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LA LOI ELECTORALE TUNISIENNE DE 2014
COMMENTAIRE DE LA LOI ORGANIQUE N° 2014-16 DU
26 MAI 2014 RELATIVE AUX ELECTIONS ET AU
REFERENDUM ET DE DIFFERENTS TEXTES
D’APPLICATION
RAPPORT
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Cette analyse a été rédigée par Mehdi Foudhaili, Denis Petit et Geoffrey Weichselbaum. Elle a bénéficié des commentaires de Michael Meyer-Resende et de Henrik Ahrens. L’édition a été assurée par Thibault Delamare, Dalia Barsoum et Katharina Jautz. agshenhdhdjjdjjjdhhuuuiujju
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LA LOI ELECTORALE TUNISIENNE DE 2014
COMMENTAIRE DE LA LOI ORGANIQUE N° 2014-16
DU 26 MAI 2014 RELATIVE AUX ELECTIONS ET AU
REFERENDUM ET DE DIFFERENTS TEXTES
D’APPLICATION
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TABLE DES MATIERES
I. RESUME .............................................................................. 5
LISTE DES RECOMMANDATIONS ................................... 6
II. LE CONTEXTE POLITIQUE ........................................... 11
III. REMARQUES LIMINAIRES A L’ANALYSE DE LA LOI ELECTORALE .................................................................................. 15
IV. LA REFORME ELECTORALE ........................................ 17
V. DROITS DE SUFFRAGE ................................................. 19
VI. LE REGISTRE DES ELECTEURS ET LES LISTES DES ELECTEURS ............................................................................ 26
VII. LA PRESENTATION DES CANDIDATURES AUX ELECTIONS LEGISLATIVES ET PRESIDENTIELLES .............. 28
VIII. LA CAMPAGNE ELECTORALE ..................................... 32
IX. LE FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE ELECTORALE .................................................................................. 36
X. LES OPERATIONS DE VOTE ........................................ 37
XI. LES INFRACTIONS ELECTORALES ............................ 38
XII. LES OBSERVATEURS .................................................... 39
XIII. LE CONTENTIEUX ELECTORAL .................................. 40
5
I. RESUME
La Loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014 relative aux
élections et au référendum (ci-après « Loi électorale ») marque
une étape décisive dans la consolidation du droit électoral
tunisien au regard des normes et standards internationaux
pertinents. La loi abroge les mesures d’exception de 2011 qui
restreignaient de manière excessive tant le droit de vote que le
droit de se porter candidat. Elle renforce les pouvoirs de l’ISIE,
amorce un processus devant mener à terme à la mise en place
d’un registre électoral, renforce et rationalise le dispositif de
contrôle du financement des dépenses électorales, simplifie les
procédures contentieuses et, de manière générale, accroit la
transparence du processus électoral. Ceci dit, sur certains
aspects, la loi reste en deçà des exigences des normes et
standards internationaux. En ce qui concerne le droit de se
porter candidat, la Constitution imposait aux législateurs la
confirmation dans la loi d’exclusions non conformes à ces
normes et standards : l’exclusion, aux élections législatives, des
électeurs ayant acquis la nationalité tunisienne depuis moins de
10 ans ; l’exclusion, aux élections présidentielles, des électeurs
binationaux (sauf à renoncer à leur autre nationalité), des
électeurs qui ne sont pas citoyens de naissance et des électeurs
qui ne sont pas de confession musulmane. Par ailleurs, la loi
reste transitoire en ce qu’elle n’est pas complète, l’ISIE ayant été
amenée à combler certaines lacunes ou omissions au travers de
nombreux textes d’application. Il est essentiel que ces textes
soient refondus en un ensemble cohérent qui renforce
notamment les dispositions relatives à la campagne électorale
dans un sens plus favorable à la libre communication des idées
et programmes électoraux et complète le cadre juridique
nécessaire à la mise en place d’un registre électoral permanent.
La Loi électorale a été une des lois clés de la transition politique
tunisienne, passée quelques semaines après l’adoption de la
nouvelle Constitution du 26 janvier 2014. La Loi électorale est
destinée à s’appliquer à tous les scrutins à venir, élections
présidentielles et législatives comme référendums. Néanmoins,
les premières élections présidentielle et législatives devant se
tenir, en vertu de dispositions transitoires de la nouvelle
Constitution, avant la fin de l’année 2014, la priorité fut de
formuler un cadre général, laissant à l’Instance supérieure
indépendante pour les élections (ci-après « ISIE ») une grande
marge de manœuvre, quitte à ce que le législateur intervienne
par la suite pour consolider les textes.
Ceci étant, la Loi électorale marque une avancée significative
sur la voie de la consolidation du droit électoral tunisien. Elle
apporte des améliorations notables (voir Chapitre III, page 24) à
la législation antérieure, y compris le décret-loi n°2011-35 et les
textes afférents qu’elle refond en un ensemble cohérent, enrichi
de dispositions nouvelles qui précisent certains aspects et
notamment renforcent les pouvoirs de contrôle et d’exécution de
l’ISIE, et ce, conformément au droit international.
La Loi électorale renforce les droits fondamentaux des citoyens.
Elle abroge des dispositions qui furent controversées en 2011, à
savoir la privation du droit de vote pour les personnes dont les
biens avaient été confisqués après le 14 janvier 2011 (Ben Ali
ainsi que certains membres de sa famille et de son entourage) et
les clauses d’inéligibilité frappant les personnes en raison de
leur passé politique. Elle innove par rapport à 2011 sur les
questions de financement de la campagne électorale, dont les
dispositions atteignent un niveau d’élaboration qu’elles n’avaient
pas alors. Elle adopte le principe d’un registre électoral
permanent et confirme l’engagement constitutionnel en faveur
de l’égalité entre hommes et femmes à travers la composition
paritaire et alternée des listes candidates. Elle favorise les
candidatures des jeunes. Elle consolide le système d’aide
publique au financement de la campagne électorale, renforce la
transparence du processus électoral et de l'administration
électorale et rationalise la nomenclature des infractions
électorales. Elle élargit le droit d’agir en matière de contentieux
des candidatures et prévoit des procédures simplifiées dans les
différents contentieux qui se succèdent tout au long du
processus électoral. De manière générale, elle tend à plus de
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COMMENTAIRE DE LA LOI ORGANIQUE N° 2014-16 DU 26 MAI
2014 RELATIVE AUX ELECTIONS ET AU REFERENDUM ET DE
DIFFERENTS TEXTES D’APPLICATION
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transparence, à différents niveaux, y compris en ce qui concerne
la publication et la proclamation des résultats électoraux.
Cependant, elle n’accomplit qu’une partie du chemin et reste,
dans une certaine mesure, un texte de transition1. Des aspects
fondamentaux du processus électoral ne sont pas traités dans la
loi et de nombreux textes d’application, laissés à la discrétion de
l’ISIE, ont été nécessaires pour combler les lacunes du cadre
légal ou prendre les mesures exigées de jure ou de facto par
celui-ci. Il est recommandé que le plus tôt possible soient
entreprises la consolidation et l’harmonisation du droit électoral
tunisien sur la base des enseignements tirés des élections
législatives et présidentielle de 2014. C’est une question de
sécurité juridique, de stabilité, de transparence et d’accessibilité.
A cet égard, la consolidation du droit électoral tunisien passe par
une réflexion sur une meilleure répartition entre domaine
réglementaire et domaine législatif. Elle devrait conduire à la
refonte en un ensemble cohérent de la loi et de ses textes
d’application.
Sur le fond, comme les textes antérieurs et ce malgré la levée
des interdictions évoquées ci-dessus, la Loi électorale reste
marquée par une approche restrictive sur la question du droit de
vote et d’éligibilité. Comme en 2011, elle prive du droit de vote
les militaires et agents de sécurité, sans justification autre
qu’une position de principe fondée sur des risques
hypothétiques. Elle refuse aux électeurs ayant acquis la
nationalité depuis moins de 10 ans le droit de se porter candidat
aux élections législatives. Elle ne permet pas aux électeurs qui
ne sont pas des tunisiens de naissance ou qui ne sont pas de
confession musulmane de se présenter aux élections
présidentielles. Elle contraint les électeurs binationaux se
présentant à l’élection présidentielle à renoncer à leur autre
nationalité en cas d’élection. Ces exclusions trouvent leur origine
dans la Constitution. Elles ne peuvent donc être abrogées sans
une réforme préalable de la Constitution, ce qui n’est pas
envisageable à court terme. Il conviendrait cependant d’engager
une réflexion sur ces différentes exclusions afin d’ouvrir la voie à
leur suppression à terme.
Les dispositions relatives à la campagne électorale manquent de
clarté et de cohérence. Leur approche est restrictive. Elles font
prévaloir le souci d’équité entre candidats sur la liberté
d’expression et de communication. Elles le font d’une manière
excessive, restreignant le libre choix des électeurs dans des
proportions déraisonnables, alors même que les nouvelles
dispositions concernant les dépenses électorales et les sources
de financement auraient été à même d’assurer, en amont, des
conditions équitables de concurrence des candidats et de leurs
programmes. En aval, la loi ne prévoit pas de procédures
contentieuses spécifiques pour les infractions aux règles
régissant la campagne électorale. Par ailleurs, elle impose des
conditions déraisonnables aux candidats menant campagne au
travers de médias étrangers, leur faisant notamment obligation
de s’assurer du respect par ces derniers, non soumis au droit
1 Comme en attestent, du reste, des dispositions transitoires du Titre VII qui reconduisent certains aspects ou aménagements propres à l’élection de 2011 (voir notamment les articles 169, 172, 173 et 174).
tunisien, d’un devoir de neutralité. De manière générale, les
dispositions relatives à la campagne électorale auraient besoin
d’être clarifiées et réorganisées.
Par ailleurs, la Loi électorale ne va pas aussi loin que pouvaient
l’y conduire les enseignements tirés des élections de 2011. Par
exemple, elle entérine le principe du registre électoral permanent
mais elle n’en tire pas toutes les conséquences, restant dans le
domaine du provisoire et n’en traitant pas tous les aspects. De
même, elle reconduit le dispositif de la composition paritaire des
listes candidates mais sans apporter les améliorations
susceptibles d’accroître son efficacité, telles que l’imposition de
quotas au niveau des têtes de liste.
Pour autant que l’objectif soit de consolider le droit électoral,
comme évoqué ci-dessus, il est essentiel que toute réforme
électorale soit entreprise suffisamment de temps avant les
prochaines échéances électorales et qu’elle le soit dans des
conditions qui permettent une large consultation de l’ensemble
des acteurs du processus électoral, y compris les organisations
de la société civile.
Ci-dessous sont reprises toutes les recommandations contenues
dans la présente analyse.
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Réforme électorale
1. Il est recommandé que, le plus tôt possible, soient
entreprises la consolidation et l’harmonisation du droit
électoral tunisien sur la base des enseignements tirés de
la mise en œuvre des textes législatifs et réglementaires
qui ont régulé les élections législatives et présidentielle
de 2014. Cette réforme devrait permettre de satisfaire
aux exigences de sécurité juridique, de stabilité, de
transparence, de lisibilité et de prévisibilité, de manière à
ce que les aspects fondamentaux du processus électoral
soient traités dans la loi. La consolidation du droit
électoral tunisien devrait inclure une réflexion sur une
meilleure répartition entre matière réglementaire et
matière législative. Elle devrait conduire à la refonte en
un ensemble cohérent de la loi et de ses textes
d’application.
2. Toute réforme du droit électoral tunisien devrait être
entreprise de manière à ce qu’elle puisse s’achever
suffisamment de temps avant les prochaines élections
pour que tous les acteurs de l’élection puissent être
consultés et se familiariser avec le cadre juridique de
l’élection.
Droit de vote
3. L’alinéa 1 de l’article 6 qui prévoit la privation du droit de
vote pour les personnes condamnées à titre de peine
complémentaire (au sens de l’article 5 du Code pénal)
constitue une avancée par rapport à la législation
antérieure en ce qu’il prévoit l’examen par le juge de
toute mesure de privation. Cependant, il est essentiel
que toute interdiction de vote ne puisse être prononcée
que pour des infractions graves, ce que la loi ne précise
pas. Le pouvoir discrétionnaire du juge devrait être
encadré afin de garantir une application uniforme de
7
cette disposition en tenant compte de la gravité de
l’infraction. Il devrait être précisé à l’article 6 que toute
peine complémentaire d’interdiction de vote des
personnes condamnées ne peut être prononcée pour
une durée excédant celle de la peine principale.
4. En outre, des dispositions devraient être prises pour que
des personnes disposant du droit de vote telles que les
détenus n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation
définitive ainsi que les personnes hospitalisées, puissent
effectivement exercer leur droit de vote.
5. Parce qu’elle affecte, de manière générale, automatique
et indiscriminée, une catégorie entière de la population,
l’interdiction de vote pour les militaires et agents des
forces de la sécurité intérieure prévue à l’article 6, alinéa
3 de la Loi électorale, constitue une atteinte substantielle
au principe du suffrage universel tel que défini dans les
textes internationaux et tel qu’il s’apprécie aujourd’hui
dans la pratique des Etats. Il y aurait lieu d’engager une
réflexion devant mener à terme à reconnaître au
personnel des armées le droit de vote, tout en prévoyant
des mesures spécifiques afin de permettre aux militaires
d’exercer ce droit en toute indépendance, sans être
exposés à des violences ou à des menaces de violence,
à la contrainte, à des offres de gratification ou à toute
intervention manipulatrice.
6. Il est recommandé que la Loi électorale soit sans
ambigüité sur le fait que les conscrits disposent du droit
de vote, quitte à prévoir des mesures spécifiques afin de
permettre d’exercer ce droit sans être exposés à des
influences indues, à toute intervention manipulatrice ou à
une coercition de quelque nature que ce soit, qui
pourraient fausser ou entraver la libre expression de leur
volonté.
7. Il est recommandé que la levée de l’interdiction de vote à
l’encontre des agents de la sécurité intérieure fasse
partie de toute réforme à venir du droit électoral. Au
regard d’un droit international, encore incertain sur la
question, mais porté vers un contrôle de plus en plus
strict de toute mesure de privation du droit de vote, y
compris celle concernant les personnes atteintes d’un
handicap mental ou psychosocial, il y aurait lieu de faire
en sorte que la privation du droit de vote pour « démence
continue » (article 6, alinéa 3, de la Loi électorale) fasse
l'objet d'un examen spécifique, sous le contrôle du juge.
Par ailleurs, les décisions judiciaires de mise sous tutelle
devraient spécifier si la mise sous tutelle est prononcée
pour « démence continue » ou « démence intermittente »
de façon à éviter que l’interdiction de vote ne soit de
facto étendue aux personnes souffrant de « démence
intermittente ».
Droit de se porter candidat
8. L’article 19 de la Loi électorale qui prévoit notamment
que seuls les électeurs de nationalité tunisienne depuis
au moins dix ans peuvent se porter candidats aux
élections législatives, devrait être reconsidéré.
L’exclusion des citoyens ayant acquis la nationalité
depuis moins de dix ans n’est pas conforme à l’article 25
du PIDCP qui ne permet pas de distinction « entre les
citoyens de naissance et les citoyens par naturalisation».
Le principe de la libre expression de l’opinion du peuple
veut qu’il appartienne aux seuls électeurs d’accorder ou
non de l’importance à de telles distinctions entre les
candidats qui se présentent à leur suffrage.
A noter cependant que l’article 19 de la Loi électorale ne peut
pas être amendé sans que l’article 53 de la Constitution l’ait été
au préalable.
9. L’article 40 qui prévoit que les électeurs qui ne sont pas
tunisiens de naissance ne peuvent pas se porter
candidats à l’élection présidentielle, devrait être amendé.
Une telle exclusion est contraire à l’article 25 du PIDCP
tel que l’interprète le Comité des droits de l’homme qui
considère que « toute distinction entre les citoyens de
naissance et les citoyens par naturalisation est
incompatible avec l’article 25 ».
A noter cependant que l’article 40 de la Loi électorale ne peut
pas être amendé sans que l’article 74 de la Constitution l’ait été
au préalable.
10. Il est recommandé que l’interdiction faite, en vertu de
l’article 40 de la Loi électorale, aux électeurs qui ne sont
pas de confession musulmane de se porter candidats à
l’élection présidentielle soit levée. Cette exclusion est
contraire aux articles 18, paragraphe 2, et 25 du PIDCP
tel qu’interprétés par le Comité des droits de l’homme. Le
principe de la libre expression de l’opinion du peuple veut
qu’il appartienne aux seuls électeurs d’accorder ou non
de l’importance à ce fait.
A noter que l’article 40 de la Loi électorale ne peut être amendé
sans que l’article 74 de la Constitution l’ait été au préalable.
11. Le paragraphe 2 du même article 40 dispose que tout
électeur, titulaire d’une autre nationalité que la nationalité
tunisienne, « doit présenter dans son dossier de
candidature un engagement d’abandon de l’autre
nationalité au moment où il est proclamé Président de la
République ». Il y aurait lieu d’engager une réflexion sur
l’opportunité d’abroger l’obligation pour les électeurs
binationaux de renoncer à leur deuxième nationalité au
cas où ils sont élus à l’élection présidentielle, notamment
en menant une évaluation des effets qu’aurait la
suppression de cette obligation et en s’inspirant des
pratiques observées dans d’autres pays.
A noter que l’article 40 de la Loi électorale ne peut être amendé
sans que l’article 74 de la Constitution l’ait été au préalable.
L’inscription des électeurs
12. La Loi électorale est extrêmement succincte (articles 7, 8
et 9) sur les questions se rapportant à la tenue et à la
mise à jour du registre électoral. Il est recommandé que
la Loi électorale traite du registre électoral de manière
moins succincte, quitte à ce que certaines modalités
techniques soient arrêtées sous forme réglementaire. En
particulier, dans un régime de mise à jour continue du
registre électoral où l’inscription repose sur une
démarche volontaire, il est recommandé que les textes
précisent les conditions d’accès au registre, la procédure
à suivre pour demander des corrections et traitent
également des questions de confidentialité des données.
13. Il est recommandé que la durée de publication des listes
des électeurs soit précisée dans la Loi électorale et
qu’elle soit d’une durée raisonnable pour que les
intéressés aient suffisamment de temps pour consulter
les listes et y vérifier les données les concernant ou
concernant les autres électeurs de leur circonscription.
8
En tout état de cause, un seul jour d’affichage n’est pas
suffisant.
14. Il est recommandé qu’une réflexion soit engagée dans un
futur proche sur la possibilité d’imposer aux prochaines
élections, notamment les élections locales à venir, une
condition de résidence assortie des moyens de vérifier la
véracité des adresses déclarées.
Dépôt des candidatures
15. Il est recommandé que la Loi électorale précise le délai
dont disposent les listes candidates (élections
législatives) et les candidats (élections présidentielles)
pour faire acte de candidature et qu’y soit également
précisée, dans le cas des élections législatives, la durée
d’affichage des listes candidates qui doit être
suffisamment longue pour permettre aux électeurs et
candidats d’en prendre connaissance et, pour les
derniers, de faire d’éventuelles réclamations.
16. Il est recommandé que la présentation du bulletin n°3 du
casier judiciaire (requise à l’article 9 de la décision de
l’ISIE n°2014-16 du 1er août 2014), comme pièce à
joindre au dossier de candidature, ne soit plus exigée
des candidats aux prochaines élections législatives. Il est
important que les moyens utilisés par l’ISIE pour vérifier
que les candidats remplissent les conditions énoncées à
l’article 19 de la Loi électorale ne se traduisent par des
formalités supplémentaires non prévues par la loi,
placées à la charge des candidats et ainsi constituant
une entrave déraisonnable à l’exercice de leur droit de se
porter candidat. Le bulletin n°3 ne permet pas, de
surcroît, de vérifier de façon fiable l’éventuelle inéligibilité
de candidats. Des dispositions devraient être prises afin
de s’assurer de la collaboration de l’administration qui
centralise les casiers judiciaires (service de l’identité
judiciaire) avec l’ISIE, de manière à permettre à celle-ci
de vérifier l’éventuelle inéligibilité de candidats sans avoir
à exiger qu’ils en apportent la preuve eux-mêmes.
Les «parrainages citoyens» pour les candidatures à
l’élection présidentielle
17. Les procédures et méthodes de vérification des listes de
parrainage (article 41) devraient être renforcées. Des
sanctions dissuasives pour l’utilisation intentionnelle de
données erronées ou falsifiées pourraient être prévues.
18. Il devrait être permis à l’ISIE de ne pas vérifier toutes les
signatures mais seulement autant de signatures que
nécessaire pour atteindre le seuil fixé dans la loi.
19. Le délai d’examen des candidatures fixé à quatre jours
par la Loi électorale (article 45) n’est pas suffisant pour
que l’ISIE procède à toutes les vérifications nécessaires
et, de ce fait, devrait être plus long.
20. La Loi électorale ne devrait pas interdire qu’un électeur
parraine plus d’un candidat dans la mesure où un
parrainage n’est pas un soutien à un candidat mais un
soutien à la possibilité pour celui-ci de se porter candidat,
mais aussi parce qu’un candidat pourrait voir sa
candidature rejetée alors même qu’il a atteint le nombre
requis de signatures au motif que des électeurs ont
parrainé d’autres candidatures que la sienne, ce qu’en
toute bonne foi, il peut ne pas savoir.
21. Vu le nombre élevé de signatures requises, les candidats
devraient bénéficier d’un délai raisonnablement long pour
recueillir les parrainages et ce délai devrait être fixé dans
la loi.
Peut-être serait-il opportun d’engager une réflexion sur
l’opportunité de maintenir une procédure de parrainage-citoyen,
compte tenu des difficultés pratiques que soulève une telle
procédure et sachant que le cumul de cette condition avec le
paiement d’une caution (remboursable seulement si le candidat
a obtenu au moins 3% des suffrages exprimés) peut être
considéré comme excessif au regard de l’objectif de pluralisme
politique et qu’en outre, son caractère dissuasif n’est pas avéré.
A noter cependant que c’est la Constitution qui prévoit le
parrainage par des électeurs inscrits.
La parité entre hommes et femmes
22. Afin d’accroître la représentation des femmes au sein de
l’Assemblée des représentants du peuple et des autres
Conseils élus, il est recommandé de considérer la
possibilité d’imposer à l’avenir un quota au niveau des
têtes de listes partisanes de façon à ce que les femmes
ne soient pas presque systématiquement placées en
seconde position sur les listes, ce qui viderait de son
sens l'obligation d'alterner les candidats en fonction du
sexe.
23. A moyen terme, afin d’atteindre les objectifs énoncés
dans la nouvelle Constitution, il pourrait être envisagé un
ensemble de mesures dépassant le seul cadre de la
législation électorale et qui s’attaque, notamment en
amont, aux causes de la non-représentation ou de la
marginalisation des femmes au sein des instances
dirigeantes des partis politiques.
L’interdiction de la publicité politique durant la « période
électorale »
24. Il est recommandé de clarifier dans la loi les notions de «
publicité politique » et de « propagande électorale »
telles que définies aux articles 3 et 59 de la Loi électorale
respectivement, de manière à éviter toute divergence
d’interprétation dans leur application à tous les échelons
de l’administration électorale. Le souci d’équité ou
d’égalité dans l’accès des candidats aux moyens
d’information de l’électorat ne devrait pas se traduire par
des mesures d’interdiction d’une portée telle qu’elles
privent les candidats de la liberté de faire connaître leurs
idées et leurs programmes et les électeurs de les
connaître. Les articles 3 et 57 de la Loi électorale
devraient être amendés dans cet esprit.
L’interdiction de l’utilisation des médias étrangers dans le
cadre de la campagne électorale pour les élections
législatives
26. Il est recommandé que l’article 66 et les dispositions
réglementaires afférentes (qui interdisent l’utilisation des
médias étrangers sauf pour les listes candidates à
l’étranger et sous certaines conditions) soient amendés
de manière à ce que les listes candidates à l’étranger
puissent faire campagne au travers des médias
étrangers, et ce sans être soumises à des conditions
dont le respect est indépendant de leur volonté. Dès lors
que le vote à l’étranger est permis, rien ne justifie en
principe un régime dérogatoire en matière d’accès aux
médias pour les listes candidates à l’étranger. Toutes les
conditions posées à l’utilisation des médias étrangers
9
devraient ne concerner que ces seules listes et non des
acteurs non soumis au droit tunisien.
L’interdiction de publication de sondages pendant la
campagne électorale
27. Il est recommandé de raccourcir la durée du moratoire
sur la publication des sondages d’opinion et des
commentaires journalistiques afférents, en le recentrant
sur la « période de silence » telle que définie à l’article 3
(24 heures avant et durant le jour du scrutin). Il est
également recommandé que, comme prévu à l’article
172 de la Loi électorale, une loi réglementant les
sondages d’opinions soit adoptée d’ici les prochains
élections et qu’elle permette d’accroître la transparence
dans le mode de production, de diffusion et de
publication des sondages de manière à lever les
inquiétudes ayant conduit, dans le cadre de la campagne
électorale, à l’imposition d’un moratoire d’une durée
particulièrement longue. Enfin, la loi devrait lever toute
ambigüité au sujet du moment auquel prend fin ce
moratoire, notamment dans le cas d’élections
présidentielles.
Le financement de la campagne électorale
28. Il est recommandé de rendre compatibles ou de clarifier
les délais indiqués aux articles 78 et 86 respectivement,
à savoir un délai d’une semaine (article 78) pour apporter
la preuve du dépôt de la comptabilité auprès du Tribunal
des comptes (afin de percevoir la deuxième tranche de
l’indemnité) et un délai de 45 jours, toujours à compter
de la proclamation des résultats définitifs de l’élection,
pour déposer la comptabilité auprès du même Tribunal
des comptes.
29. Du reste, le délai d’une semaine accordé aux candidats
pour apporter la preuve que la première tranche de
l’indemnité a été dépensée au titre de « dépenses
électorales », à défaut de laquelle ils ne peuvent
percevoir la deuxième tranche de l’indemnité, devrait être
allongé car il est peu probable que les candidats aient la
possibilité, dans un laps de temps aussi court, de remplir
cette condition.
30. Il est suggéré de considérer la possibilité d’accroître la
transparence des dons et prêts consentis aux candidats
ou listes candidates, notamment en exigeant de ceux-ci
qu’ils publient, en plus de leurs comptes financiers
(comme exigé à l’article 87), la liste de leurs donateurs.
Le vote des électeurs handicapés
31. L’ISIE devrait préciser à l’avenir le type d’aménagements
susceptibles d’accroître l’accessibilité du bureau de vote,
ce qui doit s’apprécier non seulement au regard du choix
de l’emplacement du bureau de vote et de sa
configuration mais également des « procédures,
équipements et matériels électoraux » utilisés.
32. L’ISIE devrait avoir un rôle à jouer dans le lancement et
la promotion de campagnes d’information et de
sensibilisation destinées à accroître la participation des
personnes handicapées à la vie publique. Elle devrait
prendre des mesures visant à assurer une meilleure
diffusion des informations en amont de l’élection. En ce
sens, le dernier alinéa de l’article 67 qui prévoit la prise
en compte des « nécessités spécifiques » aux candidats
mériterait d’être précisé dans la loi ou par l’ISIE
directement.
Les infractions électorales
33. Il est recommandé de permettre au juge de moduler la
peine encourue par tout candidat à l’élection
présidentielle ayant enfreint les règles d’utilisation de
fonds étrangers en fonction de la gravité des faits
constatés, ce sur la base de l’article 53 du Code pénal ou
de toute autre disposition pertinente. Il pourrait être
envisagé de prévoir, en lieu et place d’une peine
automatique de cinq ans, une fourchette entre une peine
minimale et une peine maximale.
34. Les peines particulièrement sévères énoncées à l’article
163 sont prononcées en cas de violation de règles dont il
apparait que certains aspects (notamment la notion
même de « financement étranger ») ne sont pas précisés
dans la loi. C’est une atteinte au principe de légalité et de
sécurité juridique. Il est recommandé que ce soit la loi et
non des textes d’application, pour l’adoption desquels
aucun calendrier n’est précisé, contienne toutes les
précisions nécessaires de façon à ce que les candidats
puissent conformer, en temps utile, leurs actions aux
exigences de la loi.
Les observateurs
35. Il est recommandé que la Loi électorale précise une
date-limite pour l’examen des demandes d’accréditation
par l’ISIE. Il est important que les organisations qui
souhaitent observer l’ensemble du processus électoral
sachent de quel délai dispose l’ISIE pour traiter leur
demande d’accréditation.
36. Les observateurs devraient voir leurs droits précisés
dans la loi ainsi que les lieux auxquels ils peuvent se
rendre. En particulier, ils devraient se voir reconnaître un
droit d’accès aux centres de collecte.
37. Obligation devrait être faite à l’ISIE, à son Conseil
comme à ses instances régionales, de communiquer
toutes ses décisions en temps utile.
38. Il est recommandé que les textes d’application précisent
la procédure s’appliquant aux retraits d’accréditation en
prévoyant des garanties et des réponses graduées en
fonction de la gravité des faits reprochés.
Le contentieux électoral
L’inscription des électeurs
39. Par souci d’efficacité, il est recommandé de considérer
l’opportunité d’alléger la phase juridictionnelle du
contentieux de l’inscription des électeurs en ne prévoyant
qu’un seul degré de juridiction.
A noter qu’il semblerait que réviser la Loi électorale sur ce point
nécessiterait au préalable, la révision de l’article 108 de la
Constitution tunisienne qui instaure un principe général de
double degré de juridiction.
40. Afin de minimiser les risques de non-respect du principe
du contradictoire dans les procédures contentieuses
relatives à l’inscription des électeurs, il est recommandé
de prévoir des délais de dépôt et d’examen des plaintes
légèrement plus longs.
41. Il est recommandé que le délai d’affichage des listes des
électeurs soit d’une durée suffisante pour permettre aux
10
électeurs de les consulter et d’éventuellement faire des
réclamations.
42. Il est recommandé que ne soit pas exigé des requérants
de notifier le recours aux parties concernées. Il serait
préférable de charger le greffe de la juridiction concernée
de notifier le recours aux parties concernées.
43. En ce qui concerne le contentieux relatif à l’inscription
des électeurs, la Loi électorale devrait définir la
procédure applicable sans renvoyer à des dispositions
dans d’autres lois de manière à ce que le citoyen,
dispensé du ministère d’avocats pour ce type de
contentieux, ne soit pas désorienté.
Les candidatures (élections législatives)
44. Pour ce qui est du contentieux des candidatures aux
élections législatives, l’obligation pour la partie
requérante de notifier sa requête à l’ISIE et aux parties
concernées (article 27) est excessivement formaliste.
Cette notification devrait être à la charge du greffe de la
juridiction concernée et non du requérant.
45. La Loi électorale devrait préciser que tout comme pour
les recours en première instance à l’encontre d’une
candidature à l’élection législative, la partie requérante
est également dispensée du ministère d’avocat devant
les chambres d’appel du Tribunal administratif (article
29).
46. La Loi électorale devrait assouplir la formalité de recours
en appel à l’encontre de candidatures à l’élection
législative, en supprimant l’obligation de notification du
recours par voie d’huissier de justice (article 29). Cette
notification devrait être à la charge du greffe de la
juridiction concernée et non du requérant.
47. Dans le contentieux des candidatures à l’élection
législative, le silence de la loi sur la question de la
recevabilité des recours pour vice de forme ne devrait
pas être interprété par les juridictions de première
instance comme les contraignant à rejeter
systématiquement les recours qui ne respecteraient pas
les formalités procédurales énoncées dans la loi. En ce
qui concerne la procédure d'appel, la disposition relative
à l’irrecevabilité du recours pour cause du non-respect
des formalités (article 29) devrait être supprimée de la
Loi électorale et remplacée par une disposition assurant
plus de flexibilité afin de laisser une marge d’appréciation
aux juges en la matière.
48. La Loi électorale devrait prévoir des délais de jugement
en première instance et en appel plus longs de manière
à garantir le principe du contradictoire et notamment afin
de permettre aux juges de statuer dans de meilleures
conditions et dans le respect des garanties attachées à
la tenue d’un procès équitable.
Les candidatures (élections présidentielles)
49. Pour ce qui est du contentieux des candidatures à
l’élection présidentielle, par respect du droit au
contradictoire, il est recommandé d’allonger le délai de
recours qui, en l’état - et compte tenu également de
l’obligation de notification par voie d’huissier de justice
pendant le même délai de 48 heures -, constitue un
obstacle à la formulation d’une requête argumentée. Il
est également recommandé de prévoir des formalités de
recours moins contraignantes. Devrait notamment être
supprimée l’obligation de notifier le recours par voie
d’huissier de justice. Il serait préférable de charger le
greffe de la juridiction concernée de notifier le recours
aux parties concernées.
50. Il est recommandé que la Loi électorale fixe un délai de
jugement plus long devant les chambres d’appel et
l’Assemblée plénière juridictionnelle du Tribunal
administratif, notamment afin de permettre de procéder
aux vérifications nécessaires comme celles requises en
matière de parrainages citoyens.
La campagne électorale
51. Il est recommandé que les articles 71 à 74 de la Loi
électorale soient complétés afin de prévoir une
procédure de recours ouverte aux listes candidates,
candidats et électeurs, et leur permettant de porter
devant l’ISIE tout litige relatif à l’allégation d’infractions
aux règles et procédures régissant la campagne
électorale. Cette procédure pourrait cependant être
assortie d’un mécanisme de vérification ou de filtrage
des recours frivoles ou manifestement infondés afin
d’éviter l’engorgement de l’ISIE et des tribunaux. Les
délais de recours, d’appel et de jugement devraient être
précisés dans la loi. La procédure devrait être dénuée de
tout formalisme excessif.
Les résultats de l’élection
52. Il est recommandé que la Loi électorale précise le rôle
des instances régionales dans le contentieux des
résultats, notamment en leur octroyant un pouvoir
d’enquête et de rectification. Il y aurait lieu de prévoir la
possibilité d’effectuer les corrections qui s’imposent au
niveau des instances régionales dont les décisions
pourraient faire l’objet d’un recours devant le Conseil de
l’ISIE, procédure au terme de laquelle celui-ci, ayant
examiné tous les litiges en suspens, proclamerait les
résultats provisoires.
