coexistence des systemes de hauteur a la fin du...

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COEXISTENCE DES SYSTEMES DE HAUTEUR A LA FIN DU XVIème SIECLE La description d'un espace musical exige que l'on prenne des précautions épistémologiques et sémantiques. Un schéma scientifique devrait être sous-tendu par les composantes suivantes : 1° l'échelle des hauteurs 2° l'échelle des durées Un tel schéma ne serait rigoureux qu'à la condition d'être ponctuel, dans le temps et dans l'espace. Il ne semble malheureusement pas qu'une telle démarche puisse avoir une réalité historique et musicale. Nous avons voulu traiter l'un des aspects de la question générale «Espace musical», en nous efforçant de lui restituer sa réalité. Cet aspect, c'est la coexistence des systèmes de hauteur dans la musique instrumentale à la fin de la Renaissance. Plusieurs directions s'offrent à nous : celle des théoriciens, celle des instruments qui sont les supports des expérimentations et de la réalité musicale, celle des œuvres qui sont le reflet de la pensée créatrice. Il conviendra donc de présenter quelques systèmes de hauteur théoriques, puis d'envisager leur application aux instruments adéquats. Sur cette base, nous essaierons de relire un ouvrage clé : les Consort lessons de Thomas Morley. La perception musicale n'est pas un phénomène objectif. L'espace musical occidental commun, notre environnement musical en quelque sorte, utilise essentiellement la gamme à 12 degrés également répartis sur l'intervalle d'octave. Il nous est donc a priori bien difficile d'approcher des musiques utilisant des échelles différentes de la nôtre, soit par une répartition inégale des 12 degrés, soit par l'emploi de micro-intervalles. Il faut donc être particulièrement vigilant lorsque l'on se trouve en face d'un texte musical, éventuellement transcrit avec notre notation, mais dont la destination peut être un espace échappant totalement aux canons de décodage de notre oreille. Nos critères ne sont plus fondés, notre analyse est sans objet, et notre restitution subjective. I Tradition et illusion Il est historiquement manifeste que les théoriciens de la musique du Moyen âge et de la Renaissance ont été influencés, plus ou moins directement, par le De Institutione Musica de Boèce [1] ; ceci se vérifie aisément, ne serait-ce que par l'appartenance de la musique au quadrivium [2], du moins jusqu'à la fin du XVIème siècle, appartenance dont Boèce fut en son temps le théoricien et le gardien. Cette présence, qu'elle résultât d'un acquis culturel, ou qu'elle fût source directe, rend indispensable l'évocation du De Institutione Musica [3]. La référence à Pythagore y est explicite, en particulier pour la définition des consonances, qui sont données par les rapports suivants : double correspondant au diapason (octave) triple correspondant au diapason et diapente (octave et quinte) quadruple correspondant au bidiapason (double octave) sesquialtère (3:2) correspondant à la diapente (quinte) sesquitierce (4:3) correspondant au diatessaron (quarte) L'ensemble de la démarche de Boèce conduit à l'élaboration du monocorde dans les trois genres diatonique, chromatique et enharmonique, ceci grâce à la conjonction des différents tétracordes (hypaton, meson, synemmenon, diezeugmenon, hyperboleon) [4]. Description du tétracorde hypaton. (hypate hypaton)

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COEXISTENCE DES SYSTEMES DE HAUTEUR A LA FIN DU XVIème SIECLE

La description d'un espace musical exige que l'on prenne des précautions épistémologiques etsémantiques. Un schéma scientifique devrait être sous-tendu par les composantes suivantes :

1° l'échelle des hauteurs2° l'échelle des durées

Un tel schéma ne serait rigoureux qu'à la condition d'être ponctuel, dans le temps et dans l'espace. Il nesemble malheureusement pas qu'une telle démarche puisse avoir une réalité historique et musicale.

Nous avons voulu traiter l'un des aspects de la question générale «Espace musical», en nous efforçant delui restituer sa réalité. Cet aspect, c'est la coexistence des systèmes de hauteur dans la musique instrumentaleà la fin de la Renaissance. Plusieurs directions s'offrent à nous : celle des théoriciens, celle des instrumentsqui sont les supports des expérimentations et de la réalité musicale, celle des œuvres qui sont le reflet de lapensée créatrice. Il conviendra donc de présenter quelques systèmes de hauteur théoriques, puis d'envisagerleur application aux instruments adéquats. Sur cette base, nous essaierons de relire un ouvrage clé : lesConsort lessons de Thomas Morley.

La perception musicale n'est pas un phénomène objectif. L'espace musical occidental commun, notreenvironnement musical en quelque sorte, utilise essentiellement la gamme à 12 degrés également répartis surl'intervalle d'octave. Il nous est donc a priori bien difficile d'approcher des musiques utilisant des échellesdifférentes de la nôtre, soit par une répartition inégale des 12 degrés, soit par l'emploi de micro-intervalles. Ilfaut donc être particulièrement vigilant lorsque l'on se trouve en face d'un texte musical, éventuellementtranscrit avec notre notation, mais dont la destination peut être un espace échappant totalement aux canonsde décodage de notre oreille. Nos critères ne sont plus fondés, notre analyse est sans objet, et notrerestitution subjective.

