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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES AFFILIÉE À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÈAL LA TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS PUBLIQUES ÉTUDE DE CAS DUN DIRIGEANT PAR ALI FADIL SCIENCES DE LA GESTION MÉMOIRE PRESENTÉ EN VUE DE L’OBTENTION DU GRADE DE MAÎTRISE ÈS SCIENCES (M.SC.) JANVIER 2012 © ALI FADIL, 2012

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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES COMMERCIALES

AFFILIÉE À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÈAL

LA TRANSFORMATION DES ORGANISATIONS PUBLIQUES

ÉTUDE DE CAS D’UN DIRIGEANT

PAR

ALI FADIL

SCIENCES DE LA GESTION

MÉMOIRE PRESENTÉ EN VUE DE L’OBTENTION

DU GRADE DE MAÎTRISE ÈS SCIENCES

(M.SC.)

JANVIER 2012

© ALI FADIL, 2012

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Sommaire

La présent mémoire porte sur l’étude du cas d’un dirigeant qui a accompli avec

succès la transformation de deux organisations publiques au sein des

institutions françaises. Si les contributions sur les aspects stratégiques et

opérationnels du changement en situation de complexité sont nombreuses, peu

d’écrits traitent plus spécifiquement des caractéristiques de dirigeants du

secteur public.

C’est dans cette optique que nous avons émis la question de recherche

suivante : Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui parviennent à

transformer les organisations publiques ?

Pour y répondre, nous avons mené une étude exploratoire sur base du cas de

Jean-Paul Bailly, président-directeur général du Groupe La Poste. Ce dirigeant

a consacré sa carrière au service de la transformation d’organisations publiques.

Dans un premier temps, notre recherche s’appuiera sur son récit (3 entrevues).

Dans un second temps, nous avons validé et complété le récit fourni par ce

dirigeant en consultant 10 intervenants extérieurs. Cet échantillon de

convenance a été consulté dans le cadre d’entrevues semi-dirigées longues et

approfondies (1h05 en moyenne). L’étude de cas a été enrichie sur base d’une

recension documentaire.

Les assises théoriques de cette problématique se trouvent dans la littérature

scientifique où nous nous employons à définir les concepts et traiter des études

empiriques en recensant les écrits autour de 3 thèmes : 1) La transformation des

systèmes organisationnels complexes : Gestion stratégique et opérationnelle

d’une transformation en situation de complexité ; 2) Les caractéristiques du

dirigeant en période de transformation : Leadership et pilotage d’une

transformation organisationnelle ; 3) La transformations des organisations

publiques : Enjeux organisationnels et direction du changement dans le secteur

public. Sur base de la revue de littérature, nous avons constitué un cadre

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conceptuel intégrant deux dimensions d’une transformation : 1) Le diagnostic

des capacités du changement stratégique 2) Les leviers d’action dans la mise en

œuvre d’un changement. Ce cadre conceptuel identifie les principales variables

à étudier (contexte, structure, culture, leadership, leviers d’action : légitimation,

réalisation, appropriation) pour permettre de faire ressortir les caractéristiques

du dirigeant en période de transformation.

Prenant appui sur l’analyse des données présentées dans l’étude de cas, nos

résultats révèlent, sous forme de propositions, que ce qui caractérise ce

dirigeant, c’est : 1) sa capacité à influencer sur les décisions de l’État – 2) sa

capacité à définir des structures novatrices intégrant des contradictions – 3) sa

capacité à influencer les perceptions de ses parties prenantes en valorisant

certains éléments liés à l’accomplissement des missions de service public 4) son

leadership transformationnel basé sur l’authenticité, la conciliation et la

confiance 5) sa capacité à accompagner la mise en œuvre la transformation par

la création de mécanismes d’anticipation permettant, par le dialogue,

l’association et la réconciliation des différents acteurs.

Compte-tenu de la portée de cette recherche, réalisée dans le cadre des

contraintes logistiques et temporelles d’un mémoire de maîtrise, l’étude se base

sur le cas d’un dirigeant. Les résultats obtenus ne peuvent être généralisés à

tous les dirigeants du secteur public. Toutefois, par son étude approfondie,

historique et longitudinale, cette recherche offre un certain nombre de

propositions intéressantes qui pourraient faire l’objet d’un approfondissement

futur.

Mots clés : Transformation ; Leadership; Organisations publiques ;

Direction ; Changement.

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Table des matières

Sommaire ii

Table des matières iv

Liste des tableaux vi

Liste des figures vii

Remerciements viii

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1 : Revue de la littérature 5

1.1. La transformation des systèmes organisationnels complexes 5

1.1.1. La gestion stratégique d’une transformation en situation de

Complexité

6

1.1.2. La gestion opérationnelle d’une transformation en situation

de complexité

11

1.2. Les caractéristiques du dirigeant en période de transformation 16

1.2.1. Le leadership transformationnel 16

1.2.2. Pilotage d’une transformation organisationnelle 21

1.3. Les transformations organisationnelles dans le secteur public 24

1.3.1. Les enjeux organisationnels face à la transformation du secteur

public

25

1.3.2. Les dirigeants publics au service de la transformation 31

CHAPITRE 2 : Cadre conceptuel 36

2.1. Réflexions et problématique de recherche 36

2.2. Cadre conceptuel : modèles et dimensions retenues 38

2.3. Description des dimensions et variables 40

2.3.1. Dimension A : Diagnostic de la capacité de changement

stratégique

40

2.3.2. Dimension B : Leviers d’action pour la mise en œuvre d’une

Transformation

46

CHAPITRE 3 : Méthodologie 51

3.1. Méthode de recherche 51

3.2. Technique d’échantillonnage 55

3.3. Collecte de données 56

3.4. Analyse des données 58

3.5. Avantages et limites de la méthode 59

3.6. Considérations éthiques 61

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v

CHAPITRE 4 : Présentation des données 62

4.1. Étude de cas : l’histoire d’un dirigeant 62

4.1.1. Partie 1 – Origines du dirigeant 63

4.1.2. Partie 2 – Formation à la gestion stratégique et

opérationnelle de la transformation

69

4.1.3. Partie 3 – Diriger la transformation des organisations

publiques

81

CHAPITRE 5 : Analyse des données 103

5.1. Analyse des données du cas 103

5.1.1. Contexte 104

5.1.2. Structure 106

5.1.3. Culture 109

5.1.4. Leadership 113

5.1.5. Leviers d’action 117

5.2. Discussion et conceptualisation 122

5.2.1. Contexte 123

5.2.2. Structure 127

5.2.3. Culture 129

5.2.4. Leadership 131

5.2.5. Leviers d’action 134

CHAPITRE 6 : Conclusion 137

6.1. Apports de l’étude 137

6.2. Limites de l’étude 140

6.3. Pistes de recherche 141

ANNEXES 142

BIBLIOGRAPHIE 148

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vi

Liste des tableaux

Tableau n°1 : Management versus Leadership selon Kotter 17

Tableau n°2 : Caractéristiques du leader transformationnel selon Bass 19

Tableau n°3 : Cinq composantes caractérisant les organisations publiques selon

Santo et Verrier

29

Tableau n°4 : Dirigeants publics transformateurs selon Hafsi/Bernier 34

Tableau n°5 : Éléments suggérés dans la revue de littérature 37

Tableau n°6 : Variable 1- Le contexte 123

Tableau n°7 : Variable 2- La structure 127

Tableau n°8 : Variable 3 - La culture 129

Tableau n°9 : Variable 4 - Le leadership 132

Tableau n°10 : Variable 5 – Processus de mise en œuvre 134

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vii

Liste des figures

Figure n°1 : Typologies de transformation selon Van de Ven et Poole 7

Figure n°2 : Les types de transformation selon Rondeau 8

Figure n°3 : Modèle Hafsi-Fabi du changement stratégique 10

Figure n°4 : Mise en œuvre de la transformation selon Kotter / Lewin 13

Figure n°5 : Le mode des phases de préoccupations selon Bareil 14

Figure n°6 : Le rôle de la direction en période de transformation selon Rondeau

et Bareil

23

Figure n°7 : Cadre conceptuel 39

Figure n°8 : La démarche de réalisation d’une étude de cas selon Gagnon 54

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viii

Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent à mes parents, et ce pour leur

détermination à faire de l’instruction une priorité dans l’éducation qu’ils nous

ont inculquée. Je remercie également mes frères et sœurs, pour leur soutien.

Je tiens à remercier Taïeb Hafsi. Plus qu’un directeur, il a été un père inspirant.

En frappant à sa porte, sans même le connaître, il m’a ouvert un chemin. Les

mots me manquent pour lui témoigner ma reconnaissance comme ils peuvent

manquer lorsque l’écoute constitue une bien meilleure vertu. Je suis également

reconnaissant de l’implication des membres du jury, Céline Bareil (HEC

Montréal) et Luc Bernier (ENAP). Leurs remarques m’ont permis de poursuivre

mes apprentissages. Durant mes rédactions de ce mémoire, j’ai bénéficié d’un

espace à la Chaire d’entrepreneuriat Rogers-J.A.-Bombardier. Je suis

reconnaissant des privilèges dont j’ai pu bénéficier en travaillant sous la

direction de son titulaire, Louis-Jacques Filion.

Merci à celles et ceux qui, dans le monde professionnel, ont consacré du temps

et de l’intérêt pour ce mémoire, passant souvent plusieurs heures à répondre à

mes questions. Merci à Jean-Paul Bailly pour sa confiance.

J’aimerais ensuite remercier celles et ceux qui ont contribué à l’amélioration du

mémoire par leur relecture. Mes premiers remerciements vont à mon meilleur

ami, mon frère, Karim El Yousfi pour sa générosité et qui doit certainement être

un spécialiste en management.

Je tiens surtout à remercier toutes celles et ceux qui, durant ces mois

d’enfermement ont dû supporter mon humeur changeante, mon manque de

disponibilité, allant parfois jusqu’à refuser tout contact avec ceux qui comptent

le plus à mes yeux pour ne pas m’éloigner de cette priorité. J’espère qu’ils

auront compris que j’étais complètement déconnecté de la réalité, de la vie, la

vraie.

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Introduction

« Il faut que tout change pour que rien ne change. On ne peut rester fidèle à soi-

même qu’en changeant ». Ces quelques mots expriment le cœur de la

philosophie de management de Jean-Paul Bailly, l’actuel PDG du Groupe La

Poste. Ce dernier s’est forgé cette réflexion au fil des transformations qu’il a

menées avec succès tout au long de sa carrière au sein de deux organisations

publiques majeures en France.

Comme le laisse entrevoir notre propos, nous traiterons dans ce mémoire de la

question des transformations organisationnelles dans le secteur public. Si ce

phénomène, lié plus globalement à la thématique du changement, constitue l’un

des sujets de gestion les plus étudiées en recherche, à l’inverse du côté des

praticiens, les résultats sembleraient quelque peu mitigés (Rondeau, 2008).

Certains chercheurs tels que Bareil (2008) sont plus précis quant à cette

évaluation et parlent même d’un taux d’échec avoisinant les 50% dans l’atteinte

des objectifs fixés au départ.

Dans un numéro de la revue Téléscope1, consacré à la thématique de la gestion

stratégique dans les organisations publiques, Louis Côté (2008 : 3), explique

que les organisations publiques éprouveraient davantage de difficulté à se

transformer du fait de leurs spécificités tandis que les défis confiés aux

dirigeants requerraient un véritable « numéro d’équilibriste » :

« Dans un tel environnement public, de plus en plus complexe et

souvent opaque, on perçoit aisément le caractère critique des enjeux

de ces convulsions pour l’organisation mutante. Il lui faut en même

temps redessiner ses structures, convertir son habitus, mobiliser ses

personnels, sauvegarder sa culture et améliorer son efficacité et son

efficience ».

1 Revue de L’Observatoire de l’administration publique édité par l’École nationale d’administration publique du

Québec (ENAP)

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2

Par ailleurs, dans un article consacré au même sujet, Hafsi et Bernier (2007 :

489) affirment que malgré les difficultés liées au contexte particulier de ces

organisations d’État et à leur mode de fonctionnement, certains dirigeants

parviennent à jouer un rôle majeur dans le succès de ces transformations :

« The history of the public sector in North America abounds with

stories of remarkable entrepreneurs who devoted an incredible amount

of energy, and sometimes put their future, their positions, and their

well-being at risk to reform the public systems ».

Partant de l’idée que ces organisations connaissent un certain nombre de

difficultés à se transformer, du fait de leurs spécificités et que certains

dirigeants parviennent, par une approche particulière, à obtenir des résultats

positifs, nous nous poserons la question de recherche suivante :

Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui parviennent à transformer les

organisations publiques ?

Pour répondre à cette question, nous avons choisi de mener une étude

exploratoire sur une base approfondie, historique et longitudinale.

Notre approche se centrera sur le parcours d’un dirigeant, Jean-Paul Bailly, qui

s’est démarqué en France par la réussite récurrente de transformation dans le

secteur public. Le choix de notre objet de recherche s’est justifié d’une part par

le fait que les organisations étudiées sont en proie à une vague de

transformations et d’autre part que le recul sur les actions menées par le

dirigeant permettent de faire ressortir les caractéristiques à l’origine de ces

succès.

Pour aborder ce phénomène, nous recueillerons son récit et nous intéresserons

au point de vue de 10 intervenants-témoins qui ont vécu ces situations de

transformation.

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Ainsi, l’objectif de cette exploration sera de dégager les spécificités des

organisations publiques pour mieux comprendre les caractéristiques liées à

l’action du dirigeant.

Pour circonscrire notre champ d’investigation, nous avons orienté les lectures

recensées au premier chapitre, consacrées à la revue de littérature, sur base de

trois thèmes :

- La transformation des systèmes organisationnels complexes

- Le rôle du dirigeant en période de transformation

- La transformation organisationnelle dans le secteur public

Cette revue de littérature nous a permis d’apporter un premier éclairage à notre

question de recherche et d’identifier des modèles pour constituer un cadre

conceptuel. En effet, dans le cadre conceptuel, nous utiliserons les variables de

deux modèles de référence en gestion du changement stratégique

d’organisations complexes :

- Modèle Hafsi-Fabi sur la capacité du changement stratégique

o Variables : Contexte, Structure, Culture, Leadership

- Modèle Rondeau-Bareil sur les 3 enjeux dans la mise en œuvre d’un

changement majeur

o Variables : Légitimation, Réalisation, Appropriation

L’utilisation de ces variables, d’une part sur les aspects stratégiques (contexte)

et d’autre part sur les aspects opérationnels (mise en œuvre) permettra une

analyse plus rigoureuse et mieux ciblée des résultats de notre recherche.

Nous avons choisi de présenter les résultats de notre exploration sous la forme

d’une étude de cas. À cet effet, nous retracerons le parcours personnel et

professionnel du dirigeant sur base des données recueillies auprès de notre

échantillon de convenance et de données secondaires (documents internes,

presse économique, rapports officiels d’institutions de l’État…).

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L’analyse du cas sur base des variables retenues et des éléments traités dans la

revue de littérature, nous permettront finalement d’émettre des propositions

exposant les caractéristiques de dirigeants qui réussissent à transformer des

organisations dans le secteur public.

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Chapitre 1 : Revue de littérature

La transformation des organisations publiques constitue la thématique

principale de ce mémoire. L’étymologie du verbe « transformer » renvoie au

latin « trans/formare » qui signifie donner une forme nouvelle, que ce soit à une

chose ou une personne. Le deuxième terme qui nous intéressera dans ce

chapitre, c’est celui de « l’État » venant du latin « Stare » qui se traduit par être

debout, telle une statue. Ceci nous amène à évoquer quelques aspects du champ

sémantique environnant de ce deuxième terme. Nous pensons alors à la

permanence, à la constance, en somme à l’idée de stabilité. Deux mots qui, dans

leur étymologie s’opposent, l’un renvoyant au mouvement, l’autre parlant

d’immobilité.

Dans ce chapitre, consacré à la revue de la littérature, nous nous intéresserons

d’abord au champ de la recherche sur le thème de la transformation des

organisations complexes. Nous aborderons ensuite le rôle qu’occupent les

dirigeants durant ces phases de transformation. Nous verrons enfin que cette

volonté de transformation se confronte à un certain nombre d’enjeux

spécifiques au contexte des organisations publiques.

1.1. La transformation des systèmes organisationnels complexes

La revue de littérature en gestion de la transformation et des changements

organisationnels est à la fois très vaste et regroupe des réalités diverses

(Rondeau, 2008). En parcourant les ouvrages couvrant ce champ de la

recherche, une distinction claire apparaît toutefois entre les notions de «

changement » et de « transformation ». Bareil (2008) définit la transformation

comme un changement stratégique majeur, Rondeau (2008) rappelle que la

transformation induit une modification profonde de l’architecture de

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l’organisation. Mintzberg, Lampel et Ahlstrand (2002) abondent dans le même

sens en indiquant que contrairement au changement, la transformation

toucherait aux aspects liés tant à la stratégie qu’à la structure. Les deux notions,

de changement et de transformation, ne feraient donc pas référence à la même

ampleur.

Nous verrons plus précisément dans cette première partie ce que recouvre le

concept théorique de transformation et nous ferons ressortir ensuite quelques

études empiriques qui traitent de la mise en œuvre de la transformation en

situation de complexité.

1.1.1. La gestion stratégique d’une transformation en situation de

complexité

Dans une perspective volontariste, certains chercheurs tels qu’Andrews (1987)

prétendent que la transformation résulterait d'une volonté du gestionnaire.

D'autres chercheurs comme Meyer (1982) pensent au contraire que cette

transformation serait déterminée par des facteurs extérieurs non prévisibles,

dépassant les intentions planifiées par le gestionnaire. Certains chercheurs

stipulent que cette différence serait le fruit d’une confrontation entre les écoles

de pensée de la recherche en gestion, les uns axés sur l’action, les autres sur la

compréhension du phénomène (Miller, Greenwood et Hinings, 1999 ; Jacob,

Rondeau et Normandin, 2008).

En se basant sur les résultats d’études empiriques, Rondeau (2008) apporte une

nuance intéressante.Il précise que c’est justement la complexité inhérente à une

transformation qui ne permettrait pas aux dirigeants de procéder par une gestion

simple et planifiée. À ce propos, Séguin, Hafsi et Demers (2008) rappellent

qu’il n’existe pas de réelle recette définitive en situation de complexité, la règle

étant d’expérimenter et d’ajuster constamment dans des situations paradoxales

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sans recherche de solution définitive. Pichault (2008) insiste de son côté sur la

nécessité pour le dirigeant de disposer d’une compréhension fine de

l’environnement et des enjeux auxquels est confrontée l’organisation.

L’association des parties prenantes permettrait alors au dirigeant d’analyser

correctement cette complexité liée à la transformation selon ce même

chercheur.

Il existe plusieurs modèles pour identifier les typologies des transformations.

Nous étudierons plus précisément celui développé par Rondeau (2008) et celui

de Van de Ven et Poole (1995).

Figure n°1 : Typologies de transformation selon Van de Ven et Poole

(1995)

Van de Ven et Poole (1995) rappellent que le changement constitue l’un des

phénomènes les plus étudié en recherche alors qu’il représente aussi le

phénomène le plus difficile à étudier. Afin de clarifier quelque peu ce

phénomène, Van de Ven et Poole (1995) proposent une matrice sur base de

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deux axes. L’axe horizontal tient compte du facteur de prévisibilité tandis que

l’axe vertical mesure l’unité d’analyse de la transformation.

Dans le cas de l’axe horizontal, les chercheurs se demandent si cette

transformation est issue de l’action managériale, ils parlent alors de prescription

prévisible ; ou si cette transformation est le fruit d’un contexte

environnemental, ils décrivent alors cette transformation comme étant une

construction non-prévisible.

Dans le cas de l’axe vertical, les chercheurs se demandent si cette

transformation concerne une unité unique comme un groupe restreint de

l’organisation ou des unités multiples à savoir l’organisation dans sa globalité.

Pour chacune des typologies, les chercheurs proposent des modèles théoriques

plus précis, celle du cycle de vie et téléologique sur l’axe de prévisibilité ou

encore la théorie évolutionniste et dialectique sur l’axe de l’unité d’analyse.

Figure n°2 : les types de transformation selon Rondeau (1998)

Le phénomène de transformation renverrait donc des réalités multiples, ce que

ce modèle tente de mettre en avant. D’autres auteurs, tels que Nadler et

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Tushman, analysent par exemple les implications d’une transformation en

fonction de sa typologie (incrémental vs radical / réaction vs anticipation).

Offrant à la fois une compréhension sur la typologie des transformations et leur

mise en œuvre, le modèle de Rondeau (2008) s’appuie sur les recherches du

Centre d’études en transformation des organisations. Le chercheur propose de

classifier les transformations selon 4 types : le réaménagement, le

renouvellement, le réalignement et le redéploiement.

Le premier type de transformation, le réaménagement, vise à corriger une

déficience du business model par l’amélioration de la productivité. Pour

atteindre cet objectif, la transformation passera par un certain nombre

d’innovations managériales sur le plan de processus. Le second type de

transformation, le renouvellement, vise à corriger une déficience dans la

manière de rendre le service aux clients en favorisant l’implication du

personnel. Pour atteindre cet objectif, la transformation passera par une révision

des valeurs et de la culture organisationnelle. Le troisième type de

transformation, le réalignement, vise à corriger une dégradation de la

performance par la réduction des coûts. Pour atteindre cet objectif, la

transformation passera par un resserrement dans l’utilisation des ressources.

Finalement, le quatrième type de transformation, le redéploiement, vise à

corriger une offre de service non-pertinente par rapport à la demande des

clients. Pour atteindre cet objectif, la transformation passera par une révision de

l’offre de service.

À travers la revue de la littérature, nous remarquons que les écrits ne

s’intéressent pas uniquement à classifier le phénomène de transformation en

typologies. D’autres auteurs démontrent que pour gérer une transformation, il

ne s’agit pas simplement de comprendre ce phénomène. Ainsi, un courant de

pensée insiste sur la nécessité de s’attarder sur la capacité à changer.

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Hafsi et Fabi (1997) définissent la transformation comme étant le passage entre

un état vécu et un étant désiré. Cet état désiré proviendrait d’une prise de

conscience découlant d’un surcroit d’informations. Cette prise de conscience

génère alors deux cas de figures, un stress qui accroit le désir la transformation ;

une inertie qui accroit la résistance. Les chercheurs expriment la capacité d’une

organisation à changer comme un équilibre entre l’inertie et le stress.

Figure n°3 : Modèle Hafsi-Fabi du changement stratégique (1997)

Comme nous pouvons l’observer sur la figure, la capacité de changement

organisationnelle est influencée par 4 facteurs qui constituent la complexité : le

contexte, la structure, la culture et le leadership.

Dans un autre ouvrage consacré au même sujet, Hafsi et Demers (1997) arrivent

à la conclusion qu’en présence d’une forte ou faible capacité de changement,

l’organisation se transformera sur une base continue et évolutive dans le

premier cas ou seulement sur une base plus ponctuelle, liée à une rupture en

période de crise, dans le second cas.

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1.1.2. La gestion opérationnelle d’une transformation en situation de

complexité

Selon Bareil (2008), une transformation sur deux n’atteindrait pas les objectifs

fixés. Les raisons de ces échecs se trouvent dans la difficulté de prévoir l’avenir

au moment où les objectifs de la transformation sont planifiés selon Mintzberg

et Walters (1985). Ces chercheurs remettent dès lors en question la possibilité

de planifier et avancent que le phénomène de transformation serait contrait par

des phénomènes émergents qui remettraient en cause la mise en œuvre décidées

précédemment. Rondeau (2008) va plus loin en indiquant que la transformation,

à savoir une modification de l’orientation stratégique et des structures, ne

suffisent pas pour parvenir à l’atteinte des objectifs. L’exercice est bien plus

complexe car il se heurte aux phénomènes d’inertie organisationnelle et de

résistances à des niveaux individuels et/ou collectifs.

D’autres chercheurs, comme Anne Langley et Denis (2008), s’inscrivent dans

la même lignée et rappellent le caractère désintégratif, dynamique, endogène et

asymétrique du changement lors de sa mise en œuvre. Selon ces derniers, les

publications scientifiques tant prescriptives que didactiques négligent ces 4

dimensions, ce qui aurait des répercussions quant aux échecs lors de

l’implantation des changements majeurs. Prenant pour appui leurs études dans

le secteur des soins de santé, ces chercheurs expliquent que c’est le caractère

endogène du changement, soit le fait que le contenu du changement puisse être

à son tour transformé par le contexte même de l’organisation, qui importe dans

le secteur public. Un effort de compréhension de la nature du contexte

organisationnel propre au secteur public devrait constituer un préalable à la

mise en œuvre d’une transformation. Ce serait en effet le contexte et la culture

qui auraient un impact sur le processus d’implantation et expliquerait ces

échecs. Les auteurs citent l’exemple des relations de pouvoirs diffus dans le

secteur public.

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De façon plus explicite, Hafsi, Séguin et Toulouse (2000) soutiennent que ces

échecs sont le fait d’une négligence du facteur humain de la part des dirigeants

des entreprises qui, dans la mise en œuvre de transformations, ont tendance à se

centrer sur l’amélioration des performances. Or selon ces mêmes auteurs, la

réalisation d’une telle stratégie passe par l’adhésion et la participation active

des collaborateurs. Le facteur humain jouerait un rôle important dans le succès

ou l’échec d’une transformation. Ainsi, la corrélation entre les préoccupations

des destinataires d’un changement et les comportements de résistance au

changement a également été étudiée par d’autres chercheurs (Bareil et Savoie,

2003). Les résultats de ces études tendraient également à démontrer que la

résistance au changement, soit « le refus d’accepter un changement […] par des

comportements visant à entraver le changement, à y nuire ou à y faire

obstacle » constituerait l’une des principales causes d’échec d’une

transformation (Bareil, 2008).

La gestion du volet humain constitue donc l’un des facteurs majeurs à prendre

en considération lors d’une transformation. Afin de mieux répondre à cette

problématique, plusieurs chercheurs se sont penchés sur cette thématique de

recherche. Trois modèles, recouvrant des approches différentes, émergent dans

notre revue de littérature.

C’est avec Kurt Lewin, un acteur majeur et fondateur du courant de la

psychologie sociale, qui introduit les premières expériences fondamentales sur

la gestion des changements, jetant ainsi les bases d’un modèle basé sur une

approche cognitive et un processus temporel (Bareil et Savoie, 1999).

Il explique qu’un changement suit 3 étapes successives : la décristallisation, le

mouvement et la recristallisation. Durant la première étape, appelée aussi dégel,

il s’agit ici pour les gestionnaires de parvenir à surmonter les résistances à la

fois individuelles et/ou collectives en les réduisant. La deuxième étape, appelée

aussi étant transitoire, amène le gestionnaire à intensifier son action en faveur

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du changement pour permettre l’abandon du statu quo. Finalement, lors de la

troisième étape, appelée aussi regel, le gestionnaire termine cette boucle par

une stabilisation, une sorte d’équilibre entre le mouvement et le statu quo. En

quelque sorte, on peut rapprocher cette étape par celle du stress et de l’inertie

que nous évoquions dans le modèle Hafsi-Fabi ci-dessus. Bareil et Savoie

(2003) constatent, à travers les publications de la littérature scientifique et

professionnelle, que bien que général, ce modèle a été largement cité, utilisé et

repris, ce qui explique les variantes dans la dénomination des 3 phases

proposées initialement par Lewin.

Un autre modèle a été développé par Kotter (1995) et publié dans la très

prestigieuse Harvard Business Review, aborde le rôle des gestionnaires

stratégiques. C’est sur base d’une recherche empirique, centrée sur les

gestionnaires d’organisations réussissant et échouant la mise en œuvre de

changements que Kotter propose une modèle basé sur 8 étapes. Il est surtout

destiné aux dirigeants qui disposent, selon le chercheur, de la capacité à

développer une vision permettant ensuite la mise en œuvre des transformations.

Figure n°4 : Mise en perspective des modèles de Kotter / Lewin selon

Robbins et Judge (2006)

Selon Robbins et Judge (2006), le modèle dessiné par Kotter s’inspirerait de

celui proposé par Lewin tout en offrant une démarche plus détaillée

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14

Les deux premiers modèles semblent ne pas assez tenir compte de certains

facteurs liés à la complexité lors de la mise en œuvre d’une transformation. À

côté d’une première approche centrée sur les observateurs (Lewin), d’un second

adoptant la perspective des dirigeants stratégiques, une troisième approche

ressort dans la littérature, celle centrée sur les bénéficiaires d’un changement.

Ainsi, le modèle des phases de préoccupations, fondé sur une approche

cognitive-affective, tient en compte les préoccupations provoquées par la mise

en œuvre d’un changement. Selon Bareil (1998), cette théorie a été introduite

par Hall, George et Rutherford en 1986, développée et vérifiée empiriquement

par d’autres chercheurs. Les auteurs constatent en effet que les individus

touchés par un changement passent à travers différentes phases de

préoccupations débutant par l’absence de préoccupation et se terminant par une

volonté d’améliorer le changement.

Figure n°5 : Le mode des phases de préoccupations selon Bareil (2004)

Plus concrètement, ce modèle se compose des 7 étapes suivantes :

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15

- Phase 1 aucune préoccupation : les destinataires ne se sentent pas

concernés par le changement ;

- Phase 2 préoccupations centrées sur le destinataire : les destinataires

expriment des inquiétudes quant aux impacts du changement sur eux ;

- Phase 3 préoccupations centrées sur l’organisation : les inquiétudes des

destinataires se centrent ici sur la volonté et la capacité organisationnelle

à gérer, soutenir et implanter le changement ;

- Phase 4 Nature du changement : les destinataires expriment un intérêt

plus prononcé pour le changement et la manière dont il sera implanté ;

- Phase 5 Expérimentation : les inquiétudes des destinataires concernent

ici les moyens mis en œuvre pour leur permettre gérer le changement ;

- Phase 6 Collaboration : les inquiétudes se centrent davantage sur la

façon dont ce changement sera vécu avec les autres destinataires;

- Phase 7 Amélioration continue : les destinataires se soucient finalement

de l’amélioration du changement implanté.

La présentation de ce modèle de mise en œuvre d’une transformation nous

amène à refermer cette première partie. Nous constatons, à travers les différents

écrits recensés, que la pensée en gestion pourrait être regroupée entre des

courants, l’une déterministe stipulant que c’est l’environnement étant l’élément

contraignant, l’autre volontariste laissant davantage de place à la capacité du

gestionnaire à gérer la transformation. Une évolution plus récente tendrait à

associer ces deux courants en stipulant qu’au mieux, le dirigeant peut gérer les

capacités permettant la transformation. Les études empiriques relativisent

quelque peu l’ampleur de la recherche académique en constatant le taux

d’échec lié à la mise en œuvre des transformations. Des modèles proposés,

simple ou prescriptif ne constitueraient pas une réponse suffisante. Des modèles

contextuels, prenant en compte le facteur de complexité, mettent davantage

l’emphase sur la nécessité d’associer l’ensemble des parties prenantes en

période de transformation, en étant attentifs à leurs préoccupations respectives.

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16

Après avoir circonscrit le champ conceptuel lié au concept de transformation,

nous nous intéresserons, dans la partie suivante, au rôle des dirigeants.

1.2. Les caractéristiques du dirigeant en période de transformation

Les dirigeants occupent un rôle essentiel dans la transformation d’une

organisation selon les différentes lectures recensées. Cependant, les avis

divergent quant à la manière d’expliciter concrètement ce rôle.

Dans cette partie, nous nous intéresserons d’abord aux fondements théoriques

du leadership transformationnel. Ensuite, nous affinerons le sujet en abordant

d’un point de vue plus pratique le rôle du dirigeant dans la conduite d’une

transformation organisationnelle.

1.2.1. Le leadership transformationnel

La notion de leadership fait débat tant dans la construction théorique que

fournissent les chercheurs que dans son utilisation pratique dans les réalités

administratives auxquelles sont confrontées les organisations. Le terme

anglophone n’a pas d’équivalent dans la langue française, il est utilisé comme

anglicisme et fait référence au mot « leader » se traduisant par chef.