53. A terme, il pourrait être envisagé d’élargir le droit d’agir,
en matière de contentieux des résultats, à tous les
électeurs, quel que soit le type de scrutin (élections
législatives et présidentielles, référendum), considérant
que dans ce type de contentieux, le droit de contester le
résultat du scrutin est la traduction directe du droit
fondamental des citoyens à des élections transparentes
et honnêtes reflétant leur choix. Cette réflexion pourrait
également porter sur les mécanismes qui pourraient être
mis en place pour éviter l’engorgement du Tribunal
administratif.
54. Aussi bien pour les élections législatives et
présidentielles que pour les référendums, il est
recommandé d’allonger la durée des délais de recours.
L’Assemblée plénière juridictionnelle devrait, pour sa
part, disposer d’un délai plus long pour rendre sa
décision.
55. Il est recommandé que la Loi électorale contienne une
disposition précisant la publication par l’ISIE des
résultats détaillés, ce par quoi devrait être entendue la
publication des résultats, bureau de vote par bureau de
vote.
11
II. LE CONTEXTE POLITIQUE
La Loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014 a été une des lois
clé de la transition politique tunisienne passée quelques
semaines après l’adoption de la nouvelle Constitution du 26
janvier 2014. Les premières élections démocratiques d’octobre
2011 avaient abouti à l’élection d’une Assemblée nationale
constituante (ANC) qui, tout au long de 2012 et 2013, a rédigé la
seconde Constitution de la République tunisienne.
Après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, les partis
politiques se sont attelés à la rédaction et l’adoption de la
nouvelle loi électorale pour les élections législatives,
présidentielles et les référendums. Le projet de loi initial a été
enregistré le 13 décembre 2013 au bureau de l’ANC. Il a été
débattu en séance de commission de la législation générale et
revu par d’autres commissions parlementaires2 du 13 février au
18 mars pour être adopté, après quelques semaines de débats
en séance plénière, le 1er mai 2014.
Des recours en inconstitutionnalité de certaines dispositions de
la Loi électorale ont retardé sa promulgation jusqu’au 26 mai.
Les partis politiques ont encore tardé à parvenir à un accord sur
le calendrier des élections. La décision de tenir des élections
législatives avant les présidentielles est intervenue fin juin3,
laissant quelques mois pour l’organisation de trois scrutins: un
scrutin législatif et deux tours pour l’élection présidentielle.
L’adoption d’un cadre juridique pour les élections seulement six
mois avant la tenue des élections aurait pu s’avérer
problématique. Certes, la Loi électorale et le décret-loi de mai
2011 présentent de nombreuses similarités tant pour ce qui est
de leur contenu que de leur organisation interne. Mais même en
l’absence de toute volonté de manipulation manifeste de la Loi
électorale en faveur des partis de la coalition au pouvoir, il est
important d’en éviter ne serait-ce que l’apparence. La pratique
qu’encouragent différentes organisations internationales,
notamment la Commission de Venise du Conseil de l’Europe et
l’Union européenne4, est que les éléments fondamentaux du
droit électoral ne puissent être modifiés moins d’un an avant une
élection, sauf à l’être au niveau constitutionnel ou à un niveau
supérieur à celui d’une loi ordinaire, ce qui fut le cas en Tunisie
puisque la loi adoptée était une loi organique. Cela dit, il est
recommandé qu’à l’avenir, toute réforme bénéficie de délais plus
2 Commission des droits et libertés et des affaires extérieures, commission des finances, de la planification et développement ainsi que la commission pour les réformes administratives et la lutte contre la corruption. 3 La loi fixant les dates des élections législatives et de l’élection présidentielle (loi n°2014-36) n’a été promulguée que le 8 juillet 2014. 4 «Les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d’un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau supérieur à celui de la loi ordinaire. » (Commission de Venise, Code de bonne conduite en matière électorales, Lignes directrices, 2.b; rapport explicatif, paragraphes 63 à 67). Voir également le Manuel d’observation électorale de l’UE, Commission européenne, seconde édition 2008, page 47 : « La sécurité et la transparence du processus électoral sont renforcées quand le cadre juridique est élaboré bien avant l’annonce de la date de l’élection. Des changements tardifs dans une législation ou des retards dans l’adoption de la réglementation relative à des questions clés peuvent affaiblir un processus électoral ».
longs afin de laisser plus de temps aux acteurs politiques et aux
électeurs pour se familiariser avec les dispositions de la loi5.
Bien que le délai d’adoption de la loi ait été relativement court,
un certain degré de consultation avec des organisations
nationales et internationales engagées dans la réforme
électorale a eu lieu. Certaines recommandations émanant
d’organisations tunisiennes actives dans le plaidoyer électoral
ont été intégrées. Celle concernant par exemple le rôle des
organisations de la société civile dans l’observation électorale a
été intégrée dans la dernière mouture de la loi6. De plus, la base
de discussion sur laquelle la proposition de Loi électorale s’est
faite émanait de deux organisations de la société civile7 qui
l’avaient elles-mêmes écrite en collaboration avec d’autres
membres de la société civile et des milieux universitaires. Cette
collaboration est une des spécificités du modèle de réforme
légale postrévolutionnaire en Tunisie où le législateur fait
souvent preuve d’ouverture à l’égard des propositions de la
société civile.
La Loi électorale, supposée être permanente et donc valable
pour les futurs scrutins, semble avoir été élaborée en ayant à
l'esprit les premières élections législatives et présidentielle.
Comme mentionné ci-dessus, ces premières échéances
électorales étant prévues dans la nouvelle Constitution elle-
même, par voie d’une disposition transitoire, au plus tard à la fin
de l'année 2014, il est apparu prioritaire pour les membres de
l'ANC de se concentrer sur ce qu’ils percevaient comme
l’essentiel, et dès lors d’éviter de prolonger les débats et
d’hypothéquer ainsi la tenue d’élections en 2014. Par ailleurs, le
législateur a voulu laisser le maximum de flexibilité à l'ISIE afin
qu'elle ne soit pas bloquée dans son action par des lacunes
législatives qui auraient nécessité une révision de la Loi
électorale. Ces contraintes ont pu justifier certains choix dans la
Loi électorale, mais le futur législateur devra la réviser et
notamment la compléter afin de renforcer la sécurité juridique.
Les pouvoirs du Président de la République et de
l’Assemblée des représentants du peuple; le référendum.
Pouvoirs du Président de la République
Les pouvoirs du Président de la République depuis 2014
s’inscrivent dans le cadre d’un régime politique de type semi-
présidentiel8. Il est directement élu au suffrage universel et
partage le pouvoir exécutif avec le Chef du Gouvernement.
Le Président de la République tunisienne veille au respect de la
Constitution, il garantit la continuité de l’Etat, son indépendance.
Il possède les pouvoirs régaliens de déterminer les politiques
5 A noter que le législateur a été sensible à cet argument, comme en atteste par exemple l’article 106 relatif au découpage électoral qui mentionne que le prochain découpage devra se faire au moins un an avant les prochaines élections législatives. 6 Article 4 de la Loi électorale: « Les observateurs se chargent de suivre le processus électoral et sa transparence. L'Instance détermine les conditions et les procédures de leur accréditation ». 7 Jeunesse Sans Frontières avec le Centre de la citoyenneté. 8 Le semi-présidentialisme est un système politique mixte entre les systèmes présidentiel et parlementaire. Ce système connaît de nombreuses variantes à travers le monde. Pour plus de détails, consulter la note d’information n° 27 de DRI : Les systèmes de gouvernement : Les modèles semi-présidentiels (http://democracy-reporting.org/publications/country-reports/tunisia/briefing-paper-27-june-2012.html).
12
générales de la défense, des affaires étrangères et d’assurer la
sécurité nationale contre les menaces intérieures et extérieures
en concertation avec le Chef du Gouvernement. Il ratifie les
traités internationaux. Il nomme et accrédite les ambassadeurs.
Il dispose du pouvoir de grâce.
Il est chef des forces armées et préside le Conseil de Sécurité
Nationale. Il prend les mesures nécessaires dans les cas de
circonstances exceptionnelles. Il nomme aux hautes fonctions
militaires, après consultation du Chef du Gouvernement. Le
président tunisien nomme également certains hauts
fonctionnaires comme le Mufti de la République, le Gouverneur
de la Banque Centrale sur proposition du Chef du
Gouvernement et avec l’approbation de la majorité absolue des
députés.
L’article 80 de la Constitution détermine les pouvoirs liés à des
situations d’urgence justifiées par des circonstances
exceptionnelles. Le Président de la République prend les
mesures nécessaires en cas de circonstances exceptionnelles
après consultation du Chef du Gouvernement et du Président de
l’Assemblée des représentants du peuple. Il en informe le
Président de la Cour constitutionnelle et adresse un message au
peuple. Durant cette période, il ne peut dissoudre l’Assemblée
des représentants du peuple et aucune motion de censure ne
peut être présentée à l’encontre du gouvernement.
Le Président de la République tunisienne peut, dans des
circonstances très encadrées, dissoudre le Parlement, si ce
dernier n’a pas renouvelé sa confiance au gouvernement et
qu’un gouvernement alternatif ne peut pas être formé. Ce
pouvoir de dissolution était une prérogative réclamée, jusqu’à
l’adoption de la Constitution, par la majorité des partis
représentés à l’Assemblée nationale constituante, à l’exception
du parti Ennahdha qui estimait que ce pouvoir était
disproportionné et qu’il constituait une épée de Damoclès du
pouvoir exécutif au-dessus du pouvoir législatif.
Conformément à la nouvelle Constitution, le Président de la
République, s’il l’estime nécessaire, peut renvoyer des projets
de lois adoptés par le Parlement pour une deuxième
délibération. En cas de renvoi, s’agissant d’un projet de loi
organique, une majorité spéciale des 3/5 des membres du
Parlement est nécessaire pour l’adopter en seconde lecture, au
lieu de la majorité absolue des membres du Parlement en
première lecture. S’agissant d’un projet de loi ordinaire, une
majorité absolue des membres du Parlement est nécessaire
pour l’adopter en seconde lecture, au lieu de la majorité des
membres présents lors de l’adoption en première lecture.
De plus, comme mentionné ci dessous, le Président peut
également, exceptionnellement, soumettre au référendum
populaire les projets de lois sensibles dans le contexte tunisien:
celles liées aux droits et libertés, au statut personnel ou projet de
révision de la Constitution.
L’article 87 le protège dans l’exercice de son mandat par le biais
d’une immunité. Il n’est pas responsable des actes accomplis
dans l’exercice de ses fonctions.
Le constituant tunisien a conçu une architecture institutionnelle
garantissant certes l’équilibre des pouvoirs entre les pouvoirs
législatif, exécutif et juridictionnel mais également au sein même
du pouvoir exécutif. En considération de la force politique et
électorale supposée du parti islamiste Ennahdha, il a conféré au
Président de la République un rôle de contre-pouvoir, ceci dans
l’hypothèse d’une cohabitation où Ennahdha serait le premier
parti représenté au Parlement. Dans ce scénario, la coalition
gouvernementale et sa majorité au Parlement seraient contre
balancées par un Président de la République émanant d’une
formation politique différente de celle de la majorité
parlementaire et du gouvernement.
Les résultats des élections législatives et présidentielles de 2014
ont prouvé que les spéculations quant à des configurations
politiques en situation de transition politique étaient
hasardeuses. A défaut de cohabitation, et dans l’hypothèse
d’une majorité parlementaire dont le parti principal est aligné
politiquement sur le président tunisien, ce dernier a un pouvoir
considérable. En effet, il bénéficie des pouvoirs propres au
Président de la République et a une influence prépondérante sur
la politique du gouvernement en tant que chef de file d’une
formation politique centrale dans la coalition au pouvoir.
Dans un pays comme la Tunisie, dont l’histoire politique depuis
l’indépendance à été dominée par deux présidents qui ont
instauré un régime autoritaire, le nouveau président sous la
nouvelle Constitution tunisienne aura des pouvoirs importants. Il
appartiendra à l’opposition parlementaire et extra parlementaire
ainsi qu’au pouvoir juridictionnel et aux autres contre-pouvoirs
de veiller à ce que ces pouvoirs soient exercés dans le respect
des principes démocratiques.
Pouvoirs de l’Assemblée des représentants du peuple
La Constitution de 2014 établit un Parlement monocaméral:
seule une chambre subsiste appelée l’Assemblée des
représentants du peuple. Son indépendance est entre autres
garantie par une autonomie administrative et financière. Elle fixe
son règlement intérieur qui est adopté à la majorité absolue de
ses membres. « L’Etat met à la disposition de l’Assemblée des
représentants du peuple les ressources humaines et matérielles
nécessaires aux députés pour la bonne exécution de ses
fonctions » (article 52 de la Constitution).
L’Assemblée exerce son pouvoir législatif par le biais d’initiatives
législatives, c’est-à-dire soit des propositions de lois présentées
par au minimum dix députés, soit des projets de lois émanant de
l’exécutif (du Président de la République ou du Chef du
Gouvernement).
Une distinction est faite entre deux types de lois (article 64 de
Constitution):
les lois ordinaires, adoptées à la majorité des membres
présents de l’Assemblée (cette majorité ne peut être
inférieure au tiers des membres de l’Assemblée);
les lois organiques, adoptées à la majorité absolue des
membres de l’Assemblée, c’est à dire à un minimum de
109 membres sur 217 dans l’actuelle Assemblée.
L’article 65 de la Constitution énumère les domaines qui
nécessitent l’adoption soit de lois ordinaires soit de lois
organiques. Toutes les matières qui ne relèvent pas du domaine
de la loi relèvent du pouvoir réglementaire général exercé par le
pouvoir exécutif.
13
En cas de dissolution de l’Assemblée, le Président de la
République, en accord avec le Chef du Gouvernement, peut
prendre des décrets-lois. Ils seront néanmoins soumis à
l’approbation de l’Assemblée lors de la session ordinaire
suivante (article 70). L’Assemblée peut également déléguer au
Chef du Gouvernement « par une loi, pour une période limitée
ne dépassant pas deux mois et pour un objet déterminé, le
pouvoir de promulguer des décrets-lois intervenant dans le
domaine de la loi » (article 70 de la Constitution). Comme dans
le cas de la dissolution, ces décrets-lois doivent être soumis à
l’approbation de l’Assemblée. Est exclu du domaine du décret-loi
le « régime électoral » (article 70).
En guise de protection contre les abus potentiels de l’exécutif,
l’article 68 prévoit qu’« aucune poursuite judiciaire civile ou
pénale ne peut être engagée contre un membre de l’Assemble
des représentants du peuple, celui-ci ne peut être arrêté ou jugé,
en raison d’opinions ou de propositions formulées ou d’actes
effectués dans l’exercice de ses fonctions ».
Le référendum
La nouvelle Constitution tunisienne prévoit le référendum
populaire dans deux situations précises: la première dans le cas
où le Président de la République soumet un projet de loi (article
82) ou, dans le deuxième cas, si celui-ci décide de soumettre
une proposition de révision de la Constitution (articles 143 et
144).
Le premier cas de recours au référendum est lorsque le
Président de la République décide de soumettre à un
référendum un projet de loi adopté par le Parlement. Cette
prérogative reconnue au Président de la République doit être
exercée de façon exceptionnelle et ne peut concerner que des
projets de lois portant sur les thèmes suivants:
l'approbation des traités internationaux,
les droits de l’Homme et les libertés,
le statut personnel.
Le deuxième cas de recours au référendum se rapporte à la
révision de la Constitution. Toute initiative de révision de la
Constitution est adoptée à la majorité des 2/3 des membres de
l'Assemblée des représentants du peuple (article 144 de la
Constitution)9. S’il l’estime nécessaire, le Président de la
République peut ensuite la soumettre au référendum populaire.
Loi électorale: le mode de scrutin
Selon l’article 5 de la Loi électorale, ont le droit de voter « toute
tunisienne ou tout tunisien, inscrit(e) au registre électoral, âgé(e)
de 18 ans révolus le jour précédant le scrutin, jouissant de ses
droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité
prévus par la loi ».
9 Une initiative de révision de la Constitution peut émaner soit du Président de la République soit d’un tiers des membres de l’Assemblée (article 143). Le Président de l’Assemblée est tenu de soumettre pour avis à la Cour Constitutionnelle toute initiative de révision. Celle-ci vérifie que la révision ne porte pas sur des matières que la Constitution ne permet pas de réviser. L’Assemblée ensuite approuve le principe de la révision à la majorité absolue. La révision proprement dite est adoptée à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée.
Elections législatives
Pour les élections législatives, comme prévu déjà par le décret
loi n°35 de l'année 2011, l’électeur est amené à voter pour une
liste électorale dans une des 33 circonscriptions électorales10.
Vu l’urgence d’organiser les élections avant la fin 2014, le
législateur a intégré parmi les dispositions transitoires de la Loi
électorale le principe selon lequel « le découpage électoral et le
nombre de sièges ayant été retenus pour l’élection à
l’Assemblée nationale constituante sont maintenus » (article
173). Il appartiendra au législateur de déterminer par une loi si
les circonscriptions doivent être conservées telles quelles,
réaménagées ou changées. Le bulletin électoral reprend les
listes inscrites dans la circonscription concernée. Les listes sont
fermées, l’électeur ne peut choisir les candidats de la liste ou
changer leur classement. Les listes doivent comprendre autant
de candidat(e)s que de sièges en jeu dans la circonscription.
La parité hommes-femmes pour les listes est maintenue par
rapport au décret-loi n°2011-35. Les candidats des deux sexes
sur les listes doivent être classés de manière alternée. Bien que
soutenue par une large partie de la société civile et des
membres de l’ANC, la disposition imposant aux partis de
nommer des femmes à la tête de la moitié de leurs listes
candidates, aussi appelée «parité horizontale» n’a pas été
retenue lors de l’adoption de la loi. L’absence de cette
disposition a d’ailleurs fait l’objet d’un recours en
inconstitutionnalité11 devant l’Instance provisoire de contrôle de
constitutionnalité. Ce recours a été rejeté par l’Instance.
Sauf dans le cas d’un nombre impair de sièges dans une
circonscription, la liste qui ne respecte pas le principe de la
parité lors de l’enregistrement est rejetée (article 24).
En guise de nouveauté par rapport au décret-loi 35, la Loi
électorale établit que dans les circonscriptions où le nombre de
sièges est égal ou supérieur à 4, chaque liste doit inclure parmi
les 4 premiers candidats « un candidat ou une candidate âgé(e)
de trente-cinq ans au plus » (article 25). En cas de non-respect
de cette disposition, la liste est privée de la moitié de l’indemnité
de financement public. En 2011, la disposition favorisant les
candidats moins âgés était moins contraignante car elle imposait
qu’au moins un candidat de chaque liste soit âgé de moins de 30
ans.
Les questions relatives à l’exclusion automatique du droit de
candidature des personnes associées à l’ancien régime, telle
que prévue par le décret-loi 35, ont fortement polarisé les débats
au sein de l’ANC. Finalement les amendements présentés
durant le débat en assemblée plénière lors de l’adoption de la
10 27 circonscriptions sur le territoire de la Tunisie et 6 circonscriptions couvrant le reste du monde pour les Tunisiens résidant à étranger (Décret-loi numéro 2011-1088 du 3 août 2011). 18 sièges sont répartis sur les 6 circonscriptions comme suit: France «1» – 5 sièges; France «2» – 5 sièges; Italie - 3 sièges; Allemagne - 1 siège; Amériques et reste de l’Europe - 2 sièges; Pays arabes et autres – 2 sièges. 11 Basé sur les articles 34 (« … L’Etat veille a garantir la représentativité des femmes dans les assemblées élues») et 46 («… L’Etat œuvre a réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les assemblées élues») de la Constitution de 2014.
14
Loi électorale et visant à reconduire ces exclusions n’ont pas
récolté la majorité.
L’attribution des sièges se fait au niveau des circonscriptions sur
la base de la représentation proportionnelle au plus fort reste
(article 107). Le calcul se fait comme suit:
un quotient électoral (Article 110) est déterminé en
divisant le nombre de suffrages exprimés par le nombre
de sièges de la circonscription (un bulletin blanc n’est
pas comptabilisé en tant que suffrage exprimé);
lors de cette première étape, chaque liste obtient autant
de sièges que de multiples du quotient électoral;
les sièges non alloués sur la base du quotient électoral
sont attribués dans une seconde phase sur la base du
plus fort reste, c’est-à-dire que la/les liste(s) ayant obtenu
le plus grand nombre de suffrages en deçà du quotient
électoral se voi(en)t attribuer un/des siège(s);
en cas d’égalité des restes de deux/plusieurs listes, le
candidat le moins âgé gagne le siège.
Schéma à titre d’exemple:
Noms des
listes
électorales
‘A’ ‘B’ ‘C’ ‘D’ ‘E’ ‘F’ Total
Nombre de
suffrages
obtenus par
liste
électorale
39,000 19,000 18,500 10,500 8,000 5,000 100,000
Nombre de
sièges à
pouvoir
10
Quotient
électoral 10,000
Suffrages
exprimés /
Quotient
électoral
3,9 1,9 1,85 1,05 0,8 0,5
Sièges
alloués sur
base du
quotient
(chaque
liste obtient
autant de
sièges que
de multiples
du quotient
électoral)
3 1 1 1 0 0 6
Suffrages
restant,
aussi
appelés les
«restes»
9,000 9,000 8,500 500 8,000 5,000
Sièges
alloués sur
base du
1 1 1 0 1 0 4
plus fort
reste
Résultats
totaux par
liste
électorale
4 2 2 1 1 0 10
Elections présidentielles
Les deux articles 111 et 112 de la Loi électorale reprennent les
dispositions de la Constitution relatives au mode d’élection du
Président de la République. Ils disposent que ce dernier «est élu
à la majorité absolue des suffrages exprimés» (article 111). Si
un candidat n’atteint pas la majorité absolue au premier tour,
«un second tour est organisé dans les deux semaines suivant la
proclamation des résultats définitifs du premier tour». Les deux
candidats arrivés en tête au premier tour se présentent au
second tour.
Le candidat ayant obtenu la majorité des voix au second tour est
déclaré vainqueur. En cas d’égalité entre ces derniers au
premier tour, le candidat le plus âgé passe au second tour. En
cas d’égalité au second tour, le candidat le plus âgé est
proclamé vainqueur. En cas de décès d’un candidat au premier
ou au second tour de l’élection présidentielle, il est procédé à la
réouverture des candidatures et une nouvelle élection est
organisée dans les 45 jours (article 75 de la Constitution).
Référendum
«La convocation des électeurs au référendum se fait par décret
présidentiel auquel est annexé le projet du texte qui sera soumis
au référendum. Ledit décret et son annexe sont publiés au
Journal officiel de la République tunisienne» (article 113).
La Loi électorale détermine la formulation de la question
présentée aux électeurs, tant dans le cas d’un référendum relatif
à une réforme constitutionnelle que dans le cas de l’adoption
d’un texte de loi. L’article 115 précise que « la question soumise
au référendum est formulée comme suit: « acceptez-vous la
proposition de révision constitutionnelle ou le projet de loi qui
vous est soumis ? ». La réponse ne peut être que « oui » ou «
non ».
L’article 115 prévoit « l’utilisation égale des moyens de
propagande par les partis parlementaires participant au
référendum ». La loi électorale reste donc silencieuse sur les
garanties de faire campagne pour les autres acteurs tels que les
partis politiques non représentés au sein de l’Assemblée ou des
groupes d’intérêts, y compris les membres de la société civile.
La loi devrait dans l’avenir clarifier ce point.
La loi n’établit pas de taux de participation minimum pour que la
question soumise au référendum puisse être acceptée. Elle
établit que seule la majorité des suffrages exprimés compte pour
déterminer la motion gagnante (article 117 : « les résultats du
référendum sont proclamés sur la base de la règle de la majorité
des suffrages exprimés »). La question de l’établissement d’un
taux de participation minimum mérite d’être discutée dans le
futur, surtout concernant des réformes constitutionnelles
importantes qui pourraient dès lors être théoriquement
approuvées par une faible majorité des électeurs inscrits.
15
III. REMARQUES LIMINAIRES A L’ANALYSE DE LA LOI ELECTORALE
OBJET, PORTEE ET LIMITES DU PRESENT AVIS
Les commentaires et recommandations contenus dans ce
rapport se fondent sur une analyse de la conformité de la Loi
électorale avec les standards internationaux12 pertinents.
Certains commentaires et recommandations sont motivés par
des considérations pratiques se rapportant notamment à la
cohérence interne du texte et à la formulation de certaines
dispositions. Ils prennent en considération les textes
d’application pris par l’ISIE.
Le présent avis se limite à analyser la Loi électorale en tenant
compte du nouveau cadre constitutionnel dans lequel ce texte
doit être interprété et appliqué, d’autant que certaines de ses
dispositions en sont la réplique ou la résultante directe. Il tient
également compte des textes qui ont constitué le cadre juridique
des élections de l’ANC en 2011.
Le présent avis ne saurait cependant être exhaustif sans une
analyse détaillée des textes juridiques portant notamment sur les
partis politiques, la liberté d’expression, la liberté des médias et
la liberté de réunion, textes qui sous-tendent et complètent la
législation électorale.
Seule la version arabe de la Loi électorale fait foi13 et seuls les
textes dont les traductions sont reproduites dans le Journal
Officiel de la République Tunisienne (JORT) sont des
traductions officielles14. Les commentaires et recommandations
contenus dans cet avis se basent sur la traduction française du
texte établie en mai 2014 par les soins de l’équipe d’assistance
électorale de l’Union européenne15, traduction qui n’est donc pas
officielle.
12 Le terme générique « standards internationaux » se réfère aux obligations internationales de la Tunisie et aux différents textes qui en précisent le contenu et la portée, et dont l’autorité est aujourd’hui largement reconnue au sein de la communauté internationale. Sont également pris en considération des documents qui reflètent les évolutions les plus récentes de la pratique des Etats et des organisations internationales dans les matières couvertes par cet avis. Il est également fait référence à la jurisprudence de juridictions internationales dans la mesure où celle-ci permet d’éclairer le sens et la portée des obligations internationales incombant aux Etats. La formulation des commentaires et recommandations contenus dans le présent avis tient compte de ces distinctions. Voir également ci-dessous la section «obligations internationales de la Tunisie en matière d’élections libres et démocratiques». 13 Conformément à l’article premier de la loi n° 93-64 du 5 juillet 1993, relative à la publication des textes au Journal Officiel de la République Tunisienne et à leur exécution, «les lois, les décrets-lois, les décrets et les arrêtés sont publiés au Journal Officiel de la République Tunisienne en langue arabe. Ils sont publiés également dans une autre langue et ce uniquement à titre d’information. […]». 14 En cas de contradiction entre la version arabe du texte et la traduction publiée dans le JORT, c’est la version arabe qui fait foi. 15 Certaines vérifications et rectifications de celle-ci à la lumière de la version arabe du texte se sont avérées nécessaires sur certains points, notamment sur les questions liées à la privation du droit de vote pour «démence continue».
OBLIGATIONS INTERNATIONALES DE LA TUNISIE EN
MATIERE D’ELECTIONS LIBRES ET DEMOCRATIQUES
Les obligations internationales de la Tunisie en matière
d’élections libres et démocratiques découlent essentiellement de
la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (notamment
son article 2116), du Pacte International relatif aux Droits Civils et
Politiques17 (notamment son article 2518 tel que précisé par
l’Observation générale n°25 et la jurisprudence y relative du
Comité des droits de l’homme des Nations-Unies) et de la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples19
(notamment son article 1320).
La Tunisie a également ratifié la Convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDEF)21 et la Convention relative aux droits des
personnes handicapées (CIDPH)22. De par son appartenance à
la Commission de la Démocratie par le Droit («Commission de
Venise») du Conseil de l’Europe depuis 2010, la Tunisie est
également en mesure de s’inspirer de textes tels que le Code de
bonne conduite en matière électorale23 qui constitue un texte de
référence, non juridiquement contraignant, mais faisant autorité
sur ces questions.
Ces textes définissent des standards minimums essentiellement
sous forme d’obligations de résultat qui peuvent être remplies
par différents moyens laissés, dans une large mesure, à la
discrétion des Etats. Les principes ainsi définis dans les
instruments internationaux (notamment des élections libres,
intègres et transparentes, organisées à intervalles réguliers, au
suffrage universel, par un vote secret ou une procédure
équivalente, dans le respect de la liberté d’expression, du
principe de non-discrimination et de l’égalité de tous devant la
loi) ont été progressivement précisés quant à leur signification,
leur portée et leurs implications. Cela s’est traduit en particulier
par l’élaboration de critères permettant d’apprécier la conformité
16 DUDH, Article 21: «La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote». 17 PIDCP ratifié le 18 mars 1969. 18 PIDCP, Article 25: «Tout citoyen a le droit et la possibilité […]; a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis; b) de voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs». 19 Adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi et entrée en vigueur le 21 octobre 1986, la Charte a été ratifiée par la Tunisie le 16 mars 1983. 20 Article 13: «1. Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi. 2. Tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leur pays. 3. Toute personne a le droit d’user des biens et services publics dans la stricte égalité de tous devant la loi». 21 La Convention a été ratifiée en juillet 1985 mais cette ratification a été assortie de réserves aux articles 9, 15,16 et 29 de la Convention ainsi que d’une déclaration générale. Ces réserves ont été levées le 17 avril 2014 mais la déclaration maintenue. Le Protocole additionnel, qui permet à des particuliers de déposer plainte devant le Comité chargé de contrôler la mise en œuvre de la Convention, a été ratifié en 2008. 22 La CIDPH ainsi que son Protocole facultatif qui permet au Comité des Droits des Personnes Handicapées de recevoir et d’examiner les communications qui lui sont soumises par des particuliers ou groupes de particuliers, ont été ratifiés par la Tunisie le 2 avril 2008. 23 CDL-AD(2002)23 Rev. – 23 mai 2003.
16
de la pratique des Etats en matière d’élection avec les textes
internationaux juridiquement contraignants.
Ces critères sont eux-mêmes issus de la pratique des Etats,
mais également de la jurisprudence de juridictions
internationales et de l’observation internationale des élections
par différentes organisations internationales. Ils ont parfois
donné lieu à des tentatives de codification ou, du moins, de
systématisation, dans des textes de différente nature tels des
manuels d’observation, des codes de bonnes pratiques, des
lignes directrices, des recommandations, des orientations ou
déclarations de principe24. Ces textes sans lesquels les normes
internationales seraient dépourvues du degré de précision et de
prévisibilité requis pour leur mise en application au niveau
national, sont pris en compte dans le cadre de cette analyse.
LES AVANCEES REALISEES PAR LA LOI ELECTORALE
En 2011, le décret-loi n°2011-35 constituait un texte de
transition, adopté dans l’urgence, suite aux changements
politiques intervenus après le 14 janvier. Il était valable pour la
seule élection de l’Assemblée nationale constituante, élue le 23
octobre 2011.
Le décret-loi n°2011-35 reprenait lui-même un certain nombre de
dispositions de l’ancien Code électoral de 1969, mais en les
modifiant et en les aménageant de manière à créer les
conditions d’un scrutin remplissant les conditions d’une élection
libre et démocratique. Le texte lui-même dut être complété par
différents arrêtés de l’ISIE, notamment en ce qui concerne la
campagne électorale.
La Loi électorale a une toute autre portée puisqu’elle règlemente
les élections législatives et présidentielles sans se limiter aux
deux seules élections de 2014. Elle contient 176 articles, soit
plus de deux fois le nombre de dispositions contenues dans le
décret-loi n°2011-3525. Elle ne s’écarte pas fondamentalement
24 Par exemple, le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise (CDL-AD(2002) 23 Rev.); la Déclaration sur les critères pour les élections libres et régulières (adoptées par le Conseil interparlementaire le 26 mars 1994); les Lignes directrices du BIDDH de l’OSCE pour l’examen du cadre juridique pour les élections (1ère édition en janvier 2001; 2ème édition en 2013); les lignes directrices d’International IDEA pour l’examen du cadre juridique pour les élections (2002); Manuel pour l’observation de l’enregistrement des électeurs (BIDDH, OSCE, 2013); Manuel de l’Union européenne pour l’observation des élections (2ème édition, 2008). Il faut également prendre en compte la jurisprudence internationale, en premier lieu, de par sa richesse sur ces questions, celle de la Cour européenne des droits de l’Homme. A cela s’ajoutent les avis ou commentaires émis par différentes organisations sur les législations nationales qui forment un corpus sur la base duquel des critères de mise en œuvre des normes internationales sont progressivement dégagés. 25 Il faut cependant avoir à l’esprit que le décret-loi n°35 avait dû être complété par décrets (pour plafonner, par le décret n°2011-1087 du 3 août 2011, les dépenses électorales et édicter les modalités de versement de l’aide publique au financement de la campagne électorale; pour préciser, par le décret n°2011-1089 du 3 août 2011, la portée des exclusions édictées à l’article 15 du décret-loi) ainsi que par des arrêtés de l’ISIE (pour fixer, par la décision du 25 juin 2011, les procédures de recours devant l’ISIE contre les décisions des sous-commissions siégeant à l’étranger; pour fixer, par trois décisions du 3 septembre 2011, les règles et procédures de la campagne électorale, les règles spécifiques s’imposant aux médias audiovisuels pendant la campagne électorale ainsi que les conditions de production, de programmation et de diffusion d’émissions radiophoniques et
de la structure de celui-ci mais incorpore les dispositions
contenues dans les décrets et arrêtés de l’ISIE venus le
compléter. Elle les refond dans un ensemble plus cohérent,
enrichi de dispositions nouvelles sur des questions qui n’étaient
que succinctement traitées par le décret-loi, notamment le
financement de la campagne électorale.