I Tradition et illusion

Il est historiquement manifeste que les théoriciens de la musique du Moyen âge et de la Renaissance ontété influencés, plus ou moins directement, par le De Institutione Musica de Boèce [1] ; ceci se vérifieaisément, ne serait-ce que par l'appartenance de la musique au quadrivium [2], du moins jusqu'à la fin duXVIème siècle, appartenance dont Boèce fut en son temps le théoricien et le gardien. Cette présence, qu'ellerésultât d'un acquis culturel, ou qu'elle fût source directe, rend indispensable l'évocation du De InstitutioneMusica [3]. La référence à Pythagore y est explicite, en particulier pour la définition des consonances, quisont données par les rapports suivants :

double correspondant au diapason (octave)triple correspondant au diapason et diapente (octave et quinte) quadruple correspondant au bidiapason

(double octave)sesquialtère (3:2) correspondant à la diapente (quinte) sesquitierce (4:3) correspondant au diatessaron

(quarte)L'ensemble de la démarche de Boèce conduit à l'élaboration du monocorde dans les trois genres

diatonique, chromatique et enharmonique, ceci grâce à la conjonction des différents tétracordes (hypaton,meson, synemmenon, diezeugmenon, hyperboleon) [4].

Description du tétracorde hypaton.(hypate hypaton)

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genre chromatique

[5] genre enharmonique

[6]

L'une des émanations la plus remarquable du De Institutione Musica est sans doute le Solitaire second deP. de Tyard [7]. Cette Prose de la musique est l'œuvre d'un poète et d'un humaniste, pas d'un musicien dansle sens où nous l'entendons. Son contenu semble être une bonne traduction résumée du De InstitutioneMusica, avec une réserve pour la question des modes. Pour employer un terme contemporain, on pourraitqualifier Le Solitaire second d'ouvrage de vulgarisation des « Principes de la musique » de Boèce. Soninfluence sur la pratique musicale est faible, sinon inexistante [8].

L'importance de Boèce se manifeste aussi chez Zarlino. Les Istitutioni Harmoniche contiennent, entreautres, tous les tétracordes décrits par Boèce, et peut-être plus encore, une référence à l'harmonie des sphèrescélestes des anciens. La spécificité de la pensée zarlinienne réside dans l'intervention des rapports 5:4 et 6:5pour définir respectivement le diton et le semiditon (tierce majeure et tierce mineure) [12] et, dans undeuxième temps, dans l'élaboration du tempérament par deux septièmes de comma majeur [13] dont nousreparlerons un peu plus loin.

Au chapitre tradition et illusion se doit de figurer le traité de 1556 intitulé Manière d'entoucher les lucs etguiternes [14], qui soulève une question pratique de lutherie, celle de la disposition des frettes. Ce pointn'est pas abordé dans les publications parisiennes contemporaines (celles d'Adrian le Roy et MichelFezandat par exemple). Le principe de la méthode qui s'y trouve décrite est le suivant : en utilisant lesrapports géométriques définissant le ton majeur (9:8), la diapente (3:2) et le diatessaron (4:3), l'auteurélabore une échelle à douze degrés par octave en évitant de parcourir aucun cycle. On imagine aisément lanature du résultat obtenu. Au niveau d'une corde isolée, l'échelle ainsi constituée doit présenter des qualitésmélodiques, résultant de l'emploi d'intervalles purs ; par contre, et en dehors des problèmes d'unisson liés autraitement par degrés inégaux du frettage du luth, l'utilisation accordique d'une telle échelle ne semble nipossible, ni souhaitable. Autrement dit, même en évitant tout problème d'unisson, toute superposition dedeux cordes, et à plus forte raison de deux instruments, conduit à l'émission de groupes sonoresinharmoniques. Il suffit de se rappeler que le diton pythagoricien, obtenu par la conjonction de deux tonsmajeurs est un intervalle très dur. Cette tentative est une illustration de l'utopie qui consiste à vouloir

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n'utiliser que des éléments pythagoriciens pour partager l'octave. Voyons le détail des opérations successivespréconisées pour entoucher le luth :

Sillet chevalet

N est placé au milieu de AO (octave)AO est divisé en 9, et C placé de façon que CO/AO = 8/9 (ton). Même opération pour positionner E et G.

L'auteur se garde de parcourir un cycle entier : six tons majeurs ne coïncident pas avec une octave.H est construit grâce au rapport 3/2 (quinte), et F grâce au rapport 4/3 (quarte).Le semiton représenté par EF se trouve réalisé par différence.D est construit comme ton majeur à partir de F, et B comme ton majeur à partir de D.Les mêmes opérations sont répétées pour la construction de I, K, L et M.Il resterait à préciser la façon d'accorder les différents chœurs entre eux ; la seule solution cohérente reste

celle de l'utilisation de la quarte juste et du diton pythagoricien. Sous cette hypothèse, il est aisé de mettre enévidence des défauts d'unisson. Si le luth est accordé sol-do-fa-la-ré-sol, on peut comparer les deux sol# deschœurs supérieurs :

Il suffit pour cela d'établir les rapports 9/8 X 9/8 X 9/8 et 4/3 X 4/3 : 9/8 : 9/8 qui valent respectivement1,424 et 1,405 (la précision est bien suffisante !).

Il importe de bien comprendre que tout frettage inégal conduit à des défauts d'unisson (et d'octave). Dansle cas étudié, ce défaut est très important :

D = 1000 log (1,424/1,405) = 5,8 savarts.En admettant qu'un instrumentiste adroit se joue de ces défauts, il n'en reste pas moins vrai que le

système décrit est inutilisable accordiquement (à cause du diton pythagoricien).

