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Charles de Foucauld (1858-1916) : martyr de l’espérance Beaugency, Maîtrise Notre Dame, ensemble scolaire Charles de Foucauld Le 26 novembre 2019 Foucauld Pommier

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Charles de Foucauld (1858-1916) : martyr de l’espérance

Beaugency, Maîtrise Notre Dame, ensemble scolaire Charles de Foucauld

Le 26 novembre 2019

Foucauld Pommier

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Introduction :

« Les phares que la main de Dieu a allumés au seuil du siècle atomique s’appellent Thérèse de

Lisieux et Charles de Foucauld », disait le Père Yves Congar au moment du concile Vatican

II. A l’heure où l’on parle partout et à tort et à travers de l’islam il est bon de regarder

comment Charles de Foucauld nous parle de l’islam. Lui qui a donné sa vie pour vivre auprès

des populations musulmanes est sans doute extrêmement bien placé pour nous éclairer. Nous

allons donc suivre l’itinéraire de Charles de Foucauld chronologiquement en regardant

comment sa spiritualité s’est construite et comment l’islam y a sa part avant de regarder

l’évolution progressive de son approche de l’évangélisation. Comment se positionne -t-il face

à ses populations ? Et puis je terminerai en notant quelques traits supplémentaires qui me

semble important pour aujourd’hui.

1. La conversion : du contact avec la foi musulmane au catholicisme. Spiritualité du

Père de Foucauld

1.1. 1858-1882 : l’enfance et l’armée

Très tôt orphelin de père et de mère (à 6 ans) puis de ses grands-parents

paternels qui l’avait recueilli à la mort de ses parents. Ce sont ses

grands-parents maternels qui le récupèreront. Là il reçut une éducation

classique et religieuse. Mais au fond de lui déjà depuis la mort de ses

parents, la foi l’interroge. Les malheurs qui se sont abattu sur lui

l’amène à remettre en question cet héritage de la foi. Ses études dans

l’ambiance anticléricale et rationaliste vont achever de lui faire perdre la

foi. A la fin du lycée il ne lui en reste plus rien. Et à 18 ans il hérite de la

fortune familiale dont il saura jouir et faire profiter ses camarades de

l’école militaire de St Cyr où il est entré. Il

deviendra officier de cavalerie. Mais la vie de

garnison l’ennui et son attitude nonchalante

finira même par le faire être mis en congé par l’armée ce qui ne le

souci guère. Mais on est alors en 1881, et en Algérie une révolte

arabe se lève et son régiment est envoyé au combat. Charles

demande alors à être réintégré dans l’armée. Durant cette campagne

en Algérie il se fera remarquer pour ses qualités de meneur

d’homme et de d’excellent officier. A peine la révolte matée que la

vie de garnison reprend. De nouveau Charles s’en désintéresse. Et le

contact avec les populations algérienne a éveillé sa curiosité. La vie

de luxe commence aussi à l’ennuyer. Une idée, à la mode alors,

germe dans sa tête : explorer. Ainsi comme il l’écrit à son ami Gabriel Tourdes le 18 février

1882 :

« Je donne ma démission ; Je déteste la vie de garnison. Je trouve le métier

assommant en temps de paix. A quoi bon traîner sans aucun but une vie où

je ne trouve aucun intérêt ? J’aime mieux profiter de ma jeunesse en

voyageant. De cette façon je m’instruirai et je ne perdrai pas mon temps. »

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Où partir donc ? Ce sera le Maroc. Pays inexploré par les occidentaux, interdit aux chrétiens

(athée ne veut rien dire là-bas). Et c’est alors le début de l’aventure au Maroc en 1883-1884.

1.2. 1883-1886 : du contact avec la foi musulmane à la conversion

a. Le Maroc

Là commence vraiment la rencontre entre le Vicomte de Foucauld et l’islam ou plutôt la

foi musulmane. Lui l’athée convaincu est bouleversé par le témoignage de foi des

musulmans comme il l’écrit à son ami Henry de Castries (islamologue amateur, officier de

l’armée) plusieurs années plus tard en relisant cet épisode de sa vie :

« l’islam a produit sur moi un profond bouleversement… la vue de cette foi,

de ces âmes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir

quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations

mondaines » (à Henry de Castries 8/07/1901)

et dans une autre lettre du 15/07/1901 :

« l’islamisme est extrêmement séduisant : il m’a séduit à l’excès. »

et

« il me plaisait beaucoup, avec sa simplicité, simplicité de dogme,

simplicité de hiérarchie, simplicité de morale » (14/08/1901)

Simplicité qui tranche d’avec celle du christianisme qu’on lui a enseigné :

« moins qu’aucune, la foi de mon enfance me semblait admissible avec son

1=3 que je ne pouvais me résoudre à poser » (idem)

De cette rencontre avec l’islam, il en ressort l’importance de l’adoration de Dieu, qui est pour

lui l’acte religieux par excellence. On sait combien la place de l’Eucharistie sera essentielle

dans sa spiritualité par la suite. Ses textes et ses lettres sont parsemés de référence à la

transcendance divine. Dieu est le « tout autre », « se réjouir que Dieu soit Dieu et seulement

de cela » et même dans ses lettres avec Henry de Castries il utilise souvent l’expression arabe

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« allah akbar ». Charles de Foucauld est donc profondément marqué par la déférence des

musulmans à l’égard de la transcendance de Dieu. Tellement qu’il commence sérieusement à

s’intéresser à cette religion en étudiant le Coran et l’arabe. Mais en même temps qu’il étudie

tout cela, très vite il s’en détourne :

« je voyais clairement qu’il était sans fondement divin et que là n’était pas

la vérité » (14/08/1901).

