle influence donne naissance à des œuvres où les formes humaines surdimensionnées se révèlent très proches de la statuaire. On la qualifia de « retour au classicisme ».

C’est Olga, qu’il a épousée en 1918, qui a posé pour Femme lisant. Représentée à mi corps, assise et imposante, elle est entièrement concentrée sur la lecture d’une lettre qu’elle tient d’une main monolithique.

L’autre main, dont l’index gonflé est posé sur la tempe, paraît elle aussi comme taillée dans la masse. Leur couleur rose, identique à celle du visage, contraste avec les tons terreux du vêtement et le gris-brun du fond. Picasso n’a nullement cherché à réaliser un portrait ressemblant de son épouse. Son visage devient prétexte à une recherche plastique, , qui lui donne une apparence de statue au profil grec, tandis que le vêtement traité en aplats rappelle la période cubiste de l’artiste. En 1923, Picasso déclarait : "L’art grec, égyptien, celui des grands peintres d’autres époques, n’est pas un art du passé. Peut-être même est-il plus vivant aujourd’hui que jamais. L’art en lui-même n’évolue pas, ce sont les idées qui changent, et avec elles les modes d’expression".

On connaît le fort pouvoir de séduction que Picasso exerça sur les femmes : pour chacune de ses nombreuses compagnes, il inventa un style différent. Si Dora Maar est la femme hérissée de pointes acérées et Françoise Gilot la femme-fleur aux courbes douces, Olga Kokhlova reste le modèle immobile d’une époque lointaine, empreinte de sérénité classique.

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Le cubisme

Le cubisme est un mouvement artistique qui s’est développé de 1907 à 1914 autour de Georges Braque et Pablo Picasso. Il prend sa source dans les dernières œuvres de Paul Cézanne où l’artiste interprète la réalité par le cube, la sphère et le cylindre.

Le principe du cubisme est de saisir l’essence des choses en les décomposant selon différents points de vue et en les intégrant à un espace construit. Braque et Picasso ont appliqué cette façon de représenter le monde à des paysages, des objets et des personnages. Les Demoiselles d’Avignon, peint en 1907 par Picasso, est considéré comme le premier tableau cubiste. Ce mouvement a eu une très forte influence sur de nombreux artistes après la première guerre mondiale.

Dans cette salle vous pouvez admirer une œuvre cubiste de Georges Braque datée de 1912 intitulée Guitare ainsi qu’une sculpture d’Henri Laurens, Bouteille de Rhum, exécutée en 1917.

Luigi Russolo Synthèse plastique des mouvements d’une femme, 1912

"Le geste que nous voulons reproduire sur la toile ne sera plus un instant fixé du dynamisme universel. Ce sera simplement la sensation dynamique elle-même." C’est dans le Manifeste des peintres futuristes, signé en 1910 par Russolo et ses amis, que l’on peut lire cette déclaration. Selon les principes énoncés dans ce programme collectif, la peinture doit désormais exprimer l’essence du mouvement, le dynamisme et la vitesse des machines, en particulier l’automobile et le train. "Tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement", déclarent les futuristes.

Synthèse plastique des mouvements d’une femme s’inspire des travaux de chronophotographie des

années 1880 : dans une même image sont décomposés les mouvements d’un cheval au galop, d’un oiseau en vol ou d’un homme en action.

Peint dans des tonalités froides que ne parvient pas à réchauffer le jaune lumineux, le tableau représente une femme debout, une jambe passée devant l’autre, tenant dans les mains un livre ouvert. Sa silhouette est démultipliée dans un mouvement de rotation qui va de la droite vers la gauche, créant un effet de déplacement. À la périphérie du corps, les formes se répètent en un agencement rythmique d’éléments abstraits. C’est une illustration parfaite de la méthode de ces artistes qui affirment : "Pour peindre une figure humaine, il ne faut pas la peindre ; il faut en donner toute l’atmosphère enveloppante."

Un tel procédé évoque également les vibrations du son qui se propage. Russolo connaît bien le phénomène : en 1913, il écrit L’Art des bruits et se consacre définitivement à l’expérimentation sonore.

