comment parler d'éthique

32
1

Upload: others

Post on 17-Jun-2022

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Comment parler d'éthique

1

Page 2: Comment parler d'éthique

Comment parler d'éthique sans faire la morale?

Catherine MaureyOeuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0En lecture libre sur Atramenta.net

2

Page 3: Comment parler d'éthique

De l’intérêt bien entendu de l’éthique d’entreprise

Dès le début de ce siècle, face à l’organisation des contre-

pouvoirs économiques émergents, l’entreprise n’a eu d’autres choix que d’allier à l’éthique son souci de performance. On aura beau dire, on aura beau faire, il demeure que la relation naturelle de la conduite d’entreprise et des hommes qui la régissent passe par l’intérêt bien compris des uns et des autres.

On préfèrerait défendre un intérêt naturel des uns pour les autres qui, par contrecoup, satisferait les intérêts personnels de l’entreprise.

Cependant, l’éthique opérationnelle, celle qui répond aux attentes de l’entreprise, s’ajuste, non sur l’impératif catégorique, trop rigoriste, mal adapté à la nécessité entrepreneuriale, mais sur l’impératif hypothétique, plus adaptable aux circonstances fortuites et, de ce fait, plus efficace pour l’entreprise et la gestion de ses hommes.

Quelles conséquences pour l’entreprise ? Contrairement à certaines idées reçues, s’il ne suffit pas d’être

philosophe pour être conseiller en éthique d’entreprise, en revanche, on observe de nos jours, un vif intérêt de l’entreprise pour ce que la

3

Page 4: Comment parler d'éthique

philosophie ajoute à sa culture. On constate, en effet, que les dirigeants et leurs équipes sont réceptifs et attentifs à un discours abordant aussi bien les méthodes que l’analyse des pratiques et des faits, ou que la synthèse prospective et stratégique des projets RSE (touchant à la responsabilité économique, sociale, sociétale et environnementale de leur entreprise).

Soumise au principe de réalité, l’entreprise est mortelle. La crise

de confiance généralisée qui sévit depuis ces dernières années a au moins le mérite de mettre l’accent sur ce point : prise de risques, espoir de profit, hypothèse de faillite ne concernent pas seulement les théories des économistes !

Par voie de conséquence, l’entreprise doit revoir sa façon de s’entrelacer au maillage complexifié de la société actuelle. Loin des évaluations, notations officielles ou officieuses, l’éthique d’entreprise s’ancre dans les actes et légitime, de ce fait, une communication transversale et transparente vers l’ensemble des parties prenantes.

Nous montrerons que l’intérêt est ici naturel et que le naturel a de l’intérêt pour l’entreprise.

Des mots pour le dire

L’éthique d’entreprise est impérative

La nature philosophique de la réflexion sur l’éthique d’entreprise ne peut rester l’apanage d’ombrageux chercheurs universitaires, toujours prêts à vilipender l’entreprise pour ses faits et méfaits. Néanmoins, il n’est pas faux d’admettre avec certains « responsables de terrain », que ces analyses, venant de l’extérieur et d’une certaine hauteur de vue, représentent, dans l’ensemble peu de valeur ajoutée pour l’entreprise.

L’éthique d’entreprise comme repère pratique à la conduite

4

Page 5: Comment parler d'éthique

humaine ne supporte ni le flou, ni les équivoques ; impérative, c’est en cela qu’elle défend les intérêts de l’entreprise.

Est appelé « impératif » toute détermination de la volonté prenant

la forme d’une contrainte et s’exprimant par le verbe devoir (deon = devoir, d’où déontologie). Selon la théorie kantienne, il faut distinguer l’impératif catégorique et l’impératif hypothétique1.

Les impératifs moraux, ou impératifs catégoriques, par exemple : « Engageons-nous », sont des commandements sans condition de la moralité. Les impératifs hypothétiques ou conditionnels, soumis à condition, eux, ne se réfèrent qu’à l’intérêt (impératifs techniques, règles de prudence ou d’habileté), par exemple : « Engageons-nous si nous voulons réussir ». Ils n’ont pas de caractère moral à proprement parler – « réussir » ne fait pas partie de la morale-, mais pour autant, sont intrinsèquement liés à l’idée de « faire bien » pour atteindre le but visé.

L’impératif hypothétique rejoint ainsi la morale appliquée au

devoir d’atteindre une finalité pour le bien de tous. Contrairement à l’impératif catégorique, lequel ne concerne pas la matière de l’action ni ce qui doit en résulter, l’impératif hypothétique ne s’intéresse, lui, qu’aux conséquences d’une action (ou d’une décision), plutôt qu’à son intention.

C’est évidemment cet impératif hypothétique qui intéresse

l’entreprise, et l’on peut s’étonner, avec celle-ci, que de nombreux travaux de spécialistes ne le mentionnent jamais.

La morale de l’intention est peu pertinente dans un milieu où prédomine la logique du « résultat ». À moins d’être totalement déresponsabilisés, les grandes organisations demandent à leurs « responsables » d’assumer les conséquences de leurs actes et de leurs décisions ; c’est la responsabilité même qui se joue ici.

L’éthique appliquée aux professions et aux métiers participe bien de ce que Kant appelle l’ "impératif hypothétique ", en ce sens que

1 L’essentiel de la philosophie pratique de Kant se trouve dans les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), et la Critique de la raison pratique (1788).

5

Page 6: Comment parler d'éthique

cet impératif concerne la vie pratique et fait dépendre le but visé de moyens ou de conditions les plus propres à l’atteindre. Pour autant, ces moyens doivent être justes, bons, et en aucune façon ne peuvent se substituer à la finalité d’une action.

L’éthique d’entreprise est naturellement intéressée

C’est bien dans le domaine de la nécessité naturelle que se situe l’objectif d’une action. Or, pour juger de la valeur morale d’un acte, il faut juger la volonté qui l’anime et non le résultat obtenu. On demande donc à l’entreprise d’afficher sa bonne volonté, sa volonté de faire bien, avant de communiquer sur les résultats de telle ou telle action.