Plutôt donc que de le convertir à l’islam, la foi des musulmans qu’il rencontre agit comme un

réactif pour le remettre, à l’intérieur du mystère chrétien, face à Dieu transcendant. Ce

premier déclic, ces premières interrogations religieuses vont trouver à Paris un nouvel écho.

b. Retour à paris

Charles rentre de son voyage qui est couronné de succès. Á Paris, où il va faire publier le récit

de son exploration, il retrouve sa famille et côtoie des chrétiens :

« je me suis trouvé avec des personnes très intelligentes, très vertueuses et

très chrétiennes » et il ajoute : « je me suis dit que peut-être cette religion

n’était pas absurde »

Il cherche alors à en savoir plus :

« l’idée me vint qu’il fallait me renseigner sur cette religion, où peut-être se

trouvait cette vérité dont je désespérait ; et je me dis que le mieux était de

prendre des leçons de religion catholique, comme j’avais pris des leçons

d’arabe ; comme j’avais cherché un bon thaleb pour m’enseigner l’arabe,

je cherchai un prêtre instruit pour me donner des renseignements sur la

religion catholique » (14/08/1901)

Ce prêtre ce sera l’abbé Huvelin qui lui demandera de se confesser. C’est le moment où la

grâce le touche, il ressort de là avec la foi et déjà bien plus :

« aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais

faire autrement que de ne vivre que pour lui : ma vocation religieuse date

de la même heure que ma foi » (14/08/1901).

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1.3. 1888-1889 : pèlerinage en Terre Sainte

Deux ans après sa conversion, l’abbé Huvelin qui est devenu son

directeur spirituel, cherche à modérer ses ardeurs et l’envoie faire

un pèlerinage en Terre Sainte qui s’avèrera être un tournant dans

sa spiritualité :

« Le pèlerinage en Terre Sainte, quelle influence bénie il

a eu sur ma vie, quoique je l’ai fait malgré moi, par pure

obéissance à Monsieur l’abbé… »

Là il est marqué par Nazareth comme le souligne l’un de ses

biographes René Pottier : « il admire la bonté d’un Dieu qui, pour le sauver, s’est fait pauvre,

ignoré, laborieux, il faut donc qu’à son tour il se fasse pauvre, ignoré, laborieux ». Après la

rencontre et la prise de conscience de la transcendance de Dieu, c’est la pauvreté de Dieu fait

homme qui le marque. Et jamais les deux dans sa vie ne seront séparés : c’est le même Dieu

qui est tout-puissant, créateur qui est aussi l’humble charpentier de Nazareth. Il met ainsi dans

ses méditations d’alors en parallèle Béthanie et Nazareth. Béthanie étant le lieu où dans

l’Evangile Jésus loue le choix de Marie de se mettre à son écoute au lieu de s’agiter en tous

sens comme sa sœur Marthe (cf. Lc 10). Il dit :

« Béthanie, c’est la vie contemplative, la vie de l’amour le plus passionné,

de l’amour d’admiration… c’est la meilleure part, […] la part de Marie-

Magdeleine à Béthanie […] que ce soit la nôtre ! »

On a donc Nazareth, le travail dans la pauvreté et Béthanie la contemplation dans l’humilité.

On a là toute la vie de Charles de Foucauld symbolisé dans ces deux lieux évangéliques : une

vie mêlant travail et vie d’ermite dans la prière. Plus tard déployé en contemplation-mission

auprès des plus pauvres. Sa vie sera faite de cette tension du tout pour Dieu/tout pour les

hommes.

1.4. 1890-1897 : trappiste

Cet idéal de vie qui se veut une recherche de

l’imitation la plus parfaite de celle de Jésus,

ressemble furieusement à celle des moines. Ainsi

Charles de Foucauld rentre-t-il à la trappe de

Notre-Dame des Neiges en 1890. Mais déjà

l’appel de l’Orient se fait entendre. Il se veut

moine en pays musulman. On l’envoie donc à

l’abbaye d’Akbès en Syrie. Là il va retrouver la

vie en territoire musulman. Seulement

l’expérience est ici plus malheureuse. Jusque-là

l’expérience de Charles de Foucauld en matière

d’islam se limitait à celui rencontré au Maroc.

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Islam relativement modéré et tolérant. La raison pour laquelle les chrétiens y était interdit

étant sans doute d’ordre politique bien plus que religieux. Grimé en juif, l’un de ses hôtes le

démasquera comme chrétien mais au lieu de le dénoncer il liera d’amitié avec lui et lui

accordera même sa protection. Plusieurs années après ce même musulman reviendra chercher

le père de Foucauld comme médiateur entre lui et l’armée française en vue de la colonisation

du Maroc qui se prépare. Mais là, en Syrie, le contexte est complètement différent. Il va

assister aux massacres des chrétiens arméniens par les kurdes musulmans soutenu par l’armée

ottomane. Le monastère en échappe (bien que sans cesse menacé) puisqu’il est sous la

protection de l’armée turque qui veut sans doute ménager ses relations internationales en ne

touchant pas à ses moines français. Bien qu’il désire le martyr, cela ne lui sera pas accordé

encore.

