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1 2eme Séminaire International Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines - CJCA Sur le thème : « Accès des particuliers à la justice constitutionnelle » Co-organisé avec Le Conseil Constitutionnel d’Algérie Alger, du 24 au 27 novembre 2017

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2eme Séminaire International

Conférence des Juridictions Constitutionnelles

Africaines - CJCA

Sur le thème :

« Accès des particuliers à la justice

constitutionnelle »

Co-organisé avec

Le Conseil Constitutionnel d’Algérie

Alger, du 24 au 27 novembre 2017

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TABLE DES MATIERES

No.

Thème de l’intervention Présenté par Page

Présentation de la CJCA Secrétariat de la CJCA

5-6

Photos Secrétariat de la CJCA

6-9

Programme du Séminaire Secrétariat de la CJCA

10-12

01 Allocution de bienvenue Mr. Mourad MEDELCI

Président du Conseil constitutionnel d’Algérie

13-15

02 « La Cour constitutionnelle et le citoyen au Bénin »

Mr. Robert DOSSOU

Président d’Honneur de la CJCA

Ancien Président de la Cour constitutionnelle du Bénin

16-18

03 « La coopération entre la Commission de Venise et la

CJCA »

Mr. Gianni Buquicchio

Président de la Commission de Venise

19-22

04 « L’accès des particuliers à la justice constitutionnelle en Turquie. »

Prof. Dr. Zühtü Arslan

Président de la Cour constitutionnelle de Turquie

23-28

05 « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception de l’inconstitutionnalité en France »

Mr. Laurent Fabius

Président du conseil constitutionnel de la République française

29-33

06 « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception de l’inconstitutionnalité, en Algérie »

Mr. Mohamed HABCHI

Vice-Président

du Conseil constitutionnel d’Algérie

35-46

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07 « Une brève approche de la saisine de la Cour constitutionnelle de Belgique »

Mr. Jean-Paul Moerman

Juge à la Cour constitutionnelle du Royaume

de Belgique.

47-52

08 « Exception d’inconstitutionnalité au Bénin :

Organisation et procédures internes »

Mme. Marceline C. GBEHA AFOUDA

Juge à la Cour constitutionnelle du Bénin

53-61

09 « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à

l’exception de l’inconstitutionnalité »

Mr. Astrides R. Lima

Juge-Conseiller du

Tribunal constitutionnel, Cap-Vert

62-70

10 « L’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité en

Guinée »

Mr. Mohamed Lamine Bangora

Vice-Président de la Cour constitutionnelle de Guinée

71-75

11 « Evaluation de la mise en œuvre de l’exception

d’inconstitutionnalité au Sénégal, et les

recommandations qui en découlent »

Mr. Malick DIOP

Vice-Président du Conseil constitutionnel du Sénégal

76-82

12 « Le recours par voie d’exception dans le système

juridique Soudanais : Le recours individuel devant la

Cour constitutionnelle »

Dr. Mohamed Wahbi Mukhtar

Président de la Cour constitutionnelle du Soudan

84-87

13 « Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à

l’exception de l’inconstitutionnalité, au Maroc

»

Mr. Nadir El Moumeni

Juge à la Cour constitutionnelle du Royaume

du Maroc

88-98

14 « Le pouvoir du juge de fond dans l’appréciation du sérieux

de l’exception d’inconstitutionnalité »

Mr. Mohamed El Hafi,

Président de la Cour suprême de Libye

95-104

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15 « L’accès des particuliers à la justice constitutionnelle :

L’expérience Ethiopienne »

Mr. Tsegay Asmamaw

Vice-président du Conseil d’enquête constitutionnelle de

la République d’Éthiopie

105-112

16 « Réflexions sur l'inconstitutionnalité devant

une cour constitutionnelle en cours de création »

Mr. Abdesslam El Mehdi GRICIA

1er Président de la Cour administrative, Vice-président

de l’Instance provisoire du Contrôle constitutionnel des

projets de lois- Tunisie

111-119

17 Discours de Clôture Mr. Mourad MEDELCI

Président du Conseil constitutionnel d’Algérie

120-122

18 Album photos Secrétariat général 123-136

19 Liste des participants Secrétariat général 137-140

Alger, capitale mondiale de la justice constitutionnelle en 2020

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Historique sur la création de la CJCA

A l’initiative de l’Algérie, l’Union Africaine avait adopté lors de la quinzième session

ordinaire de la conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernements tenue du 25 au 27 juillet

2010 à Kampala en Ouganda, la décision de créer un espace africain de justice

constitutionnelle.

La création de cet espace répond à l’impératif de fédérer les juridictions en charge du

contrôle de constitutionnalité, ayant adopté des mécanismes africains de justice

constitutionnelle, dans un espace continental qui leur permet de participer dans le domaine

qui est le leur, à la promotion et à la diffusion des valeurs et principes universels d’Etat de

droit, de démocratie et des droits de l’homme, consacrés dans le préambule de l’Acte

constitutif de l’Union Africaine.

Une réunion préparatoire regroupant les Présidents des juridictions de justice

constitutionnelle en Afrique, s’est tenue en marge des travaux de la deuxième Conférence

mondiale de justice constitutionnelle réuni à Rio de Janeiro (Brésil), le 16 janvier 2011, avait

chargé l’Algérie de conduire le processus de création de cet espace, jusqu’à son terme.

Les Présidents et représentants des Cours et Conseils constitutionnels ainsi que des

institutions équivalentes d’Afrique ont tenu les 7 et 8 mai 2011 au siège du Conseil

constitutionnel d’Algérie le Congrès constitutif de l’espace africain de justice

constitutionnelle qu’ils ont baptisé « Conférence des Juridictions Constitutionnelles

Africaines » (CJCA).

Cinquante-deux participants (52) représentant vingt-cinq (25) juridictions constitutionnelles

africaines ont pris part à ce Congrès, rehaussé par la présence du Président de la

Commission de l’Union Africaine, et du Président de Commission européenne pour la

démocratie par le droit, plus connue sous le nom de la « Commission de Venise ».

Au cours du Congrès, les participants ont examiné et adopté l’Acte constitutif de la

Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines » (CJCA), et procédé, à l’élection du

premier Bureau exécutif et du secrétaire général.

Le siège du secrétariat général de la CJCA est fixé à Alger.

La CJCA regroupe aujourd’hui quarante-cinq (45) juridictions constitutionnelles africaines

membres et (3) trois membres observateurs non africains, en l’occurrence : le Brésil, la

Russie et la Turquie.

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La CJCA tient un Congrès tous les deux ans. Ainsi, depuis sa création, quatre Congrès ont eu

lieu respectivement à : Alger (2011), Cotonou (2013), Libreville (2015) et Cape Town (2017) ;

le cinquième Congrès aura lieu à Luanda – Angola, en Juin 2019.

Afin de promouvoir la justice constitutionnelle en Afrique et de favoriser l’échange

d’expériences, la CJCA tient un séminaire international entre deux Congrès. Le premier

séminaire a eu lieu, à Cotonou en 2013 sur le thème : « le juge constitutionnel et le pouvoir

politique ». Le deuxième eut lieu, à Alger en 2017, sur le thème de : « l’accès des

particuliers à la justice constitutionnelle ».

Les actes des séminaires, regroupés et traduits dans plusieurs langues, sont largement

diffusés.

Sur le plan international, la CJCA bénéficie du statut « d'Observateur » auprès de l'Union

Africaine, en tant qu’organisation composée d’institutions des États membres de l’UA ; elle

est aussi membre du Bureau de la Conférence mondiale de Justice constitutionnelle (CMJC)

au titre des groupes régionaux.

La conférence a signé de nombreux accords de coopération avec des organisations

régionales et linguistiques qui activent dans le domaine de la justice constitutionnelle, telles

que : la Commission de Venise, l'Association Asiatique pour la Justice Constitutionnelle,

l'Union des Cours Constitutionnelles Arabe, ...

La CJCA dispose d’un site web (www.cjca-conf.org) qui fonctionne dans les quatre langues de

travail de la Conférence, à savoir : anglais, arabe, français et portugais.

Photo montrant l'entrée du siège de la CJCA

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Portraits des présidents de la CJCA, depuis sa création en 2011

De gauche à droite : M. Boualem BESSAIH (Algérie), M. Robert DOSSOU (Bénin), M. Theodore

HOLO (Bénin), Mme Marie Madeleine MBORANTSUO (Gabon), M. Mogoeng Mogoeng

(Afrique du Sud).

Salon pour les invités

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La salle de réunion entourée des drapeaux des 45 pays membres de la CJCA

Photo du défunt Président Bessaih, dont le siège porte son nom

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Photo souvenir

des participants au 2eme Séminaire international de la CJCA

Alger, le 25 Novembre 2017

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PROGRAMME

Vendredi 24 Novembre 2017

- Arrivée et accueil des délégations hôtes au salon VIP de l’aéroport Houari Boumediene

19h00 : Réception de bienvenue offerte par Mr. Mourad MEDELCI, Président du Conseil

constitutionnel d’Algérie. – Hôtel El Madar - Beni Messous

Samedi 25 Novembre 2017

09h00 – 10h30

Cérémonie d’ouverture officielle

Siege du Conseil constitutionnel

09h30 – 10h30 Cérémonie d’ouverture

• Allocution de M. Mourad MEDELCI Président du Conseil constitutionnel

d’Algérie.

• Allocution de Mr. Mogoeng Mogoeng, Juge en Chef de la République d’Afrique du

Sud et Président de la Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines.

• Allocution de M. Gianni BUQUICCHIO, Président de la Commission de Venise

10h45-12h00

- Séance photo à l’entrée du siège du Conseil constitutionnel.

- Visite guidée du siège du Conseil constitutionnel.

- Visite du siège de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines (CJCA).

- Baptisation du siège de la CJCA au nom du regretté « Boualem BESSAIAH »

12H30 : Départ vers hôtel El Madar, lieu des travaux.

14h00– 17h00 : : Première session

Auditorium de l’Hotel El Madar

Président de session : S. E. Mr. Mogoeng Mogoeng, Juge en Chef de la République

d’Afrique du Sud/ Président de la CJCA

Thème de la 1ere session : Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à

l’exception d’inconstitutionnalité.

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14H00 – 15H30 : Exposés des représentants de juridictions : (20 mn)

- Mr. Mohamed HABCHI / Vice-Président du Conseil constitutionnel d’Algérie

- Mr. Mohamed Lamine BANGOURA/ Vice-Président de la Cour constitutionnelle de

Guinée

- Mr. Aristides Raimundo Lima / Juge-Conseiller, Tribunal constitutionnel du Cap Vert

- Mr. Nadhir EL MOUMENI / Membre de la Cour constitutionnelle du Maroc

15H50– 16H10 : Mr. Laurent FABIUS / Président du Conseil constitutionnel Français

16H10– 17H00 : Séance-débat de la 1ere session

19H00 : Diner offert par Mr. Mogoeng Mogoeng, Président de la CJCA à l’hôtel El Aurassi.

Dimanche 26 Novembre 2017

9h30 – 12h00 : Deuxième session

Président de session : Mr. Mourad MEDELCI, Président Conseil constitutionnel d’Algérie

Thème de la 2eme session : « Organisation de l’exception d’inconstitutionnalité et les

procédures internes au niveau de chaque juridiction »

9H30 – 10H50 : Exposés des représentants de juridictions : (20 mn)

- Mr. Jean-Eric RAKOTOARISOA / Président de la Haute Cour Constitutionnelle de

Madagascar

- Mme Marcelline AFOUDA / Conseiller, Cour constitutionnelle du Bénin

- Mr. Adel SCHERIF / Vice-Président de la Haute Cour constitutionnelle d’Egypte

- Mr. Abdessalem El Mahdi KRISSIA / Vice-Président de l’Instance de contrôle de

constitutionalité des projets de lois (IPCCPL) – Tunisie

11H00 – 12H00 : Séance-débat de la 2eme session

14h00 – 17h00 : Troisième et dernière session

14H00- 17H00 :

Président de session : Mr. Kassoum KAMBOU, Président du Conseil constitutionnel du

Burkina Faso

Thème de la 3eme session : « Evaluation de la mise en œuvre de l’exception

d’inconstitutionnalité et les recommandations qui en découlent ».

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14H00 – 15H30 : Exposés des représentants de juridictions : (20 mn)

- Mr. Wahbi Mohamed MUKHTAR / Président de la Cour constitutionnelle du Soudan

- Mr. Malick DIOP / Vice-Président du Conseil constitutionnel du Sénégal

- Mr. Mohamed EL HAFI / Président de la Cour Supreme de Libye

- Mr. Robert DOUSSOU / Président d’Honneur de la CJCA.

15H30 – 16H00 : Pause-café

16H00 – 16H45 : Allocutions des invités

- Mr. Zhutu ARSLAN / Président de la Cour constitutionnelle de Turquie

- Mr. Jean Paul MOERMON / Juge à la Cour constitutionnelle de Belgique

- Mr. Eric Overvest Coordonnateur / Résident du PNUD en Algérie.

16H45 – 17H15 : Séance-débat de la 3eme session

17H15 – 17H30 : Synthèse générale des travaux

17H30 : Allocution de Clôture, par Mr. Mourad MEDELCI, Président du Conseil

constitutionnel d’Algérie.

18H00 : Clôture officielle du deuxième séminaire international de la CJCA par Mr. M.

Mogoeng, Président de la CJCA

19H00 : Diner d’adieu, offert par Mr. Mourad MEDELCI, Président du Conseil constitutionnel

d’Algérie, au Centre International des Congres – Abdellatif RAHAL– Club des Pins

Quatrième et dernier jour

Lundi 27 Novembre 2017

Programme culturel

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Allocution de bienvenue :

2eme Séminaire international de la CJCA

Présentée par :

Mr. Mourad MEDELCI Président du Conseil constitutionnel d’Algérie

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Excellences,

Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à Alger au siège du Conseil Constitutionnel.

Bienvenue à Alger, siège permanent de la Conférence des Juridictions constitutionnelles Africaines qui regroupe aujourd’hui, avec 44 membres, la grande majorité des pays de l’Union Africaine.

- Nous sommes honorés de votre présence parmi nous à l’occasion de ce séminaire consacré à l’accès des particuliers à la Justice Constitutionnelle en Afrique.

- Permettez-moi, Mesdames, Messieurs et Chers Collègues, de remercier en votre nom tous ceux qui ont participé directement ou indirectement à l’organisation de notre rencontre à Alger avec une mention particulière à la C.J.C.A. et à son Président Monsieur MOGOENG MOGOENG, Juge en chef de la République d’Afrique du Sud, ainsi qu’à la Commission de Venise et son Président Monsieur Gianni BUQUICCHIO.

- L’Algérie a, avec cette rencontre, une occasion de leur renouveler sa gratitude pour les efforts qu’ils ont développé pour le succès de la 4ème édition de la Conférence Mondiale à Vilnius, dont le bureau a élu l’Algérie pour la prochaine édition, l’Algérie honorée d’accueillir cet évènement mondial, In Challah en 2020.

- Nos remerciements s’adressent à tous nos homologues présents parmi nous, les Africains et nos invités hors du continent dont la présence, en nombre et en qualité, est révélatrice de l’importance qu’ils accordent au thème retenu pour le séminaire et conforte l’universalité des mutations qualitatives enregistrées dans le domaine de la Justice Constitutionnelle.

Nous saluons ensemble la présence parmi nous des présidents des juridictions constitutionnelles de la France, de la Turquie et de la Belgique.

Mesdames, Messieurs,

- Sur notre continent, la saisine de nos juridictions constitutionnelles a évolué au rythme de l’histoire politique particulière de chacun de nos pays et la majorité d’entre elles se sont organisées pour associer le citoyen à l’objectif d’améliorer le contenu des textes législatifs lorsque ces derniers ne font pas l’objet de contrôle à priori de constitutionnalité.

- En effet, si l’objectif visé est le même, les modus operandi ont dû emprunter à l’expérience des autres, tout en laissant une large part à la prise en compte de la situation dans chaque pays.

- Pendant trois jours, nous allons prendre la pleine mesure de ces évolutions en Afrique pour profiter, chacun à sa mesure, de l’expérience des autres.

- Ces évolutions porteuses d’une nouvelle culture constitutionnelle nourrie non seulement par l’apport des acteurs politiques au procès constitutionnel mais surtout par celui du citoyen justiciable.

- La justice constitutionnelle, faut-il le souligner, n’est pas seulement une mécanique juridique avec ses principes et ses procédures, elle est aussi une culture et, à ce titre, elle doit être accessible à tous. En même temps la réalisation de cet objectif commande que nous fassions, en tant que juges constitutionnels, un effort de vulgarisation et de pédagogie dans l’écriture et la diffusion de notre jurisprudence afin que nos différents auditoires puissent y accéder, nous comprendre et réagir.

- En Algérie le processus a été dynamisé avec l’inscription de l’exception d’inconstitutionnalité dans le marbre de la Constitution algérienne qui a connu des avancées remarquables à la faveur des amendements de Mars 2016.

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C’est là un acquis considérable pour le citoyen et une dynamique nouvelle qui fera évoluer davantage la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme dans notre continent et dans le reste du monde.

Mesdames et Messieurs,

Le regard que nous pouvons jeter aujourd’hui sur ces évolutions nous rassure tant il est vrai que les défis communs qui nous interpellent bénéficient d’avancées remarquables au triple plan scientifique, juridique et opérationnel.

- Nous pouvons sans doute retenir que ces avancées permettent de consolider la paix dans le monde, même si beaucoup de progrès restent à venir pour ancrer, définitivement et partout, le droit comme axe fondateur de la gouvernance aux différents niveaux.

- Le respect du droit est également lié aux efforts déjà importants de formation et d’information et ce afin d’améliorer l’efficacité de nos institutions et permettre à nos sociétés de participer pleinement aux mutations systémiques nécessaires.

- Le retour naturel au citoyen, est, sans doute aucun, un objectif permanent et structurel et lui permettre de s’ériger en acteur constitutionnel majeur et donc en gardien de nos Constitutions constitue un Must dans l’expression de la démocratie.

- En Algérie, nous devons être fiers de ces nouveaux acquis et travailler sans relâche à une bonne organisation des processus qui participeront au succès dans la mise en œuvre de l’article 188 de la Constitution, amendée en 2016.

- Pour rappel, l’article 188 prévoit, je cite : « Le Conseil Constitutionnel peut être saisi d’une exception d’inconstitutionnalité sur renvoi de la Cour Suprême ou du Conseil d’Etat ».

C’est dire l’importance de ces deux juridictions suprêmes qui, par le pouvoir que leur confère le Constituant, consolident leur place dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs et mettront, sans aucun doute, leur expérience très riche pour participer très activement à la protection et à la consolidation des droits et libertés garantis par la Constitution.

Je voudrais ici leur rendre hommage dans l’espoir que notre coopération, déjà structurelle, puisse enregistrer de nouveaux succès.

En ouvrant ce séminaire ce matin, je formule le vœu que notre rencontre soit marquée du sceau de la collégialité qui nous unit et qui aspire à se transformer en solidarité active pour relever les nombreux défis qui sont les nôtres.

Je vous remercie pour votre attention

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Vue de la Casbah d’Alger

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Intervention de :

Mr. Robert DOSSOU

Président d’Honneur de la CJCA

Ancien Président de la Cour constitutionnelle du Bénin

Sur le thème :

« La Cour constitutionnelle et le citoyen »

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Merci, Monsieur le président, mais je pense que je vais ajouter à mon temps les 05 minutes économisées par notre ami de Libye, je voudrais vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de dire quelques mots et surtout d’être appelé à évaluer.

Je voudrais m’excuser d’avoir commis un oubli hier au moment du baptême de siège dont vous avez donné le nom de notre doyen Mr Boualem BESSAYAH, au siège de l’association, j’ai oublié de remercier la commission de Venise M. Gianni BUQUICCIO, et son bras armé DURR qui ont joué un rôle très important dans l’organisation de toutes les associations de juridictions constitutionnelles, je dois le dire maintenant.

Il s’agit pour moi d’évaluer la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité, et de voir s’il n’y a pas de recommandations à faire.

Je voudrais avant toute chose saluer l’intervention de Mme AFOUDA Marcelline ce matin, et je tiens à dire que Mme AFOUDA était pendant 10 ans secrétaire générale de la cour constitutionnelle du Bénin, magistrat de formation, elle fut procureur général et je l’ai vu croiser le fer. Souvent avec elle en cour d’assises, dans les procès piquant de peine de mort à l’époque, donc elle fait partie de ces femmes et de ces hommes qui ont assis la structuration de notre cour constitutionnelle, et après, elle a été appelée à construire les décisions de cette cour, et elle est donc nommée comme conseillère à la cour. Et ensuite elle fut vice-présidente, pendant que j’avais l’honneur de présider cette cour. Aujourd‘hui sous le mandat du professeur HOLO elle est conseillère, mais elle est présidente de la Haute Cour de justice. Actuellement c’est une des hautes institutions constitutionnelles de la république du Bénin chargée de juger les chefs de l’Etat et les ministres.

Donc, je complète sa présentation, je me devais de faire, le citoyen, le particulier, et c’est de cela qu’il s’agit, le particulier au Benin qui peut se retrouver, à terme d’une procédure constitutionnelle, soit par voie d’exception, soit par voie d’action.

Mais le citoyen peut également se retrouver objet d’une procédure de constitutionnalité par vacation. Vous le savez par voie d’exception, nous le savons, mais parfois d’auto saisine, tout le monde ne le sait pas souvent, mais la constitution du Bénin a donné un pouvoir d’auto saisine à la cour constitutionnelle de Benin dans deux domaines.

Le premier domaine, le plus important c’est le droit de l’homme , tous ce qui est le droit de l’homme ,tout ce qui est droit de l’homme , la cour constitutionnelle de Benin est compétente ,qu’il s’agisse d’un texte de loi, qu’il s’agisse d’une lettre réglementaire, qu’il s’agisse d’un acte de n’importe quelle nature - y compris une décision juridictionnelle -, et en fait, qu’il s’agit d’un acte de fait générateur des préjudices, tous ce qui est droit de l’homme, la cour constitutionnelle du Bénin a été consacré comme la plus haute juridiction en matière constitutionnelle et en matière de droit de l’homme.

Cela ne se fait pas que les autres juridictions ne sont pas compétentes en matière de droit de l’homme, nous avons dit, c’est la plus haute, alors, si l’on examine ce qui s’est passé depuis l’installation de notre cour que de temps en temps nous comparons à d’autres cours constitutionnelles, juridictions constitutionnelles. Quelle évaluation peut ont faire aujourd’hui ?

J’ai fait deux constats et j’ai fait mon évaluation en deux temps, le premier temps, le statut du citoyen dans la démocratie et deuxième temps l’accès des particuliers, est le problème, l’accès du particulier à la justice constitutionnelle accès directe ou indirecte tous simplement

D’abord, le 1er volet, statut du citoyen dans la démocratie :

Nous ne pouvons pas aborder les questions qui nous ont réunie depuis hier sans avoir une pensée pour l’Etat de droit, nous ne pouvons pas non plus aborder ces questions en occultant les droits de l’homme, ces deux points sont constamment en toile de fond, un leitmotiv dans notre débat dans notre démarche dans nos recherches et dans nos réflexions et dans nos actions aussi. D’abord l’Etat de droit, les questions pleuvent, c’est quoi l’Etat de droit ? C’est quoi l’Etat dans lequel tout le monde doit se conformer au droit, mais moi j’ajoute souvent, dans lequel le droit lui-même se conforme aux préceptes fondamentaux

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des droits de l’homme ? Parce que : qu’elle est notre aspiration, notre aspiration et que le gouvernement , ceux qui nous dirigent et les citoyens dans le rapport entre eux et dans le rapport entre la fonction publique, l’Etat ,le gouvernement, tout le monde doit se conformer avec la règle de droit et la règle est la même pour tous, et le contrôle de cette conformisation avec des comportements, des décisions, des relations à la règle de droit, le contrôle est soumis à la justice, et plus particulièrement pour ce qu’ ils nous occupent à la justice constitutionnelle.

D’où la nécessite de renforcer ces statuts des citoyens dans la cité exige l’installation du Conseil constitutionnel qui a pour fonction fondamentale la régulation, parce que le contrôle de constitutionnalité est une fonction régulatrice puisque la norme existe, il faut que la justice amène les comportements à se conformer à la règle dont c’est une régulation, et c’est là que j’évoque quelque chose que certains ont eu à reprocher à la cour constitutionnelle du Benin, la cour constitutionnelle du Benin a pris depuis longtemps l’habitude de faire des injonctions, à toutes les institutions de la république, des gens ont écrit en disant entre guillemet « papoter », parce que je l’ai lu rien de sérieux et rien de conséquent sous ce chapitre-là, on a papoté donc je mets entre guillemet « papoter » parce que c’est malheureux sur les injonctions que la cour constitutionnelle du Benin a eu à donner aux chefs d’Etat, aux gouvernements, à tel ministre, aux parlements, à telle juridiction, Mme AFOUDA vous a rappelé ce matin, en faisant injonction à telle juridiction précise de passer outre à toute autre question d’inconstitutionnalité que tel avocat turbulent serait amené encore à évoquer cette injonction , et cela c’est une simple fonction de régulation, donc l’Etat de droit l’exige, maintenant la conformisation de l’Etat de droit au droit de l’Homme, si la plénitude de compétence parce que la cour constitutionnelle du Benin a eu des compétences très vaste en droit de l’homme .

J’ai oublié tout à l’heure de vous signaler que le deuxième domaine où la cour constitutionnelle du Benin à un pouvoir d’auto saisine c’est en matière d’élections présidentielle.

Ce qui nous intéresse ici principalement c’est en matière de droit de l’homme et en matière de droit de l’homme, j’ai parlé des injonctions tout à l’heure, ici, je parle de l’innovation, d’une sorte de prorogation des compétences qui s’est induit de la fonction de régulation, c’est lorsqu’un droit de l’Homme est violé que ça crée préjudices, la cour constitutionnelle du Benin s’est donné l’habitude d’affirmer le principe de droit à réparation, Mr TARTOMPION ou Mme TARTOMPION a eu tel de ces droits violés par telle institution ou par tel particulier , la cour constitutionnelle le proclame, le constate et affirme que la victime a droit à réparation et si lorsque la victime aura saisi une juridiction de droit commun et elle n’ aura plus qu’à faire l’évaluation dans ce domaine, voilà quelque chose que la cour a faite mais maintenant une question qui fait partie de l’évaluation. C’est est ce que l’accès des particuliers ne comporte pas des problèmes d’accepter l’évaluation ?

Alors, il y a les problèmes soulevés par l’action, l’accès libre et il y a également le problème soulevé par le filtrage et puis on peut se poser des questions, la question de savoir, s’il n’y a pas des mesures incitatives ou de mesures limitatives ? D’abord l’accès libre, l’accès libre est quelque chose pour moi de formidable. Le citoyen peut accéder librement si on est en démocratie, la justice constitutionnelle ne doit plus être perçue comme une justice toute spécifique pour qu’on mette des barrages etc.

Mais le gros inconvénient est pour le juge, Mme AFOUDA vous a signalé ce matin que la cour constitutionnelle du Benin n’aura pas moins de 200 arrêts par ans et en 2017 ils sont déjà à 250.

CCCC

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Intervention de :

Mr. Gianni Buquicchio Président de la Commission de Venise

Conseil de l’Europe

Sur le thème :

« La coopération entre la Commission de Venise et la CJCA »

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Monsieur le Président de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines,

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel algérien,

Mesdames et messieurs les présidents et juges,

Mesdames et messieurs,

Je suis vraiment heureux d’être de nouveau à Alger avec vous au siège du Conseil Constitutionnelle pour l’ouverture du 2e séminaire scientifique de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines sur le thème de « L’accès individuel à la justice constitutionnelle » !

Je remercie la CJCA et le Conseil constitutionnel algérien pour l’invitation et l’excellente organisation de cet évènement.

Il m’est également très agréable de saluer le Président Fabius et le remercier pour l’accueil et la généreuse hospitalité lors de la célébration du 20ème anniversaire de l’ACCPUF à Paris la semaine passée.

La Commission de Venise et la CJCA ont des relations étroites et cordiales. Nous avons soutenu la création de cette conférence en 2011, en marge du 2e Congrès de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle et ensuite lors de la rédaction de votre Statut ici à Alger. Depuis 2013, nous sommes aussi étroitement liés par l’accord de coopération de Cotonou, qui nous permet d’échanger nos expériences.

L’élément clé de cet échange est la participation des cours et conseils constitutionnels, membres de la CJCA, à la base de données CODICES et au Forum de Venise. La base de données mondiale CODICES contient, à ce jour, environ 10.000 décisions de cours et conseils constitutionnelles et cours suprêmes, dont 1.000 du continent africain.

Je souhaite plus de contributions venant de ce continent. CODICES doit être la vitrine de la jurisprudence des cours et conseils membres de la CJCA.

Beaucoup d’entre vous y contribuent déjà activement grâce vos agents de liaison et je vous invite à leur rappeler de nous envoyer régulièrement une sélection de votre jurisprudence constitutionnelle, y compris celle relative aux droits de l’homme.

J’invite également les cours qui n’ont pas encore désigné un agent de liaison à le faire sans tarder.

Car ce sont vos contributions à CODICES qui permettent à vos pairs, mais aussi au grand public, de pouvoir accéder à vos décisions en facilitant ainsi ce qu’on appelle la fertilisation croisée.

Dans le cadre de la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle, nous sommes en train d’organiser une formation des agents de liaison, mais le fait que votre agent de liaison n’ait pas encore suivi de telle formation, ne doit pas l’empêcher de contribuer activement à CODICES avec l’aide de notre secrétariat.

Votre jurisprudence est importante pour les autres cours ; il faut la partager à travers CODICES.

Mesdames et messieurs,

Le thème choisi pour notre séminaire – « L’accès individuel à la justice constitutionnelle » – est un sujet important pour toute cour et conseil constitutionnel, car les constitutions ne sont pas faites pour l’Etat, elles doivent servir le peuple, le citoyen, tout individu.

En effet, les conditions et les modalités de l’accès individuel à la justice constitutionnelle détermine si une cour suprême ou constitutionnelle est en mesure d’assurer la protection des droits de l’homme.

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Encore faut-il que le juge de cette instance accorde l’importance qu’il se doit à la protection des droits de l’homme et défend l’individu contre des ingérences inconstitutionnelles - de toute origine.

Un large éventail de modes d’accès individuel existe, en Afrique et ailleurs. Dans son Etude sur l’accès individuel à la justice constitutionnelle de 20101, la Commission de Venise a décliné les différents systèmes envisageables et dans ses avis elle recommande un accès de l’individu le plus large possible.

L’accès individuel permet le contact le plus direct entre l’individu et sa cour ou son conseil constitutionnel ou sa cour suprême. C’est un sujet auquel la Commission de Venise tient beaucoup et elle recommande régulièrement l’introduction d’un tel accès à ses 61 pays membres.

Une distinction importante est de savoir s’il s’agit d’un recours constitutionnel contre un acte normatif seulement ou d’un mécanisme complet de recours constitutionnel, y compris contre des actes individuels, comme dans ce continent c’est le cas en Afrique du sud ou au Bénin.

Si un recours constitutionnel « normatif » permet à l’individu de porter plainte contre une violation de ses droits fondamentaux, celle-ci doit nécessairement être basée sur l’inconstitutionnalité d’une disposition de la loi.

Un mécanisme complet de recours constitutionnel, par contre, inclut le contrôle de constitutionnalité d’un acte individuel, typiquement d’un arrêt d’une cour suprême. Si cet arrêt est inconstitutionnel, la cour constitutionnelle l’annule, même si la base légale s’avère constitutionnelle. Par contre, si cette base légale est aussi inconstitutionnelle, elle est annulée en même temps.

La cour constitutionnelle n’agit pas en tant que 4e instance de justice. Elle ne se penchera pas sur le fond civil ou pénal de l’affaire, elle examinera uniquement sa constitutionnalité – la « matière constitutionnelle ».

En Europe, l’efficacité de ce type de recours a été confirmée par les statistiques de la Cour européenne des droits de l’homme, qui démontrent que les pays ayant introduit un tel type de recours, comme par exemple l’Espagne ou l’Allemagne, ont un nombre moindre d’affaires devant la Cour de Strasbourg que ceux qui ne l’ont pas introduit.

Il est vrai que d’ouvrir les portes de la cour constitutionnelle aux recours constitutionnels complets augmente considérablement le volume d’affaires devant cette cour. Des filtres doivent être introduits et la cour doit s’organiser en fonction pour permettre de traiter un plus grand nombre de recours.

Un autre système répandu est le renvoi préjudiciel d’une affaire par la justice ordinaire à la cour constitutionnelle – l’exception d’inconstitutionnalité. En Europe, de tels systèmes existent Italie ou en France, où il est appelé « QPC ».

Nous suivons avec beaucoup d’intérêt l’introduction de l’exception d’inconstitutionnalité au Maroc ainsi que la Tunisie où nous attendons avec impatience la mise en place de la nouvelle cour. Dans ce contexte, nous nous réjouissons de la mise en œuvre de l’Article 188 de la Constitution2 de notre pays hôte, l’Algérie.

1 http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2010)039rev-e.

2 Art. 188. (nouveau)

— Le Conseil constitutionnel peut être saisi d'une exception d'inconstitutionnalité sur renvoi de la Cour suprême ou

du Conseil d'Etat, lorsque l'une des parties au procès soutient devant une juridiction que la disposition législative

dont dépend l'issue du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Les conditions et les modalités de mise en œuvre de l'alinéa ci-dessus sont fixées par une loi organique.

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Monsieur le Président

Mesdames et messieurs,

Les modalités et les systèmes varient d’un pays à l’autre, mais ce qui compte c’est que vous, les juges des cours et conseils constitutionnels et cours suprêmes, êtes les protecteurs et garants du respect de la constitutionalité et des droits de l’homme. La démocratie et l’Etat de droit dans votre pays dépendent de vous, de votre sagesse, de votre intégrité.

Aujourd’hui notre séminaire est une excellente occasion de partager des expériences et de soutenir l’accès individuel à la justice constitutionnelle.

Je vous remercie pour votre attention.

Vue de la ville d’Alger

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Intervention de:

Prof. Dr. Zühtü Arslan

Président de la Cour constitutionnelle de Turquie

Sur le thème :

« L’accès des particuliers à la justice constitutionnelle en Turquie. »

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Je suis très heureux de participer à ce séminaire et de m'adresser à des participants aussi éminents.

Je voudrais exprimer ma gratitude au Chief Justice Mogoeng Mogoeng et au Président Mourad Medelci pour leur aimable invitation et leur chaleureuse hospitalité. Je tiens à remercier et féliciter M. Moussa Laraba et son équipe pour la bonne organisation du séminaire.

Je tiens également à affirmer que c'est un grand honneur et un grand plaisir pour moi et mes collègues que la Cour constitutionnelle turque ait récemment acquis le statut d'observateur au sein de la CJCA.

1- But de la Justice constitutionnelle

Permettez-moi de commencer par une question simple. Pourquoi est-il si important que les particuliers aient accès à la justice constitutionnelle ? La réponse à cette question simple réside dans le but même de la justice constitutionnelle.

Le but de la justice constitutionnelle est de défendre les principes de la suprématie de la constitution, de l'État de droit et de la protection des droits de l'homme. Même si la forme des moyens constitutionnels et des institutions varie en fonction des spécificités historiques, politiques et culturelles des pays, l'essence de ces principes est universelle.

En fait, c'est le concept de dignité humaine qui est au cœur même des valeurs constitutionnelles telles que la primauté du droit, la démocratie et les droits de la personne.

Comme on le sait, la philosophie morale d'Emmanuel Kant a joué un rôle important dans l'élaboration de l'idée moderne des droits de l'homme. Selon lui, « on doit traiter l'homme comme une fin, et jamais simplement comme un moyen », car cet impératif catégorique est dicté par l'importance de la dignité humaine. Aujourd'hui, nous estimons que nous avons des droits uniquement parce que nous sommes des êtres humains.

Des siècles avant Kant, le philosophe Mawlana Jalaluddin al-Rumi, qui vivait à Konya, une province de l’Anatolie centrale, affirmait que "le but de la création de l'univers est l'homme".

Dans le discours islamique, l'être humain est considéré comme la créature la plus noble. Il est révélé dans le Coran que « [Dieu a] ... créé l'homme dans les meilleures proportions ». Bien évidemment, on peut trouver des expressions similaires dans l'Ancien et le Nouveau Testament.

Notre objectif est le même, c'est-à-dire protéger et promouvoir la dignité humaine grâce aux droits et libertés fondamentaux. Les cours et conseils constitutionnels et suprêmes fonctionnent de manière à réaliser cet objectif par divers moyens, tels que le contrôle concret et abstrait de la constitutionnalité et l’examen des recours individuels ou d’ordre constitutionnel.

2- Expérience de la Turquie en matière d'accès individuel à la justice constitutionnelle

Mesdames et Messieurs,

Après ces remarques liminaires, je voudrais évoquer l'expérience de la Turquie en matière d'accès individuel à la justice constitutionnelle, qui est le thème principal de ce séminaire.

La Constitution turque prévoit deux voies légales permettant aux individus d'avoir accès à la justice constitutionnelle. La première voie est l'exception d'inconstitutionnalité, également connu sous le nom de contrôle concret de la constitutionnalité. La deuxième voie légale est le recours individuel, également appelé recours constitutionnel. Alors que l'examen concret implique un accès indirect, le recours constitutionnel prévoit un accès direct à la justice constitutionnelle.

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Je vais d'abord expliquer les principales caractéristiques de l'exception d'inconstitutionnalité dans le système juridique turc. Ensuite, je traiterai brièvement du recours individuel ou constitutionnel, introduit dans notre système par la modification constitutionnelle de 2010. Étant donné que l'examen concret et le recours constitutionnel visent tous deux à faciliter l'accès des particuliers à la justice constitutionnelle, je ferai des comparaisons entre ces deux moyens juridiques sur la base de l'expérience turque.

2.1 Le contrôle concret de la constitutionnalité en Turquie

Le contrôle de la constitutionnalité des lois a été introduit dans le système juridique turc par la Constitution de 1961. Cette Constitution a prévu la création de la Cour constitutionnelle et intégré à la fois le contrôle abstrait et l'exception d'inconstitutionnalité. La Constitution de 1982 a conservé le contrôle de constitutionnalité tout en introduisant des modifications mineures.

Le contrôle concret de la constitutionnalité est prévu à l'article 152 de la Constitution turque. En vertu de cet article, a) si un tribunal estime que la loi applicable est inconstitutionnelle, ou b) s'il est convaincu du caractère sérieux d'un recours d’ordre constitutionnel présenté par l'une des parties, il renvoie la question à la Cour constitutionnelle. Le tribunal d’instruction doit fournir les motifs d'inconstitutionnalité dans sa requête. En outre, il doit suspendre l'affaire jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle se prononce sur la question.

Les particuliers n'ont pas le droit d'accéder directement à la Cour constitutionnelle pour un examen concret des normes. Leurs recours ne peuvent parvenir à la Cour constitutionnelle que par le biais des tribunaux d'instruction. Cette règle a pour but d’empêcher les parties d'abuser de la procédure d'exception pour prolonger l'affaire ou pour d’autres fins.