Il y a un « agir » conforme au devoir auquel n’échappe pas l’entreprise, le code de déontologie est là pour le lui rappeler. Le devoir remplace alors la nécessité naturelle en libérant l’homme des contingences empiriques fortuites. Dans le cadre singulier de l’entreprise, il est fort possible qu’une action commise par inclination corresponde pourtant aux prescriptions du devoir.

La relation entre l’éthique et l’entreprise ne peut, de ce point de

vue être désintéressée. Elle est même naturellement intéressée, car toujours orientée vers un mieux, un plus, un quelque chose de jamais suffisant et qui condamne l’entreprise à avancer, innover et progresser (on verra plus loin que l’innovation arrive largement en tête du classement des valeurs des entreprises). C’est donc la nature de cet intérêt qui pose problème et non l’aspect naturel de cette relation d’intérêt.

Entendons par là que le naturel, d’après le dictionnaire de

philosophie Lalande, s’oppose à l’acquis, au réfléchi, à la contrainte,

6

Page 7: Comment parler d'éthique

à l’artificiel, à l’affecté, à l’humain, au divin et au spirituel, au révélé, au régénéré, au surnaturel, au surprenant, au suspect, au positif (droit naturel), et au légitime (enfant naturel), ce qui, avouons-le, ne laisse pas beaucoup de place à l’éthique. Encore moins à l’éthique d’entreprise, entièrement vouée à l’humain, à ses acquis culturels, à la réflexion, au respect contraignant des normes et des codes, bref, à tout ce qui peut légitimer une action pour le plus grand intérêt de tous.

Nous y voilà : l’intérêt collectif, l’intérêt général, voire l’intérêt public doivent être les seuls motifs acceptables pour guider la conduite du commerce et des affaires. Le profit doit bénéficier à tous et non à une poignée d’acteurs qui le détourneraient par intérêt personnel. L’entreprise ne doit pas détourner l’éthique à son profit.

L’entreprise performante pratique une « morale de l’intérêt bien entendu »

Il existe donc vraiment une « morale de l’intérêt bien entendu », comme on la nomme en philosophie, et qui s’apparente à l’éthique opérationnelle pratiquée dans les entreprises. Toute la question de la conduite, de sa fin, repose alors sur le plaisir réfléchi, calculé et prolongé dans la durée2. La finalité de l’entreprise, son intérêt, est de faire des bénéfices, d’être profitable. Il faut donc que les acteurs tendent vers cet objectif, qu’ils soient traités au mieux de leur propre intérêt, c’est-à-dire qu’ils doivent être traités comme fin en soi, jamais comme moyens. Les nouveaux modes managériaux, par

2 Dans son ouvrage L’Utilitarisme (1863), Mill défend sa conception de l’éthique, dont le but est « le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible de personnes ». En ce cas, la droiture morale d’une action doit être mesurée aux suites que l’on peut en attendre. Quantité (plaisir) et qualité (états) du bonheur sont associées.

7

Page 8: Comment parler d'éthique

exemple, basés sur le respect des compétences, la reconnaissance, montrent que ce postulat s’avère payant pour la rentabilité de l’entreprise. La performance s’accroît grâce à la morale, est-ce un mal ?

Pour une entreprise, l’aspect le plus intéressant de la mise en

pratique de la « morale de l’intérêt bien entendu » repose sur la recherche de ce qui est utile à l’ensemble des parties prenantes. L’éthique d’entreprise propose une théorie rationnelle de la conduite de ses hommes et de ses femmes permettant de défendre ou de préserver trois grands types d’intérêts : l’intérêt collectif, qui prend en compte ce qui est utile à un groupe d’individus, ici les acteurs de l’entreprise ; l’intérêt général, qui se concentre sur ce qui est utile aux membres d’une société ; enfin l’intérêt public, qui défend ce qui est utile à la société en tant que telle.

L’intérêt individuel n’est pris en compte que s’il sert la cause des

trois précédents. Il peut à ce titre représenter dans l’entreprise un élément non négligeable de la dynamique collective. D’où l’intérêt pour l’entreprise de travailler sur la motivation personnelle par le biais du mentorat (coaching), ou de développer les valeurs, en tenant compte des évolutions de mentalité depuis les années 50, d’un « management participatif ».

La morale utilitariste, qui illustre « l’intérêt bien entendu », est de

culture anglo-saxonne, et le monde de l’entreprise multinationale s’en est fortement inspiré cette dernière décennie. Faut-il s’en offusquer ?

Ce serait alors rejeter une forme de morale sous un fallacieux prétexte culturel. Pire, ce serait sous-entendre que ce qui vient du monde anglo-saxon est immoral, voire amoral. Ce serait se faire donneur de leçons dans le seul but de ne pas en recevoir ! Combien de dirigeants de filiales françaises de groupes anglo-saxons, notamment, soutiennent-ils auprès de leurs cadres les recommandations des procédures de signalement de manquements aux bonnes pratiques, explicites dans la majorité des codes de

8

Page 9: Comment parler d'éthique

déontologie ?La question centrale ici est plutôt de savoir si ce vertueux

déclaratif, recensé sous forme de chartes éthiques, de codes de conduite professionnelle, correspond, dans les faits, au respect des intérêts de la collectivité-entreprise dans sa relation aux attentes de la société et de ses membres.

Une culture pour agir

Des valeurs pour s’unir

La culture philosophique et la culture d’entreprise, sa mémoire et son histoire, s’allient pour intensifier le sentiment de « fierté d’appartenance » de tous les acteurs. Nos entreprises contemporaines affichent ainsi des valeurs permettant de fortifier leur identité et de préciser celles de leurs responsables.

