commentaire de l’article 1166 du code civil

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Commentaire de l’article 1166 du Code Civil « Néanmoins, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne » Bien qu’ayant un fort potentiel pour se prémunir contre le défaut de paiement du débiteur, l’action oblique n’a jamais vraiment trouvé sa place dans l’arsenal offert aux créanciers attentifs à la protection de leurs droits. Elle en vient à être délaissée par la pratique et n’attire plus vraiment l’intérêt de la doctrine. Du fait de la généralité des termes de l’article, cette action bénéficie d’une approche assez souple, mais la jurisprudence développe un régime peu propice à son épanouissement notamment du fait de la forte concurrence d’autres techniques juridiques plus séduisantes car aux effets individuels. L’article 1166 trouve sa place dans une section 6 intitulée « De l’effet des conventions à l’égard des tiers », elle-même dans un chapitre II relatif aux conditions essentielles de validité des conventions. Il est présenté comme une exception à l’article 1165 sur l’effet relatif des contrats. La doctrine analyse cet article tantôt comme une mesure de conservatoire tantôt comme une mesure d’exécution 1 . Il pose le principe de l’action oblique mais reste discret quant à son régime juridique. L’action oblique a donc pour mission principale de préserver le droit de gage général des créanciers, elle a un intérêt notamment pour le simple chirographaire. Elle fait naitre un double rapport juridique et fait intervenir trois personnes. Un lien d’obligation (pas nécessairement contractuelle) existe entre une personne, le créancier poursuivant, et une autre, le débiteur principal, elle-même liée à une troisième personne, le tiers poursuivi. Le créancier poursuivant viendra agir en lieu et place du débiteur principal à l’égard du tiers poursuivi. Nous verrons dans un premier temps les principes que pose cet article (I) puis nous étudierons les apports conséquents de la jurisprudence notamment concernant le régime juridique de l’action (II). I- Les principes posées par l’article Le texte de la loi énonce un champ d’application extrêmement large – droits et actions (A) qu’il convient alors de restreindre au regard de l’unique critère d’exception – rattachement au débiteur (B). a. Les droits et actions du débiteur A l’époque de la rédaction de ce texte, il n’était pas fait de distinction très nette entre les « droits » et les « actions ». De nos jours, la présence de ces deux termes a permis d’élargir l’application de l’article. On ne vise donc plus le simple exercice judiciaire d’un droit mais également sa réalisation non contentieuse. Actions : Il s’agit du terrain principal de l’action oblique. En effet, le plus souvent le créancier va vouloir obtenir l’exécution d’une obligation dont le débiteur est créancier (D&I délictuel ou contractuel, indemnité d’éviction...). - Outre le paiement d’une somme d’argent, il peut s’agir de l’exécution forcée d’une obligation de faire (action en justice permettant de préserver les droits du débiteur principal). 1 Mesure conservatoire : Ce sont des mesures de prévention, afin de prévenir un éventuel non paiement du débiteur. L’idée est de conserver la situation actuelle du débiteur, situation qui lui permet d’exécuter son obligation afin d’empêcher que le débiteur ne dilapide ses biens; Mesure d’exécution : Ces mesures consistent à obliger le débiteur à exécuter ce qui était prévu. Il s’agit de mesures d’exécution en nature, c’est-à-dire qu’elles contraignent le débiteur à faire quelque chose.

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Commentaire d'article - 2014 - Master 2

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Commentaire de larticle 1166 du Code Civil

Nanmoins, les cranciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur dbiteur, l'exception de ceux qui sont exclusivement attachs la personneBien quayant un fort potentiel pour se prmunir contre le dfaut de paiement du dbiteur, laction oblique na jamais vraiment trouv sa place dans larsenal offert aux cranciers attentifs la protection de leurs droits. Elle en vient tre dlaisse par la pratique et nattire plus vraiment lintrt de la doctrine. Du fait de la gnralit des termes de larticle, cette action bnficie dune approche assez souple, mais la jurisprudence dveloppe un rgime peu propice son panouissement notamment du fait de la forte concurrence dautres techniques juridiques plus sduisantes car aux effets individuels.

Larticle 1166 trouve sa place dans une section 6 intitule De leffet des conventions lgard des tiers, elle-mme dans un chapitre II relatif aux conditions essentielles de validit des conventions. Il est prsent comme une exception larticle 1165 sur leffet relatif des contrats. La doctrine analyse cet article tantt comme une mesure de conservatoire tantt comme une mesure dexcution[footnoteRef:1]. Il pose le principe de laction oblique mais reste discret quant son rgime juridique. [1: Mesure conservatoire: Ce sont des mesures de prvention, afin de prvenir un ventuel non paiement du dbiteur. Lide est de conserver la situation actuelle du dbiteur, situation qui lui permet dexcuter son obligation afin dempcher que le dbiteur ne dilapide ses biens; Mesure dexcution: Ces mesures consistent obliger le dbiteur excuter ce qui tait prvu. Il sagit de mesures dexcution en nature, cest--dire quelles contraignent le dbiteur faire quelque chose. ]

Laction oblique a donc pour mission principale de prserver le droit de gage gnral des cranciers, elle a un intrt notamment pour le simple chirographaire.Elle fait naitre un double rapport juridique et fait intervenir trois personnes. Un lien dobligation (pas ncessairement contractuelle) existe entre une personne, le crancier poursuivant, et une autre, le dbiteur principal, elle-mme lie une troisime personne, le tiers poursuivi. Le crancier poursuivant viendra agir en lieu et place du dbiteur principal lgard du tiers poursuivi.