C’est Kurt Lewin (1939), qui introduit les premières expériences

fondamentales, sur le leadership. Entre temps, plusieurs chercheurs se sont

intéressés à définir ce concept, notamment Alexandre-Bailly et Bourgeois

(2009 : 228) :

« Le leadership est la capacité générale à entraîner les autres

derrières soi (regroupe l’influence morale et l’influence

affective ». Un leader est un dirigeant qui s’appuie en priorité

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17

sur son leadership »

En effet, le leadership, en tant qu’ « action de conférer une orientation à un

groupe par des moyens principalement non coercitifs » est la clé de l’avantage

concurrentiel selon John Kotter (1988 : 14). Le chercheur distingue clairement

le management, assurant l’ordre et la cohérence, du leadership qui permet aux

organisations de surmonter les obstacles et à se transformer pour s’adapter à

l’environnement.

En plus d’être l’un des premiers à intégrer la notion de vision dans sa définition

du leadership, Kotter conclut que les organisations qui réussissent sont celles

qui parviennent à attirer et à conserver ces leaders.

Tableau n°1 : Management versus Leadership selon Kotter (1988)

Management Leadership

Faire face à La complexité Le changement

Outils Planification, organisation, contrôle Direction, vision, communication

Approche Tactile Stratégique

Orientation Présent Futur

Cette distinction entre managers et leaders est essentielle selon Northouse

(2001). Le chercheur clarifie les deux notions en parlant de deux contextes

précis. Selon Northouse (2001 : 8), « le management cherche l’ordre et la

stabilité, le leadership consiste à chercher un mouvement adapté et constructif

à la société ». Le manager apporterait donc de l’ordre et une certaine logique

tandis que le leader amènerait davantage de changement et de mouvement dans

les organisations.

Selon Pascale (1991 : 65) : « Managers do things right, while leaders do the

right thing ». En suivant une voie tracée, les managers veillent à

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18

l’accomplissement des tâches et au respect des règles en reposant leur

philosophie de gestion sur le contrôle, ce qui procure de l’ordre et une certaine

stabilité. À contrario, les leaders écoutent davantage leur instinct et se laissent

guider par leurs émotions. Axés sur les personnes, ils définissent des objectifs

et des principes et basent leur philosophie de gestion sur l’influence, la

motivation et la confiance.

Plutôt que d’opposer les leaders et managers, Selznick (1957) apporte une

clarification en rappelant que les deux sont nécessaires à la transformation des

organisations. En effet, l’organisation en tant que système organique en

turbulence est touchée à la fois par les caractères sociaux des personnes et les

changements de son environnement. Par sa personnalité, son prestige et sa

crédibilité, le leader apporte alors du sens aux actions mises en œuvre tout en

rappelant et en préservant les valeurs qui font l’identité institutionnelle de

l’organisation. C’est alors que le leader s’appuie sur ses managers qui disposent

des connections internes « to make things happen ».

Enfin, Collins (2001) partage l’idée selon laquelle les organisations qui

réussissent sont celles qui se transforment à partir de ce qu’elles sont, en partant

de leurs ressources et de leur savoir-faire. Alors que Selznick parle de prestige,

Collins conçoit davantage le leader à la tête d’organisations qui réussissent

comme une personne humble mettant son ambition et sa persévérance au

service de l’organisation. Il ne cherche à tirer aucune gloire personnelle des

succès tandis qu’il n’hésite pas à se blâmer en cas d’échec. Si les leaders

deviennent une source d’inspiration pour leurs managers, les leaders misent

quant à eux sur leurs managers qu’ils voient comme des successeurs à qui ils

laissent suffisamment d’espace et auxquels ils prédisent un avenir encore plus

brillant.

Dans ce mémoire, nous nous intéresserons plus particulièrement aux théories

développées sur un type de leadership: le leadership transformationnel. En effet,

dans « Leadership », James MacGregor Burns (1978 : 2) débute son ouvrage

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par le constat suivant : « Leadership is one of the most observed and least

understood phenomena on Earth » Ce professeur en sciences politiques

s’intéresse dans cet ouvrage à des grands leaders de son époque : Kennedy,

Roosevelt et Wilson, dont il écrit les biographies officielles. Plutôt que de

s’attarder sur les traits de personnalité, il centre son approche sur les

interactions collaboratives et mutuellement bénéfiques que ces leaders

parviennent à nouer avec leur entourage dans l’atteinte des objectifs. Il

remarque alors chez ces dirigeants d’Etat un leadership particulier qu’il qualifie

de transformationnel.

Avant que la notion de leadership transformationnel soit largement reprise à

partir des années 1985, il faut retourner à l’Université de l’Ohio où le livre

politique du leadership de Burns retient l’attention de Bernard Bass. Ce

chercheur associe alors les théories de Burns sur les transformateurs de l’Etat à

celles développées en psychologie sur la dynamique des groupes en leadership

transactionnel (Miner, 2005).

Tableau n°2 : Caractéristiques du leader transformationnel selon Bass

(1990)

Charisma Provides vision and sense of mission, instills pride, gains respect and trust

Inspiration Communicates high expectations, uses symbols to focus efforts, and

expresses important purposes in simple ways.

Intellectual

Stimulation Promotes intelligence, rationality, and careful problem solving.

Individualized

Consideration Gives personal attention, treats each employee individually, coaches, advises.

Bass valide son modèle à plus grande échelle jusqu’à obtenir la première

théorie sur le leadership transformationnel dans Leadership and performance

beyond expectations, 1985. Ce modèle s’articule autour de 4 dimensions : le

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20

charisme, l’inspiration, la stimulation intellectuelle et la considération

individuelle (Bass, 1990).

Le leader transformationnel pose un regard neuf sur l’organisation qu’il

revitalise (Tichy et Ulrich, 1984). En traçant une vision sur l’avenir, il devient

une source d’inspiration positive pour ses collaborateurs (Bass, 1985 ; Burt et

Warren, 1985 ; Yukl, 2010). Le leader transformationnel encadre ses

collaborateurs de manière active dans l’accomplissement de leurs objectifs et

reste attentif à leurs préoccupations (Bass, 2008). La réussite de l’action du

leader transformationnel repose sur sa capacité à agir sur les perceptions de ses

collaborateurs, créant ainsi un climat propice au changement et à la réussite de

l’entreprise en termes de performance (Bass, 1999 ; House, Shamir et Arthur,

1993 ; Lowe, Kroeck et Sivasubramaniam, 1996). C’est une

institutionnalisation du changement que bâtit le leader transformationnel dans la

mobilisation des ressources humaines (Tichy et Ulrich, 1984).

Cette nouvelle façon d’aborder le leadership est reprise par de nombreux

psychologues de l’époque. Le leader transformationnel serait caractérisé par

l’expression d’une vision et de valeurs qui permettent de mobiliser les

collaborateurs (Warren et Burt, 1985). Ce leader met systématiquement les

intérêts de l’entreprise qu’il sert devant ses intérêts personnels (Kouzes et

Posner, 1987). Il pousse également ses collaborateurs à voir au-delà de leurs

propres intérêts, à l’inverse de ce que préconise le leader charismatique (Yukl,

1999, 2010). Contrairement au leadership charismatique, dont certains

chercheurs doutent qu’il puisse être appris, le leadership transformationnel peut

s’enseigner par des formations (Kuhnert et Lewis, 1987).

Si certains auteurs parlent de paradigme transformationnel eu égard à la grande

variété des recherches développées, d’autres lui prêtent en revanche quelques

faiblesses en matière d’éthique (Stone, Russell, Patterson, 2004). Bass et

Steidlmeier (1999) tenteront alors de faire évoluer la notion en leader

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transformationnel authentique, insistant sur le caractère moral dans la relation

aux autres et sur l’importance des valeurs éthiques dans la vision et le

processus.

L’approche transformationnelle du leadership qui s’affirme comme modèle

dominant à partir des années 1985 - soit au moment où l’économie américaine

est en quête de revitalisation (Tichy et Ulrich, 1984) - continue d’être

d’actualité. Les recherches émergentes mettent en avant un lien entre ce type de

leadership et l’intelligence émotionnelle (Harms et Crede, 2010).

1.2.2. Pilotage d’une transformation organisationnelle

Nous avons vu dans le point précédant que le leader transformationnel, se

caractérisait dans sa définition, par la mobilisation des acteurs. Nous allons à

présent nous intéresser au rôle qu’occupent plus concrètement ces leaders lors

de la mise en œuvre de transformation.

À la lumière des résultats de leurs recherches, Kanter (1981), Tushman et

Romanelli (1985) ou Nadler et Tushman (1989) soutiennent que c’est à travers

l’exercice de leur leadership que ces dirigeants parviennent à contrer l’inertie en

exprimant leur volonté de transformer l’organisation. Ils sont en quelque sorte

les instigateurs de la transformation.

Cette thèse est également émise par Kotter (1988) dans l’ouvrage « The

Leadership Factor », où l’auteur explique par ailleurs qu’au travers de leur

leadership, c’est surtout une vision claire, de nouvelles idées, une nouvelle

façon de penser qui est attendue de ces dirigeants. Diffuser cette vision nouvelle

au sein de l’organisation constituerait le point de départ de la transformation.

Cette approche considère donc la transformation comme un phénomène

largement imposé et se diffusant du haut vers le bas (Waldersse et Griffith,

2004).

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En s’appuyant sur ses recherches menées au Centre d'études en transformation

des organisations, CETO2, à HEC Montréal, Rondeau (1998) remarque qu’il

n’existe pas qu’un seul leader dans l’organisation et qu’au-delà de son statut –

directeur général ou cadre intermédiaire – il importe surtout que ce leader

incarne une vision au sens large, que celle-ci soit légitime et incontestée aux

yeux des différentes parties prenantes impliquées dans la mise en œuvre de la

transformation.

D’autres chercheurs, tels que Reitter (1991) ou Tichy et Ulrich (1984),

observent que dans la conduite d’une transformation, certains dirigeants se

caractériseraient en étant eux-mêmes des agents de la transformation. Au-delà

de l’aspect « visionnaire », ils réussissent la mise en œuvre de transformations

en assumant des responsabilités opérationnelles.

Dans un article sur le rôle de la direction dans la conduite de changements

majeurs, Rondeau et Bareil (2009) soulignent que l’un des rôles du dirigeant en

période de transformation est d’apporter le soutien nécessaire aux cadres

intermédiaires afin qu’ils parviennent à mettre en pratique cette vision. Selon

les auteurs, tout changement majeur passerait par 3 enjeux : la légitimité, la

réalisation et l’approbation. Ils décrivent pour chacun de ces enjeux les

implications pratiques du dirigeant vis-à-vis des cadres intermédiaires qui

représentent selon eux « la clé du processus de mise en œuvre » (Figure n°6).

L’article de Rondeau et Bareil (2009) apporte deux implications importantes.

D’une part, le changement ne soit pas uniquement le fait des dirigeants, mais

que les cadres peuvent en être des artisans et non plus de simples exécutants.

D’autre part, que le rôle du dirigeant consiste davantage à apporter le soutien

nécessaire aux cadres dans la mise en œuvre. Ils s’inscrivent à l’encontre d’une

2 Le Centre d'études en transformation des organisations a pour mission la progression, le

transfert et l’intégration des connaissances du champ de la transformation des organisations

complexes : http://web.hec.ca/ceto

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pensée qui décrirait le changement comme étant quelque chose d’imposé et qui

se diffuserait sans encombre.

Figure n°6 : Le rôle de la direction en période de transformation selon

Rondeau et Bareil (2009)

Les auteurs rappellent ici la nécessité d’un changement partagé et impliquant

les différents parties prenantes, ce qui suppose l’existence d’un certain climat

de confiance entre ces interlocuteurs.

Nous avons pu voir dans cette deuxième partie de ce chapitre que la littérature

sur le leadership transformationnel est abondante. Entre les modèles mettant

l’emphase sur l’importance de la mobilisation que permettent les leaders

transformationnels, d’autres modèles qui insistent sur la distinction entre

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24

gestion du changement et compréhension de la complexité, finalement les

modèles contemporains mettant davantage l’emphase sur la nécessaire

exemplarité de ces leaders. Nous observons également que le rôle du dirigeant

se heurte à différents enjeux lors de la conduite d’une transformation. Que la

transformation soit imposée ou participative, nous retiendrons qu’un des rôles

majeurs passe par le soutien des cadres intermédiaires, chargés de traduire en

action la nécessaire transformation.

Dès lors, cette partie riche en informations nous amène à nous concentrer plus

spécifiquement au contexte des organisations publiques en période de

transformation. Ce sera l'objet de notre troisième et dernière partie de ce

chapitre.

1.3. Les transformations organisationnelles dans le secteur

public

C’est dans une Italie divisée par les luttes internes que Nicolas Machiavel en

appelle en 1513 dans Il Principe à l’unité, usant du terme « Stato » pour

qualifier cette organisation politique.

Entre construction et déconstruction dans l’histoire, l’État continue aujourd’hui

d’exister à titre d’ « autorité souveraine qui exerce son pouvoir sur la

population habitant un territoire déterminé et qui, à cette fin, est dotée d’une

organisation permanente »3. Cette définition du point de vue institutionnel nous

renvoie à une organisation certes, mais une organisation particulière, différente

des autres par sa complexité.

Ainsi, dans cette troisième et dernière partie, nous nous arrêterons au contexte

dans lequel se situe ce mémoire, le secteur public. Nous verrons dans un

premier temps les caractéristiques et logiques qui ressortent dans les écrits

3 DENOIX DE SAINT, Renaud (2004). L'État, Paris, PUF Que Sais-je, p.3

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traitant des organisations publiques et tenterons d’en dégager les enjeux

essentiels dans le cas d’une transformation. Nous nous intéresserons finalement

aux dirigeants qui se sont distingués dans l’histoire comme étant au service de

la transformation de l’État.

1.3.1. Les enjeux organisationnels face à la transformation du

secteur public

L’État est un acteur incontournable de la vie économique et sociale en raison de

ses organisations publiques qui par leur taille, les services qu’elles offrent,

contribuent de manière importante dans les dépenses et à la création de richesse

nationale (OCDE, 2010).

Si l’État n’a pas toujours le monopole sur un marché donné pour l’exécution

des missions de service public, il en contrôle néanmoins le cadre juridique qu’il

fait évoluer. Les personnes qui se mettent alors au service de l’État créent,

organisent et gèrent dans le respect des règles établies (Santo et Verrier, 2007).

Certaines conventions internationales obligent même l’État à organiser certains

services d’ordre collectif. Dans notre cas, le service postal universel, qui définit

les prestations minimales de l’État, notamment en ce qui concerne par exemple

la levée du courrier à 5 jours par semaine, est définie par une directive

européenne4.

En France, où se situe le terrain de notre étude, il faut distinguer dans cette

organisation que l’on confère à l’État, d’abord les services de l’État central,

ensuite les collectivités territoriales et enfin les grands établissements

autonomes, cette dernière catégorie devant satisfaire les deux niveaux de l’État

au nom de la « libre administration » (Muller, 2008).

4 Directive 97/67/CE

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Par ailleurs, il faut également distinguer la notion de service public de celle

d’une organisation publique. En effet, le service public concerne les missions

relevant de l’intérêt général que l’État tente de satisfaire au nom d’un besoin

d’ordre collectif. Ces missions assurées sous le contrôle de l’État, par les fins de

l’intérêt général, peuvent être assumées tant par une organisation de droit public

que privé (Chevalier, 2008). Il faut donc bien évidemment distinguer

l’organisation de la gestion.

Au nom du service public, ces organisations doivent cependant veiller au

respect de 3 principes dits unificateurs de l’État qui dispose d’un pouvoir de

modification unilatéral en tant que garant de l’intérêt général. Il s’agit de

« l’universalité », qui fait référence notamment au droit d’accès de tous, « la

continuité » dans le cadre de la vie de la nation tout en respectant les

prérogatives liées au droit de grève et enfin « la mutabilité » qui concerne

l’adaptation des organisations publiques.

Si les deux premiers principes reposent sur des textes de lois, la mutabilité

comme l’adaptation du service public à l’évolution des besoins de ses usagers

et de son environnement tant économique que social, n’a en revanche pas de

portée juridique (Denoix de Saint, 2004). La question de cette transformation

est « laissée », sur base d’un principe d’autonomie accordé aux organisations

dans leur gestion.

Cette adaptation à l’environnement économique constitue un des nouveaux

défis auxquels ces organisations publiques doivent faire face. En effet si la

notion de service public remonte à la fin du 19e siècle, au nom du principe de

solidarité sociale, l’intervention de l’État dans des services de types marchands

a été remise en cause progressivement depuis quelques décennies, au nom du

principe de libéralisme économique (Metzger, 2000).

Malgré l’introduction de la concurrence, les organisations publiques restent tout

de même à l’abri des sanctions du marché en étant concessionnaire des

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missions de service public qui se caractérisent par des obligations en termes de

qualité, de prix et d’accès non discriminatoires, mais qui confère aussi certains

privilèges. À ce titre, l’État intervient en tant que source de financement et

exerce un certain contrôle en tant que régulateur, mettant certaines barrières à

l’entrée dans la création d’initiatives privées (Chevalier, 2008).

En continuant d’intervenir, l’État doit toutefois aussi faire face aux évolutions

et à la qualité des attentes de la part des citoyens tandis que les contraintes

budgétaires deviennent également plus rigoureuses (OCDE, 2010). Cette réalité

pousse les organisations publiques à devoir « trouver des solutions innovantes

pour accroître la productivité, maîtriser les coûts et mieux répondre aux attentes

de la population »5.

Lorsque nous nous intéresserons au fonctionnement des organisations

publiques, nous remarquons dans les écrits qu’il reposerait sur le principe de

bureaucratie. Selon Weber (1971), ce modèle tire son efficacité par une

domination rationnelle-légale où les règles sont déterminées rationnellement.

L’autorité exercée sur ses membres est ainsi légitimée par cette « forme sociale

fondée sur l’organisation rationnelle des moyens en fonction des fins »6.

L’idéal type wébérien suppose que les règles soient prédominantes et

impersonnelles, gommant au passage les identités des membres. L’autorité

repose quant à elle sur une organisation hiérarchique fonctionnelle,

contraignante et en cascade (Alexandre-Bailly et Bourgeois, 2009). Les

nominations aux fonctions se basent sur les compétences tandis qu’une

éventuelle promotion repose sur l’ancienneté. Les membres obéissent à leur

devoir et ne peuvent s’approprier leur fonction (Chevalier et Lochak, 1982).

La démarche de Weber s’inscrirait dans une perspective taylorienne où la

notion de performance administrative reposerait sur la volonté d’endiguer

5 OCDE (2010). La stratégie de l'OCDE pour l'innovation, Paris, OECD Publishing, p.174

6 WEBER, Max (1971). Économie et société, Paris, Plon, p.226

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l’incertitude amenée par le comportement humain au travail (Muller, 2008). Le

sociologue Pierre Muller (2008) précise par ailleurs que « c’est le caractère

impersonnel, déshumanisé et routinisé de la bureaucratie qui explique son

efficacité sociale au profit du gouvernant »7.

En sociologie des organisations, plusieurs chercheurs s’intéressent aux limites

du modèle wébérien, qu’il s’agisse de Merton (1965), Friedberg (1993) ou

Crozier (1971). Ainsi, après avoir étudié de près le secteur des postes dans

Petits fonctionnaires au travail en 1955, Michel Crozier aborde le modèle sur

lequel repose des organisations publiques en 1971 dans Le phénomène

bureaucratique, où il parle d’une crise d’un modèle qui ne s’auto-corrige pas en

fonction de ses erreurs.

En effet, le respect des règles sur lequel est basé la légitimité rationnelle-légale

peut aussi manquer d’efficacité à cause de son caractère rigide qui empêche ses

membres de prendre des initiatives. La gestion est évaluée sur base d’une

régularité juridique (Chevalier et Lochak, 1982), donc d’une conformité de

l’action au droit (Fringer et Ruchat, 1997). Cela crée selon Crozier une forme

de rigidité dans l’accomplissement du travail. Les membres protégés par la

sécurité de l’emploi, deviennent de simples exécutants isolés et soumis à la

centralité de la prise de décision.

Si ce type d’organisation amène une forme de stabilité, en s’auto-reproduisant

et en s’auto-entretenant, il entraîne aussi une forte inertie et se montre peu

sensible à l’innovation (Warwick, 1975). Or, cette rigidité et l’absence de

flexibilité pèsent lourdement en termes de coût (Thompson et Davidson, 1995).

Pour ainsi dire, les organisations publiques apparaissent selon Chevalier (2008 :

114) comme « ligotées par de multiples contraintes qui tendent à exclure toute

part d’improvisation, à interdire toute flexibilité et à réduire les facultés

d’adaptation ».

7 MULLER, Pierre (2008). Les politiques publiques, Paris, PUF Que Sais-je, p. 17-18

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L’État jouerait un rôle important dans cette situation de statu quo car il véhicule

une sorte de flou et une forme d’ambiguïté en voulant à la fois ramener et tenir

le gouvernail (Gibert, 2004). Il devrait, au contraire, se préoccuper du

gouvernail en favorisant l’action entrepreneuriale et l’innovation. Mais cela

demande en retour une certaine décentralisation et une forme d’autonomie des

organisations publiques, mettant un terme à ce flou et à cette ambiguïté

(Osborne et Gaebler, 1992).

En tenant compte de ces différentes observations sur le fonctionnement des

organisations publiques, les chercheurs de l’approche néo-institutionnaliste

nous rappellent que cette transformation ne peut être possible que par une

accumulation progressive, poursuivie dans le temps et qui s’inscrivent donc

dans la durée (Pierson, 2000).

Tableau n°3 : Cinq composantes caractérisant les organisations publiques

selon Santo et Verrier (2007)

Composante Caractéristique

1. Poursuite de finalités externes Décisions induites à partir de finalités

définies et imposées par la loi visant à

garantir l’intérêt général.

2. Absence de rentabilité capitalistique Interventions de service public non

assujetties à la rentabilité financière de

la valeur ajoutée au capital investi.

3. Missions assurées en concurrence

imparfaite

Activités non-régulées par le marché car

l’action administrative n’est pas soumise

aux données de l’environnement.

4. Systèmes complexes et cloisonnés Missions hétérogènes, taille importante,

organisation hiérarchique selon les

statuts de la fonction publique.

5. Soumission de l’action au politique Actions soumises au processus de

décisions et à l’agenda du pouvoir

politique dans un État de droit.

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30

Si nous établissons un certain nombre de regroupements par rapport aux écrits,

nous constatons donc que les organisations publiques doivent être étudiées à

partir de leurs propres caractéristiques selon les chercheurs du courant du

« Public administration » ou de « Public management » (Sindane, 2004).

En plus de structures de gestion concrètes, les organisations publiques

désignent aussi un champ d’activités sociales qui se caractérisent par une

logique propre (Chevalier, 2008). C’est à partir des composantes des

organisations publiques que Santo et Verrier (2007) proposent d’en définir les

caractéristiques spécifiques.

En nous basant sur les conclusions des auteurs sur les cinq composantes de la

logique de fonctionnement des organisations publiques (Santo et Verrier, 2007),

nous pouvons en tirer quelques premiers enjeux sur le développement d’une

stratégie de transformation dans le secteur public (Johnson et al., 2008) :

1. Stratégie d’entreprise ne poursuit pas un objectif de survie structurel par

la pérennité de ses missions ;

2. Stratégie financière est définie en termes d’allocation budgétaire et non

d’investissement productif ;

3. Stratégie concurrentielle vise au maintien d’une qualité de service et au

respect des contraintes budgétaires ;

4. Stratégie opérationnelle est compliquée par les mécanismes de

coordination8 ;

5. Planification stratégique est bousculée par le rythme des échéances

politiques et électorales.

Ainsi, une approche stratégique visant à la transformation des organisations

publiques amènerait une certaine contradiction de rationalité entre d’un côté

une volonté d’améliorer l’efficacité par l’innovation et de l’autre une tradition

8 Mécanisme de coordination d’après Mintzberg dans l’accomplissement des activités selon une

approche systémique des organisations.

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31

bureaucratique (Chevalier, 2008). Dans le fonctionnement concret, la recherche

de compromis entre les deux modèles ne peut être concevable sans difficultés

ou tensions (Grémion et Fraise, 1996).

À ce stade, nous pouvons donc constater que par leur construction et l’évolution

de l’histoire, les organisations publiques correspondent à des structures très

dissemblables et qu’elles assument des tâches très variées. Il apparait également

qu’il faille un effort particulier pour que l’effet de la logique bureaucratique soit

atténué dans le processus de transformation des organisations publiques. Ces

organisations hétérogènes déjà inféodées à l’État sont également soumises

depuis plus récemment à un environnement concurrentiel. Nous pouvons en

conclure que ces organisations se situent à une interface inconfortable.

Nous verrons dans le point suivant comment, malgré ces contraintes, certains

dirigeants publics ont réussi à mener des transformations importantes dans le

secteur public.

1.3.2. Les dirigeants publics au service de la transformation

Selon les théories de la bureaucratie (Weber, 1968), il ressort que le rôle des

dirigeants des organisations publiques serait plutôt limité. En effet, selon

Crozier (1971), le dirigeant d’une organisation publique ne pourrait pas

réellement prendre des initiatives à des fins de transformation. Le rôle du

dirigeant se définirait davantage par l’existence étant donné que cette volonté

de transformation doit venir de l’État, seul habileté à l’ordonner. Le

comportement routinier des dirigeants, respectant les règles établies,

constituerait même l’une des caractéristiques essentielles du fonctionnement

dans le secteur public selon Crozier (1955).

D’autres recherches empiriques se sont penchées sur le rôle qu’occupent

effectivement certains dirigeants d’entreprises publiques. Sardais (2008)

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s’intéresse au contexte plus particulier du secteur public en France où il étudie,

sur une période longitudinale de onze années, la présidence de Pierre

Lefaucheux à la Régie nationale Renault. L’entreprise à caractère industriel est

détenue par l’Etat durant cette période d’après-guerre. Nommé d’abord

administrateur par intérim des usines Renault réquisitionnées en 1944 ;

Lefaucheux devient ensuite le PDG lors de la nationalisation de l’entreprise

l’année suivante. De 1945 à 1955, ce dirigeant entreprend une série de

transformation, à la fois dans le domaine stratégique et social, qui feront de

Renault le premier constructeur d’automobile en France et l’un des leaders à

l’échelon européen.

Dans deux autres articles de revues scientifiques, Sardais (2005, 2008) souligne

d’une part les enjeux liés au secteur public encadrant à priori l’action du

dirigeant et d’autre part du rôle qu’occupe ce dernier. Le chercheur s’appuie sur

un exemple historique : « l’accord Renault de 1955 » qui améliore les

conditions des travailleurs, notamment à travers les 3 semaines de congés

annuels et le versement d’une prime récompensant la persévérance.

Pour tenter de comprendre « comment un dirigeant peut contribuer à

transformer une organisation » Sardais (2005), rappelle que dans le contexte

public, l’action du dirigeant est contrainte par le pouvoir public. En matière

social par exemple, la fixation des salaires constitue une compétence du

Ministère du Travail qui est le seul habileté à conclure des conventions

collectives. Le chercheur rappelle que malgré ces marges de manœuvre limitée,

l’entreprise publique, sous propriété de l’État, se doit d’être exemplaire sur le

plan social.

Ainsi, dans l’article « Un PDG persiste et signe face à son actionnaire public »,

Sardais (2008) démontre que lors d’une transformation, le dirigeant peut

parvenir à occuper un rôle plus important que celui qui lui serait assigné à

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priori. En effet, Lefaucheux sera l’initiateur d’un progrès social national par la

généralisation de son modèle, « une vitrine sociale » à d’autres entreprises.

Sardais (2005) relève toutefois un certain nombre de limites au rôle du

dirigeant. Il relativise l’action du dirigeant en rappelant que les conséquences de

cette transformation sont aussi à trouver dans un processus plus émergent que

délibéré, dépassant en quelque sorte ses intentions initiales. Le chercheur

soutient également que ce comportement trouverait son origine non plus

uniquement sur base d’une finalité à atteindre, mais que ce dirigeant a plutôt été

guidé par des valeurs, des convictions et des idéaux qu’il souhaitait promouvoir

au travers de son action.

Le rôle du dirigeant dépasse dès lors largement l’idée selon laquelle il ne serait

pas en mesurer d’initier des changements majeurs au sein de l’organisation

publique. C’est dans cette perspective que Hafsi et Bernier (2007) mettent en

avant l’existence de comportements entrepreneuriaux au sein d’organisations

publiques. À la différence d’autres individus, ces dirigeants jouent, d’après ces

chercheurs, un grand rôle dans des situations à succès en réinventant les façons

de faire au sein de l’organisation.

Hafsi et Bernier (2007) prennent pour appui des exemples de dirigeants du

secteur public qui se sont mis au service de la transformation en entreprenant,

tels que Mores, Ruckelshaus, Saulnier ou Marier, Bélanger et Gourdeau

(Tableau 4).

Selon les résultats de leur recherche, les deux auteurs proposent une typologie

au sein des dirigeants du secteur public qui transforment les organisations : les

entrepreneurs individuels d’une part et d’autre part les entrepreneurs

systémiques. Les premiers sont des créateurs qui lancent de nouvelles activités

ou organisations tandis que les seconds sont davantage en quête d’une

amélioration de la gestion bureaucratique.

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Tableau n°4 : Dirigeants publics transformateurs selon Hafsi/Bernier

(2007)

Dirigeants Caractéristique

Robert Moses

Urbaniste et concepteur de la rénovation

de New-York de 1930 à 1970. Il réussit

son œuvre par son influence sur les

décideurs politiques

William Ruckelshaus

Premier directeur de l’agence de

protection de l’environnement aux États-

Unis en 1970. Il fait de la protection

environnementale une réalité par ses

fonctions et sa participation au Rapport

Brundtland de l’ONU en 1987.

Lucien Saulnier Développement rayonnement de

Montréal : construction du métro /

organisation de l’expo 67

André Marier / Michel Bélanger / Éric

Gourdeau

Hauts fonctionnaires de l’État, acteurs

clés dans le projet de nationalisation des

11 compagnies privées chargées de la

distribution de l’électricité au Québec.

Gordon McGregor Fondateur d’Air Canada

Que pouvons-nous conclure ? Le dirigeant se caractérise-t-il par l’existence tel

que l’indique Crozier (1962) ou dispose-t-il de marges de manœuvres afin

d’entreprendre une transformation au sein des organisations publiques comme

l’affirme Sardais (2005, 2008) ? Les travaux de Hafsi, Bernier et Farashahi

(2007) apportent une nuance. Les chercheurs indiquent que c’est en période

d’urgence que l’État tendrait à relâcher le contrôle traditionnellement exercé

pour permettre à des dirigeants d’être à l’initiative de transformations et ce

jusqu’à l’atteinte des résultats, la bureaucratie reprenant alors le dessus.

Cette partie, qui referme notre revue de littérature, nous amène à constater que

les organisations publiques, par la présence à la barre de l’État ne peuvent être

définies comme n’importe quelle organisation. Ensuite, nous constatons que ces

organisations seraient construites, par leur logique de fonctionnement, de telle

manière qu’elles finissent par décourager les dirigeants d’entreprendre des

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transformations. Pourtant, contrairement à ce que décrivait le courant de pensée

de la bureaucratie, il existe des exemples de dirigeants du secteur public qui

parviennent à initier et mettre en œuvre des transformations importantes, à des

moments précis, c’est-à-dire lorsque l’État se trouve en difficulté.

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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

Ce deuxième chapitre aborde les aspects liés à la constitution du cadre

conceptuel de notre étude. Nous l’entamerons par une réflexion menée à partir

des indications tirées de la revue de littérature. Nous ciblerons ensuite la

problématique de notre recherche et exposerons notre question de recherche.

Enfin, nous constituerons un cadre conceptuel sur la base des modèles recensés

dans le premier chapitre et nous définirons précisément les variables retenues.

2.1. Réflexions et problématique de recherche

Dans le premier chapitre de ce mémoire, la revue de littérature s’est construite

autour de trois parties :

1) La transformation des systèmes organisationnels complexes : Gestion

stratégique et opérationnelle d’une transformation en situation de complexité ;

2) Les caractéristiques du dirigeant en période de transformation : Leadership et

pilotage d’une transformation organisationnelle ;

3) La transformation des organisations publiques : Enjeux organisationnels et

direction du changement dans le secteur public.