On sait que le problème récurrent pour la haute direction d’un grand groupe est la communication sur la lisibilité de sa stratégie. Or, la vision de la direction doit être clairement perçue puisqu’elle porte les repères et le sens des objectifs à atteindre par l’ensemble des collaborateurs. Dans le contexte utilitariste de l’éthique d’entreprise les valeurs énoncées ont donc une mission essentielle : rappeler la part d’humanité qui préside aux stratégies entrepreneuriales.

Une récente étude3 menée par notre agence auprès de 200 grandes

entreprises, offre une vision nettement bipartite dans le choix de ces valeurs : les valeurs d’image, identitaires et facilement « communicables » (innovation, proximité, qualité…) ; et les valeurs

3 Étude construite à partir des déclaratifs : publications et sites Internet de 208 des 500 plus grandes entreprises françaises, et entretiens menés auprès de directeurs des ressources humaines et de directeurs de la communication. Les résultats de l’étude ont été communiqués le 12 novembre 2003.

9

Page 10: Comment parler d'éthique

de réputation, valeurs éthiques plus proches de la conduite humaine (respect, engagement, loyauté…).

Ces dernières conditionnent la rédaction des principes d’action, des chartes et documents éthiques des grands groupes. Dans ce déclaratif entreprise, il est d’ailleurs surprenant que la valeur « exemplarité » soit nichée à la cinquantième position de l’indicateur. La dernière valeur déclarée par 1% des entreprises, est ainsi la valeur fondamentale du dirigeant. N’est pas « premier de cordée » qui veut ! L’exemplarité est affichée par la filiale française d’un laboratoire pharmaceutique américain et fait référence au célèbre ouvrage de Roger Frison-Roche (1941). À cet égard, le témoignage du directeur des affaires pharmaceutiques est remarquable : « Irréprochable. C’est également une qualité de la hiérarchie. À l’échelle de l’entreprise aussi, la notion de l’exemplarité est très forte. Dans le contexte d’une équipe de travail, le leader se doit de suivre quelques commandements, sans pour autant mettre de côté sa propre sensibilité, ni freiner ses initiatives. Une image de montagne vient à l’esprit : celle de premier de cordée ».

Le « Top 10 » des valeurs des grandes entreprises françaises.

10

Page 11: Comment parler d'éthique

Les 40 autres valeurs choisies par les grandes entreprises (+ 3 fois)

Culture et valeurs de l’entrepriseL’éclaircissement des valeurs partagées dans l’entreprise est

toujours un travail fédérateur quand il est mené autour d’un projet innovant et motivant (employabilité des seniors, gestion de carrière des femmes, protection de l’environnement par exemple). De ce point de vue, la prise de conscience induite par les projets liés au développement durable ou à la Corporate Social Responsability est un formidable levier d’innovations sociales, sociétales et environnementales. L’entreprise du XXIe siècle ne peut se soustraire à ces choix de société.

Car l’éthique, comme repère à la conduite, est également une

démarche critique permettant à l’entreprise de confronter ses propres valeurs avec celles revendiquées par la société dont elle n’est qu’un maillon.

De nos jours, l’éthique d’entreprise répond également aux « intérêts bien entendus » de la société, et cela, dans son intérêt propre parce qu’il en va ainsi de sa nature d’entreprise. C’est sans doute pour cela que 22% des entreprises placent la valeur « client » (soit 3e/50 dans notre indicateur) au centre de leurs actions, répondant ainsi aux attentes des consommateurs et à la pression croissante des ONG. De leur côté, les clients se fient moins au « capital marque » de l’entreprise qu’à son « capital réputation », lequel, du coup, est son premier rempart en cas de crise.

Là aussi, il faut bien s’adapter aux batailles d’opinion qui posent

les conditions des « bonnes pratiques » de l’entreprise. Et là encore, l’impératif hypothétique permet une liberté de choix, expression d’une bonne volonté, en fonction des objectifs à atteindre, et non d’intentions trop catégoriques. La proposition conditionnée : « je

11

Page 12: Comment parler d'éthique

ferai du profit si je fais bien », est somme toute très morale pour une entreprise… d’autant que « je fais bien » tout court, sans m’occuper du contexte économique et social, serait anti-éthique pour toute organisation qui a l’obligation de faire du profit tout en créant et maintenant des emplois !

Moins de trois siècles nous séparent de la naissance du concept

d’entreprise. Moins de trois siècles pour la voir quitter son territoire limité à une petite partie du globe, l’Occident, et gagner la planète entière. L’avenir de l’entreprise occidentale est d’ores et déjà parsemé de valeurs chinoises, coréennes, indiennes, sud-africaines, brésiliennes, jordaniennes ou turques…

C’est dans cet aspect de la mondialisation que réside le véritable

intérêt de l’entreprise et des sociétés qui l’hébergent. La pluriculture de l’éthique d’entreprise est à l’image des valeurs incarnées par ses acteurs : plurielle et ouverte sur les autres. En ce sens, volontairement du côté de l’humain, l’éthique d’entreprise n’est pas donnée, ce qui l’éloigne du naturel, mais on peut imaginer l’entreprise désintéressée… si son intérêt est bien entendu.

Catherine Maurey (Conseillère en éthique d’entreprise)

et Thierry Wellhoff (Président de l’Agence Wellcom)Entreprise Éthique, N°20 – Avril 2004

Éthique et entreprise : relation naturelle ou d’intérêt ?Éthique Éditions –Cercle d’Éthique des Affaires

12

Page 13: Comment parler d'éthique

Valeurs d’image, valeurs de réputation – De la confiance en entreprise

« Il est plus facile de s’arranger avec sa mauvaise conscience qu’avec sa mauvaise réputation », Nietzsche

Certaines entreprises mondiales, des plus réputées, ont survécu

au scandale qui les a touchées : Michelin, Danone, et d’une certaine façon, TotalFinaElf, en sont de bons exemples.

D’autres, au contraire, ont été anéanties, entraînant avec elles comme par un sombre « effet domino » une fraction non négligeable de leurs parties prenantes : clients, fournisseurs, actionnaires. L’affaire Enron est, à cet égard édifiante, comme plus récemment Parmalat, en Italie, mais on pourrait citer de nombreux autres exemples médiatisés à l’envi.

