comité mères soldats russes

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L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000 a reposé la question de la place et du rôle de l’opposition politique en et la marginalisation des partis politiques libéraux et démocrates qui ne sont plus représentés au parlement depuis les élections législatives de 2003. Face à Russie Unie qui incarne la volonté de Vladimir Poutine d’établir une « verticale du pouvoir » l’opposition s’affirme dans des mouvements informels, des engagements associatifs ou des mobilisations locales. Ces mouvements se sont développés à partir de 2005 lors des manifestations contre la monétisation des avantages sociaux. C’est dans le sillage de cette mobilisation que des mouvements sociaux locaux assez limités se sont développés pour jouer un rôle de « contre-pouvoir » informel face à un parti autoritaire. Fondé à la fin des années 1980, l’Union des comités des mères de soldats de Moscou défend les droits des conscrits dans l’armée russe. Plus particulièrement reconnu depuis la guerre de Tchétchénie po

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Contestation en Russie : le Comité des Mères de Soldats russes1

L’émergence d’une contestation

L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000 a reposé la question de la place et du rôle

de l’opposition politique en et la marginalisation des partis politiques libéraux et démocrates qui

ne sont plus représentés au parlement depuis les élections législatives de 2003. Face à Russie Unie

qui incarne la volonté de Vladimir Poutine d’établir une « verticale du pouvoir » l’opposition

s’affirme dans des mouvements informels, des engagements associatifs ou des mobilisations

locales. Ces mouvements se sont développés à partir de 2005 lors des manifestations contre la

monétisation des avantages sociaux. C’est dans le sillage de cette mobilisation que des

mouvements sociaux locaux assez limités se sont développés pour jouer un rôle de « contre-

pouvoir » informel face à un parti autoritaire. La convergence de ces mouvements très disparates

a pu être ressentie à l’hiver 2011-2012, lors des grandes manifestations contre la falsification des

élections. Ce mouvement de protestation, fortement relayé dans la presse européenne

notamment, est également connu sous le nom de « mouvement des Rubans blancs »2 : les

citoyens ont pris part à une action sur la place Triomphale et, le 10 décembre 2011, avait lieu, sur

la place Bolotnaïa, la plus grande manifestation des vingt dernières années. Il est à noter

cependant qu’en Russie, les deux pôles de la vie politique sont peu conciliables, il ne peut y avoir

de «zone neutre»3. L’opposition devient donc un facteur d’hostilité et non un facteur d’équilibre.

Cette première remarque est nécessaire à une plus grande compréhension de la sociologie de

l’opposition en Russie. Cette approche a été largement reprise depuis 2004 comme leitmotiv par

1 Fondé à la fin des années 1980, l’Union des comités des mères de soldats de Moscou défend les droits des conscrits dans l’armée russe. Plus particulièrement reconnu depuis la guerre de Tchétchénie pour son rôle actif dans la défense des soldats russes et son discours progressiste sur ce sujet, le Comité des Mères de soldats russes a de nouveau critiqué le discours officiel de Moscou en apportant des preuves de la présence de troupes russes à l’Est de l’Ukraine. 2 Le choix d’une couleur fait alors écho aux révolutions dites « de couleur » de Géorgie, Ukraine, Kirghizstan : Vassilieva Maria, «Russia protest: White ribbon emerges as rallying symbol» , BBC Russian, 9 octobre 2011, http://www.bbc.com/news/world-europe-16097709. 3 Cécile VAISSIÉ, « Etouffement et renaissance des oppositions en Russie (2000-2010) », Hérodote, 2010/3 n°138, p.109-126

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Vladislav Sourkov, idéologue de Vladimir Poutine.

Dmitri Medvedev, alors président, a annoncé une réforme électorale incluant le retour des

élections des gouverneurs au suffrage direct et la libéralisation du système de formation des

partis. Il sembla alors que les règles de la vie politique allaient commencer à changer. Toutefois,

les effets ont été contradictoires pour l’opposition : ayant sous-estimé le pouvoir et surestimé ses

propres ressources4, l'opposition russe a perdue une grande partie de ses lentes avancées.