Ce passage chez les trappistes ne le satisfait pas pleinement. Comme il dit lui-même à sa

cousine Marie de Bondy :

« je soupire après Nazareth » (1896)

Il est alors relâché de ses vœux pour partir vivre son idéal de pauvreté comme jardinier des

clarisses de Nazareth. Il reste en Terre Sainte de 1897 à 1900. Mais incapable de tenir en

place il ressent de nouveau l’appel du large. Et particulièrement l’appel du monde musulman :

« sa vocation l’a toujours attiré vers le monde musulman. J’ai vu venir cette

vocation. En mon âme et conscience, je crois qu’elle vient de Dieu » (l’abbé

Huvelin à Mgr Guérin, administrateur apostolique du Sahara)

1.5.1898-1900 : l’appel de l’islam

A Nazareth il a oublié les hommes. De fêtard qu’il

était, il s’est fait fêtard mystique c’est-à-dire qu’il

jouit de la vie mystique pour lui-même et non plus

tourné vers les autres. Il accepte alors de se faire

prêtre, lui qui jusque-là s’en sentait indigne. Imiter

Jésus, c’est aussi quitter Nazareth pour aller vers les

plus pauvres :

« prêtre depuis le mois de juin dernier (le

9/06/1900), je me suis senti appelé aussitôt

à aller aux brebis perdues, aux âmes les

plus abandonnées, afin d’accomplir envers

elles le devoir de l’amour. » (lettre à G.

Tourdes).

Mais où servir ainsi ? Où sont les plus pauvres ? Ne serait-ce pas ceux qui n’ont rien et dont

personne même ne se soucie ?

« Inquiétons-nous de ceux à qui tout manque, à qui nul ne pense. Soyons les

amis de ceux qui n‘ont pas d’amis » (Œuvres spirituelles, « retraite à

Nazareth », 1898)

Naturellement son regard se porte vers le Sahara et particulièrement le Maroc. Lieu où aucun

prêtre n’est encore présent.

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2. L’évangélisation en terre musulmane. Evolution de l’approche du Père de

Foucauld

2.1. L’enthousiasme et l’activisme des débuts

a. L’installation à Beni-Abbès

Charles enfin libre de ses vœux peut se tourner vers la mission en terre musulmane. Pour

Foucauld, la mission vis-à-vis des frères musulmans est de leur apporter ce qui leur manque :

Jésus. Au père Jérôme le 17 juillet 1901 il écrit :

« Il ne m’est pas possible de pratiquer la charité fraternelle sans consacrer

ma vie à faire tout le bien possible à ces frères de Jésus à qui tout manque

puisque Jésus leur manque. »

C’est donc décidé il partira pour le Maroc Mais celui-ci est encore fermé aux occidentaux. En

attendant son ouverture qui viendra, Charles en est certain, il va s’établir à la frontière

marocaine à Béni-Abbès.

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Et voici quel est son projet en y arrivant :

« Nous voudrions fonder sur la frontière marocaine, non pas une Trappe,

non pas un grand et riche monastère, non pas une exploitation agricole,

mais une sorte de humble petit ermitage, où quelques pauvres moines

pourrai vivre de quelques fruits et d'un peu d'orge récoltés de leurs mains,

dans une étroite clôture, la pénitence et l'adoration du saint-sacrement, ne

sortant pas de leur clos, ne prêchant pas, mais donnant l'hospitalité à tout

venant, bon ou mauvais, ami ou ennemi, musulmans ou chrétiens… C'est

l'évangélisation, non par la parole, mais par la présence du très saint-

sacrement, l'offrande du divin sacrifice, la prière, la pénitence, la pratique

des vertus évangéliques, la charité, une charité fraternelle et universelle

partageant jusqu’à la dernière bouchée de pain avec tous pauvres, tout

hôte, tout inconnu se présentant, et recevant tout humain comme un frère

bien-aimé … » (23/06/1901 à H. de Castries)

Béni Abbès est une oasis où vive soldats français, chrétien ou non et paysans plus ou moins

pauvres berbère, arabe, musulmans et même des esclaves d’Afrique noire. Charles se veut

disponible à tous, simplement présent comme Jésus l’était à Nazareth. A sa cousine Marie de

Bondy il écrit :

« Vivre en moine, silencieux et cloîtré, sans titres d’aumônier, ni de curé,

mais moine, priant et administrant les sacrements. Le but est double :

empêcher que nos soldats ne meurent sans sacrements en des lieux où la

fièvre les tue en grand nombre et où il n’y a aucun prêtre ; et surtout, faire

le plus grand bien qu’on puisse faire actuellement aux populations

musulmanes si nombreuses et si délaissées, en apportant au milieu d’elles

Jésus dans le Très- Saint Sacrement, comme la Très Sainte Vierge sanctifia

Jean-Baptiste en apportant auprès de lui Jésus. » (9/9/01)

On retrouve déjà dans cet extrait de lettre toute la spiritualité de Charles de Foucauld :

adoration de Dieu dans le Très-Saint Sacrement (cf. influence de l’islam) et la mission

d’apporter Jésus par la présence toute simple comme Jésus était parmi les hommes à Nazareth

(cf. la visitation).