Comment se fait-il que certaines entreprises résistent mieux à la tourmente ? De quelle nature est le rempart qui les maintient debout face à une opinion éclairée et informée ?

La confiance, une valeur clé

Pour cerner la question, il est peu pertinent de s’appuyer sur les chiffres : tant de milliards d’euros perdus, tant de troupeaux abattus, tant de kilomètres de côtes polluées. Dans tous les cas de figure, la

13

Page 14: Comment parler d'éthique

crise est d’abord une crise de confiance.Métaleurop Nord, Palace Parfums, Daewoo, Mueller en 2003 ont

trahi la confiance de leurs acteurs. La capacité de résistance aux scandales semble dépendre des valeurs de l’entreprise. On y discerne aussi la vision bipartite que les entreprises accordent aux valeurs : les valeurs identitaires et les valeurs éthiques.

Ces deux sphères de valeurs permettent à l’entreprise d’affiner sa

communication, tant interne qu’externe, et surtout d’afficher sa culture.

Toutefois, les valeurs identitaires, plus repérables, sont utilisées pour la communication marketing, alors que les valeurs éthiques, moins lisibles, sans doute, sont profondément ancrées dans les comportements de l’entreprise. De ce fait, leur impact sur les différents publics de la firme est essentiel.

On peut dire que la vision identitaire des valeurs identifie l’image de l’entreprise et que la vision éthique détermine sa réputation.

De l’image à la réputation

Cette distinction est loin d’être anodine. De l’image à la réputation il y a les hommes, il y a donc la confiance et sa pléiade de valeurs d’implication et d’engagement des parties prenantes qui est en jeu. En effet, qui ferait vraiment confiance à la seule image, souvent versatile, tributaire des mœurs et des mouvances de la société ?

Mais du même coup, qui accorderait sa confiance à une entreprise (ses hommes, ses services, ses produits) de mauvaise réputation ?

En travaillant trop son image, l’entreprise inscrit dans le court terme son rapport à la vie publique. Plus tactique que stratégique, l’image pointe dans l’instant une situation, un produit, un service, à un moment donné et cette approche ponctuelle ne permet pas toujours de saisir le véritable « esprit d’entreprise ».

En revanche, la réputation s’inscrit dans le temps. Elle porte en elle et l’image et les hommes de l’entreprise, tout autant qu’elle est bâtie sur eux et par eux.

Intimement culturelle, historique et patrimoniale, la réputation de

14

Page 15: Comment parler d'éthique

l’entreprise ne peut se passer des hommes. Et les managers, dans l’élaboration complexe de leurs stratégies ne peuvent l’ignorer.

La capacité de résistance d’une grande entreprise aux multiples coups du sort – portés parfois par les dirigeants eux-mêmes – dépend ainsi de l’attention constante de tous ses acteurs à ne pas trahir sa réputation. La plupart des codes de déontologie lui consacre d’ailleurs un article.

Indicateur des valeurs d’entreprise

L’agence Wellcom a élaboré récemment le premier indicateur des valeurs d’entreprise. Les résultats laissent penser qu’il existe bien des conduites à tenir pour prévenir un trop grand différentiel entre les valeurs identitaires et les valeurs éthiques, ou pour le dire autrement, entre les valeurs d’image et les valeurs de réputation.

L’identification des enjeux d’une conduite éthique prend alors tout

son sens pour définir des principes d’action novateurs et des projets motivants pour les hommes, seuls capables de valoriser la responsabilité sociale de l’entreprise, garante de sa réputation.

Préventive, implicative et prospective, la conduite éthique de l’entreprise s’impose désormais comme levier majeur de sa pérennité.

L’exemplarité

On ne peut donc rester indifférents aux résultats de l’étude menée par Wellcom, qui place largement en tête du hit-parade des valeurs d’entreprise l’innovation et le progrès, et coiffe l’exemplarité du bonnet d’âne, à la cinquantième et dernière place (soit 1% des entreprises)4!

Étonnant donc, puisque l’exemplarité est la valeur numéro un d’une conduite éthique de l’entreprise ; elle sous-tend, en effet, l’excellence (en 12e position, soit seulement 10% des entreprises) et surtout l’exigence (en 18e position sur 50, choisie a minima par 7% des entreprises) !

4 Voir le tableau des résultats de l’indicateur des valeurs d’entreprise dans l’article paru dans la Revue Entreprise Éthique, N°20, avril 2004, « De l’intérêt bien entendu de l’éthique d’entreprise », p. 114-120.

15

Page 16: Comment parler d'éthique

Comment une entreprise peut-elle s’engager dans une démarche d’innovation et de progrès en se détournant de son devoir d’exemplarité ? Car comment innover sans exceller ? Et comment progresser sans exiger ? Sans compter que l’exemplarité est, à l’égale de la confiance, une valeur « capitale » de la réputation5.

Le capital-réputation

Une enquête réalisée par Harris Interactive pour Hill & Knowlton (Corporate Reputation Watch) en avril 2001, auprès de 1000 dirigeants internationaux, révélait également que les dirigeants français étaient moins attentifs que leurs homologues internationaux à l’impact de la réputation personnelle du Président sur celle de leur entreprise.

Or, l’exemplarité est la valeur première du dirigeant et de ses équipes managériales, dont une des missions est de contrôler les risques d’érosion du capital-réputation de l’entreprise.

D’autre part, si cette étude internationale de 2001 montre que les dirigeants français sont ceux qui accordent le plus d’importance au leadership pour promouvoir la réputation de leur entreprise, on remarque que l’indicateur Wellcom fait apparaître la valeur « leadership » à la 39e place sur 50. Ainsi, seulement 3% des entreprises françaises se préoccuperaient de leur réputation !