La Cour constitutionnelle statue sur la question et rend son jugement dans les cinq mois suivant la réception du recours. Si aucune décision n'est prise dans ce délai, le tribunal d'instruction conclut l'affaire conformément à la disposition existante.

L’une des fonctionnalités importantes du contrôle concret en Turquie est que seule une disposition légale applicable dans une affaire en cours peut être contestée devant la Cour constitutionnelle. En d'autres termes, il ne suffit pas que la loi soit simplement pertinente en l'espèce, mais elle doit être directement applicable pour la poursuite ou le classement de l'affaire.

Contrairement à l'examen abstrait, les lois peuvent faire l'objet d'un examen concret sans limite de temps après leur promulgation. Le système turc, cependant, prévoit un délai de dix ans pour le réexamen de l'inconstitutionnalité des lois. En vertu du dernier paragraphe de l'article 152, si la Cour constitutionnelle examine la constitutionnalité d'une loi et rejette l'affaire sur le fond, le recours pour inconstitutionnalité contre la même disposition légale ne peut être introduit que dix ans après le rejet.

En principe, la Cour constitutionnelle examine le bien-fondé d'un recours sur la base du dossier sans tenir d'audience. En conséquence, les parties à l'affaire initiale ne sont pas autorisées à intervenir devant la Cour constitutionnelle. Toutefois, la Cour peut ordonner une déclaration orale des autorités publiques compétentes ou des experts individuels à sa discrétion.

Dans la révision concrète des normes, la Cour constitutionnelle effectue un examen abstrait de la disposition contestée ; c'est-à-dire que la Cour ne limite pas son analyse aux éléments de base des faits de l'affaire initiale. Prenant en compte les faits de l'espèce, la Cour exerce un contrôle abstrait et général sur la constitutionnalité de la loi contestée. Si la Cour juge la loi contestée inconstitutionnelle, celle-ci est déclarée nulle et non avenue. Par conséquent, l'effet de la décision d'annulation n'est pas spécifique au cas concret, il est d’ordre général.

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Les affaires d'examen concret constituent une partie substantielle de la révision de la constitutionnalité des lois effectuée par la Cour constitutionnelle turque. En 2016, la Cour a reçu 114 requêtes de réexamen concret, alors que le nombre d'actions en annulation n'a été que de 21. En 2017, la Cour a reçu 18 actions en annulation et 155 demandes de réexamen concret à ce jour.

L'examen concret, en conséquence, constitue un moyen important et efficace dans le cadre de notre compétence institutionnelle. Cela est vrai non seulement en termes de quantité, mais aussi en termes d'aspect substantif.

Une révision concrète permet un accès plus large à la justice constitutionnelle avec une perspective plus large. En vertu de la Constitution turque, seuls certains acteurs politiques ont le droit d'intenter une action en annulation dans un délai limité après la promulgation des lois ou des décrets-lois. En revanche, le contrôle concret permet la détection ou la mise en relief d'éventuels défauts de constitutionnalité par des acteurs judiciaires qui appliquent la règle et se spécialisent dans le domaine juridique pertinent ou par des personnes qui ont une réelle incidence sur l'application de la règle.

En outre, les défauts de constitutionnalité peuvent devenir plus visibles au fil du temps grâce à la mise en œuvre des lois. Ils peuvent apparaître également en raison de l'évolution de la dynamique sociale et juridique à long terme. Ainsi, le contrôle concret ouvre la voie à un examen constitutionnel approfondi avec l'apport des juges et des plaideurs individuels.

3- Le recours constitutionnel

Le recours constitutionnel individuel devant la Cour constitutionnelle est un autre outil juridique majeur en matière d'accès des particuliers à la justice constitutionnelle et à la protection des droits de l'homme. Il existe certaines différences entre le contrôle concret et le recours constitutionnel qui les rendent complémentaires l'un de l'autre plutôt que des solutions de rechange en termes de garantie de la justice constitutionnelle.

Le recours constitutionnel ne peut être déposé que contre des actions ou inactions publiques qui violeraient un droit ou une liberté constitutionnelle, et non pas contre des lois ou des décrets. Le recours constitutionnel permet à la Cour constitutionnelle de procéder à un examen des droits de l'homme sur la base des faits d'une affaire spécifique plutôt que de procéder à un examen constitutionnel abstrait. Cet aspect de l'application individuelle permet à la Cour d'adopter une approche plus fondée sur les droits et de protéger les droits de l'individu contre le pouvoir de l'État.

Depuis 2012, la Cour constitutionnelle a reçu des milliers de requêtes et les a traitées avec efficacité. Malgré le volume élevé des requêtes, le recours individuel a suivi un parcours très réussi jusqu'à la mi-2016. La Cour constitutionnelle est parvenue à un niveau tel qu’elle pouvait traiter une requête dans un délai d’un an environ après la date de dépôt. Par ailleurs, la Cour a traité des questions de droits de l’homme et a rendu des jugements dans des domaines tels que la liberté d’expression, la liberté de religion et le droit à la sécurité et à la liberté.

En ce qui concerne les jugements de violation rendus dans le cadre des requêtes individuelles, la Cour constitutionnelle a constaté des violations dans environ 2 400 affaires. La plupart des violations concernaient le droit à un procès équitable et le droit d'être jugé dans un délai raisonnable.

Cependant, cette voie de recours individuel a connu un revers important en termes de substance et de nombre en raison d’une tentative de coup d'état. Le 15 juillet 2016, la Turquie a connu une tentative de coup d'État odieuse et sanglante qui a menacé l'existence même de l'État et de la Nation. D’importantes institutions de l'État et des civils ont été attaqués par des véhicules militaires blindés, ce qui a entraîné des bombardements contre le Parlement et le palais présidentiel et un bilan de 249 morts et plus de 2000 blessés.

Cette attaque violente était une agression contre la démocratie constitutionnelle, la primauté du droit et les droits de la personne. Comme l'a souligné le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe dans son Mémorandum, « le succès [de la tentative de coup d'État] aurait marqué la fin de la démocratie en Turquie et la défaite de toutes les

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valeurs qui sous-tendent le Conseil de l'Europe ». De même, la Commission de Venise a indiqué dans son avis sur les décrets d'urgence qu’« un coup d'État militaire contre un gouvernement démocratique s’oppose, par définition, aux valeurs de la démocratie et de la primauté du droit ».

La République de Turquie a réagi rapidement contre cette attaque meurtrière. Le gouvernement a déclaré l'état d'urgence et dérogé à la Convention européenne des droits de l'homme. Des mesures d'urgence ont été mises en place afin d'éliminer la menace qui mettait en péril l'ordre constitutionnel et démocratique.

L'effet de ces développements sur les recours constitutionnels a été fulgurant. Premièrement, la Cour constitutionnelle a été confrontée à un formidable défi pour maintenir son approche bien établie fondée sur les droits en termes de protection des droits et libertés constitutionnels. Cette situation découlait inévitablement du passage du régime de protection des droits de l'homme prévu à l'article 13 de la Constitution au régime d'urgence prévu à l'article 15. Pendant l'état d'urgence, la Cour statue sur recours liés aux mesures d'urgence prévues à l'article 15, ce qui permet une plus grande limitation des droits de l'homme et des libertés.

Deuxièmement, le nombre de recours déposés auprès de la Cour constitutionnelle est monté en flèche après la tentative de coup d'État du 15 juillet. Avant la tentative de coup d'État, le nombre de requêtes individuelles en instance devant la Cour était d'environ 22 500. Après la mise en place des mesures d'urgence, le nombre de requêtes a dépassé les 107 000 par an. À ce titre, la Cour a reçu environ 80 000 requêtes relatives aux mesures d'urgence. Ces requêtes ont pratiquement paralysé le fonctionnement du système de recours individuel, du fait que la simple réception et l'enregistrement de ceux-ci nécessitent un volume de travail considérable.

Pour faire face à ces défis, de nouvelles mesures ont été introduites par les autorités. Une commission spéciale a été créée pour examiner les plaintes concernant les mesures et les actes administratifs pris en vertu des décrets d'urgence, notamment les licenciements de fonctionnaires. À la suite de cette mesure, la Cour constitutionnelle a jugé irrecevables environ 70 000 plaintes dont les auteurs n’avaient pas épuisé les voies de recours ordinaires. Ainsi, la Cour a réduit le nombre de plaintes en instance à environ 38 000.

La Cour constitutionnelle s’efforce de traiter ces cas en temps voulu, ainsi que d'autres recours non urgents.

CONCLUSION

En conclusion, je voudrais dire que l'accès des particuliers à la justice constitutionnelle est encore plus important pendant l'état d'urgence. C'est tout simplement parce que les droits et libertés individuels deviennent plus fragiles pendant ces périodes.

L'attaque terroriste abominable perpétrée en Égypte, lors de la prière du vendredi, il y a deux jours, nous rappelle une fois de plus que nous vivons dans l’ère funeste de la terreur. Au nom de la Cour constitutionnelle de Turquie, je voudrais dire au peuple égyptien que je partage sa peine et sa tristesse et que je condamne fermement cette attaque inhumaine.

Il va sans dire que le terrorisme constitue une menace pour la démocratie, l'état de droit et les droits de l'homme. Il est donc primordial de lutter contre le terrorisme sans détruire ces valeurs.

J’estime qu'en ce moment nous devrions nous souvenir de Jacques Derrida, qui est né à El-Biar, en Algérie. Dans une interview faite seulement quelques semaines après l'attaque terroriste du 11 septembre, Derrida a déclaré « Nous devons plus que jamais défendre les droits de l'homme. » Il a ensuite ajouté « Nous avons besoin des droits de l'homme. Nous avons besoin d'eux, car il y a toujours un manque, une déficience, un déficit, une insuffisance, les droits de l'homme ne suffisent jamais ».

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Oui, en effet, nous avons besoin des droits de l'homme. Mais nous avons aussi besoin d'une révolution morale universelle conforme au discours d’Al-Rumi. Permettez-moi de conclure en citant Al-Rumi, qui est connu comme le sage de la dignité humaine, de la justice, de la liberté et de la tolérance.

Il a dit, « Dans la colère et la fureur soit comme les morts / dans la tolérance soit comme l'océan ».

Merci de votre attention.

Alger, capitale de la Justice Constitutionnelle en 2020

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Intervention de:

Mr. Laurent Fabius Président du Conseil constitutionnel de la République française

Sur le thème :

« Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié

à l’exception de l’inconstitutionnalité en France»

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Monsieur le Président du Conseil constitutionnel algérien,

Monsieur le Président de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines,

Monsieur le Président de la Commission de Venise,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les juges,

Je suis heureux et honoré de m’exprimer aujourd’hui devant vous. Je remercie chaleureusement mon homologue et ami le Président Medelci pour son invitation et pour la qualité de son accueil. Depuis mon arrivée à sa présidence en 2016, j’ai apporté un soin particulier à renforcer l’activité internationale du Conseil constitutionnel français. Dans un monde de plus en plus global et interconnecté, où les problèmes sont souvent communs, l’ouverture réciproque des juridictions me paraît indispensable. Mieux partager nos méthodes de travail ; mieux étudier les solutions des partenaires ; mieux faire connaître nos décisions : ce sont des impératifs qui s’imposent à une juridiction moderne. Certes, il existe des spécificités nationales et régionales, mais le dialogue international des juges doit devenir un réflexe partagé, et c’est ce à quoi s’emploie utilement la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux de participer à notre conférence

Le thème général de nos travaux est « l’accès des particuliers à la justice constitutionnelle ». Plusieurs tables rondes permettent d’évoquer ce sujet majeur, à commencer par notre échange consacré au « cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception d’inconstitutionnalité ». Il m’a été proposé de m’exprimer sur le cadre juridique du mécanisme français dit de « question prioritaire de constitutionnalité », que nous désignons le plus souvent à travers son acronyme QPC. C’est ce à quoi je m’emploierai dans les minutes qui viennent, en évoquant également – car le cadre juridique est indissociable de la pratique – les conditions de sa mise en œuvre, afin de vous faire part des principaux enseignements que nous pouvons tirer depuis l’instauration en France de ce mécanisme.

L’idée d’ouvrir l’accès au Conseil constitutionnel à tous les justiciables et de leur permettre de contester la constitutionnalité de dispositions législatives déjà promulguées avait été lancée dès la fin des années 1980 par mon prédécesseur et ami Robert Badinter, alors Président du Conseil constitutionnel, mais elle s’était heurtée à une opposition du Sénat, en 1990 et en 1993. Il a donc fallu attendre près de vingt ans, avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, pour que cette réforme soit introduite dans la Constitution française, par un nouvel article 61-1. Je le cite : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ». Le constituant français a donc procédé en 2008 à deux choix fondamentaux concernant l’architecture générale de la QPC.

D’une part, la QPC ne peut pas être soulevée in abstracto, à l’encontre de n’importe quelle disposition législative. Elle doit se greffer sur une instance en cours devant une juridiction administrative ou judiciaire : le justiciable a la faculté de contester la conformité d’une disposition législative avec les « droits et libertés que la Constitution garantit », mais uniquement dans le cadre d’un litige précis auquel il est parti.

Au plan technique, la QPC est donc un « moyen » – c’est-à-dire un argument juridique – soulevé par un justiciable. C’est ce qui a conduit certains juristes à qualifier la QPC de « procès dans le procès ».

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Le second choix majeur opéré par le constituant français en 2008 concerne le « filtrage » des QPC. Notre Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel n’est pas saisi directement par le justiciable mais sur renvoi de l’une des deux juridictions suprêmes, de l’ordre administratif – le Conseil d’Etat – ou judiciaire – la Cour de cassation. Ce filtrage est apparu nécessaire non seulement pour éviter un usage abusif de la procédure à des fins purement dilatoires, mais pour prémunir le Conseil contre un flot de questions sous lequel il risquait d’être noyé.

Sur ces deux points fondamentaux, le constituant français a pris des options dont l’expérience a montré qu’elles étaient sages. Concernant les conditions précises d’application, je rappellerai en quelques mots les principaux choix opérés en France par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de notre Constitution.

La loi organique a d’abord mis en place une procédure organisée autour de délais stricts. Lorsqu’une juridiction administrative ou judiciaire est saisie d’une QPC, dans un écrit distinct et motivé, elle statue – je cite la loi organique de 2009 – « sans délai », ce qui veut dire, non pas que la juridiction dispose de tout son temps, mais au contraire que la décision de transmettre ou non la question au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation doit être prise dans un délai très bref. Si la question est transmise à l’une de ces deux juridictions suprêmes, alors chacune dispose du même délai pour se prononcer : trois mois. Enfin, lorsque la QPC est renvoyée au Conseil constitutionnel, nous disposons également nous-mêmes de trois mois, pas un jour de plus, pour rendre notre décision.

Si je résume : entre le moment où une QPC arrive au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation et, si elle prospère, le moment où le Conseil constitutionnel publie sa décision sur son site internet, il ne s’écoule jamais plus de six mois. Au Conseil constitutionnel même, le délai moyen de jugement des QPC depuis 2010 a été de 76 jours, soit deux mois et demi. Le délai maximal de trois mois n’a jamais été dépassé – sauf dans un cas, dans lequel le Conseil avait posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Cette rapidité dans le délai de jugement constitue une caractéristique majeure de la procédure QPC en France – et un atout qui a, pour une large part, contribué à son succès auprès des justiciables.

Un autre point important défini par la loi organique de 2009 concerne les conditions auxquelles une QPC peut être transmise au Conseil constitutionnel. Ces conditions sont au nombre de trois : la disposition législative contestée doit être applicable au litige ; elle doit ne pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel – sauf changement des circonstances de droit ou de fait – ; enfin, elle doit présenter, selon les termes de la loi organique, un « caractère sérieux ». En pratique, c’est le plus souvent ce troisième critère qui est déterminant, les deux premiers étant généralement réunis. Ces critères sont suffisamment précis pour éviter un renvoi massif au Conseil constitutionnel de QPC dilatoires ou manifestement infondées, et ils sont suffisamment souples pour ne pas rendre le filtre trop restrictif. Depuis 2010, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont rendu au total 2 945 décisions QPC, dont 2 523 de non-renvoi (soit près de 80 %) et 689 de renvoi au Conseil constitutionnel (soit près de 20 %).

La loi organique de 2009 précise également trois aspects majeurs de la procédure QPC.

D’une part, elle affirme qu’une QPC ne peut être soulevée d’office par un juge – alors que cette possibilité est ouverte dans certains pays dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a posteriori – : en France, le choix a été fait de réserver aux seuls justiciables la faculté de faire valoir qu’une disposition législative est contraire aux droits et libertés que garantit la Constitution, afin qu’eux seuls – et non les juges – disposent de la maîtrise de leur litige.

D’autre part, la loi organique affirme le caractère « prioritaire » de la QPC – c’est elle qui a fixé cet intitulé, finalement préféré à deux autres options également envisagées : « question préjudicielle de constitutionnalité » et « question préalable de constitutionnalité ». Le mot « prioritaire » signifie que la question soulevée doit être traitée avant tout autre moyen de droit soulevé – notamment les moyens de « conventionnalité »

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internationale – et que les juridictions doivent surseoir à statuer ou, en des termes moins juridiques, « geler » le litige principal tant que la décision finale sur la QPC n’a pas été rendue : cette priorité traduit la place suprême de la Constitution dans notre hiérarchie des normes – en particulier par rapport au droit de l’Union européenne et aux autres normes conventionnelles. Enfin, la loi organique précise qu’une QPC peut être posée à toutes les étapes d’un litige, en première instance mais aussi pour la première fois en appel ou en cassation.

Voilà, résumés en termes que j’espère clairs, les principaux éléments du cadre procédural défini en France.

J’en viens aux incidences concrètes qu’a entraînées l’entrée en vigueur de la QPC, à partir du 1er mars 2010, sur l’activité du Conseil constitutionnel français – clef de voûte de l’ensemble du dispositif.

La loi organique de 2009 prévoit expressément qu’une audience publique doit être organisée dans le cadre de l’instruction des QPC par le Conseil constitutionnel. Or le Conseil ne disposait pas de salle d’audience. Pour une bonne raison : aucune audience n’a lieu dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, contrôle préalable des lois qui constituait jusqu’à la QPC l’essentiel de l’activité du Conseil. Une salle d’audience a donc été construite. Mes collègues et moi-même y siégeons chaque semaine, en général le mardi matin, pour une audience publique au cours de laquelle sont examinées deux à quatre affaires QPC. Plaident devant nous d’abord les avocats des parties, qu’ils soient avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation – il s’agit en France d’une catégorie spécifique – ou avocats « à la cour », c’est-à-dire issus de tous les barreaux de France. Il n’est pas obligatoire d’être représenté par un avocat pour défendre sa QPC devant le Conseil constitutionnel, où la procédure, je le précise, est gratuite – la procédure, pas les frais d’avocat… –, mais il est obligatoire de l’être pour présenter des observations orales à l’audience. Les avocats sont invités par moi à s’exprimer en une quinzaine de minutes au maximum chacun. Puis s’exprime le représentant du gouvernement, qui relève du Secrétariat général du Gouvernement (SGG), et qui défend – par construction – la constitutionnalité des dispositions contestées.

En mai 2016, peu de temps après ma prise de fonction, j’ai introduit une modification : désormais, les membres du Conseil peuvent dialoguer avec les parties, en leur posant des questions, ce qui contribue à rendre plus vivante et plus instructive la partie orale du procès constitutionnel en QPC. Nous n’abusons pas de cette possibilité. Mais mon expérience, au bout d’un an et demi, est que cette partie orale joue un rôle utile dans le traitement des affaires : les avocats peuvent nous éclairer sur des points particuliers, qui peuvent avoir une influence sur le sens de notre décision finale. Toutes les vidéos des audiences QPC depuis 2010 sont disponibles sur notre site internet et, depuis quelques mois, accessibles également en direct.

Au-delà de l’audience publique, la QPC a impliqué pour le Conseil constitutionnel la mise en place d’un greffe permanent, avec deux greffiers. Ce service, qui joue un rôle-clé dans la procédure, est chargé de l’instruction matérielle des affaires. Le choix a été fait d’une procédure entièrement dématérialisée, « zéro papier », qui permet des échanges rapides par voie électronique, condition indispensable pour respecter le délai maximum de trois mois.

Parmi les autres changements notables liés à la mise en œuvre de la QPC, je mentionnerai l’adoption dès 2010 d’un « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ». Ce règlement, édicté par une décision du Conseil, constitue à la fois une sorte de charte procédurale interne pour nos membres et nos agents, et, en externe, un document de référence pour le gouvernement et les avocats.

Notre site internet constitue également un outil important dans la procédure QPC, notamment parce qu’y figure, outre les vidéos des audiences facilement accessibles, le tableau résumé des dispositions législatives déjà jugées conformes à la Constitution, qui est utile pour la vérification par les justiciables et les juridictions de la deuxième condition de recevabilité. Y figurent aussi le tableau des non-renvois – qui permet de ne s’assurer qu’aucune des deux Cours suprêmes ne s’est déjà prononcée sur une disposition –, la liste

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des QPC en instance et l’ensemble des décisions QPC jugées depuis 2010, avec un commentaire juridique et un dossier documentaire pour chaque décision.

S’agissant de la QPC elle-même, comme Président je désigne un rapporteur pour la traiter. Il l’examine, rédige un projet de décision en liaison avec l’équipe juridique du Conseil, présente son rapport lors de la séance de délibéré – entre quinze minutes et plusieurs heures –, nous en discutons, puis nous prenons notre décision et la rendons publique. Les opinions des membres peuvent être diverses, mais nous ne recourons pas à la pratique des « opinions dissidentes ». Notre délibéré est secret, et rendu public vingt-cinq ans après.

Mesdames et Messieurs, chers collègues,

Sept ans et demi après son entrée en vigueur, la QPC représente désormais l’essentiel de l’activité du Conseil constitutionnel français. Au cours de l’année 2016, nous avons rendu exactement 100 décisions au titre du contrôle de constitutionnalité : 19 pour le contrôle a priori et 81 pour les QPC. Au total, depuis l’entrée en vigueur de la QPC en 2010, près de 595 décisions QPC ont été prononcées par le Conseil constitutionnel. Dans deux tiers des cas, nous avons jugé les dispositions législatives qui nous étaient transmises conformes à la Constitution, parfois avec des réserves. Dans un tiers des cas – ce qui constitue une proportion significative –, nous avons prononcé des décisions de non-conformité, partielle ou totale, abrogeant ainsi les dispositions contestées. Je souligne ici un point important : l’abrogation peut être immédiate, à compter de la publication de notre décision ; elle peut aussi être différée par le Conseil lui-même, lorsqu’il apparaît qu’une abrogation immédiate emporterait des « conséquences manifestement excessives », selon la formule employée dans nos décisions. Nous laissons alors un délai – qui consiste généralement en quelques mois mais qui peut s’élever à plus d’un an – afin qu’il n’y ait pas de vide juridique et que le législateur, à qui seul revient le pouvoir d’adopter de nouvelles dispositions, puisse « remédier à l’inconstitutionnalité constatée ». Cette faculté de moduler dans le temps l’effet de nos décisions QPC est prévue par la Constitution elle-même, en son article 62, et elle est très utile. L’expérience nous a montré que cette clause était importante : depuis 2010, deux tiers des décisions de non-conformité ont été rendues avec un effet immédiat, et un tiers avec un effet différé.

Sur le fond, nos décisions QPC sont intervenues dans toutes les branches du droit et leur effectivité – précisément étudiée dans une thèse récente – est en général satisfaisante. Deux domaines, il est vrai, se détachent : le droit pénal et la procédure pénale, le droit fiscal. A l’inverse, d’autres domaines ont donné lieu jusqu’ici à un assez faible nombre de QPC : la santé, l’environnement, le droit des collectivités territoriales, le droit du travail. Cette répartition, dont les causes sont multiples, n’est pas figée, elle pourrait évoluer à l’avenir. La QPC a vocation à couvrir tous les domaines du droit.

Le bilan de la QPC, du point de vue de la justice et en particulier de l’accès des particuliers à la justice constitutionnelle, apparaît jusqu’ici très positif.

Contrairement aux craintes émises à l’origine, le flot des QPC ne s’est nullement tari et, à l’inverse, le Conseil constitutionnel n’a pas été noyé sous le flot, les filtres – celui des juridictions ordinaires comme celui des Cours suprêmes – ont fonctionné : la Cour de cassation nous a renvoyé environ la moitié des QPC, le Conseil d’Etat l’autre moitié. Le délai de traitement des QPC devant nous a été respecté. L’efficacité des filtres a en général empêché que la QPC soit utilisée comme un artifice dilatoire. L’usage fréquent de la modulation dans le temps des effets de nos décisions de non-conformité a permis d’éviter une insécurité juridique déstabilisante.

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Je conclus.

On constate aujourd’hui que l’appropriation de la QPC en France a été rapide et générale, par les juridictions, par les avocats, par les justiciables, par les professionnels du droit dans leur ensemble. La procédure de QPC s’est affirmée comme un progrès majeur pour l’Etat de droit et la garantie des libertés fondamentales. Personne ne propose de la remettre en cause – ce qui, dans un pays comme le mien où les grandes réformes sont rarement consensuelles, relève de la performance. A l’occasion du dixième anniversaire de son entrée en vigueur, en 2020, nous dresserons un bilan complet de la QPC, y compris en la soumettant à un regard international.

J’espère que ces éléments que je viens de développer pourront être utiles. N’oublions jamais que chaque pays a ses spécificités juridiques et son identité constitutionnelle. Mais je crois au dialogue des juges et à notre capacité à partager les enseignements que nous tirons de nos expériences nationales.

Alger, lieu du V Congrès Mondial sur la Justice Constitutionnelle, en 2020

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Intervention de:

Mr. Mohamed HABCHI Vice-Président du Conseil constitutionnel d’Algérie

Sur le thème :

« Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire

lié à l’exception d’inconstitutionnalité, en Algérie »

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Monsieur le président de la Conférence des juridictions constitutionnelles Africaines,

Mesdames et Messieurs les présidents et membres des Cours et Conseils constitutionnels,

Honorables invités,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d’abord vous dire combien je suis honoré de m’adresser aux éminents constitutionnalistes et aux praticiens de la justice constitutionnelle ici présents pour échanger sur un thème qui est au cœur de nos missions constitutionnelles.

Les différentes expériences sur l’exception d’inconstitutionnalité constituent assurément, une source d’inspiration et d’action irremplaçable pour une bonne connaissance de ce mécanisme juridique qui vise, en substance, à consolider la garantie de la suprématie de la Constitution dans l’ordre juridique interne, à le purifier des dispositions jugées attentatoires aux droits et libertés garantis par la Constitution et à permettre au citoyen de ‘’se réapproprier sa Constitution’’.

Au regard de l’importance de ce thème qui nous réunit aujourd’hui, sous l’intitulé « l’accès des particuliers à la justice constitutionnelle », et du nombre d’experts ici présents, les débats seront riches et féconds.

Dans sa déclinaison relative au cadre constitutionnel, législatif et règlementaire lié à l’exception d’inconstitutionnalité, en Algérie, et qu’il me revient de traiter, ce sous-thème m’inspire deux remarques liminaires.

La première remarque est qu’il est peu aisé, voire périlleux, pour l’auteur de cette intervention, en raison notamment des obligations découlant de l’exercice de sa fonction, de traiter d’un sujet qui est en lien avec une loi organique à venir, autrement dit, qui n’a pas encore d’existence juridique effective et qui plus est sera, le moment venu, soumise obligatoirement à l’appréciation du Conseil constitutionnel, après son adoption par le parlement et avant sa promulgation par le Président de la République.

La seconde remarque, conséquence de la première, porte sur le contenu de l’intervention qui ne saurait prétendre à l’exhaustivité, du fait que l’exception d’inconstitutionnalité en Algérie est un sujet vierge. Ce mécanisme est de création récente dans notre paysage juridique, en mars 20163 seulement, et sa mise en place n’interviendra pas avant mars 2019.

Cette barrière temporelle de trois années étant, aux termes de l’article 215 de la Constitution, consacrée à la mise en place des conditions visant à garantir la prise en charge effective de ce mécanisme (élaboration et adoption de la loi organique et de tous les textes subséquents en rapport avec l’exception d’inconstitutionnalité, formation des différents acteurs juridictionnels et autres intervenants dans le processus de mise en œuvre de ce mécanisme, préparation matérielle du Conseil constitutionnel et autres actions…).

Les contours du sous-thème dans sa partie relative au cadre constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité en Algérie étant précisés, mon exposé s’articulera, par conséquent, autour de deux axes essentiels,

I. Le premier axe porte sur l’examen du cadre constitutionnel actuel de l’exception d’inconstitutionnalité en Algérie. Tenant compte des précédentes observations, je ferai donc, et à chaque fois que cela sera nécessaire, des incursions dans l’histoire de l’exception d’inconstitutionnalité depuis ses origines et dans le droit et la pratique comparés.

II. Le second axe porte sur les perspectives d’avenir de l’exception d’inconstitutionnalité. Il s’agira ici, de faire une projection sommaire sur les changements attendus de la mise en œuvre de ce nouveau mécanisme constitutionnel.

3 Révision constitutionnelle du 6 mars 2016

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I. Le cadre constitutionnel lié à l’exception d’inconstitutionnalité.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais rappeler brièvement quelques éléments essentiels de la genèse de ce mécanisme.

1. La genèse de l’exception d’inconstitutionnalité, plus de deux siècles d’existence et de pratique.

L’histoire de l’exception d’inconstitutionnalité n’est pas récente. Ce mécanisme existe depuis plus de deux siècles. Son évolution progressive a suivi le rythme des grands moments de l’histoire de l’humanité et des droits de l’homme.

C’est d’abord aux USA, que le contrôle de constitutionnalité sous la forme de l’exception d’inconstitutionnalité, est apparu dans le silence des textes. En effet, aucune disposition de la Constitution américaine de 1787 ne fait référence à ce mécanisme. C’est la Cour suprême, sous la présidence du juge John Marshall et dans un contexte politique particulier, qu’est intervenue la célèbre décision de 1803 Marbury versus Madison4, dans laquelle la Cour s’était reconnue le droit d’apprécier la constitutionnalité de la loi judiciaire de 1789. Cette jurisprudence historique servira de fondement à la Cour suprême pour construire graduellement et de façon prétorienne, ce qui deviendra progressivement le modèle américain de justice constitutionnelle.

Le dernier modèle américain présente des caractéristiques qui lui sont propres et s’oppose point par point au modèle européen. Il est décentralisé, concret, principalement incidentiel à titre principal et s’exerce a posteriori. La décision rendue, dans ce cadre, revêt une autorité relative de chose jugée autrement dit-elle ne vaut que pour l’affaire en cause et la loi inconstitutionnelle est seulement écartée, elle ne disparait pas de l’ordre juridique.

Un peu plus d’un siècle après, en Europe, le contrôle de constitutionnalité est repensé et organisé sous une forme différente de celle du système américain. La paternité de cette grande œuvre théorique, revient au Maitre de Vienne, le professeur Hans Kelsen qui, dans sa théorie de l’ordre juridique dans les années 1920, démontra brillamment que la garantie de la suprématie de la Constitution ne pouvait être assurée en l’absence d’un mécanisme de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois ; sans cette garantie juridictionnelle de la loi fondamentale par la justice constitutionnelle, le système juridique serait invalide et toute la pyramide des normes s’effondre.

La naissance de la Haute Cour constitutionnelle Autrichienne, sous l’influence de Kelsen, marqua le point de départ d’un mouvement de justice constitutionnelle qui accompagna et évolua en s’élargissant au rythme des grandes séquences de l’histoire politique de l’Europe notamment la seconde guerre mondiale, puis vint la fin des dictatures dans le sud de l’Europe dans les années 1970 et ensuite la chute du Mur de Berlin à la fin des années 1980 avec ses implications politiques et constitutionnelles dans les pays dits socialistes.

Ce modèle européen influença une bonne partie des constituants africains dont les trois pays du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie).

Aujourd’hui, nul ne peut contester le caractère universel de la justice constitutionnelle et rares sont les pays qui n’ont pas gravé dans le marbre de leurs constitutions le contrôle de constitutionnalité.

Le développement de l’exception d’inconstitutionnalité sous ses différentes formes et sa généralisation progressive constituent des indicateurs fiables quant à son accès, à terme, à l’universalité.

En inscrivant l’exception d’inconstitutionnalité dans la loi fondamentale, en 2O16, le Constituant algérien consacre son adhésion à ce mouvement universel.

4 D. Rousseau, Pierre-Yves Gahdoun, Julien Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, 2016, p. 20.

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2. L’exception d’inconstitutionnalité, une procédure nouvelle dans le paysage juridique algérien.

L’Algérie s’arrimera effectivement au mouvement universel de justice constitutionnelle, à la faveur de la révision constitutionnelle de février 19895. Cette révision a marqué un tournant majeur dans la vie politique et constitutionnelle nationale par notamment l’institution d’un contrôle de constitutionnalité centralisé, abstrait, qui s’exerce aussi bien à priori qu’à posteriori mais uniquement par voie d’action. La saisine est limitée aux seules autorités politiques et est facultative sauf pour les lois organiques et les règlements intérieurs parlementaires qui sont obligatoirement soumis à un contrôle de constitutionnalité préalable.

Pour rappel, la révision constitutionnelle de 1996 n’a pas apporté les changements attendus en matière d’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel.6

En 2011, des réformes politiques ambitieuses sont annoncées par le Président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika. Dans leur volet constitutionnel, elles se traduiront par l’importante révision de la loi fondamentale du 6 mars 2016 qui procéda notamment à une rénovation du Conseil constitutionnel.

Dans ce cadre, deux innovations majeures concernant les changements substantiels apportés aux modalités d’intervention du Conseil constitutionnel, méritent d’être cités.

La première porte sur l’extension de la saisine du Conseil constitutionnel à 50 députés ou 30 membres du Conseil de la Nation7. En élargissant la saisine du Conseil constitutionnel à un nombre déterminé de parlementaires qui peuvent appartenir à la majorité ou à l’opposition, le Constituant entendait donner à cette dernière un statut constitutionnel mais aussi des droits qui lui permettent, dans le cadre du contrôle à priori, de contester la loi adoptée par la majorité entre le moment de son adoption par le parlement et celui de sa promulgation par le Président de la République d’une part et de participer ainsi effectivement à la vie politique.

Des expériences, comme celle de la France, montrent que l’ouverture de la saisine à la minorité parlementaire a non seulement favorisé la montée en puissance du Conseil constitutionnel mais a également donné corps à la dimension pluraliste de la démocratie qui tranche avec la célèbre formule de Laignel qui soutenait que l’on a juridiquement tort parce que l’on est politiquement minoritaire.8

La deuxième innovation majeure est, sans conteste, la constitutionnalisation de l’exception d’inconstitutionnalité qui permet désormais à toute partie à un procès de pouvoir contester devant une juridiction, toute disposition législative dont dépend l’issue du litige qui serait de nature à porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Ce mécanisme est proche, de l’exception d’inconstitutionnalité adoptée par les

constituants Français, Marocain et Tunisien. Il diffère cependant du système retenu par le

Bénin (en 1990) et l’Afrique du Sud (en 1996) notamment en ce qui concerne le filtrage et le

caractère direct du recours individuel.

5 Le contrôle de constitutionnalité a bien été inscrit dans la première Constitution de l’Algérie indépendants du 10

septembre 1963, mais il n’a jamais mis en œuvre. Il a vécu le temps de vie de cette Constitution qui a été très court.

6 La révision constitutionnelle de 1996 institua une deuxième chambre parlementaire, le Conseil de la Nation, et conféra à

son président le droit de saisir le Conseil constitutionnel (art.156).

7 Art. 187 al. 2 de la Constitution révisée en 2016.

8 Cette phrase célèbre a été prononcée par le député André Laignel le 13 octobre 1981 à l’occasion des débats entre la

majorité et l’opposition à l’Assemblée nationale sur les nationalisations. Voir à ce sujet le compte-rendu intégral des débats

de l'Assemblée nationale, deuxième séance du 13 octobre 1981, p. 1730, archives.

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Le Constituant algérien a posé le principe de l’exception d’inconstitutionnalité et les textes de sa mise en œuvre sont en cours d’élaboration. Par conséquent, et pour les raisons évoquées plus haut, il est naturel que l’examen de cette question ne puisse se faire qu’au travers du seul cadre constitutionnel.

3. L’exception d’inconstitutionnalité dans la Constitution révisée de 2016.

L’exception d’inconstitutionnalité est encadrée par cinq (5) articles de la Constitution révisée de mars 2016. Ces articles peuvent être classés en dispositions permanentes (art. 187 alinéa in fine, 188, 189 alinéas 2 et 191 alinéas 2 et 3 de la Constitution) et une disposition transitoire (art. 215 de la Constitution révisée).

L’article 188 de la Constitution constitue le fondement de cette nouvelle voie de droit. Les autres articles abordent respectivement la non-extension de l’exercice de la saisine en exception d’inconstitutionnalité aux autorités constitutionnelles et aux parlementaires prévue à l’article 187 alinéa in fine de la Constitution, les questions de délai imparti au Conseil constitutionnel à l’effet de se prononcer sur la constitutionnalité de la disposition législative renvoyée devant lui par l’une ou l’autre juridiction suprême (art. 189), de la date à laquelle la disposition jugée inconstitutionnelle cesse de produire ses effets et enfin, l’autorité de la décision en exception d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel (art. 191 alinéas 2 et 3).

Commençons par le principe.

La Constitution a posé le principe fondateur de l’exception d’inconstitutionnalité à l’article 188 qui stipule :

« Le Conseil constitutionnel peut être saisi d’une exception d’inconstitutionnalité sur renvoi de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat, lorsque l’une des parties au procès soutient devant une juridiction que la disposition législative dont dépend l’issue du litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Les conditions et modalités de mise en œuvre de l’alinéa ci-dessus sont fixées par une loi organique. »

Une lecture attentive de cet article et des articles 187, 189 et 191 de la Constitution portant sur le même objet permet de dégager les éléments clés de l’exception d’inconstitutionnalité que l’on peut résumer comme suit : qui peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité ? Suivant quelles conditions ? Qui peut saisir le Conseil constitutionnel ? De quel délai dispose-t-il pour se prononcer ? quels sont les effets juridiques de ses décisions et de quelle autorité jouissent-elles ?

C’est à ces questions inspirées de la Constitution que nous tacherons de répondre, en les reprenant l’une après l’autre.

3.1 Qui peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité ?

Aux termes de l’article 188 sus énoncé, toute « partie » à un procès en cours, dispose de ce moyen de droit. Le demandeur et le défendeur en première instance, l’appelant et l’intimé en cause d’appel.

L’exigence d’un procès est un préalable incontournable à l’invocation de l’exception d’inconstitutionnalité.

Mais que signifie la notion de « partie » au procès ?

L’article 188 de la Constitution est peu prolixe à ce sujet. Il ne donne aucune précision sur ce qu’il convient d’entendre par ce terme.