L'activisme d'opposition se trouve selon les sondages à un niveau très bas, tandis que la cote de

popularité de Vladimir Poutine s’envole en parallèle. In fine, le Kremlin est parvenu à ce

renversement de situation en marginalisant le mouvement, en entamant des poursuites en justice

et la liquidation politique de tous les leaders du mouvement. Sergueï Oudaltsov a été condamné à

plus de quatre années de prison en juillet 2014 pour « organisation de désordres massifs », Alexeï

Navalny assigné à domicile. Le parti de Navalny - « le Parti du progrès »5 - n'a pas été enregistré.

Aucune formation d'opposition n'a progressé, et le parti « Russie juste »6, qui avait soutenu le

mouvement de 2011, s'est délesté de ses contestataires pour regagner l'orbite du pouvoir. L’échec

des Rubans Blancs a toutefois montré au monde qu’une forme d’opposition au pouvoir existait en

Russie et qu’existe une vitalité politique, civique, qui peut être mobilisée par des mouvements plus

ou moins formels, mais manquant de concrétisation politique. Ceci atteste de la relation

particulière qu’entretiennent les partis politiques et associations en Russie.

Politique et société civile : une relation ambiguë

Après avoir rencontré les responsables des partis politiques non représentés à la Douma7,

le président Dmitri Medvedev déclarait en juin 2009: « les associations à but non lucratif traitent

trop souvent de questions politiques. En d’autres termes, elles font ce que les partis devraient faire

au lieu de défendre les droits de l’homme. (…) Et vous, vous vous chargez des fonctions des

associations à but non lucratif, ce qui n’est pas normal non plus. Vous devriez vous battre pour

avoir une place au soleil politique. Tous est mélangé ici »8. Or, au cours des années 1990 le thème

4 Ayant pour seuls leviers les meetings, les manifestations et les actions publiques, il a très vite atteint ses limites. Un bond qualitatif et structurel était indispensable. Mais, pour accueillir et canaliser l’énergie de la protestation, il n’y avait en Russie aucun parti suffisamment fort, influent et indépendant. 5 Le « Parti du Progrès » a été fondé en février 2014 suivant une ligne centre-libérale et anti-corruption. Il est le direct hérité du Parti de « L’Alliance des Peuples », lui-même fondé le 15 décembre 2012. 6 « Russie Juste » a été constitué le 28 octobre 2006 comme une fusion de « Rodina » (Patrie), du « Parti russe de la Vie » et du « Parti russe des retraités ». 7 Chambre basse du Parlement 8 « Vyderžki iz stenografičeskogo otčëta o vstreče s rukovodstvom političeskih partij, ne predstavlennyh v Gosudarstvennoj Dume

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de la différenciation des partis et des associations était important dans la conception de la

transition démocratique. Il s’agissait de rompre avec la fusion du Parti communiste (PCUS) et des

organisations sociales de la période soviétique mais aussi avec la fluidité des relations sociales et

politiques héritées de la Perestroïka9, où « parti » et « association » avaient tendance à se

confondre (les mouvements indépendants apparus alors étant souvent qualifiés de «

sociopolitiques » pour souligner la difficulté à les différencier clairement des partis10). Ce thème de

la différenciation est aujourd’hui remis à l’honneur en Russie dans un espace toutefois peu

démocratique ou pluraliste.

En somme, les partis politiques sont conçus comme un type particulier d’organisation sociale. De

plus, la souplesse de la loi favorise la multiplication des associations mais aussi celle des partis.

D’après Françoise Daucé11, « dans ce cadre législatif, les associations et les partis nouent des

collaborations dans les années 1990. S’ils hésitent à s’engager eux-mêmes en politique, les

défenseurs des droits de l’homme tissent des liens avec les partis qui relaient leurs demandes. La

nécessité pour les militants associatifs d’un engagement direct dans la vie politique est alors peu

intense puisqu’ils disposent de divers interlocuteurs politiques. Plusieurs partis sont en effet

susceptibles de faire remonter leurs revendications jusqu’au Parlement : Russie démocratique,

Choix démocratique de la Russie puis Union des forces de droite, Iabloko12… ». Les militants

associatifs de Mémorial13, du Groupe Helsinki de Moscou ou de l’Union des Comités des Mères de

Soldats russes négocient avec ces formations libérales au nom des causes qui les mobilisent. La

protestation contre la guerre en Tchétchénie ou la lutte contre le service militaire et les violences

subies par les soldats dans l’armée constituent par exemple des sujets de coopération entre

responsables politiques et militants associatifs. Une répartition implicite des rôles s’impose alors:

les partis libéraux sont chargés de transmettre au pouvoir les demandes de la société civile qui, en

