cinq continents au front : une approche...

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Cinq continents au front : « Vous combattiez, et bien dansez maintenant ! », pour une approche anthropologique Notre corps est l’une des évidences de notre existence, paradoxalement, il a été longtemps absent des ouvrages et de la réflexion des historiens. Depuis les travaux pionniers de Michel Foucault (l’Histoire de la folie, Surveiller et punir) dans les années 1960, le corps est devenu un objet historiographique, aboutissant à l’ouvrage dirigé par A. Corbin en 2005 -2006, l’Histoire du corps, en 3 volumes. Pourtant, le corps est, dès la Grande guerre, au cœur des préoccupations des soldats : ce sont les corps qui infligent la violence, c’est au corps que la violence est infligée, corps qu’il faut donc protéger pour survivre. Larchéologue Yves Défossé évoque ainsi « la Grande Guerre des corps ». Dans une perspective qui croise histoire culturelle et approche anthropologique, le corps devient par lui-même un objet d’étude parce qu’il incarne non seulement des réalités sociales mais aussi des pratiques de pouvoir et des discours. C’est le corps dans toutes ses dimensions qui est interrogé : corps contrôlés, contraints, subis, traumatisés, martyrisés, héroïsés… Autant d’adjectifs qui peuvent être accolés au corps lorsque l'on pense à la Grande Guerre. Le corps a ainsi d’abord été un sujet d’interrogation sur la violence de masse et notamment la mort donnée ou subie par les soldats. Il est au centre des recherches de Stéphane Audouin- Rouzeau et d’Annette Becker sur la culture de guerre. Pour eux, l’histoire de la guerre et d’abord l’histoire du corps. Or, l e corps du soldat n’est pas le seul acteur du conflit : des liens complexes révélant tout une histoire culturelle mettent en relation le corps de l’ennemi, le corps des civils, le corps des femmes comme le montre Stéphane Audouin-Rouzeau dans son livre Combattre, Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle), Paris, Seuil, 2008. Le corps est aussi devenu un objet de médiation pédagogique dans les structures culturelles. Il sert, par exemple, de support à la visite au musée de la Grande Guerre de Meaux autour de la thématique du « corps en guerre ». Toute expérience de guerre est donc, avant tout, une expérience du corps qui mobilise tous les sens. Lui sont liées toutes les questions qui interrogent l’historiographie actuelle du premier conflit autour de l’adaptation du corps et de l’esprit à la violence extrême: comment ont -ils tenu ? Contrainte ou consentement ? A travers le corps est aussi mis en lumière le fait que les expériences de guerre sont multiples : en fonction de l’âge, du milieu social, de l’arme dans

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Cinq continents au front : « Vous combattiez, et bien dansez maintenant ! », pour une

approche anthropologique

Notre corps est l’une des évidences de notre existence, paradoxalement, il a été longtemps

absent des ouvrages et de la réflexion des historiens. Depuis les travaux pionniers de Michel

Foucault (l’Histoire de la folie, Surveiller et punir) dans les années 1960, le corps est devenu

un objet historiographique, aboutissant à l’ouvrage dirigé par A. Corbin en 2005-2006,

l’Histoire du corps, en 3 volumes.

Pourtant, le corps est, dès la Grande guerre, au cœur des préoccupations des soldats : ce sont

les corps qui infligent la violence, c’est au corps que la violence est infligée, corps qu’il faut

donc protéger pour survivre. L’archéologue Yves Défossé évoque ainsi « la Grande Guerre

des corps ».

Dans une perspective qui croise histoire culturelle et approche anthropologique, le corps

devient par lui-même un objet d’étude parce qu’il incarne non seulement des réalités sociales

mais aussi des pratiques de pouvoir et des discours. C’est le corps dans toutes ses dimensions

qui est interrogé : corps contrôlés, contraints, subis, traumatisés, martyrisés, héroïsés…

Autant d’adjectifs qui peuvent être accolés au corps lorsque l'on pense à la Grande Guerre.