A priori la réponse parait simple. Il s’agit de tout intervenant à l’instance, tout justiciable, autrement dit tout citoyen, toute personne physique ou morale, de droit public ou de droit privé y compris une personne étrangère reconnue par le droit algérien. La notion peut inclure également le tiers intervenant ayant un intérêt à invoquer l’exception pour défendre ses droits constitutionnels.

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Une autre question mériterait d’être posée. Est-ce que le juge peut soulever d’office une exception d’inconstitutionnalité ?

En principe, le juge n’est pas une « partie » à l’instance et sa fonction, au regard du principe de neutralité qu’il doit impérativement observer, lui interdit de s’immiscer dans le procès. Par conséquent, il ne peut soulever « d’office » une exception d’inconstitutionnalité.

En France9, au Maroc et dans d’autres pays, cette possibilité n’est pas admise. Une partie de la doctrine constitutionnaliste estime cependant, que le juge devrait pouvoir le faire. Ces constitutionnalistes n’admettent pas en effet que dans un Etat de droit, un juge ne puisse pas réagir à l’égard d’une disposition manifestement inconstitutionnelle et qu’il pourrait être amené à l’appliquer consciemment et parfois contre son gré.

Même si le choix de l’interdiction de la saisine « ex officio » par les juges devrait prévaloir dans la loi organique prévue à l’article 188 de la Constitution, une réflexion et un débat sur cette question ne seraient pas de trop.

3.2 Devant quelle juridiction le justiciable peut invoquer l’exception d’inconstitutionnalité ?

L’article 188 de la Constitution n’est pas précis à ce sujet. En utilisant l’article indéfini « une » juridiction. L’on pourrait déduire que le justiciable peut invoquer l’exception devant n’importe quelle juridiction relevant de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat.

Les juridictions spécialisées et autres instances dont les décisions sont susceptibles de recours devant les juridictions suprêmes, peuvent, elles aussi, connaitre de ce mécanisme.

En revanche, le Constituant ayant retenu uniquement la Cour suprême et le Conseil d’Etat comme juridictions de renvoi, le tribunal des conflits dont le rôle, tel que défini par la Constitution, est de régler les conflits de compétence entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif10, ne peut, par conséquent, faire partie des juridictions devant lesquelles l’exception peut être invoquée.

4. Des conditions constitutionnelles de recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité

L’article 188 de la Constitution énumère au moins trois conditions qui se déclinent comme suit : la disposition doit être de nature législative ; elle doit commander l’issue du litige et attenter aux droits et libertés garantis par la Constitution. Le Constituant renvoie la précision et le développement des autres conditions et modalités de mise en œuvre de l’exception à la loi organique.

Examinons chacune de ces conditions.

4.1 La disposition contestée doit être de nature législative

En précisant la nature législative de la disposition susceptible d’être contestée par un justiciable au cours de son procès, le Constituant exclut les autres normes ne revêtant pas cette qualité.

Ainsi, les traités et les engagements internationaux ne devraient pas faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité du fait qu’ils ne revêtent pas un caractère législatif.

La deuxième catégorie concerne les lois organiques et tout ou partie d’une loi ordinaire ayant déjà fait l’objet d’un examen de constitutionnalité dans le cadre du Contrôle obligatoire à priori, et qui ne peuvent être contestées devant un juge dans le cadre de

9 Article 61-1 de la Constitution française révisée en 2008.

10 Art. 171 al. In fine de notre Constitution révisée en 2016.

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l’exception d’inconstitutionnalité. En excluant ces textes, le Constituant entend préserver l’autorité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, ces textes ayant fait l’objet d’un avis ou d’une décision de conformité à la Constitution, sont en vertu de ce principe constitutionnel, définitifs et s’imposent erga omnes.

La troisième catégorie de textes exclus du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité concerne les ordonnances avant leur adoption par le parlement. Ces textes pris par l’exécutif dans des matières relevant du domaine d’intervention du parlement n’acquièrent valeur législative qu’après leur ratification par ce dernier. Et ce n’est qu’une fois cette condition remplie que l’exception d’inconstitutionnalité pourra être invoquée par le justiciable.

La quatrième catégorie de textes juridiques exclus du champ d’application de l’exception d’inconstitutionnalité se rapporte aux règlements. Dans cette rubrique, sont concernés, les décrets présidentiels et exécutifs, les arrêtés et les décisions individuelles qui ne sont pas de nature législative. Ils peuvent être contestés devant la juridiction administrative.

A tous ces textes, il y a lieu d’ajouter les lois référendaires et les lois constitutionnelles, expression de la volonté directe du peuple ou exprimée par ses représentants et qu’à ce titre ils devraient être exclus du contrôle dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité.

4.2 La disposition législative contestée doit commander l’issue du litige

Pour que l’exception d’inconstitutionnalité puisse être recevable, il est nécessaire que soit établi un lien entre la disposition législative et le litige. Autrement dit, la disposition législative contestée doit être applicable au litige et à la procédure ou constitue le fondement des poursuites. Cette condition tend dans sa finalité à créer un lien entre le procès ordinaire et le procès constitutionnel.

En outre, dès lors que le Constituant ne pose aucune condition particulière ni de restrictions temporelle ou formelle à l’invocation de l’exception d’inconstitutionnalité et à moins que la loi organique en lien avec cette dernière n’en dispose autrement, l’on pourrait comprendre de son silence, que le justiciable peut la soulever à tout moment et à toute étape de la procédure. Elle peut être soulevée pour la première fois en première instance, en appel ou directement devant les juridictions suprêmes.

L’exception peut être soulevée devant les juridictions civiles et pénales et ce jusqu’à la mise en délibéré et devant les juridictions administratives jusqu’à la clôture de la phase d’instruction.

4.3 La disposition législative susceptible d’être contestée doit porter sur des droits et libertés garantis par la Constitution.

L’exception d’inconstitutionnalité n’est recevable que s’il est établi que la disposition législative contestée porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

A contrario, les droits et libertés non garantis par la Constitution ne sont pas recevables dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité. Les juges a quo et les juges de renvoi doivent s’assurer de l’existence d’un lien entre le droit ou la liberté constitutionnel et la disposition législative contestée.

Mais, la notion de « droits et libertés garantis par la Constitution » n’est pas définie avec précision dans la Constitution. Il appartient donc à la loi organique prévue à l’article 188 de la Constitution aux juges de l’exception d’inconstitutionnalité et au Conseil constitutionnel d’en préciser le sens.

Par « droits et libertés garantis par la Constitution », nous pensons qu’il y a lieu d’entendre non seulement les droits et libertés énumérés au chapitre IV du titre deuxième de la Constitution mais aussi ceux figurant dans le préambule qui fait désormais partie intégrante de la Constitution, et ceux figurant au titre du pouvoir judiciaire tel le droit à la défense (art. 169).

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Mais une incertitude plane sur l’exhaustivité de la liste des droits et libertés garantis par la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel peut, en exerçant le pouvoir d’interprétation qui est le sien par la volonté du Constituant, découvrir de nouveaux principes voire de nouveaux droits ayant pour substrat la Constitution. C’est, à titre d’exemple, le cas, du principe d’égalité souvent qualifié de principe gigogne en ce qu’il se décompose en une multitude jamais finie de principes.

Ainsi, il revient à la jurisprudence de préciser le contenu de la notion de droits et libertés garantis par la Constitution ainsi que les paramètres de son identification.

Qui peut saisir le Conseil constitutionnel ?

Certains pays ont opté pour une saisine directe de la Cour constitutionnelle par tout juge du fond. C’est le cas de la Cour Belge. D’autres pays comme la France et la cour constitutionnelle du Maroc ont réservé la saisine de celle-ci aux juridictions suprêmes uniquement. Le principe retenu par notre Constituant est identique à celui retenu par ces deux pays. Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que sur renvoi de la Cour suprême ou du Conseil d’Etat.

Après examen de la recevabilité du recours individuel en inconstitutionnalité qui leur est transmis par les juridictions inférieures, au regard des conditions et modalités prévues par la loi organique, la juridiction suprême compétente, peut décider soit du renvoi de ce recours au Conseil soit de son rejet.

Ces deux juridictions suprêmes constituent une sorte de deuxième tamis, destiné à filtrer les recours avant le renvoi de l’exception au Conseil constitutionnel ou son rejet. Aucune autre juridiction, ni personne physique ou morale ne peuvent interférer dans cette relation exclusivement duale entre le Conseil constitutionnel et ces deux juridictions suprêmes que la Constitution a placé en position de dialogue voire en position d’interactions.

En prévoyant un filtrage juridictionnel et en réservant, à titre exclusif, à la Cour suprême et au Conseil d’Etat, la décision de renvoi ou de rejet de l’exception, le Constituant, entendait limiter les questions soulevées dans un but dilatoire, fallacieuses ou fantaisistes destinées à ralentir le cours de la justice et prévenir ainsi les flux importants qui seraient de nature à provoquer un engorgement des juridictions suprêmes et du Conseil constitutionnel. Mais ces filtres, qui se justifient, ne doivent se transformer ni en bouchon du fait de conditions trop rigides ni en passoire si l’opération dans sa globalité au niveau juridique et pratique est mal gérée.

Il est important de préciser que les juridictions des deux ordres n’ont pas vocation à exercer un pré-contrôle de constitutionnalité encore moins à apprécier la constitutionnalité de la disposition législative contestée comme dans le système de contrôle diffus. Tout comme le Conseil constitutionnel n’a pas pour compétence d’examiner le litige opposant les parties au procès, celui-ci revenant aux juridictions du fond.

Nous sommes donc en présence de deux procès distincts, un procès constitutionnel et un procès ordinaire dans lesquels chaque acteur juridictionnel accomplit le rôle qui lui est dévolu par le Constituant et le législateur organique.

Les juges chargés de l’examen de la recevabilité des requêtes en inconstitutionnalité n’ont pas compétence pour apprécier la constitutionnalité de la disposition législative en cause. Ils interviennent en tant que juges de la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité, au regard des conditions prévues par la Constitution et par les textes subséquents, alors que le Conseil constitutionnel intervient en sa qualité de juge de la constitutionnalité de la disposition législative contestée par la partie au procès.

Mais dans la réalité, les choses peuvent se dérouler autrement lors de l’examen des conditions de recevabilité de la requête en inconstitutionnalité. A titre d’exemple, en France et au Maroc, l’une des conditions de recevabilité de la requête en inconstitutionnalité porte sur le caractère sérieux de la requête, par le juge du fond et la juridiction suprême (France) et par cette dernière seulement au Maroc.

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En France, le caractère sérieux de la requête est doublement apprécié. Par les juridictions de fond et par les juridictions suprêmes. Si les premières s’assurent que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, les secondes s’assurent à leur tour que cette question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Au Maroc, cette question relève à titre exclusif de la juridiction suprême.

Cette condition au contenu imprécis me parait difficile à vérifier par les juges compétents. En effet, les juges de la recevabilité ne peuvent apprécier le caractère sérieux de la requête sans se référer ou examiner, directement ou indirectement, des aspects constitutionnels liés à la requête en inconstitutionnalité.

Enfin, il importe de noter que le contentieux de l’exception d’inconstitutionnalité est objectif. Par conséquent, lorsqu’un recours en exception d’inconstitutionnalité est porté devant le Conseil constitutionnel, celui-ci demeure saisi jusqu’au jugement de l’affaire même en cas d’extinction de l’action publique, pour quelque cause que ce soit. Il poursuit donc la procédure jusqu’à son terme.

5. En ce qui concerne la question des délais

L’article 189 alinéa 2 de la Constitution dispose :

« Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi sur le fondement de l’article 188 ci-dessus, sa décision est rendue dans les quatre (4) mois qui suivent la date de sa saisine. Ce délai peut être prorogé une seule fois de quatre (4) mois au maximum, sur décision motivée du Conseil, notifiée à la juridiction saisissante. »

Pour rappel, le Constituant a prévu uniquement le délai nécessaire au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité qui lui est renvoyée par la Cour suprême ou le Conseil d’Etat. Ce délai, fixé à quatre (04) mois, peut être prorogé, pour la même durée, par décision motivée du Conseil constitutionnel notifiée à la juridiction saisissante (art. 189 al. 2).

S’agissant des délais inhérents à la procédure contentieuse, devant les juridictions du fond et les juridictions suprêmes, ceux-ci n’ayant pas été fixés par le Constituant, c’est donc à la loi organique qu’il revient de les prévoir.

La question des délais devrait être traitée globalement. Car, c’est elle qui déterminera, en grande partie, les chances de succès de ce nouveau mécanisme. Ces délais ne doivent être ni trop longs ni trop courts. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre les attentes des citoyens et les exigences constitutionnelles, un équilibre qui soit de nature à protéger les droits et libertés des citoyens et à renforcer la croyance de ces derniers aux vertus de ce mécanisme.

Le cadre constitutionnel étant délimité, il importe de préciser que plusieurs questions trouveront leurs réponses dans les textes législatifs et règlementaires suivant la répartition constitutionnelle des compétences entre le domaine de la loi et celui du règlement. II s’agit notamment des autres conditions de recevabilité de la requête en exception d’inconstitutionnalité, des délais inhérents aux différentes étapes de la procédure, du caractère public des séances, de la récusation, du sursis à statuer, du ministère d’avocat etc... Sur ces questions, nos honorables invités qui capitalisent une longue expérience pourront nous éclairer utilement de leurs expériences.

6. De l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel.

Aux termes de l’article 191 alinéa in fine « Les avis et décisions du Conseil constitutionnel sont définitifs. Ils s’imposent à l’ensemble des pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles. »

Etant définitives, les décisions rendues dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité ne peuvent faire l’objet d’aucun recours hormis les rectifications d’erreurs matérielles non imputables au requérant.

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7. Des effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel.

Le principe est posé à l’article 191 alinéa 2 de la Constitution. Notre Constituant a donné compétence au Conseil constitutionnel pour inscrire dans sa décision déclarant l’inconstitutionnalité de la disposition législative en cause et de fixer en même temps dans sa décision le jour de la cessation des effets qu’elle aura produits.

Dans ce cadre, lorsque le Conseil constitutionnel prononce l’inconstitutionnalité d’une disposition législative, celle-ci est abrogée. Elle disparait de l’ordre juridique. Mais son abrogation ne fait pas pour autant disparaitre les effets qu’elle aura produits lorsqu’elle était en vigueur.

Se pose alors la question de la gestion des effets dans le temps de la décision du Conseil constitutionnel ?

Le principe est qu’il revient au Conseil constitutionnel de fixer, dans sa décision, le moment à partir duquel la disposition législative jugée inconstitutionnelle cesse de produire ses effets juridiques.

Le Conseil dispose de deux possibilités qui lui permettent d’agir sur la temporalité de la disposition jugée inconstitutionnelle.

Il peut en effet, selon le cas, soit prononcer l’abrogation de la disposition législative jugée inconstitutionnelle avec effet immédiat, soit différer son abrogation (effet différé) à une date qu’il aura fixé dans sa décision. Cette abrogation différée vise à laisser, au législateur, le temps nécessaire pour qu’il puisse tirer les conséquences de l’inconstitutionnalité et décider de la solution qu’il convient de prendre pour revenir à une situation conforme à la Constitution, dans le délai qu’il lui aura accordé (correction de l’inconstitutionnalité, reprise du processus normatif…). Ces deux possibilités, connues dans la jurisprudence constitutionnelle comparée, n’excluent pas des évolutions futures et l’émergence d’autres solutions possibles.

Mais l’abrogation d’une disposition, donc sa disparition de l’ordre juridique, peut entrainer une remise en cause de droits acquis. Elle provoquerait des perturbations du fait des effets produits parfois de façon massive et entrainerait des conséquences négatives sur la sécurité juridique.

Tenant compte de cette situation, le Conseil constitutionnel doit rester maitre de la gestion des effets dans le temps de ses décisions. Son appréciation du délai à accorder au législateur, selon les différents cas, à l’effet de corriger l’inconstitutionnalité ou de procéder à un nouvel amendement du texte pour le mettre en conformité avec la Constitution, doit tenir compte des contraintes éventuelles susceptibles d’empêcher ou de ralentir l’action du législateur.

Dans ce cadre, une étude approfondie de la jurisprudence constitutionnelle comparée pourrait inspirer utilement le travail de notre institution.

II. Quelles perspectives d’avenir ouvre l’exception d’inconstitutionnalité ?

L’exception d’inconstitutionnalité est au principe d’une révolution juridique et notre système juridique est appelé à changer profondément. Le professeur Dominique Rousseau, estime, à juste titre, qu’avec ce nouveau moyen de droit, ‘’la Constitution devient « la chose commune ». Tout justiciable peut se servir de la Constitution, tous les juges sont associés à sa protection et tous les droits, public et privé, y trouvent leurs principes fondateurs’’11.

Cette révolution est porteuse de renouveau constitutionnel, de changements essentiels du rapport du citoyen à la Constitution et à ses représentants et des rapports des professionnels du droit et du Conseil constitutionnel.

11 D. Rousseau, « Droit du contentieux constitutionnel », LGDJ, 2013.

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1. Le changement de rapport du citoyen et de ses représentants à la Constitution.

En conférant au justiciable, personne physique ou morale, le droit de contester une disposition législative en vigueur qu’il juge attentatoire aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Constituant donne au citoyen les moyens de sanctionner, la norme produite par ses représentants et de protéger ainsi, par le droit, son espace constitutionnel.

La pratique de l’exception d’inconstitutionnalité, ne manquera pas, à terme, de faire évoluer les mentalités et les comportements des citoyens qui ne se sentiront plus étrangers au texte constitutionnel dans lequel ils se sont identifiés avant de l’adopter par voie référendaire ou par la voie de leurs représentants et dont ils prennent rapidement conscience, une fois entré en vigueur, qu’ils en ont été dépossédés. C’est justement ce que l’exception d’inconstitutionnalité ambitionne de rétablir en renouant le lien direct entre le justiciable, le citoyen, et la Constitution et permettra ainsi à celui-ci de se la réapproprier à terme.

L’accès du citoyen à la Constitution confère à celui-ci la possibilité de faire annuler par le Conseil constitutionnel une disposition législative votée par les représentants, renforcent non seulement la croyance individuelle et collective aux vertus de l’Etat de droit et de la démocratie mais contraint également les représentants de la Nation à intégrer dans leur raisonnement et leur comportement la ressource constitutionnelle.

2- Des relations mieux équilibrées entre les trois pouvoirs constitués et le Conseil constitutionnel.

L’institution de l’exception d’inconstitutionnalité est venue opportunément corriger et renforcer l’équilibre entre les trois pouvoirs constitués.

Il est utile de rappeler, à ce propos, que les trois pouvoirs ont toujours été représentés au Conseil constitutionnel. Et si cette représentation a été pendant longtemps inégalement répartie entre eux12, la révision constitutionnelle de 2016 a corrigé ce déséquilibre en conférant à chacun d’eux le pouvoir de désigner ou d’élire en son sein, selon le cas et suivant les conditions constitutionnelles d’accès à la fonction de membre, le même nombre de membres au Conseil constitutionnel.

Outre ce rééquilibrage, en instituant l’exception d’inconstitutionnalité le Constituant corrige une autre incohérence tenant à la saisine du Conseil constitutionnel. En effet, avant la révision constitutionnelle de 2016, les juridictions suprêmes étaient représentées au sein du Conseil mais n’ouvraient pas droit à la saisine du Conseil, à l’instar des autorités politiques relevant des pouvoirs exécutif et législatif.

En conférant aux deux juridictions suprêmes la compétence du renvoi des exceptions jugées par elles recevables, au Conseil constitutionnel, le Constituant met en relation l’ensemble de ces acteurs juridictionnels et leur crée un espace d’échanges et de dialogue porteur de renouveau du contrôle de constitutionnalité et d’avancées importantes en matière de respect des droits de l’homme.

3. Le changement dans la relation entre les professionnels du droit et le Conseil constitutionnel et son incidence sur les branches du droit public et privé.

Avec l’exception d’inconstitutionnalité, les professionnels du droit seront forcément amenés à intérioriser « le réflexe constitutionnel »13 dans leurs méthodes de travail. En retour, le Conseil constitutionnel sera contraint, au fil des saisines en exception

12 En 1989, 3 membres au titre du pouvoir exécutif, 2 au titre du pouvoir législatif et 2 au titre du pouvoir judiciaire ; en

1996, 3 au titre du pouvoir exécutif, 4 au titre du pouvoir législatif et 2 au titre du pouvoir judiciaire ; en 2016, l’équilibre

est établi entre les trois pouvoirs constitués à raison de 4 membres au titre de chaque pouvoir.

13 M. Disant, « Droit de la question prioritaire de constitutionnalité. Cadre juridique, pratiques

jurisprudentielles. », collection Lamy axa droit, année 2011.

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d’inconstitutionnalité, d’élargir son champ d’intervention à toutes les branches du droit et à se familiariser ainsi avec les méthodes et les techniques des professionnels du droit.

Cette relation interactive, accélèrera nul doute les processus d’effacement de la frontière droit public-droit privé et de constitutionnalisation de toutes les branches du droit qui, progressivement, seront rattachés aux principes constitutionnels qui les fondent et auront donc, comme le souligne à juste titre le professeur D. Rousseau, une matrice commune, la Constitution.

Pour conclure, je voudrais dire, que pour assurer la primauté de la Constitution et préserver son unité, il est impératif que les juridictions suprêmes et le Conseil constitutionnel, dans le domaine qu’ils ont en partage, celui de l’exception d’inconstitutionnalité, perçoivent l’exercice de leurs missions constitutionnelles dans le sens de la complémentarité et de l’harmonisation de leur jurisprudence.

Le travail que nous menons est passionnant. Il nous permet de contribuer, dans le cadre de l’exercice de nos compétences constitutionnelles, à l’émergence d’une culture juridique nouvelle, celle de la Constitution, notamment dans sa dimension sociale, celle des droits de l’homme qui constituent l’un des défis majeurs du 21eme siècle.

Le respect des droits de l’homme ! N’est-ce pas là, le rêve de ceux qui nous ont précédés, citoyens, juristes, politistes…le rêve du genre humain de vivre ensemble avec les différences qui sont les siennes et dans leur respect ?

L’exception d’inconstitutionnalité, cette nouvelle voie de droit, permet aujourd’hui de poursuivre ce rêve pour en faire, grâce à l’intelligence et l’indépendance des acteurs juridictionnels et l’action continue des citoyens appelés à mettre en œuvre ce mécanisme, une réalité par le droit, une réalité par la justice constitutionnelle.

Je vous remercie de votre bienveillante attention.

Alger, lieu du 5eme Congrès Mondial sur la Justice Constitutionnelle

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Intervention de :

Mr. Jean-Paul Moerman Juge à la Cour constitutionnelle du Royaume de Belgique.

Sur le thème :

« Une brève approche de la saisine de la Cour constitutionnelle de Belgique »

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Monsieur le Président de la Conférence des Juridictions constitutionnelles africaines, et Juge en Chef de la République d’Afrique du Sud, Mr. Mogoeng Mogoeng,

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel d’Algérie, Mr. Mourad Medelci,

Chers Collègues,

Mesdames et Messieurs,

En qualité d’invité, il m’appartient d’intervenir parmi les ultimes orateurs de ce colloque. Permettez-moi à ce titre de vous adresser, au nom de Messieurs les Présidents et de mes Collègues de la Cour constitutionnelle de Belgique, mes félicitations pour la parfaite organisation de ce deuxième Séminaire International de la CJCA, pour l’excellence de l’accueil et la haute qualité des travaux.

Diverses interventions, durant ces deux journées, attirèrent mon attention sur une série d’interrogations à propos de questions pratiques intéressant « l’accueil » des particuliers devant la Justice constitutionnelle. J’ai donc modifié la structure initiale de mon exposé afin de le mettre mieux en concordance avec ces préoccupations.

Comme l’ont signalé fort justement divers orateurs, « nous sommes tous » le résultat d’une évolution qui mena à l’instauration de systèmes particuliers répondant aux exigences historiques, socio-culturelles et politiques.

Mon propos commencera par un rapide survol historique de la création d’une Justice constitutionnelle en Belgique (1), ensuite j’examinerai la question de savoir « qui » peut accéder à la justice constitutionnelle (2), puis, seront examinés les modes de saisine de la Cour (la recevabilité, les délais pour agir et le caractère contradictoire du débat) (3), avant de tracer de brèves lignes de perspectives (4).

1. Bref aperçu historique.

En Europe, la démocratie s’affirma lentement et progressivement comme une organisation politique mais surtout comme la valeur en laquelle se reconnaissent les Pays de l’Union : « l’Etat de droit » y est la référence ultime de toute forme d’organisation politique. L’Etat de droit implique que la liberté de décision des organes de l’Etat est, à tous les niveaux, limitée par l’existence de normes juridiques supérieures, dont le respect est garanti par l’intervention d’un Juge.

La condition essentielle à l’édification de l’Etat de droit est donc la justice constitutionnelle, laquelle s’est particulièrement développée en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale, donnant ainsi naissance à un véritable modèle européen.

Ce modèle n’est apparu que dans les années 20 et connut trois illustrations entre les deux guerres : en Autriche, en Tchécoslovaquie et dans l’Espagne républicaine. On l’appelle le modèle autrichien en référence aux travaux de Hans Kelsen sur la théorie du droit et de l’Etat.

Au fil du temps ce premier socle connaîtra ses prolongements et sera diversement adopté dans les constitutions des pays d’Europe de l’Ouest après la seconde guerre mondiale (ainsi République Fédérale d’Allemagne en 1949, Italie en 1948, France en 1958, Chypre en 1960, Turquie en 1961, Portugal en 1976, Espagne en 1978, Belgique en 1984).

Cette incise permet de constater que l’acceptation et la mise en œuvre de principes aussi généreux que celui de « l’Etat de droit » répondent à des exigences de temps, de moyens et d’hommes et qu’il est sage de ne jamais précipiter le cours de peuples.

La Belgique, pays unitaire, vécut ces dernières décennies une évolution politique, la création des « Communautés » en 1970 dont le concept évolua et s’ouvrit plus clairement par la révision constitutionnelle de 1993 en Etat qualifié d’« Etat fédéral ».

Le pouvoir législatif y est réparti entre la fédération et les entités fédérées, système dans lequel chaque législateur dispose de compétences exclusives ; les lois de la fédération et les

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décrets ou ordonnances des entités fédérées ont la même valeur juridique. Il convenait dès lors, afin de permettre une coexistence harmonieuse de ces pouvoirs de créer une instance au rôle « d’arbitre ». La Cour d’Arbitrage est ainsi née, clef de voûte nécessaire de l’édification fédérale. La Cour d’arbitrage n’est pas une juridiction comme les autres. Elle n’appartient pas à la famille des « cours et tribunaux » qui compose le pouvoir judiciaire. A l’origine il revenait à ceux-ci et, en dernière instance, à la Cour de cassation, de protéger le citoyen contre l’arbitraire des pouvoirs gouvernementaux et administratifs. Il fallut attendre 1946 pour que ce monopole soit rompu par la création d’une nouvelle juridiction indépendante : le « Conseil d’Etat ». Celui-ci est investi, entre autres, de la mission d’examiner les recours dirigés contre les actes gouvernementaux ou administratifs irréguliers.

En 1984, second coup de tonnerre dans le paysage juridictionnel belge : une nouvelle juridiction se voit investie de la mission de contrôler des actes qui jusqu’alors échappaient à toute censure, les lois elles-mêmes. Son nom prend son origine dans son essentielle première mission : garantir le respect des compétences respectives.

Au fil du temps ce rôle d’arbitre s’estompe. La révision constitutionnelle du 15 juillet 1988 étend la compétence de la Cour au respect des articles 10, 11 (qui garantissent le principe d’égalité et de non-discrimination) et 24 (les libertés en matière d’enseignement), de la Constitution. Le 9 mars 2003, une loi spéciale étend la compétence de la Cour à la totalité du titre II de la Constitution (les droits et libertés individuelles, articles 8 à 32), ainsi qu’aux articles 170 (principe de légalité en matière fiscale), 172 (principe d’égalité en matière fiscale) et 191 (protection des étrangers). La révision constitutionnelle du 7 mai 2007, change la dénomination de la « Cour d’arbitrage » en « Cour constitutionnelle ».

2. « Qui » peut accéder à la Justice constitutionnelle ?

Au Royaume de Belgique, l’accès à la justice constitutionnelle est aisé et large. La Constitution, en son article 142, dispose que la Cour constitutionnelle « peut être saisie par toute autorité que la loi désigne, par toute personne justifiant d’un intérêt ou, à titre préjudiciel, par toute juridiction ».

La loi qui règle l’organisation et la compétence de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure qui y est suivie précise, en son article 2, que les recours en annulation portés devant la Cour sont introduits par « le Conseil des ministres », par « le Gouvernement de communauté ou de région », par « toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt » ou par « les présidents d’assemblées législatives à la demande de deux tiers de leurs membres ». La même loi dispose aussi, en son article 26, que, lorsqu’une question relevant de la compétence de la Cour « est soulevée devant une juridiction, celle-ci doit [en principe] demander à la Cour constitutionnelle de statuer sur cette question ».

Il convient donc de distinguer deux voies d’accès à la Cour constitutionnelle : le recours en annulation et la question préjudicielle.

3. Le recours en annulation et la question préjudicielle

Le recours en annulation tend à obtenir de la Cour qu’elle procède à une annulation. En Belgique, ce sont les normes à valeur législative que la Cour constitutionnelle a pour mission de censurer quand il y a lieu. Ces normes législatives s’appellent des lois lorsqu’elles sont adoptées par le pouvoir législatif fédéral. Elles se nomment décrets ou ordonnances lorsqu’elles sont adoptées par le pouvoir législatif d’une entité fédérée (communauté ou région).

Un recours en annulation peut être introduit dans les six mois de la publication de la norme législative qui en est l’objet. Ce délai est ramené à trois mois si le recours est accompagné d’une demande de suspension de la norme attaquée lorsque l’application immédiate de la loi pourrait causer un préjudice grave et difficilement réparable. Le délai d’annulation est ramené à soixante jours lorsque la norme législative a pour objet de porter assentiment à un traité international.

Lorsqu’un recours en annulation est introduit par le gouvernement fédéral ou par le gouvernement d’une entité fédérée de l’État, ceux-ci ne doivent pas démontrer un intérêt

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particulier au recours. Il en va de même lorsque le recours est introduit par le président d’une assemblée législative fédérale ou fédérée. Celui-ci ne peut cependant agir qu’à la demande de deux tiers des membres de l’assemblée.

Par contre, lorsque le recours en annulation émane de toute autre personne, physique ou morale, son auteur doit justifier d’un intérêt. Ni la Constitution, ni la loi ne définissent cet intérêt dont il faut justifier pour introduire un recours en annulation. C’est la Cour elle-même qui a défini les contours de cette notion de la manière suivante : l’intérêt du requérant est établi lorsque sa « situation » est « susceptible d’être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée ». Cette définition de l’intérêt semble empêcher que l’on puisse agir devant la Cour pour défendre les intérêts d’autrui. La Cour accueille pourtant généreusement les recours introduits par des associations sans but lucratif agissant au nom de l’intérêt collectif qui a justifié leur création si cet intérêt collectif est directement affecté par la norme attaquée.

La question préjudicielle tend à obtenir de la Cour une réponse précédant un jugement. La question préjudicielle peut émaner de n’importe quelle juridiction belge, qu’il s’agisse d’un tribunal ou d’une cour relevant du pouvoir judiciaire ou d’une juridiction dite « administrative », tel que le Conseil d’État ou les juridictions administratives créées dans des domaines spécifiques, comme l’accès au territoire, le contentieux électoral ou le droit de l’environnement.

Chacune des parties à un litige pendant devant une juridiction peut demander à celle-ci d’interroger la Cour constitutionnelle sur l’un ou l’autre problème de constitutionnalité d’une norme législative que révèleraient les débats. Le tribunal peut aussi d’initiative décider de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle même si les parties n’ont pas aperçu le problème de constitutionnalité. Lorsque ce sont les parties qui suggèrent d’interroger la Cour ou lorsqu’elle aperçoit seule le problème de constitutionnalité, la juridiction est, en principe, obligée de poser une question préjudicielle. Mais la loi organisant la Cour constitutionnelle prévoit quand même une série de cas dans lesquels la question ne doit pas être posée. On peut résumer ces cas en disant qu’un juge n’est pas tenu d’interroger la Cour s’il apparaît que la question préjudicielle suggérée n’est pas utile à la solution du litige qu’il a à trancher ou s’il doit statuer dans un contexte d’urgence particulier.

La juridiction saisie du litige à la source de la question préjudicielle peut aussi d’initiative poser une question préjudicielle même si les parties n’ont pas aperçu le problème de constitutionnalité.

Il convient probablement de préciser ici que si, saisie d’une question préjudicielle, la Cour constate l’inconstitutionnalité de la norme législative mise en cause, elle ne peut l’annuler. Elle se contente de répondre qu’elle est inconstitutionnelle et la juridiction qui a interrogé la Cour ne pourra l’appliquer au litige concret qu’elle a à trancher. Ce constat d’inconstitutionnalité ouvre une période de six mois durant laquelle un recours en annulation peut être introduit contre la norme législative déclarée inconstitutionnelle.

Tant dans le cas d’un recours en annulation que dans le cas d’une question préjudicielle, l’ensemble des gouvernements et parlements sont invités à exposer leur point de vue par écrit. Dans la plupart des cas, seul le gouvernement le plus concerné par la norme législative mise en cause intervient.

Les auteurs du recours en annulation sont bien entendu invités à répliquer aux arguments avancés pour défendre la constitutionnalité de la norme attaquée. Lorsque la Cour est saisie d’une question préjudicielle, toutes les parties au procès qui est à l’origine de cette question sont aussi invitées à exprimer leur point de vue par écrit à la Cour. Par contre, le juge qui a posé la question préjudicielle n’est pas invité aux débats.

Il faut encore ajouter ici que, tant lors de la procédure d’examen d’un recours en annulation que lors de la procédure d’examen d’une question préjudicielle, d’autres personnes que celle qui a introduit le recours ou de celles qui sont parties au procès à l’occasion duquel la question préjudicielle a été posée peuvent avoir accès à la Cour constitutionnelle pour faire valoir leurs observations. Il s’agit des personnes qui justifient d’un intérêt, c’est-à-dire celles qui sont susceptibles d’être affectées directement par l’arrêt que la Cour pourrait prononcer, par

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exemple parce qu’elles se trouvent dans une situation similaire à celle de l’auteur du recours en annulation ou à celle des parties au procès qui est à l’origine de la question préjudicielle.

Quelques mots sur l’accès au prétoire de la Cour constitutionnelle :

Sur la question de l’« intérêt à agir » notons qu’en principe la définition jurisprudentielle de l’intérêt devrait empêcher que l’on puisse agir devant la Cour pour les intérêts d’autrui. La Cour, par sa jurisprudence, a toutefois accueilli des recours introduits par des associations sans but lucratif, nous l’avons énoncé, mais aussi par les Ordres de Barreaux (procédure en règlement collectif de dettes), des Unions professionnelles de médecins (assurance obligatoire soins de santé), des associations diverses comme la Fédération des étudiants francophones (les droits complémentaires perçus dans l’enseignement supérieur non universitaire), ou des Fédérations professionnelles comme la Fédération royale de l’industrie des eaux et des boissons rafraîchissantes (taxe sur les emballages), ou encore la Fédération belge du secteur financier, la Ligue des droits de l’Homme, etc. La Cour a admis les Fédérations représentatives de travailleurs (qui n’ont en principe pas la personnalité juridique), lorsqu’elles agissent dans les matières pour lesquelles elles sont légalement reconnues; enfin, et non limitativement, les portes sont largement ouvertes aux personnes physiques (qu’il s’agisse d’électeurs ou de candidats aux élections, contribuables se jugeant affectés par une loi fiscale, ou encore tout justiciable qui estimerait sa liberté menacée par une norme en matière pénale, etc.).

À l’issue de l’instruction d’un recours en annulation ou d’une question préjudicielle, la Cour décide s’il y a lieu de tenir une audience pour entendre les parties. Toute partie peut demander à être entendue. Comme la procédure est essentiellement écrite, la Cour décide, dans la plupart des cas, que des plaidoiries ne sont pas nécessaires. Mais, lorsqu’elles sont informées d’une telle décision de la Cour, chacune des parties peut, sans devoir se justifier, demander, dans un délai de sept jours, qu’une audience soit tenue.

Les audiences de la Cour sont, en principe, publiques et donc accessibles à tous. Sauf si la Cour décide que cette publicité est dangereuse pour l’ordre ou les bonnes mœurs, ce qui n’est encore jamais arrivé.

La procédure devant la Cour est gratuite et il n’est pas nécessaire d’être assisté d’un avocat pour introduire un recours en annulation bien que ce soit évidemment souvent préférable ; la Cour a pour habitude de faire preuve d’une grande bienveillance à l’égard des requérants agissant sans assistance juridique.

4. Quelques considérations finales

L’accès à la Justice constitutionnelle a semblé poser à divers orateurs le problème de l’indépendance de la Juridiction saisie.

Evoquons quelques aspects pratiques : sur la composition de la Cour, l’examen de chaque affaire et diverses considérations dans le cadre de nos travaux

La Cour peut siéger en plénière, en siège de 7 magistrats ou en siège restreint de 3. L’importance de l’affaire, l’absence de précédent ou encore le caractère « sensible » de certaines matières justifient le choix du siège approprié.

Les juges, au nombre de 12, sont nommés à vie par le Roi, sur une liste double présentée alternativement par la Chambre des Représentants et le Sénat. Ces listes sont adoptées à la majorité des deux tiers des suffrages des membres présents. Une double parité est respectée : autant de juges néerlandophones que de juges francophones (l’un d’entre eux justifiant de la connaissance de la langue allemande), et, au sein de chaque groupe linguistique, autant de juges issus du monde parlementaire que de juges issus de la Haute magistrature (Conseil d’Etat, Cour de Cassation) ou professeur d’université.

Chaque affaire est examinée préalablement par un premier juge-rapporteur de la langue de l’affaire et un second juge-rapporteur de l’autre rôle linguistique. Les groupes de juges-rapporteurs sont désignés pour chaque affaire par le hasard : en effet, chaque année un tirage au sort attribue à chaque magistrat un numéro (dix juges) qui lui attribuera les dossiers portant la finale du numéro de rôle de l’affaire entrée ; le greffe reçoit les plis

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recommandés qui sont numérotés avant ouverture ; par ce procédé simple il n’est donc aucune façon de « choisir » son juge ; les Présidents suivent toutes les affaires.

L’accès individuel direct ne permet pas l’« actio popularis ».

La censure d’une loi est délicate ; a-t-elle reçu une application dans le temps ? Quelles sont les conséquences d’une annulation et peut-on y remédier ? A ce sujet la Cour considère que la loi - connaissant des inconstitutionnalités - peut être maintenue quant à ses effets dans le temps pour la sauvegarder de l’intérêt général.

La loi peut être aussi validée sous réserve d’interprétation définie au cœur de l’arrêt prononcé ; la loi peut n’être annulée « qu’en ce que... » afin de délimiter au mieux les contours de l’inconstitutionnalité.