II Evolution des systèmes de hauteur

Au XVIème siècle, la matière musicale exige un ensemble de systèmes de hauteur dont il seraitinconcevable qu'aucun théoricien ne se fit le partisan. La lecture des textes musicaux montre que lesintervalles de tierce sont traités comme des consonances, et qu'un certain nombre d'altérations est utilisable.Ainsi rencontre-t-on dès 1523, chez Pietro Aron, une description du tempérament à tons moyens. Le célèbrethéoricien vénitien Zarlino semble bien obéir à ce mouvement ; d'autres auront une vision plus spéculativedu problème des hauteurs, souvent avec une référence au genre enharmonique présumé de l'antiquité(L'antica musica ridotta [15]..., Vicentino – 1555, Chanson chromatique [16] Costeley – 1558, etc...). Mais,s'il est un auteur dont les écrits appuient l'idée de coexistence de différents systèmes de hauteur, c'est bienSalinas, dont le De Musica Libri Septem [17] contient probablement l'une des meilleures conceptualisationsde cette épineuse question. Ce traité fut publié à Salamanque, en 1577. Salinas n'est pas seulement unthéoricien, c'est aussi un organiste connu à son époque ; selon ses propres dires, il aurait rencontré lesmusiciens les plus célèbres de son temps : Roland de Lassus [18] et Francisco de Milano [19]. Bartholome

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Escobedo, qui était chanteur dans le chœur pontifical, attira son attention sur les écrits de Lodovico Fogliano[20].

Salinas signale qu'il a joué plusieurs fois sur des orgues ayant un clavier à 14 touches par octave,c'est-à-dire avec des touches distinctes pour do# et réb, et pour sol# et lab. L'instrument du monastère SanctaMaria de Florence aurait répondu à cette description [21]. Selon lui, le meilleur instrument de ce type étaitcelui qu'il avait fait construire à Rome, et qu'il eût ensuite à sa disposition à Salamanque.

Voici quelques données générales, contenues dans le livre II ; celles-ci sont indispensables à lacompréhension du mécanisme des hauteurs dans la démarche de Salinas.

Les rapports 5:4 et 6:5 sont jugés consonants [22]. Le critère essentiel de ce jugement réside dans l'effetque produisent ces deux intervalles sur les musiciens, et de l'usage qu'ils en font dans les cadences finales.Ces intervalles sont mis en évidence dans la suite de rapports 6:5:4. Toutes les consonances se trouventexprimées par des rapports superparticulaires [23] utilisant les six premiers nombres [24] (importance dusenarius).

Les intervalles plus petits sont définis comme suit [25] : grand semiton = quarte – tierce majeure (16:15)limma = quarte – diton pythagoricien (256:243)petit semiton = tierce majeure – tierce mineure (25:24) apotome = ton – limma (2187:2048) [26]diesis = grand semiton – petit semiton (128:125)

Le comma utilisé par Salinas [27] représente la différence entre un grand ton et un petit ton selon lesrapports 81 : 80 : 72.

Voici maintenant les éléments essentiels du troisième livre du De Musica de Salinas.Celui-ci présente dans un premier temps les différents genres de musique. La division du diatessaron sert

de base à cette étude. On retrouve d'abord des résultats bien connus : le genre diatonique se compose dedeux tons et d'un semiton, le chromatique d'un trisemiton et de deux semitons, l'enharmonique d'un diton etde deux diesis enharmoniques [28]. Six divisions sont proposées pour le genre diatonique [29] :

15 GS 16 GT 18 PT 20135 GS 144 PT 160 GT 18024 GT 27 PT 30 GS 32120 GT 135 GS 144 PT 16027 PT 30 GS 32 GT 3636 PT 40 GT 45 GS 48

GT = grand ton, PT = petit ton, GS = grand semiton, PS = petit semiton. La première et, la dernière deces divisions sont les meilleures. L'octave peut se décomposer en deux diatessarons séparés par un grandton. On obtient donc la composition de l'octave en genre diatonique :

72 PT 80 GT 90 GS 96 .. GT.. 108 PT 120 GT 135 GS 144Salinas introduit les tétracordes meson et diezeugmenon pour décrire cette division de l'octave [30] ; ce

choix est aussi celui de Ptolémée, qui est cité nommément [31]. Le diagramme suivant permet de voir lesrapports entre les différents degrés [32] :

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0 signifie « sans rapport musical ».La présence de deux d montre le souci de l'auteur de parfaire le système traditionnel en introduisant des

tierces justes par le jeu du comma 81:80. [33]La présentation du genre chromatique [34] observe le même déroulement, et le même souci ; voici

schématisés les résultats dans une présentation analogue à celle de l'auteur [35].

On peut faire les mêmes remarques qu'à la page précédente quant à la présencede deux degrés distincts entre F et G, entre a et , et de deux d.

Le genre enharmonique est ensuite décrit [36]. Nous suivrons la présentation précédente.

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Les points signalent les degrés enharmoniques et .

Les genres chromatique et enharmonique peuvent s'obtenir en baissant ou en haussant les sons du genrediatonique [38] ; un premier diagramme [39] donne la division chromatique d'une octave diatoniquerésultant des partages arithmétique et harmonique de la quinte, correspondant respectivement au diatoniqueet au chromatique – la quinte D a donné F et (F)# ; un second diagramme [40] donne la divisionenharmonique d'une octave chromatique selon le même principe, en partant des degrés chromatiques : parexemple, la division de la quinte C# - G# donne les degrés E et #, degré enharmonique situé entre E et F.

Les commas sont répartis de la façon suivante [41] :- dans le genre diatonique, entre les deux d,- dans le genre chromatique, entre les deux d, les deux et les deux f# ;- dans le genre enharmonique, aux mêmes endroits d, b, f#, et entre les deux b et #.Nous allons convertir les résultats de Salinas en échelle moderne. Soient N1 le plus grand nombre,

correspondant à E, et N2 le nombre correspondant au degré cherché : H = 1000 log Nl/N2 donne la hauteur en savarts ; H' = 3,9863 H donne la hauteur en cents.