Le corps a ainsi d’abord été un sujet d’interrogation sur la violence de masse et notamment la

mort donnée ou subie par les soldats. Il est au centre des recherches de Stéphane Audouin-

Rouzeau et d’Annette Becker sur la culture de guerre. Pour eux, l’histoire de la guerre et

d’abord l’histoire du corps. Or, le corps du soldat n’est pas le seul acteur du conflit : des liens

complexes révélant tout une histoire culturelle mettent en relation le corps de l’ennemi, le

corps des civils, le corps des femmes comme le montre Stéphane Audouin-Rouzeau dans son

livre Combattre, Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle), Paris,

Seuil, 2008.

Le corps est aussi devenu un objet de médiation pédagogique dans les structures culturelles. Il

sert, par exemple, de support à la visite au musée de la Grande Guerre de Meaux autour de la

thématique du « corps en guerre ».

Toute expérience de guerre est donc, avant tout, une expérience du corps qui mobilise tous les

sens. Lui sont liées toutes les questions qui interrogent l’historiographie actuelle du premier

conflit autour de l’adaptation du corps et de l’esprit à la violence extrême: comment ont-ils

tenu ? Contrainte ou consentement ? A travers le corps est aussi mis en lumière le fait que les

expériences de guerre sont multiples : en fonction de l’âge, du milieu social, de l’arme dans

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laquelle on combat… Cette problématique montre aussi que les identités du soldat sont

multiples : à la fois militaire et civil, citoyen et combattant.

Dans la guerre, le corps est avant tout un ensemble de gestes, de pratiques, de techniques que

le soldat doit apprendre à maîtriser. Les hommes mobilisés vont devoir se muer rapidement en

combattant qui va engranger des expériences, faire des apprentissages liés au corps et aux

sens : se mouvoir dans les tranchées, reconnaître le bruit des obus pour les distinguer… autant

d’apprentissages fondamentaux pour pouvoir survivre à l’épreuve du feu.

Ces expériences forgent son identité combattante faite de ténacité, de courage viril et de

camaraderie. Cette identité multiple n’est pas seulement liée à l’expérience du combat mais

aussi aux valeurs et à l’identité de sa vie civile que le soldat amène au front.

Parmi les gestes combattants, une pratique empruntée de la vie civile surprend d’autant plus

qu’on l’associe peu au temps de guerre et encore moins à l’image de virilité masculine attaché

au premier conflit : celle de la danse.

Pourtant, les danses guerrières ne sont pas nouvelles, on peut ainsi songer au récit des poèmes

homériques. Le combat et l’âgon, propres à la figure masculine, ont été associés à la danse au

moins depuis l’Antiquité.

Or, il est de constater que durant, le premier conflit, la danse, tant dans le champ des pratiques

que dans le champ lexical, est partout présente au front, partie intégrante de l’expérience

combattante.

Il suffit de comparer deux textes, de deux auteurs bien différents mais qui ont tout deux

combattu lors de la Première Guerre mondiale.

Dans son carnet de bord, Charles De Gaulle, alors jeune officier, écrit concernant son entrée

en Belgique le 15 août 1914: « « À six heures du matin, boum ! Boum ! La danse commence,

l’ennemi bombarde Dinant avec fureur. ».

Dans son poème «La nuit d’avril 1915» (Calligrammes - Poèmes de la paix et de la guerre

1913-1916), Guillaume Apollinaire écrit :

« Le ciel est étoilé par les obus des Boches

La forêt merveilleuse où je vis donne un bal

La mitrailleuse joue un air à triples-croches

Mais avez-vous le mot Eh ! oui le mot fatal

Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches! »

Or, si cela peut paraître, a priori surprenant, il est à constater que la danse n’est pas seulement

un fait artistique spécifique mais aussi le miroir d'une société, à l’interface de toute activité

humaine, engageant le corps et l’esprit, dans la sociabilité, le divertissement, la guérison, les

aspects magiques, les rapports genrés, la mise en scène du pouvoir, mais aussi de la guerre,

constituant «un fait social global » et un objet historique révélateur des expériences

combattantes.