Voilà pour quelques réflexions liées aux développements et diverses questions évoquées durant nos travaux.

Vue du siège du Conseil constitutionnel d’Algérie

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Intervention de :

Mme. Marceline C. GBEHA AFOUDA Juge à la Cour constitutionnelle du Bénin

Sur le thème :

« Exception d’inconstitutionnalité au Bénin :

Organisation et procédures internes »

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Pour Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, l’exception d’inconstitutionnalité est un « incident de procédure dans le cadre d’un procès, à l’occasion duquel un justiciable met en cause la conformité d’une loi à la Constitution. Après en avoir examiné le caractère sérieux, le juge, saisi au fond, est appelé soit à statuer lui-même (Etats-Unis), soit à en renvoyer l’examen à la Cour constitutionnelle, au titre d’une question préjudicielle (Italie, Allemagne). »14.

Au Bénin, c’est l’article 122 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui règle la matière :

« Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. ».

La loi organique sur la Cour constitutionnelle ne fait que confirmer ces dispositions. En son article 24, ce texte dispose en effet que « Tout citoyen (...) peut (…) dans une affaire qui le concerne, invoquer devant une juridiction l’exception d’inconstitutionnalité ».

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a tenté de compléter cette réglementation quelque peu sommaire de la procédure de question préjudicielle ou exception d’inconstitutionnalité15.

Compte tenu du caractère présidentiel du régime politique mis en place par la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et de l’expression « exception d’inconstitutionnalité » utilisée, le rapprochement pourrait être fait avec le système américain. Il convient donc, de prime abord, de démontrer la nette différence qu’il y a entre le système américain et le système béninois.

Aux Etats-Unis, alors que le justiciable se trouve impliqué dans un procès ordinaire (c’est-à-dire non constitutionnel), il peut considérer que le texte de loi susceptible de lui être appliqué est contraire à la Constitution. Il soulève alors, pour sa défense, une exception d’inconstitutionnalité. Il demande ainsi au juge saisi de l’affaire de priver le texte litigieux d’effet en l’espèce. Ce juge statue lui-même sur la question, et selon sa décision, le texte litigieux sera appliqué ou écarté en l’espèce 16. Ce type de recours est normal dans un système décentralisé de justice constitutionnelle. Ce recours s’apparente en effet à une exception au sens strict du terme. C’est le juge qui est saisi de la question d’inconstitutionnalité qui la tranche lui-même. Ce n’est pas exactement ce système qui est en œuvre au Bénin, en tous cas, pas dans les mêmes conditions.

L’expression plus adaptée à la situation béninoise devrait être celle dite de la question préjudicielle, même si l’expression « exception d’inconstitutionnalité » est utilisée de façon générique. Il est depuis longtemps établi qu’ « une question préjudicielle est une question dont (un juge) est saisi (et) que le juge ne peut lui-même résoudre »17. Sous le bénéfice de toutes ces observations, il convient de retenir que dans le modèle béninois, il s’agit tout

14 P. AVRIL, J. GICQUEL, Lexique, droit constitutionnel, Paris, P.U.F., 1986, p. 57.

15 I. SOUMANOU, Contribution de la Cour constitutionnelle à la consolidation de l’Etat de droit au Bénin, Mémoire de DEA

« Droit de la personne et Démocratie », Chaire UNESCO des droits de la personne et de la Démocratie, Faculté de

droit et de sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi, 2005-2006, pp. 71-73. ; I. SALAMI, « Le traitement

discriminatoire des délits de mariage devant les cours constitutionnelles béninoise et congolaise », in, « www.la-

constitution-en-afrique.org ». , pp. 8-12.

16 L. FAVOREU ‘’e.a’’, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2009, p.237 ; F. HAMON et C. WIENER, La justice

constitutionnelle : Présentation générale, France, Etats-Unis, Paris, La documentation française, 2006, p. 3.

17 C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, Bruxelles, Larcier, 1974, p. 210. ; voir aussi, M-Fr. RIGAUX et B.RENAULD, La

cour constitutionnelle, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 174.

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simplement de question préjudicielle18, mais connue sous le nom générique d’exception d’inconstitutionnalité.

Une autre remarque préliminaire est que, au Bénin, l’exception d’inconstitutionnalité s’opère dans un environnement où des recours directs contre les normes, en particulier la loi, sont prévus, aussi bien a priori qu’a posteriori. L’article 122 précité disposait déjà en effet que : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité (…) ». Il convient d’y ajouter des contrôles préalables obligatoires. Ainsi, conformément à l’article 117 de la Constitution, reprise de manière détaillée, d’une part, à l’article 123 de la Constitution, d’autre part, à l’article 19 de la loi n° 91-009 du 31 mai 2001 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle : « Les lois organiques adoptées par l’Assemblée Nationale sont transmises à la Cour constitutionnelle par le Président de la République pour le contrôle de constitutionnalité… »19. Il faut préciser que le caractère obligatoire du contrôle préalable des lois s’étend même aux lois ordinaires puisque l’article 117 de la Constitution ne fait pas de différence entre les différentes catégories de lois lorsqu’elle dispose que « La Cour constitutionnelle : - Statue obligatoirement sur : la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation;(…) ».

Comment le Bénin a pu mettre en œuvre une telle procédure depuis maintenant 25 ans ?

Pour répondre à cette question, il sera examiné la situation de l’exception devant le juge ordinaire (I) et sa situation devant la Cour constitutionnelle elle-même (II).

L’exception devant le juge ordinaire

Il apparait que les deux acteurs clés ici sont, d’une part, les parties au procès ordinaire, assistés ou non de leurs avocats (A), d’autre part, le juge ordinaire lui-même (B).

Les parties et leur avocat

C’est le justiciable qui soulève la question devant le juge ordinaire : « Tout citoyen », prévoit le texte, ce qui correspond à tout particulier, national ou étranger. Plusieurs points méritent précision à cet égard.

L’objet de l’exception

Selon la jurisprudence constante de la Cour, « l’exception d’inconstitutionnalité doit porter sur la question de conformité à la Constitution d’une loi applicable au procès en cours » et non sur un autre texte ou encore sur la question de la violation d’un droit fondamental. Et la loi s’entend d’un texte voté par l’Assemblée nationale, promulguée par le Président de la République ou rendu exécutoire par la Cour constitutionnelle après déclaration de conformité à la Constitution. De sorte que la Cour a déclaré irrecevable une exception d’inconstitutionnalité fondée sur la violation du droit à la défense, sur le refus de communication de pièces à la partie adverse, sur la production de pièces rédigées en langue anglaise et non traduites dans la langue officielle de travail qu’est la langue française.

18 C’est l’expression qui a été préférée par exemple dans l’Annuaire international de justice constitutionnelle, 2007 ; M.

FATIN-ROUGE STEFANINI (Etudes rassemblées par), « La question préjudicielle de constitutionnalité en droit

comparé », in, A.I.J.C, 2007, pp. 12 et suivantes.

19 De même, sur la base de l’article 123 de la Constitution, reprise par l’article 21 de la loi organique sur la Cour

constitutionnelle: « Les règlements intérieurs et les modifications aux règlements adoptés par l’Assemblée Nationale, la Haute autorité

de l’audiovisuel et la communication et par le Conseil Economique et social sont, avant leur mise en application, soumis à la Cour

constitutionnelle par le Président de chacun des organes concernés ».

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Dans l’espèce ayant donné lieu à la décision DCC 13-016 du 14 février 2013, la Cour constitutionnelle l’a rappelé une nouvelle fois. L’avocat de la partie au procès ordinaire devant le Juge de la Chambre des Criées du Tribunal de Première Instance de Deuxième Classe d’Abomey-Calavi invoquait « l’exception d’inconstitutionnalité au motif que « le rejet de sa demande de remise de l’adjudication pour causes graves et légitimes, fondée sur l’article 180 du Code des personnes et de la famille, et ce, en application de l’article 281 de l’Acte Uniforme de l’OHADA sur les voies d’exécution, constitue une violation des articles 1er et suivants de la Constitution du 11 décembre 1990 et que lesdites dispositions protègent la famille, la femme et l’enfant et leur assurent le logement familial ». La Cour a déclaré ce recours irrecevable.

Le moment de l’exception et son éventuel abus.

L’article 39 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle précise que l’exception « peut être soulevée à tout moment de la procédure devant la juridiction concernée ». Elle peut donc l’être en première instance comme en appel. Le système actuel n’empêche pas, par exemple, qu’une question préjudicielle d’inconstitutionnalité soit soulevée la première fois devant la Cour suprême ou lorsque le dossier est déjà mis en délibéré. Dans pareil cas, le juge ordinaire est obligé de rabattre son délibéré de ce motif.

On constate, malheureusement, qu’au lieu de jouer uniquement son rôle de protection des droits fondamentaux, « les conditions très libérales de l’exception d’inconstitutionnalité à la béninoise ont fait qu’elle est devenue, pour certains, ‘’un instrument privilégié de ralentissement des procédures, du dilatoire et par conséquent du non-respect du délai raisonnable.’’ » 20 . Le renvoi préjudiciel d’appréciation de constitutionnalité est parfois utilisé par les avocats béninois comme un moyen dilatoire dans un système dénué de tout filtrage dissuasif, ce qui explique plusieurs décisions de la Cour condamnant cette attitude des avocats 21 . Ceux-ci en effet n’hésitent pas à multiplier les incidents dès lors qu’ils constatent que la procédure risque de tourner à leur désavantage.

Une des décisions emblématiques de la Cour en l’espèce demeure la décision DCC 13-016 du 14 février 2013. L’avocat, Maître Igor Cécil E. SACRAMENTO, a soulevé à une première audience de la chambre des criées du tribunal le 14 septembre 2012, une exception d’inconstitutionnalité. La Cour, dans sa décision du 27 septembre 2012, a jugé que l’exception soulevée est irrecevable, a relevé le caractère dilatoire de son action et a dit qu’il a violé l’article 35 de la Constitution. A l’audience du 11 janvier 2013, alors que le juge avait déjà rejeté sa demande de remise de l’adjudication pour causes graves et légitimes qu’il a présentée et ordonné la poursuite de la procédure d’adjudication, Maître Igor Cécil E. SACRAMENTO soulève à nouveau une autre exception d’inconstitutionnalité par conclusions manuscrites en date du 11 janvier 2013 et fonde son action sur les mêmes moyens. Sa volonté de faire du dilatoire et de retarder le cours normal de la procédure est donc bien manifeste. La Cour a jugé que l’usage qu’il fait ainsi de l’exception d’inconstitutionnalité, au mépris de la précédente décision de la Cour, est abusif et mérite d’être sanctionné. Elle a donc dit qu’en se comportant ainsi, il a à nouveau violé l’article 35 de la Constitution aux termes duquel : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun.». Sur le fondement de l’article 114 de la Constitution qui fait d’elle l’organe régulateur du fonctionnement des institutions, la Cour a dit et jugé que, dans ce dossier, le juge saisi devra rejeter toute exception d’inconstitutionnalité soulevée sur le même fondement et poursuivre la procédure.

20 I. SALAMI, « Le traitement discriminatoire des délits de mariage devant les cours constitutionnelles béninoise et

congolaise », in, « www.la-constitution-en-afrique.org ». , p. 12.

21I. SALAMI, « Les obstacles institutionnels aux droits de la défense », Revue Droit et Lois, n ° 16, Juillet-août-septembre

2008, p. 34.

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(Ci-dessous de larges extraits de la décision de la Cour) :

« Considérant qu’à l’analyse des éléments du dossier, il apparait clairement que Maître Igor Cécil E. SACRAMENTO, pris en sa qualité d’auxiliaire de justice, participant au service public de la Justice, a manifestement voulu faire du dilatoire lorsqu’il invoque à nouveau une exception d’inconstitutionnalité dans cette circonstance et à cette étape de la procédure ; qu’en effet, à l’audience du 14 septembre 2012, il avait invoqué l’exception d’inconstitutionnalité devant le Juge de la Chambre des Criées du Tribunal de Première Instance de Deuxième Classe d’Abomey-Calavi motif pris de ce que d’une part, le Tribunal « viole les dispositions de la Constitution qui consacrent et protègent la famille, la femme et l’enfant », d’autre part, « l’article 181 de l’Acte Uniforme, sur le fondement duquel la demande de remise de l’adjudication est déclarée irrecevable, est contraire à la Constitution » ; que la Haute Juridiction, dans sa Décision DCC 12-174 du 27 septembre 2012, a jugé que l’exception soulevée est irrecevable ; que de même, la précipitation dans laquelle il a rédigé ses « conclusions en exception d’inconstitutionnalité », document manuscrit, et déposé le jour même de l’audience au Secrétariat du Président du Tribunal, révélatrice de sa volonté de faire du dilatoire et d’empêcher le juge de rendre sa décision dans le délai préalablement fixé, a conduit la Cour à conclure qu’en se comportant ainsi, il a violé l’article 35 de la Constitution ; que la Juridiction saisie a poursuivi la procédure ;

Considérant que cependant, à l’audience du 11 janvier 2013, alors que le juge avait déjà, par Jugement ADD N°001/CRIEES, rejeté la demande de remise de l’adjudication pour causes graves et légitimes qu’il a présentée et ordonné la poursuite de la procédure d’adjudication, alors que la parole avait été déjà donnée au conseil de Banque Atlantique Bénin SA, avant l’huissier, pour présenter les formalités préalables accomplies en vue de l’adjudication et verser au dossier les pièces afférentes à l’accomplissement desdites formalités, Maître Igor Cécil E. SACRAMENTO, conseil de dame Afiwa Elikplim KLUDZA épouse Maurice ASSOGBA, soulève à nouveau une autre exception d’inconstitutionnalité par conclusions manuscrites en date du 11 janvier 2013 ; qu’il fonde son action sur les mêmes moyens ; que sa volonté de faire du dilatoire et de retarder le cours normal de la procédure est donc bien manifeste ; que l’usage qu’il fait ainsi de l’exception d’inconstitutionnalité, au mépris de la précédente décision de la Cour, est abusif et mérite d’être sanctionné ; qu’il y a dès lors lieu pour la Cour de dire et juger qu’en se comportant ainsi, il a à nouveau violé l’article 35 de la Constitution aux termes duquel : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun.» ; qu’en outre, sur le fondement de l’article 114 et en sa qualité d’organe régulateur du fonctionnement des institutions, la Cour dit et juge que, dans le présent dossier, le juge saisi devra rejeter toute exception d’inconstitutionnalité soulevée sur le même fondement et poursuivre la procédure ; ».

La dimension optionnelle de l’exception

L’article 122 de la Constitution dispose que : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité. La Cour a toujours rappelé cette dimension optionnelle et précisé que conformément à la formule alternative de cette disposition constitutionnelle, le requérant ne peut cumuler l’action directe, le recours en annulation et l’exception d’inconstitutionnalité. Cet article impose donc au requérant le choix entre l’action directe et la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité.

Par décision DCC 04-023 du 4 mars 2004, la Cour constitutionnelle a rappelé les textes fondant, d’une part, le recours direct, d’autre part, l’exception d’inconstitutionnalité avant de décider « que ces articles imposent donc au requérant le choix entre l’action directe et la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité ; que Monsieur Moïse SAGBOHAN, ayant recouru concurremment à la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité les 17 avril 2001 et 24 juillet 2002 et à celle de l’action directe le 20 octobre 2003, a méconnu les dispositions précitées ; que, dès lors, la procédure d’exception d’inconstitutionnalité engagée doit être déclarée irrecevable ».

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Dans sa décision DCC 05-117 du 20 septembre 2005, la Cour confirme que « les requérants ont le choix entre l’action directe et l’exception d’inconstitutionnalité ; qu’en l’espèce, ayant usé concurremment des deux voies, il échet de dire et juger que l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par les requérants est irrecevable ».

La cour reprend inlassablement le même argument chaque fois que la situation se présente, comme ce fut encore le cas dans la décision DCC 06-076 du 27 juillet 2006 dans laquelle elle décide qu’ « en recourant concurremment à l’action directe le 09 août 2004 et à l’exception d’inconstitutionnalité le 09 novembre 2005, les requérants ont méconnu les dispositions de l’article 122 de la Constitution ; qu’il en résulte que l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par les requérants doit être déclarée irrecevable ».

Le caractère optionnel de l’exception d’inconstitutionnalité est donc de jurisprudence constante. La partie doit choisir le type de recours qu’elle préfère face à une situation précise devant le juge ordinaire.

Qu’en est-il pour ce juge ? A-t-il aussi le choix de faire de l’exception soulevée par la partie ce que bon lui semble ?

Le juge ordinaire

Une fois que le particulier a invoqué l’inconstitutionnalité d’une loi que le juge ordinaire s’apprête à lui appliquer, ce dernier est tenu de surseoir à statuer, et de saisir le juge constitutionnel, dans les huit jours qui suivent l’invocation de l’inconstitutionnalité22. Il n’y a aucune espèce de pouvoir d’appréciation conférée au juge a quo, qui de ce fait, n’est pas partie au procès de constitutionnalité, mais un simple agent de transmission d’une question soulevée devant lui par les parties au procès ordinaire. La juridiction devant laquelle la question préjudicielle d’inconstitutionnalité est soulevée ne dispose d’aucune espèce de droit de regard sur sa pertinence ou son opportunité.

Une décision de justice méconnaissant cette règle est annulable par la Cour constitutionnelle, comme ce fut le cas dans la décision DCC 96-009 du 23 janvier 1996. La Cour avait considéré en l’espèce que, par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité, le constituant a entendu, non seulement, « protéger les droits de la défense », mais aussi, « consolider l’Etat de droit instauré par la Constitution du 11 décembre 1990 ». Par conséquent, toute décision de justice qui ne se conforme pas aux exigences de cette procédure, notamment, qui refuse de transmettre la question au juge constitutionnel, doit être déclarée contraire à la Constitution. Si le juge a quo ne respecte pas le délai de transmission de huit jours, son comportement est déclaré contraire à la Constitution, sans qu’il soit tenu compte de sa prétendue ignorance du caractère urgent d’une procédure ou d’un quelconque surcroît de travail23. En l’espèce, une question préjudicielle posée le 17 avril 2001 devant la Cour d’appel de Cotonou n’a jamais été transmise. Il a fallu que le requérant pose la question une deuxième fois le 24 juillet 2002 avant que la Cour d’appel ne se décide à la transmettre le 07 août 2003.

Cela étant, la partie au procès a quo ne peut pas non plus saisir directement la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle ou exception d’inconstitutionnalité. Il s’agit d’une procédure de juge à juge 24 . Seul le juge ordinaire saisi de l’exception d’inconstitutionnalité a le pouvoir de saisir la Cour constitutionnelle sur ce point, sauf si, évidemment, la saisine de la Cour constitutionnelle se fait dans le cadre d’un recours contre un juge ordinaire qui a refusé de transmettre l’exception. Dans ce cas, ce recours n’est pas une exception d’inconstitutionnalité, mais un recours contre le comportement du juge. (Cf. ici encore, DCC 96-009 du 23 janvier 1996.).

22 Article 24, alinéa 3, de la loi organique sur la Cour constitutionnelle.

23 DCC 04-023 du 4 mars 2004.

24 Décisions DCC 97-042 des 6 décembre 1996 et 12 août 1997, DCC 01-030 du 17/05/01 et DCC 07-151 du

22/11/07.

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Dans tous les cas, c’est à la Cour constitutionnelle qu’il revient de traiter cette exception et de lui donner une réponse.

L’exception devant la Cour constitutionnelle

Les procédures internes suivies pour l’exception d’inconstitutionnalité sont quasiment les mêmes que celles en cours pour les autres recours (A). La décision, une fois rendue, produira certains effets (B).

Procédures internes

Le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle fixe le circuit décisionnel, notamment en ses articles 27, 28 et 29 qui disposent respectivement :

« La Cour constitutionnelle est saisie par une requête. Celle-ci est déposée au Secrétariat Général qui l’enregistre suivant la date d’arrivée. » ;

« La procédure devant la Cour constitutionnelle est écrite, gratuite et secrète. Elle est contradictoire selon la nature de la requête. » ;

« Le dossier de la procédure est affecté à un Rapporteur désigné par le Président.

Le Rapporteur procède à l’instruction de l’affaire en vue d’un rapport écrit à soumettre à la Cour.

Il entend, le cas échéant, les parties ; il peut également entendre toute personne dont l’audition lui paraît opportune ou solliciter par écrit des avis qu’il juge nécessaires.

Il fixe aux parties des délais pour produire leurs moyens et ordonne au besoin des enquêtes. Le rapport analyse les moyens soulevés et énonce les points à trancher. Il est déposé au Secrétariat Général qui le communique sans délai aux membres de la Cour. Il est lu à l’audience par le Rapporteur. » .

Le circuit interne de traitement d’un recours dès son enregistrement à la Cour se présente comme suit :

Saisine enregistrée au secrétariat général

Saisine envoyée au président

Dossier affecté en même temps à un conseiller- rapporteur et au directeur des études juridiques et de la gestion des recours

Le directeur des études juridiques affecte le dossier à un assistant juridique.

L’assistant juridique a une séance d’échanges avec le Conseiller pour valider les recherches et la démarche.

L’assistant juridique initie les mesures d’instruction à la signature du président (pour les présidents d’institutions constitutionnelles) ou du secrétaire général (pour les ministres et tous les autres destinataires).

Le secrétaire général réceptionne la réponse à la mesure d’instruction ou, si nécessaire, en relation avec le conseiller-rapporteur, ordonne ou effectue une audition du mis en cause, ou, encore, ordonne ou effectue un transport judiciaire

Le conseiller –rapporteur rédige le rapport et le projet de décision avec l’appui d’un assistant juridique et les dépose au Secrétariat général

Le secrétaire général ordonne la multiplication des rapports et projets de décision accompagnés de toutes les pièces du dossier (lettre de saisine, lettres de mesures d’instruction et lettres de réponses auxdites mesures, toutes autres pièces accompagnant la saisine ou les réponses aux mesures d’instruction, rapports d’audition ou de transport judiciaire…)

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Les différents dossiers ainsi constitués sont distribués au fur et à mesure à tous les conseillers ainsi qu’au secrétaire général et à ses adjoints.

Le secrétaire général, en concertation avec le président, élabore le rôle et convoque, au nom du président, l’audience.

Dans le cas de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant le juge ordinaire, le dossier de la procédure comportant essentiellement les conclusions de l’avocat et le jugement avant dire droit signé du juge est transmis à la Cour soit par le président de la juridiction soit par le greffier. C’est ce dossier enregistré au secrétariat de la Cour qui vaut saisine et suit le circuit de traitement ci-dessus indiqué.

La décision et sa suite

La rédaction de la décision relative à une exception d’inconstitutionnalité, comme toute décision rendue par la Cour, mutatis mutandi, se présente comme suit :

Chapeau (Précisions sur la saisine à savoir auteur, date et objet de la requête)

Visa (énoncé des différents textes applicables)

Considérant sur la recevabilité

Contenu du recours (grief articulé contre une ou plusieurs dispositions de la loi qui va être appliquée au procès)

Analyse du recours

Dispositif

Article 1 : conclusion sur un problème de recevabilité (si cela se pose)

Article 2 : conclusion sur le point litigieux

Article 3 : précisions sur les destinataires de la décision à titre de notification et ordre de publication au Journal officiel.

Le juge constitutionnel dispose d’un délai de trente jours pour répondre à la question transmise par le juge ordinaire. Une fois la réponse reçue, le juge ordinaire pourrait donc reprendre le cours du procès ordinaire et utiliser ou rejeter le texte litigieux selon ce que la Cour constitutionnelle aurait décidé.

L’une des particularités de l’exception d’inconstitutionnalité au Bénin est que, si le constat d’inconstitutionnalité est fait par la Cour constitutionnelle, le texte est anéanti, non seulement pour l’espèce ayant conduit à la décision d’inconstitutionnalité, mais également pour toute autre espèce où il aurait pu être invoqué. L’effet du constat d’inconstitutionnalité est le même, en matière de recours direct en annulation, comme en matière d’exception d’inconstitutionnalité : La Constitution dispose en effet, sans distinction de procédure, en son article 123 alinéa 1er que « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application ».25 Et l’article 40 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle, qui fait suite à l’article 39 du même texte qui évoque « l’exception d’inconstitutionnalité », précise : « Dans le cas où la Cour constitutionnelle déclare contraire à la Constitution le texte attaqué, celui-ci cesse de produire ses effets à compter du prononcé de la décision ».

A l’heure du bilan, après un quart de siècle et près de deux cents décisions rendues en la matière, on pourrait relever que la fonction de protection des droits fondamentaux a été remplie par l’exception d’inconstitutionnalité. Une des nombreuses décisions de la Cour nous autorise à l’affirmer, c’est la décision DCC 09-081 du 30 juillet 2009 dans laquelle, la Cour constitutionnelle a réaffirmé l’égalité en droit de l’homme et de la femme telle que prévue par l’article 26 de la Constitution. En effet, saisie par un jugement avant-dire-droit

25 Article 123, alinéa 1 de la Constitution.

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du 15 mai 2009, de l’exception d’inconstitutionnalité évoquée devant la première chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Cotonou par Madame Nelly HOUSSOU et Monsieur Akambi Kamarou AKALA, assistés de Maître Reine ALAPINI GANSOU substituée par Maître Ibrahim SALAMI et Maître Magloire YANSUNU, la Cour a pu décider « qu’il résulte de la lecture des articles 336 à 339 du Code pénal que le législateur a instauré une disparité de traitement entre l’homme et la femme en ce qui concerne les éléments constitutifs du délit ; que dans le cas d’espèce, alors que l’adultère du mari ne peut être sanctionné que lorsqu’il est commis au domicile conjugal, celui de la femme est sanctionné quel que soit le lieu de commission de l’acte ; que l’incrimination ou la non incrimination de l’adultère ne sont pas contraires à la Constitution, mais que toute différence de traitement de l’adultère entre l’homme et la femme est contraire aux articles 26 de la Constitution, 2 et 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; qu’en conséquence, les articles 336 à 339 du Code Pénal sont contraires à la Constitution ; ».

Les points à corriger dans la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité restent cependant, entre autres, la volonté de certains avocats de détourner la procédure en la transformant en instrument du dilatoire, ou encore, la résistance de certains magistrats dont l’envie d’apprécier les conditions de recevabilité et la pertinence de l’exception d’inconstitutionnalité à la place du juge constitutionnel est élevée.

A cet égard, tout en continuant à sanctionner ces comportements, la Cour constitutionnelle a entrepris de mener une ‘’vaste campagne de sensibilisation’’ des acteurs de la justice sur les contours et utilités de l’exception d’inconstitutionnalité. Par exemple, un séminaire sur cette matière est prévu à la mi-décembre 2017 en direction des magistrats et avocats pour permettre de garder à cette procédure tout son rôle protecteur des droits fondamentaux.

Alger, capitale mondiale de la justice constitutionnelle en 2020

(Vue du Jardin d’Essais)

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Intervention de

Astrides R. Lima Juge-Conseiller du Tribunal constitutionnel

Et Ancien Président de L’Assemblée Nationale du Cap-Vert

Sur le thème :

« Cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié

à l’exception de l’inconstitutionnalité au Cap Vert »

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1. Incorporation de la Justice Constitutionnelle Cap-Verdienne

Le système de contrôle de la constitutionnalité des normes du Cap-Vert s´est résulté du croisement de deux grandes traditions : celle de la législation judiciaire américaine (Judicial Review of legislation) ou du contrôle diffus, délivrée à tous les tribunaux, et du modèle autrichien-germanique de contrôle concentré. Comme dans le système américain, au Cap-Vert, tous les tribunaux peuvent apprécier la constitutionnalité des normes. En ce sens, l'article 280, paragraphe 2, de la Constitution Cap-Verdienne postule que, dans les jugements, « les tribunaux ne peuvent appliquer des règles contraires à la Constitution ou aux principes qui y sont énoncés ». Ainsi, les juges de tous les tribunaux ont l´accès direct à la Constitution. Contrairement au système américain de la législation judiciaire (Judicial Review of legislation), la décision prise n'a aucune valeur juridique du précédent judiciaire, typique des systèmes Commonlaw, dans lequel le précédent judiciaire est une source de droit, comme vous le savez. Le Tribunal Constitutionnel du Cap-Vert est essentiellement de cassation, car il abroge et envoie les décisions d'abrogation en ce qui concerne l'appel, il n'est pas possible de juger du bien-fondé de la question principale.

Dans le système autrichien-germanique, il est possible pour le citoyen de faire appel même pour les décisions des organes supérieurs de justice. Cependant, si, par exemple, le système allemand, habituellement appelé système européen, prévoit le renvoi nocif, le système cap-verdien prévoit le système de recours aux entités ayant une légitimité dans le processus : Essentiellement les parties dans le processus et le Ministère Public. Ainsi, dans le système allemand de contrôle concret de la constitutionnalité, les tribunaux communs peuvent connaître la constitutionnalité, mais n'ont pas la compétence pour statuer sur une question de constitutionnalité qu'ils jugent, étant les juges obligés, par du renvoi nocif, en soumettant la question (Richtervorlage)26 à la Cour constitutionnelle fédérale, qui décidera. Cette solution de la re-soumission nocive prévue à l'article 100 de la Grundgesetz (Constitution) allemande, selon la doctrine germanique majoritaire, a deux objectifs essentiels : premièrement, éviter que chacun se mette au-dessus de la législature fédérale ou d'État, car elle n'applique pas les lois adoptées par le législateur, et d'autre part, pour concentrer la décision contraignante sur la validité générale des préceptes légaux dans un tribunal unique. Cette concentration est importante, car elle empêche les décisions divergentes des tribunaux27, l'incertitude juridique qui pourrait résulter de disharmonies de jugements, et de la division du droit (Rechtszersplitterung). Déjà au Cap-Vert, tous les juges de tous les tribunaux peuvent non seulement savoir, mais aussi se prononcer sur les questions de constitutionnalité. Si le juge comprend qu'une norme en cause est en contradiction avec la Constitution, il doit refuser son application, si, au contraire, il a appliqué une norme dans la résolution d'un sujet à un procès, ce qui signifie qu'il ne l'a pas considérée comme inconstitutionnelle, même si elle a suscité des doutes sur le processus.

S'il est vrai que les juges des tribunaux communs peuvent décider de la constitutionnalité des normes, il n'est pas moins vrai que les parties au processus et le Ministère Public dans certaines circonstances déterminées ont la possibilité de recourir à la Cour constitutionnelle.

La Justice Constitutionnelle et les Droits Fondamentaux

Au Cap-Vert il a été établi un modèle de justice constitutionnelle avec une Cour constitutionnelle composée de trois membres, séparés de la juridiction commune.

26 Cfr. Klaus Schlaich: Procédures et techniques de protection des droits fondamentaux, in Louis Favoreu (Org.)

Cours Constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Paris 1987, p. 122.

27 Klaus Schlaich: Das Bundesverfassungsgericht.Stellung, Verfahren, Entscheidungen, 3ª edição, Munique, 1994,

p. 89.

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Ce Tribunal spécial, qui a commencé à travailler en 201528, a amplement compétence, notamment en matière de contrôle de la constitutionnalité et de la légalité et de l'appel de protection (article 215 de la Constitution et articles 11 à 18 de la loi n°56/VI/2005, du 28 février).

Soit par le contrôle de la constitutionnalité au moyen d'une surveillance concrète et accessoire, soit par l'appel constitutionnel de protection, les individus peuvent avoir accès à la Cour constitutionnelle pour défendre leurs droits fondamentaux.

Bases constitutionnelles et juridiques relatives à l'accès des personnes à la Justice Constitutionnelle

La Constitution Cap-Verdienne stipule à l'article 22 que sont garantis le droit d'accès à la justice et d'obtenir dans un délai raisonnable, et par des procédures équitables, la tutelle de ses droits ou intérêts légalement protégés. Cela signifie non seulement l'accès à la justice commune, mais aussi à la justice constitutionnelle. Il existe essentiellement deux modalités d'accès des individus à la justice constitutionnelle pour la défense de leurs droits et intérêts légalement protégés.

Le premier et le plus commun est la voie de la surveillance concrète de la constitutionnalité des normes ou des résolutions de contenu normatif ou individuel et concret qui met en cause ses droits, libertés et garanties du citoyen. Cette voie est régie par les articles 281 et 282 et la suite de la Constitution, en liaison avec les articles constitution 75 à 95 de la loi n°56/VI/2005, de 28 février, instituant la compétence, l'organisation et le fonctionnement du Tribunal constitutionnel. La loi précitée prévoit, dans son article 75, que les procédures pour le Tribunal Constitutionnel en matière de contrôle concret appliquent alternativement les règles du code de procédure civile relatives au recours d'appels, dans tout ce qui n'est pas réglementé dans la loi susmentionnée n°56/VI /2005, de 28 février (Articles 601 à 633 du CPC). Dans la pratique, dans divers processus de contrôle de la constitutionnalité concrète des normes, les appelants ont allégué non seulement l'inconstitutionnalité constitutionnelle et formelle, mais aussi le matériel d'inconstitutionnalité, y compris la violation des droits fondamentaux du citoyen comme le droit de la défense, ou le principe de la présomption d'innocence.29

La protection des droits fondamentaux contre certains actes de violeurs de pouvoir public des garanties constitutionnelles du citoyen, y compris les décisions judiciaires, est principalement à travers un recours juridique spécifique, l'appel de la protection constitutionnelle30. Ce recours, qui permet un accès direct à la Cour constitutionnelle,

Après l'épuisement de la voie judiciaire commune, il est prévu à l'article 20 de la Constitution et dans une loi spécifique la loi n°109/IV/94, du 24 octobre, régissant l'appel de protection et l'habeas data. L'introduction de la fonction de protection fondée sur le cap-verdien a eu lieu en 1992 et a été un renforcement clair des possibilités du citoyen de défendre ses droits fondamentaux, même contre les décisions du juge ordinaire. Telle possibilité rend le juge constitutionnel véritablement un «juge des juges», car le citoyen peut directement attaquer la décision du juge de met en cause son droit fondamental. Ce n'est pas par hasard que l'institution de recours de protection est considérée par de

28 Jusqu’à 2015 la compétence constitutionnelle a été exercée par la Cour suprême de justice, en tant que Cour

constitutionnelle.

29 CFR. Jugement de la STJ, tandis que TC, nº 9/2009; Arrêt du TC numéro 8/2017

30 CFR. Sur le Cap-Vert et le Bénin, qui a une caractéristique similaire, Markus Böckenförde, Babacar Kante,

Yuhniwo Ngenge, h. Kwasi Prempeh: Les juridictions constitutionnelles en Afrique de l'Ouest. Analyse comparée,

Stockholm, 2016, p. 122.

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nombreux auteurs comme le couronnement de l'état de droit constitutionnel 31 , en permettant le contrôle efficace d’une large panoplie d'actes juridiques-publics, y compris les décisions du pouvoir judiciaire.

L'expérience récente de la Cour constitutionnelle indique qu'une bonne partie des recours de protection interposées par les citoyens du Cap-Vert a été fondée sur des violations alléguées des droits dits fondamentaux de procédure, tels que la présomption de L'innocence, le droit de défense, ou le droit d'exercer le contradictoire. Il a également été récemment invoqué le droit de reconnaître l'Union en fait, non prévue dans la Constitution, mais dans le code civil, ce qui équivaut à l'Union en fait au mariage32.

La Fiscalisation successive concrète de la constitutionnalité

4.1. Concept

La surveillance successive de la constitutionnalité est, comme on le sait, un Institut juridique qui traduit la validité des actes normatifs, susceptibles d'être exercés par un tribunal, lorsque les mêmes actes s'appliquent à un cas singulier qui est jugé par lui dans un processus judiciaire commun.

4.2. Bases constitutionnelles

Conformément à l'article 281, paragraphe 1, de la Constitution, il est interjeté appel devant la Cour constitutionnelle des décisions des tribunaux qui:

ils refusent, pour des raisons d'inconstitutionnalité, l'application d'une norme ou d'une résolution de contenu normatif ou individuel et concret;

b Ils appliquent des normes ou résolutions de contenus normatifs ou individuels et concrets dont l'inconstitutionnalité a été soulevée dans le processus;

Ils appliquent des normes ou des résolutions de contenu ou de matériel normatif individuel et concret qui ont déjà été jugés inconstitutionnels par la Cour constitutionnelle.

En application du paragraphe 2 du même article, il s'agit également d'un recours devant la Cour Constitutionnelle des décisions qui:

Ils appliquent des résolutions de contenu matériel normatif ou individuel et concret qui ont été jugées illégales par le TC ou dont l'illégalité a été soulevée dans le processus ;

Ils refusent d'appliquer des résolutions de contenu réglementaires ou individuelles et concrètes pour des raisons de l´illégalité.

31 En ce sens, le constitutionaliste Jorge Kings Novais, après avoir examiné les lacunes du système portugais de

contrôle concret de la constitutionnalité, affirme ce qui suit: «c'est précisément cet ensemble de déficits de

protection constitutionnelle que le recours de Protection -avec cette désignation ou d'autres, comme la plainte

constitutionnelle-cherche à répondre, en appliquant précisément dans ce sens la clé du couronnement de la

construction de l'état de droit .... Dans la mesure où il résulte, dans la mesure du possible, de garantir à l'individu

ladite protection judiciaire sans lacunes «Violations de leurs droits fondamentaux». CFR. Jorge Reis Novais: Droits

fondamentaux et justice constitutionnelle, Lisbonne, 2017, p. 184.

32 CFR. Les décisions nᵒs 5/2016, 10/2016 et 11/2016, toutes dans le Recueil des arrêts de la Cour

constitutionnelle du Cap-Vert, vol. I, Beach, 2016, pp. 279, 309 et 321. et aussi les décisions nᵒs 19/2016,

25/2016, 27/2016, Tous dans la compilation des arrêts de la Cour constitutionnelle du Cap-Vert, vol. II, Beach,

2017, pp. 85, 101e 125

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4.3. Hypothèses subjectives

4.3.1. Organe compétent

Quelles sont les hypothèses subjectives de l'appel incident ?

Depuis lors, la Constitution prévoit que la Cour constitutionnelle est l'organe fonctionnel compétent pour statuer sur la question de l'inconstitutionnalité et de la sienne seulement, parce que la question principale est toujours en charge du Tribunal a quo.

4.3.2. Légitimité active

En vertu de l'article 282, paragraphe 2, de la Constitution, ils peuvent recourir à l´appel devant la Cour constitutionnelle, le ministère public et les personnes qui, conformément à la législation du processus de contrôle de la constitutionnalité, ont le droit d’introduire un recours

Ainsi, les personnes qui, selon la loi réglementaire du processus dans lequel la décision est donnée, ont la légitimité de l'appel ont une légitimité active. Dans ce cas, les parties principales dans le processus sont : l'auteur ou l´accusé. Il y a aussi la possibilité d'intervention dans le processus des parties auxiliaires, il s'agit d'un tiers qui intervient aux côtés de l´accusé pour l'aider à la défense ou ceux qui interviennent en tant qu'assistants dans une cause pendante entre deux ou plusieurs sujets, à condition qu'ils aient un intérêt juridique dans lequel la décision est favorable à la partie qu'ils cherchent à aider. En général, ces parties n'ont pas la légitimité pour faire appel, puisque leur position est subordonnée à celle de la partie principale.