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C’est donc à Béni-Abbès que Charles entame son apostolat. C’est là qu’il érige sa

« fraternité » comme il l’appelle lui-même et qu’il commence à vivre son idéal :

« les constructions s’appellent la khaoua, « la fraternité », car Khouïa

Carlo est le frère universel. Priez Dieu pour que je sois vraiment le frère de

toutes les âmes de ce pays. » (29/11/1901 à H. de Castries)

b. Lutte contre l’esclavage

Très vite, il comprend l’extrême pauvreté de

mœurs des populations musulmanes. Il prendra

très à cœur la question de l’esclavage. Il est

révolté que dans les terres française ces pratiques

puissent encore avoir lieu. Par ces relations à

Paris il va essayer d’éveiller les consciences.

Mais pour l’heure il agit sur place en

affranchissant des esclaves :

« Il n’y a pas d’autre remède à cette honte et à

cette injustice que l’affranchissement »

(15/01/1902 à H de C)

et il ajoute

« cette question de l’esclavage me paraît de beaucoup la plus grave

actuellement dans ces régions. Il faudra ensuite instruire, soulager,

développer le travail, nous faire bénir par notre bonté » (idem)

Charles de Foucauld se positionne donc dans une perspective quasi humanitaire pour user de

termes contemporains. C’est sa vision de la colonisation qu’il approuve sans que cela ne

l’empêche de la critiquer quand elle n’est pas au service de la population colonisé. Le

25/05/1909 il écrit à Henry de Castries :

« il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux, ce qui est

notre devoir. Un peuple a envers ses colonies les devoirs des parents envers

leurs enfants : les rendre par l’éducation et l’instruction égaux ou

supérieurs à ce qu’ils sont eux-mêmes »

On ne que louer cette noble vision de la colonisation.

c. Prêcher la religion naturelle

Mais son approche de l’évangélisation va vite bouger au contact des populations.

Parler de Jésus est irrecevable encore par les musulmans. Charles va donc se

concentrer sur des questions de mœurs et sur la religion naturelle : reconnaître et

adorer le Dieu unique. En 1903 il note dans ses carnets :

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« Parler beaucoup aux indigènes et non de choses banales, mais, à propos

de tout, en venir à Dieu. Si on ne peut leur prêcher Jésus parce qu'ils

n'accepteraient pas certainement cet enseignement, les préparer peu à peu

à le recevoir, en leur prêchant sans cesse dans les conversations la religion

naturelle, beaucoup parler et toujours de manière à améliorer les âmes, à

les relever, à les rapprocher de Dieu, à préparer le terrain de l'Evangile »

(1/06/1903)

d. La découverte des touaregs :

En 1904-1905, Charles de Foucauld va profiter des expéditions de colonnes française

au cœur du Sahara pour les accompagner et entrer en contact avec les populations

nomades touaregs. Le Maroc semble se fermer définitivement, il fait alors le choix

de s’installer au cœur du désert, dans le Hoggar, à Tamanrasset parmi ces Touaregs.

Là il va insister sur le devoir de se faire l’ami de la population avant de penser à

l’évangélisation.

« Vous savez ce que je cherche chez les Touaregs ; les apprivoiser, lier

d'amitié avec eux, faire tomber peu à peu ce mur de prévention, d'ombrage,

de défiance, d’ignorance, qui les sépare de nous. Ce n'est pas l'œuvre d'un

jour ; je commence à défricher, d'autres suivront qui continueront. »

(28/10/1905)

Un peu plutôt il lui annonçait déjà en 1904 lors de ses premières expéditions chez les

Touaregs :

« Il reste à les apprivoiser, à faire tomber leur défiance, disparaître leurs

préjugés contre nous, nous faire connaître, estimer, aimer d’eux, leur

prouver que nous les aimons, établir la fraternité entre eux et nous, voilà ce

qui reste à faire. » (17/06/1904)

Á nouveau il présente sa vision de l’évangélisation toute faite de prudence et de

sagesse :

« Vous désirez savoir ce que je puis faire pour les indigènes ; il n’y a pas à

leur parler directement de Notre-Seigneur : ce serait les faire s’enfuir. Il

faut les mettre en confiance, se faire d’eux des amis, leur rendre de petits

services, leur donner de bons conseils, lier d’amitié avec eux, les exhorter

discrètement à suivre la religion naturelle, leur prouver que les chrétiens

les aiment… Ici comme à Béni-Abbès, comme dans les régions

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intermédiaires, il n’y a que cela à faire pour le moment pour la généralité :

si l’on rencontre quelque âmes bien disposées, avec elle on peut pousser

plus loin » (16/12/1905 à Marie de Bondy)

On est déjà loin du « apporter Jésus » des débuts. Le Père de Foucauld n’est pas enfermé dans

un schéma. Tout doit concourir au bien des populations auprès desquelles il se trouve quitte à

modifier son approche. Il est le premier à vivre la mission ainsi : il innove, il tâtonne, il

apprends petit à petit.

De 1906 à 1908 commencent les années difficiles, de solitude et de remise en question.