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Raymond Duchamp-Villon Le cheval,1914

Durant les quelques mois qui précèdent le début de la Première Guerre mondiale, Raymond Duchamp-Villon entreprend son plus important projet de sculpture. Séduit par les recherches futuristes, il s’inspire de la machine et prend pour modèle un cheval qui se cabre. Le Cheval, un plâtre original, est ainsi composé d’éléments qui évoquent le dynamisme et la puissance mécaniques. Pistons, engrenages, bielles et rouages sont associés à des parties de l’animal plus réalistes telles que la tête, la crinière ou encore un sabot. En découvrant cette allusion au "Cheval-vapeur" Matisse dira au sculpteur peu après le commencement de la guerre : "C’est un projectile !".

Après la mort de l’artiste, ses deux frères, Jacques Villon et Marcel Duchamp, rappellent que Raymond voulait agrandir la sculpture. En 1931, Villon fait exécuter une épreuve en bronze d’un mètre de haut, qu’il appelle Le Grand Cheval. En 1966, Marcel Duchamp décide de contribuer à son tour à la concrétisation du rêve de son frère : il fait réaliser avec l’aide du sculpteur Emile Gilioli, un ultime agrandissement du Cheval d’un mètre cinquante de haut, qu’il baptise Cheval Majeur. Douze exemplaires en seront tirés. L’ultime pièce est fondue en 1984 à la demande du Conservateur du musée des Beaux-Arts de Nancy : elle se distingue par son matériau, l’acier poli, selon le souhait initial de Duchamp-Villon. Cette épreuve constitue en quelque sorte l’aboutissement d’une œuvre unanimement reconnue comme un des sommets de la sculpture du XXe siècle.

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Fernand Léger Le remorqueur, 1920

Ce tableau appartient à une série dont la version la plus proche est conservée à Paris au Musée National d’Art Moderne.

L’artiste y célèbre l’alliance entre l’architecture, le paysage et la machine, dont l’arrivée dans la vie quotidienne et la puissante beauté l’ont enthousiasmé. Embarcation mobile et moderne, le remorqueur passe lentement devant un paysage mi-naturel mi-urbain. Il est composé d’éléments à angles vifs, aux couleurs tranchées posées en aplats. A son bord, apparaissent un chien et des personnages cylindriques, proches de la représentation simplifiée des robots. Les détails décoratifs, balustrades, sol en damier du quai, arbre, passerelles, hublots… sont autant de repères entre lesquels l’œil circule, cherchant à identifier les contours du remorqueur. Les cheminées au centre de la composition, encadrées de cercles concentriques, évoquent l’énergie de la machine en mouvement.

Le sujet est défini selon le principe plastique des contrastes dynamiques, c’est-à-dire des oppositions entre horizontales et verticales, cercles et carrés, pleins et vides, formes en aplats colorés et modelés "tubulaires" aux tons métalliques, couleurs pures et noir et blanc.

Cette vision fragmentée du monde, soumise à une dislocation puis recomposée selon ses lois propres, est destinée à symboliser la modernité et le progrès technique ; elle rappelle combien Fernand Léger était fasciné par les vitrines, les panneaux publicitaires et l’activité des villes.

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Paul Klee Paysage à l’enfant, 1923

Cette œuvre a été offerte en 1935 au musée de Grenoble par le célèbre marchand Daniel-Henry Kahnweiler, qui venait de signer un contrat avec Paul Klee. Cet artiste figure parmi les créateurs les plus féconds de l’histoire de la peinture : son œuvre, qui compte plus de 9000 titres, constitue un immense héritage. Ses écrits, et l’univers poétique et musical qu’il met en images, font de lui une personnalité déterminante de l’art du XXe siècle, une référence obligée de la pensée esthétique actuelle.

Artiste inclassable par excellence, Klee se distingue par sa position unique à la frontière entre figuration et abstraction. L’écriture intervient constamment dans sa production, comme dans ce Paysage à l’enfant peint en 1923. Klee est alors enseignant au Bauhaus, célèbre école allemande d’architecture et d’arts appliqués, où il reste pendant presque dix ans. Des arbres et des maisons sont dessinés sur un fond changeant de tons rose, bleu et violet, appliqués en frottis. Ces formes enfantines évoquent une ambiance de conte de fées qui incite à la promenade. Comme l’écrit l’artiste dans ses notes : "L’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’œuvre." Notre œil, aidé par les quelques touches de jaune, parcourt en effet l’espace du tableau, et découvre les différents éléments de ce monde en réduction. Avez-vous remarqué la petite figure d’enfant placée dans l’angle inférieur gauche et qui semble se diriger vers un escalier menant au château ?

