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1 Rapport n° : AUS0000191 Comment le Tchad peut-il sortir du labyrinthe de la croissance ? Démêler les contraintes des opportunités et trouver la voie d’une croissance durable (Photo : M.C. Escher, « Relativité », 1953) Juin 2018 Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized Public Disclosure Authorized

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Rapport n° : AUS0000191

Comment le Tchad peut-il sortir du labyrinthe de la croissance ? Démêler les contraintes des opportunités et trouver la voie d’une croissance durable

(Photo : M.C. Escher, « Relativité », 1953)

Juin 2018

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© 2018 La Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington DC 20433 Téléphone : 202-473-1000 ; Site internet : www.worldbank.org

Certains droits réservés

Cet ouvrage a été établi par les services de la Banque mondiale. Les constatations, interprétations et conclusions présentées dans cet ouvrage ne reflètent pas nécessairement le point de vue des administrateurs de la Banque mondiale ou des pays qu’ils représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude des données citées dans ce document. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent ouvrage n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières.

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Attribution — L’ouvrage doit être cité de la façon suivante : « Banque mondiale. 2018. ÉCHAPPER AU LABYRINTHE DE CROISSANCE DU TCHAD. © Banque mondiale. »

Pour tout autre renseignement sur les droits et licences, y compris les droits dérivés, envoyez votre demande par courrier au Service des publications de la Banque mondiale : World Bank Publications, The World Bank Group, 1818 H Street NW, Washington, DC 20433, USA ; par telecopie au 202-522-2625 ; ou par courriel à l’adresse [email protected].

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Ce rapport a été préparé par une équipe dirigée par Markus Kitzmuller (Économiste principal, GMTA2).

D’importantes contributions ont été fournies par Samer Matta (Économiste, GMTA2), Olanrewaju Malik

Kassim (Économiste, GMTA2), Sara Nyman (Économiste, GMTCI), Julian Koschorke (Consultant, GFCEW) et

Fiseha Haile Gebregziabher (Économiste, GMTA2). Lionel Roger (Université de Nottingham) a contribué à

l’analyse sur la luminosité nocturne adaptée au Tchad. Le rapport a été produit sous la supervision générale

de Lars Moller (Directeur sectoriel, GMTA2), Soukeyna Kane (Directrice pays, AFCW3) et François Nankobogo

(Directeur pays, AFMTD). Jose Lopez-Calix (Responsable du programme, EFI, AFCW3) et Christine Richaud

(Économiste en Chef, GMTA2) ont apporté des commentaires utiles. L’équipe d’évaluation par les pairs était

constituée de Martha Martinez Licetti (Conseillère, GMTCI), Holger A. Kray (Économiste en Chef, spécialiste

de l’agriculture, GFA13) et Sandeep Mahajan (Directeur sectoriel, GMTA3). Micky O. Ananth et Maude

Valembrun ont fourni un grand soutien administratif.

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TABLE DES MATIERES

Table des matieres ................................................................................................................................. 4

Liste des figures ..................................................................................................................................... 5

Liste des Tableaux .................................................................................................................................. 7

Listes des encadrés ................................................................................................................................ 7

RÉSUMÉ ANALYTIQUE ............................................................................................................................ 9

A. LOCALISER le TCHAD dans le LABYRINTHE ................................................................................... 16

B. QU’EST-CE QUI A EMPÊCHÉ LE TCHAD DE TROUVER UNE ISSUE au labyrinthe ? ....................... 20

C. SOLUTIONS POSSIBLES POUR SORTIR DU LABYRINTHE ............................................................... 41

1. Analyse comparative ................................................................................................................. 41

2. Les principales contraintes offrent des opportunités majeures pour libérer le potentiel de croissance ......................................................................................................................................... 45

3. Analyse approfondie : des solutions à portée de main dans l’agriculture ............................... 53

4. Analyse approfondie : Connexion aux services de TIC/télécommunication ............................ 71

D. S’echapper DU LABYRINTHE : QUEL RYTHME ADOPTER POUR LES POLITIQUES ? ...................... 79

Recommandations politiques pour l’ensemble de l’économie ....................................................... 81

Recommandations politiques sectorielles ....................................................................................... 87

L’agriculture .................................................................................................................................. 87

Télécommunications .................................................................................................................... 88

E. ANNEXES .......................................................................................................................................... 91

1. Les données sur les émissions de luminosité nocturne au Tchad révèlent des écarts dynamiques entre les taux de croissance du PIB fournis par les Indicateurs du développement dans le monde (WDI) et ceux basés sur les émissions de lumière nocturne et soulignent la traduction imparfaite de l’impact de la production pétrolière et des revenus sur la croissance structurelle. ...................................................................................................................................... 91

2. Les différentes théories de la croissance économique et leur pertinence empirique ............. 94

3. Estimation empirique de la relation entre conflit et PIB dans la Tchad ................................... 97

4. Méthode d’analyse comparative .............................................................................................. 98

5. Hypothèses à la base du modèle de croissance à long terme du Tchad ................................ 100

6. Liste des entreprises publiques .............................................................................................. 102

7. Secteurs marqués par la présence des entreprises publiques ............................................... 104

F. BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................... 105

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LISTE DES FIGURES Figure 1 : Le Tchad est un des pays les moins développés et les plus pauvres du monde. .............................. 16 Figure 2 : L’histoire de la croissance du Tchad peut être divisée en trois périodes .......................................... 17 Figure 3 : Le début de la production de pétrole (2003-2005) a permis au Tchad d’accroître son PIB par habitant ............................................................................................................................................................. 17 Figure 4 : PIB relatif du Tchad selon les indicateurs du développement dans le monde et la luminosité ....... 18 Figure 5 : Le Tchad présente la plus grande fréquence de conflits parmi les pays de la CEMAC ..................... 20 Figure 6 : Perspective de croissance du dividende ............................................................................................ 20 de paix potentiel au Tchad ................................................................................................................................ 20 Figure 7 : Les dépenses militaires ont sensiblement augmenté en réponse aux menaces pesant sur la souveraineté et la sécurité du Tchad à la fin des années 2000... ...................................................................... 22 Figure 8 : ... et pourraient avoir évincé d’importants investissements dans le capital humain ....................... 22 Figure 9 : La croissance du PIB et les recettes publiques indiquent une corrélation négative pendant les années de forte expansion et une corrélation positive au cours des récentes années de récession ............... 23 Figure 10 : Le Tchad ne pouvait pas convertir le choc pétrolier positif en une prime de croissance durable .. 24 Figure 11 : Les exportations du Tchad sont fortement concentrées, exposant l’économie tchadienne à des crises pétrolières ............................................................................................................................................... 25 Figure 12 : La concentration des exportations montre une substitution rapide du coton au pétrole ............. 25 Figure 13 : Il pourrait y avoir des signes de syndrome hollandais .................................................................... 25 Figure 14 : Les contributions privées à l’investissement global ont diminué après 2006 et n’ont augmenté que récemment. ....................................................................................................................................................... 27 Figure 15 : Le crédit au secteur privé a été parmi les plus faibles de la région (malgré une récente tendance à la hausse). .......................................................................................................................................................... 27 Figure 16 : Les recettes pétrolières et le crédit intérieur au secteur privé peuvent quasiment être mis en miroir au fil du temps. ....................................................................................................................................... 27 Figure 17 : Les rentes pétrolières et le crédit au secteur privé ont évolué dans des directions opposées au fil du temps. ........................................................................................................................................................... 27 Figure 18 : Les risques commerciaux liés à la faiblesse des politiques de concurrence sont élevés au Tchad (par composante). ............................................................................................................................................. 33 Figure 19 : Interventions ex-ante justifiées de l’État ........................................................................................ 34 Figure 20 : Un cadre global pour la politique de concurrence .......................................................................... 35 Figure 21 : Par rapport aux pays de comparaison, les marchés tchadiens ont été dominés par quelques entreprises,... ..................................................................................................................................................... 36 Figure 22 : ... l’efficacité des politiques antimonopoles a été faible,... ............................................................. 36 Figure 23 : ... et l’intensité de la concurrence locale a été faible. ..................................................................... 36 Figure 24 : Une première analyse macroéconomique examine l’incapacité à tirer parti des revenus pétroliers pour la croissance (déterminants de la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant au Tchad). .......... 39 Figure 25 : La croissance de la PTF était négative lorsqu’on exclut les débuts de la période de production pétrolière (2003-2005). ..................................................................................................................................... 40 Figure 26 : Le Tchad avait un PIB par habitant beaucoup plus faible que les économies pétrolières de l'Afrique subsaharienne en 2003-2004. ............................................................................................................ 42 Figure 27 : Par rapport aux pays de référence, le Tchad a enregistré des performances inférieures en matière de diversification de son économie, de développement de ses infrastructures et d’amélioration de la gouvernance. ..................................................................................................................................................... 43 Figure 28 : L'économie du Botswana a progressé beaucoup plus rapidement que les autres pays riches en ressources d'Afrique subsaharienne ................................................................................................................. 43 Figure 29 : Le Chili a connu la plus forte croissance en Amérique latine depuis 1973. .................................... 43 Figure 30 : Les entrées d'IDE du Chili ont été parmi les plus élevées d'Amérique latine ................................. 45 Figure 31 : La capacité du Botswana à mettre en œuvre la règle de Hartwick a permis une politique budgétaire durable et favorable à la croissance. .............................................................................................. 45 Figure 32 : Les investissements doivent être relancés pour soutenir une croissance plus rapide dans le futur. ........................................................................................................................................................................... 46

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Figure 33 : Le principal défi consistera à réduire la dépendance au pétrole tout en stimulant les contributions de l’agriculture à court terme et celles de l’industrie et des services hautement qualifiés à long terme. ....... 48 Figure 34 : Le pétrole est le moteur des recettes gouvernementales... ........................................................... 49 Figure 35 : ... des recettes du secteur des services ... ....................................................................................... 49 Figure 36 :… mais aussi des secteurs non pétroliers du PIB. ............................................................................. 49 Figure 37 : Il y a une relation forte et positive .................................................................................................. 49 entre les prix du pétrole et les recettes fiscales. ............................................................................................... 49 Figure 38 : La plupart des Tchadiens vivent dans des zones rurales où la pauvreté est omniprésente. .......... 50 Figure 39 : Bien que représentant une part moins importante du PIB, l’agriculture représente encore la majeure partie de la population active. ............................................................................................................ 50 Figure 40 : La croissance de la productivité agricole a récemment pris du retard par rapport à d'autres pays de la CEMAC et les pays aspirants ..................................................................................................................... 54 Figure 41 : Le Tchad alloue un montant minime aux ........................................................................................ 55 les dépenses agricoles ... ................................................................................................................................... 55 Figure 42 : ... et manque de chercheurs spécialisés en agriculture .................................................................. 55 Figure 43 : Le pourcentage de populations rurales ayant des comptes financiers est encore plus faible au Tchad par rapport à d’autres pays de comparaison.......................................................................................... 56 Figure 44 : La productivité agricole est négativement liée à l’intensité des conflits armés. ............................ 56 Figure 45 : Le Tchad accuse un retard par rapport aux pays de comparaison en termes de dépenses publiques consacrées à l’agriculture... ............................................................................................................................... 57 Figure 46 : .... qui n’ont pas atteint les 10% des dépenses publiques comme convenu dans l’accord de Maputo. ............................................................................................................................................................. 57 Figure 47 : Le Gouvernement tchadien distribue la plupart des engrais dans le pays. .................................... 58 Figure 48 : Le prix de l’urée au Tchad est plus élevé que dans la plupart des pays de comparaison. .............. 58 Figure 49 : Le Tchad a pris du retard par rapport aux pays de comparaison en termes de PTF agricole... ...... 59 Figure 50 : ... et l’utilisation d’engrais. .............................................................................................................. 59 Figure 51 : En revanche, elle s’appuyait en grande partie sur la main-d’œuvre... ........................................... 59 Figure 52 : .... et l’accumulation de terres. ........................................................................................................ 59 Figure 53 : Le Tchad a souffert de faibles rendements… .................................................................................. 61 Figure 54 : ... et une production de coton limitée ............................................................................................. 61 Figure 55 : L’implication de COTONTCHAD d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur du coton ..................... 62 Figure 56 : Contraintes sur la concurrence d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur du coton ..................... 63 Figure 57 : L'intervention de l'État dans la chaîne de valeur du coton affecte l'allocation des ressources dans diverses chaînes de valeur cruciales de l'économie .......................................................................................... 65 Figure 58 : Proportion de marchés publics exemptés de procédures d’appel d’offres concurrentielles (2008-2017) .................................................................................................................................................................. 71 Figure 59 : Le Tchad souffre d'un faible taux d’abonnement à la téléphonie mobile… .................................... 72 Figure 60 : … et d’un taux de pénétration de l'Internet extrêmement faible.. ................................................. 72 Figure 61 : En conséquence, il est moins performant que ses pairs régionaux sur l’indice de développement des TIC ............................................................................................................................................................... 72 Figure 62 : Le coût du forfait cellulaire mobile en proportion du revenu mensuel moyen est excessivement élevé au Tchad (indiqué par groupe de revenus pour 2014) ............................................................................ 72 Figure 63 : Les prix du haut débit mobile au Tchad sont plus élevés que dans les pays de comparaison... ..... 73 Figure 64 : … et l'écart augmente lorsque l’on prend le coût du forfait en proportion du RNB. ...................... 73 Figure 65 : L'IHH du Tchad pour le quatrième trimestre 2017 était supérieur à celui de la plupart des pays de comparaison. ..................................................................................................................................................... 74 Figure 66 : Airtel et Tigo dominent en termes de connexions mobiles par fournisseur. .................................. 74 Figure 67 : Contraintes à la concurrence le long de la chaîne de valeur des télécoms au Tchad ..................... 75 Figure 68 : Les politiques créant une interface public-privé efficace peuvent rompre le cercle vicieux et déclencher un cycle vertueux impliquant un secteur privé dynamique, une diversification économique et une marge de manœuvre budgétaire. ..................................................................................................................... 80 Figure 69 : Les politiques macroéconomiques interagissent directement avec les interventions sectorielles stratégiques, créant ainsi des synergies entre les investissements publics et privés. ...................................... 81

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Figure 70 : L'augmentation de l'investissement, de la productivité et du capital humain pourrait générer des gains économiques... ......................................................................................................................................... 83 Figure 71 : … et réduire de manière significative le pourcentage de Tchadiens vivant avec moins de 1,9 dollar par jour. ............................................................................................................................................................. 83 Figure 72 : En 2016-2017, un écart de production négatif s'est creusé, le PIB réel ayant été inférieur à son potentiel estimé ................................................................................................................................................ 83 Figure 73 : Pour tirer parti des technologies intelligentes dans l’agriculture, il faudra un secteur des TIC souple et innovant. ............................................................................................................................................ 89 Figure 74 : Les pays enclavés, riches en ressources, semblent présenter les plus grands écarts entre la croissance du PIB telle qu’indiquée par les WDI et celle basée sur la luminosité nocturne. ............................ 92 Figure 75 : Des écarts relatifs existent au Tchad entre la croissance selon l’intensité des émissions lumineuses et la croissance selon les WDI ........................................................................................................................... 93 Figure 76 : Le Tchad a pris du retard sur ses pairs en matière d’indicateurs de gouvernance et d’infrastructure ................................................................................................................................................. 98

LISTE DES TABLEAUX Tableau 1 : Eventail de recommandations politiques susceptibles de libérer le potentiel de croissance du Tchad ................................................................................................................................................................. 15 Tableau 2 : Au cours des 30 dernières années, le Tchad n’a pas été en mesure de tirer durablement parti des principaux moteurs de la croissance à long terme............................................................................................ 19 Tableau 3 : Croissance du PIB par rapport aux prix du pétrole en période de conflit et d’absence de conflit . 23 Tableau 4 : Exemples d’interventions étatiques susceptibles d’accroître les risques pour le secteur privé au Tchad. ................................................................................................................................................................ 29 Tableau 5 : Position de marché des entreprises publiques tchadiennes .......................................................... 32 Tableau 6 : L’investissement et l’accumulation de main-d’œuvre ont stimulé la croissance sur la période 1995-2017. ........................................................................................................................................... 40 Tableau 7 : La croissance par habitant (en pourcentage) des économies pétrolières d’Afrique subsaharienne n’a pas été meilleure que celle du Tchad, contrairement à celle des pays de référence. ................................ 42 Tableau 8 : Un examen pointu des sources de croissance agricole au Tchad révèle un manque frappant de croissance de la productivité. ............................................................................................................................ 53 Tableau 9 : Les restrictions à l’entrée ainsi que l’inégalité des règles du jeu faussent les marchés des semences et des engrais au Tchad .................................................................................................................... 67 Tableau 10 : Recommandations politiques pour relever les défis pour l’ensemble de l'économie Source : Experts de la Banque mondiale. ........................................................................................................................ 81 Tableau 11 : Les pairs auxquels le Tchad a l’ambition de ressembler ont adopté diverses politiques pour stimuler la croissance ........................................................................................................................................ 86 Tableau 12 : Recommandations politiques pour relever les défis spécifiques aux secteurs de l'agriculture et des télécommunications ................................................................................................................................... 87 Tableau 13 : Coefficients de corrélation ........................................................................................................... 97 Tableau 14 : Résultats de la régression Conflits ................................................................................................ 98 Tableau 15 : Hypothèses utilisées dans le LTGM ............................................................................................ 101

LISTES DES ENCADRES Encadré 1 : La subsidiarité pourrait contribuer à clarifier le rôle de l’État dans l’économie. ........................... 28 Encadré 2 : Expérience transnationale sur la neutralité concurrentielle .......................................................... 31 Encadré 3 : L'espace-produits du Tchad et les principales opportunités d'exportation basées sur l'avantage comparatif identifié. .......................................................................................................................................... 51 Encadré 4 : Les droits de propriété foncière au Tchad sont un facteur important pour la productivité agricole. ........................................................................................................................................................................... 60

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Encadré 5 : Les subventions peuvent avoir des effets de distorsion importants.............................................. 66 Encadré 6 : Un échantillon représentatif des réformes réussies en faveur de la concurrence dans l’agriculture. ...................................................................................................................................................... 69 Encadré 7 : Passation des marchés publics au Tchad. ....................................................................................... 71 Encadré 8 : L'expérience de l'ouverture de passerelles internationales à la concurrence a été positive en Afrique. .............................................................................................................................................................. 76 Encadré 9 : Un échantillon de réformes favorables à la concurrence, réussies dans le secteur des télécommunications. ......................................................................................................................................... 78

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RÉSUMÉ ANALYTIQUE

Le Tchad est compté aujourd'hui parmi les pays les plus pauvres et les moins développés du monde. La

fragilité a constamment compromis son développement économique. Dans le même temps, une dépendance

excessive envers le secteur pétrolier a débouché sur une économie peu diversifiée, où la croissance, les

exportations et les recettes fiscales sont toutes tributaires d’une source unique. En conséquence, le Tchad a

été plongé dans une profonde récession et une grave crise de liquidité lorsque les prix du baril du pétrole ont

atteint un plancher en 2015. La reprise à court terme devrait être lente, dépendante du cours du pétrole et

complétée par une austérité prolongée. La croissance à moyen terme sera difficilement soutenable dans une

économie dénuée de moteurs de croissance structurels et dépendante d’une agriculture peu productive. Des

interactions complexes entre des facteurs exogènes et endogènes assombrissent l’horizon d’une croissance

durable et inclusive. Par conséquent, le défi qui consiste à comprendre et surmonter les contraintes

essentielles peut être comparé à celui de s’échapper d’un labyrinthe. Une fois à l’intérieur du labyrinthe, il est

en effet difficile d’obtenir une vue d’ensemble nécessaire pour identifier une voie de sortie possible.

Cette étude vise à comprendre la structure et le fonctionnement du labyrinthe afin de proposer une issue

concrète. Elle s’efforce de répondre aux questions suivantes. (1) Pourquoi le Tchad n’a t-il pas pu transformer

l’exploitation du pétrole en développement structurel, diversification et croissance durable ? (2) À quoi

pourraient ressembler les voies possibles vers une croissance durable à long terme ? (3) Quelles actions

politiques au niveau macro et microéconomique pourraient contribuer à tracer ces voies ? Le rapport est

organisé en quatre sections. La section A localise le Tchad dans le labyrinthe de la croissance, tandis que la

section B analyse ce qui a empêché le pays de trouver une issue. Elles sont suivies par la section C qui identifie

les voies de sortie potentielles du labyrinthe. Enfin, la section D propose un éventail de recommandations

politiques susceptibles d’aider à terme le Tchad à s’échapper du labyrinthe.

A. Localiser le Tchad dans le labyrinthe Au cours des trois dernières décennies, la croissance a été déterminée dans une large mesure par le pétrole

et l’insécurité. La performance économique a été volatile en raison des chocs pétroliers et sécuritaires. Entre

1990 et 2002, la dernière année avant le lancement de la production pétrolière, la croissance a été en moyenne

de 4 % par an. Le boom pétrolier du début des années 2000 a permis au Tchad d’augmenter son PIB par

habitant, qui est alors passé de 220,8 USD en 2002 à 660,2 USD en 2005 ; il a ainsi rapidement pris ses

distances par rapport à d’autres pays à faible revenu et réduit le vaste écart de revenu initial avec la moyenne

de l’Afrique subsaharienne. Depuis lors, différents épisodes d’insécurité nationale et régionale se sont ajoutés

à une incapacité plus générale à accélérer le rythme et améliorer la viabilité de la croissance. En fin de compte,

la dépendance constante vis-à-vis du pétrole a rendu l’économie moins diversifiée, moins compétitive et plus

vulnérable aux chocs exogènes. Plus récemment, après le choc pétrolier de 2015, le Tchad a souffert d’une

profonde récession et de graves déséquilibres macroéconomiques.

Dans le même temps, le Tchad a été incapable de tirer parti des moteurs majeurs de croissance à long terme.

La théorie économique fournit des lectures alternatives concernant les conditions clés et les moteurs à long

terme de la croissance, notamment le capital humain, l’accumulation de capital classique, la qualité des

institutions et de la gouvernance, ainsi que la concurrence et l’innovation en faveur de la productivité. Au

Tchad, ces moteurs semblent ne pas avoir eu un impact significatif et durable au cours des trente dernières

années. Premièrement, le développement du capital humain a affiché des performances médiocres, avec un

taux d’inscription dans l’enseignement secondaire de 19,3 % seulement entre 2003 et 2014, contre une

moyenne de 37 % en Afrique subsaharienne (ASS). Les indicateurs des taux d’abandon sont également élevés

et beaucoup d’écoles communautaires ont des résultats médiocres, ce qui jette le doute sur les méthodes de

recrutement des enseignants et la qualité de l’enseignement. Les lacunes en matière d’éducation sont plus

graves chez les jeunes filles, soumises à des pratiques traditionnelles telles que les mariages précoces qui les

10

obligent souvent à quitter l’école avant même d’avoir achevé l’enseignement primaire. En outre, l’espérance

de vie s’est à peine améliorée au fil du temps, tandis que les dépenses publiques de santé ont diminué en

proportion du PIB. Deuxièmement, le faible nombre d’abonnements à internet et l’accès limité à l’électricité

illustrent le manque de capital physique de l’économie tchadienne. Troisièmement, la forte inflation,

l’augmentation des déficits budgétaires et le récent surendettement indiquent un environnement de politique

macroéconomique faible, incapable de soutenir une croissance durable et robuste. Quatrièmement, diverses

mesures de la qualité institutionnelle, notamment l’Évaluation de la politique et des institutions nationales

(EPIN) de la Banque mondiale, révèlent un cadre de gouvernance médiocre qui ne s'est pas amélioré au cours

des années. Enfin, le manque de concurrence dans des secteurs clés ainsi que l’allocation inefficace des

ressources ont empêché une croissance significative de la productivité, sauf pendant la très courte période du

boom pétrolier.

B. Qu’est-ce qui a empêché le Tchad de trouver une issue au labyrinthe ? Des analyses micro et macroéconomiques identifient l’interaction de trois contraintes majeures à une

croissance plus rapide et durable au Tchad : l’insécurité, la dépendance envers le pétrole et l’intervention

sous-optimale de l’État. La fragilité et l’insécurité régionale qui sont des facteurs largement exogènes à

l’économie du Tchad, ont constamment miné d’importants moteurs de croissance comme le commerce ou

l’investissement et ont empêché le pays d’accroître son potentiel économique. Une autre grande occasion a

été manquée quand, plutôt que de mettre à profit le potentiel du pétrole en faveur d’investissements

productifs et de la résilience budgétaire, la gestion inefficace des recettes pétrolières a accru la vulnérabilité

du Tchad contribuant à la grave crise économique et budgétaire qui a suivi le choc pétrolier de 2014-2015.

Enfin, le rôle important joué par le gouvernement dans l’économie – l’interface public-privé comprenant les

incitations fiscales, la réglementation ainsi que les entreprises publiques – a privé le Tchad de considérables

avantages et dividendes de croissance découlant de la participation du secteur privé et de la concurrence sur

le marché.

L’insécurité a considérablement limité le potentiel de croissance du Tchad lors de l’envolée des prix

pétroliers. La croissance de la production était généralement plus faible durant les périodes de conflit, malgré

des prix du pétrole relativement plus élevés. En effet, les recettes publiques totales en pourcentage du PIB

sont passées de 11,4 % en 2005 à 22,4 % en 2008, un des niveaux les plus élevés de l’histoire du pays.

Cependant, le Tchad – en l’absence de conflit ou d’insécurité – affichait une croissance de 9,6 % par an en

moyenne, contre 2,8 % pendant les années de conflit. Comme le Tchad subissait de graves menaces pesant

sur la sécurité, les recettes pétrolières en plein essor étaient orientées vers les dépenses militaires et de

sécurité (qui ont été multiplié par cinq entre 2005 et 2009) plutôt que d’alimenter des investissements

productifs dans le capital humain et les infrastructures.

Le substantiel dividende pétrolier n’a pas été exploité pour une croissance structurelle à long terme. Nos

estimations utilisant la méthode des contrôles synthétiques (SCM – Synthetic Control Method) indiquent que

le lancement de la production de pétrole en 2003 a eu un fort impact positif sur le PIB réel par habitant à court

terme, mais que cet effet n’a pas pu être soutenu. En d’autres termes, le Tchad semble avoir manqué une

belle occasion de (1) stimuler et soutenir les niveaux du PIB par habitant et de (2) transformer les recettes

pétrolières en une accélération permanente de la croissance du PIB par le biais de l’investissement dans le

capital humain et les infrastructures. Le pétrole a même rendu l’économie du Tchad moins compétitive et plus

vulnérable aux chocs exogènes. Notamment, la diversification des exportations était déjà faible avant le

pétrole, mais a encore diminué après 2003, exposant l’économie du Tchad aux cycles et chocs des prix

internationaux du pétrole. Dans le même temps, les entrées massives de capitaux déclenchées par la

production et l’exportation de pétrole pourraient avoir réduit la compétitivité externe dans d’autres secteurs

par le biais de la dynamique du syndrome hollandais, donnant lieu à des évolutions des parts sectorielles du

PIB respectives en faveur de services non exportables et relativement peu productifs (peu qualifiés).

11

Les interventions gouvernementales sur les marchés ne sont pas calibrées pour favoriser la concurrence et

les contributions du secteur privé à la croissance. Si le gouvernement a été un acteur essentiel dans de

nombreux secteurs de l’économie, par le biais des dépenses publiques, de la réglementation et/ou de la

participation directe via les EP, le secteur privé semble être modeste et dans une situation de sous-

investissement, en comparaison au secteur public. Après un bref essor antérieur à la production pétrolière

entre 2000 et 2003, les contributions privées à la formation brute du capital fixe ont diminué. La découverte

de pétrole et l’abondance subséquente de recettes pétrolières pourraient avoir aggravé la marginalisation du

secteur privé (non pétrolier), comme l’indique une corrélation négative évidente entre les revenus du pétrole

et le crédit national au secteur privé au fil du temps. Le manque de complémentarité entre les investissements

privés dans les marchés clés et la participation publique directe sur les marchés alimentés par les revenus

pétroliers a sans doute contribué à l’éviction du secteur privé. Cela a rendu la croissance dans les secteurs clés

non pétroliers fortement dépendante des dépenses publiques, exposant ainsi la performance économique à

des risques budgétaires considérables. L’incertitude pour le secteur privé découlant des politiques et des

interventions du gouvernement constitue une barrière de fait à l’entrée– et ajoute un risque supplémentaire

à un climat des affaires global déjà complexe.

Dans l’ensemble, les analyses de décomposition et de régression de la croissance mettent clairement en

évidence le manque de productivité et de croissance structurelle qui s’ensuit. Les résultats de l’analyse de

régression semblent indiquer que les recettes pétrolières plus élevées pendant les années 2000 n’ont pas été

utilisées pour améliorer les infrastructures du pays et investir dans le capital humain et physique. La

décomposition de la croissance à partir du modèle de Solow suggère qu’entre 1995 et 2017, la croissance au

Tchad a été tirée dans une large mesure par l’accumulation des facteurs plutôt que par la productivité. Si l’on

exclut la période 2003-2005, la productivité du Tchad a été un frein à la croissance, contrairement à celle de

pays de comparaison choisis comme le Cambodge ou le Bangladesh, ce qui indique que les gains du pétrole

ne se sont pas traduits et matérialisés en amélioration de l’efficacité dans l’économie non pétrolière.

C. Potentielles voies de sortie du labyrinthe Le Tchad manque actuellement de facteurs structurels, mais, une fois démêlé, le labyrinthe des contraintes

offre des opportunités majeures pour dynamiser la croissance de manière durable. Cette étude identifie des

options pour améliorer sensiblement la performance et la croissance économiques en adoptant une

perspective macro et microéconomique ainsi qu’un point de vue économique général et sectoriel. Une analyse

comparative met en relief la performance du Tchad par rapport à un groupe déterminé de pays. En y incluant

les pays exportateurs de pétrole, nous nous concentrons sur les pairs auxquels le Tchad a l’ambition de

ressembler et qui ont des caractéristiques économiques communes avec lui mais ont enregistré de bien

meilleurs résultats en termes de performance de croissance. Cela les qualifierait comme des modèles pour

une gamme de stratégies de promotion de la croissance. En outre, une vision à 360 degrés de l’économie

souligne les moteurs de croissance macroéconomiques et microéconomiques essentiels qui doivent être

utilisés pour permettre une croissance plus rapide et durable du PIB réel. En complément, deux études

sectorielles approfondies fournissent une analyse détaillée des principales contraintes empêchant

l’agriculture et les TIC/télécommunications de jouer leur rôle stratégique dans la création d’un environnement

dynamique et propice à la croissance.

L’analyse comparative du Tchad et de ses pairs auxquels il a l’ambition de ressembler révèle une sous-

performance en matière de gouvernance, d’investissements dans les infrastructures, de diversification des

exportations et, surtout, de développement du secteur privé. Les infrastructures sous-développées

apparaissent comme une contrainte majeure pesant sur le développement du Tchad. Par exemple, les pairs

auxquels le Tchad a l’ambition de ressembler comptabilisaient, en moyenne, 56,7 téléphones mobiles pour

100 habitants de plus que le Tchad entre 2015-2016. De même, alors qu’aucune divergence initiale n’était

12

constatée dans les pourcentages de la population utilisant l’internet, un écart de plus de 14 points entre le

Tchad et ses pairs se sont creusés en 2015-2016. Outre les questions d’infrastructures, la trajectoire de

croissance du Tchad n’a pas suivi celle de ses homologues en raison de la médiocre gouvernance. En effet,

parti d’une qualité de gouvernance similaire en 2003-2004, un écart important s’est creusé entre le Tchad et

ses pairs. Les différences grandissantes en matière d’indices de crédit fourni au secteur privé et de

concentration des exportations sont également remarquables. Elles suggèrent que le Tchad n’a pas été

capable de diversifier son économie ni de développer un secteur privé dynamique.

Par conséquent, une politique budgétaire efficace et des politiques complémentaires favorisant la

concurrence constituent les principales conditions nécessaires pour stimuler l’investissement privé et la

croissance au Tchad. Une stabilité macroéconomique, des institutions bien gouvernées, des marchés

concurrentiels et un climat favorable à l’investissement sont tous des facteurs qui doivent interagir pour

apporter de fortes incitations en faveur de l’investissement privé et de l’entrée des entreprises dans les

secteurs productifs. Le Tchad s’est retrouvé dans un cercle vicieux où la dépendance vis-à-vis du pétrole limite

l’espace budgétaire, et où le faible espace budgétaire et l’inefficace participation du gouvernement aux

marchés freinent la concurrence et évincent l’investissement privé dans l’économie non pétrolière, ce qui, à

son tour alimente encore davantage la dépendance au pétrole. Par conséquent, un espace budgétaire doit

être créé et utilisé efficacement. S’ils sont stratégiquement bien ciblés, les investissements publics peuvent

améliorer progressivement l’infrastructure, réduire le coût des transactions commerciales et à terme attirer

les investissements privés. Toutefois, l’investissement public doit être complété par la création d’un

environnement réglementaire de marché adéquat et propice.

Ensuite, une orientation stratégique sur des secteurs à fort potentiel de croissance pourrait donner une

impulsion à un cycle vertueux apportant une croissance durable et inclusive. Au Tchad, les recettes

pétrolières peuvent être mises à profit pour accroître progressivement la croissance de la productivité dans

des secteurs non pétroliers essentiels comme l’agriculture. Les contributions sectorielles à la croissance du PIB

réel au fil du temps révèlent que les secteurs du pétrole et des services sont les principaux moteurs, tandis

que l’agriculture reste bien en dessous de son potentiel. Une conséquence en a été l’augmentation des

inégalités entre 2003 et 2011 : bon nombre des ménages ruraux les plus pauvres n’ont pas pu bénéficier de la

croissance économique. Si l’objectif à long terme est de diversifier l’économie pour la faire sortir de la

dépendance actuelle vis-à-vis du pétrole, la production et les exportations pétrolières resteront une source de

revenus fondamentale nécessaire pour financer la reprise et soutenir la croissance de l’économie non

pétrolière. Étant donnée la structure actuelle de l’économie en termes de contributions au PIB, d’emploi et de

potentiel de productivité, l’agriculture peut et doit clairement jouer un rôle crucial pour réduire la pauvreté et

promouvoir une croissance durable et inclusive. Un approvisionnement plus efficace en intrants clés pourrait

déboucher sur une meilleure productivité des performances dans le secteur primaire, secondaire et tertiaire.

Cela se rapporte essentiellement aux TIC/télécommunications en raison de leurs liens directs avec presque

tous les segments de l’économie, de la prestation de services publics aux services hautement qualifiés et en

tant qu’intrants intermédiaires de l’inclusion financière.

Les inefficacités au niveau des marchés agricoles sont souvent induites par le gouvernement et découragent

les investissements privés tout en pesant lourdement sur la productivité. Le secteur public joue un rôle

important pour façonner les marchés via deux canaux principaux. D’abord, le gouvernement participe

directement en fournissant des intrants agricoles essentiels, tels que des engrais, des semences et des

machines ainsi qu’en jouant le rôle d’agent économique par le biais d’EP telles que la COTONTCHAD ou la

SIMATRAC ou dans le cadre de PPP comme c’est le cas dans l’élevage. Deuxièmement, le gouvernement

influence les résultats du marché indirectement en tant que décideur politique et régulateur.