2.2.1907-1908 : l’année charnière

a. Hiver 1907-1908

La solitude commence à lui peser. La famine qui sévit tout l’été-automne 1907 l’épuise : il

donne tout. Mais plus que tout, il est privé de l’eucharistie. Lui qui en avait fait sa vie se voit

retirer le droit d’avoir une réserve eucharistique en un lieu où il n’y a pas de chrétien. Cela

s’ajoute au fait qu’il ne peut pas célébrer la messe seul sans acolyte ni chrétien (on ne le

pourra qu’après le concile Vatican II sauf autorisation spéciale de Rome), autant dire qu’il ne

peut célébrer une messe que lorsque des soldats ou des occidentaux passent le voir, donc très

rarement. Il croyait avoir tout donné, il doit maintenant renoncer à l’essentiel.

Noël 1907 :

« Cette nuit pas de messe pour la première fois depuis 21 ans. Jusqu’à la

dernière minute j’ai espéré qu’il viendrait quelqu’un. Mais rien n’est venu,

ni un voyageur, ni un militaire, ni la permission de célébrer seul ! Il y a

trois mois, plus de trois mois que je n’ai reçu de lettres » (25/12/1907 à M.

de Bondy)

L’année 1908 s’ouvre par un état d’épuisement et de maladie :

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« 1er

janvier 1908. Pas de messe, car je suis seul. Je suis presque devenu un

vieillard. Je souffle comme un vieux cheval poussif. Mon travail devient de

plus en plus lent. C’est celui d’un homme fatigué. » (à l’abbé Huvelin)

Ce qu’il lui reste de force il l’utilise pour écrire :

« Je vis au milieu de misères infinies, pour lesquelles on ne fait rien et on ne

veut rien faire. Ce que voient les indigènes de nous, chrétiens, professant

une religion d’amour, c’est négligence, ou ambition, ou cupidité, et chez

presque tous indifférence, aversion et dureté. » (idem)

Religieux depuis 18 ans, voici son bilan :

« Quelle moisson je devrai avoir ! Au lieu de cela, la misère, le dénuement

et aux autres pas le moindre bien. C’est aux fruits qu’on connaît les arbres

et ceci montre ce que je suis : un serviteur inutile » (idem)

Le 20 janvier tout semble finit pour lui, il dit lui-même être au seuil de la mort et remet déjà

son âme à Dieu quand un nomade entre dans son ermitage prendre des nouvelles et alerte

aussitôt sur l’état du Père ses amis qui lui apporteront vite de quoi le nourrir, le soutenir. Et le

31 janvier il reçoit la nouvelle : autorisation de célébrer seul la messe !

En 10 jours Charles de Foucauld passe de la mort à la vie. Cette mort-résurrection amène

Charles de Foucauld à faire le point sur sa mission au printemps 1908. Á première vue c’est

un double échec : ni conversions, ni disciples. De plus :

« Le Sahara vaut-il tant de sacrifices pour quelques tribus errantes qui ne

demandent point qu’on les convertisse ? » demande-t-il au Père Guérin, son

supérieur direct (vicaire apostolique du Sahara). Mais il répond aussitôt :

« ces âmes se perdent et resteront dans cet état si on ne prend pas les

moyens d’agir sur elles » (1/6/1908)

Sans lui ces âmes se perdraient. Qui d’autres que lui irait à elles ? Qui d’autres que lui pense à

elles ? Sa mission, il en est convaincu, est d’être là auprès d’elles. Mais comment ?

b. Repenser la mission

L’expérience de la maladie et du sauvetage par les nomades lui fait prendre conscience de son

erreur : il est arrivé en conquérant sur son cheval de l’armée et avec l’armée. Il était et restait

un étranger, un occupant qui plus est d’une autre religion. Les Touaregs ne voulaient pas être

apprivoisé en vue d’être assimilé par le peuple conquérant. Ils préféraient rester pauvres. Et

Charles n’était pas pauvre. Profitant de sa riche famille en France et du soutien de l’armée. Il

avait ce qu’il voulait. Pour la première fois il fait l’expérience de recevoir des autres, lui qui

donnait tout. Pour la première fois il a fait l’expérience d’être pauvre, vraiment pauvre. De la

pauvreté qui s’ouvre à l’autre et qui permet la fraternité. Il comprend alors qu’il suffit

d’aimer. Et donc d’abord écouter, découvrir ces hommes et ces femmes, bref recevoir d’eux

ce qu’ils sont tout en continuant d’être un modèle de sainteté. La conversion des Touaregs,

Dieu saura bien s’en occuper et lui seul peut la réaliser s’il le désire.

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Le 6/3/1908 au père Guérin :

« Prêcher Jésus au touareg : je ne

crois pas que Jésus le veuille ni

de moi, ni de personne. Ce serait

le moyen de retarder, non

d'avancer leur conversion. Cela

les mettrait en défiance, les

éloignerait, loin de les

rapprocher. Il faut y aller très

prudemment, doucement, les

connaître, nous faire d’eux des

amis, et puis après, petit à petit

on pourra aller plus loin avec

quelques âmes privilégiées qui

seront venus et auront vu plus que

les autres, et qui, elles, attireront

les autres. »

Le 9/6/1908 au Chanoine Caron à propos

des conversions il dit sans complaisance :

