chiffons chiffons c’est qui, la patronne ? de pouvoir ... · coco chanel libère ... sur son...

1
Chiffons Chiffons C’est qui, la patronne ? Les années 1980 sont celles du fric et du tape-à-l’œil. Elles marquent la naissance d’une figure forte : l’executive woman, celle qui fait taire tout le monde quand elle entre dans la salle de réunion et qui tape du poing sur la table pour faire sa place dans l’univers du business, dominé par les hommes. Les silhouettes sont taillées en X (oui, c’est ça, comme dirait Cristina Cordula sur M6): épaules surdimensionnées, taille marquée… la féminité version « poussez-vous bande de nazes, j’arrive et j’ai une conf call avec la Chine dans dix minutes ». C’est plutôt Joan Collins dans Dynastie que Sue Ellen dans Dallas : une gonzesse qui n’est pas là pour enfiler des perles (ou alors, faut que ça rapporte bonbon). Alors que la décennie marque pour les femmes le début d’une quête acharnée – celle de l’équilibre vie professionnelle-vie privée –, leur tenue tente de combiner pouvoir (le costume d’homme) et féminité (la taille de guêpe). Conquérante et autoritaire… sans ranger la séduction au placard, donc. N’oublions pas que la femme des années 1980 a réussi « l’amalgame de l’autorité et du charme », comme dit Sardou 1 . Faudrait pas en deman- der trop, non plus. QUE RESTE-T-IL DU « POWER SUIT » ? Fini de jouer des épaulettes pour montrer qu’on les a aussi larges que les mâles qui trustent les sphères professionnelles ? « Les femmes de pouvoir aujourd’hui sont installées et ont moins besoin de se justifier, note France Thébaut, directrice de Television Style 2 , agence de conseil en stylisme. Elles peuvent donc parfaitement se permettre de renouer avec des codes d’ultra-féminité qui n’entament en rien leur crédibilité et leur pouvoir. » Mais une pièce demeure, vestige de l’époque Cindi Lauper, pour signifier par la fringue qu’on est la patronne. « La veste a toujours de l’impact. Sa structure donne des lignes ras- surantes aux yeux d’un interlocuteur, précise France Thébaut. Elle emballe le discours et on se concentre plus sur le message que sur la forme. » Ah, enfin ! 2 1. Dans le très féministe (!) tube Être une femme. 2. www.televisionstyle.com Son nom veut dire « costume de pouvoir », rien que ça. Ses épaulettes démesurées crient « je suis la femme de la situation », et il paraît que lorsqu’on l’enle, on en impose automatiquement. Bim. Rencontre avec le power suit. PAR CLARENCE EDGARD-ROSA Coco Chanel libère les tailles et crée le premier power suit. Généralement en maille (youpi : on peut bouger), il est qualié de « nouveau costume des femmes ». On se rapproche un peu plus du power suit dans sa version dénitive : les épaulettes apparaissent, la taille se resserre. Féminité et autorité à la Lauren Bacall. Longueur fourreau, épaules raglan : on préfère twister plutôt que de courir après le pouvoir. Dans les années 1930, pour dire « pouvoir », il faut emprunter au vestiaire masculin. Silhouette androgyne, pantalon de rigueur. ue sur me. Lon Lon four four épau épa on p on p twis twis que d que après aprè : : ir. ir. Cinquante nuances de Clinton « Dans ma Maison-Blanche, on sait tous qui porte le tailleur- pantalon », déclarait la candidate à la présidentielle américaine dans le talk-show de David Letterman (Late Night Show), en 2008. Hillary Cliton en a essuyé des blagues sur son power suit . Et elle en joue, au point d’avoir lancé un objet promotionnel de campagne qui fait la blague : le pantsuit-t-shirt . Il s’agit d’un tee-shirt sur lequel est imprimé un trompe-l’œil de veste de tailleur, avec un petit « H » brodé, sur le cœur bien sûr. Une bonne manière de tourner à son avantage les commentaires focalisés sur son apparence physique plutôt que sur son programme. 