Aux côtés de Paysage à l’enfant sont exposés deux tableaux de Wassily Kandinsky, Noir-rouge de 1927 et Complexité simple de 1939. Les deux artistes ont entretenu toute leur vie une profonde amitié et ont enseigné au Bauhaus dans les mêmes années.

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Théo Van Doesburg Contre-Composition XII, 1924

Théo Van Doesburg, peintre, architecte et théoricien néerlandais, est l’une des figures les plus originales de l’art abstrait géométrique. Fervent défenseur du Néoplasticisme initié par Piet Mondrian à partir de 1917, il en applique très tôt le principe dans ses tableaux. Définie par la rigueur de ses moyens d’expression, cette théorie esthétique se réduit à des rapports de lignes verticales et horizontales, combinées à des aplats de couleurs primaires auxquelles s’ajoutent le noir, le blanc et le gris. La touche lisse renforce l’aspect bidimensionnel des œuvres.

Contre-Composition XII est une peinture de format horizontal étroit, organisée de façon dissymétrique. Séparés par des lignes noires orthogonales, les aplats de couleurs primaires, rouge et bleu, font écho aux surfaces de couleurs neutres, gris et blanc. La particularité de cette œuvre réside dans le fait que les lignes noires, par leur épaisseur, deviennent des surfaces en elle-mêmes. L’aspect concentré de la composition peut être perçu comme un détail d’une réalisation plus grande. Associé au décentrement des plages de couleur, cet effet dynamique invite à poursuivre lignes et aplats hors du cadre du tableau.

En 1924, date de cette toile, Van Doesburg introduit la diagonale dans ses tableaux. Cette entorse faite à l’orthodoxie du style le conduira à une rupture avec Mondrian, chef de file du Néoplasticisme.

Avec Bart Van der Leck, Jean Gorin et Jean Hélion (dont des œuvres sont présentes dans cette salle), ces artistes ont contribué de façon exceptionnelle à l’élaboration d’une nouvelle esthétique qui a influencé l’architecture, la mode, la publicité et le design jusqu’à aujourd’hui.

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Pierre Bonnard, Intérieur blanc, 1932

Peint dans la maison du Cannet que Bonnard avait acquise vers 1925, ce tableau reprend le thème maintes fois traité de la salle à manger ouverte sur le monde extérieur. On ne remarque pas d’emblée la présence de Marthe, l’épouse de l’artiste, qui se penche vers un chaton, à l’angle de la table. Son vêtement et sa chevelure se fondent en effet parmi les touches rouge foncé du sol et celles, jaune d’or, du mur au-dessus du radiateur. Le titre du tableau, Intérieur blanc, met en évidence la méthode de l’artiste qui a mêlé une large gamme de tonalités chaudes et froides à des blancs nacrés posés en touches d’épaisseurs variées.

La composition s’organise selon un réseau de lignes verticales engendrées par les éléments du décor : la cheminée, le mur, la porte, le radiateur et la fenêtre. La partie inférieure est occupée par le coin de la table et le dossier d’une chaise qui semblent basculer au plan du tableau. L’échelonnement des différents espaces, de la cheminée au paysage, crée un effet de perspective légèrement distordue.

Influencé par les estampes japonaises et l’impressionnisme à ses débuts, Bonnard, coloriste exceptionnel, a exploité une voie toute personnelle à l’écart des grands courants. Il est devenu le peintre de la vie et du bonheur, l’artiste emblématique de scènes intimistes, indissociables de l’atmosphère paisible que peut offrir le quotidien.

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Chaïm Soutine Le bœuf écorché, 1925

C’est le célèbre tableau de Rembrandt, Le bœuf écorché, conservé au Louvre, qui inspire à Chaïm Soutine en 1925 une série sur le même thème, parmi laquelle la belle version du musée de Grenoble.

Suspendu par les pattes arrière, l’animal, dont les flans sont largement béants, exhibe ses entrailles. Ses chairs sont en fait prétextes à de subtils accords de couleurs chaudes. Les empâtements, les hachures, les superpositions de touches rappellent le style expressionniste des peintres allemands du début du XXe siècle.