« Je n'ai pas fait une conversation

sérieuse depuis 7 ans que je suis

là : deux baptêmes, mais Dieu

sait ce que sont et ce que seront les âmes baptisées : un tout petit enfant que

les Pères Blancs élèvent, Dieu sait comment il tournera ; et une pauvre

vieille aveugle ; qui y a-t-il dans sa pauvre tête, et dans quelle mesure sa

conversion est-elle réelle ? Comme conversion sérieuse, c'est zéro. Et je

dirais quelque chose de plus triste, c'est que plus je vais, plus je crois qu'il

n'y a pas lieu de chercher à faire des conversions isolées pour le moment. »

Quelle attitude Foucauld adopte-t-il vis-à-vis des Touaregs puisqu'il ne peut les convertir ? Il

l’explique très clairement dans un propos recueilli par le Dr Dautheville, médecin militaire

installé à Tamanrasset depuis le 27/7/1908, au cours d'un dîner qui se tient le 29 :

« Un jour, il m'invite à dîner avec le maréchal des logis Tessère, venu pour

mettre en chantier le fort Motylinski. Au milieu du repas, je posai la

question suivante au père : ‘’croyez-vous que les touaregs vont se convertir

et que vous obtiendrez des résultats vous payant de vos sacrifices ? - Mon

cher docteur, dit-il, je suis ici non pas pour convertir d'un seul coup les

touaregs, mais pour essayer de les comprendre et de les améliorer,

j'apprends leur langue, je les étudie pour que après moi d'autres prêtres

continuent mon travail. J'appartiens à l'Eglise et Elle a le temps, Elle dure

alors que moi je passe et ne compte pas. Et puis, je désire que les touaregs

aient place au Paradis. Je suis certain que le bon Dieu accueillera au ciel

ceux qui furent bons et honnêtes, sans qu'il soit besoin d'être catholiques

romains. Vous êtes protestant, Tessère est incrédule, les touaregs sont

musulmans : je suis persuadé que Dieu nous recevra tous, si nous le

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méritons, et je cherche à améliorer les touaregs pour qu'ils méritent le

paradis. » (cité par M. Serpette Foucauld au désert, p. 192)

Quelle audace quand on pense que l’idée de l’accès

au Paradis des non baptisés ne commencera à être

adoptée par l’Eglise qu’après la seconde guerre.

Charles de Foucauld comprend que la conversion des

musulmans prendra du temps et demande plus qu’un

simple ermite. Il faudra que la mission du Père ait

une suite. C’est ce à quoi il va désormais s’atteler

tout en poursuivant sa mission d’être au plus prêt des

populations, pauvres parmi les pauvres. C’est-à-dire

abandonner la recherche de conversions conquérantes

et s’ouvrir à la culture de l’autre.

« Regarder tout humain comme un frère

bien-aimé. Bannir loin de nous l’esprit

militant. Jésus nous a appris à aller comme

des agneaux au milieu des loups, non à

prendre des armes. » (à J. Hours le 9/1/12

cité par J-J Antier p. 365)

Son travail de rédaction du dictionnaire Touareg et de récupération de poésies touaregs

entamé depuis déjà plusieurs années reprend sens à ses yeux : aller vers eux pour se laisser

enseigner. Son expérience de la vie sans eucharistie lui aura aussi fait comprendre que sa

seule présence est présence de Dieu. L’essentiel est d’être donné aux pauvres :

« II n’y a pas de parole d’évangile qui ait fait sur moi une plus profonde

impression […] que celle-ci : “Tout ce que vous faites à l’un de ces petits,

c’est à moi que vous le faites.” Si l’on songe que ces paroles sont celles

[…] de la bouche qui a dit : “Ceci est mon corps, ceci est mon sang”, avec

quelle force on est porté à chercher et à aimer Jésus dans ces petits… »

(notes perso 1916)

Même son ascèse est remise en question : accepter les autres passe aussi par s’accepter soi-

même avec son corps. Il commence à manger et à dormir comme tout le monde. Accepter les

autres avec leur religion et leurs faiblesses et se faire le porte-parole des plus pauvres sans

tenter de les convertir. Voilà sa vie désormais.

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2.3.L’espérance

Sa mission est désormais toute tournée vers l’avenir. Il sait qu’il faut du temps et des ouvriers.

Mais ceux-ci ne viennent pas. Si Charles en est déçu, cela ne le décourage plus. La mission

est entre les mains de Dieu, simple ouvrier il fait son travail sans compter ses efforts.

« L’œuvre est longue et difficile, il faudrait les grands efforts d’un grand

nombre pendant longtemps, où sont-ils ? Mais la difficulté et l’isolement ne

sont pas une cause de découragement, au contraire, ils sont un motif de

faire plus d’efforts » (25/05/1909 à H. de Castries)

Charles de Foucauld reste dans son intuition de départ mais désormais elle se vit dans

l’espérance. L’urgence n’est plus de convertir, cela sera pour d’autres, non, l’urgence c’est la

fraternité. Ainsi dans une de ses dernières lettres, en 1916, il écrit ainsi à l’académicien René

Bazin :

« Il faut nous faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami sûr, à

qui on va quand on est dans le doute ou la peine, sur l’affection, la sagesse

et la justice duquel on compte absolument. Ce n’est que quand on est arrivé

là qu’on peut arriver à faire du bien à leurs âmes.