1920 1930 1940 1950 L’uniforme de la gentille mamie des beaux quartiers : le fameux tailleur classique, signé Chanel, prend la main. 1960 1970 Le power suit devient taillé pour la négociation d’un contrat à 10 000 boules. Ça rigole pas. Ici, Bianca Jagger. L’authentique : er, exagéré, clinquant mais sévère. On est là pour parler business ou quoi ? 1980 Monique, 69 ans Dans les années 1980, courtière en assurances « Tu marchais dans la rue et les gens se disaient: “Celle là, elle est dans le business. Elle rigole pas.” De toute façon, il valait mieux se pousser pour éviter de se prendre une épaulee dans le crâne ! Il y avait une aitude, une démarche qui allait avec. Même si tu avais une mauvaise posture, les épaules en dedans, tu paraissais massive, droite et presque autoritaire. Tu enfilais ça et c’était un peu comme un costume de super-héroïne. C’était la grande classe. » Laurence, 61 ans. Dans les années 1980, publicitaire dans une grande agence « Je peux vous dire que quand vous arriviez au bureau avec votre tailleur à larges épaules, vous en imposiez. C’est ce que je meais pour tous mes rendez- vous importants parce que je savais que j’allais être écoutée. En tout cas, ça boostait ma confiance en moi, ce qui revenait au même. Quand vous arriviez à un poste en haut de l’échelle, c’était le moment de vous en orir un d’une grande maison de couture, et ça avait un peu sur les gens l’eet de la grosse montre chez les messieurs. Les hommes se taisaient quand j’entrais dans la salle de réunion, et ce n’était pas pour regarder mes jambes. » Christelle, 55 ans. Dans les années 1980, agent commercial « grands comptes » dans la maroquinerie « Le problème du tailleur de l’époque, c’est qu’on ne pouvait pas vraiment le mere avec autre chose qu’une paire de talons et tout l’airail très féminin qui allait avec. Quand je vois les jeunes business women d’aujourd’hui, je trouve qu’elles ont plus d’options. Elles peuvent mere des chaussures plates, des choses confortables, des jeans même, ou alors être au contraire très féminines si elles le souhaitent. Elles n’ont pas besoin d’un uniforme de pouvoir, elles ont du pouvoir. » Le tailleur à la Mugler Yves Pagan est directeur du patrimoine de la maison Thierry Mugler, ambassadrice du power suit. Assistant du créateur dans les années 1980, il a été témoin de l’avènement de l’executive woman, des podiums à la rue. « Thierry Mugler est un grand fan de lms hollywoodiens, et, à l’époque, il a voulu amplier la silhouette un peu stricte du tailleur que plus personne ne portait, à part dans les films. Modier le corps pour le rendre exagérément graphique : de larges épaules, une taille ne, une basque… C’est presque un dessin ! Il a habillé les femmes de présidents et de ministres, des femmes fortes. Mais il avait à cœur d’habiller toutes les femmes, et cette silhouette, particulièrement, pouvait aller à toutes. D’ailleurs, celle-ci plus qu’une autre, tout le monde l’a copiée et portée ! » L’authentique power suit, èrement arboré par Joan Collins dans Dallas. © ABC/GETTY IMAGES – THIERRY MUGLER – MEDIAPUNCH/REX SHUTTERS/SIPA – SASHA/GETTY IMAGES RUE DES ARCHIVES/BCA – KEYSTONE FRANCE X 2 – RUE DES ARCHIVES/TAL – 2004 GETTY IMAGES 35 Causette # 61 la