Ainsi, étudier la danse, non comme simple fait artistique mais comme pratique

anthropologique, nous permet de saisir les logiques à l’oeuvre au sein de cette société

particulière qu’est la société combattante. En effet, la danse est non seulement liée au combat,

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elle marque également dans tous les temps de la guerre et ceux du combattant : avant le

combat, pendant le combat, après le combat, avec ses spécificités et ses interprétations

propres à chacun d’entre eux. Son répertoire est également utilisé pour représenter le conflit,

l’ennemi, la victoire…

I. Avant les combats : danser pour impressionner l’ennemi

La danse guerrière est une pratique ancestrale, répandue dans l'ensemble des peuples premiers

de la planète. Son caractère incantatoire vise à attirer les bonnes grâces des esprits pour les

mener à la victoire. L'autre aspect de ce type de danse est d'atteindre une sorte de transe qui

donnera l'énergie nécessaire pour le combat.

Le Haka

Photos prises par Étienne Le Grand (1885-1959), dans un bourg proche de la ligne de front à

Saint-Pierre-lès-Bitry dans l’Oise (60), peut-être en mai 1915.

Great War Stories: Rikihana Carkeek- film en anglais (durée:3'59") :

http://www.teara.govt.nz/en/video/ [...] na-carkeek

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New Zealand Maoris 'Haka' for deserving charity , film muet, non daté, intitulé (durée 0'26")

montre un groupe de Maoris en costume traditionnel effectuant cette danse pour les actualités

Pathé : www.britishpathe.com/video/new-zea [...] ng-charity

La danse guerrière zoulou

Le contingent des travailleurs sud-africains sous le commandement du capitaine Gilfillan,

donne une démonstration de danses Zoulous sur la plage de Dannes le 24 juin 1917. Il s’agit

des photographies officielles de la représentation.

Source: National Library of Scotland - http://digital.nls.uk/first-world- [...] d=74546900

Danse guerrière sud-africaine

Dans le Bull Ring, entre Etaples sur mer et Camiers, des soldats sud-africains du 4ème

Régiment South African Scottish réalisent une traditionnelle danse de guerre tribale africaine

avec les baïonnettes tirées en dansant dans leur distinctif Murray d'Atholl des kilts de tissu

écossais.

Photo prise sur le Bull Ring en France avant le déploiement final des troupes le 18 juin 1918.

Copyright "PYRAMIDS AND POPPIES" Peter K Digby.

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La Danse de l'épée

Ce type de danse se retrouve dans de nombreuses sociétés, notamment partout en Europe où

elle appartient au répertoire traditionnel des Highlands. L'histoire voudrait que Ghillie

Callum, prince celtique, ait "inventé" cette danse après un combat mortel contre un des chefs

de MacBeth à la bataille de Dunsinane en 1504. On dit qu'il a pris l'épée du chef, l'a croisée

au-dessus de la sienne et a commencé à danser au-dessus.

Danse des Highlands par les hommes du 810ème bataillon. Les « Gordon Highlanders »

devant la cathédrale d’Arras le 24 janvier 1918.

Démonstration de Khattak, danse du sabre rituelle, dans un film d'actualité intitulé " - Sortie

officielle 17 janvier 1916, Film muet noir et blanc de 14'50", montrant les unités de l'ancien

Corps Indien, juste après sa dissolution, à l'arrière du front, avant leur départ de la France,

novembre et décembre 1915. A 2'30" du film, on peut voir la scène de la danse du sabre

(Durée 0'50"). http://film.iwmcollections.org.uk/record/index/45134

Danse guerrière malgache

Sur le Front de l'est à Dzuma en Macédoine en 1916, des soldats malgaches réalisent une

danse de la guerre au son de la musique traditionnelle.