Genre diatonique

Genre chromatique

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Genre enharmonique

grand ton : GT = 1000 log 9/8 = 51,2 savarts (204 cents) petit ton : PT = log 10/9 = 45,8 savarts (182,5 cents) grand semiton : GS = 1000 log 16/15 = 28 savarts (111,5 cents) petit semiton : PS = 1000 log 25/24 = 17,7 savarts (70,5 cents) comma : C = 1000 log 81/80 = 5,4 savarts (21,5 cents) diesis : D = 1000 log 384/375 = 10,3 savarts (41 cents) diesis moins comma : D – C = 4,9 savarts (19,5 cents)

On notera que les nombres correspondant aux différents degrés sont donnés à 0,25 cent près ; lesintervalles figurant dans les tableaux sont justes même si leur expression par différence laisse apparaître unevariation pouvant aller jusqu'à 0,5 cent.

Salinas aborde la question propre du tempérament de la façon suivante : il s'agit du déplacement ou del'annulation du comma par le moyen de sa distribution parmi les autres consonances et les autres intervalles ;ceci s'accompagne de petits désagréments auditifs dans une mesure variable. Trois systèmes de tempéramentsont décrits et appliqués au partage de l'octave en 19 degrés [42].

Il semble utile d'examiner le principe de la méthode employée par Salinas :- l'octave peut se diviser en trois ditons (5:4) et un diesis :

64 dit. 80 dit. 100 dit. 125 dies. 128- chaque diton se décompose en deux semitons mineurs (10:9) et un comma majeur (81:80).

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- en résumé : octave = 6 semitons mineurs + 3 commas + 1 diesis.Le travail de tempérament consiste dans un premier temps à répartir les commas. L'effacement du diesis

interviendra plus tard, dans le tempérament des instruments frettés.Voici, présentés sous forme de tableaux, les résultats obtenus. Ceux-ci sont appliqués à l'instrument à

clavier « idéal » possédant 19 touches par octave.

Altération des intervalles selon le tempérament par 1/3 de comma.

Intervalle Tempérament Valeur en cents et en savartssixte majeure pas modifiée 884,5 221,8sixte mineure + 1/3 comma 821 206quinte – 1/3 comma 695 174,3quarte + 1/3 comma 505 126,7tierce majeure – 1/3 comma 379 95,1tierce mineure pas modifiée 315,5 79,2ton majeur – 2/3 comma 189,5 47,5ton mineur + 1/3 comma 189,9 47,6semiton majeur + 2/3 comma 126 31,6semiton mineur – 1/3 comma 63,5 15,9diesis + 1 comma 63 15,8

Application au partage de l'octave (19 degrés) [43]

Altération des intervalles selon le tempérament par 2/7 de comma. [44]

Intervalle Tempérament Valeur en cents et en savarts

sixte majeure + 1/7 comma 887,5 222,6sixte mineure + 1/7 comma 817 204,9quinte – 2/7 comma 696 174,6quarte + 2/7 comma 504 126,4tierce majeure – 1/7 comma 383,5 96,2tierce mineure – 1/7 comma 312,5 78,4ton majeur – 4/7 comma 191,5 48ton mineur + 3/7 comma 191,5 48semiton majeur + 3/7 comma 121 30,3semiton mineur pas modifié 70,5 17,7diesis + 3/7 comma 50 12,6

Application au partage de l'octave (19 degrés) [45]

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Altération des intervalles selon le tempérament par 1/4 de comma. [46]

Intervalle Tempérament Valeur en cents et en savarts

sixte majeure + 1/4 comma 890 223,2sixte mineure pas modifiée 814 204,2quinte – 1/4 comma 696,5 174,7quarte + 1/4 comma 503,5 126,3tierce majeure pas modifiée 386,5 96,6tierce mineure – 1/4 comma 310,5 77,9ton majeur – 2/4 comma 193 48,4ton mineur + 2/4 comma 193 48,4semiton majeur + 1/4 comma 117 29,3semiton mineur + 1/4 comma 76 19diesis pas modifié 41 10,3

Application au partage de l'octave (19 degrés) [47]

Dans le cas des instruments frettés, les semitons vont aussi être égalisés, grâce à l'élimination du diesis[48]. Salinas met en évidence les particularités de disposition des intervalles dues aux instruments frettés :de la quatrième corde d'une viole à la troisième, on a un intervalle de tierce majeure ; de cette corde à vide àla quatrième frette, on a un autre intervalle de tierce majeure ; de l'endroit précédent à la troisième frette dela seconde corde, on a un troisième intervalle de tierce majeure ; la quatrième frette de la troisième cordesert donc de degré supérieur à la première tierce majeure, et de degré inférieur à la seconde : le diesis nepeut donc pas intervenir. Ce cas est différent de celui des instruments à clavier, pour lesquels on a mis enévidence deux sons, sol# et lab qui diffèrent d'un diesis. De la même façon qu'on a mis en place un Dintermédiaire, avec comme corollaire l'utilisation d'un ton moyen, l'obligation d'avoir, (sur une viole), ladouble fonction d'une même touche conduit à choisir une position moyenne, qui va créer des semitonsmoyens. Ainsi, sur une viole, la quinte augmentée équivaut à la sixte mineure. Il n'est pas concevable nonplus d'envisager que deux notes puissent être séparées d'un petit semiton à un endroit de la viole, et d'ungrand semiton à un autre endroit [49]. La modification des intervalles est ensuite décrite [50] : il faut répartirle diesis sur six tons, car l'octave des instruments frettés doit avoir exactement six tons, alors que celle desinstruments à clavier utilisait six tons et un diesis... Le ton sur une viole, dépassera le ton d'un instrument àclavier de 2/12 de diesis... Les systèmes à 20 sons (19), donnés pour le clavier peuvent indifféremment

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servir de base à cette nouvelle construction : il suffit d'utiliser le diesis tempéré correspondant afin desatisfaire l'hypothèse « six tons et un diesis font une octave ».