Soutine ne faisait jamais de dessins préparatoires, exécutant ses toiles d’après le motif, après plusieurs heures de méditation. Ce fut le cas pour le Bœuf écorché : l’artiste, après avoir obtenu une carcasse de bœuf, s’en servit de modèle durant plusieurs jours. Les voisins, incommodés par l’odeur nauséabonde, firent appel aux services sanitaires qui stoppèrent la décomposition à l’aide de formol. Les chairs perdaient alors leur coloration. Soutine, pour corriger cette altération, fut obligé de badigeonner l’animal de sang frais acheté chaque jour aux abattoirs.

En s’approchant de l’oeuvre, on oublie le contenu morbide d’un tel sujet pour n’en conserver qu’un grand moment de peinture pure.

Peintre d’origine lithuanienne, Chaïm Soutine s’était installé à Paris en 1913. Il incarne la bohème cosmopolite des artistes de l’école de Paris, aux côtés de Chagall, Lipchitz, Pascin et Modigliani, dont un émouvant portrait est présenté dans cette salle.

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Marc Chagall Songe d’une nuit d’été

Arrivé de Russie en 1911, Chagall a passé l’essentiel de sa vie en France, d’abord à Paris puis à Saint Paul de Vence. Imprégné par la culture yiddish et le folklore russe, il a élaboré une iconographie très originale où se côtoient le violoniste, l’acrobate, le Christ, ou encore les amoureux.

Le titre de ce tableau reprend celui de la pièce de Shakespeare illustrant les amours de Tatiana, la reine des fées, et de Bottom, le tisserand à tête d’âne. Tatiana est conquise par cet être curieux qu’elle a entendu chanter. Le regard perdu des amoureux enlacés exprime cependant une étrange absence. Chagall reprend ici l’éternelle histoire de La belle et la bête. Il crée un univers en parfaite harmonie avec son goût pour le merveilleux. L’ange rouge, peut-être un diablotin qui évoque la tentation, et le petit violoniste vert n’existent pas dans la pièce de Shakespeare. Ils témoignent de la richesse d’invention poétique de l’artiste.

Les couleurs sont appliquées en touches généreuses : elles sont réparties autour du motif qu’elles recouvrent, ou occupent l’espace de façon arbitraire. Cet effet renforce renforçant l’esprit de liberté pris par l’artiste vis à vis du sujet. Cette "explosion lyrique totale", selon les termes d’André Breton, a souvent été rapprochée du surréalisme. Si Chagall a gardé ses distances par rapport au mouvement, il a néanmoins eu une influence certaine dans son origine.

À côté de cette œuvre sont également accrochées deux autres toiles de Chagall, un autoportrait de jeunesse et Le marchand de bestiaux.

Salle du Surréalisme

Cette salle offre au visiteur un choix d’œuvres d’une grande qualité, réalisées par les artistes les plus importants du Surréalisme. Né après la Première guerre mondiale, ce mouvement se caractérise par la priorité donnée au rêve et à l’exploration de l’inconscient. Les images qui naissent de l’échange entre un monde intérieur fertile et la réalité du monde extérieur offrent de multiples aspects.

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Max Ernst est un des artistes les plus originaux du groupe. Dans La forêt, il a recours à la technique de l’empreinte : sous le pigment noir raclé au couteau, affleure le motif en relief des planches en bois et des ficelles posées sous la toile. L’aspect mystérieux de cette forêt impénétrable est renforcé par la présence d’un disque lunaire improbable. Yves Tanguy place le spectateur face à un univers mêlant monde réel et illusion. André Breton le considérait comme "le plus pur" du groupe. Dans Nid d’Amphioxus comme dans nombre de ses œuvres, des formes ressemblant à des fossiles semblent abandonnées sur la plage d’une planète inconnue.

Ces tableaux d’une grande qualité sont entourés d’œuvres non moins exceptionnelles. Ainsi, la belle petite toile de Pierre Roy, proche dans sa facture de l’art de Salvador Dali ; ou la boîte pleine de poésie de Joseph Cornell, seul artiste américain associé au Surréalisme. Les deux œuvres de René Magritte témoignent de son goût pour la subversion de l’image et le glissement de son sens. La grande toile de Miró est une réminiscence de l’automatisme poétique surréaliste.

Cet ensemble est complété par des œuvres de Giorgio de Chirico, dont les visions métaphysiques ont largement inspiré le mouvement surréaliste, de Victor Brauner, qui a rejoint le groupe en 1932 ou encore de Francis Picabia, dont l’inventivité l’a un temps rapproché du mouvement.