Le recensement des écrits nous permet de tirer un certain nombre

d’enseignement généraux sur le phénomène que nous étudions. En effet, la

revue de littérature suggère que :

- Primo : étant donné un certain nombre de spécificités liées au

fonctionnement des organisations publiques, la mise en œuvre d’une

transformation demanderait une approche particulière ;

- Secundo : certains éléments liés aux caractéristiques du dirigeant

sembleraient avoir des effets positifs sur le succès d’une transformation.

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Suite au recensement des écrits, nous pouvons également tirer certaines

informations qui nous permettent de compléter ces deux suggestions (Tableau

n°5).

Tableau n°5 : Éléments suggérés dans la revue de littérature

Barrières Barrières surmontables Caractéristiques dirigeant

- Normes de fonctionnement

bureaucratique : endiguer

l’incertitude liée au

comportement

humain (Caractère impersonnel

et déshumanisé, respect des

règles et non appropriation des

fonctions, avancement

ancienneté, sécurité d’emploi)

- Histoire et héritage :

attachement aux missions du

service public

- Structures et mécanismes

complexes et cloisonnés :

taille, niveaux, statut fonction

publique

- Incertitude liée au

contexte: flou sur

l’adaptabilité. Soumission

contrôle État >< Autonomie

gestion. État relâche le contrôle

en période de crise

- Analyse et compréhension

fine des facteurs déterminants

la capacité à changer

- Réorganisation des structures

- Association parties prenantes

/ prise en compte des

préoccupations : susciter

l’adhésion et implication dans

mise en œuvre changements

- Mise en œuvre dans la durée :

construction par

expérimentation plutôt qu’une

décision

- Nouveaux défis futurs : mise

en concurrence

- Leadership Transformationnel

(Burns)

- Crédible (Selznick)

- Exemplaire (Collins)

- Légitime (Rondeau)

- Initiatives (Sardais)

- Vision (Kotter)

- Entrepreneuriat

(Hafsi/Bernier)

» Déterminants transformation » Leviers transformation » Direction transformation

En effet, notre réflexion nous pousse à nous demander quelles sont ces

spécificités que nous évoquons lorsque nous parlons des organisations

publiques et surtout nous souhaitons savoir si ces spécificités liées au

fonctionnement constituent des barrières, en quelque sorte, les déterminants

d’une transformation. Nous pouvons alors poursuivre notre réflexion en

identifiant les barrières surmontables, celles qui constitueront en quelque sorte

les leviers stratégiques. Finalement, ce questionnement sur les spécificités

organisationnelles nous mènera à tenter de comprendre les caractéristiques des

dirigeants qui jouent un rôle dans la transformation des organisations publiques.

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38

Nos questionnements et suggestions tirés de la revue de littérature nous

amènent à formuler la question de recherche suivante :

Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui parviennent à transformer les

organisations publiques ?

Comme nous le mentionnions précédemment, la réponse à notre question de

recherche ne semble pas directement accessible. Dès lors, nous nous appuierons

sur deux questions complémentaires :

1) Quels sont les facteurs déterminants du changement stratégique dans le

cas d’une organisation publique ?

2) Quels sont les leviers d’action permettant la mise en œuvre du

changement stratégique dans le cas d’une organisation publique ?

Partant de ces interrogations, il s’agit à présent d’identifier, sur base de notre

revue de littérature, les modèles et dimensions qui nous serviront de balises

pour analyser les résultats de notre recherche. Ce sera l’objet du point suivant

consacré au cadre conceptuel.

2.2. Cadre conceptuel : modèles et dimensions retenues

Une étude attentive des modèles recensés dans la revue de littérature nous

permet d’identifier un certain nombre de modèles. Constatant que notre

question de recherche implique l’analyse de deux dimensions, nous remarquons

que l’utilisation d’un seul modèle ne pourrait suffir pour couvrir et délimiter

correctement les frontières de notre mémoire. Afin que notre cadre repose sur

des fondements théoriques, nous avons choisi d’arrêter notre choix sur base de

deux dimensions que nous analysons dans le cas d’une transformation en

situation de complexité :

- Dimension A : un modèle faisant référence aux aspects stratégiques ;

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- Dimension B : un modèle se rapportant aux aspects opérationnels.

Afin d’étudier les caractéristiques des dirigeants qui parviennent à transformer

des organisations publiques, nous avons retenu, pour la Dimension A, le

modèle Hafsi-Fabi (1997), repris dans la première partie de la revue de

littérature (Voir : 1.1.1 La gestion stratégique d’une transformation en situation

de complexité) et nous avons choisi pour la Dimension B, le modèle Bareil-

Rondeau (2009), également cité dans le premier chapitre (Voir : 1.2.2. Pilotage

d’une transformation organisationnelle).

Figure n°7 : Cadre conceptuel

DIMENSION A DIMENSION B

Diagnostic stratégique de

la transformation

Caractéristiques

du dirigeant

Mise en œuvre de la

transformation

Modèle stratégique

La capacité du

changement

stratégique

Modèle opérationnel

Enjeux du changement

selon les logiques de

l’action organisée

- Contexte

- Structure

- Culture

- Leadership

- Leviers d’action :

Légitimation

Réalisation

Appropriation

Comme nous l’observons dans cette figure, les deux dimensions permettent

d’apporter des éléments de réponses à nos deux questions complémentaires. Les

deux modèles retenus, via les 5 variables proposées, permettent de constituer

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une grille d’analyse en abordant à la fois les aspects stratégiques et

opérationnels d’un changement en situation de complexité. C’est à partir de ces

indications que nous parviendrons à apporter des réponses à notre question de

recherche.

2.3. Description des dimensions et variables

Avant d’expliquer chacune des dimensions et de définir les variables retenues,

nous allons d’abord préciser ce que nous entendons par « caractéristiques du

dirigeant » dans notre cadre conceptuel.

Selon la définition reprise dans Le Petit Larousse illustré (2011 :159), le terme

caractéristique est défini comme suit :

«Qui caractérise, qui est un des traits dominants. Ce qui constitue la

particularité, le caractère distinct de qqn ou qqch.»

Nous pouvons donc conclure que les deux dimensions nous serviront de balises

pour comprendre les particularités, les traits dominants, en somme ce qui

distingue les dirigeants qui parviennent à transformer avec succès des

organisations publiques.

2.3.1. Dimension A : Diagnostic de la capacité de changement stratégique

Maintenant que nous avons constitué notre cadre conceptuel, il s’agit de passer

en revue les différentes variables retenues. La dimension A, nous servira d’outil

pour diagnostiquer les aspects stratégiques et ce sur base du modèle de la

capacité à changer. La définition des variables provient de 3 textes :

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- L’ouvrage de HAFSI, Taïeb et Christiane DEMERS (1997) sur La

capacité de changement des organisations : la comprendre et la

mesurer

- L’ouvrage de HAFSI, Taïeb et Bruno FABI (1997) sur Les fondements

du changement stratégique

- L’article de HAFSI, Taïeb (1999) sur La capacité de changement

stratégique : vers un nouveau paradigme, publié dans la Revue

Internationale de Gestion (Vol. 24, p. 140-147)

Nous avons retenu les variables du modèle Hafsi-Fabi (1997) repris dans les

deux dernières publications, tandis que les précisions apportées par la réflexion

menée par Hafsi-Demers (1997) nous offriront une meilleure clarification. Nous

apporterons également certaines indications complémentaires sur base des écrits

recensés dans la revue de littérature.

2.3.1.1. Variable 1 : Contexte

La première variable que nous décrirons dans cette partie concerne le contexte.

En effet, contrairement aux variables liées à la structure, la culture ou au

leadership qui s’intéressent à des composantes internes de l’organisation et dont

nous ferons une description plus détaillée dans les parties suivantes, la variable

contextuelle retenue ici fait référence à l’environnement externe.

Hafsi et Demers (1997) expliquent qu’aux yeux des dirigeants, l’évolution de

l’environnement externe aurait un certain impact sur la performance

organisationnelle. Ces répercussions négatives constitueraient une raison

suffisante pour entamer un changement, dans le cas d’une variation dans

l’environnement ou d’une transformation, dans le cas d’une mutation.

La variable de contexte sera dès lors analysée en lien avec le besoin de

performance. Pour être plus précis, à la question « pourquoi se transformer »

que se posent ces chercheurs, nous pourrions répondre : c’est la perception

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42

d’une dégradation future de la performance ou dans le cas présent, la volonté

d’améliorer celle-ci qui poussera le dirigeant à entamer une transformation

permettant d’adapter l’organisation à l’évolution de son environnement.

La circonscription de la variable contextuelle nous amène à nous intéresser aux

facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude du

rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et Fabi

(1997), le rôle du dirigeant consisterait à :

- Évaluer la pertinence d’une transformation sur base de l’évolution de

l’environnement et de la performance

- Prendre la décision d’entreprendre une transformation

Notons dans le cas du secteur public que selon Hafsi et Fabi (1997), le contexte

réglementaire constituerait l’une des variables permettant d’accroitre le stress et

donc la probabilité de transformation au sein de l’organisation. Précision

également que selon ces auteurs, le contexte des organisations publiques serait

l’État et ses différentes composantes. Rappelons également que selon les

travaux de Hafsi, Bernier et Farashahi (2007), cités dans la revue de littérature,

l’État serait par design hostile au changement sauf dans le cas d’urgence tels

que des crises.

2.3.1.2. Variable 2 : Structure

La deuxième variable que nous décrirons dans cette partie concerne la structure.

En effet, nous nous intéressons à présent aux composantes internes de

l’organisation.

Hafsi et Demers (1997) expliquent qu’une des préoccupations majeures des

dirigeants concerne la modification des structures organisationnelles à des fins

de performance. Ces chercheurs définissent la structure de manière large

comme la configuration de l’organisation englobant à la fois l’architecture, les

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systèmes et les processus. La structure tendrait à favoriser ou à ralentir la

transformation de l’organisation.

La variable de structure sera dès lors analysée sur une base configurationnelle et

interactionnelle. Pour être plus précis, Hafsi et Demers (1997) indiquent, d’une

part que certaines structures seraient plus adaptées à certaines situations de

transformation et que d’autre part, certains groupes seraient moins favorables à

la transformation du fait de la modification d’accès aux ressources et de la

relation au pouvoir qu’entraine celle-ci.

La circonscription de la variable structurelle nous amène à nous intéresser aux

facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude du

rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et Fabi

(1997), le rôle du dirigeant consisterait à :

- Établir des structures fonctionnelles de coordination plus appropriées

- Établir des mécanismes d’allocations des ressources plus appropriés

Notons dans le cas du secteur public que, selon Hafsi et Fabi (1997), la

structure décentralisée favoriserait la transformation tandis que la structure

centralisée ne permettrait que des variations par l’entremise de changements

mineurs. Rappelons également que selon les travaux menés par Hafsi et Bernier

(2007), l’État serait centralisé et bureaucratique, ce qui ne favoriserait pas le

changement, sauf dans le cas de dirigeants publics qui parviennent à prendre

des initiatives, tel que nous l’avons vu dans les cas de Moses, Ruckelshaus,

Saulnier ou Marier, Bélanger et Gourdeau, cités précédemment.

2.3.1.3. Variable 3 : Culture

La troisième variable que nous décrirons dans cette partie concerne la culture.

En effet, nous nous intéressons cette fois-ci à une des composantes plus

profonde de l’organisation.

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Hafsi (1999) rappelle que si l’établissement de structures plus appropriées au

défi de transformation constitue un premier grand chantier du dirigeant, les

effets de ces modifications pourraient être limités lorsque celles-ci ne tiennent

pas suffisamment en compte le facteur culturel.

D’après Hafsi et Demers (1997), la variable de culture sera dès lors analysée à

partir de l’histoire, des valeurs, des croyances et des pratiques partagées qui

constituent le sentiment d’appartenance et permettent la cohésion des membres

de l’organisation. Nous pourrions déduire qu’une transformation n’a de sens

que si cette action est rapportée à la nature de l’organisation et de ses membres.

Ces chercheurs ajoutent qu’une transformation remettant en question les

fondements culturels de l’organisation s’exposerait à la manifestation de

résistances de la part de ses membres, ce qui diminuerait sa capacité de

changement.

La circonscription de la variable culturelle nous amène à nous intéresser aux

facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude du

rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et Fabi

(1997), le rôle du dirigeant consisterait à :

- Être attentif à l’histoire et aux valeurs fondamentales de l’organisation

- Être attentif aux normes ancrées et partagées par la majorité des groupes

Notons dans le cas du secteur public que, selon Hafsi et Fabi (1997), une

culture forte constituerait l’une des variables permettant d’accroitre l’inertie et

donc la probabilité à l’encontre d’une transformation au sein de l’organisation.

2.3.1.4. Variable 4 : Leadership

La quatrième variable que nous décrirons dans cette partie concerne le

leadership. En effet, nous nous intéressons maintenant aux propres

caractéristiques des dirigeants qui pilotent le changement, qu’il s’agisse de la

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haute direction, des cadres intermédiaires ou des gestionnaires du changement.

Si les chercheurs définissent le leadership, au moment de l’analyse, nous

porterons une attention plus particulière aux éléments liés au leadership

transformationnel, tel que développé dans la revue de littérature.

Hafsi et Demers (1997) expliquent que ces dirigeants jouent un rôle majeur en

terme d’impact dans la transformation d’une organisation et ce grâce à leur

influence sur les variables internes mentionnées précédemment, à savoir la

culture et la structure.

La variable du leadership sera dès lors analysée à partir de deux types de

caractéristiques du dirigeant d’après Hafsi et Fabi (1997). La première

caractéristique regroupe des critères démographiques tels que l’âge, les

origines, l’éducation, la connaissance de l’environnement ou l’expérience. La

deuxième caractéristique fait référence au leadership transformationnel de

l’équipe de direction et donc à des aspects psychologiques, tels que le besoin de

contrôle, d’accomplissement, la philosophie, le style ou l’attitude.

La circonscription de la variable du leadership nous amène à nous intéresser

aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude

du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Hafsi et

Fabi (1997), le rôle du dirigeant lui-même serait à considérer selon des :

- Caractéristiques démographiques, tels que le degré de connaissance et

d’expérience avec des changements dans l’environnement

- Caractéristiques psychologiques, tels le style/la philosophie/l’attitude

vis-à-vis du changement et le style de leadership transformationnel

Notons dans le cas du secteur public que, selon Hafsi et Fabi (1997), un

leadership crédible s’appuyant sur un engagement et une expertise en

changement constituerait l’une des variables permettant d’accroitre le stress et

donc la probabilité de transformation au sein de l’organisation. Rappelons que

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46

selon les écrits de notre revue de littérature, le leader transformationnel – soit le

dirigeant qui s’appuie sur son leadership pour parvenir à mobiliser les acteurs -

serait effectivement un facteur dynamique. Dans le cas du secteur public

Sardais (2005, 2009) rappelle que le dirigeant qui parvient à transformer une

organisation publique parvient à agir sur les variables mentionnées

précédemment. Précisons toutefois qu’avant la mise en œuvre d’une

transformation, Langley et Denis (2008) insistent, dans le cas du secteur public,

sur la nécessité de compréhension entourant le contexte et la culture.

2.3.2. Dimension B : Leviers d’action pour la mise en œuvre d’une

transformation

Nous allons à présent passer en revue les différentes variables retenues dans la

dimension B qui nous servira d’outil pour analyser les aspects opérationnels et

ce sur base du modèle des enjeux liés à la conduite d’un changement majeur. La

définition des variables provient de 2 textes :

- Le modèle a d’abord été cité dans l’article de RONDEAU, Alain (2008)

sur L’évolution de la pensée en gestion du changement : leçons pour la

mise en œuvre de changements complexes, publié dans la revue

Téléscope (Vol. 14, p. 1-13)

- Puis développé dans l’article de BAREIL, Céline et RONDEAU, Alain

(2009) intitulé Comment la direction peut-elle soutenir ses cadres dans

la conduite d’un changement majeur ?, publié dans la Revue

Internationale de Gestion (Vol. 34, p. 64-69)

Nous avons retenu les variables du modèle Bareil-Rondeau (2009) repris dans

la deuxième publication, tandis que les précisions apportées par la réflexion

menée par Rondeau (2008) nous offriront une meilleure clarification. Nous

apporterons également certaines indications complémentaires sur base des écrits

recensés dans la revue de littérature.

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47

Mentionnons également que pour des raisons liées aux données recueillies

(contenu de l’étude de cas sur la façon dont le dirigeant a mis en œuvre la

transformation), nous avons choisi de rassembler les 3 enjeux de légitimation,

réalisation et appropriation sous la variable « Leviers d’action ».

Selon la définition reprise dans Le Petit Larousse illustré (2011 : 585), le terme

« levier » est défini comme suit :

« Moyen d’action qui sert à surmonter une résistance.»

2.3.2.1. Variable 5 : Leviers d’action – Légitimation

La cinquième variable que nous décrirons dans cette partie sur les leviers

d’action concerne la légitimation. En effet, selon la définition de Rondeau et

Bareil (2009), il s’agirait d’inculquer au sein de l’organisation un sentiment

constituant une réponse aux nouvelles exigences ou aux difficultés auxquelles

cette dernière est confrontée.

Rondeau (2008) explique que durant la mise en œuvre d’une transformation, les

cadres vivent avec une certaine incertitude liée à l’inconnu que génère un

changement alors qu’ils peuvent être perçus comme de simples exécutants d’un

changement imposé par la direction.

La variable de légitimation du changement sera dès lors analysée sous l’angle

de la relation entre les dirigeants et les cadres d’après Rondeau et Bareil (2009).

Le dirigeant aiderait ainsi les cadres en établissant avec ces derniers un dialogue

soutenu d’une part et d’autre part en l’aidant à composer avec les déséquilibres

et en protégeant leur intégrité.

La circonscription de la variable de légitimation nous amène à nous intéresser

aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude

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du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Rondeau et

Bareil (2009), le rôle du dirigeant consisterait à :

- Développer une vision partagée sur la nécessité de la transformation

- Impliquer les cadres en tant que parrains légitimes dans cet engagement.

Rappelons que comme l’indique les flèches dans notre cadre conceptuel, les

« leviers d’action », lors de la mise en œuvre d’une transformation, entrent en

interaction avec les variables mentionnés précédemment. L’appropriation, soit

le développement d’une vision partagée serait à mettre en perspective avec le

diagnostic stratégique.

2.3.2.2. Variable 6 : Leviers d’action – Réalisation

La sixième variable que nous décrirons dans cette partie sur les leviers d’action

concerne la réalisation. En effet, selon la définition de Rondeau et Bareil

(2009), il s’agirait de déployer des configurations d’actions et des pratiques

nouvelles permettant l’incarnation de la transformation dans l’organisation.

Rondeau (2008) explique que lors d’une transformation, les cadres font face à

des attentes contradictoires qu’ils doivent parvenir à gérer. La réussite de la

mise en œuvre d’un changement dépend en grande partie des cadres qui doivent

le faire de façon appropriée. Les chercheurs concluent que l’étape de réalisation

constitue celle où les rapports entre dirigeants et les cadres devraient être

soutenus.

La variable de réalisation sera dès lors analysée sous l’angle de la relation entre

les dirigeants et les cadres d’après Rondeau et Bareil (2009). Le dirigeant

aiderait ainsi les cadres en favorisant la visualisation du changement, en

amenant les cadres à intégrer un mode de fonctionnement par gestion de projet

et en utilisant la mise en œuvre du changement pour le développement de

capacités nouvelles.

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49

La circonscription de la variable de réalisation nous amène à nous intéresser

aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude

du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Rondeau et

Bareil (2009), le rôle du dirigeant consisterait à :

- Constituer une structure de pilotage crédible

- Mettre à disposition des cadres les ressources et compétences adéquates

Rappelons que comme l’indiquent les flèches dans notre cadre conceptuel, les

« leviers d’action », lors de la mise en œuvre d’une transformation, entrent en

interaction avec les variables mentionnées précédemment. La réalisation, soit la

constitution d’une structure de pilotage crédible serait à mettre en perspective

avec le diagnostic stratégique.

2.3.2.3. Variable : Leviers d’action – Appropriation

La septième variable que nous décrirons dans cette partie sur les leviers

d’actions concerne l’appropriation. En effet, selon la définition de Rondeau et

Bareil (2009), il s’agirait d’amener les destinataires touchés par la

transformation à adopter les nouvelles pratiques de telle sorte que celles-ci

constituent désormais la façon de fonctionner.

Rondeau (2008) explique que les cadres qui sont perçus comme étant crédibles

aux yeux des destinataires dans la mise en œuvre du changement susciteront de

la confiance et parviendront, par l’exercice de leur leadership, à les mobiliser.

Les dirigeants devraient donc être attentifs à outiller les cadres afin que ces

derniers deviennent à leur manière des artisans de la transformation.

La variable d’appropriation sera dès lors analysée sous l’angle de la relation

entre les dirigeants et les cadres d’après Rondeau et Bareil (2009). Le dirigeant

aiderait ainsi les cadres en amenant ces derniers à exercer leur leadership ; à

accompagner les destinataires du changement dans la modification des

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50

comportements ; à considérer ces changements comme des situations

d’apprentissage et à aborder ces changements dans une perspective

d’amélioration continue.

La circonscription de la variable d’appropriation nous amène à nous intéresser

aux facteurs qui vont nous permettre de mieux cibler notre analyse dans l’étude

du rôle d’un dirigeant dans le cas d’une transformation. Ainsi, selon Rondeau et

Bareil (2009), le rôle du dirigeant consisterait à :

- Susciter un intérêt à changer en créant des conditions incitatives

- Amener les cadres à voir le changement comme un apprentissage par

expérimentation et une progression par mesure/amélioration du résultat

Rappelons que comme l’indique les flèches dans notre cadre conceptuel, les

« leviers d’action », lors de la mise en œuvre d’une transformation, entrent en

interaction avec les variables mentionnées précédemment. L’appropriation, soit

l’incitation à changer par des conditions incitatives serait à mettre en perspective

avec le diagnostic stratégique.

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51

Chapitre 3 : Méthodologie

Tel un fil conducteur, la méthodologie permet au chercheur de progresser par

étapes dans la réalisation de son étude scientifique (Quivy et Van

Campenhoudt, 2006). Nous nous intéresserons dans cette partie aux enjeux

méthodologiques rencontrés, qu’il s’agisse de la méthode de recherche ; la

technique d’échantillonnage ; la collecte de données ; l’analyse des données ;

les limites de la méthode choisie et nous terminerons par les aspects éthiques.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous tenons à rappeler que les choix opérés

dans notre démarche méthodologique s’inscrivent dans le cadre de la réalisation

d’un mémoire de maîtrise. Les aspects de logistique et temporel doivent donc

être pris en considération comme éléments contraignants.

3.1. Méthode de recherche

La présent mémoire s’intéresse aux caractéristiques des dirigeants dans la

transformation des organisations publiques. Tel qu’exprimé dans la revue de

littérature et dans le cadre conceptuel, la transformation des organisations

constitue un sujet très étudié mais peu d’exemples s’intéressent en profondeur

aux entreprises publiques en transformation et aux caractéristiques des

dirigeants qui parviennent à les transformer avec succès dans le secteur public.

C’est la raison pour laquelle l’objectif de ce mémoire consiste à mener une

étude exploratoire sur base du cas d’un dirigeant qui réussit à transformer des

organisations publiques.

Dans ce contexte précis, Taïeb Hafsi, professeur titulaire et directeur de ce

mémoire, a identifié Jean-Paul Bailly, président-directeur général du Groupe La

Poste, comme répondant aux critères mentionnés. Ce dirigeant a consacré sa

carrière au service de la transformation de deux organisations publiques

majeures au sein des institutions publiques françaises.

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52

Le choix de terrain s’est également porté sur ce dirigeant pour les raisons

suivantes :

- Réussite de transformation de manière récurrente ;

- Occupation de 5 mandats de direction générale d’organisations

publiques sur une longue période, s’échelonnant entre 1994 à 2011 ;

- Maturation et développement d’une philosophie de management sur

base des expériences de transformation au fil de sa carrière ;

- Disponibilité, volonté de collaboration et ouverture à la recherche ;

- Accès privilégié à différentes ressources, à la fois en termes de

répondant-témoin que de données internes ;

- Respect des principes éthiques en matière de recherche.

Le but premier de notre étude de terrain consiste à comprendre comment ce

dirigeant a réussi à transformer ces organisations, et ce, malgré les difficultés

liées aux caractéristiques et aux logiques de fonctionnement du secteur public.

Dès lors, pour mener cette exploration, notre recherche de terrain se base dans

un premier temps sur son récit.

Un second objectif a été poursuivi lors de l’étude sur le terrain. Il s’agissait en

effet de parvenir à valider le récit fourni par ce dirigeant en consultant des

intervenants extérieurs. De par leur expertise et leur implication lors des

transformations, ces intervenants constitueront en quelque sorte un groupe-

témoin qui nous aidera à faire ressortir les raisons à l’origine de ce succès.

Finalement, un troisième objectif consiste à recenser l’ensemble des données

secondaires à des fins de validation et de contextualisation des récits. Le

caractère public de ces organisations facilite l’accès à ces données. En effet, les

actions menées par les dirigeants d’organisations publiques sont recensées dans

les annales parlementaires (auditions des dirigeants), les rapports

d’établissements chargés de la régulation des comptes publics (cour des

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53

comptes), les documents internes (rapports annuels) ainsi que la presse

économique.

Pour atteindre les objectifs de ce mémoire, la méthode de recherche retenue est

celle de l’étude de cas. Nous poursuivrons à cette fin une recherche de type

qualitative, basée sur des entretiens individuels.

Ce choix méthodologique se justifie par le caractère inductif qu’offre l’étude de

cas. En effet, cette méthode de recherche répond mieux aux objectifs

exploratoires de notre mémoire. Selon Wacheux (1996 : 89), nous pouvons

définir la méthode de l’étude de cas comme :

« une analyse spatiale et temporelle d’un phénomène complexe

par les conditions, les événements, les acteurs et leurs

implications ».

L’étude de cas se justifie également car elle permet d’accéder à une

compréhension profonde des phénomènes auxquels le chercheur s’intéresse.

Cette profondeur fait référence aux particularités d’un phénomène individuel ou

organisationnel complexe que l’on chercherait à décrire et/ou à l’expliquer

(Denzine et Lincoln, 2005). L’étude de cas, en tant que méthode de recherche,

respecte une démarche rigoureuse, condition sine qua non de la validité

scientifique des résultats.

L’étude de ce phénomène singulier, le cas d’un dirigeant qui réussit à

transformer de manière récurrente des organisations publiques, nous amène de

facto à circonscrire notre champ d’analyse. Nous avons choisi trois critères.

Le premier fait référence à la période de temps prise en compte. Étant donné

qu’un dirigeant ne peut être compris sans que nous ne nous intéressions à son

parcours personnel, nous débuterons cette période au moment de sa naissance

(1946). Nous avons choisi de limiter le temps de travail de terrain au 14 avril

2011, date de publication du décret ministériel renouvelant le mandat de Jean-

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54

Paul Bailly à la tête du Groupe La Poste pour un troisième mandat d’une durée

de 5 années.

Figure n°8 : La démarche de réalisation d’une étude de cas selon Gagnon

Source : GAGNON, 2005, p. XIV.

Le deuxième élément de limitation de l’objet de l’étude concerne la zone

géographique que nous considérerons. Si le dirigeant que nous étudions a

effectué des passages aux États-Unis et au Mexique dans sa phase

d’apprentissage, notre travail de terrain se centrera surtout sur la France où se

déroule le phénomène que nous étudions.

Le troisième champ délimite plus précisément les organisations et les acteurs

auxquels nous nous intéresserons. L’accent sera donc mis sur deux

organisations publiques : d’abord, La RATP, Régie Autonome des Transports

Publics, l’opérateur public des transports en commun à Paris ; ensuite le Groupe

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55

La Poste, le principal opérateur français chargé de distribuer le courrier. Nous

constituerons donc un échantillon de convenance en sélectionnant des

intervenants liés à ces deux situations. Nous détaillerons davantage cet aspect

dans la partie suivante.

3.2. Technique d’échantillonnage

Pour choisir les personnes à interviewer, plutôt que d’étudier la totalité de la

population susceptible de nous donner des informations sur les entreprises en

question et sur JPB, ce qui serait impossible, ou d’étudier un échantillon

représentatif de la population, dont les critères seraient partiels et arbitraires à

notre stade de recherche, nous avons choisi d’interroger les personnes selon un

échantillon de convenance, non strictement représentatives mais néanmoins

connaissant suffisamment les différents aspects de la vie et du travail de JPB.

Deux variables, cités par Quiry et Van Campenhoudt (2006), ont été prises en

considération pour déterminer cet échantillon de convenance.

- Le premier critère de sélection des personnes interviewées correspond à la

diversité suffisante des personnes concernées en regard de l’étude de JPB et des

transformations entreprises.

- Le deuxième critère de sélection concerne la taille de notre échantillon qui a été

fixé sur base du critère de saturation, lorsque le rendement marginal pour

chaque étude supplémentaire décroît malgré la diversité des profils.

Afin de cibler les répondants potentiels pour la deuxième phase d’entretiens, 4

conditions discriminantes ont été établies pour constituer notre échantillon

d’intervenants-témoins : Avoir occupé des fonctions à la RATP-La Poste /

Avoir été un représentant de l’État / Avoir été un représentant syndical / Faire

partie de l’entourage. Certains intervenants répondent à plusieurs catégories.

Dirigeant La Poste 1 Haut-dirigeant La Poste

Dirigeant La Poste 2 Haut-dirigeant RATP / La Poste

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56

Dirigeant La Poste 3 Haut-dirigeant RATP / La Poste. Entourage personnel.

George Lefebvre Directeur général adjoint / Directeur des ressources humaines au

Groupe La Poste. Ancien fonctionnaire des PTT.

Philippe Lemoine Administrateur La Poste. Chercheur, Haut fonctionnaire public,

Vice-Président des Galeries Lafayette.

Philippe Essig Directeur général RATP, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de

l’équipement en charge du logement. Président de la SNCF.

Bernard Gitler Secrétaire général du syndicat Forces ouvrières à la RATP

Pierre Herisson Représentant politique UMP (droite) : Sénateur, Président de

l’observatoire national de la présence postale, Vice-président de

Conseil général, Maire, Vice-président de l’Association des

Maires de France.

Jean-Pierre Sueur Représentant politique Parti Socialiste (gauche) : Secrétaire d’État

auprès du ministère de l’intérieur en charge des collectivités

territoriales, Député, Sénateur, Conseiller régional, Maire. Maître

de conférences et chercheur CNRS.

Nicole Oudin Sœur de Jean-Paul Bailly. Entourage personnel.

Nous tenons à rappeler que les personnes ayant acceptées de participer à

l’entrevue l’ont fait sur une base volontaire. Certaines personnes sollicitées

n’ont pas pu donner suite à notre étude. Par ailleurs, pour des raisons liées au

respect de la confidentialité et à la protection des répondants, le parcours de

certains dirigeants actuellement en fonction au Groupe La Poste n’a pas été

étayé. Bien entendu, le cœur de notre étude a été une série d’entretiens avec

JPB lui-même.

3.3. Collecte de données

Notre choix s’est porté sur la technique de l’entrevue semi-dirigée et la

constitution de guides d’entrevues comme support.

Le caractère semi-directif laisse une plus grande marge de manœuvre au

chercheur au moment de l’entrevue. Le chercheur peut alors explorer un

phénomène à partir de thèmes, laissant une plus grande liberté à l’expression

des répondants (Quivy et Van Campenhoudt, 2006).

Cette collecte des données s’est déroulée sur une période de 7 mois et ce, tant

en France que depuis le Canada. 13 entretiens semi-dirigés ont été réalisés : 4

ont été effectués en face à face à Paris, 3 par vidéoconférence et 6 par

téléphone.

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57

Le processus de collecte de données impliquait que nous devions disposer d’un

certain nombre de connaissances préalables sur Jean-Paul Bailly, objet de

l’étude. Nous avions effectué un travail de préparation durant près d’un mois.

Ce processus de recensement documentaire s’est poursuivi après la collecte des

données primaires à des fins de validation et de précision des informations

recueillies.