C’est pourtant via la qualité des procédures et des institutions que

le leadership peut s’exercer de façon exemplaire. Les leaders incarnent ce qu’A. Minguet6 appelle « les trois valeurs de l’exemplarité » : la cohérence personnelle, l’incarnation du sens, et l’humanisation de la règle. La crédibilité, la légitimité d’une bonne réputation peuvent donc être ébranlées par un discours flottant et peu

5 Voir à ce sujet le témoignage complet du directeur des affaires pharmaceutiques de la filiale française du groupe américain Pfizer : « Irréprochable. C’est aussi une qualité de la hiérarchie. Á l’échelle de l’entreprise aussi, la notion d’exemplarité est très forte (…). Une image de montagne vient à l’esprit : celle de premier de cordée », in Entreprise Éthique, N°20, avril 2004, article cité, p. 114-120.

6 A. Minguet, article « L’Exemplarité, un appel à la vie », in Revue Entreprise Éthique, n°4, 1996, p. 63-70.

16

Page 17: Comment parler d'éthique

convaincant. Les actes doivent accompagner les paroles. La communication sur les actions engageant la responsabilité

économique, sociale, sociétale, ou environnementale d’une entreprise se doit être le reflet exact de la conduite éthique de ses affaires.

Les entreprises qui l’ont compris ont fédéré leur management autour de valeurs partagées, d’une culture éthique et d’un esprit identitaire. Elles sont sans doute les mieux placées pour répondre à la pression exercée par l’éclosion d’un scandale. En conséquence, le comportement éthique des dirigeants et des responsables est primordial. Il en va aussi de la lisibilité de leurs stratégies, il en va de la confiance de leurs acteurs, de leur faculté d’innover et de l’intérêt général de l’entreprise.

Catherine Maurey

Revue CFDT – Cadres – N° 410/411 - Juillet 2004« Le défi altermondialiste »

17

Page 18: Comment parler d'éthique

Une éthique de la réciprocité pour la fonction achats

« L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte… ». Montesquieu

Cette dernière décennie a vu se renforcer la fonction achats dans

les entreprises ; fonction éminemment stratégique face à l’envergure de la concurrence mondiale. Afin de rester compétitif il faut être vigilant et contrôler scrupuleusement les marges. Si bien que la réduction des coûts d’achats, associée à celle des coûts de structure, est déterminante pour la survie des entreprises7.

« L’effet naturel du commerce est de porter à la paix »

La problématique de la fonction achats, telle qu’exposée dans ce numéro de la revue Entreprise Éthique, met en évidence la complexité des questionnements auxquels est confronté l’acheteur.

7 « Des entreprises se sont redressées en s’appuyant sur l’effet levier de la fonction achats, mais cela suppose une organisation interne décloisonnée, ce qui est une difficulté majeure face aux organisations du passé qui cherchaient objectivement à optimiser l’activité de chacune des fonctions de l’entreprise au lieu d’optimiser l’interaction de ces fonctions entre elles. Les fonctions pouvaient avoir des intérêts divergents. » Document Cegos, par J.-C. B., directeur adjoint, responsable de l’équipe achats de la Cegos.

18

Page 19: Comment parler d'éthique

L’appréciation des enjeux pour son entreprise, les méthodes et la responsabilité qui est la sienne ressortissent sans conteste du domaine de l’éthique appliquée.

Montesquieu, déjà cité en exergue, et qui pensait que « l’effet

naturel du commerce est de porter à la paix », aurait apprécié, sans doute, la récente professionnalisation de la fonction achats dans les entreprises : autant une manière de faire qu’une manière d’être pour mieux avoir, en quelque sorte.

Le philosophe disait que « deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt à acheter, l’autre a intérêt à vendre et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels ». Mais dans le monde des affaires du XXIe siècle, entre des nations devenues interdépendantes par la trans-nationalité des grandes firmes, on devine les abus et les glissements que la fonction achats peut générer lorsque l’entreprise doit réduire ses coûts et augmenter la productivité de ses fournisseurs étrangers.

Ce que soupçonnait peut-être Montesquieu qui écrivait à la suite :

« si l’esprit de commerce unit les Nations, il n’unit pas de même les particuliers »8. Certes, on doit regretter les désunions géopolitiques provoquées par la globalisation, mais on devine également que la transversalité de la fonction achats s’inscrit dans une dimension humaine commensurable, en ce sens que la réciproque dépendance des uns et des autres oblige à un accord mutuel issu de « bonnes pratiques »… et nous voilà revenus à l’exergue !

En encrant la problématique éthique de la fonction achats aux

enjeux des échanges mondiaux, la première partie du dossier remet en question la validité de certains repères. Octave Gélinier, sans regretter le « paradis perdu » des conviviaux échanges interpersonnels, met l’accent sur la nécessité de la confiance

8 « (…) Nous voyons que dans les pays où l’on est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celle que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent », Montesquieu, L’Esprit des lois.

19

Page 20: Comment parler d'éthique

réciproque comme élément prédominant des échanges contractuels.

« Commerce responsable »Or, cette confiance fait parfois défaut lorsqu’il s’agit des échanges

entre les pays développés et les pays en développement. A. Bécheur et N. Ozcaglar. supposent que le dilemme Nord-Sud ne trouvera sa solution que dans les pratiques bien comprises du commerce équitable. Bien. Mais avec Patricia Ravet, on est en droit de s’interroger sur la transparence de l’information de ce commerce dit « responsable ». L’Ecoscreener est-il, de ce point de vue, l’outil de demain ? Comment les entreprises pourraient-elles mieux communiquer et valoriser leurs « initiatives d’amélioration continue » ?

Faire ou faire-faire ?

C’est également dans le cadre international que Charles Croué place son analyse de l’éthique de la fonction achats. Il constate, lui aussi, que c’est par l’avancée progressive d’un nouveau contexte de transparence que s’élaborent les chartes éthiques, garantes du respect des bonnes pratiques dans le domaine international des achats. Cependant, il convient de tenir compte de la « césure » entre les pays qui édictent les chartes, les règles, et les pays laissés pour compte. La question est d’importance, car on voit bien que cette compétition permanente au niveau mondial ne va pas sans un souci éthique grandissant de la part des équipes managériales chargées de choisir leurs sous-traitants ou d’impartir certains secteurs de leurs activités.