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Francis Picabia Idylle, 1927

Pionnier de l’abstraction, artiste incontournable du mouvement dada et compagnon éphémère des surréalistes, Francis Picabia est l’artiste des perpétuelles ruptures.

Entre 1924 et 1928, il réalise Les monstres, un ensemble de peintures représentant des couples d’amoureux exprimant théâtralement leur passion. Souvent inspirés de cartes postales sentimentales des années 20, ces tableaux sont peints au Ripolin dans des tons artificiels et dissonants. Bien qu’ Idylle appartienne à cette série, il s’agit pourtant d’une huile sur carton mais Picabia utilise ici le même registre de couleurs contrastées qu’avec le Ripolin. Sur un fond bleu dominant, un homme habillé d’un veston enlace sa compagne portant des gants à rayures. Les lèvres et les yeux dédoublés de la femme, le profil répété de l’homme et sa bouche en forme de bec, les tons discordants des visages, tout contribue à interpréter cette scène comme une parodie de l’émoi amoureux. Au mépris des conventions, Picabia s’approprie ainsi un rôle de provocateur à l’encontre du bon goût et des bons sentiments. La superposition des figures et des éléments de paysage entremêlés annonce les futures Transparences que l’artiste produira entre 1928 et 1933. Le tableau intitulé Salicis présenté aux côtés d’Idylle appartient à cette série.

Idylle est entré en 1931 dans les collections du musée de Grenoble grâce au don de Jacques Doucet, couturier et grand collectionneur. Son cadre est l’œuvre de Pierre Legrain, décorateur renommé de l’époque

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Nicolas de Staël Sicile, 1954

Sous l’influence de l’exceptionnelle lumière de la Sicile où il s’est rendu au cours de l’été 1953, Nicolas de Staël a exécuté des toiles aux couleurs éclatantes, écrasées au couteau ou à la spatule, dans lesquelles il a traduit ses impressions et son éblouissement.

Le tableau intitulé Sicile comporte deux registres : la moitié inférieure associe les tons chauds des sables et des terres ocrées posés en aplats généreux tandis que la partie supérieure ne contient que le vert du ciel dont la transparence permet de deviner la toile. Les contrastes qui en résultent atteignent le maximum d’intensité dans le rapport entre les couleurs primaires et leurs secondaires.

Au retour de son voyage sicilien, l’artiste s’était arrêté à Rome où il avait pu admirer les œuvres de Paolo Uccello et Piero della Francesca, confirmant son intérêt pour l’art des débuts de la Renaissance. L’artiste semble ici se référer à la perspective linéaire de cette période avec un ensemble de lignes convergeant vers un point de fuite, la surface centrale rouge, qui joue un rôle de cohésion entre les plans colorés. Malgré cela, l’espace représenté demeure plat et se développe à la surface du tableau.

À la fin de sa vie, Nicolas de Staël déclarait : "L’espace pictural est un mur mais tous les oiseaux du monde y volent librement…à toutes les profondeurs".

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Pierre Soulages Peinture 222 x 628 cm, avril 1985

De plus en plus présent dans les tableaux de Soulages depuis 1954, le noir envahit tout l’espace et devient sa couleur exclusive à partir de 1978 et dans les années 80. Cet "outrenoir", selon son propre terme, est utilisé dans une série de peintures dont les dimensions importantes sont toujours indiquées dans le titre, avec la date d’exécution de l’œuvre.

Peinture 222 x 628 cm, avril 1985 est ainsi constituée de quatre panneaux juxtaposés sur lesquels le pigment, une pâte épaisse, est étalé en gestes amples, verticaux, horizontaux ou obliques, à l’aide de brosses fabriquées par l’artiste. Il en résulte de larges zones striées dont la texture accroche, module et renvoie la lumière selon la nature de l’éclairage et le déplacement du spectateur. Leur recouvrement partiel et la variété des orientations dynamisent la surface et rythment la composition.

L’artiste conduit sa démarche comme une véritable quête de la lumière. Lors d’un entretien, en 1990, il déclarait : "Nous continuons à appeler cela du noir, en réalité c’est tout autre chose qui est en action, au point que j’ai pu dire que mon outil n’était pas le noir, mais la lumière. Les tableaux que je fais avec le noir ainsi utilisé ne vivent que par la lumière qu’ils reçoivent."