À partir de cette base documentaire, nous avons constitué un premier guide

d’entrevue destiné aux deux premières entrevues avec Jean-Paul Bailly. Le

guide d’entrevue (voir annexe 1) nous servait de support afin de structurer

l’entrevue poussée, sur base de 5 thèmes. Les thèmes utilisés dans ces guides

ont été formulés en adéquation avec les objectifs exploratoires de notre

recherche (Gavard et al., 2008).

Étant donné que l’étude menée sur celui-ci se base sur le récit de sa vie, nous

avons divisé ces entrevues longues et approfondies en plusieurs séances (Quivy

et Van Campenhoudt, 2006). Cette division a permis d’éviter que les échanges

ne deviennent confus étant donné le caractère poussé de notre processus de

collecte.

Deux entrevues ont eu lieu avec Jean-Paul Bailly. Ensuite, nous avons

rencontré individuellement les 10 intervenants témoins sur une période de deux

mois. Au terme de ces rencontres et après retranscriptions, nous avons

rencontré Jean-Paul Bailly une troisième et dernière fois à des fins

d’amélioration de qualité et d’interprétation des données recueillies.

Pour permettre de répondre à l’objectif exploratoire de notre recherche, nous

avons constitué une série de guides d’entrevues destinées cette fois-ci à notre

échantillon de convenance. En effet, le but de notre deuxième phase de collecte

de données, était d’analyser le sens que ces autres acteurs donnaient au

phénomène étudié (Fenneteau, 2007).

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58

La durée moyenne des 13 entrevues est de 1H05 :

- Au total, 3 entrevues ont été menées avec Jean-Paul Bailly, le dirigeant sur

lequel porte notre étude de cas.

1 2 3

0h58 1h02 0h53

- Au total, 10 entrevues ont eu lieu avec des intervenants témoins.

4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

0h58 1h02 0h53 1h04 0h53 1h04 0h57 0 h55 1h03 1h10

Rappelons finalement qu’avant d’être utilisés, les guides d’entretiens ont été

testés et vérifiés sur base d’un critère de précision et de clarté dans la

formulation des questions (Fragnière, 2009). Taïeb Hafsi, directeur de ce

mémoire a également contribué à cette amélioration. Il a en outre supervisé le

déroulement de toutes les entrevues, par la préparation des guides. Il a

également participé aux 3 entrevues menées avec Jean-Paul Bailly et à 6 des 10

entrevues effectuées auprès des intervenants témoins.

À côté de la collecte de données primaires, nous avons aussi recueilli des

données existantes. Ces données secondaires et documentaires sont constituées

de documents historiques, d’informations publiées par la presse grand public,

de publications officielles de l’État (arrêtés, lois et décrets) ainsi que d’archives

(journaux internes, rapports annuels d’activités, plans stratégiques,

organigrammes, curriculum vitae, brochures) des entreprises au sein desquelles

Jean-Paul Bailly a travaillé.

3.4. Analyse des données

Un certain nombre de dispositions ont été prises afin de garantir la fiabilité et la

validité des données collectées. En effet, ces dispositions tentent d’atténuer une

des faiblesses de l’entrevue semi-dirigée où la qualité des données récoltées

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59

dépend du degré de confort et de coopération des participants (Marshall et

Rossman, 1995).

Ainsi, toutes les entrevues ont été enregistrées après approbation, puis

retranscrites entièrement, amenant à 150 le nombre de pages de données brutes.

Ces données ont ensuite été soumises aux participants dans un but de favoriser

un climat de confiance mais aussi dans un souci d’amélioration des données.

Cependant, malgré les nombreuses sollicitations des participants, les guides

d’entretiens n’ont pas été communiqués à l’avance et ce pour favoriser la

spontanéité lors des répondants.

Les données recueillies puis validées auprès des participants ont ensuite été

codées et classées sur base de catégories afin d’en permettre l’analyse

transversale. Toutes les données n’ont pas été utilisées et ce pour ne pas nous

écarter de nos objectifs de recherche. En effet, ces catégories ont été établies sur

base de thématiques répertoriées dans les guides d’entrevues, ce qui a permis de

classer et de comparer les réponses recueillies.

Ces documents nous ont permis de vérifier les données recueillies lors des

entrevues. Au moment de l’analyse, ils nous ont également facilité la

compréhension contextuelle des situations de transformation.

Pour donner sens aux données collectées, classées puis interprétées, nous avons

choisi la méthode de l’étude de cas. La première version du cas s’appuyait sur

les données traitées de Jean-Paul Bailly. La seconde version intégrait la

documentation recensée. Finalement, la troisième version recensait les données

traitées auprès des intervenants témoins en prenant la forme de citation directe.

3.5. Avantages et limites de la méthode

La recherche qualitative offre également l’avantage de pouvoir étudier un

phénomène à partir du terrain et donc d’une situation concrète. Selon Paille et

Mucchielli (2008 : 9), cela implique :

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60

« un contact personnel avec les sujets de la recherche,

principalement par le biais d’entretiens et par l’observation des

pratiques dans les milieux mêmes où évoluent les acteurs »

Dans le cadre de notre recherche, cette interaction personnelle n’a pas pu se

faire en face à face pour la majorité des entrevues. Nous reconnaissons que les

contraintes de faisabilité ne nous permettaient pas de rencontrer l’ensemble des

répondants lors de notre déplacement à Paris. Nous pensons cependant que les

moyens technologiques utilisés, tels que la vidéoconférence proposée

systématiquement aux répondants, démontrent de notre volonté d’établir au

mieux ce contact.

Il est évident que la recherche qualitative, comme n’importe quelle autre

approche, ne saurait comporter que des avantages. Certains chercheurs stipulent

que la recherche qualitative requiert l’intervention d’une personne dans l’étude

d’un phénomène, ce qui entraînerait nécessairement une perte d’objectivité dans

la production de connaissances (Lessard-Hébert, Goyette et Boutin, 1997). La

recherche qualitative s’expose à d’autres critiques quant à la généralisation que

l’on pourrait en tirer en partant d’une situation précise (Rispal, 2002). De plus,

certains chercheurs continuent de douter de la viabilité scientifique de la

méthode d’étude de cas qui, du fait de sa flexibilité, manque selon eux de

structures et de procédures systématiques permettant de dégager des lois

universelles (Scholz et Tietje, 2001).

Finalement, nous gardons à l’esprit que la technique d’échantillonnage choisie

ne permet pas d’intégrer un nombre de répondant plus important. Pour

composer notre échantillon de convenance, nous avons plutôt identifié des

personnes répondants à des critères importants pour les fins de l’étude réalisée.

La constitution de cette unité sur une base d’opportunité s’efforçait néanmoins

de couvrir l’ensemble des acteurs qui gravitent autour de la problématique.

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3.6. Considérations éthiques

Nous profitons de cette occasion pour rappeler que l’ensemble de notre

recherche s’est déroulé dans le respect des principes éthiques conformément à

la politique relative à l’éthique de la recherche avec des êtres humains adoptée à

HEC Montréal9.

Ainsi, nous avons tenté d’avancer dans une relation de confiance, en veillant à

ne pas nuire à nos participants volontaires tout en leur exposant au

commencement d’entrevues les objectifs de notre recherche. Les données

collectées auprès des participants ont ensuite été soumises à leur approbation.

Nous avons également offert la possibilité aux participants de confirmer le

niveau de confidentialité. Sur les 11 répondants, deux ont souhaité que seul le

titre de leur fonction ne soit indiqué dans l’étude de cas.

Pour des raisons de confidentialité et d’éthique en recherche, l’ensemble des

données recueillies n’a pas fait l’objet d’une citation directe lors des entrevues

individuelles et ce conformément à l’avis émis par le CER pour ce mémoire.

Finalement, rappelons que monsieur Taïeb Hafsi, professeur titulaire et

directeur de ce mémoire, s’est assuré avec l’étudiant que les principes éthiques

soient également compris et acceptés avant le lancement du projet de recherche.

9 http://www.hec.ca/recherche_publications/comite_ethique/politique/index.html

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62

Chapitre 4 : Présentation des données

Nous consacrons ce quatrième chapitre à la présentation des données recueillies

sous la forme d’une étude de cas. À cet effet, nous retracerons le parcours

personnel et professionnel de Jean-Paul Bailly, le dirigeant que nous étudions.

4.1. Étude de cas : l’histoire d’un dirigeant

Jean-Paul Bailly a consacré sa carrière au service de la transformation des

organisations publiques depuis 1970. Il a occupé et continue d’occuper des

fonctions de dirigeant parmi les plus élevées dans le secteur public en France.

Parmi les postes occupés, mentionnons, de 1994 à 2002, celui de Président

Directeur Général à la RATP. Depuis 2002, il dirige le Groupe La Poste. Jean-

Paul Bailly a passé toute sa carrière dans le secteur public, selon lui : « au

service de la réussite de l’entreprise et donc au service des Français par la

qualité du service qui est rendue ».

Ingénieur de l’École Polytechnique à Paris en 1967, il a obtenu par la suite, en

1970, un Master of Science en Management de Sloan School Massachusetts

Institute of Technology.

En rapportant des faits saillants du parcours personnel et professionnel de Jean-

Paul Bailly, la présentation du cas qui suit remet en scène ce dirigeant dans des

situations de transformation au sein d’organisations publiques majeures au sein

des institutions françaises.

La première partie est consacrée à ses origines et à son cheminement personnel

jusqu’à « son entrée dans la fonction publique ». La deuxième partie exposera,

à partir des situations vécues par Jean-Paul Bailly, son cheminement

professionnel et la constitution, sur base de ces expériences, d’une philosophie

de management spécifique aux enjeux des entreprises publiques. Finalement, la

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63

troisième partie exposera les actions entreprises à des fonctions de direction-

générale. Nous verrons en quoi la mise en œuvre de ces transformations

constitue le prolongement d’une réflexion personnelle du dirigeant sur le

fonctionnement spécifique du secteur public.

4.1.1. Partie 1 : Origines du dirigeant

4.1.1.1. Une enfance mouvementée

Né à Hénin-Beaumont en novembre 1946, un an après la libération, Jean-Paul

Bailly ne garde que quelques vagues souvenirs de son enfance dans le nord de

la France. L’esprit de solidarité prévaut en cette période de reconstruction et la

chaleur humaine qui se dégage de ces liens nouvellement constitués marque

l’esprit du petit garçon. « C’est peut-être la première chose qui m’a frappé et

d’une certaine manière formé » explique-t-il.

L’histoire ne dure pas. Son père Jean Bailly, ingénieur dans les Houillères,

obtient un nouvel emploi à l’étranger. Toute la famille s’installe au Maroc. À

tout juste 8 ans, Jean-Paul Bailly quitte son village natal et le foyer familial. Ses

parents l’inscrivent au Lycée d’Oujda, ville la plus proche et située à 40 km de

la zone minière de Zellidja où son père exerce ses activités professionnelles. «Je

garde de cette période-là l’amorce d’une assez grande autonomie. Très jeune,

j’ai ressenti de la part de mes parents une grande confiance».

Jean-Paul Bailly est d’abord accueilli dans une famille d'amis à l’âge de 10 ans.

Plongé dans un nouvel environnement, il découvre une culture, des habitudes

de vie et des formes de pauvreté différentes de celles qu’il a pu côtoyer

auparavant. Cette confrontation suscite chez lui plusieurs interrogations,

notamment lorsqu’il observe le sens du partage et la générosité de ces

personnes qui manquent pourtant de ressources. Naturellement, il se mélange

aux locaux qui ne tardent pas à devenir ses nouveaux amis. Un jour, l’un d’eux

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64

l’invite chez lui. «Je m’en souviens comme si c’était hier. Il avait plusieurs

frères et sœurs. Ils vivaient dans une seule pièce et lui, il faisait ses devoirs sur

la cuisinière. Ce petit marocain était le premier de la classe.»

En cette période de transition de régime politique, marqué par l’abolition du

protectorat de la République française au Maroc en 1956, les enfants de sa

génération, qu’ils soient français ou marocains, se côtoient désormais ensemble

dans les classes du lycée, voir même au-delà. «J’ai beaucoup appris à cette

occasion à la fois la modestie, la tolérance, le respect et surtout l’acceptation

réciproque... la différence ne saurait être quelque chose qui doit diviser mais

quelque chose qui doit enrichir».

Cette époque coïncide aussi avec la guerre d’indépendance de l’Algérie. En

cette période d’instabilité, Jean-Paul Bailly se trouve en première ligne du

conflit. Les avions survolent sa maison, située non loin de la frontière entre les

deux pays tandis que les bruits des tirs au canon s’installent durablement dans

son quotidien. Ce sentiment d’insécurité s’accentue lorsque des amis de la

communauté d’expatriés sont pris pour cible lors d’un attentat sur leur voiture.

«J’en ai sans doute gardé quelques traumatismes, en même temps, ces

événements-là sont extrêmement formateurs et font mûrir», confie-t-il.

Ces événements ne spolient pas pour autant l’enfance de Jean-Paul Bailly qu’il

qualifie d’heureuse. Il conserve des liens très étroits avec ses parents et sa sœur

qu’il rejoint régulièrement en fin de semaine. « Cela nous a donné à tous les

deux une ouverture, et permis de vivre partout, d’être bien partout. Nos parents

nous ont surtout appris à rester optimiste, cela permet d’avancer dans n’importe

quelle situation » selon Nicole Oudin, sa sœur. Alors que beaucoup d’enfants

sont envoyés comme pensionnaires en France, ses parents, des chrétiens

engagés, tiennent à assumer leur rôle d’éducateur en maintenant une relation de

proximité avec leurs enfants. « Ils ont décidé qu’une bonne éducation consiste

en un équilibre entre le côté scolaire et un bon environnement familial ». Ces

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65

parents inculquent alors à Jean-Paul et à sa sœur des valeurs d’ouverture sur les

autres. « Eux-mêmes étaient des gens très généreux, très à l’écoute de tout

l’environnement, de toutes les personnes aux alentours, quelque soit leur

formation ou leur place… ».

L’adolescent vit une situation plus particulière lorsqu’à l’âge de 13 ans, sa

famille d'accueil déménage vers d’autres contrées. Il réside alors avec une

famille propriétaire d’un hôtel dans lequel il occupe une chambre. «Quand j’y

réfléchis, je me dis est-ce que je ferais cela à mes enfants... Je me dis que non,

je n’en aurais pas le courage». Comme n’importe quel client, il prend ses repas

dans la salle de restauration. « Il devait sans doute faire face à de grands

moments de solitudes qu’il devait gérer tout seul si jeune. Très vite, il a du se

débrouiller tout seul vu les circonstances. Cela fait partie de son histoire et cela

l’a façonné en quelque sorte » commente Nicole Oudin. Jean-Paul Bailly se

trouve rapidement des occupations. Il apprécie les activités artistiques,

notamment la peinture, qui s’avère être une occasion pour lui de libérer son

imagination débordante au moyen de quelques coups de pinceaux. Au terme de

ces deux années, ses parents retournent en France et la famille s’installe

définitivement à Paris.

4.1.1.2. Retour aux sources

Paris s’éveille en cette rentrée des classes de l’année scolaire 1961. Jean-Paul

Bailly découvre à peine les nombreuses ruelles qui sillonnent la résidence

familiale du 1er arrondissement, cœur historique de la ville, qu’il doit déjà

reprendre le chemin de l’école. Il traverse la Seine pour se rendre au lycée

Louis le Grand situé sur la rive gauche. «C’est une incroyable perte de repère,

cela demande un effort d’adaptation et de socialisation pour se réintégrer dans

un groupe où tous se connaissent». L’établissement où étudie désormais Jean-

Paul Bailly est reconnu pour la qualité de son enseignement. Le lycéen redouble

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66

alors d’efforts pour rattraper l’écart scolaire et atteindre finalement un niveau

d’excellence. Il décroche son Baccalauréat à dominante scientifique avec succès

et poursuit l’effort à l’occasion de son admission aux meilleures classes

préparatoires à l’École Polytechnique10.

Au-delà du travail intensif, ce retour aux sources permet à l’étudiant de

retrouver une ambiance familiale. «Par rapport à d’autres qui à cet âge, n’ont

vécu que chez leurs parents, j’étais un cas de figure assez différent. J’ai assez

peu vécu dans l’ambiance strictement familiale». Sa mère, Hélène Bailly,

l’accompagne durant ses études afin de lui rendre la vie la plus confortable

possible. Son père, plus occupé, devient l’un des dirigeants de Lafarge, une

entreprise industrielle française, leader mondial en matériaux de construction.

Aujourd’hui à la retraite, le père de Jean-Paul Bailly continue de se consacrer à

des personnes âgées à travers un rôle de compagnonnage. Il constitue pour

Jean-Paul une source d’inspiration. «J’ai plus appris de ma mère quand j’étais

jeune et de mon père maintenant, c’est assez touchant et une très belle leçon de

voir ce côté complètement au service des autres».

À l’instar de son père, Jean-Paul Bailly accomplira ses études en ingénierie sans

pour autant y voir une quelconque influence dans ce choix.

En dernière année, il regrette cependant le caractère strictement scientifique et

technique de sa formation. «Je pense que je n’ai pas tellement l’esprit d’un

ingénieur. Je le suis de formation, mais j’ai le sentiment d’avoir la vision d’un

architecte, à savoir s’intéresser à la vue globale, au pourquoi des choses, à la

manière dont les gens vont vivre et fonctionner dans ces espaces». Avant

d’entamer sa carrière professionnelle, il envisage la poursuite d’un MBA aux

Etats-Unis comme un complément à sa formation initiale.

10

Dans la tradition française l’École Polytechnique est considérée comme au sommet des

écoles les plus prestigieuses.

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67

En se questionnant sur son avenir, Jean-Paul Bailly se verrait bien travailler

dans une organisation publique qui allie selon lui le meilleur des deux mondes.

« C’est une entreprise avec tout ce que ça peut avoir d’innovant, de dynamique

puis clairement au service de l’intérêt général ». Cette volonté de se mettre au

service des autres vient justement de ce contexte familial, de valeurs fortes qu’il

a reçues dans son éducation et auxquelles il attache beaucoup d’importance. La

plupart des ingénieurs promus se dirigent instinctivement vers des carrières au

sein de grandes entreprises industrielles, de services ou dans le conseil. « Ceux

de ma génération qui ont démarré en entreprises publiques avaient une

philosophie assez comparable à ces jeunes qui aujourd’hui passent par une

ONG ».

Au moment des recrutements universitaires, plusieurs dirigeants de grandes

entreprises se bousculent pour aller à la rencontre des futurs diplômés de

l’École Polytechnique. L’un d’eux, Pierre Weil, le Directeur général de la Régie

Autonome des Transports Publiques (RATP), l’opérateur public des transports

en commun à Paris, retiendra son attention. «Si vous éprouvez un intérêt pour la

RATP, voici le numéro de téléphone du service de recrutement et voici aussi

mon numéro de téléphone personnel». Aux yeux de Jean Paul Bailly, cet effort

d’accessibilité suffit à le distinguer des autres recruteurs.

Il rencontre le dirigeant de la RATP et il lui réitère sa volonté de poursuivre des

études avant de rejoindre l’entreprise. Ces quelques mots suffisent à Jean-Paul

Bailly pour convaincre Pierre Weil d’accepter cette requête. Il lui offre même

l’équivalent de son salaire en échange d’un engagement à travailler pour

l’entreprise à son retour. « Il a été tout de suite embauché. C’était une grande

qualité de disposer de cette double formation dans la culture française d’abord

et ensuite américaine » se souvient Philippe Essig, l’un des dirigeants de la

RATP. Jean-Paul Bailly retiendra de cet épisode que son engagement à la

RATP tient à la fois d’une volonté et du hasard.

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68

4.1.1.3. Compréhension et apprentissages

Jean-Paul Bailly accomplit son service militaire en 1968 tandis que ses

démarches auprès de toutes les grandes universités américaines aboutissent

positivement. Il choisit le MIT, la plus prestigieuse des écoles d’ingénieurs aux

États-Unis. L’institution dispense dans son école Sloan School des

enseignements de management avec une approche scientifique, ce qui séduit le

candidat, préférant selon ses termes, « la continuité à la rupture ». Durant cette

immersion dans l’environnement international de Cambridge, Massachusetts, il

découvre une tout autre philosophie, de nouvelles façons de penser et de se

comporter. «Ce passage aux États-Unis m’a formaté de manière décisive. Je ne

me souviens pas bien des techniques de marketing ou de finance, mais ce que

j’ai appris, c’est comment il fallait travailler. Cela a modifié mon mode de

fonctionnement et j’ai établi des relations qui marqueront toute ma pratique

managériale».

Le regard que portent les professeurs sur les étudiants est totalement différent

de ce qu’il avait connu auparavant. « La proximité, la convivialité, le fait que

l’on puisse discuter d’égal à égal avec les plus grands, leur modestie… quelque

chose d’inimaginable en France ! ». À Sloan School, les enseignements

poursuivis par Jean-Paul Bailly sont dispensés par un corps professoral

composé de chercheurs reconnus et de prix Nobels tels que Paul Samuelson ou

Robert Solow. «Je ne considère pas mes étudiants comme moins bons, qui ont à

apprendre, mais je les regarde comme des successeurs que je forme» lui confie

l’un d’eux.

Cet état d’esprit positif séduit l’étudiant. Face aux problématiques soulevées

dans les études de cas en classe, les étudiants apprennent ensemble à trouver

des solutions adaptées. « On ne cherche pas les responsabilités, on cherche les

réponses à apporter».

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69

L’approche contributive devient une référence absolue pour Jean-Paul Bailly.

«C’est un endroit où l’on fonctionne sur la confiance à priori alors que dans le

système français, on fonctionne sur la défiance. C’est ce qui fait toute la

différence». Ce regard différent sur la façon de gérer les relations extérieures

enrichira à cette occasion la vision que Jean-Paul Bailly se forge alors du

management. « Il a fait polytechnique puis un master. Il n’a pas été dans le

moule habituel des anciens chefs issus de l’ENA11

qui connaissent le technique

mais pas toujours les relations humaines. On peut discuter plus facilement, on

est plus proche de comprendre le point de vue des autres et il n’y a pas de

froideur dans le contact » constate Bernard Gitler, secrétaire général du syndicat

Forces Ouvrières.

Durant cette période de formation aux États-Unis, Jean-Paul Bailly, l’un des

plus jeunes de sa promotion, côtoie des étudiants issus des quatre coins du

monde avec lesquels il partage de nombreuses activités scolaires et sportives.

« On pouvait faire du bateau sur la Charles River. Il y avait des courts de tennis

partout. L’hiver, on skiait dans le nord des États-Unis ou au Canada… ». C’est

dans cet environnement international qu’il rencontre également son épouse, une

étudiante française au département d’économie du MIT.

Une fois diplômé en 1970, Jean-Paul Bailly retourne en France, décidé à mettre

en pratique et à faire partager ses apprentissages en management à la RATP.

4.1.2. Partie 2 : Formation à la gestion stratégique et opérationnelle de la

transformation

11

ENA : L’École Nationale d’Administration forme les hauts fonctionnaires de l’État. L’accès

à cette école prestigieuse s’effectue principalement par voie de concours externes destinés aux

détenteurs d’un 2e cycle universitaire. En France, les énarques occupent des fonctions de

premier plan dans la vie politique et économique. Le caractère élitiste, le facteur de

reproduction social ou encore l’image aristocratique constituent les principales critiques

adressés à l’ENA par certains sociologues comme Pierre Bourdieu.

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70

4.1.2.1. Début d’une carrière au service de l’intérêt général

Le leadership de la RATP en matière d’innovation technologique dans la

construction de réseaux de transports urbains souterrains est reconnu et n’a

cessé de se développer depuis son lancement en 1949. Les réalisations de

l’entreprise et son savoir-faire sont admirés et s’exportent à travers le monde.

Son ancêtre, la Compagnie de Chemin de fer métropolitain de Paris a été fondé

en 189912 pour la mise en service de la première ligne de métro en 1900 lors de

l’exposition universelle de Paris. En 2010, la RATP est le 5e opérateur de

transport urbain dans le monde et accueillait plus de 10 millions de voyageurs

quotidiennement en totalisant un effectif de 56 000 collaborateurs.

L’établissement public à caractère industriel et commercial a réalisé un bénéfice

net de 186 millions d’euros et affiche un chiffre d’affaires de 4,5 milliards

d’euros13

. Les voyageurs utilisent l’une des 300 stations de métro, et le réseau

de RER reliant la plupart des banlieues de l’Ile-de-France. De plus, la ville de

Paris est sillonnée par un réseau dense d’autobus et de tramway urbains14 qui

fait partie du système géré par l’entreprise.

À son arrivée à la RATP à l’été 1970, le service de Jean-Paul Bailly débute à 5h

du matin. La semaine suivante il commence à midi, puis à 20h voire à 23h pour

se terminer aux petites heures de la nuit. Il apprend le métier d’agent de

maîtrise d’une ligne de métro à la RATP. À titre d’ingénieur, il est ensuite

appelé à assurer des fonctions de remplacement sur le réseau afin d’en assurer

l’exploitation quotidienne d’un terminus puis d’une ligne. « Je retiens d’abord

que ce fut un assez dur atterrissage, de passer du monde académique,

intellectuel et conceptuel à la réalité du terrain ».

12

La RATP a été créée en 1949 pour succéder à la Compagnie du chemin de fer métropolitain

de Paris, CMP.

13 Indicateurs financiers consolidés du Groupe RATP pour l’exercice 2010

14 D’après le site officiel de la RATP

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71

Après les premières découvertes, Jean-Paul Bailly aspire à de nouveaux défis. Il

mesure toutefois l’importance de ce passage par le terrain où il acquiert

connaissances et compétences, garant selon lui d’une forme de légitimité lors

du passage à des postes fonctionnels. « S’ils le prennent parfois mal au début, je

ne connais pas d’exemples de gens qui ne m’aient pas remercié de les avoir

envoyés sur le terrain ». L’ingénieur profite alors de ses temps libres pour

s’investir sur d’autres terrains. Passionné de rugby depuis son adolescence, il ne

tarde pas à trouver sa place au sein de l’équipe US Métro, le club officiel de la

RATP. Au fil des matchs, Jean-Paul Bailly côtoie des salariés provenant de

toutes les composantes de l’entreprise. « Il y avait cette relation de totale égalité

avec des gens qui avaient des statuts sociaux très différents. Je me suis rendu

compte que ces collaborateurs étaient d’abord des personnes ». Qu’ils soient

conducteurs d’autobus, machinistes ou ouvriers, tous mettent de côté leurs

uniformes respectifs afin d’endosser le même maillot. « Cette phase de ma vie a

profondément ancré en moi la notion de respect. L’idée que dans le fond, on

doit la même considération à quiconque, qu’il soit ouvrier ou Président de la

République ».

À la fin des années 1972, Jean-Paul Bailly est sollicité par Philippe Essig pour

rejoindre la cellule dédiée à la planification et la promotion des services au sein

de la direction ferroviaire de la RATP. « Il n’y avait pas de véritable direction

commerciale. Pour une fois, on s’est dit qu’on pouvait changer les habitudes et

comprendre les attentes légitimes des utilisateurs » raconte Philippe Essig.

Parallèlement à sa fonction de planificateur, il devient également contrôleur de

gestion. En 1974, Pierre Giraudet, le directeur général de la RATP lui confie la

planification au niveau de l’entreprise. Les projets de construction du RER,

d’allongement du métro et de modernisation des autobus se développent.

4.1.2.2. Détachement à Mexico, un épisode formateur

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72

Le travail de Jean-Paul Bailly est apprécié par ses supérieurs qui misent sur ce

jeune collaborateur et lui prédisent un avenir prometteur. La direction générale

n’est pas en reste. En 1978, elle lui offre de prendre la direction d’une mission

de coopération technique à Mexico.

À cette époque, Jean-Paul Bailly n’hésite pas une seconde malgré la barrière

linguistique et la longueur de l’engagement, qui le gardera absent pendant 4

années. Au contraire, adepte des séjours à l’étranger, il y voit une opportunité

de partir à la découverte d’un nouvel environnement, d’apprendre une nouvelle

langue et de progresser.

À Mexico, l’opportunité est à la mesure des espoirs. Jean-Paul Bailly dirige

pour la première fois une équipe constituée de quinze ingénieurs. « J’ai

beaucoup retenu de la force du travail en équipe, savoir se coordonner et faire

parfois bloc par rapport au client ». L’équipe d’ingénieurs français participe à la

conception et la construction des lignes de métro du district fédéral mexicain.

Sous la direction de Jean-Paul Bailly, ils sont à la fois responsables des

équipements, du matériel roulant ainsi que de la mise en exploitation. La

distance géographique avec Paris et les moyens de communication limités

amènent Jean-Paul Bailly à conduire son action de manière responsable et

autonome. «On avait l’obligation de prendre un certain nombre d’initiatives

locales. Aujourd’hui, les moyens de communication ont tendance à

déresponsabiliser les collaborateurs».

En tant qu’ingénieur responsable du volet technique, il parvient à travailler en

totale symbiose avec la municipalité du District Fédéral15

. Cette première

rencontre professionnelle avec le monde politique s’avère concluante dès lors

que les décisions se prennent rapidement et que Jean-Paul Bailly parvient à

15 À Mexico, le district fédéral correspond au territoire abritant la capitale. Jusqu’aux récentes

réformes d’autonomisation de 1993, la gestion de la capitale du Mexique était mise sous la

tutelle du gouvernement fédéral.

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nouer une véritable relation de confiance avec ses interlocuteurs. Par ailleurs, il

trouve en Paco Noreña, le directeur général du projet, une source d’inspiration.

«Beaucoup de choses se faisaient sur le terrain à Mexico, ce qui conférait une

forme de réactivité et de rapidité dans le management de l’avancement du

projet. C’était exactement le contraire de la manière dont on disait qu’il fallait

manager». Selon Jean-Paul Bailly, ce réfugié espagnol gérait avec un art

particulier, laissant à ses collaborateurs un grand degré d’initiatives tout en

parvenant à être attentif aux objectifs, au respect des échéances et aux enjeux

économiques. « On n’était pas sur le dos des gens. Une fois qu’on a fixé des

objectifs, qu’on a donné les moyens, qu’on est d’accord sur les règles du jeu,

pour le déploiement, rien ne vaut le travail sur le terrain ».

Cette organisation du travail décentralisée porte ses fruits. Avec son équipe,

Jean-Paul Bailly effectue des visites hebdomadaires des chantiers pour s’assurer

des avancements et des éventuels ajustements à opérer. La dynamique de travail

mexicaine s’éloignant des méthodes traditionnellement appliquées à la RATP

bouscule certains ingénieurs. Plus rationnels, certains regrettent la non

centralisation dans les prises de décisions et perçoivent dès lors ce management

par le terrain comme étant approximatif. «On me disait à l’époque que ne c’était

pas la bonne manière de gérer un projet. Avec le recul, 40 km de métro ont été

construits en un temps record de 40 mois sans aucun dépassement budgétaire ni

accident. Chacun jugera, tout n’était pas bon mais il y avait beaucoup de choses

à apprendre de cette manière de gérer».

4.1.2.3. Pratiques de la négociation sociale

Fort de son succès à Mexico, Jean-Paul Bailly pense décrocher un poste

significatif lorsqu’il réintègre le siège de la RATP à Paris en 1982. Il n’en sera

rien. Aucune affectation précise ne lui est confiée. «Bien que considéré comme

un des cadres importants à potentiel, la direction générale ne m’a trouvé aucune

fonction. Cela a duré 9 mois. Cela fait partie des aléas de la vie. Dans ces

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74

périodes de doute, il faut apprendre, se former. Aujourd’hui, je mesure mieux la

difficulté pour réinsérer certains cadres importants après des mobilisations à

l’étranger… j’utilise parfois ma propre expérience auprès de cadres importants

».

Après quelques missions temporaires, il hérite d’une responsabilité lourde de

conséquences : la direction de l’Atelier Championnet. Situé dans le 18e

arrondissement de Paris, cet atelier de 9 hectares érigé un siècle plus tôt en

1882 est chargé de la révision générale et de la maintenance des 4.000 autobus

de la RATP.

