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13/05/13 Christian HOFFMANN, Une subjectivité sans sujet - CRPMS www.crpm.univ-paris-diderot.fr/spip.php?article76 1/10 Une subjectivité sans sujet Christian Hoffmann « Mais qu’est-ce à dire qu’ une souffrance sans sujet » Marguerite Durras Résumé : La clinique de l’hallucination présente un phénomène psychotique où le sujet disparaît. La question se pose ainsi de l’existence de phénomène sans sujet qu’on qualifiera de subjectivité sans sujet. L’argumentation nécessite de revisiter cette notion philosophique et scientifique de « subjectivité sans sujet » de Wittgenstein jusqu’au mouvement éliminativiste en sciences. Le retour actuel de la subjectivité en science et en philosophie peut s’expliquer par une lecture de l’histoire de la subjectivité de Foucault. Wittgenstein et Foucault maintiennent l’existence d’un sujet éthique où le sujet de la psychanalyse lacanienne n’est pas en reste. La reconnaissance de nouvelles subjectivitéss’articulant à la variabilité des normes par la construction identitaire de pratiques de soi peut contribuer à éclairer ce qu’on appelle aujourd’hui « les nouvelles pathologies » qui englobent les « pathologies de la limite ». L’hypothèse de l’auteur propose de reconnaître que certaines constructions subjectives appuyées sur des pratiques identitaires de soi sont des « solutions élégantes » à un potentiel psychotique. La diversité des normes et la variabilité des subjectivités permettent à bon escient de nouvelles formes cliniques qui restent déterminées par la notion de structure. Mots Clefs : Subjectivités, sujet, pratiques de soi, psychose, pathologie de la limite. Summary : The clinical fact about the psychotic phenomenon of hallucination, is the subject disappearance. The question thus arise pertains to the existence of phenomenon without subject which one will describe as subjectivity without subject. This argumentation requires to reconsider the philosophical and scientific concept of “subjectivity without subject” of Wittgenstein and the eliminative movement in sciences. The current return of subjectivity in science and philosophy can be explained in reference to the history of the subjectivity of Foucault. Wittgenstein and Foucault maintained the existence of an ethical subject which is similar to the subject of the lacanian psychoanalysis. The recognition of new subjectivities articulating itself with the variability of the standards by the identity construction of self practices, can contribute to clarify what is called today “new pathologies” which includes “border-line pathology”. The assumption of the author proposes to recognize that some Christian HOFFMANN, Une subjectivité sans sujet

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Une subjectivité sans sujet

Christian Hoffmann

« Mais qu’est-ce à dire qu’une souffrance sans sujet »Marguerite Durras

Résumé :La clinique de l’hallucination présente un phénomène psychotiqueoù le sujet disparaît. La question se pose ainsi de l’existence dephénomène sans sujet qu’on qualifiera desubjectivité sans sujet.L’argumentation nécessite de revisiter cette notion philosophique etscientifique de « subjectivité sans sujet » de Wittgenstein jusqu’aumouvement éliminativiste en sciences. Le retour actuel dela subjectivité en science et en philosophie peut s’expliquerpar une lecture de l’histoire de lasubjectivité de Foucault.Wittgenstein et Foucault maintiennent l’existence d’un sujet éthiqueoù le sujet de la psychanalyse lacanienne n’est pas en reste. Lareconnaissance de nouvelles subjectivitéss’articulant à la variabilitédes normes par la construction identitaire de pratiques de soi peutcontribuer à éclairer ce qu’on appelle aujourd’hui « les nouvellespathologies » qui englobent les « pathologies de la limite ».L’hypothèse de l’auteur propose de reconnaître que certainesconstructions subjectives appuyées sur des pratiques identitaires desoi sont des « solutions élégantes » à un potentiel psychotique. Ladiversité des normes et la variabilité des subjectivités permettent àbon escient de nouvelles formes cliniques qui restent déterminéespar la notion de structure.

Mots Clefs :Subjectivités, sujet, pratiques de soi, psychose, pathologie de lalimite.

Summary :The clinical fact about the psychotic phenomenon of hallucination, isthe subject disappearance. The question thus arise pertains to theexistence of phenomenon without subject which one will describe assubjectivity without subject. This argumentation requires toreconsider the philosophical and scientific concept of “subjectivitywithout subject” of Wittgenstein and the eliminative movement insciences. The current return of subjectivity in science andphilosophy can be explained in reference to the history of thesubjectivity of Foucault. Wittgenstein and Foucault maintained theexistence of an ethical subject which is similar to the subject of thelacanian psychoanalysis. The recognition of new subjectivitiesarticulating itself with the variability of the standards by the identityconstruction of self practices, can contribute to clarify what is calledtoday “new pathologies” which includes “border-line pathology”. Theassumption of the author proposes to recognize that some

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subjective constructions, based upon self identity practices are“elegant solutions” or alternatives to a psychotic potential. Thediversity of the standards and the variability of subjectivities allowtherefore new clinical pathological types which remain defined bythe concept of structure.