C'est encore par un schéma, conforme à celui de l'auteur d'ailleurs, que le mécanisme en question setrouve le mieux résumé [51]. Voici quelques précisions quant à la signification de ce schéma :

iiij = 4ème corde, iij = 3ème corde, ij = 2ème corde. 0 = corde à vide, 1= 1ère frette, 2 = 2ème frette etc...

C S D S E F S G S a S c = notes pour la viole [52] nombres = douzièmes de diesis en plus ou en moins. C D etc... = degrés de référence (échelles à 19 degrés).

Concluons ces références au De Musica libri septem en affirmant que, pour Salinas, ceci est le meilleur etle plus « vrai » des systèmes de tempérament pour la viole... Avec ce tempérament, les trois genres sontretrouvés : le diatonique, bien sûr est clair et explicite ; par contre, le chromatique et l'enharmonique sontconfondus et implicites, car les sons des genres chromatique et enharmonique sont les mêmes, alors qu'ilsdifféraient les uns des autres par des diesis, lesquels ont maintenant disparu. [53]

III Remarques sur l'adéquation entre les systèmes de hauteur théoriques et les instruments.

Il importe de se préoccuper de la part faite par la pratique musicale aux échelles décrites par lesthéoriciens. On l'a vu plus avant, (Manière d'entoucher les lucs... ), la tendance spéculative de la matièrethéorique qui nous est offerte prend quelquefois le pas sur la réalité physique des sons, tant au niveau de ladéfinition des hauteurs qu'à celui de leur utilisation dans les échelles mises en évidence par la créationmusicale.

Sans dénier l'importance des systèmes à degrés multiples, nous nous limiterons pour le moment àenvisager l'application de ceux qui font intervenir douze paliers. Il convient cependant de noter que desclaviers possédant plus de douze touches par octave ont été maintes fois décrits : citons pour mémoirel'arcicembalo de Vicentino, qui aurait comporté 132 touches pour une étendue de trois octaves et demie(L'antica musica ridotta... 1555 ) [54] ; Salinas, nous l'avons vu, préconise l'utilisation de 19 degrés par

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octave pour la conception d'un clavier idéal ; il cite deux instruments (orgues) en présentant 14. Plus tard,Mersenne, dans le livre des instruments de L'Harmonie Universelle [55] – 1636 –, proposera un « clavierparfait de vingt sept marches sur l'octave » et un « clavier très parfait de trente deux marches sur l'octave »,l'un et l'autre faisant suite à des échelles à 12, 17 et 19 marches [56].

Utiliser les résultats de Salinas pour élaborer une partition de l'octave revient à effectuer une sélection desnotes utiles parmi les 19 possibles. En l'espèce, la mise à l'écart des degrés purement enharmoniques laisseapparaître l'échelle qui suit :

En suivant ce principe, les trois partitions de Salinas vont devenir trois systèmes de tempérament, quenous avons d'ailleurs réalisés au clavecin et enregistrés [57]. On peut en signaler quelques élémentsremarquables :

* tempérament par 1/3 de comma la tierce mineure y est pure. * tempérament par 2/7 de comma le semiton mineur y est naturel ; ce système de tempérament coïncide

avec celui décrit de façon directe dans les Istitutioni Harmoniche de Zarlino [58].* tempérament par 1/4 de comma : la tierce majeure y est pure, et ce fait suffit à lui seul pour

l'élaboration d'une telle construction. Cette variante est très connue, c'est le tempérament mésotonique,probablement utilisé pendant près de deux siècles, et dont on trouve de nombreuses descriptions (Praetorius,Syntagmatis Musici [59] 1619, Mersenne, Harmonie Universelle [60], 1636, pour ne citer que les auteurs lesplus connus). La démarche de Salinas nous paraît très attachante, car elle semble englober l'essentiel de lapensée théorique du moment, sans jamais renoncer à la rigueur indispensable.

La réalité de ce type d'échelles ne saurait être contestée. On peut mettre au rang des exemples les plusprobants les deux orgues de Frederiksborg (Danemark) et de Lorris (France) ; la tuyauterie en bois dupremier de ces instruments n'a pas été retouchée depuis 1612. La partition utilisée laisse entendre six tiercesmajeures pures et deux autres un peu plus grandes [61]. Le travail de restitution effectué sur le second nepermet pas une telle précision, mais il laisse deviner de flagrantes et positives inégalités [62] !

Le fait le plus déroutant de prime abord est sans aucun doute la cohabitation dans un espace restreint desystèmes aussi différents que le tempérament égal et le tempérament mésotonique. S'il faut admettre letempérament égal pour les instruments frettés parce que les théoriciens nous y invitent (nous pensonstoujours à Salinas et à Mersenne [63]), et parce que c'est l'unique solution théorique au problème des défautsd'unisson (d'octave), il nous faut aussi constater que, même à l'intérieur du microcosme des instrumentsfrettés, nous possédons des informations contradictoires. En voici quelques-unes unes parmi les plusremarquables :

- l'introduction aux Recueils de cistre édités par Adrian Le Roy et Robert Ballard (1564-1565), connuesous le titre Brève et facile instruction contient un croquis de cistre irrégulièrement fretté.

- en 1636, Mersenne présentera trois cistres laissant deviner les mêmes inégalités de frettage ; le dernier(folio 98, verso), est d'ailleurs l'instrument de la Brève et facile instruction.

- le Musée instrumental du Conservatoire National de Musique de Paris possède deux cistres du XVIèmesiècle dont les frettages respectifs (fixes) sont très inégaux. A titre indicatif, nous pouvons donner les relevésdes distances sillet/frette correspondant à la première octave des deux instruments :

1. cistre de Iovanni Salvatori (XVIème siècle) :

0 31 + 53– 80 101,5– 124 146 165,5+ 183– 198,3 216,5 230,7 246,5– (enmillimètres)

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2. cistre de Franciscus Plebanus (1536) :

0 31,5 58+ 88– 136+ 161+ 181 202 218,5 239 257,5 271,5 (en millimètres)

En rapportant ces deux lignes de données numériques à une échelle commune, il sera possible de faireune comparaison visuelle des deux frettages. Passons sur le calcul qui est élémentaire (règle de trois).