Améliorer le cadre réglementaire pour les intrants agricoles et atténuer les risques liés à la participation du

secteur privé pourrait entraîner des avantages considérables, notamment dans les chaînes de valeur du

13

coton, du bétail et du sésame. Les principales contraintes à lever comprennent l’inefficacité des marchés des

intrants, les restrictions à la concurrence le long de la chaîne de valeur du coton et les règles du jeu inéquitables

en raison des PPP dans la chaîne de valeur du bétail. D’abord, de nombreux marchés de produits agricoles

dépendent de la fourniture publique d’intrants, mais le soutien gouvernemental a favorisé le coton et

empêché la répartition efficace des ressources dans les autres chaînes de valeur. Deuxièmement, l’EP du

coton, COTONTCHAD, qui fonctionne comme une entreprise verticalement intégrée et impliquée dans chaque

segment de la chaîne de valeur, de la fourniture d’intrants à l’exportation du coton, est dominante le long de

la chaîne de valeur. Elle bénéficie d’un monopsone légal pour le coton non transformé qui s’est traduit par un

monopole de fait sur le reste de la chaîne de valeur, empêchant ainsi l’entrée d’acteurs privés. Les efforts de

privatisation en cours doivent éliminer ces obstacles et permettre la concurrence le long de la chaîne de valeur.

En troisième lieu, le gouvernement cherche à développer le secteur de l’élevage par le biais de partenariats

public-privé (PPP). Toutefois, la justification sous-jacente de la participation du gouvernement est fragile.

Rétablir l’égalité des chances (règles) en termes de fiscalité et assurer des procédures d’appel d’offres de PPP

compétitives et la neutralité concurrentielle est donc essentiel pour minimiser les distorsions.

Les services de télécommunications sont un intrant clé pour la croissance, mais le secteur reste sous-

développé. Les prix élevés contribuent fortement aux faibles taux de pénétration et d’accès au Tchad. D’une

part, les coûts d’exploitation fondamentalement élevés sont en partie liés à une imposition inefficace. Les

impôts s’élevaient à près de 50 % du chiffre d’affaires des opérateurs en 2015, et pourraient atteindre 60 %

aujourd'hui. Ainsi, l’introduction d’une taxe sur les appels internationaux entrants de 50 XAF par minute

(environ 0,08 USD) a contribué à une baisse de 27 % du trafic international entrant entre 2013 et 2015, alors

que le trafic global a augmenté sur la même période. D’autre part, le manque de concurrence pourrait

contribuer aux prix élevés, même après déduction des paiements d’impôts et de redevances. Le marché de la

téléphonie mobile tchadienne est fortement concentré (avec deux grands acteurs : Airtel et Tigo), ce qui n’est

pas un problème en soi si les cadres politiques réglementaires et de concurrence garantissent des marchés

compétitifs. Toutefois, le cadre réglementaire prévoit des restrictions dans des segments clés de la chaîne de

valeur et ne remplit pas cette mission. Par exemple, au niveau de la connectivité à la dorsale internationale,

le Tchad dépend d’une passerelle unique qui est un monopole public légal. En outre, il n’y a actuellement

aucune réglementation sur le partage de l’infrastructure nationale et il existe une incertitude concernant

l’utilisation de la fibre optique nationale pour fournir des services d’internet. Enfin, alors que les tarifs

d’interconnexion (qui sont perçus comme élevés au Tchad) ne sont pas régulés actuellement, les opérations

de transfert d’argent via le mobile sont réglementées de manière trop restrictive.

D. S’échapper du labyrinthe : comment rythmer les politiques ?

Un éventail de politiques macroéconomiques et microéconomiques (résumées dans le Tableau 1) pourrait

mettre le Tchad sur une trajectoire de croissance dynamique et durable. Sur la base de l'analyse présentée

dans les chapitres précédents, cette section propose des recommandations sectorielles et économiques ayant

un impact à court et à long terme. L’agenda politique peut être ancré dans la dynamique de développement

par trois entrées principales : 1. politique budgétaire pour accroître la résilience et la marge pour les

investissements stratégiques tout en rééquilibrant progressivement les sources de recettes fiscales ; 2.

interface public-privé encourageant de plus en plus les investissements privés et les marchés concurrentiels ;

et 3. diversification de l’économie réelle tirée par les secteurs dotés d’un fort potentiel d’amélioration de la

productivité.

En fin de compte, un cercle vertueux mené par des synergies entre les secteurs public et privé devrait

alimenter durablement une croissance accélérée. Le point d’entrée pour que la politique donne une

impulsion au cycle comprend des politiques budgétaires visant la mobilisation et la gestion des recettes –

principalement en créant une marge pour engager des dépenses d’investissement stratégiques – et des

politiques de marché favorables à la concurrence au niveau de l’économie et des secteurs. Celles-ci sont

14

hautement complémentaires et une croissance durable tirée par le secteur privé ne peut émerger que si les

deux domaines de politique sont développés en parallèle.

La politique au niveau de l’ensemble de l’économie doit se concentrer sur les opportunités de réduire les

risques pour les investissements privés et de tirer parti des politiques et ressources publiques pour attirer

ceux-ci. Des politiques budgétaires efficaces et stratégiques peuvent augmenter les coûts d’opportunité du

conflit et assurer contre les chocs exogènes liés à la volatilité des prix des matières premières ou aux conditions

météorologiques. Il sera essentiel de gérer les recettes pétrolières pour lisser les cycles et créer des tampons

disponibles pour absorber les chocs de prix des matières premières. En outre, améliorer la mobilisation des

revenus à court terme (notamment des recettes fiscales non pétrolières) sera important afin de créer un

espace budgétaire nécessaire pour réaliser des dépenses/investissements productifs dans l’économie non

pétrolière. Une gouvernance plus forte et une plus grande transparence sont fondamentales pour maintenir

la discipline budgétaire. Il est essentiel que le Tchad ramène progressivement son taux d’investissement aux

niveaux d’avant 2015. Toutefois, compte tenu de la situation budgétaire actuelle fragile et du niveau élevé de

la dette publique, les autorités doivent être sélectives et ne financer que des projets susceptibles de produire

des rendements considérables à long terme. Dans ce contexte, il est nécessaire de tirer parti de la

complémentarité entre les secteurs public et privé. Cela peut être fait au moyen de réglementations et de

politiques favorables à la concurrence afin de promouvoir la participation du secteur privé en réduisant au

minimum le risque de (i) limiter l’entrée ; (ii) faciliter la collusion ou augmenter le coût de la concurrence ; et

(iii) discriminer certains acteurs et établir des règles du jeu inéquitables.

En outre, des réformes visant à stimuler la productivité et à renforcer le capital humain sont indispensables.

Les réformes ayant pour but d’améliorer l’accès à l’électricité, stimuleraient la productivité. À cet égard, de

précieux enseignements peuvent être tirés du Bangladesh, qui a réussi à obtenir de fortes augmentations de

l’accès à l’électricité au cours des dernières années. En parallèle, améliorer l’accès à l’éducation et sa qualité

est essentiel pour renforcer le capital humain. Pour ce faire, les autorités peuvent allouer une part plus élevée

des dépenses publiques au secteur de l’éducation ; cibler davantage les régions et les ménages pauvres pour

compenser les inégalités potentielles ; concevoir des mécanismes pour lutter contre l’absentéisme des

enseignants et améliorer la gestion des services d’éducation.

Les augmentations de la productivité totale des facteurs (PTF) et de l’investissement privé doivent

également s’enraciner au niveau sectoriel. L’agriculture joue un rôle important pour l’emploi, le bien-être et

la croissance économique, tandis que les télécommunications constituent un intrant nécessaire à l’ensemble

de l’économie. Par conséquent, une politique sectorielle favorable à la concurrence dans des secteurs choisis

peut contribuer grandement à générer des investissements privés et une croissance accélérée de la

productivité, qui s’étendraient progressivement dans une économie non pétrolière de plus en plus diversifiée.

Les politiques sectorielles doivent se concentrer sur la participation du secteur privé dynamique dans les

marchés des intrants agricoles et ouvrir l’accès à la connectivité internationale en matière de

télécommunications. Pour stimuler la productivité agricole, qui est restée modérée en raison de la faible

utilisation des semences et des engrais, le gouvernement devra encourager la participation du secteur privé

aux grands marchés d’intrants agricoles. Pour faciliter l’utilisation de semences durables et productives moins

vulnérables aux chocs, le gouvernement pourrait lancer un appel d’offres compétitif pour l’importation et la

distribution d’intrants et fournir des subventions par l’intermédiaire de coupons valables pour l’achat de

graines auprès de détaillants privés. En outre, le secteur du coton pourrait être relancé en supprimant le

monopsone juridique de COTONTCHAD sur le coton non transformé et en permettant des investissements

privés dans les usines d’égrenage, ouvrant ainsi le marché en aval à la concurrence. Dans le secteur des

télécommunications, les autorités tchadiennes sont encouragées à ouvrir la passerelle internationale à la

concurrence (comme il était prévu initialement) et à supprimer les obstacles juridiques à la création de

passerelles internationales ainsi qu’à la pose et à l’utilisation de câbles à fibres optiques pour améliorer la

15

qualité et la portée des services de télécommunications. Pour ce faire, assurer l’égalité des chances entre les

opérateurs privés et le fournisseur public sera crucial. Enfin, un cadre réglementaire favorable à la concurrence

est essentiel pour permettre le développement de services de transfert d’argent via le mobile qui pourraient

renforcer l’inclusion financière et faciliter l’afflux des envois de fonds depuis l’étranger.

Tableau 1 : Eventail de recommandations politiques susceptibles de libérer le potentiel de croissance du Tchad

Défi Politique(s) Dimension temporelle

Ensemble de l’économie

Chocs macroéconomiques Maintenir des tampons budgétaires en réduisant les déficits budgétaires

Court terme

Faible coût d’opportunité du conflit Réorienter les dépenses du gouvernement en faveur des dépenses productives

Long terme

Économie non diversifiée Renforcer la mobilisation des recettes Court terme

Faibles taux d’investissement Investir dans des projets d’infrastructure à haut rendement Encourager la participation du secteur privé

Long terme

Participation limitée du secteur privé Assurer la complémentarité entre les secteurs public et privé dans les marchés

Court terme

Manque de justification économique pour la participation du gouvernement

Réexaminer la justification de la participation du gouvernement dans des secteurs où la concurrence du secteur privé est viable

Court ou long terme (selon le secteur)

Règles du jeu inéquitables pour les entreprises

Assurer la neutralité concurrentielle dans la réglementation du marché et le soutien de l’État aux entreprises dans l’ensemble de l’économie

Long terme

Gouvernance faible Adopter une politique de données ouvertes Adhérer à la Convention des Nations Unies contre la corruption

Long terme

Productivité stagnante Concevoir une stratégie énergétique complète Investir dans le capital humain

Long terme

Spécifique à un secteur

Manque d’intrants agricoles Stimuler la fourniture privée d’intrants agricoles Court terme Faible concurrence le long de la chaîne de valeur du coton

Compléter la privatisation avec des mesures visant à ouvrir le marché à la concurrence

Court terme

Mauvaise allocation des ressources publiques et privées entre secteurs

Mieux cibler le soutien gouvernemental pour remédier aux défaillances du marché

Court terme

Médiocre productivité agricole Utilisation de technologies intelligentes dans l’agriculture

Long terme

Coût élevé de la connexion internationale

Envisager l’ouverture à la concurrence de la passerelle internationale

Court terme

Manque de clarté concernant les règles régissant la fibre optique

Clarifier le règlement régissant la pose et l’utilisation de fibre optique

Court terme

Règles du jeu inéquitables dans le secteur des télécommunications

Assurer la neutralité concurrentielle entre Sotel et les opérateurs privés

Long terme

Restrictions sur le développement des services d’argent mobile

Mettre en place un cadre réglementaire favorable à la concurrence pour l’argent mobile

Long terme

Source : Élaboré par la Banque mondiale.

16

A. LOCALISER LE TCHAD DANS LE LABYRINTHE

Le Tchad est compté aujourd'hui parmi les pays les plus pauvres et les moins développés du monde. La récente crise budgétaire et économique, provoquée par la chute des prix du pétrole, a clairement mis en évidence la vulnérabilité d’une économie fortement concentrée, incapable de s’appuyer sur des bases budgétaires réelles et diversifiées pour assurer sa stabilité macroéconomique et sa croissance. Avec un PIB réel (par habitant) se contractant à 6,4 % (9,4 %) en 2016 et une marge de manœuvre budgétaire insuffisante pour soutenir la reprise, le Tchad reste au plus bas en termes de développement humain et de pauvreté absolue. Le Tchad a connu une hausse rapide de sa population, qui est passée de 8,3 millions d'habitants en 2000 à 14,5 millions en 2016. Il occupait la 186ème place sur 188 du classement des pays selon leur indice de développement humain (IDH) en 2015 et était la sixième nation la plus pauvre du monde en 2011 (Figure 1). De plus, l’insécurité qui règne dans la région constitue une menace permanente pour l’activité économique et la stabilité. Le pays a accueilli 554 000 personnes déplacées (dont 391 000 réfugiés), soit l’équivalent de 3,8 % de sa population nationale en fin 20161, faisant du Tchad le quatrième plus grand pays d’accueil au monde en termes relatifs.2 Figure 1 : Le Tchad est un des pays les moins développés et les plus pauvres du monde.

Source : Estimations des indicateurs du développement dans le monde, élaboré par l'ONU et la Banque mondiale.

Pour réduire la pauvreté et accroître la prospérité partagée, une croissance durable et inclusive sera nécessaire. Cette étude tente d'identifier et d'analyser les principales contraintes empêchant le Tchad de s’engager sur un tel chemin de croissance, connu comme le « labyrinthe de croissance du Tchad ». En dissociant les facteurs déterminants et les restrictions de la croissance économique, un éventail de recommandations de politiques dynamiques, sectorielles et économiques est élaboré afin de permettre au Tchad de sortir du labyrinthe et de s’engager sur la voie d’une croissance durable et inclusive. Par conséquent, au-delà du chapitre A, qui présente l’histoire récente de la croissance du Tchad et l’absence de facteurs de croissance structurels, la suite du rapport s’articule autour de trois sections. Le chapitre B analyse les interactions de trois contraintes majeures à une croissance durable. Le chapitre C identifie les solutions potentielles permettant la croissance. Enfin, le chapitre D propose plusieurs politiques concrètes en vue de sortir du labyrinthe et de déclencher progressivement une croissance inclusive à long terme.

1 Selon le HCR (2016), les personnes déplacées de force comprennent : Les réfugiés, les personnes se trouvant dans une situation assimilable à celle des réfugiés, les déplacés internes sous protection, les réfugiés renvoyés dans leur pays d'origine, , les personnes sous mandat d'apatridie du HCR, etc.

2 http://www.unhcr.org/en-us/statistics/unhcrstats/5943e8a34/global-trends-forced-displacement-2016.html.

17

Au cours des trois dernières décennies, la croissance a été largement définie par le pétrole et l’insécurité plutôt que par des facteurs structurels à long terme.

Figure 2 : L’histoire de la croissance du Tchad peut être divisée en trois périodes

Figure 3 : Le début de la production de pétrole (2003-2005) a permis au Tchad d’accroître son PIB par habitant

Source : Indicateurs du développement dans le monde et Banque mondiale. Source : Indicateurs du développement dans le monde

Le pétrole et l'insécurité ont largement défini les performances de croissance économique pendant des

décennies. Sur la période 1990-2017, on peut globalement diviser la croissance économique en trois périodes

distinctes, chacune caractérisée par des développements politiques et économiques spécifiques (Figure 2).

Entre 1990 et 2002, la production a augmenté de 4 % par an en moyenne. Malgré une stabilité politique

relative, les conflits internes ont pesé sur la croissance. En revanche, la dévaluation du FCFA en 1994 a sans

doute stimulé la croissance, notamment en raison de la compétitivité accrue des exportations de coton et des

importantes entrées d’aide étrangère qui en ont résulté3. La deuxième période, de 2002 à 2014, a été

caractérisée par un choc positif initial important, le début de la production de pétrole coïncidant avec le début

du super cycle pétrolier. Cela a permis au Tchad d’accroître son PIB par habitant, passant de 220,8 USD en

2002 à 660,2 USD en 2005, et ainsi de distancer rapidement les autres pays à faible revenu et de réduire

l'important écart de revenu avec la moyenne de l'Afrique subsaharienne (Figure 3). Au cours de cette période,

la croissance a toutefois été interrompue par l’instabilité et les conflits qui ont bouleversé la région, comme

les tentatives de coup d’État de 2006 et 2008 et les retombées négatives du conflit et des chocs climatiques

survenus au Soudan voisin. Au cours de la troisième et dernière période, de 2015 à nos jours, l'activité

économique s'est fortement contractée en raison d’un budget et d'une économie dégradés par la baisse des

prix du pétrole, d’une situation aggravée par le remboursement de la dette commerciale extérieure et d’un

contexte sécuritaire tendu (Boko Haram).

Les taux de croissance estimés grâce aux données sur la luminosité nocturne suggèrent que les gains issus

de la production pétrolière ont été partiellement et plutôt tardivement convertis en amélioration de

l’économie non pétrolière. Les données satellites nocturnes permettent d’analyser la situation sous un angle

nouveau, dans la mesure où elles ne reflètent pas directement et immédiatement le boom de la croissance du

PIB, déclenché par le début de la production de pétrole et saisi dans les données officielles des comptes

nationaux. Des écarts importants et changeants entre les taux de croissance observés sur les images nocturnes

et les taux de croissance officiels du PIB indiqueraient que les gains obtenus grâce à la production pétrolière

pourraient ne pas avoir été convertis directement et immédiatement en croissance structurelle de l’économie

non pétrolière. La comparaison avec les estimations de croissance basées sur les données satellites nocturnes

3 AZAM. Jean-Paul, DJIMTOINGAR. Nadjiounom, 2002 « Cotton, War and Growth in Chad : 1960-2000 », document de travail sur la croissance n° 6, Consortium pour la recherche économique en Afrique

18

révèle un écart négatif important des taux de croissance officiels du PIB entre 2003 et 2007, soit les années

clés du début de la production pétrolière, couvrant les revenus et la consommation après 2003. Cette image

change radicalement et affiche un écart à la baisse des taux de croissance des indicateurs du développement

dans le monde entre 2009 et 2013. Par exemple, en 2004, les données réelles indiquaient une croissance de

33,6 % du PIB, tandis que la luminosité reflétait une croissance plus modérée de 12,5 %. Pour plus de détails

sur cette analyse, se reporter à l'annexe 1.

Figure 4 : PIB relatif du Tchad selon les indicateurs du développement dans le monde et la luminosité

Source : Roger (2018).

Le Tchad semble ne pas avoir été en mesure de tirer parti des principaux moteurs de croissance à long terme

au cours des trois dernières décennies. La théorie économique fournit des récits alternatifs sur les conditions

nécessaires et les moteurs de la croissance à long terme4. Le premier travail de Solow (1956) a souligné

l'importance de l'investissement et de la productivité pour parvenir à la croissance, tandis que celui de Romer

(1990 ; 1986) a montré que l'augmentation du capital humain est essentielle pour stimuler l'activité

économique. Sur la base de ces théories, Acemoglu et Robinson (2004 ; 2005) et Easterly et Rebelo (1993) ont

montré que des institutions performantes et des politiques macroéconomiques saines sont également

essentielles à une meilleure économie. En ce qui concerne le Tchad, les différentes variables utilisées pour

saisir ces théories ne semblent pas s'être améliorées au cours des trente dernières années, en particulier si on

compare à la moyenne de l'Afrique subsaharienne (tableau 1).

Malgré les entrées des recettes pétrolières, le capital humain (catégorie A) et le développement des

infrastructures (catégorie B) demeurent limités, tandis que le contexte macroéconomique reste dégradé

(catégorie C). En dépit d'une augmentation au fil du temps, le taux de scolarisation dans le secondaire s’élevait

à seulement 22,6 % au cours de la période 3 (2015-2016), contre 42,6 % en Afrique subsaharienne (ASS). Les

indicateurs tels que les taux d'abandon scolaire sont également élevés et de nombreuses écoles

communautaires affichent de mauvais résultats. Ce qui remet en cause les méthodes de recrutement des

enseignants et le contenu de l'enseignement. Les écarts en matière d’éducation sont plus marqués chez les

jeunes filles soumises à des pratiques traditionnelles telles que le mariage précoce, les forçant souvent à

arrêter leurs études sans pouvoir terminer l’école primaire. De plus, l'espérance de vie s'est à peine améliorée

au fil du temps, tandis que le taux de mortalité infantile a chuté à un rythme beaucoup plus lent qu'en Afrique

subsaharienne. De même, le capital physique, facteur déterminant de la croissance économique à long terme

(Durlauf et coll., 2005 ; Solow, 1957), était limité comme le montrent le faible nombre d'abonnements de

téléphonie fixe et le faible accès à l'électricité. De plus, la documentation a montré que des politiques

macroéconomiques saines sont nécessaires à la création d’un environnement sûr pour l'investissement,

réduisant les incertitudes quant à l'avenir (Bleaney, 1996 ; Easterly et Rebelo, 1993). Au Tchad, une inflation

4 Consultez l'annexe 2 pour un bref aperçu de la documentation sur la croissance.

19

élevée, des déficits budgétaires croissants et le récent surendettement indiquent l’existence d’un

environnement politique dégradé, incapable de gérer la volatilité et les chocs exogènes ou de soutenir une

reprise durable.

Tableau 2 : Au cours des 30 dernières années, le Tchad n’a pas été en mesure de tirer durablement parti des principaux moteurs de la croissance à long terme.

Tchad

Moyenne de l’Afrique subsaharienne

Différence (Δ)*

1993- 2003- 2015- 1993- 2003- 2015- 1993- 2003- 2015-

2002 2014 2016 2002 2014 2016 2002 2014 2016

A - Capital humain1/

Inscriptions aux études secondaires (en % brut) 9,6 20,0 22,6 24,6 36,7 42,6 15,1 16,7 20,0

Espérance de vie totale à la naissance (en années) 47,4 49,7 52,7 50,2 55,7 60,2 2,8 6,1 7,4

Taux de mortalité avant 5 ans (pour 1 000 naissances vivantes)

195,6 155,4 129,1 167,1 109,2 79,9 -28,5 -46,1 -49,2

Stock de capital et infrastructure2/

Formation brute de capital (en % du PIB) 19,6 29,2 26,5 16,3 18,8 21,0 -3,3 -10,4 -5,5

Abonnements de téléphonie fixe (pour 100 personnes)

0,1 0,3 0,1 1,2 1,4 1,1 1,1 1,1 1,0

Accès à l’électricité (en % de la population) 1,6 5,7 8,3 21,7 32,6 40,6 20,1 26,9 32,4

Taux d’internautes (en % de la population) 0,0 1,4 4,3 0,3 6,0 18,9 0,3 4,6 14,7

C - Stabilité macroéconomique3/

Inflation de l’IPC (en %) 5,4 2,1 2,8 758,5 22,6 21,3 753,1 20,5 18,5

Équilibre budgétaire (en % du PIB) -4,3 -1,4 -2,5 -1,5 1,6 -4,2 2,8 3,0 -1,7

D - Institutions et gouvernance4/

Efficacité gouvernementale (note) -0,7 -1,4 -1,5 -1,2 -1,2 -1 -0,5 0,2 0,5

Qualité des réglementations (note) -0,9 -1,1 -1,2 -1,6 -1,1 -1 -0,7 0,0 0,2

État de droit (note) -1,1 -1,5 -1,3 -1,7 -1,3 -1,1 -0,6 0,2 0,2

E - Productivité5/

Valeur ajoutée réelle par travailleur (croissance, en %)

0,0 5,1 -5,1 0,3 2,6 -0,3 0,2 -2,4 4,8

Source : Indicateurs du développement dans le monde, indicateurs de gouvernance dans le monde, perspectives de l’économie mondiale du FMI et Banque mondiale.

Remarques : 1/ Romer et coll. (1992), Cervellati et Sunde (2011), Baldacci et coll. (2008); 2/ Solow (1956), Démurger (2001), Wolde-Rufael (2006); 3/

Bleaney (1996), Easterly et Rebelo (1993); 4/ Alesina et coll. (1996), Morozumi et Veiga (2016), Acemoglu et coll. (2004) ; 5/ Aghion et coll. (2008),

Solow (1956). * Différence entre les valeurs de l’ASS et du Tchad.

En raison de l'insécurité et du manque de concurrence, l’environnement institutionnel dégradé du Tchad

(catégorie D) et la productivité limitée (catégorie E) ont eu un impact négatif sur la croissance. Plusieurs

modèles de croissance économique ont récemment permis de mettre l'accent sur le rôle des institutions dans

le développement économique (Acemoglu et coll., 2004 ; Morozumi et Veiga, 2016). Les différentes mesures

de la qualité des institutions révèlent l’existence d’un cadre de gouvernance dégradé qui ne s’est pas amélioré

de manière significative au fil des ans, comme en témoigne l’évaluation de la politique et des institutions

nationales de la Banque mondiale.5 De même, la valeur ajoutée réelle par travailleur n'a pas constitué un

important moteur de croissance à long terme au Tchad, car elle n'a progressé que pendant les années du

boom pétrolier, en particulier en 2003-2005, comme le montre la figure 25 ci-dessous.

5 Les notes du groupe C reflètent une évaluation de la gestion du secteur public et des institutions qui est régulièrement restée inférieure à 3,0, avec quelques améliorations marginales récentes entre 2012 et 2015 (avec une note de 2,7 sur une échelle de 1 à 6 en 2016).

20

B. QU’EST-CE QUI A EMPÊCHÉ LE TCHAD DE TROUVER UNE ISSUE AU LABYRINTHE ?

Des analyses micro et macroéconomiques identifient l’interaction de trois contraintes majeures à une

croissance plus rapide et durable au Tchad. Tout d’abord, la fragilité et l’insécurité régionale qui sont des

facteurs largement exogènes de l’économie tchadienne, ont constamment affaibli d’importants moteurs

de la croissance tels que le commerce ou l’investissement, empêchant le pays d’accroître son potentiel

économique. Ensuite, le pays est passé à côté d’une grande opportunité. En effet, plutôt que de tirer parti

du potentiel positif de la production pétrolière et des cours internationaux élevés du pétrole pour

accroître les investissements productifs et la résilience budgétaire, le Tchad s’est rendu plus vulnérable

aux variations des prix du pétrole par sa gestion inefficace des recettes pétrolières contribuant finalement

à la grave crise économique et financière de 2016-2017. Enfin, le rôle des pouvoirs publics dans

l’économie, à savoir l’interface entre les secteurs public et privé via des incitations fiscales, une

réglementation et des entreprises publiques, a privé le Tchad des avantages et des dividendes

considérables générés grâce à la participation du secteur privé et la concurrence.

La fragilité et les conflits ont constamment affaibli les principaux moteurs de la croissance

Les conflits récurrents constituent pour le Tchad un défi majeur. Depuis son indépendance en 1960, le

pays a connu des conflits plus fréquents et plus graves que les autres pays de la région de la CEMAC

(Figure 5). En effet, les années postindépendance sont caractérisées à 61 % par des conflits et des

violences, plus de quatre fois la moyenne régionale. Les trente années de conflit entre 1965 et 1994 ont

notamment entraîné la mort de plus de 90 000 personnes et le déplacement de plus de 100 000 autres.

Alors que ce conflit était principalement dû aux tensions entre le nord musulman et le sud chrétien, celui

entre 2006 et 2009 a impliqué des rebelles de la région soudanaise du Darfour qui ont tenté de renverser

le gouvernement tchadien.

Figure 5 : Le Tchad présente la plus grande fréquence de conflits parmi les pays de la CEMAC

Figure 6 : Perspective de croissance du dividende de paix potentiel au Tchad

Sources : Élaboré par Center for Systemic Peace et la Banque mondiale. Note : La fréquence est la part des années-pays avec ou sans conflit sur le nombre total d’années-pays dans l’échantillon.

Sources : Élaboré par Center for Systemic Peace et la Banque mondiale.

21

Les périodes de conflit sont clairement associées à une croissance plus faible du PIB au Tchad. Avant

l’ère pétrolière, la différence entre le taux de croissance moyen du PIB au cours des années avec et sans

conflit était de 1,2 point de pourcentage. Après la découverte de pétrole, cette différence a atteint près

de 7 points de pourcentage (Figure 6). De plus, l’utilisation du coefficient de corrélation non paramétrique

de Spearman indique une corrélation négative, significative de 0,62 entre le PIB (sous forme

logarithmique) et le conflit. Les résultats de la régression indiquent en outre que le conflit contracte le PIB

de 7,7 % (voir annexe 1).

Au Tchad les deux principaux canaux par lesquels le conflit entraine une croissance plus faible sont les

dépenses publiques, qui deviennent inefficaces, et le commerce, qui est perturbé. Collier (1999) a

proposé cinq canaux par lesquels un conflit peut affecter le PIB : (i) la destruction du capital humain et

physique ; (ii) la perturbation de l’ordre social à mesure que les libertés civiles sont supprimées ; iii) le

détournement des dépenses publiques allouées à l’amélioration de la production ; (iv) la désépargne ; et

v) le flux d’actifs vers des pays plus sûrs. Si tous ces canaux ont été présents au Tchad, certains ont eu un

impact plus marqué sur la croissance économique réelle et potentielle que d’autres.

Premièrement, un conflit augmente les dépenses de consommation des pouvoirs publics

(principalement pour la rémunération des militaires), ce qui a un impact négatif sur la croissance à long

terme. En effet, le gouvernement tchadien a dû non seulement répondre à un conflit actif, mais également

défendre le pays contre des menaces intérieures et la propagation des conflits des pays voisins.

L’augmentation des dépenses militaires constitue, cependant, une hausse essentielle de la masse salariale

du secteur public qui est inélastique à la baisse. En outre, ce type de dépenses publiques non productives

est généralement financé soit par des taxes qui engendrent des distorsions, soit par une augmentation

des emprunts publics. Ces deux politiques étant associées à une croissance plus faible sur le long terme

(Afonso et Furceri, 2010 ; Barro, 1991 ; Moller et Wacker, 2017). Au Tchad, le conflit a entraîné une

augmentation des dépenses totales de consommation du secteur public qui sont passées de 4,2 % en 2005

à 7,6 % en 2009. Au cours de la même période, la part des dépenses militaires dans le PIB passait, elle, de

0,8 % en 2005 à 8 % en 2009 (Figure 7). Notre analyse de corrélation et de régression confirme également

une relation significativement positive entre les dépenses de consommation du secteur public et les

conflits6.

6 Collier et Hoeffler (2006) montrent que les gouvernements anticipent la menace de rébellion et augmentent les dépenses militaires pour réduire les risques. En effet, cette étude indique qu’un pays qui présenterait un risque de guerre civile de 30 % au cours des cinq prochaines années augmenterait ses dépenses d’environ 1,2 % du PIB. Ce fait explique potentiellement la hausse des dépenses militaires au Tchad, des rebelles impliqués dans le conflit post-pétrolier étant venus depuis la région voisine du Darfour au Soudan où une guerre avait éclaté deux ans plus tôt.

22

Figure 7 : Les dépenses militaires ont sensiblement augmenté en réponse aux menaces pesant sur la souveraineté et la sécurité du Tchad à la fin des années 2000...

Figure 8 : ... et pourraient avoir évincé d’importants investissements dans le capital humain

Sources : Perspectives économiques mondiales et Indicateurs de développement dans le monde

Sources : Perspectives de l'économie mondiale et Indicateurs de développement dans le monde

Deuxièmement, en augmentant les dépenses militaires, un conflit réduit la marge de manœuvre

budgétaire et évince effectivement les dépenses d’investissement dans des secteurs améliorant la

production tels que la santé, l’éducation et les infrastructures. Si les dépenses militaires ont presque

quintuplé entre 2005 et 2009, les dépenses de santé et d’éducation ont baissé de 8,4 et 5,2 points de

pourcentage (Figure 8). Cela confirme l’effet de détournement des dépenses défini par Collier (1999). Les

analyses de régression et de corrélation indiquent également une relation significativement négative

entre la formation brute de capital et un conflit. Un conflit ne permet pas non plus d’attirer

l’investissement privé.

Troisièmement, un conflit entrave le commerce. L’un des effets les plus visibles des conflits est la

destruction des installations de production et des infrastructures publiques qui nuit à la production et au

commerce. Au Tchad, le ratio moyen des échanges rapportés aux PIB pendant les périodes de violents

conflits est d’environ 12 points de pourcentage inférieur aux périodes sans conflit7. Un conflit entrave

également le commerce en désorganisant les frontières et par là, même le transport relatif au commerce

transfrontalier. Par exemple, le conflit à la frontière nigériane a affaibli les flux d’exportation vers le

Nigeria, l’une des principales destinations du Tchad pour son bétail. De même, cette frontière marque le

passage par lequel les marchandises affluent au Tchad depuis le Nigeria, mais aussi depuis le Bénin et le

Togo. À nouveau, l’analyse de régression et de corrélation montre une relation négative et significative

entre un conflit et le commerce.

Globalement, les conflits ont considérablement limité la capacité du Tchad à augmenter son potentiel

de croissance pendant le boom pétrolier. La croissance de la production était généralement plus faible

durant les périodes de conflit, malgré des prix du pétrole relativement plus élevés (tableau 3). En effet,

les recettes publiques totales en pourcentage du PIB sont passées de 11,4 % en 2005 à 22,4 % en 2008

7 Périodes de conflit : 1965-1994 ; périodes sans conflit : 1961-1964 et 1995-2002.

23

(Figure 9), un des niveaux les plus élevées de l’histoire du pays, indiquant que le potentiel de croissance

du Tchad, en l’absence de conflit ou d’insécurité, était supérieur à 9,6 %. Cependant, plutôt que

d’alimenter des investissements productifs dans le capital humain et les infrastructures, les revenus

pétroliers en plein essor ont été redirigés vers l’armée car le pays subissait une période de conflit et de

violence.

Tableau 3 : Croissance du PIB par rapport aux prix du pétrole en période de conflit et d’absence de conflit

Conflit (2006-2009) Absence de conflit (2003-2005 ; 2010-2016)

Croissance du PIB (%) 2,8 9,6 Prix moyen du pétrole ($) 72,3 71,6

Sources : WDI et Banque fédérale de réserve de Saint-Louis.

Figure 9 : La croissance du PIB et les recettes publiques indiquent une corrélation négative pendant les années de forte expansion et une corrélation positive au cours des récentes années de récession

Sources : Perspectives de l'économie mondiale et Indicateurs de développement dans le monde.

Le substantiel dividende pétrolier n’a pas été exploité pour la croissance structurelle à long terme

La production de pétrole a stimulé la croissance à court terme, mais ne s’est pas traduite par une

croissance durable et structurelle à long terme. Suivant Smith (2015) et Matta et al. (2016)8, nous

utilisons la méthode de contrôle synthétique (MCS) pour construire un scénario de référence

(contrefactuel) de l’économie du Tchad sans production pétrolière après 2003 (ce que l’on appelle le

8 Pour construire un Tchad synthétique, nous utilisons les données de panel nationales pour le Tchad et l’ensemble des autres pays qui sont disponibles dans la version 2017 des Indicateurs du développement dans le monde (WDI) portant sur les années 1990 à 2016. Cependant, pour éviter tout effet d’entraînement qui pourrait fausser nos estimations, nous retirons tous les pays voisins du Tchad. Ainsi, la performance de croissance du scénario contre-factuel développé qui se compose de l’Albanie (1,7 %), de la République démocratique du Congo (24,2 %), du Rwanda (53,6 %), du Sénégal (13,6 %) et des Îles Salomon (6,8 %), et qui est illustrée dans la figure 4 indique que la production pétrolière a entraîné une augmentation de 43,3 % de la production par habitant vers 2005. Néanmoins, cette augmentation s’est continuellement amoindrie au fil du temps, en particulier depuis 2014, pour atteindre seulement 0,82 % en 2016.