Keywords :Subjectivities, subject, Self practices, psychosis, Border-linepathology.

Une patiente hallucinée me déclare un jour que l’hallucinationest une parole qui s’adresse au moi sans qu’il n’y ait unsujet pour l’assumer. Il y aurait donc un phénomène psychotiquecomme l’hallucination qui se produirait sans qu’un sujet y soitimpliqué. Cette désarticulation entre le phénomène, comme parexemple celui qu’on désigne par phénomène élémentaire dans lapsychose , et le sujet serait l’équivalent d’une subjectivité sanssujet. On prête cette notion de subjectivité sans sujet àWittgenstein et aux scientistes de son époque. Cette Vienne dudébut du 20e siècle qui a été marquée par une « crise du sujet »dans les Lettres, les Arts et la Science comme en témoigne lafameuse Lettre à Lord Chandos de Hugo Von Hofmannstahl qui faitle récit d’une crise de dépersonnalisation. Wittgenstein s’en estlargement inspiré pour sa théorie du sujet. Robert Musil en a faitson homme sans qualités. Notre époque ne se distingue pasvraiment de cette description de l’homme par son retour aunaturalisme . Quelle est la pertinence de cette notion de subjectivité sans sujetdans notre clinique contemporaine ?Pour examiner cette question, ilva falloir revisiter la clinique des phénomènes psychotiques et toutparticulièrement l’hallucination, puis réexaminer les rapports dela subjectivité au sujet, pour nous intéresser ensuite aux effets de lavariabilité actuelle des subjectivités sur les formes cliniques queprennent aujourd’hui les structures psychiques.

I. Un phénomène sans sujet : l’hallucination.

Je préfère le vocable de phénomène à celui defait clinique pour évoquer la pathologie mentale parce que lephénomène se définit comme une expérience de la conscience quiimplique un sujet et son mental . La clinique de Freud viendraconfirmer ce choix par l’examen de sa façon de décrirel’hallucination de l’homme-aux-loups. Il la « découpe » dans le récitde son patient : « J’avais 5 ans, je jouai au jardin auprès de mabonne, et j’étais en train d’entailler, avec mon couteau de poche,l’écorce de l’un de ces noyers qui jouent encore un rôle dans monrêve. Je remarquai soudain, avec uneinexprimable terreur, que jem’étais coupé le petit doigt de la main (droite ou gauche ?) de tellesorte que le doigt ne tenait plus que par la peau. Jen’éprouvais aucune douleur, mais une grande peur. Je n’osai pasdire quoi que ce fût à ma bonne, qui était à quelques pas de moi, jetombai sur le banc voisin et restai là assis, incapable de jeter unregard de plus sur mon doigt. Je me calmai enfin, je regardai mondoigt, et voilà qu’il n’avait jamais subi la moindre blessure » . Lacan commente ce phénomène hallucinatoire en insistant surplusieurs points :

Le fait que le sujet s’est laissé tomber.L’impossibilité pour lui de parler de cette expérience

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hallucinatoire à sa bonne adorée, ce qui montre combien saHilflosigkeit, sa détresse, etégalement une Ischlosigkeit, une crise du sujet .

Nous voyons ainsi que l’irruption du réel hallucinatoire n’attend rienni de la parole ni du sujet. Ce réel est hors transfert, il reste sansappel. Lacan évoque l’abîme temporel dans lequel le sujet esttombé, cet abîme est identique à celui qu’on retrouve dans lesentiment de fausse reconnaissance, de « déjà raconté » . Ensomme, le sujet est tombé dans un trou noir lors de l’irruption de cephénomène hallucinatoire, lorsqu’il en émerge, il est dansl’incapacité de traduire ce phénomène en expérience. Rien n’estcomptable dans cet entonnoir temporel, le sujet disparait dans lephénomène qui l’absorbe. Ces deux traits, le mutisme atterré et l’abîme temporel seretouvent dans un autre cas cité par Freud : « Ma mère se tientdebout auprès de la toilette, elle lave les verres et la cuvettependant que je suis en train de jouer dans la pièce. Je commetsquelque méfait et, pour me punir, maman me donne unetape sur lamain. A ma grande terreur, je vois alors tomber mon petit doigt. Iltombe dans le seau. Devant le mécontentement de ma mère, jen’ose rien dire, mais ma terreur augmente encore en voyant ladomestique emporter le seau. Longtemps encore, jusqu’aumoment, je crois, où j’appris à compter, je demeurai persuadéd’avoir perdu un doigt » . Wittgenstein nous proposed’expérimenter cette « disparition du sujet » du monde enimaginant une étrange situation où face au miroir un haut-parleurcommenterait nos gestes selon l’adage du « ça pense » deLichtenberg. La preuve serait ainsi faite que le monde se passe biende l’existence du sujet.Il nous faut maintenant développer cette thèsed’une subjectivité sans sujet pour pouvoir juger de sa pertinence àéclairer certains phénomènes de la clinique comme disparition dusujet du phénomène qui l’affecte.