Salvatori

Plebanus

Cette appréciation globale suffit à souligner notre propos [64], et conduit à envisager le dernier élémentde notre réflexion qui est le rapport entre musique [65] et systèmes de hauteur par l'intermédiaire desinstruments.

IV Eléments d'analyse et d'interprétation liés à la spécificité des systèmes de hauteur.

Il doit être clair maintenant, que, quel que soit le texte musical dont on envisage l'analyse ou larestitution, le problème des hauteurs se pose de plein droit avant tout autre. Comment donc imaginer lesintentions d'un compositeur sans se préoccuper du ou des systèmes qui sous-tendent sa pensée ?

Le cas des instruments à clavier peut se décrire assez rapidement :- l'emploi de tierces pures [66] dans une polyphonie confère à celle-ci un caractère bien différent de ce

que notre oreille pressent à l'audition intérieure (environnement sonore bâti exclusivement sur letempérament égal) ; les tierces majeures pures d'un orgue sont très remarquables (pas de battement surl'accord de tierce tenu).

- les mouvements chromatiques, et ce qu'ils induisent, prennent en système mésotonique par exemple,une dimension toute particulière ; les semitons, très inégaux, donnent une tension extrême à un Ricercarbrevis de Sweelinck [67] par exemple.

Mais ici, nous nous arrêterons essentiellement sur le cas des instruments frettés. La musique de luth vatout d'abord nous permettre de souligner les réflexions précédentes.

La polyvalence de certaines touches, à l'intérieur d'un même recueil tend à conduire (avec précaution) àun tempérament égal... à moins, bien sûr, qu'on admette l'éventualité du déplacement de certaines frettes parle luthiste.

Les exemples sont nombreux ; donnons en quelques-uns.Les adaptations de pièces vocales pour le luth réalisées par Albert de Rippe [68] constitueront notre

entrée en cette matière. Le modèle vocal de Verbum iniquum [69] utilise une échelle de ré avec tiercemineure ; la tessiture est fa1 - sib3 ; l'adaptation se fait par l'équivalence ré3 sur la touche c 2ème (mi3) ; Onutilise donc, sur le luth, une échelle de mi avec tierce mineure. Le modèle vocal de Regi seculorum [70]utilise une échelle de do avec tierce majeure ; la tessiture est do2 - mi4 ; l'adaptation se fait par l'équivalenceut3 sur la touche b 3ème (sib2) ; l'échelle de sib avec tierce majeure est donc employée sur le luth pour cettetranscription. Le modèle vocal de O Verdémont [71] utilise une échelle de ré avec tierce mineure ; latessiture est ré1 - la3 ; l'adaptation se fait par l'équivalence ré3 sur la touche d 2ème (fa3) ; on empruntedonc une échelle de fa, avec tierce mineure.

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L'exécution à suivre de ces trois pièces met en évidence la double fonction de certaines touches : ensubstance, le luthiste doit pouvoir utiliser indifféremment do# ou réb, sol# ou lab [72]. On peut, avec lemême type de démarche, faire une lecture de la très belle Forlorn Hope Fancy de Dowland [73]. Le sujet decette fancy est un mouvement chromatique établi sur une quarte descendante ; on y trouve à la fois desconjonctions accordiques surprenantes, et des diminutions qui ne sont pas sans évoquer celle de Sweelinck.La transcription laisse deviner la conceptualisation de cette pièce à travers l'échelle : do do# ré mib mi fa fa#sol sol# la sib si, avec cependant un ré#.

Exemples :

Le tempérament égal semble le seul propre à la restitution cohérente d'une telle œuvre : la notation entablature ne permet d'ailleurs pas de choisir la fonction des degrés... et l'on n'imagine guère l'instrumentistedéplaçant quelques frettes entre deux diminutions !

Ainsi est-il possible de faire côtoyer deux pièces de la même famille (époque, thématique, techniqued'écriture...) qui s'appuient sur des systèmes de hauteur très disjoints :

1. le Ricercar brevis de Sweelinck que l'on doit associer au tempérament mésotonique, ou à l'une de sesvariantes proches ;

2. la Forlorn Hope Fancy de Dowland qui est sans doute destinée à un système de tempérament égal, ouquasiment égal (aux détails de réalisation près).

Il faut bien entendu être conscient du fait que c'est l'utilisation polyphonique des instruments frettés quiimplique le tempérament égal. Une conception monodique du traitement des dits instruments ne contient pasnécessairement les mêmes implications. Ainsi, sous certaines conditions et de l'avis même desinstrumentistes, est-on capable d'adapter approximativement le frettage des violes à des systèmes inégaux.Une combinaison complexe mettant en jeu le texte musical à réaliser, les systèmes de hauteur propres auxinstruments intervenant corrélativement, le choix de doigtés adéquats, peut seule donner un embryon desolution à ce délicat problème ; il conviendrait aussi de s'assurer des seuils de tolérance de notre oreille.

Il n'est guère possible de donner une solution à cette question ; nous pensons d'ailleurs qu'une éventuelleréponse ne pourrait en aucun cas être considérée comme définitive ou unique, ne serait-ce qu'en fonction dela coexistence démontrée des différents supports de la pratique musicale.

Pour clore ces quelques réflexions, nous proposons d'envisager l'intervention de plusieurs instrumentsréunis à l'intérieur d'un broken consort, et c'est la formule de Thomas Morley qui va retenir notre attention.