La Loi électorale marque dès lors une avancée significative par
rapport aux textes antérieurs, y compris le décret-loi n°2011-35
et les textes le complétant. Elle apporte des améliorations
notables sur des questions qui suscitèrent la controverse en
2011. Tirant les enseignements de l’élection à l’Assemblée
constituante, elle inclut des dispositions plus détaillées et, de
manière générale, marque une étape importante vers la
consolidation du droit électoral tunisien. Parmi les améliorations
et innovations les plus notables, figurent les suivantes:
a. L’abrogation des dispositions privant de droit de vote les
personnes dont les biens ont été confisqués après le 14
janvier 2011.
b. La reprise dans la loi de l’essentiel des sauvegardes
prévues dans l’arrêté de l’ISIE du 4 octobre 2011 en ce
qui concerne le vote assisté des électeurs handicapés.
c. L’abrogation des clauses d’inéligibilité frappant certains
personnes en raison de leur passé politique26.
d. L’adoption du principe d’un registre électoral permanent
mis à jour de manière continue.
e. L’obligation de fixer les circonscriptions électorales et le
nombre de sièges par circonscription par le biais d’une
loi qui doit être publiée au moins un an avant l’échéance
électorale législative27.
f. La confirmation du système de quotas en faveur de la
représentation des femmes à l’Assemblée des
représentants du peuple sous la forme d’une composition
paritaire des listes candidates (pour les élections
législatives).
g. La place réservée aux jeunes par l’obligation faite aux
listes candidates à l’élection législative de présenter,
dans les circonscriptions où le nombre de sièges est égal
ou supérieur à quatre, un candidat de moins de trente-
cinq ans parmi les quatre premiers candidats de la liste28
(avec sanction à la clé en cas de non-respect).
h. La consolidation et les améliorations apportées au
système d’aide publique au financement de la campagne
électorale.
i. L’introduction de dispositions spécifiant les obligations
des candidats en matière de financement des
campagnes électorales et prévoyant un contrôle accru
des dépenses électorales.
j. Les pouvoirs accrus de l’ISIE en matière de contrôle du
respect par les candidats des dispositions électorales,
notamment la campagne électorale et le financement de
celle-ci.
k. Une rationalisation de la nomenclature des infractions
électorales et des sanctions y afférentes ainsi que
télévisées relatives à la campagne électorale). Si l’on additionne aux dispositions du décret-loi n°35 celles figurant dans ces différents textes, le total obtenu excède celui de la Loi électorale. 26 Article 15 du décret-loi n°35. 27 Dans l’attente de cette loi, reste en vigueur le découpage électoral effectué en vue des élections à l’Assemblée nationale constituante (article 173). 28 Article 25 de la Loi électorale.
17
l’introduction d’infractions financières pour violation des
règles relatives au financement de la campagne
électorales.
l. Le plafonnement du nombre d’électeurs par bureau de
vote à 600 électeurs (article 119, paragraphe 1), alors
que le décret-loi n°2011-35 fixait un nombre minimum de
800 électeurs par bureau (pour les communes où le
nombre d’électeurs est supérieur ou égal à 7000)29.
m. La publication sur le site internet de l’ISIE des listes des
membres des personnels des bureaux de vote (article
121, paragraphe 2).
n. Le souci d’une plus grande transparence des opérations
de dépouillement, notamment par la publication
immédiate sur le site internet de l’ISIE des procès-
verbaux des opérations de dépouillement des bureaux
de vote30 (alors qu’en 2011, il n’était question que de la
publication des « résultats détaillés des élections » sans
autre précision).
o. Des dispositions plus détaillées et plus transparentes en
ce qui concerne la procédure de proclamation des
résultats (par exemple, l’introduction de dates-butoirs
pour la proclamation des résultats préliminaires et
définitifs, l’obligation de publication des résultats
préliminaires).
p. L’insertion dans la loi d’un lexique des termes employés
dans le texte de loi (et, par extension, dans les textes
d’application) de manière à contribuer à une application
uniforme des différentes dispositions.
q. L'obligation de l'ISIE de motiver ses décisions de rejet
des candidatures, alors qu'en 2011 l'administration
électorale pouvait rejeter des candidatures de façon
implicite (en s'abstenant de délivrer le récépissé définitif
dans un délai de quatre jours) et donc ne pas motiver
son refus.
r. L'élargissement du droit de recours contre les décisions
relatives aux candidatures aux autres membres des
listes candidates et aux représentants légaux des partis
politiques, alors qu'en 2011, seules les têtes de listes
avaient ce droit.
s. La reconnaissance d'un droit de recours contre les
décisions d'acceptation d'une candidature aux listes
concurrentes, alors qu'en 2011 seules les décisions de
rejet étaient susceptibles de recours par la tête de liste
concernée par le rejet.
t. La reconnaissance explicite du pouvoir de l’ISIE de
rectifier les résultats des bureaux de vote, des bureaux
centralisateurs et des centres de collecte, alors que cela
n’était pas expressément mentionné dans le décret-loi
électoral en 2011.
u. La possibilité pour l’ISIE d’annuler des résultats même
dans des situations où ceux-ci n’auraient pas été affectés
par les fraudes et irrégularités constatées, en se fondant
sur la gravité de celles-ci.
v. L'élargissement du droit de recours contre les résultats
préliminaires des élections législatives aux autres
29 Article 54 du décret-loi n°2011-35, paragraphe 2. 30 Article 140, paragraphe 3 de la Loi électorale; article 67, paragraphe 4 du décret-loi n°2011-35.
membres des listes candidates et aux représentants
légaux des partis politiques, alors qu'en 2011, seules les
têtes de listes candidates étaient autorisées à introduire
les recours.
w. Un délai de recours contre les résultats préliminaires des
élections législatives relativement plus long (trois jours)
que celui prévu contre les résultats des élections à
l'Assemblée nationale constituante (48 heures), ce qui
laisse plus de temps aux requérants afin de mieux
préparer leurs requêtes.
Les commentaires et recommandations ci-dessous (Chapitres IV
et subséquents) se concentrent sur les aspects où des
améliorations seraient encore souhaitables.
IV. LA REFORME ELECTORALE
Pour les raisons rappelées ci-dessus31, le cadre juridique pour
les élections législatives et présidentielles n’a été adopté que six
mois avant la tenue des élections. Il a été adopté sous forme
d’une loi organique qui, pour être votée, doit recueillir la majorité
absolue des membres de l’Assemblée des représentants du
peuple32. Comme en 2011, la loi a été complétée par un certain
nombre de décisions de l’ISIE.
L’article 25 du PIDCP fait obligation aux Etats d’adopter les
mesures d’ordre législatif ou autres qui peuvent être nécessaires
pour que les citoyens aient la possibilité d’exercer leurs droits.
Ceci étant, les textes internationaux ne s’immiscent pas dans la
question de savoir quels aspects du cadre électoral relèvent de
la loi ou de normes infra-législatives.
La question de la répartition des compétences normatives n’est
pas une simple question de technique juridique. C’est avant tout
une question de respect de l’Etat de droit et plus
particulièrement de séparation des pouvoirs. Les règles
qu’édictent les élus siégeant au Parlement tirent directement leur
légitimité démocratique de ce qu’elles le sont par ceux-là même
que le peuple a désignés pour le représenter. En cela, toute
délégation de compétences normatives au profit de l’exécutif ne
peut être qu’une exception à ce principe. Et la loi tirant sa
légitimité de l’élection, tout plaide pour que de telles exceptions
soient strictement délimitées s’agissant des règles s’appliquant
précisément à l’élection. Ces règles se fondent sur la confiance
des électeurs tout autant qu’elles y contribuent et à ce titre, la
réalité importe tout autant que les apparences.
De ce fait, il est essentiel que les dispositions traitant des
aspects fondamentaux du cadre électoral se trouvent dans la
Constitution ou dans la loi. Cela leur assure le degré de
permanence ou, du moins, de stabilité, nécessaire pour garantir
la confiance des électeurs et la sécurité juridique.
Rares cependant sont les institutions internationales qui se sont
risquées à préciser ce qu’il faut entendre par « éléments
31 Cf. Chapitre II. «Le contexte politique». 32 Article 64 de la Constitution. L’article 65 impose le vote d’une loi organique pour les questions se rapportant à la «loi électorale».
18
fondamentaux » du cadre ou système électoral. Le Comité des
droits de l’homme estime que « l'attribution des pouvoirs et les
moyens par lesquels les citoyens exercent les droits protégés
par l'article 25 devraient être déterminés par des lois
constitutionnelles ou autres »33. La Commission de Venise
précise d’une part qu’« à l’exception des règles techniques et de
détail – qui peuvent avoir un caractère réglementaire –, les
règles du droit électoral doivent avoir au moins rang législatif »
et d’autre part que, parmi ces règles, celles se rapportant au
système électoral proprement dit (notamment le système de
transposition des voix en sièges), à la composition des
commissions électorales et au découpage des circonscriptions,
« devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau
supérieur à celui de la loi ordinaire » ou ne pas être « modifiés
moins d’un an avant une élection » 34.
Deux aspects sont donc à considérer: d’une part,
l’ordonnancement hiérarchique des règles électorales; d’autre
part, leur stabilisation qui inclut l’idée de l’intangibilité de ces
mêmes règles dans un certain laps de temps avant la prochaine
élection.
Le cadre juridique pour les élections législatives et
présidentielles de 2014 a été adopté sous la forme d’une loi
organique qui, pour être approuvée, doit recueillir le vote de la
majorité absolue des membres de l’Assemblée des
représentants du peuple35. C’est l’assurance que les règles
électorales bénéficieront d’un large consensus, ne serait-ce
qu’au sein de la classe politique, celle qui est représentée à
l’Assemblée des représentants du peuple. A la condition
cependant que ces règles n’éludent pas un certain nombre de
questions, auquel cas la garantie que constitue le vote d’une loi
organique devient illusoire. Si, en effet, pour quelque raison que
ce soit, le législateur renonce à exercer la plénitude de ses
pouvoirs législatifs, deux questions, l’une théorique, l’autre
pratique, se posent:
N’y-a-t-il pas un risque, même hypothétique, d’atteinte au
principe de la séparation des pouvoirs (entre pouvoirs
exécutif et législatif) ?
Comment atteindre l’objectif de stabilisation du cadre
électoral quand une partie non négligeable de l’appareil
normatif n’a pas force de loi et, par conséquent, est
33 «La direction des affaires publiques, mentionnée à l'alinéa a), est une notion vaste qui a trait à l'exercice du pouvoir politique. Elle comprend l'exercice des pouvoirs législatif, exécutif et administratif. Elle couvre tous les aspects de l'administration publique ainsi que la formulation et l'application de mesures de politique générale aux niveaux international, national, régional et local. L'attribution des pouvoirs et les moyens par lesquels les citoyens exercent les droits protégés par l'article 25 devraient être déterminés par des lois constitutionnelles ou autres», Observation générale n°25 (57), U.N. Doc. HRI\GEN\1\Rev.1 (1994), paragraphe 5. 34 Cf. CDL-AD(2002)23 Rev., Commission de Venise, Code de bonne conduite en matière électorale: a. «A l’exception des règles techniques et de détail – qui peuvent avoir un caractère réglementaire –, les règles du droit électoral doivent avoir au moins rang législatif. b. Les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d’un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à un niveau supérieur à celui de la loi ordinaire.» (Lignes directrices, II.2). 35 Article 64 de la Constitution. L’article 65 impose le vote d’une loi organique pour les questions se rapportant à la «loi électorale».
amendable à volonté d’une élection à l’autre (a priori
sans intervention du législateur) ?
Or, force est de constater que la Loi électorale a laissé nombre
de questions irrésolues et confié - implicitement ou explicitement
– à l’ISIE la tâche de les combler. N’est pas en cause la
nécessité de renforcer les pouvoirs de l’ISIE par rapport à ceux,
insuffisants, dont elle disposait en 2011. Le renforcement des
pouvoirs de l’ISIE a, au contraire, constitué une évolution
positive36. Ce qui fait problème, c’est l’importance de son pouvoir
réglementaire tel qu’il résulte notamment du grand nombre de
dispositions de la loi lui déléguant la responsabilité de fixer
règles et procédures, y compris délais et dates limites.
Par exemple, c’est à l’ISIE qu’il appartenait de définir:
les délais dont elle dispose pour arrêter et publier les
listes des électeurs ainsi que la durée de leur affichage
(article 13)37;
qui est habilité à faire des demandes de correction des
listes des électeurs (l’article 14 étant muet sur ce point);
les délais dont disposent les électeurs pour contester les
données incluses sur les listes des électeurs;
les délais pour le dépôt des candidatures ainsi que les
procédures de dépôt, d’acceptation et d’examen de
celles-ci (article 43);
les procédures de parrainage (article 41);
les règles et procédures d’organisation de la campagne
électorale (article 51);
les règles de la campagne électorale relatives aux
médias écrits et électroniques et aux médias
audiovisuels (en concertation avec la Haute autorité
indépendante de la communication audiovisuelle -
HAICA) en Tunisie (article 67) et à l’étranger (article 66);
les règles, procédures et méthodes de financement pour
les listes candidates dans des circonscriptions à
l’étranger (article 80).
Il en résulte que l’ISIE s’est trouvée investie d’un pouvoir de
réglementation tel que la lecture de la seule loi, si l’on laisse de
côté les décisions de l’ISIE, ne permet pas aux différents acteurs
du processus électoral d’anticiper toutes les implications
concrètes de la loi dans des domaines aussi essentiels que
l’inscription des électeurs, le dépôt des candidatures et la
campagne électorale. Le volume des textes réglementaires pris
36 L’ISIE est «chargée de toutes les opérations liées à l’organisation, l'administration et la supervision des élections et référendums conformément à la présente loi et à la législation électorale». C’est l’ISIE qui a la charge d’«arrêter, publier et mettre en exécution le calendrier des élections et des référendums, et ce, en conformité avec les mandats prévus par la constitution et la loi électorale» (article 3.5 de la Loi sur l’ISIE). Le décret-loi n°2011-27 du 18 avril 2011 qui créait l’ISIE en vue des élections à l’Assemblée nationale constituante, n’attribuait à celle-ci que la charge de les préparer (article 4). Toutefois à la différence de 2011 (décret-loi n°2011-27 du 18 avril 2011), les compétences de l’ISIE n’incluent plus la préparation des circonscriptions électorales, ce qui est bienvenu. L’article 106 dispose que les circonscriptions et le nombre de sièges par circonscription sont désormais fixés par une loi qui doit être publiée au moins un an avant la prochaine élection législative. 37 A noter, par ailleurs, que l’article 3.2 de la Loi sur l’ISIE indique que les listes électorales sont arrêtées et publiées dans des délais fixés par la Loi électorale. Or, ces délais ne sont justement pas précisés dans la Loi électorale qui, en ses articles 12 et 13, délègue la responsabilité de les fixer à l’ISIE.
19
par la l’ISIE excède celui de la loi elle-même38. Si une certaine
marge de flexibilité est tout à fait légitime et même
recommandée, elle ne peut être telle que des pans entiers du
système électoral échappent entièrement au domaine de la loi.
Sur un plan pratique, cela rend la loi peu lisible parce
qu’indissociable de dispositions égrenées dans de différents
textes d’application avec les risques d’incohérence que cela
comporte.
Il y a donc lieu d’entreprendre la consolidation et l’harmonisation
du droit électoral tunisien de manière à satisfaire aux exigences
de sécurité juridique, de stabilité, de transparence et de
prévisibilité. Cela passe par une réflexion sur une meilleure
répartition entre matière réglementaire et matière législative. Il
s’agit de trouver un équilibre entre un cadre légal trop rigide ne
permettant pas les ajustements nécessaires et, à l’inverse, une
trop grande flexibilité générant incertitude et instabilité juridique.
Le rôle de l’ISIE, en tant qu’instance chargée de la mise en
application de la loi, devrait être de compléter, clarifier, préciser
celle-ci et non de suppléer aux éventuelles défaillances ou
omissions, volontaires ou non, du législateur. Si des
circonstances politiques ont pu, en raison du calendrier électoral,
justifier l’adoption d’un cadre légal extrêmement souple, il y
aurait lieu aujourd’hui de prendre le temps d’effectuer un travail
de fond à partir aussi bien du texte de la loi que des décisions de
l’ISIE afin de fondre ces textes en un ensemble cohérent et
offrant toutes les garanties de stabilité, de lisibilité, de cohérence
et de sécurité juridique.
Cela implique également la nécessité de disposer de temps ou
de s’en donner en entreprenant une telle réforme largement
avant la prochaine échéance électorale. Parce que toute réforme
demande du temps non seulement pour les travaux et les débats
au sein de l’Assemblée des représentants du peuple mais
également pour mener de larges consultations qui permettent de
bâtir le consensus le plus large possible. Mais également du
temps pour permettre aux acteurs de l’élection - électeurs,
candidats, médias, etc. – de savoir suffisamment de temps à
l’avance et avec la plus grande précision possible quels sont
leurs droits et ce qui sera exigé d’eux pour les exercer et, plus
largement, pour se conformer à la législation.
Même en l’absence de toute volonté de manipulation, même
lorsque la confiance est là, il est important d’éviter ne serait-ce
que l’apparence de manipulations. Il est donc recommandé, qu’à
l’avenir, toute réforme du droit électoral bénéficie de délais plus
longs afin de mener de larges consultations et de laisser le
temps aux acteurs de l’élection de se familiariser avec le cadre
juridique de l’élection et ses implications pratiques.
38 A noter également l’intitulé d’un grand nombre de décisions de l’ISIE - telles que celles se rapportant à l’inscription des électeurs (2014-7), à l’accréditation des journalistes et observateurs (2014-9 et 2014-10) ou à la campagne électorale – qui contient les mots «élections et référendum» ou «électoral et référendaire», sous-entendant que ces décisions auraient vocation à s’appliquer à tous les scrutins à venir.
Recommandations
Il est recommandé que le plus tôt possible soient
entreprises la consolidation et l’harmonisation du droit
électoral tunisien sur base des enseignements tirés de la
mise en œuvre des textes législatifs et réglementaires qui
ont régulé les élections législatives et présidentielle de
2014. Cette réforme devrait permettre de satisfaire aux
exigences de sécurité juridique, de stabilité, de
transparence, de lisibilité et de prévisibilité, de manière à ce
que les aspects fondamentaux du processus électoral
soient traités dans la loi. La consolidation du droit électoral
tunisien devrait inclure une réflexion sur une meilleure
répartition entre matière réglementaire et matière
législative. Elle devrait conduire à la refonte en un
ensemble cohérent de la loi et de ses textes d’application.
Toute réforme du droit électoral tunisien devrait être
entreprise de manière à ce qu’elle puisse s’achever
suffisamment de temps avant les prochaines élections pour
que tous les acteurs de l’élection puissent être consultés et
se familiariser avec le cadre juridique de l’élection.
V. DROITS DE SUFFRAGE
DROITS DE VOTE
Section I: Droit de vote des personnes condamnées
L’article 6, alinéa 1 prévoit que les « personnes condamnées à
une peine complémentaire au sens de l’article 5 du Code pénal»
sont privées du droit de vote. L’article 5 du Code pénal prévoit,
parmi les peines complémentaires, la perte du droit de vote.
Le droit de vote n’est pas un droit absolu dans la mesure même
où le principe du suffrage universel n’est lui-même pas absolu.
Des limitations sont possibles pour autant qu’elles soient
fondées sur des critères objectifs et raisonnables, qu’elles soient
imposées pour des motifs légitimes, prescrits par la loi, et soient
proportionnelles à ces motifs.
Dans le PIDCP, certaines limitations sont considérées comme
inacceptables ou manifestement déraisonnables. D’autres, au
contraire, sont considérées comme a priori raisonnables. Tel est
le cas des limitations reposant sur les critères de citoyenneté,
d’âge ou de résidence. Est, en revanche, inacceptable toute
limitation découlant d’une discrimination fondée sur la race, le
sexe, la couleur, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute
autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation39. Inacceptable veut dire ici
qu’aucune circonstance particulière, aucune spécificité nationale
ne peut justifier une limitation fondée sur de telles
discriminations. Le Comité des droits de l’homme des Nations
Unies a été amené à préciser, dans son Observation générale
n°25, ce qu’il entendait par limitations « manifestement
déraisonnables ». Il a ainsi considéré qu’étaient déraisonnables
et donc incompatibles avec l’article 25 du PIDCP les restrictions
39 Ce sont les termes employés à l’article 2(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
20
du droit de vote sur base d’une invalidité physique, de critères
d’alphabétisation, d’instruction, de fortune ou d’appartenance ou
non-appartenance à un parti politique. Est également
incompatible avec l’article 25 du Pacte toute distinction entre
citoyens de naissance et citoyens par naturalisation.
Le droit de vote est un droit attaché à la personne
indépendamment de considérations de mérite ou de moralité40..
C’est un droit et non un privilège ou une récompense. Cette
conception irrigue aujourd’hui différents textes internationaux et
décisions de justice internationale41. Des limitations sont
possibles, pour autant qu’elles soient prévues par la loi, reposent
sur des critères objectifs et raisonnables, poursuivent un but
légitime et soient proportionnées à ce dernier. Le Comité des
droits de l’homme accepte implicitement qu’une condamnation
pour une infraction puisse être un motif de privation du droit de
vote42 et précise que sa durée doit être «en rapport avec
l’infraction et la sentence»43. Dans la pratique, telle que l’a
recueillie la Commission de Venise, la proportionnalité doit
également s’apprécier au regard de la gravité de l’infraction44 ce
qui implique que toute privation doive « être prononcée par un
tribunal dans une décision spécifique »45. A cet égard, une
interdiction de vote automatique et indifférenciée qui toucherait
un groupe ou une catégorie de personnes n’est pas considérée
raisonnable. Cette position est partagée par le Comité des droits
de l’homme46.
Une peine complémentaire, telle que mentionnée à l’article 6, se
différencie d’une peine accessoire en ce qu’elle doit être
prononcée par le juge et ne s’ajoute pas automatiquement à la
peine principale. L’intervention du juge est une garantie que
40 A cet égard, l’argumentation employée par la Cour Suprême du Canada dans son arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519, 31 octobre 2002, résume bien cette conception du droit de vote: «Le fait de priver les détenus du droit de vote risque plus de transmettre des messages qui compromettent le respect de la règle de droit et de la démocratie que des messages qui prônent ces valeurs. La légitimité de la loi et l’obligation de la respecter découlent directement du droit de vote de chaque citoyen. Priver les prisonniers du droit de vote équivaut à abandonner un important moyen de leur inculquer des valeurs démocratiques et le sens des responsabilités sociales. La nouvelle théorie politique du gouvernement qui permettrait aux représentants élus de priver du droit de vote une partie de la population n’a pas sa place dans une démocratie fondée sur des principes d’inclusion, d’égalité et de participation du citoyen». 41 Cf. Cour européenne des Droits de l’Homme, Hirst (2) contre Royaume-Uni, jugement du 6 octobre 2005, requête n°74025/01; Frodl contre Autriche, jugement du 8 avril 2010, requête n°20201/04, paragraphe 25; Greens et M. T. contre Royaume-Uni, jugement du 23 novembre 2010, requêtes nos. 60041/08 et 60054/08. Voir aussi Code de Bonne Conduite en matière électorale, Lignes directrices, I 1.1 d (CDL-AD(2002)23 Rev. – 23 mai 2003). 42 CCPR/C/21/Rev.1/Add.7, Observation générale n°25(57), paragraphe 14. 43 Ibid. 44 CDL-AD(2002)23 Rev., Code de Bonne Conduite en matière électorale, lignes directrices: une exclusion du droit de vote doit être motivée par «(…) des condamnations pénales pour des délits graves». 45 Ibid. rapport explicatif, page 15. 46 Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a eu l’occasion de rappeler que toute privation à caractère général et automatique du droit de vote à l’encontre des personnes condamnées pourrait ne pas être en conformité avec l’article 10, paragraphe 3 du Pacte, lu en conjonction avec l’article 25 du Pacte (CCPR/C/GBR/CO/6, Royaume Uni, (2008), p28). Le Comité cite à l’appui de cette position la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et notamment l’arrêt Hirst c. Royaume Uni (2005). Voir également CCPR/CO/77/LUX, Luxembourg, (2003), page 8 où le Comité exprime sa préoccupation au sujet de la privation systématique du droit de vote à titre de peine accessoire pour un grand nombre d’infractions.
chaque cas particulier fera l’objet d’un examen séparé et qu’il n’y
a donc pas privation indifférenciée du droit de vote pour toutes
les personnes condamnées. Cette disposition est une avancée
notable par rapport à l’article 5 du décret-loi n°2011-35 qui
prévoyait une privation automatique du droit de vote pour toute
personne condamnée « pour crime ou pour délit infamant puni
par une peine d’emprisonnement ferme de plus de six mois » et
n’ayant pas été réhabilitée.
Cependant, l’article 6 de la Loi organique pose une difficulté en
ce que, contrairement à l’article 5 du décret-loi de 2011, il
n’exige pas que la privation du droit de vote ne puisse être
prononcée que pour des infractions graves. Quant à l’article 5 du
Code pénal, il se borne à cataloguer la perte du droit de vote
parmi les peines complémentaires, sans autre précision. En
théorie, cela laisse toute latitude au juge de priver toute
personne condamnée du droit de vote pour des infractions
même mineures. L’obligation faite au juge d’examiner
séparément la question de la privation du droit de vote est une
condition nécessaire mais non suffisante pour écarter le risque
d’une interdiction de vote frappant un nombre important de
personnes, suffisamment important pour qu’il soit légitime de
considérer que le principe du suffrage universel n’est pas
respecté. Ce à quoi s’ajoute le risque d’un manque d’uniformité
dans l’application de cette mesure et donc de discrimination
entre personnes condamnées puisque rien ne permet d’assurer
que les juges n’auront pas des positions divergentes sur la
question de savoir ce qui justifie ou ne justifie pas une
interdiction de vote. Il conviendrait donc que le législateur
encadre le pouvoir discrétionnaire du juge afin de garantir une
application uniforme de cette disposition qui tienne compte de la
gravité de l’infraction.
S’agissant de la durée de l’interdiction de vote, il faut relever que
l’alinéa 3 de l’article 6 précise que les personnes privées du droit
de vote pour cause de « démence continue » ne le seront que «
durant toute la durée de l’interdiction ». Cette précision semble
sous-entendre qu’à l’inverse des personnes souffrant de «
démence continue », les personnes condamnées pourraient être
privées du droit de vote pour une période excédant la durée de
la peine. Proportionnalité ne signifie pas que la durée de la peine
et la durée de l’interdiction de vote doivent être identiques. Ceci
dit, rien ne semble pouvoir justifier qu’une peine complémentaire
se prolonge au-delà de la durée de la peine principale.
L’interdiction de vote ne devrait pouvoir être prononcée que pour
une durée n’excédant pas celle de la peine prononcée (tenant
compte d’éventuels aménagements de peine)47. Il conviendrait
de lever cette ambigüité dans le texte de l’article 6, en précisant
que la durée de la peine complémentaire – ici une mesure de
privation du droit de vote – ne peut excéder celle de la peine
principale.
47 Dans son Observation générale n°25, le Comité des droits de l’homme indique que « la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence » (paragraphe 14). Voir également Dissanayake, Mudiyanselage Sumanaweera Banda c. Sri Lanka, Communication No. 1373/2005, p 8.5: la loi électorale du Sri Lanka prévoyait une interdiction de vote et d’éligibilité de toute personne condamnée pour une durée de 7 ans après sa libération. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a considéré que cette disposition constituait une violation de l’article 25 du Pacte.
21
Recommandations
L’alinéa 1 de l’article 6 qui prévoit la privation du droit de
vote pour les personnes condamnées à titre de peine
complémentaire (au sens de l’article 5 du Code pénal)
constitue une avancée par rapport à la législation antérieure
en ce qu’il prévoit l’examen par le juge de toute mesure de
privation. Cependant, il est essentiel que toute interdiction
de vote ne puisse être prononcée que pour des infractions
graves ce que la loi ne précise pas. Le pouvoir
discrétionnaire du juge devrait être encadré afin de garantir
une application uniforme de cette disposition tenant compte
de la gravité de l’infraction.
Il devrait être précisé à l’article 6 que toute peine
complémentaire d’interdiction de vote des personnes
condamnées ne peut être prononcée pour une durée
excédant celle de la peine principale.
En outre, des dispositions devraient être prises pour que
des personnes disposant du droit de vote telles que les
détenus n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation
définitive ainsi que les personnes hospitalisées, puissent
effectivement exercer leur droit de vote.
Section II: Droit de vote des militaires et agents de la
sécurité intérieure
L’article 6, alinéa 2 prévoit que « les militaires, tels que définis
dans la loi portant sur le statut général des militaires, et les
agents des forces de sécurité intérieure » ne peuvent être
inscrits au registre des électeurs et donc exercer le droit de vote.
Le principe du suffrage universel n’est pas absolu mais toute
mesure le restreignant, quand bien même les motifs la justifiant
seraient légitimes, doit répondre à des critères « objectifs et
raisonnables », être prescrite par la loi et ne doit pas être
restrictive dans des proportions telles qu’elle viderait le principe
du droit de vote de toute substance. Toute mesure privant du
droit de vote une catégorie entière de la population doit a priori
être considérée comme excessive au regard de ces critères. A
l’évidence, l’interdiction de vote faite aux militaires et aux agents
de la sécurité intérieure concerne une catégorie non négligeable
de la population.
Toute autre justification, notamment les défis logistiques ou
autres que comporte nécessairement l’exercice du droit de vote
par les militaires, est irrecevable48. Si cette justification était
recevable, cela équivaudrait à conditionner l’exercice d’un droit
aussi fondamental que le droit de vote à des considérations
pratiques, avec tous les abus auxquels cela peut se prêter.
La pratique des Etats montre que les militaires sont privés de
certains droits ou libertés reconnus à tous les citoyens en raison
des nécessités du service et de la discipline nécessaire aux
forces armées. Dans certains pays, la crainte de manipulations
et de coups d’Etat militaires a conduit, par le passé, à imposer
48 Cf. CDL-AD(2002)23 Rev., Commission de Venise du Conseil de l’Europe, Code de bonne conduite en matière électorale, rapport explicatif, page 22.
aux militaires une obligation de neutralité se manifestant, en
premier lieu, par la privation du droit de vote pour le personnel
des armées. Pendant des décennies, du point de vue du droit
international, cette atteinte au principe du suffrage universel a
été tolérée en raison de circonstances exceptionnelles liées au
passé politique de certains pays où les coups d’Etat militaires
constituaient un risque réel et imminent. On considère de nos
jours qu’une telle limitation est excessive en ce qu’elle n’est pas
proportionnée au but poursuivi, que celui-ci soit la préservation
de la discipline, la crainte de manipulations, les nécessités du
service ou l’obligation de neutralité (ou tout cela à la fois)49. Un
risque hypothétique de coup d’état ne peut justifier, au nom de la
protection de la démocratie, de limiter un droit aussi essentiel à
la démocratie que le droit de vote.
L’article 6 alinéa 3 prive du droit de vote une catégorie entière de
la population tunisienne et de ce fait, de par son caractère
général, automatique et indiscriminé, du suffrage universel, une
telle interdiction ne constitue pas une limitation raisonnable.
Seules des circonstances exceptionnelles pourraient la justifier.
Or, si les premières élections démocratiques qu’a connues la
Tunisie en 2011 appelaient des mesures d’exception, peut-on
encore estimer que ces dernières se justifient encore en 2014?
Les difficultés logistiques que pose le vote des militaires sont
évidemment à prendre en considération du fait des risques de
manipulation qui ne sont pas négligeables. Ceci dit, celles-ci
pèsent d’un poids moindre au regard de l’exercice d’un droit
aussi fondamental que le droit de vote. Il y aurait lieu d’engager
une réflexion devant mener à terme à reconnaître au personnel
des armées le droit de vote, tout en prévoyant des mesures
spécifiques afin de leur permettre d’exercer ce droit en toute
indépendance, sans être exposés à des violences ou à des
menaces de violence, à la contrainte, à des offres de
gratification ou à toute intervention manipulatrice50.
S’agissant des agents de la sécurité intérieure, l’article 4 de la loi
n°82-70 du 6 août 1982, portant statut général des Forces de
Sécurité Intérieure, dispose que «les Forces de Sécurité
Intérieure comprennent les agents de la Sûreté Nationale, de la
Police Nationale, de la Garde Nationale, de la Protection Civile
et les agents de prisons et de la rééducation». Il en résulte que
l’interdiction de vote concerne ici un nombre conséquent
d’électeurs potentiels ce qui le rend encore plus difficilement
49 En ce sens, on peut relever deux arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’Homme (affaires Adefdromic c. France et Matelly c. France du 2 octobre 2014) qui, admettant une nécessaire restriction des droits des militaires, a pourtant rejeté à l’unanimité l'interdiction qui leur était faite de se syndiquer. De manière générale, ces arrêts reflètent une réticence de plus en plus grande en Europe à accepter que la préservation de l’ordre et de la discipline nécessaire aux forces armées puissent justifier que les militaires n’exercent pas les libertés accordées à tous les autres citoyens. 50 A noter les recommandations sur ce point que contient le rapport explicatif du Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise (CDL AD(2002)23 Rev.): «Lorsqu’ils n’ont pas la possibilité de rentrer à leur domicile le jour du vote, il est souhaitable que les militaires soient inscrits dans les bureaux de vote proches de leur caserne. Le commandement local communique l’identité des militaires présents aux autorités municipales, qui procèdent à leur inscription sur les listes électorales. Il peut être fait exception à cette règle lorsque la caserne est trop éloignée du bureau de vote le plus proche. Des commissions spéciales devraient être constituées au sein des unités militaires pour superviser la période pré-électorale, afin d’éviter que les supérieurs imposent ou ordonnent des choix politiques» (paragraphe 41).
22
justifiable. Il est recommandé que la levée de l’interdiction de
vote à l’encontre des agents de la sécurité intérieure fasse partie
de toute réforme à venir du droit électoral.