(Pravoe delo, Âbloko, Patrioty Rossii) » (Extrait du sténogramme de la rencontre avec les dirigeants des partis politiques non représentés à la Douma d’État, Pravoe Delo (Juste Cause), Iabloko, Patriotes de Russie), 11 juin 2009, Barvikha : http://www.kremlin.ru/appears/2009/06/11/1736_type63376_217678.shtml. 9 Sur la fluidité des relations politico-sociales pendant la perestroïka, Françoise DAUCE recommande de voir l’essai de Carole SIGMAN, Clubs politiques et perestroïka en Russie, « Subversion sans dissidence », Paris, Karthala, 2009 10 Plus globalement, cela est une tendance qui va plus loin que la Russie dans le bloc de l'est : les dissidences en Pologne ou ailleurs n'avaient en général que rarement un format revendiqué de parti. Cela vient aussi du discrédit du concept de parti en politique au regard du fonctionnement du parti unique. 11 Françoise DAUCÉ, « Associations et partis en Russie : les (en) jeux de la différenciation », Critique internationale, 2012/2 N° 55, p.23 12 Pour une présentation de ces différentes formations, voir Françoise DAUCE, « Libéraux et démocrates : un compromis impossible ? », mai 2006 (http://www.ceri-sciencespo.com/archive/mai06/artfd.pdf). 13 Association ou « organisation sociale » (obchtchestvennye organizacii) de Défense des Droits de l’Homme et de Mémoire relative aux victimes des goulags: au fil des ans, Memorial a recueilli des millions de documents et témoignages sur les crimes commis au nom de l'URSS.

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retour, les soutient lors des élections. Les militantes de l’Union des Comités des Mères de Soldats

ont tenté de s’investir directement dans la vie partisane en créant leur propre parti politique en

2004 avec le parti libéral Iabloko, afin de conclure une alliance à l’occasion des élections à la

Douma de Moscou en 2005. Cette aventure demeure cependant sans lendemain. Ne répondant

plus aux exigences de la législation sur les partis, le parti des Mères de Soldats russes ne peut en

effet participer aux élections législatives de 2007 : lors de ces élections, Iabloko ne franchit pas la

barre des 7 % de voix nécessaires à l’entrée à la Douma malgré l’influence relative du Comité des

Mères de Soldats. Dans ce contexte, ces militantes indépendantes se sont interrogées sur leur rôle

en politique.

La question militaire posée par le Comité des Mères de Soldats Russes

Le Comité des Mères de Soldats russes souligne la filiation directe qui existe entre l’armée

d’aujourd’hui et celle de l’époque soviétique faisant état d’une absence de rejet des traditions

militaires soviétiques dans la pratique en aux discours tenus. Cependant la perte de sa splendeur,

de son prestige a pu être constatée et explique que « tout au long des années 1990, le rejet du

service militaire est allé croissant, nourri par une information de plus en plus précise sur les

dysfonctionnements et la corruption gangrenant l’armée, par les conflits armés dans lesquels

s’engageait la Russie sans que les citoyens en comprennent le sens »14. Par ailleurs, un

renversement de paradigme est à noter, avec les ennemis d’hier devenus les plus importants

partenaires économiques d’aujourd’hui. Dans les années 1980, le climat instable dû aux affaires de

maltraitance, d’humiliations, de viols qui parviennent dans la presse (à titre d’exemple, l’affaire

« Arturas Sakalauskas » en 1987). Le manque de réflexion ouverte et de perspectives de réformes

dans les années 1980 a été à l’origine de l’émergence de groupes comme celui du Comité des

Mères de Soldats. En somme, l’institution militaire est à la croisée de deux chemins. En plein

affaiblissement, elle reste investie d’un idéal de puissance. D’un côté, la création de l’armée

permet à la Russie de se constituer en Etat à part entière et de succéder à l’URSS. À partir de 1993,

l’armée contribue au renforcement de l’État et à la présidentialisation de son régime politique.

D’un autre côté, le fonctionnement de l’armée, qui n’a pas été réformé dans son esprit, suscite

des réactions qui participent de l’affaiblissement du pouvoir central : la démilitarisation de

l’économie, la valorisation des droits individuels et la fédéralisation posent la question de

l’émergence d’une société marchande et civile face au militaire, et donc face à l’État.