Nous verrons dans un premier temps les principes que pose cet article (I) puis nous tudierons les apports consquents de la jurisprudence notamment concernant le rgime juridique de laction (II).

I- Les principes poses par larticle

Le texte de la loi nonce un champ dapplication extrmement large droits et actions (A) quil convient alors de restreindre au regard de lunique critre dexception rattachement au dbiteur (B).

a. Les droits et actions du dbiteur

A lpoque de la rdaction de ce texte, il ntait pas fait de distinction trs nette entre les droits et les actions. De nos jours, la prsence de ces deux termes a permis dlargir lapplication de larticle. On ne vise donc plus le simple exercice judiciaire dun droit mais galement sa ralisation non contentieuse.

Actions: Il sagit du terrain principal de laction oblique. En effet, le plus souvent le crancier va vouloir obtenir lexcution dune obligation dont le dbiteur est crancier (D&I dlictuel ou contractuel, indemnit dviction...). Outre le paiement dune somme dargent, il peut sagir de lexcution force dune obligation de faire (action en justice permettant de prserver les droits du dbiteur principal). Modification dune situation juridique qui, en ltat, fait obstacle lexercice des droits du crancier poursuivant (art. 815-17 = Possibilit pour les cranciers personnels de lindivisaire de provoquer le partage 1er civ. 2 dcembre 1992: CCass admet larticle 1166 comme seul fondement de cette action). Voies de recours ouverts au dbiteur (ngligence ou refus dinterjeter appel dun jugement qui lui est dfavorable ou pourvoi en cassation). La jurisprudence refuse pour linstant laction oblique de second degr (laction oblique dont dispose le dbiteur serait exerc par le crancier poursuivant). En ce qui concerne les actions en nullit, le seul intrt de laction oblique apparat en cas de nullit relative qui nest alors ouverte quau dbiteur principal. La nullit absolue tant ouverte tous. Larticle 1166 nopre aucune distinction entre les droits patrimoniaux, il ne cantonne pas laction au seul exercice des droits personnels du dbiteur (protection dun droit de proprit par laction en revendication, opposition des tiers dun contrat accordant au dbiteur des droits sur un bien).

Droits: Notions plus difficile cerner. On y inclut les facult et les options. Les simples facults du dbiteur semblent tre exclues du champ dapplication de laction oblique, mais cela ninterdit pas la possibilit de rechercher des mesures de sauvegarde (interruption de prescription, saisie...). Les options (successorale, promesses...): Deux thories sopposent. On admet laction oblique si loption prsuppose un droit n et virtuellement acquis quil sagit de confirmer ou de rejeter Elle sera rejete si loption est perue comme un droit nouveau (Com, 21 janvier 1974 PUV) ou un droit caractre exclusivement personnel. Grandes hsitations doctrinales. Ce vaste champ de laction oblique se heurte nanmoins une limite: celles des droits extrapatrimoniaux du dbiteur. En effet, laction oblique est directement rattache la protection du droit de gage gnral des cranciers.

b. Lexception de rattachement la personne du dbiteur

Comme nous lavons vu les facults ne sont que de simples expectatives qui peuvent permettre au dbiteur de crer une nouvelle situation juridique, sa part de volont est ici primordiale et il serait excessif de placer cette dcision entre les mains dun crancier. On retrouve dans cette analyse, la volont de prserver la libert de gestion du dbiteur.

Le critre de rattachement propos vise naturellement les droits et actions caractre extrapatrimonial telle que lannulation dun mariage, les demandes en divorce, les actions en filiation. Mais cette notion reste trs vague quant aux critres que lon doit retenir pour qualifier le caractre exclusivement attach la personne. Certains auteurs, comme la jurisprudence sattache alors, de manire trs large, lintrt moral du titulaire du droit.

La Cour de Cassation dans un arrt de 1963 prcise clairement quil faut comprendre les droits et actions exclusivement attachs la personne comme ceux dont lexercice est subordonn des considrations personnelles dordre moral ou familiale. Rappel dans un arrt de 1998 considrations personnelles dordre moral et familiale.

Dans quelques rares hypothses la question est rgle par la loi (art. 1446 crancier dun poux ne peuvent demander de son chef la sparation de bien. Art.L132-9, I sur laction des cranciers destine rvoquer le bnfice dun contrat dassurance-vie.)Hors mis de rares cas, on est face une grande casuistique jurisprudentielle. Exclusions: Actions en rvocation de donation entre poux, en suppression dune pension alimentaire, instance dun salari contre son employeur...A linverse, on a pu admettre laction dans des cas ayant un caractre familiale ou personnel fort: Rapport dune libralit (1er civ, 12 mars 1968), rescision pour lsion dun partage (1erciv. 22 janvier 1980)

On constate ainsi, que le critre est assez fuyant et quil est par consquent difficile de faire une systmatisation.