II. Subjectivité et sujet

« Des goûts et des couleurs, on ne dispute pas », ce principekantien qui est toujours d’actualité nous permet de saisir le sujet àla limite de son argumentation. Il prend alors ce statut de « reste »de ce qui subsiste par-delà toutes les réductions et que l’on nommel’ego depuis Descartes. Les pensées de lasubjectivité déterminentla subjectivité par son identité à ce moi que je suis. Mais chaque foisque je prononce la proposition cartésienne « Je suis, j’existe », ilme reste la question que suis-je ? Même si la réponse de Descartesintroduit la division dans le sujet comme chose qui pense, quidoute, qui veut, qui ne veut pas, etc., son erreur est d’avoir chargéinutilement son sujet d’une détermination ontologique de « chosepensante » et de lui attribuer la lourdeur de la « substance » de cequi existe par soi. Ce qui donne son poids à la critique de Heideggerlui reprochant d’avoir loupé le problème ontologique de l’être dusujet. Le sujet n’est pas une chose. Kant, Husserl et Heidegger enferont l’objet de leurs critiques cartésiennes.Kant fait disparaître l’ego de la subjectivité pour ne laisser subsisterqu’un sujet logique dont tout est prédiqué sans pouvoir devenir unprédicat. En somme, un sujet qui ne peut pas devenir un objet deconnaissance et qui est présupposé par toute connaissance. Kant aouvert la critique de la subjectivitédu sujet, qui se poursuit avecHeidegger et Foucault, en cherchant à définir le sujet par ses

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tâches. Le sujet est ainsi dans sa tâche et n’existe que d’avoir à laporter. Il n’est pas étonnant de trouver le sujet projeté dans un Soiauthentique comme clef de voûte de l’éthique en tant qu’il a àrépondre de ses actes, ce qui correspond à un retour à soi del’extériorité. Le sujet est dans le dehors de ce qu’il a à faire au sensdu devoir moral kantien. Mais d’où lui vient l’idée de ce qu’il a àfaire et qui le rend redevable, au point même de ce qui le fondecomme sujet ? La psychanalyse résout cette questionparune topologie du sujet qui met en continuité l’extériorité de latâche avec l’intériorité de la raison pratique . Kant évoque un Soiauthentique qu’il distingue de son « cher moi », un soi qui est lephénomène de lui-même dans ce retour de l’extérieur versl’intérieur et où le devoir moral est la mesure dela subjectivité comme l’exigence de sa responsabilité. C’est ainsique le sujet se définit comme ayant à répondre de sa subjectivité.L’identité du sujet est alors celle du « qui ? » est impliqué dans telou tel phénomène. Son identité se réduit à cette question. Cettedémarche engagée par Kant est bouclée par Heidegger, sansoublier le devoir fichtéen.En somme, cet enracinement pratique de la subjectivité fait dusujet un sujet éthique. Cette responsabilité d’un « avoir à répondrede » sa subjectivité englobe tout aussi bien le champ de laconnaissance. Nous arrivons ainsi à définir le sujet comme « celui »dont l’identité est comprise dans ce « qui ? ». Le sujet est ce qui àla question du « qui ? » répond de sa subjectivité. C’est dansl’assomption de cette question qu’on peut reconnaître le sujetphilosophique et psychanalytique. Lacan ne dit pas autre chose lorsqu’il rend le sujet responsable desa position subjective . Le sujet de la psychanalyse, celui del’inconscient, est celui qui est appelé par Freud à partir de son :« Wo es war, soll Ich werden », que Lacan traduit : « Là où c’était,là comme sujet dois-je advenir » . Le « Sollen » renvoie au devoirmoral kantien et fait du sujet freudien un sujet éthique.La philosophie peut reconnaître le sujet psychanalytique comme« divisé » entre savoir et vérité par le refoulement, elle reconnaitavec la psychanalyse les dépendances du sujet à l’Autre, mais elleregrette son absence de « pouvoirs » . Au contraire, nous venonsde définir le sujet freudien comme un sujet qui a le devoir d’advenircomme sujet dans sa subjectivité , ce qui le met face au pouvoir duchoix de s’autoriser de son désir .