Upload: buinguyet

Post on 26-Apr-2018

217 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

Chiffons Chiffons

C’est qui,la patronne ?

Les années 1980 sont celles du fric et du tape-à-l’œil. Elles marquent la naissance d’une figure forte!: l’executive woman, celle qui fait taire tout le monde quand elle entre dans la salle de réunion et qui tape du poing sur la table pour faire sa place dans l’univers du business, dominé par les hommes. Les silhouettes sont taillées en X (oui, c’est ça, comme dirait Cristina Cordula sur M6)!: épaules surdimensionnées, taille marquée… la féminité version « poussez-vous bande de nazes, j’arrive et j’ai une conf call avec la Chine dans dix minutes ». C’est plutôt Joan Collins dans Dynastie que Sue Ellen dans Dallas!: une gonzesse qui n’est pas là pour enfiler des perles (ou alors, faut que ça rapporte bonbon). Alors que la décennie marque pour les femmes le début d’une quête acharnée – celle de l’équilibre vie professionnelle-vie privée –, leur tenue tente de combiner pouvoir (le costume d’homme) et féminité (la taille de guêpe). Conquérante et autoritaire… sans ranger la séduction au placard, donc. N’oublions pas que la femme des années 1980 a réussi

« l’amalgame de l’autorité et du charme », comme dit Sardou!1. Faudrait pas en deman-der trop, non plus.

QUE RESTE-T-IL DU « POWER SUIT » ?Fini de jouer des épaulettes pour montrer qu’on les a aussi larges que les mâles qui trustent les sphères professionnelles!? « Les femmes de pouvoir aujourd’hui sont installées et ont moins besoin de se justifier, note France Thébaut, directrice de Television Style!2, agence de conseil en stylisme. Elles peuvent donc parfaitement se permettre de renouer avec des codes d’ultra-féminité qui n’entament en rien leur crédibilité et leur pouvoir. » Mais une pièce demeure, vestige de l’époque Cindi Lauper, pour signifier par la fringue qu’on est la patronne. « La veste a toujours de l’impact. Sa structure donne des lignes ras-surantes aux yeux d’un interlocuteur, précise France Thébaut. Elle emballe le discours et on se concentre plus sur le message que sur la forme. » Ah, enfin!! 21. Dans le très féministe (!) tube Être une femme.2. www.televisionstyle.com

Son nom veut dire « costume de pouvoir », rien que ça. Ses épaulettes démesurées crient « je suis la femme de la situation », et il paraît que lorsqu’on l’enfi le, on en impose automatiquement. Bim. Rencontre avec le power suit.

PAR CLARENCE EDGARD-ROSA

Coco Chanel libère les tailles et crée le premier power suit. Généralement en maille (youpi : on peut bouger), il est qualifi é de « nouveau costume des femmes ».

On se rapproche un peu plus du

power suit dans sa version défi nitive :

les épaulettes apparaissent, la taille

se resserre. Féminité et autorité à

la Lauren Bacall.

Longueur fourreau, épaules raglan : on préfère twister plutôt que de courir après le pouvoir.

Dans les années 1930, pour dire « pouvoir », il faut emprunter au vestiaire masculin. Silhouette androgyne, pantalon de rigueur.

on se concentre plus sur le message que sur

tre une femme.

Longueur Longueur fourreau, fourreau, épaules raglan : épaules raglan : on préfère on préfère twister plutôt twister plutôt que de courir que de courir après le pouvoir. après le pouvoir.

épaules raglan : épaules raglan :

après le pouvoir. après le pouvoir.

Cinquantenuances de Clinton

« Dans ma Maison-Blanche, on sait tous qui porte le tailleur-pantalon », déclarait la candidate à la présidentielle américaine dans le talk-show de David Letterman (Late Night Show), en 2008. Hillary Cliton en a essuyé des blaguessur son power suit. Et elle en joue, au point d’avoir lancé un objet promotionnel de campagne qui fait la blague : le pantsuit-t-shirt. Il s’agit d’un tee-shirt sur lequel est imprimé un trompe-l’œil de veste de tailleur, avec un petit « H » brodé, sur le cœur bien sûr. Une bonne manière de tourner à son avantage les commentaires focalisés sur son apparence physique plutôt que sur son programme.

