comment obtenir une bonne observance du traitement inhalé ?

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© Masson, Paris, 2005 REV. PNEUMOL. CLIN., 2005, 61, 3S11-3S14 Comment obtenir une bonne observance du traitement inhalé ? D’APRÈS LA COMMUNICATION DU PROFESSEUR MATHIEU MOLIMARD Département de pharmacologie, Service des maladies respiratoires, CHU Pellegrin 33076 Bordeaux cedex, France. COMMUNICATION L e traitement par inhalation a été évalué chez un nombre limité de patients dans des études aussi bien in vitro, pour la détermination des caractéristiques de l’inhalateur, qu’in vivo, dans des études “expérimentales”, autant de scintigraphie ou pharmacodynamie que de maniement du dispositif. La principale évaluation s’appuie sur de grandes études contrôlées comparatives dont le critère d’inclusion majeur est la capacité à utiliser l’inhalateur correctement, ce qui de fait sélectionne les patients. Les bons résultats obtenus dans ces essais ne peuvent être reproduits en pratique qu’avec de “bons” patients et de “bons” médecins, prenant le temps suffisant pour l’éducation du patient. Ce n’est pourtant pas ce qui se passe dans la “vraie vie”, en consultation. La pharmaco- épidémiologie examine l’écart entre les essais cliniques et la pratique quotidienne et permet d’apprécier l’efficacité de la thérapie par inhalation en situation réelle d’utilisation. Celle-ci dépend de la molécule utilisée, de son dosage, de la quantité de médicament délivrée (caractéristiques du dispositif : débit inspiratoire possible, granulométrie, fraction respirable…) et de l’utilisation du dispositif en pratique. En effet, des erreurs dans la technique d’inhalation par le patient au quotidien peuvent annuler les effets bénéfiques observés dans les études cliniques. ÉVALUATION DE L’UTILISATION DES INHALATEURS PAR LES PATIENTS Si le mésusage des aérosols-doseurs standards (pressurized-metered dose inhaler, pMDI) est largement décrit, il n’en est pas de même des nouveaux dispositifs. Les connaissances personnelles des médecins sont limitées sur ce sujet. Afin d’évaluer l’utilisation réelle des inhalateurs par les patients, nous avons réalisé à Bordeaux (France) une étude observationnelle en soins primaires entre le 1 er février et le 14 juillet 2002. 575 médecins généralistes ont été sélectionnés par mailing liste et courrier postal. Ils ont inclus 3 811 patients traités pendant au moins un mois avec un inhalateur, soit environ 800 patients par inhalateur dans les groupes Aerolizer ® , Autohaler ® , Diskus ® , Turbuhaler ® , et 552 dans le bras pMDI [1]. Une check-list a été établie pour chaque modèle d’inhalateur, à partir de la notice d’information fournie dans l’emballage. L'utilisation du dispositif a été vérifiée par le médecin à partir de cette check-list. La très grande majorité des patients a fait au moins une erreur, entre 49 et 55 % pour tous les inhalateurs, jusqu’à 76 % avec le pMDI (=spray) (fig. 1). Des erreurs indépendantes du dispositif, telles que l’absence d’expiration avant l’inhalation ou l'absence du maintien d’une apnée quelques secondes après l’inhalation, sont fréquentes (40 à 47 % des cas) et susceptibles de masquer les différences entre les dispositifs, pourtant très présentes. En effet, au moins une erreur inhérente au dispositif est faite par environ 12 % des patients utilisant Aerolizer ® ou Diskus ® , par 30 à 40 % avec Autohaler ® ou Turbuhaler ® et près de 70 % avec le spray (fig. 2). Certaines erreurs de maniement, dites erreurs “critiques”, peuvent altérer significativement la quantité de médicaments atteignant les poumons et compromettre l’efficacité du traitement. Ces erreurs peuvent être indépendantes du dispositif (inhaler insuffisamment à travers l’embout buccal ou souffler dans le dispositif avant l’inhalation) ou dépendantes : • pour Aerolizer ® , oubli d’insérer la capsule ou d’effectuer les 2 pressions nécessaires avant de relâcher ; • pour Autohaler ® , oubli de remonter le levier en position verticale permettant d’armer le système ; • pour Diskus ® , oubli de redescendre le levier ; • pour le spray, manque de synchronisation entre la

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Page 1: Comment obtenir une bonne observance du traitement inhalé ?