14 Anna COLIN LEBEDEV, Le cœur politique des mères, Analyse du mouvement des mères de soldats en Russie, Éditions EHESS, 2013

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Institutionnalisation du Comité des Mères de Soldats russe

D’abord informel, ce groupe a rapidement cherché à s’institutionnaliser. Il a été finalement

créé lors du Congrès de juin 1990 derrière le slogan « Les mères contre la violence : de quelle

armée avons-nous besoin ? ». Ces protestations se sont accompagnées de recommandations

précises, à travers la définition de vingt quatre objectifs, que Anna Colin-Lebedev résume en

quatre grands axes15 : « exiger le respect des droits et de l’intégrité physique et morale des soldats

au cours du service militaire, rendre l’institution militaire transparente et ouverte aux observateurs

extérieurs, s’opposer à l’envoi de conscrits en zones de combats »16. Mais la demande d’un passage

à une armée de métier, qui forme davantage un horizon d’action qu’un objectif concret, va

devenir la revendication centrale de l’Union des Comités de mères de soldats de Russie. Leur

première exigence reposera donc sur la nécessité de réformer le service militaire. En raison d’une

importante mobilisation de ses membres et d’une bonne communication autour de leurs

revendications, elles ont obtenu partiellement satisfaction avec l’adoption d’une loi plus précise

que la précédente sur les conditions d’exemption ou de sursis de service. Cependant, ces réformes

ne descendent pas au niveau de l’armée en raison de la méconnaissance et le non-respect des

autorités militaires des textes législatifs et de la poursuite des cas de violences dans les casernes.

En 1994, puis en 2000, les guerres en Tchétchénie deviennent un théâtre d’action pour le

Comité, et participent à sa popularisation à travers toute la Russie, mais aussi à travers le monde,

qui s’émeut du sort des conscrits et de ces mères à la recherche de leurs fils disparus. La guerre de

Tchétchénie de 1994 emmène aux fronts de jeunes conscrits russes effectuant leur service

militaire, recrutés pour participer à cette opération militaire, en échange d’une promesse d’argent

et de démobilisation anticipée. Quelques semaines après leur appel, les troupes devront attaquer

Grozny où des milliers de soldats russes trouveront la mort. La Russie fera la guerre pendant deux

ans, alimentant sans cesse ses forces armées par des jeunes conscrits sans déclarer officiellement

ces différentes offensives comme des actes de guerre. Ainsi, Anna Colin Lebedev souligne que

« des milliers de jeunes hommes brisés se reconvertiront parfois dans le secteur paramilitaire ou

dans les cercles criminels et alimenteront un climat de violence et de tension palpable en Russie

15 Cette dernière demande étant liée au conflit dans le Haut Karabakh entre Arménie et Azerbaïdjan, où l’armée soviétique faisait intervenir des conscrits. 16 ibid., p.23

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tout au long des années 2000 »17. L’histoire se répète en Tchétchénie en 2000 : des conscrits sont

à nouveau envoyés, cette fois-ci au nom d’une « opération antiterroriste ». Dans cette deuxième

guerre, l’armée commence à masquer les pertes humaines, en faisant par exemple transiter les

corps par des morgues civiles. Face à l’inertie de l’armée russe, les mères des soldats tombés en

Tchétchénie s’occupent de l’identification des corps et prennent en charge les funérailles. En effet,

en Tchétchénie et dans des villes du Nord-Ouest du pays, parents et proches ont raconté avoir

enterré un fils soldat parti discrètement en Ukraine et revenu dans un cercueil. Des transferts des

corps sont organisés par le Ministère de la Défense : les papiers accompagnant les corps des

soldats décédés précisent certes la mort par balle mais ne mentionnent pas le lieu du décès. Ce

manque d’information, notamment sur le retour de camions militaires spécialisés dans le

transport de soldats tués, inquiète les mères de soldats, sans nouvelles et redoutant le pire.