Très éloigné du principe de monochrome, nom donné à un tableau d’une seule couleur, le travail de Soulages contient toutes les références qui se rattachent à la peinture. Il aborde ainsi les notions de matière, de couleur, de facture, de lumière ou encore de composition. Peintes à la fin du XXe siècle, ces œuvres apparaissent comme de véritables icônes de l’époque contemporaine.

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Andy Warhol Jackie, 1963

Figure majeure du Pop Art américain, Andy Warhol est considéré comme un des plus grands artistes de la deuxième moitié du XXe siècle.

Dès 1962, il choisit ses images dans le vaste champ de la culture de masse et les répète par le procédé mécanique d’application sérigraphique sur toile. Les bouteilles de Coca Cola, les soupes Campbell ou encore les Marilyn sont ainsi encrées, multipliées, superposées ou décalées.

Peu après l’assassinat du président Kennedy le 22 novembre 1963, Warhol s’empare des images de presse montrant Jacqueline avant et après l’attentat. Il choisit huit photographies différentes. Deux d’entre elles montrent Jackie rayonnante lors de son arrivée à Dallas tandis que deux autres la présentent sérieuse, de profil ; dans les deux suivantes, elle porte une voilette de deuil et enfin, dans les deux dernières, elle assiste aux funérailles de son époux, le visage bouleversé. Lorsque Warhol les associe sur une même toile, c’est comme s’il racontait en raccourci la vie de cette femme, passant du bonheur au drame. Les portraits sont combinés selon une gamme de couleurs restreinte : différents tons de bleu, d’or et de blanc.

Le tableau de Grenoble est une image bleu-ciel du bonheur dans laquelle Jackie apparaît souriante, vêtue de son célèbre tailleur et de sa toque, placée comme une auréole. En arrière plan, dans l’angle supérieur gauche apparaît le profil de Kennedy. Warhol invente là une forme de vanité moderne où l’on peut lire, par-delà la beauté, la gloire ou le bonheur, les naufrages et les drames à venir.

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Pop Art et Nouveau Réalisme

Au cours des années 1950, de jeunes artistes opèrent un retour à la figuration en réaction à la place dominante prise par l’abstraction. Leur inspiration naît du milieu urbain, des images de la publicité, de la bande dessinée et du cinéma.

Le Pop Art apparaît à Londres au début des années 1950 et se développe aux État Unis tout au long des années 60. La représentation ou l’utilisation directe d’objets du quotidien est une pratique commune aux artistes Pop qui utilisent la peinture, le collage, l’assemblage, la sérigraphie… Parmi eux Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Claes Oldenburg et Tom Wesselmann (dont un tableau, Bedroom Painting n°31, est présenté dans cette salle) ont joué un rôle majeur dans ce mouvement.

En Europe, des tendances semblables se développent, notamment en France avec le Nouveau Réalisme. Dès 1960, certains artistes ont en commun une volonté d’appropriation du réel et utilisent à cette fin des démarches variées. César, dont vous pouvez voir dans cette salle une Compression de motocycles, compresse des voitures. Arman accumule, Tinguely fabrique des machines. Spoerri colle de la vaisselle sale sur des panneaux, comme dans le Tableau-piège présenté ici. Dufrêne déchire des affiches, comme c’est le cas pour Nabis bis.

D’autres artistes, Hains, Villeglé, Klein, ont aussi appartenu au groupe.

Martial Raysse, quant à lui, est considéré comme le plus pop des nouveaux réalistes.

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François Morellet Sphères-trames

Pour François Morellet, l’œuvre d’art ne renvoie qu’à elle-même et doit obéir à un système, une règle du jeu préétablie. Des formes géométriques simples ainsi qu’un nombre limité de couleurs, posées à l’aide d’une touche parfaitement lisse, caractérisent son travail.

Peinture, de 1952 présente une structure en damier jaune et blanc. Le même module, répété en alternance sur toute la surface, engendre un phénomène optique que l’artiste exploitera par la suite.

Dans Répartition aléatoire de triangles suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire téléphonique, Morellet fait appel au hasard. Il utilise une succession de numéros de téléphone dont les séquences, paires ou impaires, déterminent le choix du noir ou du blanc. Le panneau central est l’agrandissement de l’angle supérieur gauche du premier tableau. Ce processus est repris dans le troisième panneau.