© Masson, Paris, 2005 REV. PNEUMOL. CLIN., 2005, 61, 3S11-3S14

Comment obtenir une bonne observance du traitement inhalé ?

D’APRÈS LA COMMUNICATION DU PROFESSEUR MATHIEU MOLIMARD

Département de pharmacologie, Service des maladies respiratoires, CHU Pellegrin 33076 Bordeaux cedex, France.

COMMUNICATION

Le traitement par inhalation a été évalué chez unnombre limité de patients dans des études aussi bienin vitro, pour la détermination des caractéristiques

de l’inhalateur, qu’in vivo, dans des études “expérimentales”,autant de scintigraphie ou pharmacodynamie que demaniement du dispositif. La principale évaluation s’appuiesur de grandes études contrôlées comparatives dont le critèred’inclusion majeur est la capacité à utiliser l’inhalateurcorrectement, ce qui de fait sélectionne les patients.

Les bons résultats obtenus dans ces essais ne peuventêtre reproduits en pratique qu’avec de “bons” patients etde “bons” médecins, prenant le temps suffisant pourl’éducation du patient. Ce n’est pourtant pas ce qui sepasse dans la “vraie vie”, en consultation. La pharmaco-épidémiologie examine l’écart entre les essais cliniques etla pratique quotidienne et permet d’apprécier l’efficacitéde la thérapie par inhalation en situation réelle d’utilisation.Celle-ci dépend de la molécule utilisée, de son dosage,de la quantité de médicament délivrée (caractéristiquesdu dispositif : débit inspiratoire possible, granulométrie,fraction respirable…) et de l’utilisation du dispositifen pratique. En effet, des erreurs dans la techniqued’inhalation par le patient au quotidien peuvent annulerles effets bénéfiques observés dans les études cliniques.

ÉVALUATION DE L’UTILISATION DES INHALATEURS PAR LES PATIENTS

Si le mésusage des aérosols-doseurs standards(pressurized-metered dose inhaler, pMDI) est largementdécrit, il n’en est pas de même des nouveaux dispositifs.Les connaissances personnelles des médecins sont limitéessur ce sujet.

Afin d’évaluer l’utilisation réelle des inhalateurs parles patients, nous avons réalisé à Bordeaux (France) une

étude observationnelle en soins primaires entre le 1er févrieret le 14 juillet 2002. 575 médecins généralistes ont étésélectionnés par mailing liste et courrier postal. Ils ontinclus 3 811 patients traités pendant au moins un moisavec un inhalateur, soit environ 800 patients par inhalateurdans les groupes Aerolizer®, Autohaler®, Diskus®,Turbuhaler®, et 552 dans le bras pMDI [1]. Une check-lista été établie pour chaque modèle d’inhalateur, à partir dela notice d’information fournie dans l’emballage.L'utilisation du dispositif a été vérifiée par le médecin àpartir de cette check-list. La très grande majorité despatients a fait au moins une erreur, entre 49 et 55 % pourtous les inhalateurs, jusqu’à 76 % avec le pMDI (=spray)(fig. 1).

Des erreurs indépendantes du dispositif, telles quel’absence d’expiration avant l’inhalation ou l'absence dumaintien d’une apnée quelques secondes après l’inhalation,sont fréquentes (40 à 47 % des cas) et susceptibles demasquer les différences entre les dispositifs, pourtanttrès présentes. En effet, au moins une erreur inhérente audispositif est faite par environ 12 % des patients utilisantAerolizer® ou Diskus®, par 30 à 40 % avec Autohaler® ouTurbuhaler® et près de 70 % avec le spray (fig. 2).