Le décret-loi n°2011-35 étendait explicitement cette interdiction
aux conscrits. Il n’est pas clair si la Loi électorale a ou non
maintenu cette interdiction de manière implicite ou si, dans les
faits, elle a continué à être appliquée. Il est difficilement
justifiable que des électeurs potentiels puissent être privés de
leur droit de vote par le seul fait de la conscription. Leur
enrôlement sous les drapeaux ne procède pas d’une démarche
volontaire, de sorte que la privation du droit de vote dont il est
assorti ne s’apparente pas à un choix fait en connaissance de
cause, comme cela est le cas pour les militaires de carrière. Il
est recommandé que la Loi électorale soit sans ambigüité sur le
fait que les conscrits disposent du droit de vote, quitte à prévoir
des mesures spécifiques afin de leur permettre d’exercer ce droit
sans être exposés à des influences indues, à toute intervention
manipulatrice ou à une coercition de quelque nature que ce soit,
qui pourraient fausser ou entraver la libre expression de leur
volonté.
Recommandations
Parce qu’elle affecte, de manière générale, automatique et
indiscriminée, une catégorie entière de la population,
l’interdiction de vote pour les militaires et agents des forces
de la sécurité intérieure prévue à l’article 6, alinéa 3 de la
Loi électorale, constitue une atteinte substantielle au
principe du suffrage universel tel que défini dans les textes
internationaux et tel qu’il s’apprécie aujourd’hui dans la
pratique des Etats. Il y aurait lieu d’engager une réflexion
devant mener à terme à reconnaître au personnel des
armées le droit de vote, tout en prévoyant des mesures
spécifiques afin de permettre aux militaires d’exercer ce
droit en toute indépendance, sans être exposés à des
violences ou à des menaces de violence, à la contrainte, à
des offres de gratification ou à toute intervention
manipulatrice.
Il est recommandé que la Loi électorale soit sans ambigüité
sur le fait que les conscrits disposent du droit de vote, quitte
à prévoir des mesures spécifiques afin de leur permettre
d’exercer ce droit sans être exposés à des influences
indues, à toute intervention manipulatrice ou à une
coercition de quelque nature que ce soit, qui pourraient
fausser ou entraver la libre expression de leur volonté.
Il est recommandé que la levée de l’interdiction de vote à
l’encontre des agents de la sécurité intérieure fasse partie
de toute réforme à venir du droit électoral.
Section III: Droit de vote des personnes atteintes de
«démence continue»
L’article 6, alinéa 3 prive du droit de vote les «personnes faisant
l'objet d'un jugement d'interdiction pour démence continue et ce
durant toute la période de l'interdiction»51. L’article 5 du décret-
loi n°2011-35 en faisait de même mais pour toutes les
51 Voir également article 3 de la décision de l’ISIE n°2014-7 du 3 juin 2014 relative aux règles et procédures d’inscription des électeurs pour les élections et le référendum, telle que modifiée par la décision n°2014-11 du 16 juillet 2014.
personnes frappées d’interdiction ce qui était d’une portée plus
large puisque englobant non seulement les personnes atteintes
de démence (continue ou intermittente) mais également les
«faibles d’esprit» et les « prodigues »52.
La Tunisie a ratifié sans réserve la Convention relative aux droits
des personnes handicapées en 2008, année également de son
entrée en vigueur. Cette convention prévoit en son article 29 que
«les États Parties garantissent aux personnes handicapées la
jouissance des droits politiques et la possibilité de les exercer
sur la base de l’égalité avec les autres». Dans ses observations
finales sur le rapport initial de la Tunisie53, le Comité des droits
des personnes handicapées recommande «l’adoption d’urgence
de mesures législatives visant à garantir que les personnes
handicapées, y compris les personnes faisant actuellement
l’objet d’une tutelle ou d’une curatelle, puissent exercer leur droit
de voter et de participer à la vie publique, sur la base de l’égalité
avec les autres».
Ceci dit, sur cette question, l’état du droit international n’est pas
encore stabilisé. En 1996, dans son Observation générale n°25,
le Comité des droits de l’homme des Nations Unies considérait
raisonnable de refuser le droit de vote (et d’éligibilité) «à une
personne dont l’incapacité mentale est établie». Sa position a
par la suite évolué puisqu’il considère désormais qu’un handicap
psychosocial ou intellectuel peut justifier la privation du droit de
vote pour autant que cette privation se base sur des critères
objectifs et raisonnables et soit proportionnelle au handicap
constaté. Ce qui implique un examen spécifique non seulement
de la nature et du degré du handicap mental mais également un
examen séparé de la question de savoir si ce handicap justifie la
privation du droit de vote54. Cette position diffère de celle du
Comité des droits des personnes handicapées qui n’accepte
aucune justification à la limitation du droit de vote des personnes
souffrant d’un handicap mental55 et donc aucune limitation à ce
droit.
En l’état actuel du droit, et compte tenu des contradictions
susmentionnées, les éléments suivants sont à prendre en
considération. En premier lieu, l’exercice du droit de vote est une
composante de la capacité juridique qui ne peut connaître de
restriction que dans les conditions et selon les modalités
prévues à l’article 12 de la Convention relative aux droits des
personnes handicapées. Deuxièmement, toute mesure de
restriction, à caractère général, automatique et indifférencié, est
52 L’article 160 du Code du statut personnel (CSP) définit la démence comme suit : «Le dément est celui qui a perdu la raison, sa démence peut être continue ou coupée d’intervalles lucides» (d’où la distinction entre démence continue et démence intermittente). Par ailleurs, le même article définit «le faible d’esprit» comme celui qui ne jouit pas de la plénitude de sa conscience, qui conduit mal ses affaires, ne connaît pas les transactions courantes et est lésé dans ses actes d’achat et de vente. L’article 161 du CSP dispose que l’interdiction est prononcée par un juge sur avis des experts en la matière. 53 CRPD/C/TUN/CO/1, 13 mai 2011. 54 Cf. UN doc CCPR/C/BLZ/CO/1 (2013), para. 24. 55 Voir par exemple les observations du Comité sur le rapport soumis par l’Espagne (23 septembre 2011). Une divergence de vues peut aussi être constatée au niveau européen où la Cour européenne des droits de l’Homme (Alajos Kiss c. Hongrie, 20 mai 2010) a considéré qu’une privation indiscriminée du droit de vote, sans évaluation judiciaire spécifique (au cas par cas) ne constituait pas un but légitime pour restreindre le droit de vote.
23
inacceptable au regard de la Convention. La privation du droit de
vote doit être examinée séparément et ne doit pas découler
automatiquement d’une mise sous tutelle ou de toute autre
mesure limitant la capacité juridique d’une personne. Enfin, il est
essentiel que toute restriction au droit de vote soit proportionnée
et adaptée à la situation de la personne concernée, s’applique
pendant la période la plus brève possible et soit soumise à un
contrôle périodique effectué par un organe compétent,
indépendant et impartial ou une instance judiciaire.
A la lumière de ces éléments non encore consolidés du droit
international, l’article 6 de la Loi électorale constitue une
avancée par rapport au décret-loi n°2011-35 en ce qu’il restreint
le champ d’application de l’interdiction aux seuls cas de
«démence continue» alors qu’en 2011, d’autres personnes
étaient concernées par l’interdiction.
Pour ce qui est de l’examen séparé ou spécifique de la privation
du droit de vote, il faut noter que d’après les informations
fournies au Comité des droits des personnes handicapées par la
délégation tunisienne lors des discussions de suivi du rapport
présenté par la Tunisie56, «avant que le tuteur d’une personne
atteinte d’un handicap mental soit désigné, un juge ordonne une
évaluation spécialisée des facultés mentales de cette personne
et se prononce ensuite sur la question de la tutelle. Toutes les
initiatives prises par le tuteur sont supervisées par le magistrat».
Par ailleurs, l’article 161 du Code du statut personnel dispose
que la perte de la capacité juridique (ou interdiction) est
prononcée par un juge sur avis des experts en la matière. Il n’y a
donc pas d’examen séparé de la privation du droit de vote.
Celle-ci découle automatiquement de la perte de la capacité
juridique.
Une autre question se pose. Celle de la distinction entre «
démence continue » et « démence intermittente ». Il semble que
la plupart des décisions judiciaires de mise sous tutelle pour
démence ne spécifient pas si la décision est prise pour «
démence continue » ou pour « démence intermittente ». Dès
lors, il y a de fortes chances que la privation du droit de vote
puisse être prononcée dans les deux cas ce qui va à l’encontre
de l’article 6 de la Loi électorale, disposition qui pourrait de ce
fait rester lettre morte à moins qu’à l’avenir, les juges des tutelles
demandent aux experts mandatés de préciser de quelle
démence il s’agit.
Il serait donc opportun de prévoir, dans les textes comme dans
la pratique, un examen spécifique, au cas par cas, de la capacité
de toute personne frappée d'une interdiction pour « démence
continue » d’exercer son droit de vote. La mise sous tutelle,
même pour « démence continue » ne devrait pas
automatiquement entrainer la privation du droit de vote. La
question du droit de vote nécessite un examen spécifique sous
le contrôle du juge. Cet examen devrait avoir lieu
périodiquement, toujours sous le contrôle du juge.
56 CRPD/C/5/SR.5, 6 juin 2012.
Recommandations
Au regard d’un droit international, encore incertain sur la
question, mais porté vers un contrôle de plus en plus strict
de toute mesure de privation du droit de vote, y compris
celle concernant les personnes atteintes d’un handicap
mental ou psychosocial, il y aurait lieu de faire en sorte que
l’article 6, alinéa 3, de la Loi électorale, qui prive du droit de
vote les personnes frappées d’une interdiction pour «
démence continue », soit appliqué dans le respect des
principes suivants:
la mise sous tutelle, même pour « démence continue » ne
devrait pas automatiquement entrainer la privation du droit
de vote, celle-ci devant faire l’objet d’un examen
spécifique, sous le contrôle du juge, renouvelé
périodiquement, toujours sous le contrôle du juge;
les décisions judiciaires de mise sous tutelle devraient
spécifier si la mise sous tutelle est prononcée pour «
démence continue » ou « démence intermittente » de façon
à éviter que l’interdiction de vote ne soit de facto étendue
aux personnes souffrant de « démence intermittente ».
Pour ce faire, les juges des tutelles devraient demander
systématiquement aux experts mandatés de préciser de
quelle démence il s’agit, ceci ne préjugeant pas cependant
d’un examen séparé de la question du droit de vote.
DROIT DE SE PORTER CANDIDAT
L’article 19 (élections législatives) et l’article 40 (élections
présidentielles) de la Loi électorale contiennent des dispositions
qui posent des conditions pour l’exercice du droit de se porter
candidat. L’article 19 prévoit notamment que seuls les électeurs
de nationalité tunisienne depuis au moins dix ans peuvent se
porter candidats aux élections législatives. L’article 40 dispose
que seuls les électeurs de nationalité tunisienne par la
naissance et de confession musulmane peuvent se porter
candidats à l’élection présidentielle. Les électeurs binationaux
peuvent se porter candidats à l’élection présidentielle mais
doivent s’engager, au moment de faire acte de candidature, à
renoncer à leur autre nationalité s’ils sont élus.
Tout comme le droit de vote, le droit de se porter candidat n’est
pas absolu et peut faire l’objet de limitations. Si la marge
d'appréciation des Etats est large, elle n'est pas illimitée, et des
limitations ne doivent pas réduire le droit au point de l'atteindre
dans sa substance même et de le priver de son effectivité. Toute
limitation doit reposer sur des critères objectifs et raisonnables,
être expressément prévue par la loi et poursuivre un but
légitime. Les moyens employés à cette fin ne doivent pas être
disproportionnés. En particulier, toute limitation ne doit pas avoir
pour effet d’empêcher ou d’entraver la libre expression de
l'opinion de l’électorat. Dans la pratique cependant, il est
généralement admis que des limitations plus sévères que celles
portant sur le droit de vote peuvent lui être imposées57.
57 Observation générale n°25, Comité des droits de l’homme : «Ainsi, il peut être raisonnable d’exiger un âge minimum plus élevé pour être éligible […] que pour exercer le droit de vote.» Dans son Code de bonne conduite en matière électorale (CDL-AD (2002) 23 Rev.., 23 mai 2003), la Commission de Venise précise que «l’exclusion de l’éligibilité peut être
24
Section I: L’exclusion des électeurs ayant acquis la
nationalité depuis moins de dix ans (élections législatives)
L’article 19 prévoit notamment que seuls les électeurs de
nationalité tunisienne depuis au moins dix ans peuvent se porter
candidats aux élections législatives. Cette disposition ne fait que
reprendre l’article 53 de la Constitution de 201458.
Un nombre conséquent de pays ont eu recours ou ont toujours
recours à ce type d’exclusion59. Comme le rappelle le Comité
des droits de l’homme dans son Observation générale n°25, les
droits protégés par l’article 25 du PIDCP sont ceux de « tout
citoyen », et « toute distinction entre les citoyens de naissance
et les citoyens par naturalisation est incompatible avec l’article
25 ». Cette incompatibilité se fonde sur le caractère inacceptable
de toute distinction reposant sur le mode d’acquisition de la
nationalité. Une distinction fondée non seulement sur le mode
d’acquisition mais également sur le temps écoulé depuis la date
d’obtention de la citoyenneté n’est qu’une variante d’une même
pratique discriminatoire et reste donc incompatible avec l’article
25. Il n’y a là qu’une différence de degré et non de nature.
Pareille distinction accrédite l’idée d’une citoyenneté à deux
vitesses avec une citoyenneté de plein exercice pour une
catégorie de citoyens et une citoyenneté « au rabais » pour les
autres. La défiance qu’exprime ce type de discrimination à
l’égard des citoyens naturalisés, le soupçon qu’elle entretient sur
leur « loyauté » (et la nécessité donc de la tester dans le temps)
la rendent pour le moins problématique bien qu’encore répandue
dans un certain nombre de pays. A noter toutefois que depuis
1996, année d’adoption de l’Observation générale n°25, ce
nombre n’a cessé de décroître.
Il serait concevable de vouloir s’assurer d’un certain degré de
familiarisation du citoyen naturalisé avec les problèmes du pays,
auquel cas le critère d’exclusion devrait être non la durée
écoulée depuis l’obtention de la citoyenneté mais la seule durée
de résidence. Cependant, cela concernerait non seulement les
citoyens récemment naturalisés mais également les citoyens
non résidents, y compris ceux, parmi eux, qui sont nés en
Tunisie. Vu le nombre important de citoyens résidant à l’étranger
et certains, pour des périodes longues, une exclusion fondée sur
le critère de la durée de résidence aurait un impact bien
supérieur. On voit bien que là n’était pas l’objectif du législateur
ce qui tend à prouver a contrario que la vraie justification était
négative (la crainte d’un manque de loyauté) plutôt que positive
(la volonté de s’assurer d’un choix fait en connaissance de
cause).
soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote». Voir également, à titre indicatif, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme: Ždanoka, § 115; Ādamsons, § 111; Tănase, § 156. 58 A noter que l'article 26 du Code tunisien de la nationalité interdit aux naturalisés «d'être investis de fonctions ou de mandats électifs pour l'exercice desquels la qualité de tunisien est nécessaire» pendant 5 ans à partir du décret de naturalisation. Cet article n’est pas en conformité ni avec la Constitution tunisienne (article 53) ni avec la Loi électorale. 59 En France jusqu’en 1973 (interdiction pour les naturalisés d'être électeur pendant les cinq ans qui suivent leur naturalisation); en Belgique jusqu’en 1991; toujours en vigueur aux Etats Unis (aussi bien pour la Présidence où il faut être citoyen de naissance qu’à la Chambre des Représentants où il faut avoir été naturalisé depuis au moins 7 ans) ainsi qu’au Cameroun, en Algérie, au Maroc, en Guinée, au Niger, pour n’en citer que quelques uns.
Recommandation
L’exclusion des citoyens ayant acquis la nationalité depuis
moins de dix ans n’est pas conforme à l’article 25 du PIDCP
qui ne permet pas de distinction « entre les citoyens de
naissance et les citoyens par naturalisation ». Il faudrait
réexaminer à l’avenir le bien-fondé de cette mesure. Le
principe de la libre expression de l’opinion du peuple veut
qu’il appartienne aux seuls électeurs d’accorder ou non de
l’importance à de telles distinctions entre les candidats qui
se présentent à leur suffrage.
A noter que l’article 19 de la Loi électorale ne peut être amendé
sans que l’article 53 de la Constitution l’ait été au préalable.
Section II: L’exclusion des électeurs qui ne sont pas
tunisiens de naissance (élections présidentielles)
En vertu de l’article 40, les électeurs qui ne sont pas tunisiens de
naissance ne peuvent pas se porter candidats à l’élection
présidentielle. Cette disposition ne fait que reprendre les termes
et conditions énoncés à l’article 74 de la Constitution.
Comme le rappelle le Comité des droits de l’homme dans son
Observation générale n°25, « toute distinction entre les citoyens
de naissance et les citoyens par naturalisation est incompatible
avec l’article 25 ». Une telle exclusion traduit une défiance
envers les électeurs naturalisés que rien a priori ne justifie. Elle
s’applique de manière automatique et indifférenciée, privant
toute une catégorie de la population d’un droit qui se trouve au
fondement de la démocratie comme du sentiment
d’appartenance nationale. Priver des citoyens d’un attribut
essentiel de la citoyenneté équivaut à vider de leur substance
les droits consacrés par l’article 25 du PIDCP et à violer le
principe de non-discrimination énoncé à l’article 2.1 du PIDCP.
Quand bien même serait-il possible de démontrer qu’une telle
exclusion poursuit un but légitime, elle ne pourrait être
considérée comme proportionnelle à ce but hypothétique en
raison de l’absence de limitation dans le temps qui la
caractérise.
Recommandation
L’exclusion de l’élection présidentielle des candidats
naturalisés est contraire à l’article 25 du PIDCP tel que
l’interprète le Comité des droits de l’homme qui considère
que « toute distinction entre les citoyens de naissance et les
citoyens par naturalisation est incompatible avec l’article 25
». Il faudrait réexaminer à l’avenir le bien-fondé de cette
mesure d’exclusion. La loi n’a pas vocation à se substituer,
par les critères d’exclusion qu’elle édicte, fondés sur
l’appréciation, toujours difficile, d’une loyauté envers la
Nation, aux critères qui présideront au choix des électeurs
parmi les candidats qui se présentent à leurs suffrages. Le
principe de la libre expression de l’opinion du peuple veut
qu’il appartienne aux seuls électeurs d’accorder ou non de
l’importance au fait qu’un candidat ne soit pas citoyen de
naissance.
A noter que l’article 40 de la Loi électorale ne peut être amendé
sans que l’article 74 de la Constitution l’ait été au préalable.
25
Section III: L’exclusion des électeurs qui ne sont pas de
confession musulmane (élections présidentielles)
L’article 40 dispose que seuls les électeurs de confession
musulmane peuvent se porter candidats à l’élection
présidentielle. Cette exclusion, tout comme l’exclusion des
électeurs naturalisés, découle directement du même article 74
de la Constitution.
L’exclusion des citoyens non musulmans revient à subordonner
l’exercice d’un des droits garantis par l’article 25 du PIDCP au
fait pour le citoyen d’être d’une religion particulière, en
l’occurrence la religion musulmane. Comme l’indique le Comité
des droits de l’homme dans son Observation générale n°2260,
« les politiques ou les pratiques ayant le même but ou le même
effet (la contrainte pouvant porter atteinte au droit d’avoir ou
d’adopter une religion ou une conviction), telles que, par
exemple, celles restreignant […] les droits garantis par l’article
25 et par d’autres dispositions du Pacte, sont également
incompatibles avec le paragraphe 2 de l’article 18 ». Cela
signifie que toute mesure restreignant le droit d’éligibilité aux
seuls électeurs d’une confession donnée vaut contrainte à
l’égard de tous les électeurs d’une autre confession. Ces
derniers ne sont certes pas forcés de changer de religion mais le
seul constat que l’exercice de leur droit d’éligibilité est
subordonné au fait d’être d’une religion autre que la leur suffit à
caractériser l’existence d’une contrainte et donc l’incompatibilité
de cette mesure d’exclusion avec l’article 18.2 du PIDCP et par
delà avec l’article 25 de ce même texte61. On peut, du reste,
émettre des doutes sur l’applicabilité d’une telle exclusion.
Recommandation
Il est recommandé que l’interdiction faite, en vertu de
l’article 40 de la Loi électorale, aux électeurs qui ne sont
pas de confession musulmane de se porter candidats à
l’élection présidentielle soit levée. Cette exclusion est
contraire aux articles 18, paragraphe 2, et 25 du PIDCP tel
qu’interprétés par le Comité des droits de l’homme. Le
principe de la libre expression de l’opinion du peuple veut
qu’il appartienne aux seuls électeurs d’accorder ou non de
l’importance à ce fait.
A noter que l’article 40 de la Loi électorale ne peut être amendé
sans que l’article 74 de la Constitution l’ait été au préalable.
Section IV: L’obligation pour les électeurs binationaux de
renoncer à leur autre nationalité en cas d’élection (élections
présidentielles)
L’article 40, paragraphe 2, dispose que tout électeur, titulaire
d’une autre nationalité que la nationalité tunisienne, « doit
présenter dans son dossier de candidature un engagement
d’abandon de l’autre nationalité au moment où il est proclamé
60 CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, 27 septembre 1993. 61 Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a confirmé cette position dans ses observations sur différents rapports périodiques soumis par les Etats parties au Pacte. Voir notamment les Observations finales sur le rapport soumis par le Liban (CCPR/C/79/Add.78 (1997) & 23).
Président de la République ». Cette exclusion est formulée dans
les mêmes termes à l’article 74, paragraphe 2, de la
Constitution.
Le droit de se porter candidat n’est pas un droit absolu. Sous
certaines conditions, des limitations sont possibles qui peuvent
aller plus loin que celles portant sur le droit de vote62. Les
conditions auxquelles est subordonné le droit de se porter
candidat doivent poursuivre un but légitime et les moyens
employés ne doivent pas être disproportionnés. Elles ne doivent
pas réduire le droit en question au point de l’atteindre dans sa
substance même et de le priver de son effectivité. Un droit, pour
être effectif, ne peut se réduire à une prétention. Il doit pouvoir
être exercé dans la plénitude de ses effets.
Effectivité
L’article 40, paragraphe 2 n’interdit pas à l’électeur binational de
se présenter à l’élection présidentielle. Il le lui permet pour
autant qu’il s’engage à renoncer à son autre nationalité dans le
cas où il serait élu. Ainsi, en cas d’échec électoral, il peut garder
son autre nationalité. Le droit de se porter candidat est ainsi
dissocié du droit d’être investi de son mandat électif. Or, le
principe d’effectivité des droits exige qu’aucune différence ne
soit faite entre les conditions qui déterminent l’éligibilité et celles
qui régissent l’entrée en fonction63. Ce sont deux facettes (se
porter candidat, être investi dans son mandat électif) d’un même
droit qui ne peuvent être dissociées sous peine de vider de toute
substance ce même droit.
Légitimité et proportionnalité
Dans les pays qui n’autorisent pas les électeurs binationaux à se
porter candidat, la justification la plus communément invoquée
est l’atteinte - qui serait implicite dans la possession de plus
d’une nationalité- au principe constitutionnel d’indépendance du
mandat de député, de souveraineté de l’Etat, de sécurité
nationale et du principe de non-divulgation d’informations
confidentielles. Ce qui est invoqué, c’est le risque de conflit
d’intérêt, un citoyen d’une autre nationalité ayant des obligations
politiques et juridiques envers un autre Etat.
Ce dont il est question en dernière analyse, c’est de loyauté,
notion ambigüe, difficile à définir, mais qui a la vie dure dans un
certain nombre de pays. Elle s’apparente à une forme de
suspicion automatique à l’égard de tout citoyen autre que le
citoyen de naissance. Elle banalise des arguments que seules
62 Cf. CDL-AD(2002)23 Rev., Code de bonne conduite en matière électorale : « L’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote. » 63 Dans l’affaire Tanase c. Moldavie (7/08, 27 avril 2010), la Cour européenne des droits de l’Homme était confrontée, dans le cas d’élections législatives, à une situation similaire (électeurs binationaux devant s’engager à renoncer à leur autre citoyenneté en cas de succès électoral) et a, là aussi, estimé qu’il n’y avait pas de différence entre pareil cas de figure et celui où le citoyen aurait été contraint de renoncer à son autre citoyenneté dès le stade du dépôt de candidature. Elle a considéré qu’«une restriction de ce type limite les droits garantis par l’article 3 du Protocole n°1 au point de porter atteinte à leur substance même et de les priver de toute effectivité». A noter également que la Commission de Venise a considéré, toujours dans le cas de la Moldavie, que «la nationalité multiple ne devrait pas figurer parmi les restrictions au droit de se présenter aux élections» (rapport sur les modifications apportées au code électoral de la Moldavie en avril 2008 adopté les 17-18 octobre 2008 - Avis n°484/2008).
26
des circonstances historiques particulières pourraient justifier
(une menace imminente de l’intégrité du territoire national ou de
l’indépendance nationale). Pour ces raisons, de plus en plus
nombreux sont les pays à ne plus restreindre l’éligibilité des
citoyens binationaux, même dans le cas d’élections
présidentielles, alors même que la figure de chef de l’Etat rend
les questions de conflits d’intérêt et de loyauté envers l’Etat
encore plus sensibles64. La Cour européenne des droits de
l’Homme65, en cela inspirée en partie par les prises de position
de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, a exprimé
ses doutes quant à la teneur d’une telle notion et à la
proportionnalité d’une restriction générale frappant les droits
électoraux, estimant qu’il existe d’autres moyens de protéger les
lois, les institutions et la sécurité nationale d’un pays. Elle a
notamment jugé que dans les pays où de multiples nationalités
sont permises, la possession de plus d’une nationalité ne saurait
être un motif pour priver un candidat de siéger au Parlement66.
Le raisonnement de la Cour et des pays ne restreignant pas les
droits électoraux des binationaux se fondent sur le principe de la
libre expression du choix des électeurs. Il devrait appartenir à
ceux-ci et à eux seuls, au moment de faire leur choix, d’accorder
ou non de l’importance à la bi- ou multi-nationalité du candidat.
Des principes juridiques contraignants n’ont pas lieu de se
substituer à ce libre choix ou de le limiter davantage que ne le
font déjà les exclusions fondées sur des motifs légitimes (âge,
résidence, incompatibilités liées à l’exercice de certaines
fonctions, etc.).
Ceci étant, il faut bien relever une certaine marge de tolérance
pour ce type de restriction quand elle est appliquée aux seules
élections présidentielles. Dans ce cas particulier, rien, en droit
international, ne permet de disqualifier d’emblée ce type
d’exclusion et de conclure à son incompatibilité de principe avec
l’article 25 du PIDCP. Il n’en demeure pas moins que dans la
pratique d’un grand nombre de pays, notamment européens, la
tendance est à la défiance accrue envers toute notion de loyauté
à l’appui de ce type d’exclusion. Ces pays sont enclins à
employer d’autres critères, en premier lieu la durée de résidence
qui, parce qu’elle permet de mesurer le degré de familiarisation
de l’électeur avec la société dans laquelle il vit, parait un critère
de limitation plus légitime.
Recommandation
Il y aurait lieu d’engager une réflexion sur l’opportunité
d’abroger l’obligation pour les électeurs binationaux de
renoncer à leur deuxième nationalité en cas d’élection,
notamment en menant une évaluation des effets qu’aurait la
suppression de cette obligation et en s’inspirant des
pratiques observées dans d’autres pays.
64 En Europe, rares sont les Etats qui interdisent la députation aux binationaux. Un tour d’horizon de la pratique des Etats membres du Conseil de l’Europe révèle un consensus sur le fait que lorsque la pluri-nationalité est autorisée, la possession de plus d’une nationalité ne doit pas être un motif d’inéligibilité à la charge de député, même si la population présente une certaine diversité ethnique et que le nombre de députés plurinationaux risque d’être élevé. Seules des considérations historiques ou politiques particulières peuvent justifier une pratique plus restrictive. 65 Cf. Tanase c. Moldavie, 7/08, 27 avril 2010. 66 Id.
A noter que l’article 40 de la Loi électorale ne peut être amendé
sans que l’article 74 de la Constitution l’ait été au préalable.
VI. LE REGISTRE DES ELECTEURS ET LES LISTES DES ELECTEURS
Section I: Le caractère incomplet des dispositions relatives
à l’enregistrement des électeurs
L’article 25 du PIDCP fait obligation aux Etats d’adopter les
mesures d’ordre législatif ou autres qui peuvent être nécessaires
pour que les citoyens aient la possibilité effective d’exercer leurs
droits. Pour des raisons de sécurité juridique et par souci
d’assurer la confiance de l’électorat, il est essentiel que les
dispositions traitant des aspects fondamentaux du cadre
électoral, notamment celles se rapportant à l’exercice des droits
de vote et d’éligibilité (qui sont directement protégés par la
Constitution), se trouvent dans la loi. Cela leur assure le degré
de permanence ou, du moins, de stabilité que seule la loi et la
Constitution peuvent leur conférer67. Ce qui n’exclut pas que les
modalités d’exercice de ces droits puissent faire l’objet de
mesures spécifiques prises sous forme réglementaire dans le
cadre général de la loi.
Les chapitres 2 et 3 de la Loi électorale qui portent sur le registre
des électeurs et les listes des électeurs apparaissent
extrêmement succincts alors même qu’ils traitent de questions
essentielles à l’exercice de droits constitutionnellement protégés
qui ne peuvent être laissées, dans des proportions aussi larges,
à l’entière discrétion de l’ISIE68. De fait, l’ISIE a adopté en juin
2014 la décision n°2014-7 (amendée en juillet) qui arrête les
règles et procédures d’inscription des électeurs.
Au registre électoral, la Loi électorale ne consacre que trois
articles (le chapitre II du Titre III, soit les articles 7, 8 et 9). Le
passage d’un système de listes périodiques à un registre
permanent mis à jour continûment, déjà acté par la Loi sur l’ISIE
(article 3.1), aurait mérité de plus amples développements.
Quoique son intitulé même (« relative aux règles et procédures
d’inscription des électeurs pour les élections et le référendum »)
suggère que la décision n°2014-7 de l’ISIE doive être entendue
comme s’appliquant aussi bien aux élections de 2014 qu’à tous
les scrutins à venir, elle est, de fait, consacrée essentiellement à
la procédure d’inscription des électeurs en vue des élections de
2014, n’ajoutant rien à la Loi en ce qui concerne le registre
électoral proprement dit.
Or, dans un régime de mise à jour continue, et non seulement à
chaque scrutin, du registre électoral où l’inscription repose sur
une démarche volontaire, il est important qu’existe une base
légale pour les demandes de correction émanant directement
des citoyens. Les électeurs devraient avoir accès non seulement
aux listes des électeurs dans la période précédant l’élection
67 Voir également à ce sujet le chapitre II du présent rapport. 68 Ces chapitres se contentent d’énoncer des principes de base sans entrer dans le détail de la réglementation qu’ils laissent le soin - implicitement ou explicitement - aux textes d’application de définir. C’est ce que du reste laisse également entendre l’article 3 de la Loi sur l’ISIE qui confie à l’Instance la charge «de toutes les opérations liées à l’organisation, l'administration et la supervision des élections et référendums».
27
mais également au registre des électeurs à tout moment, selon
des modalités à préciser. Il est essentiel que soit la loi soit les
textes d’application précisent les conditions d’accès au registre
et la procédure à suivre pour demander des corrections, sachant
qu’en appoint aux ententes de partage de données entre entités
administratives (qui permettent de fluidifier les échanges de
données par des accords préalables), cela permet d’éviter les
pointes d’activité à l’approche d’un scrutin. Les textes devraient
également traiter des questions de confidentialité des données.
La Loi électorale ne précise pas la durée de publication des
listes des électeurs. Elle délègue la responsabilité de le faire à
l’ISIE (article 13). Or, reprenant mot pour mot les termes de
l’article 13, l’article 37 de la décision n°2014-7 de l’ISIE ne
précise toujours pas cette durée. Tout aussi curieusement,
l’article 3.2 de la Loi sur l’ISIE indique que les listes électorales
sont arrêtées et publiées dans des délais fixés par la Loi
électorale; or la Loi ne fixe pas ces délais et pas davantage la
décision de l’ISIE. La décision n°2014-14 de l’ISIE du 18 juin
2014 relative au calendrier des élections législatives et
présidentielles pour l’année 201469 indique la date à laquelle les
listes des électeurs sont mises à disposition du public70. La
durée de publication des listes n’est pas précisée, mais en
revanche sont fixées les dates-limite de dépôt des oppositions71
de sorte qu’on peut en déduire que la durée de publication des
listes n’est que d’un seul jour. Une durée aussi brève est
manifestement insuffisante pour que les intéressés aient le
temps de consulter les listes des électeurs et de vérifier les
données y figurant. Il résulte des différentes dispositions
évoquées ci-dessus que la durée de publication des listes des
électeurs est en définitive une décision prise par l’ISIE au cas
par cas, en fonction de paramètres qui ne sont précisés nulle
part, cette durée pouvant donc varier d’une élection à l’autre. Il
est recommandé que la durée de publication des listes des
électeurs soit précisée dans la Loi électorale et qu’elle soit d’une
durée raisonnable pour que les intéressés aient suffisamment de
temps pour consulter les listes et y vérifier les données les
concernant ou concernant les autres électeurs de leur
circonscription.
Section II: Condition de résidence
Une condition de résidence peut être imposée pour l’exercice du
droit de vote. Elle figure parmi les limitations au droit de vote
considérées par le Comité des droits de l’homme des Nations
Unies comme a priori raisonnables. Le lieu de résidence de
l'électeur est important pour déterminer non seulement le bureau
de vote auquel il doit se rendre pour voter, mais également pour
assigner chaque vote à la circonscription appropriée. Dans le
cas d’élections locales mais également d’élections législatives
où les sièges sont attribués par circonscriptions électorales et où
le nombre de sièges par circonscription est fixé sur base du
nombre de résidents dans cette dernière, c’est une nécessité.
69 Telle que modifiée et complétée par la décision n°2014-17 du 1er août 2014. 70 A savoir le 6 août 2014 pour la première période d'inscription (article 4) et le 1er septembre 2014 pour la deuxième période d'inscription (article 4 ter). 71 A savoir, le 7, 8 et 9 août en ce qui concerne la première période d'inscription et le 2, 3 et 4 septembre en ce qui concerne la deuxième période d'inscription.