« Nous avons été les premières à dire que la guerre en Tchétchénie était illégale,

anticonstitutionnelle » a déclaré Ludmila Obraczova, membre du Comité des mères de soldats

russes, dans un discours prononcé au Sommet des Sept Résistances tenu à Lyon le 27 juin 1996,

parallèlement à la réunion du G-7 : « à ce jour [juin 1996 soit près 2 ans après le début du conflit], il

n'y a pas de données officielles sur le nombre des morts, prisonniers ou disparus, que ce soit côté

russe ou côté tchéchène. Nous sommes pratiquement la seule organisation à récolter ces données

et à les diffuser aux médias. Nous pensons qu'au moins dix mille appelés sont morts en

Tchétchénie. On compte aussi sept cents disparus ».

En 2004, évoquant «le prix effrayant de dix ans de guerre en Tchétchénie », le Comité a voulu se

« poser en représentants du peuple, non officiels, parce qu’il est clair que ni le Kremlin ni nos

politiques ne souhaitent de négociations… Les mères de soldats s’adressent à ceux qui d’entre vous

veulent réellement le bien du peuple tchétchène avec la proposition de donner une chance à la

paix ».18 Valentina Melnikova, présidente du Comité des Mères de Soldats, proposait ainsi de

discuter avec une des parties en guerre pour prendre connaissance de leur volonté, de leur

possibilité et de leurs propositions afin d’arrêter les actions militaires, pour ensuite voir quels

étaient les compromis possibles avec Moscou. Cette démarche a été soutenue par l’association

russe de droits de l’Homme Mémorial, qui estimait que le Comité aidait « l’Etat à faire un pas que

la société russe est prête à faire ». Après avoir essuyé un refus de la part du gouvernement belge,

17 Anna COLIN LEBEDEV, « Le Soldat Ivan que personne ne sauvera », Blog Médiapart « À l’Est assurément », 29/08/2014 < http://blogs.mediapart.fr/blog/anna-colin-lebedev/290814/le-soldat-ivan-que-personne-ne-sauvera > 18 Xavier GUIGUE, « Une initiative des mères de soldats russes pour sortir du conflit tchétchène », Irenees.net, décembre 2004 < http://www.irenees.net/bdf_fiche-experience-145_fr.html >

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la rencontre a néanmoins pu avoir lieu à Londres en février 2005 pour aboutir à un texte commun

demandant l’arrêt des opérations militaires, la démilitarisation, la présence de force internationale

de maintien de la paix et le retour à l’accord politique de mai 1997 en vue d’élection démocratique

sous contrôle international. Le texte affirme que seul un processus de paix peut répondre au

conflit et condamne les violations des droits de l’Homme et les actes terroristes. Ainsi, d’un rôle de

recherche de soldats disparus et de soutien aux familles, le Comité des Mères de Soldats gagnent

progressivement du terrain. Leurs tâches se densifient et elles recueillent à la fois les griefs des

mères de famille à la recherche de leurs fils disparus, cherchant à défendre leurs enfants victimes

de violences physiques et/ou psychologiques dans l’armée, mais jouent également un rôle

d’éducation et de diffusion des textes législatifs relatifs (décrets et lois fédérales) au droit des

soldats.

L’Ukraine aujourd’hui : sommes-nous à nouveau face à une répétition de guerre qui ne dit pas

son nom ?

Officiellement, aucun soldat des forces régulières russes ne participe à la contre-offensive

victorieuse des séparatistes dans les régions sud-est de l’Ukraine. « En fait, depuis le début, on

peut estimer que jusqu’à 15 000 soldats ont été envoyés », assure Valentina Melnikova. « Pour le

moment, nous ne recevons encore pas beaucoup d’appels de mères ou d’épouses. Mais on sait

combien il y a de troupes dans chaque base militaire, et combien d’hommes manquent à l’appel…

», a confié au Monde19 Valentina Melnikova pour justifier son évaluation. Selon elle, plus de 7 000

soldats russes combattent aujourd’hui en Ukraine, bien plus que l’estimation de 1 000 hommes

donnée par l’OTAN.