Inspirer une confiance absolue en notre véracité, en la droiture de notre

caractère, et en notre instruction supérieure, donner une idée de notre

religion par notre bonté et nos vertus, être en relations affectueuses avec

autant d’âmes qu’on le peut, musulmanes ou chrétiennes, indigènes ou

françaises, c’est notre premier devoir : ce n’est qu’après l’avoir bien

rempli, assez longtemps, qu’on peut faire du bien. » (16/07/1916)

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« Tout cela pour amener, Dieu sait quand, peut-être dans des siècles, au

christianisme. Tous les esprits sont faits pour la vérité, mais pour les

musulmans c’est affaire de très longue haleine » (25/05/1909 à H. de C.)

Charles de Foucauld n’est pas naïf. Il sait que cela prendra du temps avec les musulmans. Non

pas qu’ils soient plus têtus que les autres mais parce que l’islam est bien plus qu’une simple

religion pour ces populations. Elle est constitutive même de leur être, de leur culture et aussi

de leur politique. La véritable patrie pour un musulman c’est l’islam. Et quand on l’interroge

sur la possibilité pour un musulman d’être français voici sa réponse :

Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? Exceptionnellement,

oui. D’une manière générale, non. Plusieurs dogmes fondamentaux

musulmans s’y opposent ; avec certains il y a des accommodements ; avec

l’un, celui du medhi, il n’y en a pas : tout musulman, (je ne parle pas des

libres-penseurs qui ont perdu la foi), croit qu’à l’approche du jugement

dernier le medhi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l’islam

par toute la terre, après avoir exterminé ou subjugué tous les non

musulmans.

Dans cette foi, le musulman regarde l’islam comme sa vraie patrie et les

peuples non musulmans comme destinés à être tôt ou tard subjugués par lui

musulman ou ses descendants ; s’il est soumis à une nation non musulmane,

c’est une épreuve passagère ; sa foi l’assure qu’il en sortira et triomphera à

son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti ; […] ils peuvent se

battre avec un grand courage pour la France, par sentiment d’honneur,

caractère guerrier, esprit de corps, fidélité à la parole, comme les militaires

de fortune des XVIe et XVIIe siècles mais, d’une façon générale, sauf

exception, tant qu’ils seront musulmans, ils ne seront pas Français, ils

attendront plus ou moins patiemment le jour du medhi, en lequel ils

soumettront la France. […] (16/07/1916 à René Bazin)

De plus il a vu venir de loin le risque de l’islamisme qu’il a vu à l’œuvre en Syrie (massacre

des chrétiens par les turques) et il se plaint que la sécurité apportée par l’armée française n’ait

favorisé la diffusion de l’islam radical, fermé au dialogue, chez les Touaregs. C’est même une

razzia mené par des musulmans radicaux qui aura raison de sa vie. Mais Charles de Foucauld

a toujours cru au dialogue et à l’amitié entre les peuples au nom de la fraternité universelle.

Son espérance et son amour pour ses frères musulmans qu’il refusera d’abandonner malgré

l’insécurité grandissante dans la région dû à la Grande guerre, fera de lui un martyr de

l’espérance comme le dit si bien 80 ans plus tard un autre moine qui aura vécu sa vie dans la

même intuition dans l’Atlas algérien :

« Il me semble appartenir à la catégorie de ce que j’appelle « les martyrs

de l’espérance », ceux dont on ne parle jamais parce que c’est dans la

patience du quotidien qu’ils versent tout leur sang. Je comprends en ce sens

le ‘’martyre monastique ‘’. » Christian de Chergé, moine de Tibhirine

(assassiné en 1996).

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3. Prophète pour aujourd’hui. Que retenir pour nous ?

3.1. Charles de Foucauld au concile Vatican II

L’intuition de Charles de Foucauld dans son approche de l’évangélisation et dans sa rencontre

avec une autre religion a quelque chose de révolutionnaire et qui sera repris tout au long du

20éme siècle et même au concile de Vatican II.

Dans la déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, Nostra

Aetate, on retrouve certaines intuitions du Père de Foucauld et notamment l’idée qu’il y a

dans l’islam des vérités. Il faut savoir que pour beaucoup à l’époque du Père de Foucauld

toute autre religion que le catholicisme est fausse et à rejeter dans son ensemble. On retrouve

cette idée dans certains de ses écrits mais déjà il nuance et, lui le grand ami des musulmans,

reconnaît à l’islam une part de vérité :

« La religion catholique est vraie : c’est facile à

prouver. Donc toute autre est fausse… Or là où il

y erreur il y a toujours beaucoup de maux

quoique les vérités qui peuvent subsister au milieu

des erreurs soient un bien, et restent capables de

produire des grands et des vrais biens, ce qui

arrive avec l’islam.» (15/07/1901 à De Catries)

Et Charles de poursuivre en insistant sur la figure de Jésus, ultime révélation et en qui se

trouve toute vérité. Citons maintenant Nostra Aetate (§2) :

« L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est

vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec

un respect sincère ces manières d’agir et de vivre,

ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles

diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-

même tient et propose, cependant reflètent souvent

un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes.

Toutefois, elle annonce, et elle est tenue

d’annoncer sans cesse, le Christ qui est « la voie,

la vérité et la vie » (Jn 14, 6) dans lequel les

hommes doivent trouver la plénitude de la vie

religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses ».