Le décret-loi n°2011-35 prévoyait, en son article 6, une
répartition des électeurs sur les listes électorales basée sur
l’adresse de résidence déclarée au moment de leur inscription.
La Loi électorale est muette sur ce point. L’article 3 de la Loi
relative à l’ISIE charge celle-ci d’établir, le cas échéant, une
condition de résidence mais la décision n°2014-7 de l’ISIE se
limite à prévoir l’insertion de l’adresse de résidence au moment
de l’inscription, sans exiger de preuve de résidence et l’électeur
restant libre de choisir le centre de vote qui lui convient,
indépendamment de son lieu de résidence (article 25.5 et
25.6)72.
La priorité était de permettre l’enregistrement du plus grand
nombre d’électeurs. Or la vérification de la résidence implique la
présentation de documents justificatifs (contrat de location, titre
de propriété, facture d'électricité au nom de l'électeur indiquant
l'adresse, etc.), ce qui risquait de dissuader un nombre important
d'électeurs de faire la démarche de s'inscrire.
Ceci dit, il est recommandé qu’une réflexion soit engagée dans
un futur proche sur la possibilité d’imposer aux prochaines
élections, notamment les élections locales à venir, une condition
de résidence assortie des moyens de vérifier la véracité des
adresses déclarées.
Recommandations
La Loi électorale est extrêmement succincte (articles 7, 8 et
9) sur les questions se rapportant à la tenue et à la mise à
jour du registre électoral. Il est recommandé que la Loi
électorale traite du registre électoral de manière moins
succincte, quitte à ce que certaines modalités techniques
soient arrêtées sous forme réglementaire. En particulier,
dans un régime de mise à jour continue du registre électoral
où l’inscription repose sur une démarche volontaire, il est
recommandé que les textes précisent les conditions d’accès
au registre, la procédure à suivre pour demander des
corrections et traitent également des questions de
confidentialité des données.
Il est recommandé que la durée de publication des listes
des électeurs soit précisée dans la Loi électorale et qu’elle
soit d’une durée raisonnable pour que les intéressés aient
suffisamment de temps pour consulter les listes et y vérifier
les données les concernant ou concernant les autres
électeurs de leur circonscription. En tout état de cause, un
seul jour d’affichage n’est pas suffisant.
Il est recommandé qu’une réflexion soit engagée dans un
futur proche sur la possibilité d’imposer aux prochaines
élections, notamment les élections locales à venir, une
condition de résidence assortie des moyens de vérifier la
véracité des adresses déclarées.
72 Pour les électeurs s’inscrivant sur les listes des électeurs à l’étranger, il n’est pas nécessaire de remplir la rubrique «adresse déclarée» et l’électeur peut toujours décider de voter sur le territoire national sur présentation de sa carte d’identité ou de son passeport lors de l'inscription (article 27).
28
VII. LA PRESENTATION DES CANDIDATURES AUX ELECTIONS LEGISLATIVES ET PRESIDENTIELLES
Section I: La procédure de dépôt, d’examen et
d’approbation des candidatures aux élections législatives et
à l’élection présidentielle
La Loi électorale fixe la procédure d’examen des listes
candidates aux élections législatives, précisant les délais pour
statuer sur les actes de candidature (7 jours à compter de la
date d’expiration du délai de dépôt des candidatures), les délais
de notification des décisions de l’ISIE (48 heures à compter de
l’adoption de sa décision) et le délai d’affichage des listes (24
heures à compter de la date de notification). Cependant, elle ne
précise pas le délai dont disposent les têtes de liste candidates
pour déposer les candidatures ni la durée de l’affichage des
listes. Elle attribue la responsabilité de fixer ces délais à l’ISIE
(article 21). Or la décision n° 2014-16 de l’ISIE du 1er août 2014,
qui détaille les modalités de mise en œuvre des dispositions de
la Loi électorale, n’apporte pas de précision sur ces deux points.
Cela implique que la durée de dépôt des candidatures est fixée
au cas par cas, pour chaque scrutin, ce qui constitue une
atteinte substantielle au principe de sécurité juridique dont
doivent bénéficier les candidats. Il est recommandé que la Loi
électorale elle-même précise le délai dont disposent les listes
candidates pour faire acte de candidature et qu’y soit également
précisée la durée d’affichage des listes candidates qui doit être
suffisamment longue pour permettre aux électeurs et candidats
d’en prendre connaissance et, pour ces derniers, de faire
d’éventuelles réclamations.
S’agissant de l’élection présidentielle, l’article 43 de la Loi
électorale renvoie à l’ISIE pour prendre les décisions concernant
le calendrier et les procédures de dépôt, d’acceptation et
d’examen des candidatures. Une fois les décisions de l'ISIE
rendues, la liste des candidats acceptés doit être affichée au
siège central de l’instance et publiée sur le site internet de
l’ISIE73. Les procédures et délais de recours contre les décisions
de l'ISIE et les délais de jugement (ainsi que de notification des
jugements) sont spécifiés dans la Loi74. N’est précisé ni dans la
loi ni dans la décision de l’ISIE le délai dont disposent les
candidats pour faire acte de candidature ainsi que la durée
d’affichage des listes de candidats. Comme indiqué ci-dessus en
ce qui concerne les élections législatives, constitue une atteinte
substantielle au principe de sécurité juridique dont doivent
bénéficier les candidats le fait que le délai dont ils disposent
pour déposer leurs candidatures ne soit fixé ni dans la loi ni dans
les textes d’application de sorte que ce délai peut de facto varier
73 L’article 45 de la Loi électorale fixe le délai de statuer sur les demandes de candidature à quatre jours à compter de la clôture des candidatures ainsi que le délai de notification à 24 heures à compter de la date d’adoption de la décision de l’ISIE. 74 L’article 46 de la Loi prévoit un délai de 48 heures à compter de la date d’affichage des listes ou de la notification pour déposer un recours devant le Tribunal administratif contre une décision de l’ISIE. Une audience de plaidoirie doit avoir lieu dans les trois jours suivant la date d’enregistrement de la requête. Le jugement est prononcé dans un délai de trois jours suivant l’audience de plaidoirie, le Tribunal administratif ayant ensuite 48 heures pour notifier son jugement aux parties concernées.
d’une élection à une autre. Il est recommandé que la Loi
électorale elle-même précise ce délai, tenant compte du temps
nécessaire pour réunir les parrainages des citoyens.
Section II: Les pièces à inclure dans les dossiers de
candidature aux élections législatives
L'article 21 de la Loi électorale dispose que « la candidature aux
élections législatives est déposée auprès de l’Instance [ISIE] par
la tête de liste candidate ou par un de ses membres,
conformément au calendrier et procédures fixés par l’Instance ».
Le même article énumère les documents qui doivent être joints à
la demande de candidature.
En application dudit article 21, l'ISIE a pris la décision n°2014-16
du 1er août 2014 fixant les règles et les procédures de
candidature aux élections législatives. L’article 9 de la décision
n°16 dispose que toute demande de candidature doit être «
obligatoirement accompagnée des pièces suivantes:[…] un
extrait du casier judiciaire (Bulletin n°3) de chaque candidat
[…] ». Cette pièce ne figure pas parmi les pièces à joindre
obligatoirement au dossier de candidature, telles qu’énumérées
à l’article 21 de la Loi électorale. Suite, semble-t-il, à des
protestations des partis politiques quant à l’exigence de
présenter un Bulletin n°3 du casier judiciaire à cause des délais
d’obtention d’un tel document (au moins 15 jours) et du risque
donc que certaines listes n’arrivent pas à déposer leurs
candidatures à temps, l’ISIE a modifié ledit article 9 (par décision
n°22 du 13 août 2014) en y ajoutant un troisième paragraphe
disposant que « les listes candidates aux premières élections
législatives suivant l’adoption de la Constitution sont dispensées
de la présentation de l’extrait du casier judiciaire ». L’obligation
de présenter un extrait du casier judiciaire – Bulletin n°3 – est
cependant maintenue pour les prochaines élections législatives.
L’ISIE a l’obligation de vérifier que les candidats remplissent
toutes les conditions légales requises pour se porter candidat
aux élections législatives, mentionnées à l’article 19 de la Loi
électorale qui dispose notamment que les candidats ne doivent
être « dans aucun des cas d’interdiction légale ». L’ISIE a donc
l’obligation de vérifier par exemple que le candidat n’a pas été
condamné à une peine d’inéligibilité75. Il semble que la
présentation du bulletin n°3 du casier judiciaire ait été exigée en
vue de vérifier que les candidats ne font pas l’objet d’une
condamnation d’inéligibilité. Toutefois, selon l’article 365 du
Code de procédure pénale, le bulletin n°3 du casier judiciaire ne
constate que les condamnations à une peine d’emprisonnement
dépassant six mois ou à une peine d'amende excédant mille
dinars, prononcées pour crimes ou délits, par toute juridiction.
Il apparaît donc que le bulletin n°3 n’est pas exhaustif et qu’une
personne peut faire l’objet d’une condamnation d’inéligibilité
sans que cela soit inscrit dans ledit bulletin. En conséquence,
exiger des candidats la présentation d’un bulletin n°3 ne permet
75 L’article 78 du décret-loi n°2011-35 disposait que la personne qui a commis des infractions électorales peut être en plus «privée d’exercer ses droits politiques durant cinq ans à compter du prononcé d’un jugement définitif à son encontre». Par ailleurs, selon l’article 456 du Code de commerce, le failli non réhabilité «n’est plus électeur ni éligible aux assemblées politiques […]».
29
pas de vérifier s’ils ne sont pas inéligibles. Il est donc
recommandé que la présentation du bulletin n°3 du casier
judiciaire, comme pièce à joindre au dossier de candidature, ne
soit plus exigée des candidats aux prochaines élections. Il est
important que les moyens utilisés par l’ISIE pour vérifier que les
candidats remplissent les conditions énoncées à l’article 19 de la
Loi électorale, ne se traduisent pas par des formalités
supplémentaires à la charge des candidats, non prévues par la
loi et constituant une entrave déraisonnable à l’exercice de leur
droit de se porter candidat.
En revanche, des dispositions devraient être prises afin de
s’assurer de la collaboration de l’administration qui centralise les
casiers judiciaires (service de l’identité judiciaire) avec l’ISIE de
manière à permettre à celle-ci de vérifier l’éventuelle inéligibilité
de candidats sans avoir à exiger qu’ils en apportent la preuve
eux-mêmes.
Recommandations
Il est recommandé que la Loi électorale précise le délai dont
disposent les listes candidates (élections législatives) et des
candidats (élections présidentielles) pour faire acte de
candidature et qu’y soit précisée, dans le cas des élections
législatives, la durée d’affichage des listes candidates qui
doit être suffisamment longue pour permettre aux électeurs
et candidats d’en prendre connaissance et, pour ces
derniers, de faire d’éventuelles réclamations.
Il est recommandé que la présentation du bulletin n°3 du
casier judiciaire (requise à l’article 9 de la décision de l’ISIE
n°2014-16 du 1er août 2014), comme pièce à joindre au
dossier de candidature, ne soit plus exigée des candidats
aux prochaines élections législatives étant donné qu’il ne
permet pas de vérifier l’éventuelle inéligibilité de candidats.
Il est important que les moyens utilisés par l’ISIE pour
vérifier que les candidats remplissent les conditions
énoncées à l’article 19 de la Loi électorale, ne se traduisent
par des formalités supplémentaires non prévues par la loi,
placées à la charge des candidats et constituant une
entrave déraisonnable à l’exercice de leur droit de se porter
candidat. Des dispositions devraient être prises afin de
s’assurer de la collaboration de l’administration qui
centralise les casiers judiciaires (service de l’identité
judiciaire) avec l’ISIE de manière à permettre à celle-ci de
vérifier l’éventuelle inéligibilité de candidats sans avoir à
exiger qu’ils en apportent la preuve eux-mêmes.
Section III: Le parrainage par des citoyens des candidats à
l’élection présidentielle
La Loi électorale ne contient de dispositions destinées à
s’assurer d’un degré minimal de représentativité des candidats
qu’en ce qui concerne l’élection présidentielle où les conditions
énoncées à l’article 41 s’inspirent, à quelques nuances près, de
celles figurant dans l’ancien Code électoral de 1969. La
procédure de parrainage des candidats à l’élection
présidentielle, y compris le parrainage par des citoyens inscrits
sur les listes des électeurs, est imposée par la Constitution
(article 74).
Tout candidat à l’élection présidentielle doit être parrainé par au
moins 10 élus de l’Assemblée des représentants du peuple ou
40 Présidents des Conseils des collectivités locales ou par
10,000 électeurs inscrits et répartis sur au moins 10
circonscriptions, pour autant que leur nombre ne soit pas
inférieur à 500 électeurs par circonscription76. En outre, l’article
40 prévoit le versement par chaque candidat d’une caution d’un
montant de 10,000 dinars qui ne lui sera restituée que s’il obtient
3% au moins des suffrages exprimés.
La nouveauté est l’option offerte à tout candidat de valider sa
candidature en recueillant 10,000 signatures d’électeurs77. Cette
procédure est délicate à mettre en application notamment en
raison des risques de fraudes qu’elle comporte et de la difficulté
à procéder aux vérifications nécessaires78. Cela dit, un aspect
positif de la Loi électorale est la possibilité offerte aux candidats
d’apporter des correctifs à la liste de leurs parrainages de
manière à ne pas les pénaliser pour les erreurs mineures qui
pourraient l’entacher et qu’une date-butoir ne leur permettrait
pas de corriger79.
La décision de l’ISIE n°2014-18 fixe les procédures de
parrainage et de vérification des listes de parrainage mais,
comme indiqué ci-dessus80, elle ne précise pas le délai dont
disposent les candidats pour déposer leurs candidatures. Il est
clair que ce délai doit être fixé en tenant compte du temps
nécessaire pour les candidats au recueil des signatures. L’article
9 de ladite décision dispose que la demande de candidature doit
être accompagnée, entre autres, d’une copie papier et d’une
copie électronique de la liste des « parrains » comportant
obligatoirement « le nom complet du parrain, sa qualité, sa
circonscription électorale, le numéro de sa carte d’identité
nationale et sa signature ». Le texte précise que « la copie
électronique doit être conforme aux spécifications techniques
fixées par l’Instance ».
Lors de l'élection présidentielle de 2014, 70 candidats ont
déposé leur candidature auprès de l’ISIE. Une majorité de
candidats ont eu recours aux parrainages de citoyens. Au total,
plus de 800,000 parrainages de citoyens ont été présentés par
les candidats. La Loi électorale exige un nombre minimum de
signatures (10,000) mais ne plafonne pas leur nombre. Certains
candidats ont déposé des dizaines de milliers, voire une
centaine de milliers de signatures. Selon l’article 45 de la Loi
électorale, l’ISIE doit statuer sur les demandes de candidature
au plus tard quatre jours après la clôture du délai de dépôt des
candidatures. Un nombre aussi élevé de signatures à vérifier en
quatre jours représentait un défi logistique considérable pour les
76 Pour la première élection présidentielle après l’adoption de la nouvelle Constitution, les candidats n’avaient le choix qu’entre la première et la troisième option (était exclu le parrainage par les Présidents des Conseils des collectivités locales). 77 En effet, le Code électoral de 1969, abrogé par la Loi électorale, disposait en son article 66 qu’« aucune demande de candidature ne peut être retenue si elle n’est présentée, à titre individuel ou collectif, par au moins trente citoyens parmi les membres de la chambre des députés ou les présidents des conseils municipaux ». 78 CDL-AD(2002)23 Rev., Commission de Venise du Conseil de l’Europe, Code de bonne conduite en matière électorale, Lignes directrices, 1.3 (page 6). 79 Comme l’a souvent rappelé la Commission de Venise, « il est beaucoup plus grave, du point de vue de la démocratie, d'empêcher quelqu'un de présenter sa candidature que de permettre à quelqu'un qui a enfreint quelques dispositions techniques de la loi de se porter candidat. », CDL-INF(2002)17, 15 novembre 2002, commentaires sur la Loi relative aux élections législatives de l’Azerbaijan. 80 Cf. Chapitre III, Section I.
30
équipes de l’ISIE81. Les vérificateurs de l’ISIE auraient remarqué
que des électeurs avaient parrainé plus d’un candidat – ce
qu’interdit l’article 41 de la Loi électorale – et avec des
signatures différentes. Il semble également que des bases de
données personnelles aient été utilisées et auraient permis à
des candidats de se prévaloir en un laps de temps très court
d’un grand nombre de parrainages. Ces informations ont été
relayées par les médias tunisiens. Des listes de noms
d’électeurs auraient été présentées dans le même ordre par
différents candidats82. La seule façon pour l’ISIE d’éviter la
fraude aurait été d’exiger une authentification des signatures83
ce qui aurait considérablement compliqué la tâche des
candidats. En effet, faire authentifier 10,000 signatures, surtout
en période estivale, aurait été très difficile, sachant que des
électeurs peuvent se désister en raison de la perte de temps
occasionnée par une telle procédure (files d’attente devant les
bureaux municipaux).
Au vu de l'expérience de la première élection présidentielle
tenue en 2014, il est possible de tirer les enseignements
suivants:
1. Les procédures et méthodes de vérification des listes de
parrainage devraient être renforcées. Des sanctions
dissuasives pour utilisation intentionnelle de données
erronées ou falsifiées pourraient être prévues.
2. Il devrait être permis à l’ISIE de ne pas vérifier toutes les
signatures mais seulement autant de signatures que
nécessaire pour atteindre le seuil fixé dans la loi84.
3. Le délai d’examen des candidatures fixé à quatre jours
par la Loi électorale (article 45) n’est pas suffisant pour
que l’ISIE procède à toutes les vérifications nécessaires
et, de ce fait, devrait être plus long.
4. La Loi électorale ne devrait pas interdire qu’un électeur
parraine plus d’un candidat dans la mesure où un
parrainage n’est pas un soutien à un candidat mais un
soutien à la possibilité pour celui-ci de se porter candidat
mais aussi parce qu’un candidat pourrait voir sa
candidature rejetée alors même qu’il a atteint le nombre
requis de signatures au motif que des électeurs ont
parrainé d’autres candidatures que la sienne ce qu’en
toute bonne foi, il peut ne pas savoir.
81 Cette question est devenue capitale, surtout que des rumeurs circulaient alléguant que des ventes illicites de données personnelles auraient été commises au profit de certains candidats. 82 Ces informations ont été relayées par les médias tunisiens. L’ISIE n’a pas confirmé officiellement ces informations, mais a confirmé l’existence de soupçons de fraude et a déclaré avoir transféré certains cas au ministère public. 83 L'article premier de la loi n°94-103 du 1er août 1994, portant organisation de la légalisation de signature et de la certification de conformité des copies à l’original dispose que « les autorités suivantes sont compétentes pour légaliser la signature des particuliers: - les gouverneurs, - les présidents des municipalités, les vice-présidents des municipalités et les adjoints aux présidents des municipalités chefs d'arrondissements dans les zones communales, - les délégués, en dehors des zones communales, - le conservateur de la propriété foncière, dans la limite de ses attributions (...) ». Par ailleurs, les notaires, étant des officiers publics, peuvent recueillir des parrainages et attester leur authenticité. 84 Dans son Code de bonne conduite en matière électorale (CDL-AD(2002)23 Rev.), la Commission de Venise précise que la vérification doit en principe porter sur l’ensemble des signatures, toutefois, lorsqu’il est certain qu’un nombre suffisant de signatures a été atteint, il peut être renoncé à la vérification des signatures restantes.
5. Vu le nombre élevé de signatures requises, les candidats
devraient bénéficier d’un délai raisonnablement long pour
recueillir les parrainages et ce délai devrait être fixé dans
la loi.
Peut-être serait-il opportun d’engager une réflexion sur
l’opportunité de maintenir une procédure de parrainage-citoyen,
compte tenu des difficultés pratiques que soulève une telle
procédure et sachant que le cumul de cette condition avec le
paiement d’une caution (remboursable seulement si le candidat
a obtenu au moins 3% des suffrages exprimés) peut être
considéré excessif au regard de l’objectif de pluralisme
politique85 et qu’en outre, son caractère dissuasif n’est pas
avéré. Il faut cependant relever que c’est la Constitution qui
prévoit le parrainage par des citoyens inscrits.
Recommandations
Les procédures et méthodes de vérification des listes de
parrainage devraient être renforcées. Des sanctions
dissuasives pour utilisation intentionnelle de données
erronées ou falsifiées pourraient être prévues.
Il devrait être permis à l’ISIE de ne pas vérifier toutes les
signatures mais seulement autant de signatures que
nécessaire pour atteindre le seuil fixé dans la loi.
Le délai d’examen des candidatures fixé à quatre jours par
la Loi électorale (article 45) n’est pas suffisant pour que
l’ISIE procède à toutes les vérifications nécessaires et, de
ce fait, devrait être plus long.
La Loi électorale ne devrait pas interdire qu’un électeur
parraine plus d’un candidat dans la mesure où un
parrainage n’est pas un soutien à un candidat mais un
soutien à la possibilité pour celui-ci de se porter candidat
mais aussi parce qu’un candidat pourrait voir sa
candidature rejetée alors même qu’il a atteint le nombre
requis de signatures au motif que des électeurs ont parrainé
d’autres candidatures que la sienne ce qu’en toute bonne
foi, il peut ne pas savoir.
Vu le nombre élevé de signatures requises, les candidats
devraient bénéficier d’un délai raisonnablement long pour
recueillir les parrainages et ce délai devrait être fixé dans la
loi.
Peut-être serait-il opportun d’engager une réflexion sur
l’opportunité de maintenir une procédure de parrainage-
citoyen, compte tenu des difficultés pratiques que soulève
une telle procédure et sachant que le cumul de cette
condition avec le paiement d’une caution (remboursable
seulement si le candidat a obtenu au moins 3% des
suffrages exprimés) peut être considéré comme excessif au
regard de l’objectif de pluralisme politique et qu’en outre,
son caractère dissuasif n’est pas avéré.
A noter cependant que c’est la Constitution qui prévoit le
parrainage par des citoyens et que par conséquent, l’abandon
du parrainage-citoyen n’est guère possible sans une
modification préalable de la Constitution.
85 OSCE ODIHR Lignes directrices pour l’analyse du cadre juridique des élections, Seconde édition 2013, Chapitre 9, page 38 « the simultaneous imposition of more than one of these requirements for ballot access should be considered as restrictive to political pluralism » (disponible en Anglais uniquement).
31
Section IV: La parité entre femmes et hommes (élections
législatives)
En 2011, l’ANC comptait parmi ses 217 membres 49 femmes,
soit 24% du total. A l’issue des élections d’octobre dernier,
l’Assemblée des représentants du peuple compte aujourd’hui 68
femmes sur 217 élus, soit 31,34% de la législature. L’Union
interparlementaire classe la Tunisie au 30ème rang sur les 190
pays répertoriés dans son classement86. La représentation des
femmes au sein de la législature s’est donc accrue entre 2011 et
2014.
En matière d’égalité entre hommes et femmes, la nouvelle
Constitution va plus loin que les textes antérieurs, affirmant
solennellement l’engagement de l’Etat à garantir « l’égalité des
chances entre la femme et l’homme pour assumer les différentes
responsabilités et dans tous les domaines », à œuvrer pour «
réaliser la parité entre la femme et l'homme dans les conseils
élus » (article 46) et à veiller « à garantir la représentativité des
femmes dans les assemblées élues » (article 34) 87. L’alinéa 3
de l’article 46 qui fixe l’objectif de parité au sein des conseils
élus est particulièrement novateur et exigeant.
Dans la Loi électorale, cet engagement s’est traduit par la
reprise du dispositif appliqué lors des élections de l’ANC sur
base de l’article 16 du décret-loi n°2011-35. L’article 24 de la Loi
électorale de 2014 a imposé une composition paritaire des listes
candidates. Les listes de candidatures déposées aux élections
législatives devaient comporter autant de femmes que
d’hommes, classés de façon alternée sur les listes en question.
Les listes ne respectant pas cette règle devaient être rejetées
(sauf dans le cas de circonscriptions comptant un nombre impair
de sièges).
L’engagement fort que contient la nouvelle Constitution aurait pu
conduire, sur base des enseignements de l’élection de l’ANC, à
renforcer ce dispositif88: sur 217 sièges, 49 femmes avaient alors
été élues (soit 24% des sièges de l'ANC) alors que plus de
86 http://www.ipu.org/wmn-f/classif.htm 87 A noter pour rappel que la Tunisie a ratifié en juillet 1985 la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle n’a fait aucune réserve à l’article 7 qui garantit aux femmes le droit de voter, d’occuper des emplois publics et d’exercer des fonctions publiques et à l’article 4 selon lequel l’adoption de « mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas à considérer comme un acte de discrimination ». La Tunisie a signé le 30 janvier 2015 le Protocole pour la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (« Protocole de Maputo »), adopté en juillet 2003 et signé par 36 des 54 Etats membres de l’Union Africaine. Ce Protocole prévoit l’engagement des Etats à entreprendre « des actions positives spécifiques pour promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays, à travers une action affirmative et une législation nationale et d’autres mesures de nature à garantir que: a) les femmes participent à toutes les élections sans aucune discrimination; b) les femmes soient représentées en parité avec les hommes et à tous les niveaux, dans les processus électoraux » (article 9). Toutefois, conformément à l'article 67 de la Constitution, le protocole ne sera ratifié par le Président de la République qu'après approbation de l'Assemblée des représentants du peuple (voir: http://www.tap.info.tn/fr/index.php/politique/41420-adhesion-de-la-tunisie-au-protocole-a-la-charte-africaine-relatif-aux-droits-des-femmes). 88 A noter toutefois, en ce sens, l’avancée que constitue par rapport au décret-loi n°35, l’obligation faite aux candidats, aux termes de l’article 21 de la Loi électorale, de présenter une liste complémentaire à laquelle s’applique également la règle d’alternance prévue à l’article 24 s’applique également.
4,000 femmes étaient candidates (soit près de 50% des
candidats) ; les femmes n’avaient pas été placées en têtes de
liste sur plus de 7% des listes89. Il y avait donc une marge de
progression pour se rapprocher de l’objectif de parité fixé par la
nouvelle Constitution.
La mesure la plus évidente afin d’accroître la représentation des
femmes au sein de l’Assemblée des représentants du peuple
aurait été d’instaurer un quota au niveau des têtes de liste
(« parité horizontale ») de façon à ce que les femmes ne soient
pas systématiquement placées en seconde position sur les
listes90. Au cours des débats qui ont précédé l’adoption de la Loi
électorale, des propositions ont été faites en vue d’imposer un
quota de 50% ou d’un tiers de femmes en têtes de liste mais ces
propositions n’ont pas été retenues. Il serait opportun de rouvrir
le débat sur cette question, sachant que ce type de mesure est
susceptible d’avoir un impact conséquent au regard de
l’engagement constitutionnel pris de « réaliser la parité entre la
femme et l'homme dans les conseils élus »91.
Cependant, cette seule mesure n’est peut-être pas suffisante.
En premier lieu, la question de la parité s’appréhende dans le
contexte plus large du système électoral en place et notamment
des mécanismes prévus par la loi pour minimiser le risque d’une
trop forte dispersion des voix, sachant qu’un système électoral
« ouvert » (ne restreignant pas ou peu le dépôt de candidatures)
est préjudiciable à la représentation des femmes (notamment en
l’absence de quotas). Or, la Loi électorale ne prévoit pas,
comme cela existe ailleurs, de dispositif permettant d’écarter les
candidatures frivoles ou peu représentatives. Toutefois, le
système d’aide publique au financement de la campagne
électorale qui, en 2011, avait été jugé excessivement libéral, est
désormais assorti de conditions de nature à décourager de telles
candidatures. Il y aurait lieu d’examiner l’impact combiné de
toutes ces mesures sur le nombre de listes candidates et, au-
delà, sur la représentation des femmes, de manière à déterminer
dans quelle mesure il pourrait être nécessaire d’aller au-delà du
dispositif actuel pour atteindre l’objectif de parité entre hommes
et femmes.
En tout état de cause, la poursuite des objectifs énoncés dans la
Constitution requiert un ensemble de mesures qui dépasse le
seul cadre de la législation électorale et qui notamment
s’attaque, en amont, aux causes de la non-représentation ou de
la marginalisation des femmes au sein des instances dirigeantes
des partis politiques.
89 Il est à signaler qu’avec le même dispositif légal, le pourcentage de femmes placées en têtes de listes est monté à 12% lors du dépôt des candidatures aux élections législatives de 2014. 90 L’absence de cette disposition a fait l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois. Ce recours, rejeté par l’Instance, est fondé sur les articles 34 (« … L’Etat veille à garantir la représentativité des femmes dans les assemblées élues ») et 46 («… L’Etat œuvre à réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les assemblée élues ») de la Constitution de 2014. 91 A noter cependant que la Constitution met à charge de l’Etat une obligation de moyen et non de résultat, comme l’a rappelé l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois qui, saisie d’un recours pour inconstitutionnalité contre la Loi électorale sur ce point, a estimé, dans sa décision n°02/2014 rendue le 19 mai 2014, que l’article 24 de la Loi électorale est conforme à la loi fondamentale.
32
Recommandations
Afin d’accroître la représentation des femmes au sein de
l’Assemblée des représentants du peuple et des autres
Conseils élus, il est recommandé de considérer la
possibilité d’imposer à l’avenir un quota au niveau des têtes
de listes de façon à ce que les femmes ne soient pas
presque systématiquement placées en seconde position sur
les listes.
A moyen terme, il pourrait être envisagé un ensemble de
mesures dépassant le seul cadre de la législation électorale
et qui notamment s’attaque, en amont, aux causes de la
non-représentation ou de la marginalisation des femmes au
sein des instances dirigeantes des partis politiques.
VIII. LA CAMPAGNE ELECTORALE
Section I: L’interdiction de la « publicité politique » durant la
période électorale
La Loi électorale introduit la notion de « période électorale »
définie à l’article 3 de la Loi électorale comme la période
englobant la phase de précampagne électorale (ou pré-
référendum), la campagne électorale elle-même et la période de
silence (le jour de silence et le jour du scrutin). La phase de
précampagne s’étend sur une période de 3 mois expirant au
premier jour de la campagne électorale proprement dite, soit 22
jours avant la date du scrutin (article 50). La campagne
électorale s’achève 24 heures avant le jour du scrutin.
Aux termes de l’article 57 de la Loi électorale, la « publicité
politique », notion définie à l’article 3, est interdite durant toute la
période électorale qui couvre la phase de précampagne, la
campagne elle-même et les deux jours de silence électoral92.
Seule est permise, durant la campagne électorale, la
propagande des partis au travers des journaux partisans « sous
forme d’annonces publicitaires, uniquement au profit du parti
dont ils sont porte-paroles et des candidats ou des listes
candidates au nom du parti » (article 57). Est permise également
l’utilisation par les candidats à l’élection présidentielle de
« supports publicitaires » sans autre précision, la définition des
conditions d’utilisation de ces derniers incombant à l’Instance.
L’une des caractéristiques essentielles de tout système électoral
est de « garantir effectivement la liberté d’expression du choix
des électeurs »93. Celle-ci serait illusoire si elle n’incluait, comme
précisé au paragraphe 2 de l’article 19 du PIDCP, la liberté « de
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des
idées de tout espèce, sans considération de frontières, sous une
forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre
moyen de son choix ».
92 L’article 69 qui interdit toute propagande électorale durant la période de silence électoral semble redondant puisque cela est déjà implicite dans l’article 57, sauf à considérer que les termes « propagande électorale » et « publicité politique » n’ont pas le même contenu. 93 CCPR/C/21/Rev. 1/Add.7, Comité des droits de l’homme, Observation générale n°25, paragraphe 21.
Dans le contexte particulier d’une campagne électorale, libre
choix des électeurs, liberté d’expression et libre accès à
l’information forment un tout indissociable. Comme le souligne le
Comité des droits de l’homme, « la communication libre des
informations et des idées concernant des questions publiques et
politiques entre les citoyens, les candidats et les représentants
élus est essentielle au plein exercice des droits garantis à
l’article 25 »94 du PIDCP. Cela exige « une presse et d’autres
organes d’information libres, […] sans censures ni restriction, et
capable d’informer l’opinion publique »95. Les droits garantis aux
articles 19, 21 et 22 du PIDCP doivent être pleinement
respectés.
Pour créer les conditions d’un libre choix des électeurs, l’accès
libre à l’information ne suffit pas. La liberté des électeurs est
illusoire sans un accès équitable ou égal des candidats aux
moyens d’information de l’électorat. Il est essentiel que les
candidats bénéficient de conditions équitables d’accès à ces
moyens d’information et notamment aux médias. Au législateur
donc et aux instances en charge de l’application des textes
incombe la recherche d’un équilibre entre liberté (d’expression,
d’accès à l’information, d’association, de réunion, de
mouvement) et équité ou égalité (dans l’accès à l’information,
l’accès aux médias et l’exercice des libertés d’expression,
d’association, de réunion et de mouvement).
Dans ce cadre, l’interdiction de « toute publicité politique »
pendant toute la durée de la période électorale édictée à l’article
57 pose problème tant sur son principe que pour ce qui est de
son champ d’application. La définition de «publicité politique» à
l’article 3 parait suffisamment large pour englober toute forme de
propagande électorale. Or, l’article 57 interdit toute « publicité
politique » non seulement pendant la campagne électorale mais
également pendant toute la période électorale (qui inclut, outre
la campagne électorale, la phase de précampagne et la période
de silence). L’article 59, pour sa part, ne parle pas de « publicité
politique » mais de « propagande électorale » - termes non
définis à l’article 3 (qui contient les définitions des principaux
termes utilisés dans la loi). La propagande électorale est, elle,
autorisée durant la campagne électorale, ce qui laisse supposer
que les activités relevant de la propagande électorale
recouvreraient des activités différentes ne tombant pas sous le
coup de l’interdiction de toute « publicité politique » édictée à
l’article 57. Pendant la campagne électorale, seraient donc
autorisées les annonces, les réunions publiques, les défilés, les
cortèges, les rassemblements et toutes les activités publicitaires
dans les différents médias audiovisuels, écrits et électroniques.