La culture du « non-dit » entoure les événements en Ukraine. A tel point que certains soldats sont

enterrés dans le secret: à Pskov, dans le nord de la Russie, des parachutistes ont des tombes sans

nom et sans photo, selon Le Monde20. L'armée en dit le moins possible aux familles sur les

circonstances de leur mort, les journalistes sont menacés lorsqu'ils tentent d'enquêter.21

19 Hélène PRUDHON, « Les mères de soldats russes démentent par les faits la version du Kremlin », Le Monde, 3 septembre 2014 : http://www.lemonde.fr/international/article/2014/09/03/les-meres-de-soldats-russes-dementent-par-les-faits-la-version-du-kremlin_4480876_3210.html#BFhdpeLXDwaX7XPj.99. 20 VITKINE Benoît, « Les éléments qui accréditent l’intervention de l’armée russe en Ukraine », Le Monde, 28 aout 2014 : http://abonnes.lemonde.fr/international/article/2014/08/28/des-soldats-russes-combattent-l-armee-ukrainienne-dans-l-est-du-pays_4478006_3210.html. 21 « Ainsi, les journalistes qui se sont rendus au cimetière de Vybouty ont été agressés et menacés. On leur a fait comprendre qu’ils avaient intérêt à ne pas se mêler de cette affaire. Même chose pour ceux qui ont voulu enquêter à l’hôpital militaire de Saint-Pétersbourg et Rostov, où d’après les Comités de mères de soldats, il y a de nombreux soldats blessés», citation tirée de l’article de

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Officiellement, « ces informations sont actuellement vérifiées par les autorités compétentes »,

avait déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Certaines familles avaient reçu des

messages de leurs fils disant qu’ils étaient en Ukraine. Les Comités des Mères de soldats se sont

alors adressés aux autorités pour avoir des nouvelles des soldats disparus. Par exemple, la

présidente du Comité de Saint-Pétersbourg, Ella Poliakova, membre aussi du « Conseil pour le

développement de la société civile et des droits de l’Homme », a demandé une enquête à propos

de neuf engagés dans l’infanterie originaire du Daguestan, officiellement morts en manœuvre

début août dans la région de Rostov. Avec le soutien d’un autre membre de ce Conseil, Serguei

Krivienkov, elle s’est adressée directement au « comité d’enquête », l’organe chargé des affaires

sensibles. « Pour ces comités, 10 000 à 15 000 soldats russes ont été envoyés en Ukraine, en

général contre leur gré. C'est-à-dire que leur contrat n’indique pas qu’ils doivent aller combattre à

l’étranger. Au dernier moment, on leur demande de mettre des tenues de camouflage sans signe

distinctif, et ils découvrent qu’ils sont en Ukraine quand ils se font tirer dessus. Certains y seraient

allés pour de l’argent, comme les Daguestanais, qui auraient touché 220 000 roubles soit 4 000

euros ».22 En retour, face à l’activisme du Comité sur le dossier ukrainien, le Comité des mères de

soldats de Saint-Pétersbourg a été déclaré par le ministère de la Justice d’« agent de l’étranger ».

Les membres d'associations et plus généralement les acteurs de la société civile reçoivent parfois

le qualificatif d’ « agents étrangers », créé par une loi de 2012, au motif qu'une partie des

financements de leurs organisations provient de donateurs non russes. La plupart des ONG ont

été intégrées à cette catégorie par les autorités russes et ces associations ont ensuite à

entreprendre des procédures juridiques longues pour en sortir. Or, dans le cas du Comité des

Mères de Soldats Russes, l’ONG ne reçoit pas de fonds étrangers et est très respecté au sein de la

société russe. La difficulté majeure réside dans le fait de définir ces « activités politiques ».

Pendant les guerres en Tchétchénie, le Comité avait été une rare voix indépendante à dénoncer

par les faits les discours du Kremlin. « Depuis, ils ont peur de nous… », indique Valentina

Melnikova23. La loi sur « les agents étrangers » est le pilier d’une série de lois répressives adoptées

depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence en 2012. Prises dans leur ensemble, ces lois

témoignent de la perception des autorités, qui considèrent la société civile comme une

Muriel POMPONNE, « Soldats russes en Ukraine : de la propagande à l’information », RFI, 19.09.2014 : http://www.rfi.fr/hebdo/20140919-russie-ukraine-soldats-russes-propagande-information-femmes-television. 22 Informations et citation tirées de l’article de POMPONNE Muriel, « Soldats russes en Ukraine : de la propagande à l’information », RFI, 19 septembre 2014 : http://www.rfi.fr/hebdo/20140919-russie-ukraine-soldats-russes-propagande-information-femmes-television. 23 PRUDHON Hélène, « Les mères de soldats russes démentent par les faits la version du Kremlin », Le Monde, 03.09.2014 <http://www.lemonde.fr/international/article/2014/09/03/les-meres-de-soldats-russes-dementent-par-les-faits-la-version-du-kremlin_4480876_3210.html#BFhdpeLXDwaX7XPj.99>