III. Le retour de la subjectivité

Le début du XXe siècle a été marqué dans les Lettres, les Arts et laScience par une crise de lasubjectivité qui a porté sur la critique duCogito qui présuppose un sujet de la connaissance. Cette crise apermis la poursuite de l’entreprise kantienne de vider le sujet detoute substance. Rappelons que chez Kant, le sujet n’est déjà plusque l’agent de liaison des représentations dans la conscience et il sedistingue du moi empirique. Car, seul le moi peu devenir un objetde connaissance. S’inspirant de Kant et malgré l’influence de Mach , qui est l’auteurde la dissolution du sujet, que Musil porte au malaise contemporaind’un monde sans homme , Wittgenstein conserve néanmoins unsujet absolu et insaisissable qui n’est ni pensant ni représentant .Christiane Chauviré nous permet de comprendre chez Wittgensteinque sa pente naturaliste ne concerne que l’élimination du sujetpsychologique et n’est pas l’aboutissement de sa pensée, commec’est le cas pour Mach. Au contraire, cette élimination du sujet n’estqu’une étape pour Wittgenstein qui va lui permettre de dissocier

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ensuite une psychologie sans âme d’une subjectivité sanspsychologie. Son sujet est métaphysique , il surgit de la ruptureavec la psychologie naturalisée qui traite du sujet empirique . Cesujet ne se rencontre pas dans l’expérience, dont il n’est pas unconstituant puisqu’il est sa condition de possibilité. La métaphore del’œil utilisée par Wittgenstein est éclairante, comme l’œil qui n’estpas dans le champ visuel, le sujet n’est pas dans le monde. Et, c’estde cette exclusion que le sujet se trouve sauvé, en disparaissant dumonde il peut mieux le configurer. Le sujet devient minimalistecomme l’œil qui ne se voit pas lui-même. Il n’en estpas pour autant moins réel en tant qu’il est la condition depossibilité du monde auquel il n’appartient pas. Pour le philosophe,le monde apparaît et disparaît avec le clignement des yeux. Ensomme, le sujet n’est plus qu’un reste du kantisme sans rôlecognitif et sans réflexivité, ce qui l’éloigne des égologiescartésiennes et kantiennes. Ce sujet qui est une présupposition de l’existence du monde, n’estpas un sujet sans volonté. C’est à l’influence de Schopenhauer et deson monde comme volonté que Wittgenstein va doter son sujetd’une volonté métaphysique. Une volonté qui est la condition depossibilité d’un monde éthique. Wittgenstein compare le monde àun gros livre où on ne rencontre ni le sujet ni un jugement éthique.L’attribution des valeurs est du ressort du sujet et de son attitudeéthique face au monde. Reste à savoir d’où lui vient ce complémentéthique qu’il apporte au monde. La réponse se trouve dans ledeuxième Wittgenstein.Le premier Wittgenstein exclue la substance pensante et le sujetcognitif, le second dépliera la grammaire du sujet métaphysique surle fil d’une subjectivité qui est dans le langage et par conséquentdans le social. En ne faisant pas partie du monde, le sujetest pour Wittgenstein dans une position limite. Il est le point limitedu monde, celui que le livre (du monde) montre à défaut de pouvoiren parler. Comme la limite suppose les termes dont elle est limite,c’est dans cet intervalle que le sujet advient comme limite. Noussommes en mesure maintenant de saisir la concordance sur ladoctrine du sujet entre Wittgenstein et Lacan : « Le sujet estarticulé mais non articulable (version lacanienne), Wittgensteindira : il est articulé comme monde mais il n’entre pas dansl’articulation elle-même » . Nous venons de voir quela subjectivité sans sujet qu’on prête à Wittgenstein suit lemouvement complexe d’une pensée qui passe par un pilotageautomatique du langage et de l’expérience (sanssujet) pourredécouvrir une grammaire de la subjectivité articulantun sujet, au-delà de l’ego, comme un point limite du monde et dulangage. L’objectif de Wittgenstein est resté la définition d’un sujetmétaphysique par la réduction du sujet cognitif.S’il est nécessaire de figurer un tel sujet, on peut le trouver dans Lepoète et notre époque de Hugo von Hofmannsthal, qui est la suitede sa fameuse Lettre à Lord Chandos, qui inspira fortementWittgenstein. Il y compare le poète au sismographe qui enregistreles choses du monde, sans qu’il y pense, et c’est par lui que chaquechose s’emboîtera dans une harmonie spatio-temporelle.On peut passer de Wittgenstein à Foucault pour tenter d’éclairer cequ’on appelle aujourd’hui le retour de la subjectivité. Lacan en 1953 formulait déjà l’exigence pour le futur analysted’être en mesure de pouvoir rejoindre lasubjectivité de son époqueet ceci dés la fin de son analyse. Lacan compare son époque, qui estcelle du discours de Rome en 1953, à la poursuite de l’œuvre deBabel et il donne à l’analyste la charge de l’interprète dans cettediscorde des langues. Plus proche de nous, Georges Steiner écrit en