Cependant, la lecture combinée des articles 3 (où sont définis
les termes « publicité politique »96) et 59 ne permet de saisir en
quoi les activités dont il est question sous ces deux qualifications
se distinguent. La définition de « publicité politique » évoque
l’emploi des méthodes et techniques du marketing commercial
94 Id. paragraphe 25. 95 Id. 96 A noter que la définition de l’article 3 des termes « publicité politique » semble reprise de celle figurant à l’article 2 du Décret-loi n°2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de communication audiovisuelle et portant création d’une Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle - HAICA - (mais celle-ci n’évoque que la publicité politique dans les médias audiovisuels).
33
mais sans clarifier s’il s’agit là d’un critère permettant, à lui seul,
de différencier ce qui relèverait du « marketing électoral », pour
ainsi dire, de ce qui relèverait de la propagande électorale.
La pratique a confirmé cette difficulté. Dans sa décision n°2014-
28 du 15 septembre 2014, l’ISIE s’est contentée de reproduire la
définition de la publicité politique telle que formulée à l’article 3
de la Loi électorale, sans en préciser les contours et les limites97.
Pour autant, il semble que le Conseil de l’ISIE a adopté une
position officieuse souple en la matière, se limitant à interdire la
publicité au sens strict ou premier (essentiellement l’achat
d’espace publicitaire dans les journaux ou en vue de campagnes
d’affichage). Certaines instances régionales de l’ISIE ont
cependant interprété différemment la notion de publicité
politique, allant jusqu’à interdire à des candidats aux élections
législatives de distribuer des tracts en faisant du porte-à-porte,
considérant le procédé comme relevant du marketing
commercial.
Une interdiction large de toute forme de « publicité politique »
entendue de manière extensive parait excessive en ce que
l’égalité des chances entre candidats ne doit pas conduire à
vider le principe de liberté de toute substance. Les Etats ont
certes un large pouvoir d’appréciation en la matière. Il peut
notamment être argué que cette mesure se justifie par des
considérations d’ordre public ou bien en vue d’assurer le respect
des droits d’autrui. En cela, elle n’est pas contraire à l’article 19
du PIDCP. Cependant, s’agissant de déterminer si une mesure
aussi restrictive est nécessaire pour atteindre ce but,
l’interdiction de toute « publicité politique » entendue de manière
trop extensive durant toute la « période électorale » est
disproportionnée. Il y a, en effet, disproportion entre le but
poursuivi et les moyens employés.
Il y aurait lieu de reconsidérer l’opportunité de recourir à la
distinction entre « propagande électorale » et « publicité
politique » qui est nécessairement ténue ou du moins ambigüe
avec les risques de divergence d’interprétations et d’abus que
cela comporte pour ce qui est de leur mise en œuvre par
l’administration électorale. Le souci d’équité entre candidats ne
doit pas conduire à priver les candidats de la liberté de faire
connaître leurs idées et leurs programmes et à celles des
électeurs d’y avoir accès.
Si ces deux termes devaient être conservées, il est essentiel
qu’ils soient définis de manière claire de façon à ce que les deux
notions ne se recoupent pas et qu’il n’y ait pas de difficulté, à
tous les échelons de l’administration électorale, pour les
interpréter et les appliquer correctement et de manière uniforme.
D’autres mesures permettent d’atteindre l’objectif d’équité sans
pour autant limiter la liberté d’expression et de communication
97 Décision n°2014-28 du 15 septembre 2014, fixant les règles relatives à l’organisation et aux procédures de la campagne électorale et de la campagne référendaire, article 7: « La publicité politique est interdite durant la campagne, à l’exception des annonces publicitaires dans les journaux partisans et de l’usage des supports publicitaires par les candidats à l’élection présidentielle. Cette interdiction s’applique en période de précampagne et en période de silence. »
de manière aussi disproportionnée98, par exemple, en plafonnant
les dépenses électorales. L’article 81 prévoit, du reste, un tel
plafonnement et l’article 3 définit le terme « dépense électorale »
comme englobant toutes les dépenses engagées pendant la
période électorale, celle-ci incluant la période de précampagne.
Ce type de mesures a l’avantage de contribuer à ce que la
compétition électorale se fasse dans les conditions les plus
équitables possibles tout en permettant aux candidats de faire
campagne, c'est-à-dire de se faire connaître et de faire connaître
leurs programmes.
Recommandation
Il est recommandé de clarifier dans la loi les notions de
« publicité politique » et de « propagande électorale » telles
que définies aux articles 3 et 59 de la Loi électorale
respectivement, de manière à éviter toute divergence
d’interprétation dans leur application à tous les échelons de
l’administration électorale. Le souci d’équité ou d’égalité
dans l’accès des candidats aux moyens d’information de
l’électorat ne devrait pas se traduire par des mesures
d’interdiction d’une portée telle qu’elles privent les candidats
de la liberté de faire connaître leurs idées et leurs
programmes et les électeurs de les connaître. Les articles 3
et 57 de la Loi électorale devraient être amendés dans cet
esprit.
Section II: L’interdiction de l’utilisation des médias
étrangers dans le cadre de la campagne électorale
L’article 66 de la Loi électorale énonce une interdiction de
principe de l’utilisation des médias étrangers dans le cadre de la
campagne électorale. Dans le cas d’élections législatives, le
même article l’autorise de manière exceptionnelle pour les listes
de candidats à l’étranger. Pour ces listes, les règles d’utilisation
des médias audiovisuels étrangers sont fixées par l’ISIE en
concertation avec la HAICA et par la seule ISIE s’agissant de la
presse écrite et des médias électroniques.
Cette approche restrictive, déjà en vigueur dans la législation
antérieure, est motivée par la crainte que des candidats (sur des
listes en Tunisie) contournent les règles applicables aux médias
nationaux en faisant campagne à partir de médias étrangers,
sachant notamment que de nombreux tunisiens regardent
régulièrement des chaînes étrangères, arabophones ou
francophones.
En 200899, le Comité des droits de l’homme avait exprimé sa
préoccupation au sujet d’une interdiction d’utilisation des médias
98 Dans son Observation générale n°34 sur l’article 19 du Pacte (CCPR/C/GC/34 - 12 septembre 2011), le Comité des droits de l’homme rappelle qu’il y a lieu d’être particulièrement vigilant sur ce point et notamment qu’aussi légitimes les buts poursuivis, ils ne peuvent justifier de restreindre la possibilité pour les candidats de faire campagne dans des proportions excessives. Ainsi a-t-il considéré comme préoccupantes un certain nombre de restrictions au débat politique telles que l’interdiction de faire du démarchage électoral porte-à-porte ou les restrictions portant sur le nombre et le type d’imprimés qui peuvent être distribués pendant une campagne électorale (paragraphe 37). 99 Cf. Observations finales sur le cinquième rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/TUN/CO/5 – 23 avril 2008), paragraphe 19: « Le Comité est préoccupé du fait qu’en période électorale, le Code électoral (art. 62-III) interdit à toute personne l’utilisation d’une radio ou chaîne de télévision privées ou étrangères ou émettant de l’étranger dans le but
34
étrangers dans le cadre de la campagne électorale, considérant
une telle interdiction énoncée à l’article 62-III du Code électoral
tunisien comme incompatible avec les articles 19 et 25 du
PIDCP. Le Comité appelait à la levée de cette interdiction.
Parce qu’elle autorise exceptionnellement l’utilisation des
médias étrangers pour les listes candidates à l’étranger, la Loi
électorale va dans le sens préconisé par le Comité des droits de
l’homme. Cependant, l’utilisation des médias étrangers ne peut
se faire que sous certaines conditions que la loi ne précise pas,
laissant le soin à l’ISIE, en concertation avec la HAICA, de les
définir.
Le 8 septembre 2014, l’ISIE a adopté la décision n°2014-27 qui
fixe les règles relatives à l’utilisation des médias étrangers par
les listes candidates dans les circonscriptions électorales à
l’étranger. Ce texte définit les médias étrangers comme tout
média audiovisuel, écrit ou électronique, non soumis au droit
tunisien (article2). Son article 2bis dispose que « seules les
listes candidates des circonscriptions à l’étranger sont
autorisées, durant la campagne, à utiliser les médias étrangers,
à condition qu’ils: - soient totalement ou partiellement destinés à
la circonscription électorale dans laquelle la liste est candidate à
l’étranger; - respectent le principe de neutralité dans leur
couverture relative à la campagne; - s’engagent à respecter
l’intégrité physique, l’honneur et la dignité des candidats et des
électeurs, à ne pas porter atteinte à la vie privée des candidats
et à leurs données personnelles, et à ne pas appeler à la haine,
à la violence, au fanatisme et à la discrimination; - respectent le
droit à y accéder durant la campagne sur la base de l’équité
entre toutes les listes candidates dans la circonscription
électorale. »
La question que pose cet article est celle de savoir comment les
listes candidates à l’étranger peuvent s’assurer que des médias
non soumis au droit tunisien remplissent des conditions établies
en droit tunisien. Comment les listes candidates à l’étranger
pourraient-elles obtenir la garantie ou s’assurer à l’avance que
les médias au travers desquels elles s’apprêtent à faire
campagne respecteront des conditions que rien ne les oblige à
respecter ? De fait, ces listes pourraient se trouver sanctionnées
pour des violations dont elles ne peuvent en aucune manière
être tenues responsables et qu’elles n’ont aucun moyen
d’empêcher100. A cela s’ajoute que certaines des conditions
définies par l’ISIE sont formulées en des termes généraux qui ne
permettent pas aux médias concernés de savoir à l’avance
comment s’y conformer. Seule éventuellement une
connaissance approfondie de la jurisprudence des tribunaux
tunisiens permettraient de savoir ce qu’il faut entendre par les
notions employées à l’article susmentionné telles que celles
d’« honneur » et de « dignité ». Or, il va de soi qu’il est
inconcevable d’exiger de médias étrangers non soumis au droit
tunisien de connaître non seulement la loi tunisienne mais la
jurisprudence de ses tribunaux.
d’inciter à voter ou de s’abstenir de voter pour un candidat ou une liste de candidats (art. 19 et 25 du Pacte). L’État partie devrait abolir ces restrictions pour rendre pleinement compatibles les dispositions du Code électoral avec les articles 19 et 25 du Pacte. » 100 Symptomatique de la difficulté que posent ces dispositions est la terminologie employée à l’article 3 de la décision de l’ISIE: les listes candidates « doivent éviter de traiter » avec les médias qui ne respecteraient les conditions édictées à l’article 2bis.
Il est essentiel, du reste, que les notions d’« honneur » et de
« dignité » ne puissent pas être interprétées et appliquées dans
un sens restrictif et inhibant l’expression de critiques, aussi vives
soient-elles101.
Dans ces conditions, l’autorisation donnée aux listes candidates
de faire campagne au travers des médias étrangers revient à le
leur interdire ou, du moins, à les exposer à l’incertitude et à
l’arbitraire de l’interprétation qui serait faite de ces conditions par
l’ISIE avec les conséquences négatives que cela pourrait
entraîner pour les listes candidates alors même que rien ne
pourrait leur être reproché. Si la défiance du législateur tunisien
peut s’expliquer au vu du contexte tunisien et des abus
constatés durant les dernières campagnes électorales, rien ne
peut justifier que soient imposées aux candidats des contraintes
incompatibles avec un régime de liberté de communication des
idées et des informations102. En particulier, il ne peut être fait
exception au principe de « la communication libre des
informations et des idées concernant des questions publiques et
politiques entre les citoyens, les candidats et les représentants
élus »103, essentielle au plein exercice des droits garantis à
l'article 25 du Pacte, que « de manière spécifique et
individualisée », « en particulier en établissant un lien direct et
immédiat entre l’expression et la menace »104. Dès lors qu’un
choix a été fait, celui de permettre aux ressortissants tunisiens
résidant à l’étranger de voter105 ce qui présuppose une
campagne électorale respectant les principes rappelés ci-
101 Observation générale n°34, Comité des droits de l’homme, CCPR/C/GC/34, 12 septembre 2011, paragraphe 38: « Pour ce qui est de la teneur du discours politique, le Comité a relevé que dans le cadre du débat public concernant des personnalités publiques du domaine politique et des institutions publiques, le Pacte accorde une importance particulière à l’expression sans entraves. Par conséquent, le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale, même si les personnalités publiques peuvent également bénéficier des dispositions du Pacte. De plus, toutes les personnalités publiques, y compris celles qui exercent des fonctions au plus haut niveau du pouvoir politique, comme les chefs d’État ou de gouvernement, sont légitimement exposées à la critique et à l’opposition politique. Par conséquent, le Comité s’inquiète de lois régissant des questions telles que le crime de lèse-majesté, le desacato (outrage à une personne investie d’une autorité), l’outrage à l’autorité publique, l’offense au drapeau et aux symboles, la diffamation du chef de l’État, et la protection de l’honneur des fonctionnaires et personnalités publiques, et la loi ne doit pas prévoir des peines plus sévères uniquement en raison de l’identité de la personne qui peut avoir été visée. Les États parties ne doivent pas interdire la critique à l’égard d’institutions telles que l’armée ou l’administration.» A noter également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui souligne que «les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard du gouvernement que d'un simple particulier, ou même d'un homme politique» et pour ce qui est de la diffamation, la réaction des autorités se doit d’être «adéquate et non excessive» et exclusivement face «à des imputations diffamatoires dénuées de fondement ou formulées de mauvaise foi » (affaire Castells c. Espagne, 23 avril 1992). 102 Comme indiqué au paragraphe 2 de l’article 19 du PIDCP, la liberté d’expression inclut la liberté « de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de tout espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». 103 Observation générale n°25(57), Comité des droits de l’homme, U.N. Doc. HRI\GEN\1\Rev.1 (1994), paragraphe 26. 104 Observation générale n°34, Comité des droits de l’Homme, CCPR/C/GC/34, 12 septembre 2011, paragraphe 35. 105 A noter qu’il ne ressort pas du droit international ni de la pratique d’un grand nombre de pays en la matière, une obligation ou un consensus tendant à faire peser sur les Etats l’obligation de rendre possible l’exercice du droit de vote par les citoyens résidant à l’étranger (voir par exemple à ce sujet l’affaire Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce, Cour européenne des droits de l’homme, 15 mars 2012).
35
dessus, les conséquences de ce choix doivent être assumées.
Si des conditions doivent être posées, elles ne doivent l’être qu’à
l’égard des listes candidates et non des médias étrangers. De ce
fait, il est recommandé que la loi soit amendée de façon à ce
que tout ce qui est exigé des listes candidates ne le soient qu’en
rapport à ce qui dépend d’elles exclusivement et non d’acteurs
non soumis au droit tunisien.
Recommandation
Il est recommandé que l’article 66 et les dispositions
réglementaires afférentes soient amendées de manière à
ce que les listes candidates à l’étranger puissent faire
campagne au travers des médias étrangers sans être
soumises à des conditions dont le respect est indépendant
de leur volonté. Dès lors que le vote à étranger est permis,
rien ne justifie en principe un régime dérogatoire en matière
d’accès aux médias pour les listes candidates à l’étranger.
Toutes les conditions posées à l’utilisation des médias
étrangers devraient ne concerner que ces seules listes et
non des acteurs non soumis au droit tunisien.
Section III: L’interdiction de publication de sondages
pendant la campagne électorale
L’article 70 interdit la publication de tout sondage ainsi que les
analyses et commentaires journalistiques s’y rapportant pendant
la campagne électorale (élections législatives et présidentielles,
référendums) et le jour de silence, soit pendant une durée de 22
jours. Dans l’attente de la promulgation d’une loi relative aux
sondages d’opinion, l’article 172 étend la durée de cette
interdiction à toute la période électorale106.
Toute restriction à la liberté d’expression doit être prescrite par la
loi, poursuivre un but légitime et doit être nécessaire pour
atteindre ce but. L’interdiction de publication de sondages durant
une période donnée précédant le jour de scrutin peut avoir
différentes justifications dont la légitimité n’est guère
contestable. Certains Etats invoquent le maintien de l’ordre
public ou le respect des droits d’autrui, tout deux inclus parmi les
buts légitimes à toute restriction énumérés au paragraphe 3 de
l’article 19. Leur préoccupation est de permettre à l’électorat
d’exprimer son choix, libre de toute influence extérieure, tout
sondage étant susceptible par la question posée, le moment
choisi, l’échantillonnage opéré et le traitement des résultats, de
le manipuler. Généralement, ce moratoire sur les sondages
intervient peu de temps avant le scrutin, la raison en étant que le
risque de manipulation est plus grand à l’approche du jour de
scrutin. Le Comité des droits de l’homme a considéré qu’il peut
être « légitime d’imposer des limites aux sondages politiques
juste avant un scrutin afin de garantir la régularité du processus
électoral » sans préciser cependant ce qu’il entendait ici par
« limites »107.
Reste la question de déterminer si la mesure prise est
proportionnelle à l’objectif poursuivi. Dans une affaire tranchée
par le Comité des droits de l’homme en 2005, celui-ci notait
106 Voir également les décisions de l’ISIE n°2014-25 et 2014-26 du 8 septembre 2014, articles 7 et 8 respectivement. 107 Observation générale n°34 sur l’article 19 du Pacte (CCPR/C/GC/34 - 12 Septembre 2011), paragraphe 37.
qu’un moratoire sur la publication des sondages d’une durée de
23 jours est inhabituellement long mais refusait cependant de se
prononcer sur l’incompatibilité de principe d’un moratoire de
cette durée avec l’article 19 du PIDCP108.
La pratique des Etats montre cependant qu’un moratoire qui
s’appliquerait à toute la durée de la campagne électorale,
comme le prévoit l’article 70 - et a fortiori quand ce moratoire
s’étend à toute la période électorale (les trois mois qui précèdent
le commencement de la campagne électorale)109 -, est
généralement considéré comme excessivement long d’où une
propension à ne pas y recourir ou seulement pour les tout
derniers jours de campagne électorale. Cette réticence est
renforcée par les risques de contournement du moratoire, celui-
ci ne pouvant s’appliquer aux sondages publiés à l’étranger, de
sorte que plus le moratoire est long, moins il est susceptible de
produire les effets attendus. Dans le cas d’un moratoire qui
s’étend aux commentaires des sondages (comme le précise
l’article 70), le risque est aggravé puisque rien ne pourrait alors
venir contrecarrer ou atténuer l’influence de sondages publiés à
l’étranger ainsi que leurs commentaires sur l’électorat tunisien.
Une solution moins risquée consisterait à combiner un moratoire
resserré sur la période de silence telle que définie à l’article 3
avec un renforcement de la règlementation s’appliquant aux
sondages de manière notamment à accroître la transparence en
ce qui concerne leurs conditions de réalisation, de diffusion et de
publication. Des sondages réalisés dans des conditions de plus
grande transparence atténuent les craintes d’abus ou de
manipulation qui motivent généralement une approche restrictive
(et donc des moratoires plus étendus dans le temps).
La lecture combinée des articles 3, 70 et 172 de la Loi électorale
ne permet pas de déterminer dans tous les cas de figure à quel
moment précisément le moratoire prend fin. L’article 172
impose, à titre transitoire, un moratoire portant sur toute la durée
de la période électorale. Or, l’article 3 fait une distinction entre
élections présidentielles et élections législatives selon que l’on
se réfère à la « période électorale » proprement dite ou à la
« période de silence » spécifiquement. Dans le cas d’élections
législatives, il faut se reporter au même article 3 qui précise que
la période de silence s’achève à la clôture du dernier bureau de
vote. En ce qui concerne les élections présidentielles, le même
article 3 indique que la période électorale s’étend jusqu’à la
proclamation des résultats définitifs du premier tour. Faut-il en
déduire que sitôt l’article 70 entré en vigueur, c’est-à-dire une
fois qu’une loi réglementant les sondages d’opinion aura été
adoptée, il deviendra possible, dans le cas d’élections
présidentielles, de publier des sondages d’opinion entre la
fermeture du dernier bureau de vote et la proclamation des
résultats définitifs? Les décisions de l’ISIE susmentionnées ne
clarifient pas ce point. Il y a là une ambigüité qu’il conviendrait
de lever.
Il serait également important de préciser à l’article 70 ce qui est
entendu par «sondages directement et indirectement liés aux
108 Communication 968/2001, Kim Jong-Cheol c. République de Corée, U.N. Doc. CCPR/C/84/D/968/2001 (2005), paragraphe 8.3. 109 Cf. Articles 3 et 50 de la Loi électorale.
36
élections et référendums» de manière à ce que les instituts de
sondage puissent à l’avance prévoir de quelle manière la loi sera
appliquée et notamment si les sondages sortie des urnes sont
également visés par la loi.
Recommandation
Il est recommandé de raccourcir la durée du moratoire sur
la publication des sondages d’opinion et des commentaires
journalistiques afférents, en le recentrant sur la « période de
silence » telle que définie à l’article 3 (24 heures avant et
durant le jour du scrutin). Il est également recommandé que
comme prévu à l’article 172 de la Loi électorale, une loi
réglementant les sondage d’opinions soit adoptée d’ici les
prochaines élections, et qu’elle permette d’accroître la
transparence dans le mode de production, de diffusion et de
publication des sondages de manière à lever les
inquiétudes ayant conduit, dans le cadre de la campagne
électorale, à l’imposition d’un moratoire d’une durée
particulièrement longue. Enfin, la loi devrait lever toute
ambigüité au sujet du moment auquel prend fin ce
moratoire, notamment dans le cas d’élections
présidentielles.
IX. LE FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE ELECTORALE
Section I: Les sources de financement
L’article 75 de la Loi électorale dispose que les candidats (ou
listes de candidats) peuvent financer leur campagne électorale
par des ressources propres («autofinancement»), des dons ou
prêts («financement privé») ou des indemnités perçues au titre
de l’aide publique. L’aide publique permet aux candidats de
recevoir une indemnité d’un montant fixé par décret
gouvernemental110 (après consultation de l’Instance) en fonction
de différents paramètres (la taille de la circonscription, le nombre
d’électeurs dans la circonscription, le niveau de vie, etc.)111. La
moitié du montant de l’indemnité est perçue avant le début de la
campagne électorale. La seconde moitié l’est dans un délai
d’une semaine après l’annonce des résultats définitifs du scrutin
mais à condition que le candidat apporte la preuve qu’il a
dépensé la première tranche au titre de dépenses électorales et
qu’il a déposé sa comptabilité auprès du Tribunal des comptes.
Tout candidat ayant recueilli moins de 3% des votes exprimés à
l’échelle nationale (pour l’élection présidentielle) ou toute liste
ayant obtenu moins de 3% des voix exprimées de la
circonscription électorale et n’ayant pas obtenu de siège à
l’Assemblée, doit restituer l’intégralité du montant de
l’indemnité112.
Il y a une contradiction apparente en termes de délai entre
l’article 78 et l’article 86. Comme indiqué ci-dessus, l’article 78
110 Cf. Décret n°2014-2761 du 1er août 2014 et décret n°2014-3038 du 29 août 2014, fixant le plafond global des dépenses de la campagne électorale et le plafond du financement privé ainsi que le plafond du financement public et ses conditions et procédures, respectivement, pour les élections législatives de l'année 2014 et pour l’élection présidentielle de l’année 2014. 111 Cf. Article 81 de la Loi électorale. 112 Cf. Article 78 de la Loi électorale.
donne aux candidats ou listes un délai d’une semaine après
l’annonce des résultats définitifs pour apporter notamment la
preuve que leur comptabilité a été déposée auprès du Tribunal
des comptes. Or, aux termes de l’article 86, chaque candidat ou
liste a un délai de 45 jours à compter de la proclamation des
résultats définitifs de l’élection pour déposer sa comptabilité
auprès du Tribunal des comptes. A cela s’ajoute le peu de
probabilité que les candidats soient en mesure, dans un délai
d’une semaine seulement, de fournir la preuve qu’ils ont
employé la première tranche de l’indemnité à bon escient.
L’obligation faite aux listes candidates à l’élection législative
d’obtenir au moins 3% des suffrages exprimés de la
circonscription électorale ainsi qu’au moins 1 siège dans
l’Assemblée pour ne pas avoir à restituer l’intégralité de
l’indemnité publique est de nature à dissuader les candidatures
« frivoles » ou non sérieuses.
Recommandations
Il est recommandé de rendre compatibles ou de clarifier les
délais indiqués aux articles 78 et 86 respectivement, à
savoir un délai d’une semaine (article 78) pour apporter la
preuve du dépôt de la comptabilité auprès du Tribunal des
comptes (afin de percevoir la deuxième tranche de
l’indemnité) et un délai de 45 jours, toujours à compter de la
proclamation des résultats définitifs de l’élection, pour
déposer la comptabilité auprès du même Tribunal des
comptes.
Du reste, le délai d’une semaine accordé aux candidats
pour apporter la preuve que la première tranche de
l’indemnité a été dépensée au titre de « dépenses
électorales », à défaut de laquelle ils ne peuvent percevoir
la deuxième tranche de l’indemnité, devrait être allongé car
il est peu probable que les candidats aient la possibilité,
dans un laps de temps aussi court, de remplir cette
condition.
Section II: Les financements privés (dons et prêts)
Parmi les sources de financement de leurs campagnes
électorales dont disposent les candidats figurent les dons ou
prêts (« financement privé ») qui ne peuvent dépasser un
plafond dont le mode de calcul est défini à l’article 77. L’article
87 impose aux candidats ou listes l’obligation de publier leurs
« comptes financiers » dans l’un des quotidiens publiés en
Tunisie et ce, dans un délai de deux mois à compter de la date
de proclamation des résultats définitifs du scrutin.
Cette obligation se limite aux seuls « comptes financiers » mais
n’inclut pas la publication de l’identité des donateurs. Il est
suggéré que les textes prévoient explicitement la publication de
l’identité des donateurs ce qui contribuerait à accroître la
transparence de la campagne et, par delà, la confiance de
l’électorat. Les mesures prises par les Etats, relatives aux dons
aux partis politiques dans le cadre ou non d’une campagne
électorale, devraient contenir des règles spécifiques pour
assurer la transparence des dons et éviter les dons occultes113
113 Il est à noter que l'article 24 du décret-loi n°2011-87 du 24 septembre 2011, portant organisation des partis politiques, impose, entre autres, à ces derniers de tenir « un registre d'aides, dons,
37
mais également pour assurer l’indépendance des partis
politiques114.
Recommandation
Il est suggéré de considérer la possibilité d’accroître la
transparence des dons et prêts consentis aux candidats ou
listes candidates, notamment en exigeant de ceux-ci qu’ils
publient, en plus de leurs comptes financiers (comme exigé
à l’article 87), la liste de leurs donateurs.
X. LES OPERATIONS DE VOTE
LE VOTE DES ELECTEURS HANDICAPES
Durant les travaux préparatoires de la Convention sur les droits
des personnes handicapées des Nations Unies, ratifiée par la
Tunisie en 2008, la question du vote assisté des électeurs
porteurs de handicap a donné lieu à des débats animés compte
tenu des dangers de manipulations que comporte ce type de
procédure. Il n’y a pas de normes internationales sur le sujet
mais du principe du vote secret peut être déduit un certain
nombre de sauvegardes applicables au cas spécifique du vote
assisté des électeurs handicapés115. De plus en plus de pays les
appliquent.
L’article 34 de la Constitution exige de l’Etat qu’il «protège les
personnes handicapées de toute discrimination», tout en
affirmant le droit de tout citoyen handicapé à « bénéficier, selon
la nature de son handicap, de toutes les mesures qui lui
garantissent une pleine intégration dans la société » et
l’obligation de l'Etat à « prendre toutes les mesures nécessaires
à la réalisation de cet objectif ». Dans ce cadre, l’article 132 de
la Loi électorale prévoit qu’un électeur non-voyant ou ayant une
déficience motrice peut se faire assister par un accompagnateur
de son choix qui ne peut être qu’un conjoint, un ascendant ou un
donations et legs en distinguant ceux qui sont en nature de ceux en numéraire et en déterminant leurs valeurs et les noms des personnes qui en sont l’origine. Le parti tient ce registre à son siège central ». 114 Voir sur cette question la recommandation (2003)4 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe « sur les règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales ». A noter que ces règles contiennent un article 3 qui dispose que « les Etats devraient prévoir que les dons aux partis politiques, notamment ceux dépassant un plafond établi, soient rendus publics ».
115 Elles peuvent se résumer de la manière suivante. En premier lieu, tout électeur porteur de handicap doit être libre de choisir la personne qui l’aidera à voter et, en aucun cas, ne doit avoir son choix limité aux seuls membres du personnel du bureau de vote. En principe, la personne choisie par l’électeur ne devrait pas être désignée par un membre du personnel du bureau de vote ou qui que ce soit d’autre que l’électeur lui-même. Si l’électeur handicapé n’a personne présent pour l’assister, il devrait pouvoir choisir à cette fin un membre du personnel du bureau de vote mais la même personne, qu’elle soit ou non membre du personnel du bureau de vote, ne devrait pas être autorisée à assister plus d’un électeur. Des mesures protectrices de l’intégrité du vote de l’électeur porteur de handicap doivent également être mises en place. Il faut notamment exiger de la personne qui assiste qu’elle remplisse tous les critères pour l’exercice du droit de vote prévus par la loi, ou qu’elle soit enregistrée dans le même bureau de vote que l’électeur qu’elle assiste. La personne qui assiste devrait être dans l’obligation de respecter le choix de l’électeur qu’elle assiste ainsi que le caractère secret de son vote. Le non-respect de cette obligation devrait être punissable par la loi.
descendant de l’électeur concerné. L’article 131 de la Loi
électorale et l’article 33 de la décision n°2014-30 du 8 septembre
2014 précisent que pour bénéficier de cette assistance,
l’électeur doit être porteur d’une carte de handicap. Au cas où
l’électeur n’est pas accompagné, le Président du bureau de vote
désigne, à la demande de ce dernier, un électeur présent afin
qu’il l’assiste. Le même électeur ne peut être désigné plus d’une
fois.
Par ailleurs, l’article 131 précise que les bureaux de vote doivent
être aménagés de façon à permettre aux électeurs porteurs de
handicap d’exercer leur droit de vote. Il est essentiel que les
électeurs porteurs de handicap ne soient pas seulement placés
dans des « conditions favorables » pour l’exercice de leur droit
de vote, mais mis en situation de l’exercer « sur la base de
l’égalité avec les autres » électeurs116.
A cet égard, des dispositions complémentaires pourraient être
prises par l’ISIE afin de préciser le type d’aménagements
susceptibles d’améliorer l’accessibilité du bureau de vote ce qui
doit s’apprécier non seulement au regard du choix de
l’emplacement du bureau de vote et de sa configuration mais
également des « procédures, équipements et matériels
électoraux » qui doivent être « appropriés, accessibles et faciles
à comprendre et à utiliser ».
Ces dispositions ne devraient pas se limiter à des mesures
applicables seulement le jour du scrutin. Elles devraient
permettre une meilleure diffusion des informations en amont de
l’élection ainsi que la mise en place de campagnes d’information
et de sensibilisation destinées à accroître la participation des
personnes handicapées à la vie publique. En ce sens, le dernier
alinéa de l’article 67 qui prévoit que « sont prises en
considération les nécessités spécifiques relatives aux candidats
handicapés » mériterait d’être précisé dans la loi ou par l’ISIE
directement.
Recommandations
L’ISIE devrait préciser à l’avenir le type d’aménagements
susceptibles d’accroître l’accessibilité du bureau de vote ce
qui doit s’apprécier non seulement au regard du choix de
l’emplacement du bureau de vote et de sa configuration
mais également des « procédures, équipements et
matériels électoraux » utilisés.
L’ISIE devrait avoir un rôle à jouer dans le lancement et la
promotion de campagnes d’information et de sensibilisation
destinées à accroître la participation des personnes
handicapées à la vie publique. Elles devraient prendre des
mesures visant à assurer une meilleure diffusion des
informations en amont de l’élection. En ce sens, le dernier
alinéa de l’article 67 qui prévoit la prise en compte des «
nécessités spécifiques » aux candidats mériterait d’être
précisé dans la loi ou par l’ISIE directement.
116 Article 9 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Voir aussi les articles 3, 5 et 29.
38
XI. LES INFRACTIONS ELECTORALES
Le décret-loi n°2011-35 ne comportait pas plus de 5 articles
définissant les infractions à la législation électorale ainsi que les
peines encourues. La Loi électorale amplifie et affine ce
dispositif en distinguant deux types d’infractions: les infractions
électorales proprement dites (Titre VI de la loi contenant 19
articles) et les infractions aux règles relatives au financement de
la campagne électorale (Titre IV, Chapitre II sur le financement
de la campagne électorale, section 4).
Sous différents rapports, les nouvelles dispositions constituent
une avancée significative au regard des mêmes dispositions
contenues dans le décret-loi n°2011-35. En particulier, la
nomenclature des peines encourues a été revue dans le sens
d’une plus grande proportionnalité entre type d’infractions et
peines encourues et d’une précision plus grande dans la
définition des infractions. Seules les infractions les plus graves
constituant des atteintes directes à l’intégrité du processus
électoral et ayant ou étant susceptibles d’avoir un impact
substantiel sur celui-ci, sont passibles de peines
d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 5 ans
d’emprisonnement en cas de recours à la violence117
. Par
ailleurs, s’agissant de la peine encourue, nombre de dispositions
indiquent une fourchette de peines au lieu de peines fixes,
comme c’était le cas dans le décret-loi n°2011-35. Cela permet
une meilleure modulation de la peine et constitue, à ce titre, une
amélioration. Cependant, certaines dispositions de la Loi
électorale font problème et pourraient être améliorées.
SANCTIONS POUR LA VIOLATION DE L’INTERDICTION DE
FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE ELECTORALE PAR DES
FONDS ETRANGERS
Sur la question spécifique du financement de la campagne par
des fonds provenant de l’étranger, l’article 163 de la Loi
électorale prévoit, en plus du versement d’une amende, une
peine d’emprisonnement de 5 ans pour tout candidat à l’élection
présidentielle qui aurait bénéficié de ces fonds. En 2011, dans le
même cas mais s’agissant alors des seuls candidats à l’ANC,
l’article 77 du décret-loi n°2011-35 prévoyait une peine d’un an
d’emprisonnement mais aucune sanction financière. L’article
163, quant à lui, ne prévoit de peines d’emprisonnement que
dans le cas de l’élection présidentielle. Les candidats à l’élection
législative perdent leur mandat mais pour la même infraction, ne
sont passibles, d’aucune peine d’emprisonnement.