Mais l’activité est vouée à décliner fortement avec la nouvelle politique

d’acquisition de matériel roulant neuf et, par conséquent, la mise en vente des

bus en fin de vie. « Cet atelier était fondé sur le fait que les bus duraient 25 ans

et qu’à mi-vie, on les reconstruisant complètement ». Près de 1.200 personnes

travaillent au sein de la plus grande implantation industrielle de la capitale

française. Bien que ce fût un objectif important de l’entreprise, aucun

gestionnaire n’était parvenu à ramener les effectifs au niveau des besoins réels.

«C’était devenu un prétexte pour ne pas faire de productivité ailleurs dans

l’entreprise. C’était vu par l’entreprise et mes collègues comme une mission

impossible ». Philippe Essig, directeur général de la RATP en 1982, à

l’initiative du plan pluriannuel d’accroissement de la productivité s’explique : «

Championnet était un handicap. Tous les prédécesseurs de JPB étaient des

techniciens du service qui par la force des choses sont arrivés à sa direction. On

restait à l’intérieur d’un secteur fermé ».

Tout en ignorant les raisons qui poussent les dirigeants à lui confier cette

mission à l’époque, Jean-Paul Bailly ne se résigne pas devant une telle

difficulté. Philippe Essig revient sur les raisons qui le motivèrent quant à cette

nomination : « J’avais confiance en lui car je sentais qu’il y avait dans ce poste

un besoin d’imagination. Il fallait créer quelque chose pour parvenir à sortir de

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75

ce cercle vicieux ». Ce directeur général nomme au même moment Jean-Michel

Barnier, un cadre spécialisé dans le volet technique, comme adjoint pour

accompagner JPB dans cette mission de transformation.

Les deux dirigeants se complètent par leurs connaissances et qualités

respectives pour mener à bien ce projet. « Un homme avec un management à la

fois dur et exigeant mais aussi humain… une combinaison que moi… je ne

saurais pas bien faire. Je sais être humain mais je ne sais pas être aussi dur

qu’était cet homme, dans la manière de parler ». Ensemble, ils se rendent sur les

lieux dès leur nomination. La dernière visite de terrain remontait à plus d’un an.

« C’était ma première rencontre avec le monde ouvrier et syndical. Les

relations étaient très difficiles ».

À leur arrivée, les deux collaborateurs sont entourés par quelques centaines de

personnes. « La tension était extrêmement vive et la pression physique palpable

». Des employés enclenchent les klaxons des autobus, d’autres lancent des

boulons sur les différents poteaux de l’atelier, l’un d’eux s’écrie dans les hauts

parleurs : « voilà le fossoyeur du service public ». Jean-Paul Bailly reçoit même

des menaces de mort et surprend, au détour d’un escalier couvert de graisse,

une représentation à son effigie attachée à une potence. « C’est une épreuve,

parce que ça vous marque. Quand le soir venu, vous rentrez chez vous, ce n’est

pas facile. Mais, ça fait partie des choses dans la vie qui donnent une certaine

force, et je pense que, dans la vie, les épreuves, ou les échecs sont nécessaires

pour former une personne».

Plutôt que de focaliser sur les pertes d’effectifs, Jean-Paul Bailly se tourne

résolument vers l’avenir. Il sensibilise d’abord le personnel sur la nécessité de

faire évoluer l’activité qui se trouve condamnée. «J’ai compris qu’au travers du

dialogue, à savoir de l’écoute et du parler vrai aux gens sur les enjeux, on

pouvait vraiment faire avancer les problèmes». Philippe Essig abonde dans le

même sens : « Il pouvait jeter un regard nouveau et objectif. Il était capable de

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tenir un autre langage que celui qui marquait la mémoire et les blocages du

passé ».

Jean-Paul Bailly tente ensuite de responsabiliser et de trouver avec chacune des

divisions de l’atelier un certain nombre de réponses autour d’un projet partagé.

«Bien que conflictuelles, les relations syndicales sont progressivement

devenues plus confiantes». Dans ses communications, Jean-Paul Bailly fait

également preuve de pédagogie. « On ne refait plus les bus, mais vous avez

votre savoir-faire… On va essayer de le valoriser » explique-t-il aux employés.

C’est ainsi que de 1982 à 1985, Jean-Paul Bailly entreprend une transformation

historique du site à la RATP. « Ensemble, nous avons essayé de trouver un

certain nombre de réponses autour d’un projet partagé. Ensuite, nous avons

conduit cette opération par un mode de gestion décentralisé et responsabilisant,

atelier, par atelier ». Les activités de révision générale se poursuivront en partie

tandis que l’espace libéré deviendra le plus grand dépôt d’autobus dans Paris.

« Cette action a été menée avec une perspective de sortie du conflit par le haut

en trouvant un projet mobilisateur. On peut considérer ce qu’il a fait comme

étant l’apogée de ses qualités humaines au contact du terrain » conclut Philippe

Essig. Cette réorganisation s’est déroulée de manière progressive sur une

période de 3 années. « On a fait une grande partie du chemin, d’abord en

coupant le terrain en deux, en modernisant certains ateliers et en reconvertissant

les autres en dépôts qui deviennent une valeur ajoutée pour l’entreprise ».

Difficile, cette période constitue un réel apprentissage pour Jean-Paul Bailly. Il

se forge à cette occasion une philosophie de management et expérimente ses

propres méthodes sur le terrain.

4.1.2.4. Directeur des ressources humaines

La transformation des Ateliers de Championnet est un grand succès et elle est

unanimement saluée au sein de la RATP. « Si vous réussissez une mission dite

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impossible, cela vous donne une grande légitimité dans l’entreprise ». Il

chemine alors à des postes de direction, d’abord en tant que Directeur du

matériel roulant et des autobus en 1985 puis à la direction du Métro et au RER

en 1988. Cette année-là, l’intégration du système automatique SACEM16

sur le

RER A donnera lieu à un premier conflit social. Cette innovation technologique

devait permettre d’augmenter le nombre des voyageurs transportés face à la

saturation du réseau ferré.

Lorsqu’au terme de leur action de grève les conducteurs parviennent à obtenir

une prime compensatoire, c’est au tour des ouvriers de maintenance de se

croiser les bras le 7 novembre 1988. Ils estiment que leurs revendications ne

trouvent pas suffisamment d’échos auprès de la direction générale. « Les

conducteurs avaient un statut particulier dans cette maison. Leur rémunération

était largement supérieure aux autres » raconte Bernard Gitler, secrétaire

général du syndicat Forces Ouvrières. Au cœur du réseau parisien, les trains

non entretenus tombent en panne, la qualité du service se dégrade tandis que les

moyens d’intervention demeurent limités. « Il a fallu 3 semaines pour que le

métro s’arrête. On avait prouvé qu’il n’y avait pas qu’une catégorie du

personnel qui pouvait bloquer Paris pour faire sa loi indépendamment des

autres » poursuit Bernard Gitler.

À la RATP, les rivalités catégorielles entre les différents corps de métiers

empêchent la modernisation de l’entreprise. « J’avais connu les mêmes

épreuves. Je m’en suis sorti avec peine car les moyens de force et de réquisition

ne fonctionnent pas lorsqu’une grève éclate. Alors, nous négocions… mais dans

des conditions difficiles ! » explique Philippe Essig, devenu secrétaire d’État.

Sur la base du rapport de ses conseillers, le premier ministre Michel Rocard

demande un renouvellement à la direction de l’entreprise publique. Début 1989,

16

SACEM : Système d'Aide à la Conduite à l'Exploitation et à la Maintenance. Ce système

d’exploitation permet d’augmenter, sans nuire à la sécurité, le nombre de RER en circulation

simultanée par la réduction de l’intervalle de temps nécessaire entre deux passages en gare.

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Jean-Paul Bailly devient directeur général adjoint en charge des ressources

humaines. Le savoir-faire acquis par ce dernier en matière de négociation

sociale est mis à contribution au moment où l’entreprise sort d’une série de

grève. Philippe Essig revient sur les coulisses de cette décision : « Le premier

ministre souhaitait mettre en place quelqu’un qui pourrait avoir un discours

nouveau pour sortir définitivement de ces blocages ».

Quelques semaines plus tard, Paul Reverdy, président de la RATP, ne sera pas

confirmé dans ses fonctions au terme de son premier mandat. Le premier

ministre charge Christian Blanc, par le décret du 22 février 1989, de moderniser

l’entreprise et trouver des solutions durables dans la gestion des relations

sociales.

Christian Blanc, ancien préfet et haut fonctionnaire, à la fois chef d’entreprise et

homme politique a connu plusieurs carrières dans sa vie. Avant d’entrer à la

RATP, Christian Blanc a été secrétaire général de la Nouvelle-Calédonie où il

interviendra en 1988 en qualité de représentant du gouvernement pour une

mission de dialogue. Il obtient une solution politique au conflit opposant les

indépendantistes aux loyalistes à propos du maintien de l’île comme territoire

français. Visionnaire et entrepreneur, cet homme d’action poursuivra sa carrière

à la tête d’organisations publiques comme la RATP (1989-1992) ou encore Air

France avant sa privatisation (1993-1997). Il présidera la Commission du Plan,

chargée d’étudier le fonctionnement de l’État et qui aboutira en 1993 au fameux

rapport : « Pour un État stratège garant de l’intérêt général ». Il reviendra dans

le monde politique en tant que député centriste (depuis 2002) et en sa qualité de

secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale (2008-10).

À son arrivée à la RATP, Christian Blanc et Jean-Paul Bailly s’entendent sur la

nécessité de transformer l’organisation. « La RATP a eu à partir de ce moment-

là une nouvelle renaissance. Blanc et Bailly formaient un tandem et reflétaient

l’image de ce qui se faisait plutôt dans les pays anglo-saxons » confie l’un des

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dirigeants de la RATP. Comme une bouffée d’oxygène en territoire difficile,

Christian Blanc devient alors une source d’inspiration notamment en ce qui

concerne la primauté du stratégique sur le tactique. «Ne soyez pas tactique sur

cette décision, réfléchissez à la stratégie, à l’objectif. La tactique viendra après»

lui disait-il. Jean-Paul Bailly continue d’apprendre, de tirer des enseignements

de ces situations de management. « Ma philosophie de management s’est

cristallisée avec ma montée au comité exécutif. Cela a démarré à Mexico en

1980, une expérience décisive, a continué de se construire dans les étapes

suivantes, à l’atelier central, aux activités de maintenance des autobus et du

métro, pour se finaliser avec Christian Blanc en 1990. Cela s’est construit en 10

ans ».

Rien ne pouvait arrêter Christian Blanc selon ses collaborateurs qui le décrivent

comme étant un visionnaire, courageux dans la prise de risque et résolument

décidé à apporter des changements en profondeur au sein de l’entreprise. «Des

réorganisations, il y en a plein les tiroirs. Elles ne sont pas mises en œuvre,

parce que c’est difficile, cela demande du courage. Il m’a appris que le dialogue

et la fermeté vont de pair».

4.1.2.5. Contrer les rivalités catégorielles

Lorsque Christian Blanc décrit son premier projet de modernisation de la RATP

auprès de ses collaborateurs, il indique : « Jusqu’à présent, les salariés étaient

comme des tournesols tournés vers le président soleil. Aujourd’hui, le soleil

vers lequel il faut se tourner, ce sont les clients ». Il sera reconnu pour sa

volonté à instaurer le concept de client, ne considérant plus les utilisateurs de la

RATP comme des usagers.

De son côté, Jean-Paul Bailly s’attaque progressivement aux chantiers qui

empêchent la transformation de la RATP en tête desquels l’épineuse question

des rivalités catégorielles soulevées par ses prédécesseurs. George Lefebvre,

responsable du personnel d’une autre entreprise publique décrit le contexte : «

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80

Contrairement au secteur privé, les organisations syndicales considèrent

l’entreprise publique comme étant immortelle ou du moins que c’est une

théorie. Si elle va mal, l’État sera toujours là pour la sauver. Dans le cas de la

RATP, les corporatismes étaient en plus extrêmement cultivés, chacun allait de

ses propres revendications. Cela change complètement la nature du dialogue

social et rend le changement très difficile ».

En tant que directeur des ressources humaines, Jean-Paul Bailly constate

d’abord que les critères administratifs traditionnels fondés sur l’ancienneté ne

poussent pas les collaborateurs de l’entreprise à davantage de performance et de

qualité dans le service rendu. « Un sujet très compliqué et assez risqué qui

touchait à tous les métiers et leur équilibre et concernait le mode d’évolution de

carrière ». Par conséquent, la nouvelle politique salariale imaginée par Jean-

Paul Bailly dissocie le grade de la fonction. Cette mesure symbolique entend

désormais récompenser les collaborateurs les plus performants, mettant un

terme à l’automatisation de l’évolution des carrières. « Bailly et Blanc ont

réussi à promouvoir l’avancement au mérite alors que les conducteurs rejetaient

culturellement toute cette notion » rapporte l’un des dirigeants de la RATP. Les

critères d’évaluation, tel que l’atteinte, voire le dépassement des objectifs fixés,

sont basés sur des critères individuels et non plus collectifs, tandis que les

critères d’évolution de carrière privilégient désormais l’évaluation des qualités

individuelles nécessaires quant à la fonction vacante.

Jean-Paul Bailly travaille ensuite avec Christian Blanc sur d’autres leviers qui

faciliteraient l’instauration du dialogue social. Les deux dirigeants s’entendent

alors sur une vision d’un management décentralisé qui délègue un certain

nombre de responsabilités aux entités opérationnelles. De 1989 à 1994, le

raccourcissement des paliers hiérarchiques fait passer de 9 à 3 le nombre de

niveaux. « L’axe principal de l’action de décentralisation, c’était d’enlever du

pouvoir aux gens du centre pour en donner aux gens sur le terrain. Je l’ai

accompagné par la mise en place de cette nouvelle politique RH ».

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81

Les impacts des réformes liés au mode d’évolution de carrière et à la

décentralisation ne se font pas attendre. « Cela a eu comme effet n°1 de faire

disparaître la cause principale de la conflictualité à la RATP à savoir les

rivalités catégorielles ». Philippe Lemoine, l’un des dirigeants des Galeries

Lafayette, une entreprise partenaire de la RATP, confirme cette observation :

« La RATP avait un pouvoir de nuisance par rapport aux parisiens lorsqu’il y

avait des mouvements sociaux. C’était une entreprise qui disposait de très peu

de marges de manœuvre. Jean-Paul Bailly a réussi à les créer afin que ces

mouvements ne soient plus globalisés mais fragmentés ».

Mener des projets de transformation et de modernisation constitue un exercice

périlleux. Christian Blanc en fait l’expérience. Il finit par démissionner de ses

fonctions le vendredi 27 novembre 1992 suite à un désaccord perdurant avec le

gouvernement sur l’instauration d’un service minimum en cas de grève. Son

action à la RATP sera reconnue par le ministre des transports Jean-Louis

Bianco lors d’une allocution à l’Assemblée nationale. Le ministre rappelle

notamment le succès de son projet de modernisation et de sécurisation des

stations de métro qui fera baisser drastiquement les faits de criminalités dans les

transports urbains. Á son départ, Christian Blanc soumet le nom de son

directeur des ressources humaines pour lui succéder. «Il me considérait comme

son numéro 2 même si je n’étais pas vraiment le second dans la hiérarchie

établie». Cette proposition ne sera pas retenue par le gouvernement.

4.1.3. Partie 3 : Diriger la transformation des organisations publiques

4.1.3.1. Président Directeur Général de la RATP

Le nouveau changement à la direction de la RATP affecte Jean-Paul Bailly.

Pour la première fois de sa carrière, il découvre la difficulté de collaborer avec

Francis Lorenz, un dirigeant dont il ne partage pas la philosophie de gestion.

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82

« C’est une des rares personnalités avec qui j’ai eu du mal parce que,

fondamentalement, c’était quelqu’un qui ne faisait pas confiance. Il était

souvent sur le terrain de la défiance, voir du complot. J’ai eu beaucoup de mal.

C’était autant sa responsabilité que la mienne ».

Jean-Paul Bailly continue à occuper ses fonctions de directeur des ressources

humaines non sans difficulté et se réserve la possibilité de quitter l’entreprise en

cas de renouvellement du Président-directeur général nouvellement nommé.

«La difficulté et le mal de vivre deviennent progressifs. D’une manière ou

d’une autre, cela ne pouvait pas vraiment durer. S’il était resté, moi je serais

parti, parce que c’était trop difficile».

Six mois avant la fin de son premier mandat de remplacement, Francis Lorentz

sollicite son renouvellement. De son côté, Jean-Paul Bailly devient le

« candidat naturel de l’interne ». L’un des dirigeants de la RATP revient sur cet

épisode : « Il y avait deux candidats. Le débat était venu sur la place publique.

J’ai été consulté par des conseillers de cabinets ministériels du fait de ma

position à la RATP. Je connaissais bien les deux candidats. En 1994, l’enjeu

stratégique de la RATP, c’était de transformer les relations sociales. J’ai fini par

prendre parti pour Jean-Paul Bailly car c’était de l’intérêt de l’entreprise ».

À l’occasion de la publication du décret ministériel le 22 juin 1994 par le

premier ministre Édouard Balladur, c’est Jean-Paul Bailly qui est nommé à tête

de l’entreprise. Il remplace Francis Lorentz, non renouvelé dans cette fonction.

Philippe Essig, l’un des dirigeants de la RATP et de la SNCF se félicite de la

nomination d’une personne issue du métier des transports et pouvant assurer

l’avenir de l’entreprise publique : « Je pense que l’intermède de 18 mois de

Francis Lorentz était une erreur du gouvernement. Il ne s’est jamais vraiment

intégré aux réalités de l’entreprise ».

Jean-Paul Bailly devient alors le premier président-directeur général de la

RATP issu de l’entreprise. «Cela me procurait à la fois de la fierté mais créait

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83

aussi une vraie exigence. Ma principale motivation était de démontrer qu’un

dirigeant venu de l’interne pouvait réussir. Que chacun dans l’entreprise puisse

se dire c’est possible ! ». Il s’agit là d’une reconnaissance de ses compétences

professionnelles qui ont été rapportées auprès du gouvernement par ceux qui

ont pu collaborer avec lui. Jean-Paul Bailly se dit décidé à conforter les

responsables de l’État dans leur choix.

4.1.3.2. Premiers pas d’un directeur général

L’homme d’ordinaire discret doit désormais composer avec une fonction

tournée vers l’extérieur. «Il y a un vrai apprentissage. À l’interne, il y a assez

peu de rupture si ce n’est qu’il faut à la fois garder la proximité et prendre de la

distance». En plus de devenir une personnalité publique, il doit désormais

traiter tout l’environnement extérieur qu’il soit politique, administratif ou

médiatique. Nicole Oudin, la sœur de Jean-Paul Bailly voit cette prise de

responsabilité comme relevant d’une certaine continuité : « Il était très heureux.

La RATP était vraiment sa maison. Malgré ses responsabilités de président-

directeur général, il arrivait tout de même à décrocher facilement en dehors des

heures de travail. Lorsque nous nous rencontrions avec nos amis, personne ne

pouvait imaginer qu’il occupait une telle position. Très simple, il est lui-même,

ne joue pas de rôle et a un rapport très naturel aux gens qu’ils soient d’un

milieu simple ou plus aisé. Dans tout cela, on le reconnaît. Il reste dans le

même registre. Les gens savent bien que quand il est face à eux, il dit la même

chose et ne sera pas pris en défaut sur une position différente qu’il a soutenue.

Il ne se transforme pas selon les contextes, reste honnête et droit ».

À peine est-il nommé que Jean-Paul Bailly ne va pas tarder à subir son épreuve

du feu. Au moment de l’annonce du plan Juppé le 15 novembre 1995, Jean-Paul

Bailly subit de plein fouet un conflit national opposant les organisations

syndicales au gouvernement libéral sur la question de l’âge du départ à la

retraite. L’une des mesures annoncées à l’Assemblée nationale par Alain Juppé,

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84

premier ministre, préconise d’allonger la durée de cotisation dans la fonction

publique, passant de 37.5 à 40 annuités de cotisations et à remettre en cause les

régimes spéciaux de retraite d’entreprise dont bénéficient les collaborateurs de

la SNCF17

ou la RATP. « Pendant cette période, j’ai été attentif à ne jamais

couper le lien avec les organisations syndicales. Ce n’était pas trop difficile

parce que la cause était extérieure, c’était une décision gouvernementale. »

Les collaborateurs de la RATP et d’autres organisations publiques telles que la

SNCF, La Poste ou France Télécom se mobilisent contre ce plan en menant des

manifestations et des actions de grève. Le mercredi 29 novembre 1995 et durant

les 17 jours suivants, aucun métro, tramway ou autobus ne circulera dans Paris.

«J’ai compris que la capacité à moderniser la RATP dépendait de la qualité du

dialogue social lorsque je voyais cette menace obnubiler l’attention de mes

prédécesseurs». Les effets des conflits sociaux devenant instantanés et lourds de

conséquence, la résolution de cet aspect devient dès lors sa priorité. Le projet de

loi Juppé sur la réforme des retraites sera finalement abandonné en partie par le

gouvernement le 15 décembre 1995.

4.1.3.3. Une innovation sociale et réglementaire

Au terme du chapitre des grèves générales, Jean-Paul Bailly se pose alors en

réel stratège. Il souhaite anticiper la manifestation des conflits sociaux qui

empêchent la continuité du service à la RATP. Il se concerte avec les membres

de l’organisation et les syndicats sur le thème « plus jamais cela ». Bernard

Gitler participe à ces négociations en tant que secrétaire général du syndicat

Forces Ouvrières : « La table ronde n’a pu se faire que parce qu’il y avait une

espèce de relation de confiance entre lui et la plupart des syndicats. Nos

discussions menaient à des résultats sans que le lendemain il ne change d’avis.

Il faisait preuve de respect et de loyauté vis-à-vis des engagements pris ».

17

SNCF : Société Nationale des Chemins de Fer

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85

Les échanges entre les différents interlocuteurs se poursuivent. L’un des

dirigeants de la RATP décrit le rôle qu’occupe Jean-Paul Bailly durant ces

réunions : « Bailly adopte une méthode de dialogue basée sur l’écoute et la

prise en compte de chacun. Il cherche à construire une relation de confiance

avec ses interlocuteurs de telle sorte qu’il crée le sentiment qu’on peut lui faire

confiance en retour. Dès lors, tout ce qui est un obstacle au progrès dans le

secteur public, à savoir la capacité de tous à bloquer, se libère. Les obstacles

tombent et la caravane passe ! ».

C’est à cette période que Jean-Paul Bailly fait émerger l’idée de l’Alarme

sociale. Ce dispositif imaginé par Jean-Paul Bailly en 1996 se fixe l’objectif de

traiter le mieux possible la continuité des services. «La meilleure réponse était

dans la qualité du dialogue social. Lorsque l’on sentait monter une situation

conflictuelle, on offrait la possibilité aux syndicats ou aux gestionnaires

d’émettre un signal d’alarme». Concrètement, il oblige les deux parties en

conflit à se rencontrer en présence d’une situation conflictuelle 15 jours avant le

dépôt éventuel d’un préavis de grève. Ces discussions mènent à des conclusions

d’accord ou de désaccords qui sont alors publiées en interne. La publication des

conclusions auprès des collaborateurs évite aussi les erreurs d’interprétation de

l’une des parties présente lors des négociations. «On a remarqué que le fait de

se parler, de creuser les choses suffisait souvent à désamorcer le conflit. Depuis

cette date-là, il n’y a plus eu de grève sans un service minimum».

La méthode porte ses fruits. Celle-ci responsabilise tous les acteurs de

l’entreprise à l’échelle locale et évite qu’ils ne doivent remonter auprès de la

direction générale pour qu’une revendication soit traitée. Bernard Gitler,

secrétaire général du syndicat Forces Ouvrières évoque le changement de

situation à la RATP : « Avant, on disait il y a des grèves partout… Lorsque des

choses ne vont pas, on demande 1x, 2x, 3x, le chef ne pouvait pas répondre

parce qu’il n’avait pas les moyens et ne voulait pas que cela remonte au-dessus.

Si ça remontait, avant que cela ne revienne, t’avais le temps… Cela se terminait

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par une action de grève. Avec l’alarme sociale, la décentralisation

responsabilise le chef qui a des moyens et doit répondre à nos préoccupations.

Les choses se négocient en respectant des délais ».

Cette innovation constituera une étape importante dans l’histoire de la RATP.

Elle permettra aussi à Jean-Paul Bailly de régler la question du service

minimum non-soutenue par le gouvernement en 1992.

Selon un rapport parlementaire du Sénat sur l’alarme sociale : « Le protocole

d'accord qui a été mis en place à compter du 11 juin 1996 à la RATP est

exemplaire puisqu'il a permis de réduire le nombre de préavis de grève de 800

par an dans les années 1980 à près de 200 par an actuellement »18. L’alarme

sociale s’appliquera par ailleurs dans d’autres entreprises publiques et sera à

l’origine d’une évolution réglementaire en étant intégrée dans la Loi n° 2007-

1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public

dans les transports terrestres réguliers de voyageurs19. Depuis le 1er

janvier

2008, tout préavis de grève dans une organisation publique de transport doit

être précédé par un constat de désaccord lors du déclenchement de l’alarme

sociale. «On a anticipé l’environnement réglementaire et on l’a probablement

inspiré par cette initiative».

Dans les tabloïdes de la presse française, Jean-Paul Bailly, autrefois inconnu du

grand public, hérite même d’un qualificatif : celui de démineur social. George

Lefebvre, responsable du personnel d’une entreprise d’Etat explique le surnom

donné au dirigeant par les médias : « Il est démineur dans le sens où il attache

beaucoup d’importance aux micro-signaux pour pouvoir réagir par anticipation

aux éventuelles crises sociales. Je crois que profondément, c’est un homme qui

18

http://www.senat.fr/rap/l98-194/l98-19410.html

19 Publiée dans le Journal Officiel du 22 août 2007 - http://www.assemblee-

nationale.fr/13/dossiers/service_public_transports_terrestres.asp

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87

n’aime pas le conflit et qui a une grande sensibilité aux individus. C’est cela qui

guide son action. Il va au-delà du rôle de médiateur des organisations

syndicales, il traite plutôt avec des individus au sens large et de leurs besoins à

l’échelle locale. Il n’y a rien qui le meurtrie le plus que quand l’un ou l’autre

l’accuse d’être inhumain ». Nicole Oudin, la sœur de Jean-Paul Bailly confirme

ces aspects relevant de la personnalité du dirigeant : « C’est quelqu’un de très

sensible dans le sens qu’il est touché par les choses mais aussi par les attaques

personnelles. Il a une personnalité sensible dans le fait qu’on peut le toucher.

Malgré tout je pense que cela fait partie de ces qualités que l’on peut attendre

d’un dirigeant ».

4.1.3.4. Le sens du compromis

L’association de l’ensemble des parties prenantes continue de dominer l’action

que mène Jean-Paul Bailly à la tête de la RATP. « Au quotidien, c’est beaucoup

d’échange et d’écoute, une manière de manager inductive ». Lorsqu’il élabore

son plan stratégique pour l’entreprise en 1997, il mobilise les organisations

syndicales, les élus locaux et tous les acteurs concernés. Il est à l’écoute de

leurs préoccupations respectives. «Cela signifiait instaurer un processus ouvert

et participatif pour arriver ensemble à définir un sens, une vision, une

ambition».

Entre temps, un changement de gouvernement intervient suite à la dissolution

de l’assemblée nationale le 21 avril 1997 par le président Jacques Chirac. Les

socialistes arrivent au pouvoir et l’on se demande si Jean-Paul Bailly ne va pas

être remplacé. Concomitamment, la légitimité du plan semble menacée. «Au

bout du compte, on l’a gardé tel quel car il n’était pas le plan d’un président et

dépassait mon engagement personnel».

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88

L’absence d'étiquette politique joue en faveur du dirigeant. Jean-Pierre Sueur,

Secrétaire d’État et Sénateur PS20

partage cette observation : « Jean-Paul Bailly

a été président de la RATP avec un gouvernement de gauche comme de droite.

Il fait partie des grands commis de la République Française capable de travailler

avec tous les gouvernements. Cette culture du service public sur laquelle repose

son engagement est une nécessité absolue pour aller plus loin et être adapté au

système actuel ».

Dès lors, Jean-Paul Bailly parvient à conserver ses fonctions à la tête de

l’entreprise publique. «Je suis au service de la transformation et de la réussite

de l’entreprise, et donc, au service des Français». S’il incarne l’homme de

l’entreprise discret, loin des combats politiques, Jean-Paul Bailly se distingue

également par la longévité de sa direction et par la stabilité qui en résulte. « Il

vaut mieux être discret. On a beaucoup à y gagner. Il ne faut pas perdre de vue

qu’en tant que dirigeant du service public, on est au service. On n’est pas

propriétaire. Être au service, cela suppose une attitude. Discrétion, modestie et

humilité sont des qualités très importantes ».

Jean-Paul Bailly quittera la RATP en 2002, appelé par le gouvernement de

Jean-Pierre Raffarin à prendre de nouvelles fonctions à la tête du Groupe La

Poste.

Philosophie de management de Jean-Paul Bailly

Ma philosophie de management est fondée sur la responsabilisation, donnant

à chacun des objectifs, des leviers et des outils pour réussir, et être exigeant

sur les résultats. Cette philosophie est dite des « 3 S » et repose sur la

confiance. Elle est valable du Président au chef d’équipe.

1. Le Sens : être capable d’expliquer aux gens où nous sommes

et, où on va et pourquoi, ce que l’on attend d’eux

20

PS : Parti socialiste. Formation politique de gauche en France.

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89

2. Le Soutien : créer les conditions du succès pour tous les

collaborateurs de l’équipe : la compétence, l’efficacité de

l’organisation, la qualité des outils, le cadre de travail, les

systèmes de motivation, la performance de la logistique. On

va travailler dans un cadre où les conditions soient le mieux

remplies possible pour que chacun réussisse.

3. Le Suivi : s’assurer que les résultats sont atteints. C’est la

phase d’évaluation.

4.1.3.5. Le Groupe La Poste

Si depuis le 1er

mars 2010, le Groupe La Poste est devenu une société anonyme

à capitaux publics, l’opérateur français chargé, notamment, de la distribution du

courrier, dispose d’un héritage historique long et inédit dans le monde des

entreprises.

Selon le comité pour l’histoire de La Poste, l’activité postale française aurait été

fondée vers 1476 par Louis XI21

. Son évolution s’entremêle à l’histoire du pays

puisque c’est en 1789 que l’activité postale devient un service public exploité

par l’État22

. En 1879, La Poste fait partie du Ministère des postes et télégraphes,

puis du Ministère des PTT, l’administration publique d’État chargée des Postes

Télégrammes et Téléphone. C’est en 199123

que La Poste acquiert finalement le

statut d’exploitant autonome de droit public. Le président de l’observatoire

21

Appelé aussi « La Poste aux chevaux », puis Union postale universelle en 1878

22 C’est en 1801 que l’arrêté du 27 prairial en IX réaffirme ce monopole d’État

23 Réforme des PTT consacre à France Télécom et La Poste une personnalité juridique

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90

national de la présence postale et député UMP24

Pierre Hérisson rappelle cet

héritage historique : « La Poste a plusieurs centaines d’années, elle a toujours

assumé sa mission, même en période troublée. En 14-18, le parlement crée les

chèques postaux et c’est le postier qui passait apporter de l’argent ou prenait les

économies des Français. En 2011, en France le facteur prête serment et

s’engage à l’éthique, l’honnêteté et la confidentialité. Il y a une confiance

naturelle entre les citoyens et les postiers. Cette confiance ne se décide pas, elle

s’acquière au fil du temps ».

Le Groupe La Poste25

est actuellement structuré autour des quatre activités

suivantes : Courrier, Colis/Express, Banque Postale et Enseigne. En 2010,

l’entreprise a accueilli chaque jour 2 millions de clients dans l’un des 17 000

points de contact répartis sur l’ensemble du territoire français. Le Groupe La

Poste est la plus grande entreprise en France en termes d'effectif avec 276.000

collaborateurs. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 20.9 milliards d’euros en

2010.