Il est également permis la possibilité d'une intervention dans le processus de tiers directement et effectivement lésé par la décision33.

4.4. Hypothèses objectives

Parmi les hypothèses objectives de l'appel figurent : le paramètre de contrôle, l'objet, l'épuisement des recours, l'utilité procédurale du recours, le délai et le contour de l'appel.

4.4.1. Paramètres de contrôle

Le paramètre de contrôle concret de la constitutionnalité est évidemment la Constitution et le paramètre de contrôle de la légalité sont les lois à valeur renforcée : les lois des bases, les lois qui définissent un régime général ou les lois d'autorisation législative.

Une supervision concrète vise à assurer la constitutionnalité des règles et la légalité des actes législatifs face à des lois renforcées.

4.4.2. Objet

Le sujet du contrôle a déjà été mentionné ci-dessus. Nous rappelons ici seulement qu'il s'agit d'un cas de décisions positives d'inconstitutionnalité, de décisions négatives d'inconstitutionnalité, de décisions positives et négatives d'illégalité.

4.4.3. Épuisement des voies de recours

Le recours de contrôle concret successif dépend de l'épuisement des voies de recours établies dans la loi de l'affaire dans laquelle la décision a été rendue. Les appels ordinaires au Cap-Vert sont des recours d´appellation et celle de la revue. En vertu de la loi de la Cour constitutionnelle, les plaintes sont les présidents des juridictions supérieures en cas de non-

33 Des cas par exemple d'un témoin ou d'un expert condamné à payer des amendes.

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admission ou de refus d'appel, ainsi que les réclamations concernant les décrets des rapporteurs de la conférence (article 77 (3) de la loi 56 / VI / 2005).

On considère qu'il y a épuisement des recours ordinaires, non seulement lorsqu'il n'y a pas de recours ordinaires disponibles, mais aussi dans les situations suivantes : a) lorsque l'appel a été levé; b) lorsque le délai d'introduction d'une action était si cela l'a amené; c) lorsque les actions intentées ne peuvent pas être suivies pour des raisons procédurales.

4.4.4. Utilité de la procédure pour intenter une action

Injonction nécessaire de la question de l'inconstitutionnalité ou de la légalité

Si la désapprobation d'une règle par le juge est fondée sur une raison qui n'a rien à voir avec la constitutionnalité ou la légalité, cela n'a pas de sens que le TC entende le recours. C'est parce que cela sera sans pertinence pour la procédure principale34. Si l'objet de l'appel est une règle que la décision judiciaire a appliquée ou a refusé d'appliquer à la suite d'un jugement de constitutionnalité, les conditions de la déficience qui justifient l'admission de l'appel doivent être remplies.

D'autre part, le demandeur doit avoir un intérêt à avoir recours.

Intérêt à faire appel

La loi exige que cet intérêt soit direct, personnel et actuel.

4.4.5. Les Délais

Le délai pour l'appel est de 10 jours en vertu de l'article 81 de la loi 56 / VI / 2005.

4.4.6. Contour du Recours

Le recours est limité à la question de l'inconstitutionnalité (article 78 de la loi n°56/ VI/2005) .Il peut seulement avoir pour fondement la non inconstitutionnalité de la norme jugée inconstitutionnelle dans la décision qui fait appel ou l'inconstitutionnalité de la norme qui n'a pas été jugée inconstitutionnelle. Dans ce type d'inspection, il n'est pas possible de faire appel des mérites du jugement lui-même, de même que l'inconstitutionnalité possible de décisions judiciaire en soit. Au contraire, on utilise le jugement que le tribunal a rendu d'une règle ou d'un ensemble de règles comme inconstitutionnel, avec le refus subséquent de les appliquer35.

Procédure d'appel

En vertu de l'article 82 de la loi 56 / VI / 2005 du 28 février (LTC), l'appel est formé au moyen d'une demande. Dans la demande doit indiquer la disposition juridique qui justifie l'appel, ainsi que la norme dont l'inconstitutionnalité ou l'illégalité se pose. Dans le cas d'un recours en vertu de l'article 77, paragraphe 1, points b), d) et e), une indication de norme ou principe constitutionnel ou légal que se considère violé, et l'indication de la partie procédurale dans laquelle le requérant a soulevé la question de l'inconstitutionnalité ou de l'illégalité (article 82 (2) de la LTC). Dans le cas de recours de décisions qui appliquent des résolutions de contenu matériel substantiel ou spécifique qui ont été jugées illégales par le TC ou que refusant d'appliquer un contenu substantiel normatif des résolutions ou individuelles et concrètes pour des motifs d'illégalité, doit indiquer la décision du TC qui a

34 En ce qui concerne la nature instrumentale de l'appel constitutionnel dans le réexamen concret, voir le

jugement 1/2002 de la Cour suprême de justice, en tant que Cour constitutionnelle.

35 En ce sens, pour le Portugal, qui a un cadre normatif identique, J.J. Gomes Canotilho et Vital Moreira:

Constitution de la République portugaise annotée, tome II, 4e édition, Coimbra, 2010, p. 945.

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jugé illégale la norme appliquée par la décision référée ou le rejet de la mise en œuvre de la résolution des motifs d'illégalité (3 de l'article 82 de la LTC).

La compétence du juge pour apprécier la recevabilité du recours appartient à la juridiction nationale (article 83 de la LTC) En cas d'absence de l'un des éléments prévus à l'article 82 de la LTC, le juge invite le requérant à remédier les omissions dans un délai de cinq jours, livrer un décret d’amélioration.

La loi prévoit le rejet du recours, notamment dans les cas suivants : a) lorsqu'il ne répond pas aux exigences de l'article 82 de la LTC ; b) lorsque le recours est manifestement non fondé.

Il convient de noter que la décision du tribunal nationale admettant l'appel ou déterminant son effet ne lie pas le TC et que les parties peuvent le contester dans leurs allégations.

De l'ordonnance rejetant la demande d'introduction de l'appel ou refusant sa monté est une plainte auprès du TC. Il incombe au TC de statuer sur la demande de l'ordonnance du tribunal qui rejette l'appel ou maintient son appel. La décision du TC ne peut être contestée et la décision de rejet de la cour d'appel est révoquée, elle résiste à la recevabilité de l'appel.

Rôle du Ministère Public - Appels obligatoires du Ministère Public et intervention à l'audience

Le ministère public joue un rôle important dans le contrôle concret de la constitutionnalité. D'une part, c'est un sujet à légitimité active, étant dans certaines situations tenu d'interjeter appel d'inconstitutionnalité, et d'autre part il intervient dans le processus de réclamation de l'ordre refusant l'admission de recours conformément à l'article 84, l'apposition d'un visa, ainsi que le recours en inconstitutionnalité de l'audience du tribunal en vertu de l'article 92 de la loi n°56/VI/2005, où il peut utiliser la parole pour un maximum de 15 minutes après la lecture du projet d'arrêt présenté par le rapporteur et l'intervention des procédures principal.

L'utilisation obligatoire des décisions de cas de poursuite ou des résolutions à mettre en œuvre les normes de matériel contenu normatif ou individuel et concret qui ont été précédemment jugées inconstitutionnelles par le TC, ainsi que les décisions d'application des résolutions de contenu matériel normatif ou individuel et concrètes qui ont été précédemment jugé illégal par le TC ou dont l'illégalité a été soulevée dans l'instance. Dans ces deux cas, le Ministère Public est, respectivement, un défenseur de la Constitution et du principe de légalité.

En vertu de l'article 76, paragraphe 4, de la loi n°56/VI/2005, le MP peut s'abstenir de faire appel dans les cas où la décision est cohérente avec les orientations jurisprudentielles établies par le TC de façon constante sur la question en cause.

Effets de la décision

En vertu du paragraphe 1 de l'article 284 de la Constitution et à l'article 93 de la loi n°56/VI/2005, une déclaration d'inconstitutionnalité dans les processus d'inspection concrets de constitutionnalité a force obligatoire générale (effet erga omnes), par exemple en Allemagne (Paragraphe 2 de l'article 31 de la loi de la Cour constitutionnelle fédérale Allemand - TCFA), et contrairement au Portugal, où il se prononce uniquement sur l'affaire d'inconstitutionnalité ou d'illégalité36. Au Portugal, certains auteurs, comme Carlos Blanco de Morais, ont préconisé une réforme du système de contrôle concret de la constitutionnalité dans lequel les effets des décisions judiciaires pourraient être tels qu'au Cap-Vert erga omnes et non inter partes comme ils le sont actuellement. Selon ce professeur illustre de Lisbonne, ce qui est exactement le plus radical dans la réforme

36 Cf. J.J. Gomes Canotilho et Vital Moreira, ob. cit. p. 955.

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proposée, «il est la manière la plus appropriée pour préserver l'inspection accidentelle, diffuse dans la base, comme l'exige notre tradition constitutionnelle, mais concentrée au sommet, avec le la sécurité juridique et l'économie procédurale dans le contrôle incident de la constitutionnalité »37.

Si le TC accorde l'appel, même si seulement partiellement, abaisser le procès, le tribunal appelé doit réformer la décision de conformité au jugement sur la question de l'inconstitutionnalité ou de l'illégalité.

Dans le cas où le jugement de constitutionnalité ou de légalité sur la norme d'application de la décision attaquée repose sur une certaine interprétation de la norme, il doit être appliqué avec l'interprétation donnée par le TC. La Cour ordonne au tribunal saisi de prendre une nouvelle décision avec le contenu qu'elle prescrit (3ème LTC).

Le recours de Protection

Pour des raisons de temps nous ne pouvons pas développer l'affaire concernant l'appel de protection. Nous ne dirons que quelques mots.

Aux termes de l'article 20 de la Constitution du Cap-Vert « chaque individu a le droit de demander à la Cour constitutionnelle par la protection, la protection de leurs droits, libertés et garanties constitutionnellement reconnus par la loi et conformément aux dispositions des paragraphes suivants :

Le recours de Protection ne peut être formé que contre les actes ou omissions de pouvoirs publics préjudiciables aux droits, libertés et garanties fondamentales, après épuisement de tous les moyens de recours ordinaires ;

Le recours de Protection, peut être demandé dans une simple requête, il est urgent et son traitement doit être basé sur le principe du résumé ».

La loi 109 / IV / 94 du 24 octobre, qui régit les données de protection et d'habeas, dans son article 2, précise que seulement la pratique ou l'omission d'actes ou d’être leur nature et la forme qu'ils sont, pratiquée par les entités spécifiques peuvent faire objet de recours.

Contrairement à des pays comme l'Allemagne ou le Mexique, qui a consacré la Verfassungsbeschwerde et protection même contre les lois, ne peut pas actuellement en vertu de la Loi sur la réglementation Protection, recourir au Cap-Vert directement contre les actes législatifs qui mettent en péril le droit fondamentalement 38 , bien que la Constitution le permette, puisqu'elle se réfère simplement à des recours contre des actes de pouvoir publique, y compris, par conséquent, les lois.

Au Cap-Vert, surtout après la mise en place du TC, il y a eu une avalanche de procédures d'appel, ce qui témoigne de son potentiel pour la défense des droits, libertés et garanties du citoyen.

37 Cf. Carlos Blanco de Morais: Carences des effets inter parties des décisions anticonstitutionnelles sur le

contrôle concret dans le système juridique portugais, en: Elival da Silva Ramos et Carlos Blanco de Morais: Les

perspectives de réforme de la justice constitutionnelle au Portugal et au Brésil, Coimbra, 2012, p. 60.

Un autre auteur, Jorge Reis Novais, le plus critique du système portugais, pour sa part, une réforme beaucoup

plus large qui implique l'introduction du système européen de décision préjudicielle pour la Cour

constitutionnelle et aussi l'application de la protection. Ch. Jorge Reis Novais: Système portugais de surveillance

de la constitutionnalité, évaluation critique. Lisbonne, 2017, p. 174.

38 Sur l'appel d'amparo au Cap-Vert et en Allemagne, cf. Aristides R. Lima: L'appel constitutionnel de l'amparo

allemand et l'appel de protection Cap-verdien: une analyse comparative, Praia, 2004. A propos de l'appel Amparo

Mexicano, cfr. Raúl Chávez Castillo: Commentaire d'Amparo Law, Mexique, 2004, p. 1.

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Conclusion

Nous avons vu, pour le cadre de la justice constitutionnelle du Cap-Vert, les possibilités ouvertes par la Constitution pour défendre les droits des individus à travers le contrôle incident et de la constitutionnalité des lois, concrètes hypothèses subjectives et les objectifs du recours constitutionnel, le rôle du ministère Public dans ce type de processus, le traitement de l'appel et les effets de la décision déclarant l'inconstitutionnalité. Comme le thème de la réunion était essentiellement celui de la voie d'exception, que d'autres préfèrent appeler incident, nous n'avons fait qu'une très brève mention de l'appel de protection comme moyen spécifique de défense des droits fondamentaux.

Alger, lieu de la tenue du V Congrès mondial sur la justice constitutionnelle en 2020

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Intervention de :

Mr. Mohamed Lamine Bangora Vice-Président de la Cour constitutionnelle de Guinée

Sur le thème :

« L’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité en Guinée »

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INTRODUCTION

La pratique de la justice constitutionnelle a été instituée en Guinée pour la première fois par la Constitution du 14 Mai 1982 qui prévoyait la mise en place d’un Conseil constitutionnel chargé de veiller à la régularité de l’élection du président de la République39. Mais en réalité, cette Haute juridiction n’a jamais fonctionné.

L’opérationnalité de la justice constitutionnelle ne sera effective qu’à partir de 1994 à l’issue de l’élection présidentielle de 1993 organisée dans le cadre de la Loi fondamentale de 1990 qui a institué une Cour suprême composée de trois (3) chambres40 dont la Chambre constitutionnelle et administrative compétente en matière constitutionnelle et électorale. Cette chambre a exercé les attributions constitutionnelles de 1993 à 2015.

La Constitution du 07 Mai 2010 a créé une Cour Constitutionnelle à laquelle elle a dévolu les attributions relatives notamment au contrôle de constitutionnalité des normes juridiques41. Celle-ci a effectivement démarré ses activités en 2015, et un de ses objectifs fondamentaux est de garantir la suprématie de la Constitution sur les autres normes de l’ordre juridique.

Conçue comme juridiction distincte, indépendante et unique, la Cour Constitutionnelle est garante du respect des droits et libertés fondamentaux.

Aux termes de la Constitution et subsidiairement de la Loi Organique L006/2011/CNT du 10 mars 2011 relative à la Cour constitutionnelle, celle-ci jouit, en matière constitutionnelle, de compétences étendues dont les deux (2) principales sont : le contrôle de constitutionnalité des normes par voie d’action et le contrôle de constitutionnalité des normes par voie d’exception (article 94 de la Constitution).

A ce titre, la Cour Constitutionnelle est saisie par des autorités et institutions habilitées limitativement énumérées42. Elle n’a pas le pouvoir d’auto saisine.

En l’état actuel du droit en Guinée, les particuliers ne peuvent accéder au prétoire du juge constitutionnel que par voie d’exception.

Le contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’exception est une technique de contrôle de constitutionnalité des lois par laquelle un particulier, à l’occasion d’un procès demande qu’une loi soit écartée en raison de son inconstitutionnalité. On dit qu’il soulève l’exception. Il s’agit d’une garantie juridique, est une fonction organisée de vérification de la conformité des lois à la Constitution. C’est un contrôle concret, a posteriori et centralisé. Concret, parce que le juge statue à l’occasion de l’application d’une loi à un particulier ; a posteriori, parce que le contrôle porte sur une loi déjà promulguée ; et centralisé, parce que le contrôle est exercé par une juridiction unique et spéciale.

L’exception d’inconstitutionnalité représente une garantie constitutionnelle pour le citoyen pour la sauvegarde de ses droits et libertés dans le contexte d’un procès.

L’exception d’inconstitutionnalité implique des textes de référence, des conditions de déclenchement, des techniques et procédures juridictionnelles par lesquelles le contrôle est exercé.

39 Article 47 de la Constitution du 14 Mai 1982

40 La Chambre Constitutionnelle et Administrative, la Chambre des Comptes et la Chambre Judiciaire

41 Article 93 de la Constitution.

42 Article 96 al.4 et 5 de la Constitution du 07 Mai 2010 et article 27 de la Loi organique L 006/2011/CNT du 10 Mars 2011

portant Organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.

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L’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité en Guinée pose le questionnement suivant : Quelles sont les conditions de l’exception d’inconstitutionnalité ? Qui sont les titulaires du droit de soulever l’exception d’inconstitutionnalité ? Quel est l’organe juridictionnel compétent ? Quelle est l’instance juridictionnelle de saisine et enfin, quelles sont les procédures d’examen devant la juridiction compétente et la portée de sa décision ?

Ceci nous amène à examiner les conditions, titulaires du droit de saisine et juridiction compétente en matière d’exception d’inconstitutionnalité en Guinée (I), la procédure et la portée de la décision en matière d’exception d’inconstitutionnalité (II).

I- CONDITIONS, TITULAIRES DU DROIT DE SAISINE ET JURIDICTION COMPETENTE EN MATIERE D’EXCEPTION D’INCONSTITUTIONNALITE EN GUINEE

Il s’agit d’examiner les conditions d’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité et de déterminer les titulaires de droit de soulever l’exception.

A- Conditions de l’exception d’inconstitutionnalité et titulaire du droit de saisine

Il y a à la fois des conditions de fond et de forme :

S’agissant des conditions de fond, l’exception d’inconstitutionnalité ne peut être soulevée que si deux (2) conditions cumulatives sont réunies.

En premier lieu, le contrôle ne peut être exercé que contre les lois à l’exclusion des règlements (article 27 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle).

En second lieu l’exception doit viser une norme applicable au procès de la validité de laquelle dépend l’issu du procès (article 96 al. 4 de la Constitution).

En ce qui concerne les conditions de forme de l’exercice du contrôle par voie d’exception, la Cour constitutionnelle est saisie sur renvoi de la juridiction devant laquelle l’exception a été soulevée.

En ce qui concerne les sujets de droit habilités à soulever l’exception d’inconstitutionnalité, l’article 96 al. 4 de la Constitution dispose que : « Tout plaideur peut soulever l’exception d’inconstitutionnalité ». Ainsi, sont en droit de soulever l’exception d’inconstitutionnalité, les parties en conflit devant les juridictions de l’ordre judiciaire ou leurs avocats ou le procureur lorsqu’il participe au procès. En conséquence, les parties ne peuvent pas saisir directement la Cour d’une exception d’inconstitutionnalité.

C'est ici le lieu de mentionner la problématique juridique que soulève l’article 96 al. 4 de la Constitution. En effet, en limitant l'exception d'inconstitutionnalité à la personne concernée par une affaire, le constituant guinéen semble écarter toute intervention volontaire des tiers à l’exception d’inconstitutionnalité.

Les titulaires du droit de soulever l’exception d’inconstitutionnalité étant identifiés, quel est l’organe compétent pour examiner l’exception d’inconstitutionnalité et quelle est l’instance habilitée pour saisir ledit organe ?

B- Juridiction compétente et instance de saisine

L’un des caractères du modèle guinéen de justice constitutionnelle à l’instar de la plupart des Etats africains, réside dans le fait qu’elle est confiée à une juridiction unique et spécialisée : la Cour Constitutionnelle.

Cette Haute juridiction spécialisée bénéficie du monopole du contrôle de constitutionnalité des lois et traités. Suivant l’article 94 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle statue sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant les

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juridictions. Le modèle guinéen de justice constitutionnelle est donc un contrôle concentré, et non diffus.

S’agissant de l’instance compétente pour saisir la Cour constitutionnelle aux fins d’examen de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée, l’article 96 al.5 de la Constitution dispose : « La juridiction saisie sursoit à statuer et renvoie l’exception devant la Cour Constitutionnelle dans les quinze (15) jours de sa saisine ». Il s’ensuit que c’est la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité est soulevée qui saisit la Cour Constitutionnelle.

Si la Cour Constitutionnelle relève dans la loi attaquée une violation de la Constitution qui n’a pas été invoquée, elle doit la soulever d’office (article 47 al. 3 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle).

Une fois saisie, la Cour Constitutionnelle examine le recours, tranche et renvoie la procédure devant la juridiction de fond.

II- PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COUR ET EFFETS DE LA DECISION

Il s’agit de l’examen de la procédure de solution de l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour Constitutionnelle et les effets des décisions prononcées par celle-ci.

A- La Procédure devant la Cour Constitutionnelle

L’appréciation de la conformité à la Constitution est faite sur le rapport d’un Conseiller de la Cour et la décision est prise par la Cour siégeant en séance plénière des membres (article 61 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle).

Les dispositions des articles 37 à 84 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle prescrivent des dispositions générales qui commandent le fonctionnement de la Cour en toutes matières.

A ce stade, il n’y a pas de texte règlementaire concernant la procédure en matière d’exception d’inconstitutionnalité.

Le délai pour statuer sur l’exception d’inconstitutionnalité ne peut pas dépasser quinze (15) jours. Toutefois, ce délai peut être réduit à huit (8) jours en cas d’urgence signalé par la juridiction de saisine (article 55 al. 2 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle).

S'il est donc utile de s'interroger sur les conditions d'accès au juge constitutionnel en Guinée, c'est parce qu'au–delà d'un simple exposé de techniques procédurales, on y mesure l'efficacité du contrôle exercé par la Cour Constitutionnelle.

B- Les effets des décisions de la Cour

L’article 99 de la Constitution dispose : « Les arrêts de la Cour Constitutionnelle sont sans recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale. », l’article 60 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle disposent : « Dans tous les cas de figure et conformément à l’article 99 de la Constitution, les décisions de la Cour constitutionnelle s’impose à tous et ne sont susceptibles d’aucun recours ».

Il est important de souligner que la Cour Constitutionnelle n’a pas de compétence de donner des interprétations contraignantes des lois, elle procède à des interprétations contraignantes de la Constitution (Article 62 al.1 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle). Toutefois, la Cour constitutionnelle peut interpréter le contenu d’une loi, lorsque cette dernière est attaquée en constitutionnalité devant elle. Une telle compétence intervient dans l’intérêt de la sauvegarde de la loi en vue

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de garantir aux juridictions nationales et aux organes de l’Etat une application conforme à la Constitution.

Conclusion :

Il ressort de ce qui précède que la Cour Constitutionnelle de Guinée bien que compétente en matière d’exception d’inconstitutionnalité demeure quelque peu paralysée par l’insuffisance du cadre législatif et réglementaire. Les dispositions constitutionnelles vagues, suscitent plus d’interrogations que de certitudes.

L’adoption d’un règlement de procédure en matière d’exception d’inconstitutionnalité permettra à coup sûr de relancer la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité et par ricochet, renforcer la protection des droits fondamentaux. Les relations avec les juridictions de l’ordre judiciaires en cas d’exception gagneront en hauteur et en précision.

Alger, capitale mondiale de la justice constitutionnelle en 2020

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Intervention de :

Mr. Malick DIOP

Vice-Président du Conseil constitutionnel du Sénégal

Sur le thème :

« Evaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, et les

recommandations qui en découlent »

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Introduction

Le contrôle de la constitutionnalité des actes juridiques est la manifestation et la sanction de la suprématie de la constitution dans la hiérarchie des actes juridiques.

Pour être effective, cette suprématie suppose l’existence de certaines techniques qui en constituent le support, la garantie.

Parmi ces techniques, il y a les procédures de contrôle, conçues comme un ensemble d’opérations par lequel on vérifie la conformité tant formelle que matérielle des normes inférieures par rapport à la constitution.

Au Sénégal, la justice constitutionnelle est rendue par le Conseil constitutionnel, juridiction spécialisée, exclusivement compétente pour apprécier la conformité des lois et des engagements internationaux à la Constitution.

La juridiction chargée de rendre la justice constitutionnelle a connu une certaine évolution.

En 1959, durant la brève période de la Fédération du Mali, le contrôle de constitutionnalité relevait de la Cour fédérale.

En 1960 la Constitution adoptée après l’éclatement de la Fédération du Mali avait institué au Sénégal, une Cour suprême organisée par l’ordonnance n° 60-17 du 3 septembre 1960.

L’article 62 de cette ordonnance disposait que : « La Cour suprême connaît notamment de la constitutionnalité des lois ainsi que des engagements internationaux.

C’est ce système qui sera maintenue jusqu’en 1992 avant d’être supprimée avec la grande réforme judiciaire intervenue le 30 mai 1992 et instituant trois juridictions au sommet de la hiérarchie : le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État.

Le Conseil constitutionnel reprendra les attributions jadis dévolues à la Cour suprême en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois.

Le contrôle de constitutionnalité s’exerce par voie d’action ou par voie d’exception.

Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi par voie d’action que par le président de la République dans les six jours francs qui suivent la transmission à lui faite de la loi définitivement adoptée ou par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, dans le délai sus indiqué.

La voie d’exception est le contrôle de la subordination de la loi déjà entrée en vigueur par rapport à la Constitution. Elle se distingue du contrôle par voie d’action qui dans sa conception classique est exercé avant l’entrée en vigueur de la loi, autrement dit avant sa promulgation.

Le contrôle par voie d’exception a été introduit dans le droit positif sénégalais en 1992 avec l’éclatement de l’ancienne Cour suprême en plusieurs juridictions parmi lesquelles le Conseil constitutionnel.

Le contrôle par voie d’exception présente un avantage certain du point de vue pratique dans la mesure où, il permet de mesurer le degré de protection les droits et libertés des citoyens. En effet, ce contrôle est un des moyens efficaces d’assurer cette protection puisqu’il fait bénéficier au citoyen de l’inapplication d’une loi jugée inconstitutionnelle.

Nous allons d’abord essayer d’évaluer la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité (I) avant de formuler des recommandations pour une meilleure mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité (II).

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1- L’évaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal

L’exception d’inconstitutionnalité est un moyen de contrôle de la Constitution accordé au citoyen qui, s’il estime que celle–ci est violée, par la loi, peut soulever ladite exception à l’occasion d’un procès devant une cour d’appel ou la Cour suprême.

Pour que le juge du fond sursoit à statuer et transmette au Conseil constitutionnel la question préjudicielle de l’inconstitutionnalité d’une loi, il faudrait au préalable que la solution qu’il devrait rendre au fond, passe nécessairement par l’appréciation de la conformité d’une loi par rapport à la constitution que seul le juge constitutionnel est habilité à faire.

Près de vingt-cinq ans après l’introduction de ce contrôle en 1992, force est de constater que la saisine du Conseil constitutionnel reste encore faible au plan quantitatif puisque sept (7) décisions seulement ont été rendues.

L’évaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité doit se faire au niveau de la juridiction suprême (Cour de Cassation/ Cour suprême) mais également au niveau des six cours d’appel que compte le Sénégal (Dakar, Thiès, Ziguinchor, Kaolack, Saint Louis et Tambacounda).

2- L’évaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au niveau de la juridiction suprême (Cour de Cassation/ Cour suprême)

Le faible taux de saisine du Conseil constitutionnel est tributaire entre autres de nombreux facteurs notés dans la mise en œuvre du contrôle.

Une analyse des décisions du Conseil constitutionnel sur l’exception d’inconstitutionnalité aboutit généralement à un seul constat, Il s’agit du faible taux de saisine du Conseil constitutionnel.

Il convient de rechercher les raisons de la faiblesse de la saisine avant de proposer des solutions.

- Peut-on envisager que nos lois sont bonnes, raison qui expliquerait que les citoyens ne les attaquent pas ?

Il serait illusoire de le penser ;

- la faiblesse du taux de saisine s’explique-t-elle par une ignorance de l’existence de cette procédure ou par un manque de confiance en la justice constitutionnelle ? Pas entièrement puisque l’exception ne peut être soulevée que devant une cour d’appel ou la Cour Suprême or, à ce niveau de la procédure, les avocats sont souvent présents et non seulement ils n’ignorent pas l’existence de cette procédure mais la suspicion envers la justice ne les retient pas ;

- ne faudrait-il pas envisager de prévoir la possibilité de soulever l’exception dès le Tribunal d’instance ou le tribunal de grande instance ?

Cette solution qui comporte certes des inconvénients, pourrait au moins avoir l’avantage d’accroitre les cas de saisine par voie d’exception.

L’exploitation des données statistiques révèle que les citoyens sénégalais ne se prévalent pas de l’exception d’inconstitutionnalité.

Entre 1992 et 1994, aucune exception n’a été soulevée devant l’ancienne Cour de Cassation.

De 1995 à 2001, soit six ans, le Conseil n’a examiné que 4 exceptions à lui transmises (par l’ancienne Cour de Cassation et par la Cour suprême).

Durant la période comprise entre 2002 et 2011, soit 9 ans, aucune exception n’a été soulevée.

Durant la période de 2012 à 2015, nous avons régulièrement une exception soulevée par année soit au total 4 cas examinés par le Conseil constitutionnel.

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Depuis 2016 le Conseil n’a pas été saisi par voie d’exception.

On peut constater que durant 20 ans c’est-à-dire de 1992 date de l’introduction de l’exception d’inconstitutionnalité à 2002, quatre décisions seulement ont été rendues par le Conseil constitutionnel.

De 2002 à 2017 soit 15 ans seules quatre décisions ont été rendues.

Devant un tel phénomène, certains analystes avaient estimé que la longueur des délais de jugement et l’ignorance des procédures de saisine de la juridiction constitutionnelle constituaient les véritables explications.

En effet, le traitement du dossier judicaire (tribunal d’instance, tribunal de grande instance, cour d’appel et Cour suprême) peut prendre quatre ou cinq années.

Ce fait pourrait-il expliquer que depuis 1992, huit décisions seulement ont été rendues en matière d’exception d’inconstitutionnalité. C’est pourquoi mon prédécesseur, l’ancien Vice-président du Conseil constitutionnel Isaac Yankhoba NDIAYE parlait de « sècheresse jurisprudentielle ».

Tout le contraire de la France et du Bénin.

Statistiques succinctes du Conseil constitutionnel sénégalais concernant l’exception d’inconstitutionnalité : trois en 1995, une en 2001, une en 2012, une en 2013, une en 2014 et une en 2015.

(Décision n°16/C/1995 du 13 février 1995 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Demba MBAYE, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre l’article 140 du Code de procédure pénal,

Décision n°17/C/1995 du 13 février1995 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Moussa OUATTARA et autres, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre les articles premier et 14 de la loi 76-67 du 2 juillet 1976 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique),

Décision n°18/C/1995 du 19 juin 1995 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Demba MBAYE, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre l’article 140 du Code de procédure pénal),

Décision n°1/C/2001 du 8 février 2001 du Conseil constitutionnel sénégalais (Exception d’inconstitutionnalité soulevée contre l’article 6 de l’Accorde de Siège conclu entre le Sénégal et la BCEAO)

, Décision n°2/C/2012 du 6 décembre 2012 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Ndiaga Soumaré Contre/Etat du Sénégal, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre l’article 8 du Statut des douanes)

, Décision n°2/C/2013 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Djiegdiame DIOP Contre/Etat du Sénégal, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre l’article 8 du Statut des douanes),

Décision n°1/C/2014 du 3 mars 2014 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Karim WADE c/ la CREI, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre les lois 81-53 relative à la répression de l’enrichissement illicite et 81-54 du 10 juillet 1981 relative à la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite)

Décision n°1/C/2015 du 22 Août 2015 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Hissen HABRE, exception d’inconstitutionnalité soulevée contre l’Accord du 22 août 2012 entre la République du Sénégal et l’Union africaine sur la création des Chambres africaines extraordinaires)

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3- L’évaluation de la mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au niveau des cours d’appel

Le droit sénégalais qui avait jusqu’ici consacré le monopole de la saisine par la Cour suprême vient de connaitre une décentralisation de la saisine vers les cours d’Appel avec la réforme constitutionnelle issue des consultations référendaires de 2016.

En effet, désormais le Conseil constitutionnel peut être saisi soit par la Cour suprême soit par une cour d’Appel.

Cette réforme avait suscité beaucoup d’espoir et certains avaient même pensé que le Conseil constitutionnel serait submergé de recours.

Cependant, force est de constater que plus d’un an après la réforme de 2016, aucune exception soulevée devant une cour d’appel n’a été traitée par le Conseil.

Il y a cependant à remarquer qu’une exception d’inconstitutionnalité a été soulevée devant la Chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dakar au mois de mai 2017 dans l’affaire Ministère Public et l’Agent Judiciaire de l’Etat c/ Khalifa Ababacar SALL et autres (inculpés d’association de malfaiteurs, complicité de faux et usage de faux en écritures de commerce, détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des deniers publics, faux et usage de faux dans des documents administratifs et blanchiment de capitaux ).elle a été rejetée par la chambre d’accusation.

Les conseils de Khalifa Ababacar SALL avaient fait valoir, dans leur requête aux fins d’annulation, que les poursuites avaient été initiées contre leur client sur la base des rapports de l’Inspection Générale d’Etat sur la gestion des fonds de la Ville de Dakar, rapport transmis aux enquêteurs par le Procureur de la République ;

Selon eux, l’Inspection Générale d’Etat, avait été saisie et est intervenue sur le fondement de l’article 6 alinéa 3 de la loi portant statut des Inspecteurs Généraux d’Etat alors que cette loi qui leur permet de contrôler la gestion des collectivités locales, est contraire à l’article 102 de la Constitution du Sénégal qui consacre le principe de la libre administration des collectivités locales.

Les juges de la Chambre d’accusation ont estimé qu’il n’y avait pas lieu à surseoir à statuer et à transmettre une quelconque question préjudicielle au conseil constitutionnel puisque la solution du litige dont elle était saisie ne dépendait pas de l’appréciation de la conformité ou non d’une disposition légale par rapport à la Constitution.

La Chambre d’accusation a précisé que la conformité ou non de l’article 5 de la loi n°2011-14 du 08 juillet 2011 portant statut des inspecteurs généraux d’état n’avait aucune incidence sur l’issue de la demande d’annulation du rapport querellée.

4- Les recommandations pour une bonne mis en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité

Pour une meilleure mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité au Sénégal, il faut d’une part envisager la création d’une instance juridictionnelle qui se chargerait de trancher le conflit entre la Cour suprême et le Conseil constitutionnel et d’autre part achever la réforme entamée en 2016 en autorisant tout citoyen à soulever cette exception devant les tribunaux d’instance et de grande instance.

5- La création d’une instance juridictionnelle qui se chargera de trancher le conflit entre la Cour suprême et le Conseil constitutionnel

Le juge de la cour suprême a souvent manifesté son désaccord avec le Conseil constitutionnel sur les exigences que ce dernier a fixées comme préalables à sa saisine.

En effet, en 1995 dans l’affaire Demba Mbaye, la Cour de Cassation avait saisi le Conseil constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité.

Le juge constitutionnel avait considéré dans sa décision, que le juge du fond ne s’était prononcé ni sur sa compétence, ni sur la recevabilité du recours porté devant lui ; que la

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saisine du Conseil constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité ne pouvait intervenir que lorsque le juge aura préalablement statué sur ces questions et en conséquence, une telle procédure, non purgée des fins de non-recevoir, ne pouvait être soumise à l’examen du Conseil constitutionnel. (Décision n°16/C/1995 du 13 février 1995 du Conseil constitutionnel sénégalais)

De son côté, la Cour de cassation avait considéré que ces exigences manquaient de base légale en ce qu’aucun texte ne l’obligeait à statuer sur ces préalables à la saisine du juge constitutionnel.

Ces deux positions avaient été réitérées aussi bien par la Cour de Cassation que par la Cour suprême dans les affaires Moussa OUATTARA et autres (Décision n°17/C/1995 du 13 février1995 du Conseil constitutionnel sénégalais) et Ndiaga Soumaré (Décision n°2/C/2012 du Conseil constitutionnel sénégalais (Affaire Ndiaga Soumaré Contre/Etat du Sénégal).

Dans la dernière affaire, la cour suprême avait estimé devoir se limiter « à la seule obligation de saisir le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité (...) et de surseoir à statuer jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel se prononce sur l’exception ».

Le Conseil constitutionnel dans sa décision avait considéré que le juge du fond ne s’était prononcé ni sur sa compétence, ni sur la recevabilité du recours porté devant lui et que la saisine du Conseil constitutionnel d’une exception d’inconstitutionnalité ne pouvait intervenir que lorsque le juge du fond aura préalablement statué sur ces questions et q’ en en conséquence, une telle procédure, non purgée des fins de non-recevoir, ne pouvait être soumise à l’examen du Conseil constitutionnel.

La Cour suprême estime qu’en lui retournant les procédures sur la base de ces exigences, le Conseil constitutionnel lui fait des « injonctions » alors qu’aucun texte ne lui reconnait ce pouvoir.

Pour répondre à la Cour suprême, le Conseil constitutionnel exclut le caractère injonctif de ses exigences et estime s’inscrire dans une dynamique constructive. Mais la difficulté est que le juge de la Cour suprême considère n’avoir failli à aucune règle.

Néanmoins, dans une autre affaire Djiegdiame DIOP Contre/Etat du Sénégal (Décision n°2/C/2013 du Conseil constitutionnel sénégalais), le juge de la Cour suprême s’était clairement prononcé sur sa compétence et sur la recevabilité de la requête avant toute saisine du Conseil constitutionnel. C’est pourquoi le juge constitutionnel s’est prononcé sur le bien-fondé de l’exception soulevée contre l’article 8 de la loi 69-34 du 30 octobre 1969 relative au statut du personnel de la Douane et le privant du droit syndical. Dans cette affaire, le juge constitutionnel avait estimé que ni la liberté syndicale, ni le droit de grève ne pouvaient avoir une portée absolue ; que le législateur est habilité à limiter ou interpréter leur exercice notamment en cas d’impérieuse nécessité et que le personnel des Douanes, corps paramilitaire, assure une mission de service public qui ne peut s’accommoder d’interruption volontaire de nature à mettre en péril le fonctionnement de l’Etat et que, l’intérêt général est à même de justifier l’interdiction par le législateur du droit syndical au personnel des Douanes .

Le juge constitutionnel a décidé que l’article 8 de la loi 69-34 du 30 octobre 1969 relative au statut du personnel de la Douane n’était pas contraire à la Constitution.

Les remarques du Conseil constitutionnel ont été prises en compte également dans l’affaire Hissen HABRE dans laquelle les conseils de ce dernier avaient soulevé l’inconstitutionnalité de l’Accord du 22 août 2012 entre la République du Sénégal et l’Union africaine sur la création des Chambres africaines extraordinaires. (Décision n°1/C/2015 du 22 Août 2015 du Conseil constitutionnel sénégalais)

A part quelques cas isolés, la Cour Suprême maintient sa position en considérant les exigences du Conseil constitutionnel comme une injonction et en l’absence de lien de subordination entre les deux juridictions et du fait de l’inexistence d’une instance juridictionnelle chargée de trancher de tels conflits , la difficulté demeure toujours et en conséquence, seule une réforme des textes pourrait permettre de la surmonter et d’améliorer en général l’exercice du contrôle par voie d’exception au Sénégal.