La seule sanction du vote - ou disqualification par le vote - n’est
généralement pas considérée comme suffisamment dissuasive
dans les cas de fraude électorale (par opposition aux
irrégularités) ou de pratiques destinées à corrompre le vote ou
les conditions de formation ou d’expression de la volonté des
électeurs. Sur ces questions, la pratique des Etats montre leur
117 Le décret-loi n°2011-35 prévoyait une peine d’emprisonnement de 5 ans pour un plus grand nombre d’infractions dont certaines, a priori, moins graves que celles aujourd’hui passibles d’une même peine d’emprisonnement (Cf. Article 76 du décret-loi, article 162 de la Loi électorale).
attachement à combiner disqualification politique et
disqualification juridique. Dans cet esprit, la sanction financière
peut elle-même s’avérer insuffisamment dissuasive compte tenu
des moyens financiers dont certains candidats pourraient
éventuellement disposer. De ce point de vue, l’inéligibilité, sans
compter le discrédit qui ne manquerait pas de rejaillir sur le
candidat concerné, a un caractère dissuasif indéniable. Au-delà
de ces deux types de sanction, les plus évidentes et
communément admises et appliquées, le doute est permis.
Imposer de lourdes peines de prison, c’est franchir un pas qui,
selon les cas et surtout la gravité des faits reprochés, pourrait
être considéré comme ressortant de la surenchère répressive. A
cet égard, la peine de cinq ans d’emprisonnement prévue dans
le cas de l’élection présidentielle, s’ajoutant à la peine
d'inéligibilité et à la sanction financière (celle-ci pouvant être
modulée entre un montant minimum et un montant maximum en
fonction de la gravité des faits) parait disproportionnée.
On peut se demander ce qui peut justifier que pour les mêmes
faits, les membres de l’Assemblée des représentants du peuple
ne soient plus passibles d’une peine d’emprisonnement alors
que leurs collègues de l’ANC l’étaient et que pour les candidats
à l’élection présidentielle, cette peine soit portée à cinq ans
d’emprisonnement. Toute chose étant relative, cette sévérité,
justifiée sans doute par le caractère éminent de la fonction
présidentielle et le souci, dans ce cas particulier, de prévoir une
peine exemplaire, est d’autant plus discutable sur le principe
qu’il semble, à la lecture des dispositions de la seule Loi
électorale, que le juge n’a ici aucune marge d’appréciation.
L’article 53 du Code pénal autorise le tribunal, lorsque les
circonstances le justifient, d’atténuer la peine prévue en
l’abaissant au-dessous du minimum légal. Or, si
l’emprisonnement prévu n’est pas supérieur à cinq années, la
peine peut être abaissée à un jour, voire convertie en une
amende (article 53, alinéa 7). L’application de l’article 53 du
Code pénal avait été expressément écartée dans le décret-loi
n°2011-35 (article 78, paragraphe 2), ce qui n’est pas le cas
dans la Loi électorale. A supposer que cela implique que l’article
53 du Code pénal soit applicable, il n’est cependant pas clair
comment cela se ferait dans le cas aussi particulier d’un
candidat à l’élection présidentielle et quelles circonstances
pourraient dans ce cas justifier une atténuation de la peine.
La difficulté que pose cette disposition est accrue si l’on
considère que l’article 80 qui énonce une interdiction de principe
de recourir à des fonds étrangers pour financer la campagne
électorale, renvoie en partie à des textes d’application pour
préciser les modalités et le champ d’application de cette
interdiction. Dans sa décision n°2014-20 du 8 août 2014, fixant
les règles, les procédures et les modalités de financement de la
campagne électorale, l’ISIE définit la notion de « financements
étrangers »118. Il est essentiel que des règles dont la violation est
118 Article 19: « sont considérés financements étrangers, les financements en numéraire, en nature ou en propagande, provenant de : - Gouvernements étrangers, - Personnes morales étrangères, publiques ou privées, quelles que
soient leurs activités et même si elles ont des filiales en Tunisie, - Personnes physiques étrangères, même si elles sont résidentes en
Tunisie ou si elles ont une source de revenu tunisienne au sens de la
39
passible, outre l’inéligibilité, d’une peine « automatique » de cinq
ans d’emprisonnement, soient précisées dans la loi, et non dans
un texte adopté par une entité administrative qui n’est elle-même
pas soumise à un calendrier pour adopter ces règles. A défaut,
l’article 163 pourrait être considéré comme problématique au
regard de l’article 25 du PIDCP tel qu’interprété par le Comité
des droits de l’homme119.
L’article 163 prévoit la possibilité pour tout candidat à l’élection
présidentielle qui aurait bénéficié de fonds étrangers d’être
déclaré inéligible « pour les élections législatives et
présidentielles suivantes », sans qu’il soit clair si l’inéligibilité
s’applique aux seules prochaines élections ou à toutes les
élections suivantes. Ce point devrait être précisé ou clarifié dans
la loi.
En conclusion, il est donc recommandé de permettre au juge de
moduler la peine encourue par tout candidat à l’élection
présidentielle ayant enfreint les règles d’utilisation de fonds
étrangers en fonction de la gravité des faits constatés, ce sur la
base de l’article 53 du Code pénal ou de toute autre disposition
pertinente. Il pourrait être envisagé de prévoir une fourchette
entre une peine minimale et une peine maximale. La notion de
« financement étranger » devrait être définie dans la loi.
Recommandations
Il est recommandé de permettre au juge de moduler la
peine encourue par tout candidat à l’élection présidentielle
ayant enfreint les règles d’utilisation de fonds étrangers en
fonction de la gravité des faits constatés, ce sur la base de
l’article 53 du Code pénal ou de toute autre disposition
pertinente. Il pourrait être envisagé de prévoir, en lieu et
place d’une peine automatique de cinq ans, une fourchette
entre une peine minimale et une peine maximale.
Les peines particulièrement sévères énoncées à l’article
163 sont prononcées en cas de violation de règles dont il
apparait que certains aspects (notamment la notion même
de «financement étranger») ne sont pas précisés dans la
loi. C’est une atteinte au principe de légalité et de sécurité
juridique. Il est recommandé que ce soit la loi et non des
textes d’application pour l’adoption desquels aucun
calendrier n’est précisé contienne toutes les précisions
nécessaires de façon à ce que les candidats puissent
conformer, en temps utile, leurs actions aux exigences de la
loi.
législation fiscale,
- Donations, dons ou subventions considérés comme étant de source étrangère au sens de la législation fiscale et quelle que soit la nationalité du bailleur de fonds,
- Financement par des tunisiens à l’étranger des candidats à l’élection présidentielle, qu’il s’agisse d’autofinancement ou de financement privé.
N’est pas considéré financement étranger, le financement par des tunisiens à l’étranger des listes candidates dans les circonscriptions électorales à l’étranger. » 119 CCPR/C/21/Rev.1/Add.7, Observation générale n°25, Comité des droits de l’homme: « Les motifs de destitution de personnes élues à une charge officielle devraient être établies dans des lois fondées sur des critères objectifs et raisonnables et prévoyant des procédures équitables. » (Paragraphe 16).
XII. LES OBSERVATEURS
L’observation des élections est essentielle pour permettre de
constater que le processus électoral s’est déroulé dans le
respect du droit interne de l’Etat concerné et des engagements
internationaux de ce dernier en matière électorale. L’article 4 de
la Loi électorale précise que l’ISIE arrête les conditions et
procédures d’accréditation des observateurs chargés de « suivre
le processus électoral »120.
Il est essentiel que ces conditions et procédures soient fixées en
temps utile, soit dès le commencement de la phase de
précampagne électorale étant donné que l’observation, qu’elle
soit nationale ou internationale, ne doit pas être entendue dans
le sens étroit d’une observation limitée au jour du scrutin mais
couvrant l’ensemble du processus électoral121
. L’emploi des
mots «processus électoral» à l’article 4 semble indiquer que
cette dimension est bien prise en compte. Cependant, c’est à
l’article 123 du Chapitre III du Titre V de la Loi électorale qui
porte sur le vote, le dépouillement et la proclamation des
résultats qu’est fait mention de la nécessité pour l’ISIE de fixer
un délai pour le dépôt des demandes d’accréditation (sans
préciser, du reste, le délai dans lequel ces demandes devront
être examinées) ce qui pourrait laisser penser que l’observation
est entendue comme se limitant aux seules opérations de vote.
Néanmoins, les textes d’application de l’ISIE sont dans l’esprit
de l’article 4 de la loi122, prévoyant explicitement la possibilité
pour les observateurs d’observer les opérations d’inscription des
électeurs.
Reste la question de l’accréditation. Dans sa décision n°2014-9
du 9 juin 2014, fixant les conditions et les procédures
d’accréditation des observateurs nationaux et étrangers pour les
élections et le référendum, l’ISIE indique que les demandes
d’accréditation sont acceptées dans les délais fixés par l’ISIE
pour chaque élection ou référendum, à condition que les
demandes soient présentées au moins une semaine avant le
jour du scrutin ou du référendum (article 5). Il semble donc que
le délai d’une semaine avant le jour du scrutin dont il est
question à l’article 5 se réfère à une date-butoir au-delà de
laquelle les demandes d’accréditation ne seront plus
considérées. Mais à défaut de toute précision sur le délai dont
dispose l’ISIE pour traiter les demandes d’accréditation, la
possibilité pour les observateurs d’observer les opérations
d’inscription des électeurs reste suspendue au bon vouloir de
l’ISIE. La loi comme la décision de l’ISIE ne précisent pas ce
point. Cela implique que ce délai, laissé à l’entière appréciation
120 Cf. également article 3.10 de la Loi organique sur L’ISIE. 121 Cf. CDL-AD(2002) 23 Rev. - 23 mai 2003, paragraphes 86 à 91.
122 L’article 7 de la décision n°2014-9 du 9 juin 2014 précise que les observateurs nationaux et étrangers ont le droit de suivre les différentes étapes du processus électoral ou référendaire relatives « à l’inscription sur les listes électorales, aux candidatures, à la période électorale ou référendaire, au scrutin, au dépouillement, à la compilation des résultats, […] ». L’article 21 de la décision n°2014-7 de l’ISIE prévoit des places réservées dans les bureaux d’inscription aux observateurs munis de cartes d’accréditation afin leur permettre de suivre l’opération d’inscription des électeurs.
40
de l’ISIE, peut varier d’une élection à l’autre. Or, pour les
organisations qui souhaitent observer l’ensemble du processus
électoral, il est essentiel de savoir dans quel délai leur demande
sera traitée.
L’article 7 de la décision susmentionnée dispose que les
observateurs nationaux et étrangers ont le droit d’accéder aux
bureaux d’inscription et aux bureaux de vote et de
dépouillement. Ils ont également le droit de suivre les différentes
étapes du processus électoral ou référendaire, y compris la
compilation des résultats, mais il ne leur est pas reconnu, dans
ledit article 7, de manière explicite un droit d’accès aux centres
de collecte des résultats. Ce n’est que par décision de l’ISIE
n°2014-32 du 14 octobre 2014, relative aux règles et procédures
de calcul et de proclamation des résultats, que les observateurs
ont été autorisés à « accéder au bureau centralisateur et aux
centres de collecte » (article 13 de la décision). Il est important
que les droits des observateurs ainsi que les lieux spécifiques
auxquels ils ont accès soient précisés dans la loi. En particulier,
la loi devrait reconnaître un droit d’accès aux centres de collecte.
La Loi électorale et pas davantage les textes d’application ne
reconnaissant aux observateurs le droit d’assister aux réunions
du Conseil de l’Instance et des instances régionales de l’ISIE. La
reconnaissance d’un tel droit n’est pas sans risques et il est
légitime que la sérénité des débats au sein de l’ISIE ne soit pas
altérée par la présence de personnes extérieures, sachant que
cela entretient davantage une illusion de transparence qu’une
authentique transparence. Il est en revanche essentiel que
toutes les décisions prises par l’ISIE soient communiquées en
temps utile. Les observateurs accrédités devraient pouvoir
assister aux audiences des tribunaux en charge du contentieux
électoral.
Enfin, la loi tout comme les textes d’application n’évoquent pas
la question des retraits d’accréditation. Il est recommandé que
les textes d’application précisent la procédure s’appliquant aux
retraits d’accréditation en prévoyant des garanties et des
réponses graduées en fonction de la gravité des faits reprochés.
Recommandations
Il est recommandé que la Loi électorale précise une date-
limite pour l’examen des demandes d’accréditation par
l’ISIE. Il est important que les organisations qui souhaitent
observer l’ensemble du processus électoral sachent de quel
délai dispose l’ISIE pour traiter leur demande
d’accréditation.
Les observateurs devraient voir leurs droits précisés dans la
loi ainsi que les lieux auxquels ils peuvent se rendre. En
particulier, ils devraient se voir reconnaître dans la loi un
droit d’accès aux centres de collecte.
Obligation devrait être faite à l’ISIE, à son Conseil comme à
ses instances régionales, de communiquer toutes ses
décisions en temps utile.
Il est recommandé que les textes d’application précisent la
procédure s’appliquant aux retraits d’accréditation en
prévoyant des garanties et des réponses graduées en
fonction de la gravité des faits reprochés.
XIII. LE CONTENTIEUX ELECTORAL
La reconnaissance des droits électoraux tels qu’énoncés à
l’article 25 du PIDCP serait d’une portée réduite si elle pouvait
être dissociée du droit à un recours effectif dont la finalité est
précisément de garantir le respect de ces mêmes droits. Le droit
à un recours effectif ou utile est un droit fondamental reconnu
comme tel dans de nombreux instruments internationaux123.
Appliqué aux droits électoraux, il peut se définir comme le droit à
ce que ces mêmes droits (droits de suffrage, liberté
d’association, liberté d’expression, liberté des médias, liberté de
réunion, etc.) soient protégés efficacement par la possibilité
ouverte à tous d’obtenir réparation devant les tribunaux ou toute
autre entité de leur éventuelle violation124.
Le contentieux électoral se subdivise en autant de segments que
le processus électoral compte de phases successives, de
l’inscription des électeurs à l’annonce des résultats, en passant
par le dépôt des candidatures, la campagne électorale et les
opérations de vote, de décompte et d’agrégation des voix.
123 L’article 2.3 du PIDCP dispose que les Etats Parties au Pacte s’engagent à: « a) garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles; b) garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel; c) garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié. » Un recours utile (ou effectif) se caractérise essentiellement par quatre critères : C’est un recours accessible pour le justiciable. C’est un recours qui intervient en temps utile. C’est un recours idéalement de nature juridictionnelle. C’est un recours tranché dans le cadre d’un procès équitable. 124 Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies reconnait qu’en ce qui concerne la phase du vote et du dépouillement, les électeurs doivent avoir la « possibilité de recourir à un examen par les tribunaux ou à une autre procédure équivalente ». Dans sa Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières (1994), le Conseil de l’Union interparlementaire considère comme indispensable à la conduite d’élections démocratiques que l'Etat veille « à ce que les violations des droits de l'homme et les contestations relatives au processus électoral soient traitées efficacement et promptement durant la période électorale, par une autorité indépendante et impartiale telle que les tribunaux ou une commission électorale ». A cette déclaration de principe s’ajoutent des éléments centrés sur des droits spécifiques, celui de « tout individu privé du droit de voter ou de s'inscrire en qualité d'électeur » qui doit pouvoir « faire appel d'une telle décision devant une juridiction compétente pour examiner celle-ci et corriger les erreurs promptement et efficacement », celui « à la protection de la loi et à une voie de recours en cas de violation des droits politiques et électoraux » pour tout individu et tout parti politique. La Commission de Venise, dans son Code de Bonne Conduite en matière électorale, est encore plus spécifique en ce qu’elle bascule de l’exigence d’un droit de recours effectif à celle d’un système de recours efficace, lui-même décliné en plusieurs composantes. Ces textes traduisent l’importance accordée par la communauté internationale à des règles communes pour une juste, effective et impartiale résolution des litiges. Premier texte de droit international public à faire directement référence au « contentieux électoral », la Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (entrée en vigueur le 15 février 2012) affirme l’engagement des Etats parties à « créer et renforcer les mécanismes nationaux pour régler, dans les meilleurs délais, le contentieux électoral » (article 17(2)).
41
Lors de chacune de ces phases, les droits fondamentaux
reconnus par le PIDCP doivent être protégés contre
d’éventuelles violations. Doivent donc être mis en place des
mécanismes de recours utiles permettant aux citoyens
(électeurs et candidats) de contester les atteintes qui pourraient
être portées à leurs droits fondamentaux.
Section I: Contentieux de l’inscription des électeurs
Accessibilité
La Loi électorale prévoit que le contentieux relatif aux listes des
électeurs se déroule en deux phases: une phase pré-
juridictionnelle suivie d’une phase juridictionnelle avec un double
degré de juridiction pour cette dernière.
Lors de la phase pré-juridictionnelle, le contentieux est traité par
les instances régionales de l’ISIE (article 14)125. L’article 21 de la
loi relative à l’ISIE dispose que cette dernière « peut créer, à
l’occasion des élections ou des référendums, des Instances
régionales chargées de l’aider à accomplir ses missions telles
que définies dans la présente loi ». La loi relative à l’ISIE ne
donne aucune indication quant au nombre d’instances
régionales susceptibles d’être créées par le Conseil de l’ISIE et
à leur répartition géographique. En ce qui concerne les élections
législatives de 2014, l’ISIE a créé une instance régionale dans
chaque circonscription en Tunisie. Dans une telle hypothèse, il y
a une relative proximité pour le requérant afin qu’il puisse
déposer, le cas échéant, une opposition126.
Sur le fond, le contentieux de l'enregistrement des électeurs
n'est pas problématique et il est plus efficace d’en charger
l'administration électorale en premier ressort. Cela dit, il est
essentiel que les instances régionales opèrent de manière
uniforme, soient efficaces (notamment capables de rendre des
décisions motivées en un temps limité), impartiales et perçues
comme telles par les acteurs du processus électoral. Si ce
contentieux n’est techniquement pas problématique pour des
juges, il peut néanmoins l’être pour des non-professionnels
appelés à trancher en un temps extrêmement limité. Par
conséquent, il est essentiel que toutes les précautions soient
prises pour s’assurer du professionnalisme des instances
régionales en matière de contentieux.
En ce qui concerne la phase juridictionnelle, un premier recours
est ouvert devant le tribunal de première instance
territorialement compétent, suite à quoi un appel est possible
devant la cour d’appel territorialement compétente.
Il existe en Tunisie, dans chaque gouvernorat, un Tribunal de
première instance. Toutefois, dans les gouvernorats de Tunis,
Sousse, Sfax et Nabeul (les plus peuplés), il y a deux tribunaux
de première instance par gouvernorat. Chaque gouvernorat
constitue une circonscription électorale à l’exception de Tunis,
125 C'est le guide du contentieux de l’inscription des électeurs publié par l’ISIE qui précise que ce sont les instances régionales de l’ISIE (IRIE) qui statuent sur les oppositions. 126 L’article 15 du Code électoral (abrogé par la Loi électorale) prévoyait un recours devant une commission de révision, qui est envoyé au Président de la Municipalité ou au chef de secteur, ce qui assurait une meilleure proximité, compte tenu de la taille actuelle des circonscriptions qui englobent plusieurs communes et secteurs.
Sfax et Nabeul qui sont divisés chacun en deux circonscriptions
électorales. Les recours devant les tribunaux de première
instance garantissent une relative proximité aux citoyens qui
voudraient recourir devant une juridiction.
Il existe actuellement en Tunisie dix cours d’appel127. Bien que
les dix cours d’appel offrent une accessibilité variable en fonction
des gouvernorats qui relèvent de leur juridiction128, on peut
estimer que la solution retenue par la Loi électorale est
satisfaisante, constituant une avancée par rapport à la situation
antérieure129.
Est en revanche problématique le fait que la durée de
publication des listes des électeurs ne soit que d’un seul jour
(voir Chapitre VI). Une durée aussi brève est manifestement
insuffisante pour que les électeurs aient le temps de consulter
les listes et donc de faire éventuellement des réclamations.
Double degré de juridiction
Au niveau de la phase juridictionnelle, la Loi électorale prévoit un
double degré de juridiction. A priori, cela peut paraître excessif
étant donné la nature du contentieux. Il semble que les membres
de l'ANC qui ont adopté la Loi électorale ont fait ce choix afin de
se conformer à la Constitution tunisienne qui consacre à l'article
108130 le principe du double degré de juridiction.
Du point de vue du droit international, le double degré de
juridiction ne s’impose que dans le cas de condamnation pour
des infractions pénales (article 14, paragraphe 5 du PIDCP).
Dans son Observation générale n°32, le Comité des droits de
l’homme indique que les garanties procédurales énoncées aux
paragraphes 2 à 5 de l’article 14 du PIDCP - mentionnant entre
autres l’obligation de réexamen par une juridiction supérieure -
sont reconnues à toute personne accusée d’une infraction
pénale (paragraphe 3 de l’Observation générale). Le Comité
précise que « le paragraphe 5 de l’article 14 [obligation de
réexamen par une juridiction supérieure] ne s’applique pas aux
procédures portant sur des droits et obligations de caractère civil
ni à aucune autre procédure qui n’est pas un élément du
système d’appel pénal, comme les recours constitutionnels »
(paragraphe 46)131.
Le contentieux de l’inscription des électeurs n’est pas donc
concerné par cette obligation. Toutefois, la généralisation du
double degré de juridiction en matière civile et pénale semble se
confirmer dans de nombreux Etats et il est vrai que rien ne s’y
127 Tunis, Bizerte, Kef, Gafsa, Gabes, Médenine, Sfax, Sousse, Monastir et Nabeul. 128 Par exemple la Cour d’appel du Kef couvre les gouvernorats du Kef, de Jendouba, de Siliana et de Kasserine, ce qui représente une superficie de 21,083 km² soit 13% de la superficie totale de la Tunisie. 129 Il est à noter que le décret-loi n°2011-35 relatif à l’élection à l’Assemblée nationale constituante ne prévoyait qu’un seul degré de juridiction, à savoir devant les tribunaux de première instance. La Loi électorale a ajouté un deuxième degré de juridiction, ce qui donne plus de garanties aux justiciables. 130 Article 108 de la Constitution tunisienne: « Le droit d’ester en justice et le droit de la défense sont garantis. La loi facilite l’accès à la justice et assure l’aide judiciaire aux plus démunis. Elle garantit le droit au double degré de juridiction (…). » 131 CCPR/C/GC/32 du 23 août 2007. Voir également la position du Comité des droits de l’homme telle qu’exprimée dans l’affaire Leonid Sinitsin c. Belarus (Communication No. 1047/2002, U.N. Doc. CCPR/C/88/D/1047/2002 (2006)).
42
oppose en principe. Cela fait partie d’un mouvement d’ensemble
consistant à étendre aux procédures civiles le bénéfice des
garanties attachées au procès pénal. Il y a lieu de se demander
cependant si, dans le cadre du contentieux de l’inscription des
électeurs où les délais d’examen sont particulièrement courts, le
double degré de juridiction ne représente pas une contrainte
excessive.
Recommandation
Par souci d’efficacité, il est recommandé de considérer
l’opportunité d’alléger la phase juridictionnelle du
contentieux de l’inscription des électeurs en ne prévoyant
qu’un seul degré de juridiction.
A noter qu’il semble que réviser la Loi électorale sur ce point
nécessiterait au préalable, la révision de l’article 108 de la
Constitution tunisienne qui instaure un principe général de
double degré de juridiction.
Procédure simplifiée
Une spécificité du contentieux électoral est la double exigence
de promptitude et d’efficacité dans le traitement des
contestations. Promptitude est entendue en référence à
l’ensemble des mesures prises pour permettre le traitement des
contestations en un temps limité, y compris celles visant à
simplifier les procédures de dépôt et d’examen des plaintes132.
La procédure d’opposition pré-juridictionnelle devant l’ISIE est
simplifiée. L’article 14 de la Loi électorale dispose qu’elle devra
être faite par tout moyen « laissant une trace écrite ».
L’opposition doit être déposée, au plus tard, trois jours après la
publication des listes d’électeurs.
Le recours devant le TPI doit être introduit, au plus tard, trois
jours après la date de notification de la décision de l’ISIE. La
requête doit comporter un exposé sommaire des faits, des motifs
et des demandes. Elle est obligatoirement accompagnée d’une
copie de la décision contestée et du justificatif de la notification
du recours à l’ISIE. Bien que la notification du recours ne soit
pas imposée dans une forme particulière, cette formalité est une
contrainte à la charge du requérant qui n’a pas lieu d’être. Il
serait préférable de charger le greffe de la juridiction concernée
de notifier le recours aux parties concernées. Cela nécessite une
organisation administrative optimale au sein des juridictions
concernées mais également entre l’administration électorale et
ces mêmes juridictions, notamment en raison des délais de
procédure très courts.
Par ailleurs, l’article 16 de la Loi électorale dispose que le
ministère d’avocat n’est pas obligatoire. Le contentieux de
l’enregistrement des électeurs n’est pas en principe un
132 Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, Conseil Interparlementaire, 26 mars 1994: « Tout individu privé du droit de vote ou de s’inscrire en qualité d’électeur a le droit de faire appel d’une telle décision devant une juridiction compétente pour examiner celle-ci et corriger les erreurs promptement et efficacement » (paragraphe 4). Voir également Commission, Code de bonne conduite en matière électorale, lignes directrices, section 3.3.b: « La procédure doit être dénuée de tout formalisme, en particulier en ce qui concerne la recevabilité des recours. »
contentieux très technique. Il est raisonnable d’estimer que le
ministère d’avocat, qui généralement s’accompagne de charges
supplémentaires pour le justiciable, n’est pas ici indispensable.
Toutefois, cela implique de la souplesse de la part des
juridictions chargées de ce contentieux133. En effet, les tribunaux
doivent tirer les conséquences de la dispense du ministère
d’avocat et ne pas sanctionner les requérants pour le non-
respect des formalités de recours.
Le recours en appel devant les cours d’appel obéit également à
des formalités simplifiées sans obligation de ministère d’avocat
(article 18) et de ce fait, appelle les mêmes commentaires que
pour les recours en première instance.
Délais
Selon l'article 17 de la Loi électorale, le tribunal de première
instance doit statuer sur le recours dans un délai de trois jours à
compter du dépôt du recours. L'article 18 dispose que la cour
d'appel statue dans un délai de trois jours à compter de la date
du dépôt de l'appel. Ces délais de jugement sont très courts. Il
n’existe pas de standards internationaux en la matière.
Différents textes, parmi lesquels la Charte Africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance qui exige que les
contestations soient traitées « dans les meilleurs délais » (article
17(2)), font valoir l’importance d’un traitement rapide des
contestations. La Commission de Venise, quant à elle, précise
que tant les délais de recours et d’examen des requêtes
devraient se situer dans une fourchette de trois à cinq jours, tout
en rappelant cependant que « la procédure doit avoir un
caractère judiciaire, en ce sens que le droit des requérants au
contradictoire doit être sauvegardé »134. Dans son Observation
n°32, le Comité des droits de l'homme rappelle également que «
le principe de l'égalité entre les parties s'applique aux
procédures civiles également et veut, entre autres, que chaque
partie ait la possibilité de contester tous les arguments et
preuves produits par l'autre partie » (paragraphe 13). Peut être
déduit de ces différents textes qu’importe avant tout de trouver
un équilibre entre, d’une part, le respect des garanties
inhérentes à toute procédure judiciaire et, d’autre part, la
nécessité de rendre justice dans des délais très courts.
Il semble cependant difficile dans des délais aussi courts de
garantir l’effectivité du principe du contradictoire135 et par
conséquent de garantir les conditions d'un procès équitable. Or,
bien qu’il s’agisse d’un contentieux a priori peu complexe, rien
ne permet d’exclure que les juridictions saisies aient besoin de
plus de temps pour statuer sur certains litiges. Imposer aux
juridictions des délais aussi courts pour statuer crée le risque de
la précipitation et du non-respect des garanties attachées à toute
procédure juridictionnelle136, quel que soit son objet.
133 Comme c’est le cas en matière de contentieux prud’homal. 134 Code de bonne conduite en matière électorale, rapport explicatif, paragraphe 100. 135 Chacune des parties doit être mise en mesure de discuter l'énoncé des faits et les moyens juridiques que ses adversaires lui ont opposés. 136 Dans sa recommandation (2004)20 sur le contrôle juridictionnel des actes de l'administration, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a clairement indiqué que des garanties telles que le principe du contradictoire et de l’égalité des armes entre parties à la procédure s’appliquaient également aux procédures de contrôle des actes de l’administration.
43
Par ailleurs, l’article 17 de la Loi électorale dispose que les
tribunaux de première instance appliquent les dispositions 43,
46, 47, 48 (dernier paragraphe), 49 et 50 du Code de procédure
civile et commerciale137. Le renvoi en matière procédurale à des
articles d’une autre loi est problématique, surtout dans un
contentieux ne nécessitant pas le ministère d’un avocat. Un
citoyen aura du mal à se référer à d’autres textes légaux pour
comprendre la procédure qui lui sera appliquée par le tribunal.
Recommandations
Afin de minimiser les risques de non-respect du principe du
contradictoire dans les procédures contentieuses relatives à
l’inscription des électeurs, il est recommandé de prévoir des
délais de dépôt et d’examen des plaintes légèrement plus
longs.
Il est recommandé que le délai d’affichage des listes des
électeurs soit d’une durée suffisante pour permettre aux
électeurs de les consulter et d’éventuellement faire des
réclamations.
Il est recommandé que ne soit pas exigé des requérants de
notifier leur recours aux parties concernées. Il serait
préférable de charger le greffe de la juridiction concernée
de notifier le recours aux parties concernées.
En ce qui concerne le contentieux relatif à l’inscription des
électeurs, la Loi électorale devrait définir la procédure
137 Articles du Code de procédure civile et commerciale applicables au contentieux électoral de l’inscription des électeurs: Article 43: « Le juge cantonal est saisi par requête écrite présentée par le demandeur ou son mandataire au greffe du tribunal cantonal. Cette requête doit indiquer les nom, prénom, profession et domicile du demandeur et ceux du défendeur et, le cas échéant, le numéro et le lieu d'immatriculation au registre de commerce, ainsi que les nom, prénom, profession et domicile de son représentant s'il y a lieu. Si le demandeur ou le défendeur est une personne morale, l'exploit doit contenir mention de ses dénominations, siège social et forme juridique si la personne morale est une société ainsi que le numéro et le lieu d'immatriculation au registre de commerce. La requête doit contenir, en outre, l'objet de la demande et les prétentions du demandeur. Dès sa réception, cette requête doit être inscrite par le greffier sur le registre tenu au greffe à cet effet. Elle est ensuite présentée au juge .» Article 46: «La convocation indique les nom, prénom, profession et domicile du demandeur et du défendeur, l'objet de la demande, la juridiction qui doit statuer, et la date du jour de la comparution. Le talon de cette pièce indique le nom et qualité de la personne chargée de la remise de la convocation à l'intéressé, ainsi que la date de cette remise. Il est revêtu de la signature de la cité, s'il est lettré. Il y est fait mention de son incapacité ou de son refus de signer; il doit également être revêtu de la signature de l'autorité qui en a assuré la remise, il est ensuite annexé aux pièces de la procédure par le greffier. Les dispositions des articles 6, 7, 8, 9 et 10 ci-dessus sont applicables aux convocations devant la justice cantonale, dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles qui sont propres à cette juridiction. » Article 47: « Les affaires soumises au juge cantonal sont inscrites, par ordre de réception et de date, sur un registre à ce destiné. Ce registre mentionne les noms des parties, l'objet du litige et la date de la décision, ainsi que son dispositif. » Article 48 (dernier paragraphe): « Toutefois, si l'affaire requiert célérité et s'il est impossible de respecter le délai ci-dessus, la citation peut être donnée d'heure à heure. Mention doit en être faite sur l'avis de comparution. » Article 49: « Les parties comparaissent en personne ou chargent un avocat de les représenter devant le juge cantonal, au jour fixé par la convocation ou convenu entre elles. Si le demandeur ne comparaît pas en personne ou si son avocat ne se présente pas, l'affaire est rayée. Si, bien que touché personnellement, ni le défendeur, ni son avocat ne se présente, il est statué comme s'il était présent. » Article 50: « Les règles de procédures devant les tribunaux de première instance sont applicables aux affaires de la compétence de la justice cantonale dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles qui lui sont propres. »
applicable sans renvoyer à des dispositions dans d’autres
lois de manière à ce que le citoyen, dispensé du ministère
d’avocats pour ce type de contentieux, ne soit pas
désorienté.
Section II: Contentieux des candidatures
Candidature aux élections législatives
En vertu de l'article 26 de la Loi électorale, l'ISIE dispose de sept
jours à compter de l'expiration des délais de dépôt pour statuer
sur les demandes de candidature aux élections législatives. Le
même article précise que l'ISIE doit motiver sa décision de rejet.
Cette dernière précision constitue une avancée par rapport au
décret-loi n°2011-35 qui permettait à l'administration électorale
de rejeter des candidatures de façon implicite (en s'abstenant de
délivrer le récépissé définitif dans un délai de quatre jours) et
donc de ne pas motiver le refus. L'obligation de motivation
permet au requérant de formuler sa requête en exposant des
arguments contestant les motifs du rejet de sa candidature.
Droit d'agir
Selon l'article 27 de la Loi électorale, les décisions de l'ISIE
relatives aux candidatures peuvent être contestées par le
candidat tête de liste, un des candidats membres de la liste, le
représentant légal du parti politique ou les membres des autres
listes candidates dans la même circonscription. En comparaison
avec les élections de 2011, le droit de recours a été élargi. En
effet, selon l'article 29 du décret-loi n°2011-35, seules les têtes
de listes disposaient de ce droit de recours. Par ailleurs, le
décret-loi n°2011-35 ne permettait pas aux autres candidats des
listes concurrentes de contester l'admission d'une liste138.