24

Tchad synthétique)9. Les résultats indiquent qu’à court terme, la production pétrolière a eu un impact

positif très important sur l’économie et le bien-être par habitant, mais que cet effet n’a pas été durable,

comme le montre le PIB synthétique par habitant qui, depuis récemment rattrape le PIB réel par habitant

du pays (Figure 10). En d’autres termes, le Tchad semble être passé à côté d’une grande opportunité pour

1) maintenir la stimulation du niveau du PIB par habitant et 2) transformer les recettes pétrolières en une

croissance rapide du PIB grâce à des investissements dans le capital humain et les infrastructures (en

augmentant la pente du PIB par habitant au fil du temps).

Figure 10 : Le Tchad ne pouvait pas convertir le choc pétrolier positif en une prime de croissance durable

Source : Estimations de la Banque mondiale

Plus encore, le pétrole a rendu l’économie tchadienne moins compétitive. Premièrement, la

diversification des exportations a encore diminué avec la découverte de pétrole, exposant la balance des

paiements du pays aux cycles et aux crises internationales des prix du pétrole (Figure 11). En particulier,

bien que, principalement centré sur le coton et les produits végétaux avant 2003, le profil des exportations

s’est depuis lors davantage concentré sur le pétrole, représentant près de 95 % des exportations totales

en 2015 (Figure 12). Deuxièmement, les entrées massives de capitaux provoquées par la production et les

exportations de pétrole pourraient avoir réduit la compétitivité extérieure dans d’autres secteurs. Pour

corroborer la suspicion de cette dynamique du syndrome hollandais, il serait nécessaire de conduire une

analyse plus approfondie (Figure 13). Cependant, les estimations les plus récentes indiquent que le taux

de change effectif réel du Tchad pourrait être en moyenne surévalué de 10 % depuis 2003 et de 6 % depuis

2011 (Banque mondiale 2018, CEMAC Country Economic Memorandum, à paraître), soulignant

clairement le rôle du pétrole sur ce taux. Cela peut à son tour avoir entraîné des déplacements des parts

sectorielles du PIB vers des services non échangeables et relativement peu productifs (et peu qualifiés).

9 Contrairement à la construction de scénarios contre-factuels fondés sur des tendances temporelles linéaires ou des prévisions, les scénarios contre-factuels construits à partir de la méthode MCS enregistrent les crises économiques mondiales pouvant survenir après le traitement.

25

Figure 11 : Les exportations du Tchad sont fortement concentrées, exposant l’économie tchadienne à des crises pétrolières

Source : Estimations de la CNUCED, du FMI et de la Banque mondiale

Figure 12 : La concentration des exportations montre une substitution rapide du coton au pétrole

Source : Atlas de la complexité économique du MIT

Figure 13 : Il pourrait y avoir des signes de syndrome hollandais

Source : Estimations de la CNUCED, du FMI et de la Banque mondiale (MFMOD)

26

La politique budgétaire procyclique et l’absence de mécanisme structurel de gestion des recettes

pétrolières ont rendu le Tchad vulnérable à la volatilité des prix et aux crises exogènes. De nombreuses

économies riches en ressources naturelles en Afrique subsaharienne ont eu recours aux recettes tirées de

ces ressources pour stimuler les dépenses procycliques, en particulier pendant la flambée des prix du

pétrole. Le Tchad n’a pas fait exception. Étant donné l’importance du rôle du pétrole dans le PIB et les

recettes publiques, et l’absence de règle budgétaire fonctionnelle ou de fonds de stabilisation, il n’y avait

aucune marge de manœuvre budgétaire lors de la chute des prix du pétrole à la fin de 2014. La récession

et le manque à gagner qui en ont résulté pèsent lourdement sur les finances publiques, ce qui rend les

pouvoirs publics moins liquides et la dette publique insoutenable.

Les interventions gouvernementales sur les marchés ne sont pas calibrées pour favoriser la concurrence et les contributions du secteur privé à la croissance

Le gouvernement du Tchad a joué un rôle central dans les principaux secteurs de l’économie, souvent au détriment du secteur privé et de la croissance. Alors que l’État a joué un rôle crucial dans de nombreux secteurs de l’économie, que ce soit par le biais des dépenses publiques, de la réglementation et/ou de la participation directe via les entreprises publiques, le secteur privé semble relativement faible et en sous-investissement. Après un bref boom pétrolier entre 2000 et 2003, les contributions privées à la formation brute de capital fixe, un important moteur potentiel de croissance durable, ont diminué (Figure 14). Ce fait indique que l’investissement public continue de jouer au Tchad un rôle plus central dans l’investissement global que dans les autres pays. Ce n’est que récemment que la baisse des revenus pétroliers a diminué la part de l’État dans la formation brute de capital fixe et que les contributions privées relatives ont augmenté10. De même, le crédit intérieur au secteur privé a été parmi les plus faibles de la région (Figure 15).

10 Il convient de noter que l’investissement privé en pourcentage du PIB a été relativement élevé, probablement alimenté par les investissements dans les industries extractives. Avant le boom pétrolier du début des années 2000, la formation brute de capital fixe du secteur privé en pourcentage du PIB était la deuxième plus faible de la région.

27

Figure 14 : Les contributions privées à l’investissement global ont diminué après 2006 et n’ont augmenté que récemment.

Figure 15 : Le crédit au secteur privé a été parmi les plus faibles de la région (malgré une récente tendance à la hausse).

Source : Indicateurs du développement dans le monde Source : Indicateurs du développement dans le monde

La découverte de pétrole et l’abondance des revenus pétroliers qui en ont résulté ont peut-être aggravé la marginalisation du secteur privé (non pétrolier). Comme le montrent les Figures 16 et 17, des tendances opposées sont visibles dans l’évolution des recettes pétrolières et du crédit intérieur au secteur privé. Elles peuvent suggérer un manque de complémentarité entre les investissements privés et publics sur les marchés clés et la participation directe du secteur public sur les marchés alimentés par les recettes pétrolières a finalement contribué à évincer le secteur privé. Cela a rendu la croissance dans les principaux secteurs non pétroliers fortement dépendante des dépenses publiques, exposant ainsi la performance économique à d’importants risques de réduction budgétaire comme la diminution des recettes pétrolières due à la baisse des prix mondiaux du pétrole entre 2015 et 2017.

Figure 16 : Les recettes pétrolières et le crédit intérieur au secteur privé peuvent quasiment être mis en miroir au fil du temps.

Figure 17 : Les rentes pétrolières et le crédit au secteur privé ont évolué dans des directions opposées au fil du temps.

Source : WDI Source : WDI

Les incertitudes découlant des interventions et des politiques étatiques constituent un obstacle à l’entrée de facto et ajoutent un risque supplémentaire à un climat commercial déjà difficile. Sur les

28

indicateurs traditionnels de l’environnement global des entreprises, le Tchad a généralement de mauvais résultats. L’indicateur Doing Business de la Banque mondiale, par exemple, classe le Tchad au rang de 180e

sur 190 pays11. Parmi ces pays de comparaison, au niveau régional, seule la République centrafricaine obtient des résultats inférieurs1213. Cependant, les risques liés aux conditions de concurrence du marché fournissent des indications supplémentaires sur les raisons de la faible activité du secteur privé au Tchad. La participation de l’État aux marchés qui fluctuent en fonction des revenus pétroliers (par exemple dans l’agriculture) et des approches politiques incohérentes (par exemple dans le développement des infrastructures de télécommunications) soulève des incertitudes et des risques pour les investissements privés dans des secteurs cruciaux de croissance. Ces incertitudes peuvent constituer un obstacle à l’entrée pour le secteur privé, empêchant l’investissement privé qui pourrait pourtant contribuer à une croissance durable et inclusive. Le tableau 4 donne des exemples d’interventions étatiques susceptibles d’accroître les risques pour le secteur privé et d’agir comme des obstacles à son entrée. Ces exemples seront mis en avant avec plus de détails dans les sections suivantes. L’encadré 1 met en évidence le principe de subsidiarité, un outil qui pourrait permettre au Tchad d’évaluer systématiquement la participation de l’État à l’économie.

Encadré 1 : La subsidiarité pourrait contribuer à clarifier le rôle de l’État dans l’économie.

11 Les pays de comparaison comprennent généralement les voisins régionaux et les pays présentant des caractéristiques similaires (par exemple, les territoires enclavés, ceux de la région du Sahel, les exportateurs de pétrole). Il s’agit du Burkina Faso, du Cameroun, de la République centrafricaine, du Tchad, du Mali, du Niger et du Nigeria. Lorsque des informations supplémentaires étaient disponibles, la liste a été élargie pour inclure d’autres pays d’Afrique e l’, occidentale et septentrionale. Dans de rares cas où les données étaient particulièrement rares, l’analyse s’est appuyée sur des pays de comparaison pour lesquels des données étaient disponibles.

12 http://www.doingbusiness.org/data/exploreeconomies/chad.

13 Les principales contraintes portent sur l’approvisionnement en électricité (182e), la création d’une entreprise (185e) et le paiement des impôts (188e). Améliorer le recouvrement des impôts en s’attaquant au très haut niveau d’informalité et en simplifiant le code des impôts (DSP, 2015) augmenterait les recettes fiscales, aidant ainsi le Tchad à diversifier ses recettes fiscales dans des secteurs autres que le pétrole. Dans le même temps, l’accès à l’électricité est un problème à l’échelle du pays, puisque seulement 8 % de la population avaient accès à cette source d’énergie en 2014, contre 37,4 % en Afrique subsaharienne. De même, selon l’indice de compétitivité mondiale (ICM) du Forum économique mondial (FEM), le Tchad se classe au 134e rang sur 137 économies. Sur le pilier de l’indice relatif à l’efficacité des marchés des biens, un seul pays se positionne à un rang inférieur à celui du Tchad [Forum économique mondial. 2017. Rapport sur la compétitivité 2017-2018. Disponible à l’adresse https://www.weforum.org/reports/the-global-competitiveness-report-2017-2018].

Le principe de subsidiarité peut contribuer à éviter une présence étatique inutile dans l’économie. Selon le principe de subsidiarité, s’il existe — ou s’il pouvait exister — des agents privés intéressés par l’exercice d’une activité économique ou une présence sur un marché donné, la participation de l’État en tant qu’agent économique ne serait pas nécessaire. Au contraire, il est généralement plus efficace et efficient qu’un État agisse comme régulateur.

Au Pérou et au Chili, le principe de subsidiarité est inscrit dans leur constitution. Ainsi au Pérou, les autorités procèdent à une analyse de la subsidiarité en cherchant à savoir si les acteurs privés peuvent approvisionner l’ensemble du marché et s’il existe des obstacles importants à leur entrée dans celui-ci. Si une entreprise publique exerce des activités commerciales non subsidiaires, l’autorité de la concurrence péruvienne (INDECOPI) peut imposer des sanctions. En conséquence, l’analyse de la subsidiarité au Pérou garantit que les entreprises publiques ne participent qu’aux marchés où leur présence est nécessaire et à ceux dont elles ne perturbent pas la dynamique.

29

Tableau 4 : Exemples d’interventions étatiques susceptibles d’accroître les risques pour le secteur privé au Tchad.

Exemples de barrières économiques à l’entrée et à l’expansion du secteur privé résultant des interventions imprévisibles de l’État sur les marchés

Exemples de barrières sectorielles à l’entrée et à l’expansion du secteur privé résultant des interventions imprévisibles de l’État sur les marchés

• Absence de neutralité concurrentielle (égalité de traitement) entre les entreprises publiques et les entreprises privées : certaines entreprises publiques bénéficient d’un traitement réglementaire et financier préférentiel, ce qui peut leur conférer un avantage indu sur leurs (potentiels) concurrents du secteur privé et faire peser des incertitudes sur la capacité de l’investissement privé à concurrencer les entreprises publiques présentes sur les marchés commerciaux.

• Absence de neutralité concurrentielle entre les entreprises privées : Les entreprises privées bénéficient d’exemptions fiscales qui ont été octroyées de manière opaque et discrétionnaire, risquant de fausser les conditions de concurrence et de limiter la prévisibilité des conditions de marché pour les investisseurs privés ne bénéficiant pas de ce type d’exonérations.

• Le niveau élevé d’achats auprès d’un fournisseur unique constaté en 2017 risque d’être discriminatoire à l’égard d’entreprises efficaces et innovantes qui manquent de relations politiques, et d’accroître les incertitudes et l’imprévisibilité pour les investisseurs privés.

• La subvention et la fourniture d’intrants agricoles par l’État ont augmenté les coûts de la concurrence pour les fournisseurs d’intrants privés et ont donc rendu difficile l’accès au marché.

• Les incertitudes quant au niveau de fourniture par l’État d’intrants à des prix subventionnés a accru les risques pour les entreprises privées et entravé la planification à long terme

• La gestion par l’État de l’ensemble de la chaîne de valeur du coton et les incertitudes pesant sur les aspects réglementaires résultant d’une privatisation partielle ont empêché l’investissement privé dans le secteur.

• Le contrôle étatique sur la passerelle internationale de télécommunications a augmenté les coûts du secteur privé pour être compétitif et créé des dépendances vis-à-vis de l’État pour l’accès aux infrastructures essentielles, augmentant ainsi les risques commerciaux du secteur.

• La décision des pouvoirs publics d’infléchir la libéralisation de la passerelle internationale a fait peser des incertitudes sur la réglementation du marché.

• Le manque de clarté/prévisibilité concernant l’utilisation de connexions à fibre optique nationales a accru les risques pour l’investissement privé.

Source : Élaboré par la Banque mondiale

Les avantages accordés aux entreprises publiques et à certaines entreprises privées contribuent à la création de conditions de concurrence inégales et accroissent les incertitudes des entreprises. Les avantages offerts exclusivement à certains acteurs tendent à violer le principe de neutralité concurrentielle, lequel suggère que des connexions avec des membres du gouvernement ou le statut d’entreprise publique ou encore la participation de l’État à un marché, en fait ou en droit, ne devraient pas conférer un avantage concurrentiel indu à un participant actuel ou potentiel au marché. Compte tenu des participations directes de l’État dans les entreprises publiques, ces dernières bénéficient souvent d’un traitement préférentiel par rapport aux entreprises privées. L’encadré 2 ci-dessous résume les expériences internationales en matière de neutralité concurrentielle. Les entreprises publiques du pays sont nombreuses et importantes sur le plan économique. Elles posent par ailleurs un risque financier à l’État. Le Tchad ne compte pas moins de dix-sept entreprises publiques opérant dans au moins onze secteurs, telles qu’on a pu les identifier bien qu’une certaine incertitude

30

règne quant à leur nombre total dans le pays14 (voir les annexes 6 et 7 pour des listes complètes). Bien que ce chiffre ne soit pas particulièrement élevé par rapport à d’autres pays du continent et d’ailleurs, il ne faut pas oublier que le Tchad s’appuie globalement sur très peu de secteurs productifs. Neuf entreprises publiques n’opérant pas dans le secteur bancaire15, pour lesquelles des informations détaillées sont disponibles, ont enregistré un chiffre d’affaires total de 381,4 milliards XAF en 2013 (762,8 millions USD)16, ce qui équivaut à 6 % du PIB et à 8,2 % du PIB hors pétrole pour 201317. Sur onze entreprises publiques18 pour lesquelles des informations financières sont disponibles, huit étaient déficitaires en 2013, nombreuses d’entre elles opèrent dans des secteurs de l’économie commercialement viables tels que le coton, les télécommunications et les banques.

Bien que la présence des entreprises publiques ne soit pas un problème de concurrence en soi, si certains facteurs sont en place, il est probable que les entreprises publiques affectent négativement le fonctionnement des marchés. Premièrement, plus la part de marché des entreprises publiques est élevée, plus leur comportement et leur performance risquent d’avoir un impact sur le marché global, y compris sur les segments potentiels en amont et en aval. Deuxièmement, les entreprises publiques qui bénéficient de protections dont celles (potentiels) concurrentes des entreprises du secteur privé (qui n’en disposent pas) sont susceptibles de surpasser leurs concurrents sans que cela s’appuie sur un quelconque mérite. Ce qui se traduit par une productivité, une innovation et une croissance globalement inférieures. Toutefois, les potentiels impacts négatifs des entreprises publiques sur les marchés peuvent être évités, en particulier sur ceux où le secteur privé pourrait fournir efficacement un même bien ou service. Autrement, des moyens de réglementation existent généralement pour soumettre les fournisseurs de biens ou de services (qu’ils soient publics ou privés) aux mêmes règles du marché et garantir ainsi de bons résultats sur le marché. Toutefois, le Tchad ne fournit pas de justification claire à son intervention étatique dans l’économie via les entreprises publiques.

De nombreuses entreprises publiques tchadiennes occupent des positions importantes sur les marchés auxquels le secteur privé participe ou pourrait participer. Comme l’indique le tableau 5, les entreprises publiques détiennent 100 % du marché dans au moins six sous-secteurs, dont certains sont viables pour la participation du secteur privé. Par conséquent, de nombreuses entreprises publiques tchadiennes peuvent avoir un impact (négatif) sur leurs marchés respectifs.

14 Un audit récent de KPMG a permis d’identifier 19 entreprises publiques. Cependant, ce chiffre comprenait un organisme de réglementation et une entreprise publique inactive.

15 La Société Nationale d’Electricité (SNE), la Société Tchadienne de Poste et d’Epargne (STPE), la Société Tchadienne des Eaux (STE), la Société des Télécommunications du Tchad (SOTEL), la Société Cotonnière du Tchad (COTONTCHAD), la Banque Commerciale Chari (BCC), la Société Sucrière du Tchad (CST), la Société Industrielle de Matériel Agricole et Assemblage de Tracteurs (SIMATRAC), la Société de Raffinage de N’Djamena (SRN).

16 Avec un taux de change moyen 2013 de 1 XAF = 0,002 USD.

17 KPMG (2017).

18 La Société Nationale d’Electricité (SNE), la Société Tchadienne de Poste et d’Epargne (STPE), la Société Tchadienne des Eaux (STE), la Société des Télécommunications du Tchad (SOTEL), la Société Cotonnière du Tchad (COTONTCHAD), la Banque Commerciale Chari (BCC), la Société Sucrière du Tchad (CST), la Société Industrielle de Matériel Agricole et Assemblage de Tracteurs (SIMATRAC), la Société de Raffinage de N’Djamena (SRN), la Commercial Bank Tchad (CBT), la Banque Agricole et Commerciale (BAC).

31

Encadré 2 : Expérience transnationale sur la neutralité concurrentielle

Comme au Tchad, de nombreux pays offrent un soutien financier direct et indirect aux entreprises publiques ou privées (les « aides d’État »), ce qui peut entraîner des distorsions du marché. Les aides d’État peuvent prendre diverses formes. Les entreprises publiques et privées tchadiennes, par exemple, bénéficient d’exonérations fiscales, de subventions opérationnelles, de subventions d’investissement et de garanties fiscales. D’autres pays présentent des modèles similaires de soutien discriminatoire19. Cependant, l’octroi discriminatoire d’incitations financières aux entreprises publiques ou à certaines entreprises privées conduit à des conditions de concurrence inégales, en violation du principe de neutralité concurrentielle qui exige que toutes les entreprises soient assujetties aux mêmes règles. Pour éviter les distorsions résultant d’un accès préférentiel aux financements, des mécanismes d’ajustement et de compensation ex-ante et ex-post devraient donc être mis en place pour garantir qu’entreprises privées comme publiques accèdent aux financements aux conditions de marché et ne reçoivent pas de subventions indues. En Moldavie, par exemple, une loi sur les aides d’État a été adoptée en 2012 qui réglemente les procédures d’autorisation, d’octroi, de suivi et de déclaration des aides d’État. En outre, le Conseil de la concurrence moldave (CCRM) a créé un portail d’information et un registre public en ligne pour toutes les formes d’aide d’État décaissées par les organismes publics. La transparence accrue qui en résulte facilite l’accès aux mesures incitatives des entreprises qui auraient pu être exclues auparavant et décourage l’attribution discrétionnaire d’avantages à certaines entreprises.

Les entreprises publiques sont souvent les plus susceptibles de bénéficier d’un soutien public indu qui peut également prendre des formes non financières comme des avantages réglementaires ou des normes de gouvernance moins strictes. Les principes de neutralité concurrentielle des entreprises comprennent la séparation des activités commerciales et non commerciales des entreprises publiques pour garantir que les potentielles subventions gouvernementales ciblent les activités qui ne peuvent être réalisées par des concurrents (privés), ce qu’on appelle les obligations de service public (OSP). Ces OSP concernent souvent la fourniture de services dans des zones reculées ou lorsque ces activités ne sont pas rentables. Au Tchad, dans le secteur des télécommunications, l’objectif du Fond Services Universelles (FSU) est de financer l’extension du réseau dans les zones reculées. Pour assurer une séparation stricte entre les OSP subventionnées et les activités commerciales non subventionnées, divers pays en développement, dont l’Inde et la Malaisie, ont inscrit une définition des activités commerciales et non commerciales dans leurs lois sur la concurrence20. En allant plus loin dans la transparence des opérations des entreprises publiques, certaines entreprises publiques brésiliennes se sont engagées à respecter des normes de gouvernance plus strictes en se conformant aux exigences du Novo Mercado de la bourse brésilienne21. Cela accroît non seulement la redevabilité et la transparence, mais augmente également la probabilité que les entreprises publiques fonctionnent comme des entreprises privées et obtiennent des taux de rentabilité comparables. D’autres pays tentent d’atténuer par d’autres moyens les comportements de l’État agissant comme acteur du marché, susceptibles de créer des distorsions. Au Botswana, par exemple, la

19 En Roumanie, par exemple, les entreprises publiques ne représentaient que 8 % de la production totale des sociétés non financières à la fin de 2013, mais représentaient 50 % de tous les arriérés d’impôts des sociétés. Cela reflète une moindre application des obligations fiscales dans le cas des entreprises publiques, ce qui leur confère un avantage sur leurs concurrents privés (voir Helena Marrez, The role of state- owned enterprises in Romania, ECFIN Country Focus, Volume 12|Numéro 1) |janvier 2015). En Inde, seules les entreprises publiques sont éligibles aux subventions au diesel et non les entreprises privées. Quant au Vietnam, il subventionne son entreprise publique de télécommunications, Viettel, qui s’est considérablement développée et a gagné des parts de marché grâce à ce soutien (Competitive Neutrality : The Concept, in UNCTAD RESEARCH PARTNERSHIP PLATFORM: COMPETITIVE NEUTRALITY AND ITS APPLICATION IN SELECTED DEVELOPING COUNTRIES (2014), à 276, disponible à l’adresse http://unctad.org/en/PublicationsLibrary/ditcclpmisc2014d1_en.pdf.) La Moldavie a estimé que l’attribution sélective de ses programmes d’incitation désavantageait certaines entreprises et avait des effets négatifs sur le bien-être social global. Entre 2009 et 2011, les statistiques officielles ont indiqué que 12 % des aides d’État ciblaient des entreprises individuelles, bien que le nombre réel ait pu être considérablement plus élevé.

20 Loi indienne de 2002 sur la concurrence (loi n° 12 de 2003) article 2(h) ; loi malaisienne de 2010 sur la concurrence (loi 712).

21 Le Novo Mercado est une catégorie de cotation introduite en 2000 par BM & F Bovespa portant sur la négociation d’actions émises par des entreprises qui s’engagent volontairement à adopter des pratiques de gouvernance d’entreprise plus strictes que celles exigées par la loi.

32

loi sur la concurrence porte sur les agissements anticoncurrentiels de l’États et des organismes publics ainsi que sur ceux des agents publics qui favorisent des ententes anticoncurrentielles22.

Tableau 5 : Position de marché des entreprises publiques tchadiennes

(Sous-) secteur Part de marché des entreprises publiques

Le secteur privé opère-t-il actuellement ?

Le secteur privé opérera-t-il potentiellement ?

Production, importation, transmission, distribution, approvisionnement en électricité

100 % Non Oui, mais nécessite une réglementation

Services de base de poste et de courrier

100 % (monopole légal)

Non Oui, mais nécessite une réglementation sur les OSP

Collecte, traitement et distribution de l’eau ; exploitation des infrastructures de transport d’eau

100 % Non Oui, mais nécessite une réglementation sur les OSP

Services de téléphonie fixe, mobile et internet

100 % en ligne fixe ; 4 % en mobile

Oui Oui

Coton 100 % (monopole légal)

Non Oui

Sucre 100 % en production Non Oui

Fabrication d’équipements agricoles

N/A N/A Oui

Viande N/A Oui Oui

Production de produits pétroliers raffinés

N/A Oui Oui

Activités de services financiers (à l’exception de ceux de banque centrale, des assurances et des fonds de pension

N/A Oui Oui

Hydrocarbures N/A Oui Oui

Ciment N/A Oui Oui

Sécurité sociale N/A N/A Oui

Hydraulique N/A N/A Oui

Tabac Seul producteur au Tchad (?)

Non Oui

Source : Élaboré par les auteurs. N.B. : OSP = obligation de service public

Bien qu’il n’existe aucune distinction juridique dans le traitement des entreprises publiques par rapport aux entreprises privées, les entreprises publiques tchadiennes bénéficient néanmoins de protections légales contre la concurrence et d’avantages financiers. Certaines entreprises publiques sont protégées de la concurrence par des monopoles légaux, ce qui crée un obstacle absolu à l’entrée des concurrents potentiels (par exemple, dans les services postaux ou le coton). De plus, elles bénéficient de divers avantages financiers, notamment des subventions à l’investissement, des subventions opérationnelles et des garanties fiscales. Les 11 entreprises publiques, pour lesquelles des informations financières sont disponibles, ont reçu au total près de 3 milliards XAF (environ 6 millions USD) de subventions d’investissement entre 2009 et 2013. Les subventions opérationnelles sont plus problématiques que les subventions à l’investissement, car elles affectent les coûts variables des entreprises et créent ainsi des

22 Banque mondiale. 2016. Breaking Down Barriers – Unlocking Africa’s Potential through Vigorous Competition Policy, p. 11.

33

avantages sur les concurrents potentiels. Entre 2010 et 2013, ces 11 entreprises publiques ont perçu en moyenne 33,4 milliards XAF (environ 64 millions USD) par an en subventions opérationnelles, ce qui équivaut à 2,6 % des recettes publiques de 2013. La majeur partie (environ 90 %) de cette subvention a été octroyée au fournisseur national d’électricité, tandis que les 10 % restants ont été distribués à d’autres entreprises publiques, notamment la COTONTCHAD et la SIMATRAC, qui opèrent dans des secteurs où des acteurs privés pourraient potentiellement être présents et qui ne comportent pas d’obligation de service public. La COTONTCHAD a en outre continuellement bénéficié d’un crédit garanti par l’État23.

Certains opérateurs privés semblent également bénéficier d’un traitement préférentiel par le biais d’exonérations fiscales et de marchés publics, ce qui déséquilibre encore plus les conditions de concurrence. Par le passé, l’État tchadien a accordé des exonérations fiscales à des entreprises individuelles de manière non transparente et non systématique. Ces exemptions étaient non seulement accordées par le ministère des Finances, mais également par d’autres organismes sur un mode discrétionnaire, faisant bénéficier certaines entreprises d’avantages par rapport à d’autres et rendant ainsi les conditions de concurrence inéquitables. En outre, des contrats d’achat ont autrefois été passés non sur la base de procédures concurrentielles, mais grâce à des relations politiques. La Fondation Bertelsmann estime que « les contrats publics, par exemple pour les travaux de construction, sont négociés dans le cercle restreint du pouvoir »24. Les indicateurs suggèrent que les entreprises perçoivent les risques commerciaux induits par l’État comme étant plus élevés que dans les pays comparables. L’Economist Intelligence Unit (EIU) indique que parmi ces pays de comparaison, seul le Soudan est perçu comme étant plus risqué que le Tchad sur les indicateurs liés aux distorsions de la concurrence sur le marché libre (Figure 18). Ce fait s’explique en grande partie par le risque perçu d’intérêts établis et de clientélisme.

Figure 18 : Les risques commerciaux liés à la faiblesse des politiques de concurrence sont élevés au Tchad (par composante).

Source : Economist Intelligence Unit (2018)

23 Selon KPMG (2017).

24 Bertelsmann Stiftung (2018, p. 20).

34

Pour éviter d’évincer le secteur privé et maximiser les contributions privées à une croissance durable et inclusive, l’État devrait veiller à ce que ses interventions ciblent des défaillances spécifiques du marché. L’État intervient généralement directement sur les marchés en tant qu’agent économique (par exemple en tant qu’acheteur ou par le biais d’entreprises publiques qui vendent des biens et des services sur le marché) ou indirectement en établissant des règles et en réglementant les marchés. En limitant ses interventions directes et indirectes aux cas où le secteur privé est incapable de travailler de manière optimale en raison de défaillances du marché, l’État peut offrir un espace au secteur privé pour répondre aux opportunités et contribuer à la croissance économique. De plus, il peut libérer des ressources qui pourraient servir à d’autres objectifs politiques importants pour lesquels le secteur privé ne pourrait pas avoir de solutions (voir la Figure 19 pour des exemples d’interventions étatiques ex-ante justifiées en raison de défaillances spécifiques du marché). Figure 19 : Interventions ex-ante justifiées de l’État

Source : Élaboré par les experts Marchés et politique de concurrence

Un cadre global de politique de concurrence permet de reconsidérer le rôle de l’État dans l’économie tchadienne et d’assurer à long terme une relation complémentaire entre lui et le secteur privé. Un tel cadre global en matière de politique de concurrence comprend un ensemble de politiques et de lois garantissant que la concurrence sur le marché ne soit pas limitée de sorte à réduire le bien-être économique. En termes pratiques, la politique de concurrence implique : (i) la promotion de mesures permettant la contestabilité, la participation/l’entrée sur le marché et la concurrence ; ii) la neutralité concurrentielle et le contrôle des aides de l’État ; et (iii) l’application des lois antitrust (Figure 20). Dans le cas du Tchad, cela impliquerait de reconsidérer le rôle de l’État dans l’économie et de créer une certitude politique pour réduire les risques des investissements privés, éliminer les monopoles légaux et les autres obstacles à l’entrée, promouvoir la neutralité concurrentielle sur les marchés, assurer l’application des règles non discriminatoire en matière de passation des marchés et enfin mettre en œuvre un cadre de politique de concurrence. Il convient de noter que l’objectif des politiques de concurrence n’est pas d’accroître le nombre d’entreprises sur un marché ou d’éliminer le pouvoir de marché pour parvenir à un état théorique de concurrence parfaite. Leur objectif final est d’inciter les entreprises à améliorer leurs performances économiques vis-à-vis de leurs concurrents existants et potentiels pour obtenir ainsi les meilleurs résultats pour les consommateurs et l’ensemble de l’économie.

35

Figure 20 : Un cadre global pour la politique de concurrence

Source : Adapté de Kitzmuller M. et M. Licetti. 2012. Competition Policy: Encouraging Thriving Markets for Development. Viewpoint Note Number 331, Groupe de la Banque mondiale, août 2012

À l’heure actuelle, le cadre de politique de concurrence est perçu comme étant globalement médiocre. Comme le montrent les figures de 21 à 23 ci-dessous, le Tchad obtient des scores inférieurs à ceux de la plupart des pays comparables sur les sous-indicateurs du Rapport sur la compétitivité mondiale liés à la concurrence.

Pilier 1 : Mettre en œuvre

une réglementation sectorielle

en faveur de la concurrence

Pilier 2 : Promouvoir des

conditions de concurrence

équitables

Pilier 3 : Garantir une

application efficace du droit

de la concurrence

- Reconsidérer le rôle de

l’État tchadien dans

l’économie et créer une

certitude politique pour

réduire les risques liés aux

investissements du secteur

privé, encourager l’entrée

du secteur privé et

minimiser le coût de la

concurrence

- Éliminer les monopoles

légaux et autres obstacles

à l’entrée

- Promouvoir la neutralité

concurrentielle sur les

marchés avec les

opérateurs des

entreprises publiques et

du secteur privé

- Garantir l’application de

règles non discriminatoires

en matière de passation

des marchés publics

- Mise en application des lois

contre les ententes, les

abus de position dominante

et les autres

comportements

anticoncurrentiels

- Cadre institutionnel pour

la mise en application

36

Figure 21 : Par rapport aux pays de comparaison, les marchés tchadiens ont été dominés par quelques entreprises,...

Figure 22 : ... l’efficacité des politiques antimonopoles a été faible,...

Source : Rapport sur la compétitivité mondiale du FEM 2017/2018 Note : Valeurs de 1 (marché dominé par quelques groupes d’entreprises) à 7 (pouvoir de marché réparti entre de nombreuses entreprises)

Source : Rapport sur la compétitivité mondiale du FEM 2017/2018 Note : Valeurs de 1 (politique anti-monopole la moins efficace) à 7 (politique anti-monopole la plus efficace)

Figure 23 : ... et l’intensité de la concurrence locale a été faible.

Source : Rapport sur la compétitivité mondiale du FEM 2017/2018 Note : Valeurs de 1 (concurrence pas du tout intense) à 7 (concurrence extrêmement intense)

Compte tenu de l’importance des marchés fonctionnels dans les secteurs à fort potentiel de croissance, cette analyse portera sur l’ouverture des marchés et la mise en œuvre d’une réglementation favorisant la concurrence (premier pilier du cadre de politique de concurrence). Garantir un cadre politique favorable à la concurrence dans les secteurs clés (pilier 1) est une priorité pour le Tchad afin de libérer la croissance grâce à un secteur privé innovant et productif. Les analyses sectorielles approfondies fournies dans la section C soulignent les restrictions concrètes à la concurrence dans les secteurs de l’agriculture et des TIC. Cependant, les réglementations sectorielles en faveur de la concurrence doivent être complétées par des conditions de concurrence équitables (pilier 2), ce qui est particulièrement important en présence d’entreprises publiques, car elles visent à garantir que la participation de l’État aux marchés via des entreprises publiques et des PPP ne restreigne pas la concurrence sur le marché. Les analyses

37

sectorielles approfondies donneront quelques exemples de contraintes spécifiques à la concurrence et au fonctionnement du marché résultant de cette participation des entreprises publiques aux marchés.

L’application de la loi sur la concurrence pour décourager et détecter les comportements anticoncurrentiels (pilier 3) devient de plus en plus importante à mesure que les marchés se développent. Pourtant, le cadre juridique en matière de concurrence au Tchad reste médiocre. Avec le développement des marchés et la croissance du secteur privé, la probabilité d’un comportement anticoncurrentiel de la part des entreprises augmente. Pour traquer et atténuer ce type de conduite, un cadre de politique de concurrence opérationnel est essentiel. Le Tchad a approuvé le 24 décembre 2014 la Loi n° 43/PR/2014 relative à la concurrence qui doit instituer une autorité de la concurrence indépendante (le Conseil de la concurrence), jusqu’alors inexistante. Faute de mise en œuvre de cette loi et de décrets d’application, ce Conseil de la concurrence n’a toujours pas été créé. Le ministère du Commerce reste ainsi en charge des questions liées à la concurrence25. Même s’il avait été créé, le Conseil de la concurrence ne serait pas une institution indépendante au regard de la loi, mais un « organe rattaché au ministère en charge du commerce ». En outre, les amendes imposées pour de comportement anticoncurrentiel sont généralement faibles et peu susceptibles de jouer un rôle dissuasif. Les amendes pour entrave aux enquêtes, par exemple, ne peuvent dépasser 1 million FCFA (moins de 2 000 USD) et les amendes pour collusion sont limitées à 10 millions FCFA (moins de 20 000 USD).