Le texte donne même comme titre à son 5ème paragraphe :

« La fraternité universelle excluant toute discrimination »

L’approche de la religion musulmane doit commencer par cette reconnaissance.

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3.2. L’enfouissement foucauldien

Je soulignerai une dernière chose qui me paraît essentielle pour aujourd’hui. On a beaucoup

loué l « enfouissement » pratiqué par le P. de Foucauld au nom de la spiritualité de Nazareth.

Mais Charles de Foucauld ce n’est pas seulement Nazareth c’est aussi et surtout Tamanrasset.

Ce choix de vie ne doit pas être associé à l’invisibilité. Aucune ambiguïté n’entachait

l’identité et les intentions de l’ermite. Il suffisait de le voir dans son habit religieux sur lequel

il avait dessiné un cœur surmonté d’une croix, et dont un rosaire lui servait de ceinture. Il

confiait à l’abbé Huvelin, le 15 juillet 1904 :

« De toutes mes forces, je tâche de montrer, de prouver à ces pauvres frères

égarés, que notre religion est toute charité, toute fraternité, que son

emblème est un cœur ».

Le récit suivant de Ba-Hammou, qui lui enseignait le dialecte tamacheq, et dont il était

particulièrement proche, illustre aussi ce désir d’éviter toute confusion interreligieuse.

« Au début de son installation [dans le Hoggar], il arrivait que certains de

ses visiteurs, sortant de chez lui aux heures de la prière musulmane,

s’arrêtaient près de l’ermitage pour prier. Le Père de Foucauld les invitait

aimablement à s’éloigner de l’ermitage, en leur disant qu’ils devaient

comprendre qu’il ne désirait pas les voir prier près de chez lui, comme eux-

mêmes ne pouvaient désirer le voir prier près d’une mosquée… Il disait ces

choses en termes tellement aimables et bons, que, très peu de temps après,

aucun de nous ne les ignorait, et ne se serait permis d’enfreindre ses

désirs»

Vivre ensemble ne veut pas dire nier son identité propre mais être ce que nous sommes et

l’assumer. Dans le respect et sans s’imposer à l’autre on peut vivre fraternellement ensemble

les uns avec les autres. Pour Charles le vivre-ensemble et la fraternité exige de se mettre à nu

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sous le regard de l’autre. C’est bien sûr exigeant et

cela demande d’avoir un grand respect d’un côté

comme de l’autre. Mais dans un monde où la clé

du bonheur est dans la possession la tendance

n’est pas au respect dans le dialogue inter-

religieux mais au contraire à la prise de possession

de l’autre en imposant à l’autre ce que nous

sommes sans le recevoir comme il est, sans

l’écouter. Le port de l’habit religieux pour Charles

de Foucauld, ou bien le simple fait d’assumer qui

nous sommes, ce n’est pas mettre la main sur

l’autre mais au contraire se donner à l’autre. C’est

toute la distinction entre l’être et l’avoir :

l’essentiel est ce que nous sommes et non pas ce

que nous avons. C’est avec ce que nous sommes

que l’on peut construire sur du solide. Pour faire

un pont, avant de jeter le tablier entre les deux

rives, il faut de chaque côté des piliers qui

puissent le soutenir.

Charles de Foucauld est même allé jusqu’à prier avec ses frères musulmans notamment en

proposant un chapelet où à chaque grain on récitait « Mon Dieu je vous aime de tout mon

cœur ». S’unir sur ce qui nous rassemble sans nier nos différences est, il me semble, une

attitude dont notre époque aurait bien besoin aujourd’hui.

Conclusion :

Un siècle après Charles de

Foucauld où en est-on de

l’évangélisation des

musulmans au Maghreb ?

Puisque Charles de

Foucauld disait préparer le

chemin pour

l’évangélisation qui

porterait des fruits de

nombreuses années après

lui, qu’en est-il

aujourd’hui ? N’a-t-il été

qu’une voie isolée et oubliée

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désormais ? Sa vie est-elle un échec ? S’est-il trompé sur toute la ligne ? On serait tenté de

répondre par l’affirmative au vue de la situation actuelle. Loin de s’améliorer elle semble bien

plus s’être aggravée. Et pourtant. Le 26 janvier 2018 le pape François reconnaissait 18

martyrs d’Algérie. Parmi eux des grandes figures comme l’évêque d’Oran Mgr Claverie ou

plus connu depuis le film Des Hommes et des dieux les sept moines trappistes de l’abbaye de

Tibhirine. Or on le sait le sang des martyrs est semence de chrétien. Des hommes meurent

pour que le Christ soit annoncé partout dans le monde, des religieux continue de vivre

l’intuition de Charles de Foucauld : humble communauté au cœur des pays musulmans.

Charles de Foucauld n’est pas oublié, son action a marqué des générations. Mais pour qu’il ne

soit pas mort en vain il faut des hommes et des femmes d’aujourd’hui qui retrousse leur

manche pour vivre le dialogue et construire la fraternité. Ne tombons pas dans la facilité du

rejet. Dans la difficulté, dans les moqueries, dans les échecs apparents, dans les insultes, et il y

en aura, ne cessons jamais de vivre dans l’espérance parce que c’est ce en quoi croyait

Charles de Foucauld, parce que c’est ce que le Christ lui-même a vécu. Comme Lui, « versons

notre sang dans la patience du quotidien », soyons des « martyrs de l’espérance ».