Ainsi, lorsquest en cause le principe essentiel de la libert de chacun de grer ses affaires comme il lentend, il devient primordial de dterminer ltendue des prrogatives du dbiteur pouvant tre apprhendes par le crancier. Cependant, larticle 1166 ne se contente que dnoncer un principe et son exception, cela a donc laiss un large champ dinterprtation la jurisprudence quant au rgime juridique de laction oblique.

II- Un rgime juridique prcis/dvelopp par la jurisprudence

Au-del de ces quelques cas expressment rgls par les textes, il est revenu la jurisprudence de dfinir les contours de cette action tant par ces conditions (A) que par ses effets (B). a. Conditions

Crancier: Celui qui dclenche laction doit imprativement avoir la qualit de crancier. Traditionnellement, il sagit dun crancier dune obligation montaire peu importe son origine, sa date de naissance et son montant[footnoteRef:2]. [2: Depuis quelques dcennies la Cour de Cassation a donn une nouvelle fonction laction oblique en lui permettant de procurer une autre satisfaction au crancier que celle daccroitre le patrimoine du dbiteur. Un arrt de 1984 a ainsi affirm que larticle 1166 permet aux cranciers dexercer tous les droits et actions de leur dbiteur sans distinguer selon lorigine de lobligation. La doctrine reste divise sur la question. ]

La jurisprudence a pu prciser quil ntait pas ncessaire quil y ait un rapport de proportionnalit entre la crance invoque par le crancier poursuivant et celle qui est lobjet de laction. En effet, les sommes rcupres intgrent le patrimoine du dbiteur et non celui du crancier poursuivant.

La jurisprudence a galement admis que la crance devait tre certaine, liquide et exigible. Cest en ce point que laction oblique perd de son intrt, le crancier prfrant avoir recours une mesure conservatoire dans la mesure o il lui suffit de justifier dune crance fonde en son principe.

Dbiteur: Cest son inaction qui va autoriser principalement le crancier en son lieu et place. Il doit tablir cette carence quel quen soit sa cause.Un arrt de 2002 tablit que la carence est tablie lorsque le dbiteur ne justifie daucune diligence dans la rclamation de son du. Ainsi, il suffit au dbiteur dentreprendre certaines diligences pour que laction oblique soit prive de fondement (1er civ. 2005). La carence en elle-mme nest pas suffisante, il faut que celle-ci ait mis en pril les intrts du crancier poursuivant. Si le patrimoine du dbiteur tait suffisant pour le dsintresser, il priverait son action de son intrt agir.La jurisprudence sest surtout attache au pril pesant sur le recouvrement de la crance que sur linsolvabilit (passif plus important que lactif). Lavant-projet Catala affirme dans ce sens que les cranciers ne justifient leur intrt agir qu charge de prouver que la carence de leur dbiteur leur cause prjudice. Certains arrts ont mme pu se contenter de la preuve de la ngligence de dbiteur et carter tout apprciation sur sa solvabilit.

b. Les effets

Rapport du crancier et du tiers: Laction oblique assure au crancier poursuivant la possibilit dexercer les droits de son dbiteur contre le tiers poursuivit. Il ne peut avoir plus de droit que lui et son action nest donc pas limite au montant de sa crance. Le tiers poursuivi peut ainsi opposer au crancier tous les moyens de dfense et toutes les exceptions quil aurait pu opposer au dbiteur, peu importe quelles soient nes avant louverture de laction oblique ou mme postrieurement. Laction oblique nassure aucune mainmise du crancier sur les droits quil exerce pour un autre sauf sil dmontre une manuvre frauduleuse.

Rapport entre le crancier et les autres cranciers du dbiteur: Laction oblique nest assimilable ni une saisie ni une action directe, le dbiteur nest en aucun cas dessaisi de ses droits et actions. Il ne sagit que dun moyen pour le crancier de se prmunir contre la carence du dbiteur avec de reconstituer le patrimoine de ce dernier. Cest une action individuelle avec un effet collectif. Tous les autres cranciers du dbiteur vont pouvoir en bnficier galit avec le crancier poursuivant. Sont maintenus les privilges et les rangs.

Rapport entre le dbiteur et le tiers saisi: Le dbiteur reste libre dagir condition que son action ne constitue pas une fraude des droits du crancier. Lorsque le dbiteur a t mis en cause dans laction oblique, le jugement rendu aura autorit de la chose juge son gard. Sil na pas t mis en cause, la relativit de la chose juge lui profitera (trs vieil arrt de 1804 approuv par la plupart des auteurs). Une solution diffrente peut tre adopte en admettant que le crancier agit comme un mandataire du dbiteur (civ 18 juillet 1838). Solution rejete par la doctrine.