La loi sur la concurrence couvre les ententes (comportements de collusion) et les abus de position dominante, mais interdit certaines activités commerciales qui ne seraient généralement pas considérées comme anticoncurrentielles, accroissant potentiellement les incertitudes des entreprises et freinant les incitations à l’innovation. Une politique de concurrence et un cadre juridique efficaces visent généralement à prévenir les comportements anticoncurrentiels. La loi tchadienne sur la concurrence semble toutefois conférer à l’autorité de la concurrence des fonctions de réglementation de facto, par exemple en interdisant aux entreprises de conduire des activités qui ne sont pas spécifiées dans leur charte26. Pour les entreprises, cela devrait freiner les incitations à innover et à introduire de nouveaux produits. Le manque de clarté sur la manière dont cette loi serait appliquée pourrait également accroître les incertitudes des entreprises avant même qu’elle ne soit pleinement mise en œuvre. La loi sur la concurrence contient en outre des dispositions visant à faire respecter la réglementation des prix (électricité, gaz, eau, produits pétroliers et produits pharmaceutiques), l’autorité de la concurrence étant habilitée à imposer des amendes aux entreprises qui ne respectent pas ces prix fixes. Le contrôle des prix risque de ne pas inciter les entreprises à innover ou à améliorer la qualité des produits. Il peut également servir de point focal à la collusion et conduire à une allocation inefficace des ressources. Une fois l’autorité de la concurrence opérationnelle, elle pourrait également détourner des ressources d’activités plus efficaces qui ciblent les comportements anticoncurrentiels nuisibles.

Les avis fournis par l’autorité de la concurrence sur les réglementations gouvernementales pourraient être utiles, même en l’absence d’une autorité de la concurrence pleinement opérationnelle. Selon la loi, le Conseil de la concurrence aurait pour mandat d’analyser et de donner son avis sur « toutes les questions liées à la politique de concurrence au Tchad, notamment sur les projets législatifs et réglementaires susceptibles d’influencer l’exercice de la concurrence sur le marché intérieur »27. Bien que ces avis ne soient pas contraignants, le ministère du Commerce et le Conseil (une fois mis en place) pourraient utiliser

25 Entretien du 16/02/2018 avec le directeur de la Concurrence au ministère du Commerce.

26 Art. 23.

27 Art. 36, Loi n° 43/PR/2014 relative à la concurrence.

38

ce mandat pour donner un aperçu des obstacles à la concurrence dans certains secteurs clés et des effets des interventions étatiques sur la concurrence, apportant une contribution utile pour influencer de manière positive le processus décisionnel des pouvoirs publics et plaider en faveur d’une réforme favorable à la concurrence.

Ensemble, ces contraintes expliquent l’image actuelle qu’offre l’analyse de la croissance décomposée en ses forces motrices les plus saillantes.

Une première tentative d’identification des facteurs de croissance met en évidence l’opportunité manquée de tirer un avantage considérable des recettes pétrolières pour investir dans les infrastructures et le capital humain (Figure 24). L’analyse applique un modèle de régression développé pour expliquer la croissance à long terme28 et relève dans quelle mesure la croissance du PIB par habitant peut être expliquée par des facteurs structurels (infrastructures, intermédiation financière, commerce, éducation, taille de l’administration publique, institutions), les politiques de stabilisation (inflation, taux de change) et des conditions externes (termes de l’échange, prix des matières premières exportées)29. L’augmentation des échanges commerciaux et la diminution des dépenses récurrentes ont été identifiées comme les principaux moteurs structurels de la croissance après la découverte de pétrole. La contribution du développement des infrastructures s’élevait à environ 0,3 point, représentant moins de 10 % de la croissance par habitant prévue entre 2000 et 2010. Malgré la croissance rapide du Tchad dans les années 2000, la contribution des investissements (publics) dans les infrastructures a été modeste. De même, l’éducation n’a contribué qu’à hauteur de 0,1 point seulement, soit une proportion négligeable de la croissance économique globale. Ces résultats semblent fortement indiquer que les importantes recettes pétrolières des années 2000 n’ont pas été utilisées de manière productive pour améliorer les infrastructures du pays et investir dans le capital humain et physique.

28 Le modèle de régression de la croissance de Brueckner (2014), utilisé auparavant pour expliquer la croissance économique à long terme dans d’autres pays (voir Araujo et coll. (2014), Moller et Wacker (2017), et Haile (2016) pour des applications dans le contexte de pays latino-américains, de l’Éthiopie et de la Tanzanie, respectivement), sert de fondement. Pour apporter un éclairage sur les évolutions au Tchad ces dernières années, les données tirées de l’étude de Brueckner (2014) sont étendues à une période supplémentaire de cinq années, à savoir 2010-2015, en s’appuyant sur des sources de données cohérentes.

29 Le développement des infrastructures est représenté par un indice composite construit comme une moyenne pondérée de trois indices individuels enregistrant les progrès accomplis dans les lignes téléphoniques, les routes et la capacité de production d’électricité. Le développement du capital humain est contrôlé en s’appuyant sur le taux de scolarisation dans le secondaire. Le ratio des échanges rapportés au PIB tient compte de l’ouverture au commerce international. La consommation publique (en pourcentage du PIB) sert quant à elle à mesurer la taille de l’administration publique. La qualité des institutions est mesurée par le renommé indice Polity. Enfin, l’analyse comprend la part du crédit intérieur au secteur privé dans le PIB.

39

Figure 24 : Une première analyse macroéconomique examine l’incapacité à tirer parti des revenus pétroliers pour la croissance (déterminants de la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant au Tchad).

Source : Banque mondiale, 2017

Au cours de la période 1995-2017, la croissance économique au Tchad a été largement tirée par l’accumulation de capital et de main-d’œuvre plutôt que par des améliorations de la productivité. En utilisant une approche augmentée de la décomposition du modèle de Solow avec le capital humain, nous constatons que l’investissement et l’accumulation de main-d’œuvre ont été les principaux moteurs de l’activité économique au Tchad (tableau 6). Pendant ce temps, la productivité totale des facteurs (PTF) a, été en moyenne un contributeur positif à la croissance globale sur l’ensemble de la période. Toutefois, les non-linéarités, telles que la forte augmentation de la PTF (productivité totale des facteurs) au début de la production pétrolière, sont masquées. En excluant la période 2003-2005, la productivité du Tchad a pesé sur la croissance contrairement à ses pairs auxquels le Tchad a l’ambition de ressembler 30 (Figure 25), indiquant que les gains pétroliers ne se sont pas traduits ni matérialisés par des améliorations de l’efficacité de l’économie non pétrolière.

30 Voir la section C.1 sur la méthodologie de sélection des pays pairs pour l’analyse comparative.

40

Tableau 6 : L’investissement et l’accumulation de main-d’œuvre ont stimulé la croissance sur la période 1995-2017.

Figure 25 : La croissance de la PTF était négative lorsqu’on exclut les débuts de la période de production pétrolière (2003-2005).

Contributions à la croissance (α = 40 %) †

(points de pourcentage) 1995-2017

1995-2002

2003-2014

2015-2017

PIB réel 5,8 4,6 8,1 -4,7

Stock de capital 2,8 4,0 2,2 -0,1

Main d’œuvre 2,0 2,0 2,0 2,0

Capital humain par travail

0,2 0,3 0,2 0,2

Productivité totale des facteurs

0,9 -1,7 3,7 -6,9

Source : Élaboré par la Banque mondiale. Note : Il n’existe aucune donnée sur le nombre moyen d’années de scolarité au Tchad à partir du jeu de données de Barro Lee. Pour contourner cette contrainte, nous avons déterminé quels pays avaient une différence de (+/-) 30 % par rapport au Tchad sur l’indice de l’ONU. Nous avons ensuite choisi le Soudan, car c’est un pays voisin du Tchad présentant des caractéristiques socioéconomiques similaires à celles de ce pays. En conséquence, nous avons utilisé le nombre d’années d’études pour le Tchad sur la base des données du Soudan.

Source : Élaboré par la Banque mondiale.

41

C. SOLUTIONS POSSIBLES POUR SORTIR DU LABYRINTHE

Le Tchad manque actuellement d'aide structurelle, mais une fois démêlé, le labyrinthe de contraintes

offre des opportunités majeures de dynamiser la croissance de manière durable. Cette étude identifie

des options pour améliorer sensiblement la performance et la croissance économiques en adoptant une

perspective macro et microéconomique ainsi qu’un point de vue économique général et sectoriel. Tout

d'abord, une analyse comparative met en évidence les performances du Tchad par rapport à un groupe

déterminé de pays de comparaison. Ces pays auxquels le Tchad a l’ambition de ressembler partagent des

caractéristiques économiques communes avec lui, mais enregistrent des résultats différents pour

d'importants indicateurs de croissance. Par conséquent, ils pourraient servir de modèles pour diverses

stratégies de développement de la croissance. Deuxièmement, une vision à 360 degrés de l’économie

souligne les moteurs de croissance macroéconomiques et microéconomiques essentiels qui doivent être

utilisés pour permettre une croissance plus rapide et durable du PIB réel. Troisièmement, deux études

sectorielles approfondies fournissent une analyse détaillée des principales contraintes empêchant

l’agriculture et le secteur des télécommunications/TIC de jouer leur rôle stratégique dans la création d’un

environnement dynamique, propice à la croissance.

1. Analyse comparative

Nous utilisons un algorithme piloté par les données pour identifier les pays de référence pour le Tchad

et les domaines dans lesquels le Tchad est confronté à des défis importants. Nous définissons les pays

de référence pour le Tchad comme des pays ayant eu un PIB par habitant inférieur ou égal à celui du Tchad

en 2003-2004, mais qui ont atteint un niveau de PIB par habitant au moins supérieur de 10 % à celui du

Tchad en 2015-2016. Cette approche considère tous les pays ex ante comme des pays de référence

potentiels et identifie ceux qui avaient une situation de départ similaire à celle du Tchad au début de la

production pétrolière, mais qui pourraient connaître une croissance beaucoup plus rapide au fil du temps.

Cette approche aboutit à la sélection du Bangladesh, du Cambodge et du Myanmar en tant que pays de

référence. Ces pays présentaient des conditions socioéconomiques similaires à celles du Tchad en 2003-

2004 : (i) infrastructures médiocres, (iii) institutions faibles accompagnées d’incidents de sécurité, (iii)

participation limitée du secteur privé et (iv) faible développement du capital humain (voir Figure 76 à

l'Annexe 4). Le fait qu'aucun de ces pays n'ait été dépendant du pétrole en 2003-2004 souligne les effets

positifs potentiels des réformes axées sur l'économie non pétrolière (voir la section D pour plus de détails).

Aucun des pays exportateurs de pétrole de l'Afrique subsaharienne n'aurait été classé comme pays de

référence. Nous soulignons qu'une stratégie ex ante plausible pour l'analyse comparative aurait consisté

à sélectionner des pays exportateurs de pétrole à croissance rapide qui avaient une production par

habitant relativement similaire à celle du Tchad au démarrage de la production de pétrole. Cependant,

aucune des principales économies pétrolières d'Afrique subsaharienne (Angola, République du Congo,

Cameroun, Gabon, Nigéria et Soudan) ne répondait à ces critères.31 En fait, elles ont enregistré des niveaux

de PIB par habitant plus élevés en 2003-2004, soit des situations de départ différentes. En outre, ces pays

31Les pays sont définis comme étant dépendants du pétrole si leurs exportations de combustibles représentaient plus de 25 % de leur panier d'exportations total entre 2000 et 2014, en moyenne.

42

n'ont pas connu d'augmentation régulière de la croissance entre 2005 et 201632 et la plupart d'entre eux

ont connu un ralentissement ou une récession après la fin du « super-cycle » des matières premières vers

la mi-2014, comme en témoignent leurs taux de croissance faibles, voire négatifs, en 2015-2016 (Tableau

8). Par conséquent, on ne peut pas considérer que ces pays ont enregistré des succès pouvant servir de

modèles pour le Tchad.

Figure 26 : Le Tchad avait un PIB par habitant beaucoup plus faible que les économies pétrolières de l'Afrique subsaharienne en 2003-2004.

Tableau 7 : La croissance par habitant (en pourcentage) des économies pétrolières d’Afrique subsaharienne n’a pas été meilleure que celle du Tchad, contrairement à celle des pays de référence.

2005-2016 2008-2016 2015-2016 (1) (2) (3)

Tchad 1,45 0,79 -5,62

Angola 4,92 2,84 -2,21

Nigeria 2,37 2,23 -2,09

Soudan 2,56 1,81 2,34

Cameroun 1,36 1,63 2,33

Rép. du Congo

1,35 0,89 -2,13

Gabon 0,03 0,61 0,32

Source : Indicateurs de développement dans le monde Source : Indicateurs de développement dans le monde et Banque mondiale

Par conséquent, l’analyse comparative des performances du Tchad par rapport aux pays de référence

souligne l'importance de la gouvernance et du développement des infrastructures, ainsi que de la

diversification des exportations et de la participation du secteur privé.33 Nous examinons comment les

différents corrélats de croissance se sont comportés au fil du temps en développant une méthodologie

qui nous permet de déterminer (et de classer par ordre de grandeur) les facteurs qui ont empêché le

Tchad d'avoir une croissance aussi rapide que les pays de référence.34 Le faible développement des

infrastructures apparaît clairement comme une contrainte majeure au développement du Tchad (Figure

27). Par exemple, les pays de référence avaient, en moyenne, 56,7 téléphones mobiles de plus pour 100

personnes que le Tchad en 2015-2016, contre seulement 1 de plus en 2003-2004. De même, la différence

du pourcentage de la population qui utilise Internet est passée de près de zéro en 2003-2014 à plus de

14 % en 2015-2016. Outre les problèmes d’infrastructure, la trajectoire de croissance du Tchad n’a pas

suivi celle des pays de référence en raison de la faiblesse de la gouvernance. En 2003-2004, le Tchad et

les pays de référence avaient presque les mêmes scores pour divers indicateurs de gouvernance (état de

droit, corruption et efficacité gouvernementale, entre autres), mais cette situation a évolué avec le temps

et les scores des pays de référence se sont beaucoup améliorés. Enfin, les écarts dans le domaine du crédit

32Dans le cas de l’Angola, la forte croissance enregistrée entre 2005 et 2016 a été provoquée par le changement de l'année de base du PIB, qui a entraîné une croissance de 16,3 % par habitant entre 2005 et 2007. Comme indiqué dans la colonne (2) sans cette période, la croissance moyenne par habitant passe de 4,9 % entre 2005 et 2016 à seulement 1,1 % entre 2008 et 2016.

33Ces résultats viennent clairement confirmer les résultats descriptifs antérieurs présentés dans le Tableau 2.

34La méthodologie est décrite à l'Annexe 4.

43

bancaire au secteur privé et l’indice de concentration des exportations suggèrent que le Tchad n’a pas été

en mesure de diversifier son économie ni de développer un secteur privé dynamique.

Figure 27 : Par rapport aux pays de référence, le Tchad a enregistré des performances inférieures en matière de diversification de son économie, de développement de ses infrastructures et d’amélioration de la gouvernance.

Source : Indicateurs de développement dans le monde, Base de données des Perspectives de l’économie mondiale du FMI, Indicateurs de la gouvernance mondiale, élaboré par la CNUCED et la Banque mondiale

Toutefois, deux économies fondées sur les ressources naturelles – le Botswana et le Chili – ont réussi à

gérer leurs ressources naturelles et offrent ainsi des indications ciblées mais importantes pour le Tchad.

Le Botswana offre un exemple de réussite africaine, celle d’un pays qui a fait des progrès impressionnants

en matière de développement économique.35 Lors de son indépendance, en 1966, le Botswana était l’un

des pays les moins développés du monde avec un PIB réel par habitant de seulement 83,7 USD. Au fil des

ans, il a profité du démarrage de la production de diamants et a réussi à dépasser les performances de

pays africains riches possédant d'abondantes ressources naturelles (Figure 28). De même, le Chili, pays

d'Amérique latine fortement tributaire de l'exploitation minière, qui représente environ la moitié de ses

exportations totales (Banque mondiale, 2017), a connu une croissance plus rapide du PIB (par habitant)

que celle de ses homologues régionaux entre 1973 et 2016 (Figure 29).

Figure 28 : L'économie du Botswana a progressé beaucoup plus rapidement que les autres pays riches en ressources d'Afrique subsaharienne

Figure 29 : Le Chili a connu la plus forte croissance en Amérique latine depuis 1973.

Source : WDI Source : WDI et Banque mondiale

35 L'étude de cas pour le Botswana est basée sur le rapport à paraître intitulé « Fiscal Vulnerabilities in commodity- exporting countries and the role of fiscal policy » (Vulnérabilités fiscales dans les pays exportateurs de matières premières et rôle de la politique budgétaire).

44

Le Botswana est parvenu à mettre en œuvre une politique budgétaire favorable à la croissance, en

reliant les dépenses productives aux recettes minières tout en épargnant les excédents sous forme

d'actifs financiers. Le Botswana, avec la Norvège, sont des rares pays riches en ressources naturelles à

avoir appliqué avec succès la règle de Hartwick (Hartwick, 1977 ; Solow, 1986), selon laquelle les

ressources doivent être investies dans des actifs financiers, physiques ou humains. Le Botswana a

introduit cette règle en créant l’Indice du budget durable (SBI - Sustainable Budget Index), qui indique le

ratio entre les dépenses non productives36 et les revenus non miniers. Pour l'essentiel, la politique

budgétaire du Botswana consistait à maintenir un SBI inférieur ou égal à 1, ce qui indique que la

consommation actuelle des administrations publiques est entièrement financée par des recettes non

minières, générant ainsi une politique budgétaire durable à long terme (Banque mondiale, 2010). À

l'exception de la période 2001-2004, lorsque les recettes de la SACU ont chuté de manière significative, le

SBI était constamment inférieur à 1, ce qui indique que la politique budgétaire du Botswana était

effectivement solide et durable (Figure 31). Non seulement le Botswana a satisfait à la règle du SBI, mais

le pays a en outre connu vingt-quatre années d'excédents budgétaires entre 1980 et 2015, en particulier

dans les années 1980 et 1990. Ces excédents ont été accumulés sous forme d’épargne sur le compte

d’investissement public (GIA - Government Investment Account) qui a été intégré au Fonds Pula (PF - Pula

Fund) de la Banque centrale, chargé d’investir ses actifs dans des instruments à long terme à l’étranger

pour obtenir des rendements supérieurs. Pendant les périodes de crise, le PF a été utilisé comme

stabilisateur des recettes fiscales. Par exemple, lorsque le gouvernement a enregistré d'importants

déficits budgétaires (9,4 % du PIB en 2008-2010) à la suite de la chute des revenus miniers au cours de la

crise financière mondiale de 2007-2008, il a financé ce déficit en utilisant l'épargne du PF et en émettant

des emprunts obligataires (Banque mondiale, 2016b).

La clé de la réussite économique du Chili se trouve dans ses institutions solides, associées à des

politiques favorables à la concurrence et axées sur le marché. Depuis 1973, le Chili a adopté des

politiques d'ouverture des marchés, comme la libéralisation des prix et l’ouverture au commerce

extérieur, auxquelles s’ajoute une base juridique solide, à savoir la Loi sur la concurrence (décret-loi

n°211/1973). Ce cadre de politique de la concurrence a réduit les privilèges accordés à l'État, garanti la

liberté des agents économiques et encouragé une concurrence équitable (Pardo, 2009). De plus, le Chili a

été un pionnier dans la mise en œuvre de partenariats publics-privés (PPP) dans les infrastructures au

début des années 1990, en utilisant le Programme de concessions de routes à péage (Lorenzen et al.,

2001). Grâce, d'une part à cet environnement favorable aux entreprises qui a été renforcé au fil des ans

par de solides institutions (en 2018, le Chili était classé comme le pays le moins corrompu de la région ALC

et le 26e sur les 180 pays du monde) et d'autre part à des politiques économiques favorables, le Chili a pu

attirer le deuxième volume d'IDE (en pourcentage du PIB) d'Amérique latine entre 1973 et 2016 (Figure

N°30).

36Les dépenses non récurrentes « comprennent non seulement le budget d'investissement (correspondant dans les données sur les finances publiques aux « dépenses de développement »), mais également la partie du budget ordinaire utilisée pour l'éducation et la santé, interprétée comme un investissement dans le capital humain » (Lange et Wright, 2004).

45

Figure 30 : Les entrées d'IDE du Chili ont été parmi les plus élevées d'Amérique latine

Figure 31 : La capacité du Botswana à mettre en œuvre la règle de Hartwick a permis une politique budgétaire durable et favorable à la croissance.

Source : Élaboré par le CNUCED et de Banque mondiale Source : Banque mondiale (2016)

2. Les principales contraintes offrent des opportunités majeures pour libérer le potentiel de croissance

Des mesures complémentaires visant à créer les conditions nécessaires à une croissance durable tirée

par le secteur privé, et à mettre en œuvre des stratégies sectorielles dynamiques ainsi que des stratégies

axées sur la demande, pourraient générer une croissance significative. Les conditions nécessaires à une

croissance durable et à la participation du secteur privé sont la stabilité macroéconomique, une

gouvernance économique et budgétaire efficace, y compris en matière de réglementation, de

concurrence ou de politique fiscale, ainsi qu'un climat général favorable aux affaires et aux

investissements. Des institutions bien gouvernées et compétentes devraient être en mesure de mettre en

œuvre des politiques macroéconomiques durables et de préserver des marchés ouverts et concurrentiels.

Des politiques budgétaires et de gestion de la dette durables, comprenant une gestion efficace et

transparente des recettes pétrolières, permettraient de lisser les cycles et de gérer les risques

macroéconomiques (parfois exogènes). Enfin, un climat propice à l'investissement, des marchés

concurrentiels et une participation gouvernementale inclusive à l'économie devraient encourager les

investissements privés et l'entrée des entreprises dans les secteurs productifs.

Des marchés efficaces et concurrentiels constituent une étape importante vers l'optimisation des synergies entre le secteur privé et le secteur public

Les contributions des investissements à la croissance du PIB ont diminué après le boom pétrolier de la

première moitié des années 2000. Si l'on examine la croissance du PIB réel sous l'angle des dépenses

(Figure 30), il apparaît clairement que les investissements ont largement contribué à la croissance pendant

la phase de démarrage de la production pétrolière, au début des années 2000, mais qu'ils ont par la suite

perdu de leur dynamique. Dans le même temps, la consommation est devenue l'un des principaux

moteurs de la croissance, les exportations nettes ayant été tirées par l'accroissement de la production

pétrolière qui a récemment stimulé la croissance. Cependant, les performances particulièrement

mauvaises des investissements publics et privés depuis 2005 (notamment en 2015 et en 2016) indiquent

des contraintes et des difficultés majeures pour la croissance, notamment en matière d'insécurité,

d'absence de marge budgétaire et de climat d'investissement médiocre. Nous considérons l'année 2011

46

comme une année atypique : cette année-là le Tchad a été affecté par une grave sécheresse provoquant

un tassement de l'activité de 25,3 % dans le secteur agricole et une baisse de 15,8 % de l'investissement

réel global.

Figure 32 : Les investissements doivent être relancés pour soutenir une croissance plus rapide dans le futur.

Sources : Élaboré par la Banque mondiale

Pour accroître l'investissement privé, l'investissement public doit contribuer à la création d'une

économie de marché dynamique et compétitive. S'ils sont bien ciblés et stratégiques, les investissements

publics peuvent améliorer progressivement les infrastructures, réduire les coûts d'exploitation et, en fin

de compte, attirer les investissements privés. Cependant, les investissements publics doivent être

complétés par la création d'un environnement de marché réglementaire adéquat et favorable,

permettant aux investisseurs privés et aux entreprises de rivaliser efficacement avec leurs homologues

publics et entre eux.

Une étape cruciale consiste à donner aux entreprises les moyens d’affecter efficacement des ressources

et d’être compétitives. Il a été constamment démontré que la concurrence sur les marchés contribue à

la croissance économique. De nombreuses études empiriques confirment également différentes voies

permettant de transformer la concurrence en bien-être et en croissance. Les entreprises opérant dans un

environnement concurrentiel sont plus susceptibles d'innover (Bassanini et Ernst, 2002) et d'accroître leur

productivité (Acemoglu et al., 2005 ; Aghion et Griffith, 2005). La concurrence stimule les investissements

(Alesina et al., 2005), génère des emplois, accélère la croissance économique et améliore le bien-être

général. Des données empiriques37 viennent clairement confirmer les effets positifs de l'application d'une

37L'expérience internationale montre que l'introduction d'un cadre national complet d'encadrement de la concurrence peut générer des gains économiques substantiels. L'Australie est l'un des pays qui sert d'exemple de mise en œuvre réussie d'un cadre national de politique de la concurrence. Les estimations suggèrent que les réformes de la politique de la concurrence ont fait progresser le PIB australien d'au moins 2,5 % soit 20 milliards de dollars en raison de leur effet sur l'augmentation de la productivité et la baisse des prix au cours des années 90. De même, des estimations prudentes pour le Royaume-Uni suggèrent que les économies directes des consommateurs résultant de l'application du droit de la concurrence s'élèveraient à 112 millions USD par an. Dans le cas des Pays-Bas, l'impact positif des actions de l'agence de la concurrence sur la société néerlandaise est estimé à 426 millions USD (moyenne mobile sur trois ans). Enfin, des études récentes montrent également que les

47

politique de concurrence sur la croissance de la productivité (Buccirossi et al., 2013 ; Voigt, 2013).

L'application stricte de règles de lutte contre les pratiques des cartels, fondées sur des lois anti-cartels

bien conçues, par exemple, constitue un outil efficace pour réduire l’impact négatif des comportements

anticoncurrentiels (Symeonidis, 2008). L'augmentation de la compétitivité internationale, et donc des

conditions commerciales plus favorables, est un autre effet important et positif associé à la concurrence

accrue sur les marchés nationaux. Enfin, les consommateurs bénéficient de prix plus bas, d’économies

directes et d’améliorations dans la variété et la qualité des biens et des services. Les consommateurs

trouvent également des opportunités d'emploi et des revenus supplémentaires en tant qu'investisseurs.

L'absence de concurrence dans les principaux secteurs producteurs de biens intermédiaires peut

constituer une contrainte particulièrement coûteuse aux investissements et à la croissance de la

productivité de l’économie dans son ensemble. Les industries de réseaux importantes (comme l'énergie,

les télécommunications ou les transports) ainsi que des secteurs clés (comme le coton au Tchad) sont

souvent caractérisées par d'importants dysfonctionnements, la présence d'entreprises publiques

déficitaires, des réglementations anticoncurrentielles sur les marchés de produits et enfin des marchés

non compétitifs. Non seulement ces circonstances pèsent lourdement sur les ressources publiques

limitées, mais elles empêchent aussi les investissements privés sur les marchés et conduisent à terme à

des conséquences négatives importantes en termes de bien-être des consommateurs (tarification

inefficace et piètre qualité) et de prestation de services publics.

Les technologies de l'information et de la communication (TIC) constituent un secteur contributif clé et

des études ont montré qu'une concurrence accrue dans le secteur des TIC présente des avantages

importants pour les consommateurs. Par exemple, il a été constaté que l'entrée d'un opérateur

supplémentaire augmentait de 57 % en moyenne le pourcentage d'abonnements mobiles pour un

échantillon de plus de 40 pays africains. En outre, il a été démontré que la libéralisation du marché réduit

considérablement les prix et les volumes d'appels. Une étude révèle qu'après la déréglementation, le

bien-être des consommateurs sur le marché des télécommunications dans les pays de l’OCDE a augmenté

de 96 milliards USD pour atteindre 111 milliards USD entre 1998 et 2008, en partie grâce à la baisse des

prix ajustés en fonction de la qualité (Banque mondiale et OCDE, 2017). Dans le même temps, des études

montrent qu'une augmentation de 10 % de la pénétration du mobile dans les économies en

développement devrait accroître la productivité de 4,2 %.38

Pour progresser plus rapidement et durablement, le Tchad pourrait tirer parti des recettes pétrolières pour stimuler progressivement la croissance de la productivité dans les principaux secteurs non pétroliers

Le principal défi à moyen et long terme consiste à réduire la dépendance au pétrole et à exploiter le

vaste potentiel agricole, tout en orientant les ressources progressivement vers le secteur secondaire

plus productif et les secteurs tertiaires nécessitant une main d'œuvre plus qualifiée. Les contributions

sectorielles à la croissance du PIB réel au fil du temps révèlent que les secteurs du pétrole et des services

engagements budgétaires vis-à-vis des organismes et des institutions de la concurrence génèrent des avantages économiques en termes de croissance du PIB par habitant.

38Basé sur les données de la Banque mondiale (2016a, p. 120).

48

sont les principaux moteurs, l'agriculture restant nettement en deçà de son potentiel. L'émergence de la

production pétrolière apparaît clairement dans les contributions de l'offre à la croissance du PIB réel après

2003 (Figure 31). Les performances du secteur des services associés, notamment, pourraient être

examinées en tenant compte de la dynamique du « syndrome hollandais » susmentionnée. L'agriculture

a largement contribué à la croissance avant 2003 (comme indiqué précédemment dans le profil des

exportations du Tchad en 2002), mais elle a perdu toute importance en tant que facteur de croissance clé

par la suite. De même, le secteur secondaire tchadien reste limité et a montré peu de dynamisme au fil

du temps.

Figure 33 : Le principal défi consistera à réduire la dépendance au pétrole tout en stimulant les contributions de l’agriculture à court terme et celles de l’industrie et des services hautement qualifiés à long terme.

Sources : Élaboré par le FMI et la Banque mondiale

L’une des conséquences de cette situation a été l’accroissement des inégalités entre 2003 et 2011, dans

la mesure où un grand nombre des ménages ruraux les plus pauvres n'ont pas pu profiter de la

croissance économique. Le coefficient de Gini est passé de 0,39 en 2003 à 0,42 en 2011, déterminé

presque entièrement par une aggravation des inégalités dans les zones rurales (Banque mondiale, 2015).

Alors que la consommation par habitant a baissé chez les 35 % les plus pauvres des ménages ruraux (qui

dépendent en grande partie de l'agriculture et de l'élevage et sont souvent touchés par des chocs

climatiques), la croissance urbaine a été modérément favorable aux pauvres. Le taux de pauvreté urbaine

a légèrement diminué dans les villes (10 points de pourcentage) par rapport aux zones rurales (8 points

de pourcentage). Cependant, l’exode rural n’y a contribué que marginalement. En termes d'opportunités

d'emploi dans les villes, cela peut refléter la faible capacité des villes à accroître le capital humain et social

des migrants. Au Tchad, l’augmentation de la demande en main-d’œuvre non qualifiée dans le secteur de

la construction, du commerce et des services de transport peut avoir été alimentée par les rentes

pétrolières à partir de 2003, et avoir à terme contribué à accroître les sources de revenus dans les zones

urbaines, mais elle n’a pas permis d’accroître durablement les possibilités de production. Cependant, en

termes de dépenses publiques, il existe un déséquilibre évident en faveur des zones urbaines en termes

de prestation de service (en particulier dans le secteur de la santé et de l'éducation).

49

Paradoxalement, la croissance du PIB pétrolier sera nécessaire à court terme pour financer la

diversification au-delà des activités pétrolières vers les secteurs secondaire et tertiaire. Si l'objectif à

long terme est de diversifier l'économie pour se libérer de sa dépendance actuelle au pétrole, la

production et les exportations de pétrole resteront une source essentielle de revenu nécessaire pour

financer la reprise et soutenir la croissance de l'économie non pétrolière (Figure 34 - Figure 36). Un

ajustement linéaire sur le diagramme de dispersion entre le logarithme du prix du pétrole et le logarithme

des recettes fiscales révèle une relation fortement positive, également confirmée par le coefficient de

corrélation statistiquement significatif de 0,87.39 De fait, les dépenses publiques étant un facteur clé de la

croissance du PIB hors pétrole, la corrélation positive entre la croissance clé du secteur non pétrolier et

les prix du pétrole peut être expliquée (Figure 37).

Figure 34 : Le pétrole est le moteur des recettes gouvernementales...

Figure 35 : ... des recettes du secteur des services ...

Source : FMI, prix des produits de base de la Banque mondiale, élaboré par la Banque mondiale

Source : Élaboré par le FMI et la Banque mondiale

Figure 36 :… mais aussi des secteurs non pétroliers du PIB.

Figure 37 : Il y a une relation forte et positive entre les prix du pétrole et les recettes fiscales.

Source : FMI, prix des produits de base de la Banque mondiale, élaboré par la Banque mondiale

Source : FMI, prix des produits de base de la Banque mondiale, élaboré par la Banque mondiale

39Nous utilisons des coefficients de corrélation non paramétriques (coefficient de corrélation de Kendall) pour tenir compte de la petite taille de l'échantillon.

50

À court et à moyen terme, l’agriculture peut jouer un rôle essentiel dans la réduction de la pauvreté et

la relance d'une croissance durable et inclusive. Les taux de pauvreté au Tchad ont diminué avec le

temps, mais la pauvreté rurale est restée élevée, à 52,5 % en 2011 (Figure 38 : La plupart des Tchadiens

vivent dans des zones rurales où la pauvreté est omniprésente). De plus, l'exode rural a été extrêmement

lent, puisque 77,4 % des Tchadiens vivaient dans les zones rurales en 2016, contre 78,2 % il y a dix ans.

Ainsi, les zones rurales caractérisées par des ménages dépendants directement ou indirectement de

l'agriculture pour leur subsistance représentaient 89,6 % du total des Tchadiens pauvres. Parallèlement,

l’agriculture a régulièrement représenté la majeure partie de la main-d’œuvre, même après quelques

changements structurels consécutifs à l’apparition de la production de pétrole (Figure 39). Cela indique

que la croissance du PIB tirée par le pétrole n’a pas réussi à induire un transfert des ressources de main-

d’œuvre de l’agriculture vers des secteurs plus productifs de l’économie. En outre, la concentration de la

main-d’œuvre dans l’agriculture suggère que des améliorations dans l’agriculture pourraient

considérablement améliorer la croissance inclusive à l’avenir, la plupart des ménages dépendant encore

de l’agriculture pour avoir un emploi.

Figure 38 : La plupart des Tchadiens vivent dans des zones rurales où la pauvreté est omniprésente.

Figure 39 : Bien que représentant une part moins importante du PIB, l’agriculture représente encore la majeure partie de la population active.

Source : WDI Source : Élaboré par le FMI, l'INSEED et la Banque mondiale

Sur le long terme, le défi principal consistera à débloquer une allocation efficace des ressources à destination des secteurs productifs, diversifiant ainsi l'économie du Tchad pour permettre une croissance durable. Au-delà de l’agriculture, un rapide examen de son profil d'importation montre à quel point les importations du Tchad sont diversifiées, ce qui pourrait suggérer directement des opportunités négligées de production et de création d'emplois au niveau national. Un examen plus détaillé de l'espace-produits et de l'analyse de la chaîne de valeur associée révèle un avantage comparatif potentiel dans l'agriculture et les textiles qui pourrait être exploité pour la diversification des exportations et, à terme, la transformation structurelle.

51

Encadré 3 : L'espace-produits du Tchad et les principales opportunités d'exportation basées sur l'avantage comparatif identifié.