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6- Autoriser les citoyens à soulever l’exception d’inconstitutionnalité devant les tribunaux d’instance et de grande instance

Pour une meilleure protection des droits et libertés des citoyens, la saisine devrait être élargie.

A ce jour, l’exception d’inconstitutionnalité ne peut être soulevée ni devant les tribunaux d’instance ni devant ceux de grande instance. Alors, il faut attendre l’instance d’appel ou le pourvoi en cassation sauf pour les rares cas où la Cour suprême est directement compétente (exemples : le recours pour excès de pouvoir, le recours en annulation des actes des collectivités locales) pour soulever l’exception.

Pourtant, dans certains pays, il est possible de soulever l’exception d’inconstitutionnalité devant n’importe quelle juridiction c’est le cas du Bénin, Togo, Niger, Tchad entre autres.

Ainsi, nous pensons qu’au Sénégal, cette protection des droits et libertés, serait mieux élaborée si l’exception pouvait être soulevée devant les tribunaux d’instance et de grande instance.

Il est indiscutable que c’est devant ces juridictions que les citoyens ont plus tendance à défendre leurs droits et que les procès sont plus nombreux.

Toutefois, cette réforme pourrait comporter le risque d’assaillir le Conseil constitutionnel de recours fantaisistes et favoriserait les exceptions dilatoires dans les instances judiciaires. Sur ce point il est opportun avant toute réforme, de se référer d’abord à l’évaluation faite dans les pays qui ont opté de prévoir la possibilité de soulever l’exception d’inconstitutionnalité dès les tribunaux de base. /.

Alger, capitale mondiale de la justice constitutionnelle en 2020

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Intervention de:

Dr. Mohamed Wahbi Mukhtar Président de la Cour constitutionnelle du Soudan

Sur le thème :

« Le recours par voie d’exception dans le système

juridique Soudanais :

Le recours individuel devant la Cour constitutionnelle »

(Présentée en arabe)

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Introduction

La Cour constitutionnelle du Soudan a franchi plusieurs étapes qui ont eu un impact direct sur sa composition, ses compétences et sur les procédures de recours applicables devant elle.

La Cour constitutionnelle était, dans sa première étape, une section de la Cour suprême. Le recours (ou l’action) soulevé devant elle, obéissait aux procédures juridiques requises en matière d’action et de recours prévus dans le code de procédure civile. Les choses ont cependant changé avec l’avènement de la Constitution du Soudan de 1998 puis de la Constitution transitoire de 2005. Une Cour constitutionnelle indépendante et distincte du pouvoir judiciaire fut ainsi créée. La loi relative à la Cour constitutionnelle de 2005 définit les compétences et les pouvoirs de la Cour.

S’agissant du contrôle de constitutionnalité des lois, la Cour constitutionnelle a compétence exclusive pour se prononcer sur les recours en inconstitutionnalité des lois et des textes, soulevés directement devant elle par la présentation d’un recours constitutionnel. Le système juridique soudanais ne connait pas ce qui est appelé le recours par voie d’exception devant les différents degrés de juridictions ordinaires. Les tribunaux relevant du pouvoir judicaire ne sont pas compétents pour recevoir ou examiner ce genre de recours ou même son renvoi devant la Cour constitutionnelle.

La saisine de la Cour constitutionnelle pour le contrôle de constitutionnalité de la loi ou des textes législatifs intervient selon les moyens ci-après :

Premièrement : modalités de saisine de la Cour constitutionnelle par les individus

En premier lieu, les individus ordinaires ne peuvent saisir la Cour constitutionnelle ou se présenter devant elle directement que par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un conseiller juridique dont l’expérience ne peut être inférieure à dix années d’exercice professionnel. Cette condition est clairement posée à l’article 29(1) de la loi relative à la Cour constitutionnelle qui stipule : « L’action ne peut être soulevée devant la Cour constitutionnelle que par l’intermédiaire d’un conseiller juridique ou un avocat dont l’expérience ne peut être inférieure à dix années d’exercice d’une profession juridique. »

Quant aux moyens de saisine de la Cour constitutionnelle, ils se présentent comme suit :

Premier moyen : Ce moyen est appelé le recours en inconstitutionnalité des lois ou des textes généraux. Ce recours est présenté par la voie d’une action qui satisfait aux conditions de forme requises fixées par la loi. Il doit en outre, précisé la loi ou la disposition de celle-ci qui contredit la Constitution en la forme ou au fond. La Cour peut, si elle constate la violation de la disposition constitutionnelle, abroger la loi ou la disposition attaquée et réhabiliter le requérant dans son droit constitutionnel (article 16-1/A de la Loi relative à la Cour constitutionnelle). La décision rendue par la Cour dans ce cas, est définitive et s’impose à l’ensemble des pouvoirs de l’Etat.

Ce qu’il y a lieu de noter concernant la compétence de la Cour constitutionnelle dans l’exercice de son droit de contrôle de constitutionnalité, c’est que ce droit, bien qu’il ressemble, en droit comparé, à celui exercé par les Cours constitutionnelles, il présente cependant des différences. Celles-ci proviennent du fait que le système juridique soudanais n’a pas prévu ce que l’on appelle le recours par voie d’exception. En revanche, il a prévu le droit de tout individu ayant intérêt pour agir, de présenter un recours direct en inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle. Un tel recours ne peut être présenté devant les tribunaux de première instance. Les tribunaux n’ont pas pour compétence d’examiner ce genre de recours. Seule la Cour constitutionnelle est compétente pour examiner et se prononcer sur les recours en inconstitutionnalité des lois.

L’autre moyen de contrôle pouvant être soulevé devant la Cour constitutionnelle consiste en l’action en inconstitutionnalité des arrêts rendus par les juridictions judiciaires

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nationales en cas de violation d’un droit constitutionnel ou d’atteinte à une liberté garantie par la Constitution. Dans ce cas, la personne ayant intérêt pour agir, peut présenter un recours constitutionnel pour demander l’annulation de l’arrêt rendu en violation des droits et libertés garantis par la Constitution du Soudan. La décision de la Cour constitutionnelle entraine l’annulation de l’arrêt, objet de recours, et la réhabilitation du requérant dans son droit constitutionnel. La décision de la Cour est définitive et non susceptible de recours devant aucune juridiction. Elle s’impose à tous les niveaux de jugement au Soudan.

S’il s’agit d’une disposition pénale, la décision en inconstitutionnalité considère les arrêts de condamnation rendus, sur le fondement de cette disposition, comme s’ils n’ont jamais existé (quasi numquam). Le Président de la Cour constitutionnelle notifie immédiatement la décision rendue aux parties concernées.

Deuxièmement : évaluation de l’expérience soudanaise sur le plan pratique

Les aspects positifs :

L’uniformisation des principes constitutionnels et l’exercice du contrôle de constitutionnalité par une juridiction unique centrale, permettent d’assurer la stabilité des jugements de justice et de rendre des décisions justes.

La compétence exclusive d’une seule juridiction permet de s’assurer, de manière uniformisée, si les conditions pour l’exercice d’un contrôle constitutionnel sont requises en termes, entre autres, de caractère sérieux de l’action, de l’existence d’un intérêt pour agir pour le requérant.

Les litiges déférés devant juridictions compétentes sont traités rapidement. Ils ne sont pas ralentis par le recours à la procédure de la voie d’exception.

La possibilité d’évacuer l’action ou le recours devant la Cour constitutionnelle sans attendre qu’une autre instance ne soulève le caractère non sérieux de l’action ou du recours ; ce qui permet de statuer rapidement sur les litiges devant la Cour constitutionnelle.

Les aspects négatifs :

L’obligation pour les individus de saisir la Cour constitutionnelle par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un conseiller hautement qualifié, donne lieu à une charge financière énorme que doit supporter le requérant en vertu de la Constitution.

L’accumulation des affaires devant la Cour constitutionnelle appelée à examiner et statuer sur les actions et les recours constitutionnels. Celles-ci s’effectuent en deux étapes : d’abord par la section de forme puis par la section au fond. La Cour constitutionnelle étant composée de sept (7) membres uniquement.

Troisièmement : exemples d’application judiciaire

Recours en inconstitutionnalité de l’article 24 de la loi de 1983, portant organisation du ministère de la Justice (DC/118/2015)

L’article 24 susvisé stipule : « Le recours contre les décisions portant nomination des conseillers juridiques n’est autorisé sous aucune forme et devant toute juridiction… ».

Suite à un recours constitutionnel soulevé au motif que cet article est inconstitutionnel, la Cour constitutionnelle a conclu à la décision ci-après :

L’article prévu par cette loi est contraire aux dispositions de l’article 35 de la Constitution transitoire de 2005 du Soudan. Cet article garantit le droit d’action en justice en prévoyant que nul ne peut être empêché d’exercer son droit d’agir en justice. Il contredit

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en outre, l’article 27/3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et l’article 2/3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, garantissant les voies de recours devant les juridictions.

La Cour a déclaré par son arrêt, recevable le recours en inconstitutionnalité de l’article 24 de la loi portant organisation du ministère de la Justice et a ordonné par conséquent son abrogation.

Violation d’action en justice (DC/204/2016)

Deux requérants ont saisi le ministère de l’Intérieur d’une demande d’acquisition de la nationalité soudanaise en vertu de l’article 7/2 de la Constitution transitoire soudanaise de 2005 au motif que leurs parents sont de nationalité soudanaise. La structure administrative compétente au ministère a refusé de donner suite à leur demande et a fait preuve de lenteurs.

Après délibération, la Cour constitutionnelle saisie, a conclu :

Qu’elle n’est pas compétente pour statuer sur l’acquisition ou la déchéance de la nationalité.

Cependant, l’absence d’une décision motivée de la part de la structure ayant compétence pour se prononcer sur l’octroi de la nationalité, prive la personne du droit de pourvoi devant les tribunaux pour contester la décision et s’oppose au droit d’action en justice garanti par la Constitution.

Par son arrêt, la Cour a déclaré recevable le recours constitutionnel et a ordonné que soit rendue une décision motivée en la matière soumise au contrôle judiciaire.

Le procès équitable (DC/106/2017)

L’article 197 du Code de procédure civile de 1983 prévoit la formation d’une Section de recours près la Cour suprême, composée de cinq (5) magistrats dont la majorité ne doit pas avoir participé à l’arrêt, objet de recours.

En vertu du recours en appel n°226/2016, l’arrêt a été rendu par une formation tripartite. La section de recours saisie en appel de l’arrêt, a été constituée de cinq magistrats dont trois n’ont pas participé à l’arrêt, objet de recours.

Le requérant en appel a formulé un recours constitutionnel au motif que l’arrêt rendu par la section de recours, est inconstitutionnel car il s’oppose au principe du procès équitable prévu à l’article 34 de la Constitution transitoire de 2005 du Soudan.

La Cour constitutionnelle a considéré que la section de recours formée en violation des dispositions de l’article 197 du Code de procédure civile de 1983, entraine l’incompétence de celle-ci pour statuer sur la demande et que cette incompétence impact, de manière négative, sur le procès équitable au motif qu’elle a été formée de la majorité de magistrats ayant rendu l’arrêt en appel.

Par conséquent, la Cour a déclaré recevable l’action constitutionnelle et a ordonné l’annulation de l’arrêt contesté et la formation d’une nouvelle Section pour l’examen de la demande de recours.

CCCC

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Intervention de :

Mr. Nadir El Moumni

Membre de la Cour constitutionnelle du Royaume du Maroc

Sur le thème :

« Le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception d’inconstitutionnalité

au Maroc » (Présentée en arabe)

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Le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire lié à l’exception d’inconstitutionnalité (1)

Etat descriptif

Introduction

Cet exposé descriptif vise à présenter les principaux éléments du cadre normatif de l’exception d’inconstitutionnalité sur le fondement des dispositions de l’article 133 de la Constitution qui dispose : « la Cour constitutionnelle est compétente pour connaitre d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Une loi organique fixe les conditions et les modalités d’application du présent article. ». Par ailleurs, l’alinéa 1er de l’article 134 de la Constitution stipule que : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 133 de la Constitution est abrogée à compter de la date fixée par la Cour dans sa décision. »

Il est à souligner que le cadre normatif de l’exception d’inconstitutionnalité est en cours d’élaboration dès lors que le projet de loi organique n°15-85 fixant les conditions et les modalités d’application de l’article 133 de la Constitution a été adopté par le Conseil des ministres du 23 juin 2016 et déposé sur le bureau de la Chambre des représentants le 4 juillet 2016 qui l’a renvoyé devant la commission de la Justice, de la Législation et des Droits de l’homme le 12 juillet 2016. La Chambre des représentants a adopté le projet de loi organique en sa séance plénière du 8 août 2017 puis l’a renvoyé devant la Chambre des Conseillers le 8 août 2017. Présentement, le projet est en cours d’examen au niveau de la commission de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme de cette Chambre.

Dans la première partie de mon exposé, j’aborderai brièvement les principales étapes de l’évolution de la justice constitutionnelle marocaine, en vue de mettre en relief le passage du modèle de contrôle a priori de la constitutionnalité des lois à un nouveau modèle de contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois. Dans la deuxième partie, je donnerai les principaux repères du modèle marocain de l’exception d’inconstitutionnalité.

I- Description des principales étapes de l’évolution de la justice constitutionnelle marocaine

Depuis 1962, le constituant marocain a choisi la consécration de la justice constitutionnelle comme mécanisme pour l’édification de l’Etat de droit démocratique. Le processus d’évolution du système national de justice constitutionnelle a connu trois étapes essentielles :

1) 1ème étape : contrôle a priori limité de la constitutionalité des lois

Cette étape a été marquée par la création d’une chambre constitutionnelle au niveau de la Cour suprême, investie essentiellement de la compétence de contrôler la constitutionalité des règlements intérieurs des deux Chambres du parlement (à noter que notre pays avait adopté le système monocaméral dans les constitutions de 1970, 1972 et 1992), et du contrôle a priori de la constitutionalité des lois organiques avant la promulgation des ordonnances de leur mise en œuvre. La chambre constitutionnelle était également compétente pour statuer sur la régularité de l’élection des membres du parlement et des opérations de referendum ainsi que pour statuer sur le conflit de compétence entre le gouvernement et le parlement pour délimiter ce qui relève du domaine de la loi de ce qui relève du domaine du règlement.

Durant la période de 1963 à 1994, la Chambre constitutionnelle avait rendu 451 décisions.

------------------------------------------------------ (1) Nadir El Moumni, membre de la Cour constitutionnelle

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Il en ressort donc que le constituant a opté, durant cette première étape, pour un système de justice constitutionnelle fondé sur la logique du contrôle a priori et sur l’intégration de l’institution chargée du contrôle de constitutionalité dans l’organisation judiciaire ordinaire. En outre, le contrôle de la constitutionalité des lois ne portait pas sur les lois ordinaires.

2) La deuxième étape : élargissement du domaine du contrôle a priori de la constitutionalité des lois

La deuxième étape a été marquée par une mutation qualitative du processus d’évolution de la justice constitutionnelle marocaine, dans le sillage de la première vague des réformes constitutionnelles et institutionnelles (1990-1998). Elle est intervenue sur deux niveaux essentiels :

• La création du Conseil constitutionnel en tant qu’institution constitutionnelle distincte des tribunaux de l’organisation judiciaire. Il dispose en vertu de la constitution de 1992 (Titre VI) de la compétence exclusive concernant le contentieux constitutionnel.

• L’extension des compétences du Conseil constitutionnel au contrôle de la constitutionalité des lois ordinaires, en plus des compétences héritées de la chambre constitutionnelle.

Durant la période de 1994 à 2017, le Conseil constitutionnel a rendu 1043 décisions.

Il en ressort ainsi que le constituant a choisi, pour cette deuxième étape, un système de justice constitutionnelle qui préserve la logique du contrôle a priori de la constitutionalité des lois et la création d’un Conseil constitutionnel en tant qu’institution constitutionnelle spécialisée distincte des tribunaux relevant de l’ordre judiciaire. En outre, les compétences du Conseil constitutionnel ont été structurées autour des domaines suivants : le contrôle de la constitutionnalité des lois, le règlement des conflits de compétence normative entre le parlement et le gouvernement et le contrôle de la régularité des opérations de referendum et d‘élection des membres du parlement.

3) La troisième étape : le passage au modèle de Cour constitutionnelle et émergence du système de contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois.

Depuis 1999 (année de début de règne de Sa Majesté le Roi Mohamed VI) jusqu’aujourd’hui, le Maroc a connu un nouveau processus de réformes constitutionnelles, législatives et institutionnelles, visant la consolidation du modèle démocratique marocain, le parachèvement de la construction de l’Etat de droit et la protection et la promotion des droits de l’homme.

Dans ce cadre, l’expérience marocaine de la justice transitionnelle (Instance équité et réconciliation) a abouti à des recommandations visant à développer la justice constitutionnelle : « Le renforcement du contrôle de la constitutionnalité des lois et des

Règlements autonomes ressortant de l'exécutif, en prévoyant dans la Constitution, le droit d'un justiciable à se prévaloir d'une exception d’inconstitutionnalité d’une loi, ou d'un règlement autonome; en renvoyant l’affaire devant le Conseil constitutionnel pour statuer, et en posant les conditions pour l’exercice de ce droit de manière à permettre d’éviter les abus et de garantir le droit de la minorité parlementaire de renvoyer les lois devant le Conseil constitutionnel pour se prononcer sur leur constitutionalité. » (2)

Sa majesté le Roi a adopté en 2005 les recommandations de cette instance et a donné des orientations, dans son discours du 9 mars 2011, à la commission consultative chargée de la révision constitutionnelle, pour la constitutionnalisation des recommandations pertinentes de l’instance sus visée. Il a également affirmé, dans le même discours, concernant le troisième axe de la révision constitutionnelle, la nécessité de renforcer les compétences du Conseil constitutionnel.

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En réaction à ce choix, une large adhésion des acteurs politiques, sociaux et civils a été enregistrée. En effet, sur 168 notes de propositions adressées à la commission consultative de révision de la Constitution, 100 ont comporté des recommandations portant sur l’extension de l’accès à la justice constitutionnelle en prévoyant la possibilité du contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois par la voie d’exception.

Ces choix ont trouvé leur traduction dans la Constitution de 2011, considérée comme une charte des droits et libertés. En effet, les dispositions relatives à la garantie des droits et libertés fondamentaux constituent le tiers du corpus constitutionnel. C’est dans ce cadre que le constituant inscrit le passage de Conseil constitutionnel à Cour constitutionnelle, en prévoyant, à l’article 129 de la Constitution, la création d’une Cour constitutionnelle.

Les principaux aspects du passage à Cour constitutionnelle pourraient être présentés comme suit :

Nouvelles règles de la composition de la Cour constitutionnelle : l’article 130 de la Constitution prévoit que la Cour constitutionnelle est composée de douze membres nommés pour un mandat de neuf an non renouvelable. Six membres sont désignés par le Roi, dont un membre proposé par le Secrétaire général du Conseil Supérieur des Oulémas, et six membres sont élus, moitié par la Chambre des Représentants, moitié par la Chambre des Conseillers parmi les candidats présentés par le Bureau de chaque Chambre, à l'issue d'un vote à bulletin secret et à la majorité des deux tiers des membres composant chaque Chambre.

Cet article prévoit également les règles de renouvellement périodique du tiers des membres, tous les trois (03) ans ainsi que la nomination par le Roi, du Président de la Cour constitutionnelle parmi les membres composant la Cour.

Facilitation de l’accès au contrôle a priori de la constitutionnalité des lois. En vertu de l’article 132 de la Constitution, le Roi, le Chef du Gouvernement, le Président de la chambre des Représentants, le Président de la Chambre des Conseillers ou le cinquième des membres de la Chambre des Représentants ou quarante membres de la Chambre des Conseillers (au lieu du quart dans la Constitution de 1996) peuvent déférer à la Cour constitutionnelle, les lois à l’effet de statuer sur leur conformité à la Constitution, avant leur promulgation.

Renforcement des mécanismes d’adaptation du système juridique national aux engagements conventionnels du Royaume. En vertu de l’article 55 de la Constitution, si la Cour Constitutionnelle, saisie par le Roi ou le Président de la Chambre des Représentants ou le Président de la Chambre des Conseillers ou le sixième des membres de la première Chambre ou le quart des membres de la deuxième Chambre, déclare qu’un engagement international comporte une disposition contraire à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution.

Création d’un mécanisme nouveau du contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois. Conformément à l’article 133 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Partant de ces exigences, les compétences de la Cour constitutionnelle sont dorénavant axées essentiellement autour des domaines du contrôle a priori de la constitutionalité des lois, des règlements intérieurs des assemblées parlementaires et certaines institutions constitutionnelles ainsi qu’autour du contrôle a posteriori de la constitutionalité des lois par la voie d’exception.

----------------------------------------------- (1) Instance équité et réconciliation, rapport final, première partie « vérité, équité et

réconciliation » chapitre III, recommandations, P.7

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Outre ces compétences, la Cour est compétente également pour contrôler la validité des procédures de révision constitutionnelle et la proclamation de ses résultats, contrôler la régularité des élections parlementaires et des opérations de referendum et statuer sur le conflit de compétence entre le parlement et le gouvernement.

Depuis l’adoption de la Constitution de 2011 par referendum du 1er juillet 2011, et jusqu’à l’installation de la Cour constitutionnelle le 4 avril 2017, le Conseil constitutionnel a poursuivi, en vertu des dispositions de l’article 177 de la constitution, l’exercice de ses attributions

Depuis son installation le 4 avril 2017, la Cour constitutionnelle, créée en vertu de l’article 129 de la Constitution, et dont l’organisation est régie par la loi organique n°099.13, a rendu une décision en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois, trois décisions portant sur la conformité du règlement intérieur du Conseil supérieur de la magistrature à la Constitution, deux décisions relatives à la conformité du règlement intérieur de la Chambre des représentants, à la Constitution et quatre décisions portant sur des positions relatives aux parlementaires. La Cour constitutionnelle a également rendu depuis son installation, 54 décisions relatives au contentieux électoral découlant de l’élection des membres de Chambre des représentants au titre du scrutin du 7 octobre 2016. Elle s’est prononcée sur les requêtes qui lui ont été présentées à l’issue de ce scrutin.

Il ressort ainsi que les caractéristiques qui distinguent aujourd’hui le système national de justice constitutionnelle reposent sur l’adoption d’un contrôle constitutionnel concentré confié à une Cour spécialisée se situant en dehors des juridictions de l’organisation judiciaire, et sur des domaines de compétences regroupant, à la fois, le contrôle a priori et le contrôle a posteriori de constitutionalité des lois. Ces compétences, en tant que fonctions principales de la justice constitutionnelle, ont évolué selon le modèle mixte (européen et américain) dont le mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité et son processus procédural forme une partie.

II – Les aspects du modèle marocain de l’exception d’inconstitutionnalité

1) Les principales caractéristiques du modèle marocain de l’exception d’inconstitutionnalité

Le constituant a fixé à la Cour constitutionnelle une mission qui dépasse la simple protection du système constitutionnel objectif, en intégrant, pour la première fois, des mécanismes garantissant la protection des droits fondamentaux des individus par la Cour constitutionnelle à travers la possibilité devant les parties, en cas de litige judicaire, de saisir la Cour constitutionnelle en soulevant une exception d’inconstitutionnalité si la loi appliquée au litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. L’on peut ainsi définir trois objectifs à atteindre par l’exception d’inconstitutionnalité : conférer un nouveau droit au justiciable pour lui permettre de faire valoir ses droits garantis par la Constitution, nettoyer le corpus législatif des dispositions inconstitutionnelles et assurer la suprématie de la Constitution dans l’ordre normatif interne.

Dans cette perspective, l’article 133 de la Constitution et l’alinéa 1er de l’article 134 de la Constitution ont défini les principales caractéristiques du modèle marocain de l’exception d’inconstitutionnalité, de la manière suivante :

• L’exception d’inconstitutionnalité est un mécanisme d’accès indirect à la justice constitutionnelle ;

• L’exception d’inconstitutionnalité est un moyen pouvant être soulevé à l’occasion d’un litige judiciaire déterminé ;

• Les parties sont seules habilitées à soulever une exception d’inconstitutionnalité. Le juge n’étant pas habilité à le faire d’office ;

• L’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée à toutes les étapes de l’instance ;

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• La Cour constitutionnelle est habilitée à moduler, dans le temps, les effets de ses décisions en abrogeant toute disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 133 de la Constitution.

2) Les principales conditions et modalités de l’exception d’inconstitutionnalité figurant dans le projet de loi organique n° 15-86

Partant de ces caractéristiques essentielles, le projet de loi organique n° 15-86 fixant les conditions et modalités d’application de l’article 133 de la Constitution, dans sa mouture adoptée par la Chambre des Représentants et déférée à la Chambre des Conseillers, a prévu un système et un processus procédural de l’exception d’inconstitutionnalité, dont les contours peuvent être présentés comme suit :

a) Les définitions essentielles

Le projet de loi organique a comporté des définitions portant essentiellement sur la loi, objet de l’exception d’inconstitutionnalité et sur les parties au procès.

Ainsi, le projet de loi organique a retenu une définition matérielle de la loi que l’une des parties au procès soutient qu’elle porte atteinte à ses droits et libertés garantis par la Constitution. Cette définition englobe toute disposition à caractère législative applicable à l’instance devant la Cour et dont une partie au procès soutient que son application conduirait à la violation, à l’atteinte ou à la privation d’un de ses droits ou d’une de ses liberté garantis par la Constitution.

Dans le même cadre, le projet de loi organique a retenu une définition large des parties au procès. Celles-ci englobent tout demandeur ou défendeur dans une affaire devant la Cour ainsi que tout accusé ou partie civile ou responsable civil dans l’action publique, sous réserves des règles prévues dans le Code civil et le Code de procédure pénale ainsi que toute autre règle de procédure prévue dans des textes particuliers, selon le cas.

b) Le contexte temporel des dispositions à caractère législative relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution, pouvant faire l’objet d’une exception.

Le modèle de l’exception d’inconstitutionnalité présenté dans le projet de loi organique n° 15-86 ne comporte aucune barrière temporelle concernant les dispositions à caractère législative relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et susceptibles de faire l’objet d’une exception d’inconstitutionnalité. Sur le plan du principe, et après adoption de mécanismes judiciaires appropriés, le système juridique sera épuré des dispositions inconstitutionnelles.

c) La qualification de l’exception d’inconstitutionnalité

Le projet de loi organique définit l’exception d’inconstitutionnalité comme étant le moyen légal par lequel l’une des parties au procès invoque au cours d’un procès, l’inconstitutionnalité d’une loi qu’il considère comme portant atteinte à un droit ou à une liberté garantie par la Constitution.

d) Les principaux éléments du processus procédural de l’exception d’inconstitutionnalité

Les principaux éléments du processus procédural de l’exception d’inconstitutionnalité figurant dans la mouture actuelle du projet de loi organique peuvent être présentés comme suit :

Le projet de loi organique a consacré la possibilité de soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant les différentes juridictions du Royaume, ainsi que devant la Cour constitutionnelle lorsqu’elle statue sur les recours relatifs à l’élection des

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membres du Parlement. Il a également consacré la possibilité d’invoquer l’exception, pour la première fois, devant une juridiction de deuxième degré et devant la Cour de cassation et la non-possibilité de l’invoquer d’office par la Cour. Le projet de loi organique prévoit également que l’exception d’inconstitutionnalité doit être, dans tous les cas, soulevée avant que l’affaire déférée à la Cour ne soit considérée comme prête pour statuer.

Le projet de loi organique a fixé les conditions devant être observées dans l’exception d’inconstitutionnalité à peine d’irrecevabilité dont notamment la présentation de l’exception dans un mémoire écrit distinct comportant la disposition législative, objet de l’exception d’inconstitutionnalité, qui doit être également la disposition législative appliquée ou à appliquer par la Cour à l’instance ou à la procédure, ou qui constitue un fondement de la poursuite, selon le cas. Le mémoire doit également faire ressortir une indication des griefs soulevant la violation, l’atteinte ou la privation du droit ou de la liberté garantie par la Constitution. En outre, la disposition législative, objet de l’exception, ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution sauf changement des circonstances.

Le projet de loi organique a également prévu deux autres conditions dont l’objectif visé par le législateur est d’étendre l’accès au mécanisme de l’exception d’inconstitutionnalité. Il a en effet, exigé que le mémoire soit signé par la partie concernée ou par un avocat inscrit au barreau au Maroc, sous réserves des conventions internationales en vigueur. Il a également exigé l’acquittement d’une taxe judiciaire, sauf si le requérant bénéfice de l’assistance judiciaire.

Il y a lieu de souligner que le modèle, tel que prévu par le projet de loi organique, s’appuie sur le système du double filtre pour la recevabilité de l’exception. En effet, la Cour, saisie du litige, s’assure que l’exception d’inconstitutionnalité satisfait à toutes les conditions susvisées. Elle peut, par une décision motivée et non susceptible de recours, déclarée l’irrecevabilité de l’exception. Cependant, l’exception peut être invoquée de nouveau devant les juridictions suprêmes. En revanche, si la Cour s’assure que l’exception satisfait aux conditions susvisées, elle renvoie le mémoire de l’exception à la Cour de cassation qui se prononce par décision motivée, sur le sérieux de l’exception, soit en rejetant l’exception d’inconstitutionnalité de la loi soit en l’acceptant, et la renvoie dans ce cas, devant la Cour constitutionnelle. Il y a lieu de souligner également que l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi peut être invoquée pour la première fois, devant la Cour de cassation à l’occasion d’une instance soumise devant elle. Dans ce cas, la Cour de cassation statue sur les conditions de recevabilité de l’exception et sur son sérieux également.

Dans la même logique du double filtre, le projet de loi a prévu un certain nombre d’éléments du processus procédural de l’exception d’inconstitutionnalité, dont trois (3) sont essentiels. Il s’agit :

• de la possibilité pour la Cour d’aviser l’auteur de l’exception d’inconstitutionnalité, pour corriger la procédure de l’exception suivie devant elle, dans un délai qui prend effet à compter de la présentation du mémoire écrit relatif à l’exception ;

• du principe de sursoir à statuer par la Cour saisie de l’exception, sur l’instance. elle suspend les délais liées à cette instance, à compter de la date de présentation du sursis à statuer, sauf dans des cas précis lorsqu’il s’agit de procédures d’enquête dans les matières civiles et pénale, de mesures temporaires ou conservatoires nécessaires, de mesures légales adéquat à prendre dans le cas d’une mesure privative de liberté, ou d’un délai prévu par la loi pour statuer sur l’instance ou statuer en référé, ou bien lorsque la mesure induit un préjudice irrémédiable aux droits d’une partie. Au regard de la nature de la Cour de Cassation, en tant que juge de droit, les exceptions au principe de sursis à statuer, sont rédigées dans le projet de loi comme suit : « s’il s’agit de priver une personne de sa liberté dans une instance à l’occasion de laquelle est soulevée une exception en inconstitutionnalité, si la loi prévoit un délai fixe pour statuer sur l’affaire présentée en appel, ou si la Cour est tenue de statuer en référé ou si la mesure conduit ou est susceptible de conduire à une atteinte irrémédiable aux droits de l’une des parties. »

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• L’appréciation du caractère sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité au niveau de la Cour de Cassation est confiée, dans le projet de loi, à un organe désigné par le premier président de ladite Cour.

Le projet de loi organique retient l’option de préserver le caractère de fond de l’exception d’inconstitutionnalité dont les effets, si elle est invoquée à l’occasion d’un litige, dépassent l’instance à l’occasion de laquelle l’exception est soulevée (inter partes) et s’étendent au système juridique, dans son ensemble (erga omnes). Dans ce cadre, le projet de loi prévoit que l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi ne peut être renvoyée devant la Cour constitutionnelle s’il y a renonciation à l’instance à l’occasion de laquelle ladite exception est invoquée. En revanche, il ne peut y avoir une renonciation à l’instance si la Cour de Cassation a rendu une décision de recevabilité de l’exception et a décidé de son renvoi à la Cour constitutionnelle.

S’agissant des conditions et des modalités relatives à l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi devant la Cour constitutionnelle, il a été retenu que leur mise en œuvre soit fixée dans le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle, sous réserves d’un certain nombre de règles spécifiques prévues dans le projet de loi organique. Parmi ces règles essentielles, nous citons ce qui suit :

• Si l’exception est soulevée devant la Cour constitutionnelle à l’occasion d’un litige relatif à l’élection des membres du parlement (membres de la Chambre des représentants et de la Chambre des Conseillers), un sursis à statuer sur ledit litige est décidé jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se prononce sur l’exception invoquée devant elle ;

• Dans le cas où l’exception d’inconstitutionnalité est renvoyée ou invoquée devant la Cour constitutionnelle, la Cour notifie immédiatement cette exception au Chef du Gouvernement, aux deux présidents du parlement ainsi qu’aux parties, qui peuvent présenter des mémoires écrits contenant leurs observations sur l’objet de l’exception dans un délai fixé par la Cour constitutionnelle. Celle-ci notifie aux parties concernées par l’exception, les mémoires formulés en réponse, tout en fixant un délai pour avis ;

• À l’expiration des délais fixés dans la procédure contradictoire susvisée, le président de la Cour constitutionnelle arrête la date de séance et en informe le Chef du Gouvernement, les deux présidents du parlement et les parties en cause, dix jours au moins.

• La Cour constitutionnelle peut demander à la juridiction devant laquelle l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi est soulevée, de mettre à sa disposition le dossier de l’instance dans un délai de dix (10) jours de la date de réception de la demande ;

• La consécration du principe de la séance publique devant le Cour constitutionnelle, sauf dans les cas où la Cour décide la tenue de séance à huis-clos conformément à son règlement intérieur ;

• La Cour constitutionnelle statue sur l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi dans un délai de 60 jours à compter de la date de sa saisine de l’exception ou de la date de de son invocation pour la première fois ;

• S’agissant des effets de la décision de la Cour constitutionnelle relative à l’inconstitutionnalité d’une disposition législative, l’article 134 de la Constitution prévoit que la disposition déclarée inconstitutionnelle est abrogée à compter de la date fixée par la Cour dans sa décision ;

• Le projet de loi organique a par ailleurs comporté des règles essentielles relatives à la notification. En effet, la décision de la Cour constitutionnelle relative à l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi est notifiée à la Cour de Cassation, à la juridiction devant laquelle est soulevée l’exception, ainsi qu’aux parties, et ce dans un délai de huit (8) jours de la date de la décision. Cependant, les décisions rendues déclarant inconstitutionnelle la disposition législative, sont notifiées immédiatement au Roi, au Chef du Gouvernement et aux présidents des deux Chambres du parlement. En outre,

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les décisions relatives à l’exception l’inconstitutionnalité des lois sont publiées, une fois rendues, au bulletin officiel du Royaume et sur le site électronique de la Cour constitutionnelle.

e) Dématérialisation des procédures et de l’architecture générale de l’ensemble des délais de la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité

Dans le cadre de la dématérialisation des procédures, le projet de loi organique comporte des dispositions permettant l’échange, le dépôt et la notification des documents et des mémoires présentés à l’occasion d’une exception d’inconstitutionnalité, par la voie électronique, selon des caractéristiques définies. La même possibilité est permise pour ce qui des avis de notification et réception.

S’agissant de l’ensemble des délais de la procédure d’exception d’inconstitutionnalité, le projet de loi organique a retenu des options qui peuvent être présentées succinctement, comme suit :

• le délai maximum pour que les juridictions de premier degré et les juridictions du second degré s’assurent des conditions de recevabilité de l’exception est de huit (8) jours à compter de la date de son invocation devant elles. Le délai maximum pour transmettre les mémoires de l’exception à la Cour de cassation, si les conditions de recevabilité sont remplies, est de huit (8) jours de la date du dépôt des mémoires.

• le délai maximum pour que l’organe compétent au sein de la Cour de cassation se prononce sur le sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité est de trois(3) mois à compter de la date de renvoi de l’exception devant elle, ou de la date d’invocation de l’exception devant elle pour la première fois ;

• le délai maximum devant la Cour constitutionnelle pour statuer sur l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi est de soixante(60) jours à compter de la date de sa saisine de l’exception ou de la date de l’invocation de l’exception devant elle pour la première fois.

Il ressort des préalables susvisés que le délai maximum de l’ensemble du processus procédural de l’exception d’inconstitutionnalité, en cas de recevabilité de l’exception à travers le double filtre jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle, serait de 166 jours. Ce délai pourrait être réduit si l’exception d’inconstitutionnalité est soulevée pour la première fois devant la Cour de cassation (150 jours) ou si elle est invoquée devant la Cour constitutionnelle au moment de statuer sur le contentieux relatif à l’élection des membres du parlement (60 jours).

Il convient de souligner que l’architecture de l’ensemble des délais des procédures, dans le projet de loi organique, a comporté un nombre d’options dont l’objectif, sur le plan du principe, vise, semble-t-il, à garantir la fluidité du processus procédural de l’exception d’inconstitutionnalité. Ces options consistent notamment en ce qui suit :

• tous les délais prévus dans projet de loi organique sont des délais francs qui ne comptent ni le premier jour de mise en œuvre de toute procédure liée à l’exception d’inconstitutionnalité, ni le dernier jour de l’achèvement de celle-ci ;

• le projet de loi organique prévoit le principe de renvoyer d’office l’exception de la Cour de cassation à la Cour constitutionnelle dans le cas où la Cour de cassation n’ait pas statué dans le délai des 90 jours ;

• le projet de loi organique retient le principe de la notification immédiate, en tant que règle générale avec quelques exceptions.

À la lumière des conclusions des discussions, tel qu’il ressort du rapport de la Commission de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme sur le projet de loi organique n°15.86, il apparait que les débats parlementaires se sont focalisés sur un certain

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nombre de points. Ces points pourraient être évoqués sous forme de problématique, de la manière suivante :

• la question du choix entre le système de filtre (la juridiction de fond renvoie l’exception qui satisfait aux conditions, à la Cour de cassation pour apprécier le sérieux de l’exception avant son renvoi à la Cour constitutionnelle), tel que retenu dans le système français de la Question Prioritaire de Constitutionalité (QPC), et entre les différentes formules du renvoi direct de l’exception à la cour constitutionnelle pour se prononcer sur les conditions de recevabilité puis statuer sur le fond. Il convient de noter que l’une des questions soulevées par rapport à ce point de droit est comment concilier entre les exigences de faciliter l’accès à la justice constitutionnelle d’une part, et d’éviter l’engorgement de la Cour constitutionnelle de dossiers soumis à son appréciation. Cela est aussi lié à la question de l’efficience juridique ;

• la question du respect par les juridictions du Royaume et l’ensemble des autorités administratives, de l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle à la loi, objet de l’exception, notamment lorsque la Cour constitutionnelle déclare que la loi dont elle est saisie, ne comporte pas des dispositions non conformes à la Constitution, mais sur lesquelles elle émet des observations, en faisant valoir notamment l’application de la technique des réserves d’interprétation ;

• la question des effets pratiques induits de l’exercice de la Cour constitutionnelle de sa compétence, qui consiste à fixer une date d’effet de l’abrogation des dispositions déclarées non constitutionnelles sur le fondement de l’article 133 de la Constitution. La modulation des effets dans le temps est une question qui se pose en rapport avec les principes de la sécurité juridique et judiciaire et des droits acquis ;

• la question de l’architecture des délais relatifs à la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité, dans toutes ses hypothèses, et ses rapports avec l’application du principe du sursis à statuer et les exceptions qu’il soulève ;

• la question des préparatifs au plan de l’organisation et de la logistique ainsi que les préparatifs relatifs à la mise en place des capacités en ressources humaines dans la perspective de l’application du nouveau système de l’exception d’inconstitutionnalité. Il convient de noter que le projet de loi organique comporte une disposition prévoyant que la loi organique entre en vigueur dans un délai d’un an à compter de sa publication au bulletin officiel.