Sphère-trames est formée d’éléments standard, des tubes en acier inoxydable soudés entre eux. Ils sont assemblés en grilles qui se croisent à angle droit dans une position inclinée. Au sujet des trames, d’abord apparues dans ses tableaux, Morellet déclare : "En 1962, j’ai voulu ajouter une troisième dimension à mes trames superposées… Toutes mes trames peintes à cette époque étaient infinies, c’est-à-dire qu’elles donnaient l’impression de se prolonger au-delà des limites conventionnelles du carré du tableau. Pour les sculptures, il n’existe pas de limites conventionnelles, si ce n’est les limites de la salle d’exposition. Le choix de limites en forme de sphère plutôt que, par exemple, en forme de cube, n’est pourtant pas gratuit. Ma sphère, lorsqu’elle tourne sur elle-même ou que l’on tourne autour, n’ayant aucun angle, aucun accident de surface sur sa périphérie, permet au regard du spectateur de mieux se concentrer à l’intérieur, là où se succèdent les superpositions de trames."

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Salle Dubuffet

Après la Seconde Guerre mondiale, certains artistes ont remis en question la représentation du réel et ont conçu un art appelé "informel", indépendant de toute référence au passé. Jean Dubuffet fait partie de ces peintres qui cherchaient à explorer des territoires inconnus afin de retrouver leur liberté. En 1945, il invente le concept d’art brut, un art produit par les enfants, les aliénés, les autodidactes, en dehors des normes traditionnelles.

Dans cette salle sont exposées des peintures réalisées par l’artiste dans les années 1980. Les Mires, qui figurent parmi ses œuvres les plus abstraites. Leurs tracés à la peinture rouge ou bleue se détachent sur fond jaune, blanc ou noir. Parmi elles, Mire G 137 est composée de quatre feuilles de papier juxtaposées, marouflées sur toile et recouvertes de lignes qui se prolongent sans interruption à la jonction de deux feuilles. La liberté apparente du dessin

cache ici un travail préparatoire nécessitant une parfaite maîtrise.

Ce cycle est complété par une œuvre de grand format, mise en dépôt par le Musée National d’Art Moderne en 2004, La Houle du virtuel, datée de 1963. Alors que l’artiste raturait des dessins au stylo bille durant une conversation téléphonique qu’il a qualifiée d’ennuyeuse, il découvrit une sensation visuelle nouvelle. Plus tard, il choisit de transférer ces tracés sur fond noir,

principe à l’origine d’une nouvelle série. Dans cette toile, les formes s’organisent comme une sorte de puzzle et créent une densité comparable à un grouillement de cellules.

Tout au long de sa vie, Dubuffet a cherché à valoriser la création spontanée, dégagée des codes de l’histoire de l’art : "En vérité, je suis le seul homme au monde à peindre comme tout le monde ", déclarait-il.

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Sol LeWitt White Five Part Modular Piece,1971

En 1967, Sol LeWitt déclare : "Je qualifierai l’art par lequel je m’exprime d’art conceptuel… Quand un artiste utilise une forme conceptuelle d’art, cela signifie que tout ce qui concerne la programmation ou les décisions est accompli d’avance et que l’exécution est une affaire sans importance… L’œuvre d’art est la manifestation d’une idée. C’est une idée et pas un objet… L’idée devient la machine qui fabrique l’art."

À partir d’un module de base, le cube évidé, Sol LeWitt organise de multiples combinaisons, des plus simples aux plus complexes. Cette œuvre est composée de cinq cubes d’une hauteur de 1 mètre 60, disposés en quinconce. Les arêtes rythment l’espace par l’alternance de verticales et d’horizontales et modifient la perception de l’environnement selon nos déplacements. Les formes sont posées à même le sol : cette proximité avec le public remet en question le statut de la sculpture traditionnelle et l’assimile à un élément architectural. Sol LeWitt insiste cependant beaucoup sur le fait que ses "structures" ne sont ni des objets, ni des architectures.

Le blanc, couleur neutre par excellence, de même que l’acier, matériau industriel, et l’aspect fini dû à l’exécution en usine, sont autant de facteurs qui contribuent à évacuer toute implication personnelle de la part de l’artiste. L’absence d’anecdote et le recours à des formes simples font de Sol LeWitt l’un des artistes majeurs de l’art minimal.