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1975 dans son livre Après Babel : « Dans la mesure où tout sujetparlant pratique un idiolecte, le problème de Babel se ramène àcelui de l’individualité vécue (…) Se mouvoir dans les langues,traduire, revient à découvrir le goût presque déroutant de l’esprithumain pour la liberté ».Il serait donc du devoir du psychanalyste, au sens kantien du devoirmorale, de rejoindre les nouveaux modes de subjectivation de sonépoque. Rejoindre ne veut pas dire partager ou critiquer, mais belet bien interpréter. Nous y reconnaissons la fonction attribuée parAristote au philosophe dans la cité . C’est dans ce sens que jecomprendrai la lecture par Foucault du texte de Kant Qu’est-ce queles lumières ? C’est avec Kant que Foucault remet la philosophiedans « un discours sur la modernité » qui donne à entendre « laquestion du présent comme événement philosophique auquelappartient le philosophe qui en parle » .Pour Deleuze la véritable conversion de Foucault passe parHeidegger et Merleau-Ponty. Il va découvrir chez ce dernier quedans la relation entre le « voyant » et le « vu », il y a un « se-voyant ». En somme un sujet qui se fait voir par l’Autre, c’est lesujet psychanalytique de la pulsion. Cette découverte met le« dedans » et le « dehors » dans une continuité où les rapports dusujet à l’objet sont réversibles.C’est la réversibilité qui intéresse Foucault et qui va devenir l’enjeude ses recherches sur les conditions de productivitédes subjectivités. Par exemple, les relations sexuelles ouamoureuses où s’exerce un pouvoir sur l’autre ne gêne nullementFoucault qui les considère comme un jeu stratégique ouvert où lesrelations de pouvoir peuvent se renverser. A partir de là, ens’inspirant d’Héraclite et de Nietzsche, Foucault va reformuler lestrois questions kantiennes pour dégager ses trois dimensionsontologiques irréductibles : l’être savoir (Que puis-je savoir ?),l’être pouvoir (Que puis-je faire ?) et l’être soi (que puis-je être ?).Prenons la dernière ontologie qui nous intéresse toutparticulièrement, à savoir la production du sujet. La réponse deDeleuze, lecteur exemplaire de Foucault, est très claire : le « Je »n’est pas un universel, c’est un ensemble de positions singulièresqu’il occupe dans un « On » : on parle, on voit… Le sujet se produisant des variations du savoir et du pouvoir enembarquant l’intérieur de l’extérieur. Ce qui est à l’inverse de cequ’il dit du fou qui est mis à l’intérieur de l’extérieur.Reste la question de la rencontre de soi et du sexe. Pour Foucault ils’agit de sortir la sexualité de la science pour en faire un art devivre. Il faut surtout arrêter le jeu de la découverte de ce qui feraitle fondement secret de nos désirs, nous y reconnaissons lefantasme, Foucault critique cette conception psychanalytique dudésir en l’articulant un peu rapidement avec une pratique de l’aveu.Foucault sous l’influence de Nietzsche veut faire du sexe et del’amour une possibilité de nouvelles formes de création. Le projetde Foucault est de créer du nouveau dans la culture par le choixsexuel sortie du secret et sans tomber dans l’identitaire. Onretiendra qu’il voulait à tout prix éviter la construction identitaire,comme par exemple, la peinture gay. En somme, Foucault opposefortement : identité, sexe et création. Surtout pas de nouvellesidentités, pas de nouveaux langages, mais création de nouvellescultures.Il anticipait le danger identitaire, d’où son insistance sur le rappelque les rapports de soi à soi ne sont pas des rapports d’identité, ilsdoivent être des rapports de différenciation et de création. On peutretrouver ici la psychanalyse avec sa recherche de la différence etpar conséquent de l’absence d’identité. On ne peut que partager le