Pour terminer, il y a lieu de souligner que tous les sujets de discussion susvisés constituent des points de réflexion commune sur les meilleures voies pour atteindre les finalités de ce nouveau système de l’exception d’inconstitutionnalité, en tant que mécanisme judiciaire constitutionnel garantissant la protection des droits et libertés garantis par la Constitution. Dans ce contexte, il convient de rappeler le message de sa Majesté le Roi adressé aux participants au 6ème Congrès de l’Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en partage l’Usage du français (ACCPUF), tenu à Marrakech, le 4 juillet 2012, en ces termes :

"A cet égard, et parallèlement à la valorisation institutionnelle et au renforcement des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire en termes de séparation, d’équilibre et d’indépendance, la nouvelle Constitution a adopté une charte des droits ou s’inscrivent les différentes générations des libertés et des droits fondamentaux, dans le cadre d’un système intégré des droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus. Elle a, par ailleurs, consacre les mécanismes propres à en garantir la protection et l’exercice effectif,

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notamment l’octroi au citoyen du droit de saisir la Cour constitutionnelle, pour invoquer l’inconstitutionnalité de toute loi qui, appliquée a un contentieux soumis à la justice, risque de porter atteinte à ses droits et libertés constitutionnels.

Tout ceci traduit la forte impulsion qui a été imprimée a la justice constitutionnelle dans notre pays, en dépit des multiples défis institutionnels et jurisprudentiels sous-jacents. De fait, l’interaction entre le citoyen et la justice constitutionnelle représente, désormais, un véritable paramètre a l’aune duquel on pourra jauger le dynamisme de la société, et déterminer dans quelle mesure celle-ci s’est approprié sa loi suprême. Elle constitue également un puissant levier pour consacrer les droits et les devoirs inhérents à la citoyenneté et à la démocratie authentique ».

Photo de la ville d’Alger

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Intervention de :

Mr. Mohamed El Hafi,

Président de la Cour suprême de Libye

Sur le thème :

« Le pouvoir du juge de fond dans l’appréciation du sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité ».

(Présenté en arabe)

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Introduction

La loi n°6 de 1982 modifiée par la loi n°17 de 1994, portant réorganisation de la Cour suprême, a conféré, en son article 23, à la Cour suprême et ses sections réunies, le pouvoir de se prononcer sur les questions constitutionnelles. L’alinéa 2 de cet article prévoit en effet, que la Cour suprême a pour compétence exclusive pour statuer sur toute question juridique de fond se rapportant à la constitution ou à son interprétation, soulevée dans une affaire en instance devant toute juridiction. La compétence constitutionnelle de la Cour suprême de Libye, défini par l’article susvisé, revêtait deux formes. La première forme donne la possibilité à toute personne ayant intérêt, à soulever directement une action en inconstitutionnalité contre toute disposition constitutionnelle, suivant les procédures définies par la résolution y afférente rendue par la Cour suprême.

La seconde forme est celle évoquée plus haut, qui donne droit à la personne ayant intérêt, de soulever devant le juge de fond l’inconstitutionnalité d’une disposition ou d’une loi qui lui est applicable dans un procès en cours.

Mon intervention se limite précisément à cette seconde forme et portera sur la définition de la position du juge de fond à l’égard d’une exception d’inconstitutionnalité, qu’il s’agisse de se prononcer sur sa recevabilité ou son rejet, car c’est lui qui décide du sérieux de l’exception et si sa décision produit ou non un effet sur le déroulement du procès et si la prise de cette décision est ou n’est pas nécessaire. J’évoquerai dans mon intervention, le fondement sur lequel le juge de fond construit sa décision dans l’appréciation du sérieux ou non de l’exception d’inconstitutionnalité.

• Chapitre relatif à la définition et aux critères du sérieux de l’exception

La voie d’exception d’inconstitutionnalité :

Il s’agit d’un moyen important et efficace conféré par le législateur aux individus et aux groupes pour empêcher la justice d’appliquer une disposition législative ou une loi, dans sa totalité, préjudiciable à leurs intérêts, jugée non conforme à la Constitution, dans un procès dans lequel ils sont parties, et dont l’application produirait un effet qui attenterait à leurs intérêts dans le procès.

Ainsi, ce moyen constitue un premier levier important de défense devant la partie adverse. Les concernés demandent ainsi au juge de fond de suspendre l’instance et de renvoyer l’affaire devant le juge constitutionnel. Pour eux, c’est une question prioritaire, impérative pour statuer sur l’instance au fond.

Le recours à cette forme de saisine de la Cour constitutionnelle est largement répandu. La règle générale édictée pour soulever l’instance étant l’existence d’un intérêt pour agir, la corrélation entre l’intérêt pour soulever l’exception d’inconstitutionnalité et l’intérêt dans l’instance au fond implique d’étudier le critère du sérieux et de s’interroger si la compétence du juge de fond pour statuer sur le sérieux de l’exception ne signifierait-elle que celui-ci se prononcerait sur la constitutionnalité des lois ?

Le critère de sérieux de l’exception :

L’exception d’inconstitutionnalité d’une loi ou d’une disposition législative soulève une question prioritaire qui ne peut être tranchée par le juge de fond tant que cette question prioritaire de conformité ou non à la constitution n’a pas été réglée. Le juge de fond n’est pas tenu de répondre à l’exception d’inconstitutionnalité sauf s’il juge de celle-ci revêt un caractère sérieux.

La condition restrictive du sérieux de l’exception viserait à permettre au juge de fond d’écarter les exceptions qui sembleraient formellement fantaisistes, à but dilatoires ou

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celles qui, d’apparence, non aucun effet sur l’instance ou dont la loi, objet de l’exception, n’a pas de lien avec le litige dans l’instance au fond.

La doctrine constitutionnelle considère que l’appréciation de l’exception signifie que le juge de fond doit s’assurer de la conformité ou non de la loi incriminée à la Constitution. S’il s’assure de sa constitutionnalité, il est alors de son pouvoir de rejeter la demande d’exception. C’est ce que nous rejetons car ce pouvoir appartient exclusivement au juge constitutionnel. Il suffirait au juge de fond, à travers un examen formel du texte, de saisir l’existence de motifs raisonnables qui pencheraient vers l’inconstitutionnalité.

Le Docteur Ramzi Echaar estime que la signification du sérieux requis pour se prononcer sur la suspension de la poursuite de l’instance et son renvoi à la Cour constitutionnelle revêt deux aspects. Le premier est que, pour statuer sur l’exception, celle-ci doit avoir un lien avec l’objet du litige et produire un effet sur son issue. Le second est l’existence d’une éventualité que la loi attaquée pour inconstitutionnalité, s’écarte des dispositions de la Constitution.

Chapitre relatif au rôle du juge de fond dans l’examen du sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité

La mission du juge lorsqu’il est saisi, lors d’un procès, pour inconstitutionnalité d’une disposition législative ou d’une loi, contestant son application au litige, n’est pas facile. Elle est plutôt, très difficile.

Il doit s’assurer en premier lieu, que la disposition législative ou la loi contestée pour son caractère inconstitutionnelle, porte sur l’objet du litige et que le tribunal saisi au fond ne peut se prononcer sur l’instance au fond que s’il a examiné et s’est appuyé sur ce texte juridique pour connaitre du litige. Si le juge de fond a la possibilité de se prononcer sur le conflit sans avoir à examiner ce texte, il écarte l’exception. Ainsi, l’existence de l’intérêt personnel direct du requérant est nécessaire pour la recevabilité de l’exception. La section constitutionnelle au sein de la Cour suprême a déclaré que l’intérêt personnel direct est une exigence pour la recevabilité du procès en inconstitutionnalité, et que celui-ci doit avoir un lien avec l’intérêt suscité dans l’instance au fond. Par conséquent, pour connaitre de la question constitutionnelle, il est impératif de connaitre des demandes qui en sont liées. (Son arrêt relatif au recours constitutionnel n° 4 du 12 novembre 2008).

Par la suite, le juge procède à l’examen d’un autre aspect de l’instance. Il doit s’assurer si la conformité de la loi à la Constitution comporterait des divergences de points de vue. En d’autres termes, s’il y a un doute de constitutionnalité de la loi. Le doute s’interprète comme inconstitutionnalité lors de l’appréciation du caractère sérieux par le juge de fond.

En outre, le juge de fond soit s’assurer que la Cour constitutionnelle n’a pas eu à se prononcer, dans un arrêt précédent, sur la constitutionnalité du texte, objet de procès en inconstitutionnalité. L’arrêt constitutionnel revêt la force de chose jugée. Il est définitif et sans appel. Si la Cour constitutionnelle s’était déjà prononcée sur l’inconstitutionnalité du texte, le juge de fond en tient compte et rend son arrêt sur le fondement de cette jurisprudence. En revanche, si la Cour avait rejeté l’exception par un arrêt motivé au fond, le juge de fond le prend en considération et agit en vertu du texte contesté pour inconstitutionnalité. Si l’arrêt de la Cour constitutionnelle porte sur la forme du recours constitutionnel et non sur le fond, cet arrêt n’a aucun effet. Le juge au fond fait usage d’autres critères pour connaitre du sérieux de l’exception. Partant de ces exigences, le juge au fond est tenu d’être constamment au courant de la jurisprudence constitutionnelle de la Cour afin qu’il puisse examiner les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant lui, dans les litiges au fond.

Le juge de fond doit effectivement s’assurer que l’exception d’inconstitutionnalité ne revêt pas un caractère fantaisiste ou poursuit un but dilatoire visant à retarder l’issue du procès ou à porter préjudice à la partie adverse. Le juge de fond peut débusquer le caractère fantaisiste de l’exception à travers les griefs présentés à l’appui du procès et les preuves et les documents soulevés par le requérant.

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Le juge de fond doit aussi s’assurer que l’exception d’inconstitutionnalité revêt un caractère fondamental et qu’il est nécessaire de se prononcer sur ce recours en inconstitutionnalité pour pouvoir statuer sur le litige au fond. En vertu de son arrêt n°1/11, relatif au recours constitutionnel qui lui a été déféré, rendu en sa séance du 1 juin 1978, la section constitutionnelle à la Cour suprême déclare : « le recours déféré à la Cour, bien qu’il soit recevable, sur le plan juridique, il ne revêt cependant pas un caractère fondamental et ne porte pas sur la Constitution ou sur son interprétation, car il s’agit d’un différend entre les parties sur la publication des lois. Cette question, purement juridique, porte sur une réalité sur laquelle le tribunal de fond est tenu de statuer. Par conséquent, l’exception d’inconstitutionnalité est sans objet ; qu’il y a lieu de la rejeter et de renvoyer l’instance devant le tribunal de fond pour statuer. ».

Le juge au fond est tenu d’enrôler l’exception dans le procès-verbal de séance de manière claire, en précisant le texte, objet de contestation en inconstitutionnalité et de mentionner dans son procès-verbal, le contenu du mémoire de l’exception qui doit, en principe, préciser le texte de loi attaqué pour inconstitutionnalité. Dans le cas où le mémoire n’indique ou ne précise pas le texte de loi attaqué, le juge de fond peut rejeter l’exception. En vertu de son arrêt n°3, année 58 relatif au recours constitutionnel, rendu le 13 décembre 2013, la section constitutionnelle à la Cour suprême déclare : « le requérant, dans son recours constitutionnel, était tenu de préciser la norme constitutionnelle sur le fondement de laquelle la législation rendue est jugée contraire, ainsi que le moyen justifiant cette méconnaissance de la norme constitutionnelle ; que, dans le cas où les motifs du recours ne satisfont pas ces deux conditions ou ne permettent pas d’aboutir à cette conclusion ; ou que la norme supposée violée n’est pas une norme constitutionnelle, le recours est dans ce cas irrecevable. »

Si le juge au fond aboutit au sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité, il décide la suspension de la poursuite de l’instance initiale. En vertu de l’article 19 du règlement intérieur de la Cour suprême du 28 juillet 2004 régissant l’organisation de la section constitutionnelle : « Si une question de droit relative à la Constitution ou à son interprétation est soulevée par l’une des parties au procès en cours, devant toute juridiction et que celle–ci estime fondamentale, elle ajourne son examen et fixe au requérant en inconstitutionnalité un délai n’excédant pas trois mois pour intenter une action en inconstitutionnalité devant la Cour suprême. »

L’action en inconstitutionnalité obéit, dans ce cas, aux procédures relatives aux recours constitutionnels fixées dans le règlement intérieur susvisé.

Si l’action en inconstitutionnalité n’est pas soulevée dans le délai fixé, elle est réputée comme si elle n’avait jamais existée.

En conséquence, si le juge de fond constate que la personne ayant intérêt à agir, n’a pas soulevé l’exception d’inconstitutionnalité devant la section constitutionnelle dans le délai de trois mois prévus, il reprend le cours du procès et abandonne l’exception d’inconstitutionnalité. En revanche, si le requérant accomplit les procédures du recours constitutionnel, l’instance au fond demeure suspendue jusqu’à ce que la section constitutionnelle statue sur le recours constitutionnel, en le rejetant ou en l’acceptant en vertu d’un arrêt d’inconstitutionnalité. Cet arrêt s’impose au juge de fond lorsqu’il statue sur l’instance au fond.

La Cour suprême, en examinant un recours constitutionnel relatif à l’ordre public, avait, préalablement, déclaré, dans son arrêt relatif au recours constitutionnel n°2 rendu en sa séance du 11 février 1961, ce qui suit :

« Il est évident que les règles du droit constitutionnel sont rattachées à l’ordre public, dès lors qu’elles touchent en profondeur, l’entité de la collectivité. En conséquence, si le défendeur renonce à l’exception d’inconstitutionnalité, cela n’exempte pas la section constitutionnelle d’examiner et de statuer sur l’exception. »

Cependant, dans un arrêt suivant relatif au recours constitutionnel n°1/18, rendu lors de la séance du 9 avril 1982, la Cour suprême avait renoncé à cette interprétation. Elle avait en effet, permis au requérant de renoncer à son recours d’inconstitutionnalité. Elle déclare

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à ce propos : « Dès lors que le droit d’ester en justice est un droit constitutionnel garanti par la Constitution à tous les citoyens, chaque individu peut recourir à la justice pour protéger et défendre ses droits. Il a aussi la latitude absolue de renoncer à son action en justice et à la procédure contentieuse. Cette latitude ne lui est reconnue cependant que si la partie adverse n’ait pas un intérêt à poursuivre le procès et qu’elle ne s’est attachée à ce droit en l’exprimant conformément aux dispositions des articles 262 et 263 relatifs aux plaidoiries. »

La Cour suprême avait confirmé cette tendance dans son arrêt n°1/47 rendu en matière civile. Elle avait considéré que l’exception d’inconstitutionnalité ne concernait pas l’ordre public puisqu’elle n’avait pas autorisé la personne ayant intérêt à agir, à soulever l’exception pour la première fois devant la Cour suprême. Nous estimons que cette tendance n’est pas à propos dès lors que l’interprétation relative au recours constitutionnel n°2 année 5 qui considérait l’exception d’inconstitutionnalité comme relevant de l’ordre public, a été rendue par les sections de la Cour suprême réunies, alors que l’arrêt qui renonçait à cette interprétation a été rendue par la section civile. En outre, l’objet de l’arrêt relatif au recours constitutionnel n° 1, année 47, portait sur la renonciation à la procédure contentieuse qui est faculté dont dispose la personne ayant intérêt à agir. Elle ne portait pas sur une question d’exception d’inconstitutionnalité.

Conclusion :

Le rôle du juge de fond lorsqu’une exception est soulevée devant lui, pour contester la constitutionnalité d’une disposition législative ou une loi est éminemment important et efficace pour créer la norme juridique qui garantit l’intérêt des individus et des collectivités et préserve leurs libertés et leurs droits. Le juge de fond est dès lors, tenu d’être soucieux d’examiner toute exception d’inconstitutionnalité soulevé devant lui, de s’assurer de son caractère sérieux et de l’intention du requérant ainsi que de ses effets sur la poursuite du procès, car il doit savoir s’il est ou non nécessaire de statuer sur ce procès. Il doit aussi s’assurer qu’un recours antérieur concernant la même exception n’avait pas été déjà soulevé afin qu’il garantisse la justesse de sa décision et mette en confiance tous ceux qui en prennent connaissance, en leur assurant que la Cour a consenti l’effort suffisant pour rendre un arrêt conforme à la Constitution et à la loi.

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Intervention de :

Mr. Tsegay Asmamaw Vice-président de la Cour Suprême,

Vice-président du Conseil d’enquête constitutionnelle de la

République Démocratique Fédérale d’Éthiopie

Sur le thème :

« L’accès des particuliers à la justice constitutionnelle : L’expérience Ethiopienne »

(Présentée en anglais)

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Honorables délégués à cette conférence historique,

Mesdames et Messieurs,

Tout d’abord, permettez-moi de remercier les organisateurs de cette conférence qui nous permet de partager nos expériences dans le domaine de l’interprétation constitutionnelle.

Je voudrais également exprimer ma gratitude aux responsables de la Conférence des juridictions constitutionnelles africaines (CJCA) qui permet à mon pays d’en être le 35ème État membre. Cette adhésion nous donne l’avantage de travailler en collaboration avec les cours constitutionnelles africaines et autres institutions similaires engagées dans le domaine de l’interprétation constitutionnelle.

Aperçu général de l’Éthiopie et de son système juridique :

Je voudrais, à cette occasion, présenter brièvement mon pays, l’Éthiopie, et son système judiciaire. L’Éthiopie est située dans la Corne de l’Afrique et partage ses frontières avec :

• L’Érythrée au nord

• Le Kenya au sud

• Djibouti au nord-est

• La Somalie à l’est

• Le Soudan à l’ouest, et

• Le Sud Soudan au sud-ouest.

C’est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique après le Nigeria, avec environ cent millions d’habitants. La superficie du pays est d’environ 1126829 km². Les caractéristiques topographiques du pays comportent un haut plateau et des montagnes centrales divisées par la vallée du grand Rift. Le plus haut sommet, celui du mont Ras Dashen, se trouve à 4 533 mètres d’altitude, tandis que la dépression de Dankil est située à 110 mètres en-dessous du niveau de la mer. Les températures moyennes varient entre 47 ˚C dans la dépression de l’Afar et 10 ˚C dans les hautes terres. On dit que l’Éthiopie est la terre des origines. Elle abrite des sociétés très diversifiées. Il y a environ 85 groupes ethniques ayant des cultures, des langues et des religions différentes. L’Éthiopie a été le berceau d’une des civilisations anciennes en Afrique et différents sites historiques témoignent de ce fait. C’est le premier pays africain à faire enregistrer environ 11 patrimoines auprès de l’UNESCO. C’est la terre d’origine du seul alphabet africain. L’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité, car le plus ancien fossile humain (Lucy), qui date d’environ 3,5 millions d’années, a été découvert en Éthiopie. C’est également la terre d’origine de différentes espèces de plantes, notamment l’un des plus grands délices de la vie, le café. C’est en Éthiopie également que prend sa source le Nil Bleu, le grand fleuve dont la puissance et la fertilité ont nourri l’origine de la civilisation elle-même. L’Éthiopie fait l’objet de citations merveilleuses et se voit accorder une protection dans les différentes versions de la Sainte Bible et dans le Saint Coran. Non seulement elle était indépendante pendant l’ère de la colonisation, mais elle a également joué un rôle crucial dans la libération des autres pays africains du joug colonial. En raison de ce fait, les Africains ont décidé d’y installer le siège de l’Union africaine (UA). Cela a fait de la ville d’Addis-Abeba l’un des centres diplomatiques les plus connus au monde.

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L’Éthiopie a une très longue histoire politique et juridique. Dans l’histoire des constitutions modernes, l’Éthiopie a connu plusieurs constitutions écrites, à savoir celles de 1931, 1955 et 1987. Actuellement, elle en est à sa 4ème Constitution, celle de 1995.

Le pays a connu, à travers sa longue histoire, des guerres aussi bien intérieures qu’avec d’autres pays. En raison de ces différents conflits, l’économie du pays est très pauvre. En outre, la population fait face à une sécheresse et à une famine constantes.

En conséquence de ces faits négatifs, notre Constitution actuelle a comme objectif fondamental d’instaurer une paix durable. La réalisation de cet objectif est une condition préalable pour atteindre les deux autres objectifs fondamentaux, à savoir, l’établissement d’une démocratie fiable et la réalisation d’un développement rapide dans tous les domaines. La réalisation de ces derniers objectifs est une condition préalable (fondamentale) pour l’instauration de la paix dans le pays. Pour ces raisons, toutes les politiques, stratégies et lois visent à favoriser la réalisation de ces objectifs constitutionnels. Bien que l’Éthiopie ait établi dans ses Constitutions précédentes une forme d’État unitaire, la Constitution de 1995 a introduit une structure fédérale de l’État comme solution pour maintenir les diversités ethniques, religieuses et culturelles qu’elle possède et atteindre les objectifs fondamentaux de la Constitution. Le pays connaît actuellement un développement qui émerge peu à peu et permet d’éradiquer la pauvreté au profit du peuple éthiopien.

La Constitution de 1995 de la République démocratique fédérale d’Éthiopie, dispose aux articles 50-52 que les pouvoirs et les fonctions de l’État sont répartis entre les États fédéraux et régionaux (fédérés). Les États fédéraux, ainsi que les États régionaux, ont leurs propres parlements, exécutifs et systèmes judiciaires afin d’établir leur propre autonomie. Le parlement au niveau fédéral est bicaméral et se compose comme suit :

1. La Chambre de la Fédération (House of Federation), qui est la Chambre haute ;

2. La Chambre des Représentants des Peuples (House of Peoples’ Representatives), qui est la Chambre basse.

Conformément à l’article 50 (3), la Chambre des représentants des peuples est la plus haute autorité du gouvernement fédéral. Mais, les parlements au niveau régional sont soit monocaméraux ou bicaméraux, en fonction de leurs situations internes.

La Constitution accorde également beaucoup d’attention aux droits de l’homme. Environ un tiers de son contenu est consacré à cette question. En effet, sur les 106 articles de la Constitution, 31 articles concernent les droits de l’homme. La Constitution adopte une position stricte selon laquelle les atrocités commises dans le passé à l’encontre des vies humaines ne doivent pas se répéter. Par conséquent, les droits des particuliers, des groupes et du peuple sont reconnus par notre constitution actuelle.

Je voudrais maintenant présenter une brève description du système judiciaire de mon pays. L’Éthiopie adhère au système juridique continental. Presque toutes nos lois codifiées (les Codes) proviennent du système juridique français des années 1950. Le pays utilise généralement les ensembles juridiques écrits. Une fois que le pays a adopté le système fédéral en vertu de la Constitution de 1995, il a établi un double système judiciaire ayant deux structures judiciaires parallèles, à savoir les cours fédérales et les cours de l’État / régionales. Ces deux niveaux de cours constitutionnellement établis sont indépendants et possèdent leurs propres administrations.

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D’autre part, l’article 79 de la Constitution de la République démocratique fédérale d’Éthiopie, dispose que les cours de tout niveau sont libres de toute forme d’ingérence ou d’influence émanant d’un organisme gouvernemental, de fonctionnaires ou de toute autre source. Les juges doivent exercer leurs fonctions judiciaires en toute indépendance et obéir à la loi. Les juges ont la garantie de ne pas être démis de leurs fonctions, sauf en cas d’infraction disciplinaire, d’incompétence ou d’inefficacité flagrantes, ou de maladie. Ces situations regrettables ne sont pas établies de manière arbitraire, mais doivent être constatées par décision d’un organe spécialement établi, le Conseil d’administration judiciaire. Les décisions des Conseils ne sont définitives que si les représentants de la Chambre fédérale des représentants des peuples ou le Conseil de l’État / régional approuvent ces décisions à la majorité des voix. La Constitution dispose également que les instances judiciaires doivent préparer et soumettre leur budget directement à leurs parlements respectifs pour approbation sans l’intervention de l’organe exécutif du gouvernement. Les nominations des juges fédéraux et régionaux, ainsi que des juges en chef et des juges en chef adjoints sont effectuées respectivement par les parlements fédéral et régional.

Les Constitutions fédérale et régionale stipulent de manière explicite que les pouvoirs judiciaires sont dévolus aux tribunaux. Une cour spéciale ou ad hoc qui ne respecte pas les procédures légales n’a pas d’existence légale dans le pays.

L’énoncé détaillé des pouvoirs et fonctions, ainsi que la structure des cours, tant fédérales que régionales, est stipulé dans leurs proclamations respectives (un ensemble de lois hiérarchisées établies aux côtés des Constitutions). Les cours fédérales et régionales sont dotées de leurs propres tribunaux de première instance, de la Haute Cour et des Cours suprêmes. La Cour suprême fédérale est au sommet du système judiciaire de la nation.

Le pouvoir et les fonctions, ainsi que la structure des cours régionales sont conférés par leurs constitutions régionales respectives, proclamations visant à établir les cours régionales, et par d’autres lois spéciales. Elles ont également des pouvoirs fédéraux délégués par la Constitution fédérale. Les cours suprêmes régionales ont également le pouvoir de cassation sur les erreurs fondamentales de droit en matière régionale. Cela crée, dans les faits, une nouvelle pratique dans le monde selon laquelle l’article 80 (3) (a) de la Constitution de la République démocratique fédérale d’Éthiopie permet à la Cour suprême fédérale d’exercer un recours en cassation sur recours en cassation dans les affaires régionales.

Un autre ensemble de compétence juridictionnelle est prévu pour Addis-Abeba, la capitale de l’État fédéral. Comme il est mentionné à l’article 49 (2) de la Constitution fédérale, les résidents d’Addis-Abeba jouissent d’une autonomie complète. Ainsi, l’administration de la ville, en vertu de sa charte, a établi et organisé son propre parlement, son exécutif et son pouvoir judiciaire. Cette cour de la ville a ses propres tribunaux de première instance et d’appel, où sont examinées généralement les questions municipales liées à la prestation de services municipaux et aux activités de développement.

Le système judiciaire éthiopien comprend des tribunaux sociaux, des tribunaux religieux, des mécanismes de résolution des conflits et d’autres organes quasi judiciaires. Tous ces systèmes fonctionnent avec leurs propres mécanismes et procédures.

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Cadres juridiques et réglementaires liés à l’exception d’inconstitutionnalité

L’interprétation constitutionnelle en Éthiopie suit un modèle différent. Selon la Constitution de la République démocratique fédérale d’Éthiopie de 1995, comme le prévoit l’article 62, le pouvoir d’interpréter la Constitution n’est pas dévolu aux tribunaux ordinaires, mais à la Chambre haute du Parlement fédéral (la Chambre de la Fédération).

Le fondement rationnel de l’attribution du pouvoir d’interpréter la Constitution à la Chambre de la Fédération et non à la magistrature ordinaire ou à une cour constitutionnelle, comme on peut le voir dans les procès-verbaux de l’Assemblée constitutionnelle, repose sur deux principes. L’un est lié à l’opinion du Constituant sur la « nature » de la Constitution, en général, et sur le rôle des nationalités, en particulier. Le Constituant estime que le nouvel ordre fédéral est le résultat du « rassemblement » des nationalités. En effet, il est clairement stipulé dans le préambule et à l’article 8 de la Constitution que les « nations, nationalités et peuples sont souverains ». La Constitution est considérée comme le reflet du « libre arbitre et du consentement » des nationalités. Elle est, selon les termes du Constituant, un « contrat politique » et, par conséquent, seuls ses auteurs, à savoir les nationalités, devraient avoir le pouvoir de l’interpréter. À cet effet, la Chambre de la Fédération, composée des représentants des différentes nationalités, est expressément habilitée à contrôler la constitutionnalité des lois et dispose bien entendu d’autres pouvoirs essentiels.

Le second principe est lié au premier. Le Constituant est bien conscient du fait que l’habilitation du pouvoir judiciaire ou d’une cour constitutionnelle peut conduire à un « aventurisme judiciaire » inutile ou à ce que certains préfèrent appeler un « activisme judiciaire » par lequel les juges interpréteraient de vagues dispositions de la Constitution selon leurs propres préférences et choix politiques. Ainsi, le Constituant soutient que cela pourrait entraîner le détournement de l’instrument qui est à la base du « pacte entre les nationalités » afin qu’il corresponde aux philosophies personnelles des juges. Il n’est pas difficile de comprendre les craintes et les préoccupations du Constituant compte tenu du fait que le pouvoir judiciaire éthiopien n’a pas encore gagné « les cœurs et les esprits » des citoyens ordinaires.

Le Constituant reconnaît, toutefois, le fait que l’interprétation implique des aspects techniques juridiques. En conséquence, la Chambre de la Fédération est assistée par le Conseil d’enquête constitutionnelle. Ce Conseil se compose de onze membres comprenant le président et le vice-président de la Cour suprême fédérale, qui occupent également les fonctions respectives de président et de vice-président du Conseil d’enquête constitutionnelle, six autres experts juridiques nommés par le Président de la République sur recommandation de la Chambre basse et provenant de différentes circonscriptions, et enfin trois personnes qui sont désignées par la Chambre de la Fédération parmi ses membres.

Création et structure du Conseil d’enquête constitutionnelle

Le Conseil d’enquête constitutionnelle a été créé en vertu de l’article 82 de la Constitution de la République démocratique fédérale d’Éthiopie. Le Conseil est habilité à enquêter sur les différends constitutionnels conformément à l’article 84 de la Constitution, qui exige une bonne pratique et une bonne structure pour répondre efficacement aux questions liées à l’interprétation de la Constitution.

La durée du mandat du président et du vice-président du Conseil est la même que celle de leur présidence et de leur vice-présidence respectives à la Cour suprême fédérale. La durée du mandat des membres du Conseil désignés par la Chambre de la Fédération est la même que celle du mandat de la Chambre de la Fédération. La durée du mandat des membres du Conseil nommés par le Président de la République est de six ans. Les membres du Conseil désignés par la Chambre de la Fédération et ceux nommés par le Président de la République peuvent être réélus.

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Pouvoirs et fonctions du Conseil

Le Conseil a le pouvoir d’enquêter sur des questions constitutionnelles conformément à l’article 84 (1) de la Constitution et, s’il estime nécessaire d’interpréter la Constitution, il doit soumettre sa recommandation d’interprétation constitutionnelle à la Chambre de la Fédération. Si, par contre, il estime que la question ne nécessite pas une interprétation constitutionnelle, il prend une décision à cet effet.

Lorsqu’une éventuelle inconstitutionnalité d’une loi, d’une pratique coutumière, d’une décision d’un organe gouvernemental ou d’une décision d’un fonctionnaire est soumise par écrit au Conseil, celui-ci examine la question. Les questions d’interprétation constitutionnelle sont soumises pour examen au Conseil si elles relèvent de l’ordre juridique, lorsqu’elles ont été portées devant le tribunal compétent et qu’elles ont été entendues par celui-ci, et si elles relèvent de l’ordre administratif, lorsqu’une décision finale a été rendue par l’organe exécutif compétent en suivant la voie hiérarchique. L’interprétation constitutionnelle de toute question qui ne relève pas de la justice peut être soumise au Conseil par un tiers ou plus des membres des conseils fédéraux ou d’État ou par des organes exécutifs fédéraux ou étatiques.

Lorsque l’interprétation constitutionnelle des questions portées devant les tribunaux est soulevée, le tribunal ou la partie intéressée peut soumettre la question au Conseil. Toute personne qui soutient que son droit fondamental et sa liberté consacrés par la Constitution ont été violés en raison d’une décision finale rendue par un organe gouvernemental ou un fonctionnaire, peut soumettre son cas au Conseil pour interprétation constitutionnelle. La question de l’interprétation constitutionnelle peut être soumise au Conseil lorsqu’une décision finale a été rendue par un organe gouvernemental ayant compétence pour statuer sur l’allégation de violation d’un droit en suivant la voie hiérarchique.

Personnes compétentes pour soumettre des questions d’interprétation constitutionnelle au Conseil d’enquête constitutionnelle

Lorsque toute loi promulguée par le gouvernement fédéral ou les organes législatifs d’État est contestée comme étant inconstitutionnelle, le tribunal concerné ou la partie intéressée peut soumettre l’affaire au Conseil. Le Conseil, après avoir examiné la demande d’interprétation constitutionnelle, rejette la demande et en avise par écrit le demandeur s’il estime que l’interprétation constitutionnelle n’est pas nécessaire.

Jusqu’à ce que le Conseil décide, après avoir examiné la question de l’interprétation constitutionnelle qui lui est soumise par un tribunal ou par une partie intéressée, il peut ordonner que l’affaire soit pendante devant le tribunal.

À moins que le président du Conseil ne décide l’examen préalable des cas en raison de l’existence de circonstances spéciales, les cas soumis au Conseil sont examinés selon leur ordre de préséance. La question soumise à l’interprétation constitutionnelle devant le Conseil n’est pas sujette au délai de prescription depuis l’existence de la Constitution éthiopienne de 1995. Cela alourdit un peu le travail d’enquête pour traiter les affaires apparues depuis les vingt dernières années ou plus.

Délibération et procédure de décision du Conseil d’enquête constitutionnelle

La procédure de délibération, de prise de décision ou de soumission de recommandation fait l’objet d’une enquête avant d’être présentée en plénière par le sous-comité du Conseil.

Le sous-comité d’enquête organise les cas d’interprétation constitutionnelle d’une manière appropriée pour la prise de décision, identifie les cas qui nécessitent ou non une interprétation constitutionnelle, les faits pertinents pour la prise de décision, les lois pertinentes, les décisions et, dans la mesure nécessaire, les expériences pertinentes et les soumet au Conseil avec les clarifications basées sur l’étude.

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La réunion et la procédure de prise de décision du Conseil nécessite la présence des deux tiers des membres du Conseil. La décision ou la recommandation du Conseil est prise à la majorité des voix. En cas d’égalité, le président a voix prépondérante. La décision ou la recommandation du Conseil mentionne les noms et prénoms des membres du Conseil présents à la réunion, les requérants ou leurs représentants et les personnes qui donnent leur avis ainsi que les détails de l’affaire. À moins qu’il n’y ait eu une bonne raison, une affaire soumise au Conseil ne peut être reportée plusieurs fois. Le Conseil peut entendre les affaires en toute transparence, conformément à l’article 12 (1) de la Constitution.

Avant de prendre une décision ou de soumettre une recommandation à la Chambre de la Fédération sur les cas qui lui sont soumis pour interprétation constitutionnelle, le Conseil demande aux institutions ou aux professionnels compétents de se présenter devant lui et de donner leurs avis. Lorsqu’il estime nécessaire d’enquêter sur des affaires constitutionnelles, le Conseil peut exiger la présentation de tout élément ou avis de professionnel pour examen. Toute personne sollicitée par le Conseil pour produire des preuves a l’obligation de les donner immédiatement.

La décision du Conseil décrit de manière détaillée l’affaire et la raison pour laquelle il estime qu’il est nécessaire ou non d’interpréter la Constitution et présente sa conclusion. Les cas d’interprétation constitutionnelle soumis au Conseil ne sont pas soumis au paiement de frais.

Délibération et procédures de prise de décision de la Chambre de la Fédération

La Chambre crée une commission permanente, composée de ses membres, chargée d’examiner les propositions qui lui sont soumises par le Conseil d’enquête constitutionnelle et les appels interjetés contre les décisions du Conseil d’enquête constitutionnelle. La commission peut être mandatée par la Chambre pour décider si un appel interjeté contre une décision du Conseil d’enquête constitutionnelle doit être présenté à l’assemblée générale de la Chambre ou non. Selon la proclamation No. 251/2001 art.18, les détails sont déterminés par le règlement qui sera publié par la Chambre. Mais ce règlement n’a pas encore été promulgué, ce qui a donné lieu à des irrégularités entre les deux institutions.

Applicabilité de la décision rendue par la Chambre de la Fédération

La décision finale de la Chambre de la Fédération qui lui a été soumise par le Conseil d’enquête constitutionnelle sur l’interprétation constitutionnelle a un effet général qui s’applique donc à des questions constitutionnelles similaires qui pourraient se poser à l’avenir. La Chambre fait connaître la décision dans un bulletin spécial publié à cette fin

Conclusion

La valeur d’une Constitution doit être appréciée par rapport à la mesure dans laquelle les individus bénéficient de ses garanties, notamment par le biais de litiges. L’accès à la justice constitutionnelle requiert, entre autres, un système d’arbitrage constitutionnel indépendant et fiable. Un système d’arbitrage constitutionnel indépendant est particulièrement important en l’absence de mécanismes de contrôle efficaces entre les organes législatif et exécutif émanant de la forme parlementaire de gouvernement que la Constitution établit. Le système d’arbitrage constitutionnel est la seule voie possible pour contester les lois et les politiques et autres décisions administratives fondées sur des normes constitutionnelles. L’enracinement des droits justiciables et d’autres limites substantielles et procédurales au pouvoir du gouvernement, associé à la suprématie de la Constitution, fournit la base normative nécessaire à la justice constitutionnelle en Éthiopie. Malgré cette base normative claire, et bien que le Conseil n’impose pas de frais de service, la contribution de la révision de la Constitution à la garantie de la justice constitutionnelle a été visible et presque totalement pertinente.

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L’accès à la justice constitutionnelle en Éthiopie s’est amélioré au fil du temps. L’accès direct à la justice constitutionnelle en Éthiopie est un outil très important pour assurer le respect des droits individuels de la personne au niveau constitutionnel. Les choix existants sont larges et de nombreuses possibilités coexistent. Mais les personnes qui déposent des plaintes ne sont généralement pas bien informées et n’ont pas les compétences juridiques pour formuler une demande valide. Le Conseil sert également de filtre pour éviter la surcharge de travail, en sélectionnant les demandes afin de laisser de côté les demandes inutiles.

Plus de 20 ans après l’entrée en vigueur de la Constitution en 1995, le nombre total des affaires constitutionnelles soumises au Conseil s’est élevé à 2 600. Le Conseil a jusqu’à présent renvoyé à la Chambre de la Fédération pour décision finale 43 affaires concernant, entre autres, le droit des femmes et des enfants, le droit des personnes handicapées, le droit de mise en liberté provisoire sous caution, le droit des agriculteurs de posséder des terres agricoles et les clauses juridictionnelles d’exemption. Bon nombre des affaires ont contesté la constitutionnalité de la décision d’un tribunal.