The first book of consort lessons [74] contient des pièces pour six instruments (dessus de luth, cistre,basse de viole, pandore, flûte, dessus de viole), rassemblées par Morley. Gageons que son choix s'était bienporté sur des pages significatives des Allison, Dowland, Phillips, Strogers, Byrd, sans parler des siennesbien sûr ! En acceptant comme axiome la cohérence de ce recueil, on peut essayer d'établir un état dulangage, et d'en tirer quelques directives quant à l'utilisation des instruments.

L'ensemble des accords utilisés dans ces pièces reste limité ; en substance : mib majeur, sib majeur, famajeur, do majeur, sol majeur, ré majeur, la majeur, mi majeur, si majeur (une seule fois), do mineur, solmineur, ré mineur, la mineur, mi mineur (rare).

Exemples :

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La position privilégiée de ces accords reste la position fondamentale (accords parfaits), sans que lesaccords de sixte ne soient rares cependant. On trouve assez fréquemment le premier renversement del'accord de quinte diminuée.

Exemples :

L'emploi de la sous-tonique (un ton au-dessous de la tonique), est fréquent en majeur ; on ne rencontrejamais de lab.

A l'intérieur d'une échelle donnée, particulièrement dans celles à tierce mineure, on remarque une grandemobilité de hauteur (#, , b ) et de fonction des différents degrés. L'espace qui en résulte trouve dans cettemobilité l'une de ses caractéristiques.

Exemples :

Les techniques d'écriture polyphonique utilisées incitent à souligner les points suivants :- affirmation des pôles cadentiels, souvent soulignés par un retard.- délaissement de l'écriture en imitation au profit d'une structure accordique homorythmique.Exemples :

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- sur cette structure accordique, l'élément contrapuntique essentiel est la diminution, qui d'ailleursempruntera souvent les degrés mobiles dont nous venons de parler, faisant souvent entendre des faussesrelations à distance ou simultanées ; la saveur résultant de ces frottements appartient en propre à ce langage.

Exemples :

Les superpositions ou conjonctions hexacordales sont fréquentes (on peut aussi les considérer commejuxtapositions tétracordales, mais la conception hexacordale a le mérite de la réalité historique –solmisation).

Exemples :

Les qualités d'invention rythmique sont évidentes, mais cela relève d'une autre étude que la nôtre.L'instrumentation proposée par Morley pour ses Consort lessons pose donc à nouveau la question du

mélange (éventuel) des systèmes de hauteur. L'échelle de la flûte est mobile ; par le jeu des doigtés,l'instrument peut s'adapter à des situations très différentes. Le cistre était, pour ce que nous avons pu enjuger, accordé inégalement. Le luth et la viole, instruments à frettes mobiles, en dehors de problèmesd'unisson délicats, peuvent supporter, sous certaines hypothèses, l'inégalité ; le violiste doit choisir lespositions adéquates ; la partie de luth doit renoncer à une écriture polyphonique trop complexe ; dans lesConsort lessons, le luth effectue une partie de dessus (c'est à lui que sont confiées, le plus souvent, lesdiminutions), ce qui correspond à notre souhait ! Il est très probablement possible de jouer ces pièces sur labase d'un système inégal, à définir à partir des degrés fixes des différents instruments (en particulier cistre etpandore), sans jamais renoncer à la cohérence d'ensemble ; les instrumentistes devront prendre quelquesprécautions relatives à l'effacement des défauts d'unisson inhérents à un tel choix. Si quelques défautsd'accords subsistent (au sens strict), ils seront amoindris par le mélange des timbres ; gageons que lesinstrumentistes étaient assez virtuoses pour maîtriser ces problèmes.

L'exécution au tempérament égal semble douteuse à cause de l'emploi du cistre. Le mélange destempéraments égal et mésotonique est impossible ; on pourrait peut-être tolérer l'audition des diminutionsrapides du luth, accordé également, sur une texture accordique utilisant des tierces intermédiaires, mais riende plus. Si l'on admet l'existence de cistres également tempérés, on peut envisager ce même accord pour lesautres instruments : cette hypothèse, à notre connaissance, n'a pas été clairement vérifiée...

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Souhaitons donc voir des instrumentistes de qualité se réunir autour des Consort lessons, et appréhenderces problèmes de hauteur de façon autonome. L'entreprise n'est pas aisée, mais il ne fait aucun doutequ'après une période d'accoutumance aux systèmes de tempérament à tons moyens, l'oreille fixera lesfrontières d'un champ d'expérimentation déjà esquissé par le biais des contraintes instrumentales.

Gérard BOUGERET [75]