Source : Banque mondiale 2018, à paraître (Explorer les opportunités du Tchad pour la diversification des exportations - Exploring Chad's

Opportunities for export diversification)

Dans ce contexte, la CEMAC peut offrir d'importantes opportunités pour les exportations tchadiennes

compétitives à l'avenir. L'intégration économique régionale est soumise à des contraintes importantes,

mais une mise en œuvre plus active de la politique de la CEMAC par le Tchad et de ses autres États

membres pourrait ouvrir la voie à un environnement plus favorable pour le commerce et les affaires. Les

tarifs relatifs au commerce extérieur à l'union douanière sont élevés par rapport à la concurrence

internationale (le tarif extérieur commun (TEC) moyen de la CEMAC est de 18,1 %, contre 12,4 % pour la

CEDEAO). En outre, il existe d'importantes divergences tarifaires au niveau national. Il existe également

d'importantes mesures non tarifaires qui empêchent le commerce intra-régional. Par exemple, le

processus de la CEMAC pour l'harmonisation et la reconnaissance mutuelle des procédures de

certification des mesures techniques n'a pas progressé dans la pratique et les systèmes de normes ont

tendance à différer d'un pays à un autre. Les réformes des investissements et du climat des affaires

relèvent principalement des gouvernements nationaux, mais il est également possible que des

interventions régionales favorisent la stabilité financière régionale et l’intégration financière, tout en

Le Tchad exporte très peu de produits avec un avantage comparatif révélé et sa position actuelle dans l'espace-produits est très clairsemée et limitée. Bien que cette position ne favorise pas une transformation rapide en chaînes d’approvisionnement à plus forte valeur ajoutée, elle fournit des indications sur les futures voies possibles de diversification. En 2015, le Tchad n'a exporté que 11 produits présentant un avantage comparatif révélé. Le pétrole brut et les produits textiles, qui sont les plus grands secteurs d’exportation du pays en termes de valeur, occupent une place périphérique dans l’espace-produits (en haut à droite et en bas à droite), ce qui signifie qu'ils contribuent peu à faciliter la diversification vers d'autres produits. Un peu à droite du centre de l'espace-produits, on trouve les exportations de produits végétaux du Tchad, à savoir la farine de maïs, les graines de sésame et la gomme arabique naturelle. En résumé, ces trois produits agricoles offrent des possibilités d’expansion très facilement réalisables. Le textile possède également des possibilités d'accroître sa compétitivité dans les étoffes tissées teintes et le rembourrage en fibres artificielles.

Produits minéraux

Produits végétaux

Textiles

Produits divers

52

rééquilibrant les conditions du marché pour les investissements et la fiscalité dans l'ensemble de la

CEMAC.

Les obstacles non tarifaires et le non-respect des accords de transit de la CEMAC sont particulièrement

visibles dans le commerce agricole régional.40 L'agriculture souffre d'un manque de pratiques standard

et d'une absence d'harmonisation entre les politiques nationales et les politiques de la CEMAC. Au

Cameroun, par exemple, il n’existe pas de règlement unique régissant le commerce agricole avec les pays

voisins de la CEMAC. Les travaux sur le terrain ont également révélé que les réglementations officielles

entrent souvent en conflit avec les pratiques transfrontalières. La CEMAC, à son niveau, pourrait prendre

la décision importante de réduire les taxes à la frontière - taxes qui constituent des obstacles non tarifaires

- en établissant un dialogue régional sur les exigences de déclaration SPS, et d’instaurer un régime

commercial pour les produits agricoles auquel tous les gouvernements pourraient adhérer. En effet, le

principal obstacle à l’économie politique dans la mise en œuvre d’un régime commercial pour les produits

agricoles semble être la création de revenus ou la redistribution à partir des activités transfrontalières.

L'expérience d'autres marchés communs, y compris celle de l'UE, peut être pertinente pour déterminer la

meilleure façon de réduire la dépendance par rapport aux taxes aux frontières.

Pour donner suite aux résultats de l'évaluation jusqu'ici, nous allons maintenant nous intéresser à deux

secteurs essentiels pour permettre au Tchad de sortir du labyrinthe : L'agriculture et les

télécommunications/TIC. Ces secteurs jouent non seulement un rôle important pour une grande partie

de la population tchadienne, mais sont également essentiels pour une croissance inclusive et durable et

pourraient jouer un rôle de catalyseur dans la diversification de l'économie.

L'agriculture a un impact direct sur les moyens de subsistance de la plupart des Tchadiens et pourrait

générer d'importants gains économiques à long terme, compte tenu de l'avantage comparatif du Tchad.

Donner la priorité au développement du secteur agricole constitue la stratégie la plus prometteuse pour

la réduction de la pauvreté au Tchad étant donné que 80 % de la population vit dans les zones rurales et

que la plupart des Tchadiens travaillent encore dans ce secteur (comme le montre la Figure 39 ci-dessus) ,

à l’exemple des femmes qui gèrent environ 75 % de la production agricole.41 En outre, comme indiqué et

analysé dans l'encadré 3, le Tchad dispose d'un avantage comparatif pour de nombreux produits agricoles,

offrant ainsi des possibilités d'expansion économique et de diversification des exportations. Les faibles

niveaux actuels de productivité agricole suggèrent en outre qu'il existe un potentiel important pour

accroître la productivité dans le secteur agricole et dans l'ensemble de l'économie.

Dans le même temps, le secteur des TIC et des télécommunications contribue à pratiquement toutes

les activités économiques et constitue donc un facteur horizontal crucial de croissance et de

développement économique. En plus des avantages économiques directs en termes de création de valeur

et d’emplois associés, tous les secteurs de l’économie locale bénéficieraient d’un secteur des

télécommunications/TIC plus efficace, qui créerait des externalités positives en réduisant les coûts de

production, en améliorant l'efficacité de la prestation des services publics et privés et en facilitant

l'adoption de technologies nouvelles et productives. En outre, la mise en place de services de

40Pour une analyse détaillée, voir Banque mondiale 2018, CEMAC Country Economic Memorandum (à paraître).

41 Idem., p. 8.

53

télécommunications/TIC compétitifs permettrait de réduire d’importants coûts et, par conséquent,

d’accroître l’efficacité des chaînes d’approvisionnement tout en améliorant le bien-être des

consommateurs.

3. Analyse approfondie : des solutions à portée de main dans l’agriculture

La croissance de la production agricole est confrontée à un manque criant de gains de productivité

soutenus. La main-d’œuvre et le cheptel se sont accumulés de manière continue, mais la stagnation de la

productivité a maintenu la croissance de la production agricole à des niveaux modérés. Entre 1990 et

2014, le secteur agricole s’est développé à un taux moyen de 3,4 %, avec une très forte volatilité (un écart-

type de 15,8 %) qui reflète la vulnérabilité aux intempéries et aux chocs climatiques42. En utilisant la

méthodologie de comptabilisation de la croissance développée par le Département de l’Agriculture des

États-Unis d’Amérique (USDA)43, nous confirmons que la croissance agricole au Tchad a été largement

axée sur les ressources plutôt que sur la productivité au cours de la période 1962-2014 (tableau 8). En

effet, plus de 50% de la croissance agricole découle de l’utilisation intensive d’intrants (travail et

accumulation de bétail), tandis que celle due à l’amélioration de la productivité est de seulement 8,3 %.

Le reste est dû en grande partie à l’extensification (utilisation des terres). Il ressort de la comparaison avec

les autres pays de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC) et

les pays aspirants que les niveaux de productivité au Tchad sont en retard par rapport à ces pays de

comparaison et que l’écart s’est rapidement creusé depuis le milieu des années 2000 (figure 40). Avec peu

d’accès au capital et à la technologie moderne, les agriculteurs tchadiens augmentent généralement leur

production en comptant simplement sur une main-d’œuvre supplémentaire – et plus récemment– du

bétail supplémentaire, au lieu de stimuler la productivité en investissant dans des intrants de qualité tels

que les semences, la mécanisation de l’agriculture et les techniques de culture avancées.

Tableau 8 : Un examen pointu des sources de croissance agricole au Tchad révèle un manque frappant de croissance de la productivité.

1962-1970

1971-1980

1981-1990

1991-2000

2001-2010

2010-2014

Production agricole A = B+C+D 1,2 0,9 2,0 1,9 6,1 -1,2

PTF B -0,2 0,2 0,8 -0,6 2,1 -1,4

Expansion des terres (extensification) C -0,4 0,0 0,1 0,1 2,0 -1,2

Intensification des intrants D = E+F+I 1,8 0,7 1,0 2,4 2,0 1,4

Main-d’œuvre E 0,4 0,4 0,9 0,7 0,6 0,4

Intrant capital F = G+H 0,7 0,1 0,1 1,0 1,0 0,5

Élevage G 0,3 0,0 0,0 1,0 0,9 0,5

Machines E 0,4 0,1 0,0 0,0 0,0 0,1

Intrant intermédiaire I=J+K 0,7 0,2 0,1 0,8 0,5 0,5

Aliments pour animaux J 0,0 0,0 0,2 0,3 0,2 0,2

Engrais K 0,6 0,2 -0,1 0,4 0,3 0,3

42 En plus des graves sécheresses de 2009 et 2010, 8 inondations se sont produites au Tchad au cours des 10 dernières années, causant en moyenne 7,6 décès par an (Banque mondiale, 2015). 43 On trouvera de plus amples détails sur la méthodologie de l’USDA dans Fuglie et Rada, 2013. Les données sont accessibles par le lien suivant : https://www.ers.usda.gov/data-products/international-agricultural-productivity.aspx.

54

Source : USDA ERS et calcul des services de la Banque mondiale

Figure 40 : La croissance de la productivité agricole a récemment pris du retard par rapport à d'autres pays de la CEMAC et les pays aspirants

Source : USDA ERS, élaboré par la Banque mondiale

L’absence criant de marchés d’intrants fonctionnels est un facteur clé qui freine la croissance de la

productivité agricole au Tchad. Tout d’abord, l’absence de marchés fonctionnels permettant de fournir

des intrants de haute qualité et d’améliorer la productivité et de commercialiser les produits constitue

une contrainte majeure. Par conséquent, une compréhension plus approfondie de la dynamique du

marché dans le secteur agricole – comme indiqué dans la section ci-dessous – est nécessaire pour

identifier les contraintes spécifiques d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur.

Au nombre des contraintes supplémentaires, on peut citer un environnement de recherche peu

développé et un accès limité aux marchés dans les zones rurales. Une analyse plus poussée des facteurs

à l’origine de la stagnation de la productivité agricole au Tchad s’appuie sur la littérature existante relative

au contexte régional de l’Afrique subsaharienne (Block, 2014 ; Fuglie et Rada, 2013). Malgré la rareté des

données44, nous avons identifié trois autres boulets qui freinent la productivité agricole au Tchad.

Premièrement, le Tchad manque d’un environnement de recherche agricole sain qui s’est avéré un

moteur majeur de la croissance de la productivité agricole en Afrique subsaharienne (Block, 2014 ; Fuglie

et Rada, 2013 ; Goyal et Nash, 2017). L’écosystème de la recherche agricole souffre d’un grave sous-

investissement. Le Tchad a investi moins de 0,1 % de son PIB agricole dans la recherche agricole au cours

de la période 2009-2014. Ce ratio est beaucoup plus faible que dans la plupart des pays d’Afrique

subsaharienne (figure 41) et nettement inférieur au seuil de 1 % exigé par l’Union africaine et l’ONU45. De

plus, le manque de main-d’œuvre qualifiée et spécialisée est un autre obstacle à la recherche agricole

(figure 42). Deuxièmement, malgré certaines améliorations réalisées au cours des dernières années,

l’accès aux services financiers dans les zones rurales – où se situe la plus grande partie de l’activité agricole

44 Dans l’idéal, nous aurions utilisé des données géocodées sur la production agricole pour vérifier empiriquement si le conflit était un frein à la productivité agricole. Malheureusement, et au meilleur de nos connaissances, les données spatiales sur le niveau des cultures ne sont pas disponibles au Tchad. 45 Il convient toutefois de noter qu’il existe un décalage important entre le temps consacré à la recherche et développement et le moment où les connaissances élaborées sont intégrées dans des produits agricoles et des pratiques culturales plus productifs.

55

au Tchad – reste modeste par rapport à la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne et des autres pays

comparables (figure 43). L’accès limité au marché empêche entre autres les producteurs, de i) développer

leurs exploitations agricoles, ii) se doter de technologies modernes et productives et iii) commercialiser

efficacement leur production agricole.

Les conflits ont notamment eu un impact significatif et négatif sur la productivité agricole. La

productivité agricole au Tchad est corrélée négativement à la gravité du conflit armé telle que mesurée

par le nombre de morts au combat (Figure 44)46. Cela n’est pas surprenant, étant donné que les conflits

armés affectent généralement l’agriculture de différentes manières (Arias et al., 2014 ; Kimenyi et al.,

2014). Les conflits ont un effet direct car ils détruisent et endommagent les terres agricoles et des effets

indirects étant donné qu’ils modifient le comportement des ménages qui réduisent les investissements à

mesure que l’incertitude augmente et que les marchés deviennent moins efficaces. Bien que ces

contraintes soient importantes, il convient de noter une fois de plus que des recherches agricoles

supplémentaires et un meilleur accès aux marchés financiers ne permettent aux agriculteurs, et en fin de

compte, à l’économie de tirer profit que s’il existe des marchés efficaces et concurrentiels.

Figure 41 : Le Tchad alloue un montant minime aux les dépenses agricoles ...

Figure 42 : ... et manque de chercheurs spécialisés en agriculture

Source : Indicateurs relatifs aux sciences et technologies agricoles (ASTI) Remarque : Le Botswana, Maurice et l’Afrique du Sud sont exclus parce qu’ils sont des pays beaucoup plus riches.

Source : Indicateurs relatifs aux sciences et technologies agricoles (ASTI) Remarque : Le Botswana, Maurice et l’Afrique du Sud sont exclus parce qu’ils sont des pays beaucoup plus riches.

46 La littérature s’est fondée sur le nombre de morts au combat pour évaluer la gravité des conflits armés (Lacina, 2006 ; Lacina et Gleditsch, 2005).

56

Figure 43 : Le pourcentage de populations rurales ayant des comptes financiers est encore plus faible au Tchad par rapport à d’autres pays de comparaison.

Figure 44 : La productivité agricole est négativement liée à l’intensité des conflits armés.

Source : Base de données sur l’inclusion financière mondiale Source : USDA ERS, UCDP Georeferenced Event Dataset, élaboré par

la Banque mondiale

De plus, le soutien fiscal au secteur agricole a été extrêmement modeste. Sur la période 2003-2012, les

dépenses publiques consacrées à l’agriculture représentaient en moyenne 4,1 % du PIB agricole (ministère

de l’Agriculture et de l’Environnement, 2014). Ce chiffre place le Tchad à l’extrémité inférieure de la

fourchette d’appui au secteur agricole de l’Afrique subsaharienne et bien en deçà des fonds alloués dans

d’autres pays à revenu moyen et élevé (figure 45). De plus, ce ratio est nettement inférieur à la part

globale de l’agriculture dans l’économie (environ 26 % sur la période 2003-2012), ce qui indique que le

Tchad consacre beaucoup moins de ses dépenses publiques à l’agriculture que la part du secteur dans le

PIB. En fait, l’État n’a pas respecté son engagement à la déclaration de Maputo de 2003 d’allouer au moins

10 % des dépenses publiques au secteur agricole dans un délai de 5 ans comme condition préalable à la

réduction de la pauvreté (Figure 46)47. Comme on l’a vu plus haut, la présence de conflits et les dépenses

de sécurité qui y sont liées peuvent avoir un effet d’éviction direct sur les investissements productifs dans

l’agriculture. Il convient toutefois de souligner que si les dépenses agricoles sont cruciales pour le

développement du secteur, il est d’une importance capitale que ces dépenses soient effectuées de

manière efficace et durable. Comme le montre l’analyse ci-dessous, même à des niveaux relativement

modestes, les dépenses agricoles publiques tchadiennes ont en fait contribué à l’inefficacité du secteur

au lieu de supprimer les goulots d’étranglement à la productivité et à la croissance.

47 Cet objectif a été réaffirmé dans la Déclaration de Malabo en 2014 (Goyal et Nash, 2017).

57

Figure 45 : Le Tchad accuse un retard par rapport aux pays de comparaison en termes de dépenses publiques consacrées à l’agriculture...

Figure 46 : .... qui n’ont pas atteint les 10% des dépenses publiques comme convenu dans l’accord de Maputo.

Source : EDP (2014). Remarque : Pour le Burkina Faso, la période est 2004-2011, tandis que pour la Guinée et le Tchad, elle est 2003-2012.

Source : EDP (2014)

L’agriculture est un tremplin crucial vers la diversification et la croissance inclusive au Tchad, mais

souvent les distorsions induites par l’État sur les marchés découragent l’investissement privé et pèsent

lourdement sur les performances. Pour atteindre une croissance durable, le Tchad devra créer des

marchés agricoles dynamiques portés par le secteur privé. Dans ce domaine, le secteur public joue un rôle

important dans la formation des marchés agricoles par divers moyens. Premièrement, l’État participe

directement aux marchés en fournissant des intrants essentiels, tels que les engrais, les semences et les

machines, et en agissant en tant qu’agent économique par le biais d’entreprises publiques telles que

COTONTCHAD ou SIMATRAC ou de PPP, comme c’est le cas dans le secteur de l’élevage. Deuxièmement,

l’État influence indirectement les résultats du marché en tant que décideur et régulateur. En partie à cause

du rôle de l’État dans les marchés agricoles, il y a peu d’acteurs du secteur privé dans l’agriculture

tchadienne. Un seul fournisseur d’intrants agricoles a pu être identifié dans le cadre de cette analyse.

L’inefficacité des marchés d’intrants freine la croissance de la production agricole. Les distorsions associées à la participation de l’État sont particulièrement marquées sur les marchés des intrants agricoles. Par exemple, le Gouvernement tchadien fournit directement la plupart des engrais dans le pays à des taux fortement subventionnés, tandis que les prix du marché des engrais sont parmi les plus élevés de la région. Les estimations suggèrent que l’État est responsable de la fourniture d’au moins 90 % des engrais domestiques, une proportion plus élevée que dans la plupart des pays de comparaison (Figure 47)48. Cette analyse est basée sur les informations disponibles en dehors du sous-secteur du coton, où l’entreprise publique COTONTCHAD est responsable de la distribution de tous les engrais. Par conséquent, la proportion globale est susceptible de dépasser les 90 %. Les prix des engrais subventionnés représentent environ 25 % du prix du petit engrais qui est commercialisé sur le marché

48 Estimations basées sur les informations fournies par l’ANADER le 2/20/2018 ainsi que sur les données d’importation de l’Atlas de la complexité économique.

58

libre. La figure 48 montre que les prix des engrais librement négociés sont plus élevés que dans la plupart des pays de comparaison pour lesquels on dispose d’informations.49

Figure 47 : Le Gouvernement tchadien distribue la plupart des engrais dans le pays.

Figure 48 : Le prix de l’urée au Tchad est plus élevé que dans la plupart des pays de comparaison.

Source : ACF (2016) Source : Banque mondiale. 2014. Indicateurs de l’agroindustrie :

Rapport de synthèse

Les défis fiscaux se traduisent par une fourniture sous-optimale et incohérente d’engrais et de

semences de qualité. L’incertitude du marché créée par l’État contribue fortement à l’absence du secteur

privé dans la fourniture d’engrais. Le seul importateur d’engrais qui a pu être identifié n’importe

actuellement que 30 à 40 tonnes par mois50. De même, la plupart des semences certifiées sont fournies

par des canaux subventionnés et ne couvrent actuellement qu’environ 2 % des terres agricoles du pays.

Pour une agriculture plus intensive et plus productive, l’utilisation d’intrants améliorés est nécessaire. Toutefois, l’utilisation d’engrais n’a pas augmenté de manière significative au Tchad et accuse un retard par rapport à la plupart des pays de comparaison. La faible utilisation des intrants – en partie due aux distorsions du marché introduites par l’intervention de l’État – a contribué à la stagnation de la productivité dans l’agriculture. Comme le montre la figure 49, la PTF agricole stagne depuis les années 90. Cependant, l’utilisation des terres a augmenté au Tchad plus rapidement que dans n’importe lequel des pays de comparaison et la main-d’œuvre agricole a également augmenté considérablement, ce qui indique une extensification de l’agriculture par opposition à une intensification (voir figure 50-figure 52).

49 Les prix des engrais subventionnés varient entre 6 500 et 8 500 francs CFA d’Afrique centrale pour l’urée et le NPK. Entre-, l’urée et le NPK échangés librement coûtent environ 22 000 à 30 000 francs CFA d’Afrique centrale, ce qui est plus élevé que dans les pays de comparaison. 50 Entretien avec Owiayana le 21/02/2018.

59

Figure 49 : Le Tchad a pris du retard par rapport aux pays de comparaison en termes de PTF agricole...

Figure 50 : ... et l’utilisation d’engrais.

Source : USDA ERS

Source : USDA ERS

Figure 51 : En revanche, elle s’appuyait en grande partie sur la main-d’œuvre...

Figure 52 : .... et l’accumulation de terres.

Source : USDA ERS Source : USDA ERS

60

Encadré 4 : Les droits de propriété foncière au Tchad sont un facteur important pour la productivité agricole.

Conformément à la Loi n°24 du 22 juillet 1967, deux régimes juridiques établissent les droits de propriété

foncière au Tchad. Selon le premier, la propriété foncière peut être obtenue par l’établissement et

l’enregistrement d’un titre de propriété. Ce document sécurise la terre et la rend indiscutable. Le document peut

également servir de garantie pour les emprunteurs potentiels auprès d’une institution bancaire. Dans le cadre de

ce régime, les biens enregistrés peuvent être transférés librement entre les ressortissants tchadiens légaux.

Le deuxième concerne les droits coutumiers, principalement dans les zones rurales. Tous les terrains non

enregistrés sont considérés comme « vacants et sans propriétaire », à moins qu’il n’existe une preuve du contraire.

Cette preuve peut être le titre de propriété ou la reconnaissance officielle de l’utilisation des terres à des fins

d’aménagement qui varie selon la région et l’exploitation du sol. Néanmoins, l’État se réserve le droit de : 1)

enregistrer le terrain vacant en son nom ; 2) saisir le terrain et indemniser le propriétaire ; 3) proposer d’autres

droits équivalents au propriétaire. Malheureusement, ce terrain non enregistré ne peut pas être utilisé comme

garantie auprès d’une institution bancaire.

Le régime des droits coutumiers limite le développement de l’agriculture au Tchad. Premièrement, les terres

dans les zones rurales ne sont généralement pas enregistrées, car elles ont été attribuées conformément à la

tradition familiale. Même si la terre est cultivée, il subsiste une grande incertitude en raison de l’absence de titres

de propriété. Elle peut donc être repris par l’État ou même par les « chefs de terre ». Cela rend les agriculteurs

moins susceptibles de cultiver des terres non enregistrées. Deuxièmement, l’absence de titres de propriété

implique un accès réduit au financement, car l’agriculteur ne peut pas utiliser la terre comme garantie auprès

d’une institution bancaire. En d’autres termes, les agriculteurs sont incapables d’acquérir les intrants nécessaires

tels que des semences améliorées, de nouvelles machines et des engrais pour non seulement accroître la

production, mais aussi pour accroître la productivité.

Les droits de propriété sont importants pour la productivité agricole et des réformes seront nécessaires au Tchad

à moyen terme. Des droits de propriété bien définis améliorent la productivité de diverses manières. Outre

l’utilisation des titres fonciers comme garantie de l’accès au financement nécessaire pour les investissements

visant à améliorer la productivité, le bon fonctionnement des marchés des terres agricoles peut assurer une

réaffectation des terres en vue de leur utilisation la plus efficace (voir Chari et al, 2017). Si l’utilisation croissante

des terres agricoles au Tchad ces dernières années (voir figure 52) pourrait laisser entendre que leur disponibilité

n’a pas constitué un obstacle majeur à la croissance agricole dans le passé, il n’en demeure pas moins que des

réformes seront nécessaires à moyen terme pour compléter celles du marché afin d’inciter les agriculteurs à saisir

les opportunités de profit et à permettre des investissements dans des activités porteuses.

L’intervention de l’État a contribué à des résultats inefficaces dans la chaîne de valeur du coton, et la privatisation n’est pas non plus la panacée.

Le secteur du coton était certes l’épine dorsale de l’agriculture tchadienne, mais des inefficacités

majeures empêchent les gains de productivité à la hauteur de son potentiel. Le coton est

traditionnellement la culture de rente et d’exportation la plus importante au Tchad. Elle demeure l’une

des rares chaînes de valeur agricole (si ce n’est la seule) qui regorge de capacités de transformation

industrielle. Il a certes perdu son statut de premier produit d’exportation du Tchad, mais l’État et de

nombreuses analyses suggèrent qu’il peut jouer un rôle important à l’avenir51.

51 Voir par exemple EDIC (2013).

61

Jusqu’à une date récente, l’État gérait la totalité de la valeur du coton à travers son entreprise publique

« COTONTCHAD» ; toutefois, il a eu du mal à assurer la performance de la chaîne. Par conséquent, la

chaîne de valeur fait actuellement l’objet d’une privatisation partielle. Les rendements ont stagné au

cours des dernières années et ont même diminué pour s’établir en deçà des niveaux des années 90

(figure 53). Par conséquent, la production a également diminué au cours des dernières années (figure 54).

De la saison 2016-2017 à 2017-2018, la production a diminué de 87 %, passant de 186 000 tonnes à

25 000 tonnes52. Compte tenu des difficultés de la chaîne de valeur, les parties prenantes ont convenu de

sa libéralisation en août 2017, et depuis avril 2018, l’État n’est plus l’acteur principal de la chaîne de

valeur.

Figure 53 : Le Tchad a souffert de faibles rendements… Figure 54 : ... et une production de coton limitée

Source : FAO Source : FAO

Les faibles rendements du coton sont en partie dus à la faible utilisation d’engrais – l’État n’a fourni

qu’un quart des quantités d’engrais recommandées aux agriculteurs. Les engrais et les semences ont été

fournis exclusivement aux agriculteurs par l’entreprise publique COTONTCHAD. Même si la plupart des

engrais de synthèse utilisés au Tchad ont été consacrés au coton, l’approvisionnement en engrais

demeure insuffisant. Les dossiers d’appel d’offres de COTONTCHAD pour la saison 2018-2019 précisent la

fourniture de 2 sacs de 50 kg de NPK et 1 sac d’urée par hectare53. C’est la moitié de l’utilisation

recommandée54. COTONTCHAD a fourni encore moins, à savoir environ 25 % des quantités

recommandées55. Habituellement, COTONTCHAD achète des engrais sur le marché international en

novembre de chaque année en préparation de la saison qui commence environ six mois plus tard. Pour la

saison 2018-2019, COTONTCHAD n’avait pas encore acheté d’engrais en février 201856. Les acteurs privés

n’ont pas été en mesure de combler le manque d’engrais laissé par l’État depuis que COTONTCHAD fournit

des engrais à des prix fortement subventionnés et en échange de produits à la fin de la saison, sur lesquels

l’entreprise publique maintient un monopsone légal.

52 Entretien avec Olam le 19/02/2018.

53 Entretien avec Olam le 19/02/2018. 54 Idem. 55 Idem. 56 Entretien avec COTONTCHAD le 22/02/2018.

62

CotonTchad

possède les

7 égreneuses

opérationnelles sur

les 9 que compte

CotonTchad a conclu des accords

d’exportation avec des acheteurs

internationaux (par exemple Olam

(35 %), Cargill et autres).

CotonTchad possède et

exploite l’unique usine du pays

(capacité de 100 000 tonnes,

qui produit environ 18 millions

de litres d’huile

Mouture

Égrenage

Au-delà des marchés d’intrants, l’État participe directement à toutes les étapes de la chaîne de valeur

du coton. L’État intervient principalement par le biais de son entreprise publique, COTONTCHAD, qui

fonctionne comme une entreprise verticalement intégrée qui est impliquée dans chaque segment de la

chaîne de valeur, de la fourniture d’intrants à l’exportation de fibres de coton (Figure 55). La position

dominante de COTONTCHAD d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur repose en grande partie sur sa

monopsone juridique pour le coton non transformé, qui s’est traduite par un monopole de fait le long du

reste de la chaîne de valeur dans le passé.

Figure 55 : L’implication de COTONTCHAD d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur du coton

Exportation de fibre de coton

Commercialisation de l’huile

sur le marché intérieur

Commercialisation de

tourteaux sur le marché

intérieur

Source : Élaboré par la Banque mondiale. Remarque : L’ITRAD est l’Institut Tchadien de recherche pour le développement, chargé de la recherche agricole et de l’adaptation et de la production de semences de prébase et de base.

Dans l’ensemble, l’intervention publique dans le secteur du coton a entravé le fonctionnement du marché et a contribué à la performance sous-optimale de la chaîne de valeur. La gestion par COTONTCHAD de l’ensemble de la chaîne de valeur a introduit des contraintes importantes en matière de concurrence et de fonctionnement optimal du marché. La figure 56 résume les principales restrictions.

CotonTchad achète de l’engrais sur le marché

international par le biais d’un processus AOI et

fournit l’engrais aux agriculteurs au prix

subventionné de 16 000 F CFA à crédit, qui est

recouvré à la fin de la saison.

CotonTchad achète des engrais en utilisant le

crédit des banques locales, en s’appuyant sur

les garanties de l’État.

Les besoins sont quantifiés à environ

40 000 tonnes d’engrais (Urée et NPK

combinés), mais CotonTchad n’a pas été en

mesure de fournir toutes les quantités

nécessaires, ce qui conduit à une utilisation

sous-optimale des engrais.

L’ITRAD produit des semences de

prébase et de base pour le coton.

CotonTchad réalise

la multiplication et fournit les

semences sans frais aux agriculteurs

La production de coton est assurée

par des agriculteurs indépendants,

souvent organisés en groupements.

CotonTchad fournit des services

de vulgarisation.

Les centres d’achat de CotonTchad dans

les zones de production du coton

collectent les produits et en vérifient la

qualité.

Les agriculteurs sont payés en fonction du

poids du produit à l’arrivée à l’égrenage

Le prix d’achat est fixé par un comité

composé de CotonTchad, des producteurs et

du ministère de l’Agriculture sur la base

d’une formule adaptée du Burkina Faso

Le prix final tend à être plus élevé que le prix

basé sur la formule (220 F CFA/kg la saison

dernière contre 192 F CFA/kg).

Approvisionnement en

engrais

Approvisionnement

en semences Achat/transport

Production de

coton brut

CotonTchad vend de l’huile de

consommation et du tourteaux

sous forme d’aliments pour

animaux sur le marché intérieur

63

Figure 56 : Contraintes sur la concurrence d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur du coton

Source : Élaboré par la Banque mondiale.

Les efforts de privatisation en cours risquent de ne pas être à la hauteur des principales contraintes. Les

restrictions existantes ont été reportées dans le processus de privatisation en cours, qui semble manquer

d’importantes occasions d’ouvrir le secteur en faisant passer la chaîne de valeur d’une structure de

marché monopolistique à une structure tout aussi inefficace avec une entreprise privée très dominante.

En avril 2018, le géant agricole Olam a acheté 55 % des parts de COTONTCHAD et a proposé plusieurs

réformes de la chaîne de valeur du coton au Tchad. Selon la proposition, l’une des trois (3) zones de

production serait gérée directement par Olam, l’une resterait sous la gestion de COTONTCHAD et l’autre

serait confiée à un troisième opérateur privé. Les produits qui en sont issus seraient vendus par les canaux

de distribution d’Olam. En outre, la seule usine du pays serait détenue à parts égales par Olam,

COTONTCHAD et le nouveau troisième acteur, mais étant donné qu’Olam est propriétaire de

COTONTCHAD, il serait un actionnaire majoritaire de facto. Étant donné qu’Olam détient maintenant la

majorité de COTONTCHAD et compte tenu de la nouvelle structure proposée, la chaîne de valeur passerait

essentiellement d’un monopole public à une structure de marché avec Olam comme acteur dominant57.

La concurrence mondiale et régionale est peu probable étant donné qu’Olam est la deuxième plus grande

société cotonnière au monde et détient une part de marché importante ailleurs dans la région58.

57 Tiré d’un entretien avec Olam le 19/02/2018.

58 Voir par exemple http://olamgroup.com/investor-relations/olam-insights/issue-3-2017-a-model-for-a- sustainable-cotton-supply-chain/ ou Olam. 2008. Communiqué de presse – « Olam investira dans les actifs d'égrenage du coton en Côte d’Ivoire » disponible à l'adresse http://49tmko49h46b4e0czy3rlqaye1b.wpengine.netdna-cdn.com/wp- content/uploads/2009/06/20080620_release.pdf.

64

Il est à noter qu’il n’existe aucune indication claire sur la levée ou non du monopsone sur le coton non

transformé. Si COTONTCHAD /Olam continue à fournir des intrants aux agriculteurs à crédit (ou en

échange de produits à la fin de la saison), les agriculteurs resteraient liés à un seul acheteur (même si le

monopsone pour COTONTCHAD est levé), ce qui limite le choix des agriculteurs. À ce stade, il n’existe

aucune indication claire sur le maintien ou non du monopsone sur le coton non transformé actuellement

détenu par COTONTCHAD (et son extension au troisième participant au marché, actuellement inconnu).

Sans l’abolition du monopsone, les agriculteurs ne pourront pas bénéficier de la concurrence pour leurs

produits, ce qui limitera les avantages potentiels de la concurrence sur leurs revenus. Toutefois, même si

le marché de l’achat de coton brut est plus ouvert, la poursuite des négociations de prix entre les acteurs

du secteur pourrait servir de point focal de collusion à l’avenir. Enfin, il apparaît que COTONTCHAD /Olam

continuerait à dominer les fonctions de la chaîne de valeur en aval (égrenage et mouture), ce qui pourrait

entraver les incitations à l’innovation et à la productivité (voir l’annexe 6 pour un résumé des restrictions

de concurrence qui pourrait subsister après la libéralisation).

La suppression des restrictions à la concurrence dans le secteur du coton dans le contexte d’une réforme

globale du marché pourrait apporter des avantages substantiels. La création des conditions de

fonctionnement du marché des intrants pour en assurer une utilisation optimale entraînerait des

augmentations substantielles de la production, des revenus des agriculteurs et des recettes d’exportation.

En augmentant les rendements actuels du coton par des réformes qui favorisent la concurrence sur le

marché des intrants de 86,5 %, pour passer de 218 kg/ha actuellement à 406,6 kg/ha, ce qui correspond

au rendement moyen des leaders régionaux (Burkina Faso, Mali, Niger, Cameroun et Côte d’Ivoire)59 et

en supposant une utilisation constante des terres, la production, les revenus des agriculteurs et les

recettes d’exportation pourraient augmenter d’une proportion équivalente. Toutefois, l’augmentation de

l’utilisation d’engrais selon la quantité recommandée aux prix actuels des engrais sur le marché libre

dépasserait le revenu des agriculteurs. En conséquence, la chaîne de valeur a besoin d’une réforme plus

complète pour assurer l’augmentation des prix du coton non transformé par le biais de la concurrence

pour les produits des agriculteurs et la baisse des prix du fait de la concurrence sur le marché des engrais.

Le rôle de l’État dans le secteur du coton peut avoir un impact négatif sur l’allocation des ressources dans l’ensemble du secteur agricole.

L’intervention publique dans la chaîne de valeur du coton a contribué à une mauvaise allocation des

ressources rares dans le secteur agricole. Ces dernières années, les agriculteurs sont passés fréquemment

du coton à différentes chaînes de valeur, en l’occurrence le sésame, en fonction de la facilité relative

d’accès aux intrants et de leurs profits potentiels respectifs. Le soutien de l’État au coton, par exemple

par la fourniture d’intrants, a biaisé la prise de décision des agriculteurs par rapport à d’autres chaînes de

valeur offrant potentiellement des rendements plus élevés ou des perspectives de croissance plus

prometteuses. De même, comme l’illustre la figure 52, les terres consacrées à l’agriculture au Tchad ont

augmenté plus rapidement que dans les pays de comparaison, avec une recrudescence des conflits

fonciers existants entre agriculteurs et éleveurs. L’élevage est un autre secteur essentiel de l’économie,

qui a également des liens avec le coton et d’autres cultures – tant en termes d’utilisation de sous-produits

de cultures comme aliments pour animaux qu’en termes de superficie allouée à diverses utilisations. La

59 USDA (2018).

65

figure 57 résume la relation entre la chaîne de valeur du coton et les chaînes de valeur du sésame et du

bétail et met en évidence les domaines de concurrence entre elles, avec à la clé l’effet potentiel de l’aide

de l’État au coton sur l’allocation globale des ressources dans l’ensemble de l’économie.