Je vous remercie.

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Intervention de :

Mr. Abdessalem Mehdi GRISSIAA

1er Président du tribunal administratif

Vice-président de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois en Tunisie

Sur le Thème :

« Réflexions sur l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle de Tunisie - en cours

création » (Présentée en arabe)

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Au nom de Dieu, le Clément et le Miséricordieux

Monsieur le Président de la Conférence des Juridictions constitutionnelles africaines,

Monsieur le président du Conseil constitutionnel algérien,

Messieurs les présidents des juridictions constitutionnelles,

Chers collègues,

Chère assistance,

Présentation

1. L’exception d’inconstitutionnalité est une garantie constitutionnelle instituée pour assurer la protection des droits et libertés dans le cadre d’un litige dont le citoyen est parti. Elle est par conséquent, une forme de contrôle a posteriori de la constitutionnalité d’une loi applicable à tout litige. Ce mécanisme permet aux parties de saisir indirectement la Cour constitutionnelle. Les autorités politiques disposent essentiellement de ce droit, ce qui montre que le contrôle de constitutionnalité des lois demeure plus un contrôle politique qu’un contrôle juridique. Cependant, le contrôle de constitutionnalité des lois a, dans tous les cas, comme objectif de mettre fin à ce qu’il est connu comme le mythe de la primauté absolue de la loi en tant qu’expression de la volonté générale qui ne pouvait faire d’aucune contestation. Grâce à ce contrôle, les Cours sont devenues compétentes aux côtés d’autres pouvoirs, pour exercer le contrôle de constitutionnalité des lois. Bien plus, l’on peut dire que le recours à la Cour, par l’usage du procédé de l’exception d’inconstitutionnalité, n’est plus une simple arme dans un conflit qui est de nature politique plutôt que juridique. Car, parmi ses avantages majeurs, il permet de se rapprocher des citoyens, et cette possibilité revêt une importance particulière en matière de protection des droits fondamentaux.

2. Le contrôle par la voie d’exception d’inconstitutionnalité a rencontré en droit comparé, beaucoup de critiques de la part la doctrine. Celle-ci le considérait comme un défi à la volonté du législateur, en tant que représentant de la volonté du peuple, en la soumettant aux pouvoirs des juges, ce qui constitue une transgression du principe de la séparation des pouvoirs.

3. Le législateur n’est plus aujourd’hui, à l’abri d’erreur. Le contrôle n’est plus exercé contre lui, par les seules autorités politiques mais aussi par les différentes juridictions qui sont dorénavant compétentes pour retarder l’application de la loi sur saisine des parties au litige. Cependant la reconnaissance de ce droit aux parties et non à la Cour, signifie, en contrepartie, que ces Cours pourraient dans ce cas, violer la Constitution.

La mise en place de l’exception d’inconstitutionnalité des lois en Tunisie

4. La première Constitution de la République tunisienne n’avait pas consacré le moyen de l’exception d’inconstitutionnalité. En revanche, le droit judiciaire et le droit administratif en Tunisie avaient consacré ce moyen en intégrant d’abord, les normes constitutionnelles dans les règles de la légalité (article 5 de la loi de juin 1992 relative au tribunal administratif), ce qui permet, par exemple, d’écarter l’application de la loi inconstitutionnelle.

5. En l’absence de tout contrôle constitutionnel des lois, les juridictions judiciaires de première instance et d’appel avaient déclaré que la loi sur les associations non conforme à la Constitution. Cependant, la Cour de cassation n’avait pas soutenu cette orientation et a formé un pourvoi en cassation.

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6. Le Tribunal administratif a affirmé le principe de la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité en l’absence d’un fondement juridique. Elle a considéré en effet, que si le rôle du juge administratif est de s’assurer de la bonne exécution de la loi, il est de son devoir, en l’absence d’une Cour constitutionnelle qui statue au fond sur la conformité de la loi à la Constitution, de voir si la disposition législative a respecté les sources du droit qui lui sont supérieures, en l’occurrence la Constitution, les principes fondamentaux à valeur constitutionnelle et les traités exécutoires, pour pouvoir le cas échéant, écarter son application. Cette position est réaffirmée à chaque fois qu’une exception est soulevée devant lui. Car, le Conseil constitutionnel a été dissous juste après la Révolution de la liberté et de la dignité du 17 décembre 2010 et du 14 janvier 2011 et avant la création de l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois, en place à ce jour.

7. La consécration du contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’exception constitue l’une des innovations majeures introduites dans la Constitution de la deuxième République en Tunisie (Constitution du 14 janvier 2014). En effet, la Constitution de la première République (Constitution de 1959) n’avait pas prévu ce mécanisme ; le contrôle de constitutionnalité était limité au contrôle a priori que le Conseil constitutionnel dissous exerçait sur les projets de lois que lui soumettait le président de la République ainsi que sur le Règlement intérieur de l’Assemblée conformément à l’alinéa 3 de l’article 74 de l’ancienne constitution.

8. Le contrôle constitutionnel, appelé contrôle a priori, ne se limite plus au projet de loi. Il s’exerce dorénavant sur la loi elle-même dans le cadre du contrôle appelé a posteriori qui suit l’adoption du texte. La compétence de la Cour constitutionnelle en Tunisie pour l’exercice du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois, sur saisine du tribunal ordinaire à l’initiative d’une partie au litige, constitue un pas qualitatif dans le système juridique et judiciaire tunisien. Il s’agit d’une compétence nouvelle qui intègre la Tunisie parmi le groupe de pays qui ont institué un contrôle général sur la constitutionnalité des lois. En outre, ce contrôle permet, le cas échéant, de nettoyer le corpus juridique en vigueur des inconstitutionnalités existantes.

9. Le contrôle par voie d’exception ne signifie, cependant, pas que les tribunaux disposent du droit de statuer sur la constitutionnalité d’une loi mais signifie que ces tribunaux peuvent renvoyer l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle suivant des conditions rigoureuses prescrites dans la loi.

10. La réponse à la revendication des parties au litige de ne pas leur appliquer une loi jugée inconstitutionnelle, veut dire que l’exception obéit à la volonté des parties et que la Cour n’a pas le droit de soulever d’elle-même l’exception d’inconstitutionnalité.

11. L’exception n’est pas, par conséquent, de nature à attenter au principe de la séparation des pouvoirs. Ce principe ne doit pas cependant, conduire à obliger le tribunal à appliquer une loi inconstitutionnelle, car celui-ci est seulement tenu d’appliquer les lois qui sont conformes à la Constitution. Nécessairement, la loi ne peut exprimer la volonté générale que dans le cadre du respect de la Constitution. Dans le cas contraire, la loi ne doit pas bénéficier d’aucune immunité ou privilège sur le reste des textes.

12. Grâce à la consécration de l’exception d’inconstitutionnalité, la Cour constitutionnelle devient, en vertu de l’article 118 de la Constitution, une instance juridictionnelle. Le contrôle a priori par voie d’action par les instances politiques, ne permettait pas de conférer cette qualité à la Cour.

13. L’article 120 de la Constitution de la deuxième République de Tunisie dispose ce qui suit : « La Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité :

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— des projets de loi, sur demande du Président de la République, du Chef du Gouvernement ou de trente membres de l’Assemblée des représentants du peuple. La Cour est saisie dans un délai maximum de sept jours à compter de la date d’adoption du projet de loi ou de la date d’adoption du projet de loi amendé, après renvoi par le Président de la République ;

— des projets de loi constitutionnelle que lui soumet le Président de l’Assemblée des représentants du peuple conformément à ce qui est prévu à l’article 144 ou pour contrôler le respect des procédures de révision de la Constitution ;

— des traités que lui soumet le Président de la République avant la promulgation du projet de loi relatif à l’approbation de ces traités ;

— des lois que lui renvoient les tribunaux, suite à une exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’une des parties, dans les cas et selon les procédures prévues par la loi ;

— du règlement intérieur de l’Assemblée des représentants du peuple que lui soumet le Président de l’Assemblée.

La Cour exerce les autres attributions qui lui sont conférées par la Constitution.»

14. L’article 54 de la loi organique du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle, prévoit que les parties dans les affaires pendantes au fond devant les tribunaux peuvent soulever l’exception d’inconstitutionnalité de la loi applicable au litige.

15. Cette exception est très générale. Il aurait été possible de limiter l’exception aux dispositions que les parties jugent comme pouvant porter atteinte à leurs droits et libertés garantis par la Constitution, comme c’est le cas dans les Constitutions française (article 61), algérienne et marocaine. D’autre part, la Constitution tunisienne donne à l’une des parties la possibilité de soulever l’exception alors que la loi relative à la Cour constitutionnelle tend dans sa rédaction, à généraliser l’exception aux parties.

16. Quelle est, en outre, la signification de « la loi applicable au litige ». L’appréciation de la relation entre la loi incriminée pour inconstitutionnalité, et le litige posé, se situe au cœur de la mission des tribunaux. Cette appréciation est, semble-t-il, de la compétence de la commission spéciale bien qu’elle ne concerne pas l’aspect formel ou procédural prévu à l’article 59 de la loi organique mais concerne le fond du litige. En plus, la condition que la loi soit applicable au litige diffère de l’exception fixée par un délai. L’exception peut en effet, s’étendre à toute autre loi et peut être soulevée à tout moment. Mais, l’une des caractéristiques de l’exception est qu’elle peut être soulevée en général, avant l’examen au fond.

17. Par ailleurs, la question de constitutionnalité doit être sérieuse et utile pour statuer sur le litige. La bonne interprétation suppose que le tribunal du renvoi s’engage à apprécier le degré d’applicabilité de la loi au litige. Enfin, les tribunaux ne disposent pas du droit de soulever d’office l’exception d’inconstitutionnalité à l’inverse d’autres pays.

18. En application des dispositions de la Constitution et de la loi organique n°50 de 2015, l’exception d’inconstitutionnalité est soulevée par les seules parties au litige.

19. La problématique qui reste posée concerne la possibilité de soulever l’exception d’inconstitutionnalité par d’autres parties. La personne ayant intérêt الممممخمممم مممم ا مممم pourrait-il, à titre d’exemple, attaquer une loi pour inconstitutionnalité ? Sur le plan du principe, elle peut soulever une exception d’inconstitutionnalité. L’examen de la question reste du ressort de la Cour constitutionnelle, seule compétente pour statuer.

20. L’exception d’inconstitutionnalité est soulevée dans les affaires pendantes au fond. Cette expression est ambigüe. Que signifient les affaires pendantes au fond. Il semblerait que le sens visé concerne les affaires recevables en la forme. La Cour est appelée à statuer d’abord, sur cette question. Si l’exception d’inconstitutionnalité est

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soulevée avant la recevabilité de l’instance en la forme, le tribunal du renvoi se prononce tout de même, pour le renvoi immédiat de l’affaire devant la Cour constitutionnelle, tel que prévu à l’article 56 de la loi organique. Qu’en est-il si l’instance est déclarée irrecevable en la forme ? Quelle est donc utilité du renvoi dès lors que le tribunal du renvoi ne peut pas examiner l’affaire au fond. Il semblerait que la signification du fond est que l’exception doit porter sur la loi applicable au fond. C’est le tribunal du renvoi qui devrait être saisi sur cette question avant la Cour constitutionnelle.

21. L’exception d’inconstitutionnalité est soulevée devant les tribunaux. Il convient de souligner que l’expression « les tribunaux » est absolue et obéit aux règles générales. Elle englobe autant les tribunaux de l’ordre judiciaire que les tribunaux de l’ordre administratif. Cependant, la loi organique n’a pas prévu les étapes de la procédure au cours desquelles l’exception peut être soulevée. La volonté du législateur tend probablement à permettre aux parties de soulever l’exception à toutes les étapes de la procédure (première instance, appel) et même devant la Cour de cassation. En République d’Autriche, l’exception est soulevée devant les tribunaux d’appel. Cette possibilité conduit à déférer un grand nombre d’exception devant la Cour et à retarder le prononcé des affaires en cours.

22. L’article 54 de la loi organique, tel que formulé, notamment l’obligation du renvoi immédiat conduit à inonder la Cour constitutionnelle par les exceptions dépourvues parfois de caractère sérieux et à but dilatoire. Comment donc contrecarrer des exceptions qui poursuivent en définitive, des objectifs autres que ceux prescrits par la Constitution et la loi organique.

23. L’exception devrait être soulevée devant des magistrats qui jouissent de compétence et d’expérience en tant que juges d’appel ou de cassation. Si l’expérience est requise pour le membre de la Cour constitutionnelle, elle n’est pas exigée pour les magistrats du tribunal du renvoi.

24. Par ailleurs, elle peut être soulevée devant un juge unique. Sur le plan du principe, le juge unique peut accepter l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant lui, bien que l’expression tribunaux regroupe toutes les instances juridictionnelles sans distinction.

Les procédures et les effets de l’exception d’inconstitutionnalité

25. Les procédures de l’exception

En application des dispositions de l’article 55 de la loi organique n°50-2015 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle :

• Le recours d’exception d’inconstitutionnalité doit être présenté au moyen d’un mémoire indépendant des autres mémoires présentés dans le cadre de l’affaire pendante devant le tribunal saisi.

• Le mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité doit être motivé et rédigé par un avocat près la Cour de cassation.

• Le mémoire doit contenir l’exposé des motifs du recours avec une précision détaillée des dispositions de la loi objet de recours.

Il y a lieu de noter que le législateur n’a pas prévu de sanctions en cas de non-respect des conditions susvisées ainsi que l’éventualité de corriger ou non ce non-respect.

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26. Les effets de l’exception

L’article 56 de la de la loi organique n°50-2015 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle prévoit que les tribunaux devant lesquels l’exception est soulevée, doivent renvoyer immédiatement l’affaire à la Cour constitutionnelle.

Lorsque le renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité est effectué et que la Cour constitutionnelle saisie du litige, constate le non-respect des conditions énoncés à l’article 55 de la loi organique- à titre d’exemple, la partie ayant soulevé l’exception n’a pas la qualité ou la loi contestée ne s’applique pas au litige- se posera alors la question suivante : le tribunal enverra-t-il immédiatement l’affaire à la Cour constitutionnelle ou alors examinera-t-il et se prononcera-t-il sur l’affaire au plan de la forme et des procédures ? N’enverra-t-il pas l’affaire devant la Cour constitutionnelle de manière systématique ?

Sur le plan du principe, le tribunal saisi du litige, ne doit pas examiner les conditions de forme et de procédure de l’exception d’inconstitutionnalité. Il est seulement tenu d’envoyer immédiatement l’affaire à la Cour constitutionnelle sans examiner si ces conditions sont satisfaites ou non.

Il aurait été plus judicieux de donner au tribunal la possibilité d’apprécier la pertinence de l’exception d’inconstitutionnalité à l’effet de réduire le nombre d’exceptions différées devant la Cour et leur impact sur les délais impartis pour statuer, à l’instar de l’expérience française. Celle-ci a instauré un contrôle sur le sérieux de l’exception d’inconstitutionnalité, en prévoyant que le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation sont chargés de se prononcer sur le sérieux de la Question Prioritaire de Constitutionnalité avant son renvoi devant le Conseil constitutionnel.

Cet article 56 de la loi organique prévoit que la décision de renvoi de l’affaire n’est susceptible d’aucune voie de recours même de pourvoi en cassation. L’expression « l’affaire » est en elle-même ambigüe. Il aurait fallu que le tribunal rende une décision de surseoir à l’examen et de renvoyer le mémoire devant la Cour constitutionnelle.

Le renvoi par les tribunaux est immédiat. En d’autres termes, les tribunaux ne jouent aucun rôle dans l’appréciation de la pertinence du recours et ne peuvent soulever d’eux-mêmes l’exception d’inconstitutionnalité. N’y a-t-il pas là une contradiction avec l’article 102 de la Constitution qui prévoit que la magistrature est un pouvoir indépendant, qui garantit l’instauration de la justice, la suprématie de la Constitution ? Le renvoi immédiat n’est-il pas de nature à inonder la Cour constitutionnelle de milliers de recours en exceptions d’inconstitutionnalité, et sur lesquels elle doit se prononcer dans un délai maximum de six mois.

La décision de renvoi doit être rendue immédiatement après la présentation de l’exception ou de l’affaire, pour reprendre l’expression de la loi. Elle doit comporter les noms, prénoms et adresses des parties, les moyens du pourvoi dirigés contre la loi incriminée et les dispositions de celle-ci, objet de l’exception d’inconstitutionnalité, ainsi qu’un exposé succinct des faits de l’affaire au fond liés directement au recours.

La question qui se pose dans ce cas est lorsque le mémoire indépendant ne comporte pas les conditions requises à l’article 55 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle. Il semblerait, au regard des conditions que doit comporter la décision de renvoi, que le tribunal saisi, pourrait ne pas décider de renvoyer le recours si le mémoire ne respecte pas les exigences légales, dans le cas, par exemple, où le recours est présenté par un avocat qui n’est pas inscrit près la Cour de cassation. Le renvoi immédiat ne peut être, dans ce cas, effectué que si les conditions légales requises sont satisfaites. Il est à craindre cependant, que le tribunal du renvoi abuse de son pouvoir d’appréciation. Il convient donc de prévoir des garde-fous précis pour l’accomplissement de ce rôle, d’autant que la décision de renvoi n’est pas susceptible de recours, même de pourvoi en cassation, alors que le cas de refus n’est pas prévu par la loi.

La décision de renvoi est signée par le président et le greffier du tribunal concerné. Elle n’est susceptible d’aucune voie de recours, même de pourvoi en cassation. Elle est adressée à la Cour constitutionnelle accompagnée de mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité.

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L’article 58 de la loi organique n°50-2015 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle prévoit que la décision de renvoi à la Cour constitutionnelle interrompe l’examen de l’affaire principale et que les délais sont suspendus à compter de la date de la prise de décision jusqu’à la réception par le tribunal devant lequel avait été porté le recours, la décision de la Cour constitutionnelle sans qu’elle soit reçue.

Le contrôle formel et procédural du mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité

27. L’article 59 de la loi organique n°50-2015 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle dispose qu’il est créée auprès de la Cour constitutionnelle, par décision de son président, une ou plusieurs commissions spéciales. Cette commission, composée de trois membres spécialistes en droit, est chargée de la mission de vérifier si le mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité a respecté les règles de forme et de procédure. Ses propositions d’acceptation ou de rejet des renvois au plan de la forme et des procédures, sont soumises au président de la Cour constitutionnelle.

28. Il aurait été plus judicieux de prévoir deux niveaux de filtre. Le premier filtre est effectué par les tribunaux devant lesquels l’exception est soulevée et le second devant la Cour constitutionnelle, tout en instaurant des conditions claires, à l’instar du critère du sérieux de l’exception et de la condition que celle-ci porte atteinte directement aux droits du justiciable. Dans ce cadre, il aurait été intéressant de s’inspirer des expériences en droit comparé. En France, par exemple, il existe deux niveaux de filtre par les tribunaux d’abord, puis par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat. L’exception n’est renvoyée que si trois conditions sont satisfaites, à savoir le sérieux de l’exception, l’application de la loi au litige et la non déclaration de la loi conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence antérieure.

29. Dans ce contexte, aucun délai n’a été prévu à la Commission spéciale créée, pour examiner la recevabilité des renvois aux plans de la forme et des procédures. Après quoi, la Cour constitutionnelle statue sur les propositions de la commission à la majorité absolue de ses membres. Ses décisions doivent être motivées. Elles sont rendues au nom du peuple et publiées au Journal officiel de la République tunisienne dans un délai de 15 jours à compter de la date de leur émission. Elles s’imposent à tous les pouvoirs.

30. En conclusion, la vérification par la Commission du respect des conditions formelles et procédurales du mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité supposerait que le tribunal du renvoi a procédé immédiatement au renvoi de l’affaire devant la Cour constitutionnelle, même si les exigences contenues à l’article 55 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle ne sont pas remplies. Alors que contenu de la décision de renvoi, supposerait, au sens de l’article 57, que l’exception est présentée car elle satisfait totalement aux conditions de forme et de procédure.

Examen des recours soulevés dans le mémoire de l’exception d’inconstitutionnalité

31. En application des dispositions de l’article 123 de la Constitution tunisienne et de l’article 60 la loi organique n°50-2015 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle : « en cas de saisine de la Cour constitutionnelle suite à une exception d’inconstitutionnalité d’une loi, celle-ci se limite à examiner les moyens invoqués, sur lesquels elle statue par décision motivée, dans un délai de trois mois renouvelable une seule fois pour la même période. Si la Cour constitutionnelle déclare l’inconstitutionnalité, l’application de la loi est suspendue, dans les limites de ce qui a été jugé. »

32. La Cour constitutionnelle saisie, examine les renvois déclarés recevables, dans les limites des moyens invoqués.

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33. La Cour constitutionnelle, au sens de cet article, ne peut invoquer des moyens d’elle-même. Les règles de l’ordre public constitutionnel ne sont pas prévues. Le requérant n’est tenu de les invoquer.

34. L’examen des recours implique de vérifier si ces recours ont une relation avec l’affaire principale. L’une des conditions de cette relation est qu’elle soit utile pour statuer sur le litige, car une relation fragile est de nature à conduire au refus du recours. Il reste à la commission spéciale puis à la Cour constitutionnelle de statuer par la suite, sur l’affaire.

35. Les recours doivent être dirigés contre la loi, ce qui est pourrait conduire à la saturation de la Cour, car l’examen de dispositions d’une loi, ou d’une loi dans son ensemble, ou de plusieurs lois implique une marge de temps variable. En conséquence, la Cour peut refuser d’examiner la constitutionnalité de plus d’une loi. Il semblerait que la formulation de l’article 60 de la loi organique permet de retenir cette interprétation, à savoir l’examen d’une loi ou d’une disposition de loi.

36. Le principe est que si la Cour déclare une loi ou des dispositions d’une loi, inconstitutionnelles, leur application est suspendue dans les limites de ce qui a été jugé, envers tous, sans que son prononcé ne puisse avoir d’effet rétroactif sur les droits acquis ou sur les affaires ayant fait l’objet d’un jugement définitif, et ce dans les limites des moyens invoqués par les parties conformément à l’article 123 de la Constitution. Il est parfois impossible de séparer les dispositions d’une loi, les unes des autres, car la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition légale peut avoir un effet sur les autres dispositions.

37. Une situation exceptionnelle est cependant prévue. Il s’agit du cas où le recours d’exception d’inconstitutionnalité porte sur les lois électorales. Si la Cour déclare leur inconstitutionnalité, les dispositions, objet de recours, sont suspendues seulement envers le requérant et ce à compter de la date de prise de la décision de la Cour constitutionnelle. L’application des dispositions de la loi, déclarées inconstitutionnelles par la Cour, est suspendue à partir des élections suivantes. Si la Cour déclare le refus du recours, la loi ne peut faire l’objet d’un recours ultérieur contestant sa constitutionnalité, tant que des motifs nouveaux n’ont pas été invoqués.

38. Au Etats unis d’Amérique, les effets découlant de l’inconstitutionnalité d’une loi, contestée par voie d’exception, conduisent à s’abstenir d’appliquer cette loi. Son effet est relatif, puisqu’il s’étend aux parties au litige uniquement.

39. En Egypte, la déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi, contestée par voie d’exception, conduisent à l’annulation de cette loi. Cette annulation a force de chose jugée et s’impose à tous, sans effet rétroactif cependant, sur les droits acquis ou les affaires ayant été jugées définitivement.

Les délais de statuer par la Cour constitutionnelle sur les exceptions d’inconstitutionnalité

40. La Cour constitutionnelle statue sur les recours dans un délai de trois mois prorogeable une seule fois pour une même durée.

41. La Cour constitutionnelle prononce sa décision dans un délai maximum de 45 jours sur les recours présentés par le président de la République, le chef du gouvernement ou trente députés. Aucune prorogation de ce délai n’est prévue. La transmission est immédiate au président de la République, si aucune date n’est fixée.

42. La question se pose concernant le décompte du délai des trente jours, à partir de quelle date commencera-t-il à courir ?

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43. Le décompte des délais court en principe, à compter de la décision du tribunal saisi, de renvoyer l’affaire devant la Cour constitutionnelle, et non à compter de la date où la commission spéciale créée, présente ses observations portant sur la recevabilité ou non des renvois au plan formel et procédural.

44. Les délais exceptionnels liés à des matières particulières :

45. Ce délai est réduit à cinq jours suite à une exception d’inconstitutionnalité d’une loi électorale à l’occasion des recours en matière électorale.

46. Il est réduit à trente jours suite à une exception d’inconstitutionnalité des lois relatives aux matières fiscales et douanières.

Telles sont mesdames et messieurs quelques réflexions sur l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle dont les membres ne sont pas encore désignés ou élus. Une fois qu’elle aura entamé l’exercice de ses missions, elle produira assurément une jurisprudence riche à laquelle se référeront tous les acteurs dans les domaines juridique et constitutionnel et qui sera, aussi, un bon stimulant pour les institutions constitutionnelles pour garantir le respect de la suprématie de la Constitution et du droit.

Je vous remercie pour votre attention.

Alger, capitale mondiale de la justice constitutionnelle en 2020

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Discours de Clôture

Du 2eme Séminaire international de la CJCA

Prononcé par :

Mr. Mourad MEDELCI

Président du Conseil constitutionnel Algérien

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Excellences, Mesdames, Messieurs,

Il y a dans cette enveloppe quelque chose que je voudrais partager avec vous, il y a quelque chose qui est presque parfait, je commencerai par là et quelque chose qui est très imparfait, ce sera mon intervention.

La chose qui est presque parfaite, c’est cette photo qui va immortaliser la réunion d’Algérie, et qui va vous permettre en rentrant chez vous, de dire aujourd’hui et demain et dans 15 ans, j’étais à Alger et j’ai participé à cette réunion, c’était très utile, et peut être que vos enfants et vos petits enfants pourront en ce moment-là, constater que la réunion d’Algérie a fait progresser des choses, je l’espère.

J’ai dit que c’était presque parfait parce que quand nous étions plus jeunes, nous avions des photos de classe, et il y avait ce qu’il n y a pas dans cette photo une petite ardoise ou on disait, cours élémentaire de…., école …, là ça fait défaut, mais on fera mieux la prochaine fois.

Alors, la chose imparfaite, je vous en prie de vouloir m’excuser, mon speech, extrêmement arithmétique et cascade si je peux dire.

Un, je remercie chaque participant avec une mention particulière, nos invités non régionaux, et évidement, une mention tout à fait spéciale à notre président Mogoeng, qui est président de la CJCA.

Je voudrais que vous l’applaudissiez, je voudrais que vous applaudissiez également tous ses collaborateurs, chacun par son nom, je ne les connais pas tous, mais je connais bien Mr LARABA, et je sais que pendant quelque mois, il a beaucoup travaillé pour préparer ce séminaire, les thèmes choisis pour ce séminaire ont contribué à ce succès de ces journées d’études qui nous ont permis de mettre le citoyen au cœur du système de gouvernance.

Aujourd’hui, tous nos pays, presque tous ont consacré le rôle du citoyen comme défenseur de nos constitutions, les mécanismes mis en place en Afrique s’appuient sur les mêmes principes et visent les mêmes objectifs.

A Alger, nous avons l’occasion de percevoir des différences et non des divergences. Ces différences se sont liées à l’histoire de chacun des pays, et quelque fois aussi à des choix résonnés.

Pour ce qui est des procédures de mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité, et là, chaque expérience peut être partagé très généreusement, merci aux conférenciers dans le texte concerte était distribué sous la responsabilité de leurs auteurs, mais à profit partagé par tous, merci à tous ceux qui sont très nombreux, qui ont participé à nos débats particulièrement riches.

Il y a probablement une feuille qui ne veut pas se séparer de l’autre, comme nous ne voulons pas nous séparer de vous-même ce soir, merci M. le secrétaire général ABOUDOU Salami pour la qualité de travail que vous avez fait et la patience qui était la vôtre pour enregistrer tous ce que vous avez fait, et surtout, pour le travail qui reste à faire pour boucler complètement nos travaux.

Votre contribution et de chacun d’entre nous, sera consignée dans des actes, qui serons établis à l’indicatif de notre maison commune la CJCA, et ce, dans les meilleurs délais possibles.

J’espère que votre séjour aura été agréable, même si le temps vous y manque pour faire quelque balade en ville, les épouses auront sûrement eu plus d’occasion de le faire.

Demain, une partie de retard pourra peut-être être rattraper , et un de retard qui devra être rattraper est un programme culturel favorisé grâce à dieu par un climat plus clément, vous sera proposé demain et je serais ravis de commencer ce programme avec vous, avec la visite de ce jardin d’essai, et qui est historique et qui très bien, priant dieu pour que la pluie, si nécessaire, pas seulement pour l’Algérie mais pour beaucoup de pays africain soit en rendez-vous dans les prochaines jours, et priant dieu aussi pour que vous puissiez retrouver vos pays et vos familles en bonne santé et joyeux de vous retrouver comme nous avons été joyeux de vous recevoir ici.

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Le Président de la CJCA lors de son audience avec Mr. Mourad MEDELCI, Président du Conseil

constitutionnel d’Algérie

Audience avec le Chef du Gouvernement algérien Mr. Ahmed OUYAHIA

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Audience avec le Chef du Gouvernement algérien Mr. Ahmed OUYAHIA

Mr. Medelci avec son homologue français Mr. Fabius

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Mr. Mogoeng, Juge en Chef de l’Afrique du Sud et Président de la CJCA

Mr. Dossou, Président d’Honneur de la CJCA, à ses côtés le Président de la Cour suprême et

la Présidente du Conseil d’Etat

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Mr. Mogoeng, en discussions avec Mr. Fabius

Mr. M. Mogoeng , Président de la CJCA, accompagné de Mr. Moussa LARABA

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Photo montrant MM. Mohamed HABCHI, Laurent FABIUS et Tayeb LOUH

Photo montrant Mr. Tayeb BELAIZ ancien Président du Conseil constitutionnel d’Algérie en

discussion avec le Président de la Cour constitutionnelle de Turquie

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Photo montrant la cérémonie d’ouverture du 2eme Séminaire international de la CJCA

Photo montrant les membres du Conseil constitutionnel d’Algérie (premier rang)

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Photo montrant MM. Mohamed HABCHI, Laurent FABIUS, Tayeb LOUH et Zühtü ARSLAN

Mr. Mamadou KONE, Président du Conseil constitutionnel de Cote d’Ivoire, accompagné

de son Chef de Cabinet, Mr. Camara

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Les délégués du Bénin, du Gabon et de la Guinée

Le Président de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar et la délégation qui

l’accompagne

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Le Président de la CJCA en discussion avec le Ministre algérien de la Justice, Mr. Tayeb LOUH

Mr. Kambou Kassim, Président du Conseil constitutionnel de Burkina Faso

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Mme Louise Angue, Juge à la Cour constitutionnelle du Gabon

Les délégations de Mauritanie et du Mali

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Mr. Durr Schnutz, Secrétaire General de la WCCJ

Photo montrant des Membres du Conseil constitutionnel d’Algérie, de gauche à droite :

MM. FENNICHE Kamel, BRAHMI El Hachemi et DIF Mohamed

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Mr. Mourad MEDELCI avec Mr. Zühtü ARSALAN, Président de la Cour constitutionnelle de Turquie

Les délégations de Djibouti, de Centrafrique et d’Ethiopie

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Mr. Saïd IHRAI, Président de la Cour constitutionnelle du Royaume du Maroc et la

délégation qui l’accompagne

Mr. Aboudou Salami Maman, (Togo) Secrétariat général de la CJCA

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Photo montrant le Juge en Chef de Swaziland (au milieu)

Le Président et le Vice-Président du Conseil constitutionnel d’Algérie, lors de l’audience

accordée à la délégation marocaine

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Mme. Manassa DANIOKO, Président de la Cour constitutionnelle du Mali

Mr. Brahim BOUDKHIL, Membre du Conseil constitutionnel d’Algérie

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Les participants lors de la visite du « Sanctuaire du Martyre »

Les délégués lors de leur départ, salués par Mr. LARABA

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Liste des participants / Participants list

2nd International Seminar of the CCJA

Juridiction / Pays

Noms et prénoms Qualité/ Quality

1-Afrique du Sud / South Africa / Cour

constitutionnelle – Constitutional Court

M. Mogoeng Mogoeng Mr. Sello Chiloane Mr. Allister Slingers

Chief Justice / Président of the CCJA Head of Office Director

Algeria/ Algerie /Conseil

constitutionnel – Constitutional Council

Mr. Mourad MEDELCI Mr. Mohamed HABCHI Mme Hanifa BENCHABANE

Mr. Abdeljalil BELALA

Mr. DAOUD Kamel

Mr. Brahim BOUTKHIL

Mr. Abdenour GRAOUI

Mr. Mohamed DIF

Mme Fouzya BENGUELLA

Mr. Smail BALIT

Mr. FENNICHE Kamel Mr. BRAHMI El Hachemi

Président Vice-Président Membre Membre Membre Membre Membre Membre Membre Membre Membre Membre

3- Angola / Angola /

Tribunal constitutionnel – Constitutional Tribunal

Mr. Issac PAULO Director international cooperation

4- Bénin / Benin / Cour

constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. Zimé Yérima Kora Yarou Mme. Marcelline AFOUDA Mr. Giles BADET Mr. Abdulatif SIDI

Vice-Président Conseiller Secrétaire général Directeur Etudes

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5- Burkina Faso / Conseil

constitutionnel – Constitutional Council

Mr. Kassoum KAMBOU Mr. Bamitié Michel KARAMA

Président Membre

6- Cap Vert / Cap Verde / Tribunal constitutionnel –

Constitutional Tribunal

Mr. Aristides Raimundo Lima Mr. João Borges

Juge – Conseiller Secrétaire général

7- Centrafrique / Central Africa /

Cour constitutionnelle – Constitutional Court

Jean-Pierre WABOE Vice-Président

8- Cote d’Ivoire / Ivory Cost / Conseil

constitutionnel – Constitutional Council

Mr. Mamadou KONE Mr. Ibrahim COLIBALY Mr. Siaka CAMARA Mr. Bourahima ADE

Président / President Secrétaire General Chef de Cabinet Chargé de mission

9- Egypte / Egypt Hign Constitutional Court / Haute Cour constitutionnell

Mr. Adel SHERIF Vice-Président

10- Ethiopia / Ethiopie Constitutional Council of Inquiry – Conseil pour l’Enquête constitutionnelle

Hon. M. Tsegay Asmamaw Mr.DESSALEGN W. Denta Mr. KEBEBE Tadesse Kebede Mr. ZELALEM Gudeta Beresa

Deputy Chief Justice Secretary General Special Assistant Senior International Relation Expert

11- Gabon / Cour

constitutionnelle – Constitutional Court

Mme Louise ANGUE Mr. Jacques LEBAMA

Juge - Judge Juge

12- Guinée / Guinea /

Cour constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. Kelifa SALL Mr. Med Lamine BANGOURA Mr. Alia DIABY Mr. Mounir Hossein Mohamed Mr. Amadou DIALLO

Président Vice-Président Conseiller Conseiller Conseiller

13- Guinée Equatoriale / Equatorial Guinea /

Tribunal constitutionnel – Constitutional Tribunal

Mr. Salvador-ONDO NCUMU

MR. MACARIO NDONG MR. ANTONIO SANTANDER

Président / President MAGISTRATE SECRETARY General

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14-Djibouti / Conseil

constitutionnel – Constitutional Council

Mr. Abdi Ibrahim ABSIEH Mr. Aek Abdallah HASSEN

Président Membre

15- Libye / Libya / Cour

suprême – Supreme Court

Mr. Mohamed El Hafi Mr. Mahmoud EZEITOUNI Mr. Aboubakr ELABANI

Président / President Conseiller / Councellor Conseiller / Councellor

16- Madagascar / Haute

Cour constitutionnelle – High Constitutional Court

Jean-Eric RAKOTOARISOA Mme F. A. A. RAVELOARISOA, Mme V. J. D. RAMIANDRASOA, Mme RANDRIAMORASATA,

Président / President H.Conseillère-Doyenne H.Conseillère H.Conseillère.

17-Mali / Cour

constitutionnelle – Constitutional Court

Mme Manasa DANIOKO Mr. M’pere DIARRA

Président / President Membre

18- Maroc / Morocco /

Cour constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. Saïd IHRAI Mr. Mohamed EL ANSARY Mr. Moulay Abdelaziz El Hafidhi EL ALAOUI Mr. Mohamed EL DJAWHARI Mr. Nadhir EL MOUMENI

Président / President Membre Membre Membre Membre

19- Mauritanie / Mauritania / Conseil

constitutionnel – Constitutional Council

Mr. Sy Adama Secrétaire Général

20- Mozambique /

Tribunal constitutionnel

Mrs. Lucia da Luz Ribeiro Osvaldo Macksen

Juge / Judge Public Relation Officer

21- Niger / Cour

constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. Moussa Issaka, Conseiller / Councellor

22- R. D. Congo / D. R. Congo

/ Constitutional Court - Cour constitutionnelle

Mr. BANYAKU L. EPOTU Eugene Mr. KILOMBA N. M. Noel Mr. Patrice NYAMANGALA L. Mme MBUKULA N. Nanou

Juge / Judge Juge / Judge Chef de Cabinet Assistante du Président

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24- Sénégal / Conseil

constitutionnel – Constitutional Council

Mr. Malick Diop Vice-Président

25 -Soudan / Sudan /

Cour constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. Wahbi Mohamed MUKHTAR

Président / President

26 -Swaziland / Cour

supreme – Supreme Court

H. M. C. B. Maphalala

Chief Justice

27- Togo / Cour

constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. M. Sani ABOUDOU SALAMI Juge / Secretary gl of CJCA

28- Tunisie / Tunisia /

instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois - provisional Instance of control of the constitutionality of draft laws (IPCCPL)

Mr. Abdessalam El Mahdi KRISSIA

1er Vice-Président de l’IPCCPL et 1er Président de la Cour Administrative

29- Zambie / Zambia /

Cour supreme – Supreme Court (2)

H. Lady A. M. SITALI Mrs. Annie Musonda Kawandami.

Justice and a research advocate Research Advocate

AU TITRE DES INVITES

Organism Name Quality

1- CJCA / CCJA

Mr. Robert DOSSOU

Président d’Honneur / Honorary President

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2-Conseil de l’Europe / Council of Europe - Commission de Venise

Mr. Gianni BUQUIQUIO

Président / President

3-France / Conseil

constitutionnel / Constitutional Council

Mr. Laurent FABIUS

Président / President

4-Turquie / Turkey / Cour constitutionnelle – Constitutional Court

Mr. Zühtü ARSLAN Mr. Hicabi DURSUN

Président / President Judge

5- PNUD / UNDP M. Eric Overvest

Coordonnateur / Résident du PNUD en Algérie.

6- Belgique / Belgium / Cour constitutionnelle

Mr. Jean Paul MOERMON

Juge

7-WCCJ/CMJC Mr. Schnutz DURR Secretary General