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constat de Foucault : « C’est fastidieux d’être toujours le même ».Il ne s’agit pas d’ériger un nouvel impératif rejetant l’identité, ceserait contraire à sa position développer jusqu’ici, ni d’exclurel’identité si elle est librement consentie par lespartenaires pour entrer dans le jeu du plaisir. Mais en aucun cas ellene doit devenir une règle universelle de conformité à unenormeidentitaire du style : être conforme à soi, homosexuel ouhétérosexuel. Foucault met en garde contre le communautarismedes identités sexuelles, comme le sado-masochisme à SanFrancisco, parce que l’identité produit de l’exclusion.Le sado-masochisme permet à Foucault de faire la démonstrationde ce qu’il appelle les jeux inévitables de pouvoir dans le champsocial. Il y a pour Foucault des relations de pouvoir dans tout lesocial parce qu’il y a de la liberté partout. Pour étonnante que soitcette thèse sous sa plume, elle n’en est pas moins cohérente avecl’ensemble de son œuvre si on prend le soin aristotélicien dedistinguer les relations de pouvoir de la domination. La dominationest déjà pour Aristote une « dégradation » de la démocratie . Dansle sado-masochisme, c’est le fait que les relations de pouvoirspeuvent s’inverser qui intéresse Foucault. Le Projet de Foucault est d’inventer de nouvelles possibilités deplaisir par l’érotisation du corps jusqu’à ledésexualiser, pour dissocier le plaisir physique du sexuel. Le corpsse prêterait ainsi à des sources de plaisir multiples, autres que laboisson, la nourriture et le sexe.En somme, créons de nouveaux plaisirs par des pratiques de soi etdes usages de plaisirs du corps, en évitant le spectre identitaire eten faisant le pari nietzschéen de la créativité culturelle par lesjouissances.Je retiens tout particulièrement de Foucault et de Deleuze lavariabilité du savoir, du pouvoir et de lasubjectivité. Cettevariabilité qui est synonyme de diversité et de fluidité faitaujourd’hui le succès de ce que les philosophes appellent le retourde la subjectivité dans le champ scientifique et social. Cettevariabilité, dont la réversibilité du sujet et de l’objetest une variante dans les relations de pouvoir et de plaisir, n’est passans évoquer fortement la réversibilité pulsionnelle entre passivitéet activité où Freud fait advenir un nouveau sujet. Un sujet qui peutselon son désir se faire objet de l’Autre dans le jeu pulsionnel,comme se faire voir, se faire bouffer, etc. Nous pouvons ainsiconférer au sujet du corps pulsionnel un statut d’agent, comme lemontre fort justement Guy Le Gaufey . Introduisonsici uneremarque pour clarifier la valeur phallique dans le jeupulsionnel. Dans la Grèce antique, comme nous le rappel LouisGernet , la valeur « précieuse » d’un objet, dont l’humain n’est pasexclu, lui est conféré par le désir. Le rôle des femmes comme agentdans la « circulation » du phallus y est d’une grande importance. Ensomme depuis la Grèce le phallus est une signification circulanteentre homme et femme au gré des désirs dans la variabilitépulsionnelle où se distribuent les rôles d’objet et de sujet. Notrecritique de Foucault qui est plus un constat aujourd’hui ne porte passur la question de la jouissance, mais sur ce qu’il cherchait à toutprix à éviter, à savoir la fixation identitaire. Le projet de Foucaultest aujourd’hui un échec sur ce plan d’une identificationcommunautariste des pratiques de jouissances. Je me demande siDeleuze n’avait pas perçu cette fragilité de sa pensée en parlantd’un « impensé de Foucault dans la rencontre de soi et du sexe ».C’est ce que nous allons retrouver dans la clinique.