Source: http://www.warandcolonies.com

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Fantasia héroïque - Danse à l'ennemi

En janvier 1915, le régiment de marche de Spahis marocains est engagé dans les combats. Il

sert d'abord au début septembre dans la région d'Epernay, puis de mi-septembre à mi-

novembre, il est engagé dans la bataille de l'Yser où il se fait remarquer par sa brillante

conduite au feu.

Un article de presse intitulé « Les Gourkhas de l'Armée Française : Nos Spahis Marocains »

du n° 4 de l'hebdomadaire Les trois couleurs, relate une danse surprenante observée au front:

« A la bataille de l'Yser, Mohamed Ali, qui dans un engagement précédent n'avait pas eu

l'occasion de tuer un seul ennemi, faute d'avoir pu les approcher, se trouva fort humilié. Aussi

quand son escadron arriva sur l'Yser, s'avança-t-il immédiatement au-delà des tranchées

jusqu'à l'entrée d'un château. Il s'embusqua dans un massif, attendant avec une patience toute

orientale qu'un allemand se présenta à la distance voulue. Le premier qui parut, fut abattu.

Accourus à la rescousse, deux de ses pareils subirent le même sort. Après quoi Mohamed ben

Ali courut vers sa tranchée. Littéralement fou de joie, il exécuta avant d'y descendre, une

danse frénétique ponctuée de défis homériques à l'adresse de l'ennemi qui enveloppa ce

brave d'une salve de projectiles. Mohamed ben Ali dansait toujours. Aucune balle ne

l'atteignit. Il descendit lentement, lorsqu'il eut fini cette fantasia héroïque, dans la tranchée

parmi ses camarades. Aux gronderies cordiales de son lieutenant, le Spahi répondit:

-" Mohamed ben Ali ne craint pas les Allemands, ni aujourd'hui, ni demain. »

II. Au combat: faire « danser » l’ennemi…

Ce thème sera souvent utilisé notamment par la propagande et les caricaturistes pour

diaboliser l'ennemi. Les anglais semblent avoir été particulièrement féconds à son sujet mais

on en trouve chez tous les belligérants.

Danse du ventre : dessin humoristique paru dans le quotidien La presse, 23 janvier 1917.

La chanson parodie la chanson de Gavroche dans Les Misérables de Victor Hugo:

« Si je suis tombé par terre… »

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Carte postale allemande intitulée "Die Grabenkapelle" que l'on pourrait traduire par

l'orchestre de tranchée et/ou l'orchestre du cimetière et qui est sans doute un jeu de mot sur

"graben" qui est à la fois la tombe et la tranchée. On y voit quelques musiciens allemands qui

jouent de la musique sur divers instruments (dont un arrosoir) dans une atmosphère "bon

enfant". Cela fait sortir les écossais de leur tranchée (reconnaissables en silhouette, à leur kilt,

au glengarry et à la pipe) qui aussitôt se mettent à danser. Les tireurs allemands n'ont plus, à

leur grande joie, qu'à tirer sans effort sur leurs cibles. Ceci tend à ridiculiser les écossais

toujours prompts à danser en toutes occasions, du moins dans l'imagerie populaire allemande.

III. Danser: une pratique de peuple civilisé?

Caricature de A. Jonhson : « die Zivilisierung Europas » (la civilisation européenne)

Source: Staatsbibliothek Berlin – Zeitungsabteilung

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Animé de soubresauts comme s’il se livrait à une danse macabre, le soldat, engagé dans les

rangs adverses, s’est mû en un être sanguinaire qui, en lieu et place du havresac

réglementaire, porte le crâne d’un ennemi. Bouche et mâchoires proéminentes, anneau dans le

nez, collier de dents autour du cou : c’est un cannibale. Seuls subsistent de l’uniforme régulier

un porte-épée à baïonnette et la culotte garance. Créé en 1857, le corps des tirailleurs recrute

dans l’ensemble de l’Afrique-Occidentale française. Le discours républicain les présente

comme des modèles de l’assimilation civilisatrice. Ils sont la « force noire » prônée par

Mangin et Jaurès. Or l’Allemagne voit dans le recours aux soldats d’Afrique, qu’elle

considère comme des sauvages, une preuve de la barbarie française.