Au moment de sa nomination au Groupe La Poste par le décret ministériel du

18 septembre 2002, Jean-Paul Bailly qualifie l’entreprise comme étant menacée

par des retards de compétitivité et fragilisée par de nombreux handicaps. En

plus d’être frappée par une baisse constante des volumes du courrier, son

activité historique, l’entreprise devra également se préparer à la libéralisation

complète du marché postal fixée au 1er

janvier 2011. À partir de cette date, La

Poste perdra son dernier monopole, celui de la distribution des lettres de moins

de 50 grammes. À cette époque, George Lefebvre, occupe la position de

Directeur des ressources humaines. Il décrit cet état des lieux dans lequel se

trouve l’entreprise publique : « La situation était très pessimiste, un manque de

capacité pour nous moderniser dû au résultat d’exploitation limité et l’État ne

24

UMP : Union pour un mouvement populaire, parti politique français de droite.

25 Indications basées sur le rapport annuel 2010

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91

nous aidant pas plus ». Fidèle à son entreprise depuis 1970, George Lefebvre ne

manque pas de rappeler les attentes exprimées envers le dirigeant : « La

visibilité stratégique était plus qu’incertaine. On n’avait pas réussi à bâtir un

plan stratégique avec les prédécesseurs. Quand on commençait, on sentait que

le dirigeant se sentait déstabilisé. Il fallait non seulement arriver à arrêter une

vision stratégique mais aussi parvenir à la déployer ensuite. La maison attendait

son successeur… ».

4.1.3.6. Diagnostic organisationnel

Les défis de transformation sont nombreux pour l’entreprise de service. Les

structures et les modes de fonctionnement du Groupe La Poste s’appuient sur le

modèle des administrations publiques françaises. « Chaque branche du groupe

est quasiment la taille d’une entreprise du CAC40. Il fallait les traiter comme

telle et non pas avec une vision qui restait administrative ». Jean-Paul Bailly se

donne pour mission de moderniser l’entreprise et de la ramener sur le chemin

de la performance. «Tout le monde était inquiet sur l’avenir. Il fallait traiter le

Groupe La Poste comme une entreprise et sortir d’une vision essentiellement

administrative».

En 2002, le nouveau président-directeur général est appelé à trouver des

réponses à une série d’enjeux stratégiques selon la presse économique26

:

Comment restructurer l’activité courrier en décroissance constante ? Quel statut

pour les services financiers de La Poste ? Comment parvenir à dégager un

modèle économique permettant de soutenir ces défis ?

Pour parvenir à élaborer son plan stratégique, Jean-Paul Bailly va à la rencontre

des acteurs de l’entreprise qu’il écoute et essaye de comprendre. « Il faut

écouter, prendre les avis. Comme une maison, une entreprise se construit en

commençant par les fondations et non le toit ! On essaie de réfléchir à là où on

veut aller puis au chemin de construction. On peut trouver des obstacles sur sa

26

Source : les échos

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92

route, alors on tente de déterminer si des éléments et/ou des acteurs peuvent

bloquer. La bonne méthode émerge, elle ne s’impose pas. La décision se

construit plutôt qu’elle ne se prend ».

Au moment d’établir son diagnostic, Jean-Paul Bailly consulte, s’informe et

souhaite dégager des réponses à partir des préoccupations de ses parties

prenantes. L’un des dirigeants du Groupe La Poste rejoint l’équipe de direction

et accompagne Jean-Paul Bailly notamment sur les questions de stratégie : « Il

ne cherchait pas à s’imposer par un rapport de force, il était beaucoup plus dans

la volonté d’établir une relation humaine, assez rare à ce niveau de dirigeant. En

même temps, c’est un bâtisseur qui vient dans les entreprises pour les

transformer sans relâche ». Ce dirigeant du Groupe La Poste conclut : « Sa

force, c’est cette conciliation entre qualité humaine d’écoute et une grande

fermeté dans la volonté de conduire le changement sans vraiment s’arrêter ».

C’est également dans une perspective de durée que Jean-Paul Bailly compose

son équipe de direction pour mener cette action de transformation. Il renouvelle

sa confiance en certains d’entre-deux et fait appel à d’autres personnes pour

renforcer cette équipe. « Je pars toujours de l’hypothèse qu’on peut travailler

avec les gens en place. Sur certaines activités, j’ai senti le besoin d’un

renouveau, d’un regard différent ». Jean-Paul Bailly recrute ces nouvelles

personnes sur base de leurs qualités relationnelles et de leurs « capacités à

bousculer les choses ». Bousculer certes, mais dans le temps. En effet, « C’est

une alchimie très progressive. Je ne suis pas un homme de rupture mais d’une

adaptation vigoureuse ». George Lefebvre sera confirmé dans ses fonctions de

direction des ressources humaines : « Je me mettais à sa disposition s’il voulait

faire évoluer l’entreprise. Il m’a dit qu’il n’avait pas de raison de ne pas me

faire confiance à priori et que l’on ferait le point dans 1 an. Bien qu’étant

spécialiste des RH, sa tentation aurait pu être de s’en mêler. Or, il a préféré

s’investir dans les domaines industrielles qu’il connaissait moins ».

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93

4.1.3.7. Mise en œuvre de la stratégie

Après l’écoute vient le temps de l’action. Dans son premier plan, Performance

et Convergence, de 2003 à 2007, Jean-Paul Bailly adopte une série de

changements structurels au sein de l’entreprise et sensibilise les représentants

de l’État à prendre d’autres mesures d’accompagnement. « Performance était le

sujet de l’entreprise, Convergence celui de l’État ».

L’action de Jean-Paul Bailly ne s’arrête pas à l’élaboration du plan stratégique.

Il mise sur sa présence en région pour faire comprendre les enjeux et mobiliser

les énergies autour de son projet. Sans déroger de ses objectifs, il se montre

néanmoins relativement souple sur la façon d’y parvenir. « Plutôt que d’être

autoritaire, je mise sur une vision partagée. Je suis quelqu’un d’assez déterminé

sur le fond, et très flexible sur la forme ».

Proche du terrain, Jean-Paul Bailly rencontre des élus de la République, les

postiers et les cadres de l’entreprise lors de ses déplacements. Au siège du

Groupe La Poste, il reçoit tour à tour des groupes de 10 parlementaires à des

rencontres autour d’un petit déjeuner sur une base mensuelle. Le président de

l’observatoire national de la présence postale et député UMP Pierre Hérisson

décrit cette particularité : « La différence, c’est que Jean-Paul Bailly a une

approche de la relation avec les élus au motif qu’il a une culture d’entreprise

publique. Il a compris qu’il devait s’appuyer et se montrer disponible vis-à-vis

des parlementaires, conseillers généraux et maires. Quand il s’est fixé un

objectif, il est déterminé, il avance. Son souci, c’est de laisser un minimum de

gens qu’il n’a pas convaincu derrière lui. Dans une entreprise publique, ce n’est

pas un conseil d’administration que vous devez convaincre mais d’abord

l’ensemble des acteurs ». Jean-Paul Bailly se consacre pleinement à ce travail

de communication et de pédagogie afin de convaincre et de rallier à son action

de transformation les représentants de l’État et ses 300.000 collaborateurs. «Je

suis convaincu qu’on ne perd jamais son temps à réfléchir à la stratégie, à

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expliquer où l’on va, à la faire partager. Les gens ont compris qu’on préparait

l’avenir de l’entreprise auquel elle devait s’adapter. J’ai trouvé ici une

formidable capacité d’adhésion et de mise en œuvre du changement».

Ainsi, entre 2003 et 2007, le Groupe La Poste abandonne la structure

départementale pour une organisation de type divisionnaire dessinée autour de

3 grands métiers : le courrier, le colis et l’express, la banque. Désormais,

chaque métier se responsabilise par la conduite de projets propres et dispose

d’objectifs, de moyens et d’équipes dédiées. « Autrefois, il y avait un directeur

par département, il devait être polyvalent pour des métiers très différents… la

division permet de professionnaliser chaque branche ».

La décentralisation des activités sur trois niveaux, national, territorial et

l’établissement au lieu de cinq, s'accompagne également d’une structure

parallèle de dialogue social poursuivant une méthode bien définie dans des

accords-cadres. « Nous voulons être clairs, fermes sur les objectifs mais

flexibles sur les façons de les réaliser ». Tant les élus locaux que les syndicats

s’y retrouvent pour définir de manière concertée la manière de conduire au

mieux la transformation de l’entreprise.

D’autre part, l’État joue pleinement son rôle d’actionnaire actif pour permettre à

l’entreprise de se mettre à armes égales avec ses concurrents. « Le grand thème

c’était : nous allons faire des efforts de performance, mais nous ne pouvons pas

faire la course en tête avec des grosses chaussures et un sac à dos sur les

épaules quand tous les autres sont en survêtement avec des pointes… ». Jean-

Paul Bailly obtient deux mesures importantes des représentants politiques : le

financement de la retraite des fonctionnaires et la création de la Banque Postale.

L’un des dirigeants du Groupe La Poste revient sur les contours de ce

changement de régulation : « Au début du 20e siècle, La Poste était le principal

opérateur financier en France avec les chèques postaux. Avec la montée des

banques de détail, le fonds de commerce s’est vidé. Ces derniers se sont battus

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très fortement pour éviter la création de la Banque Postale. Grâce à une longue

bataille, Jean-Paul Bailly a réussi à obtenir le soutien du gouvernement ». Avec

près de 10 millions de clients en 2010, la Banque Postale propose désormais un

ensemble de services27

tout en assurant une mission d’accessibilité bancaire

aux personnes les plus modestes. « C’est une entreprise présente dans le marché

mais son propriétaire est public, une gouvernance où on est assez dépendant du

Parlement. Jean-Paul Bailly dispose de cette capacité d’empathie à l’égard du

pouvoir politique ».

4.1.3.8. Évaluation des performances basée sur le monitoring des résultats

Les résultats de l’action de transformation menée par Jean-Paul Bailly durant

ses deux mandats au Groupe La Poste se traduisent par une série de

changements concrets et visibles aux yeux des postiers et des représentants de

l’État. « Aujourd’hui, la grande majorité des postiers reconnaîtrait que

finalement, après 8 ans, la politique suivie a renforcé La Poste ».

L’outil logistique du courrier a été reconstruit sur la base d’un investissement

de 3 milliards échelonné de 2003 à 2010. La présence d’enseigne sur le

territoire français est repensée avec l’introduction de 7.000 points postaux en

partenariat. Il s’agit d’un partenariat avec des commerçants ou des Communes

qui continuent d’offrir le service dans certaines zones rurales. Les grands

bureaux postaux urbains bénéficient également d’une revalorisation de leurs

activités. « Nous avons finalisé la mise en place d’une transfiguration des

bureaux de Poste dans lesquels il y a un vrai accueil. Les gens sont pris en

charge avec une quasi disparition des files d’attentes. On n’entre plus dans une

administration mais dans un magasin moderne… on se sert, on va à des caisses

séparées... »

27

Parmi les services désormais proposés, citons ; le crédit immobilier, le crédit à la

consommation, l’assurance vie, dommages,santé, prévoyance, les prêts aux personnes morales

et bientôt aux collectivités territoriales.

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96

Les orientations stratégiques du premier plan de 2003 à 2007 ont permis au

Groupe La Poste de rattraper en partie le retard sur ses concurrents européens

par une transformation profonde de l’organisation publique. « Nous sommes

parvenus à dégager un résultat économique permettant notre modernisation,

notre développement et l’amélioration de qualité du service ».

Le second plan de 2008 à 2011, Performance et Confiance, a permis de

favoriser une culture basée sur le résultat. Cela se traduit par la nécessité

d’atteindre à la fois une meilleure marge d’exploitation et qualité du service. Il

s’agit pour Jean-Paul Bailly de parvenir à dégager des résultats similaires sinon

supérieurs aux concurrents européens. Pour favoriser la mise en œuvre des

mesures du second plan stratégique, Jean-Paul Bailly instaure le principe de « la

feuille de route » détaillant aux dirigeants les objectifs à atteindre. George

Lefebvre, directeur des ressources humaines explique les différences : « Il y a

un système de suivi assez organisé. Chacun dispose d’une feuille de route, avec

un système de reporting et de suivi par rapport à cette feuille de route. Ce

système d’appréciation fondé sur des objectifs et des lettres de mission

n’existait pas entre les présidents précédents et les cadres-dirigeants ».

Les cadres intermédiaires sont également soumis à des évaluations. En effet,

Jean-Paul Bailly s’assure à l’atteinte des résultats via un système d’évaluation :

le monitoring du développement responsable28

. L’un des cadre-dirigeants du

Groupe La Poste explique : « Avec la décentralisation vers les métiers, les

cadres intermédiaires sont responsabilisés. Les directeurs sont évalués sur base

des résultats et beaucoup moins qu’avant sur les moyens ». Selon un autre

cadre-dirigeant, ce système d’évaluation traduirait les valeurs et la philosophie

28

Monitoring : les indicateurs de performance des rapports du Groupe La Poste sont basés sur

1) des indicateurs financiers (rapports financiers classiques – les résultats insistent sur la

répartition en fonction des branches étant donné l’investissement et les objectifs spécifique à

chacun des métiers), 2) des indicateurs sur la qualité des opérations et du service rendu (ex:

durée attente bureaux, respect délais livraison, taux de satisfaction), 3) des indicateurs sur le

rapport avec les parties prenantes (ex : nombre de bureaux, indicateurs de diversité,

environnementaux, part de salariés permanents) - Voir résultats Annexe 2

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de management du président-directeur général : « Il délègue, fait confiance et

ne donne pas l’impression de contrôler. Cela dit, il sait ce qui se passe. Les

résultats, il les connaît, il les voit. Il a tout un tas de réseau d’informations qui

lui reviennent de partout donc il sait très bien ce qui se passe. La base de la

relation, c’est la confiance ».

4.1.3.9. Instaurer une relation de confiance sur le long terme

Entre la direction générale du Groupe La Poste et de la RATP, Jean-Paul Bailly

perçoit un certain nombre de similitudes issues de sa philosophie de

management (Voir en Annexe 1). «L’atteinte des résultats a été possible parce

qu’on a beaucoup travaillé sur la relation de confiance en interne, avec les élus

locaux et l’actionnaire». Jean-Paul Bailly dit aussi avoir réussi à maintenir ce

climat de confiance en tenant les engagements pris auprès de chacun. « Une

manière de progresser dans la confiance, c’est de prendre des engagements, de

les honorer et d’en rendre compte régulièrement sur la manière dont ceux-ci

sont atteints. C’est vrai pour toutes les parties prenantes ».

L’un des facteurs de succès réside dans une compréhension fine et l’articulation

des préoccupations des différents acteurs autour de la table. La bonne gestion

des temps devient alors une qualité importante d’un dirigeant d’une

organisation publique selon lui. « Le temps joue un rôle majeur et les temps des

parties prenantes ne sont pas les mêmes. Il y a un peu d’intuition dans cette

capacité à orienter au bon moment ». Si le temps des décideurs est court, du fait

des pressions financières, Jean-Paul Bailly explique que pour le corps social, le

temps est long, car il nécessite compréhension et appropriation. « Dans des

situations où la maturation est lente, il faut savoir attendre que les esprits soient

préparés. Si vous jetez une graine, il faut préparer le terrain pour que cela donne

quelque chose ». Philippe Lemoine, membre du conseil d’administration du

Groupe La Poste en sa qualité d’observateur extérieur explique que cette

capacité à gérer les temps joue un grand rôle dans la réussite des

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98

transformations entreprises par Jean-Paul Bailly : « Ce qui le caractérise, c’est

d’essayer de relier en permanence les différentes préoccupations dans ses

changements. Je l’ai comparé à un très bon chef de gare où les trains

passeraient dans tous les sens avec des aiguillages. La mise en œuvre de son

management passe par une orientation stratégique partagée et un management

décentralisé. De ce fait, un tas de changement est mis en œuvre en prêtant

attention au risque de collision ».

À côté des similitudes, Jean-Paul Bailly perçoit aussi des différences entre le

Groupe La Poste et la RATP. En France, la culture du service public repose sur

3 fondements : l’universalité, la continuité et l’adaptabilité. « La culture de la

RATP est essentiellement technique. Il est particulièrement difficile de passer à

une culture de service et de qualité ». Le dirigeant a pu se rendre compte que

malgré son leadership sur le plan technique, les questions sociales venaient

ralentir l’adaptabilité de la RATP. « Les enjeux techniques comme la sécurité y

sont extrêmement forts. C’est souvent un facteur de rigidité. On a un système

qui marche et qui est sûr. Du coup, cela crée beaucoup de résistance au

changement car il y a un risque d’altérer la sécurité. Même le changement

organisationnel est redouté ».

Jean-Paul Bailly a fourni beaucoup d’efforts à trouver des solutions novatrices

pour permettre la continuité des services lorsqu’il fut dirigeant à la RATP. « À

l’inverse, La Poste est complètement tournée vers le grand public. Le facteur

rend un service individuel à chacun. La culture du service est présente ».

Au Groupe La Poste, Jean-Paul Bailly s’appuie alors sur les attentes et la

satisfaction des clients pour faire évoluer l’entreprise. « Lorsqu’il y a une

relation de face à face, les entreprises sont fondamentalement plus à même

d’adhérer à la nécessité de s’adapter à l’évolution des attentes et des

comportements d’une clientèle ». En observant la transformation des

organisations publiques, George Lefebvre, directeur des ressources humaines

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insiste sur la capacité de Jean-Paul Bailly à intégrer l’héritage du Groupe La

Poste : « La transformation des métiers a pu être conduite en profondeur grâce à

un mode de management responsabilisant fondé sur des objectifs. Cela a permis

d’intervenir de manière séquentielle et parallèle, ce qui autrefois était

impossible avec la centralisation. Bailly s’est attaché à respecter la culture

profonde et les valeurs de l’entreprise. Il se situe plus dans une évolution

qu’une rupture. Changer le comportement de centaines de milliers de

collaborateurs certes, mais sans y perdre son âme, sans renoncer aux valeurs du

service au plus grand nombre et du soutien aux personnes qui sont en

difficultés. ».

Si l’atteinte des résultats économiques constitue l’une de ses priorités, Jean-

Paul Bailly n’en oublie pas pour autant les valeurs attachées au service public,

la raison pour laquelle il s’est lui-même consacré aux entreprises d’État. Les

organisations publiques allient selon lui un équilibre entre le sens d’un service

public et l’esprit d’entreprendre. «S’il n’y a que l’un des deux, on risque de

divorcer en perdant nos valeurs ou, dans l’autre situation, on peut tomber dans

des écueils de nature administrative».

Celles et ceux qui l’ont rejoint à la direction du Groupe La Poste partagent

selon lui cette même volonté de relever les nombreux défis de transformation

du service public. « Ces gens de très grande qualité pourraient trouver des

rémunérations incomparablement plus favorables. Au contraire, ce sont des

gens qui m’ont rejoint pour des causes plus nobles. Ces gens restent parce

qu’ils sont heureux d’exercer leur talent au service de l’intérêt général ». L’un

des dirigeants du Groupe La Poste confirme cette volonté de se mettre au

service de l’intérêt général lorsqu’il fut recruté par Jean-Paul Bailly : « Ce qui

attire ceux qui viennent à La Poste, c’est d’une part que ça bouge beaucoup et

d’autre part une certaine teinture d’intérêt général. C’est ce qui me plaisait chez

Jean-Paul Bailly. D’abord quelqu’un de très simple à la fois dans les signes

extérieurs d’autorité et de richesse alors que d’autres grands PDG que j’ai pu

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100

rencontrer sont extrêmement imbus d’eux-mêmes. C’est un honnête homme,

d’une grande modestie, très curieux et surtout très exigeant intellectuellement,

l’empathie et la sympathie n’excluait pas que l’on se fasse corriger en cas de

faute de raisonnement ».

Cette loyauté envers les organisations publiques qu’il s’est efforcé de

transformer constitue l’une des raisons essentielles de sa réussite selon Pierre

Hérisson, président de l’observatoire national de la présence postale et député

UMP : « Bailly s’est inscrit avec des objectifs qui ne pouvaient être réalisés à

court terme. Il a compris qu’il devait rester jusqu’à leur accomplissement. Il

s’est attaché à cette mission à tel point qu’il renonça à être ministre. L’autre

maitre mot, c’est qu’en tant que serviteur de l’État, il a réussi à assurer en

permanence la relation nécessaire à une concertation. Pour pouvoir faire

évoluer une entreprise publique, il a passé une grande partie de son temps à

concilier les différents points de vues, gouvernement, parlement, syndicats,

collectivités locales ».

4.1.3.10. Perspectives futures

L’action de transformation menée par Jean-Paul Bailly au Groupe La Poste a

permis d'accroître la performance et même de ramener l’entreprise publique

vers des résultats économiques durablement positifs, comparables aux meilleurs

concurrents et robustes dans la tempête économique et financière depuis 2008.

En 2010, la branche courrier effectue 11 milliards d’euros en chiffre d’affaires

tandis que les chiffres d’affaires des deux autres branches, colis express et

banque, sont chacun de l’ordre de 5 milliards d’euros. « C’est important que le

service public soit capable de générer les ressources nécessaires à son

fonctionnement, à sa modernisation et son développement. C’est l’intérêt du

contribuable et de la nation ».

L’accomplissement de ces engagements stratégiques a valu à Jean-Paul Bailly

la reconduction de son contrat à l’occasion d’un troisième mandat d’une durée

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101

de 5 ans à la tête du Groupe La Poste29

. Il entend poursuivre son action de

modernisation tout en relevant les nouveaux défis de son plan Ambitions 2015.

« Il ne faut jamais arrêter le mouvement. Ce qui demande le plus d’énergie,

c’est de commencer à bouger. Je donne souvent l’exemple d’une fusée. Le

moment où il y a le maximum de puissance, c’est au décollage, quand elle ne

bouge pas. Au fur et à mesure qu’elle bouge, que le carburant se consomme,

que la résistance à l’air diminue, elle a besoin de moins en moins de puissance.

Une entreprise, c’est pareil. » Contrairement aux décennies précédentes, le

dirigeant de l’entreprise publique est désormais nommé sur proposition du

gouvernement qui doit ensuite obtenir l’aval des deux assemblées constituantes.

Après une période d’audition à l’Assemblée nationale et au Sénat, les députés

ont émis un avis majoritaire positif par un vote à bulletin secret30

. Nicole

Oudin, la sœur de Jean-Paul Bailly conclut : « Les personnes, de droite comme

de gauche ont reconnu ses qualités d’un homme honnête et intelligent, prenant

des décisions pour le bien de l’entreprise. Il a aimé être dans le service public, a

adhéré à cet état d’esprit compatible avec ses valeurs et qu’il tente de maintenir

à l’heure actuelle. C’est ainsi qu’il est devenu un grand serviteur de l’Etat,

servant le plus grand nombre le mieux possible et sans intérêts personnels ».

En se tournant vers l’avenir, Jean-Paul Bailly prédit un très bel avenir aux

services publics dans un contexte de crises récentes qui, d’après lui, mirent en

relief la nécessité d’activités régulées. Il avance toutefois un certain nombre de

conditions de réussite. Le cahier des charges devrait d’abord et avant tout être

défini correctement par les instances politiques. La deuxième condition

reposerait selon lui sur les capacités du service public à évoluer, à être en phase

avec les attentes des concitoyens. « Mon message principal : le service public

29

Le conseil d’administration du Groupe La Poste a validé ce renouvellement le 20 décembre

2010. Jean-Paul Bailly a été auditionné à l’Assemblée Nationale le 21 décembre 2010 et au

Sénat, le 12 avril 2011. Il a été renouvelé officiellement par décret ministériel en date du 14

avril 2011.

30 Si le dirigeant proposé n’obtient pas la majorité des suffrages en sa faveur, le gouvernement

est tenu de soumettre un autre candidat.

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n’a de sens que s’il est contemporain et en phase avec les attentes de la

population. Quand on voit des difficultés dans le fonctionnement de service

public, c’est que les différentes forces qui agissent n’ont pas réussi à créer les

conditions de cette adaptation permanente à l’environnement ».

Si Jean-Paul Bailly a par contre toujours décliné les nombreuses opportunités,

qu’elles soient professionnelles ou ministérielles, c’est pour continuer, comme

au premier jour de poursuivre un idéal. « Sur le long terme, on a la capacité de

vraiment faire évoluer des choses. Une contribution moins spectaculaire, moins

médiatique mais au moins aussi authentique ».

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103

Chapitre 5 : Analyse des données

Dans un premier temps, nous allons analyser les données présentées dans

l’étude de cas sur base des variables de notre cadre conceptuel. Dans un second

temps, nous discuterons les résultats de notre exploration en effectuant le lien

avec les éléments théoriques développés dans la revue de littérature. La

conceptualisation à partir de nos données nous permettra de tirer un certain

nombre d’enseignements et de répondre à notre question de recherche sous

forme de propositions.

5.1. Analyse des données du cas

L’analyse des données se basera sur cadre conceptuel proposé au chapitre 2.

DIMENSION A DIMENSION B

Diagnostic stratégique de

la transformation

Caractéristiques

du dirigeant

Mise en œuvre de la

transformation

Modèle stratégique

La capacité du

changement

stratégique

Modèle opérationnel

Enjeux du changement

selon les logiques de

l’action organisée

- Contexte

- Structure

- Culture

- Leadership

- Leviers d’action :

Légitimation

Réalisation

Appropriation

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104

L’analyse du cas se fera en fonction des 5 variables retenues dans le cadre

conceptuel : 1) Contexte ; 2) Structure ; 3) Culture ; 4) Leadership ; 5) Leviers

d’actions (Appropriation, Réalisation, Légitimation). Nous compléterons notre

propos par des citations issues des entrevues menées dans le cadre de ce

mémoire.

5.1.1. Contexte

La première variable que nous utiliserons pour analyser l’étude de cas concerne

le contexte.

En effet, nous observons dans l’étude de cas que les transformations entreprises

par Jean-Paul Bailly au sein des deux organisations publiques réfèrent à des

différents contextes externes.

À la RATP, le dirigeant prend conscience, au moment de sa prise de fonction à

la direction générale de l’entreprise publique, que la : « la capacité de

transformation de la RATP dépendait de la qualité du dialogue social ».

Le son de cloche semble quelque peu différent à son arrivée au Groupe La

Poste. Le dirigeant explique que : « la capacité de transformation de La Poste

dépendait de sa compétitivité et d’handicaps structurels ». En effet, l’entreprise

dégageait un résultat nul ou négatif tandis que plusieurs lois limitaient son

développement contrairement à ses futurs concurrents européens.

Ces deux premières indications sur le contexte particulier de ces organisations

publiques, nous ramènent à nous intéresser d’une certaine manière au contexte

plus général des entreprises détenues par l’État.

À ce titre, le dirigeant explique dans l’étude de cas, lorsqu’il parle de l’avenir

du service public, qu’en tant que serviteur de l’État, son rôle consiste à : « créer

les conditions d’une adaptation aux attentes de la population ».

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105

Nous remarquons donc qu’au cours de ces transformations, Jean-Paul Bailly

centre son action sur le problème de « continuité » tandis qu’à La Poste, où il

explique éprouver moins de difficulté concernant cette continuité, il s’occupe

davantage de la question de l’adaptabilité.

Finalement, un autre élément lié au contexte ressort dans le cas, lorsque George

Lefebvre, directeur des ressources humaines au Groupe La Poste, rappelle que

la gouvernance de l’organisation publique dépend, dans la mise en œuvre de la

transformation, des lois votées par le Parlement. Donc, le dirigeant s’adressera

aux responsables politiques tant à titre de régulateur que d’actionnaire.

Ainsi, nous voyons que Jean-Paul Bailly parvient même à influencer d’une

certaine manière l’environnement réglementaire, qu’il fait évoluer. Le cas de la

transposition de la mesure de l’Alarme sociale et texte de loi ou encore la

création de la Banque Postale représente des exemples cités dans le cas.

Extrait d’un entretien :

« Un patron d’entreprise publique doit avoir encore plus que les autres des

capacités, à savoir gérer des contradictions et le degré de complexité

supérieur, par une autre nature de contrainte que ne connaissent pas les

patrons du privé, celles qui sont mises en avant par l’Etat et la nation. Si vous

ne prenez pas en compte cette dimension-là, vous ne pourrez jamais faire

bouger les choses. L’action que vous conduisez est forcée d’intégrer les

préoccupations de l’Etat. »

Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP

Cette première variable de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain

nombre d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les

caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.

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106

Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait que ce qui caractérise le

contexte d’une organisation publique, c’est l’État-lui-même. En tant que

propriétaire et régulateur des activités de ce type d’organisations, l’État

constitue en quelque sorte le contexte de la transformation.

Nous pouvons également indiquer qu’il existe, dans cette relation État-

organisation publique, et par prolongement, dirigeant, une certaine dépendance.

Cette dépendance ne peut être vue uniquement de façon déterministe. En effet,

nous voyons dans le cas qu’un dirigeant peut agir sur cette variable, en amenant

l’État à « l’accompagner » dans la mise en œuvre de la transformation. Le nom

« Performance et Convergence » du premier plan stratégique fait justement

référence, par le terme convergence, au rôle de l’État comme nous avons pu le

voir dans l’étude de cas. De plus, le dirigeant parvient à garder un minimum de

contrôle par des rapports continus avec l’État. Nous remarquons que par ses

choix, notamment des dirigeants l’État peut être à la fois conservateur, dans le

cas de la RATP, limitant le degré de transformation, ou proactif, dans le cas du

Groupe La Poste. Finalement, la capacité de transformer le contexte ne dépend

pas uniquement de la décision du dirigeant, mais davantage de sa relation à

l’État.

5.1.2. Structure

La deuxième variable sur laquelle nous nous appuierons pour analyser l’étude

de cas concerne la structure.

En effet, nous observons dans l’étude de cas que les transformations entreprises

par Jean-Paul Bailly au sein des deux organisations publiques s’appuient sur

des changements structurels.

Mentionnons d’abord une première spécificité des deux organisations

publiques : leur taille. Nous apprenons dans le cas qu’en 2010, la RATP compte

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107

56.000 collaborateurs tandis qu’au Groupe La Poste, l’effectif s’élève à 276.000

personnes. La transformation touche de grands nombres et nous observons dans

le cas qu’une série d’ajustements ont été opérés dans les mécanismes

d’allocations des ressources et dans les structures de coordination.

Ainsi, l’une des mesures concerne le principe de décentralisation. Tant à la

RATP qu’au Groupe La Poste, le nombre de niveaux entre la direction et les

opérations a été réduit, passant de 9 à 3 niveaux dans le cas de la première

organisation publique et de 5 à 3 niveaux dans le second cas.

Jean-Paul Bailly décrit plus précisément les raisons qui motivèrent ces

modifications structurelles.

Dans le cas de la RATP, il explique que pour parvenir à transformer les

relations sociales, qui empêchent d’assurer la mission de service publique de

continuité des services, il tente dans un premier temps d’endiguer la

globalisation des conflits, puis dans un second temps, à créer un mécanisme

permettant d’améliorer la qualité du dialogue.

Plus concrètement, cette volonté stratégique se traduit d’un point de vue

opérationnel par les mesures ajustant les structures de l’organisation :

- Endiguer la globalisation des conflits : La politique RH

traditionnellement basée sur des critères bureaucratiques pour

l’évolution de carrière/rémunération tient compte de critères individuels

liés aux qualités et à la performance des collaborateurs. Les

collaborateurs sont donc considérés de manière individuels et non plus

collectifs.

- Améliorer la qualité du dialogue social : L’alarme sociale responsabilise

les cadres et leur donne les ressources nécessaires pour veiller et traiter

les préoccupations exprimées par leurs collaborateurs dans les

opérations courantes. Une préoccupation, reconnue désormais comme

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108

étant quelque chose de légitime, est prise en charge à la source de

manière précise en suivant une procédure, évitant que les collaborateurs

non-écoutés autrefois ne doivent traduire en action, exprimant en

quelque sorte leur résistance.

Dans le cas du Groupe La Poste, Jean-Paul Bailly indique que pour parvenir à

adapter l’organisation publique aux besoins de la population et parvenir à

relever les défis futurs occasionnés par la libéralisation complète du marché

postal, il tente de restructurer l’organisation. En effet, la structure de 2002 se

base sur un héritage historique de l’organisation bureaucratique des

administrations françaises. Rappelons qu’en 1991, La Poste faisait partie d’un

ministère et qu’elle avait à sa tête un Ministre faisant partie du gouvernement.