Figure 57 : L'intervention de l'État dans la chaîne de valeur du coton affecte l'allocation des ressources dans diverses chaînes de valeur cruciales de l'économie

Source : Élaboré par la Banque mondiale

Cela est d’autant plus important que de nombreux marchés de produits agricoles autres que le coton

dépend de la fourniture d’intrants par les pouvoirs publics. L’ANADER, l’organisme public de

vulgarisation agricole, est chargé de l’approvisionnement et de la distribution des intrants pour toutes les

chaînes de valeur, à l’exception du coton. Dans le passé, l’État a également acheté et fourni des

équipements agricoles60. Comme pour le coton, les intrants ont été fournis à des prix fortement

subventionnés, ce qui rendait difficile la compétitivité du secteur privé. Pour un sac de 50 kg de NPK,

l’ANADER facture 7 500 F CFA et pour un sac de 50 kg d’urée, l’État facture 8 500 F CFA. Les deux prix sont

équivalents à environ 25 % des prix pratiqués par les quelques acteurs privés. Les agents de vulgarisation

de l’ANADER sont chargés d’évaluer la demande et de répartir les engrais entre les agriculteurs.

Cependant, selon l’ANADER, l’État compte actuellement entre 500 et 600 agents de vulgarisation, dont le

pouvoir discrétionnaire détermine l’attribution des engrais. La prise en compte des asymétries

d’information et de la transparence dans l’appariement des intrants rares en fonction des besoins des

agriculteurs est probablement sujette à de grandes inefficacités. Résume les effets négatifs potentiels des

subventions aux intrants agricoles et met en évidence des solutions de rechange potentiellement moins

faussant la concurrence.

60 Par exemple, l’État a acheté 5 000 tracteurs, dont quelques-uns sont encore fonctionnels aujourd’hui.

Sésame

Marchés des

intrants agricoles

Production agricole

Production des semences

de sésame

Production

d’huile La répartition des intrants entre les

secteurs et les prix offerts aux

agriculteurs pour les produits agricoles

déterminent la décision des agriculteurs

de passer du coton au sésame

Coton Marchés

des intrants agricoles

Production agricole

Production de fibres de coton

Production d’huile

Concurrence pour les terres entre les agriculteurs et les éleveurs

Production de cuirs et peaux

Production de viande, de lait

Intrants pour bétail

Terres

Fibre de coton

et graines de

sésame pour

les marchés

d’exportation

Huile et

tourteaux pour le marché

intérieur

Viande, cuirs

et peaux

ayant un

important potentiel de

diversification

des

exportations.

Lait destiné

principalemen

t à la

substitution

des

importations

Croissance

économique,

diversification,

réduction de la

pauvreté

Alimentation Bétail

Tourteaux

66

Encadré 5 : Les subventions peuvent avoir des effets de distorsion importants.

Si les subventions pour les intrants agricoles sont souvent mises en place pour atteindre des objectifs politiques sains (par exemple pour améliorer la productivité agricole, augmenter les revenus des agriculteurs, accroître la sécurité alimentaire, et en fin de compte, réduire la pauvreté), il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent avoir des effets de distorsion sur le marché. Par exemple, elles peuvent fausser le marché des intrants du secteur privé, ce qui fait baisser artificiellement le prix du marché et empêche le secteur privé de concurrencer les produits subventionnés sur un pied d’égalité. Les faibles coûts peuvent également inciter les agriculteurs à faire un usage excessif ou à passer à des systèmes de production inefficaces à forte intensité d’intrants.

Dans de nombreux cas, les pouvoirs publics ont la possibilité d’effectuer des interventions qui entrainent moins de distorsion pour soutenir les revenus des agriculteurs. Par exemple, ils pourraient encourager et soutenir les agriculteurs à collaborer pour effectuer des achats en vrac d’intrants. Les pouvoirs publics peuvent également mettre en place des systèmes de bons du côté de la demande pour fournir des intrants subventionnés. S’ils sont correctement administrés, ces régimes faussent généralement moins les systèmes de marché que les subventions directes, car ils offrent aux consommateurs un plus grand choix de fournisseurs et permettent de mieux lier les résultats des fournisseurs aux performances. De tels systèmes ont été mis en œuvre dans plusieurs pays africains, dont la Tanzanie, le Malawi, le Mozambique et la Zambie, entre autres, ce qui permet de travailler à la réalisation des objectifs des politiques publiques respectives ainsi que la concurrence du secteur privé dans la fourniture d’intrants61.

Source : Seini et al. (2011) ; Banque mondiale (2004) ; Takeshima et Lee (2012)62

Bien qu’il existe peu de restrictions formelles à la concurrence, la participation directe de l’État crée un

risque pour le secteur privé. Les prix fortement subventionnés font qu’il est difficile pour le secteur privé

d’être compétitif pendant les saisons où l’État fournit des engrais. De plus, la distribution incohérente de

l’État qui dépend des recettes crée de l’incertitude pour le secteur privé63. Pour un résumé des restrictions

réglementaires concernant l’approvisionnement en engrais, voir le tableau 9. De même, la fourniture de

semences dépend largement de l’État. L’Institut Tchadien de Recherche pour le Développement (ITRAD),

structure de l’État, détient le monopole de la production de semences de prébase et de base, qui sont

multipliées soit par l’ITRAD lui-même, soit par des ONG, soit par quelques agriculteurs privés. Aucune

licence n’est nécessaire pour multiplier les semences, mais seuls quelques acteurs privés semblent

multiplier les semences. De même, aucune licence d’importation n’est requise pour les semences64. L’État

n’importe pas de semences, mais certains acteurs privés semblent le faire de façon plus ou moins

formelle. La certification des semences est effectuée exclusivement par l’État par l’intermédiaire de la

Direction des semences du ministère de l’Agriculture. La distribution des semences produites par l’ITRAD

s’effectue par l’intermédiaire des services de vulgarisation de l’État à des prix subventionnés. De même,

certaines ONG, parfois soutenues par des donateurs internationaux, fournissent des semences à des prix

subventionnés ou gratuitement. Quelques fournisseurs privés de semences le font par l’intermédiaire de

61 Voir l’exemple d’une étude sur le système national de bons d’achat d’intrants agricoles mis en œuvre en République-Unie de Tanzanie (2014), et Mangisoni et al. (2007) pour les résultats au Malawi, au Mozambique et en Zambie. 62 Seini, W., Jones, M., Tambi, E., et Odularu, G., 2011. « Input Market Initiatives that Support Innovation Systems and Agricultural Value Chains in Africa. » Accra, Ghana : Forum africain pour la recherche agricole (FARA), Banque mondiale, 2004. « Rapport sur le développement dans le monde 2005 : un meilleur climat d’investissement pour tous », Washington DC : Groupe de la Banque mondiale ; Takeshima, H., et Lee, H. L., 2012. « Agricultural Inputs Subsidy and their Developmental Impact : Conventional Wisdom, » Washington, DC : Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). 63 Dans un entretien, le seul fournisseur officiel d’engrais a fait part de sa crainte d’être confronté à des difficultés pour se maintenir sur le marché dans le cas où l’État génèrerait les recettes nécessaires pour reprendre la fourniture d’engrais (entretien avec Owiayana le 21/02/2018). 64 Cette situation devrait changer avec la mise en application prévue d’une nouvelle loi sur les semences, actuellement en cours d’élaboration.

67

leurs canaux privés, vendant souvent des semences à leur ferme après la multiplication (pour un résumé

des restrictions réglementaires sur le marché des semences, voir le tableau 9).

Tableau 9 : Les restrictions à l’entrée ainsi que l’inégalité des règles du jeu faussent les marchés des semences et des engrais au Tchad

Semences Engrais

Restrictions à l’entrée

L’État fournit des semences à un prix inférieur à celui du marché, ce qui rend difficile toute possibilité de compétitivité pour le secteur privé

L’État fournit des engrais à un prix inférieur à celui du marché, ce qui rend difficile toute possibilité de compétitivité pour le secteur privé L’ANADER, par exemple, facture les 50 kg d’urée à 8 500 F CFA pour par rapport au prix de 22 à 30 000 F CFA pratiqué sur le marché libre.

L’implication incohérente de l’État dans la chaîne de valeur des semences crée de l’incertitude pour le secteur privé, ce qui peut entraver l’investissement et constituer une barrière à l’entrée.

L’implication incohérente de l’État dans la chaîne de valeur des engrais crée de l’incertitude pour le secteur privé, ce qui peut entraver l’investissement et constituer une barrière à l’entrée.

L’État détient un monopole dans la production de semences de prébase et de base, ce qui pourrait potentiellement limiter la disponibilité des semences certifiées. Bien que cela soit courant dans de nombreux pays, l’État pourrait envisager d’autoriser la fourniture de semences de prébase et de base par l’intermédiaire de parties prenantes privées dans des conditions strictement contrôlées.

De même, l’État détient le monopole de la certification des semences, ce qui peut conduire à des inefficacités. Cependant, c’est également le cas dans la plupart des autres pays.

Discrimination, protection des intérêts acquis et création de conditions de concurrence inégales.

Les semences de base de l’ITRAD doivent être distribuées de manière transparente et fondée sur le mérite afin d’éviter la discrimination et des conditions de jeu inégales.

La distribution des semences est basée sur le pouvoir discrétionnaire d’un nombre limité d’agents de vulgarisation de l’État (500 à 600, selon l’ANADER) au lieu d’un mécanisme de marché qui conduirait à la discrimination et à des conditions de concurrence inégales.

La distribution d’engrais est basée sur le pouvoir discrétionnaire d’un nombre limité d’agents de vulgarisation de l’État (500 à 600, selon l’ANADER) au lieu d’un mécanisme de marché qui assurerait l’efficacité, ce qui risque de conduire à la discrimination et à des conditions de concurrence inégales.

L’assainissement récent visant à endiguer la crise budgétaire a encore aggravé l’inadéquation entre

l’offre et la demande d’intrants publics. En fait, l’État n’a pas été en mesure de fournir de l’engrais et

quelques importateurs privés ne fournissent que des quantités négligeables. Après n’avoir fourni aucune

contribution publique pour la saison 2017-2018, en février 2018, l’État avait du mal à en fournir pour la

saison 2018-2019. Même dans les années où l’État distribuait des intrants, il n’était pas en mesure de

fournir les quantités suffisantes. En 2015-2016, l’ANADER n’a importé qu’environ 6 à 8 % de la demande

totale estimée65. Le seul grossiste privé formel, fournisseur d’engrais qui a pu être identifié, importe

actuellement 30 à 40 tonnes d’engrais par mois par rapport à une demande annuelle estimée à

65 Selon l’ANADER, la demande était estimée à environ 60 000 tonnes, mais elle n’a fourni qu’entre 3 500 et 5 000 tonnes (entretien avec l’ANADER le 20/02/2018).

68

60 000 tonnes sans compter la chaîne de valeur du coton66. De plus, il semble y avoir des fournisseurs

d’engrais informels, qui ne fournissent souvent que quelques sacs. Le pays ne produit pas d’engrais de

synthèse. En 2013-2014, l’État n’a fourni des semences certifiées que pour 2 % de la superficie totale et

6 % de la superficie consacrée à la production de sésame.

Par conséquent, l’amélioration du cadre réglementaire pour les intrants agricoles et la réduction des

risques liés à la participation du secteur privé pourraient entraîner des avantages considérables, par

exemple dans la chaîne de valeur du sésame. Des réformes favorables au marché pourraient déclencher

un approvisionnement privé durable en engrais et augmenter considérablement les rendements de

sésame, qui se situent actuellement à 485 kg/ha. Une augmentation de 106,2 % des rendements jusqu’à

1 000 kg/ha – une hypothèse faisable puisque des producteurs plus efficaces les atteignent. Cela

conduirait à une augmentation équivalente de la production et des revenus des agriculteurs, toutes

choses étant égales par ailleurs67. Contrairement à la chaîne de valeur du coton, l’augmentation requise

de l’utilisation d’engrais serait abordable pour les producteurs de sésame, même si les prix restaient aux

niveaux actuels, ce qui est sans doute dû à l’absence de restrictions dans les fonctions en aval de la chaîne

de valeur du sésame.

Il convient de noter que les restrictions à l’importation ne semblent pas constituer une contrainte significative sur la concurrence – ce sont plutôt les politiques nationales qui semblent entraver l’entrée sur le marché. En ce qui concerne les intrants agricoles, il semble y avoir très peu de restrictions à l’importation à l’heure actuelle. En l’absence d’une loi sur les semences, les semences peuvent être librement importées. De même, il y a peu ou pas d’exigences formelles pour l’importation d’engrais. De plus, les entretiens avec des acteurs du secteur privé au Tchad suggèrent que les politiques nationales – en créant de l’incertitude et des conditions de concurrence inégales – constituent la principale contrainte à la participation du secteur privé aux marchés des intrants agricoles. L’encadré 6 donne quelques exemples de réformes favorables à la concurrence dans l’agriculture à travers le monde.

66 Entretien avec ANADER le 20/02/2018. 67 USDA (2018).

69

Encadré 6 : Un échantillon représentatif des réformes réussies en faveur de la concurrence dans l’agriculture. Les exemples ci-dessous du Kenya, du Honduras et du Rwanda illustrent des exemples de réformes réussies visant à éliminer les obstacles à la concurrence sur les marchés agricoles résultant de l’absence d’interventions de l’État favorable à la concurrence. Kenya Problème : Monopsone sur les fleurs de pyrèthre, contribution à la production de pyréthrine, un insecticide biologique Réforme : Levée du monopsone En 1980, le Kenya était le premier fournisseur mondial de pyréthrine, un insecticide biologique fabriqué à partir de la fleur de pyrèthre. Depuis lors, la part du Kenya sur le marché mondial est tombée de 82 % à seulement 4 % (2009). Cela s’explique en partie par l’existence d’un monopsone légale de l’État sur l’achat de fleurs de pyrèthre pour le compte du Pyrethrum Board of Kenya, ainsi que par un monopole sur la production de pyréthrine. La suppression du monopsone a permis de débloquer des opportunités d’investissement dans le secteur de la pyréthrine pour au moins deux entreprises locales et potentiellement trois investisseurs internationaux et profite à près de 40 000 agriculteurs qui pourront cultiver et vendre du pyrèthre à de nouveaux fabricants et exportateurs. Problème : Barrières à l’entrée imposées par les producteurs de thé Réforme : Ouverture du marché Les règles anticoncurrentielles du marché dans l’industrie du thé au Kenya empêchaient un nouveau produit de valeur – le thé pourpre – d’arriver sur le marché. Les règles régissant l’industrie ont permis aux producteurs de thé en place de bloquer l’entrée de nouveaux producteurs sur le marché. La levée de cette barrière du marché par l’Autorité de la concurrence du Kenya (CAK) a créé un environnement favorable à de nouveaux investissements sur le marché du thé pourpre, qui – selon les prévisions – a le potentiel de représenter 5 % de l’ensemble des exportations de thé, soit 60 millions de USD sur les 3 à 5 prochaines années. Cela devrait profiter à environ 3 millions de familles kenyanes qui dépendent du thé pour leur subsistance.

Honduras Problème : Les procédures discrétionnaires permettaient la discrimination à l’encontre de certains fournisseurs d’intrants agricoles Réforme : Amélioration des procédures d’enregistrement des nouveaux intrants Les principaux intrants agricoles au Honduras sont très coûteux et de mauvaise qualité par rapport aux pays voisins, ce qui s’explique en partie par une mise en œuvre arbitraire et incohérente de la réglementation. Bien qu’elle visait à assurer l’utilisation sécuritaire des engrais et des pesticides, cette mesure a permis de traiter avantageusement certains fournisseurs tout en limitant la compétitivité des petites et nouvelles entreprises, limitant ainsi l’investissement dans le secteur. L’État hondurien a appliqué des manuels de processus qui ont raccourci les délais et amélioré l’uniformité dans la mise en œuvre de l’enregistrement de nouveaux engrais.

En conséquence, des opportunités d’investissement ont été créées : 3 fois plus d’engrais sont enregistrés par an qu’auparavant. Cela a contribué à faire baisser les prix jusqu’à 9 %, ce qui profite à au moins 35 000 agriculteurs. Rwanda Problème : Faibles prix à la ferme résultant de l’achat de produits non concurrentiels par deux entreprises publiques. Réforme : Introduction d’un processus d’appel d’offres concurrentiel entre les entreprises publiques. L’élaboration d’un processus d’appel d’offres concurrentiel pour l’achat de feuilles de thé auprès des agriculteurs par deux usines de thé appartenant à l’État a entraîné une augmentation de 35 % des revenus de 65 000 agriculteurs.

Sources : Banque mondiale. Les politiques de concurrence ouvrent les marchés au Kenya. Énoncé du projet ; Banque mondiale. 2017. Création du marché du thé pourpre du Kenya – Marchés et politique de concurrence en action ; Banque mondiale. Réforme de la concurrence profitable aux agriculteurs honduriens. Énoncé du projet ; Banque mondiale. 2015. Présentation de Klaus Tilmes au Forum 2015 de l’OCDE sur la concurrence sur le thème « Stimuler la concurrence pour créer de meilleurs emplois ». Présentée le 29 octobre 2015.

70

Les partenariats public-privé dans la chaîne de valeur de l’élevage exigent une conception prudente des contrats afin d’assurer des conditions de concurrence équitables.

Le secteur de l’élevage est central pour l’emploi et la production du secteur primaire au Tchad. L’élevage

est responsable de 30 à 40 % des emplois et contribue à hauteur de 12 % au PIB68. Cependant, l’utilisation

des terres pour la production agricole a un impact direct sur la disponibilité des terres pour l’élevage,

créant des tensions importantes entre les agriculteurs et les éleveurs.

Il existe des liens importants entre l’élevage et les autres chaînes de valeur du secteur primaire. De

nombreux agriculteurs, en particulier au Sud, complètent leur production agricole par l’élevage. En outre,

la dynamique du marché dans le secteur de l’élevage est façonnée dans une certaine mesure par les

marchés des cultures, étant donné les liens entre les deux chaînes de valeur. Les sous-produits

d’importantes chaînes de valeur agricole peuvent être utilisés comme intrants dans la chaîne de valeur de

l’élevage. Par exemple, les tourteaux, un sous-produit de la production de coton et d’huile de sésame,

peuvent être utilisés comme aliment pour les animaux. En outre, l’utilisation des terres pour la production

agricole a un impact direct sur la disponibilité des terres pour l’élevage, créant des tensions entre

l’utilisation des terres pour les cultures et l’élevage ainsi que pour les agriculteurs et les éleveurs (voir

Figure 57). Ainsi, les politiques et les interventions qui affectent le secteur des cultures ont des effets

d’entraînement dans le secteur de l’élevage, car elles façonnent la disponibilité et le prix des intrants pour

le bétail.

L’État vise à développer le secteur par le biais de partenariats public-privé, mais la raison d’être de la

participation de l’État est faible. L’État participe à la chaîne de valeur de l’élevage par le biais d’un

partenariat public-privé dans le seul abattoir de Farcha à la sortie de N’Djamena (un autre abattoir en PPP

est actuellement prévu). Mais la participation de l’État n’est pas clairement motivée par des arguments

économiques. En général, le secteur de l’élevage ne présente pas de défaillances manifestes du marché

justifiant une participation directe de l’État.

Dans un tel environnement, des procédures d’appel d’offres concurrentielles en PPP et la neutralité

concurrentielle pourraient réduire au minimum le risque de distorsions. Toutefois, on ignore

actuellement si les partenaires des PPP sont choisis sur une base concurrentielle et non discriminatoire

(pour un aperçu des marchés publics au Tchad, qui, en l’absence d’une loi sur les PPP, régit également les

appels d’offres pour les PPP69, voir l’encadré 7). Afin d’assurer une concurrence équitable, l’abattoir public

doit être assujetti au même traitement réglementaire et financier que ceux des concurrents privés

(potentiels) (voir ci-dessous la discussion sur la neutralité concurrentielle).

68 EDIC (2013).

69 Facilité africaine de soutien juridique. 2017. PROFIL PAYS PPP – TCHAD, disponible à l’adresse https://www.aflsf.org/sites/default/files/PPP%20Country%20Profile%20-%20Tchad.pdf.

71

Encadré 7 : Passation des marchés publics au Tchad. La loi sur les marchés publics exige la mise en concurrence des offres au-delà d’un certain seuil. Un appel d’offres est requis au-delà d’un seuil de 10 millions de francs CFA (moins de 20 000 USD), ce qui est relativement faible par rapport aux pays de comparaison de la région pour lesquels des données sont disponibles70. Toutefois, le code des marchés publics risque d’affecter l’égalité des règles du jeu en permettant le traitement préférentiel des entreprises nationales par rapport aux entreprises étrangères si l’écart de prix ne dépasse pas 15 %71.

La proportion de marchés attribués dans le cadre de procédures non concurrentielles a diminué au cours des dernières années.

Comme le montre la figure 58, la proportion de marchés publics (en valeur et en nombre) qui ont été exemptés des procédures concurrentielles n’a cessé de diminuer au cours des dernières années. Ce n’est qu’en

2017 que la proportion a encore augmenté, ce qui pourrait mériter une certaine attention.

Figure 58 : Proportion de marchés publics exemptés de procédures d’appel d’offres concurrentielles (2008-2017)

Source : Toutes les données sont tirées du Bulletin des marchés publics publié par la Direction générale des marchés publics du Tchad. *Les données pour les années 2009 à 2011 ne sont pas disponibles **pour 2017, seules les données de 2 trimestres étaient disponibles.

La fiscalité a pour effet d’uniformiser davantage les règles du jeu dans le secteur de l’élevage tchadien. L’État discrimine les exportateurs en taxant la viande transformée pour l’exportation plus que la viande destinée à la consommation intérieure. Cela semble être en contradiction directe avec l’objectif politique de diversification des exportations. La viande destinée au marché local est taxée à 56 francs CFA le kg, tandis que la viande destinée aux marchés d’exportation est taxée à 58 francs CFA le kg. En outre, la viande transformée est soumise à des taxes plus élevées dans les abattoirs que dans des zones d’abattage non hygiéniques, souvent informelles et en plein air. Il en résulte une discrimination à l’encontre des acteurs formels qui adhèrent à des normes d’hygiène et de qualité plus élevées.

4. Analyse approfondie : Connexion aux services de TIC/télécommunication

Les services de télécommunication sont un élément clé du développement du secteur privé, de la

prestation de services publics et de la croissance globale au Tchad, mais le secteur reste sous-développé.

Le secteur des TIC au Tchad est l’un des moins développés en Afrique subsaharienne. Le Tchad a un faible

nombre d’abonnements à la téléphonie mobile et un faible taux de pénétration d'Internet, même selon

70 Le seuil est considérablement plus bas qu’au Cameroun et en Angola, par exemple, où les seuils se situent dans les centaines de milliers de dollars. 71 Décret n°2417/PR/PM/2015 portant Code des marchés publics.

72

les normes régionales (Figure 59 et Figure 60). À l’échelle mondiale, seules la République centrafricaine

et l’Érythrée obtiennent les résultats les plus bas selon l’indice de développement des TIC (IDI) de l’Union

internationale des télécommunications (UIT). Dans la région, le Tchad est à la traîne derrière tous les pays

sauf la République centrafricaine (Figure 27).

Figure 59 : Le Tchad souffre d'un faible taux d’abonnement à la téléphonie mobile…

Figure 60 : … et d’un taux de pénétration de l'Internet extrêmement faible..

Source: UIT (2018) Source: UIT (2018)

Figure 61 : En conséquence, il est moins performant que ses pairs régionaux sur l’indice de développement des TIC

Figure 62 : Le coût du forfait cellulaire mobile en proportion du revenu mensuel moyen est excessivement élevé au Tchad (indiqué par groupe de revenus pour 2014)

Source: UIT (2018) Source: Deloitte (2016)

Les prix élevés contribuent largement à la faible pénétration et aux faibles taux d’accès au Tchad. Le

coût du service vocal et de l’utilisation des SMS représentait plus de 20 % du revenu national brut (RNB)

mensuel en 2014, contre 14 % en moyenne pour tous les pays les moins avancés.72 Pour les 20 % de

Tchadiens aux revenus les plus bas, un forfait voix et SMS coûte l’équivalent de 87 % du revenu mensuel

(Figure 62).

Les coûts d’exploitation élevés sous-jacents sont en partie dus à une fiscalité inefficace qui risque

d’entraver la performance du secteur. Les impôts représentaient près de 50 % des revenus des

72 Deloitte. 2016. Inclusion numérique et taxation du secteur mobile au Tchad, p. 4.

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40

60

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Nombre d’abonnements à la téléphonie mobile pour 100 habitants

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en

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(%

)

Pourcentage des personnes utilisant Internet 2016

00.5

11.5

22.5

3

Indice de développement des TIC 2017

73

opérateurs en 2015,73 mais pourraient atteindre 60 % aujourd’hui.74 En 2015, les taxes provenant du

secteur des télécommunications mobiles représentaient 12 % des recettes fiscales totales du

gouvernement.75 Étant donné le niveau élevé d’imposition, on fait souvent valoir que la fiscalité est

responsable des résultats médiocres dans le secteur. En fait, l’introduction d’une taxe sur les appels

internationaux entrants de 50 FCFA par minute (environ 0,08 USD) a contribué à une diminution de 27 %

du trafic international entrant entre 2013 et 2015, même si le trafic global a augmenté au cours de la

même période.76 Il apparaît donc que le gouvernement a privilégié la génération de revenus à court terme

par rapport au développement d’un secteur privé dynamique fournissant à long terme un apport essentiel

à l’économie.

Cependant, les prix restent élevés, même après avoir pris en compte les taxes et les redevances

réglementaires, ce qui indique qu’un manque de concurrence pourrait être un autre facteur important.

Même après déduction des paiements de taxes et de redevances réglementaires, les prix pour le haut

débit mobile disponible le moins cher restent élevés par rapport à d’autres pays, pour lesquels des

données sont disponibles (Figure 63). L'écart est encore plus grand lorsque l'on prend le coût du forfait

pendant un an en proportion du RNB par habitant (Figure 64).

Figure 63 : Les prix du haut débit mobile au Tchad sont plus élevés que dans les pays de comparaison...

Figure 64 : … et l'écart augmente lorsque l’on prend le coût du forfait en proportion du RNB.

Source : Airtel Tchad, GSMA (2016), Banque mondiale (2015) : Note d’information sur la mise à jour économique de l’Afrique du Sud, WDI.

Source : Airtel Tchad, GSMA (2016), Banque mondiale (2015) : Note d’information sur la mise à jour économique de l’Afrique du Sud, WDI.

Le marché tchadien de la téléphonie mobile est très concentré, ce qui ne constitue pas un problème en

soi si les cadres de la réglementation et de la politique de la concurrence garantissent des marchés

concurrentiels. Une comparaison des indices de Herfindahl-Hirschman (IHH) montre que parmi les pays

de comparaison du Tchad, seul le Mali présente un niveau de concentration plus élevé (Figure 65).77 Une

73 Idem.

74 Entretien avec Tigo Tchad le 21/02/2018.

75 Deloitte. 2016. Inclusion numérique et taxation du secteur mobile au Tchad.

76 GBM. 2017. Technologies de l’information et de la communication (TIC) et économie numérique au Tchad.

77 Les niveaux de concentration sont classés comme suit : 1) Marchés non concentrés : IHH inférieur à 1 500, 2) Marchés moyennement concentrés : IHH entre 1 500 et 2 500, 3) Marchés hautement concentrés : IHH supérieur à 2 500 (Lignes

74

concentration élevée sur le marché ne conduit pas automatiquement à des résultats non compétitifs (par

exemple, sous la concurrence de Bertrand, deux acteurs suffisent pour atteindre un prix compétitif).

Toutefois, le cadre réglementaire et une autorité de concurrence forte, capable de détecter et de

persécuter les comportements anticoncurrentiels, constituent des garanties importantes. Au Tchad, le

secteur est dominé par deux acteurs : Airtel (Bharti Airtel) et Tigo (Millicom) ont représenté 96 % de toutes

les connexions mobiles en 2017.78 Le marché de la téléphonie mobile représente le marché des

télécommunications le plus important au Tchad, représentant près de 96 % du chiffre d’affaires de

l’ensemble du secteur en 2015 (172 milliards de FCFA sur 180 milliards de FCFA).79 Airtel, qui fournit 57 %

des connexions mobiles, est actuellement le plus grand fournisseur de services mobiles (Figure 66). Tigo

suit avec 38 % des connexions, tandis que l’opérateur public Sotel est en retard sur les autres avec une

part de marché de 5% seulement.

Figure 65 : L'IHH du Tchad pour le quatrième trimestre 2017 était supérieur à celui de la plupart des pays de comparaison.

Figure 66 : Airtel et Tigo dominent en termes de connexions mobiles par fournisseur.

Source : GSMA Intelligence (2018) Source : GSMA Intelligence (2018)

Cependant, le cadre réglementaire comprend des restrictions dans des segments clés de la chaîne de

valeur et n’est pas conçu pour garantir des résultats concurrentiels. La figure 67 résume les principaux

obstacles à la concurrence dans la chaîne de valeur des télécommunications et montre que des

restrictions existent pour la plupart des segments de la chaîne de valeur.

directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales 2010 ; Département américain de la justice et Federal Trade Commission).

78 GSMA Intelligence (2018).

79 GBM. 2017. Technologies de l’information et de la communication (TIC) et économie numérique au Tchad.

75

Figure 67 : Contraintes à la concurrence le long de la chaîne de valeur des télécoms au Tchad

Source : Élaboré par la Banque mondiale

Au niveau de la connectivité à la dorsale internationale, le Tchad dépend d’une passerelle unique, à

savoir un monopole public légal. S’il est évident que des connexions internationales supplémentaires

sont nécessaires et que le Tchad travaille actuellement à la mise en ligne de deux câbles à fibres optiques

supplémentaires, les avantages potentiels risquent d’être éclipsés par le fait qu’un monopole public sur

la passerelle internationale augmente les coûts et risque de créer des conditions de concurrence inégales.

Même si la connectivité internationale avait déjà été libéralisée, elle a été reconvertie en un monopole

gouvernemental en 2014 et est actuellement gérée par ADETIC, l’agence de promotion des TIC, par

l’intermédiaire du contractant français privé Aztelco.80 Les prix pour la passerelle internationale sont fixés

par ADETIC et Aztelco après consultation de l’ARCEP, le régulateur du secteur. En 2004 déjà, l’opérateur

privé Tigo avait tenté de mettre en place une passerelle internationale, mais il avait été stoppé par le

gouvernement sans une base juridique claire. L’encadré 8 donne un aperçu des expériences liées à

l’ouverture de la passerelle internationale dans d’autres pays africains.

80 GBM. 2017. Technologies de l’information et de la communication (TIC) et économie numérique au Tchad.

• CamTel, un opérateur camerounais, est actuellement le seul fournisseur de connectivité internationale au Tchad via le Cameroun. Le Tchad devra mettre en place des connexions supplémentaires pour accroître la concurrence dans la connectivité internationale

• La passerelle internationale a été reconvertie en un monopole public en 2014 et est désormais gérée par l’agence de promotion des TIC ADETIC par l’intermédiaire du contractant français privé Aztelco.

• Les prix pour la passerelle internationale sont fixés par ADETIC et son entrepreneur (avec consultation du régulateur ARCEP)

• Tigo a tenté de mettre en place une passerelle internationale en 2004, mais a été stoppé par le gouvernement sur la base d’une politique peu claire

• Aucune réglementation en vigueur pour le partage des infrastructures et l’accès aux infrastructures alternatives (ARCEP)

• Manque de clarté concernant l’utilisation des réseaux de fibres optiques domestiques : Tigo a été empêché d’utiliser sa fibre déjà fonctionnelle pour fournir des services Internet, car Sotel a affirmé que c’était son monopole (décision de justice en attente)

• Aucune réglementation en vigueur pour le partage des infrastructures et l’accès aux infrastructures alternatives (ARCEP)

Transversalité

• Gestion non transparente du Fonds de services universel

• Absence de neutralité concurrentielle

• Utilisation du Fonds de services universel pour subventionner l’entreprise publique Sotel défaillante

• Absence de réglementation des tarifs d’interconnexion, perçus comme étant élevés

• Restrictions sur les opérations monétaires par téléphonie mobile • Les services monétaires par

téléphonie mobile ne peuvent être fournis qu’en association avec une entité financière agréée

• L’accès à des infrastructures, des canaux et des services rares tels que les données de services supplémentaires non structurés (USSD), les codes courts et les commutateurs de paiement, n’est pas réglementé

• L’exclusivité d’agent est autorisée • L’interopérabilité des systèmes

de paiement n’est pas obligatoire

• Aucun mandat pour la portabilité des numéros

! ! ! !

!

Types de

réseau Câbles sous-

marins

Satellite

Fibre

terrestre

Ondes ultra-courtes

Satellite

Fixe : xDSL, Wimax,

satellite, 4G, 5G, fibre optique, etc.

Mobile : 2G, 3G, 4G,...

Internet Connectivité

internationale Réseau

fédérateur national Backhaul Dernier kilomètre

Con-sommateurs

76

Encadré 8 : L'expérience de l'ouverture de passerelles internationales à la concurrence a été positive en Afrique. Les expériences des pays africains démontrent clairement que l’ouverture du marché IGW (passerelle internationale) a le potentiel d’offrir des avantages significatifs, tant pour les consommateurs que pour l’économie. Il semble que les consommateurs bénéficient de la libéralisation des IGW lorsque les gouvernements autorisent l’entrée de fournisseurs de services IGW concurrents, y compris les opérateurs de téléphonie mobile, ou lorsque des opérateurs concurrents fournissent des services IGW en accédant aux passerelles existantes de l’opérateur historique. Les prix ont tendance à être plus bas dans les pays avec des passerelles internationales concurrentes que dans les pays avec un seul câble sous-marin. Selon une étude de la GSMA, le prix moyen des appels internationaux dans les pays en voie de libéralisation a chuté à un niveau aussi spectaculaire que 90 % dans les années qui ont suivi la libéralisation complète (GSMA 2012). Au Kenya, par exemple, les prix des appels internationaux ont diminué de 70 % après que les fournisseurs de services mobiles ont obtenu des licences IGW. De même, au Nigéria, les prix ont baissé de 90 %. Au lendemain de la libéralisation de l’IGW en Tanzanie en 2005-06, les prix internationaux ont chuté de 57 % et les tarifs internationaux mobiles de 68 %. Les données montrent que l’introduction de la concurrence non seulement fait baisser les prix, mais stimule également la demande et entraîne une augmentation du trafic. Par exemple, la GSMA a observé que le volume du trafic international a augmenté de 40 % au Kenya et de 65 % au Nigéria après la libéralisation. En plus d’avoir un impact positif sur les services vocaux, la concurrence sur le marché IGW peut également réduire les prix d’accès à Internet. Dans l’ensemble, l’ouverture du marché IGW à la concurrence augmente le bien-être des consommateurs en favorisant des prix plus bas, des volumes de trafic international plus élevés et des services de télécommunications de meilleure qualité, la concurrence entre plusieurs fournisseurs conduisant à une connectivité internationale améliorée et plus fiable81.