IV. A l’arrière front : danser pour tenir et souder les rangs

Danse traditionnelle bretonne: hommes du 318ème Régiment d'infanterie

Photo prise par Étienne Le Grand,Saint-Pierre-lès-Bitry- Oise, mai 1915?

Souvenirs de guerre 1914-1918" d'Edouard Legros

« Au poste d'écoute, à 20 mètres des Allemands.

Un jour, on avait eu du vin remboursable.

Parmi nous, il y avait un Morvandiau. Le plus curieux c'est que ses parents avaient une ferme

qui s'appelait la ferme des Allemands. Ce morvandiau avait un harmonica. Il a dit : "Legros,

je vais te faire danser la bourrée".

Et on s'est pris à danser la bourrée ; ça faisait un foin ; je chantais à tue-tête ; on ne songeait

même pas qu'on était en danger.

L'adjudant qui arriva sur ces entre-faits fut stupéfait de nous voir dans cet état, à quelques

pas des Allemands. Il nous cria : "Vous êtes fous, vous allez vous faire zigouiller!".

Je lui ai dit : "Mon adjudant, vous n'avez qu'à danser avec nous".

Il a répondu : "C'est pas le moment ; vous n'avez qu'à vous tenir tranquilles". Mais non, il n'y

a rien eu à faire.

Et les Allemands ne nous ont pas tiré dessus, parce que, quand eux faisaient la bringue, on les

laissait tranquilles aussi.

N'empêche qu'après coup, l'adjudant nous a passé un savon. »

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Carnet de notes d'Eugène MARTIN, brancardier au 16ème Régiment d’Artillerie, 21ème

batterie

« 18 janvier (1915)

Rien à signaler.

Calme inaccoutumé : le soir, sur les 8 heures nous sommes réunis en grande partie dans

notre cuisine et sur l’initiative d’un de nos camarades nous allons faire bal (Pour imiter les

Boches qui dansent tous les soirs à Nouvron paraît il)

D’abord quelques bourrées par le Gros et d’autres auvergnats et peu à peu le goût de la

danse prend tout le monde même les moins entraînés.

Polkas, valses même le pas des patineurs sont dansés, et comme musique on siffle où on

chante.

A 9h nous montons pour nous coucher, mais ce vent de folie a gagné l’étage supérieur et en

haut on danse aussi. Nous nous mettons encore aussi de la partie. Et ici un incident comique.

Nous en sommes à une mazurka. Le Gros placé à l’embrasure de la porte chante un tra-la-la-

la sur l’air de la Mousmé en battant la mesure avec sa grosse pipe.

Et les danseurs tournent au milieu des rangées de paille. Tout à coup le lieutenant

POISSARD (?) commandant l’échelon apparaît ; les danseurs s’esquivent en un clin d’œil et

vont sous leurs couvertures se transformer en vrais dormeurs tandis que le Gros qui lui

tournait le dos continue toujours sa Mousmé : « Attendez, crie le lieutenant, je vais vous en

passer des tra-la-la-la » et il nous fait un joli sermon.

Et en se retirant on l’entendait qui disait au brigadier qui l’éclairait « Quel est dont celui qui

entraîne si bien à la danse … Martin. Eh bien vous lui direz qu’il aura 8 jours de prison. Il

n’en sera rien car nous avons un bon lieutenant.

Ce petit incident suffit à nous amuser un bon moment, nous rions. Et cela fait passer pour un

instant l’ennui et le chagrin qui parfois nous gagnent. »

Extrait du magazine allemand Berliner Illustrierte Zeitung n°21 (date non précisée) dans

un article intitulé "In forglossen Stunden" ("Aux heure perdues" ), racontant les passe-temps

des soldats sur le front. Un groupe de soldats exécute une Schuhplattler-Tanz (danse

traditionnelle bavaroise) sur une estrade devant d'autres soldats. Il est précisé dans l'article,

que la femme que l'on voit danser avec eux, est, en fait, un homme déguisé.