Notes

1. Boèce (Boethius) – 480, 524 ou 525 : patricien, il reçut une éducation classique qui contribua à la connaissance qu'ileût des auteurs grecs, dont il maîtrisait parfaitement la langue. Il fut élu consul en 520. Le De Institutione Musica estune œuvre de jeunesse.2. Groupe des quatre arts libéraux (arithmétique, géométrie, musique et astronomie) dont l'étude suivait celle dutrivium (grammaire, rhétorique, dialectique).3. Boethius (Anicius), De Institutione Arithmetica, libri duo, De Institutione Musica, libri quinque, édités en 1867 parG. Friedlein; réédition en 1966, Minerva G.M.B.H.4. De Institutione Musica, Livre IV.5. Partage arithmétique indirect faisant intervenir lichanos hypaton diatonique ; physiquement parlant, ceraisonnement est erroné.6. Partage arithmétique direct ; même remarque que précédemment. En effectuant quelques calculs, on s'aperçoit biensûr que le diesis possède deux valeurs (11,15 et 11,45 savarts).7. Pontus de Tyard (1521-1605) : poète admis par Ronsard dans le groupe de la Pléiade. C'est un érudit et un penseurvigoureux. Citons Le solitaire premier, Paris, 1587 (théorie de l'inspiration poétique) et Le Solitaire second, Lyon1555 (théorie de la musique).Ces deux ouvrages ont été microfilmés (Bibliothèque Nationale, Paris).8. A l'exception peut-être de la terminologie modale, qui est celle de Glarean.9. Réédition en fac-similé, Gregg Press Incorporated, Ridgewood, New Jersey, U.S.A., 1966.10. Tetrachordo diatonico diatono, tetrachordo chromatico antico, tetrachordo enharmonico antico (IstitutioniHarmoniche, deuxième partie, chapitre 16).11. Ibid. chapitre 29, illustration page 120.12. Traitement du tetrachordo diatonico syntono.13. Ibid. chapitres 41 à 45.14. Ce traité est anonyme ; la seule indication y figurant concerne l'imprimeur, en substance : « Achevé d'imprimer àPoitiers, le 13 de May 1556 par Enguilbert de Marneuf ». Cf. Vaccaro (J.-Michel) La musique de luth en France auXVIème siècle, Editions du C.N.R.S., Paris, 1981, appendice III.15. Kaufmann (Henry), Vicentino's Arciorgano, in Journal of Music Theory V, 1961, p. 32-53.16. Levy (Kenneth), Costeley's chromatic chanson, in Annales musicologiques 1, 1953, p. 375-397.17. Réédition en fac-similé, M.S. Kastner, Bärenreiter Verlag, Kassel, Bâle, 1958 (Documenta musicologia, 1ère série,XIII).18. De Musica Libri Septem, livre VI, chapitre 10.19. Ibid., livre VI, chapitre 14.20. Ibid., livre IV, chapitre 32.21. Ibid., livre II, chapitre 21.22. Chapitre 11.23. Proportions du type (n + 1 : n)24. Chapitre 12.25. Chapitres 18 et suivants.26. Chapitre 21.27. Chapitre 23.28. Chapitres 1 et 2 ; cf. les résultats de Pythagore, d'Aristoxène...29. Chapitre 3.30. Chapitre 4.31. Ibid. page 109.32. Chapitre 5.

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33. Ce point mérite d'être souligné : il met en évidence l'attachement de Salinas à ce qui sonne bien, c'est-à-dire à lamusique, en plus de la rigueur de raisonnement sur les nombres sonores.34. Chapitre 6.35. Chapitre 7 ; diagramme page 117.36. Chapitre 8.37. Petit ton = ton mineur ; grand ton = ton majeur. Idem pour les semitons.38. Chapitre 9.39. Ibid. page 128.40. Ibid. page 129.41. Chapitre 10.42. Chapitres 15 et suivants.43. Chapitre 16.44. Chapitres 18 et 19.45. Chapitre 20.46. Chapitres 22 et 23. 47. Chapitre 25. 48. Chapitre 28.49. Problème d'unisson, dont nous avons déjà parlé.50. Chapitre 29.51. Ibid. p. 170.52. C = do, D = ré, S = semiton entre C et D, et ainsi de suite.53. Ibid. p. 170.54. Réédition en fac-similé, E.E. Lowinsky, Bärenreiter, Kassel, Basel, London, New-York, 1959 (Documentamusicologica, lère série, XVII).55. Réédition en fac-similé, F. Lesure, Editions du C.N.R.S., Paris, 1963, 3 volumes.56. Traité des Instruments, Livre sixième, proposition XXIII.57. Bougeret (Gérard), Échelle des hauteurs et musique instrumentale à la Renaissance, Thèse de 3ème cycle,Université de Tours, 1982.58. Deuxième Livre, chapitres 41 à 45.59-60-61. CF. Legros (Henri), Le tempérament, Bulletin du groupe d'acoustique musicale n° 61, Université Paris VI,Mai 1972.62. Sans doute construit vers 1502, puis remanié à la fin du XVIème siècle (ou début XVIIème), cet instrument a étémagnifiquement restauré par J.G. et Y. Koenig. La tuyauterie primitive, en plomb martelé, en a été patiemment remiseen état.63. Traité des Instruments, Livre Premier, proposition XIV, p. 38.64. La transformation d'un frettage en système de hauteur relève d'un calcul assez complexe, en particulier lorsque lescordes impliquées possèdent une raideur non négligeable.65. Musique à douze sons, devrait-on peut-être dire ?66. Cf. les enregistrements déjà cités ; il en existe bien d'autres d'ailleurs !67. Sweelinck (J.-Pieter), Ausgewählte Werke, Editions Peters n° 4645b.68. Vaccaro (J.-Michel), Oeuvres d'Albert de Rippe, Corpus des luthistes, Editions du C.N.R.S., Paris, 1974, 3volumes.69. Ibid. volume Il, page 37.70. Ibid. volume II, page 1.71. Ibid. volume 111, page 71.72. De diego Pisador à John Dowland, en passant par de Rippe et bien d'autres, il eut été possible de faire ressortirl'emploi polyvalent de pratiquement toutes les touches du luth. L'exemple choisi a le mérite particulier d'inclure unconcept de transposition. Par essence, la transposition ne doit pas modifier l'échelle relative de la pièce. Si l'on peutimaginer qu'une touche remplisse inégalement sa double fonction dans une pièce « libre », c'est plus difficilementconcevable dans le cadre d'une transposition : on tolèrerait peut-être un mauvais accord dans une pièce sans référence,certainement pas dans une pièce connue sous une autre forme.73. Poulton (Diana) & Lam (Basil), The collected Lute Music of John Dowland, Faber Music Ltd., London,1974.74. Publié à Londres par W. Barley en 1599. Edition moderne : Beck (Sydney), The first book of consort lessons,collected by Thomas Morley, 1599 & 1611, New York Public Library, CF Peters Corporation, New York, 1959.75. Gérard BOUGERET est maître de conférences à l'université de Tours.

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