Certaines erreurs de maniement, dites erreurs“critiques”, peuvent altérer significativement la quantitéde médicaments atteignant les poumons et compromettrel’efficacité du traitement. Ces erreurs peuvent êtreindépendantes du dispositif (inhaler insuffisamment àtravers l’embout buccal ou souffler dans le dispositifavant l’inhalation) ou dépendantes :

• pour Aerolizer®, oubli d’insérer la capsule oud’effectuer les 2 pressions nécessaires avant de relâcher ;

• pour Autohaler®, oubli de remonter le levier enposition verticale permettant d’armer le système ;

• pour Diskus®, oubli de redescendre le levier ;

• pour le spray, manque de synchronisation entre la

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mise en action manuelle et l’inspiration ;

• pour Turbuhaler®, défaut de maintien de l’appareilen position verticale au moment de la rotation ou detourner la poignée d’abord dans le sens des aiguillesd’une montre puis dans le sens contraire.

Des erreurs critiques compromettant le traitement ontété faites par 10 à 12 % des patients utilisant Aerolizer®,Autohaler® ou Diskus®, mais par 28 % de ceux traitésavec le pMDI (mauvaise coordination) et 32 % avecTurbuhaler® (maintien de l’appareil en position horizontale

dans 18 % des cas ou une seule rotation au lieu de deuxpour 15 %) (fig. 3).

ÉVALUATION DE L’UTILISATION DES INHALATEURS PAR LES GÉNÉRALISTES

Avec Aerolizer®, 80 % des médecins considéraientque les patients avaient absorbé la quantité totale de ladose délivrée. Avec Autohaler®, Diskus® ou Turbuhaler®,65-75 % des médecins le pensaient, et pour le spray ilsn'étaient plus que 50 % (fig. 4).

Fig. 1. — Proportion des patients faisant au moins une erreur dans la technique d’inhalation(d'après réf. 1).

Fig. 2. — Proportion des patients faisant au moins une erreur dans la technique d’inhalationattribuée au dispositif utilisé (d'après réf. 1).

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COMMENT OBTENIR UNE BONNE OBSERVANCE DU TRAITEMENT INHALÉ ? 3S13

Fig. 3. — Proportion de patients faisant au moins une erreur dans le maniement du dispositif d’inhalation compromettant l’efficacité du traitement. Résultats selon le type d’inhalateur (d'après réf. 1).

Fig. 4. — Proportion des patients ayant absorbé la totalité de la dose délivrée,de l’avis des médecins (d'après réf. 1).

Globalement, l’efficacité de l’inhalation a été surestimée,car un nombre important de patients ont fait une erreurcritique dans la procédure, quel que soit l’inhalateur : 24 %de ceux utilisant Turbuhaler® et 6 % avec le spray ouAutohaler® (fig. 5).

Par ailleurs l’étude a eu un rôle éducatif : 90 % desgénéralistes estimaient que la participation à ce travailaméliorera leur détection des erreurs et 93 % déclaraientleur intention de vérifier plus souvent la technique

d’inhalation.

CONCLUSION

Les erreurs dans l’utilisation des inhalateurs sont

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Fig. 5. — Surestimation de l’inhalation par les médecins. Les médecins considèrent queleurs patients ont inhalé la dose totale malgré une erreur critique effectuée dans la technique d’inhalation (% de patients avec une telle erreur) (d'après réf. 1).

fréquentes en pratique, y compris celles compromettantl’efficacité du médicament. Elles existent quel que soitle dispositif utilisé, avec néanmoins des différences entreles modèles. Ces erreurs sont souvent sous-estimées etles généralistes sur-estiment la qualité de la techniqued’inhalation de leur patient.

L’amélioration de l’observance thérapeutique pourrait

être obtenue grâce à l’éducation des utilisateurs etdes prescripteurs et au recours à un dispositif faciled’utilisation présentant des mécanismes de contrôle dubon déroulement de l’inhalation.

RÉFÉRENCE

1. Molimard M, Raherison C, Lignot S, Depont F, Abouelfath A,