Plus concrètement, cette volonté stratégique se traduit d’un point de vue

opérationnel par les mesures suivantes :

- Structure de coordination : groupe structuré autour de 4 divisions, dites

« métiers ». Avant l’arrivée de Jean-Paul Bailly, l’organisation publique

était structurée de façon pyramidale sur base des échelons territoriaux de

l’administration française. Avec le plan « Performance et

Convergence », la structure est divisée en branches selon les métiers du

Groupe à savoir, le courrier, le colis/express, la banque et l’enseigne des

bureaux.

- Mécanismes d’allocation des ressources : professionnalisation des

métiers. Pour parvenir à assurer la qualité des services rendus aux

citoyens et assurer l’autofinancement des activités, nous voyons dans le

cas que Jean-Paul Bailly nomme des responsables dans chacune des

business-units, disposant chacun d’une feuille de route avec des

objectifs propres aux réalités de leur environnement, un budget et une

évaluation dans l’atteinte des résultats.

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109

Cette deuxième variable de l’analyse nous amène à un certain nombre

d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les

caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.

Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait que ce qui caractérise la

structure d’une organisation publique, c’est l’héritage de logiques de

fonctionnement basées sur l’organisation bureaucratique du travail. La

centralisation et les niveaux de hiérarchies élevés ont tendance à limiter la mise

en œuvre d’une transformation.

Nous pouvons également indiquer que sous l’action d’un dirigeant, ces

structures peuvent être modifiées pour permettre, notamment grâce à la

décentralisation, mais aussi par des innovations managériales dans les

mécanismes de coordination et d’allocations des ressources, la mise en œuvre

de changements « non plus séquentiels, mais parallèle ». Selon les termes du

cas. Nous préciserons également le fait que cette variable constitue celle qui

confère le plus de contrôle au dirigeant, d’où son importance dans la capacité à

permettre le changement.

5.1.3. Culture

La troisième variable que nous utiliserons pour analyser l’étude de cas concerne

la culture.

En effet, nous observons dans l’étude de cas que la notion de culture est très

présente dans les transformations entreprises par Jean-Paul Bailly au sein des

deux organisations publiques.

Rappelons d’abord, que ce qui caractérise les deux organisations publiques,

c’est un héritage long dans l’histoire de la France. En effet, fondée en 1899, la

RATP offre ses services de transports depuis plus de 100 ans alors que la

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110

gestion par l’État du service postal remonte à 1789, une période historique dans

l’histoire du pays, la Révolution Française et qui remonte à plus de 200 années.

Nous voyons dans le cas que Jean-Paul Bailly en a bien conscience. Il explique

en effet que ce qui distingue les deux organisations publiques, et aura par

conséquent une influence dans la manière d’aborder leur transformation selon

ces propos, c’est du côté de la RATP, une organisation fondée sur une culture

technique et du côté du Groupe La Poste, une entreprise reconnue pour son

service.

D’une certaine manière, nous pouvons pousser notre analyse en indiquant qu’en

étant fondée pour servir le plus grand nombre, ces organisations publiques ont

bâti leur confiance sur le savoir-faire d’un service technique, soit le

déplacement collectif de façon sécurisé pour la RATP et d’un service personnel

d’acheminement du courrier/colis de façon confidentielle. Jean-Paul Bailly

explique que ces deux organisations publiques bénéficient ainsi d’une relation

de confiance vis-à-vis de la population dans l’accomplissement de ces missions.

Ces premières indications sur la culture particulière de ces organisations

publiques, nous ramènent à nous intéresser d’une certaine manière à la façon

dont Jean-Paul Bailly a mis en œuvre ces transformations.

Ainsi, nous remarquons dans le cas que, selon les propos de Jean-Paul Bailly,

mais surtout de notre échantillon d’observateurs-témoins, le dirigeant a réussi à

entreprendre ces transformations parce qu’il avait conscience de cette culture de

service publique et propre à l’histoire de ces organisations d’État. Dès lors,

plutôt que « de renier cet héritage » selon les termes du cas, Jean-Paul Bailly a

tenté de s’appuyer sur cette culture pour parvenir à transformer les deux

organisations publiques.

En partant de la culture de service du Groupe La Poste, il explique s’être

appuyé sur la volonté des postiers de servir au mieux la population avec qui ils

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111

ont une relation de proximité par leur fonction. D’une certaine manière, nous

pouvons dire que les attentes et les comportements des citoyens évoluent

(baisse du volume du courrier, augmentation des colis), ce dont les postiers ont

conscience. Dans la mise en œuvre, nous pouvons citer la réorganisation

logistique, la transformation des bureaux en magasins modernes, le

redéploiement des points postes comme des exemples de changements axés sur

la culture d’amélioration du service rendu à la population. Citons l’exemple le

plus marquant, qui est la création de la Banque Postale. L’institution tire sa

légitimité d’une culture « d’accessibilité bancaire » qui rappelons-le, fait écho

au principe d’université des missions de service public. Notre analyse nous

pousse à croire que c’est en se basant sur cette variable culturelle, que Jean-Paul

Bailly a réussi à convaincre les pouvoirs publics de permettre cette création

malgré les pressions des banques de détail.

Dans le cas de la RATP, Jean-Paul Bailly explique dans la dernière partie du

cas, qu’il évalue lui-même son bilan de façon plus mitigé, une transformation

« plus difficile » à cause « de la culture essentiellement technique ». En effet,

selon le dirigeant, la crainte d’altérer la sécurité d’un système qui fonctionne en

cas de modifications. Un autre élément retient notre attention, le pouvoir des

organisations syndicales, notamment dans leur capacité à bloquer la mise en

œuvre de changements dans certaines normes partagées par les membres de

l’organisation. Il est intéressant de voir dans le cas que les organisations

syndicales occupent une place plus importante dans le cas du fait de leur rôle à

la RATP, contrairement au Groupe La Poste. Les organisations syndicales

seraient incontournables étant donné « leur pouvoir de nuisance sur la

population » en cas de grève. Pour autant une généralisation à l’ensemble du

secteur public comme une caractéristique parait illusoire étant donné la

fréquence différente entre La RATP et le Groupe La Poste.

Extraits d’entretiens :

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112

«Il sait très bien qu’il y a une culture dans l’organisation publique et il sait

très bien qu’on ne pourra pas changer cette organisation en niant cette

culture. Le respect de cette culture de service public est une nécessité absolue

pour aller plus loin et être adapté au système actuel. Cela a été géré avec

davantage de respect du potentiel, qu’il est nécessaire de le respecter, car

c’est un véritable atout. Quand vous ne respectez pas l’organisation publique

pour ce qu’elle est et peut apporter, vous ne faites pas bien évoluer

l’entreprise.»

Jean-Pierre Sueur,

Député et Secrétaire d’État, Parti socialiste

« Dans le secteur privé, les organisations syndicales ont conscience que

l’entreprise est mortelle, alors que dans le secteur public, elles n’en ont pas

conscience, ou considèrent que c’est une théorie, et qu’in fine, même si

l’entreprise publique va mal, l’Etat sera toujours là pour la sauver. »

Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP

« La nécessité d’une adaptation vigoureuse est largement imposée par

l’environnement. Pour réussir cette transformation indispensable, il faut

s’appuyer sur les valeurs profondes dans une organisation publique. Il faut

que tout change pour que rien ne change. Il faut que l’organisation change

complètement pour rester elle-même, conformément à ce que les citoyens

attendent d’un service public contemporain, pas d’il y a 50 ans. On ne peut

rester fidèle à soi-même qu’en changeant. »

Jean-Paul Bailly

Cette troisième variable de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain

nombre d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les

caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.

Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait que ce qu’une organisation

publique est caractérisée par une culture forte, liée à un héritage historique long

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113

et inédit. Nous dirons également que les missions de service public, raison

d’être de ces organisations, correspondent en quelque sorte aux valeurs qui

partagent les membres de ces organisations dans l’accomplissement de leur

emploi. Nous mentionnerons également que pour rester pertinent, l’un des

piliers des missions de service public est l’adaptabilité du service rendu aux

attentes de la population.

Nous pouvons également indiquer que sous l’action d’un dirigeant, la culture

peut constituer un levier à la fois défavorable mais peut également s’avérer être

un levier favorable à la transformation d’une organisation publique. Nous

avancerons également le fait que le dirigeant a réussi la mise en œuvre des

transformations parce qu’il ne cherchait pas à aller à l’encontre des limites

rencontrées du fait de la culture organisationnelle.

5.1.4. Leadership

La quatrième variable que nous utiliserons pour analyser l’étude de cas

concerne le leadership. Nous reviendrons plus particulièrement sur le leadership

transformationnel.

En effet, comme nous avons pu le voir dans l’analyse des variables précédentes,

le dirigeant joue un rôle moteur en créant, à partir de facteurs organisationnels,

une capacité permettant la transformation. En partant de cette idée, nous tentons

alors de dégager un certain nombre de traits relatifs au leadership

transformationnel du dirigeant que nous avons étudiés dans le cas.

Nous observons dans un premier temps que Jean-Paul Bailly a été nommé à la

direction de deux organisations publiques parce qu’il disposait d’une

connaissance du fonctionnement ainsi que d’expériences réussies. Il a été

identifié comme un leader de la transformation. Rappelons que Jean-Paul Bailly

a été systématiquement renouvelé dans ses fonctions par l’atteinte des résultats.

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114

Nous voyons dans le cas que cette connaissance des caractéristiques propres

aux organisations publiques s’est développée sur plusieurs années. Jean-Paul

Bailly explique qu’il commence à se forger une philosophie de management du

secteur public au moment de son détachement à Mexico, où il est confronté aux

membres de son équipe, aux représentants politiques et aux ouvriers mexicains

dans la gestion d’un projet de construction. Il continue d’apprendre lorsqu’il

devient le responsable des Ateliers de Championnet où il découvre à cette

occasion le dialogue social avec les organisations syndicales. Finalement, Jean-

Paul Bailly parle de cristallisation de cette réflexion lorsqu’il devient Directeur

général adjoint, période durant laquelle il est initié à la pensée stratégique. Tout

au long de ces passages, le dirigeant en devenir trouve des modèles

d’inspiration tels que Paulo Norena, Jean-Michel Barnier et Christian Blanc.

Le dirigeant explique que c’est lors de cette dernière étape qu’il a été converti

au développement d’une vision stratégique, une vue d’ensemble qui permet de

relativiser et de prendre les décisions qui permettent de faire progresser

l’ensemble de l’organisation.

Ces premières indications sur le leadership, nous amène à nous intéresser d’une

certaine manière aux caractéristiques du dirigeant qui auraient un effet positif

dans la mise en œuvre ces transformations dans les organisations publiques.

Ainsi, lorsque nous nous intéressons au style de gestion du dirigeant, Jean-Paul

Bailly décrit longuement le facteur de confiance comme élément central.

L’ensemble des observateurs abordent cette notion de « management par la

confiance à priori » tout au long du cas.

D’autres traits ressortent tels que « l’éthique et les valeurs, la loyauté et

l’honnêteté » cités à 60 reprises tandis que « la simplicité, l’humilité, la

discrétion » sont des qualités mentionnées 51 fois. Nous constatons ensuite des

traits liés à « l’intelligence, la culture et le fait d’être brillant » 58 fois alors que

« le côté visionnaire » reviennent 40 fois.

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115

Ensuite, nous constatons qu’un style de leadership de type authentique

constituerait un moyen d’avancer dans la confiance avec l’ensemble des parties

prenantes. Jean-Paul Bailly parviendrait à concilier, à trouver un certain

équilibre entre les diverses injonctions contradictoires en étant en quelque sorte

un conciliateur, à l’écoute et accessible, selon les termes cités dans le cas.

Plus précisément, la recherche de « consensus, compromis, d’anticipation du

conflit et de résolution par la médiation » sont cités à 85 reprises dans les

verbatims, tandis que « la proximité, la disponibilité dans le contact »

constituent d’autres éléments, lesquels reviennent à 71 occasions. Ensuite, « la

volonté de compréhension, par une considération, une attention, une

préoccupation ou une sensibilité aux autres » se retrouve 62 fois dans les

données recueillies ou encore la nécessité de « l’écoute, du dialogue » à 69

occasions.

Extrait d’un entretien :

« Très simple. Il est lui-même. Il ne joue jamais de rôle. Il sait parler avec des

gens d’un milieu simple, ou plus évolué. Il est capable de tenir sans feuille,

en restant lui-même, tout en sachant s’adapter. Il a un rapport aux gens très

naturel. Dans ce genre de boulot, il jongle avec les différentes relations avec

des gens très simples qui ont une vie très difficiles, à des gens au contraire

hyper aisés. Dans tout cela, on le reconnaît. Il reste dans le même registre.

Les gens savent bien que quand il est face à eux, il ne se transforme pas selon

les endroits. »

Nicole Oudin,

Sœur de Jean-Paul Bailly

« Il est abordable, comprend l’autre et est également loyal parce que quand

vous dites j’ai discuté avec des directeurs, le lendemain, ils avaient changé

d’avis. Quand on avait fait un deal, c’était un deal. Cela compte car vous

n’êtes jamais à l’abri d’un changement et puis vous passez pour un mec qui a

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116

mal négocié et qui s’est fait avoir... »

Bernard Gitler,

Secrétaire Général du Syndicat Forces Ouvrières RATP

« Il construit avec ses interlocuteurs une relation de confiance, de telle sorte

que les gens qui l'environnent aient le sentiment qu’on peut lui faire

confiance. Il écoute les gens, prend en compte leurs préoccupations, les

respecte, leur fait confiance. En retour il reçoit de la confiance, dès lors, tout

ce qui est un obstacle au progrès dans le secteur public, soit la capacité de

tous de tout bloquer, les gens lui font confiance de sorte que les choses se

libèrent et avancent. »

Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP

Cette quatrième variable de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain

nombre d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les

caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.

Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait qu’une organisation

publique peut être transformée sous l’impulsion d’un dirigeant. Le leader

transformationnel est identifié comme tel sur base d’expériences en

changement. Leur mise en œuvre réussie repose sur une connaissance

préliminaire et des leviers permettant d’agir sur le fonctionnement

organisationnel. Le leader transformationnel et visionnaire peut alors constituer

un réel facteur dynamique.

Nous pouvons également indiquer qu’un certain nombre de caractéristiques

psychologiques liées au style (participatif, conciliateur, accessibilité), ou à

l’attitude (simplicité, ouverture, écoute, empathie ou à la philosophie de

management (confiance, délégation). Notre constatons également qu’avant

d’être PDG, le dirigeant a été un artisan de la transformation en tant que cadre-

intermédiaire et qu’il s’appuie, au moment d’être dirigeant, sur d’autres leaders

choisis pour leur capacité « à faire bouger les choses ».

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117

5.1.5. Leviers d’action

Les variables suivantes s’intéressent aux aspects liés au volet humain lors de la

mise en œuvre d’une transformation. Nous utiliserons pour analyser l’étude de

cas les variables de légitimation, réalisation et d’appropriation

Mentionnons dans un premier temps le fait que cette étude de cas a ceci

d’intéressant qu’elle décrit le récit d’un dirigeant, qui a d’abord œuvré dans la

mise en œuvre de transformations imposées par ses propres dirigeants. Jean-

Paul Bailly indique d’ailleurs dans le cas que ce n’est qu’au moment de sa

nomination en tant que directeur général adjoint qu’il a développé avec

Christian Blanc la nécessité d’adopter une vision stratégique, « Ne soyez pas

tactique » lui disait-il dans le cas.

Cet élément d’introduction nous amène tout droit aux variables que nous

analysons ici : légitimation/réalisation/appropriation. Le fait de rappeler ci-

dessus le passage de Jean-Paul Bailly par les échelons opérationnels a son

importance, étant donné que la philosophie de management qu’il s’est forgée et

qu’il décrit dans le cas, repose justement sur trois principes opérationnels.

Nous voyons dans les 3 S, soit le Sens, le Soutien et le Suivi, une dénomination

traduisant les trois variables que nous analysons. Jean-Paul Bailly indique dans

le cas, que cette philosophie de management est : « fondée sur la

responsabilisation, donnant à chacun des objectifs, des leviers et des outils pour

réussir, et être exigeants sur les résultats ».

Nous allons entrer plus en détail dans chacun des 3 enjeux liés à une

transformation selon Rondeau, et mettre en parallèle chacune des 3 variables

avec le cas.

Ainsi, dans la mise en œuvre d’une transformation, la légitimation constitue le

premier enjeu. Dans ce cas, Jean-Paul Bailly parle de « Sens », soit le fait :

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« d’être capable d’expliquer aux gens où nous sommes et, où on va et pourquoi,

ce que l’on attend d’eux ».

Plus concrètement, nous pouvons relier cet enjeu au fait que Jean-Paul Bailly

consacre une grande partie de son temps sur le terrain à partager sa vision de la

transformation auprès d’individus. Cette vision ne représente pas une position

personnelle du dirigeant, mais est le fruit d’une activité de consultation

préalable effectué auprès de l’ensemble des parties prenantes concernées par la

transformation. D’une certaine manière, cette vision est légitimée parce qu’il

mobilise et fait participer, à la fois les collaborateurs internes et les pouvoirs

publics, étant donné qu’il s’agit d’une organisation appartenant à l’État. Cet

aspect, lié au diagnostic stratégique, est très important pour la mise en œuvre de

la transformation.

Nous pouvons citer des exemples tirés du cas comme le fait qu’à la RATP, le

premier plan stratégique n’a pas été remis en question lors du changement de

pouvoir entre un gouvernement de droite et de gauche, le plan « dépassait

largement l’engagement personnel du président ». Au Groupe La Poste, nous

pouvons citer le fait que Jean-Paul Bailly reçoive, autour de petits déjeuners

tour à tour l’ensemble des parlementaires afin de légitimer son action. La

présence en région lui permet également de partager cette vision auprès des

cadres qui mettent en œuvre cette transformation.

Ensuite, la réalisation constitue le deuxième enjeu dans la mise en œuvre d’une

transformation. Dans ce cas, Jean-Paul Bailly parle de « Soutien », soit le fait :

« de créer les conditions du succès pour tous les collaborateurs de l’équipe : la

compétence, l’efficacité de l’organisation, la qualité des outils, le cadre de

travail, les systèmes de motivation, la performance de la logistique. On va

travailler dans un cadre où les conditions soient le mieux remplies possible pour

que chacun réussisse ».

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119

Plus concrètement, nous pouvons relier cet enjeu au fait que Jean-Paul Bailly

crée d’une part les structures nécessaires et qu’il mette à disposition les

ressources nécessaires pour permettre l’évolution du comportement humain lors

de la mise en œuvre des transformations.

Si ces aspects ont été en partie détaillés dans la variable liée à la structure d’un

point de vue organisationnel (voir 5.1.1.2.), nous pouvons ajouter que sur le

plan du comportement humain, Jean-Paul Bailly a été attentif à trois éléments :

le rythme, la flexibilité et la concertation dans la mise en œuvre des

transformations. Nous pensons, d’après notre analyse des données, que ce sont

les expériences opérationnelles à la RATP, tels que la transformation des

Ateliers de Championnet qui participent au fait que le dirigeant soit sensibilisé

aux réalités opérationnelles auxquelles sont confrontées les cadres chargés de

traduire la transformation en action.

Nous pouvons citer des exemples tirés du cas comme le fait que Jean-Paul

Bailly explique qu’il est « clair, ferme sur les objectifs mais flexibles sur les

façons de les réaliser », que « dans des situations où la maturation est lente, il

faut savoir attendre que les esprits soient préparés » et finalement la mise en

place, à chaque niveau hiérarchique, de « structure parallèle de dialogue social

poursuivant une méthode bien définie dans des accords-cadres » pour favoriser

la concertation.

Finalement, dans la mise en œuvre d’une transformation, l’appropriation

constitue le troisième enjeu. Dans ce cas, Jean-Paul Bailly parle de « Suivi »,

soit le fait : « de s’assurer que les résultats sont atteints. C’est la phase

d’évaluation ».

Plus concrètement, nous pouvons relier cet enjeu au fait que Jean-Paul Bailly

soit attentif aux impacts et aux résultats concrets de son action. De manière

générale, l’étude de cas nous permet de voir par exemple que les effets de la

transformation à la RATP par la diminution des préavis de grèves, de 800 à 200

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120

et au Groupe La Poste en renouant avec la compétitivité et en devant le

deuxième opérateur sur le marché Européen sur base d’un chiffre d’affaires de

20,9 milliards d’euro. Rappelons que le dirigeant a mis en place une série

d’indicateurs (monitoring) pour s’assurer de l’atteinte des résultats alors

qu’avant son arrivée la logique consistait à ne pas dépasser des moyens alloués.

Au-delà de ces indicateurs, nous pouvons citer des exemples plus frappants

tirés du cas. En effet, Jean-Paul Bailly explique que sa philosophie de

management repose sur la confiance et que par conséquent, la seule manière de

progresser dans cette confiance, que ce soit par rapport aux collaborateurs de

l’entreprise ou vis-à-vis des pouvoirs publics, c’est de tenir ses engagements et

d’en rendre compte sur base de l’atteinte par les résultats. Le « dialogue et la

fermeté vont de pair » lorsqu’il s’agit des résultats dit-il avoir appris. C’est

également dans une perspective d’amélioration continue que Jean-Paul Bailly

procède au renouvellement de certains cadres-dirigeants, qui selon ces termes

« apporteront un regard nouveau » sur la façon de réussir la mise en œuvre

d’une transformation.

Extraits d’entretiens :

« Je l’ai comparé à un très bon chef de gare qui aurait à mettre en œuvre un

programme où les trains passeraient dans tous les sens avec des aiguillages. Il

y a des tas de changements qu’il a mis en œuvre sans aucune collision. »

Philippe Lemoine,

Administrateur Groupe La Poste et Chercheur

« Je prends souvent l’exemple de l'éléphant dans un magasin de porcelaine.

Une entreprise publique, c’est un peu un magasin de porcelaine. Si vous êtes

trop brutal, vous faites beaucoup de dégâts et vous n’avancez pas. Tout l’art,

c’est d’être capable de mesurer jusqu’où il peut aller sans risquer de casser la

porcelaine, parce que sinon, le dommage est bien plus grave que le petit

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bénéfice que l’on pouvait espérer en tirer. »

Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP

« Pour avancer, il faut mettre en conjonction les temps des uns et des autres.

Le temps de l’entreprise n’est pas toujours le temps des salariés et il est

rarement celui des politiques. Si vous voulez faire des réformes et des

transformations, il faut être capable de trouver ou de créer le moment où ces

différents temps sont alignés. Vous pouvez y aller. Sinon, vous pouvez

considérer que vous n’y arriverez pas. »

Jean-Paul Bailly

Ces variables de l’analyse nous amène à tenter de tirer un certain nombre

d’enseignements sur les spécificités des organisations publiques et les

caractéristiques des dirigeants dans cette transformation.

Nous pouvons, dans un certain sens, avancer le fait qu’une organisation

publique est caractérisée par la conciliation des préoccupations de ses membres

tout au long de la mise en œuvre d’une transformation. En quelque sorte, nous

remarquons qu’au moment de la légitimation, le projet de transformation

s’appuie sur une vision partagée, que les destinataires sont associés au moment

de la réalisation et finalement de l’adhésion des différents acteurs qui adoptent

les nouveaux comportements. L’évaluation continue sur base de critères établis

permet de mesurer la progression et d’améliorer les résultats.

Nous pouvons également indiquer que sous l’action d’un dirigeant, en tant que

réconciliateur, ces trois enjeux liés à la mise en œuvre d’une transformation,

peuvent être facilités. Le dirigeant agit en quelque sorte comme un conciliateur,

il passe beaucoup de temps à écouter, à comprendre puis à convaincre et à

apporter le soutien nécessaires en termes de structure et de ressources aux

cadres sur le terrain.

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122

5.2. Discussion et conceptualisation

Nous sommes maintenant dans la dernière phase d’analyse de notre mémoire.

Avant de nous intéresser à la suite de l’analyse qui permettra de répondre à

notre question de recherche, nous tenterons d’apporter quelques clarifications à

notre cadre conceptuel sur base des réponses à nos deux questions

complémentaires :

3) Quels sont les facteurs déterminants du changement stratégique dans le

cas d’une organisation publique ?

4) Quels sont les leviers d’action permettant la mise en œuvre du

changement stratégique dans le cas d’une organisation publique ?

Nous pouvons répondre par les éléments suivants :

1) Nous pouvons indiquer que les organisations publiques décrites dans

l’étude de cas, tendraient par les variables que nous avons analysées

dans le modèle des capacités, à décourager des initiatives de

transformation. Toutefois, un leadership transformationnel, symbolisant

en quelque sorte le dirigeant initiateur de la transformation et les cadres

intermédiaires comme des artisans soutenus, constituerait l’unique

facteur dynamique permettant le déclenchement et l’implantation d’un

changement.

2) Par son leadership axé sur la transformation, le dirigeant agit, après

diagnostic, sur les variables pour permettre la capacité de changement.

Nous pouvons indiquer, sur base de l’étude de cas, que certains leviers

sont plus efficaces étant donné les spécificités des organisations

publiques. Ainsi, les leviers d’action sur lesquels le dirigeant a le plus

de contrôle dans la mise en œuvre du changement stratégique. C’est en

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créant des mécanismes d’anticipation basés sur la permanence du

dialogue et la prise en compte des préoccupations que le dirigeant

parvient à garder un certain contrôle sur les blocages liés à l’incertitude

du comportement des parties prenantes. Ces derniers sont associés aux 3

enjeux : vision partagée (sens), implication dans la réalisation (soutien),

mesure des résultats (suivi).

À présent, nous allons voir comment les résultats de notre exploration

permettent de comprendre les caractéristiques d’un dirigeant transformant des

organisations publiques, et ce, à la lumière de nos cinq propositions.

5.2.1. Contexte

La première variable que nous mettrons en perspective par rapport aux

informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre

conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne le

contexte.

Tableau n°6 : Variable 1- Le contexte

Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques

Analyse - État propriétaire et régulateur des

activités

- État veille à l’accomplissement des

missions de service public répondant

aux attentes de la population

- Dépendance État dans la mise en

œuvre de la transformation (lois)

- Contrôle par influence : amener

l’État à accompagner la

transformation / évolution favorable

du cadre réglementaire

Cadre Impact de l’environnement sur la

performance

Évaluer la pertinence et prendre la

décision de transformation

Littérature - État organise le service et gère les

règles au nom de l’intérêt général

- Accomplissement missions

constitue la finalité de l’organisation

selon 3 principes : universalité,

continuité, adaptabilité

- Flou juridique sur l’adaptabilité :

autonomie gestion >< soumission

- Existence (Crozier)

- Transformation (Sardais)

- Entrepreneuriat (Hafsi/Bernier)

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contrôle État

- Évolution : concurrence / rentabilité

À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre

d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos du contexte de

transformation dans le secteur public.

Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous

remarquons que la transformation, du fait des spécificités contextuelles du

secteur public, requiert une approche particulière.

En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, l’impératif de

transformation ne proviendrait pas uniquement d’une dégradation de la

performance pouvant être lié à un changement dans l’environnement. L’analyse

des données présentées dans l’étude de cas tendrait à indiquer que les raisons de

cette transformation se trouveraient dans l’accomplissement du service à la

population, dits « missions de service public ». Nous avons appris que

l’adaptabilité ne correspondait qu’à un des trois principes avec l’universalité et

la continuité.

D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de

littérature, cette adaptabilité toucherait aux attentes du citoyen certes, mais, des

changements contextuels plus récents tels que la libéralisation des marchés -

soit la mise en concurrence des activités délivrées par les organisations

publiques - ainsi que les contraintes budgétaires - soit l’évaluation de

l’investissement capitalistique des ressources financières de l’État - tendrait à

définir cette adaptabilité sur une base de performance.

Extrait d’un entretien :

« La Poste dispose d’un réseau d’établissement, de bureaux de postes

extrêmement important. Il est largement surdimensionné par rapport aux

critères économiques et d’environnement. N’importe quelle logique

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125

d’entreprise normale conduirait à redimensionner ce réseau, même

progressivement. La contrainte supplémentaire qui est la nôtre, c’est que le

réseau des bureaux de poste est considéré par tous les élus, qu’ils soient de

gauche ou de droite, comme propriété de la nation, et quelque part,

inaliénable. Si vous ne prenez pas en compte cette dimension-là, vous ne

pourrez jamais faire bouger les choses. Voilà un exemple de contrainte qui

est particulier aux entreprises publiques. L’action que vous conduisez est

forcée d’intégrer des préoccupations de l’Etat »

Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP

Ensuite, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous

remarquons que certaines caractéristiques du dirigeant sembleraient avoir des

effets positifs sur le succès d’une transformation.

En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, il existerait une

dépendance de l’action du dirigeant à l’État dans l’évaluation de la pertinence et

la prise de décision de transformer. L’analyse des données présentées dans

l’étude de cas tendrait à indiquer que la nomination des dirigeants, leur

renouvellement ou leur révocation reviendrait aux instances de l’État

(gouvernement/parlement). La soumission de l’action du dirigeant à l’agenda et

aux décisions du pouvoir politique avait par ailleurs été suggérée notamment

par Santo et Verrier (2007) et Chevalier (2008) dans la revue de littérature.

Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le facteur

contextuel ? La revue de littérature suggérait deux perspectives, celle de Crozier

où le comportement du dirigeant était défini en des termes routiniers, se

contentant de l’existence ; tandis que d’autres chercheurs tels que Sardais, Hafsi

et Bernier mettaient en avant l’existence de comportements

transformateurs/entrepreneuriaux et donc des marges de manœuvres dans

l’action du dirigeant. L’étude de cas tendrait à appuyer cette deuxième

affirmation.

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126

Extrait d’un entretien :

« Dans une entreprise publique, on est en train d’évoluer, mais on restera

largement cela. Votre actionnaire est l’Etat ou essentiellement l’Etat. Il joue

un rôle double et quelque fois ambigu. Il est le régulateur du secteur dans

lequel vous œuvrez, il définit globalement les règles concurrentielles. En

même temps, il est votre actionnaire ou équivalent. C’est lui qui va aligner

votre stratégie... donc il y a quand-même un rôle. En France, on a fait évoluer

les choses avec une agence de participation de l’Etat qui joue le rôle de

l’actionnaire pour les entreprises publiques, gérant la schizophrénie d’être en

même temps le régulateur et l’actionnaire de l’entreprise. L’Etat joue un rôle

important car toutes les décisions stratégiques sont prises qu’en accord avec

lui, avec l’actionnaire, que vous retrouverez dans une autre entreprise. La

différence avec une entreprise classique, c’est que l’Etat n’a pas un

raisonnement à long-terme, avec une logique budgétaire très annuelle, et de

par l’action de l’Etat sur la nation, il peut y avoir des préoccupations de long-

terme. Les deux ne sont pas toujours faciles à concilier. Les relations avec

l’Etat sont assez complexes parce qu’il est constamment tiraillé entre le long-

terme et le court-terme budgétaire et que son raisonnement n’est pas

forcément celui d’un investisseur ».

Un dirigeant du Groupe La Poste/RATP

La circonscription de ces caractéristiques nous amène à émettre la proposition

suivante :

Du fait de leur contexte particulier, la transformation des organisations publiques

viserait, non un impératif de survie, mais l’amélioration des services rendus à

l’ensemble de la population de manière continue et productive. La dépendance de

l’action du dirigeant par rapport à celle de l’État, le contraint à une stratégie

d’influence pour créer les capacités d’une transformation.

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127

5.2.2. Structure

La deuxième variable que nous mettrons en perspective par rapport aux

informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre

conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne la

structure.

Tableau n°7 : Variable 2- La structure

Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques

Analyse - Organisation structurée de façon

centralisée, niveaux hiérarchiques

élevés

- Organisation fondée sur des

logiques de fonctionnement

bureaucratiques pour l’allocation des

ressources

- Coordination : modification par un

design structurel

décentralisé/responsabilisant

favorisant le changement et la

concertation

- Allocations des ressources :

modification des règles

d’attributions, mécanismes de

récompenses sur base individuelle

Cadre Les structures décentralisées

favoriseraient la transformation

Établir des structures de coordination

et des mécanismes d’allocations

appropriés

Littérature - Transformation = un changement

stratégique ET structurel

- Fonctionnement bureaucratique tire

sa légitimité d’endiguer l’incertitude

liée au comportement humain

- Structures et mécanismes

complexes et cloisonnés (taille/statut

fonction publique)

- Caractère impersonnel et

déshumanisé

- Respect des règles et non

appropriation des fonctions

- Avancement ancienneté / sécurité

d’emploi

- Nominations politiques

À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre

d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos de la structure

lors de transformations dans le secteur public.

Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous

remarquons que la transformation, du fait des spécificités structurelles du

secteur public, requiert une approche particulière.

En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, la mise en place de

structure décentralisée favoriserait la transformation. L’analyse des données

Page 137: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

128

présentées dans l’étude de cas tendrait à indiquer que cette modification des

structures nécessiterait une attention particulière du dirigeant, notamment parce

que les organisations publiques seraient fondées sur un modèle rationnellement

bureaucratique qui par son caractère rigide et stable ne s’autocorrigerait pas.

D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de

littérature, notamment par Merton (1965), Freidberg (1993) et Crozier (1971)

cette volonté, « d’auto-correction », d’adaptation permanente, notamment par

l’établissement de structures et de mécanismes de coordination plus appropriés

basés sur des critères individuels et non plus impersonnels, se heurterait lors de

sa mise en œuvre, à la réaction de ses membres et de l’État. La démission de

Christian Blanc, non-soutenu sur la question du service minimum par le

gouvernement constitue un exemple frappant du cas.

Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le facteur

structurel ? L’étude de cas et la revue de littérature, notamment Hafsi et Bernier

(2007) et Sardais (2005, 2008), suggéraient qu’en fait, malgré ces difficultés,

certains dirigeants parviendraient à apporter des modifications structurelles

profondes. L’étude de cas tendrait à indiquer que les marges de manœuvre

seraient différentes d’une organisation publique à une autre. Contrairement au

contexte, et nous le verrons dans le point suivant, à la culture, nous avons appris

que la structure correspondait à la variable sur laquelle le dirigeant pouvait

avoir le plus de contrôle. Par ailleurs, si cette variable permettrait d’obtenir un

impact concret sur le comportement des membres de l’organisation étant donné

la redéfinition des principes de fonctionnement (ex : récompense/punition,

avancement de carrière au mérite, primes de performance), il subsiste certaines

limites par l’héritage des principes de fonctionnement établies (ex : statut de

fonctionnaire garantissant la sécurité d’emploi).

La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition

suivante :

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129

Du fait des spécificités en termes de fonctionnement des organisations publiques, la

modification des structures de coordination et des mécanismes d’allocations des

ressources, contraint le dirigeant à faire preuve d’imagination, de créativité et

d’ouverture pour parvenir à un design et des mécanismes intégrant différentes

contradictions.

5.2.3. Culture

La troisième variable que nous mettrons en perspective par rapport aux

informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre

conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne la

culture.

Tableau n°8 : Variable 3 - La culture

Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques

Analyse - Forte culture organisationnelle

partagée entre les membres

- Héritage historique long et inédit

- Valeurs liées aux missions de

service public

- Levier favorable : qualité du service

- Levier défavorable : continuité des

services

- Limites : aller à l’encontre de la

culture

Cadre Une culture forte accroit l’inertie Attention particulière à

l’histoire/valeurs fondamentales de

l’organisation et normes

ancrées/partagées par la majorité des

groupes

Littérature - Attachement aux missions du

service public depuis fin 19e

- Missions liées à la construction de

l’État garant de l’intérêt général

- Stabilité, forte inertie

- Caractère endogène : contenu du

changement soutenu par le dirigeant

est transformé lors de la mise en

œuvre à cause de facteurs culturels

À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre

d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos de la culture lors

de transformations dans le secteur public.

Page 139: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

130

Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous

remarquons que la transformation, du fait des spécificités culturelles du secteur

public, requiert une approche particulière.

En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, une culture forte,

partagée par ses membres, tendrait à limiter l’impact d’une transformation.

L’analyse des données présentées dans l’étude de cas tendrait à confirmer cette

affirmation, indiquant par ailleurs que le dirigeant accorde une attention

particulière au respect des missions de service public sur lesquelles les

organisations publiques seraient fondées.

D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de

littérature, cette volonté du dirigeant se heurterait, comme l’indiquaient Langley

et Denis (2008) à propos du secteur public, au facteur endogène, soit une forme

de rejet de certains groupes de l’organisation du fait d’une modification

touchant à des normes fondamentales partagées par ses membres.

Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le facteur

culturel ? La revue de littérature, notamment Sardais (2005, 2008) et l’étude de

cas suggéraient qu’en fait, malgré ces difficultés, certains dirigeants

parviendraient à utiliser le facteur culturel pour accomplir une transformation.

L’étude de cas tendrait à indiquer que le dirigeant peut centrer son attention sur

l’une des normes partagées. Pour parvenir à transformer le Groupe La Poste,

Jean-Paul Bailly, en centrant son attention sur l’adaptabilité, s’est en quelque

appuyé sur la culture d’excellence du service auprès des postiers et sur le

principe d’accessibilité bancaire auprès du gouvernement pour parvenir à la

création de la Banque postale. Le dirigeant dispose donc d’une capacité à

mettre en avant certains éléments culturels tels que l’accessibilité, la volonté

d’amélioration, sans aborder directement la nécessité de dégager des profits

nécessaires.

Page 140: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

131

Extrait d’un entretien :

La France a été très structurée par le service public, pendant des siècles, cela

a été un pays jacobin, avec des rois, plus Napoléon. La révolution française a

créé une nation et un Etat. On a développé l’école républicaine, un système

de chemin de fer nationalisé, de même Air France a été longtemps comme La

Poste, appartenait comme EDF à l’Etat. On est dans une culture avec de

grandes entreprises publiques très compétitives, très fortes et très respectées.

Ça c’est l’héritage, il faut garder ce qu’il y a de beau dans celui-ci à savoir le

sens du service public, une certaine idée d’égalité, de justice et de

péréquation. Il n’y en a pas pour l’eau, le résultat, c’est que son prix est très

différent d’où vous êtes, ce qui n’est pas le cas pour l'électricité et le gaz avec

EDF. Le challenge auquel est confronté JPB, c’est comment aller de l’avant

avec la concurrence dans une société qui a une culture de service public, en

s’adaptant à ce nouveau contexte, en se disant puisqu’on a une forte culture

du personnel très compétent, une efficacité, puisque chaque facteur touche

chaque français chaque jour, comment valoriser cela dans le contexte de la

concurrence.»

Jean-Pierre Sueur,

Député, Sénateur et Secrétaire d’État, Parti Socialiste

La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition

suivante :

Du fait d’une forte culture au sein des organisations publiques, la volonté de

modifier des normes fondamentales pour accroître la capacité de transformation

entraîne des oppositions de la part des membres de l’organisation ou de l’État.

Le dirigeant peut cependant valoriser certains éléments plus que d’autres

influençant ainsi les perceptions.

5.2.4. Leadership

Page 141: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

132

La quatrième variable que nous mettrons en perspective par rapport aux

informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le cadre

conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne le

leadership.

Tableau n°9 : Variable 4 - Le leadership

Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques

Analyse - Le leadership le seul vrai facteur

dynamique

- La compréhension de la complexité

du système organisationnel permet au

dirigeant d’agir ensuite sur les autres

variables permettant la

transformation

- Vision stratégique d’ensemble

(planification) et Compréhension des

micro-signaux opérationnels (réagir

par anticipation)

- Imagination et créativité

- Loyauté et confiance

- Ouverture, flexibilité et adaptation

- Ecoute, empathie et conciliation

Cadre Leadership crédible avec expérience

et expertise faciliterait la

transformation

- Caractéristiques démographiques

connaissance/expérience

- Caractéristiques psychologiques

style/philosophie/attitude

Littérature - Mobilisation des collaborateurs

dans l’atteinte des objectifs

- Apporter du sens par le biais des

valeurs

- Soutenir les cadres chargés de la

mise en œuvre

- Transformationnel (Burns)

- Crédible (Selznick)

- Exemplaire (Collins)

- Légitime (Rondeau)

À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre

d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos du leadership lors

de transformations dans le secteur public.

Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous

remarquons que dans les organisations, certaines caractéristiques du leadership

du dirigeant auraient un impact positif sur la transformation.

En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, soit le fait que les

caractéristiques psychologiques et démographiques du dirigeant pouvaient avoir

un impact positif sur la transformation, nous pouvons affirmer, sur base de

Page 142: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

133

notre cas, que ces éléments sont d’autant plus important au sein des

organisations publiques. En effet, nous voyons dans le cas que le dirigeant

constitue en quelque sorte le facteur dynamique par son action au service de la

transformation. Ce leadership a été identifié à la fois par les dirigeants de Jean-

Paul Bailly que par les membres du gouvernement qui appelèrent le dirigeant à

prendre ces responsabilités au sein de deux organisations publiques à l’occasion

de 5 mandats.

D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de

littérature, notamment Bass (1990) et Burns (1978), un leadership de type

transformationnel, bénéficiant d’une crédibilité par la reconnaissance des

résultats de son action et le respect de ses engagements, exemplaire par son

humilité et son engagement au service des autres, parviendrait en quelque sorte

à être légitime pour mener une transformation. Une attitude centrée sur l’écoute

et la prise en considération des préoccupations des destinataires permettrait

d’endiguer les manifestations de résistances et de blocages.

Pour autant, peut-on ériger le dirigeant en des termes héroïques étant donné

l’impact positif de son leadership sur la transformation ? La revue de littérature,

notamment Selznick (1957) et Collins (2001), et l’étude de cas suggéraient

qu’en fait ces dirigeants se caractériseraient non par leur charisme mais par leur

volonté de créer une relation de confiance en étant attentif aux préoccupations

individuelles exprimées par chacun des parties prenantes. Hafsi et Bernier

(2007) parlent d’entrepreneurs systémiques, étant donné l’attention qu’ils

accordent à créer des systèmes bureaucratiques novateurs. Cette volonté se

traduit notamment par des actions de proximité ou la création de structure de

dialogue au sein des organisations publiques.

La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition

suivante :

Page 143: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

134

Un leadership de type transformationnel, authentique et conciliateur permettrait

d’associer les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes autour du projet de

transformation d’une organisation publique. L’instauration d’un climat de confiance

avec les parties prenantes est une fonction de la durée de l’engagement du dirigeant.

5.2.5. Leviers d’action

Finalement, la cinquième variable que nous mettrons en perspective par rapport

aux informations recueillies dans la revue de littérature, structurées dans le

cadre conceptuel et développées dans l’analyse des données du cas concerne le

processus de mise en œuvre, soit les enjeux de légitimation, réalisation et

d’appropriation.

Tableau n°10 : Variable 5 – Processus de mise en œuvre

Organisation : spécificités Dirigeants : caractéristiques

Analyse - Conciliation des préoccupations des

parties prenantes

- La mise en œuvre implique les

parties prenantes dans l’élaboration

d’une vision partagée, au moment de

la réalisation et lors de l’évaluation

des résultats

- Des structures parallèle sont

élaborées pour favoriser le dialogue

social / anticiper des conflits

- Dirigeant consacre du temps à

écouter, comprendre et trouver des

solutions conciliants les

préoccupations des différentes parties

prenantes (Consultation)

- Dirigeant consacre du temps à

communiquer, faire comprendre et

convaincre les différentes parties

prenantes le projet de transformation

(Sens)

- Dirigeant s’assure du soutien

nécessaire à la mise en œuvre

(Soutien)

- Dirigeant veille à l’atteinte des

résultats (Suivi)

Cadre Le succès de la mise en œuvre d’une

transformation passe par 3 enjeux

durant lesquels les dirigeants

apportent le soutien nécessaire aux

cadres chargés des aspects

opérationnels

- Légitimation : vision partagée et

implication des cadres

- Réalisation : structure pilotage et

ressources aux cadres

- Appropriation : conditions

incitatives et évaluation résultats en

vue d’une amélioration continue

Littérature - Le succès dans la mise en œuvre de

la transformation dans le secteur

- Engagement sur la durée :

construction par expérimentation

Page 144: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

135

public est envisagée sur une base

évolutive et continue plutôt que

ponctuelle et de rupture

- Planifié (Volonté) vs Incrémental

(Phénomènes émergents)

- Corrélation entre préoccupations et

résistances (facteur d’inertie)

plutôt qu’une décision (complexité)

- Compréhension fine des enjeux

- Association parties prenantes :

susciter l’adhésion et mise en œuvre

du changement

À la lumière de ce tableau, nous pouvons tirer un certain nombre

d’enseignements à partir de notre étude exploratoire à propos du processus de

mise en œuvre lors de transformations dans le secteur public.

Ainsi, lorsque nous mettons en perspectives nos différents chapitres, nous

remarquons que la transformation, du fait des spécificités du processus de mise

en œuvre du secteur public, requiert une approche particulière.

En effet, partant de ce que suggérait le cadre conceptuel, soit le fait que la mise

en œuvre d’une transformation passerait par trois enjeux, la légitimation, la

réalisation et l’appropriation du changement, nous constatons que le dirigeant

utilise des étapes quelque peu comparables qu’il a baptisé la philosophie des

3s : Décrire le Sens de l’objectif visé, Soutenir la mise en œuvre et le Suivi sur

base d’une évaluation des résultats.

D’après l’étude de cas et selon les éléments suggérés dans la revue de

littérature, notamment Meyer (1982) ou Van de Ven et Poole (1995), cette

volonté du dirigeant se heurterait lors de la mise en œuvre à des phénomènes

émergents non-planifiés au moment de l’élaboration d’une vision stratégique.

Pour autant, le dirigeant n’a-t-il aucune marge de manœuvre sur le processus de

mise en œuvre ? La revue de littérature et l’étude de cas suggéraient qu’en fait,

malgré ces difficultés, certains dirigeants parviendraient à contenir ces effets

d’une part par la qualité de leur diagnostic, avec une attention particulière à

l’évaluation des risques ; d’autre part en élaborant des mécanismes

d’anticipation tels que des structures de dialogue social.

Page 145: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

136

Extrait d’un entretien :

C’est un homme qui sait écouter, positif, qui accorde beaucoup

d’importance au dialogue social. Il a réussi à la RATP et La Poste

parce qu’il écoute, est moderne, pragmatique, dit aux syndicats : ben

oui, vous auriez voulu que ce soit autrement, mais on est dans ce

contexte concurrentiel, si on crée la Banque Poste, c’est parce qu’il

faut s’adapter à ce nouveau contexte. Moi-même, je n’ai pas toujours

voté ce qu’il proposait au Sénat, comme par exemple privatiser La

Poste à 100%, on aurait pu garder une économie mixte. Je reconnais

dans son management, même sans avoir soutenu tout ce qu’il a

présenté, il a été moderne, efficace, il s’est adapté au nouveau contexte,

il a toujours su écouter et il a toujours accordé de l’importance au

dialogue social avec les 7 syndicats en France, il faut être patient.

Jean-Pierre Sueur,

Député, Sénateur et Secrétaire d’État, Parti Socialiste

La circonscription de ces spécificités nous amène à émettre la proposition

suivante :

La mise en œuvre d’une transformation d’une organisation publique peut être définie

comme une construction artisanale permanente fragilisée par l’incertitude du

comportement des parties prenantes. Le dirigeant peut parvenir à contrôler cette

incertitude par des mécanismes d’anticipation mettant l’accent sur le maintien du

dialogue.

Page 146: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

137

Chapitre 6 : Conclusion

L’analyse des résultats a permis de renforcer notre compréhension sur les

caractéristiques du dirigeant parvenant à transformer des organisations

publiques. Nous allons maintenant conclure ce mémoire. Cette partie sera pour

nous une occasion d’exposer les résultats, les apports conceptuels et les limites

de notre étude. Nous proposerons finalement un certain nombre de voies de

recherche qui pourraient être explorées lors de prochains travaux.

6.1. Apports de l’étude

Le présent mémoire a permis d’apporter plusieurs éclaircissements à partir

d’une recherche de type exploratoire. Notre démarche visait à répondre à la

question de recherche : Quelles sont les caractéristiques de dirigeants qui

parviennent à transformer les organisations publiques ?

La présentation des données sous la forme d’une étude de cas ainsi que leur

analyse sur base de 7 variables nous permettent de mieux circonscrire ces

caractéristiques et donc répondre à notre question de recherche sous la forme de

5 propositions.

La présentation des données sous forme d’une étude de cas nous a permis de

mettre en scène un dirigeant du secteur public en abordant ses origines, son

parcours académique et pour nous intéresser finalement à son cheminement

professionnel « au service de la transformation » de l’État. Nous avons vu que

lors des différentes étapes de sa vie, ce dirigeant a pu sans cesse continuer de se

former, d’apprendre et de se construire. Il est à la fois en devenir et en action,

fait preuve d’une grande adaptabilité en considérant de fait la transformation

comme une construction, supposant une perspective axée sur long terme.

Page 147: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

138

Nous avons vu, à partir des spécificités des organisations publiques, que la mise

en œuvre d’une transformation nécessitait de fait une approche particulière.

Confronté au contexte étatique qui le nomme ou le révoque, à la présence d’une

forte culture de service public partagée par les membres de l’organisation, le

dirigeant se situe de ce fait à une interface inconfortable.

Pro

positio

n 1

Du fait de leur contexte particulier, la transformation des organisations publiques

viserait, non un impératif de survie, mais l’amélioration des services rendus à

l’ensemble de la population de manière continue et productive. La dépendance

de l’action du dirigeant par rapport à celle de l’État, le contraint à une stratégie

d’influence pour créer les capacités d’une transformation.

S’il dispose de leviers d’actions, tels que la structure, permettant de mettre en

œuvre une transformation, le dirigeant fait cependant preuve d’imagination et

de créativité pour parvenir à gérer les nombreuses contradictions. Les

mécanismes d’anticipation tels que l’alarme sociale avec les représentants du

personnel ou le principe des petits déjeuners avec les représentants de l’État lui

permettent d’impliquer l’ensemble des parties prenantes et de garder un certain

contrôle en favorisant l’instauration d’un dialogue continue.

Pro

positio

n 2

Du fait des spécificités en termes de fonctionnement des organisations publiques,

la modification des structures de coordination et des mécanismes d’allocations

des ressources, contraint le dirigeant à faire preuve d’imagination, de créativité et

d’ouverture pour parvenir à un design et des mécanismes intégrant différentes

contradictions.

Ce dirigeant reste cependant attentif en permanence à tous les micro-signaux

qui lui reviennent par son réseau d’information afin de pouvoir réagir par

anticipation. En effet, en étant à une interface inconfortable, ce dirigeant ne

saurait satisfaire tous ces parties prenantes au même moment. Il parvient en

revanche à accorder un temps à chacune d’elles.

Page 148: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

139

Pro

positio

n 3

Du fait d’une forte culture au sein des organisations publiques, la volonté de

modifier des normes fondamentales pour accroître la capacité de transformation

entraîne des oppositions de la part des membres de l’organisation ou de l’État.

Le dirigeant peut cependant valoriser certains éléments plus que d’autres

influençant ainsi les perceptions.

Nous avons pu y voir que la transformation des organisations publiques se

réalisait à travers les parties prenantes certes, mais derrière les représentants

syndicaux, de l’État et les collaborateurs, il y a des personnes avec des

préoccupations que ce dirigeant parvient à écouter, comprendre puis réconcilier.

En faisant preuve d’empathie à l’égard des préoccupations de chacune des

parties prenantes, le dirigeant tente de perpétuer un climat de confiance, dès lors

il construit en quelque sorte un espace qui le protège.

Pro

positio

n 4

Un leadership de type transformationnel, authentique et conciliateur permettrait

d’associer les préoccupations de l’ensemble des parties prenantes autour du

projet de transformation d’une organisation publique. L’instauration d’un climat

de confiance avec les parties prenantes est une fonction de la durée de

l’engagement du dirigeant.

Somme toute, ce mémoire, en abordant les aspects stratégiques et opérationnels,

rappelle que le succès de l’action d’un gestionnaire dépend en grande partie

d’une compréhension fine des facteurs clés de succès ainsi que de l’adhésion

des parties prenantes lors de la mise en œuvre.

Pro

positio

n 5

La mise en œuvre d’une transformation d’une organisation publique peut être

définie comme une construction artisanale permanente fragilisée par l’incertitude

du comportement des parties prenantes. Le dirigeant peut parvenir à contrôler

cette incertitude par des mécanismes d’anticipation mettant l’accent sur le

maintien du dialogue.

Page 149: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

140

En comprenant les enjeux de chacun, nous avons vu que ce dirigeant parvenait

à réconcilier les différents intérêts autour d’une construction artisanale, qu’il a

lui-même bricolée et qui le protège en quelque sorte.

6.2. Limites de l’étude

Malgré ses intérêts, cette recherche possède également un certain nombre de

limites. La première critique que nous pouvions adresser concerne le fait que

nous nous basions sur un seul dirigeant comme objet d’étude. Nous pourrions

en effet considérer qu’en élargissant notre angle à plusieurs dirigeants, notre

étude aurait certainement gagné en intérêt. Dès lors, nous avons choisi une

approche historique, approfondie et longitudinale en faisant intervenir un

échantillon de convenance pour veiller à la validité de nos entretiens.

Nous avons choisi notre terrain en Europe parce qu’il nous offrait un accès

privilégié pour l’étude de notre phénomène. Malgré cet intérêt, il est vrai que la

distance géographique a ajouté un certain nombre de contraintes logistiques.

Nous nous sommes rendus sur place pour quatre entretiens et nous avons eu

recours aux nouvelles technologies de vidéo-conférence pour ce qui est des

autres. Mais force est de constater que ces moyens offrent des avantages mais

également des inconvénients : ainsi, nous n’avons pas pu mener d’observations

directes, ce qui est pourtant particulièrement important dans une démarche de

compréhension.

Par ailleurs, malgré l’étalement des entretiens sur une période de 7 mois, les

contraintes temporelles inhérentes à un mémoire de maîtrise ne nous ont pas

permis d’envisager un plus grand nombre d’entretiens. Nous avons privilégié

des entretiens dépassant systématiquement les 60 minutes, ce qui nécessite un

temps de traitement méthodique, l’ensemble ayant été retranscrit pour favoriser

la qualité de l’analyse.

Page 150: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

141

Enfin, nous devons également mentionner que les résultats de notre étude

portent sur deux organisations d’État, ce qui implique que nos conclusions ne

pourraient pas s’appliquer unanimement à toutes les organisations publiques.

Nous pourrions dès lors vraisemblablement trouver au sein de ce secteur des

comportements qui contredisent les patterns que nous évoquons. Ne serait-ce

parce que la notion d’organisation publique peut recouvrir une diversité

hétérogène assez large, ainsi que nous l’avons mis en évidence lors de la revue

de littérature.

6.3. Pistes de recherche

Parallèlement aux limites de ce mémoire, nous pouvons entrevoir un certain

nombre de pistes de recherches à explorer dans l’avenir.

Il serait également intéressant d’analyser, en continuité de ce travail, le

leadership des dirigeants du secteur public à une plus grande échelle. Cette

étude pourrait cibler des caractéristiques dominants de ces serviteurs de l’État,

tenter de mettre en avant certaines récurrences dans leur comportement ainsi

que dans leur interaction aux autres.

En adoptant le point de vue de ce dirigeant, il serait également pertinent

d’observer parallèlement celui des destinataires sur des périodes plus précises et

moins longues. En effet, les intervenants mentionnent à plusieurs reprises les

effets dévastateurs de la transformation de France Télécom sur ses salariés.

Finalement, nous pouvons constater que les pistes de recherche portant sur la

transformation des organisations publiques sont nombreuses. Nous avons tenté

par notre modeste contribution d’apporter une petite pierre aux connaissances

encore insuffisamment explorées et pourtant nécessaires à l’évolution de nos

sociétés en quête de sens.

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142

Annexes

Annexe 1 : Grille d’entretien Jean-Paul Bailly

« Jean-Paul Bailly au service de la transformation de l’Etat »

Par Ali Fadil et Taïeb Hafsi

Objectif du cas :

Faire ressortir les éléments suivants :

- Le caractère particulier de « serviteur d’Etat » en tant que valeur du dirigeant

au sein d’un service public efficace

- Les qualités d’un « serviteur de l’État »

- La volonté du dirigeant de façonner un groupe à l’image des fonctions

publiques nord-américaines alors que la tradition française n’autorise pas un

fonctionnaire d’Etat à prendre des initiatives

- L’absence de revendication et d’ambition politique du dirigeant

- La réconciliation entre les besoins personnels et les exigences de la

responsabilité

Le cas devra se conclure par une réflexion sur le fonctionnement du secteur

public, en mettant en perspective le rôle de l’Etat et le management de secteur

public.

Canevas d’entretien :

Deux dimensions : A partir des événements marquants de sa vie, une double

perspective

1. Personnelle : Une personne ne peut être comprise sans la replacer dans son

contexte

- Sa dynamique interne

- Son cadre de développement

- Son cheminement

2. Professionnelle : Observer le changement de nature en ramassant

l’information contextualisée

- Ses réalisations

- Ses décisions majeures

Page 152: ©cole des hautes ©tudes commerciales affili©e   l'universit© de montr¨al la transformation des

143

- Ses bons coups

- Ses difficultés

Trois parties :

1. Jean-Paul Bailly : La personne

2. Dirigeant stratégique : Paris, RATP - Mexico, SOFRETU

3. Meta-manager : Direction et médiation, RATP, Groupe La Poste

Questionnaire :

Méthode : Entretien semi-structuré. Question générale, très ouverte, amenant

l’individu à définir ce qui lui semble important, puis, à développer par des

relances portant sur les thématiques abordées.

1. Origines :

Parlez-nous de votre jeunesse. Quel genre de personne étiez-vous ?

Quelle relation entreteniez-vous avec vos parents ?

Contexte : Né le 29/11/1946 à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Père chef

d’entreprise, enfance à Oujda (Maroc), Épouse grande économiste

2. Polytechnique Paris :

Qu’est-ce qui vous a amené à entreprendre des études en ingénierie ?

Contexte : Lycée à paris (Louis-le-Grand) avant d’entrer à Polytechnique,

Promotion X-1965

3. MIT :

Comment s’est passée votre transition vers les États-Unis ?

Qu’est ce qui était différent de votre formation en France ? Quelles sont les

valeurs préconisées ?

En quoi ce passage a-t-il influencé la suite de votre cheminement ?

Contexte : Master of science

4. RATP de 1970 à 1978 puis 1981 à 1988

Comment êtes-vous arrivé à la RATP en 1970 ?

Pourquoi être revenu en France alors que vous obtenez un diplôme à Boston ?

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144

Pourquoi débuter sa carrière dans une entreprise publique ?

Contexte : Ingénieur au plan d’entreprise (70), Ingénieur d’exploitation (88)

5. SOFRETU de 1978 à 1981

En 1978, vous êtes détaché en tant qu’ingénieur dans la construction du métro

de Mexico. Pouvez-vous nous parler de cet épisode de votre vie ?

Qu’est-ce qui différencie votre rôle à Paris de Mexico ?

Quelles sont les habiletés que vous mettez à contribution ?

Contexte : Chargé du métro de Mexico

6. Direction RATP : 1989 à 2001

Vous êtes nommé par Christian Blanc comme adjoint à la direction en 1990.

Pouvez-vous nous parler de votre cheminement avant votre arrivée 4 ans

plus tard à la tête de l’entreprise ? Y-a-t-il un lien particulier entre vous et votre prédécesseur ?

Comment êtes-vous arrivé à cette position ?

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos réalisations ?

A quelles difficultés avez-vous fait face ?

Contexte : Directeur du personnel (89), Directeur général adjoint (90) auprès

de Christian Blanc, puis Francis Lorentz (92), PDG (94), nommé par Édouard

Balladur, Alarme sociale

7. Direction Groupe La Poste : 2002 à nos jours

A votre arrivée au Groupe La Poste, vous décrivez l’entreprise comme étant «

menacée par des retards de compétitivité et fragilisée par de nombreux

handicaps ». Quelle était votre mission ?

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos réalisations ?

A quelles difficultés avez-vous fait face ?

Comment avez-vous préparé votre entreprise à l’ouverture du marché ?

Quels ajustements avez-vous apporté au modèle économique ?

Comment composez-vous votre équipe de direction ?

Contexte : Directeur du personnel (89), Directeur général adjoint (90) auprès

de Christian Blanc, PDG (94), Banque Postale (06), Cap Qualité courrier,

Société anonyme (2010), Même équipe

8. Management et Service public :

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145

Quels rôles jouent des acteurs institutionnels comme les appareils

gouvernementaux, les associations professionnelles ou syndicales ?

Comment parvenez-vous à concilier stratégie d’entreprise et cahiers des charges

?

Comment définiriez-vous la performance dans une entreprise publique ?

Quelles sont les qualités requises pour un dirigeant ? Quel est votre style de

direction ?

Pouvez-vous nous expliquer le concept de «démineur social» ?

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes désirant devenir de bons

gestionnaires dans le secteur public ?

Contexte : Mettre en place un style de management : Méthode 3 « S » : Sens,

soutien, suivi. Formule «concertation, compromis et dialogue». Prudent:

méthode lente, patiente, sans coup d’éclat (stratégie à long terme), effacement,

discret, manœuvre en coulisse, se méfie des médias (votation), apolitique, +

dans le faire que dans le faire savoir (de terrain, connaît ses dossiers)

9. Prochain mandat :

Où vous voyez vous dans les années à venir ?

Pourquoi n’avez-vous pas exercé de responsabilités politiques ?

Comment voyez-vous le futur de votre industrie ?

Comment voyez-vous le futur du Groupe La Poste ?

Quels sont les mots qui caractérisent le mieux le Groupe La Poste aujourd’hui ?

Conclusion :

Nous vous avons posé plusieurs questions. Y a-t-il d’autres éléments que nous

n’avons pas couverts, des affaires évidentes que l’on devrait savoir sur vous,

sur ce que vous avez fait.

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Annexe 2 : Grille d’entretien « autres répondants »

« Jean-Paul Bailly au service de la transformation de l’Etat »

Par Ali Fadil et Taïeb Hafsi

Note : certains éléments ont été retirés conformément au respect de l’avis du

CER (protection des répondants). Les questions générales ont été reprises à

partir des différents guides d’entretien individuels. Ci-dessous une compilation.

A) Le dirigeant

Comment définissez-vous son style de direction par rapport à ses prédécesseurs

et/ou successeurs ?

Comment le définiriez-vous en tant que personne au-delà du dirigeant ?

Quelles sont selon vous les qualités d’un dirigeant d’une entreprise publique ?

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes désirent devenir de bons

gestionnaires dans les entreprises publiques ?

Comment expliquez-vous qu’il soit un dirigeant apprécié ?

Quels sont ses défauts ?

B) La transformation de l’organisation publique

JPB qualifie La Poste comme menacée par des retards et de compétitivité à son

arrivée. Pourriez-vous nous parler de La Poste à cette époque ?

Comment décrivez-vous l’évolution de La Poste à travers les performances de

M. Bailly ?

Avez-vous eu assez d’espace ? Comment est JPB dans la délégation et la

responsabilisation ?

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147

Qu’en est-il de la conduite de ces changements et de ses effets sur les personnes

et la culture de ces entreprises ?

Comment parvenir à garder le cap sur la stratégie lorsqu’on est entouré d’autant

d’acteurs qui viennent influencer vos projets ?

Avez-vous perçu un changement dans les relations aux syndicats avec JPB ?

Qu’est-ce qui différencie le rôle des syndicats dans une entreprise publique

plutôt que privé ?

Quels rôles jouent les appareils gouvernementaux dans la transformation de

l’entreprise publique ?

Pourriez-vous définir dans vos mots cette notion de service public ?

Qu’est ce qui est plus complexe dans la gestion de la transformation d’une

entreprise publique ?

Quels sont les aspects plus critiques dans cette gestion de la transformation ?

Comment définissez-vous la performance dans une entreprise publique ?

Comment voyez-vous l’avenir du service public ?

C) Questions liées au répondant

Pourriez-vous nous parler de vous, des choses essentielles de votre parcours ?

Comment avez-vous connu JPB ?

Pouvez-vous nous parler des relations de travail que vous entretenez avec lui ?

Êtes-vous également convié pour faire part de vos préoccupations ?

Y-a-t-il d’autres éléments dont vous voudriez nous faire part et que n’avons pas

eu l’occasion de développer ?

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