L’élargissement du droit de recours constitue une amélioration
du cadre juridique. Différents textes internationaux plaident en
faveur d’un tel élargissement, estimant qu’il est légitime que les
candidats concurrents aient le droit de contester l'acceptation
d'une liste dont ils considèrent qu'elle ne remplit pas les
conditions légales139.
La Loi électorale cependant n’élargit pas le droit de recours aux
électeurs. Sur cette question, deux positions s’affrontent: d’un
côté, celle selon laquelle la démocratie étant de l’intérêt de tous,
tout le monde devrait avoir intérêt à agir pour sa protection; de
l’autre, celle, classique, selon laquelle seules les parties qui
peuvent démontrer un lien direct entre la violation et leur
situation peuvent porter réclamation. Les textes internationaux
tendent à préconiser une position intermédiaire. La Commission
de Venise plaide pour une large reconnaissance du droit de tout
électeur de la circonscription à contester une candidature
soumise dans cette même circonscription140, mais d’autres
organisations internationales sont plus mesurées sur la question,
138 En effet, l’article 29 du Décret loi n°2011-35 énonçait que le recours contre une décision de refus de candidature devait être introduit par le biais d'une requête écrite « que la tête de liste ou l'un de ses représentants soumet au greffe du Tribunal de première instance territorialement compétent […] ». 139 Au niveau européen, le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise considère que « la qualité pour recourir doit être reconnue très largement » et en particulier que « le recours doit être ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans celle-ci. » (Paragraphe 99, rapport explicatif). 140 Code de bonne conduite en matière électorale, rapport explicatif, paragraphe 99.
44
laissant une large marge d’appréciation aux Etats141. Un
argument souvent avancé à l’encontre d’une ouverture du droit
d’agir à tout électeur est le risque d’engorgement des tribunaux
qui en découlerait.
Accessibilité
Un premier recours est ouvert devant le tribunal de première
instance territorialement compétent142 et un appel est possible
devant les chambres d'appel du Tribunal administratif (article
29). Les recours devant les tribunaux de première instance
garantissent une relative proximité aux candidats qui voudraient
déposer une contestation devant une juridiction.
Le délai pour interjeter un appel devant les chambres d’appel du
Tribunal administratif143 est de trois jours (article 29). Sachant
que le Tribunal administratif a son siège à Tunis et qu’à la date
de rédaction de la présente analyse, la loi relative à cette
juridiction (loi n°72-40 du 1er juin 1972) ne prévoit pas la création
de chambres d'appel dans les régions 144, on peut considérer
que le délai de recours en appel est particulièrement court,
notamment pour les requérants habitant loin de Tunis.
Délais de jugement
Selon l'article 28 de la Loi électorale, le tribunal de première
instance doit statuer sur le recours dans un délai de trois jours
ouvrables145 à compter du dépôt du recours.
En ce qui concerne l’appel, il est du ressort des chambres
d’appel du Tribunal administratif. Ces dernières doivent fixer une
audience de plaidoirie au plus tard trois jours après la date de
l’enregistrement de l’appel et statuer 48 heures après l’audience
de plaidoirie (article 30)
Comme rappelé plus haut, pour ce type de contentieux, les
textes internationaux appellent à des délais raccourcis par
rapport à ceux applicables aux procédures ordinaires. La
Commission de Venise du Conseil de l’Europe estime que « les
délais de recours et les délais pour prendre une décision sur
141 Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, Conseil interparlementaire, 1994, paragraphe (6). 142 En ce qui concerne les décisions relatives aux candidatures des listes à l'étranger, c'est le Tribunal de première instance de Tunis 1 qui est compétent (article 27). 143 Le choix de la juridiction administrative en tant qu’instance d’appel montre que le législateur tunisien considère que le contentieux électoral est un contentieux administratif et que l’attribution de certains recours à des tribunaux judiciaires (comme les recours relatifs au contentieux des listes d’électeurs) est justifié par des raisons pratiques, à savoir l’inexistence de chambres administratives de première instance régionales et l’incapacité matérielle du Tribunal administratif de Tunis de traiter tout le contentieux électoral en première instance et en appel. Ceci dit, attribuer tout le contentieux de l’appel en matière de candidatures à une seule juridiction présente l’avantage d’éviter le risque d’interprétations juridictionnelles divergentes. 144 L'article 15 de la loi n°72-40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif prévoit uniquement la création de chambres de première instance au niveau des régions. A la date de rédaction de la présente analyse, les chambres de première instance au niveau des régions relevant du Tribunal administratif n’ont pas été créées. 145 Contrairement au recours relatif à l’enregistrement des électeurs, l’article 28 de la Loi électorale précise pour ce type de recours que les trois jours sont ouvrables.
recours doivent être courts [trois à cinq jours en première
instance] »146.
Les délais prévus aux articles 28 et 30 de la Loi électorale (en
première instance et en appel) sont très courts. Il semble difficile
de garantir l’effectivité du principe du contradictoire durant ces
délais. Par ailleurs, de tels délais d’instance et de jugement
excluent de fait la possibilité pour le juge de mener des
investigations. Par conséquent, il y aurait lieu de considérer la
possibilité d’allonger les délais de manière à respecter les
principes du procès équitable. En raison des contraintes du
cycle électoral, les délais d’instance et de jugement ne devraient
cependant pas excéder cinq jours.
Procédure
L’article 27 de la Loi électorale relatif au recours devant les
tribunaux de première instance précise que le ministère d’avocat
n’est pas obligatoire. Au même titre que les dispositions relatives
au contentieux de l’enregistrement des électeurs, cette
disposition favorise l’accès des citoyens à la justice, ce qui est
important pour garantir le droit fondamental de tout citoyen de
participer aux affaires publiques. Les juridictions devront être
moins sévères en ce qui concerne le non-respect des formalités
procédurales mentionnées dans la loi, sachant que cette
dernière ne prévoit pas expressément le rejet pour vice de forme
des recours portés devant le tribunal de première instance, ce
qui laisse au juge une marge d’appréciation en la matière.
Pendant les trois jours dont il dispose, le requérant doit notifier
sa requête et ses moyens de preuve à l’ISIE et aux parties
concernées par le recours (article 27). Comme indiqué
précédemment, cette obligation est excessivement
contraignante. Il conviendrait que cette notification soit à la
charge du greffe de la juridiction concernée et non du requérant.
L’article 28 renvoie aux dispositions du Code de procédure civile
et commerciale. Au même titre que le contentieux de
l’enregistrement des électeurs, ce renvoi complique la tâche du
requérant qui, sans le ministère d’un avocat, devra se
familiariser avec d’autres textes légaux pour comprendre la
procédure applicable.
En ce qui concerne la procédure d’appel, deux remarques
peuvent être faites. La première remarque est relative à la
question du ministère d’avocat qui n’est pas précisée dans la Loi
électorale (article 29). Ce silence de la Loi électorale peut être
problématique, car, en vertu de l’article 59 de la loi n°72-40 du
1er juin 1972 relative au Tribunal administratif « l’appel est
interjeté, […], devant les chambres d’appel du tribunal
administratif au moyen d’une demande déposée au greffe du
tribunal par l’intermédiaire d’un avocat auprès de la cour de
cassation ou d’appel. […] ». Si elles appliquent cette disposition
telle quelle, les chambres d’appel sont en droit de rejeter tous
les recours en appel qui n’ont pas été déposés par un avocat. La
Loi électorale devrait clarifier ce point afin de lever toute
équivoque qui serait source de rejet pour vice de forme. Tout
146 Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, CDL-AD (2002) 23 Rev., II.3.3. et §95.
45
comme les recours en première instance, les recours en appel
devraient être dispensés du ministère d’avocat.
La deuxième remarque concerne l’obligation de notifier l’appel
par voie d’huissier de justice (article 29), contrairement à la
notification du recours en première instance qui n’est pas
imposée dans une forme spécifique. On constate un formalisme
plus contraignant en appel, dont le non-respect est
expressément sanctionné par l’irrecevabilité du recours (article
29).
L’exigence d’une notification par voie d’huissier semble
excessive. Cette notification devrait être à la charge du greffe de
la juridiction concernée et non du requérant.
Recommandations
Pour ce qui est du contentieux des candidatures aux
élections législatives, l’obligation pour la partie requérante
de notifier sa requête à l’ISIE et aux parties concernées
(article 27) est excessivement formaliste. Cette notification
devrait être à la charge du greffe de la juridiction concernée
et non du requérant.
La Loi électorale devrait préciser que tout comme pour les
recours en première instance à l’encontre d’une candidature
à l’élection législative, la partie requérante est également
dispensée du ministère d’avocat devant les chambres
d’appel du Tribunal administratif (article 29).
La Loi électorale devrait assouplir la formalité de recours en
appel à l’encontre de candidatures à l’élection législative, en
supprimant l’obligation de notification du recours par voie
d’huissier de justice (article 29). Cette notification devrait
être à la charge du greffe de la juridiction concernée et non
du requérant.
Dans le contentieux des candidatures à l’élection législative,
le silence de la loi sur la question de la recevabilité des
recours pour vice de forme ne devrait pas être interprété
par les juridictions de première instance comme les
contraignant à rejeter systématiquement les recours qui ne
respecteraient pas les formalités procédurales énoncées
dans la loi. En ce qui concerne la procédure d'appel, la
disposition relative à l’irrecevabilité du recours pour cause
du non-respect des formalités (article 29) devrait être
supprimée de la Loi électorale et remplacée par une
disposition assurant plus de flexibilité afin de laisser une
marge d’appréciation aux juges en la matière.
La Loi électorale devrait prévoir des délais de jugement en
première instance et en appel plus longs de manière à
garantir le principe du contradictoire et notamment afin de
permettre aux juges de statuer dans de meilleures
conditions et dans le respect des garanties attachées à la
tenue d’un procès équitable.
Candidature aux élections présidentielles
Le contentieux relatif aux candidatures aux élections
présidentielles est de la compétence exclusive du Tribunal
administratif. Les chambres d’appel de ladite juridiction sont
saisies par les candidats. Les décisions des chambres d’appel
sont susceptibles de recours devant l’Assemblée plénière
juridictionnelle du Tribunal administratif147.
Le recours devant les chambres d’appel est dispensé
expressément du ministère d’avocat (article 46). Le délai de
recours devant les chambres d’appel du Tribunal administratif
est de 48 heures à compter de la date de publication des
candidatures ou de la date de notification des décisions de l’ISIE
(article 45).
Le délai de recours est très court et peut constituer un obstacle à
la formulation d’une requête argumentée. La situation est
compliquée par l’obligation de notifier, par voie d’huissier de
justice, à l’ISIE et aux parties concernées par le recours la
requête et les moyens de preuve pendant le même délai de 48
heures.
Il est recommandé de fixer un délai de recours plus long et de
prévoir des formalités de recours moins contraignantes en
matière de contentieux des candidatures aux élections
présidentielles.
Selon l’article 46, le recours est attribué à une chambre d’appel
qui fixe une audience de plaidoirie au plus tard trois jours à
compter de l’enregistrement du recours. La chambre d’appel doit
convoquer les parties au litige à l’audience de plaidoirie. Les
défendeurs doivent notifier leurs conclusions écrites aux parties
et les présenter deux jours avant l’audience de plaidoirie. En
application de ces dispositions, les défendeurs (ISIE et d’autres
candidats éventuellement) ne disposent, au meilleur des cas,
que de deux jours pour préparer leurs répliques écrites, les
notifier à l’autre partie et les déposer au tribunal. Le principe du
contradictoire restera théorique dans ces conditions. Des délais
aussi courts ne peuvent qu’avoir un impact négatif sur la qualité
des délibérations et des jugements. Comme déjà rappelé ci-
dessus, dans son Observation n°32, le Comité des droits de
l’homme estime que « le principe de l'égalité entre les parties
s'applique aux procédures civiles également et veut, entre
autres, que chaque partie ait la possibilité de contester tous les
arguments et preuves produits par l'autre partie » (paragraphe
13)148.Il est recommandé de réviser la Loi électorale afin de
147 Article 20 de la loi n°72-40: « L’assemblée plénière juridictionnelle comprend: - le premier président, - les présidents des chambres de cassation, des chambres consultatives et des chambres d’appel, - un conseiller de chaque chambre de cassation, désigné par le premier président en application de l’article 14 de la présente loi. […]. » 148 Voir également la Recommandation Rec(2004)20 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le contrôle juridictionnel des actes de l'administration qui rappelle les éléments constitutifs de la notion de procès équitable dans le cadre d’une procédure de contrôle des actes administratifs. Cette recommandation évoque notamment les aspects suivants: « a. Le délai dans lequel le tribunal statue devrait être raisonnable, compte tenu de la complexité de l'affaire et des incidents et reports de procédure imputables aux parties, dans le respect du contradictoire. b. Il devrait y avoir égalité des armes entre les parties à la procédure. Chaque partie devrait avoir la possibilité de présenter sa cause sans être défavorisée. c. Sous réserve des exceptions prévues par la loi nationale dans des cas importants, l'autorité administrative devrait mettre à la disposition du tribunal les documents et informations relatifs à l'affaire. d. La procédure devrait avoir un caractère contradictoire. Tous les moyens de preuve admis par le tribunal devraient en principe être mis à la disposition des parties en vue d'un débat contradictoire. e. Le tribunal devrait être en mesure d'examiner tous les éléments de droit et de fait présentés par les parties au sujet de l'affaire. f. Le procès devrait être public, sauf circonstances exceptionnelles. g. La décision devrait être rendue en public. h. La décision devrait être motivée. Le tribunal devrait indiquer de manière suffisamment claire les motifs sur lesquels il fonde sa décision. Il n'a pas besoin de traiter toutes les questions soulevées, mais il lui faut répondre expressément et avec précision à tout argument qui, s'il était retenu, serait déterminant pour l'issue de l'affaire.» La Commission
46
prévoir des délais d’instance plus longs permettant aux parties
de s’échanger de façon contradictoire et en un temps
raisonnable, leurs conclusions. Ces délais ne devraient
cependant pas excéder cinq jours en raison des contraintes du
cycle électoral.
L’article 46 dispose que les chambres d’appel du Tribunal
administratif ont trois jours pour délibérer et prononcer leurs
décisions. Ce délai est court et pourrait avoir un impact négatif
sur la qualité des jugements, notamment dans le cas des
candidatures à l’élection présidentielle. Le parrainage des
candidats par des électeurs, prévu à l’article 41 de la Loi
électorale, peut être source de nombreux litiges dont l’examen
par un tribunal nécessite du temps afin de vérifier les signatures
et d’enquêter le cas échéant.
Il est recommandé de prévoir des délais de jugements plus
longs afin de permettre aux juges de statuer sur les recours
dans de meilleures conditions, notamment dans le cas où les
vérifications requises nécessiteraient plus de temps.
Les décisions des chambres d’appel sont susceptibles de
recours devant l’Assemblée plénière juridictionnelle du Tribunal
administratif (article 47). La procédure prévue par la loi soulève
les mêmes commentaires que ceux mentionnés en ce qui
concerne le recours devant les chambres d’appel, à savoir des
délais de recours très courts (48 heures) pendant lesquels des
formalités contraignantes doivent être accomplies (notification
par huissier de justice). Il est à signaler que le ministère d’avocat
est obligatoire pour ce type de recours. Enfin, le non-respect des
formalités et des conditions de recours est expressément
sanctionné par l’irrecevabilité (article 47, paragraphe 3).
Les délais d’instance sont identiques à ceux prévus pour le
recours devant les chambres d’appel du Tribunal administratif et
soulèvent les mêmes commentaires et recommandations.
Recommandations
Pour ce qui est contentieux des candidatures à l’élection
présidentielle, par respect du droit au contradictoire, il est
recommandé d’allonger le délai de recours qui, en l’état - et
compte tenu également de l’obligation de notification par
voie d’huissier de justice pendant le même délai de 48
heures -, constitue un obstacle à la formulation d’une
requête argumentée. Il est également recommandé de
prévoir des formalités de recours moins contraignantes.
Devrait notamment être supprimée l’obligation de notifier le
recours par voie d’huissier de justice. Il serait préférable de
charger le greffe de la juridiction concernée de notifier le
recours aux parties concernées.
Il est recommandé que la Loi électorale fixe un délai de
jugement plus long devant les chambres d’appel et
l’Assemblée plénière juridictionnelle du Tribunal
administratif, notamment afin de permettre de procéder aux
vérifications nécessaires comme celles requises en matière
de parrainages citoyens.
de Venise précise, quant à elle, que les délais de recours et d’examen des requêtes devraient se situer dans une fourchette de trois à cinq jours, tout en rappelant cependant que «la procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé » (Code de bonne conduite en matière électorale, rapport explicatif, paragraphe 100).
Section III: Contentieux de la campagne électorale
La campagne électorale est contrôlée par l'ISIE qui est habilitée
à prendre des sanctions à l'encontre des candidats qui ont
commis des infractions (articles 71 et 72) ainsi que par la HAICA
(articles 73 et 74 renvoyant aux dispositions du décret-loi
n°2011-116 du 2 novembre 2011) pour ce qui concerne la
propagande électorale à travers les médias audiovisuels
étrangers.
En 2011, l’article 47 du décret-loi n°2011-35 prévoyait la
possibilité de contester devant le Tribunal administratif, celui-ci
statuant en dernier ressort, les décisions de l’ISIE prises dans
l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de sanction des
violations aux règles de la campagne électorale. L’ISIE avait
elle-même adopté trois décisions dont l’une permettait aux têtes
de liste et aux représentants des entreprises médiatiques de
former des recours devant l’ISIE dans un délai de 24 heures à
compter de la constatation de l’infraction alléguée. La Loi
électorale ne prévoit pas des procédures contentieuses
spécifiques en ce qui concerne la campagne électorale. N’est
évoquée à l’article 71 que la possibilité pour « quelque partie
que ce soit » de demander que l’ISIE procède à des contrôles du
respect des règles, procédures et principes de la campagne
électorale. La législation de 2011 était lacunaire sur bien des
aspects. Celle de 2014 est muette sur ce point et l’ISIE n’a
adopté aucune décision pour combler cette lacune.
En l’absence de toute disposition sur la question, les décisions
de l'ISIE restent susceptibles de recours devant le Tribunal
administratif dans le cadre de la compétence générale de ce
dernier en matière de litiges administratifs. Or, le traitement
ordinaire des recours sur le fond par le Tribunal administratif
peut durer des mois, voire des années, ce qui retire au recours
toute utilité149.
Recommandation
Il est recommandé que les articles 71 à 74 de la Loi
électorale soient complétés afin de prévoir une procédure
de recours ouverte aux listes candidates, candidats et
électeurs, et leur permettant de porter devant l’ISIE tout
litige relatif à l’allégation d’infractions aux règles et
procédures régissant la campagne électorale. Cette
procédure pourrait cependant être assortie d’un mécanisme
de vérification ou de filtrage des recours frivoles ou
manifestement infondés afin d’éviter l’engorgement de l’ISIE
et des tribunaux. Les délais de recours, d’appel et de
jugement devraient être précisés dans la loi et la procédure
devrait être dénuée de tout formalisme excessif.
149 A noter néanmoins que le premier président du Tribunal administratif peut ordonner le sursis à exécution d'une décision jusqu’à l’expiration des délais de recours ou jusqu’à la date du prononcé du jugement, et ce, « lorsque la demande du sursis repose sur des motifs apparemment sérieux et que l’exécution de la décision objet du recours est de nature à entraîner, pour le requérant des conséquences difficilement réversibles » (article 39 de la loi n°72-40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif).
47
Section IV: Contentieux des résultats
Contrôle d’opportunité et pouvoir de rectification
L’article 142 dispose que l’ISIE « contrôle les décisions des
bureaux de vote, des bureaux centralisateurs et des centres de
collecte concernant le vote et le dépouillement» et qu’elle
«enquête, le cas échéant, sur les causes de non-concordance
entre le nombre des bulletins de vote et le nombre de votants, et
corrige les éventuelles erreurs matérielles et erreurs de calcul
dans les procès-verbaux de dépouillement. L’Instance peut
refaire le dépouillement pour un ou plusieurs bureaux de vote».
L’ISIE «peut annuler les résultats d’un bureau de vote ou de la
circonscription électorale, si elle constate l’existence
d’irrégularités substantielles et déterminantes entachant les
opérations de vote et de dépouillement ». Cette disposition
constitue une amélioration au regard des dispositions
équivalentes du décret-loi n°35 de 2011 qui ne prévoyait pas de
manière explicite un pouvoir de rectification150.
Une autre amélioration est qu’à l’inverse de l’article 70 du
décret-loi n°35 qui ne laissait pas à l’ISIE la possibilité de
moduler la sanction en cas de non-respect des règles relatives
au financement de la campagne électorale, l’article 143 de la Loi
électorale permet désormais à l’ISIE de le faire. En effet, celle-ci,
par une décision qui doit être motivée, peut « annuler les
résultats des vainqueurs s'il lui est avéré que les violations
desdites dispositions ont affecté les résultats électoraux d’une
manière substantielle et déterminante ». De même, l’article 142
permet à l’ISIE d’ « annuler les résultats d’un bureau de vote ou
de la circonscription électorale, si elle constate l’existence
d’irrégularités substantielles et déterminantes entachant les
opérations de vote et de dépouillement ». Il y a là un progrès
notable par rapport aux dispositions antérieures. La formulation
de l’article 142 est particulièrement bienvenue en ce qu’elle
permet une modulation qui ne se réduise pas à l’application d’un
strict contrôle d’opportunité. L’ISIE peut ainsi être amenée à
annuler des résultats même dans des situations où ceux-ci
n’auraient pas été affectés par les fraudes et irrégularités
constatées, en se fondant sur la gravité de celles-ci. Cette
position reflète l’évolution la plus récente de la Cour européenne
des droits de l’Homme sur ce point précis151.
Ceci dit, une difficulté subsiste. La Loi électorale n’évoque pas le
rôle des instances régionales de l’ISIE dans le contentieux des
résultats. Elle ne le fait pas pour la simple raison que ces
instances ne sont pas évoquées dans la loi mais exclusivement
à l’article 21 de la Loi sur l’ISIE qui permet à celles-ci de créer de
telles instances en un nombre qu’il lui appartient de déterminer.
La conséquence, pour ce qui est du contentieux des résultats,
est que la Loi électorale donne l’impression que toute la phase
contentieuse est centralisée au niveau de l’ISIE et qu’à elle
seule appartient la responsabilité de traiter, sans l’assistance
des instances régionales, des éventuelles objections notifiées
dans les procès-verbaux. Il est recommandé que la Loi
électorale précise le rôle des instances régionales dans le
contentieux des résultats, notamment en leur octroyant un
pouvoir d’enquête et de rectification. Il y aurait lieu de prévoir la
possibilité d’effectuer les corrections qui s’imposent au niveau
des instances régionales dont les décisions pourraient faire
150 Articles 62 et 70 du décret-loi n°35. 151 Voir notamment l’affaire Namat Aliyev v. Azerbaijan, 8 juillet 2010.
l’objet d’un recours devant le Conseil de l’ISIE, procédure au
terme de laquelle celui-ci, ayant examiné tous les litiges en
suspens, proclamerait les résultats provisoires.
Droit d’agir
Selon l’article 144, l’ISIE proclame les résultats préliminaires des
élections et des référendums, les affiches dans ses locaux et les
met en ligne sur son site en y joignant les procès-verbaux de
dépouillement et les décisions de rectification.
Les décisions de l’ISIE relatives aux résultats sont susceptibles
d’un recours devant les chambres d’appel du Tribunal
administratif. Il peut être fait appel des décisions des chambres
d’appel devant l’Assemblée plénière juridictionnelle du Tribunal
administratif.
Les personnes qui ont le droit d’agir contre les décisions de
l’ISIE en matière de résultats sont, en ce qui concerne les
élections législatives, la tête de liste, un membre d’une liste
candidate ou le représentant légal d’un parti politique. En ce qui
concerne les élections présidentielles, chaque candidat a le droit
de contester les décisions relatives aux résultats. En ce qui
concerne les référendums, ce sont les représentants des partis
politiques y ayant participé qui ont seuls le droit de contester les
résultats.
En ce qui concerne les résultats des élections législatives, le
droit d’agir a été élargi par rapport à la législation de 2011, ce
qui constitue un point positif. En effet, le décret-loi n°2011-35
relatif aux élections des membres de l’Assemblée nationale
constituante permettait seulement aux têtes de listes d’introduire
des recours contre les résultats préliminaires.
Cela dit, cela reste une approche stricte de l’intérêt à agir. Le
droit en cause n’est pas un privilège n’appartenant qu’aux seuls
candidats, mais le droit des électeurs à des élections
transparentes et honnêtes reflétant leur choix. Une tendance se
dessine de considérer qu’un tel droit serait dépourvu d’effectivité
s’il ne comportait la possibilité pour tous les électeurs de
contester les résultats des élections. Afin de désengorger
cependant les tribunaux, il est préconisé d’établir un quorum,
comme y invite la Commission de Venise, afin d’éviter
l’engorgement du Tribunal administratif.
Cette remarque a une résonance plus forte en ce qui concerne
le référendum qui est un mécanisme de la démocratie directe ou
semi-directe152 permettant aux citoyens de se prononcer
directement sur une question et en cela, se distingue de la
logique partisane à l’œuvre notamment dans les élections
législatives. On peut dès lors s’interroger sur l’opportunité de
limiter le droit de recours aux seuls représentants des partis.
Il est recommandé d’engager une réflexion sur la possibilité
d’élargir le droit d’agir à tous les électeurs et de prévoir un
mécanisme de sauvegarde sous la forme notamment d’un
152 Selon la doctrine, il s’agit plus précisément d’un mécanisme de démocratie semi-directe.
48
quorum pour éviter l’engorgement du Tribunal administratif153. La
réflexion devrait prendre en compte, de la manière la plus
objective possible, les difficultés que pourrait occasionner une
telle réforme, sans se limiter à une opposition de principe ne
reposant que sur des craintes hypothétiques liées à la situation
politique du moment.
Procédure et délais de recours
Le délai de recours contre les résultats provisoires des élections
législatives, présidentielles ou des référendums est de trois jours
à partir de l’affichage des résultats dans les locaux de l’ISIE.
Ceci constitue une amélioration du cadre juridique par rapport à
2011 qui envisageait pour les recours relatifs aux résultats des
élections à l’Assemblée nationale constituante une période de
48 heures. Ces délais cependant restent trop courts notamment
au regard du formalisme de la procédure (voir commentaires ci-
dessous). Il est recommandé d’en rallonger la durée154.
Le recours devant les chambres d’appel obéit aussi à un certain
formalisme: obligation de notifier à l’ISIE par voie d’huissier de
justice la requête et les moyens de preuve et obligation du
ministère d’avocat (article 145). En revanche, la Loi électorale ne
prévoit pas de façon expresse une sanction pour le non-respect
des formalités requises. Il n’est pas clair s’il s’agit là d’une
lacune de la loi ou d’un choix délibéré de laisser la possibilité au
juge administratif de faire preuve de souplesse en permettant
par exemple aux parties de régulariser le non-respect des
formalités. Ceci dit, en matière électorale et plus particulièrement
en ce qui concerne le contentieux des résultats, le formalisme
inhérent à toute procédure contentieuse devrait se limiter à
l’essentiel, aux seules formalités sans lesquelles justice ne peut
être rendue. « La procédure doit être simple et dénuée de tout
formalisme, en particulier en ce qui concerne la recevabilité des
recours », comme le rappelle la Commission de Venise155. Il y
aurait lieu d’atténuer le formalisme de la procédure de
contestation des résultats de l’élection, aussi bien de l’élection
présidentielle, du référendum que des élections législatives.
Les décisions des chambres d’appel sont susceptibles de
recours en dernier ressort devant l’Assemblée plénière
juridictionnelle du Tribunal administratif (article 146).
Le délai de recours est de 48 heures à partir de la notification de
la décision contestée. De même, le recours est subordonné à
l’accomplissement de formalités contraignantes, à savoir la
notification de la requête et des moyens de preuve par huissier
de justice. Le procès-verbal de la notification doit être joint à la
requête lors du dépôt du recours sous peine d’irrecevabilité. Par
ailleurs, le recours doit être effectué par un avocat près de la
Cour de cassation.
153 C’est ce que recommande la Commission de Venise pour tout type de scrutin, pour autant qu’il s’agisse de contestation des résultats de l’élection (Code de bonne conduite en matière électorale, II.3.3.f, § 99: « Un quorum raisonnable peut être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections. »). Elle ne précise pas cependant ce qu’elle entend par « quorum raisonnable ». 154 La Commission de Venise évoque des délais qui devraient se situer entre 3 et 5 jours en première instance (Code de bonne conduite en matière électorale, paragraphe II.3.3.g). 155 Code de bonne conduite en matière électorale, II.3.3.b.
Délais de jugement
L’audience de plaidoirie devant l’Assemblée plénière
juridictionnelle est fixée au plus tard trois jours à compter du
dépôt du recours. Les défendeurs doivent notifier leurs
conclusions écrites deux jours avant l’audience de plaidoirie.
Compte tenu des contraintes inhérentes à un tel formalisme, ces
délais sont très courts et ne permettent pas aux parties de
préparer leurs répliques dans de bonnes conditions. Il y aurait
lieu de considérer l’opportunité de les rallonger.
L’Assemblée plénière juridictionnelle dispose de cinq jours pour
prendre sa décision. Ce délai pourrait être insuffisant au cas où
le nombre des recours est élevé, ce qui porterait préjudice à la
qualité des décisions. En outre, cela ne permet pas à la
juridiction administrative chargée du contentieux des résultats de
procéder aux investigations qui pourraient s’avérer nécessaires
au vu des pièces versées au dossier et des allégations des
parties. Il y a un risque de procédures expéditives ce qui, au
regard de l’enjeu fondamental que représente une élection pour
l’avenir d’une société, est un risque majeur qui peut entraîner
tensions et frustrations. Il est donc essentiel de donner à la
juridiction administrative le temps ainsi que les moyens de
procéder à toutes les vérifications nécessaires afin de trancher
de la manière la plus sereine possible.
Bien qu’il soit compréhensible, dans un contexte instable et
politiquement tendu d’opter pour des délais courts afin de ne pas
prolonger l’incertitude quant aux résultats, les délais prévus dans
la Loi électorale sont trop courts et ne permettent pas de garantir
une justice de qualité. Or la qualité des décisions
juridictionnelles et la perception que le public en a peuvent avoir
un impact décisif sur la stabilité politique du pays. Il n’existe pas
de standards internationaux sur ce point mais certains textes
jugent légitimes que des délais plus longs que les délais
appliqués aux autres phases du contentieux électorale soient
appliqués aux litiges portant sur les résultats préliminaires de
l’élection156. Il est donc recommandé d’engager une réflexion, à
la lumière des enseignements tirés des élections de 2014, sur la
possibilité de délais plus longs.
Publication de résultats détaillés
Par ailleurs, l’effectivité des recours est également tributaire du
degré de précision des résultats annoncés. Sans des résultats
complets, détaillés (par bureau de vote) et étayés, les parties
requérantes risquent de se retrouver privées des moyens de
produire devant la juridiction administrative les éléments de
preuve susceptibles d’étayer leurs griefs. Or, la Loi électorale
(article 144), tout comme le décret-loi n°35 de 2011 (article 71),
ne prévoit pas la publication de résultats détaillés. L’article 67 du
décret-loi n°35 prévoyait la publication sur le site internet de
l’ISIE les « résultats détaillés » des élections sans autre
156 Voir par exemple: OSCE ODIHR «Resolving Election Disputes in the OSCE Region:Towards a Standard Election Disputes Monitoring System», 2000: « Challenges pertaining to the preliminary results of the election within the mandate of lower level electoral bodies should be filed with the highest electoral body so as to secure a coherent and hierarchical procedure. The time-limit for filing and deciding upon such challenges should not exceed one month, so as to enable the publication of the final election results no later than this deadline (taking into account the deadline for publication of the preliminary results). »
49
précision cependant. Cette disposition n’a pas été reprise dans
la Loi électorale. Il est recommandé que la Loi électorale
contienne une disposition précisant la publication par l’ISIE des
résultats détaillés, ce par quoi devrait être entendue la
publication des résultats bureau de vote par bureau de vote.
Recommandations
Il est recommandé que la Loi électorale précise le rôle des
instances régionales dans le contentieux des résultats,
notamment en leur octroyant un pouvoir d’enquête et de
rectification. Il y aurait lieu de prévoir la possibilité
d’effectuer les corrections qui s’imposent au niveau des
instances régionales dont les décisions pourraient faire
l’objet d’un recours devant le Conseil de l’ISIE, procédure
au terme de laquelle celui-ci, ayant examiné tous les litiges
en suspens, proclamerait les résultats provisoires.
A terme, il pourrait être envisagé d’élargir le droit d’agir, en
matière de contentieux des résultats, à tous les électeurs,
quel que soit le type de scrutin (élections législatives et
présidentielles, référendum), considérant que dans ce type
de contentieux, le droit de contester le résultat du scrutin
est la traduction directe du droit fondamental des citoyens à
des élections transparentes et honnêtes reflétant leur choix.
Cette réflexion pourrait également porter sur les
mécanismes qui pourraient être mis en place pour éviter
l’engorgement du Tribunal administratif.
Aussi bien pour les élections législatives et présidentielles
que pour les référendums, il est recommandé d’allonger la
durée des délais de recours. L’Assemblée plénière
juridictionnelle devrait, pour sa part, disposer d’un délai plus
long pour rendre sa décision.
Il est recommandé que la Loi électorale contienne une
disposition précisant la publication par l’ISIE des résultats
détaillés, ce par quoi devrait être entendue la publication
des résultats bureau de vote par bureau de vote.
***
Democracy Reporting International (DRI) est une organisation
à but non-lucratif, indépendante et non partisane, ayant son
siège à Berlin, en Allemagne. DRI soutient la participation
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participer à la vie politique de leur pays, conformément à ce
qui est stipulé dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils
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