C’est sous cet angle complexe que Didier Retour analyse le fondement éthique lié au facteur humain de la fonction achats. En insistant sur les risques et les conséquences en interne d’une politique d’externalisation, il renouvelle le questionnement du « faut-il faire ou faire-faire ?» Dans l’entretien auquel se prête C. P., directeur des achats chez Hewlett-Packard, on retrouve les mêmes interrogations.

Responsabilité sociale partagée

Les auteurs de la seconde partie témoignent des nouvelles relations acheteur-vendeur. Si le paradoxe de l’acheteur consiste à

20

Page 21: Comment parler d'éthique

« rester éthique tout en pressurant ses fournisseurs », M. Albouy et J.-C. Castagnos ne dissimulent pas, sous l’humour du titre de leur article, la gravité de la question : comment rendre compatible le comportement et les pratiques éthiques avec la réalité économique qui ne cesse de rappeler à l’ordre l’entreprise ? Ils préconisent d’insuffler l’idée de « prise de responsabilité partagée en vue d’obtenir une réciprocité des conditions ». L’idée est suivie par François Fatoux qui cherche à appliquer la responsabilité sociale des entreprises à la sous-traitance. Pour l’auteur, cette dernière doit être précisément définie, régulée et contrôlée par les outils de la responsabilité sociale. Ainsi naîtront de nouvelles relations acheteur-vendeur.

Éthique de l’e-achat

Là où un nouveau type de relations surgit, où l’éthique fait, à sa manière, une entrée en force, c’est dans la pratique des enchères inversées sur Internet, telle que décrite par Christian Rey et Michelle Bergadaà. Ces auteurs nous offrent de quoi réfléchir ! Car le nouveau modèle de dialogue et d’échange induit une éthique renforcée et réciproque de la fonction achats. L’article de Michelle Bergadaà est la transcription d’un entretien mené avec Yves Barbieux, président du CPG Market.com. Il a le mérite de poser clairement les fondements, les enjeux et les méthodes de l’e-achat déterminés par CPG Market. C’est avec précision que sont appréhendées les nouvelles règles commerciales (déontologie, éthique, responsabilité morale) qui servent de cadre aux relations achat-vente sur Internet.

Marketing coopératif

On retrouve un autre modèle de cadre éthique avec l’analyse de la fonction achats d’un groupe canadien. Allison Marchildon s’est intéressée, en effet, à Mountain Equipment Co-Op, nous permettant ainsi de comprendre une proposition exemplaire d’alternative aux politiques d’achats habituelles. De même que les enjeux d’un « marketing coopératif », développé par Hervé Gouil, s’imposent comme la véritable « gageure éthique d’une relation marchande ». Jean Courtade, directeur de la centrale d’achats SNCF, synthétise, au

21

Page 22: Comment parler d'éthique

cours de son entretien, les pratiques d’achats et la démarche éthique d’une grande entreprise publique.

Bonnes pratiques des acheteurs

Suivent alors, dans la troisième partie, les articles centrés sur les méthodes et bonnes pratiques des acheteurs. Le premier, de Jean-Michel Loubère, décortique point par point, la mise en œuvre de bonnes pratiques performantes des achats. Mais leur application relève-t-elle d’un profil d’acheteur particulier ? C’est Roger Perrotin qui répond très précisément à l’aide du « professiogramme » de l’acheteur qui, selon l’auteur, est le « principal créateur de valeur de l’entreprise ».

Mesurer l’éthique des acheteurs

Ces deux auteurs, représentatifs de la Cegos, se rapprochent de J.-J. Nillès qui estime, pour sa part, qu’il y a dans les achats un besoin d’éthique. La définition de ce besoin, associé à la « théorie des vertus » de l’acheteur, lui permet de démontrer comment ces dernières peuvent être déclinées en « comportements typiques, aisément repérables et transposables en modèles opérationnels » permettant d’évaluer les comportements. On pourrait donc apprendre à mesurer l’éthique des acheteurs ! Pour se faire, J.-J. Nillès préconise la méthode des scénarios dont il nous livre des exemples facilement applicables par les managers. Enfin, pour parachever ce qui précède, Serge Pérez, directeur des achats chez Renault Véhicules Industriels, répond à sept questions extraites de cette méthode des scénarios.

Après avoir vivement remercié les auteurs de ce numéro pour leur

engagement dans la réflexion et la sincérité avec laquelle ils nous font partager leur expérience de la fonction achats, je souhaite aux lecteurs le plaisir de découvrir, ou redécouvrir, le visage de ce nouveau plus ancien métier du monde : acheteur.

Bonne lecture !

22

Page 23: Comment parler d'éthique

« Ce n’est pas entre deux médecins que naît une communauté d’intérêts, mais entre un médecin, par exemple, et un cultivateur, et d’une manière générale entre des contractants différents et inégaux qu’il faut pourtant égaliser. C’est pourquoi toutes les choses faisant

objet de transaction doivent être d’une façon quelconque commensurable entre elles. »

Aristote, La Politique.

Par Catherine MaureyDirectrice de la rédaction

CEA Relations InternationalesRevue Entreprise Éthique, N°17 – Octobre 2002

Quelle éthique pour la fonction achats ?Vetter éditions

23

Page 24: Comment parler d'éthique

Comment parler d’éthique sans faire la morale ?

Entraîneurs, formateurs, éducateurs… tous pédagogues, tous

« managers », tous responsables ! Car s’il y a sans conteste une responsabilité individuelle à la fonction d’éducateur, de formateur ou d’entraîneur, il y a bien aussi une responsabilité sociale du football, légitimée par l’ampleur du phénomène social que représente ce sport à l’échelle de la planète.