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Art minimal

L’art minimal est un mouvement important né aux Etats Unis dans les années 1960-70. Il prône le recours à des formes géométriques simples et épurées. Les matériaux utilisés par les artistes de cette tendance appartiennent au monde industriel ou sont manufacturés : acier, néon, Plexyglas, rails de chemin de fer, plots en bois… Dans le domaine de la sculpture, les éléments ou modules sont assemblés en série, et se développent dans l’espace, à l’échelle du corps humain. Dans le domaine pictural, la réflexion porte sur la peinture comme seul sujet : cela donne des œuvres froides et inexpressives, aux formes simplifiées.

L’art minimal a eu une influence considérable sur les autres domaines de la création comme le design, l’architecture mais aussi la musique et la littérature.

Donald Judd , Ellsworth Kelly, Sol LeWitt, et Franck Stella sont parmi les artistes les plus réputés de l’Art minimal ; leurs œuvres sont présentées dans les salles 42 et 43. Une sculpture d’un autre grand artiste de ce mouvement, Carl Andre, est visible salle 47, au premier niveau inférieur.

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Morris Louis Lamed Aleph, 1958

Omega III, 1959-1960

Morris Louis appartient à la génération des peintres américains adeptes du "color field" ou champ coloré. Entre 1950 et 1962, date de sa mort, il centre ses recherches sur la couleur et son rapport à l’espace du tableau. Il entreprend ainsi plusieurs séries de toiles dans lesquelles la peinture acrylique, très diluée, est utilisée comme l’aquarelle, pour sa fluidité et ses effets de transparence. Le support, la toile non préparée, s’imbibe de couleurs selon le principe de la teinture.

Dans l’œuvre intitulée Lamed Aleph, l’artiste superpose plusieurs couches très liquides et peu saturées en pigments. Elles sont versées du sommet de la toile, probablement, agrafée verticalement sur une sorte d’échafaudage. Les couleurs se recouvrent alors puis se

mélangent dans la trame du tissu. Elles s’écoulent jusqu’en bas, rendant compte de l’action de la gravité. Le résultat se présente comme un voile diffusant une lumière aux tons sourds. Veils, le nom donné à la série à laquelle appartient cette toile, est d’ailleurs la traduction anglaise du mot voiles.

Une autre toile accrochée dans cette salle offre un principe d’exécution différent. Omega III comporte des rigoles de couleurs qui partent des bords du tableau et laissent vide le centre de la toile. La technique utilisée par l’artiste pour obtenir ce résultat consistait à relever les côtés de la toile libre posée au sol afin d’en orienter les coulures.

Toutes les œuvres de maturité de Morris Louis se caractérisent par leurs dimensions importantes. Il est surprenant de savoir qu’elles ont pourtant été peintes dans un tout petit atelier de 4 mètres par 4…

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Support-Surface

Support-Surface est le nom d’un courant artistique qui apparaît autour de 1966-67 dans le sud de la France. Les artistes fondateurs de ce mouvement s’intéressent aux éléments physiques du tableau de chevalet. La toile, le châssis, le cadre sont analysés, transformés, déconstruits… Les artistes développent au cours de cette période une expérience et une théorie sur la matérialité de la peinture ; ils réalisent des œuvres abstraites, vides de tout message, en rupture avec la notion traditionnelle d’œuvre d’art.

Parmi eux, Claude Viallat, qui a exploré la variété des supports, appose sur une bâche verte une succession d’empreintes inscrites à intervalle régulier ; il se sert d’une éponge utilisée dans le sud de la France pour le blanchissage des murs à la chaux. Daniel Dezeuze, qui remet en question la conception classique du tableau, présente une forme d’échelle en bois fin, conçue comme une variation sur le thème du châssis. François Rouan s’approprie la toile comme sujet d’expérimentation. Son œuvre est constituée de deux toiles préalablement teintées par immersion dans un bain de couleur, puis découpées et tressées.

Simon Hantaï pratique le frottage et le froissage de la toile ; Bernard Pagès analyse les techniques d’assemblage et de façonnage de la sculpture. Cette salle offre un très bel ensemble d’œuvres réalisées par les artistes de Support-Surface et leurs contemporains, impliqués dans des recherches analogues.