IV. Diversités subjectives et formes clinique

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Je préfère parler de formes cliniques parce que la notion de formeintroduit le corps et amène la question du « dedans » et du« dehors ». Elle est synonyme de transformations sans pour autantremettre en cause le concept de structure psychique. Laréversibilité de la vision ou du touché donne au sujet un jeu possibleavec son corps dans ce que Maurice Merleau-Ponty aappelé une« intercorporéité » avec l’autre et par conséquent avecle monde. D’où son idée d’une ontologie de la chair assortied’une topologie où le corps et le monde constituent un seul tissu.Les objets étudiés en topologie le sont en fonction de leurmorphologie. Par exemple, la sphère n’est pas semblable à untore. Pour passer de l’un à l’autre, il faut percer ou reboucher untrou. Il s’agit alors d’étudier le passage continu d’une forme Aà une forme B, et vice versa : on parle alors de transformationtopologique et précisément d’homéomorphie (du grec homoios etmorphê : forme semblable). Par exemple un cube en caoutchoucpeut se gonfler jusqu’à prendre la forme d’une sphère et revenirensuite à sa forme initiale. On passe donc du cube à la sphère parhoméomorphie. Deux formes sont topologiquement équivalenteslorsqu’on peut passer de l’une à l’autre par déformation continuesans déchirement. Les propriétés topologiques d’une forme seconservent par homéomorphie et prennent la valeur d’invarianttopologique.La topologie nous intéresse ici comme modèle d’une ontologiecharnelle . La structure topologique présente sur la structurelangagière l’avantage non seulement d’intégrer le corps du sujet,mais elle permet également une approche duphénomène clinique par sa forme et ses transformations. Lesformes topologiques naissent de contraintes sur le croisement ou lenon croisement des trajectoires du mouvement. Ce qui n’a paséchappé à Lacan, qui interroge la distinction de la forme et de lastructure, en avançant que la forme est suggérée par la structure,qui prime néanmoins sur la forme . Lacan, dans la lignée de Piaget,Schilder et Merleau-Ponty, appréhende le corps dans l’espace. Il n’ya rien à ajouter au propos de Merleau-Ponty lorsqu’il évoque latopologie du schéma corporel et ses équivalences symboliques de« réciprocité-promiscuité » du « dedans » et du « dehors » . Lacanne dit pas autre chose en s’interrogeant sur l’identité entre ladissymétrie du signifiant et du signifié et celle du contenant et ducontenu à partir du moment où le corps est appréhendé à traverssa Gestalt (sa forme). Le rapport du sujet à son corps est de pureforme, mais sa jouissance est de l’ordre du réel . Le corps se jouitd’objets pulsionnels dont le réel noue la Gestalt (la forme). Schilderavait déjà remarqué l’équivalence des « orifices » corporels et desreliefs de l’espace, ce que l’enfant opère grâce à la structuredynamique de son image du cops. Moyennant quoi le corps peutprendre certains aspects qui sont de pure forme, la forme restantsuggérée par la structure du réel de ses jouissances.

En somme la structure topologique permet d’appréhender la formeet les transformations d’un sujet qui habite l’espace et le tempsavec un corps dont il joue.

V. L’éclipse du sujet sous le questionnement

M. Czermak rappelle dans son article Sur quelques phénomènesélémentaires de la psychose que Lacan invitait le clinicien àchercher les phénomènes élémentaires qui sont presque toujoursprésents avant le déclenchement d’une psychose. Nous avons un

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exemple d’éclipse du sujet dans une nouvelle de Patrick Süskind quis’intitule L’exigence de profondeur . Lors d’un vernissage, l’artisteentend un critique d’art dire : « Ce que vous faites là est intéressantet plein de talent, mais vous manquez encore de profondeur ».Cette parole critique à son sujet la plonge dans un abîme deperplexité par la perte du sens de cette parole. Cette extériorité dela parole est proche de l’automatisme mental et traduit sonimpossible assomption de cette parole. Face à cette abîme, elles’agite dans tous les sens et l’expérience se répète le soir chez desamis qui font état de leurs lecture de cette parole critique dans lesjournaux : « La profondeur, voilà ce qui lui manque ». La semainequi suit, elle s’isole et ne produit plus rien. Cloîtrée, elle ruminecette seule pensée qui engloutit toutes les autres : « Pourquoi n’ai-je pas de profondeur ? ». Ses tentatives de peindre se solde parl’impossibilité de tracer le moindre trait. Ce qui lui confirme encoreplus son manque de profondeur. Puis, elle va chercher une réponsedans les livres jusqu’à vouloir lire Wittgenstein, mais elle ne saitplus par quel bout prendre un livre. Lors d’unevisite au musée de saville, elle demande à un groupe de lycéen devant un Léonard deVinci « …Pouvez-vous me dire si ce dessin à de la profondeur ? ».L’ironie du professeur provoque un sentiment de rejet encore plusimportant. Dès lors, cette jeune femme devient de plus en plusétrange. Elle se replie chez elle, consomme desmédicaments pour rester éveillée sans savoir pourquoi, si ce n’estla panique de sombrer dans l’angoisse de la « profondeur » dusommeil. Elle ne s’endort plus que dans son fauteuil. L’alcoolisationaidant, elle ne peint plus. Elle pétrit des boules de pâte àmodeler pour y enfoncer ses doigts. Et, elle renvoie toutecommande d’un marchand d’art sous le prétexte de manquer deprofondeur. Tout se délite, son apparence et son appartement. Sonentourage se préoccupe, elle accepte finalement une invitationà une soirée. Un jeune homme séduit lui propose de laraccompagnerpour coucher avec elle. Ce qu’elle accepte sous l’effetdu charme tout en prévenant cet homme qu’ellen’a aucune profondeur. L’homme prend la fuite. Puis, c’est la chute,alcool, cachet, prise de poids, repli, vieillissement prématuré,délabrement de l’appartement. Suite à une errance à Naples où saparole se défait pour ne devenir qu’un bredouillement, elle rentreruinée. Cette jeune artiste va dans un ultime geste détruire sesœuvres et se jeter du haut de la tour de la télévision dans le videqui mesure cent trente-neuf mètres de profondeur.