Quel poids sur les épaules de ces « pédagogues », de ceux qui, selon l’étymologie, sont chargés d’éduquer, d’instruire, de guider ! Transmettre les techniques du jeu tout en favorisant des qualités d’homme et faire en sorte que la passion entraîne des générations. C’est une question de valeurs à partager : 0 gramme de certitude pour une tonne de conviction !

Comment chacun selon son niveau, sa fonction, peut-il

transmettre les grands principes qui définissent la responsabilité sociale du football ?

Faire en sorte que ce sport reste un jeu (respect des règles, des beaux gestes, des belles actions, de la fluidité, etc.) ;

Faire en sorte que les stades soient des lieux de rencontres sportives, enjouées, festives et sans violence ;

Faire en sorte que les générations pratiquent ce sport avec

24

Page 25: Comment parler d'éthique

fierté.

Valoriser la qualité de conduite De nos jours, celui ou celle qui doit diriger, former, éduquer des

footballeurs est confronté(e) à un dilemme : comment guider un groupe d’individus aux valeurs enracinées dans partout et nulle part – en tous les cas, très hétérogènes ?

Si le « rappel de certaines valeurs n’est jamais superflu », comme le pense le Président du Conseil National de l’Éthique, Dominique Rocheteau, et si « la pédagogie et l’éducation sont les meilleurs moyens de prévenir les dérives » (France Football du 24 septembre 2003), cela ne va pas sans questions pour les responsables-terrain. Comment dynamiser cet ensemble de valeurs, qui ne correspondent pas toujours aux siennes propres, vers un objectif commun, en l’occurrence : jouer au football, en équipe, en respectant les règles du jeu, l’arbitrage et l’équipe partenaire ?

Comment trouver des valeurs fédératrices communes ? Bref, comment parler d’éthique sans faire la morale ?

L’éthique est une forme de repère à la conduite humaine. Le

football, comme d’ailleurs toute entreprise, exige une qualité de conduite de l’encadrement.

Celui-ci doit, en retour, l’exiger de ses équipes. Le comportement, par rapport à la conduite, est parfois plus stéréotypé, prédéterminé, prévisible car il est souvent imposé par la hiérarchie. Au football ce peut être la poignée de main échangée entre les joueurs des deux équipes partenaires avant le début du match. Sans regard, sans chaleur, il s’agit d’un geste appris, qui peut être mal perçu, mais indispensable, selon les autorités.

Cependant, ces règles imposées ont leur utilité pour harmoniser la collectivité.

On dira que la conduite, pour sa part, est une composition

beaucoup plus personnelle de notre action. On y fait jouer des aspects de notre personnalité qui sont liés à notre culture, à notre condition

25

Page 26: Comment parler d'éthique

sociale ou à notre profession.On fait en sorte que notre action soit quelque chose d’unique et de

particulier puisque c’est par elle que nous nous affirmons et que les autres nous jugeront. En ce sens, en sport, on parle souvent de fair-play.

Éthique, morale, déontologie

Puisque la conduite est une réalisation de soi, elle nous permet

d’agir en cohérence avec nos valeurs personnelles, elle verse donc du côté de l’éthique. Les racines du comportement, elles, sont plus psychologiques ; on trouve en effet de nombreuses théories comportementales à caractère scientifique qui aident à comprendre et à évaluer certains agissements, à maîtriser ses émotions, à évacuer ses phobies.

Mais justement, l’éthique n’est pas une science et c’est bien là toute la difficulté de sa pédagogie : l’éthique, ça se pratique et si possible ça se pratique en pensant aux autres, en s’affirmant dans des valeurs collectives, dans le respect total de la règle commune. On est et on reste fair-play car il en découle un bien être pour l’individu et le groupe.

Le formateur peut donc commencer par distinguer, sans jamais les

opposer, l’éthique et la morale. Tout en reconnaissant que leur partage n’est pas évident dès qu’il s’agit de juger de décisions à prendre ou de jugements à émettre.

Cela permet surtout de saisir l’aspect « opérationnel » de l’éthique qui commence avec la question « que faire ? », tandis que la morale s’interroge sur « comment être moral ? », donc sur l’intention qui préside à une action plutôt que sur le résultat. Le tableau ci-dessous permet de relativiser la distinction à établir entre morale et éthique :

On remarque que les catégories de l’éthique sportive sont plus

étroitement liées à la morale dès que le niveau de compétition s’élève.

26

Page 27: Comment parler d'éthique

Le formateur et l’entraîneur, tout en privilégiant le résultat, doivent insister sur la question du « dépassement de soi », non pas par intérêt personnel mais pour favoriser l’équipe. On peut même ajouter que le football, comme tous les sports d’équipe, exige au moment d’une compétition une conduite morale très forte (oubli de soi, dépassement de soi, respect des règles, etc.). Seuls le plaisir et le bonheur de jouer relèvent alors de l’intérêt personnel. Mais être heureux est tout à fait éthique… et avoir du plaisir aussi !

En fait, on retrouve les mêmes composantes que dans une

entreprise soumise à une concurrence dont la qualité des services ou des produits s’affine. Par le biais du haut niveau d’exigence demandé, les hommes finissent par se plier au respect des règles de la profession. Et plus l’entreprise grandit, plus les hommes sont contraints à observer des principes de bonne conduite.

Mais dans le feu de l’action mêlée à des enjeux financiers parfois colossaux, il est difficile de se maîtriser sur le terrain. C’est à cet apprentissage que les éducateurs et les formateurs participent.

La déontologie réunit ainsi, sous un ensemble de règles, les

devoirs auxquels une profession, des métiers ne peuvent déroger (deon = devoir). C’est tout autant de l’éthique que de la morale.

Il faut donc que la conduite personnelle de l’éducateur, du formateur, de l’entraîneur soit en conformité avec la loi morale et les textes légaux. Le Conseil National de l’Éthique du Football pourrait, par exemple, mettre en place un code de déontologie pour les métiers du football ; le respect de ces normes pourrait donner lieu à des contrôles de « conformité » et à des sanctions en cas de manquement.