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"Éditions de la Guerre de l'Imagerie d'Épinal", musée de l'Image, Epinal, Service des Musées

de France, 2015

Penser aux tendres moments

Au casernement

Extrait des Albums Valois: Camp d'entraînement de Champlieu (près de Compiègne (60)) -

Séance récréative à l'occasion du 14 juillet 1917. Couple de danseurs dont l'un est travesti en

femme. La danse exécutée semble être un tango. Les soldats y apprennent les rudiments du

"métier" (Maniement des armes, marche au pas, vie militaire, ...). Un certain nombre de

documents (films et photographies) y montrent des soldats en train de danser. Il s'agit parfois

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de spectacles organisés pour le plus grand nombre. Les visées sont parfois à but de

propagande, pour montrer les conditions de vie dans les casernes et rassurer les civils.

Dans les camps de prisonniers

Carte postale montrant un prisonnier russe in Florence Gétreau (dir.), Entendre la guerre :

Silence, musiques et sons en 14-18, Gallimard / Historial de la Grande Guerre, 2014

IWM : Une photo prise au camp de prisonniers de Munster, montrant un soldat écossais

exécutant une danse sous le regard de prisonniers français

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Prisonniers musulmans au camp de Wünsdorf près de Berlin.

Museum Eüropaischer Kunsten Staatslichemuseum zu Berlin - Otto Stiehl

On remarque sur cette photo, des prisonniers de différentes nationalités. Ce camp contenait

des prisonniers musulmans de différentes armées. C'est dans ce camp que sera construite la

première mosquée d'Allemagne. Cette photo est extraite d'un documentaire allemand de

Behrang Samsami et Martin Donath de 2014. Durée 6'32" intitulé "Allahs vergessene

Krieger" (Les guerriers oubliés d'Allah) constitué d'images d'époque sur la vie dans ce camp.

Vous pouvez le voir ici => http://www.frequency.com/video/all [...] =5-6653967

à 3'20" du film, on voit quelques prisonniers (sikhs?) qui dansent.

Symboliser l’alliance entre les belligérants

Un Kolo, ronde traditionnelle serbe, entre un officier du 8ème régiment Royal de Fusiliers

écossais accompagné d'officiers serbes et du Dr Catherine Mac Thail de l'Hopital féminin

d'Ecosse, Salonique – 1916. La photo a peut-être été utilisée par la presse, pour donner une

image positive de l'alliance anglaise et serbe (mélange officiers/hommes de troupes, anglaises

et serbes, présence du personnel soignant féminin…).

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Les fraternisations- l’exemple du front russe

Unis jusque dans la mort : les Grimsby chum

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V. La Guerre, une danse macabre

La Danse des damnés

Le Kaiser: "Arrête! Arrête! Je n'en peux plus!"

La Mort : "C'est toi qui a demandé cette danse, c'est moi qui décide quand j'arrête de jouer."

Source : Extrait du journal satirique britannique Punch.

La Danse macabre est un élément, le plus achevé, de l'art macabre du Moyen Âge, du XIVe

au XVIe siècle. Par cette sarabande qui mêle morts et vivants, la Danse macabre souligne la

vanité des distinctions sociales, dont se moquait le destin, fauchant le pape comme le pauvre

prêtre, l'empereur comme le lansquenet, le puissant comme le faible. Tout au long du XVe

siècle et au début du XVIe, ce thème est peint sur les murs des églises et dans les cimetières

d'Europe du Nord. Il est diffusé à travers l'Europe par les textes poétiques colportés par les

troupes de théâtre de rues. La Première guerre mondiale, de par sa violence, réveille ce

souvenir.

Dans le film d'Abel Gance de 1919 J'accuse!, chaque chapitre du film est entrecoupé d'une

séquence durant laquelle des squelettes forment une ronde.

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Danser pour célébrer la victoire

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