1920

1930

1940

1950

L’uniforme de la gentille mamie des beaux quartiers : le fameux tailleur classique, signé Chanel, prend la main.

1960

1970

Le power suit devient taillé pour la négociation d’un contrat à 10 000 boules. Ça rigole pas. Ici, Bianca Jagger.

L’authentique : fi er, exagéré, clinquant mais sévère. On est là pour parler business ou quoi ?

1980

Monique, 69 ans Dans les années 1980, courtière en assurances« Tu marchais dans la rue et les gens se disaient": “Celle là, elle est dans le business. Elle rigole pas.” De toute façon, il valait mieux se pousser pour éviter de se prendre une épaulett e dans le crâne ! Il y avait une att itude, une démarche qui allait avec. Même si tu avais une mauvaise posture, les épaules en dedans, tu paraissais massive, droite et presque autoritaire. Tu enfi lais ça et c’était un peu comme un costume de super-héroïne. C’était la grande classe. »

Laurence, 61 ans. Dans les années 1980, publicitaire dans une grande agence« Je peux vous dire que quand vous arriviez au bureau avec votre tailleur à larges épaules, vous en imposiez. C’est ce que je mett ais pour tous mes rendez-vous importants parce que je savais que j’allais être écoutée. En tout cas, ça

boostait ma confi ance en moi, ce qui revenait au même. Quand vous arriviez à un poste en haut de l’échelle, c’était le moment de vous en off rir un d’une grande maison de couture, et ça avait un peu sur les gens l’eff et de la grosse montre chez les messieurs. Les hommes se taisaient quand j’entrais dans la salle de réunion, et ce n’était pas pour regarder mes jambes. »

Christelle, 55 ans. Dans les années 1980, agent commercial « grands comptes » dans la maroquinerie« Le problème du tailleur de l’époque, c’est qu’on ne pouvait pas vraiment le mett re avec autre chose qu’une paire de talons et tout l’att irail très féminin qui allait avec. Quand je vois les jeunes business women d’aujourd’hui, je trouve qu’elles ont plus d’options. Elles peuvent mett re des chaussures plates, des choses confortables, des jeans même, ou

alors être au contraire très féminines si elles le souhaitent. Elles n’ont pas besoin d’un uniforme de pouvoir, elles ont du pouvoir. »

Le tailleur à la MuglerYves Pagan est directeur du patrimoine de la maison Thierry Mugler, ambassadrice du power suit. Assistant du créateur dans les années 1980, il a été témoin de l’avènement de l’executive woman, des podiums à la rue.« Thierry Mugler est un grand fan de

fi lms hollywoodiens, et, à l’époque, il a voulu amplifi er la silhouette un peu stricte du tailleur que plus personne ne portait, à part dans les fi lms. Modifi er le corps pour le rendre exagérément graphique : de larges épaules, une taille fi ne, une basque… C’est presque un dessin !

Il a habillé les femmes de présidents et de ministres, des femmes fortes. Mais il avait à cœur d’habiller toutes les femmes, et cette silhouette, particulièrement, pouvait aller à toutes. D’ailleurs, celle-ci plus qu’une autre, tout le monde l’a copiée et portée ! »

L’authentique power suit, fi èrement arboré par Joan Collins dans Dallas.

© A

BC/G

ETTY

IMAG

ES –

TH

IERR

Y M

UGL

ER –

MED

IAPU

NCH

/REX

SH

UTT

ERS/

SIPA

– S

ASH

A/GE

TTY

IMAG

ES

RUE

DES

ARC

HIV

ES/B

CA –

KEY

STO

NE

FRAN

CE X

2 –

RU

E D

ES A

RCH

IVES

/TAL

– 2

004

GETT

Y IM

AGES

35 Causette # 61

la patronne ?