VI. Conclusions : les pathologies de la limite

Dans cette Nouvelle nous voyons les effets cliniques que peutproduire sur un être l’ouverture d’un questionnement qui impliqueun sujet en le mettant en situation de répondre de son oeuvre.Lorsque le sujet se heurte ainsi à l’impossibilité de répondreà une parole venant de l’autre, qu’il se trouve plongé dans unabîme de perplexité et si son ego vole en éclats, alors tout laisse àsupposer que cet ego étaitune représentation de soi venant à laplace de l’absence du sujet. Ce qui est bien différent d’uneréponsesymptomatique où le sujet n’est pas en reste . L’ego est à entendreici de la façon dont Lacan l’a définit en l’identifiant au « Lust-Ich »freudien, un moi-plaisir qui s’oppose au moi-réalité et dont le butn’est rien d’autre que de rechercher la jouissance. Pour répondre àla question de la nature de ce « moi-plaisir » il faut revisiter lestextes de Freud sur la pulsion et la dénégation . Il est intéressant detrouver sous la plume de Freud une genèse de l’opposition entre lesubjectif et l’objectif dans son fameux texte sur la dénégation que

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Jean Hyppolite a présenté à Lacan comme révélateur de la genèsede la pensée. Dans cette genèse freudienne de la pensée « ilétait une fois un moi (entendons ici un sujet) pour lequel il n’y avaitencore rien d’étranger » . La distinction de l’étranger et de soi sefait par expulsion hors du « moi-plaisir originel » de l’étranger, dece qui est une source de déplaisir, ce qui se retrouve ainsi dehors luiétait identique au préalable. Il revient alors au sujet de choisirentre les motions pulsionnelles : « ça doit être en moi ou bien endehors de moi » . Un autre choix qui incombe alors au sujetconsistera à distinguer dans un « il y a » primitif desreprésentations lesquels permettent de retrouver l’objet à traversl’épreuve de la réalité. Pour Freud c’est une question de dehors etde dedans « le non-réel, le simplement représenté, le subjectif,n’est que dedans ; l’autre, le réel, est présent au-dehors, aussi » .La condition de cette distinction entre le subjectif et l’objectif est laperte de l’objet qui apportait autrefois la satisfaction. L’épreuve dela réalité ne peut se faire que sur le fond de cette perte dejouissance . On peut reconnaître la construction psychique de lalimite pour le sujet entre le dehors et le dedans à partir de cettegenèse du jugement et par conséquent de la pensée . La notion de« limite » prend ainsi un sens psychique en tant que résultanted’une perte primordiale à partir de laquelle se creuse l’écart parl’épreuve de la réalité entre la jouissance recherchée et lajouissance trouvée. D’où le jugement par le sujet d’un « ce n’estpas ça ! » , l’expression du sujet où on reconnaît la signification dece que Freud, puis Lacan, désignent par la castration. C’est au titrede la conséquence de ce fondement psychique de la « limite » qu’ilest préférable de parler de « pathologies de la limite », ce qui nousdonne un abord clinique et pratique de ce qu’on a pris l’habitude dedésigner comme « états limites ». Je partage l’idée développée parM. Safouan sur l’efficacité dans la cure de la contribution del’interdit de l’inceste à la construction d’un sujet désirant, en tantque cet interdit fonde le désir dans la perte de la part jouissive del’amour maternel et qu’il cause tout autant le sujet que la culturepar cette limite. Fort de cette boussole dans la direction d’une cure,l’analyse peut s’orienter vers un traitement de la jouissance par unrenforcement de l’ego, si ça s’avère nécessaire, où par l’émergencedu sujet, ce qui correspond à un traitement de la jouissance par ledésir. Je pense ainsi que des pratiques de soi par l’usage du corpset des plaisirs peuvent aujourd’hui offrir une diversité de possibilitésde construction de soi selon des formes identitaires etcommunautaristes variables tout en pouvant servir de suppléance àl’absence de sujet par la construction d’un ego.Ces subjectivités sans sujet qui sont articulées à la diversité desnormes sociales et à leurs variabilités peuvent fort heureusementse prêter à la construction de « solutions élégantes » à la psychoseet les pathologies de la limite peuvent également y trouver un abriidentitaire subjectivant. L’élève Törless de Musil témoigne, toutcomme certains de nos adolescents, de la crise dedépersonnalisation du sujet à Vienne au début du siècle dernier àtravers son expérience subjective d’un vide d’existence au sein deson être. On trouve une version plus contemporaine deces subjectivités vides de sujet dans la trilogie de Murakami Ryû ,Ecstacy, Melancholia et Thanatos où les pratiques maniaques desdrogues et des jouissances de toutes natures permettent une sortiede l’anonymat social.