Sources : Banque mondiale. 2016. Breaking Down Barriers – Unlocking Africa’s Potential through Vigorous Competition Policy; Groupe Spécial Mobile Association (GSMA). 2012. Gateway Liberalization: Stimulating economic growth. Rapport complet: ; consulté le 19 avril 2016.

Compte tenu de la nature de son industrie de réseau, le secteur des télécommunications a besoin d’une

réglementation active favorisant la concurrence. Il n’existe actuellement aucune réglementation sur le

partage de l’infrastructure nationale, et il règne une incertitude concernant l’utilisation de la fibre optique

nationale pour fournir des services Internet. Alors que le régulateur soutient que le partage des

infrastructures est encouragé par la loi,82 aucune réglementation formelle n’existe pour ce faire. De plus,

la participation du gouvernement dans l’entreprise publique Sotel a entraîné une incertitude politique

concernant l’utilisation des réseaux nationaux de fibre optique. Lorsque la société Tigo a tenté de fournir

des services Internet via une connexion à fibre optique installée à N'Djamena, elle a été stoppée par le

gouvernement au motif que Sotel bénéficiait d’un monopole légal sur l’utilisation d’une connexion à fibre

optique ailleurs à N'Djamena.83

De même, il n’existe pas de réglementation favorisant la concurrence dans le secteur des services

mobiles. Les tarifs d'interconnexion, perçus comme élevés au Tchad, ne sont actuellement pas

réglementés, mais résultent d’une négociation entre les différents opérateurs. Le régulateur n’impose pas

la portabilité du numéro, limitant la capacité des consommateurs à changer d’opérateur. Les opérations

monétaires par téléphonie mobile sont réglementées de manière restrictive, limitant un service

important. Par exemple, les services monétaires par téléphonie mobile ne peuvent être fournis que par

des opérateurs en collaboration avec une entité financière agréée, telle qu’une banque. L’accès à des

infrastructures, des canaux et des services rares importants pour les services monétaires par téléphonie

mobile, tels que les données de services supplémentaires non structurées (USSD), les codes courts et les

81 Par exemple, « au Kenya, avant la libéralisation des passerelles internationales, l’opérateur historique a soumis les fournisseurs de services Internet à des prix soudains et très élevés, ainsi qu’à des problèmes techniques qui empêchaient le pays d’avoir accès à Internet pendant tout un week-end en août 2004 » (GSMA 2012).

82 Entretien avec l’ARCEP le 21/02/2018.

83 En février 2018, l’affaire était en justice.

77

commutateurs de paiement, n’est pas réglementé. Les opérateurs ne sont pas mandatés pour assurer

l’interopérabilité de leurs systèmes et les agents travaillent exclusivement pour un seul opérateur.

Plusieurs contraintes transversales en matière de concurrence subsistent. Le Fonds de service universel

(FSU), conçu pour accroître la couverture et la pénétration, est géré avec une transparence limitée. Au

lieu de financer son objectif initial, le FSU a fourni des fonds à l’entreprise publique Sotel84, en violation

des principes de neutralité concurrentielle.

La mise en œuvre de réformes réglementaires favorables à la concurrence présenterait des avantages

importants pour le Tchad. Comme souligné ci-dessus, la littérature empirique montre que la concurrence

dans les télécommunications augmente le taux de pénétration, améliore la qualité et diminue les prix.

Cela devrait accroître la productivité, le bien-être et, partant, améliorer la croissance globale. Compte

tenu des coûts élevés, de la faible pénétration et de la mauvaise qualité des services de

télécommunication d’une part, et des nombreuses contraintes à la concurrence dans le secteur d’autre

part, il va sans dire que les réformes en faveur de la concurrence pourraient avoir un impact positif

important sur l’économie tchadienne. L’encadré 9 présente quelques exemples de réformes en faveur de

la concurrence dans le secteur des télécommunications à travers le monde.

84 GBM. 2017. Information and Communications Technology (ICT) and Digital Economy in Chad

78

Encadré 9 : Un échantillon de réformes favorables à la concurrence, réussies dans le secteur des télécommunications.

Les exemples ci-dessous du Kenya, du Rwanda et de la Colombie mettent en évidence des exemples de réformes réussies visant à éliminer les obstacles à la concurrence dans le secteur des télécommunications, obstacles résultant d’un manque d’interventions gouvernementales favorables à la concurrence.

Kenya Problème : Une domination croissante d'un fournisseur de services monétaires par téléphonie mobile Réforme : Ouvrir le marché et supprimer les barrières à l'entrée Le service monétaire par téléphonie mobile MPESA de Safaricom est devenu un acteur dominant sur le marché kényan et les concurrents de plus petite taille / potentiels ont commencé à formuler des plaintes auprès des autorités de réglementation, stipulant que la réglementation existante et le comportement de Safaricom les empêchaient d’entrer et de se développer sur le marché monétaire par téléphonie mobile. L'une des principales raisons était l’existence de contrats exclusifs signés entre Safaricom et ses agents de services monétaires par téléphonie mobile, leur interdisant d’offrir des services en concurrence avec MPESA. L’Autorité de la concurrence du Kenya (CAK) a conclu un accord avec Safaricom qui mettait fin à l’exclusivité de l’agent. Depuis lors, le nombre d’agents exclusifs a considérablement diminué, tandis que les concurrents de MPESA ont pu développer leurs réseaux d’agents et que la rentabilité des agents de services monétaires par téléphonie mobile, essentiellement des MPME, a augmenté, en particulier dans les zones rurales. À la suite de ces premiers succès, la CAK s’est efforcée d’éliminer davantage de contraintes sur la concurrence, y compris les conditions sur le marché des données de services complémentaires non structurés (USSD ; une installation essentielle pour la fourniture de services monétaires par téléphonie mobile) et le manque d’interopérabilité entre les services des concurrents et MPESA.

Rwanda Problème : Tarifs de terminaison des appels mobiles élevés au bénéfice du plus grand opérateur Réforme : Diminution continuelle des tarifs de terminaison par la réforme réglementaire Au Rwanda, les tarifs de terminaison des appels mobiles (MTR), à savoir les frais payés par les opérateurs pour mettre fin aux appels de leurs abonnés sur un autre réseau mobile, étaient 60 % plus élevés qu’en Tanzanie, au Kenya et en Afrique du Sud. Ces MTR élevés ont profité uniquement à l’opérateur le plus important et à des options de prix limitées pour les concurrents. En conséquence, les consommateurs rwandais ont payé des tarifs plus élevés pour les appels et les SMS que les consommateurs de la région. En août 2017, le gouvernement a publié des règlements qui réduiront graduellement les MTR. En janvier 2019, les MTR au Rwanda devraient être de 2RWF/min, en baisse par rapport aux MTR actuels de 20RWF/min : ce qui représente une réduction de 90 % qui devrait abaisser les prix à la consommation.

Colombie Problème : Attribution du spectre favorisant la domination croissante d’un opérateur Réforme : Processus d’appel d’offres pour le spectre favorisant explicitement l'entrée de nouveaux acteurs L’autorité colombienne de la concurrence, la Surintendance de l’industrie et du commerce (SIC), a réalisé en 2011 qu’une vente aux enchères ouverte et sans restriction du spectre 4G entraînerait la poursuite de la domination du marché par un seul fournisseur. En guise d'alternative, SIC a proposé de diviser le spectre en deux blocs dont l’acteur dominant ne pourrait en obtenir qu’un seul. L’autre bloc était réservé aux nouveaux entrants. En conséquence, le marché a vu l’entrée de deux nouveaux acteurs. La concurrence accrue qui en résulte devrait profiter à des millions de consommateurs dans un secteur qui contribue de manière significative au PIB et qui se développe rapidement.

Source : Banque mondiale. 2016. Breaking Down Barriers – Unlocking Africa’s Potential through Vigorous Competition Policy.

79

D. S’ECHAPPER DU LABYRINTHE : QUEL RYTHME ADOPTER POUR LES POLITIQUES ?

Un éventail de politiques macro et micro économiques complémentaires, pourrait mettre le Tchad sur

une trajectoire de croissance dynamique et durable. Sur la base de l'analyse présentée dans les chapitres

précédents, cette section propose des recommandations sectorielles et économiques ayant un impact à

court et à long terme qui pourraient aider le Tchad à transformer les principales contraintes en

opportunités pour une croissance durable et inclusive.

L'agenda politique cible l'interface critique entre le secteur public et le secteur privé, l'objectif ultime

étant de maximiser les synergies entre les politiques gouvernementales, les entreprises publiques et les

entreprises privées. L'interface public-privé pour la croissance relie l'économie réelle et l’économie

financière à travers la politique budgétaire et l'investissement public, la règlementation des marchés et la

participation directe de l'État par le biais des entreprises publiques. La sélection de politiques proposée

tente de créer des conditions optimales pour la complémentarité des secteurs public et privé afin de

favoriser une croissance inclusive et durable. En définitive, elle peut contribuer à trois dynamiques de

nature à favoriser la croissance : (1) l'augmentation de l'espace budgétaire en vue de la stabilité

macroéconomique ; (2) le renforcement de la participation du secteur privé grâce au recours stratégique

à l’investissement public et à la politique de concurrence pour attirer les investissements privés ; et (3) la

diversification économique.

En fin de compte, le cercle vicieux actuel qui empêche la réalisation d’investissements privés dans

l’économie non pétrolière sera brisé et un cercle vertueux devrait stimuler une croissance plus rapide

et durable. Actuellement, un dosage de politiques publiques inefficace entraîne une vulnérabilité

macroéconomique, une marge de manœuvre budgétaire limitée et un environnement économique

coûteux, où de faibles investissements publics évincent les investissements privés et où la croissance et

les recettes fiscales dépendent largement du secteur pétrolier. Le point de départ des politiques visant à

lancer un cercle vertueux englobe donc les politiques budgétaires et celles favorisant la concurrence. La

politique budgétaire devrait permettre de gérer la volatilité liée aux cycles ou aux prix des produits de

base et cibler la mobilisation et la gestion des recettes, créant ainsi une marge de manœuvre pour engager

des dépenses d'investissement stratégiques. Les politiques de marché favorables à la concurrence au

niveau économique et sectoriel créent un climat propice aux affaires et aux investissements, ce qui

permet aux entreprises privées d’allouer des ressources de manière productive et de soutenir

efficacement la concurrence. Ces politiques macroéconomiques et microéconomiques sont très

complémentaires et on ne peut parvenir à une croissance durable tirée par le secteur privé que si les deux

domaines politiques sont développés en parallèle.

80

Figure 68 : Les politiques créant une interface public-privé efficace peuvent rompre le cercle vicieux et déclencher un cycle vertueux impliquant un secteur privé dynamique, une diversification économique et une marge de manœuvre budgétaire.

POLITIQUE - interface public-privé inefficace :

- politique budgétaire procyclique

- investissements publics faibles et non stratégiques

- réglementation anti-concurrentielle

- Inégalité concurrentielle entre le secteur public et le secteur privé

POLITIQUE - efficacité croissante de l'interface public-privé :

- politique budgétaire contracyclique

- investissements publics stratégiques et croissants

- réglementation favorable à la concurrence

- neutralité concurrentielle entre les entreprises publiques et privées

Source : Élaboré par la Banque mondiale

81

Recommandations politiques pour l’ensemble de l’économie

Cette section examine les recommandations politiques pour l’ensemble de l’économie qui pourraient aider le Tchad à retrouver le chemin d’une croissance durable et résiliente. Les recommandations visent à promouvoir une politique budgétaire efficace pour la stabilité macroéconomique et des investissements publics stratégiques, à renforcer la bonne gouvernance et à encourager la participation du secteur privé (Tableau 10).

Figure 69 : Les politiques macroéconomiques interagissent directement avec les interventions sectorielles stratégiques, créant ainsi des synergies entre les investissements publics et privés.

Source : Élaboré par la Banque mondiale

Tableau 10 : Recommandations politiques pour relever les défis pour l’ensemble de l'économie Source : Experts de la Banque

mondiale.

Défi Politique(s) Dimension temporelle

Chocs macroéconomiques Maintenir les marges budgétaires en réduisant les déficits budgétaires

Court terme

Faible coût d'opportunité du conflit

Réorienter les dépenses publiques vers les dépenses productives

Long terme

Économie non diversifiée Renforcer la mobilisation des recettes Court terme

Faible taux d'investissement Investir dans des projets d'infrastructure à rendement élevé Encourager la participation du secteur privé

Long terme

Participation limitée du secteur privé

Assurer la complémentarité entre les secteurs public et privé sur les marchés

Court terme

Absence de justification économique de la participation du gouvernement

Réexaminer la justification de la participation du gouvernement dans les secteurs propices à la concurrence dans le secteur privé

Court à long terme

(en fonction de

Conditions de concurrence inégales entre les entreprises

Assurer la neutralité concurrentielle dans la réglementation du marché et le soutien de l'État aux entreprises dans l'ensemble de l'économie

Long terme

Faible gouvernance Adopter une politique ouverte en matière de données Rejoignez la Convention des Nations unies contre la corruption

Long terme

Productivité stagnante Concevoir une stratégie énergétique complète Investir dans le capital humain

Long terme

Source : Élaboré par la Banque mondiale.

82

La politique budgétaire offre des possibilités de réduire les risques, de tirer parti des investissements publics dans les secteurs non pétroliers productifs et de relancer un cercle vertueux Premièrement, des politiques budgétaires efficaces et contracycliques peuvent accroître la résilience et

assurer une marge de manœuvre budgétaire face aux chocs des prix des matières premières ou aux chocs

sécuritaires. En tant que pays exportateur de pétrole, le Tchad peut tirer parti d’une gestion efficace de son

flux de recettes pétrolières. Les leçons tirées de l’expérience du Botswana ne sont qu’un exemple des façons

dont les règles budgétaires peuvent être appliquées pour une utilisation stratégique des recettes pétrolières

en vue de la création de tampons macroéconomiques et du financement d’un investissement en capital

(humain) favorable à la croissance. Parallèlement, l'incidence relativement élevée des risques liés aux conflits

et à la sécurité au Tchad depuis l'indépendance compromet l'investissement et la croissance du PIB.

Néanmoins, pour (i) atténuer/amortir l'impact économique négatif des conflits ou de l'insécurité et (ii) réduire

les risques d'insécurité intérieure à l’avenir, le gouvernement pourrait chercher à créer des tampons

budgétaires pour réagir rapidement aux chocs ou faire face aux exigences accrues qui pèsent sur les dépenses

publiques, tout en augmentant progressivement les coûts d'opportunité des conflits en garantissant l'inclusion

de la prestation des services publics, des opportunités économiques et de la croissance.

Deuxièmement, il sera essentiel d'améliorer à court terme la mobilisation des recettes pour créer une marge

de manœuvre budgétaire nécessaire pour financer des dépenses / investissements productifs dans

l'économie non pétrolière. Plusieurs mesures pourraient être prises à court terme pour augmenter les

recettes fiscales, qui n’ont atteint que 8,9 % du PIB en 2015 contre 16,2% en Afrique subsaharienne.85 Les

autorités tchadiennes devraient identifier les taxes offrant le meilleur rendement sans nuire aux pauvres et

revoir la structure de la politique fiscale pour éliminer les exonérations fiscales inefficaces. Il est surtout

nécessaire de définir une stratégie de mobilisation de recettes à moyen terme assortie d’objectifs clairs et des

mécanismes de contrôle à court et moyen termes. À titre d'exemple, le gouvernement du Cambodge a déployé

des efforts pour améliorer l'efficacité et la transparence des finances publiques en adoptant, en 2014, une

stratégie de mobilisation des recettes visant à lutter contre la fraude fiscale. Cette mesure a contribué à

stimuler la collecte des recettes intérieures, qui sont passées de 15,1 % du PIB en 2013 à 17,5 % en 2015.

Concrètement, grâce à une politique et une administration fiscales efficaces, la participation dynamique du

secteur privé à l'économie devrait se traduire par une nette augmentation des recettes non pétrolières.

Actuellement, la taille du secteur privé est très limitée. Cela s'explique notamment par le fait que les

interventions du gouvernement sur les marchés ont augmenté les risques pour les acteurs privés.

L'intervention du gouvernement - en l'absence d’une défaillance du marché - est un obstacle à une activité

viable et efficace du secteur privé. En même temps, le manque de neutralité concurrentielle a contribué à

créer des conditions de concurrence inégales entre les entreprises publiques et privées (également entre les

entreprises privées), décourageant l’investissement et, en fin de compte, entravant la croissance de la

productivité et la diversification économique. Les politiques présentées ci-dessous décrivent la façon dont ces

problèmes peuvent être réglés en (i) optimisant la complémentarité entre le secteur public et le secteur privé

sur les principaux marchés, (ii) limitant la participation du gouvernement aux cas où une défaillance du marché

nécessite une intervention directe et (iii) garantissant la neutralité concurrentielle, en particulier sur les

marchés où le gouvernement interagit déjà avec des concurrents privés.

À plus long terme, il est essentiel que le Tchad ramène son taux d’investissement aux niveaux antérieurs à

2015 pour maintenir un taux de croissance du PIB réel élevé et réduire les niveaux de pauvreté. Après deux

années consécutives de récession faisant suite à la fin du super cycle des matières premières, l’écart de

85http://www.imf.org/en/Publications/REO/SSA/Issues/2018/04/30/sreo0518.

83

production est devenu largement négatif (Figure 72). Cela suggère qu'à moyen terme, l'économie devrait se

redresser à mesure que l'écart se résorbe progressivement. En utilisant le modèle de croissance à long terme

(MCLT) développé par Hevia et Loayza (2012), nous constatons que si le ratio investissement/PIB (I/Y) revenait

à son niveau de 2006-2014 (ligne orange sur la figure 70 et la figure 71), la croissance par habitant

augmenterait et les niveaux de pauvreté diminueraient.86 Toutefois, compte tenu de la faiblesse de la situation

budgétaire et du niveau élevé de la dette publique, les autorités devraient être sélectives et ne financer que

des projets susceptibles de générer d’importants rendements à l’avenir. Plus important encore, le

gouvernement pourrait miser davantage sur le secteur privé pour financer le déficit d’investissement et

renforcer les infrastructures dans le pays.

Figure 70 : L'augmentation de l'investissement, de la productivité et du capital humain pourrait générer des gains économiques...

Figure 71 : … et réduire de manière significative le pourcentage de Tchadiens vivant avec moins de 1,9 dollar par jour.

Source : Élaboré par la Banque mondiale

Source : Élaboré par la Banque mondiale

Figure 72 : En 2016-2017, un écart de production négatif s'est creusé, le PIB réel ayant été inférieur à son potentiel estimé

Source : WDI, éaboré par la Banque mondiale.

86 Les résultats sont basés sur les hypothèses décrites à l'Annexe 5.

84

Mais pour stimuler les investissements publics et attirer les investissements privés, il faut des marchés transparents et concurrentiels.

Il est nécessaire de stimuler la complémentarité entre le secteur public et le secteur privé au moyen de

réglementations et de politiques favorables à la concurrence. Pour ce faire, il sera nécessaire d’atténuer les

barrières à l’entrée créées par les interventions du gouvernement dans les secteurs clés de l’économie. Pour

encourager les investissements privés et favoriser le bon fonctionnement des marchés, les interventions du

gouvernement dans l’économie, qui devraient être prévisibles et transparentes, devront minimiser le risque

de (i) limiter les entrées ; (ii) favoriser la collusion ou augmenter le coût de la concurrence ; et (iii) exercer une

discrimination contre certains acteurs et créer des conditions de concurrence inégales. Déclarer que le

gouvernement tchadien considère le secteur privé comme un élément central de la diversification et de la

croissance économiques et reconnaître la complémentarité dans les relations entre le secteur public et le

secteur privé constitue une première étape importante. En particulier sur les marchés où le secteur privé a

intérêt à opérer, le gouvernement devrait faire preuve de retenue, même lorsque la crise budgétaire sera

résolue. En cas de participation du gouvernement, ce dernier devrait assurer la cohérence du niveau et du

type d’activité. Les interactions avec le secteur privé dans le cadre de marchés publics ou de PPP devraient

être transparentes, équitables et non discriminatoires.

La participation directe des pouvoirs publics dans l'économie à travers les entreprises publiques ou les PPP

devrait suivre une logique claire pour éviter l'éviction du secteur privé - en particulier sur les marchés où la

participation du secteur privé peut être viable. C'est actuellement le cas dans des secteurs tels que le coton,

la fabrication de matériel agricole, la transformation de la viande et la banque. Cela peut également créer des

coûts d'opportunité pour le gouvernement, étant donné que les entreprises publiques reçoivent souvent un

soutien financier et que les PPP peuvent nécessiter des investissements publics initiaux qui pourraient réduire

la marge de manœuvre budgétaire et créer un risque de passifs éventuels implicites à l'avenir.

Le principe de neutralité concurrentielle devrait être appliqué pour éviter des conditions de concurrence

inégales entre entreprises, ce qui découragerait l’investissement et entraverait la croissance de la

productivité. Les avantages réglementaires et financiers accordés uniquement à certaines entreprises

publiques et privées créent des conditions de concurrence inégales. Le gouvernement du Tchad devrait donc

examiner le traitement réglementaire actuel des entreprises publiques et privées et le soutien financier qui

leur est accordé sous forme de subventions, de garanties de dette et d'exemptions fiscales pour identifier les

sources de discrimination et veiller à ce que tout soutien financier ou réglementaire destiné aux entreprises

publiques ou privées soit accordé de manière transparente et non discriminatoire. Ce type de réforme globale

à moyen terme du cadre de neutralité concurrentielle peut s’appuyer sur les efforts déployés à court terme

pour garantir l’égalité des conditions de concurrence dans des secteurs économiques cruciaux (tels que les

télécommunications et le coton ; voir ci-dessous).

Dans l'ensemble, le renforcement de la gouvernance et des institutions ainsi qu’une transparence accrue sont essentiels à l’amélioration du climat d'investissement. Le Tchad présente actuellement des faiblesses significatives dans la catégorie Gestion et institutions du secteur public établi par l’Évaluation des politiques et des institutions nationales (EPIN 2017). Au-delà de la nécessité d'améliorer davantage la qualité du budget et la gestion financière ainsi que la politique et l'administration fiscales pour une mobilisation efficace des ressources, les notes faibles obtenues par le pays en ce qui concerne la qualité de la mise en œuvre des politiques et la gestion de la réglementation, ainsi que le manque de transparence et de redevabilité dans le secteur public constituent des opportunités importantes aux rendements potentiels élevés. Par exemple, le gouvernement pourrait adopter une politique ouverte en matière de données en rendant publics les données sur le budget, la fiscalité et les comptes nationaux (entre autres) d'une manière librement accessible. Cette mesure renforcerait la confiance dans le gouvernement et développerait une culture de transparence et de redevabilité pour lutter contre la corruption. Une autre opportunité est liée au fait que le Tchad fait partie des quinze pays n’ayant pas encore adhéré à la Convention des Nations Unies contre la

85

corruption (CNUCC). Cette liste comprend, outre de très petits États,87 des pays considérés comme très corrompus dans le monde selon l’Indice de perception de la corruption de 2017 : Guinée équatoriale, Érythrée, Corée du Nord, Syrie et Somalie.88 Ce ne sont là que deux des nombreuses possibilités de réduire l'incertitude liée aux affaires et d'envoyer un signal fort aux investisseurs internationaux et au secteur privé en général.

L'augmentation simultanée de l'investissement et de la productivité pourrait stimuler durablement le potentiel économique du Tchad

En fonction de la marge de manœuvre budgétaire permettant d’accroître les investissements et de l’efficacité

de l’interface public-privé, nous fournissons des exemples d'investissements visant à augmenter la

productivité, comme le montrent certains pairs auxquels le Tchad a l’ambition de ressembler. Nous soulignons

deux domaines politiques importants pour la croissance : les technologies intelligentes (par exemple dans

l’agriculture) et l’approvisionnement efficace en énergie renouvelable.

L'augmentation du taux d'investissement doit être complétée par des réformes qui accroissent la

productivité et le capital humain. Comme le montre la section B, le Tchad pâtit d'une faible productivité dans

les secteurs clés. Les simulations basées sur le MCLT suggèrent qu’une augmentation du taux de croissance de

la productivité et du capital humain de 0,5 % à long terme pourrait stimuler davantage l'activité économique

et réduire considérablement le pourcentage de Tchadiens vivant avec moins de 1,9 dollar par jour à environ

10 % d'ici 2040. L'amélioration de l'accès à l'électricité pourrait stimuler la productivité globale au Tchad. À cet

égard, on pourrait tirer de précieuses leçons de l’expérience du Bangladesh qui a réussi à accroître

considérablement l’accès à l’électricité ces dernières années - passant de 36,1 % en 2002 à 62,4 % en 2014 -

après le lancement d’un programme d’électrification hors-réseau des ménages en 2003 (Tableau 11). Ce

programme, considéré comme l'un des programmes d'électrification hors-réseau les plus efficaces au monde

(Banque mondiale, 2017),89 a été couronné de succès en partie grâce à (i) la présence d'un champion au niveau

local compétent, (ii) la disponibilité de l'énergie solaire et (iii) la présence de solutions financières adaptées à

la capacité de paiement de la population, entre autres. En même temps, l'amélioration de l'accessibilité et la

qualité de l'éducation est essentielle au renforcement du capital humain. Pour parvenir à une croissance

durable du capital humain, les autorités tchadiennes pourraient consacrer une part plus importante des

dépenses au secteur de l’éducation, cibler les régions et les ménages pauvres pour compenser les inégalités

potentielles et enfin investir dans le développement des compétences pédagogiques et techniques des

enseignants tout en concevant des mécanismes de lutte contre leur absentéisme. En outre, il est essentiel

d’améliorer la gestion des services éducatifs, tels que le déploiement des enseignants en fonction de la

demande éducative et le renforcement de la gestion du personnel dans les écoles. Ces mesures pourraient

avoir un impact significatif sur les résultats scolaires au Tchad, compte tenu du faible niveau initial (Bashir et

al., 2018). Enfin, il est nécessaire créer les six conditions essentielles90 à un enseignement et à un apprentissage

efficace, étant donné que moins de 5 % des écoles primaires au Tchad satisfont à au moins cinq des six

conditions minimales. (Bashir et al., 2018).

87 Les petits États sont : Barbade, Monaco, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les Grenadines et Saint-Marin.

88 https://www.unodc.org/unodc/en/treaties/CAC/country-profile/index.html

89http://documents.worldbank.org/curated/en/364571494517675149/full-report.

90 Selon (Bashir et al., 2018), les six conditions essentielles sont : (i) un enseignant qualifié ayant des connaissances et des compétences thématiques et pédagogiques ; (ii) un ratio élève-enseignant raisonnable (pas plus de 50 élèves par enseignant) ; (iii) des services de base, tels que les toilettes pour les filles et l’électricité ; (iv) l’accès aux manuels scolaires pour la lecture et les mathématiques; (v) la présence régulière des enseignants et des élèves en classe et (vi) un climat scolaire exempt de sévices et de violence.

86

Tableau 11 : Les pairs auxquels le Tchad a l’ambition de ressembler ont adopté diverses politiques pour stimuler la croissance

Facteur de croissance

Bangladesh Cambodge Myanmar

Changement de résultat

Réforme politique Année

Changement de résultat Réforme politique Année

Changement de résultat Réforme politique Année

Accès à l'électricité

L’accès à l'électricité (% de la population fournie hors réseau) est passé de 36,1% en 2002 à 62,4% en 2014

Lancement d’un programme d’électrification hors-réseau des ménages1/

2003

L'accès à l'électricité (% de la population) est passé de 40,9% en 2012 à 56,6% en 2014

Adoption d’une stratégie nationale et d’un plan d'action pour l'efficacité énergétique 2/

2013

Amélioration des TIC

L'abonnement à la téléphonie mobile est passé de 12,8% des habitants en 2012 à 54% en 2012

Adoption d’une loi sur les télécommunications pour la libéralisation du secteur, l'octroi de licences, la concurrence, l'accès, etc.3/

2013

Baisse de la corruption

Le pays a amélioré son rang sur l’Indice de perception de la corruption passant de 102e/102 pays in 2002 à 147e/180 in 2008

Création d'une Commission anti-corruption (ACC)2/ Adhésion à la Convention des Nations unies contre la corruption ; Établissement des règles de l'ACC3/

2004

Le pays a amélioré son rang sur l’Indice de perception de la corruption passant de 172e/174 pays in 2012 à 156e/174 in 2014

Adoption de la loi anti-corruption6/ 2013

2007 Désignation d'une commission anti-corruption7/ 2014

Efficacité du gouvernement

La collecte des recettes intérieures a atteint

17,5% du PIB en 2015, contre 15,1% en 2013

Conception et adoption d’une stratégie de

mobilisation des recettes (SMR)5/

2014 Les recettes fiscales sont passées de 3,9% du PIB en 2011 à 8,2% en 2014

Application d'une base d'imposition plus large et des mesures ponctuelles concernant les recettes (licences de télécommunication)9/

2013

Discussion et approbation d’un budget au parlement pour la première fois

2012

Crédit au secteur privé

Le crédit intérieur au secteur privé est passé de

7,2% du PIB en 2003 à 44,7% en 2013

Adoption d’une stratégie nationale en matière de microfinance pour soutenir l'agriculture

années 1990 - années 2000

Le crédit intérieur au secteur privé est passé de 9,3% du PIB en 2012 à 15,5% en 2014

Adoption d'une nouvelle loi sur l'investissement étranger11/

2012

Lancement d'un bureau de crédit privé10/ 2012

Source : Banque mondiale. Notes : 1/ https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/18679; 2/ https://policy.asiapacificenergy.org/node/1910; 3/ http://blogs.worldbank.org/ppps/myanmars-telecom-sector-takes; 4/ https://www.oecd.org/countries/tanzania/48912863.pdf; 5/ https://www.oecd.org/countries/tanzania/48912863.pdf;http://www.ti-bangladesh.org/oldweb/Documents/UNCAC-IACD07.pdf;6/ https://www.oecd.org/mena/governance/Open-Gov-Review-Myanmar.pdf;7/ http://www.vdb-loi.com/wp-content/uploads/2014/04/Client-briefing-Note_anticorruption_VDB-Loi-Client-Briefing-Note_30Apr14.pdf; 8/ http://documents.worldbank.org/curated/en/448501479833899726/pdf/1479833898797-0000A8056-ISR-Disclosable-P143774-11-22-2016-1479833885581.pdf; 9/ http://documents.worldbank.org/curated/en/504121467987907393/pdf/103993-WP-P132668-PUBLIC-Myanmar-PER-Dec-2015.pdf; 10/ http://www.doingbusiness.org/Reforms/Overview/Economy/cambodia; 11/ http://www.moj.go.jp/content/000112674.pdf.

87

Recommandations politiques sectorielles

La PTF augmente et les investissements privés doivent s’enraciner au niveau sectoriel. Compte tenu de

l’importance du secteur agricole pour l’économie et du rôle des télécommunications en tant qu’intrant

pour l’ensemble de l’économie, la section suivante présente des propositions politiques qui

contribueraient à dynamiser la participation du secteur privé et la concurrence dans les secteurs de

l’agriculture et des télécommunications. (Tableau 12). Cela pourrait se traduire par une croissance de la

productivité dans une économie non pétrolière de plus en plus diversifiée, en stimulant ainsi les

investissements privés et en accélérant la croissance du PIB.

Tableau 12 : Recommandations politiques pour relever les défis spécifiques aux secteurs de l'agriculture et des télécommunications

Défi Politique(s) Dimension temporelle

Manque d'intrants agricoles Renforcer la fourniture privée d'intrants agricoles Court terme

Faible concurrence dans la chaîne de valeur du coton

Compléter la privatisation par des mesures visant à ouvrir le marché à la concurrence

Court terme

Mauvaise répartition des ressources privées et publiques entre les secteurs

Mieux cibler le soutien du gouvernement pour remédier aux défaillances du marché

Court terme

Faible productivité agricole Utiliser des technologies intelligentes dans l’agriculture Long terme

Coût élevé des communications à l’international

Envisager d'ouvrir la passerelle internationale à la concurrence Court terme

Manque de clarté des règles régissant

la fibre

Clarifier la réglementation régissant la pose et l'utilisation de la fibre

Court terme

Inégalité des conditions de concurrence

dans le secteur des télécommunications

Assurer la neutralité concurrentielle entre Sotel et les opérateurs privés

Long terme

Restrictions sur le développement des

services d'argent mobile

Mettre en place un cadre réglementaire favorable à la concurrence pour l'argent mobile

Long terme

Source : Banque mondiale

L’agriculture

Permettre la participation du secteur privé à la fourniture d'intrants agricoles essentiels pourrait

contribuer grandement à une utilisation optimale des ressources et de la technologie agricoles. La faible

utilisation des semences et des engrais nuit au secteur agricole, en particulier à sa productivité. Pour

atténuer ces problèmes, le gouvernement devra encourager la participation du secteur privé au marché

des intrants agricoles afin de faciliter l'utilisation d'intrants durables et productifs moins vulnérables aux

chocs. Il s'agit notamment de voir comment le secteur privé peut également participer au circuit des

intrants subventionnés (dans toutes les chaînes de valeur agricoles, y compris le coton) et ouvrir

éventuellement le circuit subventionné au secteur privé. Comme activités concrètes, on pourrait citer des

appels d'offres pour l'importation et la distribution d'intrants agricoles et l’octroi de subventions au

moyen de coupons valables pour l'achat d'intrants auprès de détaillants privés.

Le lancement d’un processus de réforme du monopsone juridique de COTONTCHAD sur le marché du

coton non transformé et l’ouverture à la concurrence du marché en aval pourraient être essentiels pour

relancer le secteur du coton. Le faible niveau des rendements et des revenus des agriculteurs est en partie

imputable à la définition d’un prix d'achat fixe, au monopsone juridique de COTONTCHAD dans l'achat de

coton non transformé et à diverses autres interventions enregistrées tout au long de la chaîne de valeur

88

du coton. Les récents efforts de privatisation ont certes conduit à une libéralisation partielle de la chaîne

de valeur, mais ils n’ont pas exploité plusieurs possibilités d’en assurer à l'avenir le fonctionnement

durable. Par exemple, les agriculteurs pourraient profiter de la concurrence pour la vente de leurs produits

et de l’augmentation subséquente des prix, qui résulteraient probablement de l’abolition du monopsone

juridique de COTONTCHAD et de l’achat du coton non transformé par des opérateurs privés. Diverses

mesures complémentaires pourraient être mises en œuvre préalablement ou parallèlement pour

atténuer les conséquences potentielles de l’ouverture du marché : p. ex. filets sociaux, programmes de

recyclage et réforme des marchés des intrants (semences et engrais). Dans l'ensemble, une réforme

globale de la chaîne de valeur, favorable au marché, sera nécessaire pour que la concurrence dans le

secteur puisse contribuer à une croissance durable et inclusive. En plus de mettre fin au monopsone

juridique de COTONTCHAD, le gouvernement du Tchad pourrait étudier la possibilité d'introduire la

concurrence dans les fonctions en aval de la chaîne de valeur en permettant des investissements privés

dans les filatures et les usines.

Des incitations mieux ciblées permettraient d’utiliser les ressources productives de la manière la plus

efficace et la plus rentable possible dans tous les secteurs agricoles, en évitant des inefficacités dans

l’allocation des ressources. Autonomiser l'investissement privé pour exploiter les opportunités rentables

qu’offre le marché, tout en veillant à la réalisation des objectifs de la politique gouvernementale visant à

améliorer le bien-être, pourrait déclencher la croissance de la productivité globale de l'agriculture. Le

soutien gouvernemental a influencé l'allocation des ressources principalement en faveur du secteur du

coton et a perturbé la capacité des agriculteurs et du secteur privé à affecter les ressources d'une manière

qui reflète la dynamique sous-jacente du marché. En fournissant des engrais et des semences fortement

subventionnés et en assurant les fonctions en aval de la chaîne de valeur, le gouvernement incite les

agriculteurs à cultiver du coton plutôt que d’autres cultures potentiellement plus rentables et à exploiter

pleinement l’avantage comparatif du Tchad. L'investissement privé ne suit donc pas les opportunités les

plus efficaces, mais est guidé par des interventions gouvernementales. Pour que le potentiel de croissance

du Tchad soit réalisé, le gouvernement devrait veiller à ce que ses interventions se limitent à la résolution

de certaines défaillances du marché et à ce que le secteur privé soit en mesure de réaliser les

investissements les plus efficaces et d'affecter les rares ressources disponibles de manière efficace.