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« cinquième colonne » résolue à « ébranler l’Etat », explique Alexandre Daniel, éminent historien

au sein de l’ONG Memorial’s St. Petersburg Centre for Historical Research : « en ce moment, la

vision du monde officielle se dessine. Elle se fonde sur le concept d’un État toujours fort et entouré

d’ennemis – qui opèrent par l’intermédiaire d’ennemis de l’intérieur »24. Cet état d’esprit s’est

particulièrement renforcé depuis mars 2014, après l’intervention militaire russe en Crimée et le

conflit armé dans l’est de l’Ukraine.

Le Club du Millénaire : Cécile Calvet, Lara Deger Comité de relecture : Pierre Jérémie, Sarah Laffon

24 Citation tirée de l’article de AMNESTY INTERNATIONAL, « Une guerre juridique en Russie envers les ONG, qualifiées d’ ‘agents étrangers’ », Médiapart, 09.10.2014 <http://blogs.mediapart.fr/blog/amnesty-international/091014/une-guerre-juridique-en-russie-envers-les-ong-qualifiees-dagent-etranger>

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Sources : AMNESTY INTERNATIONAL, « Une guerre juridique en Russie envers les ONG, qualifiées d’ ‘agents étrangers’ », Médiapart, 09.10.2014 <http://blogs.mediapart.fr/blog/amnesty-international/091014/une-guerre-juridique-en-russie-envers-les-ong-qualifiees-dagent-etranger> COLIN LEBEDEV Anna, Le cœur politique des mères, Analyse du mouvement des mères de soldats en Russie, Éditions EHESS, 2013 COLIN LEBEDEV Anna, « Le Soldat Ivan que personne ne sauvera », Blog Médiapart « À l’Est assurément », 29/08/2014 < http://blogs.mediapart.fr/blog/anna-colin-lebedev/290814/le-soldat-ivan-que-personne-ne-sauvera > DAUCÉ Françoise, « Associations et partis en Russie : les (en) jeux de la différenciation », Critique internationale, 2012/2 N° 55, p. 17-34. DAUCÉ Françoise, Une paradoxale oppression : le pouvoir et les associations en Russie, CNRS Éditions, 2013 FANUCCHI Bruno, « ‘C'est toujours la guerre en Tchétchénie’ VALENTINA MELNIKOVA, présidente du Comité des mères de soldats russes », Le Parisien, 16.01.2001 <http://www.leparisien.fr/politique/c-est-toujours-la-guerre-en-tchetchenie-valentina-melnikova-presidente-du-comite-des-meres-de-soldats-russes-16-01-2001-2001894225.php> GUIGUE Xavier, « Une initiative des mères de soldats russes pour sortir du conflit tchétchène », Irenees.net, décembre 2004 <http://www.irenees.net/bdf_fiche-experience-145_fr.html> LE DOUARAN Marie, « Il n’y a pas de guerre en Ukraine mais des soldats russes y meurent », L’Express, 29.08.2014 <http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/il-n-y-a-pas-de-guerre-en-ukraine-mais-les-soldats-russes-y-meurent_1571440.html> NITHARD Cédric, « Entretien avec Françoise Daucé : l’opposition en Russie », TEPSIS, 13.11.2013 POMPONNE Muriel, « Soldats russes en Ukraine : de la propagande à l’information », RFI, 19.09.2014, <http://www.rfi.fr/hebdo/20140919-russie-ukraine-soldats-russes-propagande-information-femmes-television/> PRUDHON Hélène, « Les mères de soldats russes démentent par les faits la version du Kremlin », Le Monde, 03.09.2014 <http://www.lemonde.fr/international/article/2014/09/03/les-meres-de-soldats-russes-dementent-par-les-faits-la-version-du-kremlin_4480876_3210.html#BFhdpeLXDwaX7XPj.99> RUBIN Elizabeth, « Russian mothers are saving their children in Chechnya », The New York Times, 08.07.2001, < http://www.nytimes.com/2001/07/08/magazine/08CHECHNYA.html > VASSILIEVA Maria, «Russia protest: White ribbon emerges as rallying symbol» , BBC Russian,

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