C’est ainsi que les Lois du jeu, dans le football, font un peu figure

de code de déontologie pour les joueurs, et cela, qu’ils soient amateurs ou professionnels.

En revanche, la Charte éthique du football, élaborée par les membres du Conseil National de l’Éthique, n’a pas ce caractère impératif. Elle exprime, sous forme de « principes d’action », des points de repères à la conduite individuelle. Rien n’est figé ni

27

Page 28: Comment parler d'éthique

prédéterminé. L’éducateur peut ainsi se l’approprier, s’en inspirer pour ouvrir le dialogue et transmettre les repères qu’elle comporte après les avoir déclinés avec son groupe.

Son rôle est alors de donner une consistance pratique aux sept grands principes de la charte :

Respecter les règles Respecter l’arbitre Respecter ses adversaires Bannir la violence et la tricherie Être maître de soi Être loyal et fair-play Montrer l’exemple

Certes, c’est une bonne chose que les joueurs, ainsi éduqués, se conduisent sur le terrain (et aux alentours) en respectant leur sport. On connaît suffisamment l’influence que peut exercer un pédagogue pour savoir que s’ils le font par respect pour ce dernier, pour ses qualités d’homme et les valeurs qu’il incarne, alors cette droiture s’inscrira au plus profond de leurs principes de vie.

Pas seulement le temps d’un match, mais c’est bien le reste de leur vie qui sera guidé par cette personne. Pour Aimé Jacquet, par exemple, on sait qu’il s’agissait du cordonnier, le président du club de foot de son village.

La responsabilité et l’exemplarité : valeurs phares de

l’éducateur, du formateur, de l’entraîneur La responsabilité est de taille !Tout pédagogue, tout manager, doit être à la hauteur des attentes

qu’il suscite. Dans le mot même de responsabilité (respondere = répondre de) on trouve l’idée de la dignité et de la hauteur morale. C’est-à-dire que l’on doit assumer le mérite et le démérite des conséquences de ses actes ou de ses décisions. On doit en répondre. On s’en reconnaît l’auteur car on était conscient moralement au moment où on les commettait, où les prenait. Cela débouche aussi sur les formes de responsabilités légales ou juridiques (que je n’aborderai pas dans cette tribune).

28

Page 29: Comment parler d'éthique

En entrant dans le monde du football, les joueurs pénètrent dans

une famille dont ils attendent beaucoup, parfois trop. C’est également le rôle de leurs accompagnateurs de leur montrer la réalité. On peut dire que la responsabilité revient alors, pour ces derniers, à conserver intact le capital-réputation du football. Or, la réputation, elle aussi, est liée à l’honneur, à une forme de dignité morale qui repose sur quatre principes :

Dignité (pour moi et mon équipe) Fierté (pour moi + fierté d’appartenance + réussite…) Estime (pour moi, mon équipe, les autres….) Respect (de moi, des autres, de mon environnement)

Ces grands principes, autour desquels s’articule la réputation,

sous-tendent la notion de confiance. L’éducateur, le formateur et l’entraîneur doivent donc être des hommes de confiance. C’est-à-dire des hommes et des femmes capables d’inspirer, comme le dit le dictionnaire : « une espérance liée à un sentiment de sécurité absolue ».

La confiance implique la relation à autrui et à ses propres valeurs : Amitié Loyauté Fiabilité Espérance Impartialité Engagement Intégration Connivence Assurance Dépendance …

L’éducateur, pour être crédible, doit donc être exemplaire. C’est également la principale qualité du leader qui incarne à lui seul les trois valeurs de l’exemplarité :

29

Page 30: Comment parler d'éthique

La cohérence personnelle L’incarnation du sens L’humanisation de la règle

Cela signifie, qu’à la compétence, il doit ajouter la force de

conviction, qu’il doit former pour pouvoir conseiller, qu’il doit fédérer pour mieux faire surgir les talents personnels. Il en va de sa responsabilité.

Ce périple dans l’univers des valeurs des éducateurs ou des

formateurs révèle une dimension, souvent occultée, de ce métier du football : la capacité à transmettre un savoir technique bien sûr, mais surtout, pour ceux qui l’exercent, à donner du sens, et par là, de la qualité, à des milliers de vies.

Et ceci grâce, ne l’oublions pas, à la structure de la formation « à la française ». À tous les niveaux on y trouve, en effet, des modules liés à une meilleure compréhension de l’enfant ou de l’homme dans la société, y compris l’apprentissage de la citoyenneté.

Comme le disait Raymond Domenech dans le N° 350 de l’Entraîneur français : « l’éducateur, c’est celui qui a une véritable éthique, qui prend la défense de l’humain contre le « tout économique », le tout efficacité. C’est l’humain avant tout. On fait du sport pour se faire plaisir, pour faire plaisir aux gens… L’enfant recherche un modèle quelque part, car il ne l’a pas toujours à la maison ».

Alors, en insérant dans leurs travaux une étude appliquée aux valeurs partagées dans le football, les formateurs et les éducateurs ne peuvent que répondre de façon positive aux demandes de notre société.

Belle leçon de football !

Catherine MaureyMembre du groupe de travail du Conseil National de l’Éthique de la

Fédération Française du FootballPrésidé par Dominique Rocheteau

30

Page 31: Comment parler d'éthique

Suite aux séminaires des CTR, CTD et CATRF à ClairefontaineTribune, dans L’Entraîneur Français, N° 353 – Janvier 2004

31

Page 32: Comment parler d'éthique

FIN

Merci pour votre lecture.

Vous pouvez maintenant :• Donner votre avis à propos de cette œuvre

• Découvrir d’autres œuvres du même auteur

• Découvrir d’autres oeuvres dans notre catalogue « Philosophie »

Ou tout simplement nous rendre visite :www.atramenta.net

Suivez-nous sur Facebook :https://www.facebook.com/atramenta.net