Néanmoins, pour atteindre ses objectifs politiques (par exemple, soutenir les agriculteurs au moyen de

subventions), le gouvernement pourrait recourir à des approches favorables au marché, telles que des

bons pour des subventions plutôt que des aides publiques. Un meilleur ciblage du soutien

gouvernemental et l'augmentation des possibilités d’investissement privé se répercuteraient en outre sur

l’ensemble du secteur primaire, compte tenu des relations qui existent entre certaines cultures agricoles

et le secteur de l’élevage, par exemple. Les capitaux privés, qui recherchent les investissements les plus

rentables, sont plus susceptibles de garantir ces complémentarités et avantages supplémentaires, ce qui

pourrait en fin de compte augmenter la probabilité d’une allocation efficace des ressources.

Télécommunications

Les relations entre les TIC / télécommunications et l’économie sont fortes et confèrent une grande

importance aux politiques spécifiques du secteur favorables à la concurrence. Les TIC /

télécommunications constituent un secteur d’intrants central pour une grande variété de secteurs

primaires, secondaires et tertiaires. Elles touchent au cœur même de la faisabilité et de la qualité de la

prestation de services publics et de l’accès au financement et peuvent être considérées comme un

89

élément essentiel de la transparence, de l’accès à l’information et du bien-être général des

consommateurs. Il n’est donc pas surprenant qu’il existe également d'importants liens intersectoriels avec

l’agriculture : l’utilisation des technologies intelligentes par exemple (Figure 73). Les politiques capables

de réduire les coûts des services de télécommunications et de créer un environnement propice à

l'innovation peuvent donc avoir des répercussions importantes et produire des gains de productivité grâce

à de meilleurs services de vulgarisation, à l’amélioration de l’accès au financement ou à l'utilisation directe

des technologies intelligentes pour une irrigation efficace ou la gestion des cultures et du bétail.

Figure 73 : Pour tirer parti des technologies intelligentes dans l’agriculture, il faudra un secteur des TIC souple et innovant.

Source : Élaboré par la Banque mondiale

La suppression des restrictions restantes sur l'accès à l'infrastructure de base et sur la concurrence

relative peut contribuer à stimuler la concurrence. Cette mesure devrait non seulement faire baisser les

prix, mais également débloquer la demande et augmenter les taux de pénétration. Comme décrit en détail

dans la section C.4, la passerelle internationale à fibre optique a été reconvertie en un monopole public

et est désormais gérée par un entrepreneur privé pour le compte du gouvernement, ce qui a contribué à

augmenter les coûts des communications à l’international. De plus, il y a un manque de clarté en ce qui

concerne la pose et l'utilisation des câbles à fibre optique. De ce fait, les services de télécommunications

restent parmi les plus chers de la région et de mauvaise qualité. Il serait nécessaire de garantir une

utilisation efficace des infrastructures sur la base des principes de libre concurrence pour améliorer la

qualité et la portée des services de télécommunications. À cet égard, les autorités sont encouragées à

envisager l’ouverture de la passerelle internationale unique à la concurrence (comme prévu à l’origine) et

à éliminer les obstacles juridiques à la création des passerelles internationales. Une première étape vers

90

la réduction des coûts pourrait être l'examen du processus d'établissement des prix de la bande passante

internationale. En outre, la clarification de la réglementation relative à la pose et à l'utilisation des câbles

à fibre optique peut favoriser la concurrence et permettre aux consommateurs de bénéficier d'un choix

plus large, d'une meilleure qualité de service et d’une réduction des prix.

L’égalité des conditions de concurrence entre l’entreprise publique Sotel et des prestataires du secteur

privé potentiellement plus efficaces contribuerait à améliorer la performance du secteur. Sotel s’est vu

accorder un monopole juridique sur des connexions intérieures spécifiques par fibre optique. En outre,

l’entreprise publique a reçu des subventions pour couvrir les pertes du Fonds du Service Universel (FSU),

dont le but est d'accroître l'accès aux services de télécommunications au Tchad. S'attaquer à ces

problèmes pour créer des conditions de concurrence équitables peut contribuer à stimuler la

concurrence.

Un cadre réglementaire favorable à la concurrence pour permettre le développement des services d'argent mobile pourrait renforcer l'inclusion financière et faciliter la transmission des envois de fonds depuis l'étranger. Les contraintes réglementaires qui pèsent sur le développement des services d'argent mobile sont notamment l’obligation pour les opérateurs de télécommunications de collaborer avec des institutions financières agréées telles que les banques pour pouvoir offrir des services d'argent mobile ou le fait que différents services d'argent mobile ne doivent pas nécessairement être interopérables. Un cadre réglementaire favorable à la concurrence pourrait garantir l’amélioration de ces services et accroître leur pénétration. Le cadre idéal devrait (i) inclure l'interopérabilité, (i) interdire l'exclusivité des agents, (ii) permettre un accès équitable et non discriminatoire aux canaux des Données de service supplémentaires non structurées (iv) et permettre aux fournisseurs de services mobiles d’exploiter des systèmes d’argent mobile sans association avec une institution financière.

91

E. ANNEXES

1. Les données sur les émissions de luminosité nocturne au Tchad révèlent des

écarts dynamiques entre les taux de croissance du PIB fournis par les

Indicateurs du développement dans le monde (WDI) et ceux basés sur les

émissions de lumière nocturne et soulignent la traduction imparfaite de

l’impact de la production pétrolière et des revenus sur la croissance

structurelle.

Cette annexe décrit succinctement la méthodologie adoptée par Roger (2018) pour estimer les taux de

croissance passés, méthodologie qui permet d’appréhender la relation hétérogène liant la luminosité

nocturne et le PIB dans différents pays d’Afrique subsaharienne (ASS). Plus important encore, elle résume

les résultats trouvés pour le Tchad en les replaçant dans le contexte des pays de l’ASS.

Les émissions de lumière nocturne d’origine humaine se sont révélées être de puissants indicateurs de

la croissance économique, en particulier lorsque la fiabilité des comptes nationaux est sujette à caution.

Les valeurs de luminosité s’avèrent être en moyenne et pour la totalité d’un territoire national un puissant

indicateur de l’activité économique et en particulier de la croissance du PIB (Henderson et al., 2012). Roger

(2018) utilise les données relatives aux émissions de lumière nocturne (débarrassées de la réflexion du

soleil, des nuages, des aurores boréales, etc.) et produites par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric

Administration) américaine et un algorithme d’apprentissage automatique pour déterminer les

caractéristiques régissant la relation entre PIB et émissions de lumière nocturne propres à chaque pays et

évaluer les performances de la croissance des pays d’Afrique subsaharienne (ASS) pour la période 1992 -

2013. Il applique un algorithme en deux étapes qui utilise d’abord des modèles à effet fixe pour calculer

les déterminants mesurant la propension de chaque pays à émettre de la lumière puis s’appuie sur ces

données pour estimer, en tenant compte des différences économiques nationales, la croissance du PIB à

l’aide d’un estimateur Elastique net qui aide à sélectionner et pondérer pour chaque pays les variables

prédictives de la relation estimée entre luminosité nocturne et PIB.

Les pays africains enclavés et riches en ressources, tels que le Tchad, présentent systématiquement les

plus importants écarts entre taux de croissance officiels et taux de croissance basés sur l’intensité

lumineuse nocturne émise (Figure 74). Selon Roger (2018, p. 42), « La typologie économique la plus

représentative des pays africains est celle de Collier et O’Connell (2009) qui répartissent ces pays en pays

côtiers (pauvres en ressources), pays enclavés (ressources limitées) et pays riches en ressources » (Collier

et O’Connell, 2009, p.126-127). Ils montrent que pour la période étudiée (1960 - 2000), « cette

caractéristique est un facteur essentiel de la croissance des pays d’Afrique subsaharienne et des pays en

développement en général. Bien que la croissance des pays de l’ASS ait été décevante pour ces trois

catégories, elle s’est révélée pire pour la catégorie des pays enclavés, caractéristique communément

considérée comme un obstacle majeur à une participation au commerce international et à la croissance

économique ». Plus précisément, les WDI montrent pour la période 1992 – 2013 un taux de croissance

moyen de 4,42 % pour les pays enclavés, les données relatives à la luminosité étant un peu plus

pessimistes, en particulier pour les dernières années (à partir de 2007).

92

Figure 74 : Les pays enclavés, riches en ressources, semblent présenter les plus grands écarts entre la croissance du PIB telle qu’indiquée par les WDI et celle basée sur la luminosité nocturne.

Source: Roger (2018)

Roger (2018) constate que les taux de croissance moyens des WDI pour le Tchad sont relativement non

biaisés par rapport aux indicateurs de la luminosité nocturne sur l’ensemble de la période 1992 - 2013,

mais que des écarts importants existent au cours des sous-périodes. Les estimations du PIB calculées à

partir des indicateurs de luminosité confirment la tendance générale affichée par les données officielles

du PIB (Figure 4). La croissance économique a été de 6,5 % en moyenne entre 1992 et 2013, à comparer

aux 7,5 % selon l’indicateur de luminosité. Cependant, cet indicateur est un peu plus optimiste pour les

périodes précédentes. En utilisant les données de la période avant production pétrolière (avant 2003) et

ceux après production pétrolière pour décomposer l’échantillon, l’écart se manifeste principalement

entre 1992 et 2002, quand le taux de croissance réel moyen était de 2,9 % contre 4,7 % selon l’indicateur

de luminosité. En revanche, les deux séries sont plutôt bien alignées sur les périodes suivantes : le taux

de croissance réelle rapportée était de 12,1 % entre 2003 et 2008 à comparer aux 12,5 % selon les données

de luminosité alors qu’il se situait en moyenne à 6,5 % par an dans les deux séries entre 2009 et 2013.

93

Figure 75 : Des écarts relatifs existent au Tchad entre la croissance selon l’intensité des émissions lumineuses et la croissance selon les WDI

Source: Roger (2018)

94

2. Les différentes théories de la croissance économique et leur pertinence empirique

Cette annexe donne un bref aperçu de la bibliographie consacrée aux différents déterminants de la

croissance économique, tels qu’indiqués dans le Tableau 2 (section A). Les différents courants étudiés ont

fourni le cadre général permettant d’examiner sous un aspect descriptif les principaux moteurs et

contraintes de la croissance au Tchad au cours de notre période d’analyse (1993 – 2016).

Les mécanismes économiques sous-jacents à la croissance (variations) se répartissent globalement en

deux principaux groupes théoriques : les modèles de croissance exogène et les modèles de croissance

endogène. Dans son texte fondateur de 1956, Solow (1956) introduit le modèle de croissance

néoclassique (exogène), première tentative de définition d’un cadre théorique clair permettant d’analyser

la dynamique de la croissance. Cette théorie repose sur l’hypothèse que les rendements d’échelle

diminuent en termes de capital et de main-d’œuvre alors que la productivité globale des facteurs (PGF)

augmente au rythme exogène du progrès technologique. Par conséquent, et en l’absence de différence

de PGF entre les pays, ceux qui enregistrent un niveau de capital par travailleur moins élevé bénéficient

de produits marginaux du capital et de taux de rendement des investissements plus élevés. Ils ont donc

tendance à croître plus rapidement jusqu’à atteindre un taux de croissance stable. D’une certaine

manière, l’accumulation de capital dépend des taux d’épargne, de la dépréciation et de la croissance de

la population. L’équilibre se caractérise alors par un ratio capital-travail constant - arrêt de l’intensité

capitalistique et de la croissance de la production par habitant, laissant le progrès technologique (PGF)

comme seule source de croissance durable à long terme. C’est pourquoi l’accumulation de capital humain

et/ou le progrès technologique devraiet être endogènes afin de générer une croissance stable et durable.

De tels modèles ont été mis au point par Romer (1990 ; 1986) et restent initialement proches de l’aspect

néoclassique de la croissance, comme par exemple les modèles de type AK. Ils supposent que la croissance

technologique est endogène dans la mesure où elle se présente comme un sous-produit non rival et

partiellement exclu de l’accumulation de capital, dépendant des décisions des acteurs sur le capital

humain et de l’accumulation des connaissances pour innover et maximiser les bénéfices. Elles prédisent

que bien que le taux de croissance soit déterminé par le stock de capital humain, les grandes populations

ne suffisent pas en elles-mêmes à soutenir une croissance à long terme. Dans une économie pilotée par

le capital humain, le facteur le plus important est donc le taux d’innovation. Cependant, les politiques

visant à encourager un investissement optimal dans la recherche et le développement (R&D) sont

nécessaires afin d’atteindre les deuxième et troisième meilleurs résultats en raison de la divergence entre

les rendements privés et sociaux de la recherche. Les paragraphes suivants donnent un bref aperçu des

variations de ces deux cadres théoriques généraux et des hypothèses importantes connexes, tout en

prêtant une attention particulière à leur pertinence empirique à ce jour.

Le capital humain est considéré comme l’un des principaux moteurs de la croissance économique et

joue un rôle essentiel dans les progrès socioéconomiques des pays. Goldin (2016) définit le capital

humain comme l’ensemble des compétences immatérielles qui améliorent la productivité des individus.

Cette idée, qui englobe les compétences acquises par l’éducation, l’expérience et la santé (Teixeira et

Queirós, 2016), était explicitement incluse dans l’ouvrage sur la croissance de Mankiw et al. (1992) qui

ont ajouté le capital humain au modèle standard de croissance de Solow. En utilisant le pourcentage

d’élèves inscrits à l’école secondaire, ils ont montré, théoriquement et empiriquement, que

95

l’accumulation de connaissances acquises dans le cadre de l’éducation augmentait de façon significative

l’activité économique. Cependant, des études empiriques récentes démontrent que bien que le niveau

scolaire soit élevé, le rôle du capital humain dans la stimulation de la croissance devient plus important

quand la qualité de l’éducation s’améliore (Hanushek, 2013).

Les économistes s’accordent sur le fait que des institutions solides et une stabilité politique stimulent

la croissance économique. Le concept d’institution est multidimensionnel et a été utilisé de différentes

façons (Voigt, 2013). Dans l’un des articles les plus cités de la littérature, Knack et Kefer (1995) soutiennent

que la qualité des institutions peut être mesurée par (i) le risque d’expropriation, (ii) l’existence de

mécanismes clairs et pacifiques permettant de juger les différends (état de droit), (iii) la résiliation des

contrats par le gouvernement, (iv) l’ampleur de la corruption gouvernementale et (v) la qualité de la

bureaucratie. Mais, quelle que soit la façon dont sont jugées les institutions, les données empiriques

suggèrent une relation de cause à effet positive entre une institution forte et la croissance économique

(Acemoglu et al., 2005 ; Easterly et al. 2006 ; Hall et Jones, 1999). Par exemple, Góes (2016) constate

qu’une amélioration de 1 % de la qualité institutionnelle entraîne une augmentation de 1,7 % du PIB par

habitant après six ans. Demetriades et Law (2006, p. 245) ont résumé avec élégance les raisons pour

lesquelles les institutions jouent un rôle importent dans la croissance : « Lorsque les règles changent

fréquemment ou ne sont pas respectées, lorsque la corruption est généralisée ou que les droits de

propriété ne sont pas bien définis ou respectés, les marchés ne fonctionneront pas bien, l’incertitude

augmente et, par conséquent, l’allocation des ressources en sera négativement affectée ».

Des politiques macroéconomiques saines caractérisées par une inflation réduite, de faibles déficits

budgétaires et un taux de change stable contribuent à la croissance en réduisant l’incertitude et en

stimulant par conséquent l’investissement privé. En utilisant une analyse de régression sur plusieurs

pays, Fischer (1993) a montré dans un article fondateur que des politiques macroéconomiques saines,

caractérisées par une faible inflation et de faibles déficits budgétaires ainsi que des taux de change non

faussés entrainaient, en réduisant l’incertitude, des taux de croissance supérieurs et favorisaient

l’investissement privé et la croissance de la productivité. Il a constaté par exemple qu’une augmentation

de 1 % du PIB dans le solde budgétaire était associée à une augmentation moyenne de 0,23 % du taux de

croissance. Ces résultats ont été ensuite soutenus qualitativement par Bleaney (1996) qui, sur un

échantillon de 41 pays et sur la période 1972 – 1990, a montré que l’instabilité macroéconomique induite

par les politiques entravait effectivement la croissance.

La concurrence sur les marchés stimule la productivité et in fine la croissance. Une augmentation de la

productivité est essentielle à la croissance économique (Jorgenson, 1991 ; Solow, 1956) et il a été

démontré que la concurrence améliore la productivité par trois canaux. Premièrement, dans une

économie qui fonctionne bien, la concurrence conduit, quand les entreprises les moins productives se

rétractent ou quittent le marché, à une réaffectation des ressources des entreprises peu performantes

vers les plus productives (Arnold et al., 2011). Deuxièmement, la concurrence incite les entreprises

existantes à être plus efficaces afin de survivre (Aghion et Howitt, 2006 ; Blundell et coll., 1999 ; Conway

et coll., 2006 ; Nickel, 1996). Une concurrence accrue incite les entreprises à utiliser plus efficacement les

ressources et à améliorer de façon dynamique son efficacité en adaptant les processus de production ou

en améliorant la qualité pour obtenir des marges supérieures. À titre d’exemple de ce canal, Carlin et al.

(2004) montrent, en utilisant un ensemble de données d’environ 4 000 entreprises de 24 pays en

96

transition, que les entreprises ayant entre un et trois concurrents ont vu leurs ventes augmenter en

moyenne de près de 11 % sur trois ans, tandis que les sociétés monopolistiques ont souffert d’une baisse

de 1 % de leurs ventes réelles. De la même façon, Nickell (1996) a constaté qu’une augmentation de 10 %

de la majoration des prix entraînait en moyenne une réduction de 1,3 à 1,6 % de la croissance de la

productivité globale des facteurs. La promotion de la concurrence stimule les incitations à l’innovation de

procédés, mais elle encourage également l’innovation de produits visant à « échapper à la concurrence ».

Troisièmement, la concurrence dans les secteurs des intrants stimule la compétitivité à l’exportation et

l’innovation des entreprises situées en aval et dépendantes de ces intrants. Barone et Cingano (2011)

montrent que dans les pays de l’OCDE, les réformes favorables à la concurrence dans les secteurs des

services entrants (télécommunications, transports, énergie et services professionnels) augmentent la

valeur ajoutée, la productivité et la croissance des exportations des secteurs en aval à forte intensité de

services.

97

3. Estimation empirique de la relation entre conflit et PIB dans la Tchad

Cette annexe aborde empiriquement deux questions : premièrement, le PIB augmente-t-il ou se

contracte-t-il en période de conflit ? Deuxièmement, quels sont les canaux par lesquels les conflits

affectent le PIB au Tchad ?

A. Introduction

Nous adoptons un modèle de série chronologique log-log de 56 ans pour obtenir des élasticités log-linéaire.

ln 𝑌 = 𝛼0 + 𝛽ln 𝑋𝑡 + 𝛿𝐶𝑡 + 휀𝑡

où Y représente le PIB réel et X une matrice de variables explicatives telles que : création brute de capital (CBC), dépenses publiques (DP), échanges commerciaux (EC), crédit au secteur privé (CPS) (tous en pourcentage du PIB), aide étrangère (AE) et inflation (INF). Ces variables ont été choisies en fonction des données disponibles. Le conflit {C} est défini comme des épisodes majeurs de violence politique. Plus précisément, ces épisodes se caractérisent par le recours systématique et prolongé à la violence meurtrière par des groupes organisés qui entraînent directement au moins 500 morts. Ils sont ensuite évalués en fonction de l’ampleur de leur impact socio-systémique sur une échelle de 1 à 10 où 1 signifie « au moins 500 morts » et 10 « plus de 10 millions de morts ». (Rother et al., 2016) B. Analyse de corrélation Nous commençons notre analyse en estimant les coefficients de corrélation entre toutes les variables de l’échantillon. Le choix s’est porté sur la méthode de corrélation non paramétrique de Spearman car elle propose une approche optimale pour les échantillons de petite taille et s’avère résistante aux valeurs aberrantes. Les résultats montrent une relation négative significative entre les périodes de conflit et le logarithme du PIB, ce qui donne une première indication : le PIB se rétracte pendant les périodes de conflits violents (Tableau 13). De plus, nos analyses montrent que les conflits augmentent les dépenses publiques mais diminuent les échanges commerciaux et la création de capital brut.

Tableau 13 : Coefficients de corrélation

ln(PIB) Conflit ln(DP) ln(CBC) ln(AE) ln(EC) IN ln(CPS)

ln(PIB) 1

C -0,620* 1

ln(DP)

ln(CBC)

-0,648*

0,650*

0,613*

-0,637*

1

-0,302**

1

ln(AE) 0,780* -0,221 0,422* 0,336** 1

ln(EC) 0,6* -0,494* -0,512* 0,624* 0,425* 1

INF -0,187 0,044 -0,022 0,025 -0,192 0,014 1

ln(CPS) -0,565* 0,658* 0,516* -0,443* -0,180 -0,454* -0,147 1 Source : Élaboré par la Banque mondiale. Note : *, ** et *** indiquent qu’un coefficient est statistiquement significatif à respectivement 10 %, 5 % et 1 %.

C. Analyse de régression Nous commençons par un modèle de référence où la croissance du PIB s’explique par les variations des exportations et les périodes de conflit. Ce choix n’est pas exagéré car 61% notre période d’échantillonnage ont été perturbés par un conflit. De plus, les exportations englobent les secteurs de l’agriculture et du pétrole qui constituaient les piliers de l’économie tchadienne. Les variables n’étant pas stationnaires, nous

98

avons utilisé pour tester l’existence de relations parallèles l’approche en deux étapes d’Engle-Granger (1987). En d’autres termes, nous évaluons la stationnarité par les résidus en utilisant le test de Phillips-Perron (Pperron). Les résultats montrent que le PIB se contracte de 7,7 % en période de conflit (Tableau 14). Nous constatons également que les conflits ont un impact négatif significatif sur la formation de capital brut et les exportations. De plus, la variation en pourcentage des exportations est associée à une variation en pourcentage du PIB. Cela renforce l’importance des exportations (agriculture et pétrole) dans l’économie tchadienne. Le crédit au secteur privé n’affecte pas de manière significative le PIB du Tchad.

Tableau 14 : Résultats de la régression Conflits

Variables dépendantes

ln(PIB) ln(DP) ln(CBC) ln(EC) ln(PIB)

Conflit -0,077 (0,038)** 0,137 (0,039)* -0,199 (0,058)* -0,105 (0,038)* -0,002 (0,04)

ln(EC) 1,011 (0,175)* 0,585 (0,129)*

ln(DP) -0,539 (0,143)*

ln(CBC) 0,275 (0,105)**

ln(AE) 0,063 (0,044)

INF -0,012 (0,003)*

ln(CPS) 0,029 (0,137)

R² Pperron 0,75 [ 0,015]** 0,32 [0,116] 0,34 [0,055]*** 0,20 [0,096]*** 0,89 [0,003]*

(résidus) Source : Élaboré par la Banque mondiale. Note : *, ** et *** indiquent qu’un coefficient est statistiquement significatif à 10%, 5% et 1%, respectivement. Les erreurs standard Newey-West sont entre parenthèses () alors que les valeurs P sont entre crochets []

4. Méthode d’analyse comparative

Cette annexe présente la méthodologie que nous avons développée pour déterminer les facteurs (et leur

rang par ordre de grandeur) qui n’avaient pas permis au Tchad de croître aussi vite que ses pairs cibles que

sont le Bangladesh, le Cambodge et le Myanmar.

Les études relatives à la croissance et présentées au Tableau 2 et en Annexe 2 ont motivées la sélection

des facteurs déterminants de la croissance. La figure 76 montre que le Tchad a moins bien réussi dans le

temps par rapport à ses pairs en ce qui concerne les indicateurs de gouvernance et d’infrastructure ainsi

que la diversification des exportations et le crédit au secteur privé.

Figure 76 : Le Tchad a pris du retard sur ses pairs en matière d’indicateurs de gouvernance et d’infrastructure

Source : PEM du FMI, indicateurs de la gouvernance mondiale, données de la CNUCED et de la Banque mondiale.

99

Bien que les différents diagrammes soient révélateurs, notre objectif a été d’étudier de façon empirique

l’évolution dans le temps de la position du Tchad vis-à-vis de ses pairs selon chaque indicateur. Pour ce

faire, nous avons quantifié l’évolution du Tchad par rapport à ses pairs selon les différents indicateurs de

la figure 76 en utilisant la méthodologie suivante en quatre étapes, où 𝑥𝑖,𝑡 est la valeur de la variable 𝑥

pour le pays 𝑖 (Tchad, Bangladesh, Cambodge et Myanmar) au moment 𝑡 = 2003, ..., 2016 :

1. Nous normalisons toutes les variables de [0] à [100] afin de comparer équitablement les

changements dans le temps des variables et en utilisant la formule suivante :

2. Nous calculons pour chaque année et variable normalisée la valeur moyenne des trois pays

pairs de la façon suivante :

3. Nous mesurons sur la base des résultats de l’équation (2), l’écart séparant le Tchad des pays

pairs en calculant, pour chaque variable normalisée, les différences relatives selon la formule :

4. Nous comparons finalement la moyenne des différences relatives (𝑠𝑑𝑖𝑓𝑓,𝑡) des deux dernières

périodes (2015 - 2016) à la moyenne correspondante calculée pour les deux premières

années (2003-2004)91.

91 Nous utilisons les moyennes périodiques pour minimiser les effets aberrants résultant d‘éventuels événements importants et exogènes non économiques (catastrophes naturelles, guerres, etc.) qui auraient pu se produire au cours d‘années particulières et qui pourraient fausser les résultats.

100

5. Hypothèses à la base du modèle de croissance à long terme du Tchad

Cette annexe décrit l’hypothèse que nous avons faite pour simuler les effets d’un rebond du ratio investissement/PIB (I/Y) ainsi que des

améliorations de la productivité et du capital humain sur les trajectoires de croissance du PIB par habitant et celles de la pauvreté au Tchad -

présentés dans la figure 70 et la figure 71 du texte principal - en utilisant le modèle de croissance à long terme (LTGM) développé par Hevia et

Loayza (2012).

Nous adoptons quatre modèles : un niveau de référence qui reflète les conditions économiques actuelles au Tchad et trois scénarios différents

(Tableau 15). Dans le niveau de référence (colonne 1), l’économie tchadienne devrait s’accélérer à moyen terme (2018-2021) en raison d’un effet

de base faible après deux années consécutives de récession, ce qui a créé un écart de production négatif (Figure 72). À long terme (après 2021),

le rythme de l’activité économique devrait légèrement ralentir, mais maintenir un taux de croissance positif et modéré par habitant, à mesure que

la croissance de la productivité et le ratio des investissements rapporté au PIB se redressent, la participation des femmes à la main-d’œuvre

augmente et le capital humain se développe grâce à l’amélioration de la qualité de l’éducation et l’augmentation des taux de participation. Dans

les trois scénarios supplémentaires, au niveau de référence de la colonne 1, nous ajoutons une par une et de manière cumulative les hypothèses

suivantes (colonnes 2, 3 et 4, respectivement),: Le ratio I/Y revient à sa moyenne 2006-2014, les taux de croissance de la productivité puis du

capital humain augmentent de 0,5 point de pourcentage supplémentaire par an.

101

Tableau 15 : Hypothèses utilisées dans le LTGM

Niveau de référence : Niveau de référence

+ (↑) ratio I/Y

Niveau de référence + (↑) ratio I/Y + (↑)

PTF

Niveau de référence + (↑ ratio I/Y + (↑) PTF

+ (↑) HC

(1) (2) (3) (4)

Ratio de l’investissement réel au

PIB (I/Y)

Les prix du pétrole n’augmentant pas de manière significative au fil du temps, le Tchad devra consolider ses comptes budgétaires et ne faire accroître ses investissements que de façon marginale. Par conséquent, le ratio I/Y passera progressivement du niveau actuel de 13,6 % en 2016 à 19,1 % (moyenne des années 2015-2016) en 2021

Augmenter le ratio I/Y de 19,1 % (niveau de référence) à 27,2 %, (moyenne 2006-2014)

Augmenter le ratio I/Y de 19,1 % (niveau de référence) à 27,2 %, (moyenne 2006-2014)

Augmenter le ratio I/Y de 19,1 % (niveau de référence) à 27,2 %, (moyenne 2006-2014)

Croissance de la productivité totale des

facteurs (PTF) (%)

La PTF augmente au même rythme que la moyenne en 2006-2016 et atteint progressivement 1,4 % en 2021, alors que l’économie se redresse et bénéficie des découvertes pétrolières attendues en 2020 et 2021. Après 2021, la croissance de la productivité diminuerait progressivement pour atteindre 0,2 % en 2030,(croissance moyenne en 1997-2016 sans la période 2003-2005)

Augmenter la croissance de la PTF du niveau de référence de 0,5 % par an

Augmenter la croissance de la PTF du niveau de référence de 0,5 % par an

Croissance du capital humain (CH) (%)

Le CH au Tchad croît au même rythme qu’au Burkina Faso, les deux pays ayant un « Indice de l’éducation » très similaire selon l’ONU. À ce titre, le taux de croissance initial du C H du Tchad est de 1,1 %. Nous supposons également qu’étant donné son faible niveau de base, le CH augmentera de 0,15 % chaque année jusqu’en 2025, puis commencera à se résorber à long terme à mesure que l’écart en matière d’éducation diminuera.

Augmenter la croissance du CH du niveau de référence de 0,5 % par an

Participation au marché du travail (%)

Le taux d’activité des hommes reste constant, autour de 79 %. Cependant, nous supposons que la participation des femmes augmentera progressivement à mesure que l’économie se développera et se stabilisera à 75 % à partir de 2025 (contre 65 % en 2016).

Source : Élaboré par la Banque mondiale

102

6. Liste des entreprises publiques

Le tableau ci-dessous répertorie les entreprises publiques tchadiennes identifiées, le secteur/marché sur lequel

elles sont actives, leur part de marché (si disponible) et leur structure de propriété.

Entreprise publique Secteur/Marché Part de marché Part du gouvernement

Société Nationale

d’Électricité (SNE)

Production, importation, transmission,

distribution, approvisionnement en

électricité

100 % (confirmé par

BTI)

100%

Société Tchadienne de

Poste et de l’Épargne

(STPE)

Services de base de poste et de courrier 100 % (monopole

légal)

100%

Société Tchadienne des

Eaux (STE)

Collecte, traitement et distribution de

l’eau ; Exploitation d’infrastructures de

transport d’eau

100 % (confirmé par

BTI)

100%

Société des

Télécommunications du

Tchad (SOTEL)

Services de téléphonie fixe, mobile et

internet

100 % dans la

téléphonie fixe ; 5 %

dans les services

mobiles

100%

Société Cotonnière du

Tchad (COTONTCHAD)

Agriculture 100 % (monopole

légal ; confirmé par

BTI)

100 % (mais en cours de

privatisation)

Banque Commerciale

Chari (BCC)

Activités de services financiers

(exceptés ceux de banque centrale,

d’assurances et de fonds de pension)

? (Capital : 6 000

millions de FCFA ;

6 guichets au Tchad)

50% Gouvernement du

Tchad

50 % Libyan Arab Foreign

Bank (50 % du

gouvernement soudanais

selon KPMG)

Compagnie Sucrière du

Tchad (CST)

Sucre 100 % de la

production

8,66 % selon KPMG ;

fermé en 2012 selon BTI

Société Industrielle de Fabrication d’équipements agricoles 80 % Gouvernement du

Matériel Agricole et Tchad Assemblage de Tracteurs

(SIMATRAC) 20 % COTONTCHAD

Société de Raffinage de

N’Djamena (SRN)

Production de produits pétroliers

raffinés

40% Gouvernement du

Tchad

60 % CNPCIC

Commercial Bank Tchad

(CBT)

Activités de services financiers

(exceptés ceux de banque centrale,

d’assurances et de fonds de pension)

Capital : 4 050

millions de FCFA ;

3 guichets

50,84 % Gouvernement

du Tchad dans la

déclaration de la BEAC

62 % selon KPMG

103

(Ecobank : 5 000

capital ; 11 guichets

UBA : 7 796 ; 2 guichets)

Société des

Hydrocarbures du Tchad

(SHT)

Hydrocarbures 100%

Société Nationale de

Ciment (SONACIM)

Ciment 92%

Caisse Nationale de

Prévoyance Sociale

(CNPS)

Sécurité sociale 100%

Banque Agricole et

Commerciale (BAC)

Activités de services financiers

(exceptés ceux de banque centrale,

d’assurances et de fonds de pension)

Capital :

3 000 millions de

FCFA

50% Gouvernement du

Tchad

50 % Gouvernement du

Soudan (selon KPMG)

100 % (selon le bilan de la

BEAC)

Société Tchadienne

d’Hydraulique (STH)

Hydraulique 100%

Manufacture des Tabac Seul producteur au 100 % selon

Cigarettes du Tchad Tchad (?) KPMG ; appartient à

(MCT) Imperial Tobacco selon Internet

CNPC International Chad Hydrocarbures 50 % Cliveden (Suisse) (CNPCIC)

50 % CNPCIC (selon KPMG)

Abattoir Farcha-

N’Djamena

Viande N/D N/D

104

7. Secteurs marqués par la présence des entreprises publiques

Le tableau ci-dessous applique la classification sectorielle utilisée dans la base de données de l’OCDE sur la

réglementation des marchés de produits (RMP) aux entreprises publiques tchadiennes. La RMP et les résultats de

ce tableau sont utilisés dans la comparaison des entreprises publiques présentes au Tchad avec les autres pays

présentés dans la section B ci-dessus.

Les gouvernements nationaux, étatiques ou provinciaux contrôlent au moins une entreprise du secteur Oui Non

Production, importation, transmission, distribution et approvisionnement en électricité

Production, importation, transport, distribution et fourniture de gaz naturel

Services de téléphonie fixe, mobile et internet

Services de poste et de messagerie

Transport ferroviaire

Transport aérien

Exploitation d’infrastructures de transport aérien

Exploitation d’infrastructures de transport d’eau

Exploitation d’infrastructures routières

Collecte, traitement et distribution de l’eau

X

X

X

X

X

X

X

X

X

X

Fabrication de produits à base de tabac X

Fabrication de produits pétroliers raffinés X

Fabrication de métaux de base X

Fabrication de produits métalliques, de machines et d’équipements X

Construction et réparation de navires et de bateaux X

Fabrication de locomotives et de matériel roulant de chemin de fer et de tramway X

Fabrication d’avions et d’engins spatiaux X

Construction X

Commerce de gros, y compris des véhicules à moteur X

Commerce de détail, y compris des véhicules à moteur X

Activités d’hébergement, de service alimentaire et de boisson X

Transports urbains, suburbains et interurbains de voyageurs et autres X

Activités de services financiers, à l’exception de ceux de banque centrale, des assurances et des fonds de pension X

Assurance, réassurance et fonds de pension X

Autres activités commerciales X

Activités liées à la santé humaine X

Distribution et projection de films X

TOTAL 11 16

105

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